HISTOIRE DE LA RUSSIE ANCIENNE. TOME TROISIÈME. r HISTOIRE PHYSIQUE, MORALE, CIVILE ET POLITIQUE DE LA RUSSIE ANCIENNE, COMPRENANT LA DYNASTIE DES ROMANOFS, jufquau Règne de Catherine L PAR M. LE CLERC, Écuyer, Chevalier de T Ordre du Roi, c% Membre de plufieurs Académies. TOME TROISIÈME. LTCEAL \ W&œr BlBIiIftTHEK, A PARIS, Chez FROULLÉ, Libraire, Pont Notre-Dame, vis-à-vis le Quai de Gevrcs; A VERSAILLES, Chez BLAIZOT, Libraire du Roi & de la Famille Royale, rue Satory. M. DCC. L X X X I V. AVEC APPROBATION, ET PRIVILÈGE DU ROI. AVERTISSEMENT. LJA ut eu r invite MM. les Soufcripteurs à former un Atlas des fei^e Vues, des fel^e Tableaux de la Marine & du Commerce de Rujfie , ainfi que des Plans de Pétersbourg & de Moskou, & des Cartes qui accompagnent le cinquième Volume de cette Hijloire, enrichi d'ailleurs de fept Portraits de Souverains, de trente-deux Coflumes, de cinq Plans de Batailles, d'Antiquités Mon gales , &c. La beauté & le fini de ces Vues f de ces Plans, exigent cet Avertijfement, pour épargner à MM. les Soufcripteurs le regret de les voir ployés dans le Volume* A U X LE CTE U R S Nous nous crions propofc de publier l'Hifloire Ancienne de la RuiTie en deux Volumes, &: fon Hiftoire Moderne en trois : on nous a confcillé de changer Tordre de cette diflribution, de joindre ce Volume à l'Hifloire Ancienne, parce qu'il comprend la Dynafïie des Romanofs, qui commence en 1613, finit en 1730, &c appartient plus au dix-feptième fiècle qu'au dix-huitième. Nous avons cru devoir déférer à ce confeil. Nous nous étions auili propofé de réunir dans ce Volume tous les Règnes de la branche mâle de cette Dynafïie; mais PimprciTion ayanr pris beaucoup plus de pages que le Manulcrit ne nous paroifTbit devoir en prendre, ék le Règne de Pierre-le-Grand comprenant feul plus de 630 pages, cotte réunion cil devenue impoiïible. Nous aurions d'autant plus mal fait de mutiler ce Règne, que tout cil précieux, que tout intéreffe dans la vie d'un Prince fi extraordinaire. Ce Conquérant Légiflatèur exigeoit, fans doute, un Hif-torien qui eût la vigueur ex l'abondance, l'étendue 6c la netteté de la raifon, la jufteffe Se l'enchaînement des idées, en un mot, lc génie du grand homme, avec routes les Tome III, reiîbùrces du talent. Nous l'avons fénti ; & il s'en faut bien que nous ne réunifiions ces qualités aulTi enviées que rares: nos talens fc bornent à bien voir les objets, à les peindre avec les couleurs de la fenlibilité , d'après Fini-preiTion qu'ils font fur notre ame. Mais en convenant de bonne foi que Pierre-le-Grand étoir digne d'un meilleur Hiftorien, nous croyons pouvoir affirmer qu'il n'en aura jamais un plus impartial : nous l'avons vu dans le point où il faut pour être jugé fans afFecTion ni prévention perfonneiles; Se fi, comme il cft poiTible, le fuccès ne répond pas à nos vœux , notre intention du moins juftifiera toujours nos efforts : on nous finira gré d'avoir fuppléé aux omiffions du célèbre Auteur de la Riiffie fous Pierrc-le-G'ra/id, Se d'avoir réuni avec foin tous les matériaux propres à former celle de toutes les Hiftoires qui fera la plus utile aux Princes deftinés à régner un jour* ïnftituteurs de ces Princes, Dépofitaires de l'cfpérance Se du plus grand intérêt des Nations, n'oubliez jamais que VOUS devez être leurs Organes auprès des Héritiers pré-fomptifs de la Couronne : qu'il fc forme entre vous une Ligue fainte, inviolable, pour les préferver de la contagion des Cours , des préjugés deflruéreurs qui affiégent les Troncs, Le Code de l'Humanité cft le Livre des Rois; il renferme une Morale primitive 6c fondamentale, indépendante des • • " lieux, des tems, des Légitimations mêmes : jurez donc, jurez fur les Autels du Patriotifme , de combiner vos efforts pour graver les maximes de ce Code dans le cœur de vos Pupiles auguftes, avec l'air qu'ils refpirent, avec les premiers rayons de lumière qu'apporte la raifon ! La première raifon de l'homme eft une raifon fenfîtive : rectifiez les fens pour perfectionner l'entendement; 6k fi vous voulez que cette aurore foit fuivie de jours purs 6k lereins, développez, dirigez, nourriffez la fenfibilité des Princes, en les attendriffant fur les malheurs des Peuples. La fenfibilité cft le feu facré que vous ne devez jamais iaiffer éteindre 3 elle feule peur faire finir les fiècles de larmes. Lorfque des adulateurs inréreffés crieront que les Peuples font faits pour fouffrir, que les abus font indéracinables, les réformes impoffibles, & les projets des gens de bien des chimères, .... étouffez les cris de ces vipères auliques, purifiez le palais qu'ils auront fouillé de leur fouffle, avec la flamme divine de la vérité. Rappeliez fans cefTc aux Héritiers du Trône, que la bienfaifance éclairée cft le véritable intérêt des Princes, que le feeptre, dans leurs mains, n'eft que l'arme de la honte 6k de la juflice, 6k que la maiTue du defpotifmc éerafe àda-fois PEfclave 6k le Sultan. Rappeliez-leur que « dans les climats glacés de la Scythie, un homme, aidé on icul génie, créa tour, perfectionna tout, entraîna a ij tout, Se éclaira un Empire obfcurci de tout tems par l'ignorance &: la barbarie : rour efl pofïible dans les États où la civilifation, les lumières, les travaux de plusieurs fiècles, ont rendu tout facile. Si les Peuples fouffrent plus de ce qui cft mal fait que de la barbarie même, tout plie aux volontés d'un Prince qui fait connoîrre à fes Sujets l'ufage profirable de la raifon éclairée de l'expérience. La lérhargie funefle qui plongeoit les Ru (Tes dans une indifférence ftupide, aura fair place à l'organifation fociale ; Se l'on rëgarderoit ailleurs comme impoilible, de concilier la juflice avec l'humanité, de corriger les négligences, les abus, Se de prévenir de nouveaux défordres ! Non, non : le bien peur s'opérer dans toutes les formes d'adminiftration. Le Légiflateur Ruffe en a indiqué les moyens pratiques : il fit d'admirables Règlemens; il fit plus, il les fit exécuter. Nous avons dit ailleurs que l'inftiu&ion en tout genre devait être l'abrégé des bonnes études de l'homme fait. Telle cil la tâche des Inflituteurs. Nourris des principes générateurs du bien, qui conduifent à tons les autres, embraies par vos leçons , modifiés par votre exemple , les Héritiers du Trône ne refpireront plus qu'un même cfprit, Pefprit du bien général. Également inftruits de l'étendue de leurs devoirs Se des bornes de leur pouvoir rcfpeer-if, ils n'abuferonr point de leur influence pour s'étendre au-delà, Se s'arroger le droit de Suzeraineté chez les autres. Loin de prendre ce ton de fupériorité qui révolte, ils regarderont la hauteur comme une provocation, Se les prétentions exorbitantes comme une injuflice qu'il faut réprimer : ils fe confédéreront contre la violence , devant qui s'anéantiffent rous les droits, toutes les inflitutions humaines; mais dans tout autre cas, ils renonceront à la folie des combats, .à la folie de la gloire qui ne s'achète qu'avec du fang. Devenus Pères des grandes Familles de l'Europe, Se convaincus que régner c'efl adminiftrer, ils fe regarderont comme les Subftituts de la Providence; ils feront valoir leurs Domaines avec EigelTe, avec attention, avec économie : chaque famille puifera dans leur conduite l'art de bien gouverner fa maifon ; les Peuples Trouveront leur bonheur où les Princes chercheront leur gloire; ils facri-fieront tout au maintien de l'ordre qui vivifie tout, à l'amour de la paix qui favorife la Population, l'AgricuI-turc , lTnduflrie , les Arts, le Commerce , les Sciences, les Mœurs, la Religion. C'efl par-là que la misère des Peuples ceffera d'être la compagne des folles entreprises de l'égoïfme Se de la fauffe grandeur. Les Pertes, inftruits par Zoroajlre de la vérité Se de l'utilité des principes que nous venons d'établir pour formelles Princes dcflinés à régner, ne regardoient point le fils de Cyrus comme le fils de Cambyfes, mais comme l'enfant de l'État; Se c'étoit l'État qui l'élevoit pour la choie pu-^ iquc. Mais fans remonter aux tems anciens, la même façon de penfer & le même ufage régnoient en Suède avant que Guflave III rendit au Trône les prérogatives dont on l'avait dépouillé : le Roi n'étoit pas le maître de l'éducation de fon fils. On fe rappelle que dans l'Affemblée des États de ce Royaume, un Sénateur dit au Gouverneur de l'Héritier de la Couronne : Conduife^ U Prince dans la cabane de l'indigence laborieuse > faites-lui voir de près les malheureux ; & apprener^-lui que ce nefi pas pour fervir aux caprices d'une douzaine de Souverains, que les Peuples de l'Europe font faits..... Pour donner avec fruit ces auguftes leçons, il faut le lieu, le tetns Se toute l'autorité paternelle dans les mains des Inflituteurs. Point d'étiquette, poinr de cortège, point de titres, point de grandeur avant le tems. Mentors des Princes, vous êtes les greffes de ces Tiges Royales; vous ferez jugés fur les fruits qu'elles produiront : s'ils font amers Se fauvages, l'anathême fera le prix de vos foins; mais s'ils fonr tels qu'ils doivent être, vous ferez bénis à jamais pour avoir identifié le bonheur des Rois Se des Peuples avec la recTitude de la raifon , l'amour des devoirs & la pratique des vertus. Bénir, c'efl défigner & remercier les bienfaiteurs des hommes : voilà la gloire digne d'envie ! '>»■■ ~ ■ ■------------ AVIS AU RELIEUR. Le Portrait du Patriarche Philaret, page i. Celui de Mikaïl Fédorovitz, p. 16. Celui d'Alexis Mikaïlovitz, p. 40. Celui de Fédor Alexiévitz, p. 98. Celui d'Ivan V, p. 105. Celui de Pierre I, p. ni. La Médaille, p. yoo. ERRATA. Page to, ligne 2y, Doréchck, Ufa d Oréchck. Ibid. ligne 29, Troubctskoé, /i/qr Troubctskoï. Page 24, ligne 2y , Stclbova, Çfa Stolbof, Page ly, ligne 1, Dunamondc, fl/êç de Dunamund. Page 27. Supprimez la Note. Page 73, ligne ir, fut un très-coupable, lifa fut ttès-coupable. Ibid. ligne 10, Jaroflavclc, ///q Jaroflavle. Page 131, ligne 13, le cinquième Volume, lifa le fécond Volume. Page 136, ligne 2j, Chérémétof, fifa Schérémétof. Page 140, lignes 16 Se 28, Chérémétof, Hft\ Schércmctof. Page 143, ligne 14, au lieu de Alexandre qui étoit l'aîné, &C, ( jufqu'à l'alinéa ) Rfa, Alexis naquit le 19 Février 1690 ; Alexandre en 1692, &c mourut la même année, rage 164, ligne 26, Chérémétof, Ufe\ Schércmétof. Page 567, ligne 12, Henri-Thomas, Hfi\ Pierre-Henri. Page 371, ligne 12, Henri-Thomas, tifa Pierre-Henri. Page 392, ligne 3, Huflin, tifa Fluflcin. Page 492, ligne 9 de la Note, ani, lifc\ any. Ibid. ligne 10 & 12, Marshal Himfeld, lïfci Marshal hinfcld. Ibid. ligne 13, itaggering rll rhé, bfa llaggcring ail thc. Ibid. ligne dernière o'cloch, HJl^ o'cloek. Pjgc yyo, ligne 9, Samachic, ttfci Schamaehic. IIISTOIR F HISTO IRE PHYSIQUE, MORALE, CIVILE ET POLITIQUE DE LA RUSSIE ANCIENNE. LIVRE NEUVIÈME, Contenant la Généalogie de la Famille des RoMANOFS, Jon avènement au Trône, & les Règnes de fes DeJ-cendans. On ne doit pas comprendre dans les deux Dynaflics des. Princes Rudes, les règnes des ufurpatcuts & des impoucurs, que nous avons placés dans Tordre chronologique des évè-nemens. Jufqu ici la Dynaftie de Rourik a été la feule qui ait régné par k droit du fang, & ce droit a été fouvent funcltc Tom ///, A aux Ruflcs. La Dynaftie de Rourik s'en: éteinte avec Fédor I Ivanovitz, mort en 1598 : depuis cette époque jufqu'en i6r$, le malheur fut le maître des RufTes & leur apprit beaucoup, puifqu'il rendit Citoyens des hommes qui avoicnt été factieux 6c confpiratcurs pendant 751 ans. Une Dynaftie nouvelle va remplacer la première : des règnes plus humains, plus tranquilles, effaccronr le fouvenir de tant de Princes féroces 6c ianguinairesi &: les vertus des Romanofs légitimeront en quelque forte l'ufage du defpotifmc, en le purifiant de fes vices. Suivant les Livres généalogiques, la Famille régnante tire fon origine d'un Prince Prufïicn, nommé André Ivanovitz. Ce Prince pafla en Rufllc vers le milieu du quatorzième fiecle, fous le règne d'Ivan Ivanovitz , père de Démitri Ivanovitz Donski. André eut cinq fils, dont le plus remarquable fut Fcdor, le cadet de tous. Celui-ci eut pour fils Ivan, père de Zakar, que les Ruifcs regardent comme la tige de la Maifon régnante. Il vécut fous le règne de Vafili Vafiliévitz l'JvcugU. L'ancienne Chronique dp Novogorod rapporte : «Que l'an du Monde 6941 ( 1433 ) Zakar »afTtfta aux noces du Grand-Prince, & qu'il fe tenoit a la ccin-»>turc du Prince Vafili le Loucher. Malgré l'obfcurité de ce paftage, il faffit pour prouver qu'en 1433 Zakar jouoir un grand rôle à la Cour de Rufîic, puifquc , dans la cérémonie du Mariage du Grand-Prince, il fc trouvoit a fes cotés, &c figuroit parmi fes plus proches parens. La Généalogie des Romanofs étoit très-difficile à débrouiller, avant que M. Navikof ne fe fût occupé de ce travail, qu'il a enrichi de notes inftructivcs &: de pluficurs détails hiftoriques. On ne m'en remit une copie qu'en 177^ Jufqu'a cette époque, je trouvois du louche dans les renfeignemens que je m ctois procurés ; & plusieurs Ruifcs, quoiqu'inftruits, n'a voient pas pu eclaircir mes doutes a cet égard, par une raifon trcs-ûmplc. On a vu HISTOIRE DE RUSSIE. * qu'en Ruflic, dans les rems anciens, les noms de famille n'étoient pas encore en ufage, &c que pour diftiaguer les perfonnes d'une même famille, on joignoit a leurs noms de Baptême, ceux des pères &: des grands-pères ; de manière que les enfans de Zakar, dont l'un s appelloit Jakof, ( Jacques -) l'autre Jouri, ( Georges ) croient défignés fous les noms de Jakof, de Jouri Zakarirschi. Les Defcendans de Jouri Zakariévitz gardèrent le furnom de Jourief, &: les fils de Roman, celui de Romanof Jourief, Se ainfî des aurres. On avoit donc befoin d'un fil fecourablc pour parcourir ce labyrinthe ; & M. Navikof a fini ce que le Prince Kilkof avoit ébauché. Le premier fuit les Livres généalogiques qui font mention de cette famille fous divers noms ; mais il n'a pas borné fes recherches aux deux livres de Roftiad qui tirent leur nom d'un Tribunal qui eut lieu jufqu'a l'inftitution du Sénat (i), M. Navikof a dépouillé différentes Chroniques pour complctter la Table généalogique qu'il a enrichie d'anecdotes qui lui étoient propres, &c de celles qu'il a puifées dans un Manufcrit que l'on trouve à la Bibliothèque de l'Académie Impériale. Il cil: intitulé : Opicanic T^arskik Préfv&tlïx Praroditcléi Kotorix Taléça Pologcnï vc Obïtéli vcé milojlivago fpafa na novonu C'cft-a-dire : " Dcfcription » des Ancêtres des Tzars dont les corps font dépofés dans l'Eglifc « de Novo-Spaskoï, a Moskou 6c mourut le 16 Octobre iyf6. Sémcn Vafiliévitz Jakoflcf, qui fervoit depuis 1 t46,fut nommé Okolnitchéi en ijjé. 11 fc trouva à la reddition d'Aftrakan en Il fut fait Voïévodc de Smolcnsk en 1560, Boyar en 156 Il fut envoyé à Koftroma la même année. L'époque de fa mort n'eft pas connue. Son époufe Varvara(Barbe) mourut le 31 Juillet l 1568. 11 eut d'elle une fille nommée Agrippinc , qui mourut en 1570. Jouri Zakariévitz, fils de Zakar Pétrovitz Jakoflcf, fut Voïévode 6c Boyar fous Ivan Vafiliévitz I : il commandoit a la bataille de Vedrofcha en Lithuanie, ou les Polouois furent battus en 1 joo. Les Annales ne font mention de lui que jufqifà l'année ijoi; Il eut fix fils, favoir : Mikaïl, Ivan, Roman, Grégori, Scmcn, Vafili. Mikaïl Jouriévitz Zakarin fit plufieurs campagnes en qualité de Voïévodc, ÔC fut fait Boyar en 145)8. Il epoufa Irin (Irène)j il eut d'elle Ivan & Vafili. Ivan Mikaïlovitz Jourief fut fait Dvorcskoï en 1^40, & en 1547, le 3 Février, Paranymphc du Tzar Ivan Vafiliévitz II, qui époufa fa confine Anaftafîa Romanofna. Il mourut le 1 Juin m2- Vafili Mikaïlovitz Jourief fut créé Dvorcskoï-Tvcrskoï en 1548, Voïévodc de Kafm en 15-58, & Boyar en 1^9. Il mourut le 3 Avril 15*57. Son époufe Anaftafîa, fille du Prince Démitri Fédorovitz Bclski, mourut en 1571. Il eut d'elle trois fils, favoir: Protaféi, Ivan &; Fédor. Protaféi Vafiliévitz Jourief mourur le 14 O&obrc 1575 j fcs deux frères moururent dans la même année, le 24 de Mai 1571. Ivan Mikaïlovitz n'ett connu que par fon nom. Ivan Jouriévitz Zakarin, fils de Jourï Zakariévitz, mourut en 1571. Grégori Jouriévitz Zakarin commandoit avec fon frère riani la campagne de Kriméc en 1531. Il fit plufieurs campagnes en qualité de Voïévodc , fut mis au rang des Boyari en 1550, 81 mourut Religieux fous le nom de Jouri, le premier Mars iy^. Sémcn (Simcon) Jouriévitz Zakarin eut un fils nomme Mikaïl Sém'novitz Jourief, qui commanda en chef dans la campagne de Krimée en 1565. Les Livres généalogiques ne fourniifent aucun détail fur fon père. Il en cft de même de Vafili Jouriévitz Zakarin, fon frère, mort le 15 Juillet 1494 Roman Jouriévitz Zakarin lervit en qualité de Voïévodc , Se mourut le ifc Février 1543. Son époufe Ouliana { Julie ) lui donna trois fils & deux filles, favoir : Danilo, Dolmat, Nikit, Anaftafîa , & une autre fille qui fut mariée au Prince Vafili Andrévitz Sitzkoï. Danilo (Daniel) Romanovitz Jourief, nommé Okolnitchéi en 1548, Boyar &: Dvorcskoï en 1550, fit plufieurs campagnes en qualité de Voïévode, &:mourut le 15 Novembre 1564, Anna, fa première femme, mourut en 1564, &c il époufa en fécondes noces une autre Anna, morte le 24 Mai 1571. Leur poftérité s'éteignit en 1571. Dolmat Romanovitz Jourief mourut en 1745. Nikit Romanovitz Jourief commanda les armées en qualité de Voïévode, fervit dans la guerre contre la Suède en ïff** fut nommé premier Voïévodc aufiége de Narva, Okolnitchéi dans la campagne de Livonic en 155:9, Dvorcskoï &c Boyar en 1563. 11 mourut le 23 Avril i>86, après avoir pris l'habit de Moine, fous le nom de Niphont. Il eut deux epoufes : la ptemière, nommée Varvara, mourut le 18 Juin 1552 ; la féconde, nommée Eudokia , ( Eudoxie ) fille du Prince Alexandre BoriiTovitz Gcr-batoï, mourut le 4 Avril 1581. Il eut fept fils & cinq filles. Ses fils font : fédor, Alexandre, Mikaïl, Nikit, Ivan , Vafili, Ivan j fes filles font : Ouliana, Anna, Effimia, Marfa & Irina. Alexandre Nikititz Romanof fut fait Kraftchi en 1582, Colonel dans l'armée qui marcha contre le Kan de Krimée, &: enfuite Boyar fous le Tzar Fédor Ivanovitz. Boris Godounof, pcrfccutcuu de cette Famille, le fit aceufer par fes domeftiques d'avoir voulu Vcmpoifonncr. Condamné fuis être oui, il fut exilé aLouda, fur les bords de la Mer Blanche , où il mourut étranglé le ir Mars 1497. Il eut deux femmes : la première, nommée Eudokia, ctc>it fille du Prince Ivan Jouriévitz Galitzin ; la feconde fut Ouliana Séménofna, qui fc fit Rcligicufc, &: mourut le 6 Décembre 1614. Mikaïl Nikititz Romanof, qui étoit Okolnitchéi, fut exilé en i J99 a Nirpa en Permie, a fept vérités de Tcherdin. Boris Go-dounof le fit mourir le 13 Mars 1606. En i6z8, le Tzar Mikaïl Fédorovitz donna aux habitans du village où fon oncle avoit été exilé, un diplôme qui les difpenfoit de tout impôt. Le Tzar Alexis Mikaïlovitz le confirma en 1647. Nikit Nikititz Romanof fut fait Stolnik en IJ98, fervit dans l'armée envoyée contre les Tatars, & mourut la même année. Ivan Nikititz Romanof fut fait Stolnik en 1598, exilé à Pélim en 1599, rappelle de l'exil en 1601, fait Voïévodc de Kofclsk en 1607, & mourut le 13 Juin 1640. Ouliana Fcdorovna, fon époufe, mourut le 23 Oélobrc 1649. Il eut quatre fils rit le nom de Marfa. Enfin, elle mourut à Moskou le 27 Janvier 16} 1. Tome Ht, n Tous les fils de Fédor Nikititz moururent dans l'enfance , excepté Mikaïl Fédorovitz. Tatiana Fédorovna, fa feeur, époufa le Prince Ivan Mikaïlovitz Katircf. Elle mourut le 21 Juillet iéio. Mikaïl Fédorovitz, né le 12 Juillet ij9X, fut enfermé avec fa mère dans le Monaftèrc dlpazkoï aKoftroma. Il fur appelle au Trône le 2.1 Février 1613, fit fon entrée à Moskou le 18 Avril, flC fut couronné le icr Juillet fuivant. Il mourut le 12 Juillet 164c, âgé de jo ans. Il avoit époufe en premières noces Maria Volodi-mirovna, fille du Prince Volodimir Timoféitz Dolgorouki, morte le 16 Janvier 1625. Sa féconde époufe fut Eudoxia Lou-kianovna, fille de Loukian (Luc) Stépanovitz Strcfchncf : clic mourut le 8 ou le 18 Août 1645. Leurs enfuis font. Irma Mikaïlovna, née le 12 Avril 1627, & fiancée a Chrétien Valdcmar, Comte de Holftein, fils naturel de Chrétien IV, Roi de Danemarck. Comme ce Prince ne voulut point cnvbraller la Religion Grecque, le mariage n'eut pas lfeu : clic mourut le 8 .Février 1679. Palagéia Mikaïlovna, qui ne vécut qifun an. Anna Mikaïlovna, née le 14 Juillet 1630. Elle vivoit encore fous les règnes d'Ivan & Pierre Alexiévitz. On ignore l'époque de fa mort. Marfa* qui ne vécut que deux ans. Ivan Mikaïlovitz, mort a l'âge de (ix ans. Sophia, morte a làgc de deux ans. Tatiana Mikaïlovna, née le y Janvier l6$6. Elle vivoit encore en 1682. On ignore l'époque de (a mort. Eudoxia Mikaïlovna, morte le 10 Février 1637. Vafili Mikaïlovitz, mort le 15 Mars Alexis Mikaïlovitz, né le 10 Mars 1^29, monta fur le Trône le 13 Juillet 1645. 11 mourut le 29 Janvier T A B L E A U MORAL ET POLITIQUE DES RUSSES Au commencement du dix-fepiïeme fiècle. Le premier effet du pouvoir arbitraire eu de corrompre celui qui en cft revêtu. L'homme corrompu devient corrupteur. Son raffinement le plus odieux cft de divifer fes cfclavcs, de les entretenir dans un état de guerre continuelle les uns contre les autres , afin qu'ils s'oppriment mutuellement ; Ôc cette guerre a pour but de légitimer les trahifons , les délations, les proferiptions , les aflafîinats, les confifeations, Se de partager les dépouilles avec les complices & les inftrumens du Dcfpotc. Mais la nature du dcfpotifmc cft de ne les enrichir que pour les dépouiller : c'eft de ectre manière qu'il fe rend maître, &: de la vie, Se des biens de fes premiers efelaves. Telle fut la marche progreiVivc de Rourik ôc de la plupart de l'es fuccclVeurs. Boris Godounof les furpafla tous en parcourant la même carrière : il eut l'indignité de vouloir exercer les plus étranges vexations fans paroître injufte. Son in-juftice &c fa tyrannie aimoient à fe renfermer dans l'ombre, pour fe cacher a ceux qu'elles opprimoient : il auroit rougi du nom de tyran, 6c ne rougiifoit point de la tyrannie. Sous (on reSne, U corruption fut portée au comble : le pouvoir détruifït tout ce qui étoit grand, & annoblit tout ce qui étoit vil. A cette époque, lcs Rwflfei t\ucnt partagés en deux elaifes : les uns B ij s'éloignèrent de la Cour par crainte, les autres s'en rapprochèrent par avidité. Tous les crimes partirent a-la-fois du coeur de Boris, & revinrent s'y concentrer, comme le fimg qui couloit dans fes veines. La flatterie, pour élever fa baflefle fur la fervitude géné-raie, & profiter des malheurs publics, exalta la tyrannie ; celle-ci excita des fictions pour les éteindre dans le fiing des opprimés : on vit des lâches enfeigner au Prince fart funefte de fe faire craindre Ôe détefter de fes Sujets, & follicitcr des ordres pour étouffer les victimes dont les cris l'auroicnt importuné. La tyrannie ne fe borna pas là ; elle eut recours à des moyens plus infâmes encore : clic mena à l'efpionage &: à la délation , des hommes rampans quand ils font foibles, violens quand ils font forts, prclTés d'acquérir, prclfés de jouir, $c capables de tous les forfaits qui peuvent les conduire plus rapidement à leurs fins. Alors, la moindre plainte, la plus légère indiferétion, le patrio-tifme, Li vertu même, qui fe refufoient a ces horreurs, prirent la teinte du crime de lèfc-majcfté, Se fureur punis par les mêmes fupplices. Les délateurs formèrent entre le Dcfpotc Se le refte de la Nation , un nouvel ordre de tyrans fubalterncs , non moins avides, non moins ombrageux, &: plus cruels que leur Maître. La méfiance Se la terreur ifola les époux Se les époufes, les percs, les mères, les enfans, les amis. La moitié de la Nation devint mélancolique, pulillanimc , Itupidc Se muette. Des criminels remplacèrent des Juges qui les au voient flétris, ev devinrent les prétendus Oracles des Loix qu'ils avoicnt Violées ; des hommes vils ce; mépvifables, fc ruinant par leurs profulions & leurs délor-drCS, infnlrcrcnt, par un laite barbare , les vertueux citoyens donc ils avoicnt envahi les patrimoines; les vengeances s'exercèrent fans crainte; la licence écarta tout frein j l'ivrelle du cam -, palla a celle de la débauche; le Ut facre de l'innocence lut fouillé par le fang, l'adultère 6c le viol (1). A ce point de dépravation, les complices, les perfides amis du Tyran le renversèrent du Trône , &: fon meurrrier y monta par la rufe. Les troupes qui favorifoient les révolutions, fentoient leur importance, & n'en devenoient que plus infolcntes &: plus rebelles : leur fureur bru-talc fc plaifoit à renverfer fon propre ouvrage 6c à détruire tout ce dont elle ne pouvoit jouir. D'un autre côté , l'inconftance nationale, fa tendance à la révolte, dirigeoit un peuple que la tyrannie avoit plongé dans le plus profond abrutiQcment 6c dans une indifférence ftupide 6c univcrfellc : il étoit ce qu'on vouloit qu'il fut, fans chagrin ni préférence : tous les rciforts de fon amc etoient brifés, 6c celui de la crainte même étoit fouvent fins effet, par le peu d'artachement qu'il avoit a la vie. Si la lailitude, un épuifement entier, ou quelques heureux halards procuroient des trêves qui fufpcndoient ces calamités, l'habitude du crime, du meurtre, du mépris des Loix, du vol, du pillage, qui fublifte néccfTaircmcnt après tant d'orages politiques , cil un levain toujours prêt à fermenter. Les Généraux C t ) Une chofe bien plus étrange que la dégéneration des Ruflcs & la dépravation exccflive de leurs moeurs, c'efl ce que dit à ce fujet M. Lcvcfquc, Tome III, page 83. m Les mains, dit-il, etoient bonnes pour l'Etat, mais elles n'étoient point pures. » On ne connoifloit point ( en RufTic ) ce libertinage, fuite de la communication trop 33 libre des deux fexes i mais on fc livroit à des vices honteux qui outrageaient la Nature j » & c'eft une conformité de plus que les Ruilcs avoicnt avec les Grecs «. On auroit dû s'attendre à une autre morale de la part d'un homme qui traduit les Moraliftes anciens. Mais M, Lcvcfquc a une philofophic qui lui eft propre ; & prcfquc toutes fes réflexions ont la meme juftefle que celle-ci. L'Auteur de la Fable de l'Aigle & du Hibou reproche à Jean, Jacques d'avoir voulu détrôner Li mi fort publique. 0ri ne fera fùrcmcnt pas le même reproche à M. Lcvcfquc : ce n'cft point avec du phnutus triple qu'on lui en impoli-, & qu'on vient à bout de faper. les bonnes nwnu» dans U;urs fondemens. qui ifavoient plus de commandement, & les foldats, licenciés Tans paie, redevenoient les inftrumens des troubles, fous la main du premier factieux qui favoit les mettre en œuvre : leur fureur commune éroit la foif de l'or; 6c pour l'obtenir, la foif du fang les reprenoit en arrivant a Moskou. On peut les comparer à des tigres domeftiques qui rentrent dans la forêt. Les forces morales ne furent jamais pour rien dans les révoltes 6c les dilfentions particulières des Ruifcs, témoins indifférens, ou complices des intrigues honteufes de leurs Princes : leurs guerres civiles prenoient 1'efprit des caufes qui les faifoient naître. Les caufes variables, confignées dans les Annales, 6c manifeftées par les effets qu'elles ont produits, dévoient rendre infenfée 6c barbare une Narion qui n'eut jamais le véritable cfprit qui lui convenoit. Jamais l'cfprit de juftice 6c de modération ne pré-lîda à fon Confeil : fans maximes fondamentales, fes décidons contradictoires ne formoient que des projets téméraires fans liaifon, fans rapport avec les forces réelles. Jamais les principes de la politique ne concoururent avec fa pofition phyfiquc fut le globe, pour fc procurer les connoilfanecs qui lui mancjuoicnt, la fplcndcur, l'opulence 6c le bonheur paifible qu'elle pou voit fc promettre du bon emploi de fes reifourecs locales, 6c de fon aptitude a tous les genres d'induftric. Voilà les caufes de fes guerres civiles : nous allons indiquer celles de les guerres étrangères ; celles-ci dépendoient du vice même de la contlitution civile 6c politique. Il cft de la nature du Gouvernement dcfpotique d'envahir 6c de rompre les liens qui doivent unir les Nations \ 6c quand il les a brifés , il ne peut plus les rétablir. C'cft la confiance qui rapproche les hommes, qui unit leurs intérêts; 6c les caprices, les prétentions d'un Dcfpotc font incompatibles avec la confiance de (es voifins, 6c de proche en proche avec celle des autres, par la raifon même que fon pouvoir arbitraire détruit toute fureté. Voila pourquoi, dans tous les terhs, la RuiTie avoit autant d'ennemis que de voifins. Telles font les caufes générales Se particulières des antipathies nationales, des jaloufies de Couronne, &: des barrières éternelles entre des peuples dont le plus grand intérêt cft de s'aimer, de s'entr'aider , &: de concourir au bien univcrfel. De-la, ces haines enracinées, ces vengeances qui con-fentent a fouffrir pourvu qu'elles nuifent : elles fe nourriifent mutuellement du fang qu'elles verfent & des lambeaux qu elles s'arrachent. Ce Tableau fidèle des mœurs de la Nation Ruffc au commencement du dix-feptième fièclc, prouve qu'on n'ôte point à l'homme fa raifon Se fes droits, fans de fàchcufes conféquenecs. Quel que foit fon délire, ou il cclfera promptement, ou ceux qui ont aliéné fa raifon &: fes droits s'en trouveront mal. Toute Puiifancc arbitraire fc précipite vers fa deftruction. Guillaume-Thomas Raynai lui a indiqué un préfervatif fur : le voici.. «La Religion, dit-il, ordonne l'obéiftance aux peuples : Dieu » commande aux Princes la jufticc dans la Législation, la dou-» ccur dans l'adminiftration pour ne pas exciter des foulèvcmens, » Se la clémence pour les pardonner «. On ne peut rien dire de plus humain, de mieux penfé, Se de plus utile aux hommes. SECONDE DYNASTIE DES PRINCES RUSSES. RÈGNE de mikaïl fédorovitz jourief, Ou ROMANOF. - 1613. : ; : : : . ::: Section première. Ce fut au milieu du feu de la difeorde, que les Ruifcs, attaqués par autant dennemis que de voifins , fentirent la néccilité de fc réunir pour faire un choix qui décida du fort de l'Empire. Après de longs débats, la pluralité des voix fut pour le Prince Mikaïl , renfermé avec ià mère dans le Monaftèrc d'Ipatski à Koftroma. L'un &c l'autre etoient loin de penfer que tous les Ordres de la nation , réunis a Moskou , s'occupaffent du fort de leur famille infortunée j ils en furent inftruits immédiatement après l'élection par les Députés que les Etats envoyèrent au nouveau Tzar pour le reconnoître en cette qualité , &: pour lui prêter ferment de fidélité en leur nom. Cet hommage rendu à Mikaïl toucha le coeur de fa mère, mais ne flatta point fon amour-propre : clic n'avoit d'autre ambition que celle de conferver un fils qui lui tenoit lieu de tout ; clic ne regarda regarda le diadème qui lui étoit offert que comme un bandeau fatal qui défignoit une victime. En rendant grâce aux Députés d'un choix qui honoroit trop fa famille, elle leur repréfenra qu'un jeune homme élevé dans un Cloître, fins expérience des hommes &: des chofes, étoit incapable de gouverner un Etat miné au-dedans, entouré d'ennemis, & fur le penchant de fa ruine. Elle joignit les prières aux larmes , pour les engager a faire un choix plus avantageux à la Rufïic. Il faut lui pardonner fes alarmes : elle avoit vu aux pieds du Trône , le crime engendrer le crime , le fmg attirer le fang, l'enceinte du palais , comme un théâtre de défolation , de misère 6c de deuil , fur lequel les Trinccs 6c les Boyari venoient fucccflivcmcnt fc baigner dans le carnage, s'arracher les entrailles, & fe renverfer dans la poufïièrc. Si Axénia les jugeoit dignes de tous les maux qu'ils s etoient forgés, que ne dcvoit-ellc pas craindre pour fon fils chéri, après des attentats dont l'atrocité mime, paffée en habitude , ne révoltoit plus la Nation ? D'autres confidérations fe joignoient a ces motifs pour éloigner Mikaïl d'un Trône placé dans la région des orages : le parriotifmc &: l'amour du bien étoient devenus deux objets de dérifion a Moskou, 6c ce mépris général ne laifibit aux ames citoyennes que le choix de la retraite ou de l'oubli, pour éviter la perfécution. La force étoit le droit, la foiblcffc un crime : vainqueur, on étoit abfous,\ vaincu, on étoit coupable. Lorfquc les moeurs nationales Se l'opinion publique font dépravées a ce point, ce n'clt pas affez d'être jufte pour bien conduire un Etat fans maximes fondamentales, fans loix 6c fans frein : la fageffe des meilleures têtes ne fuffiroit pas, a moins qu elles n'aient toutes le même cfprit. Cette heureufe rencontre devoir paroître h Mikaïl auili difficile que la guéri fon des maux de l'Etat. Les Députés combattirent avec le même fuccès les objections de la mère 6c les Tçme III, C raifons du fils : ils opposèrent aux craintes d'Axénia l'amour de la nation pour les Romanof ; à l'inexpérience de Mikaïl, la fageife éclairée de fon père, qui lui apprendroit l'art de régner. Il falloit fe rendre aux repréfentations 6c aux prières des Députés ; Mikaïl confentit à paffei du Cloître fur le Trône. Section IL Commcnr ce Prince novice débutera-t-il dans la carrière? Le bien eft impofliblc a faire dans la circonftancc critique ou fe trouve l'Etat j les factions font fufpcndues plutôt que calmées ; la Ruflie a dans fon fein deux concurrens aux Trônes de Moskou 6c de Novogorod ; Uladiflas 6c Philippe , rivaux Se ennemis, ont été proclamés l'un 6c l'autre, par les mêmes hommes 6c de la même manière que Mikaïl vient de l'être ; tous deux faifiront cette circonftancc pour faire valoir leurs droits ; les guerres défaftrcufcs que la Rufïic a foutenucs , celles qu'elle a avec la Suède 6c la Pologne, vont encore lui en procurer d'autres. Comment calmer les unes, prévenir les autres, 6c raffermir l'Etat fur le penchant de fa ruine ) Comment ï En faifant le contraire des prédéceffeurs de Mikaïl -, en ne s'occupant d'abord que des vertus pacifiques, avant de rappcllcr , pour ainfi dire, de l'exil , toutes celles que la corruption avoit bannies de Moskou} 6c ce dernier moyen cft l'art d'obliger les hommes a devenir meilleurs pour leur propre intérêt. Tel fut le plan que forma le nouveau Tzar, 6c que fon Confcil entreprit d'exécuter. La première négociation fc fit avec la Suède. On fit partir un Ambafladcur pour annoncer à Guftavc Adolphe le choix de la Nation , la proclamation èc le facre de Mikaïl Fédorovitz. L'Ambafladcur étoit muni d'une lettre du Tzar, qui prioit le Monarque de confirmer ou de rcnouvcllcr le Traité d'alliance perpétuelle ; qui avoit été conclu entre Charles IX 6c Chouiski, le 18 Février 1609. La ratification de ce Traité, étoit HISTOIRE DE RUSSIE. la plus importante de toutes les négociations. En l'obtenant, les deux Cours s'allioient à perpétuité contre Sigifmond Se fa pofté-rite, Se la Ruilie recouvroit tout ce que la Gardie avoit conquis fur elle pendant l'interrègne. Guftave ne crut pas devoir accéder a cette demande ; l'Ambanadeur le trouva plus difpofé à attaquer laRufïie qu'a la défendre contre la Pologne; Se loin de rien céder > Guftave demanda le paiement des foinmcs qui lui etoient ducs pour les avances qu'il avoit faites, Se les fecours que fon père Se lui avoicnt accordés au défunt Tzar. L'Ambaffade que Mikaïl avoit envoyée en Pologne, ne fut pas plus heureufe dans fes négociations que celle de Suède. Section III, La Gardie, qui n'avoit pu empêcher les Ruftes de donner leurs voix les uns après les autres au Prince Mikaïl, écrivit à Guftave , que s'il vouloit conferver a la Suède Novogorod Se fes dépendances, fon frère Philippe n'avoit pas un moment à perdre pour fe rendre dans cette Capitale \ mais qu'en fuppofant le contraire, il lui confeilloit de s'accommoder avec les Polonois , Se de fc rendre maîrrc de la pairie fcptentrionalc de la Moskovic, comme d'un gage pour le paiement des fommes qu'elle devoit a la Suède. » Peu de tems après, dir Pufcndotf, le Roi lui envoya un puiflant » fecours de Suède, &; le Prince Charles-Philippe arriva a Vibourg, » accompagné de George Boic, Henri Horn de Kankas, Jacques » de la Gardie , Vilman , Gouverneur de Vibourg , Sec ». Les Citoyens de Novogorod envoyèrent des Députés au Prince pour le féliciter fur ion arrivée, Se pour le follicitcr vivement de fe rendre en toute diligence dans la Ville, pour en prendre pollcftion, Se recevoir le ferment de fidélité. Mais les Commidaircsdc Suède n'y voulurent pas confentir ; ilsexigèrent que toutes les autres Villes de 1 ^mpirc envoyaiïent des Députés pour confirmer 1 élection des Novogorodicns, Se les droits de Philippe a la couronne de Ruilie. C ij Guftave avoit ordonné aux Commiffaircs d'exiger cette formalité, & leur inftruction particulière portoit" qu'en cas que les Mosko-» vîtes ne voulufl'cnt pas recevoir volontairementk Prince Charles->3Philippe pour leur Souverain, on s'emparât de tout le pays »dépendant de Novogorod «. La Gardie ne crut pas devoir fuivre à la lettre rinftruction des Commiflaires ; il n 'étoit pas allez fort pour ha farder une entre-prife qui pouvoir devenir funefte aux Suédois. Les intimerions de Guftave prouvent claircmenr que ce Monarque jouoit fon frère, 6c le trompoit en affectant de lui donner la main pour le placer fur le Tronc de Novogorod. Ce Trône étoit vacant, Ôe dans les circonftanccs, cette Principauté pouvoit difpofcr d'clle-même , Se recouvrer fes privilèges, en fc déclarant de la domination Rullè : elle defiroit Philippe ; elle lui avoit prêté ferment de fidélité > le Prince proclamé n'étoit donc traverfé que par fon frère , qui le retenoit fecrètement à Vibourg. Section IV. Après avoir temporifé par politique, &: perdu volontairement l'occafion favorable qui s'étoit préfentéc d'elle même, la Gardie penfa que la Suède devoit renoncer a l'amitié Se a l'alliance des Moskovitcs. Mikaïl le penfoit auili, & Guftave le vouloir : la paix qu'il venoit de conclure avec le Danemarck, le rendoit plus fort, plus en état de continuer la guerre avec la Ruilie. Les hoflilités s'annoncèrent de part 5c d'autre prcfquc en meme-tems; les Suédois s'emparèrent d'Ivan-Gorod, de Porkof, Doréchek , &c, èc firent un riche butin dans les domaines de Novogorod. Le Tzar envoya des fecours a la République. M. Muller rapporte que cinq mille fix cents quatre-vingt-neuf hommes commandés par le Prince Dcmitri Troubetskoé , chafsèrent les Suédois de Starata-Rouila. Mais ce premier fuccès fut fuivi d'un revers complet. Les RulTcs pourfuivis & ferrés de près, fe retranchèrent dans une ifle, & furent contraints de fe rendre à difcrétion. Cette victoire décifive rendit à la Gardie fes premières conquêtes , & lui en facilita de nouvelles. Section V. Les conquêtes coûtent toujours bien plus qu'elles ne valent : les trois Puiffanccs belligérantes le comprirent enfin, & chacune d'elles travailla féparément à fe procurer la paix. Les Polonois, craignant queGuftavc, débarraifé de la guerre avec le Danemarck, ne profitât des troubles de la Pologne Sollicitèrent les bons offices de Jean Sigifmond, Electeur de Brandebourg , pour leur procurer un accommodement avec la Suède. L'Electeur fe prêta volontiers à cette négociation ; mais un obftaclc l'arrêtoit : le Roi de Pologne , dans fes lettres de créance , refufoit à Guftave le titre de Roi de Suède, te ne vouloit pas reconnoître ce titre dans les pleins pouvoirs que ce Monarque donnoit a fes Ambaffadeurs : de leur côté, les Polonois étoient perfuadés que Guftave ne con-fentiroit jamais a ce qu'on fît un Traité au nom des Etats de Suède, fans y être compris lui-même. Voici l'expédient dont fc fervit l'Electeur de Brandebourg : il commença par offrir fa médiation aux Députés Suédois qui féjournoient a Rével, &; leur fit entendre qu'ils l'obligeroient cffcnticllcmcnt de recommander cette affaire de la manière la plus forte aux Etats de Suède : il ajouta que fi fa médiation étoit acceptée , les Généraux des deux nations s'aboucheroient cnfcmblc pour traiter de la paix, ou du moins d'une fufpcnilon d'armes, &c que ce qu'ils auroient ftatué feroit ratifié par les deux Cours. Après ces conventions qui mé-nageoient l'amour-proprc des deux peuples, le Général Polonois ccnvit a Jacques la Gardie, qui étoit alors en Ruffic y Se de fon cote, Farcnsbacli qui commandoit en Livonie pour le Roi de Pologne, fit favoir a Gabriel Oxenftiern, Gouverneur de Révcl, qu'il avoit ordre de fa Cour de faire avec lui une trêve. Sur quoi les Députés, départ Se d'autre, fe rendirent 'a Silmis, lieu peu éloigné de Dorpat, Se lignèrent une trêve jufqu'àla Saint-Michel feulement , au lieu de la prolonger pour trois ans, comme le défiroit la Pologne. Une trêve il courte , Se qui 11 étoit ratifiée par aucun des deux Rois , ne tranquillifoit pas Sigifmond. Le befoin que fon Etat avoit de la paix , ou du moins d'une treve atfurée , l'engagea à folliciter une féconde fois la médiation de l'Electeur de Brandebourg, conjointement avec celle de Jacques I, Roi d'Angleterre, Se des Etats-Généraux des Provinces Unies, qui vouloient bien interpoler leur crédit dans cette affaire. L'Electeur envoya la lettre originale de Sigifmond en Suède , pour être communiquée au Roi Guftave Se au Sénat. Après en avoir pris lecture , ce Monarque parut difpofé à accéder aux proportions du Roi de Pologne , mais fous la condition expreffe , » que fon confentement neporteroit aucun préjudice a fa dignité »> royale , ni au droit légitime qu'il avoit de demeurer en poflcilion » du Royaume de Suède «. Tout ce qui avoit été préalablement réfolu par les Généraux des deux partis, fut ratifié par les deux Rois, Se. tenu pour inviolable : la trêve fut prolongée jufqu'au 20 Janvier 1616. Les Polonois defiroient que Jacques la Gardie fe joignît a eux pour agir de concert contre les Moskovircs ; mais Guftave rejetta cette proportion acccffoirc au Traité qu'il venoit de confirmer. Section VI. i6iy. Tandis que les Polonois travailloient à fc procurer le calme , les Habitans de Novogorod mettaient tout en ufage pour rentrer en grâce auprès du Tzar, qui, de fon côté, imploroit la médiation de la France, de l'Angleterre & des Provinces-Unies, pour terminer les deux guerres qu'il avoit contre la Suède &: la Pologne. Ainfi les trois Cours choifilfoient en même-tems les mêmes Puif-fances pour médiatrices de leurs conteftations. Guftave rappella de Vibourg fon frère Philippe, & fc rendit fur les frontières de Ruilie, afin d'obfervcr de plus près tout ce qui fc parTeroit entre les Ruifcs &: les Polonois. La démarche des Habirans de Novogorod auprès du Tzar, &c le pardon qu'ils lui demandoient d'avoir reconnu un Prince de Suède pour leur Souverain, la protection qu'ils imploroicnt pour éluder les prétentions de Philippe & de Guftave fur leur Principauté , décidèrent ce Monarque à former le fiége de Pleskof, s'ils fc refufoient aux conditions de paix que Jacques la Gardie leur propoferoit de fa part. Ces conditions furent rcjcttccs avec hauteur: Nous ne voulons, dirent-ils, entendre parler que de poudre & de plomb. Louis XI difoit: » lorfqu'orgucil chemine devant, honte ôc » dommage fuivent de bien près «. C'cft ce qui arriva. Si Pleskof ne fut pas prife, elle fouffrit beaucoup, fes environs furent ravagés : elle auroit infailliblement fuccombé fous les attaques vigou-reufes des Suédois, fi le fameux Evcrt-Horn, qui commandoit le fiége, n'eût pas été blefle a mort dans une des premières forties que firent les alliégés. Les Suédois ne perdirent que trente hommes , & les Moskovitcs fept cents. Guftave prit Narva. Les Mos-kovites qui venoient â fon fecours furent battus par Hans Munk, Se chafi'és jufque dans la rivière: ils furent encore défaits près de Ladoga, & en divers autres lieux. Les affaires de Suéde exigeoient abfolumcnt la préfenec de Guftave : il laiffa la direction de la Sucrrc contre Novogorod a Gafpar Kruff, a qui il donna plein pouvoir, conjointement avec Monfz Martenfon , de faire la paix avec les Moskovitcs.' Après avoir mis bon ordre dans tous les quartiers , le Roi de Suède fe rendit k Helfingfort avec Jacques de la Gardie, & affigna le jour auquel fe devoit tenir l'alfemblée des Etats de Finlande Se de Nordland. Cette affcmblée avoit pour objet de faire con-noître les caufes de la guerre avec le Danemarck Se la Moskovie ; parce que le peuple qui ne voit que la furface des choies, fc figuroit qu'on avoit entrepris ces guerres fans néceilïté, Se refufoit des fecours. Après avoir défabufé les Etats, Guftave les fit eon-fentir à une union folide , pour agir de concert avec lui contre les Polonois: ils s'engagèrent a lui fournir des fecours d'hommes Se d'argent, en cas que la paix dont on traitoit avec les Moskovitcs ne fe conclut pas bientôt. Guftave n'en impofoit point aux Etats de Finlande Se de Nordland : il étoit du plus grand intérêt de la Suède , de fe tenir toujours en garde contre les Polonois qui déguifoient leur intention , Se qui avoicnt ftipulé , qu'après l'expiration de la trêve dont nous venons de parler, il n'y auroit qu'une fufpenfion d'armes entre les Etats de Litlnumie Se de Li-vonic. Cette claufe avoit un motif, celui de chercher toutes les occafionsde furprendre les places Suédoifes qui avoicnt été endommagées Se àffoiblies pendant les longues guerres de la Suède avec la Ruilie, Se s'ouvrir par-la le chemin de la Finlande. Ce qui prouve la vérité de cette obfervation, c'eft la conduite même de Sigifmond , qui déclara aux Moskovitcs qu'il protclloit contre la ccflïon qu'ils avoicnt faite aux Suédois des places de l'Ingric , par te Traité de paix figné à Stelbova. Peu délicat dans le choix & l'emploi des moyens, Sigifmond fit répandre en Suède Se en différentes Cours, des lettres Se des libelles pour décrier Guftave , pour aigrir Se foulever fes Sujets contre lui. Le Roi de Pologne eut lieu de fe repentir de ce procédé déloyal : Guftave envoya en Courlande une flotte commandée par Jean Guildcnftcrn , Se des troupes aux ordres du Général Nils Kils Stcmfchild, qui firent une defcente a Vindau, prirent le fort de Dunamondc, &c enfuite Pcrnàu &: Salis. Après s'être fait couronner a Upfal, Guftave paflfa la mer avec une armée de vingt-quatre mille hommes, s'empara de Riga, de Britau en Courlande, &c. (r). Section VII. La médiation des Puiffanccs dont le Tzar avoit imploré les fecours, accélérèrent la conclufion de la paix entre la Suède SC la Ruine : le Traité fut conclu à Stolbof le 16 Janvier 1616. Le Tzar s'y oblige » de payer une fomme à la Suède pour l'indcm-» nifer des frais de la guerre \ il y renonce à toutes fes prétentions »> fur laLivonie & l'Eftonic, & cède a Guftave en toute propriété, » l'Ingrie, la Carélic, & tout le pays entre l'Ingric & Novogorod «. C'cft ainfï que les battus payent Vamende. Depuis cette époque , juf-qu'a celle où la guerre s'éleva entre Pierre I & Charles XII, la rivière de Lava devint la limite des deux Etats. Section VIII. Voila un ennemi de moins pour la Ruftîe, mais elle n'en fera pas plus tranquille\ la vengeance de Sigifmond veille fur fes frontières. Maître de Smolcnsk , il a, pour ainfi dire , les clefs de la Ruilie , & Mikaïl forme le projet de reprendre cette place importante : il n étoit pas tems encore. Les troupes envoyées pour Ci) Voilà le précis exact des principaux evènemens qui eurent lieu depuis l'avènement au Trône de Mikad Fédorovitz, jufqu'cn 1617. Ce récit n'eft pas entièrement conforme avcc le rapport qu'en ont fait les Hiftoricns RurTes & leur Rédacteur. Mais avant de confignet des faits, nous nous fommcs impoïé la loi d'entendre les deux parties, 3c de n'admettre que ceux qui font autlicntiqucs, ou du moins qui ont pour eux tous les caractères de vraisemblance. Cet hommage qu'un Hiilorien rcud à la vérité, cft aurtî le tribut qu'il doit k fcs Lecteurs. Tome III, D en former le fiége , remportèrent d'abord un léger avantage, qui fut fuivi de nombreux revers. Les Polonois évitant avec foin la rencontre de l'ennemi, ravagèrent plufieurs Principautés, &: ne rentrèrent en Pologne qu'après avoir fufeité aux Ruffcs une guerre inteftinc, bien plus redoutable qu'une guerre-étrangère. Les Ko-faques du Don fondirent fur la Ruilie, &: fc confédérèrent avec la petite Noblclfe, que les derniers troubles avoicnt rendue liccn-cieufe. Prefquc toutes les parties de l'Etat furent attaquées $c dépouillées a-la fois, cV: la fureur de ces brigands avides de butin , furpafla celle des Ta ta rs qui conquirent la Ruilie en 1137. Les Polonois tirent parti des malheurs dont ils font caufe; ils fondent fur les Ruffcs qui afliégcnt foiblemcnt Smolcnsk; ils les battent , les pourfuivent, & forcent le Général a fc retirer à Moskou avec les débris de fon armée. Uladiflas profite de ce défordre, s'empare de Dorogobouge , de Viazma , de Mojaïsk , s'avance jufqu'aux portes de la Capitale , livre plufieurs allants très meurtriers, fans pouvoir s'en rendre maître : xMoskou dut fa confervation a deux foldats François, qui avoicnt averti a tems les Ruifcs de l'arrivée d'Uladillas, &: de fon projet fur Moskou. Section IX. Après avoir échoué devant la Capitale, Uladiflas chercha à s'emparer de plufieurs Villes qui ne pouvoient lui oppofer la mérne rélidance ; il éprouva d'abord des fuccès& des revers ; mais enfin fon armée fut battue dans le diurict de Biclo-Ozéro. Cet échec le determiua a renoncer pour toujours a la couronne de Ruilie. Ne pouvant avoir le tout, Ôc voulant en conlèrver quelques parties , il députa Sapieha a la tète de plufieurs Polonois, pour proposer au Tzar des conférences qui avoicnt la paix pour objet. Les Polonois trouvèrent ce Prince rrcs-difpofé a la faire , fi on n'exi-geoit pas de lui des conditions trop onéreufes. Les conférences s'ouvrirent dans le Monaftère de Troïtfa ( la Trinité ). Le début fut orageux : la haine invétérée entre les deux nations, des infulres récentes, un Trône auquel Uladiflas devoit renoncer ; tous ces motifs réunis agitoient les Miniftres des deux Cours : les demandes des Polonois etoient trop onéreufes pour qu'on les leur accordât : les proportions du Tzar n'étoient pas allez avantageufes pour que les Polonois les acceptaffent \ de-là des conflits, des débats opiniâtres, des injures réciproques pendant les deux premières féances : les Plénipotentiaires fc féparèrent fans avoit rien conclu. Mais les fuivantes furent plus tranquilles; on y parla raifon , Se la paix fut conclue, moyennant la ceflion de Smolcnsk &e de Do-rogobouge à la Pologne, Se la délivrance du Métropolite Philarct Se des autres Députés que Sigifmond rctenoit prifonniers depuis neuf ans, contre les droits de la Nature Se des Gens. Section X. Le plus beau jour du règne de Mikail, fut celui ou la tendrefle filiale le précipita dans les bras de fon père : il voulut que ce jour de bonheur pour lui, en fut un auili pour les prifonniers Se les exilés : ceux-ci furent rappelles a Moskou , & les autres mis en liberté. Le père du Souverain, lié par des vœux indiflolublcs, devoit occuper la première place de la Hiérarchie Eccléiîaftiquc : il avoit été grand homme d'Etat fous le règne de Boris Godounof, & Citoyen par excellence fous les règnes qui le fuivirent ; fes venus morales Se politiques le rendoient digne d'être placé a la tête des Confeils : c'étoit le droit du premier Pontife. Les Tzars n'entreprenoient rien fins le confulter, Se fon furTrage don-noit du poids a leurs délibérations.Le Patriarchat étoit vacant (ih k Métropolite Philarct fut revêtu de cette dignité malgré lui : (0 Voyez h note qui cft à la fin du regne de Mikaïl Fédorovitz. D ij fon fîls fut obligé de joindre fes prières aux infiances de la Nation, pout la lui faire accepter. La réponfe de Philarct à Mikaïl, eft confignée dans la Chronique manuferire que M. de Lille remit au dépôt de la Marine, à fon retour de Ruilie : clic cft trop intéreffante pour n'en pas donner connoifiance au Lecteur ; mais elle cft trop longue dans l'original pour ne pas l'abréger : en voici le précis exact. » Mon fils, les »j droits que la qualité de père me donnoit fur vous, n'exiftent » plus depuis que vous êtes monté fur le Trône : vous êtes mon »5 Souverain, & je dois vous obéir. Sourirez cependant que je vous » parle encore une fois en père tendre. Lorfquc la nouvelle de » votre élection me parvint dans la prifon où j etois renfermé, je »> regardai cet événement comme le comble des malheurs qui »5 dévoient arriver a ma famille : les honneurs que l'on vous ren-» doit me parurent des honneurs funèbres, 6c je vous pleurai » comme la dernière victime que 1 Eternel vouloit facrificr à fa »> vengeance ! Mais fi la tendrelfe a gravé fes droits dans mon m cœur, la raifon en eut toujours fur mon amc : elle me raffura m lorfqu'on me dit que c'étoit par la volonté de Dieu , manifeftéc « au Métropolite de Moskou, que vous étiez fur le Trône : j'ofai w même me flatter que le Ciel vous délivreroit de vos ennemis , >î &:, qu'en beniflant votre règne, il le rempliroit de profpéntés. «Mon cfpérancc étoit fondée: les rebelles rentrent dans le dc-« voir, &: les ennemis du dehors ont mis bas les armes. Vous » touchez , mon fils, au moment d'être puiffant 6c heureux : mais » n'obfcurcilfcz pas cette aurore , en troublant ce bonheur naif-n l'ant. Vous le lavez , la Nation Rutfc eft naturellement inconf-» tante \ elle en a donné des preuves trop convaincantes pour n qu'on en pulfte douter. Si elle voit le fils manier les rênes du »? Gouvernement, 6c le père à la tête du Clergé 6c du Confcil , » elle s'alarmera du trop de puiilancc réunie dans la même maifon. HISTOIRE DE RUSSIE. » Si le peuple n'y faifoit pas attention par fon amour pour nous, » Se par fa confiance en vos bontés, il en feroit averti par ces « hommes envieux qui abondent dans les Cours : prenez-y garde, « mon fils, ils ont les yeux fixés fur vous : chacun deux croit que » votre élévation cft une injuftice faite à fon droit Se à fon mérite » pcrfonnel. La dignité de Patriarche eft enviée par chacun de » ceux qui font à la tête du Clergé ; l'ambition eft de rous les » Etats. Si vous me forcez d'accepter cette dignité, la Maifon des » Romanofs va être en butte a laNobleffe Se au Clergé. Êtes-vous » bien fur qu'on ne verra pas encore fortir du néant quelque » impofteur qui, fous le nom emprunté de Démitri, viendra vous n difputcr le Tronc > C'eft alors que, pour vous renverfer , vos »> ennemis lui prêteroient leurs bras. Que la grandeur fuprême ne » vous éblouilfe pas, mon fils ! Les Rois ont rarement des amis » fincères : on ne leur pardonne guère d'être fi élevés au-dcfîus des " autres : on examine fcrupuleufcmcnt toutes leurs a&ions , & on » les trouve prcfquc toujours mauvaifes , parce qu'on a intention » de les trouver telles. Les éloges que l'on vous donne ne s'adreflent » qu'à votre puiflance: défiez-vous des flatteurs \ ils ne cherchent »>à s'approcher de vous que pour étudier vos foiblclTes, Se que » pour favoir en profiter. Celui qui vous fait fa cour aujourd'hui « avec le plus d'cmprciïcmcnt, ne vous regarderoit pas demain , » fi vous étiez defeendu du Trône «. Quelle fagefle dans ce difeours ! &e quelle connoiûance profonde des hommes &: des chofes n'annonce-t-il pas ? Section XI. Le Clergé Se le premier ordre de la NoblciTe fe rendirent en corps dans l'endroit du Palais que Philarct occupoit, Se tous lui firent des inltances fi prenantes, qu'il fe rendit au vœu général. On fir venir à Moskou tous les Métropolites, les Evêques, les Abbés des Monaftères, pour aflïitcr à l'inftallation du nouveau Patriarche, qui fut (acte par celui de Jérufalcm: il étoit venu a Moskou faire la quête pour les réparations de PEglifc du Saint Sépulchre. La cérémonie fut annoncée par tontes les cloches de la Cathédrale. Philaret fe rendit à la porte de la falle du Tzar pour lui donner fa bénédiction, 8c de-là à la Cathédrale , avec tout le Clergé. Apres avoir rendu des actions de grâces a Dieu, le Clergé le reconduifit à fon Palais, le phiça fur le fiége qui lui étoit dettirré, Cil chantant : 0 Pontife ! vis, vis un grand nombre d'années. Tels furent les premiers honneurs que le Clergé rendit au Patriarche, immédiatement après fon élection : fa confécration fut aufii augufte que le laerc des Tzars. Section XII. Les mêmes vices du Gouvernement, ôc des mœurs au fil féroces que celles des Rr.fies, excitoient les mêmes troubles 8c les mêmes révolutions a Confhntinoplc. Mottâpha I luccéda à fon frère Akmct en 1^17^ mais il fut chafié deux mois après, 8c mis en prifon par les Janilfaircs, qui placèrent fur le Trône Gfman I, fon neveu. Mufiapha , prifonnicr, avoir encore un parti : fafaclion perfuada aux Janiflaircs que le jeune Otenatl avoit deffein de diminuer leur nombre pour affoiblir leur pouvoir. On dépofir Ofman fous ce prétexte; on l'enferma aux Sept-Tours, 8c le Grand-Vifir alla lui-même égorger fon Empereur. Mufiapha fut tiré de la prjfon , reconnu Sultan , 8c dans la même année dépofé encore par les mêmes Janiflairci qui l'avoicnr deux fois élu. Depuis Vitellius, jamais lYmce ne fut traité avec plus d'ignominie: il fut promené dans les rues de Conftantinople monté fur un âne , expofé aux outrages d'une populace fans frein, puis conduit aux HISTOIRE DE RUSSIE. ?r Sept-Tours, Se étranglé dans fa prifon. Amurat IV, furnommé Y Intrépide, monta fur le Trône après Mufiapha. Cet Empereur voyant que le Tzar jouiffoit paifiblcment de la couronne de Ruilie, lui envoya en ambalfade Thomas Cantacusène, pour le complimenter fur fon heureux avènement au Trône , Se fur le bonheur qu'il avoit eu de chaffer de la Ruilie tous les ennemis qui la défoloient : ii lui propofoit en même-tems de faire une ligue offenfive Se défenfive avec lui. Le Tzar, flatté de cette démarche de la part d'un conquérant redoutable, reçut fon Ambaf-fadeur avec beaucoup d'accueil, lui fit des préfens confiriérablcs, Se envoya des Ambalfadeurs a Conftantinople, pour conclure le Traité que le Sultan lui propofoit. L'Hifloire de Ruilie ne fournit rien de mémorable depuis it? r^ jufqu'en 1651, Le Clergé Se les Grands , également farisfaits de la douceur & de la ftgeffe du règne de Mikaïl, craignirent qu'une mort prématurée ne leur enlevât ce Prince, &; ne replongeât la RuiTïe dans les troubles dont elle fortoit a peine : ils lui firent les plus vives inftances pour qu'il fc mariât. Le Tzar goûta leurs raifons, Se fe décida pour Maria, fille du Prince Mikaïl Dolgorouki. La cé-é-bratfon du mariage fc fit le 18 Septembre 1625. Maria ne jouit pas long-tcms de la puiffanec que fa beauté lui avoit procurée: elle tomba dans un état de langueur Se de confomption qui an-nonçoit une fin prochaine. Elle mourut quelques mois après fon mariage. On crut que la mort de cette Princcfie étoit occafionnée par quelque maléfice: la noirceur & Pcnvlc défignèrent pluficuis prétendus forciers. Beaucoup de perfonnes furent mifes à la quef-tïon pour un crime imaginaire. Le Tzar fut fi touché de cette mort, qu'il pafla plufieurs jours fans vouloir prendre de nourriture , «Se fans parler a perfonne. Enfin le Patriarche Philarct obtint de lui de prendre quelques alimens, Se de diilipcr peu à peu fa douleur. ; >:ii Les mêmes motifs qui avoient engagé les Boyari a prier Mikaïl de contracter un premier mariage, les engagèrent encore à le preffer d'en contracter un fécond. On vit arriver à Moskou les plus belles filles de l'Empire. Eudoxia , fille de Loukian-Stré-chenef, parut au Tzar la feule digne de fon cœur Ôc de fa Couronne. Ses vertus furpaffoient fa beauté ; elle ne fit con-noître fa puiffance que pat fes bienfaits-, la Nation fe félicitoit du choix qu"avoit fait le Prince , &c l'amour que le Prince avoit pour elle , ne fourfrit jamais d'alrcration. Le règne d'une femme belle & vertueufe ne finit qu'avec elle : 1 homme qui la pofsèdc retrouve toujours dans fon cceur les plus beaux traits de fon vifage. Elle conferve, comme la rofe à qui clic rclfemble, un doux parfum après fil fraîcheur (i). Section XIIL i6iy. Le Tzar cherchoit toutes les occafions de donner des preuves de fa tcndrclfe VMJ 9*4nn^ pas d( mtUltUI fujtt que moi. Uladiflas devoit Je croire fur parole. Le Tzar céda a Uladiflas Smolensk, Novogorod-Sévcrski , Dorogobouge , Roftof, Staradoub , &c. De fon côté , le Roi de Pologne renonça au titre de Tzar qu'il avoit toujours porté depuis fa proclamation. Les Généraux qui avoient commandé l'armée que Mikaïl avoit envoyée afîiégcr Smolensk furent jugés dans un Confeil de guerre. Chcïn , Ifmaïlof 6c l'aîné de fes fils, furent condamnés a être décapités ; d'autres Chefs furent envoyés en Sibérie après avoir reçu le Knout. Mikaïl étoit naturellement doux : il pardonnoit facilement, 6c ne puniflbit qu'avec peine. Mais les malheurs dont la conduite de fes Généraux étoit caufe , le rendit févère par nécef-fité : ne s'ocupant que du bonheur de fes fujets 6c des moyens de les civilifer, il penfa qu'un grand exemple étoit néecifaire , pour apprendre aux Chefs de fes armées 6c aux Grands de la Nation a fe mieux conduire à l'avenir, 6c a profiter fans jaloutic des inftructions Se des confeils que les étrangers , appelles en Ruflie, etoient en état de leur donner. Si la douceur formoit le caractère de Mikaïl, l'équité étoit fa première vertu. Aucun Prince ne fut plus religieux obfcrvatcur de fa foi 6c de fes promefles : il étoit dévot , 6c n'écoutoit point les fuperfiitieux j il fc plaignoit fouvent de l'ignorance de fon Clergé. Il chercha particulièrement les moyens de faire fleurir le commerce ; il encouragea les Artillcs par des récompenses ; il diflribua des terres aux étrangers , 6c leur fournit tout ce qui leur étoit néccfTairc pour les cultiver. Il ne commit que deux fautes politiques: l'une, en déclarant trop rôt la guerre a la Pologne\ l'autre, en rompant la trêve conclue avec cette Puiflancc , immédiatement après la mort de Sigifmond III. Section XVIII. Mikaïl Fédorovitz mourut d'apoplexie le 11 Juillet 164?. Les pleurs &: les gémiflemens qui accompagnèrent fes funérailles, font le plus bel éloge que nous puiflions faire de les vertus. Ce Prince eut d'Eudoxia trois fils &: fept filles : fes fils furent Alexis, Vafili &c Ivan ; &:Tes filles Irène, Pélagie, Marthe, Sophie, Eudoxic, Anne & Tatatiana. Irène , dit-on , avoit été promife au fils naturel du Roi de Danemarck. Le Tzar qui connoiflbit les bonnes qualités de ce jeune Prince , la lui avoit accordée : mais le Clergé soppofa à cette alliance , fous prétexte que Volmer éroit d'une Religion tout-a-fait différente de celle des Ruffcs. Le Prince de Danemarck offrit de faire défendre fa croyance par fes Aumôniers: les Prêtres Ruffcs ne voulurent point accepter la conférence. Le Tzar , irrité de ce refus , leur demanda quelle Religion ils proféraient j puifqu'ils nofoient la défendre ? Le règne de Mikaïl fut trop court : les bons Princes ne de vroient mourir jamais. RÈGNE D'ALEXIS MIKAÏLOVITZ. i64y. Section r r e m i è r e. Les vertus douces, le patriotifmc 6e les talcns de Mikaïl Fédorovitz dévoient être héréditaires, comme fa Couronne, pour adoucir les regrets de fa perte, Se perpétuer le règne de la paix qui duroit depuis dix ans. Alexis qui monte fur le Tronc, annonce des difpofitions qui l'en rendent digne; mais il ifefl âgé. que de feize ans : fuivra-t-il la route que le meilleur des pères lui a tracée: Efpérons. Les aurons louables de fon Père 6e de fon Aïeul le forceront h juiliher par fes vertus & par de nouveaux exploits, les fuffrages qu'il a déjà obtenus de la Nation : le bien qu'ils ont fait a la Ruilie, le fera craindre de décheoir; Se cette cramte généreufe cft rengagement de faire encore mieux. Alexis, d'ailleurs, avoit pour Gouverneur un Boyar dont le nom Se les talcns figurcroient parmi ceux des grands hommes, (i l'ambition des honneurs Se des richelfes n'en eût terni l'éclat. Cet homme, doué d'un jugement profond, qui connoiffoit fi bien les hommes, étoit Rois Ivanovitz Morozof, qui va changer fa qualité de Gouverneur en celle de Minitlrc, 6e qui gouvernera l'Etat comme s'il en étoit Souverain lui-même. nés le lendemain de la mort de Mikaïl, il fait aflemblcr les Princes Se les Boyari qui etoient a Moskou , pour proclamer le nouveau Tzar ce. hater fou couronnement, dans la crainte que 47744639 7364 99995 7167 jcuncuc n'occafionnât quelque trouble : cette précaution étoit fege ; l'exemple du parte fembloit l'ordonner. Alexis reçut les lermens de fidélité, &c prêra celui qui eft ufité en cette occafion. Section II. Te Gouverneur, devenu Miniflxc , conferva non-feulement • l'afeendant qu'il avoit eu fur l'efprit du Prince, mais il étendit encore fon pouvoir au point que la vertueufe Eudoxia avertit fon fils de fe tenir fur fes gardes, Se de ne permettre pas a un Sujet de jouer le rôle de fon Maître. Le Prince docile répondoit à fi mère, qu'en fuivant les confeils de fon Gouverneur, il fc conformoit aux. intentions de fon père. Eudoxia refpcéta les volontés de fon époux : il n'y eut plus de barrière entre le Miniftrc Se le Souverain ; Morozof fe trouva feul maître de fon cfprit. La condefeendanee du Tzar étoit aveugle : fon Mentor éloigna tic lui tous les courtifans qui lui faifoient ombrage ce" qui auroient pu partager la confiance Se les faveurs. Mais fa conduite a leur I égard fut celle d'un politique habile; il leur donnoit des Gouvcr-nemens, Se faifoit remplir les charges qu'ils exerçoient a la Cour, par des hommes qui lui étoient entièrement dévoués ; de forte que fi fon ambition étoit Suffi vaiTc que celle de Boris Godounof, clic étoit plus noble dans fes moyens. Pour manier les rênes de l'Etat a fon gré, fouftrairc le Prince aux remontrances de fa mère , cV lui donner de laverfion pour les affaires , il rengageait à la difiipation; Se fous prétexte de lui faire prendre de l'exercice , il ■le faifoit fouvent fortir de la Ville , Se lui procuroit des parties de ctiaiTe Se d'amufemens. Le Prince s'y prêtoit avec d'autant plus d'ardeur, que ces plaifirs étoient de fon âge, Se qu'a ce période , cle la vie , l'amour de la diflipation l'emporte toujours fur les avantages de l'application, & les plaifirs du jour prennent fur le travail du lendemain. Deux ans s'écoulèrent en pure perte Tome Wt £ pour Alexis ; 6c le tems cft la feule chofe qu'un Prince ne puiffe pas réparer (i). Section III. 1047. A mefurc que les pallions du Tzar fc dévcloppoicnt, Morozof, foigneux de lui plaire, les exeitoit, au lieu de les diriger vers un but utile a la Nation : c'étoit l'infaillible moyen de fubjuguer fon Maître & d'appuyer fon crédit.- Tour le cimenter davantage, il ré fol ut de lui choiiir une femme, & lui propofa la fille d'un fîraple Gentilhomme, nommé Elie Miîoflafski. Mais le Prince répondit a fon Miniftre qu'il vouloir qu'on fuivît l'ufagc de fes PrédéceiTeurs, en faifant alfembler les plus belles filles de fou Empire , 6c qu'il prendroit pour femme celle qui lui plairoit le plus. Morozof obéit : les plus belles arrivèrent a Moskou; le Tzar les examina, 6c fe décida pour celle qui furpaifoit les autres en beauté. Son choix u'étoit pas conforme au detir du Miniftre j mais celui-ci avoit trop de relfourccs dans l'elprit, pour ne pas trouver le moyen d'amener Alexis a fon but, en paroi (Tant féconder les delirs. Il gagna les femmes choilies pour être attachées a la Tzarinc future , 6c les engagea a nouer fes cheveux fi près de la tète, qu'elle n'en pût fouffrir la douleur. Ses intentions (O L'cloigncmcnc pour le travail que Morozof chereboit à infpiiwr au Tiar, nous rappellera la penfee d'oo Craminc for l'emploi «lu tems : la voici. toPuifcjuc le jour qui » finit, pail'c fans retour, Se que la mort peut préccott celui qui va naître, DKtS i profit n Huilant que ru tien: , fans trop regretter celui qui cft palté, ni trop compter fur celui » qui s'approche. Ce moment (Lui cft à toi, cet autre qui va fuivre cft dans l'avenir; *> fais-tu ce qu'il t'apporte ? Que du projet raiiouné à l'tx.\ia:o'.5 l'intervalle loit un point, y» & ne diffère pas au foir ce que le matin peut ni i:. I.'oifîvctc* cft la mire tic l'imli^cncc. », 1.1 main de l'aclivué. é.aitc le lxfuiu. la profptrité 2c k (Wcèa mirchc&i i la fuuc dt »j l'uuiuftric HISTOIRE DE RUSSIE. 43 furent remplies : elle s'évanouit, Se les complices de Morozof publièrent qu'elle étoit attaquée d epilepfie.Son père, quil'avoit accompagnée, fut regardé comme coupable de trahifon envers fon Souverain : Morozof eut la cruauté de le faire fouetter, Se de l'exiler en Sibérie. Trompé par cette fourberie, le Tzar époufa Marie, rille de Miîoflafski, qui joignoit à la beauté Se a la mo-deilie, un air noble Se une taille avantageufe. Marie avoit une fœur : l'ambition du Miniftrc lui infpira de l'amour pour clic, Se il l'époufa huit jours après le mariage d Alexis. Il étoit âgé, Se fa femme jeune Se belle : clic prit du dégoût pour les infirmités de la vicillelfc, Se de l'amour pour Wiliams Darnfley, jeune Anglois qui avoit de la figure, de fefpiit, de la douceur, Se un air de galanterie qui étoit alors inconnu en Rufîic. Le mari s'ap-perçut du penchant de fon époufe pour l'Anglois : fa jalonne les fit obferver, Se, pour fon malheur, elle découvrit tout ce qu'il traignoit, un outrage qu'il ne pouvoir venger fur la belle-fœur du Tzar. 11 dirigea fes coups fur Wiliams j Se ne pouvant le taire mourir, il le lit exiler. Section IV. 1648. L'avarice de Morozof n etoit pas fatisfaitc des honneurs Se du pouvoir dont il jouilfoit : tourmenté de la foif de l'Or , il ufa indiiïinclcmcnt de tous les moyens propres a lui en procurer. Les dignités & les charges furent miles a l'encan , Se ne fe donnoient qu'aux plus forts cnchéiilleurs. Ceux a qui elles étoient adjugées, excr^oient les exactions les plus criantes pour gagner ce qu'ils avoicnt été obligés de payer: on augmenta les impots, l'on en mit même jufquc fur les denrées les plus nécciTaircs a la vie. Le prix que Morozof mettoit aux grâces du Prince, nous rappelle ce qu'Alexandre SJyèrc dit lorfqu'il fuppùma la vénalité des charges : Fi) »> Ceux qui les recherchent en font beaucoup moins dignes que » ceux qui les fuient. Le Juge qui fuit la charge qu'on lui donne, »3 en confiderc le fardeau 6c les devoirs; c'cil en ficelé fermera » du Prince , 6c le véritable père du.peuple. Celui qin la recherche >î ne confidère que l'intérêt; 6c celui qui Tachette , n'a pour objet »j que l'argent qu'elle lui conte, 6c les moyens de fe dédommager » par les coneuffions; c'efl: un Marchand qui achette en gros pour >j gagner dans le détail : mais en vendant la Juftice, il la viole , » il trahit le Prince 6c atïatfinc le peuple ». Les prévarications des Grands, l'avarice de Morozof, de nouveaux tributs , 6c des monopoles inconnus jufqu'alors , firent murmurer un peuple que Ton privoit de fa fubfîftancc , par les impôts mis fur les denrées les plus néecifaires à la vie : rl s'affcmbla , 6c décida qu'il falloir préfenter une Supplique au Tzar. Cette décilion ne rclfembloit point a celle du Confeil tenu par les Rats : tous déliroient attacher le grelot ; mais Morozof setoir emparé des avenues du Trône, & le Tzar étoir G bien environné par fes Gardes , que perfonne ne pouvoir l'aborde?. L'inutilité des tentatives décida le peuple a porter fes plaintes-de vive voix a la première occation : elle fe pré feu ta le 7 Juillet 1648. Le Tzar afliftoit a une procefiïon folcmncllc : le peuple affem-blé dans la place qui eft devant le Palais , écarte ceux qui envr-ronnoient le Tzar, l'arrête, le fupplic d'écouter les plaintes qu'il a a lui faire de l'es Mimilres. Alexis érouné de cette har-dieife, conferve cependant fon f.mg-froid : il écoute , il promet d'examiner l'affaire , & de rendre juftice a fon peuple. C'étoit le moyen d'appaifer la révolte dès fon commencement. Satisfaits de cette réponfc , les Supplians fe rctiroient avec tranquillité: mais plufieurs des boyari qui accompagnoient le Tzar, eurent lnur prudenec d'en maltraiter quelques-uns. Le peuple alors entre en HISTOIRE DE RUSSIE. 4? fureur , prend des pierres, &: les lance fur les agrcflcurs : chargés de tous côrés , ils prennent la fuite j on les pourfuit jufqifaux portes du Palais. La multitude augmente, les cfprits s'échauffent '•, on veut enfoncer les porres du râlais; on menace d'y mettre le feu, fi on ne livre pas Morozof, Flcfchécf, Trakaniotof & Tchiftof , c'eft-a-dire , le Miniftre, & les trois inftrumens qu'il employoit a fes exactions. PIcfchécf rcmpliflbit une grande charge de Judicaturc : Trakaniotof étoit Okolnitchéi , 8c Tchiftof un Secrétaire d'Etat, qui avoit affermé les nouveaux tributs. Un déni de Juftice, ou toute autre opprcftîon de cette efpèce , n'arrache que des foupirs ou des larmes a une Nation douce &z fubjuguée depuis long-tcms. Une Nation fière qui diftingue 1*0* béilfancc de l'clclavagc , n'éteint fa colère que dans le fang. Mais une Nation où les Grands font tout, où le peuple qui n'eft rien , n'eft compté pour rien, commence par les foupirs &c les larmes ; clic fupplie enfuite, î que fes Mi ni lires avoicnt commifes fous fon nom; qu'ils avoicnt »> fubi la peine duc a leurs crimes ; qu'il avoit mis a leur place des >j perfonnes agréables au peuple, &dont la probité lui étoit connue; )j qu'il furveillcroit leur conduite de fi près, qu'elles feroient for-« cées de remplir leur devoir, en rendant jutlice gratuitement 6c » fans dillinction ; qu'il avoit fupprimé une partie des impôts, 6c » qu'il ne lailferoit fubfillcr que ceux qui étoient abfolumcnt nécef-* faircs pour l'Adminiilration de l'Etat». Le Tzar fut interrompu par des cris de joie & de fatisfacîion : enfuitc le peuple fe proltcrna, dit la Chronique, 6c fi battit le front contre terre (i), pour rendre des actions de grâces au Souverain, qui profita de la difpoiition des cfprits pour obtenir le pardon de fon Miniflrc. » Il eft vrai, reprit-il, que j'ai promis de vous livrer >5 Morozof; mais je ne puis me ré foudre à livrer au fupplicc un >3 homme qui m'a fervi de père , qui a roujours eu les yeux fixés » fur moi, pour en écarter les dangers auxquels les enfans font » continuellement expofés. Ce n'eft pas mon intention de le juf-» tificr enrièrement : il a fait des fautes, fans doute ; mais je vous »î prie de le regarder comme mou Gouverneur , mon ancien Ami, si mon Beau-frère , mon Miniftrc , cV je vous promets , fur ma >î couronne , qu'il fc comportera plus fagement a l'avenir. Si vous »3 trouvez mauvais qu'il continue de prendre fa place au Confcil, » je ne l'y appellerai plus : mais la conduite que vous tiendrez a. jî fon égard , fera la preuve de l'amitié que vous avez pour moi». Les exprefîîons du Tzar , le fon de fa voix , l'émotion de fon vifage , fa condcfccndance aux volontés du peuple , le touchèrent au point, que tous s'écrièrent d'une voix unanime: Que la volonté de Dieu & du T^arfoit faite. Ce moment étoit un allant de repentir , de reconnoifiance Se de tendreffe : Alexis en fut fi pénétré , que fa joie s'exprima par des larmes. Nous n'avons pas cru devoir fupprimer ces détails : ils peignent d'après nature les malheurs des bons Princes, trompés par leurs Miniftrcs, & de plus grandes calamités encore, celles des peuples en proie a leur cupidité dcfpotiquc. Efl-il un fpcétaclc plus imé-jrcfiânt que celui d'un Souverain abfolu qui eft recohnoiflant, Se -qui ne croit pas fe dégrader en s'abailfant devant un peuple qui a raifon ? (i) La Langue Ruflc cft peut-être la feule qui ait un mot pour exprimer fc battre le front contre terre, & je ne penfe pas que les autres Langues lui envient jamais cette cxpvcilion humiliante. Ce mot cft b'u-fchelem, Section Section V. Peu de jours après cette fcènc touchante, le Tzar fît un pèlerinage au Couvent de la Trinité, pour remercier Dieu du calme qui avoit fuccédé à des troubles fi dangereux. Morozof demanda au Tzar la pcrmifïîon de l'y accompagner , pour juger des difpo-fitions du peuple a fon égard. Il rraverfa Moskou , le bonnet a la main , ialuant le peuple qui étoit fur fon paffagc, pariant aux uns avec bonté, 6c donnant un foudre aux autres. Cette adreffe lui réuflit ; tout le monde en fut content. Cette grande leçon influa fur fa conduite : totalement différente de ce qu'elle avoit été, elle changea la haine qu'on lui portoit en amitié.Il fe faifoit un devoir de rendre fervicc à tous ceux qui s'adreffoient à lui : la juftice fut rendue avec une fcrupulcufe exactitude : pendant le tems de fa nouvelle Adminiftration, le Gentilhomme n'ofa plus infultcr le roturier, le riche n'opprima point le pauvre, les Knias 6c les Boyari ne fe permirent plus ces tyrannies fubaltcrncs, ces fpoiiations d'éclat que les Juges n'ofent punir, 6c qu'ils lailfcnt tomber dans l'oubli. De fon côté, le peuple fut tranquille, &; la furvcillancc devint le garant de la fureté publique. Morozof engagea le Tzar a s'occuper du Code que nous ferons connoître dans la fuite : l'inftant où les mœurs fc régénèrent, cft celui de donner des Loix pour leur confervation. La prudence 6c la modération d'Alexis détournèrent un orage politique, qui auroit replongé les Runes dans l'anarchie. Ce tems étoit funefte a plufieurs Rois. Philippe IV venoir de perdre le Portugal 6c prcfquc toutes fes pofleflions en Alic. Une faction en France forçoit la mère de Louis XIV a fuir de fil Capitale avec fes enfans. Charles I mouroit a Londres fur un échafaud. Cafïmir V ne faifoit que prendre le feeptre, 6c fc voyoir au moment d'en Tome IIJ, w G j o HISTOIRE DE RUSSIE. erre dépouillé. Les Ro;s oublieraient qu'ils font hommes, s'ils étoient toujours heureux. C'cft la réflexion du Swift Fançois. Section VI. 1649. Un Triiicc qui avoit fait de la guerre un art nouveau, devant qui tout trembloit, a qui toutes les places ouvroient leurs portes durant une guerre de trente ans ; un Roi qui s'expofoit en foldat, qui mourut Tépée a la main, le commandement a la bouche & la victoire dans l'imagination ; un Héros humain & religieux qui diftribuoir lui-même du pain aux pauvres; Guftave - Adolphe n'eroit plus : il avoit emporté dans le tombeau le nom de Grand, les regrets du Nord ôc Tcftimc de fes ennemis (|), (1) On n'a pas vu chez les Grecs ni chez les Romains d'armée mieux difciplince que celle des Suédois , fous le règne de Guftavc-Adolphc, & pendant une guerre de trente ans. Tous les enfans que les Suédois avoient eus depuis l'entrée de cç Prince en Allemagne , étoient accoutumés aux coups de fufil, & portoient, dès l'âge de fix ans, de quoi manger à leurs pères qui étoient dans les tranchées ou en faction. Guftave Ht réellement de la guerre un art nouveau : l'ordre & les favantes manoeuvres qu'il établit parmi fes troupes, n étoient pas connus ailleurs. Il difoit que pour fc rendre maître des places, la clémence ne valoit pas moins que la force, & il fc fervoit utilement de l'une &i de l'autre. II avoit le talent heureux de relever le prix de tous les grades qu'il donnoit. S'étant avancé un jour fous les murs d'Ingolftad pour reconnoître une fortification qu'il vouloit faire attaquer, un boulet de canon emporte la croupe de fon cheval, il tombe deflous dans la boue, fc relève , faute fur un autre , & continue de donner fes ordres. Gaffion accourut le premier pour donner du fecours au Roi, cet cmprcflcmcnt lui valut un régiment. 11 dit à Gaifton : »> Ce fera un régiment de Chevet, Se on pourra dormir auprès avec une entière fécurité «. On a recueilli plufieurs de fes maximes : Il difoit qu'il n'y avoit de rang entre les Rois, que celui que leur donne le mérite;.....qu'il n'y avoit point d'hommes plus heureux que ceux qui mouroient en faifont leur métier. ïl avoit deux défauts, l'emportement & la témérité ; il theichoit à fe juftificr de l'emportement, en difant : » Je fupporte patiemment » les travers de ceux à qui je commandai ils doivent avoir la même indulgence pour la Chriftinc fuceède a fon père, gouverne d'abord avec fagciTe, Se affermit la paix dans fon Royaume. Cette Princcffc parloit huit Langues : là pénétration de fon efprit & fes lumières acquîtes étoient également l'objet de l'admiration de Crotiusj de Dcfiartes Se de plufieurs autres Savans. Mais fa philofophic ne fut pas long-rems celle du Trône : l'amour des Lettres & de la liberté, Se fon goût pour les Arts lui infpircrcnt le deflein d'abandonner un peuple qui ne favoit que combatte, & d'abdiquer la Couronne. Pour juftificr cette faufle démarche , elle fît frapper une Médaille dont la légende étoit : Le Parnajfe vaut mieux que le Trône. Chnfline, qui avoit tous les talcns a fon fervice, ne devoit point s'amufer à les cultiver pcrfonncllcmcnt ; elle devoit les encourager Se non pas les exercer. Marc-Aurèle étoit Philofophc , Se Alexandre Sévère avoit des talcns : élevés tous deux a la puif-fance fupréme, Marc Aurèlc ne fe fouvient plus qu'il eft Stoïcien, Se fii main cft armée du feeptre jufquc dans fes amufemens; Se Sévère ne balance pas à faire le facrificc de fes talcns agréables, au talent utile de bien régner. Chriftinc avoit d'autres principes: fi fon but étoit d'élever le titre de Philofophc au-defius du titre de Prince , fa prétention étoit chimérique ; la Poftérité ne lui pardonnera point d'avoir mieux aimé vivre a Rome avec les Arts, les Cardinaux Se les Lettres, que de travailler au bonhem d'un grand Royaume. Si elle fe croyoit capable de bien régner, fans fc foumettre aux devoirs de la Royauté, l'amour-proprc l'avcugloir. « promptitude & la vivacité de mon tempérament «. Revenant un jour d'une attaque od il avoir été expofé pendant cinq heures de fuite à un feu terrible, (iaflion lui dit ovx les 1; va-1 coi s verroient avec déplu.(ir leur .Souverain courir d aufli grand' îii.rjc . ». Les Rois de •'Vr.incc, répondit tlufeave, for.r de grands Monarques ; t< je luis un fol iat de fortune «. C'cft aiufi qu'il juftifioit fa témérité. Mais un Roi qui s'espoloit en foldat, devoit inolirtf en foldfll : fon horofeope fut accompli. Il mourut percé de deux balles &• de deux coups d'épée (Tins li plaine de Lutfea, en Ù'jj, G ij La philofophie délire 8e s'égare au moment où elle cciTc d'être la connoiflanec 3c l'amour-pratique des devoirs. Voila ma pro-fefïîon de foi à cet égard : fi elle déplaît, j'en fuis confolc d'avance. Mais palfons aux evènemens qui ont un rapport direct, avec l'Hiftoirc que j'écris. Section VIL Alexis étoit trop prudent pour hafarder le fort des armes, danî un tems où il devoit douter de la difpofition des Grands 8c de la fidélité du Peuple : fa politique l'engagea à faire une paix folide avec la Suède ; mais Chriftinc étoit mécontente, 5c fc plaignoit de ce que le Tzar recevoit dans fes Etats tous les Suédois qui vouloient y paflcr. Ces émigrations, qui dépeuploient la Suède, y occaiîonnoicnt de fréquentes banqueroutes , de rendoient le crime impuni. Le Tzar envoya un Ambafladcur à Chriftinc, pour négocier cette affaire 8c la terminer a l'amiable ; clic le fur. Les deux Cours convinrent, i°. qu'on ne feroit de part &:-d'autre aucune recherche des transfuges; i°, qu'a l'avenir on renverroit exactement ceux qui iroient fans pafteport d'un Royaume a l'autre; j°. que le nombre des Suédois palfés en Ruftrc ? furpailant de beaucoup celui des Ruffcs émigrés en Suède, le Tzar payeroit à celle-ci, par forme de dédommagement, une fournie de cent cinquante mille roubles , dont une partie feroit payée en argent, l'autre en bled ; 8e l'Amballadcur Pouchekin promit que le tout feroit délivré dans le cours de l'année i6yo. Ce fut en conféqucncc de ce traité , que Chrrftine envoya un Commiflairc à Moskou pour recevoir l'argent 8e le bled. Le Tzar lui fit remettre fur-lc-champ la fomme promife en argent , Se chargea un Marchand de Tleskof de lui fournir le blcck Cet homme avide accapara tous les grains, de manière que pour en vendre ou pour en acheter, il falloit follieiter 8e payer ce Monopoleur dcfpotique. Les mêmes vexations s'exer-Çoicnt à Novogorod par un nommé Volk, qui vouloit aufïï faire une fortune rapide. Les approvifionnemens de grains, 6c la cherté que les concufilonnaircs y mirent, occasionnèrent la difette au milieu de l'abondance : les habitans de Pleskof murmurent ; 6c lorfqu'ils fe virent réduits à une misère extrême, ils envoyèrent des Députés à Moskou pout rendre compte au Tzar des manoeuvres de fon Prépofé, 6c de la famine qu'avoit occafionnéc la faille fiiite fur les bleds. Alexis donna des ordres pour remédier a cet enlèvement ; mais l'avarice 6c la dureté de ceux qu'il envoya pour rétablir l'ordre, aggravèrenr encore le mal. La révolte devoit fuivre la patience épuïféc du peuple ; clic éclata : le Monopoleur fe déroba a fil fureur ; mais fes ma-gafins furent forcés Se pillés ; fil femme 6c fes enfans payèrent pour lui. Cette révolte préparoit de plus grands malheurs encore : le Tzar les prévint , en envoyant a Pleskof le Prince Kavantski qui appaifa cette infurrection. Celle de Novogorod eut des fuites plus terribles. Le fcélérat Volk s'étoit confédéré avec les Strcltfi &: les Kofaqucs, également avides de butin 7 Se ceux qui dévoient contenir le peuple furent les premiers à lui donner l'exemple du carnage. 11 fut grand; prefquc tous les Marchands étrangers , les citoyens riches &: les hommes en place furent dépouillés , maltraités , &: le plus grand nombre mis a mort. Le célèbre Nikon eut le courage de faire face aux fedi-ticux , Se de s expofer au relfentimcnt de la fureur : il fut outragé 6c lapidé. Les furieux qui le croyoirnt mort, permirent à fes domeftiques de le porter dans fon Palais Epifcopal. On lui donna des fecours qui le tirèrent de la foiblclfe 6c de l'épuifement que tes blelfurcs avoicnt occafionné ; mais il n'emploie les forces qu il recouvre, que pour s'expofer de nouveau à les perdre pour toujours. U fe rend au milieu de fes bourreaux, les harangue & les touche au point qu'ils lui demand< nt pardon a genoux -, &: lui jurent de rentrer dans le devoir. Cette première faction paroiiïoit calmée, lorfque tout-a-coup il s'en forma une autre qui avoit a fa tête un brigand déterminé , qui fe nommoit Stéchéglof, &c qui fc donnoit le titre de Voïévode. Celle ci ne produifit pas les fcènes atroces de la première. Le Tzar, qui en fut informé a tems , crut devoir recourir a la clémence pour délarmcr la fureur. Il accorda le pardon a tous ceux qui met-troient bas les armes &c rentreroient fous fon obéiifance. il chargea le Métropolite Nikon d'inftruirc le procès des chefs de la révolte, &: d'ufer dans cette affaire majeure, de fa juftice ou de fa clémence. Volk fut condamné à mort. Stéchéglof $c plufieurs autres coupables, furent punis , flétris par le bourreau , ôC envoyés en exil. Section VIII. Uladiflas venoit de mourir en laiffant le feu allumé. Plufieurs Candidats le mettent fur les rangs. Georges Ragotski, Prince de Tranfylvanic, fe préfente à la tête de trente mille hommes, qui doivent combattre contre les Kofiaqucs s'il cft élu , ou iè joindre a eux s'il cft refufé. Cette proportion indécente lui lait donner l'cxclufion. Dans cette circonflancc , Alexis qui avoit profité du calme pour rallemblcr de nombreufes troupes, mieux difeiplinées que celles de lès prédécefleurs, étoit dans Je cas, non-feulement de réfiitcr aux ennemis qui voudroient l'attaquer, mais encore de fe faire craindre de fes voifins. Il envoie des Ambafladeurs a la Diète qui étoit allcmblec pour 1'dedion d'un nouveau Roi. Ces Ambafladeurs étoient chargés de lui déclarer qifil entremit en Pologne avec îyo mille hommes, il on ne le proclamoit pas. N'étoit ce pas infpircr de la défiance a ceux dont il ialloit obtenir le iufiiage ? Ces menaces de la H I S T O î R E DE RUSSIE. V) part d'un Prince m état de tenir parole, embarrafsèrent les Polonois : il croit dangereux pour la liberté de la Nation délire un Tzar qui commandoit avant d'être proclamé , ce; qui ne vouloir régner fur la Pologne, que pour en taire une Province de Ruilie : mais on n'étoit pas en état de lui réfuter. Dans la conjoncture, on lui fit des promeffes ; mais tous les fuffrages fe réunirent pour porter Jean Cafimir fur le Trône. Il étoit le dernier Prince de la race des Jagcllons. Né fils de Roi, il fut Jèfuite, Cardinal; & relevé de fes vœux parle Pape, il va changer fon chapeau contre une Couronne , qu'il abdiquera au bout de vingt ans de règne , pour aller en France gouverner les Moines de Saint-Gcrmain-des-Prés & de Saint-Martin de Nevcrs, dont Louis XIV lui accorda les Abbayes. Section IX. Pendant qu'Alexis s'occupoit des moyens propres à lui concilier l'amour & la rcconnoillancc de fes fujets , un nouvel im-pofteur cherehoit a troubler la paix dont la Ruflic jouiffoir. Ce fourbe qui prenoit le nom de Démirri, fils du Tzar Démitri, étoit né a Sambourg , qui appartenoit à la Pologne. Un Seigneur Polonois ôc un Pope composèrent le Roman qui le défignoit héritier légitime du Tronc de Ruffic. Ce roman abfurdc ne prit pas dans l'opinion publique; limpoftcur chercha fon lalut dans la fuite. De Varfovie, il fc rendit à Révcl, enfuire à Riga, à Stockholm , & dans le Holltcin Le Duc Chrifiian Albert le vendit au Tzar en 1*653. 11 fut conduit à Moskou &: écartelé. Section X. On a vu dans l'Hifloire des Kofaqucs, les caufes qui donnèrent lieu a leur révolte envers les Polonois. Ce démembrement des forces de la Pologne, engage le Tzar a fc venger du refus que les Polonois avoient fait de le reconnoître pour leur Souverain. Mais il falloit un prétexte pour rompre la trêve que fon père avoit faire avec Uladiflas : la politique des Princes rivaux cil féconde en moyens de rupture ; celle d'Alexis va nous en offrir la preuve. Lorfquc Cafimir fut proclamé , il écrivit au Tzar pour lui notifier fon avènement au Trône ; mais il manqua , dit-on, aux formalités que fon frère Uladiflas-s'étoit engagé a remplir. Cette omillion fut le prétexte du mécontentement qui devoit amener la rupture de la paix entre les deux Cours, après la défection des Koiaques, & dans un tems où la Pologne étoit menacée par la Suède. L'Ambafladcur Rutfc fc plaignit donc de cette omiffion que fon Maître regardoit comme volontaire. La poii-tion où fe trouvoit Cafimir , ne lui permettoit pas de rejetter des plaintes qui ne pouvoient retomber que fur l'oubli ou la négligence des Secrétaires : il répondit a l'Ambafladcur, que fi l'on avoit manqué aux formalités en écrivant au Tzar , il fc feroit rendre compte des motifs de cette omillion, 6c que s'il découvroit des coupables dans ceux qui n'avoient pas donné aux lettres la forme qu'elles dévoient avoir, il les puniroit de mort. Après avoir obtenu cette fatisfiiéUon , l'Ambafladcur avoit des ordres pour établir un autre fujet de plainte, qu'il préfenta comme beaucoup plus grave que le premier. Il prétendit que l'Univerfité de Vilna avoit fait imprimer des Ouvrages dans le i quels clic rclevoit les triomphes d'Uladiflas fur les Ruffcs, pour ternir la mémoire du feu Tzar 6c de lès Généraux ; il ajouta qu'Alexis feroit obligé de venger cet outrage par les armes, li on ne lui cédoit pas Smolensk 6c fon territoire , en forme de réparation. n Ces HISTOIRE DE RUSSIE. 57 »>Ces Ouvrages, lui répondit Cafimir, ont été compofés par des hommes libres, dans une République libre, &: fans la participation du Roi Se du Sénat ; Se je ne vois pas comment la »> ceflion de Smolensk pourrait réparer la prétendue injure faite » a la mémoire de Michel ; mais je fens que cette ceflion lui «'feroit injurieufe ; ce trafic compromettrait l'honneur d'un >3 Prince que je refpe&e «. L'Ambafladcur ne trouvant pas de "réponfe à faire au Roi , lui dit que fi Ton arrachoit des Livres les feuillets qui contenoient ces infultcs, le Tzar feroit fatisfait. Précaution inutile, reprit Cafimir 1 La curiofité du public n'en -» deviendrait que plus vive; chacun voudroit lavoir pourquoi »5 ces feuillets ont été arrachés. D'ailleurs on ne gagne rien a » fe fâcher contre les Ecrivains qui inftruifcnt la poftérité des »3 fautes des Princes; il n'y a qu'un lu r moyen de leur fermer » la bouche, c'eÛ celui de n'en point commettre. 11 me paroît » injurie d'exiger que des Ecrivains étrangers ayent plus de foin "de notre réputation en écrivant, que nous n'en avons nous-mêmes en agi Haut", Quelle fagefiè dans ces réflexions ! mais la vengeance Se l'ambition ne fe payent pas de cette monnoic; elles veulent abfolumcnc avoir des griefs. La Diète fut affembléc a Varfovic, Se l'Ambafladcur Ru (Te y aflifta. Ou y difeuta ferieufement l'affaire concernant les injures Se le manque de formalités dont le Tzar ic plaignoit , & de l'avis de la Diète le Roi prononça ce qui fuit: i°. Que les prétendues injures qui terniflbient la mémoire du feu Tzar Se de les Généraux étoient une affaire purement per-fonnellc , Se que , félon les loix de l'Etat, elle étoit éteinte à l'égard de ceux qui étoient morts depuis, Se que leurs héritiers ne pouvoient en être rcfponfablcs. 2.°. Que félon la conilitution dUladiflas, touchant les qua-Tomc mt n j$ HISTOIRE DE RUSSIE. lit s , ceux qiû y auroient manque avant fa publication, ne devaient pas erre regardés comme coupables; que d'ailleurs on ne devoit pas punir une faute légère qui fc feroit commife ians deffein, Se feulement par ignorance. 3°. Que les Loix de l £tat demandaient qu'on iaiflat fe purger par ferment ceux qui le requerraient ; &: que ceux qui (croient cités en Juftice à ce fujet , Se qui réfuteraient de comparaître ou en peifonnc , ou par Procureur , feraient condamnes à la peine des traîtres , conformément aux Loix de l'ftat. L'Ambafladcur protefta contre l'arrêté de la Diète , en la qualifiant d'injufic Se d'illufoirc. Sur quoi Cafimir envoya des Ambafladeurs à Moskou , pour prouver au Tzar la juftice de cette délibération. La démarche fut inutile; Alexis répondit qu'il fc feroit rendre juftice lui-même avec cent mille hommes. Cependant, dit-il , je ne prendrai pas les armes, fi le Roi de Pologne, par confidération pour moi , veut pardonner aux Kofaqucs, Se leur donner une Amniftic générale. Cafimir chargea fon Confcil d'examiner les moyens a employer pour fatisfaire le Tzar , fans compromettre la dignité du Roi Se de la République. Alexis envoya des Commiflaircs à Varfovic, Se la première condition qu'ils proposèrent au Roi fut la liberté de Religion pour les Kofaqucs. Le Confcil refufa cet article avec fermeté ; Se ce refus qui en épargna d'autres aux Conv miifaircs, fépara pour jamais les kolaques delà domination Poionoifc. Section XI. Le Lecteur fe rappelle que trois caufes puiffantes Se réunies, le culte, l'oppreflion Se l'abjection, avoicnt préparé cette fepa-ration fans retour: les Kolaqucs n'étaient pas endurans, SeU patience de cette allbciation guerrière fe lalfa. Ils fe foulevèrent donc pendant trois règnes confécutifs, Se Cafimir qui avoit l'occafion favorable de les faire rentrer fous fon obéillancc,la manqua. Il étoit Juge intègre, bon Maître , bon ami, guerrier plein de courage ; pourquoi ne fut-il pas tolérant, même par néccflite > Le rclfcntimcnt d'une grande injure cil plus dévorant encore que l'envie des conquêtes : les Kofaqucs lèvent alors l'étendard de la rébellion. Animé de la même vengeance , leur Hctman Kmelnirski après avoir fait trembler la Pologne , fe met fous la protection de la Ruflie , & promet au Tzar de lui livrer toutes les places que les Kofaqucs avoicnt conquifes fur les Polonois. Alexis accepte cette offre, met garni fon dans Kiof, Biélo-Ozéro, Se dans d'autres Villes que les Kofaqucs lui livrèrent. Kmclnitski reçut l'Ukraine en fief du Tzar. Ce Triiice profite de fa bonne fortune , S: va mettre le fiége devant Smolensk. Cette conquête fut fulvie de celle de Vitcpsk , de Mohilof Se de Poîotsk. L'année fuivante il fit une invafion dans la Lithuanie , fc rendit maître de la Capitale, Sz ravagea cette Principauté. Tous les malheurs à la fois accabloient la Pologne : Charles Guftave, Roi de Suède, emporté par une erreur commune aux Rois, crut ne pouvoir mieux commencer fon règne que par des conquêtes. 11 entre en Pologne, fe rend Maître en peu de tems de la Mazovic, ÔC d'une grande partie de ce Royaume , d'où il porte le théâtre de la guerre dans la Prufle. Si Cafimir avoit eu beaucoup de Sobicskis, il auroit évité les dures extrémités où il fe vit réduit : mais il n'en avoit qu'un. Abandonné de fon armée , il chercha un afylc dans la Siléfie. Il vit même la Lithuanie qui n'étoit pas encore foumife , fe mettre fous la protection du vainqueur. L'infortuné Cafimir n'cfpcrc que du Ciel la fin de tant de maux : il mct fon Royaume fous la protedion de la Vierge. Louis XIII, Roi de Irancc , lui avoit donné l'exemple H ij de cet aclc de pieté en 1658. On eût dit que dans cet état de ciïfc , tous les Folonois éto'ent frappés de la foudre , Se que ceux qu'elle n'avoit pas tués n'étoient plus capables que du fen-tinrent de la terreur; mais enfin forage pafla , en fc difperfant fur une grande étendue de pays. On reprit fes fens ; on crut que Charles Guftave if étoit pas invincible. Mais il rcitoit trois ennemis à la Pologne. Section Xii. 16^-16^6. Cafimir envoya des Arfmiifàdèurs a Ferdinand III, pour le> prier de fe rendre médiateur entre lui Se le Tzar, cfpéranr que quand il n'auroit plus ce redoutable ennemi, il pourroit fe dé-barralfcr des deux autres , 6V foicer les fujctS à rentrer dans le devoir. Alexis accepta la médiation de Ferdinand, Se déligna Vilna pour le lieu des conférences. Les Ambafladeurs des deux Nations s'y rendirent; la trèv'è qui fut conclue , fut fuivie d'une paix de treize ans. La Pologne céda aux Rufles , Smolensk , Kiof, la Sévérie, Se toutes les autres places qu Uladiflas avoit conqnifes fur eux. Alexis, enhardi par fes fuccès , tourna fes aimes contre les Suédois : il fit une iuvafion dans cette partie de la Livonic qu'Ivan Vafiliévitz II avoit été obligé de leur céder ; il les attaqua a la fois dans la Carélie, l'Ingrie , &: prit Nienchantz,Dorpat, Narva, Sec. Il allïégea enfuite Riga ; mais il y fut fi vigOurCufcmént repouffé Se perdit tant de monde, qu'il fut obligé de lever le fiége. Ce revers produiiit une trêve, fuivie d'une paix avec la Suède. Section XIII. Le bonheur des peuples p'accornp'agrrc prcfquc jamais la gloire des conquérans : on partage toujours les maux que Ion fait foaffrir aux autres. Au milieu de les triomphes, Akxei ■ il'c'toit rien moins qu'heureux. Les guerres précédentes avoicnt epuifé les finances : ces fléaux deftruetcurs étoient accompagnés de maladies épidémiques fur les hommes Se fur les animaux; le commerce interrompu depuis long-tems avoit rendu la misère publique ; le mécontentement étoit générai , 6c il s en fallut peu que Ion ne vît la guerre civile s'allumer avec la même fureur que fous les règnes précédais. Les monnoics qui étoient d'ufage dans le commerce étoient les rixdalcrs, 5c celle que Ton battoit pour Pillage commun des Ruflcs, étoit une pièce d'argent, de forme elliptique, plus ou moins large , félon l'abondance ou la rareté de ce métal. On a vu la forme de ces kopeki dans les tables Numifmatiqucs placées a la fin du précédent Volume. Ilia, beau-père du Tzar, perfuada a fon gendre que fes épargnes ne pouvoient fuffîrc pour réparer les frais de la guerre , & lui con-fcilla de faire frapper des kopeks de cuivre, Se de leur donner dans le commerce la même valeur qu avoicnt ceux d'argent. En conféquenec , dit A'aycrberg, il acheta du cuivre pour cent foixante kopeks d'argent, Se en fit frapper des kopeki pour la valeur 4c cent roubles qu'il répandit dans le public ; par ce moyen il ne dépenfoit pas plus pour foixante foldats, qu il dépenfoit auparavant pour un fcul. Comme ces kopeki avoicnt la même forme 5c la même valeur que ceux d'argent, 5c qu'un figne rem-plaçoir l'autre , les (oldats 5c le peuple ne firent pas attention à ce changement de l'argent en cuivre, &: tout le monde recc-voit ^différemment l'un pour l'autre. Le peuple cft docile dès qu'il eft confiant en les Maîtres. La Cour de Ruilie dérruifït elle-même une confiance lîprecieufc. Le peuple s'appercut bientôt qu'elle faifoit peu de cas de la monnoie de cuivre, puifqu'ellc attiroit a elle l'or 5c l'argent qui étoit dans la circulation. Les Marchands qui ion t par-tout les plus attentifs a leurs intérêts, ne voulurent plus recevoir de cuivre que pour la valeur intrin. sèque; les denrées montèrent tout-h-coup à un prix exhorbîtant. Ce furhauflement qui annonçoit le diferédit des cfpèccs de enivre, rendit la défiance générale. Les ibldats étrangers , qui ne pou-voient plus vivre de leur ibldc, fe récrièrenr fur le tort qu on leur faifoit, &: s'en plaignirent au Tzar : on avoit befotn d eux, ils reçurent quelque fatisfaétion; mais le peuple n'en reçut aucune. Et comme les abus vont toujours en augmentant, les Minières achetoient du cuivre, ôc le faifoient frapper à leur profit. Le beau-père d'Alexis en fit frapper, dit-on, pour la valeur de cent cinquante mille roubles. L'homme accoutumé a foufliir fup-portc tous les maux, excepté la faim. Le peuple affamé murmura, s'attroupa, s'arma de haches &c de couteaux , ôc tint confcil. Il fut décidé que dix mille hommes iroient trouver le Tzar qui étoit dans une maifon de campagne proche Moskou , & que dix mille autres reucroient à. Moskou pour piller les mai fous des Miniflrcs ôc des Grands. Les premiers fc rendent a leur dcllina-tion, & débutent par les injures les plus outrageantes contre Ilia , Morozof ôc les autres Miniflrcs : ils les acculent de con-cullion , de péeulat, de trahifon envers le Souverain &: le peuple; ils demandent qu'on leur fa lie fubir la punition duc à ces crimes. Le Tzar avoit ete informé dès la veille de cette confpiration. 11 avoit mande fecrcttcmcnt tous les Ibldats de fa garde, afin d'en faire ul'age dans le cas où la douceur feroit inutile. Il parla avec bonté aux féditieux, ôc leur dit : »Je ne puis livrer mes «Minières au Hourrcau fur de amples accusations ; mais je vous »> promets d'examiner avec foin vos griefs , de faire faire des ») informations exactes de la conduite de mes Miniflrcs , ÔC de » n'accorder aucune grâce a ceux qui fc trouveront coupables j n cv je vous donne pour garans de mes promclfes, mon époufe »i Se mon fils qui en font témoins «. On n'appaifë pas un peuple allamc avec des paroles, ôc les rebelles crurent que la douceur. & la modération d'Alexis étoient infpirées par la crainte. Ils répondirent avec infolence , 6c la portèrent jufqu'à iniulter la Tzarine. La douceur d'Alexis fit place a la fureur. 11 appella fa garde qui étoit prête a combattre, 6c lui dit: délivrez-moi de ces chiens cnr.-gJs. Les Strcltfi firent main-balfe fur les rebelles ; mais ils trouvèrent une réfiftanec à laquelle ils ne s'attendoient pas. Le carnage fut grand de part 6c d'autre , jufqu a ce que les rebelles , accablés par le nombre , fe profternèrent 6c implorèrent la clémence du Tzar. Ce Prince avoit le caractère naturellement doux \ il fit cetfer le carnage. Pendant que cette fcène ianglante fc palfoit a la campagne , les feditieux qui étoient reliés à Moskou pilloient les maifons des Miniftrcs. Le Tzar en fit pendre plufieurs des plus mutins , 6c en envoya un grand nombre en Sibérie, Les rebelles étoient coupables fans doute ; mais Alexis leur devoit une autre Juftice. Quel chagrin pour un bon Prince, de fc mertre dans la nécefiité de punir des fujets que l'injuftice de fes Miniftrcs ont rendus coupables! S L c T I o N XIV. Au commencement de cette année Alexis perdit fon ami Mo-rozol , fi l'on peut regarder comme l'ami d'un Prince, un homme qui en trahilfoit les intérêts les plus chers. Mais le Tzar l'aimoit fincèrement. La révolte que Morozof occafionna par fes exactions, força le Tzar de fe conduire a fon égard avec plus de réferve en public: mais dans le particulier, il lui marquoit toute l'amitié qu'il avoit pour lui ; il le confulroit dans toutes les affaires importantes, fuivoit toujours fes confeils , 6c ne s'en repen-toit jamais. La vigueur de ce Minillre céda enfin a Page 6c aux fatigues : u tomba dans une maladie de langueur qui le conduilît par degrés a fa fin. Pendant cette longue agonie, le Tzar lui donna des preuves convaincantes de Ton iïncère attachement : il allolt tous les jours le voir , ce" pleuroit a coté de ion lit ; &; lorfqu'il fut mort, Alexis ne crut point déshonorer la Majcfté , en valant des larmes fur fon tombeau : il aflifta a fon convoi. Un Prince de ion fang, le bon , le fcnfiblc Paul Pétrovitz , vient de payer le même tribut d'attachement Ôc de reconnoiffance à fon Gouverneur , a fon Ami M. le Comte Panin, Miniftre des Affaires étrangères. Section XV. Plufieurs Hiftoricns rapportent à cette époque un fait qui ; félon Olcarius, arriva fous Boris Godounof: m. Richer, qui a bien écrit le règne d'Alexis, dit que ce fait eut lieu en 16^7. Quoi qu'il en foit, le trait cft plaifint, ôc l'on feroit tenté de croire qu'il a donné a Molière l'idée du Médecin maigri lui. « Alexis tombe ma-« fade : il fait aflemblcr les Médecins , ôc promet des récompenfes »à celui qui indiquera le remède capable de le guérir. Le dcûr »ï d'obtenir les récompenfes promiles, engagea chaque Médecin fa a furpatVer les ténèbres de les Confrères : tout ce que l'art pou-«voit indiquer fut mis en ufage , ôc le Prince ne s'en trouvoit « que plus mal : cela devoit être. Le Tzar voyant que les Arehia-» très avoicnt dit tout ce qu'ils favoient, ôc ne (avoicnt ce qu'ils «raifoient, tit publier que tous ceux qui avoicnt quelque idée » de Médecine , pouvoient donner leur avis, quel qu'il fut. La « femme d'un Boyar avoit reçu de mauvais traitemens de fon " mari : elle ré fol ut de profiter de Poccafion qui fe préfèntoit pour « fe venger. Elle fut trouver le beau-père d'Alexis , Ôc lui déclara « que fon mari connoillbit un remède qui guériroit certainement » le Tzar, mais qu'il ne vouloit pas le déclarer. On envoya fur-ii ie-champ Chercha: Ce Boyar , qui fut fort étonné de voir qu'on «le ptenoit pour un Mvdecin , $ qu'on le menaeoit du plus rigoureux HISTOIRE DE RUSSIE. ^ » rigoureux châtiment s'il n'en convenoit pas. En vain il alïura »3 qu'il étoit un aveugle en Médecine : on crut qu'il ne tenoit ce " langage , que parce qu'il étoit indifférent a lafanté du Tzar : on » le fit. fouetter juiqu'au fang , ôc on le fit conduire en prifon. » Ce fut là qu il apprit que c'étoit fa femme qui lui jouoit ce "tour: il fe livra aux derniers tranfports de la colère, ôc jura » qu'il fc vengeroit. On en fit rapport au Tzar \ Ôc ce Prince, » perfuade que le Boyar ne fe mettoit en colère contre fa femme, » que parce qu'il étoit fâché qu'elle eût révélé fon fecret, ordonna « qu'il fut fouetté le lendemain avec plus de violence que la pre-»j mière fois : il aflura encore avec ferment qu'il n'étoit pas Mé-» decin ; mais on lui dit qu'on le feroit périr fous les coups , s'il » ne donnoit pas fon remède au Tzar. Voyant qu'il ne pouvoit »î éviter la mort qu'en faifant le Médecin , il s'expofa à la donner «au Tzar : il dit qu'il connoiflbit en effet un remède, mais que « n'étant pas fur de fon efficacité , il n'avoit ofé l'indiquer à Sa » Majcfté, mais qu'il l'emploierait (ion vouloit lui donner quinze »» jours pour le préparer. On lui accorda ce délai : il envoya cher-» cher fur les bords de l'Oka une multitude d'herbes aromatiques, » avec lcfquelles il prépara un bain pour le Tzar : il étoit épuife » par les remèdes que les Médecins Auliqucs lui avoicnt fait pren-« dre , ôc il arriva qu'il fe trouva foulage. Le hafard fervit mal le » Boyar, en fervant bien Alexis: on crut alors avoir la preuve de » fon peu d'attachement pour la perfonne du Prince : on le fit »ï encore fouetter avec plus de violence que les deux premières » fois, a la grande fatisfadion des Médecins. On lui donna >î enfuite une fournie d'argent confidérable, dix efclaves de » la Couronne, ôc on lui défendit, fous les peines les plus ri- "gc>urcufes, de maltraiter la femme de quelque manière que » ce fût i*. Ce trait ôc le • fuivant prouvent mieux que tous les écrits Torn lu. i imaginables , l'état des connoiffanecs en Ruilie, fous le règne d'Alexis, Se la manière de penfer &: de vivre des Ruifcs d'alors. On a vu que fous ce règne , un grand nombre d'Etrangers avoicnt été attirés dans cet Empire, Se qu'ils étoient les objets de la jalonne nationale. Ces Etrangers qui préféroient fuftige des végétaux à celui de la viande , s'occupèrent de leur culture : il cft probable que les Ruffcs ne connohToicnt encore que les concombres, les raiforts, les clioux, les raves jaunes Se rouges qui leur font particulières, Se les oignons dont ils font une grande con-fommation. Ils furent fort étonnés de voir les Etrangers manger des faladcs avec appétit, Se ils ne concevaient pas comment des hommes pouvoient vivre d'herbes. Le Tzar avoit un bouffon nommé Bcdcmkkof 'j qui voulut tourner en ridicule cette manière de vivre : il attacha un bœuf dans un lieu où le Tzar devoit paffer ( Krafnaïa Krilço) Se lui mit un placct entre les cornes. Le bœuf fupplioit le Tzar de vouloir bien donner un Oukaz, qui défen-droir aux Etrangers de manger de l'herbe, fins quoi il n'en ref-teroit plus pour les animaux de fon efpècc. Du comique, partons au féricux. Section XVI. La guerre ne tarda pas à fe rallumer entre la RulTic Se la Pologne. Le courage Se la capacité des Polonois contrcbalançoicnr les forces des Ruffcs, Se les fuccès de part Se d'autre étoient toujours précédés de quelque perte. L'Empereur Léopold cherchant à établir une paix tohde dans le Nord , pmpofa ^ médiation aux deux Puiftanccs belligérantes: il envoya en qualité d'Ambafladcur auprès du Tzar , le Baron de Mayerbag , accompagné par Guillaume Gï/vaa-iujjChcvalierdc l'Empire, Se Confeillcr de la Chambre Souveraine de la Baffe-Autriche : il leur ordonna d'éviter la Cour de Pologne , pour ne pas donner lieu aux Ru liés de Coup-çonner que cette amballadc fe faifoit de concert avec Calimir. HISTOIRE DE RUSSIE. 67 Mayerbcrg arriva à Moskou le 14 Mai 1661, ôc eut fa première audience du Tzar le 17 du même mois. C'eft lui qui va faire la defeription de la Salle d'Audience. Il y avoit au milieu une colonne qui en foutenoit la voûte, ôc qui en diminuoit beaucoup la beauté. On voyoit de vieilles peintures fur les murailles, Ôc des plaques d'argent entre les fenêtres. Autour de la Salle étoient des bancs de bois fcellés dans le mur, ôc couverts de tapis : on y montoit par un degré de quatre marches. Là, les Boyari étoient aflis au coté droit du Tzar, la tête découverte. Le Tronc étoit placé dans un coin de la Salle, a la gauche de ceux qui entroient: il étoit de vermeil, élevé de trois marches au deflus des bancs -y mais il étoit il étroit, &: dans un lieu li obfcur, qu'on n'en pouvoit découvrir route la beauté. Au-deffus de la têtc.du Tzar, pendoit une image qui repréfentoit la Mère de Dieu : de l'autre côté, en fiicc du Trône, étoit une horloge faite en forme de tour; ôc dans le coin oppofé, il y avoit une pyramide qui foutenoit un globe d'or. Du haut de la voûte pendoient deux images de Saints , lcfquellcs etoient expofées h la vénération de ceux qui étoient dans la Salle. Sur un banc placé a la droite du Tzar, étoit un baum , un pot h l'eau & une fervictte, pour laver ôc effuyer (a main après que les Ambafladeurs l'au-roient baiféc. Le Tzar avoit fur fa tête un' bonnet en pain de fuerc, bordé de martres zibelines, couvert d'une couronne d'or remplie de pierreries, Ôc qui fc terminoit en pointe. Mayerbcrg pafla un an à Moskou, avant d'obtenir du Tzar une rcponlè fatisfaifante. Ce féjour lui donna le tems d'examiner les mœurs, les ufages ôc le caraclèrc des Ruifcs, &;d'en faire un tableau rcflcmblant dans la relation qu'il a donnée de fon voyage. Il y raconte une avanturc , qui eft- le complément de celles que nous avons rapportées dans la Section précédente : il dit » qu'entre »j les prifonniers de guerre fe trou voit Vinccnt-Corvin Gofieni , I ij »j Tréforicr du Grand-Duché de Lithuanie, auquel, félon la cou-»j tume des Ruffcs, perfonne ne devoit parler. Se trouvant indif-» pofe, il demanda un Médecin. Le Tzar lui en envoya un qui » étoit Italien : il trouva le malade dans la cour du Château, où il » fc promenoit pont prendre l'air: l'ayant interrogé fur fa mala-» die , il lui ordonna de prendre de la crême de tartre. L'Orfïcicr » de garde ccoutoit attentivement leur difeours : aux mots crème » de tartre , il fc perfuada qu'il étoit queftion entr'eux des Tatars de „ Krimée , avec lcfqucls les Ruflcs étoient en guerre. Fier de cette » découverte , il alla fur-lc-champ en donner avis â Ilia, beau-père » du Tzar. Celui-ci regardant la chofe comme très-importante, » fit ce raifonnement : les Tatars de Krimée ôc les Polonois font »s ligués contre les Ruflcs : le prifonnier cft Polonois, il a fins » doute tenu au Médecin des propos concernant les intérêts «de fa Cour , ÔC contraires a celle de Ruilie. Ilia fit venir le « Médecin, le traita de traître, ôc le menaça des plus cruels fup-» plices. Le Médecin ignorant ce qu'on vouloit lui dire, ôc ne fie » croyant coupable d'aucun crime envers l'Etat, gardoit le filcnec « de la confternation. La colère d Ilia n'en devint que plus fu-urieufe , ôc après les propos les plus humilians ôc les plus inju-« ricux , il finit par dire au Médecin : chien , qu'as-tu dit â Golicvi » dos Tatars de Krimée , qui font les ennemis de la Ruilie u? Le Médecin fc rappcllant alors tout ce qu'il avoit dit a Goficvi, répondit que c'étoit une méprilè tic la part de 1 Oïlieier, qui avoit cru que crême de tartte Ôc Tatars de Krimée éroiein la même chofe. Il eut beaucoup de peine a fe juftificr, Ôc on lui défendit expreifement de vititer aucun malade Etranger. Cette anecdote qui peint fi bien les craintes, les foupeons, 1a défiance d'un def-potc , Ôc la fimplicité des Ruifcs d'alors , prouve en même tems combien les rapports des-délateurs font iulpccls. HISTOIRE DE RUSSIE. H Section XVII. 1661. Les négociations de l'Empereur d'Allemagne pour établir la paix dans le Nord n'eurent pas un fuccès auffi prompt qu'on le défiroit. La guerre continua encore entre les Ruflcs ôc les Polonois, ôc ceux-ci firent une ligue offenfive contre ceux-là avec le Kan de Krimée, qui entra fur les terres du Tzar, ôc qui y fit de grands ravages. L'armée Ru (Te envoyée contre lui, l'arrêta dans fa courfc, mais ne le battit pas : s'il perdoit un avantage un jour, il favoit le reprendre le lendemain. Le Tzar fe décida enfin a faire la paix avec la Pologne : elle fut conclue, fignée, ôc fuivie de celle des Tatars. Section XVIIL Le Nord vit pour la féconde fois dans ce fièclc, ce que le Midi avoit vu dans le iicclc précédent, un Souverain dcfccndrc volontairement dans l'état de particulier. Jean Cafimir II prit le fin-gulicr parti d'abandonner la Couronne, ôc de palier en France. Ses vertus tranquilles lui infpirèrent cette réfolntion. L'époque de la décadence de la République de Pologne date de fon règne. Les évènemens qui ont marqué l'adminiltration de ce Prince, font les fuivans : les Kofaqucs fouflraits à fon obéiffanec , la Prufle devenue Souveraine i les DiilriCts de Lavcbourg, Elbing, ôc la Staroflie de Draheim engagés ail même Prince ; une grande partie de la Livonic, lTilhonie, Ocfeljcs Palatinatsde Smolensk, de Sévéric, de Tclicrnigof démembres du Royaume i enfin l altération dans les monnoics, qui hate par-tout la ruine des Etats. Section XIX, 1666. Ce fut en cette année qu'Alexis fit alfcmblcr un Concile dans lequel le Patriarche Nikon fut dépofé. Nous ne répéterons point ici ce que nous avons dit de ce Pontife dans les premiers volumes de cet Ouvrage (i). Nous y renvoyons le Lecteur. Mais les détails particuliers de la vie des grands hommes méritent d'être connus , Se Nikon fut grand homme fous plus d'un afpcct : nous allons le faire connoître d'après le favant Mullcr Se le manuferit du Secrétaire de ce Patriarche. Né en 1615 , de parens obfcurs, fon premier nom étoit Nikita , Se fes premières inclinarions furent pour férude. Le Moine dont il" fut le difciple, chercha à lui infpircr du goût pour fon état, Se il y réunit. Mais le père de Nikita s'oppofa fortement à une Vocation qui ne s'accordoit pas avec les intérêts de la famille. Il maria le profelyte , qui embrafla l'état Eccléfiaftiquc. Le voila, Pope , Se bientôt père de trois enfans, qui meurent tous trois. Après les avoir perdus, Nikita Se fil femme confirment à fe féparer. L'époufc entre dans un Monaftèrc de Moskou. L'époux fe retire dans celui d'Angcrskoï-skit, qui cft fitué dans une Ifie de la mer Blanche , Se qui a la mer pour enceinte. Quoique cette Ifie foit plus faite pour être habitée par des ours que par des hommes, elle renferme encore un aurre Monaftèrc, dont nous avons parlé dans la traduction du Poème de Pierre I, par Lomonofof, Se c'efl celui de Solovctzki. Le Monaftèrc d'Angerskoï eft compofé de douze cellules de forme circulaire , bâties fur le rivage de l'Iflc, &: éloignées de deux verftes lune de l'autre. 11 y a un Moine dans chacune. Tous ne vivent que de pain Se de poilfon. tl glife cft au milieu des cellules, &c'cft-ra feulement que les Moines fc voient Ôc fe parlent une fois chaque femainc. Ils s'y rendent le famedi , pallent la (,) Voyi-7 le premier volume mais ils furenr jettes dans une petite Iflc, où Nikon planta une Croix. C'efl en mémoire de cet événement qu'on lui a donné le nom de Krcflnoi-OJlrof, d'Iflc de la Croix. Nikon forma le vœu d'y conftruirc un Monaftèrc dans la fuite. Après fa délivrance d'un péril imminent, le Cénobite fe fit affilier au Couvent de Kozé-Ozcrskii, où il mena une vie conforme a la règle d'Auzcrskoï. Il s'y conftruifît une cabane, ÔC ne fréquenta plus les Religieux que dans les'heurcs dellinécs au fervicc Divin. Sa vie étoit aufîi dure que fes mœurs étoient auftères : il vivoit de pain groiïicr Ôc du poiffon qu'il pêchoit. Une vie pareille étoit plus propre à exciter l'admiration de fes confrères que l'imitation. L'Igoumènc ou l'Abbé mourut, ôc Nikon fut élu à fa place d'une voix unanime. Les affaires du Couvent l'obligèrent enfuite d'aller à Moskou. Il y fut pré-fenté au Tzar; ôc comme il étoit naturellement éloquent, la ÇOnvetfation plut beaucoup a ce Prince, qui, pour le rapprocher de fa perfonne , le nomma Archimandrite du Monaftèrc de Novo - Sparski. Il devint Métropolitain de Novogorod en 1649 , ôc Patriarche en Il étoit né avec l'efprit réforma- teur , ôc ces reformes déplurent aux hommes amis du défordre, ou ennemis des nouveautés utiles. Le Tzar lui avoit donné toute fa confiance, & l'avoit chargé d'exerer a Novogorod la Magillrature fupreme. Jamais la confiance & la clémence d'un Prince ne furent mieux fervies. Nikon étoit févère pour lui-même, jufte envers tous, compatiflant, charitable pour les pauvres, « fur-tout pour les prifonniers qui méritoient de l'indulgence. Dans les tems de difette &: de calamité publique , fes revenus furent conftamment le patrimoine des infortunés. Il fit comlruire à Novogorod quatre Hôpitaux pour le foulagcmcnt des veuves, des orphelins, des vieillards Ôc des indigens. 11 avoit introduit dans fon Eglife , le chant en parties qui eft en ufage dans PEglifc Grecque : ce chant plut beaucoup au Tzar, ôc déplut fouverainement au Patriarche Jofeph 11 , cinquième Pontife des Eglifes de Rufiic (i). Le zèle le plus pieux n'eft pas toujours exempt de l'efprit de domination . l'amour - propre de Jofeph anima fon zèle contre le novateur ; mais la mort du Pontife en arrêta les tranfports indifercts. Il fut remplacé par Nikon. Les lumières ôc la grande faveur dont il jouiiloit auprès du Prince devinrent les caufes de fa difgracc. Il étoit l'ami de cœur ÔC le confcil d'Alexis. L'envie aboya : la Tzarinc ôc fon père écoutèrent fes cris, &: devinrent les perfécutcurs de Nikon. Dès qu'il s'apperçut qu'on avoit ébranlé la confiance du Prince à fon égard, il demanda la pcrmifïion de fe retirer. Elle lui fut accordée -, mais on lui conferva le titre de Patriarche, dont le Métropolite de Moskou remplit les fondions. Cette abdication appaifera t-e1lc l'envie ? Non. Elle marche fut les pas du grand homme , elle troublera le repos de Nikon jufejuc dans le Monaftèrc de Vofcrcfccnski. On Paccufe d'y faire cn- ( i) 11 avoit fucccMé à Ji-fcpli I, / rchcvc-quc de Pleskof & d'I/kvsk . oui fut Quoi qu'il en foir, Fédor, fuccclfcur d'Alexis, chercha a réparer les torrs de fon père. Il rendit la liberté à Nikon , ÔC lui accorda la permiflion de revenir h Moskou. En s'y rendant , il tomba malade h Jarofiavelc, ôc mourut le 17 Août 1681. Section XX. Si le règne d'Alexis fut troublé par des guerres inteftincs ôc étrangères, il va l'être encore par des féditrons langlantcs. On a vu ( Hill. des Kofaqucs, Seél. LV Ôc f. ) comment $tinko*Rajin fc rendit Chef des Kofaqucs du Don , ôc voulut fe faire Roi d'Aftrakan. Ses affreux fuccès infpircrcnt long-tems la terreur; mais il finit comme tous les fcmblablcs , pour lefqucls , dit Voltaire , il n'y a jamais que le Trône ou l'échafaud. Cette partie du monde étoit celle où les hommes étant le moins gouvernes par les moeurs , ne l'étoicnt que par les fupplices ; ôc de ces Tçme 111. K fupplices affreux naiiloit la fervitude, ôc la fureur feerctte de la vengeance. Section XXI. 1670. La Tzarinc Marie mourut en cette année. Dans la fuivante Alexis époufa Nathalie Narichkin, fille d'un Colonel de ce nom. Le Tzar ne tarda pas à connoître le mérite de cet Officier, prudent, modéré , incorruptible ÔC fort attache aux intérêts de fon Maître. Devenu fon beau-père ôc fon premier Miniftrc, il je ferwt plus utilement encore, en ne commettant jamais une jnjufticc pour lui. C'cit à-peu-près l'hommage que lui rend un Anglois dans l'Ouvrage intitule : Utat fréfent de la Rujfn. Narichkin mit la réforme dans la maifon du Tzar ôc dans l'adminiitration de la Jullice. Il favoit combattre Ôc confcillcrj il lavoit défendre les intérêts de fa patrie par la plume ôc par la parole, ôc il avoit dans fes nains fa police ôc la guerre. Sous fon Minillerc , les pr>eès ne t.aînoicnt plus en longueur comme auparavant II falloir punir avec lé vérité les Juges qui commettoient la moindre injulliee. Ayant appris qu'un Marchand fc plaignoit de lui , il voulut que l'affaire fût jugée fans nulle partialité, ôc pria le Tzar d'affilier au Jugement. Le Marchand, qui avoir tort, fut condamné au knout. Narichkin, content de s'être jultific, demanda lui même fa grâce, & obtint que la peine (croit commuée en une plus douce. Un pareil Minillrc ctoit bien tait pour ajouter de l'éclat a la gloire de fon Maître, ôc pour faire profpcrcr la Nation. Narichkin attentif à tout, portoit la main par-tout, &c arrangeoit tout pour le bien de l'Etat. Il établit des Manufactures favorifoit le commerce , & failoit accorder des grâces ex des privilèges aux Marchands. Il difoit aux éqcangcn «qu'il s,ronnoir n que les Rois cnvoyallcnt des lettres de recommandation au Tzar HISTOIRE DE RUSSIE. 7f »>ponr leurs Sujets qui faifoient le commerce en Ruflic ; ÔC » il ajouroit, que prier un Souverain de rendre la juftice, » c ctoit Tinfulrcr «. Voila les hommes dont THiftoricn doit tranfmcttre les noms à la Poftérité. Section XXII. 1671 -1673. Les Turcs, confédérés avec les Tatars de Krimée, étoient devenus également a craindre 6c pour les Rudes , Ôc pour les Polonois. De leur côté , les Kofaques c on fer voient cet cfprit inquiet 6c turbulent qui caracf érifoit leur affociation militaire. Mécontcns de la Ruilie, comme ils l'avoicnt été de la Pologne, 6c ne voulant jamais de Maîtres, ils proposèrent a Mahomet IV, Empereur des Turcs, de les prendre fous fa protection. Le Sultan • accepta leur offre, 6c demanda, avec tout l'orgueil d'un Ottoman 6c d'un vainqueur, que le Tzar évacuât tout ce qu'il poffédoit en Ukraine : il fut refufé avec la même fierté. On ne favoit point alors, dit Voltaire, déguifer l'orgueil par les dehors de la bien-fçanec. Le Sultan dans fa lettre ne traitoit le Souverain de Ruflîc que de Hofpodat chrétien9 ÔC s'intituloit, très-gloricufe Majcflcj Roi de tout l'Univers (1). Le Tzar indigné, repondit » qu'il n'étoit pas (1) Mahomet IV ctoit monté fur le Ttème en puiXtmi foi If corps de Çoo pùv Ik.ihiin I, qoe les Janillaires avoicnt étranglé. Mahomet avoit battu les Impériaux, fait de grandes conquêtes en Hongrie, fourni la T.anlîlvanic , pris Tlflc de Candie , l'ancienne Crète, tes Turcs cioyoicnt ne pouvoir faire plus d'honneur à 1 Ambafudcur de France, le Comte de Guillcragucs, & à fa fuite, qu'en difaïuquc lcsl rancois étoient parens de Méhernmed-Tctiht Mahomct-lc-Viifloiicux. Cependant jufquc-là il n'avoit pas encore paru à Ijl tête de fes armées i nuis fa fortune pa.oilfoir inaltérable aux Turcs, entre les mains du Viiïr Cuprbli» aufli pi and que fa place. 11 étoit rout-à-la-foit Comptable, Chancelier & rremicr-Préfidcnr. Les TutCI l'apptUoicnt ta Lumière des Nations, U Gardien des Loix, le terrible Corn* K ij »> fait pour fc foumettre a un chien de Mahométan , 5c que fon » cimeterre valoir, bien le labre du Grand-Seigneur «. Alexis alors envoya des Ambalfadcurs au Pape &: a prefque tous les grands Souverains de l'Europe, excepté a la France, alliée des Turcs, pour tâcher de former une ligue contre la Porte Ottomane. Ses Ambalfadcurs ne remplirent pas leur million : les querelles des Princes Chrétiens , 5c les intérêrs qui naiffent de ces querelles mêmes, ne leur permirent pas de fc réunir contre l'ennemi de la Chrétienté. Section XXIII. Le regne du foible Michel Wucnomechi étoit celui de fes fivoris. Le Grand-Chancelier de Lithuanie, Cafimir Pac 3 s'étoit emparé de toute fa confiance, mais il étoit plus ambitieux que citoyen. Son frère Michel Pac, remuant, emporté, capricieux, étoit Grand-Général de Lithuanie, 5c rival décidé de Sobieski, qui avoit la valeur du foldat, 5c, ce qui cft bien plus rare, ce coup-(Tœil heureux qui décèle le grand Capitaine & annonce le Ge néral, 5c qui avoit appris a vaincre dans une armée battue partout. Il avoit forcé l'envie même a convenir que la Pologne lui devoit fon falut. Vingt combats, 5c une action générale où il avoit remporté la viétoirc la plus complcttc, avoicnt fait fuir les Tatars 5c rendu la liberté h trente mille Polonois. Mal fécondé dans les opérations, il ne put empêcher les Turcs de te rendre maîtres de Kaminiek, de l'Ukraine 5c de la Podolie, qui leur mandant. I u ToKl étoient hyperbolique* fui un fonds. On fait le mot de Mouté- cuculli en fc retirant, lorfquc fes rivaux finirent leur cairièrc : - Un lionunc qui a eu >. l'honneur de combattre contre Turcnnc, Condé & Cuproli, doit-il compromettre *> fa gloire avtv de £cns qui ne loin que commencer à commander des armées « ? M<>Hi< cm ulli ne couuoilluit dans Cuproli que le Gtnéwl. Iliitouc de Jean Sefekdd* HISTOIRE DE RUSSIE, 77 furent cédés par un Traire flétriifant conclu à Boudchaz, dans lequel la-Roi Michel s'obligea a un tribut annuel & perpétuel de cent mille ducats d'or envers la Porte. Le Confcil du Roi de Pologne étoit compote de Penfionnaircs de l'Empereur Léopold dont il venoit d epoufer la focur. Léopolcl, craignant l'armement c-onfidé table que le vainqueur Turc préparoir, entrevit un moyen de le détourner fur la Pologne. Il favoit que l'Hctman Doro-censko avoit livré l'Ukraine aux Turcs, & que la conquête de cette belle Province lui ouvrait la Pologne & la Moskovic, deux ♦Etats d'où étoient fortis tant d'ennemis contre Y Empire Ottoman. 11 l'avoit encore que Michel, en recouvrant l'Ukraine par la force ouverte , fc flattoit de recouvrer aufïi l'immcnfe patrimoine de fes pères, &: au-delà. Léopold avec toutes ces connoiflances, n'eut pas de peine à perfuader a ion gendre que toute négociation avec des rebelles ctoit auili dangereufe qu'humiliante i que pardonner a Doroccnsko, c'étoit affoiblir 1 autorité royale. Michel crut être grand en fe montrant inflexible : il fe décide a faire la guerre. 11 convoque une Diète à Varfovic. On follicitc Sobie>'u de s'y rendre pour propofer des remèdes aux maux de la Patrie. Quel que foit le danger qu'il y puifle courir, il l'affronte. Il découvre les plaies de l'Etat, &; il offre en même-tems de les guérir. Il verfe des larmes fur l'humiliation du traité de Boudchaz, & conclut que l'on doit le déclarer nul. » Rien n'eft plus aifé à Varfo\ ic, v.lui dit un Sénateur; mais comment verra-t-on cette rupture à » Conftantinople ?.... Avec fureur, fans doute, répond Sobicski, » mais il nous rcitc des labres ôc du courage : nous n'attendrons * pas que l'ennemi vienne a nous, il faut aller a lui— Je connois, » comme vous, ajouta-til, le petit nombre de nos troupes 6c » l'épuilèment des finances , mais ces deux maux ne font pas v lans remèdes. Ce peuple de Kit "s qui laboure nos tetres, ic met «dans une clpece de hbene en prenant les armes, êv bientôt il «cft foldat, ii le Chef eft Général. Je ne demande que foixante ») mille hommes pour vous arracher au joug Ottoman. Vous me « demandez où l'on trouvera des fonds pour les foudoyer ? La » République a un rréfor dans le Château de Cracovic. Artcndez-» vous que Mahomet vous l'enlève dès qu'il en aura connoiffanec ? » Employons-Le a brifer les fers qu'il nous a donnés. Vous voi » attendre un tems plus favorable , des alliances, des fubiidcs : »les négociations l'ont longues; l'avenir eft incertain; le prêtent «eft en notre puiflanec. Vos ancêtres auroient préféré la mort a un an d'cfclavagc «. L'aine de Sobicski échauffe celle de tous les Sénateurs : le traité fut rompu Ôc la guerre réfoluc. Le Tzar s'arma en même-tems contre les Turcs, ôc envoya du fecours aux Polonois. Il lit marcher une armée dans l'Ukraine. Un Aga des Turcs vint demander aux Polonois le tribut accordé par le dernier traité de paix. Il prenoit mal fon tems. Il trouva le Roi Michel expirant, ôc ne put lui remettre la lettre du Grand-Seigneur. Pendant ce tems, Sobicski livre Ôc gagne l'étonnante bataille de Chokzim , où vingt mille Turcs relièrent fur la place, ôc dix mille fc noyèrent dans le Niefter. Les vainqueurs ne perdirent pas ilx mille hommes. S i c t i o n XXIV. 16*74-1676*. . ,b iiUtà Alexis, guidé par les confeils d'un Miniftre ami dti calme, fit la paix avec tous lès ennemis, ôc ne s'occupa que des avantage! de la Nation. Il tourna (on attention du côté des Sciences, des Arts, des Manufaéhires ôc du Commerce. Il avoit consu le projet de faire conftruirc ÔC d'entretenir des flottes dans la mer Nuire ôc dans la mer Cafpicnnc ; de faire venir de Hollande des ( onf-miélcurs habiles, des hommes capables d'inftruire lès Sujets dans la marine. David Butler y conftruifit le premier vaiffeau , qui fut nommé Y Aigle. Alexis établit une diltinétion entre les Boyari : les plus diftingués par leurs connoilTanccs, formèrent le Confcil des Affaires étrangères, Se furent appelles Boyari du Cabinet. Tous ceux qui ont parlé d'Alexis, font l'éloge de fon caractère, te difent qu'il étoit bon mari, bon père, bon parent, bon ami, bon Souverain. Il étoit vif à l'excès; mais fa douceur naturelle calmoit.bientôt fes impatiences : rendu a lui-même, il réparoit fes torts par des bienfaits envers ceux qu'il avoit maltraités dans un premier mouvement, Se donnoit des marques d'amitié à tous ceux qui l'cnvironnoicnt. Il aimoit autant la repréfentation que Louis XIV : fon ame élevée étoit véritablement digne du Trône ; &e fon cœur humain , compatilfant, généreux, fourfroit lorfquil devoit figner les Sentences des criminels. Il dit un jour a Narichkin qui lui en préfentoit une à figner : n Je ne fuis pas Tzar « pour faire périr mes Sujets; je dois, au contraire, les conierver, « Se accorder grâce a tous ceux qui ne font pas convaincus d alfaf-» finars t*. Il lut la Sentence qu'on lui préfentoit ; voyant que le coupable étoit un déserteur, il mit au bas : J'accorde grâce > Se ligna fon nom. Mais malgré fa douceur Se fa clémence, les troubles renaiffans fous les règnes de fes prédécefl'eurs, Se l'cfprit factieux de la Nation, l'obligèrent, maigre lui, a établir une Inquifttion d Etat, fous le nom de Chancellerie fecrite. Ce Tribunal de fang fut cependant plus doux ùnu ion règne que fous les fuivans. Mais le fecret inviolable qui régnoit dans les inttruétions Se dans les proferiptions, ctoit le moyen allure d'immoler beaucoup de victimes a la haine, a l'ambition, a l'intérêt pcrfonnel. I efelavc pouvoir faire arrêter fon maître , un coupable l'homme innocent, le mifcrablc an homme riche; deux mots lufliloient pour cela. Ces mots terribles étoient./.Wo i delà. Ace cri , 1 Aecufarciu $ l'Acculé étoient pris au corps, Se traînés dans les cachots de la 8o ■ HISTOIRE DE RUSSIE. Chancellerie. L'Accufateur étoit d'abord condamné a recevoir trois fois le knout; 6c s'il ne fe rétracroir pas, l'Accule fubiflbit le même fupplicc, 6c il étoit fans rclfource il le méchant étoit robufte. Cette Inquifition cft-elle une tache pour le Prince ou pour la Nation ? L'éreétion de ce Tribunal cruel pr#uve, félon nous, que les Loix de lEtat ne furlifoient plus pour prévenir ou arrêter les crimes. Alexis avoit porté en 1648 l'Edit fuivant. » Lorfqu'un Noble commettoit un crime , toute fa famille « étoit regardée comme coupable de n'avoir pas allez veillé fur » fa conduite. Si le crime méritoit la mort, les parens du crimi-» nel perdoient la noblelfe , & nhéritoient point de fon bien «. Cette Loi, qui paroît injuile a plus d'un égard, fut dictée par la néccfllté des circonstances. Par cette politique louable, feulement dans le cas dont il s'agit, l'honneur Ôc l'intérêt forçoient les parens à veiller fur la conduite des uns &: des autres, par les deux plus grands mobiles qui déterminent les hommes , l'honneur 6c l'intérêt : les pauvres n'étoient point a charge au public , leur famille fe trouvoit forcée de les alliiler : elle crai-gnoit que la misère ne les conduisît au crime. Les parens étoient intéreflés a ce que les jeunes gens ne fc livraifent point à de folles dépenfes , ôc ne fi lient que celles qui étoient proportionnées à leurs revenus : de fon côté le Gouvernement étoit toujours prêt a fecourir ceux qui réelamoient fon afliilance. Cette Loi de force 6c la Chancellerie lècrette repugnoient fi fort au caractère d'Alexis , que malgré leurs inftitutions , il alloit vifiter les prifonniers, leur demandoit les motifs de leur détention , payoit les dettes des uns» pardonnoit les fautes des autres. le Patriarche avoit ordre de lui apporter la lifte de ceux qui étoient char ^ d'enfans, 6c dont les revenus étoient trop bornés pour qu'ils les miftent tous nourrir 6c élever. Ce Prince humain 6c clément fit propofer aux prifonniers de guerre, HISTOIRE DE RUSSIE. H guerre, Polonois, Suédois, Turcs & Tatars, de leur donner de quoi fubfiftcr, s'ils vouloient défricher plufieurs cantons de la Ru die qui étoient déferts, & tint parole à tous ceux qui acceptèrent fa proportion. Par ce moyen il peupla fon Empire d'étrangers qui réparèrent une partie des pertes d'hommes qu'il avoit faites dans les différentes guerres qu'il avoit eu a fou tenir. Il fit faire des eifais pour l'exploitation des mines : la conquête de la Sybérie lui en donna l'idée. Il envoya des ouvriers étrangers , fous la conduite d'un Confeillcr nommé Kitrof, pour reconnoître les monts Ouralsk , les rives du Tobol , le diitriét dc Tomska , &c. Mais le défaut de connoilTanccs en ce genre de découvertes , le prix 5c la longueur des travaux, 5c la modicité des produits le dégoûtèrent de cette entreprife. Le nom d'Alexis fe répandit d'Orient en Occident : il reçut des Ambalfadcurs de prcfquc toutes les Puiûanccs de l'Europe: le Roi de Perfe 5c l'Empereur'dc la Chine lui en envoyèrent, avec des préfens confidérablcs. Dès l'année itfyj, ce Prince avoit cherché a avoir des correspondances avec les Chinois ; il leur envoya un Boyar de Tobolsk , avec de riches pelleteries , &: celui-ci en rapporta de l'or, des pierreries & des étoffes précieufes. Le Kofaquc Baïkof y fut envoyé quelques aimées après, avec la qualité d'Amba(fadeur. Son orgueil , fon opiniâtreté 5c fon refus de fc prêrcr au cérémonial Ci facré pour les Chinois, le firent renvoyer avec fes préfens, 5c efeorter jufquc fur les frontières. Section XXV. Il faut des aftions d'éclat pour faire parler la renommée; Se les adions d'éclat ne fe font pas fans des occafions fingulières. Alexis la fit parler par la pratique des vertus douces qui font le bonheur 5c la gloire des Rois. Son règne fut trop court. Il mourut dans la quaranre-huitième année de fon âge ; 5c la confiance Tome III. L avec laquelle il vit fa fin, dcvroit apprendre aux hommes à fc livrer de meilleure grâce à leur d eft i née. Alexis eut treize enfans de Marie , fille d'ilia Miîoflafski, cinq garçons 6c huit filles. Ses fils furent Démitri, Alexis, Théodore , Simon ÔC Jean : fes filles furent Etidoxie, Marthe,Sophie, Cathc* rinc, Marie, Anne, Fédofia 6c Théodora. Il eut de Nathalie, fille de Cyrille Narichkin, Pierre ôc la Prince (le Nathalie. M. de Voltaire obfervc que fcfprir de la maifon de Romanof fut toujours de policer l'Etat. Alexis, fon père ôc fon aveul, prouvent la juftclfc de fobfervation , ôc les règnes qui fuivent en confirmeront de plus en plus la vérité. «çj —-----------*^egpj^- =jft« PRÉCIS DU CODE DU TZAR ALEXIS MIKAÏLOVITZ. D ans les nombreux extraits que M. le Prince Schcrbatof a eu la bonté de me remettre, il y a inféré la note fuivante : » Je « dellrcrois, Monfïcur, i°. que vous commençaflicz PHiitoire des «Loix de Ruilie par les ufages &: les coutumes des Slaves de « Novogorod & des Ruifcs de Kiof, jufqu'au règne de Volodimir ; b i°. que vous fi liiez mention du règlement Eccléfiaftiquc* $c » civil attribué à ce Prince , avec des remarques critiques fur » les altérations que fe font permifes les Moines qui ont rédigé v> ce règlement; 30. que vous donnaUlcz Rôuskaïa praveda, ou les " vérités Ruifcs dans leur entier, parce qu'elles font recomman-m dablcs par leur (Implicite, leur clarté, leur prccifîon. Je penfe «qu'il feroit utile de faire connoîrrc 1 influence que ces Loix de » Jaroflaf &c dltlaflaf ont eue fur les différentes parties du Gou-» vernement, il toutefois vous en trouvez Poccalion. Celles qui « leur font pofte rieur es jufqu'à l'époque où le Trône des Grands-»5 Princes fut transféré a Volodimir, font incertaines & peu im-m portantes. 40. Quels changemens la Ruilie a foufferts dans fes »> ufages &c fes Loix , fous le Gouvernement des Tatars, & quels »> étoient alors les droits réciproques des Grands-Princes & des » Princes apanages? y\ Que vous donnailiez un Précis raifonné des •3 Loix d'Ivan Vafiliévitz , tant civiles qu'Eccléfialtiques. Les pre-" micres, comme vous le favez bien , font connues fous le nom » de Soudebnîk ; & les fécondes , qui font en cent Chapitres , •> portent le nom de Stoglav. e\ La décadence de ces Loi* fous L ij « Godounof, Chouiski Se Roftrign ( le faux Démitri, Moine dé-»froqué). 70. Le rétabliflement des Loix de l'Empire fous le » règne du Tzar Michel Théodorovitz, Se celles qu'il promulga « pour fervir de règles aux Chambres de Juftice. 8°. Des détails »5 intéreflans fur le Code du Tzar Alex;s Mikaïlovitz, qui fallent » connoître par quels motifs plufieurs de ces Loix ont été faites, 55 le bien Se le mal qu'elles ont produits. 11 eft bon d'obfcrvcr »aiiili.que llufuffifance de ce Code a plus d'un égard, obligea >s le Légiflatcur a y ajouter le Livre Kormcha^ qu'on citoit rare** >5 ment dans les Jugcmcns civils , mais qui avoit une grande » influence fur les Jugemcns feclclialliqucs. 9?. Enfin, les Loix 95 de Picrre-lc-Grand , avec des remarques hiftoriques Se critiques: «vous pouvez , Monlieur , vous acquitter dignement de cette « tâche pénible .. • Jufqu ici nous nous fommcs fait un devoir de répondre h cette invitation, Se nous ne négligerons rien pour fnivre la marche que M. le Prince Schcrbatof a bien voulu nous tracer. Cet Hi£ torien cilimable liipplécra aux détails que nous ne pouvons con-figner dans cet Ouvrage. Nous ne connoiffons pas de Loix poftérieurcs a celles de Jaroflaf Se d'Illafiaf, premiers Légiftateurs de Ruilie, jufqu'au règne d'Ivan Vafiliévitz IL Ces Loix furent méconnues pendant plus de deux fièclcs , fous le Gouvernement des Tatars, Se jufqu'a la conquête des Rovaumcs de Kazan Se d'Afttakan. Les de foudres infépara-blca d'un Gou\ ernement tyranniejue d'une pave , Se anarehique de l'autre, obligèrent Ivan-le-Conquérant a régénérée lu vérités Uu i à y ajouter ce que les connoilfanccs acquilcs, les beloins de l'Etat Se la dépravation des mœurs rendoient nécclfairc. Le fécond J^CgiflatCUl ajouta a fon Code des remarques fur la fervitude perioTuicilc qu'il renforça maigre-lui, pour arrêter l'émigration 'de fes fujets, en les attachant a la glèbe ; il y ajouta des éclair-cilfemcns fur les droits des fiefs , devenus allodiaux, fur les privilèges particuliers de plufieurs branches de noblelTc , fur les avantages & les inconvéniens que quelques-unes de fes Loix avoicnt produits depuis leur publication. Les Loix de ce Prince perdirent leur vigueur fous les règnes de Godounof, de Chouiski, ôc du faux Démitri. Celles que donnèrent précairement ces trois ufur-pateurs, n'avoient pour but que de les maintenir fur un Trône ( chancelant. Mais après leur mort, les Loix anciennes recouvrèrent leur puillance coacfivc , ÔÇ leur reftauration fut l'ouvrage du premier des Romanof qui fut proclamé Souverain. De nouveaux befoins, êc une raifon plus éclairée, ouvrent partout une nouvelle carrière aux PrinCcs amis de Tordre, de la Juftice &: des mœurs, & leur font fentir la nécefiité de lbutcnir .J'édificc qui tombe en ruine , ou de fuppléer par de nouvelles Ordonnances a celles de leurs prédécciTeurs. Prelque tous les Princes font dans ce cas; aucun Code connu n'eft fait d'après les principes que la raifon dicte a tous les hommes pour éclairer leur conduite, Ôc affluer leur bonheur. Nous les donncrons«ccs principes (impies, vrais, lumineux , a la tète du Code de Pierre I. Ils feront renfermés dans 20 a. 2.y pages au plus. Pour fe fuilirc toujours a lui-même, un Code exige un arrangement fyiléma-tique de matières, ÔC eufuite l'établiIfemcnt des principes généraux , dont la connoifiance ôc l'application faciles décident tous les cas que le Législateur n'a pu prévoir, ou qu'il a laides indécis. .Quelle cft la Nation qui pofsède un pareil Code > Aucune. Les Nations les plus pojteces n'en font pas encore venues jufque-là. Témoin la multitude des peines capitales infligées par-tout, ôc pour des délits alfez fiivoles. Il n'y a aucune contrée où l'on nç conno::lé le prix de tout, excepté de l'homme. Par la fevéïité du châtiment, on poulie le coupable du vol a l'aifailiiut j .on répare, fans s'en douter, un petit dommage fait à la fociété par un plus grand : comme (i la main qui a brife la ferrure d'un coffre fort, n'étoit plus bonne qu'à être coupée ! Combien la cruauté des Loix n'immolc-t-cllc pas d'individus , jeunes, fains, vigoureux, dont l'indulh-ic 6c les travaux prudemment dirigés, racheteroient en quelque forte les délits envers la fociété ! Un homme qui a deux bras, dit l'Abbé Raynal , cil toujours un bon effet. . . Donc il ne faut pas le receler. . . Et il n'elt pas fans cfpoir, comme il n'eft pas fans exemple qu'un méchant s'amende. La choie du monde la plus étrange feroit de trouver le Code de l'humanité dans nu Gouvernement defpotiquc : le bon Alexis le defiroit fuis doute; les précautions qu'il prit fcnv blent le prouver. Mais il préfumoit trop s'il comptoit fur le fuccès. Le droit civil n'eft que le développement du droit naturel, 6c le principe fondamental de tout pacte focial , de toute législation , c'eft de procurer aux citoyens de tous les ordres, le plus grand bonheur naturel , en leur aifurant une pleine jouiffanec de leurs avantages corporels 6c fpiritucls, 6c une communication libre & facile entre tous. Le dcfpotc croiroit fe détruire lui-même en adoptant ce principe fondamental. Sous cette forme de Gouvernement, le Prince cft tout, la Nation n'eft comptée pour rien \ les droits de l'homme , par rapport à lui même , y font nuls, 6c il cft accablé de devoirs envers tous ceux qui font au-deffus de lui : fon induftric, fes talcns» fes travaux fructueux, n'y fondent point le jufte titre de propriété; l'ignorance nécef-fairc au joug, y interdit même Pu fage profitable de la raifon. Mais aufli comment bbfcrvcr fidèlement un pacf e 6c des Loix que la force 6c l'injufticc onr inftitués? Delà l'oubli des devoirs, Pinfurreétion , la révolte 6c la perpétuité des mœurs barbares; 6c Ton Tait que les Loix, même les plus juftes, four impuif-fantes fans le fecours des moeurs. Voici les précautions que prit Alexis pour fe procurer ôc faire rédiger les matériaux du Code connu fous le nom d'Oulagénié. En \6$o , le Tzar, dans la vingtième année de fon âge 6c de fon règne la troifièmc , propofà au Patriarche Jofeph 6c au Clergé, aux Boyari, Gouverneurs 6c Magiftrats, de faire des extraits des Canons de l'Eglife 6c des Saints Pères , des Loix des Empereurs Grecs , 6c de recueillir généralement toutes les Loix civiles 6c militaires, toutes les anciennes Ordonnances, les Edits particuliers de fon père Mikaïl Fédorovitz, 6c toutes les Sentences des Boyari , pour en former un recueil d'où l'on tircroit les articles propres à former un Corps de Loix qui cmbralTcroient également les intérêts du Prince 'ÔC des fujets, Ôc qui mettroient les Juges en état de prononcer avec équité 6c célérité fur les différais des particuliers , fans acception ni exception de rang 6c de fortune. Le Tzar ne crut pas devoir borner là fes précautions: il ordonna que chaque Province, chaque Ville ôc Bourg/chaque Ordre de Citoyen , chaque Corps de Marchand, envoyaifent à Moskou des Députés choifis parmi les perfonnes honnêtes 6C fenfecs, pour concourir à ce travail important, ailïiïcr à toutes les délibérations, 6c faire fur chaque article les obfervations ou les représentations néceffaircs. Après ces difpofitions préliminaires, le Tzar nomma une Commillîon pour rédiger, difeuter 6c arrêter les points qui méritoient d'entrer dans le nouveau Code. Les Commilfaires furent les Princes Nikita Ivanovitz Odoéfskoï, Sémen Vafiliévitz Prozorofski , Fédor Fédorovitz Volkonski yôc deux premiers Secrétaires, Gabriel Léonticf Ôc Fédor Gribédof. Il leur fut ordonné d'avoir beaucoup d'égard pour les Canons de l'Eglife ôc les déeilions des Saints Pères ; de fc (en ir des Loix faites par ics Empereurs Grecs , autant qu'elles (croient compatibles avec les ufages, les mœurs Ôc les befoins de la Nation ; d'expofer librement leurs opinions fur les matières qui leur paroi- noient exiger de nouveaux règlemens, afin que le tout, mûrement examiné, n'eût plus befoin que de là faner ion pour avoir force de Loi. Aucun peuple n'eut jamais une occaiion auili favorable pour fe donner des Loix protectrices & cortfcrvarriccs : mais les Chefs de la Nation étoient les créatures du Prince ; le Prince étoit un dcfpotc, & le peuple avoit des Maîtres qui n'étoient pas difpofés à brifer fes chaînes. Ainfi les Députés des Provinces &: les Rcpréfcntans du peuple ne pouvoient qu'ap-prouver les délibérations, ou fe taire , en fc proilernant. Les Commi flaires exécutèrent ponctuellement les ordres du Souverain : tous les articles du Code furent lus en pféfcncc des Etats raflcmblés dans la grande fille d'Audience. Les articles furent approuvés Afi (ignés de tous. Le Code fut imprimé &c envoyé dans toutes les Villes de lTmpire, avec ordre à rous les Tribunaux de s'y conformer exactement. Tant de précautions prouvent Pcnvic qu'avoit ce Prince d'initi-tucr de bonnes Loix , &: de faire jouir tous fes fujers d'une jhiticc égale : la poitérité doit lui en tenir compte, en regrettant que la vengeance des Princes (bit toujours trop bien exécutée, tandis que leurs inclinations bicnfailàntcs font prcfquc toujours croifées ou dénaturées. Nous avons lieu de penfer que les Loix Grecques dont parle M. le Prince Schcrbatof dans fa Note citée, & dont Alexis avoit fait imptimer une partie, ne parurent pas propres à être adaptées aux moeurs des Ruifcs , puifqu'on n'en fit aucun ufage dans POu-lagénié. Des Loix étrangères à la Nation , ne pouvoient produire qu'une confufion dangereufe dans les points cflentiels de la Légifiation. Si les Rédacteurs le fentirent, leur (ilencc à cet é^ard fut Péloge de leur bon fens , randis qu'aux mêmes époques une érudition mal digérée, voulant donner plus d'etendue aux Loix, compilait, comp'doit, compilait, & formoit de ces compilations HISTOIRE DE RUSSIE. 89 tîons hétérogènes un mélange barbare de fageue ôc d'abfur-dités ; de-là fans doute ces contradictions dans des jugemens qui devroient être uniformes dans les mêmes caufes : ce mélange monftrueux de bonnes ôc de mauvaifes Loix n'engendre dans Lefprit des Juges que i'obfcurité, l'incertitude, ÔC confequem-ment l'arbitraire. En prenant pour guides toutes les Ordonnances antéticurcs a fon règne, Alexis s'attacha à corriger les grands abus qui s'étoient gliflés dans l'admlniftration de la Juftice ; à donner une forme plus convenable à certains actes judiciaires, tels que l'émiflion du ferment &: la conduite des Arbitres ; à exciter l'émulation parmi les Militaires, en leur accordant des privilèges i a mettre un frein aux mœurs groilièrcs des Ruifcs,en impoiànt des amendes ôc des peines corporelles envers ceux qui injuricroient ou mal* traiteroient leurs fupéricurs, leurs égaux ôc même leurs inférieurs; fpécificr les formalité* néccflaircs pour la validité des contrats; à abolir l'intérêt ufurafre ; à ftatucr fur les dommages caufes parles Locataires Ôc les Artifans ; h décider fur les droits de propriété aux terres, fur les fiefs, fur la portion de biens que le mari peut lailfer a fa femme, ôc fur celle que la Loi accorde aux veuves Ôc aux filles ; fur les difpofitions des biens vacans a défaut d'héritiers ; fur la punition de certains crimes devenus familiers; fur les meurtres involontaires ôc accidentels; fur les blellurcs qu'on avoit coutume -de punir par la peine du Jalion ; fur la forme de comparution devant les Juges que l'on doit rcfpcctcr, &: en préfenec dcfqucls il cft défendu aux Parties de s'injurier mutuellement, fous peine d'encourir une punition rigoureufe. Viennent enfuite les défauts de comparution Ôc les Jugcmcns a rendre par défaut, après la troifième fommation ; les cautions que les parties doivent fournir ôc leurs engagemens; l'énumératiou de ceux qui font exempts des droits de procédures, ou des indem-Tomc III, £| nirés dont ils doivent jouir h cet égard, Sec. Le réfumé des dix premiers Chapitres de ce Code, fufrïra pour en donner une idée. Le premier ne regarde que les bîafphémateurs, ôc ceux qui troublent le Service Divin fous quelque prétexte que ce foit. La Loi leur inflige diverfes peines , Ôc même celle de mort dans les cas graves. Le fécond traite des devoirs des fujets envers leur Souverain ôc ceux qui font revêtus de fon antoriré. La Loi y condamne a des peines capitales les traîtres Ôc ceux qui, ne les dénonçant pas, font regardés comme leurs complices. La condamnation emporte la confifeation des biens au profit du Souverain, qui veut bien mitiger fes droits à cet égard envers les héritiers ex; les parens qui n'auront eu aucune connoiflanec du crime de trahi fon. Le troilicme défend , fous diverfes peines, même de mort, toutes les querelles, les violences, les larcins dans le Palais du Tzar, préfent ou abfcnr. Le quatrième condamne a mort tous ceux qui contreferont ou faUificront les Lettres - patentes Ôc les Actes émanés des Bureau du Souverain, Ôc déclare ces écrits de nulle valeur. Ceux qui confondront ces écrits reconnus faux, feront fev ère ment punis. Le cinquième décerne une amende contre les Orfèvres qui mettront de J'alliage dans les métaux qu'ils emploient. La Loi y ordonne de verfer du métal fondu dans la bouche du Faux-monnoycur. Le fixième défend aux Ruflcs de voyager en pays étrangers fans paife-port; mais en même-tems il ordonne aux Juges de les donner à la première requifirion, mais pour les pays feulement avec Icfqucls on n'eft point en guerre. Nous croyons devoir relever ici une erreur involontaire, fans doute, de M. le Chc- HISTOIRE DE R U S S I Ç. $i valier d'Eon. Il dit a ce fujet : ■» Ces nouvelles Loix paroiffent » elles-mêmes un obilaclc invincible a facquifition des connoif-m Tances néceffaires, poui les porter a leur perfection. D'une » part j elles condamnoient tout Mofcovite qui fortiroit du pays » pour voyager. D'un autre côté, elles parolÛoient craindre avec » autant d'aveuglement, que les étrangers ne vinffent s'établir >j en Ruflic ; puifqu'en cas qu'ils le fi (lent, elles leur défendoient » d'en fortir. Qui d'entr'eux auroit voulu porter l'induftric &: >j les talens dans un climat dur & féroce , certain que fa famille » ne profiterai t jamais du fruit de fes peines? Vivant, il devoit » fe condamner à un exil continuel fanscfpoirde revoir fa Patrie; » & a fa mort le prix des ferviecs qu'il aurait rendus a la Rufïic » devoit entrer dans les coffres du Tzar , héritier de fes fujcts«. On a trompé M. le Chevalier d'Eon dans les notions qu'on lui a données de l'article de ce Code qui renferme la preuve contraire. Mais il cft très-vrai que cette rigueur avoit lieu fous les règnes antérieurs à ceux des Romanofs : fous ceux-ci même là Nation déteftoit &c furveilloit les étrangers, de manière a leur faire defirer de revenir promptement dans leur Patrie. Mais ce n'eft pas la faute des Souverains, qui les appelloient & qui les protégeoieut ouvertement. Le feptième Chapitre détermine la contribution des peuples pour la foldc des troupes on rems de guerre ; il enjoint aux propriétaires de leur fournir tout ce qui leur, fera néceftaire, en payant, & dans la fuppofition que ces fournitures ne les mettent pas dans le cas de manquer eux-mêmes du néccflàirc. Cet article cft le chef-d'œuvre du Code : il n'admet au fervicc que les hommes âgés de dix-huit ans : le défertcur n'encourt la peine de mort que lorfqif il pafle au fervicc de l'ennemi : il défend toute efpèce d'exaction aux gens de guerre ; mais il leur permet, en campagne feulement, de prendre du bois pour leur confommation fans M ij le payer ; défcnfe à eux d'en vendre, ni de rien prendre fans rétribution. Le huitième eft aufti juft.e , aufti humain que le précédent : il n'exempte perfonne du tribut néecuaire k la rançon des prifonniers ôc des captifs. Chaque condition a fa taxe , &: ce qui cft bien remarquable , c'eft que les terres du Souverain ôc les biens Eccléllaftiqucs y font taxés à proportion des revenus ; de forte que la première claffe doit payer quatre kopeks , la féconde trois , la troifième deux , Ôc la quarrième un kopek par maifon. Le neuvième exempte de tout droit de péage Ôc de douane les* Eccléfiaftiques, les Militaires, les Nobles, les Officiers de Juftice , avec inhibition exprefle d'abufer de ce droit en en faifant jouir, par fraude, d'autres qu'eux ôc ceux qui leur appartiennent. Il cft défendu d'établir aucuns nouveaux Droits fans y être au-torifé par le Tzar lui-même ce pour futilité publique. Il enjoint h ceux qui font prépofés à la perception de ces Droits, cfc maintenir les barques ôc les ponts en bon état, fous diverfes peines; il leur défend de cafter les glaces pour forcer les voyageurs à payer des Droits, ôc de rien conftruirc fur les digues ôc les rivières qui puilfe empêcher la navigation , Ôc préjudieicr aux commerçons ôc aux voyageurs. Le dixième contient des ordres très-précis pour que la pius prompte & la plus exacte Juftice foit rendue , tant aux Nationaux qu'aux Etrangers , .fans partialité ni prévention quelconque. 11 défend aux Juges, fous des peines févères , de recevoir, dans aucun cas, des préfens de leurs Parties; il permet a celles-ci de révoquer leurs Juges pour des motifs légitimes, mais avant les premières procédures, ainlî que l'évocation au Confcil du Prince pour les affaires épineufes. Pour empêcher les Parties de fc ruiner en frais inutiles, ce même article leur défend d'appcllcr d'un Tribunal à un autre après la décifion du procès. Ce Chapitre eft tres-étendu : nous allons l'abréger. HISTOIRE DE RUSSIE. 93 Article XI. Les Procédures doivent être écrites avec netteté, précifîon ôc fans ratures. Articles XII ôc XIII. Si un Secrétaire ordonne à fon Ecrivain de falfifier les écritures, tous deux feront punis corporellcment, ôc il en fera de même pour toute cfpèce de faux. Article XIV. Quiconque portera des plaintes injuftes contre un autre , fera puni, fuivant la gravité du cas, par les Battoguis ou le Knout, Articles XV, XVI ôc XVII. Si les Juges ou les Secrétaires traînent les affaires en longueur par raifon d'intérêt , ils feront punis félon 1 exigence du cas. Mais fi les Plaideurs, négligeant de fuiyrc leurs procès, fc plaignoicnt de la lenteur des Juges, ils feront punis eux-mêmes de leur négligence &: de leur audace. Articles XVIII ôc XIX. Celui qui intente un procès injufte , ou qui demande plus qu'il ne lui revient, payera dix kopeks par jour à fa partie, depuis le commencement du procès jufqu au Jugement, Ôc fera puni en outre fuivant la nature de la demande ôc l'exigence du cas, pour le bon exemple. Article XX. Avant de recourir a la Juiticc du Souverain , on préfentera d'abord requête à fes différens Bureaux, félon la compétence des affaires ; ôc il le demandeur ou le plaignant n'eft pas fatisfait, c'eft alors qu'il sadreffera directement au Tzar. Articles XXI ÔC XXII. Après un Jugement rendu, les Juges ne doivent point admettre de nouvelles pièces pour la rcviflon du procès , à moins que limpollibilité de les avoir produites plus tôt ne foit bien démontrée. Article XXIV. Si un Juge prétexte ou des affaires, ou des maladies, pour ne pas fiéger au Tribunal, jl fera puni. La Juftice eft un devoir facré pour les Juges, ôc c'eil le premier des devoirs. En lifant ce Code, on a peine à concevoir comment fes Rédacteurs ôc le Légitiatcur ont pu embraffer une multitude incroyable de petits détails, pour rendre les Loix intelligibles à l'homme même le moins intelligent : il falloit autant de courage que de lumières pour s'abaiffer ainfi jufqu'à la fphère de l'efprit le plus borné ; mais c'eft principalement dans le Chapitre concernant la réparation des injures verbales ôc des voies de fait, que ces détails font ctonnans. Cette cfpècc de Taiif cft, félon nous, une chofe unique dans la Légiflation des deux Contincns. Nous regrettons de ne pouvoir pas le configiler dans cet Ouvrage \ mais Ce Chapitre eft trop long , il renferme foixante-dix Articles. Nous allons en donner une idée. Depuis le Patriarche jnfqu'au dernier Moine, depuis le Général jufqu'au dernier Soldat , ôc depuis le Prince , le Boyar , jufejifau dernier Efclave, tout homme, fans exception, qui dira des injures a un autre ou qui fe permettra des voies de tait , cft condamné à une amende pécuniaire , indépendamment de peines plus graves, félon la nature de l'infultc , le rang , les fondions &: la dignité de la perfonne infultéc ou maltraitée. Les amendes ôc les peines foin-plus ou moins fortes, en raifon du rang qu'ont les Monaftèrcs dans la hiérarchie Eccléfiaftiquc : il en cft de même des différens Ordres de l'Etat. Si un Boyar, un Gouverneur, un Confeillcr du Prince, infulte le Patriarche, il fera livré a fa diferétion. S'il infulte un Métropolitain , il lui payera 400 roubles. Il en payera 500 à lArchc-vêque , ôc 100 a l'Evèque ; ôc s il n a pas de quoi payer , le Prélat offenfe peut difpofcrà volonté de Voffcnfcur. Si celui-ci cft d'une condition inférieure à celles défîgnécs ci-deflus, tel qu'un Séné-Cbal, un Officfer de Cour , un Secrétaire , un Noble , un Sin-Boyariki ou petit Noble , un Citoyen ou un Etranger, il fera puni de la manière fuivante : S'il offenfe le Patriarche, il recevra le Knout ôc fera empri-fonné pendant un mois. Si c'eft un Métropolitain qu'il a offenfe, il recevra les Battoguis ôc fera mis en prifon pour quatre jours La même peine corporelle aura lieu pour un Archevêque , un Evêquc, oft'enfés, mais trois jours de prifon feulement. Le Tarif des injures envers le Clergé du fécond Ordre cft le fuivant : A f Archimandrite du Couvent de Troiski. . . 100 roubles» Au Procureur de la Maifon........80 Au Tréforicr.............70 -Au (Impie Religieux..........40 L'amende diminue de dix roubles par perfonne pour le Couvent de la Nativité a Volodimir; de dix encore pour celui de Tchoudof, ôc fucccflivemcnt jufqu'au dernier Monaftèrc , où l'Abbé ne reçoit plus que dix roubles, le Procureur huit, le Tréforicr fix , ôc le (impie Moine cinq. La taxe pour le Confeflcur Ôc l'Aumônier du Tzar cft de cent roubles. Celle d'un Pope cft de vingt-cinq, celle d'un Diacre de quinze. On payera aux Sin-Boyarski du Patriarche, quinze roubles, dix roubles , cinq roubles, s'ils font compris dans la première , la féconde ou la troifième Claflc. Vient enfui te rémunération de toutes les perfonnes qui appartiennent au Clergé, auxquelles la Loi adjuge, félon leurs fonctions, depuis trois roubles jufqu'à fepr. La femme qui fait le pain deftiné pour la Lithurgic , cft du nombre des dernières. Les différentes Clalfcs de Marchands y font défignées par centuries : l'amende en faveur du Commerçant cft de roubles : celle qui concerne les autres cil de la dernière centuiie à la première , ce que cinq cft a vingt. La Loi afligne un rouble d'indemnité au Payfan du Domaine de la Couronne, 6c dix roubles pour les mauvais traitemens qu'il aura reçus ; au Domeftique du Boyar, la moitié de ces fommes ; 6c le quart aux hommes du peuple. Les amendes prononcées contre ceux qui infulteront les femmes , font plus fortes que celles âffignées aux hommes de toutes les Ciaffes ; la femme reçoit le double de fon mari ; la fille , quatre fois la fomme attribuée a fon père , randis que le fils cadet , non établi, n'eft indemnité que comme fa mère. Les en tans en bas âge reçoivent un rouble. Une chofe digne de remarque, 6c qui honore également le Tzar &: la famille des Strogonofs , qui a tant contribué à la conquête de la Sybéric , c'eft qu'immédiatement après le Tarif des injures faires au Clergé , la Loi dit : a Quiconque injuriera »3 les Strogonofs , qui font des perfonnes diftinguées, leur payera »? cent roubles «. Une rcconnoiflàncc qui date de fi loin , fait un bel éloge du cœur d'Alexis. Il fe réferve le droit de prononcer fur les difpures 6c les injures qui pourront avoir lieu entre fes Boyari, fes Gouverneurs, fes Confei 11ers : la Loi dit que ceux qui les infulteront recevront le Knout , s'ils font de la première Clafte des Nobles; que ceux de la féconde Gaffe fubiront, outre cette peine , quinze jours de prifon , mais que tous paieront une amende proportionnée a l'offenfe. Enfin , la Loi ordonne aux plaignans , de fixer dans leurs requêtes leurs prétentions envers les offenfeurs, à définit de quoi, le Secrétaire ne fignera pas leurs requêtes, 6c leurs plaintes feront regardées comme non avenues. Nous bornerons là les détails du Code d'Alexis Mikaïlovitz: nous ne le donnons pas comme un chef-d'œuvre de Légiflation; mais il renferme plufieurs Loix qui feraient honneur aux Etats mêmes bien plus éclairés 6c plus civilifés que les Ruffcs ne feraient Se ne pouvoient l'être en 1650. Si en lifant la procédure criminelle , minclîc , on y gémit fur un refte de barbarie que l'ignorance accréditoit, foyons jufte , 8c difons que les procédures pour découvrir les coupables, offrent prcfque par-tout une Juftice affamée de fang, & qui cherche bien plus à trouver des coupables qu'à fauver l'innocence. Un reproche fondé que nous ferons à ce Code, c'eft le pouvoir tyrannique qu'il donne au mari fur fa femme : fous l'apparence de correction, il n*y a rien de fi barbare, qu'il ne puiffe impunément contr'clle. Nous n'avançons rien fans preuve. L'Hifloire rapporte qu'en 1661 un mari obligea fa femme à fc revêtir d'une chemife qu'il avoit trempée dans de l'cau-dc-vic, 8c qu'y ayant mis le feu, il la fit périr dans des tourmens affreux , fans que les Tribunaux ayent ofé l'inquiéter. La conduite des Tribunaux Ruflcs fut coupable dans cette circonftance : ils dévoient juget d'après l'cfprit d'une Loi dont la lettre étoit homicide : tyrannie 8c correélion ne font pas fynonymes. Beaucoup d'erreurs graves tiennent à l'abus des termes. Si les idées ont fait naître les mots, les mots ont à leur tour gouverné la penféc. Le Juge doit bien connoître la valeur des termes , pour ne pas s'en former des idées contraires à l'efprit focial , idées qui entraînent fouvent des opinions funeftes aux malheureux qui devroient trouver des protecteurs dans ceux qui les ruinent ou qui les immolent même fans le vouloir. Les Armoiries ont pris naiflanec fous le Tzar Alexis Mikaïlovitz : ceux des Princes qui portent l'aigle à une feule tête & un Ange d'argent, defeendent des Princes de Tchcrnigof ; ceux qui portent le canon , font ilfus de la branche de Smolensk ; 8c ceux qui ont fours debout, ont pour ancêtres les Princes de Jaroflavclc , &c. Tome ///. N REGNE DE FÉDOR ALEXIÉVITZ. Section première. S'il cft vrai qu'une fufpcnfion générale de la Juftice feroit un des plus redoutables fléaux dont lefpèce humaine pur être affligée, quelle fatisfa&ion pour un Prince âgé de dix-neuf ans, de trouver Tordre rétabli & les loix en vigueur, en montant fur le Trône de fon père 1 La Nature avoit donné à Fédor les qualités dont la réunion fait la gloire du Trône «Se la félicité des peuples i un efprit jufte «Se pénétrant, une amc élevée , un caractère ferme avec un coeur fcnfiblc : il ne manquoit à ce Prince qu'un corps fain , de malheureufeinent fa complexion foible le rendoit habituellement valétudinaire. Une pareille organifation rend l'homme incapable de former , de fuivre , d'exécuter les grands projets , même avec du génie Se un zèle aident pour le bien. Telle eft l'influence du phylïquc fur le moral, que pour faire de grandes chofes, l'homme doit avoir un bon efprit dans un corps fain. Mais fi les grandes entreprifes d'un Souverain, font celles qui ont la paix, l'ordre , la police , la civiliiation Se l'cm-bclliflemcnt d'un Etat pour objets & pour fui, fédor ne laiflà rien à regretter aux Ruflcs qu'un règne plus long : les jours de tranquillité que lui donnoit la paix, furent employés à La maintenir, afin de procurer à fon peuple les avantages dont il ctoit fufceptiblc. HISTOIRE DE RUSSIE. Section II. La paix dont jouiffoit la Ruilie faillit d'être troublée pour long-tems dès la féconde année du règne de Fédor. Les Tatars confédérés avec lesTurcs, vinrent affiégcr Tchiguirin, que les Kofaqucs Zaporoïski avoicnt cédé au Tzar Alexis Mikaïlovitz. Les Tatars furent défaits, mais les Turcs emportèrent la place , qu'ils refti-tuèrent enfuite par un Traité de paix conclu en 1681. Le Grand-Scigncur renonça a fes prétendus droits fur l'Ukraine ; tous les Kofaqucs furent reconnus indépendans fous la protection de la Ruilie. Les autres Traités qu'Alexis avoit faits avec la Suède & îa Pologne , furent ratifiés de nouveau, & fous ce règne , les Ruifcs n'eurent plus de guerres à foutenir : mais la Noblclfc de cet Empire en eut une avec fon Souverain , qui ne fut pas fan-glante : elle n'avoit pour objet que le bien de l'Etat, & c'eft fins doute la première & l'unique guerre en ce genre : nous en avons indiqué la caufe dans l'Hiftoirc de la Noblclfc de Ruilie ; fes effets exigent ici quelques détails. Section III. 1681. On a vu que l'ancienne Noblcflc occupoit les premiers grades civils & militaires : mais lorfqu'cllc cefla d'être jalon fe de fes prérogatives naturelles , & que les grands Vaffaux préférèrent une vie oifive a l'honneur de commander les Armées , ou d'exercer les premières charges de l'Etat ; alors de nouvelles familles s'élevèrent au préjudice des anciennes , & les étrangères fur-tout l'emportèrent fur les nationales. L'ancienneté &c la fitpériorité de la luiffanec devinrent contcftables : ceux qui occupoient les premiers emplois &: qUi fe tlgnaloient par des ferviecs rendus à l'Etat, obtinrent la confidération que l'on refufoit juftement à N ij ceux qui avoicnt facrifié leurs droits à l'orgueil de leur naiflance. C'eft ainlî que s'avilirent volontairement des Grands qui avoicnt rempli les premières places , ôc des familles dont les ancêtres avoient occupé le Trône. Dès ce moment, l'ancienneté des races n'entra plus pour rien dans les difputcs qui s'élevèrent à cet égard : l'égalité même de naiflance ne fut plus un titre pour fervir enfem-ble dans le même grade. Celui dont les aïeux avoicnt commandé aux ancêtres d'un autre, ne voulut plus être ni fon inférieur, ni fon égal, foit à la Cour , foit à l'Armée ou dans les Emplois civils. De - là des difputcs renaiffantes parmi les hommes d'un même état, d'un même rang , ôc parmi les branches d'une même tige. Ces difputcs néecilitèrent des actes de févérité de la part du. Souverain, ôc l'on voit dans le Journal de la Cour du Tzar Alexif Mikaïlovitz , que les Battogui , le Knout, la prifon, l'exil, la confifearion des biens, furent les peines infligées aux auteurs de ces conteitations, quand elles furent trouvées injuftes. Voici ce que dit à ce fujet l'Auteur de la Généalogie des Romanofs. » D'après la manière dont on penfoit alors en Ruilie, quelqu'un » d'une grande famille tenoit pour déshonneur de fe voir fous un » autre d'une naiflance inférieure à la tienne. On pouffa cet orgueil » fi loin , que des hommes du même rang ne vouloient jamais » dépendre l'un de l'autre, fi le père ou le grand-père du Général >jauquel le commandement étoit confié, avoit fervi autrefois m fous les ordres du père ou de l'aïeul de celui qui fc trouvoit » actuellement eu fous-ordre. Cette clifpute pour le rang, qu'on » appelle en langue Ruffe Meflnitchejlvo s fervit fou vent de prétexte « pour fe fouflrairc au fervicc militaire \ ôc cette vanité ridicule » des hommes a généalogie , leur faifoit rechercher avec foin les »? emplois qu'a voient exercés leurs aïeux : chaque famille s'en »î procuroit des extraits, auxquels elle avoit recours pour appuyer » les prétentions \ ôc c/eit de-là que les livres des degrés ( Rof- HISTOIRE DE RUSSIE. loi » riadnié Knigui ) tirent leur origine. Il étoit aifé d'appercevoir » combien ces difputes de familles étoient contraires au bien de m l'Etat dans les parties de l'Adminiflration ; mais le fervice mili-»5 taire en fouffroir plus que les autres ; prefque toutes les cam->s pagnes devenoient infruélueufcs. On reconnut enfin l'abfurdité » qu'il y avoit a confier le commandement d'une Armée à un » jeune étourdi fans expérience , parce que fon père ou fon » grand-père avoit été Général. On prit donc la fage réfolution » d'anéantir tout-à-coup les prérogatives des familles, &c de n'ac-» corder la prééminence qu'à ceux qui en (croient dignes par leur n mérite ôc par des ferviecs rendus à l'Etat. On effectua ce projet » dans un grand Confcil tenu à la Cour le 11 Janvier 16S2 7 époque » à laquelle on travailloit à complcttcr les livres généalogiques. «Les premières familles reçurent ordre de fe rendre au Palais , » d'apporter avec elles tous les titres , tous les extraits concernant » les généalogies ôc les rangs , fous prétexte de les ratifier ou d'y n ajouter ce qui pouvoit y manquer. Dès que le Tzar fur maître »j de ces titres , il affcmbla un Confcil, compofé du Patriarche , » des Prélats ôc de la haute Noblcfle , ÔC prononça un difeours » fur l'abus des prérogatives attachées à la feule naiflance. Le >3 Patriarche enfuite appuya fortement fur un abus qui avoit intro-»îduit les troubles, la diifeution , la haine parmi les Grands ôc w les Membres d'une même famille ; après avoir expofé les maux » qui en avoicnt été la fuite, il termina fon difeours en difant, » que la Providence qui rapporte tout au bonheur de l'humanité, » avoit inlpiré au Tzar, par la médiation de fon Saint Efprit, le n dedein augufte de féparcr le bien du mal ».....Les Membres du Confcil n'avoient pas d'autre parti à prendre que de fc cou-# former aux intentions du Souverain : ils fureur tous de lavis du Patriarche, 6c Le Tzar remercia Dieu de la difpofition dans laquelle il trouvoit, dit-il, les caurs Ôc les clpiits : il ordonna l'abolition ■ S des rangs héréditaires qui avoicnt nourri l'Orgueil , rompu les liens entre les Sujets, 6c croifc les entreprifes utiles au bien de l'Empire ; 6c pour en éteindre jufqu'au fouvenir, il fit brûler les regiftres fur la place du Palais. Lorfqu'ils furent réduits en cendres, le Patriarche prononça l'anathême contre tous ceux qui défapprouveroient un ordre il jufte 6c une action fi louable. » Cette action feule , dit le même Auteur , donr la Ruflic a >î retiré de fi grands avantages, fufflroit pour immortalifer la mé-» moire du Tzar Fédor Alexiévitz , fi ce Prince n'eût donne d'ail-«leurs des preuves d'une politique fage 6c profonde , 6c de fon » amour pour le bien de l'Etat. Mais en rendant juftice à ce bon » Prince , on ne fauroit pafler fous iilcncc la noble hardiefle du »j Miniftrc qui, pour rendre à fa patrie un férvice auili cifcnticl, » ne craignit point d'attaquer la haute Noblelfc par l'endroit le «plus fcnfiblc. On fait que ce Minillre étoit le PrinceVailli-Va-» filiévirz Golitfin. Dans l'Ordonnance publiée à ce fujet, il cft u dit cxprcftcmcnt que c'eft lui qui forma ce projet, 6c qui préféra «le bien public aux avantages de fa propre famille, Cependant » on ne doit pas préfumer que tous les titres de la haute Noblelfc, « 6c que tous les extraits des livres généalogiques aient été remis n entre les mains du Tzar, puifqu'on en trouve encore quclqucs-»uns entre celles des Particuliers, 6c qu'il yen a trois dans la »j Bibliothèque de l'Académie des Sciences de St-IVtcrsbourg ». Après ce coup d'Etat, Fédor fit inferirc les Nobles du premier rang dans un regiftre particulier, 6c inférer les noms de ceux qui n'étoient pas encore compris dans les anciens livres généalogiques : c'eft ce Prince qui le premier diftingua deux ordres de Noblelfc, 6c qui ordonna aux Nobles du premier rang de fervir dans les portes où ils feroient placés, (ans fe prévaloir à l'égard des autres, des grades & des emplois de leurs ancêtres. Cet acte de fermeté mérite fans contredit des éloges relativement au tems ôc aux conjonctures : dans un autre pays, dans d'autres circonstances 1 on ne pourroit le blâmer afïcz : en détruiiànt la Noble (Te, un Prince détruiroit le véritable appui de Ton Trône. L'opprobre brife tous les reflbrts de l'ame : mais auffi la corruption cil au combie, quand le pouvoir annoblit ce qui cft vil. Fédor fut prendre un jufte milieu enrre ces extrêmes : avant d'agir , il prit les avis du haut Clergé &: de la Noblcflc : tous répondirent, fait fait ainfique /'a 4'it le très-faint Patriarche. Quand un Souverain, ôc* fur-tout un Prince dcfpotiquc , ne veut agir que fous les yeux de fes Sujets, c'eft qu'il n'a que du bien à leur faire. Section IV. Fédor en eût fait beaucoup à la Ruftic, fi fon règne eût été plus long. Parmi un grand nombre de règlemens utiles , ce Prince en donna plufieurs concernant la police : il fit fermer les rues de Moskou pendant la nuit , établit des gardes qui veilloient à la fureté des Habitans. Pour avoir des chevaux propres à monter fa cavalerie, il établit des haras dans la pluparr des provinces , il y mit des chevaux de Prufle & de difTérens pays \ il fit venir des Ecuycrs pour apprendre à fes cavaliers a manier les chevaux a efeadronner, èV ne regretta jamais les dépenfes utiles. 11 lit détruire les bâtimens publies qui etoient conftruits en bois, £v eh lit élever de pierres ou de briques à leur place : il embellit Moskou cV quelques autres villes ; il don-noit des matériaux , & faifoit avancer de l'argent pour dix ans, aux particuliers dont les facultés ne permet toi eut pas de bâtir en briques. Il augmenta le nombre des Collèges qu'Alexis avoit fondes : il introduifit le plein chant dans les EgUfes , tk. ce fut fous fou régne que les Prédicateurs commencèrent à reciter de mémoire. Le premier qui iutroduiiit cet ulàge fut le Moine Siméon Polotskn, qui avoit été Précepteur du Prince, <3c dont nous avons fait connoîtrc les Ouvrages dans l'Hiftoirede la Littérature Ruffe, article 6 , page 59. On dit que pout réformer l'habit groilicr des Ruifcs , ce Prince prit l'habit Polonois , & engagea fes Courtifans à l'imiter. Enfin, le règne d'Alexis ôc celui de Fédor, traçoicnt la route &c applaniftbient beaucoup d'obftaclcs à Pierre L Fédor époufa en premières noces Agathe Sémenovna, fille de Groucheski, originaire de Pologne: il en eut un fils, qui mourut dans l'enfance, &c fa mère ne lui furvecut pas long-tems. Jafikof, fon favori, l'engagea à fe remarier : on dit qu'il avoit été gagné par la Princeffe Sophie , qui vouloit éloigner Pierre du Trône. Quoi qu'il en foit, Fédor époufa Marthe Apraxin, fille d'un Secrétaire d'Etat. Ce fecond mariage fut funefte au Prince, qui étoit malade lorfqu'il le contracta. Une fièvre lente acheva de miner fes forces; &c lorfqu'il sapperçut que fa fin approchoit, il nomma pour fon fucccifcur Pierre, qui n'étoit âgé que de dix ans, au préjudice de Jean , qui étoit l'aîné (1). Cette difpofition ctoit fage : la Nature avoit trop maltraité ce dernier , pour qu'il pût porter le fardeau de l'Empire, &: achever le bien qu'il avoit projette de faire a la Ruilie. Fédor mourut vers le milieu de l'année i6dt, regretté de tous ceux qui aimoient la patrie. (1) C'eft, fans doute, pour donner un démenti à M. de Voltaire qui a écrit l'Hifloire de l'Empire de Ruflîc fous Picrrc-Ic-Grand, d'après les Mémoires envoyés de Mo«loû Se de Péterslnuirg , que M. Lcvefque dit : » Le dernier Tzar étoit mon fans poftérité : » il avoit cru , fans doute, inutile de défigner fon fucccflcur, perfuadé que 1'tifagc afliiroit ■ la Couronne à Ivan, le plus âgé de fes deux fi&cs «. Pjgc 7 y, Tome IV. Voici ce qu'a dit M. de Voltaire. » Ftdor, avant d'expirer, voyant que fon frère Ivan, *» trop di[gracie1 de là nature , étoit incapable de régner, nomma pour héritier du Trône, » fou ikI frère Pierre, qui n'étoit âgé qu.0 de dix ans, & qui faifoit déjà concevoir de w grandes elpéranccs «, REGNE 77729061 RÈGNE D'IVAN ET DE PIERRE I. Section première. Après le règne tranquille de Fédor, qui avoit défignc Ton Aicccflcur, la Ruilie ne devoit pas s'attendre a une des plus fanglantcs révoltes dont THiftoirc fade mention , toute accoutumée qu'elle y étoit. Mais les grands changemens politiques, les adminiftrations vigoureufes & régulières, font prefquc toujours précédés par de violentes fecouffes. Sous l'apparence de l'équité Se du bien public, les proferiptions de Scylla ôc des Triumvirs de Rome vont fe renouvcllcr a Moskou, ôc la barbarie des Srrcltfi furpaftera celle des Janiflaircs ôc des Cardes Prétoriennes. Quel fut le principe de ces convulllons d'Etît? L'ambition démefurée d'une femme qui vouloir ufurper le pouvoir fuprême , ôc l'exercer fous le nom d'un Prince inepte. Section IL Pour fuivre le fil des intrigues de Sophie, il faut rappellcr au Lecteur, qu'Alexis laifla deux Princes Se fix Princcffes de fon premier mariage avec Marie, fille d'Iha Miîoflafski. C es Princes étoient Fédor Se Ivan. Sophie étoit une des fix Princcffes. Alexis avoir eu de Nathalie , fille de Cyrille Narichkin , Pierre Se la Princcffc Nathalie. Fédor mourut fans enfans; Se comme il dcfirou la profpérité de l'Etat, il préféra Pierre a Ivan pour régner Tome III, . O après lui, Se ce choix fut approuvé &c confirmé par les principaux Seigneurs de la Nation. A la mort de Fédor, Ivan étoit âgé de feize ans, 6c Pierre n'en avoit que dix. Ivan, difgracié de la Nature, étoit incapable de régner. La constitution vigoureufe de Pierre, fon caractère mâle &: actif, faifoient déjà concevoir de grandes cfpéranccs. Sophie, plus âgée que fes deux frères, avoit tout le feu des grandes pallions : douée d'un efprit aufïi fupérieur que dangereux, elle avoit le courage néceffaire pour entreprendre & pour fuivre les plus hardis projets. La Nature produit quelquefois, pour le malheur de leurs femblablcs, des êtres en qui elle réunit tous les talcns de l'elprit Sç tous les vices du cœur. Telle fur Sophie. Les femmes ambitieufes font toujours adroites ; & quoique leurs pallions foient plus vives que celles des hommes, elles font cependant plus cachées. Leur attention moins diflipéc fc fixe toute entière fur un objetCelles l'examinent dans le filcncc fous toutes les faces, découvrent tout ce qui l'environne, attendent le moment favorable pour agir, Se le faiiiifent a propos. Les fans-doute > les peut-être, Se le tortillage qu'emploie M. Lcvcfquc pour difculper cette Princcffc des crimes dont elle fut caufe, ne la jullifieront pas aux yeux de la Poftérité , que la fourberie & les grands crimes ne peuvent féduirCj la fourberie, par un air d'cfprit ; les grands crimes, par un air de grandeur. Les qualités brillantes qui jettent les fociétés dans le trouble , ne mériteront jamais nos refpcéts : les vertus qui font le bonheur de l'humanité , font les feules qui ont droit a notre hommage. Nous partons aux moyens que Sophie employa pour embraler la Capitale du feu de la fedirion. Section III. Peu de tems après les obsèques de Fédor, Sophie défapprouva hautement le choix qu'il avoit fait ; elle cria à l'injuilice , ôc foutint que c'étoit violer les droits du fang que d'arracher la Couronne à l'aîné des Princes, à THeritier préfomptif, pour la mettre fur la tetc d'un enfant, frère cadet du fuccclfcur légitime. Mais le vif intérêt qu'elle paroiflbit prendre au fort d'Ivan, n'étoit qu'un prétexte pour parvenir au Tronc. Iflu de la même mère qu'elle, Ivan lui étoit entièrement dévoué} Ôc comme il étoit incapable de gouverner par lui-même, Sophie eût régné fous fon nom, en faifant annullcr les dernières difpofitions de Fédor en faveur de Pierre. Le cara&èrc indépendant, l'aine grande ôc fière de ce Prince, ne promettoient pas à Sophie l'attachement, la docilité, la confiance aveugle qu'Ivan avoit pour elle. Ajoutons que fi Pierre régnoit fcul , Nathalie, fa mère , auroit toute fa confiance, ôc ne manqueroit pas de tenir les rênes de l'Etat pendant la minorité. Placée entre deux frères qui ne pouvoient gouverner, l'un par fon Incapacité reconnue, l'antre par fon enfance, Sophie voulut tirer parti de cette circonllancc unique. Ivan fournilfoit un nom fous lequel clic pouvoit régner elle-même ; elle s'occupa donc avec beaucoup d'ardeur de cette grande affaire. Elle confpira. Il eût été trop dangereux d'attaquer ouvertement un Souverain défigné, fur qui toute la nation avoit les yeux ouverts : Sophie étoit trop adroite pour commettre ectre faute politique ; elle prit des "détours, ôc mit en ufiigc tous les moyens dont l'ambition fc fert pour exécuter fes deifeinsj intrigues, ru fes, argent, promenés, calomnies, traînions , rien ne fut oublié. Elle comment.1 par mettre en oeuvre l'afccndant que donne la haute naiflance , Ôc plus encore les grâces, la beauté , l'éloquence des grandes pallions, pour féduire , attacher a fes intérêts, engager a la révolte les plus hardis &: les plus entreprenans des Strctlfi, dans l'elpoir de conduire facilement a l'on but les efprits une fois Oij I03 HISTOIRE DE RUSSIE, échauffes. Miîoflafski, oncle maternel de Sophie, ôc md'autres Grands qui ne valoient pas mieux , parvinrent a foulcver les Strcltfi, qui jurèrent la perte de la Tzarinc Douairière, de fa famille, Ôc de tous les Boyari qui leur étoient attachés. Les plus zélés pour la perfonne de Pierre furent aceufés par de faux témoins d'avoir empoifonné le Tzar Fédor d'autres fcélérars répandirent dans le public que les Narichkins avoicnt étranglé le Prince Ivan. Il n'en falloit pas tant pour engager a la révolte des Gardes qui joignoient à la férocité de leur état celle de la Nation, Ôc qui étoient payés pour détruire. Vingt mille Strcltfi fe raflcmblcnt, courent en armes au Palais des Tzars, ôc commencent par fc plaindre de neuf de leurs Colonels qui ne les avoicnt pas payés exactement. Ce début étoit néceffaire pour fc débarralfcr des Chefs qui auroient pu s'oppofer aux proferip-tions. On caffe les Colonels, ôc on donne à cette Milice barbare l'argent qu'elle demande. I lie n'eft pas encore contente ; clic exige qu'on lui livre les Colonels, Ôc les condamne , a la pluralité des voix, aux battogui, fupplicc qu'elle leur fait fubir dans le moment. Voltaire a décrit cette révolte avec la plus grande exactitude: on en fera convaincu en comparant ce qui luit, avec ce que Lomonozof fait dire a Picrre-lc-Grand dans fon Poème épique. » Tandis que les Strélitz commençoient ainfi à fc faire craindre, » la Princcfle Sophie, qui les animoit fous-main, pour les conduire de crime en cnmc, convoquoit chez elle une aflcmhléc m des Princcffes du Sang , des Généraux d'armée , des Boyards , du » Patriarche , des Evêqucs , &: même des principaux Marchanda • « elle leur repréfentoit que le Prince Ivan , par (on droit d'aîneftè ÔC par fon mérite, devoit avoir lT.mpirc, dont elle cfpéroit »cn fecret tenir les rênes. Au for tir de Falfcmblée , elle fait pu;.. » mettre aux Strélitz une augmentation de paie 6e des prélens. HISTOIRE DE RUSSIE. 109 »5 Ses émiflaircs excitent fur-tout la foldatefque contre la famille » des Nariskins, frères de la jeune Czarine Douairière, mère de » Pierre I. On perfuade aux Strélitz qu'un de fes frères, nommé » Jean, a pris la robe du Czar, qu'il s'eft mis fur le Trône , ôc » qu'il a voulu étouffer le Prince Ivan. On ajoute qu'un malheu-» reux Médecin Hollandois, nommé Daniel Vangad, a empoifonné >s le Czar Focdor. Enfin Sophie fait remettre entre leurs mains » une lifte de quarante Seigneurs qu'elle appelle leurs ennemis ôc » ceux de l'Etat, ôc qu'ils doivent maffacrer «. Jufqu'ici Voltaire. Ce récir eft tiré tout entier des Mémoires envoyés de Moskou ôc de Pctcrsbourg. C'eft au Lecteur à juger / Us fcntimtns renfermés dans le cœur de Sophie n'étoient pas criminels , comme M. Lcvcfque le dit, page 78, Tome IV. Section IV. Les Strcltfi retournent au Palais, Ôc demandent les traîtres ÔC les meurtriers du Tzar. En vain la Tzarine Douairière , les deux Princes ôc les Miniftrcs cherchent à calmer leur fureur; ils entrent dans le Palais, rencontrent Afanaci Narichkin ,' frère de Nathalie, ôc le jettent par les fenêtres : ceux qui font reftés dans la cour, le reçoivent fur la pointe de leurs piques. Plufieurs troupes de ces furieux fe répandent dans Moskou, forcent les portes d'une Eglifc voilinc du Palais, ou trois proferits s'étoient réfugiés; ils les arrachent de l'Autel ôc les aflâtlînent à coups de couteau. Leur rage étoit portée au point qu'elle leur avoit été toute elpècc de jugement. Ils voient palier un jeune Prince Dolgorouki, ôc non pas un Soltikof, conme on l'a dit ; ils le prennent pour Ivan Narichkin qu'ils cherchoienr, ÔC le mafiacrent iur-lc-champ. Pour comble d 1k.rieur, lorsqu'ils eurent reconnu leur meprife, ils portèrent le corps du jeune-homme à Georges Dolgorouki, fon père, pour le taire enterrer 5 ôc le père mal- II0 HISTOIRE DE RUSSIE, heureux, loin d'ofer fe plaindre, leur donna même des récompenfes pour lui avoir rapporté le corps palpitant de fon fils. Sa femme, fes filles Se répoufe du mort, en pleurs, lui reprochèrent fa ibibleife : Attendons le tems de la vengeance, leur dit le vieillard. Quelques Strcltfi entendent ces paroles; ils entrent furieux dans la chambre, le traînent par les cheveux ÔC regorgent à la porte de fa maifon. Si les Strcltfi exerçoient leur rage fur les perfonnes mêmes qu'ils aimoient Ôc qui n'étoient point fur la lifte des proferits , que ne dévoient pas craindre les victimes défignées par Sophie? Cette FrincciTe ambitieufe, intrépide, diiïimulée , publioit, ÔC vouloit qu'on crut qu'elle n'avoit aucune part à la révolte dont elle étoit l'objet. Son air de furprife ôc de mécontentement affecté entroient naturellement dans fon plan. Elle improuvoit l'effer-vcfcencc ôc les excès des Strcltfi , pour fe ménager, a rout événement, des cfpérances de conciliation, prévenir les rcfollirions extrêmes des partifans de la famille Narichkin, Se faire tourner a l'affermilfement de fon autorité, cette même entreprife qui fembloit laite pour la détruire. Après ces premiers attentats, les Strcltii vont chercher par-tout le Médecin Vangad ; ils rencontrent fon fils, lui demandent où cft fon père, ôc fallailinent parce qu'il l'ignore. Us trouvent un autre Médecin Allemand, lui difent : »Tu es Médecin; fi tu n'as « pas empoifonné le Tzar Fédor, tu en as empoifonné d'autres; k tu mérites bien la mort u-} ÔC ils le tuent. Fnfin ils trouvent le malheureux Vangad qui s'étoit déguifè en mendiant, «Se le traînent devant le Palais. Les Princcffes qui l'aimoient ÔC qui avoicnt confiance en lui, demandent fa grâce aux Strcltli, en les affinant qu'il eft bon Médecin , ÔC qu'il a bien traité leur frère fédor. Ils répondent, que non-feulement il mérite la mort comme Mé decin, mais comme forcicr, ôc qu'ils ont trouvé chez lui un énorme crapeau féché ôc une peau de ferpent. Loin de lui faire grâce, ils exigent encore qu'on leur livre Cyrille &c Ivan Narichkin, père Ôc fils, qu'ils cherchent en vain depuis deux,jours, ôc qu'ils croient cachés dans le Palais. Us menacent d'y mettre le feu fur-lc-champ, fi on refnfe de les livrer. La Tzarinc ôc les autres PrinceiTcs épouvantées vont dans le lieu oîr les Narichkins étoient cachés. Le Patriarche les accompagne : il donne rAbfolution , le Viatique ôc l'Extrêmc-Onétion aux deux Victimes; après quoi il prend une Image de la Vierge qui paffoit pour miraculcufc , s'avance aux Strcltfi, en leur montrant cette Image , ôc menant par la main le jeune Narichkin. Les Princcffes en larmes entourent le père ôc le fils, fe mettent a genoux devant les Soldats, les conjurent, au nom de la Vierge , d accorder la vie au père ôc au frère de la Tzarinc. Mais ces barbares les arrachent des mains des Princcffes , &: les trament au bas de l'efcalicr. Alors ils tiennent confcil , ôc condamnent le jeune Narichkin ôc le Hollandois Vangad a être haches en pièces ; c'efl un fupplicc ulité a la Chine ôc en Tatarie pour les parricides : on l'appelle le fupplicc des dix mille morceaux. Après avoir ainfi dépecé leurs victimes , ils expofent leurs têtes, leurs pieds Ôc leurs mains fur les pointes de fer d'une baluftradc. Cyrille Narichkin, témoin de ces fcènes d'horreurs, fut conduit dans un Monaftèrc, où les meurtriers de fon fils le forcèrent à prendre la tonfurc Monachale. Ces premières exécutions furent fuivics du maflacrc de tous ceux qui etoient fufpccts a Sophie , &:-odieux aux Strcltfi, Devenus, pour ainfi dire, maîtres abfolus des Princes ôc de l'Etat, ils proclamèrent Souverains les deux Princes Ivan ôc Pierre, en leur aflbciant Sophie en qualité de Régente. Section V. Le premier a&e d'autorité que fit Sophie, fut d'approuver tous les crimes Se de les récompcnfcr.Pour marquer fa reeonnoilfance envers les iaftrumens de fes proferiptions, Se fc les attacher dans la fuite, clic leur donna pour chef un f rince Ivan Kavanski qu'ils aimoient, fi toutefois les méchans peuvent aimer : elle confifqua les biens des proferits, Se les donna aux aifaiTins ; elle y ajouta de grandes fommes quelle tira du tréfor des Tzars ; elle leur permit même d'élever au milieu d'une place publique une colonne quar-rée, Se ce fut fur ce monument digne des Irèncs, des Frédcgon-des, des Brunehauts, qu'elle fit graver les noms de ceux que les Strcltfi avoient m adacre s comme traîtres a la patrie. Enfin , Sophie eut la hardiclTe de fandionner tous ces crimes, en donnant des Lettres Patentes, par lefquclles elle rcmercioit fes complices de leur zèle Se de leur fidélité. C'eft peut-être le plus grand fcandalç oui ait été donné au monde. RÉGENCE RÉGENCE DE SOPHIE. Sophie envoya des AmbalTadeurs dans les Cours étrangères pour les inftruire de la proclamation de fes frères Ôc dc-faCo-régence. Elle figna les lettres de créance conjointement avec eux, ôc jouit de tous les honneurs d'une Souveraine ; fon bufte fur les monnoies, la llgnature pour toutes les expéditions , la première place au Confcil, Ôc fur-tout la Puiffancc fuprême. Pour mieux l'appuyer, elle éleva le Prince Bafile Galitzin au plus haut degré d'honneur : elle le fit Généraliflimc des troupes, Adminiftrateur de l'Etat, Garde des Sceaux , ôcc. Ce Prince, fupérieur a tous les Rudes d'alors, n'étoit point au-dclfous de ces places ; &: il n'eft pas étonnant que Sophie, avec des pallions de toute cfpècc, ait aimé un homme d'Etat fi aimable ÔC fi digne d'une autre Mai-trclfc. L'éloge que fait de lui la Neuville , envoyé pour lors de Pologne en Ruilie, furpafte de beaucoup ce que les Hiftoricns ont dit du Comte d'Eftcx, favori de la Reine Elizabcth. Il cft a préfumer que Sophie, en donnant a Galitzin l'Adminiftration de l'Empire, Ôc tout ce qu'il auroit voulu conquérir, avoit pris des mefurcs pour s'alfurer l'exercice de cette autorité à laquelle elle facrifioit tout ; que ce Miniftrc abfolu pour les autres , n'étoit chargé que des affaires extérieures, ôc que fournis aux ordres de Sophie , il n'étoit que Namcftnik ou Lieutenant dans les Etats de fon Amante. Quoi qu'il en foit, la politique intérieure tira un grand parri de la politique extérieure. Galitzin débuta par mettre la réforme dans la milice: il envoya une partie des Strcltfi en Ukraine, à Kazan, en Sibérie, ôc l'Etat Tome III, p fur tranquille pendant quelque tems. Ivan végétoit \ Sophie ré-gnoit, & donnoit pour compagnons à Pierre I ceux quelle croyoit les plus capables de l'entraîner dans la debauche & la crapule, & de lui ôter l'idée du Gouvernement. C'étoit par-la que cette Princeffc infidieufe &: cruelle fc flattoit de le renverfer du Trône, ôc de le faire condamner à l'état de Moine. Voila les premiers exemples qu'eut Pierre I devant les yeux ; ÔC nous avons cru devoir mettre dans tout fon jour le caractère d'une Princcfte qui a joué un fi grand rôle au commencement du règne de ce Prince. Pour parvenir à faire dépofer Pierre I, Sophie réfolur de marier Ivan, cfpérant que s'il donnoit des Princes à 1 Etat, elle perpé-tucroit fon autorité fous la double minorité du père ôc des enfans. Elle ordonna aux Boyari de chercher ÔC de faire venir à Moskou les plus belles filles de Ruilie. Proskovie de Soltikof fut amenée de la Sibérie, où fon père commandoit, pour être préfentéc au Tzar. Sa beauté l'emporta fur les brigues de toutes fes rivales. Ivan l'époufaen 1684. Pendant que la Cour fe livroit aux divertiffemens occafionnts par le mariage du Souverain , les Strcltfi excitèrenr de nouveaux troubles : ce fut la Religion qui les fit naître. Le Prince Kavanski, Chef des Strcltfi, profita de la conjoncture pour fe venger de Sophie. C'étoit lui qui, dans le premier Soulèvement, l'avoit élevée au point de grandeur où clic étoit parvenue, dans lcfpérancc de partager la puiffancc avec clic. Mais lorfqu'il la vit éprife du Prince Galitzin, ôc que celui-ci fut fait Généralifiimc , premier Miniftrc , ôc Lieutenant des Princes a Novogorod , il fc livra à tous les tranfports de la jaloufic ôc de la fureur. On l'accufc d'avoir formé le projet de maffacrer ôc les deux Tzars, ôc Sophie, &: les autres Princcffes ôc généralement tout ce qui étoit attaché a la famille Tzaricnne. Quoi qu'il en foit de ce projet atroce , dont l'exécution paroît impolliblc, il cft certain que Ton afficha aux portes du Palais un HISTOIRE DE RUSSIE. uj placard, qui annoncent ce prétendu projet de Kavanski, de fon fils Ôc des Strcltfi. Ce placard, qui révèle une confpiration que le fecret feul pou voit faire réuffir ,paroît détruire l'açcufation même : il eft vrai cependant que lorfque Kavanski vit les Streltfi armés les uns contre les autres pour foutenir le parti de l'Archiprêtre Abakum, dont Rafpop étoit le chef, ce Prince prit le parti de ceux qu'on perfécutoit, ôc qu'il y fît entrer plufieurs citoyens ôc plufieurs foldats. On alla promptement avertir la Régente & les deux Tzars de la conduite de Kavanski. Sophie ne trembla que pour fon autorité : ce fut pour la défendre contre les entreprifes de Kavanski, qu'elle fe retira avec les Tzars ôc les Princcftcs au Couvent de la Trinité, Couvent entouré de larges folTés Ôc de remparts de brique, garnis d'artillerie. Dès que Sophie fut en fureté, elle négocia avec Kavanski, l'engagea a venir la trouver avec fon fils ; Ôc dès qu'elle les eut attirés a moitié chemin, ils furent arrêtés Ôc décapités, ainfi que le détachement des Gardes qui les accompagnoir. A cette nouvelle, le corps entier des Streltfi s'apprête à marcher en armes au Couvent de la Trinité , Ôc menace de mettre tout à feu ôc à fang : la famille Tzaricnnc fc forrific à Troïski ; les Boyari, avertis du danger auquel clic cft expofée , arment leurs Sujets; tous les Gentilshommes accourent ; une guerre civile alloit commencer. Le Patriarche fc jette au milieu des Strcltfi , leur rappelle ce qu'ils doivent a Dieu , à leur Patrie, à leurs Souverains. Son difeours Ôc les troupes qui venoient contre eux de tous côtés, les intimident; ils paftent tout-a-coup de la fureur à la crainte, ôc la crainte les conduit au repentir. 11 n'eft plus queftion de la vengeance des Kavanski ôc des Streltfi ; cette Milice coupable fe juge elle-même Ôc fe condamne à la mort. Les Mémoires envoyés de Pétcrsbourg a Voltaire, Ôc les Hiftoricns Ruflcs difent, que Pij près de quatre mille Strcltii , fuivis de leurs femmes Se de leurs enfans, fe mirent une corde au cou, Se marchèrent en cet état au Couvent de la Trinité , que trois jours auparavant ils vou-loicnt réduire en cendres. Us fe rendirent devant le Monaftère, portant avec eux les inftrumens de leur fupphce ; mais leur redoutable Chef iVétoit plus , &: le Patriarche implora Se obtint leur grâce ; les plus opiniâtres dans la révolte furent punis ; les autres s'en retournèrent a Moskou en bénitfant leurs Maîtres. Dès que les troubles furent appaifés, le Prince Galitzin s'occupa des moyens propres à contenir une Milice toujours prête, fans le favoir, a fc révolter a la première occafion. De fon côté , Sophie qui manioit les rênes du Gouvernement, tenoit Pierre en tutelle, abandonnant Ivan a fon incapacité. Les circonitanccs la fervirent bien. L'Empereur Rodolphe avoit bcfoin d'une divcrfïon de la parr des Rulfes , pour détacher les Tatars de Krimée du parti des Turcs, Se comme les Tatars venoient de ravager la Pod-liachic Se la Volinic qui appartenaient a la Pologne , Léopold mit a profit cette conjoncture, pour engager les Polonois a négocier avec lui l'alliance des Rulfes contre les Tatars Se les Turcs. Le Général Gordon, attaché depuis le règne d'Alexis au fervicc de Ruilie , fut chargé de cette double négociation. Le Prince Galitzin lui permit de faire entrevoir aux Cours intéreffées a la conclusion de ce Traité offcnfif Se défcnfif, que la Rufïïe pour-roit y accéder , fi la Pologne, long-rems fa rivale, renonçoit à fes prétentions fur l'Ukraine &e fur les Provinces de Smolensk Se de Tchernigof. La Pologne y renonça a perpétuité , par un Traité conclu le <; Mai 16U. C'eft ainfi que la Ruilie, toujours refterrée du côté de la Suède , s'étendit a volonté du côté de la Pologne. Ses méfintclligencesavcc la Chine pour les frontières, pouvoient finir fans répandre du fang ; mais il n'en étoit pas de même de fes différends avec les Tatars de Krimée ; il avoit fallu acheter deux la paix, par un tribut annuel de foixante mille roubles ; ôc ce fut pour s'affranchir ôc fe venger de la honte d'un tel tribut, que le Géné-ralillimc Galitzin réfolut daller lui-même en Krimée, à la rête d'une armée nombreufe, en 1687. A cette époque , Pierre I étoit âgé de 14 ans, ôc Sophie ne voyoit qu'avec dépit le développement du génie ôc des talcns de ce Prince , malgré l'ignorance dans laquelle on le faifoit élever, ôc la débauche dans laquelle on l'entrainoit pour énerver à-la-fois fa fimté ôc fes forces, les organes phyfiqucs Ôc intellectuels. Souvent ce Prince s'arrachoit lui-même du fein des plaifirs pour fe livrer a l'étude de l'Art militaire. Sa mère , 6v: les Boyari attachés à fa perfonne, trouvèrent mauvais que Sophie ôc Galitzin enflent conclu un Traité pour vingt années avec la Porte Ottomane, Traité que la Ruilie ne pouvoit enfreindre qu'en violant la foi du ferment. Pierre s'en plaignit, ôc défapprouva la guerre qu'on alloit entreprendre contre les Tatars. Ses plaintes furent inutiles ; la guerre eut lieu, Ôc le jeune Souverain n'en devint que plus odieux à Sophie. Malgré le dclfcin de captiver toujours le coeur de Sophie , Galitzin, plus homme d'Etat que Général, ambitionna l'honneur dangereux de commander une armée que l'on porte a plus de deux cents mille hommes: il n'en falloir pas tant pour faire échouer l'cntrcprife fur la Krimée. Le Kan informé de la marche des Ruifcs, fit enlever tous les vivres qui fc trouvoient fur la route de Pérékop, ôc mettre lç feu aux vaftes pairie, d'une contrée, où l'ardeur du folcil defsèche Ôc enflamme fouvent l'herbe, les plantes ligneufes ôc les arbufles , dans une étendue immenfe ; ôc la plus grande partie de l'armée Ruflc conçoit en cavalerie Kofiquc. On fc trouva bientôt (ans vicies pour les hommes, fans fourrages pour les chevaux. La fatigue , la foif ôc la faim avoicnt déjà dé- truit un grand nombre d'hommes Ôc d'animaux, lorfque Galitzin parvint dans les déferts arrofés par la Samara. On dit que Galitzin employa trente mille hommes à bâtir fur la rive une Ville qui pût fcrvrr d'entrepôt pour la campagne prochaine ; qu'elle fut achevée en trois mois l'année fuivanre, toute de bois , à la vérité, avec deux maifons de briques Ôc des remparts de gazon, mats munie d'artillerie & en état de défenfe. C'cil:, dit Voltaire , tout ce qui fe fit de fingulier dans cette expédition ruineufe. Il auroit pu ajouter, qu'au retour du Généralillime , Sophie donna des fêtes, diftribua des récompenfes aux Généraux, de l'argent aux Soldats, ÔC fit frapper une médaille pour célébrer les exploits de fon Amant, ôc perpétuer le fouvenir de fes prétendus fuccès en Krimée. Si la politique fc trompe elle-même, doit-on s'étonner qu'elle cherche il fou vent à tromper les aurres? Mais Sophie ne pouvoit en impofer aux Rulfes fur l'expédition contre la Krimée ; ils favoient qu'on avoit facrifié beaucoup d'hommes ôc d'argent pour cette campagne infruétueufe : ce fut auili pour exeufer Galitzin que Sophie fit tomber la honte de cette expédition fur Ivan Samoïlovitz, Hctman des Kofaqucs, On l'accufa d'avoir des intelligences avec les Tatars, Ôc mis le feu dans les déferts de la Krimée. On donna ordre de l'arrêter avec fon fils, Ôc de les envoyer a Moskou pour y être jugés ; il fut dépofé , ôc on nomma Mazcppa a fa place. Pierre I , indigné des honneurs gratuits que l'on rendoit à Galitzin, voulut ailifter au Confcil d'Btat, ôc prefider aux délibérations. Mais il n'étoit pas le plus fort : il ne put empêcher Galitzin de commander l'armée dans la féconde campagne , qui ne fut pas plus heureufe que la première. Après une bataille in-déciic ôc meurtrière, Galitzin fut obligé de battre en retraite ; il revint à Moskou avec la fierté d'un vainqueur ; mais il ne fut applaudi que de fes partifans. Sophie força Pierre I a l'admettre parmi ceux qui lui faifoient la Cour : Pierre le reçur, en joignant le mépris aux reproches ; ôc ce mauvais accueil excita la fureur de Sophie, au point d'étouffer en elle les fentimens de la Nature, pour être toute à fa vengeance. Egalement aveuglée pat l'amour ôc par l'ambition, elle conçut le projet abominable de fe défaire de l'objet de fon inquiétude ôc de fa jaloufie, ôc de s'élever à fa place fur le Trône avec le Prince fon favori. Elle trouva fans peine un complice dans fon Amant ; Ôc l'un ôc l'autre féduifirent aifément Schéglovïtoi 3 chef des Streltfi, qui tenoit d'eux fon rang ôc fa fortune, ôc qui fc chargea du régicide. Voici comment Voltaire abrège les détails de cette conjuration. « Les Mémoires feercts que la Cour de Ruilie m'a confiés, « affinent que le parti étoit pris de tuer Pierre I : le coup alloit » être porté, ôc la Ruilie étoit privée pour jamais de la nouvelle « exiftenec qu'elle a reçue depuis. Le Tzar fut encore obligé de m fe fauver au Couvent de la Trinité, refuge ordinaire de la Cour «menacée de la foldatcfquc. La il convoque les Boyardjde fon » parti, affemblc une Milice, fait parler aux Capitaines des Stré-»î litz , appelle à lui quelques Allemands établis dans Moskou » depuis long-tems, tous attachés à fa perfonne, parce qu'il favo-» rifoit déjà les Etrangers. Sophie ôc Ivan reliés dans Moskou , >3 conjurèrent le corps des Strélitz de leur demeurer fidèles; mais » la caufe de Pierre qui fe plaint d'un attentat médité contre la >5 perfonne ôc contre fa mère , l'emporte fur celle dune Princcffc » ôc d un Tzar, dont le feul afpcér éloignoit tous les cœurs. Tous » les complices furent punis avec une févérité à laquelle le pays >5 étoit alors aufii accoutumé qu'aux attentats; quelques-uns furent «décapités» après avoir éprouvé le fupplicc du Knout ou des » Battogks. Le chef des Strélitz périt de cette manière: on coupa « la langue a d'autres qu'on foupçonnoit. Le Prince Galitzin qui » avoit un parent auprès du Tzar Pierre, obtint la vie ; mais » dépouillé de tous fes biens, il fut relégué fur le chemin d'Ar->s changcl. La Neuville préfcnt à. toute cette cataftrophc, dit qu'on >î prononça la Sentence à Galitzin en ces termes : // t'efi ordonné » par le très-Clément T\ar de te rendre à Karga , Ville fous le Pôle , & »j d'y refier U rejle de tes jours ; la bonté extrême de Sa Majefié t'accorde » trois fols par jour c«. M. de Voltaire obferve qu'il n'y a point de Ville fous le Pôle : nKarga, dît-il, eft au foixante-deuxième degré de latitude, fix » degrés & demi feulement plus au nord que Moskou. Celui qui w auroit prononcé cette Sentence eût été mauvais Géographe : on >î prétend que la Neuville a été trompé par un rapport infidèle «. Galitzin fut relégué avec fa femme fes enfans a Kargapol (i), &; transféré enfuite à Pouftozcrskoï ; il y mourut après 24 ans d'un exil rigoureux. Sophie , dépofée de la Régence , fut condamnée à être enfermée dans un Monaftèrc qu'elle avoit fait bâtir aux environs de Moskou. De çc moment Pierre régna : Ivan n'eut d'autre part au Gouvernement , que celle de voir fon nom dans les a&cs publics : il mena une vie privée , &c mourut en 1696. (1) Kargapol cft une petite ville de commerce bâtie près de l'endroit où l'Onega fort ..su lac Latché, au <>i« degré 19 minute» de latitude, ■ HISTOIRE & - fffgB- ■-------------!-----—g %--- *gS" = % HISTOIRE PHYSIQUE, MORALE, CIVILE ET POLITIQUE de la RUSSIE ANCIENNE. livre dixième. REGNE DE PIERRE ALEXIÉVITZ, PREMIER EMPEREUR DE RUSSIE. Commencement de la grande Réforme. m S t c t i o n p r b m i è r e, T °Us les règnes des defeendans de Rourik n'ont pas été dénies: il a paru de rems en tems quelques hommes faits pour s'élever au-deuus de la fphère commune des Princes qui formenr cette Tome III, q m, HISTOIRE DE RUSSIE. Dynaftie. Mais nés fous un ciel rigoureux, dans une contrée étrangère aux Sciences ôc aux Arts, ils n'avoient fous les yeux aucun exemple qui développât le germe de leurs talcns ; ils n'ont pu vaincre les obftacles-que leur oppoioient la nature du climat, le caraclèrc de leurs fujets, les préjugés de l'ignorance ôc de la fu-perftition. Toujours aftujettis aux circonftanccs , ils n'ont jette que de foibîcs lueurs qui fe font perdues au milieu des vaftes ôc profondes ténèbres qui couvraient un pays barbare. En inftruifant des difficultés vaincues , on apprécie mieux le mérite des grands hommes qui les ont furmontées;&: ce triomphe étoit réfervé au plus grand Prince de la dynaftie des Romanof, qui s'eft conftamincnt occupée de réformes ôc d'améliorations. Mais la çivilifation eft l'ouvrage des fiècles : les projets d'Alexis ôc de Théodore périrent avec eux. Eh ! comment des innovations utiles aurorcnt-elles pu fubfiftcr avec l'cfprit deftruefeur ôc les moeurs fauvages de la Nation ? Le défaut de culture anéantit prcfqu aufti - tôt les femenecs étrangères des talcns ôc de lin-duihic , qui avoicnt été tranfportés à grands frais dans un climat glacé. Ainfi les règnes d'Alexis &: de Théodore ne firent que préparer ÔC annoncer celui de Pierre I. En montant fur le Trône, il trouva la Rufïïc privée des Sciences &: des Arts qui éclairoient ôc cmbclliftbient le refte de l'Europe. Elle avoit befoin d'un créateur qui jettât dans fon fein les fon-démens d'un nouvel Empire ; clic avoit befoin d'un Prométhéc qui allumât ôc nourrît le feu des Arts dans un fol ingrat; elle avoit befoin de nouvelles mœurs, de nouvelles Loix; il lui falloir un Réformateur ôc un Légiflatcur : les troupes fuis ordre ôc fans difeiplinc dévoient être fourni fes aux règles d'une favante Tactique, ôc formées a la vicloirc par leurs défaites : fcl mers prcfque défertes dévoient fe couvrir de vailïcaux, Ôc leur conf-trucîion étoit ignorée : il falloit donc que le Créateur Ôc le HISTOIRE DE RUSSIE. m Prométhéc qui vouloir changer la face du Gouverncmenr 8c policcr fes fujets, en leur donnant l'exemple , fe fournît le premier aux épteuves longues 8c fatiguantes d'une difeipline févère, qu'il apprît à conftruire des vaiffeaux , qu'il fût guerrier , marin, politique habile pour affurer les fondemens de fa puiifancc, 8c la faire refpcctcr de fes voifins. Un feul homme devoit produire cette étonnante révolution. On auroit peine à le croire, il Pierre I n'étoit pas le fcul des Légiiîatcurs du monde dont l'Hiftoirc foit bien connue. Mais nous avons ici l'avantage d'écrire des faits qui fc font pâlies, pour ainfi dire , de nos jours, 8c que perfonne ne peut conrefter. Section II. Il falloit bien que la nature eût formé Pierre I pour être le Créateur, le Réformateur, le Légillatcur de fon Empire, puif-qu'en montant fur le Trône , il remit que la çivilifation étoit fon ouvrage , 8c fir lui-même fon éducation. Il s'en falloit beaucoup que celle qu'il avoit reçue cûr été digne de fon génie. Sophie avoit fait tous fes efforts pour l'étouffer. Son intérêt étoit de le laiifer dans l'ignorance, 8c de l'abandonner aux excès que la jeunefle , l'oifivcré , la coutume 8c fon rang ne rendoient que trop permis. Heureusement que ce Prince avoit un tempérament robuflc, qui le rendoit propre a tous les exercices, à tous les travaux. Sa taille étoit avantageufe 8c bien formée, fa figure mâle 8c noble , & l'énergie de fon amc fc peignoit dans fes yeux. En fuppofant que ce Prince eût puife fes idées de réforme «ans fes entretiens fréquensavec des étrangers , on fera forcé de convenir qn il falloit a Pierre I le fonds de tous les vrais talcns, un cfpnt jufte > unc conception aiféc, une hardiefic , une fermeté 8c unc activité furprenantes , pour fentir la néecilité 8c Q ij futilité des confeijs qu'il demandent, ou que lui donnoient des étrangers , fes favoris. L'obfervation cft fi vraie, qu'un projet dont la feule idée eût effrayé les ames communes, ne l'arrêta pas : la jufteffe de fon efprit étoit mêlée d'une inquiétude qui le portoit à tout entreprendre Se a tout faire. Pierre I poftedoit encore deux qualités éminentes dans un Prince ; un grand amour de la Juftice, & un taft afluré pour juger les hommes, & diftinguer ceux en qui il devoit mettre fa confiance. Section III. Pierre étoit récemment marié : la groffelTe de la Tzarinc Pros-kovia, époufe d'Ivan , avoit accéléré fon mariage avec la fille du Colonel Fédor Abramitz Lapoukin \ mais les liens du mariage ne le retinrent pas aiTcz : il étoit jeune, dit Voltaire, &: n'avoir eu , pendant quelque tems, d'autre prérogative du Trône que celle de fe livrer à fes plaifirs. Sa conduite ne rit pas augurer qu'il feroit un Réformateur \ cependant malgré les mauvais exemples, & même malgré les plaifirs , il s'appliquoit a l'Art Militaire Où à la fcicncc du Gouvernement : de telles occupations , malgré les penchans de fa jcunclfe , dévoient faire recon-noître en lui le germe d'un grand homme. Ce Prince étoir failî d'un effroi machinal qui alloit jufqrfà la fucur froide 6c a des convulfions quand il falloit palfer un ruilfeau ; on ne s'attendoit pas qu'il deviendroit un jour le meilleur homme de mer dans le Septentrion. A quatorze ans il commença par dompter la nature , en fe jettant dans l'eau , malgré fon horreur pour ccr élément ; l'avertion ic changea même en goût dominant : rant il cft vrai que l'homme peut tout fur lui-même quand il a de l'énergie dans le caractère ! Le ièul \icc que Pierre I n'ait pu corriger en lui, U qu'il conferva toute iâ vie , c'eft une dureté dans le caractère qui alla quelquefois jufqu'à la cruauté. Cela prouve que le vice de la première éducation ôc le pouvoir de l'exemple forment, pour ainfi dire, une féconde nature, plus impérieufe que la première. Il faut en conclure que fi ce Prince avoit des vertus qui l'élevoient au-deffus des autres hommes, il avoit auili des vices qui l'en rapprochoient. Telles étoient fes difpofitions phyfiques Ôc morales. Voltaire a peint le Héros ; cette grande tâche étoit digne de lui : la nôtre cft de faire bien connoitre l'homme. Ainfi , en réunifiant les traits du premier à ceux du fécond , il reliera peu de chofes à defircr fur IHiftoire d'un Prince fi extraordinaire. Nous indiquerons par des guillemets les traits que nous emprunterons de Voltaire. Section IV. Pierre fentit bientôt qu'il avoit été élevé dans l'ignorance, ôc il s'appliqua â réparer ce défaut. Il apprit, prcfque fans Maîtres , allez d'Allemand ôc de Hollandois pour s'expliquer ôc pour écrire intelligiblement dans ces deux Langues; car il rouloit déjà dans fon efprit le deîfcin d'appcllcr les Arts dans la Capitale de fon Empire. » Les Allemands" & les Hollandois étoient pour » lui les peuples les plus polis ; puifquc les uns exerçoient déjà >j dans Moskou unc partie des Arts qu'il vouloit faire naître, ôc »s les autres cxcclloicnt dans la marine, qu'il regardoit déjà comme >î l'Art le plus néccflâirc et. Mais les Arts font enfuis de la paix , ôc Pi erre avoit toujours des frétions â craindre , l'humeur turbulente des Streltfi â réprimer , & une guerre prcfque continuelle à foutenir contre les Tatars de la Krimée , guerre qui finit en 1689 par une trêve qui dura peu de tems. « C'eft dans cet intervalle w que ce Prince fc fortifia dans la réïblution d'appcller les Arts «dans fa Patrie. Son père Alexis avoit eu déjà les mêmes vues; » mais m \à fortune, ni le tems ne le fécondèrent : il tranfmit » fon génie a fon fils, mais plus développé , plus vigoureux, plus » opiniâtre dans les difficultés Prefque tous les grands hommes fe font formés d'eux-mêmes. Les occupations de l'enfance & de la première jeunelfe de Pierre I, pendant la Régence de .Sophie, prouvent cette vérité de la manière la plus convaincante. Ce Prince avoit pris d'affedion un Bourg voiim de Moskou , fitué fur la rive de Plaouz, & appelle Préo-bagensko : il s'y rendoir fouvent, parce qu'il y jouilfoit de la liberté avec les fils des Boyari attachés à fa maifon. Ce fut-la , Se au milieu des amufemens de fon enfance, qu'il fit fes premières tentatives pour former des troupes de ceux mêmes que les Ruifcs appelloient Poteschniki , les Divertiffeurs. La Cour s'amufoit de ces exercices Militaires \ Se fi Sophie eût foupçonné ces jeux de l'enfance d'être ferieux , ils euffent pu être funeftes à leur inventeur : mais elle les trouvoit bons jufqu'a CC qu'elle coupât l'arbre pour en cueillir le fruit : on a vu plus haut qu'elle en avoit formé le projet. Section V. Cette gymnafliquc guerrière étoit, pour le jeune Prince, un plaifir toujours nouveau : un Etranger venu a Moskou , du tems d'Alexis, fut lui rendre ce plaifir plus inftructif Se plus piquant; c'efl ce célèbre Le Fort, d'une noble Se ancienne famille de Piémont, établie depuis près de deux fiècles a Genève, où elle a occupé les premiers emplois. On voulut élever Le Fort dans le négoce ; mais fon génie qui le portoît â de plus grandes chofes, lui fit abandonner la maifon paternelle dès l'âge de quatorze ans. L'état Militaire étoit fon penchant naturel, fa pafïion dominante. Il fervit quatre mois en qualité de cadet dans la citadelle de Marfeille. De la il pafla en Hollande , fervit quelque tems volontaire , Se fut bleue au fiége de Grave fur la Meule, Ville allez forte que le Prince d'Orange, depuis Roi d'Angleterre, reprit fur Louis XIV en 1674. Il s'embarqua enfuite avec un Colonel Allemand, nommé Verftin , qui avoir reçu du Tzar Alexis, père de Pierre, unc commiflion de lever des ibldats dans les Pays-Bas, ôc de les amener au port d'Arcangcl. Lorfqu'ils y arrivèrent, Alexis n'étoit plus , le Gouvernement avoit changé. Vcrftin, Le Fort ôc les Soldats reftèrent^dans la plus grande misère. Ils fe plaignirent, Ôc le Gouverneur les menaça de les envoyer au fond de la Sibérie ; chacun fe fauva comme il put. Le Fort , manquant de tout, alla a. Moskou , ôc fe préfenta à de Horn, Réildcnt de Danemarck, qui le fit fon Secrétaire. Il y apprit la langue Rulfe. Quelque tems après, il trouva le moyen d'être préfenté au Tzar Pierre qui le goûta , ôc lui donna d'abord unc Compagnie d'Infanterie. » A peine Le Fort avoit-il fervi, il n'étoit point favant, il n'avoit étudié a fond aucun Art, mais il avoit beaucoup vu avec le talent de bien voir ; fa conformité avec le Tzar étoit de devoir tout a fon génie; il favoit d'ailleurs le Hollandois ôc l'Allemand que Pierre apprenoit , comme les langues des deux Nations qui pouvoient être utiles â fes dclfcins. Tout le rendit agréable à Pierre ; il s'attacha à lui ; les plaifirs commencèrent la faveur , & les talcns de Le Fort la confirmèrent. Il fut confident du plus dangereux delfcm que pût former un Tzar , celui de fe mettre en état de caffer un jour fans péril la milice féditieufe ôc barbare des Streltfi. Il en avoit coûté la vie au grand Sultan ou Padislu Ofman pour avoir voulu reformer les Janiflaircs. Pierre, rout jeune qu'il étoit, s'y prit avec plus d'adrelfe quOfman, Ôc réunit» Il forma dans fa maifon de campagne une compagnie de cinquante de fes plus jeunes domeiliques; quelques enfans de Boyari furent choiiis pour en être Ofliciers : pour apprendre à ces jeunes gens unc fubordination qui leur étoit inconnue, il les fit palier par tous les grades, ôc lui-même en donna l'exemple , fervant d'abord comme Tambour, enfuite comme Soldat, Sergent , Lieutenant. Cette conduite extraordinaire empêchoit les jeunes Boyari de murmurer, ôc leur apprenoit â commander, en leur apprenant à obéir. Ils mirent bientôt de la rivalité a être les compagnons de guerre du Tzar. Sophie & toute la Cour rioient de ces exercices ; les Strcltfi même s'amufoient d'un jcii qui étoit le prélude de leur perte. Cette Compagnie fut bientôt nombreufe, Ôc devint un des Régimens des Gardes en 1690. Il fut appelle Préobragcnski> nom du Bourg où il fut créé. Ce régiment compofé de plufieurs bataillons, en produisît un autre que Pierre nomma Scménofski. Telle fut la première école de la difeiplinc militaire des Ruifcs. Section VI. Dans la même année , le Tzar fit propofer en Hollande , en Angleterre, a Genève, des récompenfes confidérablcs aux Officiers qui voudroient pafler à fon fervicc. L'cfpoir de finie fortune, &: la iingularité du fpc&aclc que donnoit un Dcfpotc de fon zèle ôc de fi docilité , attirèrent a Moskou un grand nombre d'Etrangers dans le Régiment que commandoit Le Fort , ôc dont le Tzar étoit Soldat. On leva plufieurs Compagnies de troupes Ruflcs, qui furent habillées ôc exercées comme les troupes Allemandes. Le Régiment de Le Fort devint unc Armée de douze mille hommes. Cinq Colonels forent établis fous lui \ ôc il fut élevé au grade de General. Le Tzar avoit préludé pu des marches ôc des évolutions, les fiéges, les combats, vont rendre ces amufemens plus féricux: Pierre veut qu'ils apprennent l'Art de la goerte â lès Sujets, ÔC qu'ils forment des Soldats ôc des Officiers. Un Ecolfois, nommé Cordon , formoit en même-tcins un Régiment de cinq mille hommes, ôc compofé prcfque tout entier d'Etrangers. Dans cet état des choies, lierre voulut voir HISTOIRE DE RUSSIE. voir une image de la guerre , un de ces camps, dont l'ufage com-mençoit à s introduire en Europe en tems de paix. On conftruifit un fort qu'une partie de fes nouvelles troupes devoit défendre , Se que l'autre devoit attaquer. La différence entre ce camp Se les autres, fut qu'au lieu de l'image d'un combat, on donna un combat réel, dans lequel il y eut des foldats de tués &e beaucoup de blclfés. Le Fort qui commandoit l'attaque reçut une blcffure confidérable ; la Place fut prife d'affaut. Le Tzar logea fon Ami &e fon Général plus magnifiquement qu'il ne F étoit lui-même. Il lui fit conftruire un Palais dans un goût moderne, voulanr, par cette diftindion, lui témoigner fon eftime Se fit rcconnoilTancc, Se en même-rems donner aux Seigneurs Ruflcs le modèle d'une bonne architecture, Se leur infpircr du goût pour les Arts étrangers. Section VIL En rcmpliflTant avec exactitude toutes les fondions des grades fubalrcrncs auxquels le Tzar s'atfujcttilfoit, il ne négligeoit aucun des devoirs de la fouveraineté : les fêtes guerrières étoient les délaflcmcns des foins qu'il fc donnoit pour la Marine Se pour mettre l'ordre dans les Finances, qu'il regardoit comme la fourec des avantages &: du bonheur public Se particulier : en procurant l'abondance a fil famille, un père économe devient le bienfaitcur dc la patrie. Il avoit fait Le Fort Général de terre fans qu'il eût encore commandé, il le fit Amiral fins qu'il eût jamais conduit un vaifleau ; mais il le voyoit digne de l'un Se de l'autre : il devi-noit les hommes. Tous deux réformoient peu-à-peu ce grand abus militaire qui habilita long-tcms en Europe , fous le Gouvernement féodal, où l'on voyoit des armées tumultuaircmcnt amallees , mal équipées, mal armées Se jamais difeiplinées. Les Tatars de Krimée renouvclloicnt fans celle leurs hoitilités Tome III, . R i3o HISTOIRE DE RUSSIE, contre la Ruflic : pour les tenir en refpcd, l'Amiral Le Fort fît conftruire par des Hollandois ôc des Vénitiens des barques longues, ôc même deux vaifteaux d'environ trente pièces de canon, à l'embouchure de la Voronèfc qui fe jette dans le Tanaïs ou le Don. Ces vaifteaux pouvoient defeendre ce fleuve Ôc arrêter les Tatars. Section VIII. Alexis avoit fait venir de Hollande les Conftructcurs Brandt, Bothclcr, Patrons de vaiffeau, avec des Charpentiers ôc des Matelots , qui bâtirent fur le Volga unc grande frégate Ôc un yacht*, ils dépendirent le fleuve jufqu'à Aftrakan : on devoit les employer avec des navires qu'on alloit conftruire pour trafiquer avantageu-fement avec la Perfe par la mer Cafpicnnc. Ce fut alors ( 1669) qu éclata la révolte de Stenko-Rafln, dont nous avons parlé dans FHiftoirc des Kofaqucs, Seét. LV ôc fuiv. Ce rebelle fit dérruirc les deux bâtimens qu'il auroit du conferver pour fon intérêt. 11 maflâcra le Capitaine : le refte de l'équigage fe iauva en Pcrfe, ÔC dc-lâ gagna les terres de la Compagnie Hollandoife des Indes. Le Conftruétcur Brandt relia fcul dans la Ruflic, Ôc long tems ignoré \ il fut obligé de changer d'état ôc de devenir Menuificr à Moskou. Pierre va le rendre â fon premier état : fes bienfaits dédommageront le Conftruélcur de l'oubli des Tzars. Un jour ce Prince fe promenant h Ifmaélof, il apperçut unc vieille chaloupe Angloifc qu'on avoit abandonnée : il demanda a Timmcrman^ fon Maître de Mathématique, pourquoi ce bateau étoit autrement conftruit que ceux qui! avoit vu fur la Moskoua? Timmcrman lui répondit qu'il étoit fait pour aller a voiles ÔC â rames. Pierre voulut incontinent en faire l'épreuve ; mais il falloit le radouber, le ragrécr, ôc c'eft â cette occafion qu'on fc reflbuvint de Brandt, qui mit en état la chaloupe ôc la fit voguer fur l'Iaou/a. Témoin de ce nouveau fpcécaclc, Pierre veut en être l'acteur : il monte le bâtiment, Se quelques heures lui fuffifent pour apprendre a en être le Pilote. L'Iaouza cft étroite, Se le Prince veut de l'cfpacc pour naviger : on tranfportc la chaloupe fur un grand lac dans le voifinage de Troïski. Bientôt la chaloupe &: le lac ne fatisfont plus la curiofité de Pierre ; il veut monter un navire fur une vafte étendue d'eau. Il engage Nathalie, fa mère, a tranfporter fa Cour h Péréiaftavlc-Zaleskoï. C'eft la qu'il fit conftruire par Brandt deux frégates Se trois yachts dont il fut lui-même le Pilqtc. C'eft ainfi qu'il s'exerça fur le lac Cléchenin jufqu'cn 1694, époque a laquelle il alla à Arkangel avec ce même Brandt qui conftrulit un petit Vaiffeau dans ce Port. « II s'embarqua fur la mer Glaciale, qu'aucun » Souverain ne vit jamais'avant lui ; il étoit efeorté d'un vailfcau »j de guerre Hollandois commandé par le Capitaine Jolfon., 5c fuivi » de tous les navires marchands abordés à Arkangel. Déjà il ap» wprenoit la manœuvre, comme il avoit appris la difeipline ; » 5c malgré l'cmprcflcmcnt des Courtifans à imiter leurs Maîtres, » il étoit le feul qui l'apprît ». Section IX. Pendant que le Tzar s'occupoit également a former des Soldats &c à jetter les fondemens d'une marine, fes Miniftrcs négocioient h Ncrtchinsk; 5c il reçut l'agréable nouvelle d'un Traité que Kam-hi , Empereur de la Chine, avoit conclu avec lui au fujet des limites des deux Empires. On verra dans le cinquième volume de l'Hiftoirc Moderne , â l'article Commerce, quelles étoient ces limites, 5c quelles font celles d'aujourd'hui. En 1*5*,, le Kofaquc Kabarof s ctoit emparé d'Albazin , Se de quelques petits forts vers le fleuve Amur ou Amour, nommé le fleuve Noir par les Tatars Mantchoux , Se le fleuve du Dragon par les Chinois. Il y eut beaucoup d'Inutilités entre ceux-ci 5c les Ruflcs au (hjet de ces .Forts , conftruits h trois cents ftcties R >j / de la grande muraille : mais le fage Kam-hi préféra la paix ôc le commerce â une guerre inutile. Il envoya de Pékin à Niptchou, l'un de ces établiflemens , deux Mandarins de la première clafte , cinq d'un ordre inférieur, &: deux Jé fuites , l'un Portugais, nommé Péreira, l'autre François, nommé Gerbillon, pour traiter de la paix. » Ces Ambafladeurs menoient environ dix mille »> hommes avec eux, en comptant leut efeortc. C'étoit-la le fade » Afiatique ; mais ce qui eft très-remarquable , c'eft qu'il n'y avoit » point d'exemple dans les Annales de l'Empire, d'une Ambaftade » vers une autre Puiflâncc : ce qui cft encore unique, c'eft que les » Chinois n'avoient jamais fait de Traité de paix depuis la fondation » de l'Empire «. Après de longs débats, les Jéfuitcs, Interprêtes , applanircnt toutes les difficultés, 6c furent les véritables médiateurs. Les négociations 6c le traité fe firent en Latin j l'Ambaftade Ruftc avoit amené avec clic un Allemand qui (avoit cette Langue. On dit que le Stolnik Fédor Cïolovin , Gouverneur de Nertchinsk, 6c Chef de l'Ambaftadc, étala unc plus grande magnificence que les Chinois ; qu'il avoit étendu dans fa tente de fuperbes tapis de Turquie 6c de Pcrfc, brochés en or, &:c. 6c donna unc grande idée de l'Empire Rufle à ceux qui s'étoient cru les fculs puiftants fur la terre. Les limittes des deux Dominations furent pofées a la rivière Gorbitfa ou Kcrbcchi, près de l'endroit même où l'on négo-cioit. Le Midi tefta aux Chinois, le Nord aux Runes ; on jura une paix éternelle , comme s'il étoit poftible de la rendre durable d'après les règles incertaines du Droit des gens, ôc des Droits des Miniftrcs publies, d'après les formules infidieufes des Traités , les infractions qui en ré fui te nt, les difputcs fur la préicanec 6c le point d'honneur, &:c. Le ferment exprimé eu chaque langue , au nom du même HISTOIRE DE RUSSIE. 133 Dieu, iignifioit : « Si quelqu'un a jamais la penfée feerctte de » rallumer le feu de la guerre , nous prions le Seigneur Souverain » de toutes chefes , qui connoît les coeurs , de punk ces traîtres »î par une mort précipitée ». Cette formule commune à des Chinois ôc a des Chrétiens, peut, dit Voltaire, faire connoître deux chofes importantes -,1a première, que le Gouvernement Chinois n'eft ni athée , ni idolâtre , comme on l'en a il fouvent aceufé par des imputations contradictoires \ la féconde, que tous les peuples qui cultivent leur raifon, reconnoiflent en effet,le même Dieu, malgré tous les égarcmensde certe raifon mal inftruitc. Le Traité fut rédigé en deux exemplaires. Chacune des parties contractantes figna la première la copie qu'elle devoit garder , félon Tu fage des Nations de l'Europe , qui traitent de Couronne à Couronne. On éleva un Monument pour marquer les limites , ôc on y grava le Traité, conformément à l'ufagc des Nations Afiatiqucs , ôc des premiers âges du monde connu. Il faut en croire Pcrcira Ôc Gcrbillon, interprètes ôc médiateurs de ce Traité, ou nier le récit des faits confignés par des Hiftoricns, qui en ont. été ôc les témoins ôc les acteurs. M. Lévcfquc a préféré ce dernier parti au premier, & il a trouvé fort mauvais qifun homme bien inllruit l'ait vigonreufement attaqué Ôc combattu (1). Section X. 1694. Pierre I avoit â choiiir en 1689 entre la Krimée , la Turquie, la Suède ôc la Chine , â qui il feroit la guerre. Les Tatars étoient j ( 1 ) M. Lcvcfquc nous a aceufé J'avoir fourni des amies pour le combatrre : fon Advctfaire n'a. pas befoin feours étrangers , & d'ailleurs nous ne nous cojmoUÏ honneur qui rappclloit Je tems de la République Romaine. L'Empereur d'Allemagne Léopold avoit quelques fuccès contre l'Empire Turc en Hongrie , ôc le bras de Jablonowski arrêtoit au moins les Tatars. Il couroit de l'agitation de la Capitale aux frontières pour les réprimer, ôc s'il ne put les empêcher de mettre le feu aux fauxbourgs de Léopold , il fauva du moins la Ville. Mais le vertige , au lieu de la raifon , préfidoir au Confcil de Varfovic. L'autorité ctoit fans vigueur , ôc les choies flottoient dans la confufion. Sobicski n'étoit plus dans les jours de force; la maladie ôc non pas l'extrémité de l'âge, l'avertiilbit de fe retirer. Le Corps de la République fc reftentoit de la langueur du Chef, dont l'amc paroiflbit s'aftbiblir avec les organes. Cependant les Turcs ce les Tatars regardoient encore Sobicski comme un lion , que les autres animaux refpcctcnt, même quand il dort. Jufqu'ici le Tzar Pierre , occupé fucccflîvcmcnt de troubles inteftins ôc de projets de reforme, avoit plutôt penfé à s'affermir fur fon Tronc , qu'a ébranler celui de Conftantinople. Mais le rems n'étoit pas éloigné, ou le Turc fùccombant enfin dans imc bataille décifive a Zentay fur la Ttyffe, ôc réduit a demander la paix , alloit céder la Moréc aux Vénitiens , la Tranfylvanie à l'Empereur , Azof aux Moskovitcs , Kaminicck aux Polonois. Mais un voile épais couvroit encore tous ces avantages. Section XI. En attendant, Pierre profitait du calme où fe trouvoitlaRuiïîc, pour s'occuper fcricufcmcnt de toutes les parties de l'Adminif-tration, Se corriger les principaux abus qui s'étoient perpétués pendant le règne de fes prédéccfTeurs. 11 vouloit entretenir une Armée en paix comme en guerre ; il vouloit des Soldats difei-plinés, attachés à leur devoir, a leur Souverain Se à la Nation. Pour lever cette Armée, la foumettre a la difeiptinc & la contenir dans le devoir , il falloit engager les Sujets à embraifer le métier des armes fans répugnance , Se pour cela il falloit payer exactement &: rendre l'état de Soldat agréable. Des hommes toujours prêts à facrificr leur vie pour la confervation de l'Etat Se la gloire du Souverain, ne dévoient pas, félon lui , fc trouver dans la misère. Quand une Armée n'eft pas payée , les Soldats mécontens oppriment le Payfan Se fervent mal. Pierre, qui avoit lame d'un Héros avant d'avoir commandé, penia donc que pour remplir fes vaftes projets, il devoit commencer par régler la Ca-piîation, établir des Douanes modérées, abolir plufieurs Privilèges que le Clergé avoit ufurpés, Se reilraindre ceux qu'il avoit trop étendus. Il exigea encore qu'on lui payât en argent beaucoup d'impôts qu'on payoit â fes prédéceficurs en denrées : D'autres tems y d'autres ufages , d'autres mœurs difoit-il J les ufages anciens doivent céder à la fupreme loi du bien publie. Section XII. Tandis que Pierre s'oceupoit fans relâche a établir Tordre dans fes Etats , les Turcs profitèrent de fon inaction apparente pour agir avec plus de vigueur contre les Allemands : ils curent même recours \ la rufc pour éloigner de lui le Roi de Pologne , en cherchant a lui perfuader qu ils ménageoient un Traité fecret avec la Ruilie. Ils employèrent le même moyen pour faire croire au Tzar que la Cour de Pologne étoit en négociation avec la Porte Ottomane. L'Empereur Léopold ayant découvert ces intrigues , envoya des Ambafladeurs au Roi de Pologne ôc au Tzar , pour les avertir de ce qui le tramoit, Ôc les prier d'agir de concert conrre un ennemi commun. Il trouva Pierre difpofé a lui prêter les fecours qu'il lui demandoit : ce Prince défiroit ardemment d'avoir une place qui couvrît fes frontières du côté de la Turquie ; mais pour l'obtenir il falloit fe rendre maître d'Azof, ville Tatarc, fituée fur une hauteur, a l'embouchure du Don, au bord des Palus Méûtides, qu'on nomme aujourd'hui la Mer de Zabache. Pour entrer par le Don dans la mer Noire, il falloit unc flotte fur la Voronèfe , a l'aide de laquelle on pourroit pénétrer jufqu'aux Dardanelles par le Pont-Euxin ; ôc les Ruflcs n'avoient encore que l'image d'une flotte. Pierre ordonna de la conftruire, au moment où le fiége d'Azof fut réfolu ; il choifit la ville de Voronctz pour y établir un chantier, qui étoit le premier qu'on eût vu en Ruflic. Cette ville étoit ruinée, il fallut en rérablir les fortifications, ôc cet ouvrage retarda la conftruction des vaifteaux. L'impatience de Pierre ne lui permit pas d'attendre que la flotte fût en état pour féconder les opérations de fes troupes: dès le printems de 1695 il fe mit en campagne: il partagea fes troupes en deux Armées. Le^Général (.' marcha le long du Ta nais vers Azof avec fon grand Régiment de cinq mille hommes ; le Général Le Fort avec le fi en de douze mille \ Ôc Chérémétof, qui devoit contenu- les Tatars , lliivit le coins du Borifthéne avec unc Année qu'on fait monter a plus de quatre-vingt mille hommes , tant Streltfi que Kofaqucs. Le Pruftien Cheïn dirigeoit le grand train d'artillerie. Le Tzar, qui avoir pallè fuccefîivcmcnt par diff'ércns grades, avoit mérite celui de Colonel, ôc fervoit a l'Armée en qualité de HISTOIRE DE RUSSIE, 137 de Volontaire : il vouloit long-tcms apprendre avant de commander. Pendant la marche on prit d'affaut deux tours, qui avoicnt été bâties fur les deux bords du Don pour en défendre le paflage. L'expédition d'Azof étoit difficile : non-feulement cette place étoit fortifiée , approvifionnéc, défendue par une forte garni-fon, Se par un Commandant capable d'oppofer une réfinance aufii vigoureufe que f attaque ; mais les afiiégés pouvoient encore recevoir par mer des renforts de rroupes, des vivres Se des munitions de guerre. La grande Armée Rulfc ne jouiifoit pas des mêmes avantages, fes provifions commençoient à manquer j les barques conlfruites par des Vénitiens, fur le modèle des faïques Turques, Se les deux petits vaiifeaux de guerre Hollandois n'étoient pas prêts pour féconder l'expédition; enforte que les Ruflcs ne pouvoient attaquer Azof que du côté de la terre , Se ils if avoicnt point encore fait de fiége régulier : avec moins d'impatience, Pierre eût évité l'un Se l'autre inconvénient : mais tout commencement éprouve toujours des obitacles. Section XIII. La longueur du fiége Se le peu de progrès rebutoient les Soldats : la vengeance d'un Particulier les découragea. LTn nommé Jacob, natif de Dantzig , fut condamné au châtiment des Batro-imis par fon Général Chéïn. Le commandement alors fembloit atfermi par fes rigueurs. Les Ruflcs s'y foumetroient malgré leur penchant pour les/éditions, Se après ces châtimens ils fervoient comme â l'ordinaire. Le Dantzikois penfoit autrement : réfolu de fe venger a quelque prix que ce fût, il cncloua le canon, lç jetta dans Azof, embrafla la Religion Mufulmane , Se défendit la place avec fuccès. Les hommes à grand caraaère ont les pallions fortes. Pierre Tomt JIl, s 138 HISTOIRE DE RUSSIE, ne pouvant plus faire ufage de fon artillerie , devint furieux ôc voulut tenter un aflaut général. Mais Azof étoit défendue par le même homme qui avoit dirigé les attaques ; on tenta vainement un aflaut ; on fut obligé de lever le fiége, après avoir perdu près de trente mille hommes dans cette campagne. On conferva les deux tours dont on s'étoit rendu maître fur les rives du Don, ôc Pierre revint a Moskou, lailfant fes troupes dans des quartiers où il pouvoir les raffcmbler en très-peu de tems. L'hiver fut employé à équiper la flotte qu'il faifoit conftruire à Yoronetz. Section XIV. ■ Le Tzar Ivan meurt, ôc les dépenfes de fa maifon retournent par fa mort h. l'entretien de l1armée *, c'étoit un véritable fecours pour un Etat qui n'avoit prcfque point de revenus en argent. Ou a vu, page 493,Tome I, Hiftoire Moderne , que lorfquc Pierre I déclara la guerre a la Suède, le revenu de ce Prince n'étoit que de trois millions cinq cents mille livres; il étoit bien au-deflbus à l'époque dont il s'agir. Dès que l'autorité de Pierre I ne fut plus gênée par les bien-féanecs à l'égard d Ivan , il difpofa de tout en maître abfolu : il écrivit a l'Empereur Léopold, a l'Electeur de Brandebourg , aux Etats-Généraux , pour en obtenir des Ingénieurs, des Artilleurs, des Gens de mer. Il engagea a fa fcldc des Kalmouks , dont la Cavalerie valoit bien celle des Tatars de Krimée. Le mauvais fuceès de fes premières armes ne l'avoit pas rebuté : il joignoit a cette inquiétude qui le portoir a tout entreprendre ôc a tout faire, la conftanec dans toutes les entreprifes. Dès le printems de cette année, il conduiut unc Armée plus ccnfidérable encore devant Azof. La petite flotte de Voronctz ctoit prête; elle avoit des hommes de mer pour la gouverner. Elle étoit cotnpoféc de deux vai {féaux de guerre Hollandois , de quatre galères, de quelques galéaffes Bc de plufieurs brûlots. Pierre monta l'un des vaifleaux , ôc Le Fort monta l'autre. Les faïquesTurques envoyées de Conflantinople , furent battues ;• les Kofaqucs de terre ,ôc pour fc former â la difeipline Allemande «. Manufah de Le Fort. Pierre jugeoit ces difpofitions utiles a la Rullïc, mais il les eroyoit in fufti tantes pour l'exécution du vafte dellèin de refondre fes Etats , ôc de fe créer un peupte nouveau. Ce fut dans l'ardeur de cette noble impatience , qu'il ré fol ut de s'éloigner quelques années de fes Etats , dans le deffein d'apprendre â les mieux gouverner. Il ne pouvoit réfifter au violent delir de s inftruire par fes yeux, ôc même par fes mains, de la Marine ôc des Ans qu'il T ij vouloit établir dans fa Patrie; il ctoit né avec un génie qui embraffoit tout , Se que rien n'éronnoit. Mais pour voyager avec fruit parmi les Nations civilifées, il falloit non-feulement dcfccndrc du Trône, mais encore voyager inconnu, s'appliquer ôc s'initruire en (Impie particulier qui veut enrichir fa Patrie des découvertes du génie Se de toutes les connoilfances utiles. Tels étoient le projet Se le but de Pierre I. Il n'y eut , dit Voltaire , que la France Se PEfpagnc qui n'cntrâflfcnt point dans fon plan ; l'Efpagnc , parce que ces Arts qu'il cherchoit y étoient alors trop négligés ; Se la France, parce qu'ils régnoient peut-être avec trop de fade, &: que la hauteur de Louis XIV convenoit mal à la fimplicité avec laquelle il comptoit faire fes voyages. De plus il étoit lié avec la plupart des Puitfances chez lcfquclles il alloit, excepte avec la France Se avec Rome. Les deux motifs qui 1 eloignoicnt de la France étoient d'une patt, le fouvenir du peu d'égards que Louis XIV avoit eu pour l'Amba(fade de 1687 , qui n'eut pas autant de fuccès que de célébriré ; Se de l'autre, c'efl: que Pierre prenoit déjà le parti cXAuguJit, Electeur de Saxe, à qui le Prince de Conti difputoit la Couronne" de Pologne. Le Tzar favoit très-bien que la France étoit alors dans toute fa gloire , non-feulement par les conquêtes Se les nouveaux établiflemens de Louis XIV , mais encore par la perfection des Sciences Se des Arts, fans lcfqucls on n'a que de la grandeur Se point de véritable gloire. "Section XIX. La réfolution étant prife de'voir tant d'Etats Se tant de Cours en fimplc particulier, Pierre aOcmbla les Boyari Se leur fit part de fon deffein , qui déplut au plus grand nombre. La fupcrilition s'alarma de la communication avec les Etrangers qui profefibient un autre culte ; le Clergé étayoft la fupcrilition Se la prévention des Boyari> de l'autorité des Livres faints ; Se les autres Moskovitcs difoient, d'après l'ignorance qui leur étoit il chère : nous fommcs bien comme nous fommes , & nous ne voulons pas être mieux que nos pères. De nouveaux troubles alloient fuivre cette fermentation grof-iîère , lorfquc le complot du Voïévode de Tangarok fut découvert. Pendant que Pierre triomphoit de fes ennemis, & faifoit fes efforts pour arracher les Ruifcs du berceau de l'ignorance ôc de la barbarie, l'implacable Sophie travaiiloit en fous-ceuvre pour foulcvcr f efprit de fes fujets conrre lui. Sa haine prenoit chaque jour de nouveaux accroiflemens dans le Cloître où elle étoit enfermée : on l'accufe d'avoir entretenu des liaifons fecrettes avec des Boyari, avec plufieurs Officiers des Streltfi : on ajoute qu'une vieille femme étoit l'inltrumcnt de fes intrigues, fans exciter le moindre foupçon ; elle couvrait fa trame des haillons de la misère Se du mafquc de l'imbécillité. C'étoit par fon moyen que Sophie étoit informée des innovations que faifoit le Tzzr { Ôc des murmures que ces changemens excitoient parmi le Peuple, les Streltfi ôc les Nobles. Réfolue de profiter de ces mécontentemens ôc des circonftances pour faire périr fon frère Ôc monter fur le Trône, elle commença par gagner les Popes , qui infinuèrent au peuple que le Tzar outrageoit la Religion , en envoyant les enfans dans les pays étrangers , contre la Loi de Dieu , qui défend aux enfans d'Ifraèl d'avoir aucune communication avec les Nations voifincs, afin qu'ils ne participent point à leur idolâtrie. Il n'en falloit pas tant pour échauffer les cfprits : les uns suriraient de ce qu'on vouloit abolir "les habits longs; les autres, de ce qu'on vouloit couper la barbe , qu'ils regardoient comme le plus bel ornement du vifage ; les Strcltfi s'offenfoient de la préférence qu'on donnoit aux Soldats étrangers fur eux : leurs Officiers approuvoient ijo HISTOIRE DE RUSSIE: leurs murmures : plufieurs Boyari fe plaignoient d autres réformes. Sophie, inftruitc de tout, fouille le feu &; promet des récompenfes : on s alTcmblc, on délibère, on décide qu'il faut faire aflailïner le Tzar. T\ikUr? Voïévodc de Tangarok, Pouchekin Se Soukovol .fe chargent de commettre ce régicide. Un confident du Voïévodc avertit Pierre de ce complot. Leurs auteurs furent ancrés Se punis ; on grava leur crime Se leur Sentence fur des tables d'airain. Les coupables ne chargèrent point Sophie : mais leur réticence n'eft pas une preuve de fon innocence ; les coupables étoient fanatiques , Se Sophie ambitionnoit le Trône. Elle avoit réfolu la mort de fon frère en 1688 ; ce premier attentat ne faifoit que trop préfumer le fécond. Mais le Tzar, ne voulant pas faire couler fon propre fang , fc contenta de faire garder Sophie plus étroitement. Section XX. Après avoir pourvu a la fûreté de fes Etats, Pierre ne s'occupa plus que de fon départ ; Se pour garder ^incognito, il fe mit à la fuite de trois Ambalfadcurs , comme il S'était mis a la fuite de fes Généraux a fon entrée triomphale dans Moskou. On Tait que les trois Ambalfadcurs étoient le Général Le Fort ; le Boyar Alexis Coloria y Commilfaire- Général des guerres Se Gouverneur de Sibérie , le même qui avoit ligné le Traité d'une paix perpétuelle avec les Plénipotentiaires de la Chine fur les frontières de cet Empke \ Se Voyùtfm, Secrétaire d'Etat , long-tems employé dans les Cours étrangères. Quatre premiers Secrétaires, douze Gentilshommes,deux Pages pour chaque Ambafla-deur , unc Compagnie de cinquante Gardes avec leurs Officiers, tous du Régiment Préobragcnski , compofoient la fuite principale de cette Ambalfade : il y avoit en tout deux cents perfonnes; &c IcTzar fc réfervant pour tous domeiliques un Valette chambre, un homme de Livrée Se un Nain, fc confondoit da-ns la foule. » C'étoit une chofe inouie dans l'Hiitoire du monde , qu'un "Roi de vingt-cinq ans qui abandonnoit fes Royaumes pour " mieux régner. Sa victoire fur les Turcs ôc les Tatars , l'éclat " de fon entrée triomphante à-Moskou, les nombrcufes troupes "étrangères affectionnées à fon fervicc, la mort d'Ivan fon " frère, la clôture de la Princcifc Sophie , le châtiment de fes » complices, & pins encore le rcfpcct général pour fa perfonne, " dévoient lui répondre de la tranquillité de fes Etats pendant « fon abfcncc. Il confia la Régence au Boyar Strégenef'ôc au Prince « Romodanofski, lefqucls devoient, dans les affaires importantes , »ï délibérer-avec d'autres Boyari. Les rroupes formées par le Géné-» ral Gordon relièrent a Moskou pour affurcr la tranquillité de " la Capitale. Les Strcltfi qui pouvoient la troubler , furent diltri-" bués fur les frontières de la Krimée pour conferver la con-" quête d'Azof, ôc pour réprimer les incurllons des Tatars. Ayant " ainfi pourvu a tout, Pierre fc livra a fon ardeur de voyager » lv' de s'inltruire. Ce voyage ayant été'l'occafion ou le prétexte n de la fanglante guerre qui traverfa fi long-tcms le Tzar dans " tous les grands pro/cts , ôc enfin les féconda ; qui détrôna le «Roi de Pologne Augujlc, donna la Couronne a Stan'ijlas ôc la "lui ôta ; qui fit du Roi de Suède, Charles XII3 le premier » des conquérans pendant neuf années, Ôc le plus malheureux " des Rois pendant neuf autres j il cft néce flaire pour entrer dans « le dérail de ces évènemens, de repréfenter ici en quelle fitua-" tioil étoit alors l'Europe «. Voltaire que nous copions lorfquc fes Mémoires font exacts, ôc qu'il entre dans le détail des faits, va nous peindre cette (iruation. + Section XXL Le Sultan Mufiapha 11 régnoir en Turquie. Sa foiblc admi-nillration ne faifoit de grands efforts , ni contre l'Empereur d'Ai- > lemagne Léopold, dont les armes étoient heurcufes en Hongrie ; ni contre le Tzar qui vcnoit de lui enlever Azof, ôc qui menaçoit le Pont-Euxin; ni même contre Vcnife qui enfin s'étoit empâtée de tout le Péloponèfe. Jean Sobicski, Roi de Pojognc, a jamais célèbre par la vi&oirc de Chocfim, ôc par la délivrance de Vienne, étoit mort le 17 Juin 1696 ( 1) ôc cette Couronne étoit déjà difputéc par l'Elcdcur de Saxe qui l'emporta, ôc par Armand, Prince de Conti, qui n'eut que l'honneur d'être élu. La Suède venoit de perdre ôc regrettoit peu Charles XI, premier Souverain véritablement abfolu dans ce pays, père d'un Roi qui le fut davantage, Ôc avec lequel s'eft éteint le defpo-tilinc". Il laiffoit fur le Trône Charles XII, fon fils , âgé de quinze ans. C'étoit unc conjoncture favorable en apparence aux projets du Tzar ; il pouvoit s'aggrandir fur le Golfe de Finlande ôc vers la Livonic. Ce n'étoit pas affez d'inquiéter les Turcs fur la mer Noire : des établiifemens fur les Palus Méotidcs ÔC vers la mer Cafpicnnc ne fuffifoient pas a fes projets de marine, de commerce ôc de puiifancc ; la gloire même que tout réformateur defirc ardemment, n'étoit ni en Pcrfe ni en Turquie ; elle étoit dans notre partie de l'Europe , où l'on éternife les grands talcns en tout genre. Enfin Pierre ne vouloit introduire dans fes Etats, ni les mœurs Turques, ni les Perfannes, mais les nôtres. L'Allemagne en guerre à - la - fois avec la Turquie Ôc avec la France, ayant pour fes alliés l'Efpagne, l'Angleterre ôc la Hollande contre le feul Louis XIV , ctoit prête de conclure la paix , (1) Il mourut le jour de la Trinité , peu d'heures après-dîné, d'une attaque d'apoplexie, & mourut comme Auçuftt, à pareil jour de fon élévation au Trône. On comptoit la foixantc-fUicmc année rent enfin de palier. Tenu III. U » Mais le lendemain le Gouverneur dit aux Ambafladeurs, que, » fi quelqu'un de leur fuite ofoit a l'avenir fc permettre unc relie « contravention à fes ordres, il ordonneroit de tirer. Le nombre » des Gardes fut augmenté au quartier du Tzar 6c de fes Miniftrcs. » Pierre reçut ou fc fit donner avis que le Gouverneur ne cher-» choit qu'un prétexte de le faire arrêter, 6c peut-être d'attenter n a fi vie. On peut croire que l'avis étoit faux; mais Pierre feignit « d'y ajourer foi, parce qu'il étoit bienaife de raflcmblcr des griefs » importans contre la Suède. La juftice veut que Ton écoute les deux parties avant de prononcer définitivement fur le fujet de la difculfion. Un Suédois inftruit 6c impartial, a fait des notes fur le Journal de Pierre 1c-Grand ; il dit avec candeur : " Quelques recherches que l'on ait » fûtes , on n'a pu découvrir en quoi 6c comment le Tzar courut » rifque de la vie, lors de fon pafljge a Riga. Il étoit en fimplc « particulier a la fuite de l'Ambalfadc qu'il envoyoit en Aile-« magne 6c en Hollande : animé de la noble ambition de tout >s apprendre 6c de tout voir, une place fortifiée a la moderne, » 6c telle qu'il n'en avoit jamais vu , un port, unc marine exci-» tèrent fa curiofiré. Le Gouverneur Suédois refufa de la fiitis-» fiiirc , foit qu'il craignît de déplaire a fon Maître , foit cpftrl » fut piqué del'indiferétion de quelques Rulfes, 6c peut-être de «Pierre lui-même, que l'on avoit trouvés, les uns le crayon à « la main fur les remparts, les autres fondant la profondeur des «foliés des ouvrages extérieurs ; conduite dont il fe plaignit à " M. Le Fort, Chef de l'Ambalfadc. Le Tzar fut très irrite de » ce refus, 6c en conçut un vif reflentiment contre la Suède:on » aflurc même qu'il dit a M. Le Fort : on ne veut pas que je voie « Us fortifications de Riga ; mais j'efphe les voit un jour plus ,} mon » aife y & refufer moi-même au Roi de Suède ce que d*Albcrg me refufe » aujourd'hui Enfin , lorfqu'il déclara la guerre a la Suède, le m premier article de fon Manifcfte porte fur la prétendue infulte » qui lui avoit été faite. Il y cft dit : qu'on ne lui avoit pas fait » une réception aflez magnifique à Riga lorfqu'il y avoit parte " en 165)7 avcc fa grande Ambaftade, allant en Allemagne ôc en » Hollande : qu'on lui avoit vendu trop cher, en cette Ville , >j les vivres dont il avoit befoin : qu'on y avoit retenu fes gens »comme prifonniers, fans leur permettre de fortlr de la » maifon : que quand il lui avoit fallu pafler la Dvina , on » ne lui avoit pas fourni des yachts ni des bateaux aflez propres, » &: qu'on avoit exigé de lui trop d'argent pour ceux dont il m s'éroit fervi. Il cft vraifcmblablc qu'il n'eût pas oublié d'ajouter » qu'en parlant a Riga , il put à peine fauver fa vie a. Ce récit prouve que le Gouverneur de Riga fit fon devoir, Ôc que les Rulfes oublièrent le leur, en deftinant fur les remparts ôc fondant la profondeur des folles des ouvrages extérieurs. Si M. d'Albcrg fc fût trouvé en Ruflic dans le même cas, il auroit infailliblement éprouvé autre chofe qu'un refus. Les perfonnes fen-fées fe gardent bien de juger de la juftice ou de l'injufticc d'une déclaration de guerre, par le préambule du Manifcfte de l'agrclfcur. Il ne rappelle que trop fouvent l'apologue ingénieux du loup ÔC de l'agneau. . Section XXII. De Riga l'Ambalfadc fc rendit k Koénisbcrg, où l'Electeur de Brandebourg, jaloux de faire briller la majcfté du Trône qu'il venoit d'élever , la reçut avec un rafle Royal. Pierre méprifoit tout ce fafte, mais il aimoit ces plaifirs de la table dans lcfqucls l'Allemagne mettoit alors fa gloire. » Ce fut dans un de ces rcpas, aufti dangereux pour la fanté que pour les mœurs, qu'il tira l'épée contre fon favori le Fort ; mais il témoigna le même regret de cet emportement partager , qu Alexandre en eut du meurtre de ciicus il demanda pardon à Le Fort. Il difoit qu'il U ij vouloit réformer fa Nation, & qu'il ne pouvoir pas encore fe réformer lui-même. Le Général Le Fort, dans fon manuferit, loue encore plus le fond du caractère du Tzar, qu'il ne blâme cet excè-» de colère «». m L'Ambalfadc pane par la Poméranie, par Berlin; une partie prend fa route par Magdcbourg , l'autre par Hambourg , Ville que fon grand commerce rendoit déjà puifiante. On tourne vers Minden ; on paffe la Vcftphalie, & enfin on arrive par Clèvcs dans Amfterdam. Le Tzar fc rendit dans cette Ville quinze jours avant l'Ambaffade; il logea d'abord dans la maifon de la Compagnie des Indes , mais bientôt il ehoifit un petit logement dans les Chantiers de l'Amirauté. Il prit un habit de Pilote, ôc alla dans cet équipage au village de Sardam, où l'on conftruifoit alors beaucoup plus de vaifteaux encore qu'au* jourd'hui. Ce village cft auili grand , aufti peuplé , auili riche Ôc plus propre que beaucoup de Villes opulentes. Le Tzar admira cette multitude d'hommes toujours occupés ; l'ordre , l'exactitude des travaux ; la célérité prodigieufe a conftruire un vaiffeau, â le munir de tous fes agrès, ôc cette quantité incroyable de magafins, de machines qui rendent le travail plus facile Ô: plus fur. Le Tzar commença par acheter une barque , 1 laquelle il lit, de les mains , un mât brifé ; enfuite il travailla à toutes les parties de la conftruclion d'un vaiffeau , menant la même vie que les habitaus de Sardam , s'habillant, fc nourrilfant comme eux , travaillant dans les Forges , dans les Cordcrics, dans ces Moulins dont la quantité prodigieufe borde le village, ÔC dans lefquels on feie le fapin & le chêne , on tire l'huile, on fabrique le papier, on file les métaux ductiles. 11 fe fît inferire dans le nombre des Charpentiers fous le nom roturier de Pkm Mikailof. On l'appelloif communément Maure Pierre, Peter-Bas; ôc les Ouvriers, d'abord interdits d'avoir un Souverain pour compagnon , s'y accoutumèrent familièrement ce. L'hommage qui le flattoit le plus étoit la groife franchife avec laquelle fes Maîtres l'cnfeignoicnt &: lui commandoient ce qu'il y avoit à faire. On le voyoit le premier au travail, ôc il le quittoit le dernier ; il ne fe livroit entièrement Ôc avec joie qu'aux occupations utiles; aufli le trouvoit-on par-tout où il y avoit à apprendre ôc à travailler : il trouvoit dans fes études variées le dé-laffcmcnt de fes fatigues. »îll alloit de Sardam à Amfterdam travailler chez le célèbre Anatomiftc Ruifch; il faifoit des opérations de Chirurgie, qui en un befoin pouvoient le rendre utile à fes Officiers ou à lui-même. 11 s'inftruifoit de la Phylîquc naturelle dans la maifon du Bourgmcftre Vtéfin , Citoyen recommandante à jamais par fon patriotifmc , ôc par l'emploi de fes richclfcs immenfes qu'il prodiguoit en Citoyen du monde , envoyant a grands frais des hommes habiles chercher ce qu'il y avoit de plus rare dans toutes les parties de l'Univers , Ôc frétant des vaifteaux a fes dépens pour découvrir de nouvelles terres «. Mais revenons à Pierre L S E c t 1 o n XXIII. Quand on écrit la vie d'un homme célèbre , il faut en recueillir tous les traits; les plus foiblcs en apparence développent les replis du cœur, les reflburecs de l'cfprit Ôc du génie, le fond du caractère : tout cft précieux dans le grand homme, lorfquc les anecdotes de fa vie privée fervent a le faire mieux connoître. Nous Ctl rapporterons plufieurs qui ont échappe aux Hiftoricns de Pierre I, ôc qui nous parodient dignes d'être tranfmifcs à la poftérité. Pendant fon féjour en Hollande, ce Prince fc rendit a Lcvdc pour s'inftnnrc de tous les moyens propres a fonder une Univerfité dans fes Etats. 11 y a dans cette ville un jardin Botanique très curieux : iy8 HISTOIRE DE RUSSIE. Pierre, defireux de le voir, fit demander au célèbre Boerrhavc, qui en avoit l'inipeétion , l'heure qui lui feroit la plus commode pour vifiter ce jardin. Boerrhavc répondit que l'heure la plus commode pour lui feroit celle que le Tzar voudroit indiquer. Le rendez-vous fut fixé au lendemain matin à fix heures. Pierre devança l'heure pour ne pas faire attendre Boerrhavc , 6c il étoit a la porte du jardin lorfqu'il arriva. Avant d'examiner les plantes, il defira de voir le cabinet Anatomique. Il y contempla long-tcms un cadavre , dont les mufclcs diftinds oùroicnt aux yeux le méchanifmc de la nature. Ce cadavre humecte tf efprit de térébenthine, cauia des naufées a quelques Seigneurs Rufl.cs qui accompagnoient le Tzar , 6c leur iofpira de l horreur pour l'Ana-romic. Le Tzar qui avoit fu vaincre fon a ion pour l'eau, voulut que les plus délicats furmontaûènt leur répugnance dans cette occalion : il leur ordonna de mordre chacun un mufclcdc ce corps difféqué; il n'y avoit pas à balancer , ils obéirent. » Eh bien, dit le «Tzar en riant, n'cft-il pas vrai que le plus fur moyen de fe guérir «d'une averfion mal fondée, c'cil de fc familiarifer avec l'objet » qui l'infpire "? Les marques de morfures fe voient encore au-jourdhui fur ce cadavre. Cette anecdote cft de Herman Kaau Boerrhavc , qui l'a communiquée â M. Schtclin , Confcillcr d'Etat. Section XXIV. Tandis que le Tzar manioit, en Hollande, le compas, la hache , le fcalpcl, des inllrumcns de phyfique 6c de chirurgie , il reçut la nouvelle de la fciilion de la Pologne, 6c de la double nomination de l'Electeur Augujlc 6c du Prince de Conti. Le Charpentier de Sardam promit aufti-tôt trente mille hommes au Roi Jttgujkj 6c donna de fon atelier îles ordres a fon Armée d'Ukraine, aflèm-bléc contre les Turcs, de fe tenir prête a foutenir les droits de l-Llcûcur contre le parti oppolc. Peter-Bas ne fufpcndit fes travaux que pour aller voir, fans cérémonie, à Utrecht ôc à la Haye , Guillaume, Roi d'Angleterre Ôc Stadhoudcr des Provinces-Unies. Le Général Le Fort étoit feul en tiers avec les deux Monarques : il affilia enfuite à la cérémonie de l'entrée de fes Ambafladeurs ôc a leur audience; ils préfentèrent, en fon nom, aux Députés des Etats, fix cents des plus belles martres zibelines ; Ôc les Etats, outre le préfent ordinaire qu'ils leur firent a chacun d'une chaîne d'or Ôc d'une médaille , leur donnèrent trois carrofles magnifiques. Ils reçurent les premières vifites de tous les Plénipotentiaires qui étoient au Congrès de Rifviek, excepté des François, à qui ils n'avoient pas notifié leur arrivée, non-feulement parce que le Tzar prenoit le parti du Roi dugufte courre le Prince de Coati s mais parce que le Roi Gulliaume, dont il cultivoit l'amitié , ne vouloit point la paix avec la France. Ce fut â Rifviek que Peter-Bas apprit la victoire que fon Général Chein avoit remportée le onze Août de la même année , fur les Turcs , Confédérés avec les Tatars de Krimée , les Nogaïs ôc les Alains du Kouban , pour reprendre Azof fur les Ru (fes. Section XXV. De retour â Amflcrdam , Pauguflc Charpentier y reprit fes premières occupations , Ôc acheva de fes mains un vaifleau de foixante pièces de canon , qu'il avoit commencé avec plufieurs Nobles de fil fuite ; il le nomma le Saint-Pierre-Saint-Paulj ôc le fit partir pour Arkangel, n'ayant pas alors d'autres ports fur les mers de l'Océan. Il y avoit très-peu d'arts ôc de métiers qu'il ne voulut appro- % fondir : il fe plaifoir fur-tout a réformer les Cartes des Géographes, qui alors plaçoient au hafard les polirions des villes ôc des fleuves de fes Etats peu connus. Il ti\ua lui-même fur une Carre la communication de la mer Cafpicunc ce de la mer Noire, qu'il avoit déjà projettée, Se dont il avoit chargé un Ingénieur Allemand nommé Brakel. La jonction de ces deux mers étoit plus facile que celle de l'Océan Se de la Méditerranée, exécutée en France ; mais l'idée d'unir la mer d'Azof 6c la Cafpicunc cifravoir, alors l'imagination. 11 a fallu des flottes innombrables aux dominateurs de l'Océan : Pierre n'a, pour ainfi dire, que le vaiffeau qu'il a continue de fes mains , & il eft déjà puiftant fur la mer Glaciale , comme il eft déjà grand homme d'Etat , fans avoir appris a le devenir. Son génie devançoit fes connoilfanccs. En montant fur le Tronc , il vit un Empire qu'une longue fuite de générations avoir lai mi dans l'anéanriflemcnt, Se dont la grandeur même avoit abloib^ la puiffancc De nouveaux établiifemens, l'union de la mer d'Azof Se de la Cafpiennc , lui paroiifent d'autant plus convenable, que fes premiers fucecs lui donneur de nouvelles cfpéranccs , Se qu'eu s'occupant du prêtent , il prévoit l'avenir. Il n'eft pas rare de voir fur le Trône des Princes qui aient des lumières ; mais on en trouve peu qui foient inftruits de ce qu'ils doivent lavoir. On leur donne unc foule de Maîtres, verfés dans un grand nombre de feienecs , qui n'apprennent point le grand art de régner ; fouvent même ceux qui font chargés de leur éducation , ont des vues perfon-nelles, très-coupab'.es. Ils cherchent a les diftraire de leurs devoirs, en leur infpirant du goût pour la diflipation Se de Pdoigncment pour les affaires. Un Monarque ne peut guères fc charger de l'ad-miniftration publique, fans défolcr ceux qui l'environnent. Les Gens en place ne font jamais moins importans que lorfque le Monarque entre dans le détail des affaires, Se veut gouverner par lui-même. A la mou du Cardinal Marvin y les principaux Miniflrcs ayant demandé à Louis XIV , à qui ils rendroient compte à l'avenir de leur admimftfation , le Roi leur répondit : à molmànc. Ces deux mots les foudroyèrent. Quelque Quelque talent qu'ait un Prince , il ne fera jamais mis au rang des grands Rois, s'il n'a jamais penfc que d'après les autres. Ce fut un bonheur pour la Rutfïe que Pierre pensât pour fon peuple &: fe fuffît à lui-même. Pendant fon féjour en Hollande , non-feulement il faifoit engager à fon fervicc des réfugiés François , des Allemands , des Suites ; mais il faifoit partir des Artifans de toute cfpèce pour Moskou, &c îfenvoyoit que ceux qu'il avoit vu travailler lui-même. Section XXVI. 1^8. Pierre continua dans Sardam & Amfterdam fes occupations ordinaires de Conitruétcur de vaifl'eaux, d'Ingénieur, de Géographe , de Phyficien-Pratiquc, jufqu'au milieu de Janvier -, &: alors il partit pour l'Angleterre, toujours â la fuite de fa propre ambaf-fade. On le cherchoit, &: on ne le trouvoit que dans la foule. Les Souverains n'entreprennent guères que des voyages de plaifir. Peter-Bas, Voyageur Philofophc Se Artifan, ne vifitc les Etats que pour s'inftruirc. Le faite &: la magnificence qui environnent les Rois , font une partie de leur puiffancc. La pompe qui les accompagne par-tout, eft plus grande â mefurc de la diftanec où ils font de leur Trône : en fe montrant dans les Empires étrangers , ils cherchent à s'attirer l'admiration par des qualités qui frappeur &z des mots qu'on n'oublie jamais. Pierre voyage comme un ancien Citoyen de Sparte , & fe cache derrière fes repréfentans ; il devient plus limple dans la proportion qu'il s'éloigne du Trône , & femble n'afpirer â d'autre gloire qu'a celle de devenir un bon Artiftc. Le Roi Guillaume lui envoya fon yacht &: deux vaiffeaux de guerre, commandés par l'Amiral Mitchel. Un vent favorable porta rapidement l'Ambalfadc a l'embouchure de la Tamife. On avoit Tome III. X lez HISTOIRE DE RUSSIE, prépare un Hôtel magnifique, où les Ambalfadcurs logèrent. Mais le Tzar choifit un petit logement. Sa manière de vivre fut la même que celle qu'il s'étoit preferiteen Hollande, près du grand chantier à Deptfort. Les conflructcurs Hollandois ne lui avoicnt enfeigné que leur méthode & leur routine : il connut mieux l'Art en Angleterre; la France l'avoit perfectionné ; les vaiffeaux s'y bâriffoicnt fuivant les proportions mathématiques. Il fit des progrès rapides dans cette feience, & bientôt il fut en état d'en donner des leçons. On en jugera par la note fuivante, écrite de fa main. » J'ai bien examiné , difoit-il , la forme des va idéaux de toutes » les Nations , <5e je puis rendre raifon de leurs différentes confia mictions. Quant aux nôtres, ils doivent être petits : il nous faut » des frégates, des galères , des galiotes ; nous avons peu de pro-« fondeur d'eau ; nous manquons de pilotes &: de matelots, &: » nous ne fommcs pas en état de faire la grande navigation «. Il travailla, félon la méthode Angloife, a la conilruction d'un Vaiffeau, qui fc trouva un des meilleurs voiliers de la mer. L'Art de l'Horlogerie, déjà perfectionné à Londres, attira fon attention ; il en connut parfaitement toute la théorie. Le Capitaine Ingénieur Pari y qui le fui vit de Londres en Rufiic , dit que depuis la fonderie des canons , jufqu'â la filcric des cordes , il n'y eut aucun métier qu'il n'obfcrvât, & auquel il ne mit la main toutes les fois qu'il étoit dans les ateliers. On trouva bon , pour cultiver Ion amitié , qu'il engageât des Ouvriers comme il avoit fait en Hollande: mais outre les Arti-fa us, il eut ce qu'il n auroit pas trouvé fi aifément â Amftcrdam , des Mathématiciens, l'^d'on y Eeofiôis, bon Géomètre1, fe mit h fon fervicc : c'efl lui qui a établi l'Arithmétique en Ruflic dans les Bureau* des finances , où l'on ne fc fervoit auparavant que de la métbode Tarare, de compter avec des boules eniiLes dans un fil d'arclul. Cette méthode, qui avoit été apportée en Rufiic par un Strogonof, fuppléoit a l'écriture; mais elle eft embarraflante Se fautive, parée qu'après le calcul, on ne peut voir fi on s'eft trompé. Nous n'avons connu les chiffres Indiens, dont nous nous fervons , que par les Arabes, au neuvième iiècle ; l'Empire de Rufïie ne les a reçus que huit cents ans après : c'eft le fort de tous les Arts ; ils ont fair lentement le tour du monde. Deux jeunes Gens de l'Ecole des Mathématiques accompagnèrent Fcrgujfon, Se ce fut le commencement de l'Ecole de Marine que Pierre établit depuis. 11 obfcrvoit Se calculoit les éclipfes avec Fcrgujfon. L'Ingénieur Ptrri, quoique très - mécontent de n'avoir pas été aflez récompensé, avoue que Pierre s'étoit inftruit dans PAlIronomic: il connoilfoit bien les mouvemens des corps céleftes, Se même les loix de la graviration qui les dirige. Section XXVII. L'antipathie des Rulfes pour les ufages étrangers , leur avoit fait prendre en horreur l'ufage du tabac, Se le Patriarche l'avoit défendu, comme unc chofe impure. Mais Pierre qui méditoit un plan général de réforme , dans lequel le Clergé étoit compris, profita d'une circonftance pour attaquer & détruire cette fuperfi. tition. Des remèdes paflagers n'eulfent fait que pallier le mal fans le guérir. Des Négocians Anglois , a la tête dcfqucls fe mit le Marquis de Carremartêa , Amiral, lui donnèrent quinze mille livres ftcrling pour obtenir la permiftiou de débiter du tabac en Ruilie i fa politique ne balança pas d introduire ce commerce dans fes Etats, pour faire valoir celui de la Nation. Tout commerce doit être réciproque : pour acheter de nous, il faut que les autres nous vendent. Section XXVIII. Pierre avoit ditlribué fon tems Se marqué fes heures d'étude : ceux qui faveut l'employer, ont toujours des momen . a eux. Peu X ij i64 HISTOIRE DE RUSSIE, dant fes loifïrs, il alioit voir familièrement le Roi d'Angleterre, la Princefle de Danemarck, connue depuis fous le nom de la Reine Jnne; il fréqucntoit avec la même familiarité les Anglois les plus diitingués par leur mérirc, fur tout par leurs connoillânees dans Je commerce 6c dans la marine ; il cherchoit par-rout des Maîtres, 6c il fe rendoit le difciple docile de quiconque vouloit l'inftruire, Il n'étoit pas moins curieux de connoître les moeurs &: la croyance des peuples, que leurs Arts 6c leur Gouvernement. On le voyoit ldcceiîivemcnt converfer avec les hommes de tous les états. Jamais il n'y eut un Speélatcur plus univerfel, ni un Voyageur plus curieux. Avant qu'il quittât l'Angleterre, le Roi Guillaume lui fit donner le fpeétacle le plus digne d'un tel Hôte, celui d'une bataille navale, 6c lui fit préfent du magnifique vaiffeau fur lequel il avoit coutume de paffer en Hollande j nommé le RoyaLTranfpon. Pierre retourna fur ce Vaiffeau , amenant avec lui trois Capitaines de vailfeau de guerre, vingt-cinq Patrons, quarante Licutcnans, trente Pilotes, trente Chirurgiens, deux cents cinquante Canon-niers 6c plus de trois cents Artifans. Cette colonie d'hommes habiles en tout genre pana de Hollande â Arkangel fur le Royal-Tranfportj 6c de la fut répandue dans les endroits où leurs ferviecs étoient néceuaires. Ceux qui furent engagés â Amfterdam prirent la route de Narva, qui appartenoit h la Suède. Pendant qu'il tranfportoit ainfi les Arts dans fon Empire, les Officiers qu'il avoit envoyés à Rome 6c en Italie, engageoiertt auili quelques Arrifies. Son Général Boris Chérémétof, qui étoit à la tête de fon Ambalfade en Italie, alloit de Rome à NapJcs, a Venife, â Malthc, où le Grand-Maître le décora de la croix de l'Ordre. Après les ateliers de la Hollande 6c les flottes Angloifcs, Pierre avoit â voir la difeipline guerrière des Allemands. la Politique avoit encore autant de part au voyage que l'inuruclion. L'Empereur étoit l'allié nécclfaire du Tzar contre les Turcs. Les deux Monarques fe virent incognito, &c s'entretinrent debout pour éviter les embarras du cérémonial. Pierre étoit prêt de partir de Vienne pour Venife -y la nouvelle d'une révolte qui troubloit fes Etats, hâta fon retour à Moskou (i). ( i ) Que Pierre parut grand dans ce voyage à tous ceux qui favoient apprécier fon patriorifmc t Les Nations & les Souverains ne fc méprirent point fur rhéroïfmc attaché à la conduite d'un Souverain , qui vouloit jetter les fondemens d'on puiiîant Empire fur les ruines d'un Gouvernement que l'ignorance, la fupcrilition , la barbarie avoicnt rendu tour-à-tour féroce, languiifant, 8t prcfqu'ignoré de l'Europe. C'eft: le renverfement d'un pareil édifice qui a eu le malheur de déplaire à M. Lcvcfquc î Apôtre de l'ignorance & de la barbarie antique des Ruflcs, il dit, au fujet des voyages du Tzar ; » On admire ce » deflein : l'exécution étonne ; Se l'on applaudit peut-être à uuc faute brillante...... «Mais écartons un moment, s'il cft polîîblc, cette admiration que nous impofe tout ce » qui cft grand : examinons de fang-froid la démarche du Tzar. Environne depuis l'en-» fanec d'une foule d Etrangers, il les avoit écoutés > ils s'étoient rendus maîtres de fes » organes encore foiblcs, ils s'étoient emparés de fon intelligence naiflante ; ils dominorent » lut fon imagination, d'autant plus facile à tyrannifer, qu'elle étoit plus ardente. Ils "Un dirent que leurs petits pays devoient fervir de modèles à fon vafte Empire; que « chez eux fculs régnoient les bonnes blx , les vraies fcicnccs, le goût unique , uuivei fil, ** Se. les fculs uf.iges que durtent adopter les Nations policées. Ils le difoient, ils étoient t$ fes Inftitutcuts : pouvoit-il ne les pas croire? Il fc lairfe conduire dans !a patrie de fes «Précepteurs prévenus & intércJÏLS ; il abandonne fon pays qui, après de longs troubles, » étoit encore fourdement agité. Il va fc faire infultcr par le Gouverneur d'une petite ville ■> » il parcourt des contrées étrangères pour y devenir l'objet d'une curiofité peut-être orTcu-»> faute. Il apprend clicz les HolLndois à faire des vaitfcaux. Son père Alexis n'en favoit «pas faire i nuis fous fon règne, S: même auparavant, des Avanturicrs, des Marchands *»d'Arkangel & de (impies Kofaqucs en avoicnt conftruit fur des mers prcfque toujours » glacées , 8c avoicnt fait des voyages que les plus hardis navigateurs craignent aujourd'hui ^d'entreprendre. Il étudia TAnatomic, il examina les évolutions militaires des Allemands. « Mais il n'avoit qu'à aimer la Marine , les Arts, Icj Sciences, la Gkoc : d habiles Conf- mi&curs, des Savam, des Artillcs, des Guerrier» feroient accourus à là Cour, feraient Section XXIX. Tout ce que le Tzar faifoit de grand &: d'utile pour fon pays, fut la caufe même de cette révolte. Les anciennes coutumes étoient chères aux vieux Boyari, Se les nouvelles paroilfoient aux Popes irrités des facriléges. Les uns Se les autres fe ierviicnt d'un prétexte puérile en lui-même pour commencer les troubles i ce fut la permiilion que le Tzar avoit donnée de vendre du tabac dans fon Empire. Le parti de la Princcflc Sophie fe réveilla. » Une de fes fœurs, dit-on, renierm :c avec elle dans le même Monatlère, ne fervit pas peu a exciter les cfprits : on repréfentoit de tous cotés combien il étoit à craindre que des Ftrangers ne vinlfcnt inuruire la Nation. La fupcrilition palfa du peuple aux Strcltfi répandus fur les frontières de la Lithuanie , Se commandés par »i bientôt nés autour de lui. Au lieu de confultcr les Etrangers , au lieu d'étudier leurs loir, ni] devoir tâcha de rejetter quelque tems tout ce que les Etrangers lui avoicnt apprit, » toutes les idées, tous les préjuges qu'il avoit reclus de fes Inflitutcurs nationaux, & ne »• confultcr que fon efprit & fa raifon , &c., &c. «. Ce que j'ai appelle menfonge hiftoiique , dit Voltaire, cft très-commun; c'eft ce que la flatterie, la fatyre ou l'amour du merveilleux font inveina. IHiUoricn qui, pour plaiic à une famille ptàflante, loue un Tyran, cft un lâche; celui qui vcik flétrir la mémoire d'un b(Uî Prince cft un monflre ; & le Romancier qui donne fes imaginations pour la vérité , eft méprife. Hift. de I Emp. de Ruilie fous Piei rc-le-Grand, pag. xxui, Tom. II. La Piatribe de M. Lcvcfquc étoit faite pour indigner tout Lcclcur fage. Un Auteur aoon] D 1 a vengé l'injure faite à la mémoire d'un Prince Légiflatettt, Politique, Capitaine, homme dt mer, homme d Etat, qui joignoit aux qualités «l'un grand Monarque celle de premier ( iloyen. Un autre Auteur qui a fut la table de I" Aigle 6' du Hibou , répond à M. L«Vcf<}UC qui blàmc le Tzar d'être venu de (i loin chercher la lumicic . & qui prétend .pac ce Prince n'avoit qu'à la faire venir elle-même : Mahomet commanda aux montagnes éloignées de s'approcher de lui ; comme elles demeuroient immobiles , il ajouta : PkifêtU vous rgfitfil d'avancer vers Met, ceji a moi d'avancer vers vous. Il marcha, ù fon armée juivit. CetM réfutation I quelque chofe de fublime. HISTOIRE DE RUSSIE. 167 le Prince Michel Romodanofski. Quatre Régimens fe révoltèrent, déposèrent leurs Chefs, en nommèrent d'autres, &c marchèrent en armes vers Moskou, dans le dcifein de mettre Sophie fur le Trône. Les Généraux Cheïn Se Gordon, informés a tems de cette marche, fe mirent à la tète de deux corps, l'un d'infanterie, l'autre de cavalerie, Se rencontrèrent les rebelles près du Couvent Voshfi-eenskoï ou de la Réfurreclion, a 40 vérités de Moskou, Se les exhortèrent à rentrer dans le devoir. Comme ils étoient au nombre de dix mille , Se fe croyant fupérieurs aux troupes étrangères qui marchoient contre eux , ils voulurent forcer le partage. On tenta de les effrayer par des coups de canons chargés feulement a poudre} mais un Pope qui les accompagnoit, de qui sapperçut que l'artillerie ne tuoit perfonne , cria au miracle, Cil affinant que Dieu détournait les boulets, & que les armes des impies étoient fans force contre ceux qui défendoient la Relhion Orthodoxe. Alors Ché'm Se Gordon ordonnèrent a la cavalerie de fondre fur eux ; ils plièrent, mirent bas les armes, Se implorèrent leur patefon. Cette fupériorité de deux Généraux étrangers fut l'ancienne Milice, irrita encore la Nation». Section XX X. Pierre fut inftruit a Vienne de la défaite des Streltfi : on lui manda que les prifons étoient remplies de ces malheureux , ëe que l'on commençait a leur faire fubir la queftion. La principale raifon de fon retour ceffant p.ir-la , il auroit pu voir ! Italie S: la France. Mais il connoilfoit le caractère de Sophie, le fana-tifmc de fon peuple , l'antipathie des Grands pour les nouveautés utiles - 3c il vouloit abattre d'un feul coup cette Milice audacieufc qu'aucune autorité jufqu'à lui n'avoit pu contenir, & s'aferniir par la fur un Trône ou fes prédécelfeurs avoicnt. toujours été chancelant. Ce fut dans ce delfein qu'il partit fccrètemcnt de Vienne, pafta par la Pologne, où il eut une entrevue avec le Roi Augujie dans une petite ville nommée Rava. Le Journal de Pierre-le-Grand rapporte : » Qu'après avoir vu quelques Régimens Saxons faire Vexer-»cicc, ces deux Princes furent invités par le Lieutenant Général nFIemnùng a palfer la foirée chez lui, &: qu'entre autres propos, » le Roi dit au Tzar que plufieurs Polonois lui etoient contraires; »&: que s'ils entreprenoient quelque chofe contre fa perfonne, » il le prioit de lui accorder fon fecours. Sur quoi le Tzar repon-•fdit, qu'il étoit prêt a le faire, mais qu'il ne piéfumoir pas que » les Polonois en vimTcnt a une pareille action, pnifque dans toute «leur Hiftoirc on ne trouvoit point d'exemple femblable (i). » A fon tour Pierre pria Augufte de venger l'affront que le Gou-» verneur cVJlberg lui avoit fait à Riga, ou il put a peine fan ver «fa vie : le Roi Auguftc le lui promit u. Après avoir formé le paélc d'une amitié réciproque, les deux Prince* & féparèrent. C'eft dans cet entretien que le Tzar prit les premières mcii pour s'agrandir du côté de la mer Baltique. 11 arrive a Moskou, 6c furprend tout le monde par (a préfeûCe; il técompenfc les troupes qui ont vaincu les Mrcltfi. Dans le premier tranfport de fa colère, il veut punir la PrinceflcSophie >auteur de tous les troubles de fon règne j mais Le Fort employa tout le pouvoir qu'il avoit fur fon Maître pour lui infpircr le k,miment généreux de la clémence. Ce jour fut le triomphe de la nature fur la colère. Pierre alla voir Sophie , dans 1 intention de l'accabler de reproches. Cette coupable intrépide fur (i bien emprunter devant fon frère le ton de l'innocence 6c de la vertu, qu elle le fîéehit 6c l'attendrit jufqu'aux larmes. (,) l'une difoit vrai -, ruais les teins ont d-jnpé, & l'Hilloue modem, de \\ ! -tx cil fouillée d'un des plus odieux attentats en ce genre. Il Il falloit des exemples de févérité pour infpircr l'effroi à un corps enclin à la révolte : le crime des Streltfi étoit grand, le châtiment le fut auili. Le Souverain, qui ne pouvoir accorder fa confiance a fes Boyari, fut contraint d'interroger lui-même les coupables, qui rendirent fa vengeance terrible, par leur obiiination a garder le filencc fur les auteurs de la (édition Ôc fur des détails importait. Deux mille Streltfi, leurs Chefs, plufieurs Qtficiers ôc quelques Popes furent condamnés à la mort : les plus coupables furent roués; ôc deux Femmes-dc-Chambrc, confidentes de la Princeflc Sophie ôc de Marfa fa foeur, furent enterrées vives. Elles faifoient palfer dans des pains, ôc par unc vieille femme, les lettres que Sophie écrivoir aux Chefs des Strcltfi. Plus de trois cents Nobles eurent la tête tranchée par des Nobles. Le Prince Romodanofski, qui avoit commandé autrefois les quatre Régimens rebelles, Mcntchikof, ôc tous les Boyari qui avoicnt afiifté a l'interrogatoire ôc au jugement des criminels, furent obligés d'exécuter eux-mêmes l'Arrêt de mort. Le Fon ÔC le Baron de BUmberg en furent difpenlés. Pierre fe conduifit dans cette circonflancc, a l'égard des Nobles, a-peu-près comme le Tzar Ivan Vafiliévitz s ctoit conduit dans unc conjoncture moins terrible que celle-ci. Il ne refloit plus de fupplices a imaginer en Ruilie. On entoura de potences le Monailcrc ou les PrincelTcs étoient renfermées, ôc on y attacha ceux des Streltfi qui lui avoicnt été le plus dévoués. On dit que trois d'entr'eux qui lui avoicnt remis une Supplique pour qu'elle s'emparât du Tronc, a l'abfencc du Tzar, furent pendus aux barreaux de la fenêtre de cette Prin-celfe, ôc que celui qui avoit drelfe la Requête la tenoit a la main. Spectacle terrible \ mais vengeance pardonnable envers une Prin-cefle auteur de tant de crimes, ôc d une rébellion qui menaçoit également ôc l'Etat, ôc le Souverain-Chef. On ajoute que tous les coupables virent fans effroi l'appareil Tome III. Y i7o HISTOIRE DE RUSSIE, des fuppliccs : un trait frappant va le prouver. Un des rebelles, dont les defcendans jouilïent aujourd'hui d'une grande faveur en Ruilie, étoit de rour pour avoir la tête tranchée, 6c celles de fes complices couvroient entièrement la longue poutre qui fervoit de billot; il les écarte , en difant : Padïté prochs , mnié méfia niet : Eloignez-vous y & faites-moi place. Le Tzar, rémoin de cet acre de fermeté ou d'in fenfibilité, fufpcnd la hache, 6c pardonne au coupable. La clémence eft unc vertu dans un Prince, 6c un ade de vertu conduit toujours à un autre. Si le Tzar avoit cru devoir étonner 6c fubjuguer pour jamais lefprit de la Nation par l'appareil 6c par la multitude des fuppliccs, il comprit qu'il n'avoit plus befoin d'exemple terrible ; que la vie des hommes devoit êtfC comptée pour beaucoup, fur-tout dans un pays où la population demandoit tous les foins d'un LégiOateur. Il fit grâce a plus de fept mille Streltfi condamnés ?i mort, K qui avoicnt leurs femmes 6c leurs enfans a Moskou. Ils furent difperfés avec leurs familles dans la Sibérie, dans lé Royaume d'Allrakan 6c dans le pays d'Azof. Pour prévenir de nouvelles révolutions dans l'Etat, Pierre crut devoir détruire le corps entier des Strcltli , animé du même efprit, 6c Ci redoutable a fes Souverains. Il fut cafte a perpétuité , 6c leur nom aboli. On érigea des colonnes de pierre où le crime 6c le châtiment furent gravés. La politique exigeoit qu'on les difpcrsât; ils furent envoyés dans différentes villes, a de grandes diftanecs l'une de l'autre. Ces faits font atteftés par les Mémoires de l'Ingénieur Pcrrij par les Manufcrits de le Fon, 6c par le témoignage de Korb, alors Secrétaire de l'Ambaflade de Vienne à Moskou. La difgracc à'F.udoxie, qui fut reléguée dans un Monaftèrc de Souzdal, 6c contrainte d'y prendre 1 habit de Religieufe, a fait préfumer qu'elle pouvoit avoir en part dam la confpiration des Strcltfi contre fon Epoux ; mais une préibmption n'eft pas la preuve d'un aufti grand crime. Rcfpeftons la vertu, en blâmant Eudoxie de défapprouver les changemens utiles que fon Epoux ôc fon Souverain introduifoit dans fon Empire. Section XXXI. Le Journal de Pierre-le-Grand rapporte «que la Milice des » Streltfi fut remplacée par des troupes véritablement réglées, » ôc dont on fit dix-huit Régimens d'infanterie, ôc deux Régimens >»dc dragons; on les partagea en deux divilions ; l'une fous le « commandement du Général Golovin,6c l'autre fous celui d'Adam « tyreydc Le Réfidcnt de Suède , Kniper-Kron , demanda raifon en »5 termes très-forts, de la création de cette Milice régulière , puif-» qu'on étoit en paix avec les Etats voifins. On lui répondit qu'a-» près avoir cafte le Corps des Streltfi, il ne reftoit plus d'infanterie » dans l'Empire, Ôc qu'il n'étoit pas pofliblc de s'en pafter. La »> réponfe étoit jufte ôc modérée. Il n'y a que la loi du plus fort qui » puifte autorifer la demande de Kniper-Kron. Aucune Puiffancc >j n'a le droit de demander raifon a unc autre des établiftemens » qu'elle fait chez clic pour fa fureté &: fes propres avantages". Ce trait rappelle la réponfe de Louis XIV a l'Ambaftadcur d'Angleterre, qui , en 1714, fc plaignoit à ce Monarque des travaux qu'il faifoit faire au Port de Mardick.» M. l'Ambaftadcur, ♦s j'ai toujours été le Maître chez moi, quelquefois chez les autres ; « ne m'en faites pas fouvenir ci. Section XXXII. SBRr^Wh \ h''v'" ' ?''f J'^QT-J ■i^W* s^,'"'>w" v«^v ' V "H* Le Tzar vient dinfpircr unc crainte falutairc aux Ruffcs, le même efprit de juftice l'engage a exciter l'émulation de fes fujets par des diftinctions méritées. A l'exemple des autres Cours de l'Europe, U inftitua un Ordre de Chevalerie, s'en déclara Chef ÔC Grand - Maître , Ôc fit unc récompenfe de lhonncur d'y être Y ij admis. Le Patron de cet Ordre Civil & Militaire cft Saint André, Apôtre. Le Comte Colovïn fut le premier Chevalier de l'Ordre. Les Généraux qui s'étoient diftingués au fiége d'Azof &c ailleurs contre les Tatars 6c les Turcs, obtinrent cette marque de diftinétion. Section XXXIIL Pierre , févere par néccflïté , va fe montrer a fes fujets Prince fenfiblc & reconnoiftant : fon favori le Fort tombe malade, 6c meurt a l'âge de quarante -fix ans, le n Mars 1699. 11 l'honora d'une pompe funèbre telle qu'on en fait aux Souverains. Il affilia lui-même au convoi , une pique a la main, marchant après les Capitaines au rang de Lieutenant qu'il avoit pris dans le grand Régiment de ce Général, » enfeignant a la fois 9i h fa NobleiTe a rcfpcclcr le mérite 6c les grades Militaires. On « connut après la mort de Le Fort que les changemens préparés »j dans l'Etat ne venoient pas de lui, mais du T/.ar. Ses couver-» fations avec cet ami de cœur l'avoienr fins doute confirmé »î dans fes projets, mais il les avoit tous conçus, 6c il les exécuta » fans lui «. Ce partage de M. de Voltaire n'eft pas unc injure a la mémoire de le Fort ; l'cfprit de juftice l'a dicté a l'admirateur de ce grand homme, qui fut à-ta-fois fujet fidèle, ami zélé, confident 6c Miniftrc d'un Prince que Ton ne peut comparer qu'a Charlc-mignc. La confiance du Tzar dans te Fort, n'étoit point l'effet de la faveur ou du caprice ; clic étoit juftifiéc par la f.igcftc des confeils , 6c par la pureté des fentimens du favori ; il ne fc fer-voir jamais de fafeendant abfolu qu'il avoit fur Tel prit de fon Maître, que pour l'avantage de la Nation dont la gloire du T/ar étoit inféparablc. Mentor éclairé , mais févère , il lui rJlïlloit même avec force, dans les accès de colère auxquels il étoit fujet, Se qui l'auroient rendu féroce s'il n eût été retenu. Dans ces accès terribles , le Monarque hors de lui-même ne connoiffoit plus que fon favori , & le favori traitoit le Monarque avec toute la févérité néccilaircj Se combien de têtes n'a-t-il pas confervées à la Noblcfte Ruflc ! Un trait qui fufiïroit feul pour donner la plus haute idée de Le Fort, parvenu au comble de la faveur Se de la grandeur , c'eft qu'il vécut déiintércfte, fins ambition, fans intrigue. 11 mourut pauvre, laiftant une veuve, un fils Se un neveu qui furent contraints de chercher des fecours dans la géné-rofité du Tzar : il cft bien peu d'exemples pareils. Section XXXIV. Pierre poffédoit fupéricurcment les qualités d'un grand Roi ôc d'un Miniftrc habile : l'Hiftoirc ne nous parle d'aucun Souverain qui ait réuni, comme lui , l'efprit de détail aux vues d'une Lé-giflation qui cmbraflbit à-la-fois tous les abus d'un peuple auili cfclavc de fes préjugés que de fes Dcfpotes. Cette victoire , la plus gloricufe de toutes, étoit réfervée à l'homme qui s'étoit formé de lui-même j la fuite de fa réforme va le prouver. Tout étant pacifié , Pierre s'appliqua a donner une nouvelle forme a la partie Militaire. Il établit des Régimens réguliers fur le modèle Allemand, Se leur fit donner des habits courts Se uniformes; il voulut que les fils des Boyari commençaflent par être Soldats avant dette Ofliciers , Ôc que d'autres fi fient appren-tiifage de Matelot fur la flotte que les Ouvriers Anglois Ôe Hollandois conftruifoicnt a Voionèfc ôe vers Azof. » On n'ofoit refufer un Maître qui avoit donné l'exemple. En ^occupant de mettre la flotte en état, on élevoit des digues Se des éclufci ; on ctabliifoit des chantiers où l'on pût caréner les vaifteaux a fec; on reprit le grand ouvrage de la jonction du Don ÔC du Volga, abandonne par l'Allemand Bmktl Pierre établir un nouvel ordre dans les Finances ; il choifit pour Receveurs, des Bourgeois qui n'étoient pas aflez puilfans pour s'arroger le droit de ne payer au Tréfor public que ce qu'ils voudroient. Cette nouvelle Admi-niftration des Finances fut ce qui lui coûta le plus de peine; il fallut elfayer de plus d'une méthode avant de fe fixer « : mais les efforts du Tzar redoubloient avec les difficultés \ il ne fe rebuta point : il eifaya, découvrit le mieux, le iaifit en homme de génie, ôc ne s'en départit jamais. Il ne regarda point la réforme dans l'Eglife comme impoflible ou dangereufe : du moins ne le fut-elle pas pour lui. LcsEvêqucs s'étoient arrogé le droir du glaive, droit contraire à l'efprit de la Religion & du Gouvernement : ils con-damnoient a des peines afflictives & à la mort : cette ufurpation ancienne leur fut ôtéc; Se le Patriarche^™ étant mort, il déclara qu'il n'y en auroit plus : les grands biens affectés à cette dignité furent réunis aux Finances publiques qui en avoicnt befoin. » Si le Tzar ne fe fit pas Chef de l'Eglife Ruflc, comme les Rois de la Grande-Bretagne le font de l'Eglife Anglicane, il fut en effet le maître abfolu, parce que les Synodes n'ofoient ni défobéir a un Souverain defpotiquc , ni difputcr contre un Prince plus éclairé qu'eux ». Comme fes Etats avoicnt befoin d'être peuplés, éV que le grand nombre de Moines étoit contraire au bien public, il ilatua qu'on n entremit dans les Cloîtres que dans un âge où l'on cft bien rarement tenté d'y entrer. 11 ordonna que l'année qui commençait au premier Seprcmbrc, commenecroit au premier Janvier. Bien plus , il voulut accoutumer fa Nation aux mœurs ôc aux coutumes des peuples chez lefqucls il avoit voyagé. Il mit à la mode les juftaucorps ÔC la coutume de fc rafcr,du moins à la Cour \ mais le peuple fut plus difficile: on fut obligé d'imposer unc taxe fur les habits longs ôc fur les barbes. On fufpcn-doit aux portes de la Ville des modèles de juftaucorps : on coupoir les robes 6V: les barbes à qui ne vouloit pas payer. Un Defpote pouvoir faire tout cela ; mais fes motifs ôc fon but étoient la çivilifation d'un peuple ennemi des ufages de toutes les autres Nations. Nous avons démontré ailleurs les inconvéniens de tant de réformes précipitées qui ne pouvoient qu'ébaucher les Runes, Ôc non pas les policcr fous le règne d'un fcul homme. Mais s'il étoit utile aux projets du Tzar que fes fujets ne fiuTent point vêtus d'une autre manière que ceux qui leur enfeignoient leurs Arts , le vêtement ne fiiffifoit pas pour détruire la haine contre les Etrangers ; il falloit encore rendre les fujets fociablcs, ôc le Légiflatcur eut cette attention. Ce n'eft point la réunion dans unc Ville qui conftitue la fociabilité, il faut fe communiquer avec politcffe ; cette communication adoucit par-tout les amertumes de la vie. Le Tzar introduit les affemblécs. Il y fit inviter les Dames avec leurs filles habillées a la mode des Nations méridionales de l'Europe ; il donna même des Règlcmcns pour ces petites Fêtes de fociété ; Ôc nous avons déjà fait connoîrrc ces innovations. Quoique ce Prince n'aimât pas le fafte, il crut qu'il étoit néceftaire de mettre quelque pompe dans fa Cour, pour apprivoifer les Ruffcs avec les Arts étrangers. Unc chofe étonnante dans un Prince abfolu , c'eft qu'il abolit le mot Kabp y cfclavc, dont les Ruffcs fc fervoient quand ils pouvoient parler aux Tzars, ôc quand ils préfentoient des Requêtes \ il ordonna qu'on fe fervît du mot RaaB, qui fignific fujet. Avant cette Ordonnance , l'abjeelion des Ruffcs étoit encore plus grande : non-fculemcnt ils prenoient le titre d'cfclave dans la circonftancc dont il s'agit ; mais ils prononçoient leurs noms au diminutif, comme leurs propres ferfs : Ivan fc nommoit ôc fc fignoit Iva-noufîkm ^c Tant il cft vrai que dans l'état d'cfclavage, lame abattue reffernble à un corps inerte, qui ne fc meut que par un autre! Section XXXV. Le Comte Gobvin fuccéda à la dignité de Grand-Amiral. Men-tchikof, dont nous avons parlé ( Section XV) tint dans le cœur du Tzar la place du premier favori, ôc parvint bientôt au rang de Prince. Pendant que Pierre s'occupoit d'une réforme qui s'étendoit à tout dans l'intérieur de fes Etats , une trêve avantageufe avec l'Empire Turc lui laiffoit la liberté de reculer fes frontières ôc de fuivre fes grands projets de marine ; il tourna donc fes deifeins vers la mer Baltique , fans abandonner ils conquêtes fur les Tatars ôc fur les Turcs , ni la marine du Don ôc du Volga. » Ses projets de commerce étoient trop grands pour les Palus >5 Méotidcs, &: les établilfcmcns fur la mer Cafpicunc ne com-»? portoient pas une flotte guerrière ». Nous allons faire connoître les moyens que la politique fuggéra à Pierre I pour remplir fes vues fur la Baltique. Dans cette même année 1699,1c 16 Juin, ce Prince conclut un Traité défeniif avec Frcdaic , Roi de Danemarck , par l'en-tremife de Paul Hcyns, fon Envoyé extraordinaire. Ce Traité portoit : » qu'au cas qu'une des deux PuilPanccs contractantes » fût attaquée , l'autre la fecourroit de toutes fes forces ; &: » qu'aucun des deux Souverains n'entreroit en alliance, dans quel-» que tems que ce fût, avec unc autre puilfanec, par un Traité >j qui portât atteinte a ces obligations réciproques. Dans un article »3 féparé , on inféra que ce Traité n'auroit force qu'après que » la Ruilie auroit fait la paix avec les Turcs ». Journal de Pierre-le-Grand. Ce Traité fut fuivi d'un autre avec la Pologne, au retour de Pierre l , qui s'étott rendu à Azof ôc à Kcrtlchc pour forcer le Capitan Pacha Affan a donner partage à M. Oukrainqof, Envoyé extraordinaire extraordinaire de Ruilie à la Porte : les Turcs ne vouloicnt pas qu'il fe rendît à Conftantinoplc par mer. Le Traité d'alliance offcnfîve contre les Suédois, fut ligné à Préobragenskoié le 11 Novembre de la même année, conformément aux engagemens que Pierre & l'Electeur de Saxe avoient contracLés dans leur entrevue a Rava. Ce fut un Général Saxon, nommé Carlowa^, qui fut chargé de cette négociation. Il fut convenu : i°. " de déclarer m la guerre a la Suède, avec la condition que le Roi de Polo-» gne la commenceroit cette même année ; mais que le Tzar sj ne la déclarcroit qu'après avoir reçu de fon Envoyé extraor-» dinairc à la Porte, des nouvelles décifivcs fur la paix ou la » guerre. » Que non-feulement les deux Princes prendroient foin d'é-» loigner tout ce qui pourroit porrer atteinte à leur confiante » amitié , mais que pour preuve de leur alliance fidclle, ils fe » fourniroient réciproquemenr des fecours conrre l'ennemi, avec »la plus grande exactitude, &c fans que l'un acceptât jamais de )j propofitions de paix fans le confcntcmcnt de l'autre. 3°. >î Que chacun deux fuivroit ponctuellement le plan des »j opérations projettées, favoir : Pierre I, celle de l'Ingric &: de « la Carélic, Provinces que les Ruifcs avoienr autrefois polfédécs, >ï & dont les Suédois s'étoient emparés par le droit de la guerre j » Augujlc, celles de la Livonic &: de l'Eitonic, avec promeife de » faire entrer la Pofpùiité dans ce parti ». La Pofpolite étoit alors ce que l'on entend en France par l'arrièrc-ban. C'éroit la No-bleffc qui prenoit les armes dans les cas extraordinaires, par ordre de la Diète, &c quelquefois par celui du Roi. On a vu le Corps àc cette Noblelfc fournir jufqu a cent mille hommes, fans compter les PacoUts ou Domeftiques. Après avoir conclu ce Traité offcnfif, le Général-Major Car-lowirz déclara au Tzar qu'il s'étoit formé un complot à Riga , Tome ///, 17$ HISTOIRE DE RUSSIE, dont on profiteroit lorfquc ks Saxons fe préfcntcroient devant la Ville. L'auteur de ce complot étoit Henri Patkul, qui avoit accompagné Carlowitz à Moskou , &: qui fut préfenté au Tzar pour lui dévoiler certe inrrigue. Cette année eft féconde en évènemens : Pierre I ouvrit unc Ecole de Marine; il en fonda d autres pour apprendre les Langues ; on commença à traduire , a imprimer divers Livres qui traitoient des Sciences ÔC des Arts, du Génie, de l'Artillerie, de la Mé-chanique , de l'Hiftoire, Sec. Il étoit défendu , fous peine de mort, de fortir du pays pour aller s'inftruirc chez les Etrangers : Pierre obligea fes fujets de voyager pour profiter de leurs lumières. Mais tel cft l'empire de l'éducation ôc du préjugé, que les Ruflcs n'obéirent h cet ordre qu'avec la plus grande répugnance. Nous pourrions en citer des exemples flngulicrs. Un Prince de cette Nation, envoyé a Paris pour s'inftruirc, fc logea près des Quinze-y mots y ne vit d'autres perfonnes pendant deux ans que fa blan-chiifeufe , avec laquelle il paftbit le tems à jouer aux cartes, à ce jeu qu'on appelle le Mariage ; après quoi il s'en retourna à Moskou comme il étoit venu. Un autre, parri pour Vcnife, y féjourna quatre ans, ôc le lit gloire a fon retour de n'avoir rien vu, ni rien appris pendant fon abfcncc. De-là vient, fans doute, le proverbe Ruffe : // a été à Rome, & n'a pas vu le Pape. Un autre fait remarquable, c'eft que Pierre I commença à ligner de fii main les ratifications Ôc les lettres adrclfécs aux Puiflànccs Chrétiennes : fes predécclfeurs fe fervoienr ordinairement d'un cachet en place de fignature. On a vu que ce Prince éprouva beaucoup de réfiftanec de la part de fes Sujets, lorfqu'il leur ordonna de fc vêtir comme les autres Européens, &: de fe faire râler la barbe. Il fut obligé dim-pofer une taxe fur les habits longs ou les touloupcs, ôc fur les barbes : de* Commis furent établis aux portes des Villes pour la recevoir. HISTOIRE DE RUSSIE. 179 Les peuples, guidés par leurs Popes, crièrent à l'irréligion, ôc Je Tzar fut traité de Tyran ôc de Païen ; mais il fut obéi, parce qu'il vouloit l'être, ôc qu'il étoit ferme dans fes réfolutions. On dit que les vieux Ruffcs s'en vengèrent, en confervant précieufe-ment leur barbe pour la faire mettre dans leur cercueil, comme un paffe-port qui devoit leur faire ouvrir les portes du Ciel. Ces détails minutieux en apparence, prouvent les obflacles nombreux que Pierre I eut à furmonter en tout genre, pour rapprocher fes peuples de la çivilifation Européenne. Enfin, il termina certe année en fixant le commencement de la fuivante au premier Janvier. Cette innovation fut célébrée dans PEglifc Cathédrale de fAffomption, à Moskou. L'Archevêque Eùennc de Rézan fit un Sermon après la Mcifc , Ôc l'on chanta le Te Dcum en action de grâces : on tira enfuite trois falves de canon, &: il y eut un feu d'artifice dans la Place publique. On éleva aufii des arcs de triomphe dans les endroits les plus remarquables de la Ville, Section XXX VI. 1700. Nous avons fuivi dans la Section précédente les faits que Pierre I a notés lui même : à l'exemple de Jules Ccfar, il a écrit beaucoup de particularités intéreffantes dont l'Hifloire lui cft redevable ; mais le Journal de ce Prince ne nous fervira pas toujours de guide, nous prendrons la liberté de difeuter quelquefois le* faits qu'il rapporte, Ôc de les comparer avec le récit des Hiftoricns de la Suède. Pierre I étoit obligé par politique d'atténuer la fupérioritc des Suédois fur les Ruffcs, ôc d'exalter les plus foiblcs avantages que ceux-ci remportoient fur ceux-là, pout^uir perfuader qu'ils n'etoient pas invincibles, ni fur terre , nfffur mer, ôc qu'avec du courage ÔC de la patience, on viendront à bout Z ij HISTOIRE DE RUSSIE, de les battre un jour , après avoir été fouvent battu par eux. Cette politique nécenaire mérite des éloges que la Poftérité ne démentira pas, en défapprouvant même lin juftice de la Confédération formée contre Charles XII. Nous obfcrvcrons d'abord avec les Suédois, que THiiloire fournit peu d'exemples d'une guerre auili injufte que celle concertée en 1700, entre le Roi de Danemarck, celui de Pologne &: le Tzar, contre Charles XII. Le Roi de Danemarck fut l'artifan de cette ligue. Sous le prétexte de maintenir les droits de la Branche Royale contre celle de Holftcin, il fit des préparatifs de terre $c de mer; mais il avoit un projet plus étendu que eelui d attaquer des droits qui avoicnt été reconnus par les Pu i (Tantes garantes du Traité d'Altcna : il vouloit profiter de la jeunette, du peu d'expérience de Charles XII, & de l'état où fon père avoit Iaifle la Suède , pour l'accabler. Trop foiblc pour l'attaquer fcul, il s'adreffe au Roi de Pologne qui crut l'occafîon favorable de faire la conquête de la Livonic ; &c il ne leur fut pas difficile d'engager le Tzar à entrer dans leurs vues. Ce Prince brûloit du defir d'exercer, de former fes troupes, &: d'occuper fes Sujets, pour ne pas leur laiifer le tems de réfléchir aux changemens qu'il introduisit, 6e les y accoutumer infenfiblcment ; mais fon principal objet étoit d'avoir un Port fur la mer Baltique, cV pour le remplir, il falloit qu'il s'emparât de l'Ingric. Cette convoitife du bien d'autrui fut l'origine d'une guerre qui coûtera la Couronne au Roi Augujîc, qui ébranlera le Tronc de Ruilie, réduira la Suède dans un état déplorable, & défolcra le Nord pendant près de vingt années. Les Princes alliés , èV fur-tout le Tzar &: le Roi de Pologne, couvrirent leurs delfcins du voile du myflère : dans le tems même qu'ils fiiifoienj^nitcs leurs difpolitions pour accabler Charles XII, ils faifuroicf^W defir confiant qu'ils avoicnt d'entretenir la paix avec la Suède : fon jeune Monarque n'eut connoiifancc de l'orage qui fohdoit fur lui, qu'en apprenant que les Saxons étoient entrés en Livonic , Se marchoient fur Riga. Charles étoit a la chaffe aux ours lorfqu'il en reçut la nouvelle. Loin d'en être ému, il fc tourna vers le Comte de Guifcard, Ambailadeur de France, Se lui dit : n Nous les forcerons bientôt de reprendre le chemin par où » ils font venus «; Se continua fa chalfc. Les Saxons que le Roi de Pologne avoit envoyés en Courlandc Se en Livonic, éroient fous le commandement du Lieutenant-Général de Flemming. Le Général - Major Carlowiti, en arrivant de Moskou à l'armée, n'y trouva point FUmming, qui s'étoit abfenté pour aller fe marier en Saxe \ c'étoit mal prendre fon tems. Pour ne pas manquer l'expédition dont on étoit convenu, Carlowit^ fut obligé de faire part aux autres Généraux des ordres feercts qu'il ne devoit communiquer qu'au Chef : on étoit convenu avec quelques Livonicns de furprendre Riga, &: de s'en rendre maître pendant la Fête de Noël. Le retardement des Saxons Se l'abfencc de Flcmming firent échouer ce projet : les autres Chefs, qui n etoient point munis d'ordres exprès fur ce point important, balancèrent long-tems avant de prendre un parti déterminé. Cette indécifîon donna au Général d'Albcrg, Commandant de Riga , les moyens de prendre les précautions néecifaircs : pour mieux défendre la Place, il en fit brûler les fauxbourgsi Se fa conduite obligea les Alliés de changer de dclfein. Les troupes Saxones attaquèrent Se prirent le Fort que l'on nomme Koborfchantz ; ils allèrent enfuite à Dunamttnd qu'ils afliégèrent : le Général Carlowitz fut tué dans unc attaque. A l'arrivée du Général Flcmming, on recommença les attaques fufpenducs ; Se le Commandant de Dunamund , craignant qu'on if emportât la Ville d'allant, capitula le if de Mars. On y laifla pour Commandant le Colonel Kaumtx avec ixoo foldats. Dans le même tems, le Général Major Mendd arriva au fecours de Riga avec cinq mille hommes de troupes Suédoifes qui fc joignirent a celles de la garnifon. Mendd repouifa les Saxons qui fe retirèrent, pafsèrent la Dvina, Ôtjettèrent leur artillerie dans l'eau* Quelques jours après, ils reçurent un fecours de cinq mille hommes de Lithuanie, fous le commandement de Potot^ki, drefsèrent des batteries fur la rive oppofée à l'ennemi, ôc tirèrent fur lui. Le Duc Ferdinand de Courlande avoit le commandement en chef des troupes de Saxe ôc de Lithuanie. Section XXXVII. Le Roi de Danemarck ayant appris ces évènemens, déclara la guerre au Duc de Uolficin-Gottorp, ôc ruina trois redoutes que ce Duc avoit fait conftruire fur les frontières, par le fecours des Suédois, ôc contre la teneur de leurs Traités. Comme il y avoit dans la ville de Tonningen une garnifon Suédoife, fous le commandement du Général Banner, le Roi de Danemarck la bombarda , Ôc I afîiégca enfuite dans les formes ; mais il fut obligé d'en lever le fiége le 3 Juin. Charles XII ne vit pas impunément fon beau-frère attaqué , ÔC fit de grands préparatifs, tant par terre que par mer, pour le fecourir, ôc foutenir unc guerre qu'il prévoyoit devoir être longue ôc fanglantc. Il mit dans fes intérêts les garans du Traité d'Altcna, qui étoient les trois Princes de la Maifon de Luncbourg, les Anglois &: les Hollandois. Fidèles au Traité , les Alliés , a la tête dcfqucls fe trouvoient l'Electeur d'Hannovrc qui les commandoit en perfonne , ôc le Duc de Zcll, pafsèrent PElbc, ôc s'avancèrent jufqu'a Ségcbcrg, dans le Holftcin Royal, dont ils exigèrent les plus fortes contributions. Enfin , la flotte d'Angleterre Ôc de Hollande parut dans la mer Baltique. Charles XII, qui comman-doit la fienne, la joignit le 7 Juillet \ Ôc les deux flottes, fprtes HISTOIRE DE RUSSIE. 1S5 de foixante-dix voiles, partirent de rifle de Véen, pour aller chercher celle des Danois, qui s'étoit réfugiée dans le Port de Copenhague. Dans rimpoftibiliré de l'attaquer , les Alliés la bombardèrent, mais inutilement. Cette manière de faire la guerre étoit trop éloignée du caractère de Charles XII pour qu'il pût s'y arrêter; il réfoiut de détendre en Séclande, & de faire trembler le Roi de Danemarck pour fa Capitale. Il fit voile le zy Juillet pour fe rendre à Humblcbeck t fitué entre Helfmgor ôc Copenhague, lieu qui étoit propre au débarquement. Lorfquc les difpofitions furent faites, le Roi, l'épéc à la main , fe jetta le premier dans l'eau, Ôc fut fuivi de toutes fes troupes. Les Danois fortirent de leurs retranche me n S, vinrent au-devant des Suédois, ôc fe replièrent après unc légère réfiftanec , abandonnant leur camp, leur artillerie Ôc leurs équipages. Dès le lendemain, Charles donna fes ordres pour faire venir de Scanic les troupes qui y étoient reliées, ôc le 5 Août il marcha a Runftadt, à unc lieue ôc demie de Copenhague, dans le deffein de faire le fiége de cette Ville, dès que l'artillerie qu'il attendoit feroit arrivée. La nouvelle de cette expédition détermina le Roi de Danemarck à faire la paix. Cette paix dé fa van tageufe fut conclue a Travendahl, le 18 d'Août, au préjudice du Traire qu'il avoit fait avec le Roi de Pologne, contre les Suédois. C'eft ainfi que Charles XII, par fon activité Ôc fa valeur, termina en deux mois unc guerre dans laquelle il fît voir ce qu'on devoit attendre de lui. Son beau-frère le Duc de Holftcin rentra dans la pleine jouiffanec de tous les droits ôc prérogatives qui appartenoient a fa Branche. Section XXXVIII. Te Roi de Pologne, jugeant (a préfence néceffaire en Livonic, pour le fucecs des opérations, s'y rendit au mois de Juillet avec toutes fes troupes Saxoncs, tant de Cavalerie que d'Infanterie. Il remporta deux avantages fur les Suédois, qui fe retirèrent vers Riga. Augufte les pourfuivit jufque-là, & affiéga la Ville. 11 corn-mençoit à la bombarder, lorfque les Ambafladeurs de France, d'Angleterre &: de Hollande, lui firent des remontrances en faveur de leurs Négocians dans cette Ville : Augufte fit ccifcr le bombardement, 6c fit payer aux Habitans une forte contribution. Il marcha enfuite vers la forterefle de Kokcnhaufcn, qu'il prit. Ce fut dans cette circonftance que le Tzar reçut la nouvelle d'une trêve de trente ans avec les Turcs. Par cette trêve avanta-geufe, quatre Villes prifes fur les Turcs, 6c fituées fur les rives du Dnieper, furent détruites : la Ville d'Azof, les petites Villes qui en dépendoient, 6c tout fon territoire, réitèrent fous la domination de la Ruflic. Ce Traité eft du 5 Juillet. Dans le mois d'Août, le Tzar fit demander à Charles XII la réparation des injures que le Comte d'Albcrg lui avoit faites à fon paftage à Riga : d'autres griefs accompagnoient celui-ci : on les trouve dans le Mémoire rai-: fonné de la guerre contre les Suédois. Le 12 du même mois, les troupes commencèrent à fortir de Moskou, 6c le Général-Major Butturlïn marcha avec l'avant-garde. Le Tzar fc joignit à ce corps avec les deux Régimens des Gardes Préobragcnski 6c Séménofski : les autres dévoient fuivre aufti-tôt qu'ils feroient en état de fc mettre en marche. S. M. fe rendit a Novogorod le 30 Aoûr. Le Duc de Croï vint lui offrir fes ferviecs. Le Prince l'roubct-koïj Gouverneur de Novogorod , en partit le premier Septembre , 6c s'avança vers Narva pour la bloquer. Il avoit avec lui les Régimens d'Infanterie , ou Soldatskk, ainfi nommés pour les diftinguer des troupes irrégulières, deux Régimens de Novogorod avec tous les Nobles de ce diftrict, SC deux Régimens de Pleskof. Le Corps de Butturlin paffa la rivière Narova le 13 Septembre, 6c campa à côté du Prince Troubetzkoï. Le Te Tzar fe ehoifit un quartier dans une ifie formée par cette rivière, près d'un moulin à feicr. Il trouva dans le camp le Baron dïAllan, Lieutenant-Général, qu'Augufte lui avoit envoyé avec plufieurs Officiers du Génie ôc de l'Artillerie. On vifita le bord de la mer, pour choifir un lieu propre à conftruire un Fort qui pût empêcher l'ennemi de furprendre les Rulfes du côté de la mer. Dans ce même tems, un Capitaine de Cavalerie, nommé Boour, fortit de Narva Ôc vint dans le camp ennemi. On fut de lui qu'il y avoit dans la Forterefle 1300 fantaffins, 400 bourgeois ôc 100 hommes de Cavalerie ; que les ailiégés étoient pourvus de vivres ôc de bois, ôc que n'ayant pas beaucoup de monde, ils alloient retirer la garde du chemin couvert, ÔC détruire les ponts-levis du côté du camp. Le premier Octobre, le Général Weyde. arriva avec fa divifion, compofée de fept Régimens ; il campa du côté des Cataractes qui fonr au-deftus de la Ville. Le Lieutenant-Général Allart eut le commandement en chef du fiége. Le 14, le Maréchal Comte Golov'm arriva avec cinq mille hommes de Cavalerie irrégulière, formée de Nobles Moskovitcs ôc des Gentilshommes de Smolensk qui vinrent avec leurs domeftiques. Un autre Générai Golovin arriva le même jour avec neuf Régimens, qui furent placés entre le camp de Troubetzkoï ôc celui de Butturlin. Le 18, le Tzar partit de VArmée pour Novogorod, avec le Maréchal Comte Golovin , qui étoit aufti Miniftre des Affaires étrangères. Le Tzar rapporte que le motif de ce voyage étoit de faire avancer les Régimens qui étoient en marche pour le fiége de Narva. Mais la caufe de fon départ étoit unc entrevue avec Augufte qui avoit levé le fiége de Riga. Le commandement de l'Armée fut confié au Duc de Croï. Pierre eût agi avec plus de prudence en reliant à fon Armée, où fa préfenec étoit fi nécef-fairc pour encourager fes troupes qui, comme il l'avoue lui-même, Tome III. A a n'ëtoient qu'une Milice peu difciplinée. Il fa voit d ailleurs que 1î fait donner d'une amitié inviolable, étoit entré en Ingiïc, où » fes troupesmettoient tout à feu Ôc à fang, ôc qu'il faifoit en per-« fonne le fiége de Narva. Cette nouvelle lui fit hâter fes préparais tifs ; il mit à la voile le io Octobre avec unc partie des bâtimens » de tranfport, & le 16 il arriva à Pcrncau : il ne s'y arrêta que le 33 tems néceflaire pour attendre le refte de fes troupes Ôc les laitier 33 repofer des fatigues de la mer. Il marcha enfuite à Révci ôc de-33 là à Véfenberg, où il laiffa les gros équipages. Enfin , le ij 33 Novembre il arriva au défilé de Pyhajoki, que le Général Sché-« rémétof occupoit avec fix mille chevaux. Ce partage entre des «hauteurs efearpées étoit fort difficile, ôc très-peu de monde » pouvoit le défendre contre une Armée entière ; mais le Général «Ruife n'avoit point d'Infanterie, Ôc dès que l'Infanterie Suédoife » parut fur les hauteurs, menant devant elle quelques pièces de >' canon, la Cavalerie Ruffe s'enfuit à toute bride, Ôc alla porter » au Duc de Croï, auquel le Tzar avoit laiffé le commandement » de fon Armée, la nouvelle de l'approche des Suédois. » Le Roi, maître du défilé de Pyhajoki, continua fa marche , » ôc le 19 il arriva à Lagena, à deux petites lieues de Narva. Per-» fuadé qu'il ne falloit pas donner à l'ennemi le tems de fe recon->s noître, il réfolut de l'attaquer le lendemain, quoiqu'il n'eût que n cinq mille hommes d'infanterie ôc trois mille chevaux. Il n'avoit m pas d'autre parti a prendre, pour empêcher l'ennemi de fc rendre » maître de Narva ; ôc d'ailleurs il manquoit abfolument de vivres "dans un pays que les Rudes avoicnt entièrement dévafté. C'eft >3 de Lagéna, le 2.9 Novembre , veille de la bataille , qu il écrivit »s à un de fes Miniftrcs : Demain je battrai les Rujjes ; prépare^ un ma~ » gajin à Laïs : quand j'aurai fecouru Narva _, je pajjerai par cette Ville 3 J3 pour aller donner la même leçon aux Saxons. » Le 50, Charles XII parut en préfence des Ruifcs fur les onze » heures du matin : leur camp s'étendoit depuis le moulin de » Portéï, fur la Narova, jufqu'à Joala ,dc l'autre côté de la Ville, » fur la même rivière , ce qui faifoit à-peu-près une lieue d'éten-»j duc : le retranchement dont ils l'avoient enveloppé, étoit d'un 19 profil très - fort, fraifé ôc palifladé en quelques endroits, garni » de chevaux de frife , Ôc défendu par unc artillerie nombreufe » ôc difpoféeavcc beaucoup d'intelligence. » Le Roi, après avoir ordonné qu'on fît des fafeines, ôc reconnu « le centre de la ligne qu'il jugea le plus aifé à emporter, Rloiut >o de faire deux attaques générales. A cet effet, le Général Wclh'ng » qui commandoit l'aîle droite de l'Armée , reçut ordre de la A a ij i88 HISTOIRE DE RUSSIE. . >î former fur deux colonnes , ôc d'attaquer la partie du retranchc-» ment où les ennemis avoicnt élevé unc batterie qui dominoit " la campagne Se les lignes. C'cit dans le même ordre que faîle w gauche, commandée par le Général Rcnfchild , fut difpofée, 33 & le Roi y prit fon pofte. A ces deux attaques, la cavalerie fou-:« tenoit l'infanterie, ôc devoit entrer dans les rerranchcmèns dès >3 qu'ils feroient forcés: l'artillerie fut difpofée, favoir, vingt-une 3> pièces à *la gauche, ôc feize entre les deux attaques. 3311 étoit deux heures après - midi lorfquc ces difpofitions furent 33 achevées ; alors le Roi fit donner le lignai de deux fufécs : finit fanterie aborda les retranchemens, qui furent emportés après >3 un quart-d'heure de combat ; ÔC fon premier foin fut d'ouvrir 33 des partages à la cavalerie. A la gauche, l'es Suédois poufsèrent 33 les Ruflcs le long du retranchement vers la rivière , où ils 33 fuyoienr dans le plus grand défordre pour gagner leur pont ; il 33 rompit fous le poids des fuyards, ôc tout ce qui s'y trouva fut >3 noyé. Ceux qui n'avoient pu palfer la rivière, voyant que toute >j efpérancc de falut leur étoit ôtéc , prirent le parti de fe défen-»3dre, quoique le Duc de Croï ôc plufieurs autres Généraux fe « fuflent déjà rendus : ils fe retranchèrent avec des charriors ôc 33 tout ce qu'ils purent rencontrer ; ÔC malgré les vigoureufes >3 attaques des Suédois, on ne put jamais les forcer. 35Le Général Wclling avoit eu, a l'attaque de la droite , le même la fuccès que Charles XII à celle de la gauche. Après avoir forcé >3 les retranchemens ôc pouffé l'aîlc gauche des Ruflcs fur la Haute* 33 Narva, il envoya au Roi unc partie de fon infanterie , ôc contint 33 avec le refte les ennemis qu'il avoit battus, afin de les empêcher 33 de fc réunit à leur aile droite. La nuit qui furvint fit cefler le » combat. Cependant le Roi fe préparoit a le recommencer le » lendemain ; mais dès le même foir , les troupes ennemies qui y s'étoient retranchées près du pont, envoyèrent vers le Roi pour » lui propofer de fe rendre, ce qui fut accepté. Il leur permit >s de fe retirer avec leurs armes, mais fans drapeaux ni étendards, » &c le lendemain elles pafsèrent^la rivière fur le pont qui avoit «été réparé. Les feuls Officiers Généraux &c Supérieurs reftèrent » prifonniers de guerre : il en fut de même de faîle gauche , a, » laquelle le Roi accorda la même permiilion le lendemain à la » pointe du jour -, mais les troupes qui la compofoient furent » obligées de mettre bas les armes. » Les trophées enlevés aux Rulfes confiftoient en 14c pièces " de canon, z3 mortiers, iji drapeaux , 20 étendards & 6 paires » de timbales. Enfin les Suédois s'emparèrent du camp tout tendu, « de la caille militaire du Tzar, & d'une quantité confidérable >j de munitions de guerre &: de bouche. » Telle fut la fameufe journée de Narva, dans laquelle les Ruffcs » perdirent 18 à 20,000 hommes. La perte des Suédois ne fut évaluée qu'à 2000(1). On fe permettra quelques réflexions. »Le projet du Roi de Suède d'attaquer le centre des Ruffes, » Se, fi fon attaque réuiïîffoit, de couper en deux leur Armée, (1) D après ce récit fidèle, quel jugement doit-on porter de ce que M. LevcCquc s'eft permis de dire à ce fujet? Où font les preuves de la défection du Duc de Croï, du Lieutenant-Général Allart Se des Officiers étrangers? Suffit-il d'alléguer vaguement <\\i'ils étoient peu d'accord avec les Généraux de la Nation, pour en conclure qu'ils trahirent la Ruflic? Le Manifcfte que le Vice-Chancelier compofa par ordre du Tzar, & après-coup, cft le titre fur lequel M. Lcvcfquc fc fonde, pour aceufer de perfidie le Vainqueur de Narva. Le Tzar, dans fou Journal, ne parle que d'une convention verbalej & M. Lcvcfquc , mieux inftruit que le Tzar, a vu & a encore actuellement fous les yeux un Traité qui n'exifta jamais, & qu'il.appelle Traité infdieux. Après ces qualifications qui ne lui coûtent rien à donner, il finit par dire : » Quoique le dcfaftrc des Ruflcs aie y* été exagéré, Se qu'on en ait malignement altéré les circonftances, il cft certain qu'il» » furent vaincus par des ennemis inférieurs en nombre «s Cette certitude répand un grand jour fur unc aétion mémorable à jamais. icjo HISTOIRE DE RUSSIE. •> ctoit bien vu dans l'état d'infériorité où il fe trouvoit ; les dif->s pofitions qu'il fit pour le remplir annonçoient les plus grands » talens pour la guerre : il attaqua en colonne , le feul ordre qui » convienne pour l'attaque des retranchemens : on ne trouve » point dans la relation , & on ne voit point fur le plan de la » bataille de Narva, qu'il ait fait faire de fauffes attaques : cepen-»> dant elles peuvent procurer de très-grands avantages, fur-tout » quand l'ennemi a unc très-grande étendue de terrein à garder : >j on fera remarquer encore que les Suédois, après avoir emporté » les retranchemens , les fuivirent de droite ôc de gauche, en »3 prenant en flanc Ôc pouffant devant eux les troupes qui les » défendoient jufqu'à la rivière, où ils les acculèrent. Leur cava-» lerie, félon les apparences, fc porta au-delà des retranchemens, » ôc celle des Ruflcs s'enfuit à fon approche ; les relations n'en » parlent pas , mais on peut l'inférer de ce que dit le Tzar, jl » notre Cavalerie avoit fait fon devoir > on pouvoit cfpe'rer la victoire. La iî conduite du Roi, celle de fes Généraux, ôc la difeiplinc de fes » troupes, font un modèle que les Gens de guerre peuvent fouis vent confultcr, ôc un exemple frappant de la fupériorité des m troupes aguerries ôc difeiplinées fur celles qui ne le font pas ; »s mais on ne portera pas le même jugement de la permiflion qu'il »3 accorda aux Ruflcs qui s'étoient rendus prifonniers, de retourner »3 dans leur patrie. La Rufïîc étoit bien moins peuplée alors qu'elle »j ne l'cll aujourd'hui, Ôc enlever des hommes au Tzar, c'étoit » lui porter un coup mortel. Etoit-cc mépris de la part de Cliar-» les XII ? Il étoit injurie : la défenfe que firent jufqu'à la nuit ceux m qui s'étoient acculés à la Bafle-Narva, dévoient lui prouver que » les Ruflcs étoient braves, ôc qu'il ne leur manquoit que de « l'expérience Ôc de la difeiplinc. Etoit-cc difficulté de les garder ï d Mais on fait combien peu il faut de gens armés pour contenir m une multitude fans armes. Enfin il n'y a que quarante lieues 3 de Narva à Rével, où on pouvoit les conduire Ôc les embarquer 5 pour la Suède. » Si tout, pour ainfi dire, eft a louer dans la conduite du Mo* 0 narquc Suédois ôc de fes Généraux , il n'en eft pas de même « de celle des Généraux Ruffcs. La première faute que fit le Duc « de Croï, fut de n'avoir point donné d'infanterie au Général » Schérémétof pour occuper ÔC défendre le défilé de Pyhajoki ; » la féconde, d'avoir été pendant trois heures tranquille fpec- 1 tateur des difpofitions du Roi, qui menaçoit fon centre, Ôc de î ne l'avoir pas fourenu par une bonne réferve j la troifième enfin, * de n'avoir eu qu'un fcul pont pour faire fa retraite : fi au moins î il en avoit eu un autre fur la Haute-Narva, toute fon aîle gauche 3 qui ne fc rendit que le lendemain de la bataille, eût pu fc retirer > pendant la nuit, &: n'eût pas eu la honte de mettre bas les armes. » Dans de pareilles circonftanc.es on ne peut trop multiplier les î débouchés. » A ces réflexions particulières on en ajoutera unc générale; > c'eft que la défaite des Rulfes devant Narva cft un exemple à > ajourer a tant d'autres, pour prouver que prefquc toutes les 5 Armées qui ont attendu les ennemis dans leurs lignes, ôc qui sont été attaquées, ont été battues: dans de pareilles circonf-s tances, le fcul parti qu'il y air à prendre, eft de laiffer unc garde > fuinfante dans la tranchée pour s'oppofer aux fortics de la place, » ôc de marcher aux ennemis. On frit ce qu'il en coûta aux François en 1706, pour ne l'avoir pas fuivi, lorfqu'ils fiiifoicnt le > fiége de Turin. C'étoit le fentiment de M. le Duc d'Orléans ; » mais ce Prince ci ut devoir déférer aux ordres du Roi, qui attri- > buoient, pour ainfi dire , toute autorité au Maréchal de Marfin, > dont l'avis fut de refter dans les lignes, contre l'opinion de tous > les Généraux ; un d'eux fur-tout, fort attaché à M. le Due d'Or->lcans qui, à aucuns égards, n'étoit pas fait pour obéir à un » Général de l'efpècc de M. de Martin , ne négligea rien pour w rengager a marcher aux ennemis : Sortons de nos lignes , Monfel-» gneur, lui dit-il j fi vous batte^ le Prince Eugène votre gloire ejl à fon m comble; fi vous êtes vaincu j vous n'en fere\ pas moins Duc d'Orléans 3 a premier Prince du Sang de France c«. Section XL. Le Tzar ne diffimule point dans fon Journal, la douleur dont il fut pénétré en apprenant la perte de la bataille de Narva. Elle fut profonde : mais les grands Hommes ne font jamais plus fupé-rieurs à eux-mêmes, que lorfque la fortune leur cft contraire. Bientôt Pierre s éleva au-deffus de fon malheur, & dit à Schéré-métof : » Je favois prévu ; les Suédois nous battront long-tems , »s mais enfin nous apprendrons à les vaincre. Commençons par » éviter les actions générales ; inflruifons-nous par de petits com-» bats , & affoibliffons-lcs en détail «. Un Prince qui voyoit aufïi bien, & qui fc conduifi t fur des principes auffi juftes, méritoit de vaincre à Pultava. M. Levefque n'a rien négligé pour perfuader à fes Lcétcurs que Pierre faifoit de la Religion un objet de mépris : il ne méprifoit que les Popes &: les Moines qui fc rendoient méprifablcs, &: on ne peut qu'admirer la piété qui lui fit regarder la défaite de fon Armée , comme une marque de l'extrême colère de Dieu. C'efl ainfi que ce Prince s'exprime, page 3$ \ &: il ajoute : » Mais en approfon-» diffant les vues du Ciel, on voit qu'elles nous étoient plutôt « favorables \ car fi nous cuiïions remporté alors une victoire fur » les Suédois , étant fi inftruits de l'art de la guerre & de la poli-»> tique , dans quel abîme ce bonheur ne pouvoit-il pas nous «entraîner? Au contraire , cette profpérité des Suédois leur a » coûté bien cher à Pultava, quoiqu'ils culTcnt tant d'habileté ôc » de réputation , que les f rançois les nommoient le fléau des Allemands. w Allemands. Nous, après ce terrible échec, qui fut un vrai bon-» heur pour nous, nous fûmes obligé de redoubler notre activité, » ôc de faire les derniers efforts pour fupplée1 par notre circonf->5 peétion au définir d'expérience ». Peut-on prouver d'une manière plus forte que les fentimens de ce Prince paftoient d'une ame pénétrée de la vérité de la Religion? Mais on ne peut que rire, dit un Ecrivain , de l'ignorance des Prêtres Ruflcs &: du Peuple , qui, au lieu d attribuer leurs revers à l'indifeipline &: à l'inexpérience de leurs troupes, s'imaginèrent que les Suédois n'avoient pu les vaincre fans fortilége : pour rompre l'enchantement ils curent recours a Saint Nicolas , &; lui adrefserent la prière fui-vante : elle peint les mœurs de cette Nation au commencement de ce fiècle, ôc merite d'être confervéc. » O toi, qui es notre confolatcur perpétuel dans nos adverfîtés, « grand Saint Nicolas ! infiniment puiffant, par quel péché t'avons-» nous offenfe dans nos lacrifiecs, génuflexions , révérences ôc «actions de grâces , pour que tu nous ayes ainfi abandonnés ? » Nous avions cherché a r'appaifer , nous avions imploré ton « ailîftancc contre ccvs terribles, enragés ôc indomptables ennemis » ôc deftruetcurs , lorfque comme des lions, des ours ôc autres « bêtes féroces qui ont perdu leurs petits , ils nous ont attaqués, «épouvantés, blcffés ôc détruits par milliers, nous qui fommcs « ton Peuple. Mais comme il cft impofiiblc que cela foit arrivé « fans fortilége ôc enchantement , vu le grand foin que nous « avions pris de nous fortifier d'une manière inacccflible pour » la défenfe ôc la gloire de ton nom , nous te fupplions , » é> grand Saint Nicolas, d'être notre champion ôc notre portc-» étendard , d'être avec nous, tant en paix qu'en guerre, dans « toutes nos néccflités, Ôc au rems de notre mort, de nous pro-» téger contre cette terrible ôc tyrannique foule de Sorciers, ÔC « de les chalTct loin de nos* frontières , avec la réeompenfe Tome ÎÎL B b 15* HISTOIRE DE RUSSIE, sa qui leur cft due «. Note fur le Journal de Pierre le-Grand. L'Auteur termine cette note par la réflexion du Tzar, qui regardoit comme un bonheur la défaite de Narva. Elle lui ouvrit les yeux fur les défauts de fa milice, ôc il en profita pour les corriger. C'eft ainfi que les Autrichiens fc font conduits à la fin de l'avant-dernière guerre : c'eft ainfi que fe conduiront tous les Gou-vernemens éclairés 6c qui liront dans l'avenir. Ils ne s'endormiront point dans une fécurité funefte, s'il s'élève à côté d'eux unc Puif-fance militaire qui ne s'occupe que d'agrandiflement j mais ils prendront toutes les précautions néceffaires pour faire le contrepoids dans la balance ôc fc faire refpccter. Section XLL Tous les Hiftoricns du tems, les mémoires ôc les relations, difent que le Tzar avoit conduit devant Narva unc Armée de quarre-vingt mille hommes, ôc ils font monter fii perte a vingt mille au moins. Cependant, félon le calcul que fait le Tzar, les troupes qui revinrent de Narva a Novogorod, y arrivèrent au nombre de vingt-deux mille neuf cents foixante-fept ; il n'évalue fa perte qu'à cinq mille huit cents ou fix mille hommes : il n'avoit donc devant Narva que vingt-huit ou vingt-neuf mille hommes. On lit encore dans le Journal, que le Roi de Suède étoit à la tète de dix-huit mille hommes. Les Suédois aflurent que félon l'ordre de bataille de leur Armée, elle ne conliftoit qu'en vingt bataillons ôc quarante efeadrons , tous extrêmement foiblcs. Comment démêler la vérité au milieu de ces contradiétions ? Section XLIL Châties XII auroit defiré de pouvoir continuer la guerre : mais le défaut de vivres, la rigueur de la faifon ôc la foiblcffe de fes troupes le forcèrent de prendre des quartiers d'hiver. Le 2? Dé- ccmbrc il établit le fîcn à Laïs, a fix lieues de Derpt, &c ceux de fon Armée dans les environs ôc fur la frontière, pendant que le Général-Major Cronhiort couvroit l'Ingtic ôc la Finlande avec un corps de fix mille hommes. Dans fix mois de tems ce Prince avoit forcé le Roi de Danemarck de faire la paix fous les murs de Copenhague , il avoit battu les Rulfes devant Narva, ôc obligé le Roi de Pologne d'abandonner fes projets fur Riga. Dès que le Tzar fut affuré que le' Roi de Suède avoit paffé de Narva à Derpt, où il exerçoit fes troupes ôc les complettoit, il crut devoir fe rendre à Moskou avec les Régimens des Gardes, A fon arrivée, il donna ordre de prendre unc partie des cloches des Eglifes ôc des Couvcns de toutes les grandes Villes, pour en faire des canons ôc des mortiers ; ce qui fut exécuté pendant cet hiver même. On fondit deux cents quarante-deux canons ôc douze mortiers, qui furent envoyés à Novogorod. Le Prince Boris Galitzin recruta douze régimens de Dragons. La confiance du Tzar étoit inébranlable ôc fon activité fins bornes. Le 11 de Janvier 1701 , il conclut un Traité avec le Roi de Danemarck, » par lequel n celui-ci s'obligeoit d'envoyer trois régimens d'Infanterie ôc trois » de cavalerie pour le fervicc de la Ruilîc. Il y étoit dit, que s'il m éclatoit unc guerre entre la France ôc les Alliés de la Suède, » c'eft-à-dire , l'Angleterre Ôc la Hollande, Sa Majcfté Danoifc » agiroit avec toutes fes forces par terre ôc par mer contre Char* » les XII". Malgré ce Traité , le Roi de Danemarck , effrayé des fuccès de Charles XII, n'en remplit les conditions qu'après la bataille de Pultava. Mais ce Traité n'en prouve pas moins que l'intention du Monarque Danois étoit d'accabler la Suède. Le 31 Janvier, le Tzar partit de Moskou pour Birze dans la Samogitic, fur les frontières de la Courlandcj ce fut là qu'il vit le Roi de Pologne , ôc lui promit de lui envoyer quinze à vingt Bb ij i96 HISTOIRE DE RUSSIE, mille fantailïns, des munirions ôc deux cents mille ecus. De retour à Moskou le 8 Mars , il donna ordre au Prince llepn'm daifcmbier les troupes , 6c de marcher fans délai pour joindre les Saxons. Repnin partit avec dix-neuf régimens d Infanterie , 6c dirigea fa marche-vers Riga, pour le réunir aux Saxons, commandes par le Maréchal Steûtau. Section XLIII. 170T. Charles XII après avoir reçu les renforts qu'il attendoit de Suède ôc qui montoient à dix ou douze mille hommes , leva fes quartiers ôc vint camper a demi -lieue de Derpt, vers la fin du mois de Mai ; dans le deifein 011 il étoit de marcher aux Saxons il laifia le Général-Major Schclippcnback avec un corps de troupes pour couvrir la Livonic, 6c agir contre les Rudes, félon les circonstances} en même-tems il donna ordre à l'Amiral Num-mers d'armer une petite efeadre fur le lac Péipus, ôc de s'oppo-fer aux defeentes que les ennemis pourroient tenter. Ces difpofitions faites, le Roi décampa de Derpt le 17 Juin, Ôc arriva dans douze jours de marche Ôc cinq fé jours, le 15 Juillet, a Siefcngall. Ce fut de ce camp qu'il détacha le Lieutenant - Colonel Mayerjeld à. la tête de cinq cents chevaux du côté de Kokenhufcn; dans le même-tems le Colonel Helmers qui avoit a (es ordres fix cents hommes d'infanterie Ôc douze pièces de canon , for toit de Riga Ôc prenoir la même route. Le Maréchal Stcinau qui commandoit les troupes Saxoncs , auxquelles s'étoient joints quatic Régimens Rulfes, les avoit râf-femblées derrièr c 1 a D v i n a a u nombre de qu a ranrc-1 roi s ba ta i 11 on s ôc de vingt neuf efeadrons, dans l'intention de défendre cette rivière; il la gardoit par dhTertns corps détachés, depuis Dahlcnskrog juiqu'aii'deilbus de Riga. Mais lorfquil apprit les deux détache- HISTOIRE DE RUSSIE. 197 mens que le Roi avoit laits fur kokenhufcn, il crut que Charles XII cii vouloit à cette place , ôc fur-le-champ il marcha par fa droite, pour la foutenic i il ne fut détrompé qu'en apprenant que le Roi ruarchoit fur Riga, où il arriva le 17. Il y revint à tire^dlatles5 incertain du lieu où le Roi tenteroit de palfer, il fc tint le plus raiTemblé qu'il lui futpoiliblc, ôc lit continuer les retranchemens qu'il avoit commencé d'élever au dcllbus de Riga j il y prit poile avec le sros de fon armée. Charles XII en arrivant à Riga , avoit établi fon camp dans le Stadtfvcid ; dès la veille il s'étoit fait précéder par le Baron de Smart, Général-Major, qu'il ayoit chargé de tout préparer pour le paifage de la Dvina; il employa lui-même la journée du 18 à en reconnoître les bords ÔC à faire fes dernières difpofnions. En conféquence , le foir de ce même jour, à huit heures , on commença a embarquer douze baraillons , ôc trois cents chevaux feulement dans tous les bateaux qu'il avoir été pollibie cic raffcmbler ; mais ce ne fut que le 19 ; à quatre heures du matin , que cette flotillc démara; elle avoit fait la moitié du traiet , lorfquc les ennemis l'apperçurent ôc rirent feu de deux redoutes entre lefquclles ils fc formèrent fur deux lignes, au nombre de quatorze bataillons 6c de treize efeadrons , les troupes Rulfes s étoient en réfeivc. Le Comte Algarotti dit que le Général Jiimdorfcoùçût 1 idée de ce fameux paffage de la Dvina , où l'armée Snédoife pa:Ta la rivière fur des radeaux couverts de paille humide à qui on mît le feu. La fumée la déroba a la vue de l'ennemi , qui ne terrait pas le vent. Ce liratagêmc fut autrefois mis en pratique par Annibal. L'ordre, la contenance ôc le feu des ennemis n'empêchèrent point le Roi d'aborder vis-à-vis d'eux \ il étoit protégé par le feu du canon de la Ville, de la Citadelle Ôc de deux prames, ôc fut des premiers à fauter à terre. L'infanterie s'empreffa de fuivre fon exemple, ôc il y avoit a peine huit bataillons formés que le Roi les mena à la charge : les Saxons vinrent bravement à là rencontre j une décharge à brûle-pourpoint les fit plier, en même-tems que cent Drabans ÔC cinquante dragons chargeoient la cavalerie de leur aîle gauche ôc la pouffoient fur leur féconde ligne ; ce fut alors que les Ruifcs prirent la fuite fans coup férir. Les Saxons fe rallièrent ôc revinrent à la charge fur une feule ligne, mais fans fuccès ; ils n'en eurent pas davantage dans la troifieme qu'ils tentèrent ; l'infanterie Suédoife étoit entièrement paiféc -, alors les Saxons commencèrent a céder du terrein, mais toujours en ordre > enfin, après trois heures du combat le plus opiniâtre , ils fe retirèrent fur deux colonnes, dirigeant leur marche, l'une fur Kobrun , l'autre vers Dunamund. Le défaut de cavalerie empêcha de les fuivre. Le Roi employa le refte de la journée ôc le lendemain matin à s'emparer des différais polies que les ennemis avoicnt fortifiés fur la Dvina. Toutes les troupes qui s'y trouvèrent furent prifes ou paffées au fil de l'épée. Ainfi dans vingt-quatre heures le Roi paila unc rivière très-large ôc très-rapide, a la vue d'une armée fupéricurc Ôc avantageufement portée, ôc força les ennemis de fc retirer avec perte de plus de deux mille hommes tués , blelfés ou pris , d'un drapeau , de trois étendards, de trente-fix pièces de canon ôc de prcfque tous les équipages. Ce patfage de la Dvina cft, dans fon genre, unc des actions les plus mémorables de ce fiècle. Les Saxons s'y comportèrent bra* vement : ôc fi les Ruifcs les euffent fécondés , la victoire qui fut long tems difputée, ne fe feroit peut-être pas déclarée pour les Suédois; cependant, on peut reprocher au Maréchal Stei-nau de les avoir lailfés fc former, avant de les charger ; dans des oceafions pareilles, il ne faut pas donner à l'ennemi le tems de prendre porte, mais l'attaquer à mefurc qu'il fort de fes ba- HISTOIRE DE RUSSIE. j99 teaux , le poufier dans l'eau ôc y entrer avec lui. On ne conçoit pas aufti comment la Cavalerie Saxone, ôc fur-tout celle de Taîle gauche , fe laifla barrre par cent cinquante chevaux ; comment cette Cavalerie, aufti fupérieurc qu'elle l'étoit, ne chercha Pas à envelopper les Suédois : elle étoit bien mauvaife ou bien mal conduite. __ _, _ Section XLIV. Après le partage de la Dvina &: la victoire fur les Saxons, Charles XII entra en Courlandc. Le Duc Ferdinand, Souverain de ce Pays & le dernier de la Maifon de Kcteler, fervoit dans l'Armée du Roi de Pologne. C'en étoit affez pour attirer les Suédois dans fes Etats, qui d'ailleurs reconnoirtbient le Roi Augujk pour Chef ôc protecteur : envain ils repréfentèrent que la guerre avoit été entreprife fans qu'on les eût confultés \ Charles XII les traita en ennemis, &: en exigea les plus fortes contributions en vivres ôc en argent. Mais il ne bornoit pas fes vues a la conquête de la Courlandc, que le Maréchal Stcinau, retiré en Lithuanie, ne pouvoit plus défendre : ulcéré contre le Roi de Pologne qui l'avoit attaqué contre toute juftice, ôc qui avoit formé une ligue pour le perdre, il avoit juré de détrôner fon ennemi ; ôc c'eft dans cette vue qu'il s'approcha de la Pologne , pour mettre à profit les divifions qui agitoient ce Royaume. Il s'étoit élevé de grands troubles entre les Polonois, ôc le Cardinal Primat Rar(iefski. Celui-ci, de concert avec les Sapiéha , invita & pria même le Roi de Suède d'entrer en Pologne , en l'alTuranr que ni lui, ni la Pofpotue ne fe mêleroient point de la guerre que leur Roi avoit entreprife au préjudice du Traite fait entre les deux Couronnes. Charles XII écrivit au Primat Ôc à la Pofpolitc , ôc après leur avoir expofé fes griefs contre JÊUgujU , il les exhortent puiflamment a lui ôter la Couronne, en les aifu-rant qu'il donneroit aux Polonois tous les fecours nécert-lires. ioo HISTOIRE DE RUSSIE. Le Primat ÔC les Sapiéha entretinrent une correfpondance avec le Roi de Suède , ôc s'efforçoient de faire pencher les Polonois du côté de ce Monarque. Ce fait eft consigné dans le Journal de Pierre I, qui s'éloigne de ceux que nous avons rapportés plus haut. En conféquenec Charles XII fit entrer des troupes en Pologne pour iecourir la Maifon de Sapiéha, qui avoit réclamé inutilement la protection d'Augufte contre les entreprifes de celle d'Oginski. Section XLV. Le Tzar reçut la nouvelle que le Roi de Suède avoit pris la ville de Eirzc , ou il étoit convenu avec Augufte de ne point quitter les armes avant que Charles n'eût été dépouillé de tout ce qu'il poifédoit en deçà de la mer Baltique. Le Héros Suédois trouva dans Birzc beaucoup d'artillerie ôc de munitions de guerre. La faifon ne lui permettant plus de tenir la campagne, dès le 2 Octobre il fit camper fon Armée en Courlandc, le long des frontières de Samogitic 8c de Lithuanie , Se ehoifit pour fon quartier le Château de Vurgcn , à trois lieues de Grubin ; mais au lieu d'habiter ce Château, il fit drefler là tente dans les jardins, ôc s'y tint conftamrncnt, malgré la rigueur du froid ; pour l'adoucir, on y entretenoit des boulets rouges jour Ôc nuit. On a vu que Charles agiftbit tandis qu'on délibéroit contre lui : fes Officiers fe piquoient de la même activité. Le Colonel Aibedyhl s'empara de Dunamund au mois de Décembre. Le Tzar dit que cette Place fe rendit au Roi , qui s'étoit retiré en Livonic avec 6ooo hommes : c'eft une erreur, puifqu'il étoit en Samogitic, ÔC qu'il fut mécontent de la capitulation accordée à la garni fon de ectre Place. Le Gouverneur Canitz ÔC la ^amifon en fouirent avec tous les honneur? de la guerre. & E c T I O N Section XLVL Dès le commencement de la campagne de cette année on a vu Charles XII fuivre conftamment le plan qull avoit formé d'attaquer les Saxons, Se de fe tenir fur la défenfive vis-à-vis du Tzar. C'étoit réunir la politique la plus profonde au génie de la guerre. Le Tzar n'avoit plus d'allié qu'Augufte qu'il étoit obligé de fecourir. En battant Augufte ou le détrônant -, de trois ennemis, il ne lui en reftoit qu'un à combattre, le Tzar. Mais Pierre prorltoit de la tranquillité dans laquelle fon rival le laiifoit, pour former, exercer, difeipliner fes troupes & fortifier les places frontières. Il apprit que les troupes Suédoifcs dévoient palfer a Arkangel pour attaquer cette Ville ; il envoya un ordre au Gouverneur de bâtir une Fortcreifc qui pût contenir mille hommes de garnifon fur la rivière nommée Malala Dvinka, Se d'être fur fes gardes contre l'invafion dont on lui donnoit avis. Cet avis étoit falutaire : dans le mois de Juillet Pierre fut informé par le Prince Alexis Proiorofski, Gouverneur d'Arkangel, que cinq frégates Se deux yachts Suédois avoicnt paru fur la mer Blanche; que trois frégates &: un yacht avoicnt jette l'ancre vis-à-vis du village Kouskova, &: que les rrois autres bâtimens, après avoir fait quelques prifonniers Se tué les Soldats qui gar-doient l'embouchure du Golphe de Béréfofskoé de la grande Dvina, étoient entrés dans la petite rivière de ce nom, où l'on conftruifoit la fortcreifc. Alors le Major Grotofsky, qui avoit la direction de cet ouvrage, embarqua fept cents Soldats fur de petits bâtimens , pour aller au - devanr des vaiffeaux Suédois. Les frégates firent feu, blcfsèrent Se tuèrent plufieurs Ruffcs ; mais le feu de la moufqucteric des petits bâtimens, foutenu de celui de la fortereffe, empêcha les frégates d'avancer ; unc d'elles Se l'yacht furent coulés à fond, La petite flotte Suédoife ne Tome III. C c ioi HISTOIRE DE RUSSIE, portoit que mille hommes en tout, ôc les trois bâtimens qui s'en détachèrent pour venir à la découverte, n'étoicnt montés que par quinze hommes commandés par un Officier. Les trois frégates Ôc l'yacht qui n'entrèrent point dans l'embouchure , &: la frégate qui s'enfuit de la rivière Dvina, mirent à la voile après avoir brûlé les maifons ôc les brauerics de Kouskova. Les vaiffeaux coulés à fond furent rétirés de l'eau ; on les con-duifit à Arkangel, pavillons baifles, & on y arbora des pavillons Ruflcs. Pierre, inftruit de ce premier avantage remporté fur les Suédois , dépêcha de Novogorod un Courier au Prince Prozorofskt avec l'ordre de faire raccommoder les vaifleaux pris fur l'ennemi, de les placer enfuite dans un lieu convenable ; de faire unc pro -motion des Officiers qui s'étoient trouvés dans cette action , ôc de diftribucr de l'argent aux Soldats. Ce n'étoit pas gloriole de la part du Tzar qui n'eftimoit que la véritable gloire ; il con-noiifoit mieux que perfonne la valeur de ce petit avantage ; mais il vouloit créer une marine, ôc pour y parvenir, il croyoit ne pouvoir donner trop d'éclat aux fuccès qu'il avoit fur mer. C'eft en partant de ce principe , qu'il récompenfa il généreufement les troupes qui s'étoient diftinguées dans ce petit combat naval. On verra dans la fuite qu'il a conftamment agi de même dans toutes les occaftons pareilles, ôc il avoit raifon. Les punitions Ôc les récompenfes adaptées au génie des Nations, font les grands mobiles qui remuent les hommes de tous les Etats. Section XLVII. Lorfquc le Tzar crut fes troupes en état de fc mefurer avec les Suédois, il fit raflcmblcr un corps de quinze à dix-huir mille hommes dans les environs de Pleskof, aux ordres du Général Schcrémétof, avec ordre d'entrer en Livonic par Rappin,Ca- H I S T'O IRE DE RUSSIE. 105 faritz Se Raukc. Le 4 Septembre, Michel Schérémétof, fils du Général, pafla la rivière Vibofka, rencontra près de Kiapina le Major Roos qui commandoit fix cents hommes, Se le battit. Le Tzar dit qu'on fit prifonnier le Major Se quatre-vingt Soldats ; qu'on enleva à l'ennemi trois étendards, deux canons, un grand nombre de fufils, tous les équipages ; Se que dans cette action il ne fc fauva perfonne , excepté un feul Enfeigne. Les Suédois racontent autrement ce fait : ils difent, que les projets formés fur Cafaritz Se Rauke, n'eurent aucun fuccès ; le Général Schli- y^iiback qui cailipuil à poitéc les fcCOLUut k tClllS , & força 1CS Ruflcs de fc retirer avec une perte confidérablc ; mais il ne put arriver aflez promptement pour fecourirle Major Roos, qui s'étoit imprudemment engagé , Se qui fut enveloppé ; cependant cet Officier fe fit jour au rravers des ennemis avec trente hommes feulement, Se joignit le Colonel Schlipcnback qui marchoit à fon fecours ; les Ruffcs, après avoir pillé Rappin, fc retirèrent fur la frontière , d'où ils ne tardèrent pas à regagner Pleskof, fur l'avis qu'ils curent que Charles XII avoit renforcé le corps de Schlipcnback. Ce .Prince fatisfàit de fi conduite dans l'action dont il s'agit, l'avoit nommé Général-Major. Nous allons le voir malheureux dans unc autre ; fon Infanterie, abandonnée par la Cavalerie, fera taillée en pièces. Au milieu de tant de contradictions , jufquc dans les plus perits fiiits, comment fcroit-il pof-fible de démêler la vérité , &e par conféquent d écrire l'Hifloire, fi l'Hiflorien , parlant par-dcflùs la difeuflion des faits, n'étoit que l'écho du parti qu'il embrafie ? Section XLVIII. 1702. A la fin de Décembre , le Général Schérémétof fut informe que Schlipcnback fe trouvoit à quatre milles de Derpt, avec Ce ij fept mille hommes de Cavalerie Se d'Infanterie. Suivant cet avis il partit de Pleskof avec huit mille hommes, tant Cavalerie qu'Infanterie ( i ), & fe munit d'artillerie de campagne. Son avant-garde, très-forte, remporta un avantage fur un corps avancé de Suédois. Les deux Armées fe trouvèrent en préfencc le premier Janvier, près du village d'Ercsfer , où les Suédois , en ordre de bataille, attendoient les Ruflfes. Les canons de ceux-ci n'étoicnt pas encore arrivés, Se ils ne purent foutenir l'attaque fans reculer. Mais l'artillerie arriva; alors les Ruflcs marchèrent a l'ennemi, 8e l'attaquèrent avec tant de vigueur, qu'ayics quuuc ficuieb Ut combat, la Cavalerie Suédoifc abandonna l'Infanterie qui céda le champ de bataille, fon artillerie Se fon bagages Le Tzar fit faire les plus grandes réjouiilanccs pour cette victoire, qui n'eut aucunes fuites. Le Général Schérémétof fut fait Maréchal Se reçut l'Ordre de Saint-André ; les autres Officiers furent récompenfes félon leur rang. , , Section X LIX. Pierre étoit occupé de la conftructîon d'un Arfcnal à Moskou, lorfqu'il apprit que Charles XII avoit intention d'envoyer unc flotte à Arkangel, au mois de Mai, Se que le Vice Amiral Nummers croifoit avec de grands bateaux fur le lac Ladoga, faifant des courfes de Kcxholm Se de Notcbourg pour ruiner les Bourgs Se les Villages finies fur les côtes du Lac. Pierre fe met en marche pour Arkangel avec cinq bataillons des Gardes. De fon côté , Pierre Apraxin , qui fc trouvoit à Ladoga avec un certain nombre de troupes, envoya le Colonel Tiricf&VtC fon Régiment fur trente bateaux , dans le Gouvernement de Kcxholm : s'étant (i) La lettre que le Général Se hercruétof écrivit au Tzar, pour lui rendre compte de ce combat, porte qu'il avoit marche' avec un corps de 18,000 hommes. Note fur le Journal 4c Pierrc-k-Crand, rencontré fur le Lac avec le Vice-Amiral, il y eut un combat où le Colonel fut tué. Les Rulfes brûlèrent deux barques ennemies, en coulèrent unc à fond, &: en prirent deux, qui étoient montées de fix canons. Depuis le mois de Juillet jufqu'au 10 Août fuivant, il y eut plufieurs actions entre les Rulfes ôc les Suédois, dans lcfquelles les fuccès Ôc les revers furent à-peu-près balancés. Les dérachemens envoyés par le Maréchal Schérémétof, ruinèrent fucccilivcmcnt les villes de Karkouz, d'Hcmelt, de Smirtin, de Cacobor, de Vol-^*vt ec plufieurs Village^ Le Maréchal marcha avec le relie de la Cavalerie Ôc de l'Infanterie fur Maricnbourg pour la prendre d'affaut. Il avoit eu la précaution de faire conftruire d'avance les ponts flottans qui dévoient faciliter l'accès de la Ville par le Lac qui en cft voifin. L'cmprcflcmcnt des Ruflcs à s'avancer fur ces ponts avant le terme marqué, fut caufe qu'ils clfuyèrcnt d'abord un grand feu de canon : mais ayant déclaré que leur intention n'étoit pas de donner l'affaut, ôc qu'ils ne s'avançoient que pour propofer des conditions raifonnablcs, on ccifa de tirer. Le Major TUM Commandant de la Place, Ôc deux Capitaines fc rendirent au camp pour capituler. La capitulation étant fignée, les Rulfes entrèrent dans Maricnbourg ôc les habitans en fortirenr. Pendant ce tems-là, le Capitaine Woulf, ôc un Enfcignc d'Artillerie, traînant avec lui fa femme par force, entrèrent dans le magafin à poudre, y mirent le feu, ôc fautèrent en l'air. Ce coup de défcfpoir fut funefte à un grand nombre de Ruffcs ôc d'habirans. Ceux qui ne périrent pas, ne jouirent point des conditions du Traité, ils furent faits prifonniers. Les Ruflcs s'emparèrent du canon ôc de tout ce qu'ils trouvèrent dans la fortereffe \ après quoi ils la détruisirent. Parmi les prifonniers étoit la célèbre Orpheline que la fortune vouloit élever fur le Tronc des Tzars. \ Section L. La fable fe joint prefque toujours a la vérité dans le récit des évènemens extraordinaires : voilà pourquoi les Hilloriens ne font pas d'accord entr'eux fur la naiflance ôc l'élévation de la belle prifonnière de Marienbourg. Les uns prétendent qu'elle cil née à Marienbourg même, de parens nobles ôc pauvres, de la famille de Skavronski. D'autres atfurent qu'elle cft née à Derpt, de payfans originaires de Pologne. L'Auteur des grands évènemens par les petites c4u£*~ **** «i»*«u- J'»" n^*-fHmmmp nnrfmp n-/e«^ Lieutenant-Colonel au fervice du Roi de Suède, ôc d'une efclave : il ajoute, que le Curé qui la baptifa la mit fur le Rcgiftrc des Baptêmes au nombre des enfans naturels ; que le Vicaire lui fervit de Parrain, ôc la nomma Marthe. M. Biœmjlaohl réclame » contre les Hiftoricns Allemands, Fran-i) çois, Anglois ôc Italiens, qui font venir de Livonic unc perfonne » fi remarquable\ ôc c'eft pour la revendiquer à la Suède, qu'il a »> remis, en 1774, la note fin vante à Madame la Margrave de Badc-w Baden, »j Catherine Alexiévna naquit en Suède en 1682, dans la Vcftro-ïïgothie, au Fief Gcrmundcryd, dans la Paroiflc de Toarp, du »i territoire d'As, non loin de la ville d'Ulricacham. Son père, >s Jean Rabe, étoit alors Quartier-Maître du Régiment d'Elsborg. » Ayant paifé en Livonic, elle y fut gouvernante des filles du Curé »> Gluck, fc maria à un Caporal, ôc fut connue de Mentchikof ôc de Picrrc-lc-Grand, après différentes viciiïitudcs de la fortune (i), »En 1712., elle devint l'époufe de ce Monarque après la mort (1) Voyez Hiftoirc de CU.ulcs XII en Suédois, ;n-S*. j la Géographie de Tuttcld, édition de Stokholm, 1711, page Uoj & les Mémoires fur la Famille d; Rudeuskjocld, par M. Hulphcrs, /«-40. HISTOIRE DE RUSSIE. lof » duquel elle fut Impératrice Se Autocratrice de toutes les RuiEes «en 171t. Je fais d'une Dame de fa Cour, que l'Impératrice "Carherine étanr élevée au Trône, a reçu chez elle, en qualité »dc Dames de Cour, les deux filles de M. Gluck, qui la fervirent » aufïi fidèlement qu'elle les avoit fervies autrefois j Se que fon » mari le Caporal étant venu à Pétcrsbourg pour voir une Sou-» veraine jadis fon époufe, elle lui fit donner une fomme d'argent »5 avec laquelle il fe retira a Riga, où il vivoit de fes rentes Si ce récit eft aufti exad qu'il paraît l'être, il eft bien fïngulicr qu'il ait fallu 72 ans pour conftater un fait dont ce fiècle eft le témoin. Quoi qu'il en foit du récit de M.' Biœmjtaohlil eft certain que la jeune prifonnière avoit perdu fes parens en bas-âge, Se quelle fur accueillie par le Miniftrc de Riga, qui la plaça enfuite chez le Paftcur de Marienbourg. Un Dragon de la garnifon Suédoife, âgé de 11 ans, l'ayant vue à l'Eglife, en devint éperdument amoureux , 6c réfolut de tout employer pour l'obtenir en mariage : connoilfant un des parens du Miniftrc , il alla le trouver, 6c le pria d'en faire la demande peur lui. Avant de confentir à ce mariage, le Miniftrc s'informa des moeurs du Dragon : le Major de fon Régiment en rendit un très-bon témoignage, 6c promit de le faire Caporal. Sur quoi le Miniftrc lui permit unc entrevue avec fa pupille qui confentit à l'époufer, 6c on les fiança dès le lendemain. C'étoit dans le tems que le Maréchal Schérémétof s'avançoit vers Maricnbourg. Le Dragon, craignant que linvafion de cette Ville ne fût un obftacle à fon mariage, prefla le Pafteur Gluck de le conclure. Trois jours après, ce Dragon fut obligé de partir pour aller joindre l'Armée de Charles XII en Pologne; 6c ce fut pendant ce tems que les Ruflcs s'emparèrent de Maricnbourg. Catherine étoit jeune 6c belle ; fa beauté 6c là bonne mine la diftinguoient des autres prifonnières : le Général Réne, d'autres cUfent Baiir, la prefcnta au Maréchal Schérémétof qui la retint, Mentchïkof eut occafion de la voir chez le Maréchal : il lui fît de il vives inftances qu'il obtint la belle prifonnicre, ôc l'employa > dit-on, en qualité de Blanchiifcufe. La fortune lui dcftinoit un autre rang. Le Tzar, paffant en Livonie, s'arrêta chez fon favori; Catherine parut devant lui, & l'impreilion qu'elle fit fur fon cœur fut durable. Il la fit conduire à Moskou en 1703, &: l'adrcila à Madame Gkkk, femme d'un Allemand attaché à fa Cour. Elle paiïa trois ans dans cette maifon. Dans les commencement, le Tzar n alloit la voir que la nuit : il ne tarda pas à s'affranchir de cette gêne; mais avant de donner toute fa confiance à fa maitreffe, U voulut connoître par lui-même fi fon efprit répondoit à fa beauté ; il vit avec admiration que Catherine avoit une fermeté d'ame capable de féconder fes entreprifes ôc de les continuer après lui. Après cette découverte, il fit venir fouvent fes Miniftrcs chez fa maitreffe pour travailler avec eux en fa préfence ; il lui per-mettoit même de dire fon avis, ôc dès-lors clic méritoit d'être confultéc. Ce Prince eut d'elle deux fils, Paul ôc Pierre : le premier pafla pour le fils du Capitaine Glcïck. La Princelfc Nathalie, fœur chérie du Tzar, prit foin du fécond ; mais l'un &: L'autre moururent dans l'enfance. Enfin, le Tzar, s'affermillànt de plus en plus dans la réfolution d'époufer fa maitreffe, alla lui-même la chercher, ôc la conduifit dans fon Palais. Elle quitta la Religion Luthérienne dans laquelle elle étoit née, embrafta celle des Ruffcs, ôc prit le nom de Catherine. Pierre l'époufa fecrètement en 1707. Elle ne fut couronnée comme Impératrice qu'en 1724, huit mois avant, la mort de l'augufte Epoux auquel clic fuccéda. Section LI. L'amour que Pierre avoit conçu pour Catherine, ôc les foins. rcuailfans ïcnaiffans qu'exigeoit la guerre contre Charles XII, ne changeoient rien aux plans Ôc aux vues patriotiques du Monarque Ruife : il fît creufer le canal qui va du Tanaïs au Volga, &: dirigeoit lui-même les travaux ; il fit venir de Pologne, de Saxe ôc de Siléfic des Bergers ôc des brebis pour avoir des laines avec lcfqucllcs on pût fabriquer des draps; il établit des Manufactures, des Papeteries; il fit venir des Ouvriers en fer, des Fondeurs, des Armuriers, &c. Tandis que le créateur d'un peuple nouveau adminiftroit ainfi fes Etats, Charles XII couroit après la gloire des armes, & au-gmentoit fes forces en Lithuanie. Le Roi de Pologne tâchoit de faire la paix entre les Maifons des Oginski & des Sapiéha, en promettant a ceux-ci de les fatisfairc; Ôc pour éloigner tout fujet de plainte, il ordonna aux troupes Saxonnes de fortir du Royaume , &: d'entrer pour quelque tems en Saxe, avec ordre cependant de les y compléter & de les tenir prêtes à rentrer de nouveau en Pologne. Mais le Roi de Suède, fuivant le defir du Primat ôc de fes partifans, fc mit en marche de la Lithuanie pour la Pologne. Lorfqif Augufte fut informé qu'il s'avançoit Vers Varfovie, il fc retira a Cracovic , ôc donna des Univcrfaux pour la convocation de la Pofpolite. Le u Août, le Roi de Suède entra le premier a Varfovie avec 500 hommes de Cavalerie : fon armée l'y fuivit de près. On y leva unc contribution en argent ôc en vivres. Charles eut unc conférence avec le Cardinal-Primat ôc le Grand-Tréforicr de la Couronne, père âcStanijlaSj au fujet du détrônement du Roi Augufte. Dans cet état des choies, Augufte donna ordre aux Saxons de s'approcher de Cracovic. Ils fc rendirent auprès du Roi au nombre de 2.0,000, Ôc fe réunirent aux 12,000 hommes de troupes de la Couronne. Avec ces forces réunies, Augufte marcha contre les Suédois , ôc s'arrêta a Pintzof. Charles, informé de fa marche, fort de Varfovie avec toute fon Armée , qui confiftoit, félon le Tome III. D d 2,10 HISTOIRE DE RUSSIE, rapport du Tzar, en 18,000 hommes, & vole à la rencontre du Roi de Pologne. ( Journal de Pierre-le-Grand. ) La baraillc de Clif-chofqui va fuivre, n'eft, pour ainfi dire, qu'indiquée dans le Journal. Nous penfons qu'elle intéreftera le Lc&eur par les mou. vemens qui la précédèrent. »s Charles XII étoit arrivé a Varfovie dans les derniers jours de Mai. En vain le Roi de Pologne & la République lui firent offrir toute la fatisfaction qu'il étoit en droit d'exiger ; il vouloit qu'Augufte fût détrôné, ôc cette condition préliminaire n'étant pas remplie, ii prit le parti de l'aller chercher ôc de décider la querelle par le fort des armes. Il mit fon armée en mouvement le 16 Juin; arrivé a Kielcc le 10 Juillet, il eut avis que le Roi Aucufte marchoit de Cracovic fur Finfchofavec 31,000 hommes. Quoiqu'il n'en eût que 12,000, il n'en alla pas moins à fa rencontre , dans le dclfein de le combattre par-tout où il le trouveroir. Le 17, il vint camper à Opietza, a une lieue de Clifchof, où les ennemis étoient arrivés. Son impatience le portoit à les attaquer dès le lendemain ; mais il céda aux repréfentations de fes Généraux, qui lui confcillèrcnt d'attendre un corps de Cavalerie qui ne pouvoit pas tarder h le joindre, ôc qui en effet arriva le 18. Ce ne fut donc que le 19 que Charles marcha aux ennemis. A fix heures du matin, fon Armée fc forma fur deux lignes : la pre- * mière, compofee de douze bataillons ôc de vingt-cinq efeadrons, dont treize a l'aile droite ôc douze à l'aile gauche; la féconde de fix bataillons ÔC de feize efeadrons, huit à chaque aile. Il y avoit en avant du camp que l'Armée quittoit, un bois que le Roi lui fit traverfer, la droite marchant fur deux colonnes, la gauche en bataille, parce que le bois étoit clair. Lorsqu'elle l'eut traverfé, Ôc qu'elle fut arrivée dans la plaine, on apperçut deux corps ennemis fur la gauche; ils fe retirèrent fins faire beaucoup d'attention aux mouvemens des Suédois. Alors le Roi changea l'ordre de fa gauche, dont il forma deux colonnes, Ôc il continua fa marche. Au bout de la plaine, il trouva un bois dans lequel il ne voulut pas s'engager ; mais il fit faire à droite a fes colonnes, pour le laifier à gauche, Ôc il en fuivit la lifière jufqu'au village de Crofcof. Ce fut alors qu'on appercut le camp ennemi encore tout tendu, ôc dans lequel aucun mouvement n'indiquoit qu'on y eût avis de la marche du Roi. Ce ne fut que lorfqu'il mit fon Armée en bataille à la portée du canon, que les ennemis prirent les armes. Ils étoient campés fur unc hauteur devanr laquelle il y avoit deux marais à trois ou quatre cents toifes l'un ds l'autre; celui qui éroit devant leur droite commençoit au village de Cokot; ôc l'autre, entre ce village ôc celui de Virbitza, couvroit tout le front de leur camp, ôc s'étendoit jufqu'au village de Rcmbova où appuyoit leur gauche : un troifième marais régnoit depuis cette gauche par les derrières du camp, jufqu'à leur droite qui étoit couverte d'un bois fort épais. Le Roi, après avoir reconnu que cette pofition étoit inattaquable de front, fit faire un à gauche à fon Armée pour aller gagner les hauteurs qui fe trouvoient fur le flanc droit de l'ennemi. Ce mouvement obligea le Roi Auguflc de changer fa difpofition; il marcha fur-lc-champ par fa droite, en panant le marais & le village de Cokot. L'Armée de la Couronne fut formée à la droite ; venoit enfuite la Cavalerie Saxone de l'aile droite , qui, faute de terrain, étoit fur plufieurs lignes redoublées. A la fuite étoit l'Infanterie Saxone, a laquelle la Cavalerie de l'aile gauche fe réunit; comme elle débordoit l'aile droite des Suédois, le Roi fit placer de l'Infanterie entre les efeadrons &: fur leur flanc Il étoit deux heures après-midi, ôc le Roi étoit parvenu à gagner les hauteurs ôc à former fon Armée entre le bois Ôc le marais, lorfqu'il ordonna au Duc de Holftcin d'attaquer; dans le même inftant ce Prince fut blciTé d'un coup de canon dont il Dd ij il*, HISTOIRE DE RUSSIE. mourut quelques heures après : le Général Vclling qui comman-doit fous lui l'aile gauche de Cavalerie, la mena à la charge. Les Polonois ne foutinrent que foiblcmcnt ce choc, ôc s'enfuirent à toute bride. Velling eut enfuite affaire à la Cavalerie Saxone, qui ne fut vaincue qu'après s'être défendue avec toute la valeur poffible. L'avantage que la Cavalerie Suédoife venoit de remporter, facilita à l'Infanterie les moyens de palfer le marais ôc d'attaquer celle de Saxe. Elle la chargea malgré le feu de fon artillerie Se les chevaux de frife dont elle étoit couverte-, clic la mit en détordre Se l'obligea à prendre la fuite. Dans le même,tems, le Maréchal Stéinau , qui commandoit la gauche de l'Armée Saxone, enga-geoit un combat très-vif avec l'aile droite des Suédois qu'il débor-dpit ; il l'attaqua de front, en flanc Se à dos : la Cavalerie Suédoife fit face de tout coté , Se chargea celle des ennemis avec tant de vigueur ôc de fuccès, le fabre à la main ôc fans tirer, qu'elle la força de plier avec d'autant plus de précipitation, que celle-ci craignoit de tomber fous le feu de l'Infanterie viétorieufe. Elle fc rallia fur les hauteurs qu elle avoit derrière elle, fit encore une charge pour fuiver fon Infanterie, Se après ce dernier effort elle prit ouvertement la fuite. Déjà le Roi Augufte avoit pris le chemin de Cracovic avec fon aile droite , Se les Polonois s'étoient fauves à Sandomir : Charles XII, qui avoit toujours combattu à l'aile gauche, où il avoit réfolu de vaincre, remit lès troupes en ordre, Se entra dans le camp des ennemis fur les fix heures du foir ; on y trouva 4$ pièces de canons Se tous les équipages. Quatre mille hommes furent tués, bleflés ou pris. La perte des Suédois fut d'environ i ioo hommes «. L'Auteur de ce récit faît la réflexion fui vante. »La poiîtion que le Roi Augufte avoit pnfc entre les marais, dans lefqucls il s'étoit renfermé, étoit bonne, fi on l'eut attaqué de front ; mais elle ne valoit rien du moment qu'il étoit attaqué par fon flanc droit qui étoit abordable ; aufïï fa fupériorité lui fut-elle inutile, les Suédois pouvant le charger fur le même front qu'il leur oppofoit, du moins à leur gauche & a leur centre. Augufte fit encore une faute d'avoir pofté l'Armée de la Couronne a fa droite, puifqu'il ne pouvoit ignorer que ce feroit à cette droite que fe pailcroit le fort du combat. Mais une faute incxcufable, c'eft que, fâchant le 17 le Roi de Suède arrivé &c campé a une lieue de fon camp, il n'apprit qu'il marchoit à lui, que lorfqu'il vit l'Armée Suédoife fe former, pour ainfi dire, fous le feu de fon canon : que faifoit-il donc de cette Cavalerie Polonoifc qui n'eft bonne que pour la guerre de parti > Cette furprife l'obligea de faire unc nouvelle difpofition ; mais elle n'étoit pas ailée vis-à-vis de Charles XII 6c des troupes Suédoife** qui étoient alors les mieux exercées de toute l'Europe «. Section LU. Après cette victoire, Charles XII reçut de Poméranic un renfort de huit mille hommes, 6c marcha fur Cracovic. Il n'y trouva plus le Roi de Pologne qui s'étoit rendu à Varfovie par un autre chemin. Ce fut a Cracovic que Zint^indqrf^ Ambaiïa-deur de la Cour de Vienne, vint offrir à Charles XII la médiation de fon Maître , que le Rot refufa. Ce Prince y leva unc contribution de cent mille écus, & de grandes fommcs des Villes voiilnes; après quoi il fc mit en marche pour Varfovie, PÙ le .Roi de Pologne ne l'attendit pas. Il fe retira dans la Prufle Polonoifc , 6c ce fut dans cette fuite quil battit un petit détachement Suédois. Le Comte de Stcimbock avoit levé unc Compagnie de cent cinquante pauvres Gentilshommes Polonois ? elle devoit ma- iî4 HISTOIRE DE RUSSIE, nceuvrcr devant Charles XII, qui monta a cheval pour lui voir faire fes exercices. Son cheval s'embarratfa dans les cordes d'une tente, ôc tomba. Le Roi eut la cuifle calfée. Tel fut cet accident que les Hiftoriens ont rendu il mal. Après fon réta-bliffement ce Prince marcha droit à Sandomir avec fes troupes. Quoique la mauvaife faifon commençât, il ne leur permit pas de prendre des quartiers ; ils les tint en mouvement pendant tout l'hiver, &: jufqu'a l'ouverture de la campagne de 1703. Le Roi de Pologne palfa l'hiver à Thorn ; les troupes étoient en quartier dans la Prulfc Polonoifc. Ce Prince, qui avoir un ennemi redoutable à fa pourfuitc, Ôc qui connoilToit l'inconf-tanec des Polonois , envoya Fiqtkum auprès de Charles XII pour le prier de faire la paix, en confidération de la confanguinité qu'il y avoit entr'eux, ôc fous la promefle de lui rembourfer tous les frais de la guerre : loin de corifentir à la paix, le Roi de Suède n'en voulut pas entendre parler. Mais revenons à Pierre L Section LIIL Pierre s'étoit rendu à Arkangel ; ôc pendant fon féjour , il donna ordre de fortifier l'embouchure de la Dvina , ôc de conftruire fur le bord de la mer unc nouvelle foïtereffe qu'on appclla la nouvelle Dvina. Il envoya un ordre au Prince Rcpnin de marcher avec fa divifion ôc deux bataillons des Gardes à Ladoga, où il fit tranfportcr l'artillerie. Lorfquc le Tzar fut alfuré que la flotte Suédoife ne viendroit point à Arkangel , il s'embarqua le 5 d'Août avec les cinq bataillons des Gardes fur dix vaiffeaux , dont quatre étoient Ruflcs , ÔC les fix autres des bâtimens Anglois ôc Hollandois. On pafla devant le Couvent de Solovctzki , on aborda au village de Rouchctfchéi. Dc-la, après avoir paire par des déferts , on parvint a Povénas. On s'embarqua fur des bateaux préparés pour naviger par le lac Onega ôc la Svir jufcju'à Cermaxa près du lac Ladoga. On employa cinq à ilx jours pour faire ce trajet, en panant toutes les nuits à l'ancre. L'intention du Tzar ctoit d'arriver de Lonéga au Ladoga ; mais les vents contraires l'obligèrent de fc rendre par terre de Cermaxa au Ladoga, cii le Prince Repnin ôc les autres Généraux attendoient fon arrivée. Le 2.1, Sa Majcfté fe rendit au camp de Pierre Apraxin, qui ctoit pofté près de la rivière de Naza. Le Maréchal Schérémétof s'y rendit pour la revue des troupes qui étoient aux ordres d'A-praxin. On lui laiifa la Cavalerie ôc un Régiment de Streltfi ; toute fon infanterie fut jointe au corps principal. Après ces dif-pofitions on fe mit en marche pour Notcbourg. Les cheyaux manquoient, l'artillerie fut traînée par des hommes. Le 16 a minuit, on envoya quatre cenrs hommes du Régiment Préobraginski , pour s'emparer d un pofte près de la Ville ; ce qu'ils exécutèrent. Deux barques ennemies s'approchèrent pour reconnaître ceux qui étoient poftésdans leur voifinage: les Ruflcs firent feu , ôc cette imprudence annonça a la Ville que l'ennemi ctoit a fa porte. L'artillerie de la place fit un feu très-vif: un Lieutenant du Régiment des Gardes fut tué. Le 17, toutes les troupes fc trouvèrent près de Notcbourg , ôc campèrent fur unc pointe de terre au bord de la Neva , a deux verftes au-deffus de la Ville. Ses habitans élevèrent fur unc tour le drapeau royal , pour marquer qu'ils étoient aftiégés ôc qu'ils avoicnt befoin d'un prompt fecours. Après avoir fait les difpofitions du fiége , on embarqua le premier Octobre mille hommes, rires des Régimens des Gardes, qui pafsèrent fur le bord oppofé de la Neva , ôc s'emparèrent des retranchemens çnnemis. Le même jour on fc rendit maître d'un pofte retranché près de la Ville, & on y laiifa trois Régimens pour le défendre. Le Maréchal envoya un trompette auCoinman dant de la Place , pour rengager à la rendre à des conditions favorables, attendu que toute efpérance de fecours lui étoit ôtéc. Le Commandant demanda quatre jours avant de fc décider \ mais les Rulfes ne lui répondirent que par un feu continuel Ôc un bombardement qui durèrent jufqu'au moment de l'aflfant, qui eut lieu le 11, a deux heures du matin, & qui dura pendant treize heures. Les Ruflcs y perdirent beaucoup de monde , ôc la défeafe des aflïégés fut fi vigoureufe , que le Maréchal avoit envoyé Tordre de fe retirer; mais celui qui en étoit chargé ne put parvenir jufquau Prince Galitzin , qui avoit le commandement. Ce chef, s'appercevant que les Soldats étoient rebutés du feu de Pennemi ; ôc que plufieurs avoicnt déjà pris la fuite, fît partir les barques vides. Le Lieutenant des bombardiers Mentfchikof fe fervit de ces barques pour tranfportct de nouvelles troupes aux fecours des premières ; Ôc le Commandant qui s'en apperçtrt, fit battre la chamade, ÔC envoya de la fortcrclTe un Lieutenant avec les articles de la capitulation. Le Secrétaire d'Etat Schafirof ôc quelques Ofliciers fe rendirent dans la Ville , ôc dès qu'on fut d'accord fur les articles de la capitulation , le Maréchal la ligna i après quoi les Ruflcs entrèrent dans Notcbourg par les trois brèches qu'ils avoicnt fiiitcs. Unc chofe remarquable , c'eit que les Suédois montèrent encore la garde , quoique les vainqueurs fuf- fent dans la place : on leur avoit accordé trois jours pour arranger ni leurs affaires. Mais le 11 au matin , on apprit que le Général Cronhion forçoit de marche pour fecourir la Ville: alors le Général-Major Tfchambers repréfenta au Commandant qu'il falloit changer les Gardes, ôc fur le refus qu'il éprouva, il employa la force pour fubflituer des Gardes Ruflcs aux Suédoifcs. Le 14, la garnifon fortit de la Ville par la brèche , tambour battant, enfeignes déployées , ôc balle en bouche, avec quatre canons de fer ; on lui fournit des barques pour tranfportct tout ce HISTOIRE DE RUSSIE. 117 ce qu'elle avoit de bagage. Le même jour, le Maréchal Ôc les Généraux allèrent dans la Ville pour rendre grâces à Dieu. On changea le nom de cette fortereffe, on lui donna celui de SchliïjJeU bourg. Cette étymologie étoit jufte : c'eft avec cette clef Ôc par cette porte que le Tzar pénétra en Suède, pendant que fon inflexible rival pourfuivoit fa vengeance contre le Roi de Pologne. La victoire de Narva ne lui infpira que du mépris pour les RufTes: pendant les campagnes de 1701 ôc 1702 , il ne leur oppofa que très-peu de monde, leur laiifa tout le tems de réparer leurs pertes, ex: de fe préparer a l'olTcnfivc. Le Tzar profita en grand homme du relâche que lui accordoient les Suédois pour augmenter, dif-ciplincr ôc aguerrir fes troupes \ ôc dès que fes moyens furent prêts, il attaqua fes ennemis en Livonic, en Ingrie, en Carélie , ôc par-tout il eut des fuccès. Avec le génie de la guerre, Charles XII ne vit pas ou ne voulut pas voir â quel homme il alloit avoir affaire : cette faute capitale cft la fource de tous fes malheurs ; en politique comme en guerre, il eft bien rare qu'il y en ait de petites. Le Tzar fit unc promotion pour récompenfer les ferviecs ôc les peines endurées à ce fiége. Mcntfchikof fut nommé Gouverneur de Schliiflelbourg ; le Prince Galitzin , Lieutenant-Colonel des Gardes , fut fait Colonel du Régiment Séménofski ; Karpof devint Lieutenant-Colonel de celui de Préobraginski. On leur donna aufti des Villages. Les autres Officiers ôc Soldats furent récompenfes a proportion de leurs ferviecs. Mais ceux qui s'étoient mal conduits encoururent l'infamie. On fit paner par les verges ceux qui «'enfuirent de l'aftàut, ôc après leur avoir craché au vifage, on les punit de mort. Section LIV, Le Tzar rcnouvclla dans cette occafion les triomphes des an-Tome ///, j; c ciens Romains : il vouloit faire valoir aux yeux de fa Nation la conquête de Notebourg , qui pouvoit lui ouvrir une communication avec la mer Baltique, en devenant maître de la navigation fur le lac Ladoga. Nous allons rapporter le récit que le Tzar même a tait de ce triomphe. Il entra à Moskou le 6 Décembre avec tous les prifonniers qu'il avoit faits cette année en Livonic ÔC a Schliiifclbourg, fc avec les trophées de la victoire, de la manière fuivante. » i°. Marchoit le Colonel Rider avec un bataillon de fon Régi-15 ment , enfeignes déployées, tambours &c timbales battans. » i°. Il étoit fuivi de cent cinquante prifonniers Suédois. m 3°. Vcnoient enfuite quelques Compagnies des Régimens , » entre lefquelles marchoient auili des prifonniers. » 4°. Les deux Régimens des Gardes Fréobraginski ÔC Sémo-» nofski, les fuivoient. » 5°. On portoit deux pavillons, qui étoient fuivis par la Com-» pagnie des Bombardiers , à la tête de laquelle fe trouvoit Sa » Majcfté , qui en étoit le. Capitaine, m 6°. L'artillerie prife fur l'ennemi étoit a la fuite de cette " Compagnie. m 7°. Après l'artillerie venoit un bataillon de Moufquctaircs ôc « cent Ofticiers Suédois. n 8°. Cette marche triomphale étoit terminée par vingt char? » riots chargés des dépouilles de l'ennemi », C'eft avec cet appareil que l'on parcourut les grandes rues de Moskou. On s'arrêta fous trois arcs de triomphe , où Sa Majcfté fut haranguée par le Clergé ôc par les diftérens Ordres de l'Etat. Section LV. 1703. Le 15 Février le Tzar fc rendit de Moskou à Voronctz, ôc envoya Mentfchikof au chantier d'Oionetz , qui fe nommoit Lodéynolé-Polé, ou Camp des Barques. On y conftruifit, ainfi qu'à Schluftelbourg, un grand nombre de petits bâtimens pour tranf-porter de l'artillerie ôc des vivres, deftinés au fiége de Nefskoï-Chana^ , que l'on nommoit Kantifi. Le 2.3 Avril le Maréchal Schérémétof fc mit en marche pour l'aiïïégcr avec le même corps d'Infanterie qui avoit emporté Schluftelbourg. Le Tzar fe joignit à ce corps en fa qualité de Capitaine des Bombardiers. Le 30, le Maréchal fomma le Commandant Opalef de rendre la place. Le Commandant répondit, qu'il ne pouvoit rendre une place qu'on ne lui avoit confiée que pour la défendre. On fc détermina à la bombarder, ôc la canonnade dura fans interruption depuis fept heures du foir jufqu'à cinq heures du matin. Le délabrement de. la place força le Commandant à une capitulation : il fut convenu qu'on accorderoit quelques délais à la garni fon , après lefqucls clic fc rendroit librement à Vibourg, Ôc que l'artillerie ôc les munitions refteroient au pouvoir des Ruifcs. Cette prife, qui donnoit au Tzar un port de mer fi défiré, fut fuivie d'un combat naval ôc d'une viéloirc remportée par les Ruflcs fur les Suédois qui venoient au fecours de Kantzi. C'eft ainfi que le génie, fécondé de l'expérience ôc de la fortune, conduifoient Je Tzar de fuccès en fuccès vers fon but. Ces victoires fuient célébrées avec la magnificence que Pierre mettoir toujours dans les fêtes triomphales : le Capitaine des bombardiers, le Lieutenant Mentfchikof ôc Pierre Apraxin, reçurent l'Ordre de St-André; la faveur n'y eut aucune part. Huit jours après, on diftribua des médailles d'or avec des chaînes du même métal aux Ofticicrs qui s'étoient diftingués ; les Soldats curent des médailles de moindre grandeur ôc fans chaînes. Le Journal de Pierre-ic-Grand dit, que dans ce même mois il E c ij zzo HISTOIRE DE RUSSIE, reçut a Kantzi la nouvelle que deux de fes Régimens qui étoient en Livonic, avoicnt battu les Suédois près de Birzc , leur avoicnt tué iepr cents hommes, ôc pris dix-fept canons ôc d'autres marques de victoire. Comme ce Prince n'étoit pas préfent a cette action , il cft poiliblc que la relation ait été infidèle: on ne pouvoit le tromper que dans l'abfcnce. Suivant les relations Sué-doifes , ce combat fe donna le 19 Mars ; le Comte Adam de Loévenhaupt commandoit treize cents hommes j Cavalerie ôc Infanterie , ôc avec ce petit nombre il ne craignit point d'attaquer les deux Régimens de Strcltfi dont il cft quellion dans le Journal, Ôc quatre Compagnies Lithuaniennes, qui formoient en tour cinq à fix mille hommes, couverts de leurs charriots ôc de chevaux de frite. Les Suédois forcèrenr ce retranchement, malgré la vigou-reufe réfiftanec des Ruflcs qui, abandonnés des Polonois, combattirent en défcfpérés: il s'en fauva a peine douze cents. Les trophées qui leur furent enlèves conliftoient en douze pièces de canon. La preuve que ce récit cft vrai, c'eft que Charles XII fut fi content de la conduite de Loévenhaupt dans cette action , qif il le nomma Cîénéral-Major. Ces deux récits diamétralement Oppofés, prouvent combien fHiftoticn doit vérifier les faits', avant de les tran(mettre à la put-térité ; mais en général on n'y regarde pas de li près que nous; il cft plus aifé ôc plus court de haiarder les faits que de les difeuter. Section LVL Après la pnfc de Kantzi, on tint un Confcil de guerre, qui avoit pour objet de délibérer fi on fortificroit cette Place, oiAl on en conftruiroit une autre dans une pofition plus avanrageuic. Kantzi étoit peu fpaticulè ôc éloignée de la mer. Ces eonlidéra-tions déterminèrent le Confcil a chercher un autre emplacement. Après quelques jours employés à cette recherche, on trouva le lieu défiré dans une Iile nommée Lujl-Bland ou l'Iflc-Gaye. Ce fut la que, le 16 Mai, on pofa les fondemens d'une Fortcrefle à laquelle on donna le nom de Saint-Pétersbourg. On lailTa dans cette lue, fous le commandement du Prince Repnin, unc partie des troupes qui avoient fait le fiége de Kantzi : Schérémétof marcha avec d'autres troupes furKoporié} &c le Général-Major Verden, avec l'autre partie de l'Infanterie , fut aiîïégcr la ville d'Yami. Ces deux Places fe rendirent uns beaucoup de réfiftanec j elles étoient, pour ainfi dire, fans défenfeurs. Après s'en être emparé, le Maréchal eut ordre de fortifier Yami, ôc l'on donna le nom &Yambourg à la nouvelle Fortereifc. Pendant que le Maréchal fortifioit Yambourg, le Tzar, qui fembloit fe multiplier, fe rendit à Pétcrsbourg avec deux Régi- , mens des Gardes ôc quatre Régimens de Dragons, pour mefurer fes armes avec le Général Suédois Cmnhiort, qu'il rencontra près de la rivière Ccftra. Dès que les deux Armées furent en préfence, celle des Suédois lit un feu terrible fur les RulTcs qui étoient polies fut la rive oppofée j mais ce feu continuel n'empêcha pas le Colonel Renn de palier la rivière , de s'emparer du pont, 82 de forcer le Général a fc retirer près de Vibourg. Après cette victoire, le Tzar partit de Pétcrsbourg pour Olonetz, où il lit conftruire fix frégates ôc neuf bâtimens. Il en revint avec une frégate ôc les bâtimens de tranfport qui avoient été conftruits quelques mois auparavant. »> On donna a cette frégate le nom d'Etendard^ à eaufe, dit le Tzar, que, dans ce tcms-là, on s'étoit rendu maître de la quatrième mer «. Le premier Octobre, il lit un nouveau Traité avec le Roi de Pologne : le Prince Démitri Galitzin fut fc joindre aux troupes Saxones avec 11,000 hommes ôc 300,000 roubles de fubfïdcs. Le Tzar fc rendit enfuite dans flflc Kotllin j il y mefura fa profondeur de Peau, ÔC décida d'y bâtir unc Fortcreifc. Après ces tl2. HISTOIRE DE RUSSIE. arrangemens, il partit pour Moskou avec les Régimens des Gardes : le Maréchal Schérémétof l'y fuivit. Le premier foin de ce Prince fut de s'occuper du pian de la Fortereifc qu'il vouloit bâtir, & il voulut que Mentfchikof fut préfent à la confection de ce plan ; après quoi il l'envoya dans l'Iilc Kotllin pour le faire exécuter pendant f hiver, & il le fut. On donna le nom de Kronjjcktàt à cette Fortcreifc Section LVII. Pendant que le Tzar ravageoit les frontières de la Suède, bâ-tilfoit Pétcrsbourg ÔC créoit une Marine, Charles XII, n'écoutant que fa vengeance, marchoit à grands pas à l'cxécutioA de fon projet. Il s'unit avec le Général Rcinfthild, fc fc rendit devant Thorn. Le Roi de Pologne ayant appris fon arrivée, abandonna Maricnbourg, fc marcha vers Lublin. En attendant l'artillerie fc les munitions de guerre , Charles fe contenta de bloquer étroitement Thorn. La tranchée ne fut ouverte que le 2,9 Septembre, fc non pas en Juin, comme on l'a dit : le blocus fc le fiége durèrent en tout près de fix mois. La garnilon Saxone , qui étoit au nombre de quatre mille hommes, fe rendit â diferétion : elle fut envoyée en Suède, fc les fortifications de la Ville furent détruites. Le Roi Augufte fut d'autant plus fâché de la prife de Thorn, qu'il y perdit fa meilleure Infanterie, fc que cette perte fembloit devoir entraîner celle de la Couronne Polonoifc. Au mois de Novembre, Charles s'empara de Maricnbourg, & déploya fon autorité en Pologne. Il reforma la police de cette Ville, fc ordonna aux P.iilcurs Luthériens de prêcher dans les Eglifcs Catholiques. Dans le mois de Décembre, Elbing eut le fort de Maricnbourg. Charles y trouva la meilleure artillerie de la Couronne : on l'avoit crue en fûreté dans cette Place régulièrement fortifiée. Les Magiftrats de cette Ville, de leur propre chef, en portèrent les clefs aux Suédois. HISTOIRE DE RUSSIE, zij Section LVIU. 1704. L'Aga Muftapha, Ambaftadeur Turc, fe rendit à Moskou le 19 Février : il fit une entrée folemnellc, ôc il eut une audience publique avec les cérémonies d'ufage. 11 étoit chargé d'une Lettre du Sultan , qui lui notifioit fon avènement au Trône. L'Ambafladcur étoit encore chargé de faire des plaintes de ce que, contre la teneur des Traités, la Ruilie faifoit conftruire près d'Azof, Troitzkoï, Ôc fur le Dnieper, Ramcnnoï-Zaton. La Porte pré-tendoit auili qu'on devoit ccîïcr les travaux de ces Villes, ôc ceux des vaifteaux de toute cfpècc que l'on conftruifoit à Voronctz. Après neuf mois de fejour, Muftapha-Aga prit fon audience de congé a Narva, où S. M. le fit venir à la fin de Novembre : elle lui remit unc lettre qui répondoit aux repréfenrations du Sultan. On y expofoit les raifons pour lcfquclles on bâtiflbit des Villes Se on conftruifoit des vaifteaux ; Ôc l'on pro.uvoit au Sultan que ces créations n'étoient pas contraires aux Traités de Paix entre la Ruilie ôc la Porte. Muftapha n'en crut rien ; mais il fc mit en marche pour Conftantinople. Sa Majcfté partit de Moskou, pa(ïa par le chantier d'Olonctz, oii elle examina l'état des bâtimens commencés. Elle arriva a Pétcrsbourg le 19 Mars, ôc le9 Mai elle fc rendit dans l'Iflc Kotllin, ôc de-là à Kronfchlort. File s embarqua fur unc flûte, nommée la bien venuey qui étoit chargée d'artillerie, ôc quVllc fit placer, en fi préfenec, fur la nouvelle Fortcrcflc. Elle décida enfuite que le corps de troupes qui avoit fait le liège de Kantzi iroit attaquer Karcl , tk que le Maréchal, h la tête de celles qui avoicnt pris Yambourg, marcheroit fur Derpt ou Gouncf en Livonic. Pendant quC jc X/.ar formoit ces plans d'attaque, il reçut de Pleskof unc lettre du Maréchal qui l'informoit de l'arrivée d'une Efcadre ennemie fur leTchudskoé-ozéro {lacPéipus ). Il ajottfoit, qu'après s'être allure de la force de ces treize bâtimens, il avoit envoyé de Pleskof le Général Ferden avec unc partie de l'Infanterie fur des barcaux, pour empêcher l'ennemi de fortir de l'embouchure de la rivière d'Amorgca, au moment où les glaces com-mcnccroicnt à fe féparer. En arrivant dans cette embouchure, ic -Général Vcrdcn apprit par des pêcheurs que l'Efcadrc faifoit déjà des courtes du coté de Derpt. Il alla à fa rencontre, ôc la joignit vis-à-vis de la petite ville de Kaftersk. M. de Lofi/icr, commandant l'Efcadrc Suédoife, s'étoit imprudemment engagé dans un lieu étroit, où fes bâtimens ne pouvoient manoeuvrer : la flotillc Ruffe vint les y attaquer, en même-tems que M. Verdcn, qui avoit mis de l'Infanterie à terre , les faifoit canonner ôc fufillcr des deux bords de la rivière : ils fc rendirent les uns après les autres. M. de Lofchcr ne voulut pas furvivre à fit défaite, il fe fit fauter avec fon vaiffeau : c'efl: ce qui fit dire au Roi, Prince très-religieux, qu'il étoit mort eu foldat ôc non en chrétien. Section LIX. Le 10 Mai, les Régimens de Préobraginski, de Sémonofski, d'Ingcrmeland , Ôc la divifion du Général Prince Rcpnin , fc mirent en marche pour la Carélic, s'embarquèrent enfuite, Ôc remontèrent la Néva. Le Colonel de Dragons Renn, Commandant de Sr-Pétcrsbourg', paflà du coté de Vibourg , les fuivit avec fon Régiment &: la Compagnie de Cavalerie d'élite, compoféc tics Gentilshommes de Novogorod. L'artillerie embarquée fe irouvoit déjà près de Schlùffelbourg. De fon côté, Pierre Apraxin tenoit la Narova bloquée du côté de la mer, avec cinq Régimens d In fanterip Ôc deux de Cavalerie. Il fit favoir que le Vice-Amiral de Prou s'approchoit avec unc flotte de l'embouchure de la Narova, ÔC &" commcnçoit à tirer le canon ôc a jetter des bombes dans le camp , dans le delTein de pouvoir palier au fecours de Narva par la rivière, ôc de tranfportcr des hommes ôc des vivres dans la Ville. Il mandoit encore que le Général Schlïppenbach devoit fc rendre de Rével par terre avec fes troupes , pour procurer unc libre entrée dans la Ville au Vice-Amiral. En conféquence de ces nouvelles, on abandonna l'expédition de la Carélic : les troupes revinrent a Pétcrsbourg le n Mai, Ôc fc mirent en marche pour Narva. Elles arrivèrent le 16 au camp d'Apraxin, ôc fe portèrent près de l'embouchure de la Narova. Elles furent renforcées par fix Régimens qui vinrent de Pleskof. L'Infanterie qui ctoit aux ordres d'Apraxin, fît un pont fur la Narova , au-deffus du camp. Le 30, toutes les troupes, celles d'Apraxin exceptées, pafsèrent la rivière ôc bloquèrent entièrement la Ville. L'artillerie fut tranf-portée de Pétcrsbourg par terre avec des peines incroyables : les munitions arrivèrent par mer dans des bateaux qui avoient côtoyé le rivage. La flotte ennemie tenoit la mer près de l'embouchure de la Narova : unc tempête jetta deux de fes bâtimens fur un banc de fable , voifin de l'embouchure : les Ruflcs s'en emparèrent. Quelques prifonniers Volontaires leur apprirent que le Commandant de la Ville attendoit Schlippenbach qui venoit de Rével à fon fecours. La confirmation de l'avis qu'Apraxin en avoit donné , détermina les Rulfes a recourir a unc rufe de guerre pour tromper l'ennemi. Le 8 Juin , on fir marcher, fans que les Suédois puffent s'en appercevoir, quelques Régimens d'Infanterie &: de Dragons fur le chemin de Rével. Les Régimens de Sémonofski ôc d'Ingermc-land avoicnt Puniformc bleu, ôc l'on fit mettre aux Dragons des manteaux de la même couleur ; leurs drapeaux étoient femblables Tome III. F f Z2.6 HISTOIRE DE RUSSIE, à ceux des Suédois. D'autres troupes bien armées marchoient en ordre contre celles-ci , comme pour les empêcher de venir au fecours de Narva. Les Rulfes déguifés en Suédois, donnèrent le lignai de deux coups de canon, auquel les afïiégés répondirent fur-le-champ par le même nombre de coups. On en tira encore quatre autres , auxquels on répondit de même j 6c les Rulfes en conclurent que l'ennemi étoit trompé. Alors les prétendues troupes Suédoifes s'approchèrent des autres ; ôc dès que les avant-gardes fe rencontrèrent, celle qui avoit des uniformes Ruifcs feignit de plier ôc de fe retirer en détordre dans fon camp, où la confufion paroiflbit fe mettre. Les prétendus Suédois marchant en ordre ôc faifant grand feu , fembloient vouloir s'ouvrir un palfage vers la Ville. Le Commandant Horn crut de bonne-foi que Schlippcnbach lui amenoit le fecours qu'il attendoit avec impatience : il lui envoya le Lieutenant Colonel Markvan} avec quelques centaines d'hommes, tant d'Infanterie que de Cavalerie, pour le conduire dans la Ville. Dès que le détachement fut à portée du prétendu corps de Schlippcnbach , il s'écria avec tranl-port, foyc\ les bien-venus j ÔC fc précipita dans les bras de l'ennemi. Ce détachement étoit fuivi d'autres Suédois, qui furent harcelés par les Dragons du Colonel Renn ôc par les Gardes de Préobra-genski qu'on avoit mis en embufeade. Ce ftratagéme procura aux Rulfes la connoilfancc de l'état où fe trouvoit la Ville. Ceux qui commandèrent en chef dans cette manoeuvre, furent «lu côté des prétendus Suédois , le T/.ar même ; ôc du côté des Ruffcs, le Prince Repnin 6c Mentfchikof. La connoifiànce de l'état de la place , détermina à en faire les approches, & à d relier des batteries du côté d'Ivan-Gorod. On éleva des retranchemens vers les montagnes Vaivcrskaïa , afin d'empêcher l'ennemi de venir au fecours de Narva. Les chofes etoient dans cet état, lorfquc le Tzar reçut la nou- Vellc que le fiége de Derpt, formé au commencement de Juin, avançoit peu : il prit la réfolution de s'y rcndrccn perfonne. En conféqucnce, il confia le commandement de fes troupes devant Narva, au Général Ogilvi, qu'il avoit engagé a fon fervice. Il fit le chemin par terre jufqu'à Cyrensk, 6c de là il fe rendit à Derpt par le Péipus, fur deux yachts pris aux Suédois. A fon arrivée, il reconnoît la fituation de la Place, change les difpofitions de fes Généraux, établit des batteries qui lui facilitent l'approche de la Ville, dirige les attaques, bat en brèche trois endroits à-la-fois, fût conllruire un pont fur la rivière Amovgea, qui facilite des fecours aux ailiégcans, expofés au feu continuel de la Place 3 fans pouvoir fe retrancher. Dans cet état de crife, les Ruifcs 6c les Suédois firent également aifaut de valeur} mais ceux-là hachèrent les paliffadcs 6c s'élancèrent avec fureur contre ceux-ci, les mirent en fuite, 6c prirent la dcmi-lunc qui défendoit la porte Rouskaïaj ils y trouvèrent cinq canons qu'ils tournèrent contre l'ennemi, 6c qui leur facilitèrent l'entrée de la porte, dont ils enfoncèrent les barricades. Tout ce que le courage 6c le défefpoir peuvent faire dans le péril, les Suédois le firent pour défendre la Place jufquc dans fes derniers retranchemens : leurs efforts furent impuiifans. Un Trompette fonna la chamade ; le Commandant demanda unc capitulation honorable : un autre que le Tzar l'eût peut-être rcfufée; mais il cflimoit trop la valeur pour la flétrir même dans fon ennemi. Il confentit à ce que les Officiers fortif-fent de la Place avec leurs épées, 6c le tiers des foldats avec leurs fufils. Le 17 Juillet, le Vainqueur fe rendit, fins perdre de tems, au camp de Narva, par le lac Péipus, fur les mêmes yachts Suédois, avec les drapeaux 6c les trophées qu'il avoit pris dans Derpt. Il trouva l'artillerie de Pétcrsbourg arrivée, 6c le 30, il ordonna de battre en brèche les deux faces du baftion nommé ntloire. r f ij 2.2.8 HISTOIRE DE RUSSIE. On ne Ccfla pendant neuf jours de tirer le canon ôc de jetter des bombes depuis le matin jufqu'au foir. Les Régimens d'Infanterie qui venoient de Derpt furent employés à des retranchemens iimulés au-deflus de Narva, ôc le Maréchal Schérémétof marcha avec la Cavalerie vers ceux qui le faifoient près des montagnes Vaivarskaïa. Le grand nombre de bombes qu'on avoit jettées, firent écrouler le parapet du baftion appelle Honora-Face, ôc le Tzar apprit que la terre combloit la plus grande partie du folié. On redoubla le feu contre le baftion, ôc, pour mieux en ruiner les flancs, & empêcher l'ennemi d'en défendre la brèche, on plaça cinq mortiers près de la contrcfcarpc. Le Colonel Skhte, qui avoit défendu Derpt avec tant de valeur, Ôc qui étoit relâché fuivant la capitulation, fut envoyé au Général Nom, Commandant de Narva, pour l'inftruire de la prife de Derpt, Ôc de la manière dont le Vainqueur avoit agi envers lui ôc la gar-nifon; mais Horn refufa de le voir, quelques Officiers feulement lui parlèrent. Sur ce refus, le Tzar engagea le Maréchal Ogilvî à lui envoyer un Tambour avec unc lettre par laquelle il finformoit de la prife de Derpt : Horn renvoya le Tambour avec promeffe de répondre le lendemain, en fupplfant le Maréchal de fufpcndrc les hoftilités jufquà ce moment. Mais Ogilvi, ne voulant point accorder ce délai, lui envoya le même foir le Colonel Povichc, pour le follicitcr de rendre une Place dont la brèche étoit faite, 11 lui oftioit une capitulation honorable, ôc lui promettoit les bonnes grâces de S. M. Le Colonel l'aflhra de plus, que fi on ctoit obligé d'en venir à l'aflàiir, alors il n'y auroit ni grâce, ni capitulation a attendre. Le Journal dit que, le 7, le Commandant de Narva répondit, par écrit, qu'i/ ne pouvoit rendre la Place fans un ordre de fon Roi; qu'il attendroit la dernière extrémité t & que fi lettre renfermoit certaines cxprcjfions infultantcs...... » Le Baron de Horn répondit, que le Tzar devoit fe fouvcnir » que 8000 Suédois avoit forcé 80,000 Ruifcs dans leurs retran->' chenicns devant la Place qu'il défendoit, ôc qu'il cfpéroit em-» pêcher Sa Majcfté elle-même d'y entrer c Ces expreffions étoient bien propres à irriter le Tzar ; aufti le traita-t-il durement, ôc le lit conduire en prifon après la prife de la Ville. Il eût été plus digne d'un grand homme d'accueillir le Baron de Horn avec la genérofité que fa défenfe méritoit : dans une pareille circonf-tanec, le Tzar eût été le premier à récompenfer fa bravoure ôc fa fidélité. Quoi qu'il en foit, la réfiftanec de ce Commandanr caufa la perte ôc la ruine de la garnifon ôc des Citoyens. Narva fut prife d'aftaut le 8 Août. Pierre, accompagné de fes Généraux, y entre l'épée à la main , parcourt les rues à cheval, pour arrêter le carnage des habitans : deux foldats emportés nobéiftent pas à fes ordres ; il les perce, ôc entre à l'Hôtcl-dc-Villc, 011 les Citoyens fe rérugioicnt en foule; là, pofant fon épéc fanglantc fur la table, il dit : » Ce n'eft pas du fang des Habitans que cette épéc cft teinte, » mais du fang de mes foldats, que j'ai verfé pour vous fauver la »» vie «. C'eft à ce trair que je reconnois le Héros ! Le même jour, le Tzar envoya Pierre Schaflrof, fon Secrétaire Privé, à Ivan-gorod, pour fommer le Commandant de fe rendre fans délais, &: de fe repofer fur la bonté de S. M., en l'affurant que, dans le cas contraire, il n'auroit aucune grâce à attendre. Uïl Officier répondit, en fon nom, qu'on devoit lui accorder du tems pour tenir un Confcil, ôc envoyer enfuite fes proportions par écrit. Il fc rendit par capitulation. La garnifon fortit avec fes armes} une partie fut envoyée à Vibourg, ôc fautre à Rével. Section L X. Tandis que ces grandes fcènes fe palfoient dans les Etats de Charles XII, ce Prince, oubliant fes Sujets, conquéroit la Pologne, détrônoit Augufte, &difpofoit de fa couronne en faveur du Palatin de Pofnanie, l'immortel Stanljlas. Aucun Prince ne fut plus digne du Trône ; mais le Cardinal-Primat, quoique fon allié, propofoit un des Princes du Sang de France ; & le Grand-Maréchal de la Couronne, Lubomirski, trouva mauvais que, fans égard aux oppofitions, Charlesdifposât en maître dune Couronne élective. Ce partage de volontés ôc de fuffrages parut favorable au Roi détrôné; il fc rendit àSendomir, où l'on fit unc Confédération contre Staniflas ôc fes adhérens : on ehoifit pour Maréchal de la Confédération le Comte Doénhof', Porte-Epée de la Couronne. Les Polonois déclarèrent à toutes les Cours, qu'ils proteftoient contre une élection laite malgré eux par le Roi de Suède. La proclamation de Staniflas fut faite par l'Archevêque de Pofnanie, le 11 Juillet. Le u Septembre fuivant, Charles XII prit Lvof, relâcha les Turcs ôc les Tatars prifonniers, ôc leur donna de l'argent pour faire leur route. Dans le même tems, on apprit qu'Augufte avoit furpris Varfovie , fait un grand nombre de prifonniers Suédois avec des Officiers de marque. L'Archevêque de Pofnanie, qui étoit du nombre, fut envoyé à Rome. Peu s'en fallut que le Cardinal-Primat ne fût arrêté. Après cette expédition, Augufte réfolut d'aillégcr Pofnanie avec les Saxons, les Polonois Ôc les troupes auxiliaires de Ruflic Charles, qui en cil inflruit, force de marche pour le joindre; mais Augufte évite cette attaque, abandonne le fiége, ôc envoie fon Armée en quartiers d'hiver par différentes colonnes. Les Saxons, commandés par le Général Schulembourg, marchoient les premiers. Le Journal du Tzar rapporte » que le Roi de Suède les w attaqua en marche avec 8000 hommes de Cavalerie : Schulem-» bourg forma un bataillon quarré ; fc quoiqu'il frit obligé de » foutenir cinq fois de fuite de furieufes attaques de la part des " Suédois, non-feulement il leur réfuta, mais encore il les obligea » a céder le champ de bataille aux Saxons. Dans ce combat, du » côté des Suédois il y eut environ 1200 hommes tués ou blcfles : » de plus, on fit cent prifonniers fur eux, fc on leur prit quatre » étendards fc unc paire de timbales. Après cette action , le Roi » de Suède atteignit une autre colonne Saxone qui marchoit >: accompagnée des Auxiliaires Ruflcs, fc engagea un combat » près de Fauftradt, où il eut le deftus : il enleva les équipages nfc quelques canons; mais la plus grande partie des troupes »3 arriva heureufement en Saxe «. Le refpcclablc Auteur du Journal doit être cru dans le récit des laits dont il a été témoin; mais il étoit Souverain, fc par conféquent expofé a être fouvent trompé par ceux qui lui ren-doient compte des faits ou des évènemens paftes en fon abfencc. Il cft ici queftion de la fameufe retraite que le Général Schu-lembourg fit en Pologne vis-a-vis de Charles XII; fc comme cette retraite fera à jamais célèbre dans 1 hiftoirc militaire, nous la rapporterons avec quelques détails, pour détromper les parti fans du fyllême de Vordre profond, qui croient, d'après le Chevalier Eolard , que l'Infanterie Saxone combattit en colonne dans l'action de Puniq. Ce Tacticien habile, dit un Suédois, avoit le défaut "de tous les faifeurs de fyftèmes; il voyoit des colonnes par-tout, fc nous dit de la meilleure foi du monde : » Schulemboum fe range en colonne, fe frailè de tout ce qu'il y a d'armes de longueur, hallebardes, pertuifannes, cfpontons, fc fc prépare à une VigourCUiC réfiftanec ; il eft bientôt joint, fc dans l'inftant attaqué ; il foutient le choc de cette Cavalerie avec tout Tordre ôc la valeur poilïble : la Cavalerie eft repouftee. Le Roi ne fe rebure pas ; il étend fes cfcadrons, ôc environne cette colonne de toutes parts : elle fait face par-tout____«. Voilà le Roman : voici l'Hiftoire. Augufte paroifloit difpofé à difputer le paftage de la Viftulc à Charles XII ; mais voyant que ce Prince étoit décidé à l'entreprendre , il fit défiler fes équipages &: les Régimens l'un après l'autre vers la Siîéfic. Charles ne perdit pas un moment à palfer la Viftulc, ôc à fuivre les Saxons avec fa vivacité ordinaire ; Ôc quoiqif Augufte eût gagné deux marches, les Suédois atteignirent, le ier Novembre, à Piontck, fon arrière-garde, qui fut défaite ; ôc chaque jour ils faifoient des prifonniers. Unc pourfuite fi vive détermina Augufte à faire prendre différentes rourcs à fon Armée ; il en laiifa le commandement au Comte de Schulcmbourg, ôc prit avec 2000 chevaux la route de Cracovic, dans l'cfpérancc que Charles s'attacheroit à lui, Ôc que par-là il fauveroit fon Infanterie qui étoit excédée de fatigues. Le Roi de Suède ne prit pas le change ; il fuivit les traces de Schulcmbourg en le harcelant fans cefte, ôc l'atteignit enfin le 8 Novembre à Punitz, Village fur les frontières de Siléfic. Le Général Saxon, voyant qu'il ne pouvoir plus reculer, fit fes difpofitions pour combattre. Le corps qu'il commandoit étoit fort de douze bataillons ôc de quatorze cfcadrons; il appuya fa gauche au village de Punitz, fi droite à un marais ; devant fon front étoit un folfé derrière lequel il plaça des chariots, ôc entre lcfqucls il établit fon artillerie. Malgré l'avantage de cette pofition, Charles, qui n'avoir pu arriver qu'avec un Régiment de Cavalerie ôc trois de Dragons, prit fur-lc-champ le parti d'attaquer l'ennemi, ôc chargea 1* Cavalerie Saxone qui fut culbutée fur fon Infanterie, ôc plufieurs bataillons furent mis en défordre; mais ils fc réunirent, ce firent le feu le plus vif fur les Suédois. Ceux-ci tâchèrent vainement d'enfoncer d'enfoncer cette brave Infanterie qui tint ferme jufqu'à la nuit; alors le Comte de Schulcmbourg, qui connoiiToit trop bien Charles XII, pour ne pas favoir qu'il feroit attaqué le lendemain, forma un bataillon quarré-long de toute fon Infanterie, ôc fit fa retraite par le village de Punitz : un Officier que le Roi de Suède avoit envoyé dans cette partie avec quelques troupes, fe perdir dans 1 obfcurité ; ôc le Comte de Schulcmbourg, qui avoit marché toute la nuit ôc le lendemain, arriva fur l'Oder fans être inquiété, après avoir fait fix lieues ; il commença a le palier, ôc les Suédois n'arrivèrent que pour le voir au-delà de cette rivière. Tous les Hiftoriens Militaires du tems ôc les Manufcrits du Comte de Sehulcmbourg alfurent que l'Infanrcrie Saxone étoit tout fim-plcmcnt en bataille à trois de hauteur ; ôc que lorfqucllc fut chargée par la Cavalerie Suédoife, elle employa pour lui réfitrer le fcul moyen de défenfe quelle avoit, &: qui étoit de conferver fon ordre ôc de faire un bon ufage de fon feu. Le Comrc de Schulembourg cil ce grand Capitaine qui en 1716 défendit Korfou avec tant de gloire contre les Turcs. Section LXI. Il y a long-tcms que nous n'avons cité Voltaire ; c'eft lui qui va parler d'après le Journal de Pierrc-lc-Grand &: les Mémoires envoyés de Pétcrsbourg : on doit regretter que ces Mémoires ne foient pas entrés dans de plus longs détails fur des objets cffentiels. » Maître de toute l'Ingric, Pierre en conféra le Gouvernement à Mentfchikof, ôc lui donna le titre de Prince ôc le rang de Général-Major. L'orgueil ôc le préjuge pouvoient ailleurs trouver mauvais qu'un garçon Pâtillier devint Général, Gouverneur ôc Prince ; mais Pierre avoit déjà accoutumé fes Sujets à ne pas s'étonner dc voir donner tout aux talcns , Ôc rien à la feule Noblelfc. Mentfchikof ayant fu d'abord fe rendre agréable à fon Maître, Tome III. G g fut fc rendre nécefiairc ; il avoir appris plufieurs Langues, Se s'étoit formé aux affaires, aux armes Se à la navigation : il hâtoit les travaux de Saint-Pétersbourg ; on y bâtilfoit plufieurs maifons de briques Se de pierres, un arfenal, des magafins; on achevoit les fortifications : les Palais ne font venus qu'après «. Tout cela cft bien beau, & il falloit un Pierre I pour l'exécuter. Son projet étoit de commercer en même-tems avec l'Europe Se l'Afie : déjà il dominoit fur les lacs Ladoga Se Péipus, Se fur le golfe de Finlande ; fes vaifteaux entroient de la Neva dans le Ladoga, Se de-là ils remontoient le Volkof, gagnoient l'ilmcn Se la Mcfta , qui n'eft éloignée de la Tvertfa que de quatre verftes, Se qui s'embouche dans le Volga. Le Tzar avoit donc befoin d'un Port commode Se sûr pour le commerce de la mer Baltique, comme il avoit befoin d'une communication de ce Port avec la Perfc : pour joindre la Baltique à la Cafpienne, il ne falloit que creufer un canal qui réunît la Mcfta à la Tvertfa ; Se c'eft ce qu'il fit exécuter d'après le projet du Marchand Scrdioukof. Mais pourquoi tranfportcr, fans néceftité , à l'extrémité d'un Empire qui a neuf cents quarante-fept mille trois cents foixante-quinze licucs quarrées de fuperficic , unc Capitale qui doit être à unc diftance proportionnée de la grandeur d'un Etat , parce qu'elle eft le centre d'où émanent l'ordre , la Police Se les Loix ) 11 falloit furmonter les plus pu i 11 ans obftaclcs de la Nature pour élever cette nouvelle Ville, Se ces obftaclcs n'arrêtèrent point le Tzar : il ordonna , Se Pétcrsbourg forrit des marais; des terres rapportées de loin les comblèrent, &c on creufa des canaux aux eaux {Lignantes. Mais les violences que l'on fait à la Nature ne retient jamais impunies ; les corps dune multitude incroyable de travailleurs fervirent de fondemens a la Capitale nouvelle ( i ). (i) M. Wraxal le jeune dit, dans ils Lettres fur U Ruflic : »Ccs immenfes pofl~duo»* Pierre ne perdoit pas de vue fa colonie de Pétcrsbourg : fa Marine augmentait ; des vaiffeaux, des frégates fe conflruifoicnr dans les chantiers d'Olonetz; il alla les achever, ôc les conduit!t à Pétcrsbourg, que le tems ôc la confiance mirent dans l'état où il cft aujourd'hui. Pierre fc rendit à Moskou dans le mois de Décembre ; ôc tous fes retours étoient marqués par des entrées triomphantes : celle-ci furpaffa les autres en magnificence. Il ne partit de Moskou que pour faire lancer a l'eau fon premier vaiffeau de 80 pièces de canon, dont il avoit donné les dimenfions l'année précédente à Voronctz. Tous les Arts qui contribuent à faire fleurir la paix, font encouragés au milieu de la guerre : Pierre forma des Ecoles de Géométrie, d'Aftronomic Ôc de Navigation; fes foins s'étendirent jufqu'a élever un vafte Hôpital, où la pauvreté ôc la misère publique travaillèrent aux avantages de l'Empire ; il établit des Fabriques d'armes, unc Imprimerie en caractères Ruflcs ôc Latins, de Moskovie, qui s'étendent jusqu'aux frontières fcptcntrionalcs de la Chine, de la Pcrfc & de la Turquie, font de cet Empire unc partie de l'Afic, plutôr que de l'Europe. 00 avoit fagcnicut fixé pour Métropole la ville de Moskou, qui, par fa ficuation dans le. centre de l'Empire , facilitoit an Gouvernement les moyens de porter fon autorité dans les Provinces les plus éloignées, & de contenir cette multitude de Tribus errantes Se féroces, qu'on ne peut suTujettlt qu'avec beaucoup de peine. Le T/ar n'a point fait ces réflexions cflentiellcs. Jaloux de devenir Souverain Européen , il perdit de vue le poids cju'il mettoit infailliblement dans la balance de l'Afic, pour prendre à la Suède deux ou trois Provinces ftcrilcs. Il éprouva même des fatigues & des guerres toute fa vie, pour confcrvei ces faible* conquêtes. L'établillcmcnt de la Capitale dans un endroit lnuirroplic de la Ruilie , fur les bords du golfe de Finlande , dans un marais où la Nature avoit tout rel'iifé, fut le réfultat de cette faufile politique. Si au moins le commerce eût été fon premier but, en juuu le neuf de cette Ville, f.i Nation au i oit pu gagner beaucoup de (es liaifons avec l'Europe, 5c ilauroicen même tems confervé fon rang dans le fyftéme de la politique Afiatique «. Par-là ce Prince auroit joint au titre de Fondateur celui Je Tac du Peuple j titres qui devroient être toujours unis. G g ij ôc donna même des divertiftcmens pour faire goûter le nouveau genre de vie qu'il vouloit introduire. Ces traits fervent à prouvée que l'homme de génie eft fufceptible des plus grands détails, ôc que les plus petites chofes ne l'empêchent pas d'exécuter les plus grandes. Section LXII. 170 y. Le Tzar, Maître de Narva, avoit envoyé du fecours au Roi de Pologne détrôné : le Prince Repnin arriva le 19 Août fur les frontières de la Lithuanie, avec fix mille hommes de Cavalerie ôc fix mille d'Infanterie. Dès que la campagne put s'ouvrir en Pologne, Pierre réfolut de fc rendre à l'Armée qu'il avoit envoyée au fecours d'Augufte: unc fièvre violente retarda fon départ jufqu'au 31 Mai. Il apprit en route qu'une flotte Suédoife s'étoit avancée pour détruire les travaux de Pétcrsbourg Ôc de Kronfchlot; clic ctoit compoféc de vingt-deux vaiffeaux, de fix frégates, de deux galiotcs a bombes, de deux brûlots. Les troupes de tranfport firent lcut dcfccntc dans la petite iile Kotlin. LTn Colonel Ruflc, nommé Tolboufiny ayant fait coucher fon Régiment ventre a terre, pendant que les Suédois débarquoienr fin le rivage, le fit lever tout-a-coup i Ôc le feu fut lî vif & fi bien ménagé, que les Suédois renverfés furent obligés de regagner leurs vaifteaux, d'abandonner leurs morts, ôc de laitier deux cents prifonniers. La relation envoyée au Tzar, porte » que l'Amiral » Suédois Jnkerflicrria devoit s'emparer de l'ifle Kotlin ôc miner » l'cfcadrc Ruflc , tandis que le Général Meidsl viendroit s'em-« parer de Pétcrsbourg; après quoi ils établiroient unc commu-» nication libre entr eux ». Les Hiftoricns Suédois, loin de convenir de ce projet combiné, difexrt précifément le contraire. Ils rapportent que 1 Amiral Ankcrftierna envoya le Colonel Nicrodt a M. de Meidel pour lui demander un renfort de troupes ; mais que celui-ci s'cxcufa fur ce que n'ayant que cinq mille hommes pour couvrir la Finlande, il ne pouvoit pas s'arfoiblir. Le projet fuppofé de s'emparer de Kronfchlot Ôc de Pétersbourg, ôc de les ruiner, étoit bien vu: c'étoit porter un coup mortel au Tzar ; mais il falloit le tenter avec des moyens fufhTans. En général les entreprifes maritimes font peu redoutables, quand elles ne font pas appuyées & fou-tenues par des forces de terre. De-fa la nécefïïté de la bonne intelligence ôc de TcHirne réciproque entre les troupes de terre ôc de mer , fans quoi les projets les mieux concertés devien-dront inutiles, ruineux &c funeftes à l'Etat. Cette réflexion qui porte toute entière fur l'expérience, cft unc des vérités importantes de cet ouvrage, ôc l'on ne fauroit trop inculquer cette vérité dans l'efprit de la Marine militaire. Section LXIIL Quoique le débarquement des Suédois leur eût été funefte, cependanr leur flotte reftoit toujours dans ces parages, Ôc mc-naçoit Pétersbourg. » Ils firent encore une defeente , Ôc furent repouffés de même : des troupes de terre avançoient de Vibourg, fous le Général Meidel ; elles marehoient du côté de Schluflel-bourg ; c'étoit la plus grande entreprife qu'eût encore faite Charles XII fur les Etats que Pierre avoit conquis ou créés; les Suédois furent repouffés par tout, ôc Pétersbourg refta tranquille «. Ce récit abrégé cft conforme au Journal j mais nous allons rapporter des faits qu'on n'y trouve pas, «Se qui font authentiques. Le Tzar ouvrit la campagne de 1705:, par entrer en Lithuanie à la tête de foixante mille hommes bien difeiplinés, ôc avec un train confidérablc d'artillerie de (îégC : fon projet étoit de s'emparer de la Livonic, ôc d'afliéger Riga, pendant que i58 HISTOIRE DE RUSSIE. Charles XII achevoit de foimicttre la Pologne au nouveau Roi qu'il lui avoit donné. Pour y parvenir avec plus de sûreté, le Tzar crut néceffaire de chafter de la Courlandc le Général Loevenkaupt qui l'occupoir avec un corps de huir mille hommes. En conféqucncc, il ordonna au Maréchal Schérémétof d'entrer dans ce Duché a la tête de vingt mille hommes, dont quatre mille feulement d'Infanterie, ôc de combattre les Suédois. Leur Général, informé de la marche des Rulfes, raflcmbla fes troupes Ôc: prit pofte à Gcmavcrtoff, a deux lieues de Mittau, la droite a un marais, fa gauche a un ruifleau fort encaiife , par cette pofition , il ne pouvoit être abordé que de front, ôc necraignoit pas d être enveloppé : fon ordre de bataille étoit fur deux lignes, la première pleine, la féconde tant pleine que vuide : fa Cavalerie étoit fur les deux ailes, ôc Y Artillerie entre les bataillons. Ce fut fur les quatre heures après-midi, le 16 Juillet, que le Comte de Locvcnhaupt apprit qu'il alloit avoir les ennemis fur les bras. Il jugea que , marchant à lui par un front fort étendu, ils feroient forcés , tante de terrein , de changer leur ordre de bataille j ce moment lui parut favorable pour les attaquer, ÔC il marcha a leur rencontre: la Cavalerie de fon aile gauche fut pliéc ÔC Contenue a propos par celle de fa féconde ligne, qui, par unc charge vigoureufe, lui donna le tems de fc rallier: mais fa droite avoit culbuté tout ce quelle avoit devant elle; ôc alors toute 1 armée continua a marcher en avant : comme le terrein s'élargiflbir, la Cavalerie ennemie de la droite , ayant été renforcée de plufieurs cfeadrons , paifa le ruifteau , auquel laîlc gauche des Suédois étoit appuyée, la prit en flanc ôc à dos, ôc déjà le défordre commençoit a s'y mettre ; dans le même teins les troupes ennemies que la première ligne avoit pouffées, revinrent a la charge, enforte que les Sucdois fc trouvèrent enveloppés de toutes parts. Locvcnhaupt ne perdit point la préfenec d'c(ptit Il néceffaire dans une circonftancc auffï critique; il fit face partout , &: obligea les ennemis à fc retirer: ce qu'ils firent en dé-Tordre, Se dont il profita pour les pouffer, mais en obfcryant de rallier fes deux lignes ; après quoi il s'ébranla de nouveau. Ce mouvement étonna les Ruffcs, au point qu'ils prirent ouvertement la fuite. Prcfque toute leur Infanterie refta fur le champ de bataille : ils y abandonnèrent treize pièces de canon, huit drapeaux, un étendard Se leurs équipages. La perte des Suédois alla a onze ou douze cents hommes. Cette victoire, dit l'Auteur Suédois, fit le plus grand honneur au Comte de Locvcnhaupt, Se lui mérita la confiance dont le Roi l'honora dans la fuite. En effet, on ne peut qu'applaudir aux talcns Se au courage qu'il déploya dans cette journée. Cette victoire dérangea entièrement les projets du Tzar fur Riga dont Locvcnhaupt fc rapprocha, &: qu'il couvrit après avoir lailfé des garnifons dans les Châteaux de Mittau Se de Bauskc. Section LXIV. La plupart des relations faites au Tzar ne s'accordent point avec les récits des Hiftoricns Contemporains. Le Journal dit : » que le 31 Juillet le Lieutenant-Général Saxon Patkul étoit près »>dc Varfovie avec quatre mille Saxons Se trois mille Polonois, » Se qu'il fut attaqué par les Suédois au nombre de quatre mille; » que ceux-ci le défirent entièrement, prirent les équipages, Se >J firent prifonniet le Général, auquel on trancha enfuite la tête *J a Stockholm ». Cela n'eft pas cxaéï. L'objet du Général Patkul étoit, conformément aux ordres du Roi Augufte , de marcher a Varfovie , Se de difpcrfer la Noblelfc Polbnoife affemblée pour couronner fon rival. Le Général Nicrodt, averti de fes mouvemens, fut au devant de lui avec deux mille chevaux; Se malgré l'inégalité du 24o HISTOIRE DE RUSSIE, nombre, il le battit complettement. L'infortuné Jean-Rcinhold Patkul, Gentilhomme Livonien, étoit Lieutenant-Général des Armées du Tzar, ôc fon Ambaffadcur auprès du Roi Augufte qui le livra à Charles XII. Quel étoit fon crime ? Député de la Nobleffe Livonicnne, il avoit porté aux pieds du Trône de Charles XI, les plaintes de la Province dépouillée de fes privilèges, ÔC qui gémiftbit fous le Gouvernement le plus ryrannique. Ce Prince defpotc, ÔC par conféquent diflimulé , l'écouta ; mais il le fit déclarer coupable de lèfe-Majcfté, Ôc condamner a mort. Patkul, forcé de chercher une nouvelle Patrie, s'attacha au Roi Augufte, ÔC enfuite au Tzar. Charles XII, qui avoit hérité du dcfpotifme de fon père, le fit périr du plus affreux fupplicc , contre le droit des gens ôc tout fentiment d'humanité. Patkul fut roué vif a Cafimir, petite ville du Palatinat de Pofnanie. Il eft grand, dit le Suédois auteur de cette anecdote, de gagner des batailles, de conquérir des Royaumes, de détrôner des Rois: mais avant tout il faut être homme, ôc dans cette occafion Charles XII ne fut qu'un barbare. On a dit encore que plufieurs Souverains avoicnt intercédé en faveur de Patkul auprès du Roi de Suède, ôc que ce Prince n'y eut aucun égard. Aucun Souverain n'intercéda pour lui; il n'étoit que fimplc Gentilhomme Livonien, ôc patriote par excellence ; voila fon crime : on ne demande jamais grâce pour l'homme innocent ; ôc d'ailleurs, toutes les Puiftanccs de l'Europe alors en guerre, redoutoient le Roi de Suède. Section LXV. Dans ces affaires où l'expérience ôc la difeiplinc prévalent, les Suédois, quoique inférieurs en nombre , avoicnt toujours l'avantage : mais les revers mêmes étoient des leçons utiles au Tzar; il reparoit toujours fes pertes ôc en tiroit avantage. Il fe mit en maichc de Vilna le 3 Août avec unc partie de fes troupes, Se laifia laiifa le relie de l'Armée fous le commandement du Maréchal Ogilvi, Ôc alla en Courlande pour devancer les troupes ennemies, commandées par Locvcnhaupt, qui fe trouvoit encore dans ce Duché : il arrive devant Mitrau, s'empare de la Ville, affiége la Citadelle, & y entre par capitulation le 14 Septembre. »3 Le bruit qui avoit couru dans tout l'Empire que le Tzar avoit été totalement défait à la journée de Gémavers ( Géma-vertof ) lui fit encore plus de tort que cette bataille même. Un refte d'anciens Strcltfi en garnifon dans Aftrakan, s'enhardit fut cette faulfe nouvelle a fe révolter ; ils tuèrent le Gouverneur de la Ville, ôc le Tzar fut obligé d'y envoyer le Maréchal Schérémétof avec des troupes pour les foumettre Ôc les punir. Tout confpiroit contre lui ; la fortune ôc la valeur de Charles XII, les malheurs d'Auguftc , la neutralité forcée du Danemarck, les révoltes des anciens Streltfi , les murmures d'un peuple qui ne fentoit alors que la gêne de la réforme ôc non l'utilité , les mé-contcntcmcns des Grands affujettis à la difeiplinc militaire, l'épui-fement des finances ; rien ne découragea Pierre un fcul moment : il étouffa la révolte , mit en fureté l'Ingric, s'empara de la ville de Mittau, aiïiégea la Citadelle, la prit malgré Locvcnhaupt vainqueur, qui n'avoit pas affez de troupes pour s'oppofer a lui, ôc fe procura la liberté de traverfer la Samogithic &: la Lithuanie. Il partageoit avec Charles XII la gloire de dominer en Pologne : il s'avança jufqu'a Tikoczin ; ce fut là qu'il vit pour la féconde fois le Roi Augufte : il le confola de fes pertes, lui promit de le Venger, lui fit préfcntde quelques drapeaux pris par Mentfchikof fur des partis Suédois ; ils allèrent enfuite à Grodno, Capitale de la "Lithuanie ,&: y relièrent jufqu'au 1 y Décembre. Pierre, en partant, lui laifla de l'argent ôc unc Armée , ôc, félon fa coutume, alla paner quelque tems de l'hiver a Moskou , pour y faire fleurir les Arts &: les Loix, après avoir fait unc campagne très-diificile«. Tome III. H h Section LXVI. 1706. A la fin de cette campagne , le Tzar avoit fait prendre des quartiers d'hiver a fon Armée en Lithuanie. Charles réfolut de les troubler : il partit de Varfovie le 9 Janvier , malgré la rigueur de la faifon, Ôc arriva a une lieue de Grodno le 25. Le Roi Augufte qui s* y rrouvoit , raflembla en hâte toutes les troupes qui étoient dans les environs, Ôc les fit entrer dans la Ville pour la défendre en cas de fiége. Charles vouloit la brufqucr ; mais il en fut détourné par le Général Nierodt, qui lui dit : Si Votre Majcjlé m'ordonne d'attaquer Grodno , je la lui livre demain : mais mille Moskovitcs que vous prendre^ ne valent pas cent braves Suédois que vous perdre^. Le Roi fuivit ce confeil ôc fe contenta de bloquer la Ville. Augufte favoit quittée des le 18 avec toute la Cavalerie , & y avoit lai fie l'Infanterie aux ordres du Maréchal Ogilvi, en lui recommandant de ne rien hafarder, jufqu'à ce qu'il fût de retour avec fon Armée de Saxe , a laquelle il avoit ordonné d entrer en Pologne, ôc de combattre le Général Rheinfchild qui oecupoir les frontières de Siléfic. La perte de la bataille de Fraujladt dérangea ces difpofitions. Cependant le Maréchal Ogilvi tint dansGrodno jufqu'au 10 Avril j il profita du débordement des eaux du Niémen qui avoit emporte les ponts des Suédois , pour évacuer cette place ôc fe retirer en Volhynic, après avoir perdu deux Généraux Ôc au-dela de fix mille hommes qui moururent de maladie. Section L X VI L Nous écrivons pour tous les ordres de Lecteurs, ôc nous devons des détails au grand nombre de militaires qui ont honoré cet-Ouvrage de leur Soufcription. C'eft pour eux qr.c nous allons rapporter les mouvemens qui précédèrent la bataille de Frauftadt, t & les difpofitions des Généraux dans cette journée ; ce détail fera plus circonltancié que celui du journal de Picrre-lc-Grand. Sur les premiers avis que le Général Rheinfchild eut que l'Armée Saxonne, commandée par le célèbre Schulcmbourg , étoit entrée en Siléfie , il leva fes quartiers ôc marcha a Liffa : il y apprit que déjà les ennemis avoient palfé l'Odet, &: qu'ils paroif-foient prendre le chemin de Pofnanie pour fe joindre au corps Saxon du Général Braujc t ôc le prendre enfuite à dos , afin de l'écrafer, ou au moins de le pouffer en Prufle : il prit fon parti en confcquencc, ôc fit unc marche en arrière ; fon objet étoit d'engager le Comte de Schulcmbourg , dernière reffourec d'Au-guflc, a combattre : pour y parvenir, il fit répandre le bruit qu'il fe rctiroit pour éviter unc action avec un ennemi qui lui étoit il fupérieur. Cette manœuvre trompa Schulcmbourg, qui s'avança a Fraulladt ; alors Rheinfchild retourna fur fes pas, «Si le 13 Février il marcha aux Saxons fur trois colonnes, dont la Cavalerie avoit la tête. Il les trouva en bataille près de Fraufladt, l'Infanterie au centre 5c fur deux lignes, entre les Villages de Jcjcrfdorf ôc Rcrf-dof, dans chacun defqucls ils avoient jette deux bataillons. Leur Cavalerie, pofiéc aux deux ailes fur quatre lignes, s'érendoit au-dcla des Villages : en tout leur Armée étoit forte de vingt-neuf bataillons ôc de quarante efeadrons : trente-une pièces de canon , quarante-quatre petits mortiers h grenades ôc des chevaux de IVife couvroient tout le front de leur Infanterie. La fupériorité du nombre 5c de l'artillerie , la difpofition formidable du Général ennemi ne détournèrent point Rheinfchild du defir qu'il avoit de combattre. Dès qu'il fut à portée, il déploya fes trois colonnes Ôc forma fon Armée fur deux lignes , la première compofee de huit bataillons, de douze efeadrons à l'aile droite, entre lcfqucls on avoit inféré .deux bataillons, ôc d'onze efeadrons à l'aîle gauche , auili mêlés de deux bataillons : quatorze H h ij efeadrons formoient la féconde ligne ; fix étoient deftinés à fou-tenir l'Infanterie, ÔC les huir autres étoient derrière les deux ailes de Cavalerie. C'eft dans cet ordre que les Suédois abordèrent les Saxons fins tirer. Le combat s'engagea d'abord a la gauche : les troupes Sué-doifes qui elfuyoient un feu épouvantable, furent ébranlées pendant un moment -, mais elles fc remirent dans l'inftant, elles détournèrent Se rompirent les chevaux de frife : le centre ôc la droite avoient en meme-tems le même fuccès. La première ligne des ennemis, intimidée par cette acLion de vigueur, prit la fuite de toute part : pour l'empêcher de fc rallier, les Suédois commencèrent alors a lui faire effuyer des décharges par bataillon : en vain la féconde ligne tenta de rétablir le combat ; fes efforts furent inutiles : en vain elle forma un bataillon quarré pour fe retirer devant la Cavalerie Suédoife , qui avoit battu celle des Saxons aux deux ailes; elle en fut enveloppée près de Birzcn, &: obligée de mettre bas les armes. Cette bataille ne dura pas plus dune heure , Se la perte doit en être attribuée a la Cavalerie Saxonne , qui plia fans rendre de combat, Se aux fix mille Ruffcs qui s'y trouvèrent^ Se qui prirent la fuite après avoir tiré en l'air. Prcfque toute l'Infanterie ennemie fut tuée ou prife : cent drapeaux ou étendards ôc toute l'artillerie tombèrent entre les mains des Suédois. L'Auteur de cette Note dit, qu'on pourroit demander au Comte de Schulcmbourg pourquoi , fupéricur comme il feroit , il s'eft enveloppé de chevaux de frife , ôc pourquoi il a reçu le combat an lieu de le donner ? Sans doute il avoit peu d'opinion de fa Cavalerie Ôc des Ruifes auxiliaires , ôe dans ce cas il cft cxcufablc: mais pourquoi former fa Cavalerie fur quatre lignes, puifqu'il perdoit l'avantage de fa fupériorité par cette difpofition ? Le Général Rheinfchild offre une conduite différente : fa première ligne, compoféc de toute fon infanterie , au nombre de douze bataillons Se de vingt-trois efeadrons, préfentoit aux ennemis un front auili étendu que le leur. Cette Infanrerie arriva fur les chevaux de frife fans rirer un feul coup, ce qu'il faut toujours faire du moment qu'on peut aborder l'ennemi ; elle ne fit ufage de fon feu Se par ialves, que lorfqu'clle le vit en défordre. Le Comte de Schulcmbourg fut malheureux : mais ce malheur n'a point nui à fa réputation, «5c il palfera toujours pour un des plus grands Capitaines de ce fièclc. Le jour de cette action, le Roi Augufte fc ttouvoit à quinze ïicucs de Frauftadt avec un corps de douze mille hommes ; fon projet étoit d'enfermer les Suédois entre lui 6c le Comte de Schulcmbourg : des qu'il apprit fa défaite, il fc retira a Cracovic avec la plus grande précipitation. Section LXVIIL Anecdote fingulihe fur la Fondation de Pctcrsbourg. Le Tzar, qui étoit refté à Minsk pour être a portée du principal corps de troupes qui fe trouvoit à Grodno , Se pour exercer les nouveaux Régimens qui venoient de lui arriver , fc rendit de Minsk à Narva le 10 Mars, Se le 19 il fc mit en route pour Pétcrsbourg, où il fît jetter les fondemens dune fortcicftc bâtie en pierre. Les nouvelles qu'on reçut du Général Mentfchikof, déterminèrent le Tzar a fe rendre en Ukraine par Narva, Gdof 6c Pleskof. Arrive à Narva , il reçut un Courier du Comte Golofkin, qui lui apprit l'anecdote fuivante. ' La malice 6e l'ignorance avoicnt réuni leurs efforts pour empêcher la fondation de Pétcrsbourg \ mais la fermeté du Tzar avoit lurmonté tous les obftaclcs qu'on lui avoit oppofes. Dès qu'on apprit que fon projet étoit de faire bâtir autour de la nouvelle forterefte des maifons, des collèges , des boutiques > des magafins léfi HISTOIRE DE RUSSIE, de toute efpèce , on répandit le bruit que dans peu les eaux de la Neva monteroicnt à la hauteur d'un grand lapin qui étoit près de la forterelTe , 6c que leur débordement fubmcrgeroit la Ville nouvelle ; 6c on appuyoit ce bruit d'une prédiction imaginée par quelques Popes. Pour accréditer cette fupercheric , on fc fervit d'une Image de la Vierge, placée dans une Eglife à peu de didancc du lapin. On prétendit que la Vierge avoit répandu des larmes à différentes îcprifcs , 6c qu'un événement fi extraordinaire étoit d'un très-mauvais augure : les Popes l'attribuèrent à un mouvement de compaflion de la Vierge , qui déploroit le malheur inévitable de Pétersbourg. L'alarme fc répandit parmi le peuple j 6c le Comte Golofkin, dont la maifon n'étoit pas éloignée de l'Eglife Se du fapin augurai, fut effrayé de ce bruir : il fe rendit à l'Eglife pendant qu'on y célébroit le Service Divin , fe plaça à deffein près de l'Image miraculcufc , 6c vit avec un faint frémiffement des larmes couler fur les joues de la Vierge : il dépêcha un Courier au Tzar pour l'inflruirc du bruit répandu , de l'alarme du peuple, & du miracle effrayant qui s'étoit opéré fous fes yeux. Le Monarque qui poifédoit éminemment les talcns néccfîaircs au maintien du repos public, 6c qui ne laiffoit échapper aucune occafion d'étouffer les fupcrflitions 6c les terreurs paniques de fon peuple , fe tranfporta fur-lc-champ à Pétcrsbourg: il envoya chercher le Comte Golofkin, fon Chancelier ; 6c après avoir rai-fonné avec lui fur l'impoilibiliré du fait en queftion, il lui démontra phyfiqucmcnt Se mathématiquement, que par la pofition de Pétersbourg, les eaux, même dans les plus hautes marées automnales , ne pouvoient jamais s'élever jufqu a la moitié de la hauteur que la malice avoit défignéc : il lui ordonna de faire imprimer des affiches propres a déiabufer le peuple de fa faune croyance Le lendemain, le Tzar fit abattre le fapin , 6c porter l'Image à HISTOIRE DE RUSSIE. I47 la Cour. Ce fut là qu'en préfence du Chancelier fc de plufieurs Boyari, il examina attentivement cette Image", peinte fur un bois épais fc fortement verniffé : il apperçut au coin des yeux quelques ouvertures d'autant plus imperceptibles, qu'elles étoient nuancées. Apres cette découverte , le Tzar gratta la compofition qui étoit appliquée fur le derrière de l'Image, fc il découvrit dans l'cpaif-feur de la planche, aux environs des yeux , unc rigole remplie d'huile figée, retenue par le moyen de la compofition. Le Tzar alors n'eut pas de peine à démontrer aux Spectateurs, comment les bougies allumées pendant le Service Divin liquéfioicnt peu-à-peu l'huile figée , qui fortoit enfuite goutte à goutte par les petites iffucs pratiquées au coin des yeux. Cette anecdote cft de M. Cormidon, alors Intendant de la Cour. Le Tzar reprit enfuite la route de Pleskof fc de Kiof, où il arriva le 4 Juillet. Pendant fon féjour dans cette Ville, il fit démolir la fortcreifc mal fituée , fc en fit conftruire unc autre à la place où fc trouvoit le Monaftèrc de Pctchcrski : il traça le plan des fortifications, en pofa les fondemens le 4 Août, fc fut le fcul Ingénieur qui conduifit cet ouvrage. Section LXIX. »> Des rives du Borifthènc le Tzar rentre par la Kiovie en Pologne, s'applique à rendre inutiles les vicloires de Charles XII y qu'il n'avoit pu empêcher, fc préparc même déjà une conquête nouvelle : c'étoit celle de Vibourg, Capitale de la Carélic, fur le Golfe de Finlande. U alla Pafiicgcr -, mais cette fois cllcréfifta à fes armes : les fecours vinrent à propos, fc il leva le fiége. Son r^'al , Charles XII, ne faifoit réellement aucune conquête eu gagnant des batailles ; il pourfuivoit alors le Roi Augufte en Saxe, toujours plus occupé d'humilier ce Prince ,& de l'accabler du poids de la puifiàncc fc de là gloire, que du foin de reprendre flngrie fur i4* HISTOIRE DE RUSSIE, un ennemi vaincu, qui la lui avoit enlevée. Il préféroit de répan« dre la terreur dans la Haute-Pologne, en Siléfie, en Saxe. Toute la famille du Roi Augufte, fa mère, fa femme, fon fils, les principales familles du Pays fc retiroient dans le cœur de l'Empire «. Quand le Roi de Suède s'apperçut que fon Armée manquoit de vivres en Luface, il alla vers les frontières de la Bohême, jufqu'à la ville d'Ornof, ôc demanda aux Etats de Bohême de lui permettre de faire un courr féjour dans ce Royaume, où il paye-roit tout comptant. Cela intrigua beaucoup la Cour de Vienne, qui, étant en guerre avec la France, s'imaginoit que Charles XII cherchoit a faire quelque diverfion en faveur du Roi de France : il n'en ctoit rien ; mais Charles étoit redoutable ,& on ne guérit pas de la peur. Aufti pendant fon féjour en Saxe, la Cour de Vienne ctoit-clle dans une grande inquiétude ; elle demanda au Miniftrc de Prufle ce que fon Souverain avoit intention de frire : il répondit que le Roi de Prufle ne fe mêleroit de rien Ôc fc tiendroit tranquille; mais que, par précaution, il avoit fait réparer fes forterefles, &: les avoit fournies de vivres ôc de munitions de guerre. Le Roi de Prufle, pour ne point irriter le Roi de Suède, qui étoit fi près de fes Etats, reconnut, fuivant fa demande, Staniflas pour Roi de Pologne. L'Empereur, déterminé par le même motif, le reconnut aufti : il falloit que fa frayeur fût bien grande, ptiifqifaprès la conclufion de la paix entre Charles Ôc Augufte, il ne permit point au Prince Eugène de Savoie de fc rendre en Pologne pour y occuper le Tronc que lui offroient les Grands Seigneurs de la Nation , quoique d'ailleurs cette offre lui plût infiniment. F.n général, la Cour de Vienne ne fit aucun mouvement jufqu'à ce que les Suédois euflent évacué la Saxe, Ôc délivré l'Allemagne de la terreur qu'ils y avoicnt répandue (i). (i) Le Comte de Wuciflav, qui avoit éU envoya de h âou: de Vienne auprès de S t C I I O N Section LXX. La même terreur détermina Augufte à implorer la paix. » Il aimoit mieux, finis doute, fe mettre à la diferétion de fon vainqueur que dans les bras de fon protecteur. Il négocioit un Traité qui lui ôtoit la Couronne, ôc qui le couvroit de confufion : ce Traire étoit fecret ; il falloit le cacher aux Généraux du Tzar, avec lefqucls il étoit alors comme réfugié en Pologne, pendant que Charles XII donnoit des Loix à Lcipfick, ÔC régnoit dans tout fon Eleélorat «. Ses Plénipotentiaires fignèrent, le 14 Septembre , le fatal Traité par lequel il renonçoit à la Couronne de Pologne , promettoit de ne prendre jamais le titre de Roi de ce Pays, reconnoiftbit Staniflas, renonçoit a l'alliance du Tzar Charles XII, ne put obtenir Je ce Prince la pcrmillion d'entrer dans aucune négociation avec fes Minilbïs, parce qu'il exigeoit avant tout l'exécution des quatre points fuivans. 1 Qu'on livrât le Comte T{obert Hongrois, qui avoit manqué à fon AmbalTadeua dans unc maifon particulière. i°. Qu'on remît la Religion Protestante dans l'Empire , fur le pied du Traité de Munltcr, dont le Roi de Suède étoit garant. 3°. Qu'on lui donnât fatisfaclion de ce qu'on avoit IailTé palfer les troupes RulfcS auxiliaires par la Bohême & la Siléfie en Pologne. 4*, Que l'on garantît le Traité de Paix fait à Alt-Ranitadt. La Cour de Vienne promit d'exécuter tous ces articles, excepte- celui de rendre les Fglifcs aux Protcftans de Siléfie : cependant clic fut obligée d'y acquicfccr. On rapporte à ce fujet Unc anecdote très-plaifaute, & qu'on affurc vraie. Le Nonce du Pape fît des reproches très-vifs, de la part du faint Père, à l'Empereur Jofeph , fur ce qu'il avoit acordé au Roi de Suède tout ce qu'il lui avoit demandé en faveur dts Protcftans de Siléfie : Vous êtes bien heureux , lui répondit l'Empereur, qui le Roi de Suéde ne m'ait pas propofé de me faire Luthérien ; car, s'il l'avoit exigé, je ne fais ce que j'aurais fait. L'Empereur, dans cette circonftoiicc délicate, déféia à tout ce que l'Angleterre, la Hollande, & particulièrement le Duc de Marlborougb, lui confeilloient ; leurs confcil'; étoient d'acquieflci à toute*: les volontés du Roi de Suéde, & de le traiter avec les plus grands ménagement, jufqu'i des conjonctures plus favorables. Tome ///. 11 fon bienfaiteur, fc pour comble d'humiliation s'engageoit à remettre à Charles XII l'Ambafladcur du Tzar, l'infortuné Patkul dont nous avons parlé Section LXIV : il étoit aufti Général des troupes Ruflcs, êc H combattoit pour la défenfe du Monarque qui le îacriiioit à la vengeance de fon rival. Section LXXI. Pendant que Charles donnoit des Loix dans la Saxe, Augufte partoit de Lithuanie pour fc réunir au corps de troupes que le Tzar avoit envoyé à fon fecours, fous les ordres du Général Mentfchikof : il le joignit à Lublin , d'où il s'avança dans la grande Pologne pour combattre le Général Mardcfcld que le Roi de Suède y avoit laifte avec un petit corps d'Armée, auquel s'étoient joints les Tolonois attachés à Staniflas. Ce fut a Pétrikof que les Miniftrcs d'Augufte lui apportèrent l'humiliant Traité qu'ils venoient de conclure a Alt - Ranftadt. Dans le même tems Mentfchikof lui faifoit les plus fortes inftanecs pour l'engager de marcher contre les Suédois dont la foiblcftè étoit connue. Mais loin que l'intention d'Augufte fût de combattre, il envoya au Général Mardcfcld des lettres de Charles XII qui l'informoit de la paix; elles arrivèrent trop tard : il fit plus; il lui envoya unc perfonne de confiance pour l'avertir que la paix étoit faite avec le Roi de Suède , fc que pour ne pas donner de foupçons aux Rulfes qui lui étoient infiniment fupéricurs, il l'avcrtilfoit qu'ils alloicnt marcher a lui ; il lui confciiloit aufti de fc mettre hors de mefurc , afin d'éviter tout engagement. Mardcfcld favoit qu'on abufe fouvent du nom facré des Rois pour exécuter de coupables dclfcins : il avoit pour maxime qu'il ne fuit rien fiirc de ce qu'un ennemi confcillc; fc il n'avoit reçu aucune nouvelle de fon Maître. Il regarda comme un piège Pavis qu'Augufte lui donnoit; &: fc confiant a la bonne volonté HISTOIRE DE RUSSIE. iji que lui témoignèrent fix mille Polonois qui étoient dans fou Armée, il réfolut d'attendre les RulTcs. 11 ehoifit fon champ de bataille entte les Villages de Dobrefen ôc de Korelnavich, a un quart de lieue de Kalifch. Il plaça fes quatre mille Suédois au centre fur deux lignes, ôc les Polonois fur les ailes. Les Rnffes parurent vers les trois heures de l'après-midi ; Ôc dès la première décharge les Polonois prirent la fuite : alors les Suédois abandonnés ôc enveloppés, fe défendirent en défefpérés jufqua la nuit. Il fallut céder à la force ; ôc Mardcfcld fut obligé de fc rendre avec le peu de monde qui lui reftoir. Quelques centaines de Cavaliers fe fauvèrent en Pofnanie. Les Polonois qui s'étoient retirés au milieu de leurs charriots à quelque diftanec du champ de bataille , furent également forcés de mettre bas les armes. Mais loin que cette vi&oirc changeât le fort de la Saxe, comme on la dit, le Roi Augufte écrivit a Charles XII unc lettre dans laquelle il fe plaignoit de la doulourcufe néccftïté de combattre où les Rulfes l'avoient mis. Il ne balança donc point, après cette viefoire , fur le parti qu'il avoit a prendre: loin de tenter la fortune, il s'en tint au Traité de paix conclu avec la Suède. Section LXXII. Dans le mois de Décembre , le Tzar alla de Pétersbourg à Narva, d'où il vouloit fc rendre à Moskou: mais il reçut un Courier de la part du Général Mentfchikof, qui lui apprit qu'Au-gude s'étoit rendu en Saxe auprès du Roi de Suède, immédiatement après la paix conclue avec lui. En conféquence de cette étrange nouvelle , le Tzar changea de plan , ôc alla en Pologne pour retenir dans fes intérêts la Pofpolitc qui étoit alors fans Chef, tic a l'inLu de laquelle la paix avoit été faite. Sa Majcfté fe trouva à Solkov.i le iS , où fc rendirent le Maréchal Schérémétof, les autres Généraux ôc Miniftrcs Rullcs, ôc quelque?- li ij uns des fénateurs Polonois. On tint un grand Confeil à Solkova , pour examiner il on devoir livrer bataille a renncmi en Pologne , ou fur fes propres frontières. Il fut décidé » qu'a l'ouverture de » la campagne on ne combattroit point en Pologne, parce que » s'il arrivoit quelque malheur , il feroit difficile de fc retirer; « qu'on attendroit que l'ennemi fe rapprochât de fes frontières, >* Se qu'on n'en viendroit â une aélion générale que dans le cas « d'une nécèfïïfé abfoluc, fans quoi on fc borneroit à inquiéter » l'ennemi dans fes paflages, foit par des partis qu'on enver-n roit, foit en lui coupant les vivres-. Journ. de Picrrc-lc-Grand. Le parti que prit le Tzar ne pouvoit être meilleur : il fut la caufe des avantages qu'il remporta jufqu'a la bataille de Pultava qui décida la grande querelle entre lui Se fon rival. Si les Turcs enflent ngi d'après un principe auili fage dans la longue guerre qu'ils ont eu à foutenir contre les Ruflcs ; 11, au lieu de donner des batailles dans leurs premières campagnes , ils enflent jette fur les flancs Se fur les derrières de l'Armée Ru lie vingt ou trente mille Tatars pour couper les communications, détruire les ma-gafins , harceler Se piller ; la paix eut été plus prompte , plus honorable, plus avantageufe aux Turcs5 le Royaume de Pologne cxitleroit encore; la Krimée Se la Tatarie de Kouban ne feroient pas aujourd'hui fous la dépendance de la Ruilie ; Se les def-cendans de Tchinguis-Kan, par Batou-Sagin , nauroient pas eu Poccafion de fc vendre & de fouiller un fang qui a produit tant de fameux guerriers. Section LXXIII. 1707. Le Tzar refta a Solkova jufqu'au 30 Avril. Il y reçut les envoyés de la Pofpolitc dont rallembléc ctoit h Lvov ; Se l'on y tint un Confcil au fujet des Candidats qui afpiroient au Tronc de Pologne, attendu qu'après l'abdication d'Augufte le Primat Se toute la Pofpolitc avoicnt déclaré ^interrègne. Cependant perfonne ne fut élu jufqu'a ce que le Roi Augufte remonta fur le Tronc après la grande victoire de Pultava. » Pendant ce tems-»la, dit le Tzar, Augufte avoit une corrcfpondancc fecrette » avec moi, Se me prioit de le remettre de nouveau en poftef->5 fion du Tronc : ce qui fut exécuté «. Cet aveu prouve que l'oubli des injures étoit alors unc des vertus du Tzar. Le 8 Mai, il fc rendit a Lublin où il apprit que l'ennemi, ayant augmenté fes forces, étoit forti de Saxe, Se rentroit en Pologne ( i ). Sur cet avis, le Tzar envoya à Moskou le Capi- 0 (0 La vifitc que Charles XII fit à Augufte, avant de quitter la Saxe, cft fi extraordinaire, qu'elle mérite d'être rapportée. L Année Suédoife étoit en marche pour la Ruflic ; Se comme clic défiloit près de Drefde, le Roi partit fubitement avec deux perfonnes achevai, & entra dans la Ville, {aillant unc des perfonnes qui l'accompagnoient, à la porte, pour faire fcntinellc, & fût le chemin du Palais avec l'autre , à qui il donna fon cheval à garder. Arrivé au Palais, il monte les dcgiés , & entre dans l'appartement du Roi Augufte, qui étoit encore au lit. Annuité fut obligé de fe lever fans cérémonie Se de s'habiller lui-même. Charles demeura avec lui environ trois quarts-d'lieurc : pendant tout ce tems il eut les yeux fixés fur lui, & ne voulut point lui donner le tems de parler à qui que ce fût, pas même au Miniftre qui s'étoit rendu chez le Roi, après l'arrivée de Charles XII. Comme les deux Princes fe promenoient dans les places du Palais, il arriva que Charles pafTa le premier par unc des portes : le Miniftrc faifit ce moment pour faire figne à fon Maître de garder piifomiiu le Roi de Suéde ; Augufte lui fit entendre que non , & conduifir jufqu'a la porte du Palais le Prince qui l'avoit détrôné. Charles monta à cheval, & rejoignit en diligence fon Armée qu'il trouva dans la plus grande inquiétude à fon égard. Elle avoit fu qUc Je Roi étoit entré dans Drefde i Si comme elle ne le voyoit point revenir, clic fc difpofoit à marcher vers la Ville, & à en faire le fiége pour recouvrer fon Prince. Charles favoit qu'avec une foiblell'c inconcevable , Augufte étoit un des plus braves Princes de l'Europe i mais il manquoit de ce courage d'cfyrit qui fait perdre ou conferver les Etars, qui les élève ou qui les abaille. Cette tonnoin'amc jullihe Ja démarche inconlidéicc de Charles XII. iJ4 HISTOIRE DE RUSSIE, taine - Lieutenant des Bombardiers, Bafile Kotfchcmcn , avec ordre de fortifier le Kremelin Se le Kitaï. Charles XII n'avoit plus d'ennemi à combattre que le Tzar j &c celui-ci devoit craindre que fon rival ne vînt avec fon Armée fur les frontières de la Ruftie. Il fut réfolu que l'infanterie marcheroit pour les défendre, il l'ennemi s'avançoit vers elles, Se que la cavalerie l'inquiéteront dans fa marche. Cette année n'offre aucun événement remarquable. Section LXXIV. 1708. Le Tzar partit de Vilna pour Pétersbourg, où il féjourna juf-qu au premier Décembre ; enfuite il fe rendit'à Moskou , Se de Moskou a Smolensk pour retourner en Pologne , où il vifita les différens quartiers de fes troupes, Se les pafla en revue. Il étoit à Zcntzoli, lorfqu'il apprit que l'ennemi ayant partagé fon Armée en deux corps , marchoit avec l'un vers Grodno , & avec l'autre h Zcntzoli. L'ennemi arriva à Grodno le 16 Janvier, deux heures après que le Tzar en étoit forti, accompagné de peu de monde. Avant l'arrivée de l'ennemi, on avoit envoyé le Brigadier Muh-Uafeldviçç un parti, 6c avec ordre de ne pas laiffer palfer l'ennemi par le pont de la rivière qui eft près de Grodno , Se de le rompre dans le cas où l'ennemi feroit trop fort. Le Brigadier le laiifa Le Comte d'Algarotti prétend , d'après les Auteurs les plus accrédités, que le motif qui détermina principalement Cliarlcs XII à quitter l'Empire , pour tourner fes armes contre laRuffic, fut un billet de cent mille livres fterlingfait à quelqu'un parle Duc de Mad&o-, oagn; que ce Duc vint à bout de l'aigrir davantage contre le Txar, & lui fît voir fa gloire qu'il y auroit pour lui d ecrafer fon unique rival, & de devenir l'arbitre du Nord, ce qui le rendroit bientôt l'arbitre de l'Europe. Quoi qu'il en foit, à l'époque dont il s'agit, Charles XII étoit riche des dépouilles de fes ennemis ; & il nous paroît qu il étoit payé d'avance pour tourner fes armes contre un rival qui avoit joué avec lui au dépouillé. paffer : on le mit aux arrêts ; mais il corrompit fes Gardes, s'enfuit ôc paffa chez l'ennemi. Enfuite il fut fait prifonnier à Pulrava, jugé ôc arquebufé. L'arrière-garde des Rulfes tomba à Grodno fur la Garde qui étoit au Quartier-Général du Roi de Suède, » laquelle, dit le » Tzar, fut prcfque toute taillée en pièces ; ôc peu s'en fallut que » Charles même ne fût pris «. Les Suédois racontent ce fait d'une manière différente : ils prétendent que Charles n'étoit entré dans Grodno qu'avec fept à huit cents chevaux, le 7 Février j que le Tzar, qui avoit quitté la ville deux heures avant l'arrivée du Roi, fut bien-tôt informé du perit nombre qui l'ac-compagnoit, ÔC qu'il détacha fur-lc-champ quinze cents Cavaliers ou Dragons pour reprendre Grodno ôc enlever Charles XII. Us ajoutent, que la Garde qui étoit au pont le défendit aflez long-tems pour que le Piquet arrivât a fon fecours, ôc que les Rulfes furent rcpoulfés. La mauvaife faifon força les Suédois de prendre des quartiers d'hyver. De fon côté, le Tzar ordonna à fes Troupes de fe retirer , comme s'il craignoit de nouvelles attaques de la part des Suédois. » Cela, dit le Tzar, les engagea » a s'avancer plus près des frontières de Ruilie ; ôc fous cette » apparence de retraite, je me rendis a Pétcrsbourg le 17 Mars «, Le 19 Avril, Pierre fe rendit par eau a Schlulfclbourg pour recevoir fa famille qui venoit de Moskou a Pétcrsbourg. " Charles en dominant chez le Polonois, ne lui prenoir rien ; mais Pierre enfaiiant ufogede fa nouvelle Marine, en defeendanten Finlande, en prenant Borgo qu il détruilit, ôc en faifant un grand butin fur fes ennemis, fe donnoit des avantages utiles. Tandis que le Chef d'Efcadrc Bocis ôc le Colonel Tolbouhin ravageoient Borgo, Bérofovia-Oitrova, ôcc. Pierre fut inflruit que Charles avoit envoyé Staniflas en Pologne avec huit mille hommes, commandés par le Général Crallau, ôc que fon rival marchoit en diligence vers les frontières de la Ruilie, efpérant de profiter de la révolte des Kofaqucs du Don qui avoicnt malTacré le Colonel Prince George Dolgorouki, que Sa Majcfté avoit envoyé pour faire revenir les Ruflcs fugitifs qui s'étoient retirés parmi eux. Le Chef de ces Kofaqucs, appelle Boulavin, affailina ce Prince, ôc fut proclamé Ataman ou premier Chef. L'efpérance de Charles XII paroiftbit fondée : les Kofaqucs du Don étoient rebelles, ôc il fc croyoit sûr des difpofitions de Mazcppa, Hetman des Koftiqucs d'Ukraine, qui n'attendoit que l'arrivée des Suédois dans la petite Ruflic, pour fe déclarer ouvertement contre les Ruflcs. Nous ne répéterons point ici ce que nous avons dit de Mazcppa dans l'Hiftoirc des Kofaqucs, Tom. II, pag. 410 &: C Nous obfervcrons feulement que, s'il eût été poftiblc à Mazcppa de remplir les engagemens avec Charles XII, ce Prince fc feroit rendu maîtte de toute la Ruftie , le Tzar auroit eu à combattre a la fois les Kofiqucs du Don , ceux du Borifthênc Ôc de la petite Ruftie , l'armée de Charles XII , celle de Locvcnhaupt qui amenoit de l'artillerie ôc un grand convoi de vivres ôc de munitions, ôc peut-être même la révolte de fes propres fujets. Section LXXV. Charles, long-temps retenu dans la Lithuanie par des pluies continuelles, s'avança enfin fur la petite rivière de Béréfinc , a quelques lieues du Borifthênc. Rien ne put arrêter fon activité; il jetta un pont a la vue des Ruflcs, il battit le détachement qui gardoit le paflage , Ôc arriva à Holofin fur la rivière de Vabis, que les Ruflcs appellent Bibitza ou Babiekz. C'étoit la que le Tzar avoit placé un corps confidérable qui devoit arrêter l'impétuofité de Charles. Le paflage du Vabis cft rapporté dans Je Journal comme une affaire de peu de confcqucncc. Ce fut cependant unc grande action , dans laquelle la ( avalcrie ôc l'Infanterie l'Infanterie des deux Armées furent engagées. Charles, après avoir palTé la Béréfina , s'avança le 10 Juillet fur la Bibitza, Ptès de la ville de Golofschin. Trente mille Ruffcs, dont douze mille d'Infanterie & dix-huit mille chevaux, en défendoient les bords, Ôc s'étoient couverts d'un retranchement qui avoit près de trois lieues d'étendue. La petite rivière de Bibitza n'eft qu'un ruifteau dans les féchereffes ; mais alors c'étoit un torrent impétueux, profond , grofti par les pluies. Au-delà étoit un marais, ôc derrière ce marais les Ruffcs avoicnt un retranchement défendu par un large fofle, & couvert par un parapet garni d'artillerie. La cavalerie ôc l'infanterie étoient avantageufement difpofécs dans ces lignes. Le paflage de la rivière paroiftbit impoflible. Charles employa le u ôc le n à reconnoître la pofition des ennemis : le 13 il établit fur unc hauteur vingt pièces de canon pour battre le retranchement, ôc fix pièces a fa gauche pour inquiéter la communication des ennemis , ôc empêcher leur droite de fecourir leur gauche, contre laquelle il vouloit diriger fon principal effort : toute cette artillerie commença a faire le feu le plus vif le 14 dès la pointe du jour ; ôc ce fut fous la protection de ce feu, que le Roi, à la tête de onze bataillons, fc jetta dans l'eau, pendant que le Maréchal Rheinfchildj qui commandoit dix efeadrons, paffoit la rivière à la tête de l'infanterie. Voltaire dit que Charles s'élança dans la rivière, fuivi de fon régiment des Gardes. Cette foule rompoit limpétuofité du flot ; mais on avoit de l'eau jufqu'aux épaules, ôc on ne pouvoit fc fervir de fes armes. Tour peu que l'artillerie eût été bien fervic, ôc que les bataillons enflent tiré a propos, il ne feroit pas échappé un fcul Suédois. Te Roi 9 après avoir traverfé la rivière, pafta encore le marais a pied. Lorfquc les deux colonnes Suédoifcs atteignirent le bord op-pofe , Charles apperçut du flottement dans l'infanterie ennemie, Tome III. K jç 258 HISTOIRE DE RUSSIE. ôc fur-le-champ il marcha au retranchement à la tête de fept bataillons : en .même-tems il ordonna aux quatre autres de fe porter a gauche pour couper les ennemis qui deja commençoient leur retraite. Ils 3a firent avec la plus grande vîtefle jufqu'a un bois fort épais dont ils occupèrent la Mère, ôc d'où ils rirent cifuyer un feu épouvantable aux Suédois, qui fe mettoient en bataille a mefure qu'ils arrivoient, ceux-ci leur répondirent avec la même vivacité : mais ce genre de combat n'étoit pas dans le goût du Roi $ il fit cefter le feu, ôc fe mettant à la tête de fon infanterie, il marcha aux Ruifcs , qui plièrent ôc fc jettèrent en défordre dans l'épaiffcur du bois. Pendant ce combat de l'infanterie, le Maréchal Rheinfchild , avec fes dix efeadrons, n'avoit pas craint de fc mefurer avec toute la cavalerie Ruflc; il la chargea à différentes reprifes, ôc fi vigou-reufement, qu'elle n'eut pas le tems de fecourir fon infanterie, qui abandonna quelques drapeaux , douze pièces de canon ôc fes équipages. Les Suédois conviennent d'avoir perdu dans cette action près de quatorze cents hommes, ôc portent au double la perte des Ruflcs : leur aile droite qui étoit féparéc ôc trop éloignée de la gauche, fe retira fans coup férir fur le Dnieper. Les réflexions que tait naître cette journée font, que les rivières font auili difficiles a défendre que des lignes. La grande étendue que l'on eft obligé de garder , offre prcfque toujours des parties foiblcs, qu'un Général habile attaque avec avantage , ôc dans lesquelles il pénètre : alors la terreux s'empare de toutes les têtes , Ôc tout fuit fans retour. L'Auteur Suédois ajoute , que dans le combat d'infanterie, Charles XII n'avoit pas d'autre parti a prendre que celui de marcher aux bois, la bayonnette au bout du fuiîl, autrement tous fes régimens enflent été palfés par les armes: on ne peut donc trop faire fèntir a l'infanterie la néccfîité de charger (ans tirer, toute troupe qui ic défend par le feu, toutes les fois qu'il eft poftible de l'aborder ; mais il n'en cft pas moins vrai quelle doit être foigneufement exercée à fe fervir du fufîl comme arme de jet, parce qu'il y a mille occafions où elle eft forcée de faire ufage de fon feu, n'ayant pas d'autre moyen de défenfe. On terminera cette obfervation par une anecdote qui prouve la jufteffe du coup-d'oeil de Charles XII. Lorfqu'il fut fur la rive gauche de la Bibitza, il apperçut du défordre parmi les ennemis, ôc dit aux Ofliciers qui étoient auprès de lui : «Voilà qui va bien, « ce font des gens battus «. Le Roi Jean Sobicski avoit à-peu-près tenu le même langage, lorfqu'il fecourut Vienne en 1683 : la veille de la bataille qu'il gagna fur les Turcs, il fut reconnoître la pofition du Grand-Vifir, &: après l'avoir examinée attentivement : »Cet homme-là cft mal campé, dit-il, je le battrai demain «. Il tint parole. Section LXXVL • Charles XII après cette victoire arriva fur la rive du Borifthênc, à une petite ville nommée Mohilof. » C'étoit a cet endroit fatal qu'on devoit apprendre s'il dirigeroit fi route à l'Orient vers Moskou, ou au Midi vers l'Ukraine. Son armée , fes ennemis , fes amis, s'attendoient qu'il marcheroit a la Capitale «. C'eft ici que commencent les fautes de Charles, fuites qui furent la caufe de tous les malheurs dont la Suède fe reffent encore. Il pou-voit attendre à Mohilof le Général Locvcnhaupt qui lui amenoit feize mille hommes, de l'artillerie ôc un grand convoi de vivres : fes derrières étoient libres, ôc les Ruffcs retirés au-delà du Dnieper, ne pouvoient interrompre fi communication avec la Lithuanie, où il favoit que Locvcnhaupt étoit déjà entré ; mais l'impatience qu'il avoit de porter la guerre dans les Etats du Tzar, ôc les belles promettes de Mazcppa, auquel il fè livra avec trop de confiance, ne lui permirent pas de fuivre un parti fi fage; il palfa le Borifthênc, 6c après avok fuivi pendant quelque tems le Tzar, il tourna Kk ij ' %6o HISTOIRE DE RUSSIE, tout-à-coup à droite ôc entra dans la Sévérie, abandonnant ainfi tous fes derrières. Il ne doutoit pas de triompher de rout l'Empire Rude, quand fes troupes victorieufes feroient fécondées des Kofaqucs belliqueux. Dans cette idée il ne s'inquiétoit pas fi IcTzat étoit à portée de tomber fur l'Armée conduite par Locvcnhaupt, Ôc de le priver d'un fecours fi néceuaire. Il ne s'informoit pas il Mazeppa étoit en état de tenir toutes fes promenés, fi ce Kofaque avoit aflez de crédit pour faire changer unc Nation entière qui ne prend confcil que d'elle-même , ôc s il reftoit enfin aflez de reflburecs à fon Armée dans un malheur, ôc en cas que Mazeppa fût fans fidélité ou fans pouvoir , il comptoit fur fa valeur ôc fur la fortune. L'Armée Suédoife avança donc au-delà du Borifthêne, vers la Dcfna, ôc c'étoit entre ces deux rivières que Mazcppa étoit attendu. La route étoit pénible, ôc des corps de Ruflcs voltigcans dans ces quartiers, rendoient la marche dangcrcufe,&brûloient toutes les fubfiftanccs qui ne fervoient pas à leur ufage, afin que l'ennemi n'en profitât pas. Mentfchikof, à la tête de quelques régimens de cavalerie Ôc de dragons , attaqua l'avant-garde du Roi , la mit en défordre , tua beaucoup de Suédois, perdit encore plus des liens, mais ne fe rebuta pas. Charles qui accourut fur le champ de bataille , ne repoufla les Ruflcs que difficilement, en rifejuant long-tcms fa vie, Ôc en combattant entre plufieurs dragons qui l'environnoient. Cependant Mazcppa ne venoit point, les vivres commençoient à manquer ; les foldats Suédois voyant leur Roi partager ton» leurs dansers , leurs fatigues ôc leur difette, ne fe découragcoicnt pas, mais en 1 admirant ils le blâmoient Ôc murmuroient, Section LXXVIL Charles avoit pafle le Borifthênc, dans l'efpérancc de trouver des vivres au-delà de ce fleuve , ôc l'occalion de combattre le HISTOIRE DE RUSSIE. iSi Tzar. Ce n'étoit pas l'intention de ce Prince : fon unique but ctoit d'obfervcr les Suédois ôc de les harceler fans relâche. Il fe retiroit devant eux , a mefurc qu'ils faifoient une marche en avant : enfin , le 7 Septembre, les deux Armées fe trouvèrent a deux lieues l'une de l'autre , mais féparées par la petite rivière de Tchernaïa-Napa. Charles, réfolu de la palfer ôc de combattre, avoit porté à unc demi-licuc de fa droite huit bataillons Ôc deux efeadrons , aux ordres du Général Roos , fur le débouché par lequel il fe propofoit d'attaquer l'ennemi : l'éloigncmcnt oit ce petit corps étoit de l'Armée , infpira au Tzar le deifein de le fur-prendre. Il détacha donc le Prince Galitzin avec dix bataillons ôc trois régimens de dragons ; la marche du Général Ruffe fut il feerctte , malgré le paflage de la rivière Ôc des marais qu'il falloit traverfer pour arriver aux Suédois, qu'il les furprit dans leur camp a fix heures du matin , à la faveur d'un brouillard très-épais qui ca-choit fes mouvemens. L'attaque commença a la gauche, & le régiment qui l'occupoit eut a peine le tems de fortir de fes tentes De (impies patrouilles l'auroient averti de fa marche. L'épaifleur du brouillard rcifcmblc dans ce cas au nuage myfté-ricux qui enveloppe les Héros d'Homère lorfqu'ils tombent en défaut. Section LXXVIIL L'impoffbilité de fubfiftcr dans un pays que le Tzar dévaftoit à mefurc qu'il l'abandonnoit, détermina fans doute Charles XII à cefter de le pourfuivre , Se à marcher en Ukraine contre l'avis de fes Généraux , qui lui repréfenroient en vain que c'étoit abandonner a fes propres forces le Comte de Locvcnhaupt, fon unique reftourec ; Se qui alloit avoir fur lui toutes celles du Tzar : Charles comptoit fur fa valeur, mais clic n'eft rien fans la prudence. L'entrée des Suédois en Ukraine eut donc la fin qu'elle devoit avoir. Charles Xll y trouva le terme de fes victoires, Se le comble des malheurs dont il ne lui fut pas poftible de fc relever. Son projet étoit de détrôner le Tzar, tandis qu'il devoit craindre pour lui-même. Dans le même tems on reçut la nouvelle que Locvcnhaupt venoit de Riga avec un grand corps pour fc joindre au Roi. Le HISTOIRE DE RUSSIE. 16} Tzar tint un confcil de guerre, ou il fut décidé que le Maréchal Schérémétof fuivroit Charles XII en Ukraine , & qu'on détache-roir une partie de l'Armée pour marcher contre Loevcnhaupt, dans l'intention de l'attaquer : le Tzar fe chargea de cette expédition , & força de marche pour joindre le Général Suédois, qu'il rencontra le 17 près du village d'Olgia-Mhi : il étoit pofté derrière une rivière fur une montagne, ôc il avoit rompu le ponr. On fe canonna des deux bords oppofés, Ôc la nuit furvint. Les Rulfes en profitèrent pour faire deux ponts. Le 28 , ils pafsèrent la rivière, marchèrent à l'ennemi, qui les attendoit en ordre de bataille près du village de Lcfnaya, derrière un bois touffu, rempli de marais & de paflages prcfque impraticables. Les Ruflcs , à l'aide d'un guide , cherchèrent &: trouvèrent un endroit plus favorable pour attaquer l'ennemi. Ils fe difpofoicnt à l'attaque , lorfquc tout-à-coup les Suédois fortirent d'un bois, ôc préfentèrent un front d'infanterie aux régimens d'Ingermelandski & de Nevski. Ces régimens qui ne s'attendoient point à cette attaque, la fou-tinrent vaillamment, quoique l'ennemi fut plus fort, ôc qu'il eût commencé à envelopper, avec fon aile gauche, le flanc des Ruffcs. Le régiment de Sémonofski ôc trois bataillons de Préobragcnski s'engagèrent dans le combat \ ils furent d'abord repouffés, mais revenant fur leurs pas , ils attaquèrent à leur tour l'ennemi en flanc: celui-ci s'étant apperçu de leurs manoeuvres, recula dans un bois, où il fut pourfuivi avec perte , ôc fe rejoignit à fa cavalerie qui étoit dans la plaine. Ce fut dans ce moment critique, que, pour vaincre fafeendant que l'intrépidité des Suédois avoit fur les armes Ruflcs , ôc pour prévenir unc cinquième défaite, le I zar s'avifà d'une difeiplinc inconnue dans nos tems modernes: Tirets dit-il aux Ko fa que s qui formoient fon arrière - garde, tum fur les Ruffcs qui fuiront 3 & fur moi-même > fi je recule. Il fuflit d'une grande époque dans l'Hifloire d'une Nation pour changer fon 2(5-4 HISTOIRE DE RUSSIE. génie à la guerre : les Rudes vont battre ceux qui les avoient prcfque toujours battus. » Quand l'ennemi, dit le Tzar, eut été chaifé a travers le bois » vers fa cavalerie, la nôtte rejoignit fon infanterie ; ôc il y eut » unc bataille générale dans la plaine. Elle dura quelques heures, » au bout dcfquelies l'ennemi fut obligé de plier; il fe retira vers » fes équipages , ôc les nôtres réitèrent maîtres du champ de bais raille, où l'on prit huit canons Ôc quelques drapeaux. Comme »3 de parr ôc d'autre les foldats étoient fi fatigués qu ils n'avoient » plus la force de combattre , ils prirent dans cette pofition ref-« pective le repos dont ils avoient befoin, les lignes n'étant au » plus éloignées Tune de l'autre que dune demi-portée de canon » de campagne. C'eft une chofe tout-à-fait étonnante que le fanges froid des ennemis, qui fc repofoient tranquillement dans unc ta fi grande proximité de nous. A quatre heures après-midi, le » Lieutenant-Général Bout vint nous joindre avec trois mille dra-wgons. L'ennemi reçut un pareil fecours par l'arrivée de fon ta avant-garde, qui s'étoit rendue à Propoïsk pour frire des ponts m fur la rivière Soza. Alors nous attaquâmes les Suédois de nou-»> veau, ôc faction devint furieufe. On fit d'abord quelques déchar- ges : enfuite on marcha à l'ennemi avec la bayonnette ôc l'épéc ; » Ôc par la grâce de celui qui accorde la victoire , nous poufsâmes »j l'ennemi tout-à-fiit hors du champ de bataille , enlevâmes le »j relie de fes canons, fes équipages, ôc la victoire fut complettc. « Huit mille des ennemis y perdirent la vie..... "Cette victoire peut être regardée comme la première des nôtres; » nous n'en avions jamais remporté de pareilles fur des troupes » réglées, ôc cela avec un nombre d hommes inférieur à celui des «ennemis. Véritablement elle fut la caufe de tous les heureux » fuccès qu'ont eus depuis les armes de Ruilie, parce que ce fct » la première épreuve qui enhardit le foldat, ÔC le remplit d'une * » confiance HISTOIRE DE RUSSIE. i6y *» confiance qui fut le principe du gain de la bataille de Pultava, »&, pour ainfi dire, la mère de cette féconde victoire, qui en » naquit au bout de neuf mois, à compter du iS Septembre 1708, » jufqu'au 17 Juin 1709 «. Il eft certain que le Tzar retira les plus grands avantages de la journée de Lefnaya, Se le plus confidérable, fans doute, fut de détruire entièrement le convoi que le Comte de Locvcnhaupt conduifoit à l'Armée du Roi; mais il n'en cft pas moins vrai que ce Général fe conduifit dans cette action avec toute l'intelligence qui cara&érifc l'homme de guerre, Se que fes troupes le fécondèrent avec unc fermeté Se une valeur qui ont peu d'exemples. On va en donner la relation Suédoife. Le Comte de Loevenhaupt étoit parti de Riga vers le 1 j Août, à la tête de onze à douze mille hommes, traînant à fa fuite fix a fept mille chariots : atrivé fur les bords du Niépcr, il palfa le fleuve près de Skclof au-deffus de Mohilof, le 10ctobre, dirigeant fa marche fur Propoïsk Se Starodoub, ainfi qu'il en avoit reçu l'ordre du Roi. Dans les journées du 4 Se du j les ennemis parurent à l'arrière-garde , fans ofer l'attaquer. Le 6, un gros corps de Cavalerie s'en approcha \ il fut vivement repoufle , Se les prifon-niers que l'on fit, rapportèrent que le Tzar fuivoit avec toutes fes forces, au nombre de 30,000 hommes. Le lendemain matin, l'arrièrc-garde fut attaquée de nouveau ; mais elle repouifa l'ennemi fi vigoureufement qu'il ne put l'entamer, Se l'Armée arriva tranquillement à Lefnaya : ce fut de ce lieu que le Comte de Loevenhaupt fit prendre les devants aux bagages, fous l'cfcortc de fix bataillons Se de huit efeadrons, tandis qu'il s'étoit mis en bataille avec le refte de l'Armée , pour couvrir fa marche , ob-ferver les mouvemens des ennemis Se les contenir. Telles étoient fes difpofitions, lorfque le 8, à onze heures du matin , le Tzar, qui dès la veille avoit fait occuper Propoïsk, Tome III. H HISTOIRE DE RUSSIE, parut tout-à-coup en bataille fur la litière du bois que les Suédois avoicnt vis-à-vis de leur front. Le Comte de Locvcnhaupt ne perdit pas un moment, ôc fur-le-champ il marcha à la tête de quatre bataillons ôc de fix efeadrons, en donnant ordre au refie des rroupes de le fuivre ôc de le foutenir, Ôc attaqua les ennemis avec tant de vigueur, qu'il les chafla du bois Ôc leur enleva quatre pièces de canon. Ce fuccès eût été décifif, s'il eût été foutenu ; maisl'Officier chargé de porter les ordres du Général aux troupes qui dévoient le féconder, s'acquitta mal de cette commitîion. Les Ruflcs, qui fe renforçoient continuellement, voyant qu'ils n'avoient à faire qu'à une poignée de monde, rentrèrent dans le bois, ôc obligèrent le Comte de Loevenhaupt de l'abandonner : dès qu'il eut été joint par les premiers Régimens qui arrivoient fucceflîvcmcnt, il voulut recommencer l'attaque du bois; mais dans le même tems les ennemis débouchèrent dans la plaine, l'Infanterie fur quatre lignes, ôc leur Cavalerie des deux ailes fur cinq ôc fix ; il les fit attaquer fur-lc-champ, ôc ils furent menés jufqu'au bois, mais fuis pouvoir les en déloger; c'efl en vain qu'ils tentèrent à deux reprifes différentes de déboucher , ils furent toujours repouffés ôc ramenés dans le bois , malgré la fupérioriré du nombre, les Suédois n'ayant qu'une feule ligne à oppofer aux lignes redoublées des Ruflcs : dans la dernière charge même, ils perdirent dix-fept étendards ôc deux paires de timbales. Le combat dura ainfi depuis midi jufqu'a la nuit : alors le Comte de Loevenhaupt, ayant appris que le Tzar s'étoit rendu maître du paflage de Propoïsk, ôc voyant l'impoilibilité , avec le peu de monde qui lui reftoit, de tenter une féconde fois le fort des armes, fe mit en marche; mais il avoit trois rivières à palfer 6C vingt lieues de bois à traverfer, Ôc voyoit des difficultés infur-montablcs à pouvoir conduire la quantité immenfè de bagage qu'il avoit à la fuite : il prit donc le parti de ne conferver que HISTOIRE DE RUSSIE. 167 celui qui pouvoir, être voiture commodément, fie de brûler ce qu'il ne pouvoit emmener, après en avoir enlevé ce qu'il y avoit de meilleur, &; diftribué à fon Infanterie les chevaux des cha-tiots : il en ufa de même à l'égard de fon artillerie qu'il fit culbuter Ôc enfoncer dans des marais ; après quoi il continua fou chemin. Quelques Kofaqucs fe montrèrent à fon arrière-garde le 9 ôc le 10, mais fans rien entreprendre. Telle cft la relation que les Suédois ont donnée de la bataille de Lefnaya : ils avouent y avoir perdu cinq à fix mille hommes tués, blcffés, ou faits prifonniers, Ôc ils eftiment que celle des Ruflcs fut au moins deux fois plus grande : mais le convoi que le Comte de Loevenhaupt amenoit au Roi étoit ruiné, ôc il ne le joignit qu'avec quatre ou cinq mille hommes. Section LXXIX. Après quatre batailles perdues par les Ruffcs , l'activité du Tzar, fa patience, fon opiniâtreté, celle de fes troupes animées par fa préfenec , lafsèrent la fortune de Charles XII, ôc fixèrent la victoire de leur côté. Le Tzar apprit que fon Général Apraxin venoit de remporter un avantage en Ingric , le 17 Septembre; avantage , a la vérité , moins confidérablc que la victoire de Lefnaya : mais ce concours d'évènemens heureux fortifioit fes cfpéranccs ÔC le courage de fon Année, Il fc rendit à Smolensk le X d'Octobre, ôc entra dans la Ville en triomphe. Vendant ce tems, le Maréchal Schérémétof fc trou voit avec fon Armée aux environs de Sraradoub, Ôc d'autres places voifincs. Les Miniftrcs y étoient aufli. Après fa défaite, le Général Loevenhaupt envoya au Roi de Suède un Major avec la nouvelle de la perte de la bataille. Ce Major, croyant que le Roi s'étoit déjà emparé de toute l'Ukraine , vint à Staradoub, Ôc fut pris par les Kofaqucs de la Ville qui l'amenèrent au Maréchal, à qui il apprit la victoire du Tzar. L 1 ij Le 19 Octobre, ce Prince, qui étoit encore à Smolensk, reçut un Courier du Général-Amiral Apraxin, qui lui donnoit avis de l'arrivée du Général lybecker en Ingric, qu'il avoit obligé de prendre la fuite par mer, avec une perte confidérable. Section LXXX. Charles XII apprit toutes ces funcitcs nouvelles lorfqu'il étoit prêt de palfer la Defna dans l'Ukraine. Mazeppa vint enfin le trouver : il devoit lui amener 20,000 hommes 6c des provifions im-menfes ; mais il ne le joignit qu'avec une fuite de 1 joo Ko laques, ôc plutôt en fugitif qui demandoit du fecours, qu'en Prince qui venoit en donner. Mais il agiifoit de bonne foi avec Charles XII, puifqu'il avoit mis en état de défenfc Baturin , Gaditchc ÔC Romna, &: qu après les avoir pourvues abondamment de vivres ôc de munitions de guerre, il y avoit mis l'élite des Kofiiqucs en garnifon. »> Il marchoit en effet avec feize mille hommes des liens, leur ayant dit d'abord qu'ils alloicnt contre le Roi de Suède, qu'ils auroient la gloire d'arrêter ce Héros dans fa marche, ôc que le Tzar leur auroir une ércrnellc obligation d'un fi grand iervicc. Ce ne fut qu'a quelques milles de la Defna qu'il leur déclara enfin fon projet; mais ces braves gens en curent horreur; ils ne voulurent point trahir un Monarque dont ils n'avoient pas à fe plaindre, pour un Suédois qui venoit à main armée dans leur pays, qui, après lavoir quitte, ne pourroit plus les défendre, ôc qui les laiifcroit à la diferetion des Rulfes irrités, ÔC des Polonois autrefois leurs maîtres ôc toujours leurs ennemis : ils retournèrent chez eux, ôc donnèrent avis au Tzar de la défection de leur Chef ( 1 ) st. La iàgclfc abandonne toujours ceux qui (1) Lorfqoc Mazeppa cfl'ay.i dcfoulcvcr les KuCu]Ucs conrre le T/ar, il comptoii port»' «emeut fcl 1" feceup Hu* M MWquùcirt, ic (jriUid-Yiiù Korluli AU, umuni do Ruflcs» Comptent trop fur la rufe; le malheur la remplace, ôc la politique ne marche jamais d'un pas allure que quand la juftice a préparé les voies. Voila le corps de Loevenhaupt écrafé, les fecours que Mazcppa avoit promis, réduits a rien ; tout manque à-la-fois à Charles XII : il cft à cinq cents lieues de Stockolm, entouté d'ennemis qui obfervcnr fa marche ; vainqueur, il feroit à plaindre dans unc fcmblablc pofition ; vaincu, il fera fans reflburce, ôc le malheur qui le pourfuit ne lui annonce que des revers certains. Que fera-t-il pour réparer fes fautes ? Dès le paflage de la Soja , il s'étoit égaré dans fa marche : fa raifon fera les mêmes écarts ; il va commettre des ftrutes plus graves que les premières; la conduite de fon rival nous l'annonce. Section LXXXL Le 30 Octobre, le Prince Mentfchikof, accompagné du Prince Galitzin, Gouverneur de Kiof, fe rendit à Pogrebki, où fe trouvoit le Tzar : il lui apprir que Mazcppa avoit trahi la Ruflic, ôc vouloit faire entrer tous les Kofaqucs dans fon complot ; mais que n'ayant pu y réuflir, il s'étoit enfui auprès du Roi de Suède, avec les deux régimens qu'il avoit à fa folde. On tint un confcil de guerre, ôc on décida que le Prince Mentfchikof, avec une partie des troupes, iroit afliéger Baturin, où s'étoient enfermés avec les Circafliens , le Général Koenigfck ôc le Colonel Tfchctchcl, dévoués à Mazcppa. Le 3 Novembre , Mentfchikof s'empara de Baturin , réfi- lin avoit fait promettre par le Kan des Tatars, Kaplan-Giéraï, de l'aider de toutes les forces de l'Empire Ottoman ; mais fa véritable intention étoit de ne fc décider que d'après II-1 circonitanccs : il ne fit rien pour Ma/cppa avant U bataille de Pultava \ & cette journée foneltC a Charles XII , le détermina à ne rien entreprendre contre les Rudes, Ou ven-* dans U luitc comment ce Grand-Vifil lui dépofé, lorfaac fes intrigues fuient découvertes. dence de Mazeppa , des deux Colonels, ÔC de leurs complices \ le relie de la garnifon fut malTacrc , ôc la Ville brûlée ôc ruinée jufquc dans fes fondemens. Les grands magalins que Mazeppa avoit préparés pour les Suédois , furent brûlés de même. Ces préparatifs prouvent que fi Charles XII eût été mieux inltruit de la route qu il devoit fuivre pour fe rendre a Baturin, après avoir pane la Soja, il y auroit trouvé en abondance tout ce qui lui manquoit en vivres ôc en munitions. Mais il faifoit la guerre dans un pays dont il n'avoit aucune con-noiflanec , ôc fes ennemis le connoiflbient parfaitement : ainfi tout concouroir à fii perte. Dès que le Tzar fut informé de la prife de Baturin , il fe rendit a Gloukof, qui devint enfuite la réfidenec des Hctmans. Le Prince Mentfchikof, les Archevêques de Kiof, de Tchernigof, de Péréiaflavlc, s'y rendirent auili le 8 Novembre, ôc le 9 ces Prélats lancèrent unc excommunication folcmncllc contre Mazeppa : enfuite on apporta le portrait de ce traître , on le remit entre les mains du Bourreau , qui l'attacha a unc corde, le traîna dans les rues jufqu'au lieu de la potence, où il le pendit. Cette exécution fut fuivie de celle du Général Kocnigfeck , du Colonel Tfchctchcl Ôc de leurs complices. Le Tzar ordonna aux Kofaqucs de s'affembler, fuivant leur coutume, ôc de reconnoître pour Hetman Jean Skoropadski t Colonel de Staradoub. Section LXXXII. Cependant Charles XII, à la tête d'environ vingt-cinq mille hommes , ayant reçu les débris de l'armée de Locvcnhaupt Ôc les quinze cents Kofaqucs que Mazcppa lui avoit amenés, cfpéroit encore de faire déclarer toute l'Ukraine. En conféqucncc , il ré-folut de palier la Defna à la face de l'ennemi. Le Maréchal Schc- rémétof occupoit la rive gauche de la rivière, pour en défendre le paflage au Roi, qui la rravcrfa vis-a-vis du pofte que le Général Ailan occupoit. Les Ruffcs perdirent dans cette occafion mille à douze cents hommes. Malgré les troupes du Tzar qui fentouroient de tous côtés, Charles marchoit, mais par des déferts, ôc ne trouvoit que des Villages ruinés ôc brûlés. Le froid fe fit fentir dès le mois de Décembre avec une rigueur fi exceftive , que dans une de fes marches, près de deux mille hommes tombèrent morts à fes yeux. «Nos troupes, dit le Tzar, qui avoicnt tous les fecours » qui manquoient a celles de Charles , ôc qui paflbicnt les » nuits dans des Villages, fouffrirent beaucoup de la rigueur m d'un froid qui faifoir mourir les oifeaux en l'air ; cent cin-» quante hommes eurent les mains ôc les pieds gelés, ôc plu-» ficurs moururent de froid. Pour l'ennemi , qui croyoit que » nous irions prendre Haditchc d'alfaut, il pafta deux fois vingt-» quatre heures a trois milles de fa, dans unc vallée au milieu d'un » défert, afin de tomber fur nous pendant que nous monterions >j a l'a (faut «. Dans cet état déplorable , lhéroïfmc infcnfible de Charles voyoit péiir fes foldats, fins penfer même aux moyens de con-lcrvation. « Le Comte Piper, Chancelier de Suède, qui ne donna jamais que de bons coufeils a ion Maître , le conjura de palfer au moins le tems le plus rigoureux de l'hiver dans une petite ville d'Ukraine nommée Romna , où il pourroit fc fortifier ôc faire quelques provilions parle fecours de Mazeppa i Charles répondit qu'il n'étoit pas homme a s'enfermer dans unc Ville. Piper alors le conjura de repafler la Defna 5c le Borifthênc, de rentrer en Pologne , d'y donner a les troupes des quartiers dont elles avoicnt befoin, de s'aider de la cavalerie légère des Polonois, qui lui étoit absolument néeeifairc, de foutenir le Roi qu'il avoit fait nom- %7% 'HISTOIRE DE RUSSIE. mer, & de contenir le parti d'Augufte qui commençoit à lever la tête. Charles répliqua que ce feroit fuir devant le Tzar, que la faifbn deviendroit plus favorable , qu'il falloit fubjuguer l'Ukraine & marcher a Moskou «. Le plus habile préfumeroit trop s'il croyoit n'avoir pas befoin de confeils : la fuite va le prouver. Section LXXXIII. 1709. La violence du froid de cette année contraignit les deux partis à refter dans l'inaction ; mais l'Armée du Roi de Suède eut à fouftrir des maux incroyables. Dès que le foldat put fc fervir de fes armes, ce Prince attaqua tous les petits polies qui fc trouvèrent fur fon paflage : il falloit envoyer de tous côtés des partis pour chercher des vivres, &: arracher la nourriture a des payfans qui fc cachoient dans des tanières avec leurs beftiaux ; ils difputoicnt quelquefois leur nourriture aux foldats qui venoient l'enlever : les payfans dont on put fc faifir furent mis a mort ; ce font-là, dit-on, les droits de la guerre. C'eft ainfi que Charles traverfa toute l'Ukraine au mois de Février, brûlant par-tout les Villages qui reftoient à brûler. Pierre, fans fe hâter, veilloit fur fes marches, te le laiffoit fc confirmer. Il s'avança jufqif aux Déferts qui féparent les Tatars Nogaïs des Kofaqucs du Don. Mazeppa négocioit depuis long-tcms avec ceux qui habitoient alors entre les deux rives du Borifthênc : leur Ataman vint trouver Mazcppa, & jura un Traité d'alliance avec Charles XII. Ce Prince compofa un Régiment de deux mille Zaporoiski : le refte marcha par troupes féparées contre les Kofaqucs &e les Kalmouks du Tzar, répandus dans ces quartiers. On a vu que la plupart des Zaporoiski s'occupoient du commerce. »La petite ville de Pultava étoit le centre de ce commerce j elle étoit remplie de provisions, te pouvoit pouvoir fervir à Charles XII dune Place d'Armes. Elle eft fituée fur La rivière de Vorskla, aflez près d'une chaîne de montagnes qui la dominent au Nord : le côté de l'Orient eft un vafte defert j celui de l'Occident cft plus fertile ôc plus peuplé. La Vorskla va fe perdre à quatre-vingr verftes au-deflbus du Borifthênc. On peut aller de Pultava, au Septentrion , gagner le chemin de Moskou par les défilés qui fervent de paflage aux Tatars; cette route eft difficile : les précautions du Tzar l'avoicnt rendue prcfque impraticable ; maisrien ne paroi (foit impoiliblc à Charles, ôc il comptoit toujours prendre le chemin de Moskou après s'être emparé de Pultava : c'étoit-là que Pierre l'attcndoit; il avoit difpofé fes corps d'Armée à portée de fc joindre, ôc de marcher tous cnfemble aux afiiégeans. En attendant que fon Rival donnât dans ce piège , il employoit le tems à vifiter les Contrées qui enrourent l'Ukraine, la Sévérie où coule la Defna, devenue célèbre par fa victoire; les pays de Bolcho dans lequel l'Oka prend fa fourec ; les déferts ôc les montagnes qui conduifent aux Palus- Méotidcs : il étoit enfin auprès d Azof, ôc là il faifoit nettoyer le Port, lancer à l'eau quatre vaifteaux de 50, de 70 ôc de 80 canons, fortifier la Citadelle de Tangarok, ôc mettoit ainfi à profit le tems qui s'écoula entre les batailles de Dcfnoi ôc de Pultava », Section LXXXIV. Le 3 Mai, le Prince Mentfchikof fit favoir auTzar, qui s'étoit rendu d'Azof par mer à Troitzk, que l'ennemi alliégcoit la ville de Pultava dans les formes; que déjà il avoit donné de violens affauts , mais qu'il avoit toujours ère repouflé avec perte, &: que les alliées, par leurs (orties, lui tuoient beaucoup de monde. Cependant la Ville étoit étroitement bloquée ; ôc lavis de tous les Généraux fut de tenter quelques diverfions qui curent du fuccès. Joint III. M m La garnifon de Pultava reçut un renfort, ôc fit une fortic qui força l'ennemi pofté au bas de la montagne, à abandonner fes polies &C a fe replier jufquc fur le bord de la rivière. »Dès que le Tzar fait que Pultava étoit affligée, il raflemblc fes quartiers : fa Cavalerie, fes Dragons , fon Infanterie, fes Troupes légères Kofaqucs ôc Kalmoukes, s'avancèrent de vingt endroits; rien ne manqua à fon Armée, ni gros canons, ni pièces de campagne, ni munitions de toute cfpècc, ni vivres, ni médieamens : c'étoit une fupériorité qu'il s'étoit donnée fut fon Rival «. Il apprit dans la route que le Colonel Pierre Jakoflcf, avec un corps de Cavalerie, avoit détruit la Fortcrefle des Zaporoiski, appclléc Sctfchay tué un grand nombre de Kofiqucs, & rafé, dit le Tzar, ce repaire de voleurs. Cette nouvelle fut fuivie d'une autre : le Maréchal Golt\ lui manda, qu étant à Lédukof, il avoit envoyé un parti de ijoo Dragons contre les troupes Polonoifcs commandées par le Staroftc Sapiéha > au nombre de 5000 hommes de ttoupes régulières, fans compter la Milice, ôc que ce parti les avoit furpris ôc totalement défaits. Le Tzar joignit fon Armée à Pultava, le 4 Juin. Oh tint un Confcil de guerre fur la manière dont il falloit s'y prendre pour délivrer Pultava, fans hafarder unc bataille générale : on décida qu'on fe borneroit à de fimplcs approches vers la Ville. On les tenta; mais les Suédois les empêchèrent par leur ligne tranfvcr-iale : d'ailleurs la rivière &: les marais y mirent obllaele. Mais pendant ce tems on établit une correspondance avec la Ville, en y jettant des lettres dans des bombes vuides, par-deffus les lignes ennemies. Les alliégés répondirent de la même manière, ôc mandèrent que la poudre alloit manquer, Ôc que l'ennemi, maître du chemin couvert, avoit fait la defeente du foffé, ôc en avoit commencé le paflage. Quoique les nôtres, dit le Tzar, euflent conftruit un rctran- HISTOIRE DE RUSSIE. 17c chcmcnt, cependant ils ne purent y tenir long-tems ; ce qui fut caufe de l'aflcmblée d'un grand Confcil, où il fut réfolu qu'on paiferoit la rivière, ôc qu'on livreroit unc bataille générale, comme le fcul ôc le dernier moyen de fauver la V ille. Le 19, on fe mit en marche avec toute l'Armée, en remontant la rivière à ij verftes de Pultava, où le Général Rcnn avoit fon pofte avec la Cavalerie. Le 10 , toute l'Armée ayant pafle la Vorskla, campa à l'autre bord, ôc prépara des fafeincs. Le if, elle s'avança ôc s'arrêta le foit à deux verftes de l'ennemi, afin qu'il ne put l'obliger a en venir aux mains, avant qu'elle ne fc fût retranchée. Le retranchement fut fait dans la mut : la Cavalerie ctoit à la droite dans le bois, ayant devant clic des redoutes garnies d'hommes ôc de canons. Le iy, on apprit que Charles s'étoit avancé lui-même pour examiner le camp Ruflc, ôc qu'ayant rencontré la nuit un parti de Kofaqucs qui n 'étoient pas fur leurs gardes, Ôc dont quelques-uns étoient aflis auprès d'un feu , il s'étoit approché avec du monde, &: qu'étant defeendu de cheval, il avoit tué un d'entre eux d'un coup de fufil. Alors ces Kofaqucs fc levèrent, firent feu, ôc unc balle lui fracafta les os du pied. Quel métier pour un Prince ! Il cflùya des opérations doulourcufcs qu'il foutint avec fon courage ordinaire. Tandis que fon Chirurgien fc fervoit du fer pour retirer de la blcflùrc les efquilles de l'os fracafle, Taillât, coupe^, s'il U faut y lui difoit-il d'une voix affinée ôc d'un air tranquille. Il fut obligé d'être quelques jours au lit. Tandis qu'il fe repofe malgré lui, réfléchiflons un moment, avec M. Godart, fur la bataille qui va fuivre. Quel fpcélaclc ! Deux Monarques commandant leurs Armées en perfonne, tous deux cherchant à vaincre , tous deux aimant la gloire, tous deux affrontant les périls, tous deux méprifant la mort, ôc tous deux infpirant ce mépris à leurs foldats. L'Europe avoir les yeux fixés M m ij fur un événement qui devoit donner une nouvelle tournure au fy Ile me politique de cette partie du monde. Cinq têtes couronnées attendoient l'iffuc de cette grande querelle pour favoir leur deftinéc. On ne vit jamais de (1 grands intérêts entre deux Puif-fances belligérantes. Les deux Monarques combattoient pour leur propre exiftence; il s'agilfoit de toute leur fort' ne. Le Tzar défait n'avoit plus d'Etats, & il étoit a prefumer que Charles battu perdroit la Couronne : vainqueur, il devenoit le plus grand Prince, du Nord : dans le cas contraire, le Tzar étoit un des plus puilfans Monarques du monde. Tel ctoit l'effet de cette journée : elle fixoit a jamais le fort des armes de'deux Héros, en achevant ou dé truifant l'ouvrage de la fortune de l'un des deux. On ne favoit, dit Voltaire, chez la plupart des Nations attentives a ces grands intérêts, ni où étoient ces deux Princes, ni quelle étoit leur fituation : mais après avoir vu partir de Saxe Charles XII victorieux à la tête de l'armée la plus formidable, après avoir fu qu'il poui fuivoit par-tout fon ennemi, on ne don-toit pas qu'il ne dut l'accabler , & qu'ayant donné des loix en Danemarck, en Pologne, en Allemagne, il n'allât dicter dans le Krcmclin de Moskou les conditions de la paix , Se faire un Tzar après avoir fait un Roi de Pologne. Section LXXXV. Le lendemain de l'accident de Charles XII, le Tzar examina lui-même la fituation des lieux &c celle du camp ennemi, afin de faire fes difpofitions avec connoilfancc de eaufe. Charles inftruil des difpofitions du Tzar, jugea qu'on alloit l'attaquer; fes idées de gloire ne lui permirent pas d'attendre l'ennemi dans fes retranchemens : il lortit des ficus, en fe lai faut porter fur un brancard. » L'cunemi, dit le Tzar , nous prévint en cela, eu fuivant fon HISTOIRE DE RUSSIE. 277 » audace Se fa fougue ordinaire. Le 27 , avant le jour, il tomba » fut notre cavalerie avec unc fureur propre à la détruire Se à ,s s'emparer de nos redoutes : il y trouva beaucoup de refiftance, » Se ne pur prendre que deux redoutes qu'on avoit commencées n la même nuit, Se qui rf étoient pas encore achevées. Quant aux « autres, il ne put en venir à bout ; au contraire , fix bataillons t»de fon infanterie Se dix efeadrons de fon aile droite furent m coupés & obligés de s'enfuir dans le bois. Le corps principal de » l'armée Suédoife palfà entre ces redoutes, mais avec unc grande «perte : notre cavalerie, qui obligea plufieurs fois la iienne de m plier, lui prit quatorze érendarts &: drapeaux ; mais comme » clic recevoit toujours du fecours de fon infanterie, que celle m des Rulfes ne pouvoit fortir fi-tôt de fon retranchement pour » foutenir fa cavalerie , Se que le Lieutenant-Général Renn reçut » une grande bleflùre dans ce furieux combat, on donna ordre » au Général Baur de fe retirer du côté du retranchement, pour » donner a l'infanterie le tems d'en fortir. On lui recommanda » d'avoir la montagne en flanc Se non derrière lui , afin que Yen-m nemi ne pût relfcrrer notre cavalerie au bas de la montagne ; « on lui ordonna de ne reculer que dans le cas où il feroit attaqué » par l'Infanterie ennemie, mais de tenir ferme Se de fc battre » contre la Cavalerie, fi la eirconilanec l'cxigeoit. Ces ordres » furent exactement fuivis ; L'ennemi, voyant qu'il ne gagnoit rien à pourfuivre notre m Cavalerie , fe défifta de fon entreprife Se fc remit en ordre, « au-delà de la portée du canon, dans une plaine qui fe trouvoit sj au milieu du bois. Dans le même tems, on envoya le Prince » Mentfchikof Se le Lieutenant-Général Ren%*l avec cinq Ré-sîgimcns de Cavalerie Se cinq bataillons, contre la Cavalerie » Se l'Infanterie Suédoife que l'on avoit coupées , Se qui s'étoient « retirées dans un bois. Ces Généraux chargèrent l'ennemi, le » défirent totalement, Se prirent le Général-Major Schlippcnbach* >s Le Général Rofcn fe retira vers fes approches, au pied de la jj montagne, dans des redoutes. Le Général Rimpl l'y fuivit Se « l'y entoura : il envoya un Tambour pour le fommer ; il de-« manda du tems : on lui accorda unc demi-heure, au bout » de laquelle Rofcn fortit de fes redoutes avec tout fon monde, » mit les armes bas Se fe rendit à diferétion. Pendant ce tcms-là, » on fit fortir l'Infanterie par les deux cotés du retranchement, » afin qu'au cas que l'ennemi l'attaquât, on pût tirer librement » fur lui du retranchement, Se que ceux qui en étoient fortis, » l'attaqualfent aufti en flanc. Mais on sappercut que l'ennemi » étoit encore en défordre , depuis fon paftage entre les redoutes, » Se qu'il fc rcmettoit en ordre auprès d'un bois : alors on fît » fortir l'Infuitcric qui étoit fur le front du retranchement, »> Se Ion fit palfer fix Régimens de Cavalerie de l'aile droite, >5 derrière l'Infuitcric de l'aile gauche. C'eft ainfi que notre Armée HISTOIRE DE RUSSIE. 179 w fc rangea en ordre de bataille ; ôc l'on réfolut d'attaquer l'ennemi. ,3 On chargea le corps principal de l'Armée, qui, fans nous attendre, s'avança fur nous. A neuf heures du matin , l'action corn->3mcnça entre notre aile gauche ôc l'aile droite de l'ennemi: w peu après, les lignes du front des deux Armées engagèrent le 15 combat; ôc quoiqu'on fc battît de part Ôc d'autre avec fureur, qu'on fît le feu le plus violent des deux côtés, cependant » le combat ne dura que deux heures : les invincibles Suédois » tournèrent enfin le dos ; toute leur Armée, tant Cavalerie * qu'Infanterie, fut terraflec. Les troupes Sucdoifcs ne firenr pas >s ferme une feule fois ; pourfuivics fans interruption, elles furent >î criblées à coups d'épée ôc de bayonnette, ôc chaifées jufqu'au «bois où elles s'étoient rangées en bataille. On fît prifonniers » d'abord le Général-Major Stackelberg; enfuirc le Général-Major » Hamïltonj le Maréchal Rcinfchild, le Prince de Vùrttmbcrg> plufieurs » Colonels ôc autres Officiers , ôc quelques milliers de foldars. »I1 relia fur le champ de bataille ôc auprès des redoutes, 9234 » ennemis, fans les corps difpcrfés dans les bois ôc les champs, ÔC » ceux qui moururent de leurs bleffurcs. Le Roi de Suède, étant » blette, fc fit porter dans une cfpècc de litière pendant la bataille : » cette litière fut trouvée enfuite avec le brancard, dont un coté » avoit été fracaifé par un boulet de canon. >î C'cil ainfi que, par la grâce du Tout-Puiifant, la victoire fut >3 remportée fur l'orgueilleux Roi de Suéde, par la conduite pru-» dente ÔC courageufe de S. M., ôc par la valeur des Chefs ôc des » foldats. Dans cette affaire de ii grande conféqucncc, S. M. s'ex-» pofa pour fes Sujets Ôc pour la Patrie, fims épargner fi\ perfonne, » en vrai ôc grand Capitaine. Son chapeau fut percé d'un coup de >j balle, ôc l'on en trouva encore unc dans la (elle de fon cheval «. Il faut croire à la fidélité de cette relation ; elle n'a été contredite par perfonne ; Ôc c'eft peut être la feule, en ce genre, iSo HISTOIRE DE RUSSIE, qui ait ce caractère de vérité fc de (implicite. Le Tzar ajoute que dans ce combat il n'y eut que fa première ligne qui agit j la féconde n'eût pas le tems de la joindre. Le Comte Piper, voyant qu'il ne pouvoit fe iauver, vint de lui-même fe rendre à Pultava avec les Secrétaires du Roi, Céder' helm fc Dïben. Il fut conduit dans la tente du Tzar, fc dîna à la même table , à laquelle fc trouvoient auilî le Maréchal Rcinf-child l^s autres Généraux prifonniers. Le Tzar, louant le courage du Maréchal Reinfchild , lui fit préfent de fon épéc , fc lui permit de la porter. Le même jour, le Prince Galitzin à la tète des Régimens des Gardes , fc le Général Baur à la tête des Ivcgimens de Dragons, furent envoyés à la pourfuite des ennemis. Le Prince Mentfchikof les fuivit de pics ; mais il ne put les atteindre qu'après quarante-huit heures de marche. Il les trouva poftés au pied d'une montagne , près de Pérévo-lotiha , fur le bord du Dnieper. Quelques prifonniers lui apprirent que Charles XII avoit palfe ce fleuve trois heures avant ion arrivée , avec un petit nombre de Cavaliers, fc les Génév raux Spam fc Lagifmtêk , fc qu'il avoit lai (Te le commandement en chef du relie de l'armée à Locvcnhaupt. Mentfchikof, fuis perdre de tems , s'approcha de l'ércvolotfna avec fon Corps d'environ mille hommes, fc envoya fommer Locvenhaupr de fe rendre, en lui rcpréfèntant que toute retraite lui étoit interdite, fc qu'il devoit fe rendre à des condirions raifonnablcs, fans quoi il n'avoit aucun quartier à cipércr. Là-delfus Locvcnhaupt envoya au Prince Mentfchikof le Général-Major Creutz, fc quatre Officiers de marque pour traiter avec lui. Quatorze mille Suédois le rendirent prifonniers de guerre à dix mille Ruffcs: Loevenhaupt figna cette fatale capitulation , par laquelle il livroit au Tzar les Zaporoiski, qui ayant combattu pour fon Rof, fe trouvoient dans cette armée fugitive. CharlcJ HISTOIRE DE RUSSIE. 1S1 Charles étoit parti de Saxe avec quarante-cinq mille combat-tans j Locvcnhaupt en avoit amené plus de feize mille de Livonic; tien ne reftoit de cette armée florillantc qu'environ dix-neuf mille au pouvoir du vainqueur, &: près de deux mille qui paûerent le Borifthênc a la fuite du Roi. Section LXXXVI. Voltaire dit qu'un Miniftrc envoyé a la Cour du Tzar, prétend dans fes Mémoires que Pierre ayant appris le dcûein de Charles XII de fc retirer chez les Turcs, lui écrivit pour le conjurer de ne point prendre cette réfolution défefpéréc , ôc de fe remettre plutôt entre fes mains qu'entre celles de l'ennemi naturel de tous les Princes Chrétiens. 11 lui donnoit fa parole d'honneur de ne point le rerenir prifonnicr, fc de terminer leurs différais par unc paix raifonnable. La lettre fut portée par un Exprès jufqu'a la rivière du Bog, qui féparc les déferts de l'Ukraine des Etats du Grand Seigneur. Il arriva lorfque Charles étoit déjà en Turquie, fc rapporta la lettre à fon Maître. Le Miniftrc qui rapporre cette anecdote , ajoute qu'il tient ce fait de celui-là même qui avoit été chargé de la lettre. Cette anecdote ne fe trouve point dans le Journal du Tzar, mais il étoit affez grand pour être capable de ce procédé magnanime ; une anecdote qui confirme la vérité de celle-ci, va lever tous les doutes a cet égard. Après la conclufion de la paix à Nicftadt, le Tzar dit à fes Courtifans : » J'ai fait deux fois des proportions de » paix à mon cher frère Charles i unc fois lorfque je me vis «réduit à la trille necedité de la lui demander, fc l'autre fois » lorfque j'eus occafion d'en nier généreufement avec lui : il » m'a refufe l'une fc l'autre. Maintenant les Suédois font réduits » a taire avec moi unc paix qui leur cft délavantagcufe, fc que >s d'autres difent honteufe, parce qu'ils y font forcés Tome Ut. N n Lorfque ce Prince apprit la nouvelle de la mort de Charles XII, arrivée en 1718, au fiége de Fréderiklladt, les larmes lui vinrent aux yeux ; il fe détourna pour les cacher aux aflîftans Se les effuyer avec fon mouchoir ; après quoi il dit d'un ton pénétré de douleur : Ah ! cher frire Charles, que je vous plains ! Cette anecdote certaine cft de M. Vecélofski, Confeiller Privé : elle dément ce que M. Lcvcfquc a halàrdé à ce fujet. Il dit, page 262, Tome IV : «Pierre, du champ de bataille oit il » étoit refié victorieux, fit encore propofer la paix à un ennemi » qui n'étoit plus à craindre. Celui-ci, dans la première humilia-» tion que lui caufoit fa défaite, avoit paru difpofé à l'accepter : »s il avoit même, en prenant la fuite , envoyé un Ofticier-Général »5 au camp des Rulfes, pour fonder les difpofitions du Tzar; » mais, dans fon afylc de Bendcr, il fentit renaître fon orgueil « Se fon ambition; &c, comme s'il eût été maître des forces » de l'Empire Ottoman, il croyoir triompher avec elles de la » Ruiîïe &c de tout le Nord. Piper lui avoit fait parvenir les pro-« polirions du Tzar : il répondit à ce Miniftrc , du ton d'un «Prince victorieux qui abuferoit de fes avantages; traitant les » propofitions de fon Vainqueur de demandes'effrontées Se de "prétentions infolcntcs d'un ennemi perfide «..... 11 n'y a de vrai dans cette tirade que la propofition de paix faite par le Tzar ; propofition qui ne parvint point à Charles XII, comme on vient de le voir. Le Journal du Tzar, qui rapporte jufqu'aux moindres circonftanccs de la bataille de Pultava Se de fes fuites, ne fait aucune mention de la prétendue réponfe de Charles XII à fon Chancelier Piper, par la raifon que la minute ne s'en trouve que dans la tête de M. Lcvcfquc. Charles avoit aflez de torts fans lui en fuppofer de nouveaux ; mais les fuppofïtions ne coûtent rien à M. Lcvcfquc toutes les fois qu'il s'agit de déprimer les Suédois. En voulez-vous unc preuve de plus ? la voici. HISTOIRE DE RUSSIE. 2S5 »Lc 28 Juin, dit le Journal, vint a Pultava le Général-Major » Meycrfdd, (bus prétexte de quelque commiftion de la part du » Roi de Suède : on crut néccftàirc de le retenir prifonnier; car «non-feulement il n'avoir point de lettres de créance, mais pas «même de pane-port. Il donna un revers; Ôc à fa prière, on le "laiifa partir pour Stockholm, d'où l'on renvoya, à fa place , le »' Général-Major Butturlin «. Voilà le canevas des faits fuppofés par M. Lcvcfquc. Section LXXXVII. L'entrée de Charles XII en Ukraine, le fiége de Pultava, fa fuite en Turquie, font les trois plus grandes fautes qu'un grand homme ait pu faire; ÔC c'eft pour cela qu'il cft utile de remonter aux caufes qui ont amené ces évènemens funeftes : les Suédois vont nous fervir de guides. Charles XII, après huit ans de combats, après avoir détrôné Augufte Ôc donné à la Pologne un nouveau Roi, ne fe propofa rien moins que de porter la guerre au fein des Etats du Tzar, ôc de le faire defeendre du Trône. Rempli de cette idée , il quitte la Saxe vers la fin d'Août 1707, Ôc entre en Pologne : les Ruifcs fe retiroient prudemment devant lui à mefurc qu'il avan-çoit, mais pillant, dévaftant, brûlant tout ce qui fe trouvoit fur le chemin. Enfin, le Roi arrive en Lithuanie dans le mois de Février 1708, Ôc prend des quartiers d'hiver dans le Palatinat de Minsk. Le tems d'ouvrir la campagne arrive ; ôc voici le plan que Charles XII fe propoiè de fuivre : il prend la route de Mohilof fur le Dnieper, pafle ce fleuve Ôc marche enfuite par le bois de Sévérie à Staradoub, où Mazeppa devoit ic joindre à la tête de 20,000 Kofaqucs, en attendant les fecours que le Grand-Vifir lui avoit fait promettre par Kaplan Gicrci, Kan de Tatars de Krimée. Dans le même tems, le Roi Staniilas, après avoir fournis les N n ij mccontens de Pologne, étoit convenu de marcher à Kiof avec PArmée de la Couronne, pendant que celle de Lithuanie atta-queroit Smolensk. D'un autre côté, le Général Lybeckcr, à la tête de douze mille hommes, avoit ordre d'entrer en Ingric , de détruire Se de brûler Pétcrsbourg, ôc d'envahir enfuite les Provinces de Novogorod Se de Pleskof. Enfin, le Comte de Locvcnhaupt, qui commandoit unc petite Armée en Livonie Se en Courlandc, devoit attendre les ordres du Roi pour agir fuivant les circonftances. Dans la fpéculation, ce projet féduifant en impofe a ceux mêmes qui jugent le plus fainement d'un plan d'opérations : on voit le Tzar attaqué de toutes parts, Se on doute, avec raifon , qu'il puifle parer tous les coups qu'on va lui porter ; mais unc feule branche de ce projcr rompue, toutes les autres tombent d'elles-mêmes : ne jugeons point d'après le fatal événement. L'cxpofé fcul du projet prouve qu'il éroit trop compliqué, Se que fon exécution exigeoit un concours de circonftances dont la réunion étoit prcfque impoflîblc. L'Hiftoirc de tous les tems Se de toutes les Nations vient à l'appui de ce jugement : ce n'étoit pas ainfi que les Grecs Se les Romains faifoient la guerre; toujours cnfcmblc, ils accabloient leurs ennemis du poids de leurs forces réunies : fi quelquefois ces Légiflateurs militaires s'écartèrent du grand principe de l'union des forces, ils s'en trouvèrent toujours mal ; Se C'eft ce qui arriva au Roi de Suède : tout lui manqua à-la-fois. Arrivé fur le Dnieper , après des Combats multipliés qui Paffoiblifloicnt tous les jours , Se qui aguerri noient les Rulfes, il n'y trouve qu'une vafte folitude. Le Tzar, informé que Mazeppa le trahir, fait un bûcher de fa réfidence : magasins deilinés pour les Suédois, ttéfors de l'Hctman, tout cft enlevé ou détruit; Se ce malheureux Chef des Kofaqucs joint Charles XII plutôt en fugitif qui mandic un afylc, qu'en allié dont les fecours font refpectcr la puiffancc. Un corps de quinze à vingt mille Ruifcs, aux ordres du Général Got^3 marche en Pologne, fe joint aux méeontcns, empêche le Roi Sraniflas de faire aucuns Progrès, & d'exécuter la réunion projettée. Le Général Lybecker échoue entièrement dans fon expédition en Ingric, Se fc retire avec perte en Finlande. Enfin, le Comte de Loevenhaupt cft battu h Lefnaya, après avoir fait des prodiges de valeur : le grand convoi qu'il conduifoit eft entièrement détruit ; ôc ce Général ne joint fon Maître qu'avec quatre ou cinq mille hommes. Après avoir clfuyé tant de malheurs, Charles XII s'eft-il conduit avec la prudence que les circonftances exigeoient? Il entre en Ukraine : il y trouve d'abord les vivres dont il avoit un befoin preflant \ mais bientôt il faut les enlever l'épée a la main. Le Tzar ne cefle de le harceler ôc de l'inquiéter : Je peux jouer, difoit-il, dix Ruffcs contre un Suédois. Enfin on ouvre la campagne , ôc Charles XII aflîége Pultava : quel pouvoit être fon dclfcin i Efpéroit il fe rendre maître de cette place, ôc des ma-gafins qu'elle renfermoit > Il n'avoit point d'artillerie de fiégcs ; on ne comptoit dans fon parc que vingt-deux pièces de canons, ôc dix mortiers ou obufters. Croyoit-il , par cette démarche téméraire, en impofer à un rival furvcillant , ôc lui cacher la foiblclfc de fon armée \ Mais Pierre n'ignoroit pas qu'elle ne coniiftoit au plus qu'en vingt mille hommes, dont quatre mille au moins étoient hors d'état de combattre. C'eft d'après cette connoifianec , ôc d'après les fuccès qu'il avoit eus pendant la campagne dernière, que les Suédois ne lui paroifibient plus invincibles, ôc qu'il marcha avec confiance au fecours de Pultava à la tête de fix mille hommes. Après ecs faulfes démarches, Charles XII n'avoit d'autre parti à prendre que celui de combattre: la néceftité l'y contraignit, ÔC c'eft le plus grand des malheurs pour le Général qui s'eft mis dans un cas fcmblablc. Sa pofîtion ctoit affrcufe. Vainqueur, il ctoit encore en plus mauvaife pofition que le vaincu. Battu, il perdoit tout. Mais il falloit néccfïaircmcnt combattre : on a fil par le Maréchal Rheinfchild Se par le Comte de Locvcnhaupt, qu'il ne fît aucunes difpofitions, Se ne donna aucuns ordres pour la retraite en cas de malheur. La journée de Pultava eut donc la fin qu'elle devoit avoir : de l'aveu du Tzar, les Suédois fc montrèrent avec toute la valeur qui caraétérife leur Nation ; mais accablés par le nombre, foudroyés par unc artillerie à laquelle ils ne pouvoient répondre, ils furent obligés de plier, & d'enlever, pour ainfi dire, leur Roi, qui fut trop heureux de pouvoir paffer le Dnieper, Se d'aller chercher un afylc dans les Etats du Grand-Seigneur. On fe rappelle qu'il avoit été blcffé avant la bataille , Se qu'il ne s'y montra que porté fur un brancard ; il cft poffiblc que cet accident ait été unc des caufes des malheurs de cette journée. Si le Roi eût pu paroïtre a la tête de fes troupes, Se donner fes ordres lui-même , la victoire ne l'eût peut-être pas abandonné ; mais en le f uppofant, fa fituation en cût-ellc été meilleure ? En quittant les débris de fon armée , dont un tiers étoit malade ou blelfé , Charles XII donna ordre au Comte de Locvcnhaupt de palfer la Vorskla , Se de la conduire en Krimée : on a reproché à ce Général de rVavoîr pas exécuté cet ordre, 6V: de s'être rendu prifonnicr de guerre : pouvoit-il faire autrement, fans artillerie , SC fans munitions de guerre Se de bouche ? In fuppofant même qu'il eût pu mettre la Vorskla entre les ennemis Se lui , ne les auroit-il pas eus fur les bras aux paifages des autres rivières qu'il avoit a traverfer ? Comment d'ailleurs conduire ces malades, ces bielles, Se les taire fubilftc* dans les déferts qu'il devoit traverfer? Mais, dira-t-nn, il falloit périr les armes a la main : que] fruit en fcroit-il revenu a la Suède , dont les pertes n'étoient déjà que trop grandes > Section LXXXVIIL La plupart des batailles qui fc donnent ne décident rjen. Après un fanglant combat, la perte des hommes étant à-peu près égale, ne lai il e d'autre avantage au vidorieux que le champ de bataille. AuiTî n'eft-il pa^ rare de voir un Général fe préfenter à 1 ennemi le lendemain d'une défaite. La journée de Pultava fut décime ce qui cft le plus important dans cette bataille , dit Voltaire, c'eft que de tourcs celles qui ont jamais cnfanglanté la terre , c'eft la feule qui, au lieu de ne produire que la deftruétion, ait fervi au bonheur du genre humain , puifcm'elle a donné au Tzar la liberté de policér une grande partie du monde. Perfonne ne fentit mieux que le Tzar le prix de cette viétoirc: mais avant de tirer avantage delà défaire de fon ennemi, il rendit grâces a celui qui donne les feeptres ôc les brife à fon gré , Ôc fignala fa munificence envers les Généraux &; les autres Officiers qui s'étoient trouvés à la bataille. Le Maréchal Schérémétof eut de grandes terres. Le Prince Mentfchikof fut élevé au grade de fecond Maréchal. Le Grand-Maître d'artillerie Bruce fut décoré d'un Ordre. Le Lieutenant-Général Rcnn eut le rang de Général en chef. Les Généraux Allait ôc Rcnzcl furent décorés. Le Prince Galitzin eut des terres, ainfi que le Prince Dolgorouki, avec rang de Confciller Privé actuel. Le Comte Golofkin fut fait Chancelier , ÔC le Baron SchafirofVicc-Chaneelicr, ôcc. Plufieurs autres, dit le Journal, curent des rangs ÔC des terres ; rous les Officiers , tant de l'Etat-Major que Subalternes, curent des portraits de Sa Majcfté garnis de diamans, Ôc des médailles d'or, fuivant la dignité de leur rang. On diflribua des fommcs & des médailles d'argent portatives aux foldats. Les Miniftrcs , les Généraux, les Officiers ôc les Soldats, après avoir remercié le Tzar des grâces ôc des récompenfes qu'il leur avoit accordées, tinrent confeil & firent une promotion, dont le fouvenir cft digne de la poftérité. Avant ôc pendant la bataille de Pultava , le Tzar n'avoit encore que le rang de Colonel de fes Gardes ; on lui décerna celui de Lieutenant Général des troupes de terre, ôc de Chef d'Efcadre fur mer, en mémoire de ce qu'il avoir fait dans cette fameufe journée Ôc dans d'autres actions. Le Tzar accepta l'un ôc l'autre grade, ôc reçut les complimens de félicitation de toute l'armée. Ccrte promotion, vraiment augufte a eut lieu le S de Juillet. * Section LXXXIX. Le ii, tous les prifonniers Suédois furent menés à Svcsk, ÔC envoyés de-fa à Kiof, a Moskou , en Sibérie. » Il n'y avoit point de cartel entre les Rulfes & les Suédois : le Tzar en avoit propofé un avant le fîége de Pultava ; Charles le refufa, Ôc les Suédois furent en tout les victimes de fon indomptable fierté «. Cependant le Tzar prit à fon fervicc tous les Officiers de bonne volonté qui vinrent lui rendre hommage, ôc qui lui prêtèrent le ferment de fidélité i il leur conféra le même grade qu'ils avoicnt dans les troupes de Suède. L'un d'entre eux, nommé Oftman, fut envoyé comme Colonel h Kazan , ôc il lui arriva unc avanturc qui auroit eu des fuites funeftes pour lui, fans la pénétration du Tzar, ôc fon amour pour la juftice. Cette avanturc eft poftéricurc à l'époque où nous en fommcs ; mais nous croyons devoir la rapporter ici, pour varier le récit des évènemens deftruetcurs. Le Lecteur fc rappelle la haine des Ruflcs pour les Etrangers, Ôc celle des Efelavcs envers leurs Maîtres. La vengeance ordinaire de ces Efelavcs , étoit d'aceufer leurs Maîtres d'avoir mal parlé du Souverain , ou d'avoir violé la foi qui lui cft due. Plufieurs Sujets fidèles onr été les victimes de cette feélératefle, ôc d'autres le font vus au moment de perdre l'honneur, la liberté ôc la vie. Oftman HISTOIRE DE RUSSIE. iî9 Oftman fc trouva dans ce cas. C'eft l'ufage en Ruftie de donner un certain nombre de Dcnchïhi ( Domeftiques de la Couronne ) à ceux qui font attaches au fervice du Prince. Dans le nombre de ceux du Colonel, il y en avoit un dont la parclfe, l'ivrognerie, les débauches, lui attiroient fouvent des punitions. Un jour qu'on le corrigeoit, il cria haro fur fon Maître , à la manière du pays 9 Shvo i Diélo. A ces mots, le bâton s'échappa de la main du Correcteur, 6c le Maître fut arrêré. On tranfporta fans délai Paccufatcur 6c l'aceufé a Pétersbourg, & on les remit entre les mains de la Chancellerie fccrcttc , rc£ fourec terrible du Defpotifmc. Le Denchik, qui fubit le premier interrogatoire, déclara qu'Ollman avoit dit des injures atroces de Sa Majcfté; il perfifta dans fa dépofition jufquc dans les tourmens du Knout, qu'il fubit trois fois. Alors le Tzar fc fît amener le Colonel ; 6c après les plus férieufes remontrances, il l'exhorta à avouer fon crime, s'il étoit coupable, attendu que, fuivant la loi, l'aceufé devoit fubir la même queftion que 1 accuiatcur , lorfque celui-ci perfiftoit dans fon dire. Pendant cet entretien redoutable, le Tzar regardoit fixement le Colonel pour découvrir ce qui fc paflbit dans fou ame : mais il répondit avec fermeté qu'il n'étoit point coupable du crime qu'un feélérat lui imputoit ; qu'il ne favoit pas même aflez de Ruflc pour avoir dit au Denchik toutes les injures qu'il fuppofoit ; que loin d'avoir à fc plaindre de Sa Majcfté , il éroit pénétré de rcconnoiflancc pour fes bienfaits ; que ce feroit trahir fa confcicnce &: devenir fon propre bourreau, que de s'avouer coupable d'aucun des chefs imaginés 6c dépofés par fon aceufatcur. Te Tzar n'ayant obfcrvé aucun trouble fur le vifage d'Oftman ; le fit reconduire en prifon. Dès le lendemain il chargea un Pope de confiance de fc rendre auprès du Denchik , de lui annoncer l'arrêt de fa mort, 6c de l'engager adroitement à lui découvrir Tome III. O O z90 HISTOIRE DE RUSSIE, les feercts de Ton cœur. Le Pope s'acquitta ce cet ordre eu homme intelligent ; le Criminel lui dir en f niifant la confeftion, que fon amené lui reprochoit plus d'autres mauvaifes a: ions que celle d'avoir aceufé fauflement fon Maître par motif de vengeance. Cet aveu qui jufifioit Oftman , fut un triomphe pour le Tzar : il rendit la liberté au Colonel, le fit venir à la Cour, rembraffa avec la tendreffe d'un père , le combla de faveurs & de grâces, & le renvoya avec pompe a Kazan. Quelle fagefte , quelle pénétration , quel amour de la juftice , quel héroïfmc vertueux dans la conduite du Tzar ! Ce Prince avoua depuis, que le plus beau jour de fa vie étoit celui où il avoit été le fauveur d'Oftman. Le Denchik fut roué vif. Cette anecdote intéreliante vient du Colonel larguùtl, qui l'a communiquée à M. Schetdïn, Confciller d'Etat. Revenons à Pultava. Section XC. Il n'étoit pas pofïiblc aux Rulfes de refter davantage près de Tultava , fins avoir à combattre un ennemi plus terrible que f hiver de 1709 , &: que leur Maître dans l'art de la guerre ; cet ennemi, c'eft la contagion : le long féjour de deux grandes armées dans un même lieu , la corruption des cadavres, leurs exhalaifons funeft.es en font les foyers; & la Nature outragée fc fert des dépouilles des morts pour exterminer les vivans. Le fcul remède cft dans la fuite \ c'eft le parti que prit le Tzar. Il fc rendit avec fon armée a Réchetilofka, où il régla la deftination de fes troupes. De Réchetilofka il fe mit en marche pour Kiof, où il féjourna jufqu'au 15 d'Août. Le Préfet des Ecoles de cette Ville, Théophanc Piokopovitz, prononça en fa préfenec dans l'Eglife de Ste-Sophic, ce panégyrique dont nous avons parlé ailleurs, &c qui fut l'occafion de fa fortune. On trouve ce panégyrique dans les Ouvrages de en profitant de la révolution qu'elle caufe dans le Nord. Ce Prince qui connoiifoir fi bien le prix du tems , traverfe les Talatinats de Chclm 6c de la Haute-Volhinic, arrive a Lublin , joint fes troupes fous le commandement du Général Goltz, 6c vers le foir il lé concerte avec Oginski, Grand-Général de Lithuanie. Fiqtumy Grand-Ecuycr du Roi Augufte , vint le féliciter de la part de fon Maître, fur la victoire de Pultava, 6c le prier de le rendre à Thorn , où il rrouveroit le Roi avec quatorze mille Saxons qui étoient prêts à rentrer en Pologne. Staniflas 6c le Général Suédois Craifau mirent tout en ufage pour retenir les Po- Oo i; 1*1 HISTOIRE DE RUSSIE, lonois dans leur parti : mais ils étoient inftruits des revers de Charles XII, de la marche du Tzar avec fon Armée, Ôc de celle du Roi Augufte a la tête de la fîennc. Les principaux Chefs du parti de Charles, abandonnèrent Staniflas Ôc Craflau, s'attachèrent à l'Evêque de Chelm, ôc le prièrent de les réconcilier avec le Roi. En apprenant cette défection des Grands, Craflau railembla fes troupes, Ôc alla en Poméranic. Toujours agité par ladifeorde, abandonné par le Roi fon allié, au moment où il avoir le plus befoin de fecours, livré a tous les traits de l'envie ôc de la haine, Staniflas défendit a fes amis de fc facrificr pour fon fervicc; ôc ce grand Prince, deftiné a faire le bonheur d'un autre Etat, quitta la Pologne, ôc fuivit avec toute fa famille le Général Suédois. » Aux premières nouvelles de la bataille de Pultava, ce fut une révolution générale dans les cfprits ôc dans les affaires, en Pologne, en Suède, en Saxe, en Siléfie. Charles, quand il donnoit des Loix, avoit exigé de l'Empereur Jofeph qu'on dépouillât les Catholiques de cent ôc cinq Eglifcs en faveur des Siléfïens de laConfcilion d'Ausbourg : les Catholiques reprirent prcfque tous les Temples Luthériens, dès qu'ils furent informés de la difgracc de Châtie». Les Saxons ne longèrent qu'a fe venger des cxtorfions d'un Vainqueur qui leur avoit coûté, difoient-ils, 23 millions d'écus. Leur Electeur, Roi de Pologne, protefta fur-le-champ contre l'abdication qu'on lui avoit arrachée, ôc étant rentré dans les bonnes grâces du Tzar, il s'empreffa de remonter fur le Trône. La Suède conlternéc crut long-tems Ion Roi mort; Ôc le Sénat incertain ne pouvoit prendre aucun parti «. Section XCL Le 7 Septembre, le Tzar fc rendit de Lublin au camp des troupes Royales, fur les bords de la Viftulc, près de la petite ville de Soltzi. Le Comte de Flemming vint l'y trouver, ôc lui dit qu'Augultc l'uttcndoit a Torn. HISTOIRE DE RUSSIE. 2.5)3 Le 8, ic Chambellan de Kameke vint le féliciter de la part du Roi de Prufle, Se lui déclarer que fon Maître, pour des intérêts communs, défiroit aufti une enrrevue avec lui. Ce Chambellan, muni de lettres de créance, eut une audience particulière du Tzar, Se des conférences avec les Minières Ruifcs, qui lui déclarèrent que S. M., déterminée par l'ancienne Se étroite amitié qu'elle portoit au Roi de Prufle, fouhaitoit de le voir ; que ce Prince n'avoit qu'à fixer le lieu de l'entrevue, Se l'en informer d'avance. Le Chambellan partit avec cette réponfe. Le 20, le Tzar s'embarqua fur la Viftulc avec fes Mmifttes, Se arriva le 13 à Varfovie. Il fe logea dans l'Hôte: de Eilinski, Grand-Maréchal de la Couronne. RadzivU, Grand-Chancelier de Lithuanie, l'Evêque de Lutzk Se plufieurs Sénateurs vinrent le féliciter fur le gain de la bataille de Pultava, Se le remercier de ce qu'il leur rendoit leur Roi légitime Se iauvoir leur liberté. Le Tzar rcfla jufqu'au foir à Varfovie, alla palfer la nuit dans fon bateau, Se vogua le lendemain vers Thorn, accompagné du Prince Radzivil Se de plufieurs autres Seigneurs. A un mille de Thorn, Augufte vint à fa rencontre dans deux barques tapiifées de drap écarlatc, Se dès qu'il fut à bord du bateau du Tzar, ce Prince s'avança pour le recevoir. Après des félicitations mutuelles Se quelques momens de converfation, les deux Souverains pafsèrent fur la barque Royale, où ils dînèrent en fe rendant à Thorn. Le Tzar, dit Voltaire, jouit du plus beau de tous les triomphes, celui de recevoir les remercicmens d'un Roi auquel il rendoit fes Etats. Au fortir de leur barque, les deux Princes montèrent a cheval, entrèrent dans la Ville, Se la parcoururent au milieu des acclamations publiques. Le 19 ôc le 30, les deux Souverains curent des conférences particulières au fujet de leur première alliance, qui avoir été enfreinte par le Traité que Charles força Augufte de conclure fans le con- fcntcrr.cnt de la Pofpolirc. Le renouvellement de cette alliance fut finvi d'un Traité contre la Suède avec le Roi de Danemarck : le Roi de Prude y accéda; fc quoique fon Traité ne fût que de enfif, il n'en mit pas moins le comble aux malheurs de la Suéde, qui fut obligée de lui abandonner Srétin fc une partie de la Poméranie. De fon coté', le Tzar faifoit revivre toutes les prétentions de fes Ancêtres fur la Livonic, l'Ingric, la Carélic fc fur unc partie de la Finlande : le Danemarck revendiquoit la Scanic. Il s'agiifoir donc de reprendre toutes les conquêtes de Guftave Adolphe : tant il eft vrai que la révolution d'un feul peuple en peut caufer une générale dans la Politique des Nations 1 fc dc-là, la mceftité abibluc du maintien de l'équilibre fc de la réunion de toutes les Puiffances contre celle qui tend à le détruire. C'eft ainfi , dit Voltaire , que la valeur infortunée de Charles ébranloit tons les édifices que la valeur heureufe de Guftave avo'r élcvLS. La Noblefté Polonoife venoit en foule confirmer fes fermens a fon Roi, fc on lui demandoir pardon de l'avoir abandonné : prcfque tous reconnoiftoient Pierre pour leur protecteur. Aux armes du Tzar, a ces Traités, a cette révolution fubire, Staniflas n'eut a oppofer que fa réfignation : il répandit un Ecrit, qu'on appelle Univerfal, dans lequel il dit qu'il cft prêt a renoncer à la Couronne, (\ la République l'exige. Dès que le Tzar eut ratifié le Traité avec le Roi de Danemarck, ce Prince, voulant profiter des malheurs de la Suède, ne mit point d'intervalle entre la déclaration de guerre fc les hoftilités ; il fit faire unc irruption dans la Scanic le jour même qu'il publia fou Manifcfte. Le même jour, 8 Octobre, PAmbafladcur Turc eut unc audience du Roi de Pologne, le complimenta fur fon hcurcii* retour, & Vaiïuta de l'amitié du Sultan, Le Tzar partit le lendemain, & fe rendit par la Viftulc à Ma-rienverder pour achever fa négociation avec le Roi de Prufle\ Augufte raccompagna dans le même bâtiment jufqu'a Schvctz. »a il n'étoit pas encore en ufage chez les Souverains d aller faire eux-mêmes les fonctions de leurs Ambalfadcurs : ce fut Pierre qui introduifit cette coutume nouvelle ôc peu fuivie. L'Eleclcur de Brandebourg, premier Roi de Prufle, alla conférer avec le Tzar à Maricnvcrdcr, petite ville fttuée dans la partie occidentale de la Poméranie, bâtie par les Chevaliers Tcutoniqucs, ôc enclavée dans la lilièrc de la Prufle. Ce Royaume étoit petit ôc pauvre ; mais fon nouveau Roi y étaloit, quand il voyageoit, la pompe la plus faftueufe : c'eft dans cet éclat qu'il avoit déjà reçu Pierre à fon premier paflage, quand ce Trincc quitta fon Empire pour aller s inftrui;c chez les Etrangers. Il reçut le Vainqueur de Charles XII avec encore plus de magnificence.". Dans cette occafion , le Roi de Prufle honora Mentfchikof de fon grand Ordre de l'Aigle Noir. Le Tzar reçut la nouvelle que le Général Nojl'u^, avec trois Régimens d'Infanterie, aftiégeoit Elbing, où unc garnifon Suédoife gardoit un grand magafin de Charles XII. Après avoir achevé rapidement des négociations qui par-tout ailleurs font fi longues, Pierre va joindre fon Armée devant Riga, commence par bombarder la place, met le feu lui-même aux trois premières bombes , enfuite forme nn blocus ; ôc sûr que Riga ne peut lui échapper, il va veiller aux ouvrages de fa ville de Pétersbourg. Pendant fon fejour, il mir en règle plufieurs affaires civiles, ordonna de bâtir uncEglifc du nom dcSt-Samfon, en mémoire de la bataille de Pultava; des maifons de pUifance, en pierre ôc d'une belle Architecture ; d'orner les jardins, Ôc de hâter les bâtimens de la Ville. Les Miniftrcs, les Généraux, la haute Noblelfc curent ordre de fc conformer aux vues du Tzar, Z96 HISTOIRE DE RUSSIE. fc de bâtir en pierre fc en brique. On fit des lieux d'abordage dans l'iile de Pétersbourg, de même que dans celle de Kotlin, après quoi on y conllruifit un port &: des magafins. Le 6 Novembre, Pierre pofa de fes mains la quille d'un vaiffeau de cinquante-quatre canons, auquel il donna le nom de Pultava, fc partit enfuite pour Moskou, où il n'entra qu'avec la pompe triomphale. Il fe fit un amufement de travailler aux préparatifs de cette pompe qu'il étala dans la Capitale : il ordonna toute la fête, fc difpofa tout; nul inftant n'étoit perdu. Section XCII. 1710. Cette année, dit Voltaire, commença par cette folemnité; néceffaire alors pour infpircr à fes peuples des fentimens de grandeur, fc agréable à ceux qui avoient craint de voir entrer en vainqueurs dans leurs murs ceux dont on triomphoit : on vit palier fous fept arcs magnifiques l'Artillerie, leurs Drapeaux, leurs Ercndards, le brancard de leur Roi, les Soldats, les Oifi-ciers, les Généraux, les Miniftrcs prifonniers, tous a pied, au bruit des cloches, des trompettes, de cent pièces de canon, fc des acclamations d'un peuple innombrable, qui fe faifoient entendre quand les canons fe taifoient. Les vainqueurs à cheval fermoient la marche, les Généraux à la tête, fc Pierre à fon rang de Général - Major. A chaque arc de triomphe on trouvoit des Députés des difterens Ordres de l'Etat, fc au dernier une troupe choiilc de jeunes enfans de Boyari, vêtus à la Romaine, qui prefentèrent des lauriers au Monarque victorieux «. Tout eft grand dans cette cérémonie ; mais le Tzar cft encore plus grand que le triomphe : quoiqu'il ait été l'amc de la victoire, il ne fort pas du rang qu'on lui a décerné a Pultava; fc l'Hiftoirc fournit peu d'exemples d'une pareille modeftic. Une réflexion fc prcfeiitc préfente ici fur ce triomphe : n'eût-il pas été plus hérdïque d'honorer la valeur ôc le mérite dans fes ennemis infortunés, que d'cxpofer aux yeux d'une populace infuitantc la douleur Se l'humiliation des vaincus* Le Tzar, a-t-on dit, vouloit faire parade du fuccès de fa difeipline militaire , en impofer a fes Sujets, Ôc les dominer par cet appareil de grandeur & de fupé-riorité, afin de les rendre plus dociles aux réformes qu'il faifoit. Soit : mais en cherchanr aies guérir de leurs préjugés antiques, n'étoit-ce pas les entretenir dans leur mépris ou leur haine contre les Etrangers, ôc fubftitucr à des préjugés groiîîcrs , un préjugé plus aveugle, plus in jufte, plus funefte encore, celui de l'orgueil national, qui s'oppofe a toute cfpècc de progrès? Section XCIII. A cette fête publique fuccéda unc cérémonie plus flarreufe encore pour le Tzar. Le premier attribut des Princes cft le rcfpect que l'on doit a leur Couronne. L'Angleterre avoit offenfe celle du Tzar dans la perfonne de fon Miniftrc : il avoit exigé unc réparation folcmnelle ; Ôc ce fut un fpccfaclc pour l'Europe de voir la fierté Britannique s'humilier devant un Trône qu'on rc-gardoit comme nouveau parmi les Puiftanccs Européennes. Il falloit que le Tzar parût déjà bien redoutable aux Anglois, ou que leur politique prévît l'avenir, pour f.icrifîcr leur fierté à l'intérêt de leur commerce futur avec la Ruffic ; car les Souverains ne font point de pareille réparation fins y être forcés. Voici le fait. M. Matéof Ambalfadcur de Ruflic à Londres auprès de la Reine Anne, ayanr pris congé, fut arrêté, dans fon carrofle, avec violence, par deux Officiers de Juftice, au nom de quelques Marchands Anglois, &: conduit en prifon. Quelques heures après, dit le Journal, tous les Miniftrcs publics fc joignirent a l'Ambaf-fadeur Ruflc, ôc firent des repre tentations a la Cour, difant que Tome UL V p i9% HISTOIRE DE RUSSIE, leur perfonne doit être toujours inviolable, ôc qu'ils prenoient cet attentat pour un affront commun. Les Marchands Anglois prétendoient, au contraire, que la Juftice feule étoit inviolable, ôc que les loix du commerce dévoient l'emporter fur les privilèges des Miniftrcs. Cette aventure, arrivée en 1708, étoit d'autant plus mortifiante pour le Tzar, qu'il étoit alors malheureux : fes revers ne l'empêchèrent pas de demander forrement juftice par fes lettres à la Reine Anne; mais elle ne pouvoit la lui faire, parce que les Loix d'Angleterre permettent aux Marchands de pourfuivre leurs débiteurs quels qu'ils foient, ôc qu'aucune Loi n'exemptoit les Miniftrcs publics de cette pourfuite. » Les autres Miniftrcs qui etoient alors à Londres furent obligés de répondre pour celui du Tzar : il fut relâché ; Ôc tout ce que put faire la Reine en fil faveur, ce fut d'engager le Parlement a palier un acte par lequel dorénavant il ne feroit plus permis de frire arrêter un Ambaifa-deur pour des dettes : mais après la bataille de Pultava il fallut faire une fatisfiétion plus authentique, M. Wavorth, Envové de la Reine d'Angleterre à la Cour de Ruflic, reçut le titre d\\m,-baltadcur extraordinaire pour faire des exeufes publiques auTzar-j il reçut fon audience le 5 Janvier, ôc commença fa harangue par ces mots : Très-haut & très-puijfant Empereur. La Reine le cmalifioit de même dans fa lettre d'exeufes que l'Ambalfadeur lui remit de fa part. Ce Miniftrc ajouta qu'on avoit mis en prifon ceux qui avoicnt ofe arrêter M. Matcofj ÔC qu'on les avoit déclares infimes : il n'en étoit rien, mais il fuilifoir de le dire; ôc le titre d'Empereur , que la RcinC ne lui donnoit pas avant la bataille de Pultava, marquoit affez la confédération qu'il avoit en Europe Après cette audience, M. Witvorth eut des conférences avec les Miniftrcs Ruflcs, ôc ce différent fut terminé a la fatistacliou des deux Cours. Revenons au Roi de Suède. Section XCIV. Charles XII trouva dans l'Empire du Grand-Seigneur tous les fecours de l'hofpitalité ôc les honneurs dus à fon rang. La France s'intérelfoit a fon fort, ôc la Porte Ottomane étoit difpofée h lui donner une Armée pour rétablir la gloire de fes armes. Le Comte Poniatoski, ami fidèle d'un Roi malheureux, Politique adroit, infinuant, fécond en reffources, s'étoit lié étroitement avec le Grand-Vifir, &: l'avoit excité a embraffer vivement les intérêts du Roi de Suède; mais Pierre Tolfloé, Ambafladcur du Tzar, découvrit toute cette intrigue, ôc en avertit fon Maître, qui lui fit palier de grandes fommcs d'argent. Les préfens de la Ruflic furent plus efficaces auprès du Grand-Vifir ôc des autres favoris du Sultan, que le zèle ardent du Comrc Poniatoski ôc que les follicitations d'un Roi qui demandoit beaucoup , ôc qui ne pouvoit rien donner. L'or changea en ennemis les partifms de Charles XII. Le Comte Tolfloé avoit fervi fous fon père, Gouverneur d'une Province, Se dévoué a Milafiofski. A l'âge de dix-huit ans, il marcha avec les Strcltfi, pour enlever le Tronc aux Princes Jean Se Pierre, par les infinuations de la Princcffe Sophie. Pierre , qui ctoit doué de ce tact heureux qui fait apprécier les hommes ôc s'en fervir utilement, avoit conçu de grandes cfpéranccs du courage , de la réfolution , de la fagacité du jeune Tolfloé ; il le nomma Capitaine de fes Gardes : mais il ne perdoir pas de vue les démarches de cet Officier qui avoit l'efprit fort intrigant. Le Tzar remployoit auili dans toutes les entreprifes hardies ôc pcrilleufes; voici la manière dont il lui donnoit fes ordres : l\is là; fais ctla>finon tu perdras la tête. Il n'avoit pas encore vingt-cinq ans lorfqu'il fut envoyé à Conftantinople en qualité d'Ambaffadcur : pendant le féjour qu'il y fit, il eut l'adrerfe de gagner la mère Pp i; du Sultan, de faire dépofer deux Vifirs, ôc de rendre fufpeéts au Grand Seigneur trois Agas qui étoient contraires aux intérêts de la Ruilie, ôc qui eurent la tête tranchée. Dieu préferve les Cours de Miniftrcs auili intrigans 1 A ce vœu nous en ajouterons un autre pour que la politique des Princes renonce enfin aux moyens dangereux de la corruprion, pour parvenir a fon but. Le Prince qui corrompt les Miniftrcs d'un Prince, doit tenir pour certain qu'on emploiera les mêmes moyens contre lui. Les préfens du Tzar réunirent à la Porte. Tolftoé eut audience le 3 Janvier, ôc reçut de S. H. unc ratification en Langue Turque, par laquelle la Porre s'engageoit à maintenir la paix fur le même pied qu'auparavant. On y inféra de plus que le Roi de Suède 53 partiroit de Bcndcr , mais feulement avec ceux qui étoient 95 attachés a fa perfonne, Ôc qu'aucun des Kofaqucs ne l'accom-53 pagneroit ; qu'il feroit efeorré par coo Turcs, & que lorfqu'il >5 s'approcherait des frontières de la Pologne , on enverroit un »î Officier Ruflc avec un nombre convenable de foldats, tant »î pour refeorter, que pour l'empêcher d'avoir des entretiens avec 53 les Polonois fur fon paflage. On ftipula encore, que, dans le « cas où le Roi de Suède ne voudrait pas voyager de cette ma-» nière, la Porte ne prendrait aucun foin de ià perfonne , ôc 53 qu'il feroit obligé de pourvoir lui-même a la fureté de fa route. 55 Cette réfolution lui fut communiquée de. la part du Sultan Charles étoit bien éloigné d'acquicfccr à ces arrangemens, de s'abandonner à la discrétion de fon Rival, ôc de paraître dans un jétat d'humiliation qui convenoit bien plus a un criminel illuftre, qu'a un Roi malheureux. Il attendit que les circonftances lui fuflent plus avantageâtes, Ôc il n'omit rien pour les déterminer en fa faveur. Il favoit que dans unc Cour dcfpotiquc, le Ministère cft lu jet a des révolutions fubites, par la raifon que la juftice ôc la laveur deviennent arbitraires où le caprice ôc l'intrigue ont HISTOIRE DE RUSSIE. 301 un empire abfolu. De fon coté, le Comte Poniatoski employa toutes ks rclfources de fon habileté pour faire mettre en place des Vifirs qui lui fuifent favorables. Section XCV. Le 7 Février le Tzar reçut la nouvelle de la prife d'Elbing par le Général Major Noftitz. La garnifon étoit compofée de neuf cents Suédois; Se le Tzar fait le plus bel éloge de leur défenfe. Deux mille Ruifcs y relièrent en garnifon, aux ordres du Brigadier Théo-■ dore Balk.Noftitz fut fait Lieutenant-Général, 6c n'étoit pas digne de ce rang. Le Journal dit "qu'il rançonna le Magiftrat d'Elbing, » 6c qu'après en avoir tiré 155,000 pièces d'or de Pologne, il fut » aflez ingrat aux bontés de Sa Majcfté pour prendre la fuite ; 6c » qu'il fut pendu en effigie comme un traître «. Pendant fon féjour à Moskou, le Tzar s'occupa des affaires civiles ; il régla aufti les dépenfes de l'Etat, tant pour l'Armée que pour l'Amirauté ; il aftigna ces dépenfes fur dirférens Gou-vernemens , afin que chacun d'eux fut d'où il devoit tirer la fomme qui lui étoit deftinéc. Rien n'eft mieux vu , rien de plus économique que ces aftignations locales, qui affinent à chaque département les fonds annuels dont il a befoin, 6c qui épargnent à l'Etat unc immenfité de frais de marche , de contremarche, de revirement d'cfpèccs, d'efeomptes 6c d'abus renaiffans, que le Tzar détruifit par un fcul acte de fa volonté. Il ordonna que les rér,imciil qui portoient les noms de leurs Colonels, prendraient déformais ceux des Villes ; il fixa les forces de l'armée a trente-trois régimens d'infanterie &: â vingt-quatre de cavalerie. Les gar-nifons furent portées a cinquante-huit mille hommes. Le 17 , le Prince Mentfchikof eut ordre de fc rendre en Livonic, entre Riga 6c Dunamunde , pour y examiner les lieux propres a arrêter les bâtimens ennemis qui pourraient aborder de ce coté de 3o2, HISTOIRE DE RUSSIE, la mer ; de fortifier le paflage de laDuna par des poutres attachées avec des chaînes, ôc de faire faire des barques fur lefqucllcs on devoit placer du canon. Sa Majcfté partit le même jour de Moskou pour Pétersbourg , oîi elle arriva le n. Elle donna le titre de Comte &: de Confciller Privé actuel au Général-Amiral Apraxin , en récompenfe des exploits qu'il avoit faits en Ingrie ôc en Eftonic, ôc des fages précautions qu'il avoit prifes pendant fon abfence. En même-tems il lui donna ordre de partir pour l'expédition de Vibourg, Place forte , Capitale de la Carélie , fituée fur le Golfe de Finlande. 11 s'embarque lui-même fous la nouvelle fortcrcfleV de Kronflot, côtoie les côtes de la Carélie, ôc malgré unc violente tempête, il amène fa flotte devant Vibourg, tandis que les troupes de terre approchent fur des marais glacés : la Ville eft inveftie , ÔC le blocus eft refterré. Unc cf cadre Suédoife de treize vaifléaux ne put la défendre. Après la brèche faite , le Gouverneur demanda a capituler le 11 Juin. Un des principaux articles étoit que la garnifon fortiroit avec armes Ôc bagages, ôc auroit la liberté de fc retirer dans unc autre Ville de la Finlande -, mais contre la foi du Traité, cette garnifon de quatre nulle hommes fut faite prifonnière de guerre. Le Général Apraxin dit que Pierre en ufoit ainfi par rcpréfaillcs contre la Cour de Suède , qui avoit, en plus d'une occafion , violé elle-même le droit des gens, foit en faifant arrêter a Stockholm le Prince Kitkof, Miniftrc de Ruftie , foit en rédui-fant au plus dur eftylavagc les Marchands Moskovitcs, qw_ étoient en Suède lors de la déclaration de guerre. Cependant Pierre promit de rendre la liberté aux prifonniers, quand les Suédois auraient fatisfait à fcs plaintes. » Il fallut fur cette affaire demander les ordres du Roi de Suède, toujours inflexible; ôc ces foldats, que Charles auroit pu délivrer, relièrent captifs. Ceft aii/i que le Prince d'Orange, Roi d'Angleterre Guillaume III} avoit arrêté en 169^ le Maréchal de Bouffés^ malgré la capitulation de Namur. Il y a plu- HISTOIRE DE RUSSIE. 303 ileurs exemples de ces violations, & il feroit à fouhaiter qu'il n'y en eût point. Le Brigadier Tiernkhef, qui s'étoit diftingué à la prife de Vibourg f fut fait Commandant de.la Fortcreifc; le Général Apraxin reçut l'Ordre de Saint-André. Les autres Généraux, les Officiers, les foldats, furent auffi récompenfes. Le Tzar en ufoit ainfi après chaque événement heureux : mais ce Prince fi économe d'ailleurs, Ôc fi prodigue envers fes troupes, ne dcvoit-il pas craindre que les terres &: les récompenfes pécuniaires qu'il leur diilribuoit n'affoi-blîflcnt les fentimens d'honneur qu'il cherchoit à leur infpircr par le fpcétaclc des triomphes ? Des que l'efprit d'intérêt s'empare du militaire, il devient fourd a la voix de l'honneur; des mercenaires remplacent des héros; alors le falut ôc la gloire de l'Etat font à l'encan. Section XCVL Après la prife de Vibourg, le fiége de Riga fut pouffé avec vivacité. La contagion qui defoloit depuis quelque tems ces climats fc mit dans l'armée affiégeante , & lui enleva neuf mille huit cents hommes. Enfin le Maréchal Schérémétof prit Riga le 15 Juillet, ôc le vainqueur n'eut pas plus d'égard aux conditions de la capitulation : outre ces raifons de vengeance dont le Tzar s'autorifoit, la politique le porroit à enlever à la Suède fes meilleures troupes pour en peupler fes Etats ; tous les Officiers ôc Soldats Livonicns furent obligés de relier au fervicc de la Ruflic, comme Citoyens d'un pays qui en avoit été démembré , & que les ancêtres de Charles XII avoicnt ufurpé. Les privilèges dont fon père avoit dépouillé les Livonicns leur furent rendus, ôc tous les Officiers entrèrent au fervicc du T/ar : c'étoit, dit Voltaire., la plus noble vengeance qu'il pût prendre du meurtre du Livonien Patkul, fon Ambafladcur, condamné êe roue vif pour avoir défendu ces mêmes ptiviléges. La fortcreifc de Durumundc, la ville de Rével, 3o4 HISTOIRE DE RUSSIE, celle de Pernau, la forte ville de Kcxholm , fur le lac Ladoga, fituée dans une Ifle, Se regardée comme imprenable, ne firent pas une longue réfiilance, étant encore plus affaillics par la pelle que par l'armée victorietife. Tandis que le Tzar Se fes Généraux tairaient ces rapides conquêtes, l'Amiral Apraxin s'emparoit de l'Ifle d'Oéfel , dans la mer Baltique , a l'entrée du Golfe de Riga (i). Deux caufes puiffantes fecondoient la valeur des RulTcs Se accéléraient leurs conquêtes; la pelle, fuite de la famine, Se ladiverfîoft que le Danemarck avoir faite en Scanic. Mais les Danois furent contraints d'abandonner Chritlianlladt Se de venir a Hcîfinbuurg, ou le Roi fc rendit en perfonne. Il y rafle mbla fon Armée qui étoit de quinze mille hommes ; il retourna enfuite a Copenhague. Le Comte Steinbock, Général Suédois, fc mît en marche avec fon Armée pour Hclfinbourg, à la tête de huit mille hommei de vieilles troupes Se de douze mille autres qui n'Itofcnt que des Milices fans uniforme, fort mal armées, mais animées pa< là haine qu'elles portoient aux Danois. Elles combattirent avec une fureur dont l'Hilloirc de ce fieele ne fournit qu'un exempte, celui du Prince Edouard a la tête des Montagnards Ecoffois, qui attaqua Se défit les vieilles troupes Angloifes en plufieurs occafions. Les Danois furent défaits de même ; Se le Roi de Danemarck, inflruit de la perte de la bataille d'Elfinbourg, envoya fa flotte pour recueillir les débris de fon Armée; clic quitta cette place deux jours ( i) Les RufTcs entrèrent dans Riga le 4 Juillet à fix heures du foir. Us apprirent q"c la pefte y avoit Fait périr environ foixante mille perfonnes. Le Général-Major ttouck pri* Dunamundc le i) Août : le 14, le Lieutenant-Général Baur fc rendit maître de Pcrn.nl. Alénsbourg fe rendit peu de jours après au Major Ornhtinmon, des que le Commandant Suédois apprit la reddition de Riga Se de Pernau. Le Général-Major Bruce prit la ville Je Kcxholm en Cnélie, par capitulation, le 10 Septembre, après HISTOIRE DE RUSSIE. 305 après la bataille, & y laifla fes blcifes : on tua tous les chevaux qu'on ne put embarquer, ôc tous les magalins furent brûlés. Les Suédois île purent s'oppofer à fon embarquement, parce qu'elle le fît fous le feu du canon de Helfinbourg, ôc que d'ailleurs clic étoit protégée par l'Artillerie des vaiffeaux; mais très-certainement ils n'étoient pas dans le cas de craindre les Danois, comme le fuppofc le Journal de Pierre-le-Grand , après une vidoire aufïi complette que celle qu'ils venoient de remporter, puifque l'au-gufte Auteur du Journal convient qu'il y eut environ quatre mille Danois tués, bleffés & prifonniers. Après la perte de la bataille de Helfinbourg, le Tzar offrit au Roi de Danemarck de lui envoyer un renfort de troupes pour fc venger de fa défaite; mais ce Monarque le rcfufa, prenant pour prétexte qu'il craignoit que les Ruflcs n'apportaffent avec eux la pefte dont ils avoient été atteints : c'eft qu'il ne vouloit point attirer dans fes Etats unc Puiflance qui, depuis la bataille de Pultava, étoit devenue redoutable dans le Nord. Toutes les Nations voifincs voyoient avec autant d'effroi que d'admiration les métamorphofes étonnantes que le génie Ôc les foins du Tzar opé-roient dans le Gouvernement civil, militaire ôc politique de fon Empire. Le 12. Décembre, on célébra avec pompe le mariage de la Princcflc Anne avec le Duc de Courlandc. La joie que ce mariage donnoit au Tzar fut courte : douze jours après ce mariage, le Duc de Courlandc tomba malade à Pétcrsbourg; Ôc s'étant mis en route, il mourut à Kipcn le 9 Janvier. Cette mort aflligea beaucoup le Tzar : d'un autre coté, il fc croyoit en paix avec la Turquie, lorfque fon Ambafladcur lui fit favoir que la Porte lui avoit déclaré la guerre. Tome III. Qq 306" HISTOIRE DE RUSSIE. Section XCVII. 1711. Le Tzar, qui tiroit parti de tous les évènemens pour infpircr l'émularion &: le courage à fes Sujets, imagina de célébrer le premier jour de fan par un feu d'artifice compofé de deux plans de fon invention. Sur le premier étoit une Etoile, avec cette Infcription : Seigneur, montre-nous tes voies. Le fécond repréfentoit une Colonne fur laquelle on voyoit unc Clef 6c une Epéc en fautoir, avec CCttC Dcvife : Où fe trouve la Juflice , là fe trouve auffi le jecours de Dieu. La guerre des Turcs étoit donc l'objet de ces allégories ; mais ce feu d'artifice étoit prématuré : le fuccès ne répondit pas a l'cfpérance. Le lendemain , le Tzar s'occupa du plan des opérations de cette guerre imprévue. Il expédia des ordres au Prince Michel Galitzin, qui étoit en Pologne, de s'avancer avec les dix Régimens de Dragons qu'il commandoit, vers les frontières de la Valachie, pour veiller fur les mouvemens des Turcs 6c des Tatars, 6c pour les harceler, dans le cas où ils efeorteroient en grand nombre le Roi de Suède par la Pologne. Le Maréchal Schérémétof eut ordre de quitter la Livonic, de marcher par la Pologne vers les mêmes frontières, à la tête de 11 Régimens d'Infanterie, 6c de faire la plus grande diligence pour que les Turcs n'euilent pas le tems de fe renforcer 6c de pénétrer en Pologne. Le Prince Michel Ramadanofski fut envoyé à Putivel pour commander la Noblcffc des Villes. Après ces arrangemens préliminaires, le Tzar laifla le Prince Mentfchikof a Pétcrsbourg, 6c fc rendit a Moskou le 11 Janvier, 11 s'y occupa également des affaires civiles 6c militaires ; 6c comme il ctoit obligé de i'abfcntei fouvent de cette Capitale, il y établit un Sénat de Régence, compofé de huit perfonn:s qu'il jugea capables de féconder fon zèle ôc fon amour pour la Ji ftice. Le iy, on chanta un Te Dam dans l'Eglife Cathédrale de rAiïbmption , ôc l'on publia le Manifeile contre les Turcs. Deux Régimens des Gardes étoient en parade devant l'Eglife : au lieu de leurs Drapeaux blancs, ils en avoient des rouges avec Cette Infcriprion : Pour le nom de Jcfus-Chrijl & U Chrétienté. On y avoit peint unc Croix rayonante, autour de laquelle on lifoit ces paroles : Hocfigno vinces. Après la cérémonie, ces Régimens partirent pour la Pologne, avec ordre de joindre la grande Année du Maréchal Schérémétof. Le lendemain , il y eut unc affemblée folcmnclle dans la même Eglife : le nouveau Sénat ôc les Gouverneurs prêtèrent ferment, en préfence du Tzar, de remplir leurs charges avec l'honneur, l'intégrité , le zèle ôc la fidélité dus à l'Etat ôc au Souverain ; d'obfcrvcr la plus exaéte juftice, tant dans les affaires des Particuliers que dans l'adminiftration, ôc de fc conduire avec ia plus fcrupulcufc probité dans les levées d'hommes ôc d'argent, ainfi que dans toutes les chofes relatives aux intérêts de l'Etat Ôc du Souverain. On auroit pu dire au Tzar : Magna petïs > Phaeton ; non ejl monale quod optas. Le même jour, il envoya au Sénat les inf-tru&ions fuivant lcfqucllcs il devoit juger, ôc punir les Juges iniques par la perte de l'honneur Ôc des biens : les plaideurs de mauvaile foi dévoient encourir les mêmes peines. Il enjoignoit encore au Sénat de s'occuper clfenticllcmcnr des objers fomp-tuaircs dans l'étendue de l'Empire; de furvciller les dépenfes nécclfaires ôc de fupprimer toutes les autres; de raffcmblcr tous les jeunes Nobles, de les inferire pour le fervicc militaire , en commençant par ceux qui, pour s'y fouftrairc, s cnfcveliffoicnt dans leurs Villages; d'établir des Fifeaux particuliers par-tout où befoin feroit, ôc de mettre à leur tête un I-ifcal-Général, Qq u a l'effet de furvciller Se même de prendre des informations publiques fur la manière dont la Juflice fc rendoit, Se d'en informer le Sénat ; enfin, de completter par de promptes recrues le corps d'Armée qui avoit été en Livonie, Se qui avoit beaucoup fouffert de la pcfle. Qui pourroit fe perfuader que M. Lcvcfquc ait ofé blâmer des inftructions fi faintes, Se des ordonnances qui fuf-firoient feules pour rendre immortel le nom de Picrre-lc-Grand ! Mais elles ne font encore que les préliminaires de la Légiflation de ce Monarque. Dans le même tems il donna ordre au Général-Amiral Apraxin de fc rendre a Azof, pour examiner l'état de ces contrées ; &: les défendre contre les Turcs. Le Général-Major Butturlin Se le Hct-man Skoropatzki marchèrent a la tête de huit Régimens vers Kamcnnoi-Saron pour obfervcr les ennemis : il leur étoit enjoint, en cas d'attaque, de fe défendre jufqu'a la dernière extrémité. Quant aux Kofaqucs du Don Se aux Kalmouks, il fut refait) de les faire agir au commencement du printems, par terre Se par eau, félon le befoin des circonftances. Section XCVIII. Toutes ces mefurcs étant prifes, le Tzar, qui avoir répudié, l'an 1696, Eudoxie Lapouhin dont il avoit en deux enfans, ordonna, le 6 Mai, qu'on reconnût unc nouvelle Tzarinc : ce fut la jeune prifonnière de Maricnbourg, la fameufe Catherine : elle avoit fu tellement lui plaire par des qualités qui 1 elevoient au-dclfus de fon fexe , qu'il voulut l'avoir auprès de lui dans toutes fes courfes. On la vit affronter la mort a côté de fon Epoux fur terre ce fur mer. Elle avoit l'art d'adoucir fes peines par la gaieté de fon efprit Se par fi complaifancej elle calma fouvent fa colère, Se le rendit plus grand en le rendant plus clément. Enfin , elle lui devint fi néccllairc, qu'il Tépoufa en 1707. Il en avoit eu trois filles, dont la dernière fut dans la fuite mariée au Duc de Holftein. Le Tzar fît donc déclarer fon mariage avec Catherine le jour qu'il partit avec elle pour aller faire la guerre en Turquie. Nous allons développer les intrigues qui donnèrent lieu à cette guerre. Section XCIX. La victoire de Pultava avoit mis le Tzar en état de tout entreprendre, ôc à la fin de 1710 il avoit conquis la Carélie, l'Eftonie ôc la Livonic. Au comble de la puiffancc ôc de la gloire, il vouloit prendre part a la guerre qui s'étoit élevée à l'occafion de la fucceflion d'Efpagnc, ÔC faire poids dans la balance de l'Europe : il cûr, fans doute , réuili dans fon projet, fans la guerre que Charles XII engagea les Turcs à lui déclarer. Pour donner une idée jufte de çc qui fe palfa alors a la Porte, il eft néceffaire de reprendre les chofes de plus haut. On a vu que le Grand-Vifir avoit fait promettre a Mazeppa de Y aider de toutes les forces de l'Empire Ottoman, ôc que la perte de la bataille de Pultava le détermina à ne rien entreprendre; ôc que loin de fe prêter aux infinuations de Charles XII, réfugié à Bcndcr, il rcnouvclla ôc confirma le Traité de Paix avec Tolfloé, A mba ffadeur de Rufiic. 11 n'étoit pas dans le caractère de Charles XII de fè rebuter: malgré fes malheurs, il n'avoit rien perdu de la fierté de fon caractère ôc de l'orgueil de fes prétentions. Il demandoit moins en fuppliant qu'il n'exigeoit en maître ; ôc quoique réfugié en Turquie , fous la protection du Sultan , il fembloit en quelque forte y régner. 11 fut intéreffer a fon fort la Sultane régnante; ôc dès ce moment il travailla à déplacer les Vifirs dont il n croit pas (aristait , pour en élever d'autres a leur place qui lui fuffent plus dévoués. Le Comte Poniatoski trouva le moyen de faire parvenir au Grand Seigneur un Mémoire, dans lequel Charles fe plaignoit que fon Mmillrc lui avoit manqué de 3 io HISTOIRE DE RUSSIE. parole, ôc qu'il étoit vendu à fes ennemis. Le Sultan Achmet III lui remit ce Mémoire : celui ci en prit occafion d'aceufer le Km » des Tatars, qui fut dépofé ôc exilé, ôc en meme-tems Charles reçut ordre de fe préparer à fortir des Etats du Grand-Seigneur. Ce Monarque rcfufa de partir; mais le Grand-Vifir n'en fuivit pas moins fon plan pacifique , Ôc fit nommer Kan de Krimée DcuLr GieraL Ce nouveau Kan devoit de la rcconnoiflancc à fon protecteur; ôc fon premier foin fut de la lui témoigner, en tâchant de confirmer au Grand-Seigneur que KapLm Gïcrai 3 fon prédé-ceifeur, avoit agi de fon chef, fans y être aucunement autorifé. Achmet pénétra qu'on lui cachoit la vérité, ôc pour la découvrir, il fit mander â Kaplan Gierai, s'il étoit vrai qu'il eût négocié avec Mazeppa. Ce malheureux Kan en convint, ÔC prouva, en pro-duifant les lettres du Grand-Vifir , qu'il n'avoit agi que par fes ordres. Le Grand-Seigneur irrité , les montra a fon Miniftrc, &: lui dit : » Ces lettres ne dévoient point être écrites pendant la trêve , mais puifqu'ellcs l'étoient , il n'étoit plus permis de les défavoucr : il cft indigne de la foi des Mufulmans de tromper le Roi de Suède, ôc l'honneur de l'Empire Ottoman ne doit pas être ainfi proftitué à la rifée des Infidèles «. En foirant du Scrrail, Korluli AU fut dépofé, ôc remplacé par Kiopr'di Ogli Nuuman. Charles XII triomphoit : il continua fes intrigues a la Porte avec plus de vivacité que jamais : il exagéra fes forces ôc fes ref-fources, montra les Polonois prêts a fe réunir a lui, aufti-tôt que le Grand-Scigncur fc feroit déclaré , ôc fon Général Stcinbock , vainqueur des Danois : il ajouta que les Ruflcs avoicnt violé le territoire de l'Empire Ottoman , en enlevant plufieurs Suédois en Moldavie, ôc qu'ils équipoient une flotte nombacufe , qui les rendroit maîtres de la navigation de la mer Noire. Ces infinuatiofli femées adroitement, produifirent l'effet que Charles en attendoit ; ôc dans un entretien que le Grand-Scigncur eut avec fon Miniftrc, il lui déclara qu'il étoit décidé a mettre des bornes à la puiffancc du Tzar. En conféquence, il lui donna fes ordres pour affembler fes troupes &: impofer les tributs néceflaires pour les payer. Le Grand-Vifir répondit avec fermeté : » Invincible Seigneur, tes >' Sujets ne peuvent être impofés au-delà de ce que la Loi ôc le » Prophète preferivent. On lèvera unc armée conformément à ta » volonté, pas auili nombreufe que tu parois le défirer ; mais elle » fera d'un plus grand fervicc, parce qu'elle fera payée d'un argent »5 levé légitimement. Je n'ai point d'autre réponfe à faire à ta » Hautelfe ; ôc fi j'ai le malheur de lui déplaire , je fuis prêt a céder >î ma place à celui qui faura mieux que moi Part d'opprimer ton » peuple «. Réponfe remarquable , dit le Suédois Auteur de cette Note, réponfe qui peut fervir de leçon aux Souverains ôc à leurs Miniftrcs : réponfe qui prouve que les Dcfpotes ne font pas auiïï maîtres qu'ils croient l'être, ôc qu'il cft des bornes qu'ils ne peuvent palfer. Elle eut la fuite qu'elle devoit avoir ; Achmet n'étoit pas digne d'avoir un pareil Viftr: le fidèle, le vertueux Kioprili fut dépofé , nommé Gouverneur de Négrcponr, ôc remplacé par Baltaji Méhémcd, qui, pour la féconde fois, vit dans fes mains les fecaux de l'Empire. Dès ce moment la guerre fut réfolue , l'Ambaffadeur du Tzar arrêté Ôc renfermé au Château des Sept-Tours, ôc le Kan de Krimée mandé a Conftantinople pour concerter avec lui les opérations de la campagne : dans le même tems le Sultan faifoit affûter le Roi de Suède de toute fa protection, en lui envoyant des préfens dignes de la magnificence Ottomane. La Porte publia un Manifcfte , dont les principaux griefs étoient que le Tzar avoit fait plufieurs infractions à fes engagemens avec la Turquie; qu'il avoit enlevé des Polonois ôc des Kofaqucs fut les terres mêmes du Grand-Seigneur: on lui reprochott encore d'avoir fait conftruire des Châteaux ôc des fortifications fur les frontières de la Turquie, de s'être emparé de l'Ukraine , d'entre- 3ii HISTOIRE DE RUSSIE, tenir unc armée en Pologne : enfin , on l'aceufoit de s'être rendu maître de la fortcreifc de Kaminicck , dans le deffein de s'ouvrir un paflage libre pour entrer en Moldavie , ôc furprendre les Turcs par une invafion fubitc. Section C. Pendant que Charles ôc le Comte Poniatoski faifoient jouer ces rclTorts de la politique ; de leur coté , les négociateurs du Tzar travailloient a attirer les Valaqucs ôc les Moldaves dans fon parti, en leur promettant de les affranchir h jamais du joug des Turcs. » La Valachic ôc la Moldavie font les pays des anciens Daces, qui, mêlés aux Cîépidcs, inquiétèrent long-tcms l'Empire Romain; Trajan les fournit ; le premier Conflantïn les rendit chrétiens. La Dacie fut unc Province de l'Empire d'Orient ; mais bientôt après ces mêmes peuples contribuèrent à la ruine de celui d'Occident, en fervant fous les Odoacrcs ÔC fous les Thcodorics. Ces contrées relièrent depuis annexées à l'Empire Grec ; Ôc quand les Turcs curent pris Conftantinoplc , elles furent gouvernées ôc opprimées par des Frinces particuliers. Enfin elles ont été entièrement fourni fes par le Padicha ou Empereur Turc , qui en donne l'invcftiturc. Le Hofpodar ou Voiévodc que la Porte ehoifit pour gouverner ces Provinces, cft toujours un chrétien Grec. Le Prince que la Porte nomme cft un tributaire : elle confère cette dignité à celui qui en offre davantage, ôc qui fait le plus de prélcns au Vifir, ainfi qu'elle confère le Patriarchat Grec de Conflantinoplc. C'eft quelquefois un Dragoman ou Interprète du Divan qui obtient cette place. Rarement la Moldavie ôc la Valachic font réunies fous un même Hofpodar ; la Porte partage ces deux Provinces, pour en être plus fûrc«. Baffaraba Brankovan étoit invefti de la Valachic: il promit des troupes ôc des vivres au Tzar, comme Mazcppa avoit lait au Roi de de Suède. Ce Hofpodar fut foupçonné d'intelligence avec les Rudes. Le Grand-Seigneur ne jugea pas à propos de l'attaquer ouvertement, ma; il invellit de la Principauté de Moldavie , à la place de Mauro Cordato , Démétrius Kantimir, avec ordre de faire alliance avec Brankovan, 6c de tâcher de fe faifir de fa perfonne. On lui promit qu'alors il feroit inftallé Hofpodar de Valachic , qu'il nommeroit celui de Moldavie fous le bon plaifir de la Porte, 6c qu'il ne feroit tenu â aucun tribut, ni préfent pour fon avènement à la Principauté. Le Prince Kantimir ne fut pas plus fidèle que Brankovan. A peine fut-il arrivé en Moldavie, vers la fin de l'année 1710 , qu'il fit un Traité avec les Ruffcs : il le tint fecret jufqu'a l'arrivée du Tzar à Jafïï, 6c ce fut alors qu'il fe déclara : il donna pour raifon de fa défcélion, que la Porte lui avoit manqué de parole, en exigeant de lui le tribut 6c les préfens qu'elle avoit promis de ne point lui demander. Kantimir engagea le Hofpodar de Valachic à entrer dans fon complot. L'Evêquc de Jérulalem, qui éroit alors dans cette Province , fe chargea de cette négociation, 6c imagina, dit-on , unc fraude pieufe pour la faire réuflir. Il fit courir le bruit qu'on avoit trouvé fur le tombeau de Conftanùn une prophétie, qui annoncent que les Turcs feroient chajje's de l'Europe par une Nation roujje. Cette prophétie louche rclfembloir aux oracles de la Sibylle. Ce récit diffère en plufieurs points eflcntiels de celui des Hiiloricns de Picrrc-lc-Grand j mais il cft fidèle, 6c c'eft ce que le Lecteur a le droit d'exiger. » Le Maréchal Schérémétof s'avança jufqifà Jafti, Capitale de la Moldavie , pour voir 6c pour foutenir l'exécution de ces grands projets. Kantimir l'y vint trouver , 6c publia un Manifcfte contre l'Empire Turc. Le Hofpodar de Valachic, qui démêla bientôt lès vues ambitieufes , abandonna fon parti 6c rentra dans le devoir. L'Evêquc de Jéiuialem, craignant juftement pour fa tête, s'enfuit Tome III. r r 1 Ôc fc cacha ; les peuples de la Valachie ce de la Moldavie demeurèrent fidèles à la Porte Ottomane ; & ceux qui dévoient fournir des troupes Ôc des vivres à farméc Rulfc , les envoyèrent a Par-mec Turque «. Section CI. Pendant ces négociations infructueufes, le Tzar Ôc fon époufe, accompagnés des Miniflrcs Ôc des autres perfonnes de la Cour, alloicnt joindre l'armée qui etoit en Pologne : les chemins étoient encore impraticables ; ôc comme on ne pouvoit pas traverfer la rivière de Pripekz , on donna ordre de faire couvrir la glace , afin de l'empêcher de fc fondre fitôt. Leurs Majcftés traversèrent cette rivière le 18 Mars, ôc la débâcle des glaces arriva trois heures après. Arrivé à Luck le 2,7, le Tzar fur attaqué du feorbut accompagné de fymptômes terribles. Le Prince Michel Galitzin lui dépêcha un Courier pour lui annoncer que le Palatin de Kiof ôc les Tatars etoient fur les frontières de la Ruflic. Galitzin eut ordre de rc-poulfer l'ennemi avec le fecours des troupes qui venoient de la Pologne. Le Prince Baille Dolgorouki marcha avec les Régimens de Préobragcnski ôc de Séménofski vers Plomncn. Les autres divilions dévoient auili s'en approcher. Le Général Rcpnin fut envoyé à Korzck, le Général Allait à Oflrog , ôc le Général Vcyd à Miropolic ; ce fut la que les recrues complétèrent les Régimens. Dès que le Tzar put fupporter la route, il partit de Luck, ÔC arriva le 18 Avril a Javorof, où il reçut la nouvelle que le Prince Galitzin avoit rencontré le Palatin de Kiof, envoyé en Pologne par le Roi de Suède, à la tête des Tatars, des Polonois ôc des Kofaqucs de Mazcppa, Ôc qu'il avoit eu le bonheur de les battre, de manière que de fept mille hommes il en étoit relié cinq mille fur le champ de bataille, Ôc qu'on avoit délivre près de dix mille habitans de ces Provinces qui avoient été faits priibnnicrs par les ennemis. HISTOIRE DE RUSSIE. jfïf Te féjour du Tzar à Javorof fut prolongé jufqu au 20 Mai, en attendant le.Roi de Pologne qui devoit avoir une entrevue avec fon bienfaiteur. Pendant ce tems, on informa le Tzar de la frayeur qui s'étoit répandue dans l'Armée Ottomane, à l'occafion d'un orage furieux qui s'étoit élevé à la fortie de Conftantinople, Ôc qui avoit fracaifé le grand Etendard que l'on porte devant les Jani flaires. Dans l'entrevue qu'eurent les deux Monarques a Javorof, ils itatuèrent fur les intérêts communs de la Ruilie ôc de la Pologne dans la guerre contre les Turcs. Il fut convenu qu'AugulIe entre-roi t-dans la Poméranie Suédoife ôc feroit le fiege de Stralfund : le Tzar lui fournit un corps de troupes à cet effet. Sous le règne de Sobicski, les deux Cours avoicnt conclu un Traité défcnfif ôc perpétuel contre les Turcs, qu'Augufle avoit confirmé: en con-féquence de ce Traité , on joignit aux troupes Ruifcs unc partie des rroupes Poîonoifcs, Ôc on ftipula les conditions de ces fecours réciproques. Pot\ei, Grand-Général de Lithuanie, fut chargé du commandement des Polonois auxiliaires des Ruflcs. Le 11 Juin, Leurs Maj elles arrivèrent fur les bords du Nieller avec les Gardes , qui fe joignirent aux divifions d'infanterie des Généraux Vcid, Allart ôc Rcpnin. Un Anglois, Pierre-Henri Bruce, témoin des Faits que nous rapportons, dit que l'Armée Ruffc paifa le Nieller le 14 Juin, ôc qu'enfuite le Tzar alfcmbla un confcil de guerre, où il déclara fa réfolution démarcher en avant, fins attendre la jonction des autres troupes.Tous les Généraux l'approuvèrent, excepté le Général Allart, qui garda le fil en ce: Le Tzar lui ordonna de dire franchement fon avis. Allart, forcé de parler, dit : » que la fitua-îstion de l'armée étoit entièrement fcmblable a celle de Char-„ les Xll a Pultava ; ÔC il ajouta : les Princes de Valachic ôc de »> Moldavie , fuis être auili perfides que Mazeppa , peuvent nous R r ij « jouer le même tour, puiique leurs troupes confervent toujours » de rattachement pour les Turcs ". Ces obier varions croient d'un grand poids-: mais que peut la voix du fage dans un confcil , où la pluralité des voix décide du fort des Empires ? La marche fur réfoluc ; Allart fe tut. Les troupes marchèrent par des chaleurs infoutcnablcs pendant trois nuits, ôc dans des déferts fans eau; ce qui fit beaucoup fouffrir Ôc les hommes, ôc les animaux. >jLcs chaleurs cxccflivcs ôc la foif ardente, dit le Tzar, furent caufe que plufieurs foldats vomirent du fang. Les uns mouroient fur-lc-champ ; d'autres furent fauves par la fàignéc ««. Le 18 , l'armée arriva fur la rivière de Pruth, où un grand nom* bre d'hommes ôc d'animaux périrent pour avoir trop bu. Le on pafla la rivière près de Jafïi , où le Prince Kantimir joignit Larméc avec peu de monde. Les Moldaves ôc les Valaques, craignant les Turcs, fa voient abandonné, m Nous dcfccnciîmcs, dit « l'Auteur Anglois cité ci-deflus, le long du Pruth jufqu'au 11, ÔC si pendant toute la marche, l'armée fut affaillic par des nuées de »j fauterellcs, donr les coups de canon ne purent nous débarraffer, » Le 17 , l'armée découvrit deux cents mille Turcs qui avoient » pafle fans être apperçus : ils cherchèrent à envelopper les Ruffcs, » qui fe retirèrent en défordre, pour ne pas perdre la communi-» cation avec la rivière. Les Tatars de Krimée fc placèrent de «l'autre coté du Pruth, ÔC Charles XII avoit fa tente au milieu >j d'eux pour obferver les mouvemens de l'Armée Ruflc , qui » n'avoit que quelques chevaux de frife pour protection : il furri-» foit aux Turcs d'environner les Ruflcs pour les affamer; mais » ils les attaquèrent pendant trois jours &: trois nuits, ôc ils n'en* » tourèrent heureufement qu'un côté du quarté que foi moi r notre yy armée, de forte que les autres curent la facilité de fecourir la >î partie attaquée, ôc de fc fervir de l'artillerie. Le quatrième jour, HISTOIRE DE RUSSIE. 317 » le Tzar informé qu'il n'y avoit plus que trois charges de canon » ôc de petites armes , prit la réfolution de fe faire jour a travers » farmée Turque, ôc de fc rendre en Hongrie par laTranfylvanfe; » Mais la Tzarine, Ôcc........« Telle cft la verfion Angloife ; nous allons donner celle de Voltaire, faite d'après les Mémoires qui lui ont été envoyés, ôc d'après le Journal de Pierre-le-Grand. » Déjà le Vifir Balragi-Méhémcr avoit paffé le Danube à la tête de cent mille hommes, ôc marchoit vers Jailî, le long du Pruth, autrefois le fleuve Hierafe, qui tombe dans le Danube , ôc qui eft à-peu-près la frontière de la Moldavie ôc de la Bcifarabie. 11 envoya le Comte Poniatoski , attaché à la fortune du Roi de Suède, prier ce Prince de venir lui rendre vifitc, ôc voir fon Armée. Charles ne put s'y réfoudre ; il exigeoit que le Grand-Vifir lui fît la première vifltc dans fon afylc près de Bcndcr; fa fierté l'emporta fur fes intérêts. Quand Poniatoski revint au camp des Turcs , ôc qu'il exeufa le refus de Charles XII : Je m'attendais bien, dit le Vifir au Kan des Tatars, que ce fier Païen en uferoit ainfi. Cette fierté réciproque qui aliène toujours tous les hommes en place, n'avança pas les affaires du Roi de Suède : il dut d'ailleurs s'apper-cevoir bientôt que les Turcs n'agiflbient que pour eux, Ôc non pas pour lui. Tandis que l'Armée Ottomane palïbit le Danube , le Tzar avançoit par les frontières de la Pologne , pafloit le Borifthêne, pour aller dégager le Maréchal Schérémétof, qui étant au midi de Jafli, fur les bords du Pruth , étoit menacé de fe voir bientôt environné de 100,000 Turcs ôc d'une Armée de Tatars. Pierre, avant de pafler le Borifthênc, avoit craint d'expofer Catherine à un danger qui devenoit chaque jour plus terrible ; mais Catherine regarda cette attention du Tzar comme un outrage à fà tendrefle ôc à fon courage; clic fit tant d'inftance que le Tzar ne put fc palfer d'elle ; l'Armée la voyoit avec joie à cheval à la tête des jri HISTOIRE DE RUSSIE, troupes; elle fe fervoit rarement de voiture. Il fallut marcher au-delà du Borifthênc par quelques déferts, traverfer le Bog, ÔC enfuite la rivière du Tyras qu'on nomme aujourd'hui Nieller ; après quoi l'on trouvoit encore un autre défert avant d'arriver à JalTi. Catherine eneourageoit l'Armée , y répandoit la gaieté, envoyoit des fecours aux Officiers malades, Ôc étendoit fes foint fur les Soldats ce. Le Journal de Pierre le Grand ne fait pas mention de la réponfe du Vifir au Comte Poniatoski, ni de la crainte du Tzar pour Catherine, avant de palfer le Borifthênc; mais il rapporte qu'étant arrivé à Jafli, où fe trouvoit le Maréchal Schérémétof, dont les Régimens de Dragons étoient à fix milles au-delà, le Hofpodar de Valachic vint à fa rencontre , accompagne des principaux du pays, ôc le falua comme fon Souverain. Il avoit avec lui Caflriot, de la famille de Skandcrbcrg > Envoyé du Hofpodar de Multianck, Conftantin Brankovan , qui après avoir rendu fes hommages à S. M., lui apprir que le Grand-Vifir avoir donné ordre au Patriarche de Jérufalcm de s'informer, par l'cntrcmife de cet Hofpodar, fi le Tzar avoit des difpofitions a la paix, ÔC qu'alors il pourroit en traiter par l'ordre du Sultan. Le Grand-Vifir ne f avoit point chargé de cette commiiïion ; on fentit le piègeî ôc pour ne pas infpircr trop de confiance aux ennemis, on rcfufa cette propofition fufpccxc. Baffaraba étoit rentré dans les intérêts de la Porte ; &: comme il feignoit d'être dans ceux du Tzar, on fc borna à lui demander des vivres , qu'il ne pouvoit ni ne vouloit fournir. Il étoit difficile d'en frire venir de Pologne, quoiqu'on eût laitfé fur fes frontières le Général-Major Hefihofi avec quatre Régimens de Dragons , pour en faire des appro-vifionnemens ôc les envoyer à l'armée. Ceux que Kantimir avoit promis, ôc qu'il cfpéroit envain tirer de la VJaehic, ne pouvoient arriver; la fituation devenoit très-inquiétante. Un fléau HISTOIRE DE RUSSIE. ttf dangereux fe joignoit a tous ces conrretems; des nuées de fau-terclles couvrirent les campagnes, les dévorèrent ôc les infectèrent. » Pierre , dans cette marche, fe trouvoit, par une fatalité fingulière , à porrée de Charles XII ; Bcnder n'eft éloigné que de 2y lieues communes de l'endroit où l'Armée Ruflc étoit auprès de Jaflî. Des partis de Kofaqucs pénétrèrent jufqu'auprès de la retraite de Charles; mais les Tatars de Krimée qui voltigeoicnt dans ces quartiers , mirent le Roi de Suède à couvert d'une furprife. Il artendoit avec impatience & fins crainte dans fon camp , l'événement de la guerre. Dans cet état des chofes , on tint Confcil fur les moyens à prendre pour fc procurer des fubfiftanccs, ôc on réfolut de tenir les troupes près de Jaflî. Cependant, dit le Tzar, on apprit que les Turcs n'avoient pas encore tous paffé le Danube , ôc alors le Hofpodar & les Grands de Valachic prièrent S. M. de prévenir le paflage de l'ennemi fur ce fleuve, ôc lui repréfenrèrent qu'au-delà des montagnes de la Moldavie , fur la rivière de Sircth , il y avoit de grands magafins que les Turcs avoicnt formés fur le territoire de Multianck , dans les villages des environs de Braïlof, fans avoir eu la précaurion de pourvoir à leur défenfe. Le fait fut confirmé par Caftriot ôc par Thomas Cantacuzene, Général des Troupes du Hofpodar de Multianck. Ce Cantacuzene eft le même qui pafla enfuite au fervicc de Ruilie , avec rang de Général-Major. . Quoiqu'il y eût du danger à fuivre le confcil des Valaqucs, le befoin de vivres l'emporta fur toute autre confidération , & le Tzar confentit à cette entreprife hardie: on fe hâta de marcher fur la rive droite du Pruth, afin que ce fleuve fût toujours entre les deux Armées jufqu'a Faltschii ; les Turcs ne pouvant palfer de l'autre côté, à eauiè des grands marais qui font au-deilbus de 3io HISTOIRE DE RUSSIE, cet endroit. C'eft de-là que le Général Renn , avec la moitié de la Cavalerie, devoit fc rendre par des bois fur les rives de la Sireth,& s'emparer des magafins Turcs. Il avoit ordre de rejoindre enfuite le refte des Troupes près de Galatsch, d'y former ira dépôt de vivres, &c de chercher l'ennemi. Le point décifif étoit d'empêcher les Turcs, poftés au-dclTous fur la rive gauche du Pruth, de palfer ce fictive , Ôc de venir aux Rulfes. Cette manœuvre devoit rendre le Tzar maître de la Moldavie & de la Valachic. Mais le 7 Juillet au foir, le Général Janus, Envoyé avec l'avant-garde pour s'oppofer à ce paflage des Turcs, lui fit favoir qu'il étoit arrivé trop tard, & dans le tems même qu'ils finifibient de palfer le Pruth fur leurs pontons : fur quoi il eut ordre de fc retirer vers l'Infanterie. Nous apprîmes enfuite, dit le Tzar, que ce rapport étoit faux ; les Turcs étoient encore à l'autre bord du fleuve, ôc Janus auroit pu les arrêter, s'il avoit agi en homme d'honneur. Sa retraite enhardit les Turcs; ils pafsèrent le Pruth ôc le pourfuivirent avec leurs troupes légères ôc l'élite de leur Cavalerie, jufqu'a ce que le Tzar vint lui-même le dégager. Le paflage du Pruth coupa la communication entre l'Armée Ruflc ôc le Corps du Général Rcnn ; c'eft ce qui détermina le Tzar a diriger fa marche à droite vers la Sircth : mais les grandes montagnes ôc le manque d'eau s'opposèrent à l'exécution de ce deflèin : d'ailleurs tous les chevaux étoient extrêmement affoiblis par la difette de fourrage; les fau-tcrcllcs avoient rongé les herbes jufqifaux racines , ôc les divifions des Généraux Veid Ôc Rcpnin étoient encore en arrière. On réfolut donc de fc retirer , jufqu'a ce que toutes les Troupes fuflent réunies dans un lieu propre à livrer bataille. On fe mit en marche, ôc l'Armée atteignit les'deux divifions dans la nuit du 8 au L'Armée du Grand-Vifir s'avança bientôt vers celle du Tzar, le le long du fleuve. Ces deux Armées étoient bien différentes : celle des Turcs, renforcée des Tatars, étoit de près de 150 mille hommes ; celle des Ruflcs n'étoit alors que d'environ 37 mille combattans, ou de 44 mille en y comprenant le corps aux ordres du Général Rcnn fur la rive du Sircth. Mais la différence d'un à fix n'étoit pas ce qu'il y avoit de plus redoutable pour les Ruffcs; ils commençoient à manquer de vivres , Se quoique campés non loin du fleuvf, à peine pouvoient-ils avoir de l'eau ; ils étoient expofés a une nombreufe artillerie, placée par le Grand-Ville fur la rive gauche, avec un corps de Troupes qui tiroit fans Celle fui eux. Il paroît, dit Voltaire, que le Vifir Baltagï Méhémet, loin d'être un imbécillc comme les Suédois l'ont repréfenté, s'étoit conduit avec beaucoup d'intelligence. Pafler le Pruth à la vue d'un ennemi, le contraindre à reculer Se le pourfuivre , couper tout d'un coup la communication entre l'armée du Tzar Se un corps de fa Cavalerie , enfermer cette Armée fans lui laifler de retraite, lui 6tcr l'eau Se les vivres, la tenir fous des batteries de canons qui la menacent d'une rive oppofée ; tout cela n'étoit pas d'un homme fans activité Se fans prévoyance. Voltaire a raifon : toutes les difpofitions de Baltagi-Méhémct étoient celles d'un grand Général, Se il eût partagé en cette occafion la gloire de Fabius, s'il eût fu, comme lui, être Cunctatcur. Pierre fc trouvoit alors dans unc plus mau-vaife pofition que Charles XII a Pultava ; enfermé, comme lui, par unc armée fupéricurc , éprouvant plus que la difette , Se s'étant fié , comme lui, aux promeffes d'un Prince trop peu puiflant pour les tenir. Le Tzar avoue lui-même que fa marche étoit téméraire : » Nous >» comptions , dit-il, fur des fecours d'hommes Se de munitions, » fur la révolte promife des Chrétiens contre les Turcs ; mais » toutes ces promelfes n'etoient que des paroles de Judas : Bran-Jomc III. $ s « kovan faifoit part aux Turcs de toutes les reponfes qu'il recc-« voit de nous, Se tendoit des pièges pour nous perdre : maisaa » juilicc divine fit véritablement un miracle en notre faveur, en » nous fauvant de ce péril inévitable «. L'exemple de Mazeppa auroit du rendre le Tzar plus circonfpecl: dans fa marche. Tandis qu'il alloit choifir un camp plus avantageux en retournant vers Jafli, les Turcs tombèrent fur fon arrière-garde à 9 heures du matin, le $ Juillet : elle n étoit comfoféc que du Régiment Prédrfragcnski, qui foutint un combat de près de cinq heures, toujours en fc retirant, pour ne point fe laiffer couper du corps de l'Armée. On fe forma, on fit des retranchemens avec les chariots Se le bagage. A midi, la chaleur, la fatigue Se la foif obligèrent l'Armée d'avancer près du Pruth, Se de s'arrêter pour avoir de feau. Pendant ce tems les Turcs fe réunirent en corps d'armée pour attaquer celle des Ruflcs. Alors les Généraux Sparre & Poniatoski fe rendirent chez le Vifir , Se lui demandèrent ce qu'il projettoit de faire? Attaquer un ennemi qui fuit, répondit le Vifir : fur quoi ils le prièrent de ne point combattre, qu'il furïi-foit de harceler l'ennemi, de lui couper les partages, l'eau Se les vivres , pour le forcer à fe rendre prifonnier ou de mourir. Ce confcil étoit circonfpcél ; mais le Vifir dit avec humeur, qu'il n'avoit aucune raifon pour traîner les choies en longueur, tandis qu'il pouvoit détruire avec le fabre une petite Armée fatiguée Se languilfante, qui périffoit déjà par la dilette. Il raffembla les Janilfaircs avec toute l'Infanterie , dont le nombre, fuivant le Journal, montoit à 100 mille hommes, la Cavalerie forte de 110 mille , fans les Tatars. C'eft- ce formidable corps qui fondit avec fureur fur les Ruffcs. Le Général Allart eut la gloire de faire des difpofitions fi rapides Se fi bonnes, que les Ruffcs réfiftèrent pendant trois heures à l'Armée Ottomane fans perdre de terrain. La Cavalerie Turque, dit le Tzar, HISTOIRE DE RUSSIE. 513 tomba fur la divifion du General Allart, & fcmblablc Na des fauterelles, elle étoit difperfée à l'entour, fc l'attaquoit de tous côtés , mais de loin, a une diftanec d'environ 30 toifes. Il n'y eut que quelques Cavaliers qui vinrent allez près ; les autres n'attaquèrent que par leurs cris. Mais l'Infanterie, quoiqu'en défordre, fe battit avec beaucoup de chaleur : nombreufe comme elle l'étoitr il clic avoit attaqué de front fc de tous côtés, nous aurions été expofés au plus grand péril. Elle ne nous attaqua que par un fcul endroit, fc nous pûmes foutenir fon attaque par des Troupes fraîches. On nous amena huit canons de huit livres de balles, fc quelques canons de campagne qu'on fit agir avec promptitude ; on les chargeoit à double cartouche , c'eil-à-dire, qu'outre le boulet, on y mettoit de la mitraille; fc ce feu, foutenu de celui de la moufquctcrie , fit des ravages épouvantables. C'eft ainfi que les Ruifcs tuèrent fept mille Turcs, &: forcèrent unc Armée de 140 mille hommes a retourner en arrière. Après ce rude combat, les deux Armées fc retranchèrent pendant la nuit ; mais l'Armée Ruffe reftoit toujours enfermée , privée de provifions fc d'eau même. Elle étoit près des bords du Pruth fc ne pouvoit approcher du fleuve. Le 10 au matin , le Vifir donna de nouveaux ordres pour l'attaquer ; les Janif-faircs, intimidés par le feu de la veille, ne voulurent point obéir, fc les Turcs ne firent que canonner avec vivacité. Il étoit probable qu'enfin les Ruflcs alloicnt être perdus fans reflburec par leur pofition, par l'inégalité du nombre , par la difette fc par les maladies. Les efearmouches continuoient toujours; la Cavalerie «lu Tzar, prcfque route démontée , ne pouvoit plus être d'aucun fecours , a moins qu'elle ne combattît à pied ; » notre fituation, « dit le Journal, nous fit comprendre qu'il y auroit beaucoup de »> témérité a hafarder unc bataille , non-fculcment à caufe du V rifque de perdre nos meilleures troupes, mais encore parce que S s ij 3i4 HISTOIRE DE RUSSIE. »5 ce feroit expofer les perfonnes de Leurs Majeftés; dont le fort w de l'Empire dépendoit «. La retraite étoit impoïïïblc ; il falloit donc remporter une victoire complcttc, ou périr jufqifau dernier, ou être efelaye des Turcs. Section CIL » Toutes les Relations, dit Voltaire, tous les îvlémoircs du tems, conviennent unanimement que le Tzar, incertain s il ten-teroit le fort d'une nouvelle bataille , s il expo feroit fa femme, fon Armée , fon Empire 6c le fruit de tant de travaux a une perte qui fembloit inévitable, fc retira clans fa tente, accablé de douleur, 6c agité de convulfions dont il étoit quelquefois attaqué , 6c que les chagrins redoubloient. Seul , en proie à tant d'inquiétudes cruelles , ne voulant que perfonne fût témoin de fon état, il défendit qu'on entrât dans là tente. Il vit alors, quel étoit fon bonheur d'avoir permis à fa femme de le fuivre. Catherine entra malgré la défenfe. Une femme qui avoit affronté la mort pendant tous ces combats, expofee comme un autre au feu d'artillerie des Turcs, avoit le droit de parler. Elle perfuada fon époux de tenter la voie de la négociation et. Toutes les Relations , tous les Mémoires du tems qui conviennent unanimement de ce que rapporte Voltaire , méritent-ils plus de croyance que les Commentaires du Tzar même, qui ne font aucune mention des faits qu'on vient de lire ? Far quelle fatalité, dit le Chevalier Godar, les Mémoires de ces tcms-là qui font Pierre 11 grand à Pultava, le rendent ils ft petit fur les bords du Pruth? Eft il naturel de croire que le T/ar, dont le caractère principal étoit l'intrépidité, n'eût plus de ref-hvii, --s eu lui-même, 6c que dans cette crife il eût b< foin «-l'une femme pour fe relfouvenir qu'il ctoit homme? 11 avoit éprouva toutes les rigueurs du fort, &z dans les différentes vicilTitudcs où ta fortune favoit fait palfer, il ne s 'étoit pas démenti un feul iilftantj &: ici on le fait fuccomber rout d'un coup ; on peint'lc créateur de la Ruilie plus foible que la jeune prifonnière de Maricnbourg : c'eft elle qui le fait fortir de cet état d'anéantifle-ment où on le peint ; c'eft elle qui le rend a lui-même, qui rétablit fes forces , fes cfpéranccs, fon courage. 11 feroit à fouhaiter que ceux qui écrivent l'Hifloire ne défigurâffcnt point le Caractère des grands hommes, afin qu'on pût les reconnoître dans les diffé-rens évènemens de leur vjc. Le Monarque Ruffe étoit trop lùpé-ricur aux adverfités pour fuccomber dans un moment où l'abattement ne rcmédioit à rien, &: achevoit de tout perdre. En exaltant les qualités héroïques de Y augufte époufe, il ne falloit pas diminuer les vertus mâles du grand Prince, On a dit, pour l'authenticité du fait, que lorfque le Tzar fit couronner Catherine Impératrice, en 1714, Son Oukaz portoit : Elle nous a été d'un très-grand fecours dans tous les dangers, & particulièrement a. la bataille du Pruth , où notre Armée étoit réduite à vingt-deux mille hommes..,. La déclaration de ce Prince ne confirme point la prévention des Hiftoricns a cet égard : Pierre aimoit Catherine à qui il avoit réellement des obligations. Il établilfoit les ufages des Peuples civilifes dans fon Empire; il devoit s'éloigner en apparence de ceux des Tzars , fes prédéecifeurs, qui fc marioicut à l'Afiatiquc; il ne pouvoir donc avouer qifil eût époufe Catherine, ni la fiurc couronner Impératrice, fans aiTurer les fujets qu'il lui avoit des obligations infinies : c'étoit Un titre qu'il mettoit en avant pour, fe faire pardonner fon mariage. Un Souverain doit toujours fè juftincr, lorfqu'il place fur le tronc une femme d'un rang or'di-na're,& à plus forte raifon une inconnue, captive à Maricnbourg, époufe d'un Dragon Suédois, & blanehilfcufè d'un Pâti Hier, qui n'avoit, comme elle , que du mérite , dans un pays où le Souverain fcul favoit l'apprécier (i). (i) M. Lcvcfquc, qui rapetifle prcfque toujours Picrrc-le-Grand, au lieu de l'offrir à l'admiration de la Porterité, dit, page Tome IV : «Pierre fentoit toute l'horreur «de fa fituation. Il fit partir pour Moskou un Courier qui eut le bonheur de p » à travers l'Armée ennemie. II le chargea d'un Oukaz, par lequel il ordonnoit ai:x «Sénateurs de ne pas s'abandonner à l'affliction, s'ils apprenoient qu'il fut tombé dam les » mains des ennemis; mais de prendre les mefures les plus convenables pour l'adminiflra-» don des *ffair« : d'examiner févèrement tous les ordres qu'il pourroit envoyer pen , »• fa captivité , & de les rejetter s'ils étoient inutiles ou défavantageux à l'Etat. Il permettei: •» même d'élire un nouveau Souverain , fi le bien public l'exigeoit, ëc fe démettoit, pendant s> qu'il étoit libre encore, d'un Empire qu'il ne vouloit pofléder que pour en faire le bon-m heur. Ces détails, ajoute M. Levcfque, nous ont été communiqués par un RuiTe inltruit »> de l'Hiftoirc de fa Nation. Cette Loi, dont aucun Hiftoricu n'a parlé , cft plus glotkufe *>à la mémoire du Tzar que le gain d'une bataille Le nom de ce Rude inftruit méritoit d'être connu ; celui meme du Courier qui eut l'adrcde de palier heureufement à travers d'une Armée de 150 mille Turcs, n'e'toit pas indigne de 1'Hiitoirc : mais ce qui étoit indifpcnfablc, c'étoit de donner au Lecteur h traduction fidcllc de ce prétendu Oukaz, qui n'eft connu que d'un fcul Rulfc, quoiquT ait été envoyé au Sénat. Jufqu'a ce que M. Lcvcfquc produife cette Loi, qui, félon lui» eft plus glorieufe à la mémoire du T{ar que le gain d'une bataille, il nous permettu de regarder fon récit comme forgé & puérile, & nous le mettions au rang des Contes du Chapelain Norbert qui prétend que le Sultan Ackmtt envoya au Tzar les conditions auxquelles il accorderoit la paix, avant d'avoir commencé la guerre, cV qui, dans fon Hiftoire de Charles XII, rapporte une lettre du Tzar au Grand-Vifir, dans laquelle il t'exprime en ces mots : Si, contre mon attente, j'ai le malheur d'avoir déplu à Sa llauttjfe j je fuis prît a. réparer les fujets de plainte quelle peut avoir contre moi. Je vous conjure, tres-noble Général, d'empêcher qu'il ne foit répandu plus de jangt & je vous fupplie de faire cefer dans le moment le feu excefif de votre Artillerie. Recevez l'otage que je viens de vous envoyer----Cette lettre porte tous les caractères de faufleté : elle cft datée du 11 Juillet, nouveau ftylc; & on n'écrme à Mékémet que Je 11, nouveau flylc. Ce ne fut point le Tzar qui écrivit, ce fut le Maréchal Schéiémctof, qui ne fc fervit point de ces termes lmmiliaos j termes, dit Voltaire, qui ne conviennent qu'à Section CI II. Dans la fituation défcfpérée où le Tzar fc trouvoit, on tint Confcil: '5 II fut réfolu , dit ce Monarque , d'envoyer au Vifir >] le Bas-Officier des Gardes Çhapeïef* chargé d'une lertre de la » part du Maréchal Comte de Schérémétof. On rappclloir dans » cette lettre la commiilïon de Caflriot, 6c les autres ouver-» turcs de paix que les Turcs avoient faites auparavant de leur » côté, par Pcntremife de l'Angleterre 5c de la Hollande i & on >j leur mandoit que s'ils avoient encore les mêmes difpofitions »à la paix, ils pouvoient les manifcflcr dans cette occafion. » Pendant ce tems on donna ordre aux Valaqucs 6c aux Kofaqucs »j de rapprocher leurs chariots les uns des autres, 6c de fe rctran-» cher le mieux poflible , afin que fi les Turcs refufoient la paix, »> on put marcher à eux , en laiffant les bagages défendus. Ccpcn-» dant le feu des batteries augmentoit, 6c nous ne pouvions plus fî ni reculer, ni relier a la même place, n'ayant ni provifions, ^ ni fourrage, ni efpérancc d'en avoir; enforre qu'il^falloit, ou » vaincre, ou mourir. Comme la réponfe tardoit à venir, on » envoya dire au Vifir de fe décider promptement a accepter ou à » rejetter la paix , parce qu'on ne vouloit pas attendre davantage. un fujet qui demande pardon. La lettre fut portée par un Ortictcr, tandis que l'Artillcnc tonnoit des deux côtés. Le Le&cur devoir s'attendre que M. Levcfquc, après avoir dît que fi Pierre I n'avoit pas réeiic, les Ruffcs feraient aujourd'hui ce qu'ils [ont, tj peut-être mieux eu ils ne font. fc feroit un mérite de déprimer ce graud Homme : nuis il n'a pas été impunément t Apôtre de ^ignorance 6* de la barbarie. Pierrc-lc-Giand a trouvé un vengeur robufte qui a réfuté M. Lcvcfquc, & qui lui a dit : «Quand Douchardon lifoie " 1 Iliade , j] trouvoit que les Héros d'Homère avoicnt dix pieds de hauteur ; les Bouchar-m dons futurs n'en donneroient pas cinq à Pierre I s'ils ne le connoifloient que par vous ««. Mercure de France, Samedi 15 Janvier 178}, pag. i-fj-itfj. 32.S HISTOIRE DE RUSSIE. »s Enfin, voyant que fa réponfe tardoit trop , on donna ordre aux » Régimens de marcher à l'ennemi. A peine les troupes setoient-» elles avancées à quelques dixaincs de toiles, que les Turcs envoyèrent dire qu'on n'avançât pas puifqu'ils acceptoient la paix : » ainiî on fit unc Armifticc, 6c on envoya quelqu'un pour en » traiter ; ce fut le Vice-Chancelier Barç>n de Schafirof, qui, après » unc conférence avec le Vifir même, régla les articles le il, m (vieux ftyle, fans cloute) 6c revint dans le camp pour en »» faire rapport a Sa Majcfté, qui lui donna les ordres néceffaires ; »j après quoi il retourna au camp des Turcs ; 6c le iz, il conclut » le Traité aux conditions fuivantes. m i°. De rendre aux Turcs la ville d'Azof, après l'avoir évacuée. m 2°. De rafer toutes les Fortcrcffcs nouvellement bâties. «s 3°. De laitier un paffage libre à Charles XII, jufqucs dans fes » Etats. »? Il ne fut pasftiptilé autre choie. C'eft ainfi que , par la grâce »> de Dieu 6c par la fage conduite de Sa Majcfté , l'on prévint « ( quoiqu'avec quelque perte ) les fuites de cet événement maî-«heureux 6c imprévu. Sa Majcfté penfa qu'il valoit mieux céder » ce qu'elle avoit conquis, 6c permettre qu'on rafit quelques » fortcrcffcs, que d'abandonner l'intérêt capital au défeipoir, >3dans un combat incertain «. Nous avons rendu mot pour mot la relation du Tzar, 6c fa naïveté eft d'un grand poids. Mais ce qui doit furprendre le Lecteur, ccft le filcncc abfolu que garde le Tzar fur la part que la célèbre Catherine eut, dit-on, a la Pâîx du Pruth. Ce filcncc prouve plus que tous les Hiftoricns cnfcmblc. Eft-il vraifcmblable qu'un Monarque aflez modefte pour céder à fes Généraux la gloire des fuccès dont il étoit lame, allez généreux pour rendre juftice, dans les commentaires, au mérite, à la valeur d'un fimplc Oiricicr, allez grand pour révéler les fautes quïl commit en en cette occafion, Ôc pour les tranfmcttre à la Poftérité ; que le Tzar enfin ait été en même-rems allez vain, affez ingrat, allez injufte envers l'Epoufe eflimable qu'il chériffoit, pour lui refufer ici le tribut d'hommage ôc de reconnoiflance que l'Empereur ôc l'Empire [lui auroient dû ? La choie nous paroît impofïiblc à croire. On infifle, ÔC l'on dit : Catherine confulta les Généraux, & détermina fon Epoux à tenter la voie de la négociation : mais on ne pouvoit aborder les Turcs qu'avec des'préfens ; elle y facrifia fes bijoux & tout l'argent qu'elle put raffembler dans l'Armée. La paix fe fit, & on la dut à Catherine qui vit le danger fans effroi* Pierre connoifïbir auffi bien, ôc peut-être mieux que Catherine ôc les Généraux, le danger de fa pofition fur le Pruth : « Nous ne » pouvions, dit-il, ni reculer, ni relier a la même place, n'ayant «ni provifions de bouche, ni munitions de guerre, ni fourrage, >j ni cfpérance d'en avoir : notre Cavalerie étoit démontée } en »? forte qu'il ftdloit vaincre ou mourir jufqu'au dernier, pour ne >s pas devenir cfclavc des Turcs «. Ce fut dans cette fituation défcfpéréc qu'il tint un Confcil de guerre le 10 Juillet, vieux ftyle, où il fut rélblu que le Maréchal Schérémétof écriroit au Vifir, ôc que fti lettre lui feroit portée par Chapclef, Bas-Omcier des Gardes. Ce ne fut donc pas Catherine qui affembla les Généraux du Tzar ; mais le Confcil de guerre fut tenu en préfenec de Catherine. Dix Ofliciers Généraux lignèrent le réfulrat que voici. »> Si l'ennemi ne veut pas accepter les conditions qu'on lui offre > »j ôc s'il demande que nous pofions les armes ÔC que nous nous «rendions a diferetiou, tous les Généraux ôc les Miniftrcs font »? unanimement d'avis de fc faire jour a travers des Turcs «. Ce parti héroïque n'eft certainement pas celui qu auroit pris un Prince dont le cœur ôc l'aine euffent été abattus. Voltaire obfervc que c'eft une coutume dans tout l'Orient, quand on demande audience aux Souverains ou à leurs Rcpré-Tome ///, T t 35o HISTOIRE DE RUSSIE, fentans, de ne les aborder qu'avec des prefens : l'oblcrvation cil vraie. Catherine raffcmbla donc le peu de pierreries qu'elle avoit' apportées dans ce voyage guerrier, dont toute magnificence fc tout luxe étoient bannis ; elle y ajouta deux pélilïcs de renard noir : l'argent comptant qu'elle ramaffa fut deftiné pour le Kiaia. Ainfi le grand mérite de Catherine fur, dans cette circonftances d'avoir partagé avec fon Epoux les fatigues , les travaux , les périls, fans murmures, fans foiblelfe, & de n'avoir pas défef-péré du fuccès d une négociation , dans un moment où les Généraux mêmes ne vovoient qu'un malheur inévirablc. Le facrificc de quelques pierreries fc de toutes les pierreries poilibics, n'étoit rien pour une Souveraine qui pouvoit en avoir à volonté. «Tout le parti Suédois a traité', dans fes Mémoires, le Vifir de lâche fc d'infâme qui s'étoit lailfé corrompre. C'eft ainfi que tant d'Ecrivains ont aceufé le Comte Piper d'avoir reçu de l'argent du Duc de Marlbo-ougk, pour engager le Roi de Suède a continuer la guerre contre le Tzar, fc qu'on a imputé \\ un Miniftrc de France d'avoir fait a prix d'argent le Traité de Sevilie. De telles aceufations ne doivent être avancées que fur des preuves évidentes. Il cft rare que des premiers Miniftrcs s'abaiflent à de fi honteufes lâchetés, découvertes tôt ou tard par ceux qui ont donné l'argent, fc par les regiftres qui en font foi. Un premier Miniftrc cft toujours un homme en fpcélaclc a l'Europe : fon honneur cft la bafe de fon crédit ; il eft toujours aiïcz riche pour n'avoir pas befoin d'être un traître. » La place de Vice-Roi de l'Empire Ottoman eft fi belle, les profits en font fi immenfes en tems de guerre , l'abondance fc la magnificence régnoient a un fi haut point dans les tentes de Bdtagi'Méhémet, qu'une légère attention de la part d'une femme qui envoyoit deux pélifles fc quelques bagues, comme il cft d'ufage dans tontes les Portes Orientales, ne pouvoit être rc- HISTOIRE DE RUSSIE. |£i gardée comme une corruption. La conduite tranche Ôc ouverte du Vifir femblc confondre les aceufations dont on a fouillé tant d'écrits touchant cette affaire. Le Vice-Chancelier Scharirof alla dans fa tente avec un grand appareil > tout fe paffa publiquement, Se ne pouvoit fe palier autrement. La négociation même fut entamée en préfence du Comte Poniatoski, Officier de Charles XII, lequel fervit d'abord d'interprète ; ôc les articles furent rédigés publiquement par le premier Secrétaire du Vifiriat, nomme Hummer Effcndu Le prêtent au Kiaia fut offert publiquement ; tout fe paffa félon Tufagc des Orientaux : oh fe fit des préfens réciproques; rien ne rcffemblc moins à une trahifbn.Cc qui détermina le Vifir à conclure , c'eft que, dans ce tcms-la.mêmc, le corps d'Armée commandé par le Général Rcnn , fur la rivière de Sircth en Moldavie ,■ avoit paffé.trois rivières, 6c étoit alors vers le Danube, où Renn venoit de prendre la Ville ôc le Château de Eiahilof, défendus par unc garnifon nombreufe, commandée par un Pacha. Le Tzar avoit encore un autre corps d'Armée qui avançait des frontières de la Pologne. Il cft de plus vraifemblable que le Vifir ne fut pas inftruit de la difette que fouffroient les Ruffcs. Le compte des vivres ôc des munitions n'eft pas communiqué à fon ennemi ; on fe vante, au contraire, devant lui, d'être dans l'abondance, dans le tems qu'on fouffre le plus. 11 n'y a point de transfuges entre les Turcs ôc les Ruffcs; la différence des vêtemens, de la Religion ÔC du langage, ne le permet pas. Ils ne connoilfent point comme nous la défertion : aufli le Grand-Vifir ne favoit pas dans quel état déplorable étoit l'Armée de Pierre. « Baltagi, qui n'aimoit pas la guerre , ôc qui cependant favoit bien laite, crut que fon expédition étoit aflez heureufe , s'il remettoit aux mains du Grand-Seigneur les Villes ôc les Ports pour lefqucls il eombattoit ; s'il renvoyoit des bords du Danube en Ruflic l'Armée victorieufe du Général Renn, Ôc s'il fermoit Tt ij 3p HISTOIRE DE RUSSIE, à jamais l'entrée des Palus Méotides, le Bofphore Cimmérierî, la Mer Noire, à un Prince entreprenant; enfin s'il ne mettoit pas des avantages certains au rifque d'une nouvelle bataille, ( qu'après tout, le défefpoir pouvoit gagner contre la force) : il avoit vu fes Janiifaires repouffés la veille; ôc il y avoit plus d'un exemple de victoires remportées par le petit nombre contre le grand : telles furent fes raifons. Ni les Officiers de Charles qui étoient dans fon Armée, ni le Kan des Tatars ne les approuvèrent. L'intérêt des Tatars étoit de pouvoir exercer leurs pillages fur les frontières de Ruilie Ôc de Pologne. L'intérêt de Charles XII étoit de fe venger du Tzar ; mais le Général, le premier Miniftrc de l'Empire Ottoman , n'étoit animé ni par la vengeance particulière d'un Prince Chrétien , ni par l'amour du butin qui conduifoit les Tatars «. On ne peut mieux junifier la conduite du Grand-Vifir : toutes les raifons que Voltaire allègue en fa faveur font bonnes; mais voici les motifs qui le déterminèrent à conclure la Paix avec le Tzar dans la circonftancc critique où fc trouvoit ce Monarque. Un Grec, Maréchal-Général de l'armée Turque, fait prifonnier pendant la dernière guerre des Ruffcs avec la Porte, ôc envoyé à Pétersbourg, nous a communiqué les motifs dont nous allons faire part au Lecteur. « Plufieurs raifons , dir-il, déterminèrent u le Vifir à conclure la paix du Pruth : la principale étoit le carac-» terc de Charles XII, qui défoloit le Sultan par fa fierté, &: qui « humilioit le Général Ottoman par fes hauteurs. De fon côté, « l'orgueil Ottoman fit céder les raifons d'Etat, ôc peut-être les » intérêts de l'Empire, h la haine particulière contre un Prince « Chrétien, qui élevoit ou déplacoit a fon gré, par les intrigues «du Scrrail, les Vifirs, les Miniftrcs, ôcc. Outre la vengeance » particulière du Vifir, la politique exigeoit de lui qu'il acceptât » ce traité : la fierté de Charles XII, fon caractère entreprenant, «fa fureur de gloire, étoient connus du Divan; la défaite du » Tzar auroit donné au Roi de Suède une fiipériorité qui auroit » pu devenir funefle a la Porte même. Avant fa défaite à Pultava, " l'audace de ce Prince avoit franchi toutes les bornes : en lui » rendant Pafcendant qu'il avoit eu autrefois fur le Tzar, qui » auroit pu déterminer les points que fon audace auroit par-» courus dans la fuite? Ainfi la véritable caufe de ce Traité de » Paix avec le Tzar, fut Charles XII lui-même «. C'eft ainfi qu'à force de recherches, l'Hiftoricn vient a bout de découvrir les caufes cachées des grands évènemens. Un fait connu vient ici à l'appui de la relation du Maréchal-Général des Logis que nous venons de citer. Lorfque Charles XII apprit que les armées étoient en ptéfenec, il monta à cheval ôc fe rendit au camp du Vifir : il eût mieux fait de le joindre lorfqu'il palfa le Danube ; fes victoires ôc là réputation l'y avoient devancé , ôc fa préfenec en eût impofe à la multitude ôc a Mé-hémet lui-même : fa fierté s'y oppofa ; la paix étoit conclue lorfqu'il arriva. En vain il demande au Vifir la raifon de fa conduite ; en vain il lui repréfente qu'en canonnant feulement l'armée Rulfc, il peut l'exterminer; en vain il lui demande vingt mille hommes, Ôc lui promet d'amener à fes pieds le Tzar, fa Cour, fon armée. Méhémct lui répond froidement, qu'il a le pouvoir de faire la paix ou la guerre, ôc qu'il vient d'obtenir du Tzar plus que fon maître n'exigeoit ; &: il ajoute : Si je prends le l\ar, qui gouvernera fes Etats ? Il ne faut pas que tous les Rois fient hors de che^ eux. Charles fentit l'aigreur de certe réponfe, remonta à cheval ôc retourna à Bcndcr en frémillànt. Ces mots, dit Voltaire, montrent allez combien il vouloit mortifier l'hôte de Bcndcr ; il ne retira d'autre fruit de fon voyage, que celui de déchirer la robe du grand Vifir avec l'éperon de fes bottes. Le Vifir qui pouvoit l'en faire repentir, feignit de ne s'en pas sp-percevoir, ôc en cela il ctoit très-fupéricur à Charles. Si quel- 554 HISTOIRE DE RUSSIE, que chofe put faire fentir à ce Monarque dans fa vie brillante Se tuniLiltiieufe, combien la fortune peut confondre la grandeur, c'eft qu'à Pultava un Pâtifiïer avoit fait mettre bas les armes à toute fon armée, Se qu'au Pruth, un fendeur de bois avoir décidé du fort du Tzar Se du lien ; car ce Vifir Baltagi Mehcmet avoit été fendeur de bois dans le Serrail, comme fon nom le lignifie ; Se loin d'en rougir, il s'en faifoit honneur : tant les mœurs Orientales diffèrent des nôtres ! Le Sultan Se tout Conftantinoplc furent dabord très contens de la conduite du Vifir; on fit des réjouiffanecs publiques une femainc entière; le Kiaia de Méhémct qui porta le Traité au Divan, fut élevé incontinent à la dignité de Bcujouk lmraour, Grand-Ecuyer : ce n'eft pas ainfi qu'on traite ceux dont on croit être mal fèrvi. Voltaire ajoute à ces réflexions, que le Vifir, parmi les conditions qu'il exigeoit, vouloit d'abord que le Tzar s'engageât à ne plus entrer dans les intérêts de la Pologne, &: c'eft fur quoi Poniatoski infiftoit; mais il étoit au fond convenable à l'Empire Turc, que la Pologne reliât défunic Se im-puiifantc ; ainfi cet article fe réduifit à retirer les troupes Rulfes des frontières. Le Kan des Tatars demandoit un tribut de quarante mille fequins ; ce point fut long-tems débattu, je te ferai jet ter dans la mer , une pierre au col. Ce comptent que le Comte Poniatoski rapporte lui-même dans les Mémoires qu'il fit à la réquifition de Volraire, ne lailfe aucun doute fur le peu d'influence que Charles XII avoit à la Porte. Section CV. Les fatigues avoient altéré la fanté du Tzar ; il fallut qu'il allât aux Eaux de Karlsbath en Bohême ; mais pendant qu'il prenoit les eaux, qu'il faifoit attaquer la Poméranie, que Stralfund étoit bloquée, Ôc que cinq petites villes étoient prifes, le Capitaine Volenski arriva de Conftantînoplc, chargé des dépêches des Miniftrcs Ruflcs qui lui faifoienr part de l'impatience du Sultan , qui demandoit qu'on lui livrât fans délais la ville d'Azof. En conféqucncc le Tzar expédia des ordres pour faire rendre cette ville , ÔC exécuter les autres articles du Traité. »>La Campagne du Pruth fut plus funefte au Tzar que ne l'avoit été la bataille de Narva; car après Narva, il avoit fu tirer parti de fa défaite même, réparer toutes fes pertes, ôc enlever l'Ingric à Charles XII. Mais après avoir perdu, par le Traité de Falkfen, fes ports ôc fes forterefles fur les Palus-Méotidcs, il fallut renoncer à l'empire fur la mer Noire. Il lui reftoit un champ allez vafte pour fes entreprifes ; il avoit à perfectionner tous fes établi f-femens en Ruftie, fes conquêtes fur la Suède à pourfuivre, le Roi Augufte à raffermir en Pologne, ÔC fes Alliés à ménager. Son projet étoit de dépouiller la couronne de Suède de toutes les Provinces qu'elle poûedoit en Allemagne; il falloit pour remplir Uu ij ce deficin, s'unir avec les Electeurs de Brandebourg Se d'Hanovre ; & avec le Danemarck. Pierre écrivit tous les articles du traité qu'il projettoit avec ces Puiffances, & tout le détail des opérations néceffaires pour fc rendre maître de la Poméranie «. Section CVI. A fon retour des eaux de Karlsbath, le Tzar fc rendit à Torgau, où fon fils Alexis l'attendoit pour terminer fon mariage avec la Princcffc de Volfenbutel, belle-fœur de Y Empereur Charles VI. Alexis avoit vingt-deux ans, &: la PrincclTc dix-huit. Le Tzarévitz étoit né du premier mariage de Pierre avec Eudoxie Lapoukin, mariée en 1685). Elle étoit alors confinée dans un Couvent à Souzdal. Pierre-Henri Bruce dit que ce Prince étoit d'une haute taille &c bien fait ; qu'il avoit les cheveux &: les yeux noirs ; l'air ferieux, la voix forte, & qu'il étoit très-fale dans fes habillemcns. Il parloit très-bien l'Allemand , &: m'entretenoit fouvent, dit-il, dans cette langue. La populace l'adoroit, mais la Cour ne Y aimoit point ; ce qu'il lui rendoit bien exactement : il étoit toujours environné de Prêtres débauchés &: ignorans, ne s'entretenant avec eux que pour blâmer la conduite de fon père , annonçant qu'il ehangeroit tout pour reprendre les anciens ufages , &: qu'il fe déferoit de tous les favoris du Tzar. Il venoit fou vent chez le Général Bruce mon oncle. Catherine , belle - mère du Tzarévitz, n'afiifta point à fon mariage; quoiqu'elle fut regardée par les Ruffcs comme leur Souveraine, elle n croit point encore reconnue folcmncllement en cette qualité par les Cours de l'Europe: fon rang étoit donc encore trop équivoque, pour quelle lignât au contrat, Se pour que le cérémonial Allemand lui accordât unc place convenable à fa dignité. Elle étoit alors à Thorn, dans la Pruife Polonohe. Le HISTOIRE DE RUSSIE. 341 Tzar envoya d'abord les deux nouveaux époux à Volfenbutel, &: teconduifît bientôt la Tzarinc à Pétersbourg, avec cette rapidité Se cette {Implicite d'appareil qu'il mettoit dans tous fes voyages. S 1 c t 1 o n CVII. 1711. Le Tzarévitz inquiétoit beaucoup fon père par fon caractère fombre & fauvage, par fes moeurs grolïières, par fon amour pour les ufages antiques Se pour les Moines, par fon efprit foible ôc fuperftitieux. 11 cfpéroit que l'empire d'une femme belle, ver-tueufe ôc fpirituclle, produirait fur fon cœur ôc fur fon efprit une heureufe métamorphofe. C'étoit dans cette vue qu'il lui avoit choifi pour époufe, la fille du Duc Louis Rodolphe de Brimfvick-Volfcnbutcl. Cette Princcffe , dit-on , réuniffoit aux charmes de la figure, à un air de grandeur, unc douceur touchante, un enjouement ôc une fineffe d'cfprir, capables d'infpircr d'autres fentimens à fon époux. Cette union n'eut point le fuccès que le Tzar en attendoit : fon fils avoit perdu dans les débauches, Je fentiment du véritable amour ôc le goût de la vertu; on verra qu'il fut infenfiblc aux grâces ôc aux qualités cftimablcs de fon époufe, ôc qu'il l'abandonna bientôt pour retourner à fes habitudes honteufes. Après avoir fait ce mariage qui fut depuis il funefte, ôc qui coûta la vie aux deux époux , Pierre déclara plus folcmiiellcmcnt le fien, ôc le célébra h Pétcrsbourg le 19 Février. La cérémonie fut augufte ; le Tzar ordonna fcul la fête, &c y travailla lui-même, félon fa coutume. Les fêtes qu'il donna pour la célébration de ces deux mariages ne furent pas , dit Voltaire , des divcrtiffemens pallagers qui épuifent le tréfor, Ôc dont le fouvenir refte à peine. 11 acheva la fonderie des canons ôc les bâtimens de l'Amirauté : les grands 34i, HISTOIRE DE RUSSIE. chemins furent perfectionnés; de nouveaux vaiffeaux furent con{-rruits ; il creufa des canaux : la Bourfc de les magafins furent achevés; &e le commerce maritime de Pétcrsbourg commença à être dans fa vigueur. 11 ordonna que le Sénat de Moskou fut tranfporté à Pétersbourg ; ce qui s'exécuta au mois d'Avril de cette année : par-là cette nouvelle Ville devint comme la Capitale de l'Empire. Plufieurs prifonniers Suédois furent employés aux cmbelliifemcns de cette Ville , dont la fondation étoit le fruit de leurs défaites. Section CVIII. Pendant que les Princes du Nord difputoicnt entre eux fur la neutralité & fur les partages des Etats de la Suède, le Tzar faifoit afliéger Stralfund par Mentfchikof. Le Prince Vafili Dolgorouki, Ambaffadeur en Pologne , qui fc trouvoit à l'armée Ruffe, écrivit au Tzar que faute d'artillerie, les Rois de Danemarck &: de Pologne n'avoient pu faire aucune tentative fur Stralfund ni fur Rugen, & que plufieurs obftaclcs empêchant les troupes alliées de palfer l'hiver auprès de Stralfund, elles avoicnt pris le parti de fe retirer ; que le Roi de Pologne vouloit que les troupes des trois puilfanecs réunies allaffent palfer l'hiver en Poméranie , afin de tenir Stcttin, Stalfund & Vifmar bloqués ; ils prétendoient que fi les troupes fortoient de Poméranie, elles auraient beaucoup de peine à y rentrer le printems fuivant, attendu que l'ennemi pourrait défendre aifement les défilés nombreux par où elles feraient obligées de palfer, & que les puiûanccs neutres pourraient leur oppofer des difficultés, lorfqircllcs voudraient y rentrer. Le Roi de Danemarck, au contraire, vouloit aller prendre fes quartiers d'hiver dans le Holitein, abandonnant la Poméranie &: le Mécklcnbourg, d'où les Suédois pouvoient tirer toutes les fubfiftanccs néecifaires. Cette refolution , difoit il, ctoit fondée fur le befoin qu'il avoit de les troupes pour garder la Zélande lorque le Sund feroit gelé. D'un autre coté, les troupes Saxonnes ne vouloient pas hiverner en Poméranie fans les Danois, à caufe de leur petit nombre. Pendant ces difeuf-fîons prefqu'inévitables parmi les troupes des Puiflanccs confédérées, le Roi de Pologne découvrit que celui de Danemarck négocioit fecrètement avec les Suédois, par 1 entremife de M. Dcrnat, Miniftrc de Gottorpt. Les deux Rois, également mécontens l'un de l'autre, fc difpofoicnt à fortir de la Poméranie avec leurs troupes ; mais fur les repréfentations des Princes Grégori ôc Vafili Dolgorouki, ces Princes fc concilièrent \ il fut convenu que les Danois laiifcroicnt fix mille hommes en Poméranie, Ôc que les Saxons &; les Ruflcs y pafferoient fhiver. En conféqucncc de cet arrangement, le Roi de Pologne céda au Roi de Danemarck toute l'iilc de Rugcn lorfqu'on l'auroit prife, ôc s'engagea de pourvoir de vivres ôc de fourrages, les fix mille Danois qui refteroient en Poméranie. On donna encore au Roi de Danemarck, les bois de conftruélion qu'on avoit pris aux Suédois, ôc qu'on cftimoit cent mille roubles. Ce fut alors que le Roi Staniflas, voyant l'état déplorable de tant de Provinces, l'impoflibilité de remonter fur le Tronc de Pologne, Ôc tout en confufion par l'abfcncc obftinéc de Charles XII, aflembla les Généraux Suédois qui défendoient la Poméranie avec unc armée d'environ dix à onze mille hommes, feule ôc dernière rclfourcc de la Suède dansées Provinces. Il leur propofa un accommodement avec le Roi Augufte, ôc offrit d'en être la victime. Il leur parla en François; voici les propres paroles dont il fe fervit, ôc qu'il leur laifla, par un écrit qne fignèrent neuf Ofliciers Généraux, entre lefqucls il fe trouvoit un Paciu/^ cou fin-germain de celui que Charles avoit fait expirer fur la roue. » J'ai fervi jufqu ici d'inftrument à la gloire des armes de la »5 Suède ; je ne prétends pas être le fujet funefte de leur perte. » Je déclare que je facrifie ma Couronne fc mes propres inté-» rets, à. la confervation de la perfonne facrée du Roi , ne » voyant pas humainement d'autre moyen pour le retirer de l'enta droit ou il fc trouve c*. Ayant fait cette déclaration , il fc difpofa à partir pour la Turquie , dans l'efpérancc de fléchir l'opiniâtreté de fon bienfaiteur , fc de le toucher par ce facriricc. Sa mauvaife fortune le fit arriver en Bcflarabie, précifément dans le tems même que Charles, après avoir promis au Sultan de quitter fon afyle, fc ayant reçu l'argent fc l'efeorte néceflaire pour fon retour, s'obftina a rcilcr fc à braver les Turcs, les Tatars, fc foutint contre unc Armée entière, aidé de fes fculs domeftiques, ce combat malheureux de Bcndcr, où les Turcs pouvant aifément le tuer, fc contentèrent de le prendre prifonnicr. Staniflas arrivant dans cette étrange conjoncture, fut arrêté lui-même; ainfi deux Rois Chrétiens furent a la fois captifs en Turquie. Charles avant cette époque, réfolu de rompre plutôt que de plier, avoit ordonné a fes Etats prcfque épuifés d'hommes èv d'argent, de réfifler de tous côtés fur terre fc fur mer. Cependant on obéit; le Sénat de Stockolm équipa une flotte de treize vailfeaux de ligne; on arma des Milices, chaque Habitant devint Soldat; mais l'argent manquoit. La Régence ha farda d'en demander a la France , dans un tems où Louis XIV n'avoit pas même de quoi payer fes domefiiques. Le Comte de Sparte fut chargé de cette négociation qui ne devoit pas réuilir. Il vint à Vcrfailles , fc rcprelenraau Marquis de Torci l'impuiflancc où l'on étoit de paver la petite Armée Suédoife qui rciloit à Charles XII en Poméranie; qu'elle étoit prête à fe ditliper faute de paye; que le fcul Allié de la France alloit perdre des provinces dont la confervation étoit néceflaire à la balance générale ; HISTOIRE.DE RUSSIE. m talc; qu'à la vérité Charles XII, dans fes victoires, avoit trop-négligé le Roi de France, mais que les fentimens généreux de Louis XIV étoient aufli grands que les malheurs de Charles. 3-e Miniftrc François fit voir au Suédois, limpuiflànce où l'on étoit de fecourir fon Maître, &: Sparte défefpéroit du fuccès. >î II y avoit à Paris un Banquier nommé Samuel Bernard, qui avoit fait une fortune prodigieufe ; c croit un homme enivré d'une cfpècc de gloire rarement attachée à fa profeffion, ôc qui aimoit pàflïonriément toutes les chofes d'éclat. Spam alla dîner chez lui, il le flatta, & au fortir de table, le banquier lui fit délivrer fix cents mille livres ; après quoi il alla chez le Marquis de Torci, ôc lui dit : » J'ai donné en votre nom deux cents mille écus à la Suéde , vous me les ferez rendre quand vous pourrez ». Le Général Suédois, Comte de Stcinbock , n'attendoit pas un tel fecours ; c'étoit alors un tréfor prodigieux dans un pays ruiné. Fort de ce fecours, avec lequel on remédie à tout quand on a des hommes dévoués à la Patrie, il encouragea fon Armée, il eut des munitions 8g des vivres ; &: renonçant à toute fuf-peniion d'armes, il ne chercha plus qu'à combattre ». Section CI X. • Pendant que le Tzar fe ehargeoit du foin de couvrir Kami-nieck, ôc de défendre les frontières des Etats confédérés, contre l'invafîon des Kofaqucs , des Tatars commandés par Çrudtfnski, Staroflc de Rava, & par Fotoski, frère du Palatin de Kiof, qui fe trouvoit auprès de Charles XII, on apprit que les Cours de Danemarck ôc de Pologne , inftruites des fecours qu'avoit reçus Stcinbock, ôc de fes difpofitions à combattre , commençaient à négocier pour faire unc paix particulière avec les Suédois. Sur cet avis, le Tzar envoya Mentfchikof en Poméranie pour y commander les troupes Ruifcs, ôc il lui donna des lettres de Tome lll. X x )4<5 HISTOIRE DE RUSSIE. tréancé pour les Rois de Pologne, de Danemarck Se de Prufle. Dans le même temps, le Prince Repnin qui étoit en Pologne, eut ordre de fc rendre auili en Poméranie avec les treize Réçi-mens qu'il commandoit, 6e avec ceux clc Préobragcnski 6e de Séménofski, qui fe trouvoient alors dans la Prufle Polonoife& en Courlandc. Apres ces difpofitions, le Tzar fit des préparatifs pour aller en perfonne en Poméranie, afin d'empêcher l'exécution du Traité de Paix projette par les Rois de Pologne 6e de Danemarck. Le Tzar Se fon époufe arrivèrent le 13 Mai a l'Armée près de Stcttin, ou ils trouvèrent le Tzarévitz Alexis 6e le Prince Mentfchikof. On voulut d'abord s'emparer de cette Ville, pour avoir une communication plus libre avec la Pologne ; mais ce projet n'eut pas lieu, parce que l'artillerie Danoife, difoiton, n'étoit point encore arrivée. Le 17, le Tzar laifla Catherine a l'Armée, 6e fe rendit à An-clam pour conférer avec le Vice-Amiral Scgtflcr au fujet de l'artillerie. L'Amiral Danois lui avoua que l'artillerie ctoit prête, mais qu'il n'ofoit la livrer fans un ordre exprès du Roi , avant que celle des Saxons n'arrivât. Le Tzar alors dépêcha un courier au Roi de Pologne, pour qu'il envoyât incclfamment fon artillerie. Malgré l'activité du Tzar, fes Alliés trainoient les chofes en longueur; ce ne fut que le 15 Août, que le Roi de Danemarck envoya l'ordre â l'Amiral Scgeflcr, de confier le commandement de là flotte au Monarque Ruflc. Alors le Tzar ordonna à Ségellcr de faire tranfportcr l'artillerie. Le lendemain, il (t rendit à Volgaft , ou arriva aufli le Roi de Pologne. On y tint un Confcil de Guerre, Se on réfolut de s'emparer d'abord de fille Rugen , Se de bombarder enfuite Stralfund ; le Prince Mentfchikof eut ordre de faire palfer fix mille hommes à Volgalh Le 17, Ségeftcr profitant d'un vent favorable, entra avec l'artillerie Danoife dans l'embouchure de l'Oder; mais il reçut unc dépêche , par laquelle le Roi de Danemarck lui défendoit de donner l'artillerie dellinée au fiége de Stettin. Cette défenfe obligea leTzat d'ordonner au Prince Mentfchikof de lailfer quatre mille hommes au camp de Stettin, Se de marcher avec le refte à Volgaft, amenant avec lui l'artillerie Saxonne, les pontons Se les outils que les Danois avoicnt raifcmblés. Catherine Se le Prince Mentfchikof arrivèrent a Volgaft le 23, Se le lendemain leurs Majcftés fe rendirent à Gripfvald où fe trouva ic Roi Augufte. Ils y apprirent que le Roi de Danemarck s'étoit emparé de la ville Suédoife de Stade, fituée dans le Duché de Brêmen. Peu de jours après, on reçut la nouvelle que la flotte Danoife faifoit voile vers Kugebctch, Se que la flotte Suédoife étoit en mer. Section CX. Les travaux continuels du Tzar altéroient fa fauté; il partit pour les eaux de Karlsbadt, Se conféra avec le Roi de Pruffc en panant à Berlin. Le 3 Oclobrc il arriva a Vittcnbcrg, ville Saxonne , &: vifita l'Eglife où cft enterré Martin Luther ; il vit en-fuite fa bibliothèque Se la maifon où il avoit logé. On lui montra fur la muraille d'une chambre, des gouttes d'encre que l'on tenoit cachées fous un fecau ; on lui raconta à ce fujet, » que Luther étant a l'étude, le diable vint lui rendre viilte, &c que Luther lui jetta l'encrier à la face; que depuis cette époque, l'encre étoit reliée fans altération fur le mur. Les Paftcurs qui accompagnoient le Tzar, le prièrent, félon Fufage d'Allemagne, d'écrire quelque chofe fur le mur de la chambre qu'il avoit honorée de fa préfence; il y confentit, toucha les gouttes d'encre, Se écrivit au bas avec ion crayon : L'encre eft toute fraîche, & I* Chofe cft effecUvement vraie, Xx ij La ligne que le Tzar écrivit fur le mur de la chambre que Luther avoit habitée, cil unc des meilleures épigrammes qui ayent Jamais été faites contre ces faux miracles qu'il ne faut combattre qu'avec l'arme du ridicule, ' Le premier Novembre, Pierre partit de Carlsbad pour Toéplitz : il y apprit que le Comte de Stcinbock faifoit marcher fes troupes de la Poméranie dans le Tays de Mecklenbourg, &: que les Saxons qui l'occupoient avoicnt pris la fuite. Cette nouvelle détermina le Tzar a fc rendre fans délai de Toéplitz 'a Lagc, où fe trouvoit alors le quattier général des Rulfes. A fon arrivée à Lagc, il fut informé que le Général Suédois s'étoit avancé vers Schcvcrin ôc Gadcbufch, dans la réfolution d'attaquer les Danois ôc les Saxons qui précédoient les Ruifcs, éloignés de trois lieues. Le Tzar envoyé trois Couricrs coup fur coup au Roi de Danemarek , pour le prier de l'attendre , ôc pour l'avertir du danger qu'il court, s'il combat les Suédois (ans être fuperieur en forces. Le Roi de Danemarck ne voulut point partager l'honneur d'une victoire qu'il croyoit sûre : il s'avança courre les Suédois, ôc les attaqua pics de Gadcbufch. Stcinbock remporta la victoire avant que les Ruffcs puflent arriver à portée du champ de bataille. Stcinbock ctoit comme tous les autres Généraux de Charles XII, actif ôc intrépide ; mais fa valeur étoit fouillée par la férocité. Il ne retira d'autre fruit de fa victoire, que celui de fe venger fur Altcna du bombardement de Stade, de réduire en cendres cette petite ville finis défenfe, peuplée de Commerçons ôc de Manufacturiers j n'ayant pas pris les armes , elle ne devoit point être fà-crifiée : elle fut entièrement détruite, ÔC fes habitans ne furent pas épargnés. » Stcinbock eût peut-être mieux fervi fon maître »& fa patrie, dit un Suédois, en .allant fe réunir aux Troupes »qui étoient en Poméranie, ôc la défendre avec elles : mais on » afluxe qu'il avoit des ordres du Sénat de Stockholm, d'entrer » dans le Holftcin. Ce n'eft pas la première fottife que le Mi-" niftère des Princes ait fait faire aux Généraux (1) c<. La bataille de Gadcbufch fc donna le 10 Décembre, & le même jour les Troupes Ruffes s'étoient raffemblécs à Crivitz, dans l'intention d'aller fe joindre aux Danois fc aux Saxons * lorlquc le Tzar reçut la nouvelle de leur défaite. Cette fâcheufe nouvelle détermina le Tzar a quitter Crivitz, pour fe retirer avec fes troupes à Guftrof, où il féjourna jufqu'au 19. Le Roi de Danemarck lui fit favoir, par fon Aidc-de-Camp-Général, que l'ennemi entroit dans le Holftcin ; il le prioit de le fecourir dans cette malheureufe conjoncture, fc lui demandoit unc entrevue à Neuftadt. Quoique ce Prince fût la caufe de fon malheur , cependant le Tzar prit la réfolution de fuivre l'ennemi. Il fit partir fon époufe pour Pétersbourg, fc fc rendit à Neuftadt, où le Lieutenant-Général Baur fe trouvoit avec fa Cavalerie. Une chofe étonnante, c'eft que le Roi de Danemarck , qui avoit demandé inftamment unc entrevue au Tzar, manqua au rendez-vous. Pierre alla rejoindre fes Troupes, fc fe rendit a Pampof, pour tenir un confcil de guerre avec les Généraux Danois fc Saxons. Il fut réfolu que fans perdre de tems, les Troupes con- ( 1 ) Le Comte de Saxe, qui a fi bien mérité de la France, ctoit à la bataille de Gadc-bufçh ; il y commandoit un Régiment de Cavalerie que le Roi Augufte lui avoir fait lever l'hiver précédent, quoiqu'il n'eût alors que fciï.c ans i mais dés ITige de douze ans il avoic fait fa première campagne au fiége de Lille en 170S, & en 170*? il s'étoit trouvé a la bataille de Malplaquct. On lui a fouvent entendu dire qu'il n'en avoit jamais vu d'aulli fanglantc que celle de Gadebufch, par l'animolité avec laquelle les deux partis fc, difpu-tèrent la victoire : il y mena trois fois ton Régiment à la charge. Le Roi de Daocmarci commandoit fon Armée en perfonne , & celle des Saxons étoit commandée par le Maréchal de Flemming. On vit encore à cette journée quelle étoit fârïttmU naturelle entre les 5uédo>s & ks Danois, i.cs Officiers de ces deux Nations s'aclurnoknt ks uns contre U* awties, «c tomboient morts percés de coups. fédérées fuivroient l'ennemi. Les Ruifes pafsèrent la rivière de Stoer le 25. Ce fut la qu'on apprit la deftru&ion d'Altena, ôc la marche des Suédois fur Hambourg. Avant de terminer cette Section, nous croyons devoir rapporter une anecdote qui fait honneur au Général Baur, foldat de fortune, dont on ignoroit la patrie. Ce Général étant dans le Holftein avec les Troupes Ruflcs, à la fin de cette année 1712, invita les principaux Ofliciers a dîner, Ôc envoya chercher un Meunier & la femme, qui étoit près de la ville de Hufum. Ce Meunier qui redouroit autant les Ruflcs que fes compatriotes, reçut en tremblant l'invitation du Général ; mais il regarda cette invitation comme un ordre abfolu. Il fe rend au camp avec fon époufe y Baur les accueille Ôc les place à table à côté de lui, en les exhortant k bannir toute cfpècc de gène ou de crainte. Tendant le repas, il interroge le Meunier fur l'état aduel de fa famille, Ôc après que celui-ci l'eut fatisfait fur le nombre de fes enfans, il lui demanda s'il avoit des frères. J'en ai eu un , dit le Meunier, qui s'engagea fort jeune, Ôc dont je n'ai jamais eu de nouvelles, parce que fans doute il a été tué dans quelque bataille. Alors le Général Baur, s'adreflant a l'aflcmbléc, dit : Mefftcurs > vous ave\ toujours été fort curieux de favoir qui je fuis : je fuis né dans le moulin qui appartient à mon frère que vous voyc% ici avec ma fœur. Il dit, fc lcVC de table , fc précipite dans les bras de fon frère ôc de fa foeur, ôc prie la même compagnie à dîner pour le lendemain dans le moulin paternel. Il fit beaucoup de bien a fa famille , «Se fc chargea de l'éducation de fes neveux. Cette fenfibilité pour fes parens toucha le Tzar, Ôc fit le plus grand honneur au Général: cette rcconnoiffancc lui mérita plus de confidération que s'il fut né d'une famille illuftre. HISTOIRE DE RUSSIE. jji Section CXI. 1713. La victoire de Stcinbock, dit Voltaire, fut femblable à celle qui avoit confolé un moment le Roi Augufte, quand dans le cours de fes infortunes, il gagna la bataille de Calish contre les Suédois, vainqueurs de tous côtés. La viéloire de Calish ne fit qu'aggraver les malheurs d'Augufte, ÔC celle de Gadcbufch recula feulement la perte de Stcinbock ôc de fon Armée. Les Ruffes, les Danois, les Saxons le pourfuivirent fi vivement après fa victoire , qu'il fut obligé d'abandonner Fridérichftadt, & d'aller fe renfermer avec fon Armée dans Tonningcn , fortereffe du Holftcin. » Ce Pays étoit alors un des plus dévaftés du Nord, Ôc fon Souverain , un des plus malheureux Princes. C'éroir le propre neveu de Charles XII \ c'étoit pour fon père , beau-frère de ce Monarque, que Charles avoit porté fes armes jufquc dans Copenhague , avant la bataille de Narva: c'étoit pour lui qu'il avoit fait le traité de Travcndal, par lequel les Ducs de Holftcin étoient rentrés dans leurs droits. » Ce Pays cft en partie le berceau des Cimbres & des anciens Normands, qui conquirent la Neuftric en France, l'Angleterre entière, Naplcs ôc Sicile. On ne peut aujourd'hui être moins en état de faire des conquêtes que l'eft cette partie de l'ancienne Chcrfonèfe Cimbriquc : deux petits Duchés la compofent ; Slefvik appartenant au Roi de Danemarck Ôc au Duc en commun; Gottorp,au Duc de Holftcin fcul. Slefvik cft unc Principauté Souveraine, Holftcin cft membre de l'Empire d'Allemagne. » Le Roi de Danemarck Ôc le Duc de Holftcin-Gottorp étoient de la même Maifon ; mais le Duc, neveu de Charles XII ôc fon heri-ner préfomptif, étoit né l'ennemi du Roi de Danemarck qui accabloit fon enfance. Un frère de fon père, Evcque de Lubec, 3jz, HISTOIRE DE RUSSIE. Adminiftrateur des Etats de cet infortimé pupille, fe voyoit entre l'Armée Suédoife qu'il n'omit fecourir , 6c les Armées RulTe, Danoife &; Saxonne qui le menaçoienr. Il falloit pourtant tâcher de fauver les troupes de Charles* XII fans choquer le Roi de Danemarck, devenu maîrre du Pays, dont il épuifoit toute la fubltance. » L'Evêquc adminiftrateur du Holftcin étoit entièrement gouverné par ce fameux Baron de Goert^j le plus délié 6c le plus entreprenant des hommes, d'un efprit vafte &: fécond en reffour-ces, ne trouvant jamais rien de trop hardi, ni de trop difficile, aufti infirmant dans les négociations qu'audacieux dans les projets; fichant plaire, fâchant perfuader, 6c entraînant les cfprits par la chaleur de fon génie , après les avoir gagnés par la douceur de fes paroles. Il eut depuis fur Charles XII le même afeendant qui lui foumettoit l'Evêquc adminiftrateur du Holftcin, 6c fon frit qu'il paya de fa tête l'honneur qu'il eut de gouverner le plus inflexible 6c le plus opiniâtre Souverain qui jamais ait été fur le trône. Goeni s'aboucha fccrcttcmcnt à Hufum avec Stcinbock, 6c lui promit qu'il lui livreroit la forterefle dcTonningcn, fans compromettre l'Evêquc adminiflratcur fon maître; 6c dans le même tems, il fit affurer le Roi de Danemarck qu'on ne la livreroit pas. C'eft ainfi, dit Voltaire, que prcfque toutes les négociations fe conduifent; les affaires d'Etat étant d'un autre ordre que celles des particuliers, 1 honneur des Miniftrcs confiftant uniquement dans le fuccès, 6c 1 honneur des particuliers dans l'obfcrvation de leurs paroles, ~ Steinbock fe préfenta devant Tonningcn; le Commandant de la ville refufe de lui ouvrir les portes : ainfi on met le Roi de Danemarck hors d'état de fc plaindre de l'Evêquc adminiftrateur; mais Gotrtïfah donner un ordic au nom du Duc mineur, de laiffer entrer l'Armée Suédoife dans Toningcn. Le Secrétaire du Cabinet, nommé HISTOIRE DE RUSSIE. ^ nomme Stamhe 3 ligne le nom du Duc de Holftcin : par-la Goerqr ne compromet qu'un enfant qui n'avoit pas encore le droit de donner fes ordres : il fert a la fois le Roi de Suède, auprès duquel il vouloit fe faire valoir, SC l'Evêquc adminiftrateur, qui paroît ne pas confentir a l'admifEon de l'Armée Suédoife. Le Commandant de Tonningcn aifément gagné, livra la ville aux Suédois > Se Goeni 1C juftifia comme il put auprès du Roi de Danemarck, en proteftant que tout avoit été fait malgré lui « (i). Mais revenons au Tzar. Section CXII, Il avoit fon Quartier-Général k Fridéricftadt, petite ville Danoife , fituée à l'endroit où la Trcnn fc jette dans l'Eyder ; te le Roi de Danemarck avoit le ficn a Hufum, à un mille de là* Le 4 Février, Leurs Majeftés curent une entrevue : le Tzar conféra l'Ordre de Saint-André au Roi de Danemarck, qui revêtit le Monarque Rulfc de l'Ordre de l'Eléphant. Ils curent avis que le Maréchal Suédois étoit en marche avec toutes fes troupes fur Tonningcn \ Se comme il y avoit beaucoup de barques près de cette Forterefle, on penfa que l'ennemi pourroit paner inopinément la rivière d'Eydcr : pour l'en empêcher, on fit près de Fridéricftadt un pont fur cette rivière, afin d'avoir unc communication libre avec le bord oppofe , où fe trouvoit alors le Lieutenant-Colonel Schvander, a la tête d'une partie de la Cavalerie Ruifc Se Danoife, pour obfcrver les mouvemens de l'ennemi. Après avoir fait palfer FEydcr a fes troupes, examiné les poftes avancés, Se donné fes ordres au Prince Mentfchikof, le Tzar laiifa le commandement au Roi de Danemarck, Se partit le 14 Février pour fe rendre à Pérersbourg, dans le deflein de faire unc defeente en Finlande, de crainte que les Anglois ne donnaflentdu (O Voyei les M&uoucs Iccrcts de ii^èv/'q, %i Janvier 171* éc fuir. Tome 1U. Y y 3J4 HISTOIRE DE RUSSIE, fecours aux Suédois. En paifant par Hanovre, Pierre vit l'Electeur. Il fut auffi à Satzdalcn chez le Duc Antoine de Brunfwick Wol-fcnbutcl, oii il apprir la mort du Roi de Prufle, Se le 27, il fe rendit à Schocnhaufcn pour y voir le nouveau Roi; il y refta jufqu'au 3 Mais. A fon arrivée à Pétcrsbourg, le Tzar fit taire tous les préparatifs pour la defeente en Finlande. La flotte mit a la voile le 17; mais les vents contraires l'obligèrent à relier à Kronfchclot jufqu'au 2 Mai. Un vent dEfl: furvinr, Pierre en profita, Se vogua vers la Finlande, fuivi de 93 galères, de 60 brigantins Se de yo grands bateaux. Il formoit l'avant-garde, en qualité de Contre-Amiral : le Comte Apraxin commandoit le corps de bataille, comme Général Amiral ; le Prince Galitzin Se le Contre-Amiral Botzis etoient a l'arrière-garde. La defeente fe fit a Elfinford, qui cfl: dans la partie la plus méridionale de cette froide Se ftérile contrée, par le 6i* degré. Cette defeente réuflit malgré toutes les difficultés. On feignit d'attaquer par un endroit : on mit les troupes a terre, Se l'on prit la Ville. Le Tzar s'empara de Borgo, d'Abo, Se fut maître de toute la cote. Il ne paroiifoit pas que les Suédois euffent déformais aucune reflburce ; car c'étoit dans ce tems là même que l'Armée Suédoife, commandée par Stcinbock, fe rendoit prifonnière de guerre. L'Armée de Stcinbock étoit compoféc de onze mille hommes, retirés en partie dans Tonningcn, Se en partie fous fon canon; elle auroir peut-être pu fc fauver, ou du moins réfifter long-rems aux Runes, aux Danois, aux Saxons, qui fc difpofoient à afliéger la Villç, fi les quinze bâtimens Suédois qui apportoient des fecours a Stcinbock n'euflent pas été pris par les Danois, dans l'embouchure de l'Eydcr. Le Tzar convient lui-même que le Maréchal Suédois, quoique privé de fecours, tira plus de mille coups de canon fur les troupe y Y Ai\ !>*\u> 4. - HISTOIRE DE RUSSIE. 3^ <3ui faifoicnt les approches Se fur les ouvrages, Se qu'il fit une fortie avec deux bataillons Se quatre efeadrons de Cavalerie, accompagnes de trois canons dont le feu violent fut dirigé fur le flanc des approches ; après quoi le détachement rentra en bon ordre dans la Ville. La principale raifon qui obligea Stcinbock à rendre, fut la perte de plus de quatre mille Suédois morts de la peilc qui étoit dans Tonningcn. Ce récit du Tzar ne peut être Aifped. Steinbock fe rendit parce qu'il ne lui reftoit d'autre reiTourcc que la mort. Il fut ftipulé que le Maréchal, fes Officiers Se fes Soldats pourroient être rançonnés ou échangés. On fixa, dit Voltaire, la rançon de Steinbock à huit mille écus d'Empire, (40,000 liv.) : c'eft une bien petire fomme; cependant on ne put la trouver, Se Stcinbock refta captif à Copenhague jufqu'a fa mort. Les Etats de Holftcin demeurèrent à la diferétion d'un vain* queur irrité. Le jeune Duc fut l'objet de la vengeance du Roi de Danemarck, pour prix de l'abus que Goen\ avoit fait de fon nom : les malheurs de Charles XII rctomboient fur toute fa famille. Gocrnt voyant fes projets découverts, toujours occupé de jouer un grand rôle dans certe confufion, revint a l'idée qu'il avoit eue d'établir unc neutralité dans les Etats de Suède en Allemagne. Le Roi dcDancmarck étoit prêt d'entrer dansTonningcn. Georges, Electeur de Hanovre, vouloit avoir les Duchés de Brcmen Se de Verdcn, avec la ville de Stade. Le nouveau Roi de Pruftc, Frédéric Guillaume, jettoit les vues fur Stettin. Pierre étoit maître de la Finlande. Tous les Etats de Charles XII, hors la Suède, étoient des dépouilles qu'on cherchoit h partager : comment accorder tant d'intérêts avec une neutralité > Voltaire va nous le dire. Gocrtz négocia en même-tems avec tous les Princes qui avoient Yy ij 3î<* HISTOIRE DE RUSSIE, intérêt à ce partage : il couroit jour & nuit d'une Province a une autre ; il engagea le Gouverneur de Brcmcn Se de Vcrdcn 'a remettre ces Duchés à l'Eleélcur de Hanovre en féqueftrc, afin que les Danois ne les priftent pas pour eux. Il fit tant qu'il obtint du Roi de Pruilc qu'il fc chargeroit, conjointement avec le Holf-tein, du féqueftrc de Stettin Se de Vifmar; moyennant quoi le Roi de Danemarck laiffcroit le Holftcin en paix, Se n'entreroit pas dans Tonningcn. C'étoit affurément un étrange fervice à rendre à Charles XII, que de mettre fes Places entre les mains de ceux qui pourroient les garder a jamais : mais Goert%3 en leur remettant ces Villes comme un otage, les forçoit à la neutralité, du moins pour quelque tems ; il cfpéroit qu'enfuite il pourroit faire déclarer Hanovre & le Brandebourg en faveur de la Suède : il faifoit entrer dans fes vues le Roi de Pologne, dont les Etats ruinés avoienr befoin de la Paix : enfin il vouloit fc rendre néceflaire à tous les Princes. Il difpofoit du bien de Charles XII comme un Tuteur qui facrific unc partie du bien d'un pupille ruiné pour fauver l'autre, Se d'un pupille qui ne peut fiiirc fes affaires par lui-même ; tout cela fans million, fans autre garantie de fa conduite qu'un plein pouvoir d'un Evêquc de Lubcck, qui n'étoit nullement autorifé lui-même par Charles XII. C'étoit unc chofe inouic : cependant Goert^ réuftit d'abord ; il fit un Traité avec le Roi de Prufle, par lequel ce Monarque s'engageoit, en gardant Stettin en féqueftrc, a conferver à Charles XII le refte de la Poméranie. En vertu de ce Traité, Gocrtz fit propofer a Maycrfdd, Gouverneur de la Poméranie, de rendre la Place de Stettin au Roi de Prufle pour le bien de la Paix ; mais les Officiers de Charles Xll rf étoient pas accoutumés d'obéir à de pareils ordres. Mayerfcld répondit qu'on n'entremit dans Stettin que fur fon corps & fur des ruines. U informa fon Maître de cette étrange propofition. Le Courier trouva Charles XII captif à Démirtash, après fon aventure de Bcndcr. On ne favoit alors il Charles ne refteroit pas prifonnier des Turcs toute fa vie, il on ne le reléguerait pas dans quelque Ifle de l'Archipel ou de l'Afie. Charles de fa prifon manda à Maycrfeld ce qu'il avoit mandé à Steinbock, qu'il falloit mourir plutôt que de plier fous fes ennemis, &: lui ordonna d'être auili inflexible que lui-même. Goertz voyant que le Gouverneur de Srcttin dérangeoitfes mefurcs, 6c ne vouloit entendre parler ni de neutralité, ni de féqucftre, fc mit dans la tête non-feulement de faire féqucftrer cette ville de Stettin, mais encore Stralfund ; 6c il trouva le fecret de faire avec le Roi de Pologne, Elcdcur de Saxe, le même traité pour Stralfund, qu'il avoit fait avec l'Elccleur de Brandebourg pour Stettin. 11 voyoit clairement f impuilfancc des Suédois de garder ces Places fans argent 6c fans Armée, pendant que leur Roi étoit captif en Turquie ; 6c il comptoit écarter le fléau de la guerre de tout le Nord, au moyen de ces féqucftrcs. Le Danemarck lui-même fc prêtoit enfin aux négociations de Goertz i il gagna abfolument l'efprit du Prince Mentfchikof, Général 6c favori du Tzar : il lui perfuada qu'on pourroit céder le Holflcin à fon Maître ; il flatta le Tzar de l'idée de percer un canal du Holftcin dans la Mer Baltique, entreprife fi conforme au goût de ce Fondateur, 6c fur-tout d'obtenir unc puiflanec nouvelle , en voulant bien être un des Princes de l'Empire d'Allemagne, 6c en acquérant aux Diètes de Ratisbonnc un droit de fuffrage qui feroit toujours foutenu par le droit des armes. On ne peut ni fe plier en plus de manières, ni prendre plus de formes différentes, ni jouer plus de rôles que fit ce Négociateur volontaire : on a vu des premiers Miniftrcs des grands Etats, comme un Vxenjîiem, un Richelieu, un Alheroni, donner le mouvement a une pairie de l'Europe; mais que le Confeiller-Privé de l'Evêquc de Lubcck en ait fait autant qu'eux fans être avoué de perfonne, c'eft ce que le Lccfcur refuferoit de croire, il ce fiècle n'avoir pas été témoin de ces faits inouis. L'habileté de Goertz fut portée il loin, qu'il engagea le Prince Mentfchikof a ruiner cette même ville de Stettin qu'il vouloit fauvet, à la bombarder, afin de forcer le Commandant Maycr-feld à la remettre en féquellre. Quand le Roi de Prufle vit qu'une Armée Rulfe bombardoit Stettin, il craignit que cette ville ne fût perdue pour lui, ôc ne reliât a la Rufïïc. C'étoit où Goertz Tattcndoit. Le Prince .Mentfchikof manquoit d'argent, il lui fit prêter 400,000 écus pat le Roi de Prufle ; il fit parler enfuite au Gouverneur de la place : lequel aime^-vous le mieux j lui dit-on , ou de voir Stettin en cendres fous la domination de la Rujfie, ou de la confier au Roi de Prujfe qui la rendra au Roi votre Maure ? Le Commandant fc laiifa enfin perfuader 7 il fc rendit; Mentfchikof entra dans la place, ôc moyennant les 400,000 écus, il la remit avec tout le territoire entre les mains du Roi de Pruife, qui pour la forme y laiifa entrer deux bataillons de Holftcin, ôc qui *f a jamais rendu depuis cette partie de la Poméranie. Dès-lors le fécond Roi de Prufle, fucccflcur d'un Roi foiblc ôc prodigue , jetta les fondemens de la grandeur où fon pays parvint dans la fuite par la difeiplinc militaire , ÔC par l'économie. Mais le Baron de Goertz qui fit mouvoir tant de rcflbrts , ne put venir à bout d'obtenir que les Danois pardonnaflent à la Province de Holftcin, ni qu'ils renoneaflent à s'emparer de Tonningcn: il manqua ce qui paroiflbit être fon premier but, mais U réuflit à tout le refte, ôc fur-tout à devenir un perfonnage important dans le Nord , ce qui ctoit en effet là vue principale. Il eft impofliblc de mieux développer tous les rcflbrts de la Politique de Goertz que fa fait Voltaire , Ôc c'eft à lui à qui l'on doit la connoiflàncc parfaite d'un Négociateur qui a joui lia fi prand rôle, 6c qui n'étoit pas aflez connu dans l'Hiftoire. Section CXIII. Tandis que le Tzar fuivoit le cours de fes conquêtes, ôc pcrfe&ionnoit rétabliifemcnt de fa marine, fa flotte menaçoit à la fois toutes les cotes de la Suède , fur les Golfes de Finlande Se de Bothnie. Il étoit à Kronfchelot fur une galère, pour fe rendre k Pétcrsbourg, lorfqu'il apprit la nouvelle du défaille de Steinbock, Se de la reddition de Tonningcn. A fon arrivée à Pétcrsbourg, ce Prince envoya à Rével le Capitaine-Lieutenant Siniavm , pour recevoir cinq vaiffeaux qu il avoit achetés en Angleterre; ils étoient montés par des Officiers Se des matelots Anglois qu'on avoit engagés au fervicc de la Ruilie. Siniavin avoit ordre de les pourvoir d'hommes Se de munitions, Se d'aller au plus vite joindre a Kronfchelot le Vice-Amiral Kn'ui, qui devoit mettre en mer a l'arrivée de ces vaiffeaux, chercher la flotte ennemie, Se faire toutes les tentatives pofïiblcs pour la détruire. Le z Juillet, Bot^is 3 Chef d'Efcadre des galères, envoya un couricr au Tzar pour lui annoncer que la flotte Suédoife, confiftant en neuf vaifleaux, deux frégates Se quatre bâtimens de tranfport, étoit arrivée à Hclfingfors, fous le commandement du Vice-Amiral Li/ic Comme la flotte Ruflc n'étoit pas encore fortic de Kronfchelot, le Tzar s'y rendit le même foir, Se paffa la nuit fur le Pultava. L'Ambaffadeur de Perfc qui étoit arrivé quelques jours auparavant, ôc qui avoit préfenté au Tzar, de la part du Sophi, des lions, un éléphant, ôc d'autres préfens en pierreries, fc rendit auili à Kronfchelot fur unc galère. Le Tzar ne partageoit point le repos qu'il faifoit prendre k fes troupes; il étoit fans ceffe agité de nouveaux foins, ôc fon aélivité l'emportoit par-tout où il croyoit fa préfence utile. Ces fatigues renaiifantes prenoient beaucoup fur fa fanté : il fe pro- pofoit d'aller paffer quelques jours à Kipina-Mifa pour ia rétablir, lorfqu'il reçut de fâcheufes nouvelles de Conftantinople. Pierre Schafirof Ôc Michel Schérémétof, fes Minières Plénipotentiaires à la Porte, lui firent favoir que les Turcs, à la follici-tation du Roi de Suède, alloicnt recommencer la guerre avec la Ruilie, qu'on les avoit renfermés dans le Château des Sept-Tours, Ôc que le Sultan s'étoit rendu à Andrinople à la tête de fes troupes. Le Tzar apprit quelques jours après que les Tatars de Kou-ban, conduits par Nuradln, ôc les Turcs commandés par Enumïr-Adgea Mourfa, ravageoient les frontières de Ruilie ; qu'ils avoient maffacré environ 1600 hommes fur les rives du Don Ôc dans l'Ukraine Circaflicnnc , fait près de iy,ooo prifonniers, enlevé en chevaux &: autre bétail 98,851 pièces & 31 chameaux. A la réception de cette nouvelle, le Tzar donna ordre au Maréchal Schérémétof de marcher contre les Turcs, ôc d'envoyer a Pétersbourg le Général Wtid avec la divifion ôc trois régimens de Cavalerie. En partant de Kronfchelot, Pierre avoit ordonné au Vice-Amiral Krcitz, de profiter du premier vent favorable pour mettre en mer avec la flotte. Le Vice-Amiral, voguant avec fon efeadre à la hauteur de Rével, apperçut trois vaiffeaux ennemis qu'il poUrfuîvk jufqu'a Helfingfors. Mais fon vailfcau, nommé &4fK, Ôc le /'<'%, commandé par le Capitaine Schtl-mg, échouèrent contre un rocher. Le premier vailfcau s'en détacha avec beaucoup de peine j le fécond qui faifoit eau de toute part, fut brûlé fur la place. Ce naufrage donna le temps aux trois vaiffeaux ennemis de gagner Helfingfors, & de fe joindre à la flotte du Vice-Amiral Lilie. wLorfc]uc la campagne fut achevée, dit le Tzar, on fit te >► procès au Vice-Amiral Krcitz, aux trois Capitaines Schclt'mg, HISTOIRE DE RUSSIE. 361 *iReh & Deigreiter, qui etoient rcfponfables de ce malheur, &; " qui en furent punis «. Il y avoit fans doute plus que du malheur dans la conduite du Vice-Amiral ôc des trois Capitaines qui furent jugés dans un Confcil de guerre : le Vice-Amiral fut aceufé de n'avoir pas attaqué l'efcadrc Suédoife fuivant les ordres exprès qu'il en avoit ; il fut trouvé coupable ôc condamné a mort. Krcitz eut l'audace d'appcller de cette fentenec au Tribunal des Nations éclairées de l'Europe, ôc de prétendre qu'aucune d'elles ne le jugeroit avec la même rigueur. Cet appel frappa le Tzar, fouverainement jufte. Pcrfuadé que le glaive de la juftice n'a pas été placé dans la main des Princes pour venger des haines particulières, ni même pour fuivre les mouvemens de l'indignation publique, il dit : » Puifquc Krcitz réclame la loi, ôc que c'eft à la loi feule qu'il "appartient d'immoler des victimes, je veux que l'on envoie " des copies de la procédure ôc du jugement qui le conecr-«nent, aux Puiflanccs Maritimes, ôc particulièrement aux Etats-« Généraux Ses ordres furent,exécutés, ôc tous convinrent que la fentenec de mort étoit jufte : Krcitz alors implora fa grâce. Pierre qui connoilToit le prix de tout, ôc fur-tout celui de l'homme à talcns, fc laiifa fléchir; il commua la peine capitale en exil perpétuel a Olonctz. Réfiéchiflant enfuite à la nullité qui réfultcroit de cet exil pour l'intérêt public , il changea de réiolution ôc rappclla Krcitz à Pétcrsbourg, le jour même qu'il en étoit parti pour fe rendre à Olonctz, ôc le nomma Coirtmiflaire de l'Amirauté , mais il ne l'employa jamais fur mer. Quelle fcène inréreifante I Un fouverain abfolu cft pris i partie par un coupable, 6c il lui pardonne lorfqu'il peut venger unc défection qui attaque fa perfonne dans un endroit infiniment fcnfiblc , ôc ics intérêts de la Nation dans le nouveau genre de Puiffancc qu'elle s'eft aequife par fes Efcadrcs, devenues un des Tome llï. - Z z leviers du Nord, 6c au moment de former un nouvel équilibre, en portant la terreur chez fes voifins, Si dictant des Loix à la Suède 6c a la Pologne : cL c'eft un Defpote qui donne cet exemple d'humanité a l'Europe! Mais fuivons-lc au milieu des ccueils qu'il va franchir, en lé rendant de Pétersbourg à Helfingfors. Section CXI V. La flotte Ruflc fc trouvoit a ht "mgfors le 6 Août, 6c le Tzar s'embarqua. Dans cette frayer fée, une vioU ntc tempête s'éleva par un vent de Sud Oucll, 'ors même que ce 1 rince fe trouvoit dans le paflage le plus étroit, entre de petites Kl/s de rochers : la prç-fenee d'efpiït le fanva du péril imminent; il jetta l'ancre fi a propos, que le f nau Munksrs fur lequel il étoit monté, ne fut ni emporté, ni fracafl- contre les ccueils. Le premier fon du Contre-Amiral an imite, a fon arrivée a Helfingfors, fut d'examiner les ouvrages de la Place, Se de faire combler trois embouchures du Porr par lefquelles on pouvoit taire fortir des vai fléaux. 11 apprit que l'ennemi fe trouvoit avec toutes fes forces ptès de la ri\ ici c de Katislansbre, entre Abo 6c Helfingfors i 6c il alla a fa rencontre. Lavant-garde des Ruflcs remporta un léger avantage fur les Suédois, qui rompirent le pont, évitèrent une action générale, fc replièrent fur Tvermund , èc di(parurent. Le Tzar laiifa le commandement de fes troupes au Comte Apraxin. Avant fon départ pour Pétcrsbourg, les Généraux 6c les Officiers le prièrent de vouloir bien accepter le rang de Général en chef, en eo n lîdé rat ion de tout ce qu'il avoit fait dans la guerre précédente ôc dans celle de 1713. Le Tzar accepta ce grade , ÔC reçut les félicitations de tous les Ofliciers. Tous les Ordres de l'Etat le félicitèrent de même a fon arrivée a Pétcrsbourg. Il y eut grand gala a la Cour ; 6c la converfation in té reliante a laquelle il donna lieu , doit trouver une place diilinguéc dans l'Hiitouc ; nous allons la rapporter mot pour mot. HISTOIRE DE RUSSIE. 365 Section CXV. Pierre, maître abfolu par-tout, n'oublioit qu'a table qu'il étoit Dcfpotc : il permettoit a ceux qui avoicnt l'honneur de manger avec lui, de parler avec liberté. Dans le feftin dont il s'agit, la converfation tomba fur les affaires qu'Alexis Mikaélovitz avoit eues a démêler avec la Pologne, ÔC fur les obftaclcs que le Patriarche Nikon lui avoit oppofes. Le Comte LUijfin-Pouckkïn fc permit la critique des actions d'Alexis : il ofa dire que fi ce Prince avoir fair de grandes chofes, il en étoit redevable a Morozof ôc à d'autres Miniftrcs qui avoicnt plus contribué a fh gloire que lui-même; ôc il ajouta que le Règne de Pierre I étoit infiniment plus glorieux que celui de fon Père. Le Tzar, attentif a cette converfation, ne peut la foutenir plus long-tems : il fe lève brufqucmcnt de table , lance un regard d'indignation fur Pouch-kin , ôc lui adrefle ces paroles : U blâme que tu jettes furie règne de mon Père, & l'éloge que tu jais du mien, m'offenfent également.... Il dit, Ôc fut s'appuyer fur le dos de la chaife du Prince Jakof Loukititz Dolgorouki, Ôc lui tint ce difeours : «Tu me grondes fouvent, » ôc quelquefois de manière a pouffer ma patience a bout ; mais »> en réftéchiifant à ce que tu me dis, je trouve que tu as raifon, ») que tu aimes véritablement ton Maître Ôc ta Patrie , ôc je t'en » remercie intérieurement. Dis-moi donc aujourd'hui, homme » vrai ÔC jufte, ce que tu penfes des actions de mon Père ôc des >j miennes m ? Dolgorouki lui répondit: l'as t'affeoïr & j'y penferau Dès que le Tzar eut repris fa place , Dolgorouki , félon fa coutume, frotta long-tcms fes mouftaches, Ôc parla ainfi. »Ta queftion, T/ar, M cmbraffc un trop grand nombre d'objets, pour que je puiffe la " ré foudre en deux mots : allons donc pied à pied. Ton père u mérite plus d'éloges ôc de remerciemens que toi, a plus d'un Z z ij >5 égard ; mais à beaucoup d'autres tu remportes fur lui, ôc je «m'explique. Du côté de la juftice, Alexis Mikaelovitz cft plus « grand que toi : il eft vrai qu'il avoit tout le tems qui t'a niants que jufqu'ici, pour bien remplir ce premier devoir d'un Sou-« verain ; Ôc je préfume que fi tu t'en occupes avec le même » zèle que lui, ta gloire furpalfera peut-être la fienne en ce point. » Il cft tems d'y penfer, Tzar, je t'en averris. Quant au Militaire, m tu n'ignores pas que c'eft ton père qui t'a frayé la route, ôc qui »a procuré un grand bien a la Nation indifciplinéc, en intro-» duifant les Troupes régulières en Ruftie. Mais par malheur, »dcs aveugles ou des infenfés ont détruit, après fa mort, un fi » fige établilfemcnt ; de forte qu'en montant fur le trône, tu as » été obligé de travailler fans relâche au rétabliifemcnt de l'ordre »» ôc de la difeiplinc : malgré cela, plus j'y penfe, plus aufti je fuis » embarrafle de dire auquel des deux on doit donner la préfé-» renec. Il tant donc attendre ôc voir ce que tu feras après la u conclufion de la paix avec la Suède. En attendant, Tzar, » je crois pouvoir te dire fans ftatterie que ta gloire furpafle » déjà celle de tes ancêtres en un point, ôc le voici. Tu as créé »> unc marine Militaire Ôc Marchande; tu deviens l'arbitre du « Nord , ôc tu fixes l'attention de l'Europe ; les alliances que tu as » contractées avec les Cours Etrangères, font honorables ôc avants tageufes a la Ruflic , &: nous te devons la eonnoiflanec des » Sciences ôc des Arts.... Voila mon fentiment, Ôc je ne crains » pas d'être contredit. »>Jc réponds à préfent a MouJJîn Pouchkin : \\ prétend que il «les Miniftrcs tels que Morozof ôc d'autres, font gens d'efprit, ,5 toutes les adions des Princes font dirigées par l'efprit, ôc que s'ils » font imprudens, toutes les-actions des Princes font inconfidé-» rées : je ne fuis pas de fon avis, ôc je foutiens que fa fuppofition * ne peut avoir lieu que fous un Prince foible, pareflèux , igno- » rant, qui a des yeux ôc qui ne voit pas. Le bon fens cft, félon «moi, bien plus néceflaire a un Prince que Pefprit. La fageffe w inféparablc d'un fens droit, lui fait difeerner le bien & le mal "qu'on lui propofe de faire; il fuit les bons confeils Ôc rejette les » mauvais. La connoiifance des hommes lui aide à choifir des » Miniftrcs félon fon coeur ; ôc quand il les a trouvés, il fe les » attache par tous les moyens propres a les maintenir dans leur » intégrirc «. Ccrre converfation , unique en fon genre, toucha le Tzar jufqu'aux larmes : il fc leva avec tranfporr, ferra Dolgorouki dans fes bras, ÔC lui dit : Bon & fidèle fujet! tu es encore au-deffous , mais je te mettrai au-deffus de plufieurs, La franchi fe Ôc la droirure du Prince Dolgorouki déplurent beaucoup au Prince Mentfchikof, ôc au plus grand nombre des Courtifans; cela devoit être : ils cherchèrent à noircir ce Prince verrueux ôc courageux dans l'efprit du Tzar ; mais ils furent envieux ôc méchans en pure perte ; Pierre impofa filcncc a la calomnie , ôc fa confiance envers Dolgorouki devint fi grande , que dès-lors il ne ligna rien au Sénat, qu'après avoir vu la fignaturc de ce Prince. Il étoit digne de cette confiance, car il empêcha fouvent le Monarque d'être trompé. C'eft ce même Dolgorouki qui, quelque tems auparavant, avoit eu la généreufe hardiefle de déchirer, en plein Sénat, un Oukaz que venoit de figner le Tzar, lorfque fon Armée manquant de vivres, il avoit réfolu d'en faire venir de l'Etranger à grands frais : « Ton ♦> Armée , dit-il au Tzar , périra de famine avant l'arrivée des « fecours que tu te propofes de tirer de fi loin : fufpcns pour " quelque tems la bâtifle de Pétersbourg , renvoyons dans les «différentes Provinces de l'Empire la multitude des domeftiques « inutiles, ouvrons tous nos greniers, ne gardons que les grains »> nécellaircs, envoyons le furplus a l'Armée \ elle aura des vivres 5<$ M I S T O I; R E ■ D E R U S S I E. » en abc/; ùnec , fnns avoir occafionné la difette dans les Tro-« viaecs «. Le Tzar approuva ce confcil, 6c l'Armée fut fccouru$ à teins. Le Prince polgorouki nous fournira encore unc anecdote qui excitera â la fois Pétonncmcnt 6c l'admiration du Lcdcur: nous la rapporterons en fon lieu. Section CXVI. L'Oracle du Tzar étoit accompli : les Ruifcs avoient appris pat leurs défaites mêmes, a triompher de leurs vainqueurs; mais ils ignoroient encore le prix des lumières 6c les avantages de la çivilifation. Tandis que Pierre fixoit fur lui les fcgards de l'Europe , 6c prenoit dans le Nord l'afccndant que Charles XII y avoit perdu ; la Nobleife Rulfc qui recucilloit le fruit des veilles, des travaux , des victoires-, des conquêtes d'un Prince créateur , ne fin foit d'efforts que pour croifer fes vues patriotiques. On auroit peine aie croire, fi le Tzar n'en avoit conligne la preuve dans fon Journal, ta Les Sénateurs, dit-il, après avoir réitéré envahi la pu* »3 blication de notre Ordonnance de 1711 , fc rendirent de Moskou » â Pétersbourg , pour nous repréfentet qu'ils ne pouvoient venir m a bout de raSfembler 6c d inferire les jeunes Gentilshommes « qui s'étoient retirés dans les campagnes pour éviter de fervir * dans nos troupes. Cette défobéiifancc, 6c cette défection aux m fentimens de l'honneur, furent caufe que le 26 Septembre, on » publia une nouvelle ordonnance qui obligeoit tous les Gentils* W hommes , 6c leurs enfans depuis Page de 10 ans julqu'à 50 , de » fe préfenter l'hiver prochain â un Membre du Sénat établi pour n en (aire le dénombrement, fous peine de confifeation de toiiS u les biens meubles Se immeubles envers tous ceux qui cnfrcin-isdrp'tcnt cette loi, en ne fe rendant pas au lieu defigné , avant » le m de Mars 17144e L'Oukaz adjugeoit la confiication çlci hjens ui dénonciateur, fùt*il même l'cfclave de celui qui auroit detobii à h loi. Cette loi de rigueur étoit néceflaire : le Noble qui rcfùfe de f-vvii- fon Roi Se fa.patrie , a renoncé aux prérogatives de fon Eang, Pierre connoiflbit. les hommes; le fentiment de l'honneur éroit devenu impuiflant fur la plupart desRiuTes d'alors ; l'intérêt 1 . .■.îporroit fr.r l'honneur : le. Légiflaîcur éclairé doit punir par l'endroit fenfïblé; eonféquemment la loi de la connfeation des biens étoit jufic (1). Section CXVII. Tandis que la Nobleife Rittfc renonçoit au glorieux privilège de ferviï le Souverain Se la TatriC, le Clergé abulbit du pouvoir de vie Se de mort que les Tzars lui avoient accordé. L'Anglois Henri-Thomas Bruce rapporte un fait qui le prouve, Se dont il a été témoin. » Cet événement, dit il, arrivé en 1713 , prouve que « le Clergé Ruifc avoit a,-peu près les mêmes principes 6e la.mêmc «puiffancc que les inquifitions d'Efpagne & d'Italie. Le Tzar « avoit envoyé un jeune Ruflc a Lcyde pour y étudier la Mé->j decinc. Après y avoir fait des progrès & pris le Doctorat, il >î revint en Ruilie. Se trouvant un jour dans une partie de piaille »» avec fes amis, ceux-ci voulurent favoir fa façon de penfer a (1) Il a plu a M, Lcvcfquc d'appcller cettç Loi dure &c peu avantagtafe; & voici U raifon décifivc qui! en donne. » À quoi bon Forcer 3e lâcher; Gentilshommes à venir s» trcmlder à fa tête des foldats ? La F.mic vem des fa iîfl es volontaires. Celui qui h ktdc lui être utile f cft indigne de la fervir «. Pdige j i ?■ Ces principes font excellent pour former des poltrons &: des «j^oiftes, qui refufent de payer à la Parie les fecours qu'elle a dioit d'exiger d'eux : ce font précifémciu ces hommes dégradés que Pierre-le-Grand vouloit régénérer, eu les rendant utiles à l'Etat & à eux - imme-;. Il fuit des principes lumineux de M. Lcvcfquc, que, loin d'exuter l'émuUiou & le courage !.!•■■. les hommes pufdlanimcs, il faut les tailler végéter dans l'apathie. Mais ne feroit-cc pas une conduite bien repréncnltbie que celle d"un Inmtuteut gui abanctbnneroic fes élevée à cui-rôcmcs, fous prétexte qu'ils font parelTcux, & qu'ils ont le caractère rebours? + }6% HISTOIRE DE RUSSIE. » regard de la Religion. Le jeune Médecin, échauffe par la borne «chère ôc le vin, leur dit imprudemment que les nouvelles » lumières qu'il avoit acquifes dans les pays étrangers , lui avoient « fait beaucoup perdre du refpect que fa Nation portoit aux » images des Saints i ôc , pour le prouver, il en arracha unc de «la muraille, ôc la jetta au feu. Le Clergé , très-irrité de cette »>acTion> le fit brûler vif, après lui avoir fait fouffrir les plus »> cruels tourmens. Le Tzar qui defiroit depuis long-tcms d'abaif-» fer le Clergé, profita de cette occafion pour lui ôrcr le pou-«voir de vie ôc de mort, dont il avoit joui jufqu'alors. Peu » après, ce Prince fupprima la dignité Patriarchaîc«. Section CXVIII. On a vu , ( Section C X 11, ) comment le Maréchal Prince Mentfchikof fe rendit maître de Stettin, remit cette ville en féqucilrc au Roi de Prufle, ôc conclut un traité a ce fujet. On y avoit inféré unc claufe par laquelle le Tzar s'engageoit a le ratifier. Les Miniftrcs des Rois de Danemarck ôc de Pologne n'avoient eu aucune part à ce traité, ôc leurs Souverains en témoignèrent leur mécontentement. Ils repréfenrèrent i°. que cet accord s'étoit fait fans leur participation. Qu'on avoit lai fié à Stettin les deux bataillons Suédois qui étoient entrés au fervicc du Holftcin, ôc que fuivant le traité, on devoit mettre auili en féqucilrc Stralfund , Wiimar, ôc fine de Poigcn. 30. Que la maifon de Holftcin, ennemie déclarée du Roi de Danemarck , avoit eu part a ce traité, ôc que depuis le fequeftre de Stettin en faveur du Roi de Prufic, on avoit découvert le 11 Juin , que ce Prince avoit fait un traité particulier avec la maifon de Holftcin, qui contenoit plufieurs articles contraires h l'alliance du Nord, ôc principalement aux intérêts du Roi de Danemarck. Les deux Souverains léfés écrivi* Knr au Tzar pour lui demander le rcdreffcmciu de ces griefs. Pierre Pierre eut égard a ces juftes réclamations: il fit tous fes efforts pour obtenir du Roi de Pruffe l'abrogation des articles du traité fuit entre ce Prince 6c la Maifon de Holftcin, 6c il infifta particulièrement fur ceux qui étoient contraires a l'alliance du Nord, & défavanta^eux au Roi de Danemarck : il affuroit le Roi de Prufle qu'il ratificroit le féqucflre de Stettin , s'il vouloit renoncer aux articles litigieux, 6c le déclarer par écrit ; il obfervoit que les for-tereffes de Poméranie, Wifmar, Stralfund 6c llilcdeRugcn, qu'on avoit promis de lui remettre également en fequeftre, devoient être exceptées, vu que par le traité préalable entre les alliés du Nord, ces fortcrcffcs appartenoient aux Rois de Danemarck 6c de Pologne, 6c que c'étoit à eux fculs de les remettre en féqueftrc à celui des Princes de l'Empire qu'ils jugeroient a propos. Le 10 Novembre , le Tzar envoya unc ratification de ce traité conditionnel au Comte Alexandre Golovin, fon Miniftrc Plénipotentiaire à Berlin. Le Roi de Pruffe éluda la rarificarion de ce traité, 6c fc contenta d'envoyer au Tzar unc afluranec flgnéc de fa main, de ne prendre a l'avenir avec la Maifon de Holftcin, aucuns engagemens contraires aux intérèrs de la Ruflic 6c de fes alliés. Le Tzar , mécontent de cette afluranec vague, ne ratifia point alors le traité de Stettin. Ce ne fut que le premier Juin 1714, qu'il conclut avec Sa Majcfté Pruflicnnc un Traité de garantie, par lequel il s'obligea , lorfqu'il feroit la paix avec la Suède, de conferver au Roi de Pruffe la ville de Stettin avec fon Diftrict. De fon coté , le Roi de Pologne s'obligea de garantir au Tzar l'Ingrie , la Carélie , avec les villes de Vibourg , de Narva , la Province d'Eftonic 6c la ville de Rével ; c'cft>a-dirc, les conquêtes faites fur les Suédois. En conféquence de cette garantie, le Tzar ordonna de faire un port à Rével. Antoine Dcvierc , ion Aidc-de-C amp-Gcnéral, reçut l'ordre de s'y rendre, de faire préparer pendant l'hiver les Tome III* Aaa bois ôc les pierres par les habitans de l'Eftonic, ôc de diftribuer ces travaux en raifon des arpens de terre que pofféderoit chaque famille, Section CXIX. Pierre étoit grand fans orgueil, ôc fon goût pour la fimplicité lui infpiroit du mépris pour les vaincs grandeurs. Ses délaftemcns confilloienr a changer de travail, ou à prendre quelquefois des repas chez ceux qu'il aimoit. Un jour qu'il rendoit vifitc a un Suédois qui avoit été Réfidcnt à fa Cour, fon traîneau fut accroché par un autre dans lequel étoient huit voleurs. 11 n'étoit accompagné que de deux domciliques ; l'un a cheval étoit en avant, ôc l'autre derrière lui. Ce Prince qui avoit autant de force phyfi-que que de force morale, fiufit un des voleurs par les cheveux, farrachc du traîneau, continue la marche , & le conduit chez le Relaient. Lorfque le voleur reconnut le Tzar, il le fupplia de le faire mourir fans fourfrir la qucllion. Le Tzar lui promit la vie ôc unc récompenfe s'il déclaroit fes complices : il jura de les déclarer, ôc on l'envoya avec un détachement au repaire où fc cachoit une troupe de brigands. Dès qu'ils entendirent la voix de leur camarade , ils ouvrirenr la porte. On les iailit, ôc ils furent tous exécutés, a l'exception du délateur. Ce n'étoit pas la première fois que le Céfar Ruflc avoit été attaqué par des brigands. Quelque tems avant cette époque, des voleurs fe préfentèrent a lui fur la route de Moskou a Novogorod, ôc il n'étoit accompagné que de quatre domciliques. A leur approche, il faute de fon traîneau, tenant fon épéc d'une main ôc un piltolct armé de l'autre, ÔC leur dit : Je fuis le T\arâ & que me demande^-yous? Ils répondirent, tant mieux: nous fommcs réduits a une misère extrême , ôc perfonne n'eft plus en état que toi de nous foulager... Mai< je n'ai point d'argent fur moi, reprit le Tzar J ils répliquèrent: Quand tu en aurois, nous ne le prendrions pas, tu en as befoin pour ta route ; nous te prions feulement de nous donner un ordre par écrit, pour en toucher fur le Gouverneur de Novogorod. Le Tzar tire fon crayon , ôc écrit au Gouverneur de leur payer a vue mille roubles : un d'entr'eux s'avance pour prendre cet ordre, Se va en diligence chercher la fomme. Lorfqu'il l'eut apportée, les voleurs obligèrent le Tzar de retourner à Tver, ÔC de leur promettre qu'il ne leur feroit fait aucun mal. Nous terminerons les évènemens de cette année 1713, par une anecdote qui fait l'éloge de la vertu d'un fexe digne de nous fervir de modèle à plus d'un égard. On a vu, page 114 , Scérion III, que Pierre aimoit les femmes, ôc que les liens du mariage ne le retenoient pas affez : Henri-Thomas Bruce va nous en donner unc nouvelle preuve. » Le Tzar dînant chez un marchand étranger, devint épris de fa fille qui étoit unc beauté. Le Tzar lui fit les propositions les plus propres a l'engager d'abandonner fon époux pour vivre avec lui. Fidèle à la foi qu'elle avoit jurée, elle réfifta aux offres féduifantes du Tzar. Mais craignant les fuites de la paillon de ce Prince, elle prit quclqu'argcnt, Se difparut dès le foir même, fans en avertir perfonne de fa famille. Elle fe réfugia dans un hameau qu'habitoit fa nourrice , femme dïui bûcheron. Elle le pria de la conduire dans la forêt où il travailloit, ôc où elle fe fit conftruire unc hute. Sa nourrice lui apportoit chaque jour les vivres qui lui étoient néceffaircs. Dès le lendemain de cette évafion, le Tzar retourna dans la maifon du Marchand, ôc demanda a voir fa fille. Le Marchand lui répondit en tremblant, qu'on ne fwoit pas ce qu'elle étoit devenue. Ce Prince, irrité d'une réponfe qu'il ne regardoit que comme unc défaite, fît faire des recherches exactes chez tous les parens de la belle émigréc, qui p rote fièrent unanimement d'ignorer ce qu elle etoit devenue. Un an s'écoula avant qu'on en eut des nouvelles, Ôc on la croyoit morte par quclqu'accidenr, lorfqu'uu A a a ij Colonel la découvrit , en chalîant dans la forêt où étoit fa cabane. Elle chcrchoit a s'éloigner lorfqu'il l'atteignit : » Raifurcz-vous, lui dit-il, en l'abordant ; vous n'avez rien a craindre, ni du Tzar, ni de moi. On vous croit morte , &: le Tzar a formé unc autre inclination «. Il lui propofa de la ramener chez fes parens, dont elle feroit le bonheur; elle accepta cette propofition. Le Colonel, perfuadé que cette aventure pourroit contribuer a fa fortune, dévoila ce fecret à Carhcrinc, 6c cette Princcife introduifit elle-même cet Officier chez le Tzar. Il lui fit le détail de tout ce que cette femme vertueufe avoit fouffert depuis fon évalion. Le Tzar y parut fcnfiblc, 6c dit qu'il vouloit réparer tous fes torts envers elle. Son époux étoit mort de chagrin pendant fon abfcncc : Catherine propofa de la marier au Colonel j le Tzar approuva cet hymen, fit des préfens convenables aux deux époux, ôc affura unc pcnfion de 5000 roubles a la dame èv a fa famille** . Section CXX, i7r4. Tandis que Charles XII lailfoit démembrer lés Etats, le Tzaf ctoit dans les ficus comme un bon père de famille dans fon patrimoine, attentif à toutes les parties d'économie, à tous les objets de l\idminini(tration publique, a tout ce qui pouvoit aflùrcr ou 'augmenter la puilfance, les avantages 6c la gloire de fes Sujets. On le voyoit prendre a fon gré une multitude de formes différentes. On la vu être a-la-fois ion Général , Ion C"onlèil , fbu Miniftrc-, ordonner, faire exécuter fes ordres, Se fouvent exécuter lui-même : dans les Chantiers de Marine, 1 Ordonnateur ÔC l'inipcélcur auguilc en étoit le premier Charpentier : il faifoit conflruirc un grand nombre de vailfcaux, 6c \\ eu achetoit des ruiffanecs étrangères. Dans le mois d'Avril de cette année, YJrondet, YOrmont Ôc la Fortune, de fo canons chacun, achetés en Angleterre, arrivèrent hcureufenient a Rével. A Pétersbourg, ce Prince étoit Architecte ôc Ingénieur : il faifoit embellit cette Ville &: fortifier les ouvrages deftinés a la défendre. Tins de quarante mille Ruffcs ôc un grand nombre de prifonniers Suédois etoient continuellement employés a ces travaux. Il ne manquoit à la gloire de ce Héros créateur &c réformateur des anciens abus, que celle d'un Législateur; il rravailla à la mériter. Il appclla au Tribunal de l'équité, le mérite, les talcns, les ferviecs de fes Officiers, pour les récompenfer avec munificence ; ôc il punit avec éclat ceux qui s'étoient conduits avec négligence ou avec mauvaife foi dans le fervice militaire : nous en avons rapporte les preuves. L'intérêt ôc l'honneur de la Religion fixèrent attentivement fes regards : il détruilit les pratiques fupcrfti tien fes qui déshonoroient le culte divin, régla tout pour prévenir les divifions des Miniftrcs de ce culte. 11 abolit le titre de Patriarche que le fanatifmc avoit trop élevé, ôc que la crédulité des peuples avoit rendu redoutable fous dcsTontifes intrigans ou fanatiques: il rendit au Tronc le droit de préfider fouverainement fur le temporel ôc fur la difeiplinc du Clergé Ruffc. C'étoit en fe multipliant ainfi, que IcTzar vint a bout de faire citpeu de tems, dans fon Empire, des changemens fi avantageux ôc fi étonnans, pendant que Charles Xll laiftbit dépérir un Royaume qui fembloit fait pour figurer* avec fplcndcur dans l'Europe, ôc jouer le premier rôle parmi les Puiiïanees du Nord. La raifon de ce contrafte cft palpable. Charles ctoit un Héros de la gloire, ÔC Pierre un Héros de l'amour du devoir. Section CXX I. La Suède étoit dans unc cfpèce d'anarchie, en proie à la vengeance de fes ennemis. On ignoroit à Stockholm le tort du Roi en Turquie, 6e on n'elpéroit plus qu'il revînt dans fes Etats. On avoit réfolu en conféqucncc de faire la paix fans fa participation,' ôc d établir un Gouvernement Républicain, tel qu on Ta vu établi après la mort de Charles XII. La PrincciTc Eléonorc, la plus proche héritière du Trône , avoit été déclarée Régente par le Sénat. Le Gouverneur d'Abo remit au Prince Galitzin unc lettre au Tzar, de la part de la Régente ôc du Sénat, qui prioient ce Monarque de donner un fauf-conduit au Major Suédois Snohk^ qifon vouloit envoyer a Pétcrsbourg pour traiter une affaire imposante : c'étoit pour y traiter de la Paix. Le Tzar accorda le fauf-conduit ; mais l'Officier ne vint point, ôc le Tzar ne fut que long-tcms après les raifons qui avoicnt empêché l'exécution de ce projet pacifique. La Régenre «Se le Sénat avoient convoqué unc Diète pour cet objet; mais lorfqu'ils apprirent que Charles XII ctoit au moment de revenir en Suède, ce projet rcila enfeveli dans un profond filcncc ; ôc pour donner le change a cet égard, on donna pour raifon de la convocation de la Diète, la néccflité abfoluc de s'aifcmblcr ôc de délibérer fur le parti a prendre, dans l'abfcncc du Roi, pour pallier les maux d'un Etat épuifé d'hommes ÔC d'argent. Le Sénat fut inftruit a tems qu'Akmct, craignant que les fecours qu'il donneroit a Charles XII n'attiràflcnt contre lui la colère ôc les armes du Tzar, du Roi de Pologne ôc de l'Empereur d'Allemagne, faifoit furvcillcr les démarches du Roi de Suède par le Kan des Tatars; ôc dans le même tems qu'il ordonna au Miniilre de Suède de fe retirer a Démcrdefeh auprès de fon Maître, pour prévenir de nouvelles intrigues, il défendit, fous peine de mort, aux Turcs ôc aux Tatars de paffer le Dnieftcr avec des armes. Le parti vigoureux qu Akmct avoit pris contre Charles ÔC fon Miniftrc, annoncent le rcrour prochain de ce Prince en Suède. Section CXXII. L'Empereur d'Allemagne, qui vouloit éloigner la guerre de fes Etats, avoit indiqué des conférences à Brunfwick, fous fa médiation : il avoit invité toutes les Pui(Tances du Nord a s'y rendre pour traiter de la Paix. Charles rcfufa fa médiation, ôc Ton opiniâtreté rendit le Congrès fans effet. Il reftoit aux Suédois une Armée navale , avec laquelle ils tenoient la mer depuis que le Prince Galitzin s'étoit emparé de Tavafthus : c'étoit un pofte qui couvroit la Bothnie. "Quelques Régimens Suédois, avec huit mille hommes de Milice, le défendoienr. Il fallut livrer une bataille : les Ruffcs la gagnèrent entièrement; ils diilïpèrent toute l'Armée Suédoife, ôc pénétrèrent jufqu'a Vaza; de forte qu'ils furent les maîtres de 80 lieues de pays «. Pierre ambitionnoit depuis long-tems de fignalcr la Marine qu'il avoit créé : il ne pouvoit obtenir la Paix de Charles XII qu'en continuant la guerre; il hâta les préparatifs néceflaircs pour combattre l'Armée navale. Ils confiftoient en feize vaifteaux de ligne ôc 180 galères. De leur coté, les Suédois firent de nouveaux efforts pour arrêter les conquêtes de leurs ennemis; ils mirent en mer unc Efcadre fous les ordres du Vice-Amiral Erenfchlld, Le Tzar leur oppofa . unc Flortc, dont l'Amiral Apraxin eut le commandement : il fit voile avec les galères vcis la Finlande, à la hauteur d'Abo, tandis que le Tzar commandoit les vaiffeaux de ligne qui fc rendoient à Rével. Après avoir établi entre les deux Flottes des moyens de corrcfpondancc, le Tzar fe met en mer, cherche l'Efcadrc Suédoife, ôc la découvre a la hauteur dAngout. Les deux partis, a-peu-près égaux en force, défiroient le combat avec le même empreflement : la bravoure eft unc qualité propre aux Suédois. Ercnfchild s'avance avec une frégate pour obfcrvcr les manœuvres ÔC la force de la Flotte ennemie ; il attaque l'avant-garde que le Tzar commandoit. L'aclion fut très-vive ôc dura deux heures. Pierre fit tour-a-tour les fondions de Soldat, de Matelot, de Pilote & de Général. Son activité fixa la victoire en fa faveur, malgré les prodiges de valeur ôc les favantes manoeuvres des Sué-dois. Prefque toute leur Efcadre fut prifonnière, ôc conduite dans le Port d'Abo. La défaite d'Erenfchild fut occafïonncc par fes vaifteaux de ligne mêmes, plus propres à combattre en pleine mer qu'à travers des rochers : ce fut aufïï a fes galères que le Tzar dut le fuccès de cette journée mémorable. Les débris de la flotte Suédoife fc retirèrent à Stockholm, ÔC les Ruffcs débarquèrent, au nombre de 16,000, dans Pille d'A-land, éloignée de douze licucs de cette Capitale; ils s'emparèrent, finis beaucoup de peine, des principales places : cette Victoire date du 27 Juillet. Le 29 le Colonel Schouvalof afliégea la forterefle de Ncyllot, élevée fur un rocher en Finlande ; clic fut défendue par un petit nombre de Héros qui ne pouvant être fecourus, furent obligés de fe rendre. La nouvelle de cette victoire ôc de fes fuites, jetta l'alarme dans Stockholm. On affcmble des Milices , on rappelle les meilleures troupes dans la Capitale, pour s'oppofer aux armes vicloricufcs des Ruflcs ; mais le Tzar, inftruit , par fa propre expérience , du danger qu'il y a de s'engager dans un pays ennemi , ne voulut point trop entreprendre, ni divifer fes forces. Il rendit la tranquillité à Stockholm, en abandonnant f lilc d'Aland; il donna le commandement de la Finlande au Prince Galitzin, ôc retourna à Pétcrsbourg, où il reçût pour fa dernière victoire, l'honneur du triomphe. Ce fpcftaclc avoit pour but d'apprendre aux Ruffcs que les honneurs Militaires ne doivent être accordés qu'au mérite fcul, ôc que les grandes actions font des titres préférables à la naiflance ôc à la fortune, pour s'élever aux grandes dignités, En En l'abfencc du Tzar, le Prince Fédor Romodanofskï étoit chargé j n'en pouvez plus, lui dit-il, mon cher Rcichcl ; j'ai dormi «une heure, je fuis frais, je vais monter la garde pour vous; « dormez , je vous éveillerai quand il en fera tems ». Après ces mots, il l'enveloppa malgré lui, le laifla dormir, ôc alla monter la garde. Tandis qu'il défendoit ainfi Stralfund pied-a-pied , le Roi d'Angleterre trafiquoit de fes Etats, Ôc achetoit du Roi de Danemarck la conquête qu'il avoit faite de la Province de Brcmcn ôc dcVcrden avec la Ville de Stade. Cette acquifition C ce ij 388 HISTOIRE DE RUSSIE, coûta au Roi George huit cents mille écus d'Allemagne; elle fut faite dans le mois d'Octobre. Dans le mois de Décembre, Stralfund n'étant plus qu'un monceau de ruines, les Officiers de Charles XII forcèrent ce Prince d'en fortir, & dès qu'il fut en fureté, fon GénéralLnkcr rendit ces ruines aux Alliés. Section CXX IX, Plus un Empire cft vafte, plus il eft expofé aux incurfions des peuples brigands. Les Tatars firent cette année unc inva-fion dans le Royaume de Kazan, & emmenoient avec eux fept à huit mille efelavcs. Six cents Dragons Suédois, prifonniers des Ruffcs , font armés; ils pourfuivent les Tatars, les atteignent, les taillent en pièces. Un butin confidérablc & quinze cents chevaux furent la récompenfe de la valeur des Suédois. Le fils du Kan des Tarars fut pris &; pendu fur le champ. Après la prife de Stralfund détruite, les alliés fe portèrent devant Vifmar, dans le Mccklcmbourg, fur un petit golfe de la mer Baltique, a fept lieues de Lubcck. Pierre leur envoya un fecours de vingt mille hommes , dans le deftein de s'emparer de cette Ville , &: de la faire reftituer au Duc de Mccklembourg-Schvcrin , h qui il venoit d'accorder en mariage la Princclfe Catherine, fir nièce, troilième fille du feu Tzar Ivan AUxiéviti> devenue faînéc par la mort de fes fœurs (i). (i) M. Lcvcfquc , qui pofsèdc fi bien & fi cxcluiîvemcnt tHiftoirc île Ruflic, dit, en f atlant dc Vifmar cédée à la SiicMe par le Traité de Vcfrphalie, » que Pierre avoit deflein »» de rendre cette Place,à Charles Léopold, Duc de Mccklcnbourg, à qui il avoit profnif v> la Piinccflc Anne, féconde fille de fon frère Ivan «. Pag. 3 jj & 3 la Princciîe Anne éroit la quatrième fille d'Ivan : elle fut mariée au Duc Antoine Ulne de Volfenbutel. Catherine, née le 4 Juin itfji, époufa le Duc de Mccklcnbourg le 9 Avril 171*, & mourut a Pétcubourg le 14 lui» 1733* HISTOIRE DE RUSSIE. 3S9 Ce fut principalement en cette année que le Tzar s'occupa le plus de la marine ÔC du commerce. Pour former fes fujets à la navigation, il défendit de conftruire des ponts fur la Neva, & ne permit de la palier que fur des chaloupes a voiles. Perfonne ne fut excepté de cette loi rigoureufe , qui avoit pour objet de faire apprendre aux Ruffes les manoeuvres nautiques, d'infpirer l'intrépidité Ôc de faire braver la mort fur les flots d'une rivière fouvent agitée par des vents impétueux. L'Anglois Bruce, témoin de ces faits, dit, en parlant de la vie privée du Tzar, que ce Prince donnoit tous les jours fes audiences dans une longue galerie, depuis onze heures jufqu'a midi. Tous fes fujets y avoicnt un libre accès, Ôc pouvoient lui prélèntcr directement leurs requêtes. Mais, palfé cette heure, on ne pouvoit plus lui parler que pour les affaires de la plus grande conféqucncc. Il dînoit ordinairement a midi. On ne lui fervoit qu'un plat a la fois pour l'avoir chaud ; il mangeoit dans unc chambre contigiic a la cuiiinc, ôc le cuifinier palfoit les plats par un guichet. A unc heure il alloit dormir, ôc fon fommeil ne duroit qu'environ unc heure. Il paflbit le refte de la journée â des occupations utiles, entremêlées damufemens : tous les plaifirs étoient actifs; il aimoit pafîionnémcnt le tour, Ôc Tes Ouvrages prouvent qu'il exeelloit en ce genre. Il fe cou-choit régulièrement à dix heures du foir, excepté les jours de fêtes OU, il y avoit affembléc de Cour. Les environs du Palais ôc les jardins étoient entourés d'eau; les conviés ne pouvoient s'y rendre que dans leurs barques ; elles étoient confignées à la garde, de forte que perfonne ne pouvoit fc retirer qu'avec toute la compagnie , qui ne fe féparoit guère qu'au point du jour. Les carrolfcs n'auroient été alors d'aucune utilité dans unc Ville environnée de rivières ou de canaux fans ponts. Le Tzar faifoit préfent a chaque perfonne de barques plus ou moins ornées, 39o HISTOIRE DE RUSSIE, fuivant leur rang. On étoit obligé de les entretenir, & d'en conftruire d'autres dès que celles qu'avoit données le Tzar étoient hors de fervice. La jeune Nobleife apprenoit, par l'ufige de ces chaloupes, à fe familiarifer avec les exercices de la marine. Jufqu'ici, Pierre-Henri Bruce. M. le Général Bctskoi, qui a été employé fort jeune par ce Monarque, m'a affuré qu'il fe levoit en tout tems à quatre heures du matin , qu'il s'habilloit lui-même , Se fc fervoit prcfque toujours lui-même; qu'un des grands plaifirs de ce Prince étoit de donner des leçons de marine aux matelots Rulfes , en leur faifant faire des manœuvres qui exigeoient beaucoup d'agilité, de force Se d'adreue ; qu'après avoir donné des leçons à fes fujets, il alloit fouvent fur le port pour s'entretenir de la marine avec les Capitaines, les Pilotes, les Matelots étrangers, &c que, vêtu aufti fimplcmcnt qu'eux , il buvoit Se fumoit avec eux comme leur égal. Il ufoit de la même familiarité avec les Soldats Se les Particuliers qui fe conduifoient bien. Les grands hommes s'amufent quelquefois des jeux d'enfans, Se ces délaflemcns font néceftaircs a l'homme de génie : au milieu de fes vaftes projets, Pierre ifoublioit pas que le peuple par-tout veut des fpcélaclcs, Se qu'il a befoin d'être amufé : il chargea la Princefte Nathalie de donner aux Ruflcs la fête fuivante. Un Nain de cette Princcflè devant époufer une Naine de la fuite, elle voulut célébrer leur noce avec magnificence; elle fit faire deux carrolfcs proportionnés â leur taille, qui furent traînés par des chevaux de Jutland de la plus grande cfpècc. Tous les Nains de Moskou Se de Pétcrsbourg furent invités a cette noce, & ils y vinrent au nombre de quatre-vingt-treize. On leur fit faire unc marche pompeufe, ouverte par un char attelé de fix chevaux , fur lequel les Muficicns étoient placés; venoit enfuite le grand Maréchal de la Cour, qui précédoit les mariés. Ceux-ci H I S T O I P. E DE RUSSIE. 391 etoient fuivis de vingt-deux petits carroifes, attelés de fix petits chevaux, contenant chacun quatre Nains. La marche étoit fermée par un Détachement de Dragons. Les Nains mangèrent tous a unc table, fc la Cour à unc autre. Le foir, les Princes fc les Princclfcs conduisent les mariés au lit nuptial, ôc le relie de la nuit fut employé a un très-beau bal. L'un de ces Nains mourut en cette année, fc Pierre voulut que fes funérailles fulfent auili pompeufes que la noce favoit été. Vingt-quatre Nains précédoient ce Convoi burlefquc fc funèbre ; vingt-quatre Naines le fuivoient ; le Monarque fc fa Cour fermoient la marche. Section CXXX. Nous avons dit qu'en cette année, Pierre s'occupa principalement de fa marine fc de fon commerce. On lui avoit dit qu'on trouvoit du fable d'or en abondance dans quelques contrées de la petite Boukaric, qui faifoit un commerce confidérable avec l'Inde. Il y envoya un Capitaine nommé Buchol^, avec des inftructions qu'il avoit rédigées lui-même. Le Prince Tchcrkaski eut ordre de fe rendre dans la grande Boukaric, pour tâcher d'y découvrir l'ancien lit de l'Oxus, qui s'embouchoit jadis dans la mer Cafpienne , fc dont les Kalmouks avoient détourné le cours. Le projet du Tzar étoit de le rétablir, a quelque prix que ce fût, pour procurer de nouvelles branches a fon commerce, fc lui ouvrir unc nouvelle fourec de richelfes par Altrakan. Laurent Lange, chargé dea intérêts du commerce de Ruilie, partit pour la Chine par la Sibérie : il lui étoit expreifement recommandé de prendre des renlcignemcns exacts fur les productions , les fabriques fc le commerce de cet Empire : l'Anglois Lange étoit Médecin i Khang-hi en avoit demandé un à Pierre premier, fc il fadit avec empreifement cette occafion * 392, HISTOIRE DE RUSSIE, de fe procurer les connoilTanccs qu'il défiroit, &; qui étoient fi utiles a fes vues. La Perfc ne fut pas oubliée *, il envoya une Ambaffade au Schak-Huilin pour faciliter aux caravanes Rulfes le commerce entre les deux Nations. » Dans cet Etat floriifant, dit Voltaire, tous les jours étoient marqués par de nouveaux établiffemcns pour la marine, pour les troupes, le commerce &C les loix. Il fembloit que ce fût le comble de la profpérité, que , dans la même année, il lui naquît un fils de fa femme Catherine, fc un héritier de fes Etats dans un fils du Prince Alexis. Mais l'enfant que lui donna laTzarine fut bientôt enlevé par la mort ; fc nous verrons que le fort d'Alexis fut trop funefte pour que la naiflance d'un fils de ce Prince pût être regardée comme un bonheur «. Ce fils ne pouvoit voir le jour fous de plus malheureux aufpiccs; il coûta la vie à celle qui favoit mis au monde. Voici comment Pierre-Henri Bruce raconte cet événement tragique. « Le zz Octobre 1717, l'époufe du Tzarévitz accoucha d'im « fils qui fut nommé Pierre, fc qui eut le titre de Grand-Duc, »5 événement qui caufa la plus grande joie au Tzar : mais elle »3 fut troublée par la mort de la Princcffe, le neuvième jour » de fes couches, a l'âge de vingt-un ans, après avoir vécu quatre » ans avec un mari indigne d'elle. Sentant la mort approcher, >3 elle demanda à voir le Tzar, a qui elle recommanda fes deux » enfuis, qu'elle remit au Tzarévitz, après les avoir baignés de » fes larmes. Ce Prince les conduifit dans fon appartement, fc » ne retourna plus auprès de fon époufe , dont il ne demanda » pas même des nouvelles. Les Médecins voulant perfuader à la » Princcffe de prendre quelques remèdes , elle leur dit avec «émotion : 3N4 me tourmente^ pat davantage, laiffe^-moi mourir tran-» futilement, car je n'ai, plus befoin de vivre. Elle expira le premier » Novembre, demanda à n'être point embaumée, fc fut inhumée » le » le fepticmc jour, dans la principale Eglifc de la Forterefle «0 avec toute la pompe funèbre Se les honneurs dus a fon rang c<. Cet événement eft de ce fiècle ; l'Auteur que nous venons de citer en a été témoin; il eft configné dans l'Hiftoire de Ruilie, Se cependant on a fait un Roman de l'accouchement Se de la mort de 1 epoufe du Tzarévitz ; Roman que l'on nous donne pour unc vérité dans un Ouvrage intitulé : Pièces intérejfantes & peu connues pour fervir à l'Hifloire. L'Editeur de cet Ouvrage auroit dû ajouter à cette Anecdote la réflexion de M. le Chevalier le Bolfu, qui l'a racontée à-peu-près de la même manière dans fes nouveaux Voyages d'Amérique Septentrionale , page 48. » Je » vous avoue, dit-il, que quoique je tienne .tous ces faits d'un « aflez grand nombre de perfonnes dignes de foi, je ne voudrois » cependant pas en garantir l'authenticité «. L'Hiftorien qui fc rcfpccle aflez pour ne garantir que les faits dont il a les preuves, s'exprime toujours comme M. le BolTu, quand il rapporte des faits douteux Se invrailcmblablcs. Section CXXXI. îji6. Marthe Apraxin, Douairière du Tzar Fédor, frère aîné de Pierre premier, mourut le 14 Janvier : elle étoit fecur du Grand-Amiral Apraxin, Se n'avoir vécu avec Fédor qu'environ un mois. Sa pompe funèbre fut de la plus grande magnificence, Se fon corps fut enfeveli à la Forterefle. Nous avons laifle Vifmar bloquée par tous les Alliés du Tzar: les fecours que ce Prince leur avoit envoyés n'ai rivèrent qu'après la reddition de cette Place, qui fut remifc au Roi de Danemarck. Les troupes que commandoit le Prince Repnin pafl'èrent dans le Mecklembourg, fOUs les ordres du Maréchal Schérémétof, Tome UI. Ddd 35)4 HISTOIRE DE RUSSIE. ôc fous le prétexte de vouloir pacifier la révolte des Nobles de ce Duché contre leur Souverain. Les Ruflcs, campés aux portes de l'Elcctorat de Hanovre, excitèrent les plaintes du Roi d'Angleterre ; mais le Tzar y fit peu d'attention, fon projet rf étant pas d'entreprendre quelque chofe de ce coté. Pierre, indigné de ce que fes Alliés avoicnt cédé au Roi de Danemarck, une Place qui devoir appartenir au Prince auquel il avoir donné fa nièce, fe rendit devant Vifmar peu de tems après la capitulation, ôc fit la garnifon prifonnière de guerre: Goertz profita de ce rcfroidiûemcnt pour projetter une paix néceflaire entre Charles XII & le Tzar. Il fit entendre au Monarque Ruifc que la Suède étoit allez abaifféc, ôc qu'il devoit craindre d'élever trop le Danemarck ôc la Pruffe. Pierre, qui n'avoit jamais fait la guerre qu'en guerrier politique, entra dans les vues de Goertz ; & dès-lors il n'agit plus que mollement contre la Suède; mais Charles XII, toujours guerrier, jamais citoyen, ôc malheureux par-tout, réfolut de porter la guerre en Norvège : c'étoit un de ces coups défefpérés que le fuccès fcul peut juftificr. Dans le mois de Mars, le Tzar envoya Pierre-Henri Bruce a Berlin. Il étoit chargé de la conduire de trente Grenadiers de la plus haute taille , dont ce Monarque faifoit préfent au Roi de Pruffe : quelques-uns avoicnt jufqu'a fix pieds neuf pouces, pieds nuds. On les avoit exercés a la Pruilicnnc. Il y avoit parmi eux un Indien qui avoit amené un éléphant a Pétersbourg; deux Pcrfans, trois Tatars; ôc fon peut dire que jamais Prince n'eut une garde compoféc d'hommes de tant de Nations différentes. Une chofe digne de remarque, c'eft que les hommes de la plus haute taille Ôc les plus pct;ts Nains, fe trouvent dans les délerts de l'Ukraine ôc de la Pologne. La caufe de ces extrêmes dans le même climat, le même fol, les mêmes familles, n'ell pas facile a HISTOIRE DE RUSSIE. feg trouver : aulTi nous garderons-nousbien de hafarder nos conjectures à cet égard. Section CXXXII. Au milieu de .tant d'établiffemens qui demandoient un génie créateur, un héros qui réunît le patriotifrne au courage, & la Éagcflc a unc politique profonde , Pierre fe reprochoit de n avoir tien fait encore des grandes chofes qu'il méditoit pour l'admi-ûiftration de la Juilicc : il étoit convaincu que les maux occasionnés par l'injuilicc, font beaucoup plus redoutables dans un Etat, que ceux de la guerre la plus fanglantc. Mais forcé d'attendre du tems Poccafion de rectifier les Tribunaux, il chercha du moins à mettre un frein au défordre pendant un fécond voyage qu'il projettoit de faire en Europe : il avoit fait le premier en homme qui s'étoit voulu inftruire des Arts ; il vouloit faire le fécond en Prince qui cherchoit à pénétrer le fecret de toutes les Cours, &: les vues de tous les Légiflatcurs. En attendant , il fit imprimer fon Code militairea Dantzik, le 30 Mars de cette année. Quelques défectuosités qu'il reconnût dans YOu/agenié, il lui rendit tous fes droits, en preferivant que les conftitutions de fes prédéccffeius, ôc les Jugcmens des Cours Souveraines, qui etoient intervenus depuis, ne mériteroient d'egard, qu autant qu'on y trouverait de la conformité avec le Code original publié par fon père Alexis. Il abolilfoit par-la tous les abus que le caprice, les préjugés, les fauffes interprétations ôc le pouvoir arbitraire avoient introduits dans les Tribunaux. Il déclara que non feulement il vouloit rectifier les défauts de ce Code dès que le tems le lui permettrait , mais qu'il avoit deffein de le refondre Ôc d'y ajouter tout ce qui ferait néceflaire pour le rendre plus complet. Cet Ouvrage fut achevé en 1710 : il cil connu fous le titre de Concordance des Loix. Ddd ij Ce Prince croit trop pénétrant pour ignorer que la compilation ôc la rédaction d*un Code, tel qu'il le fouhaitoit, exigeoit beaucoup de tems, de connoiflanecs ôc de réflexions de la part des hommes mêmes les plus verfés dans la pratique des Loix ; il profita de l'intervalle que preferivoient ces difpofitions, pour publier diverfes Ordonnances relatives au grand but qu'il fe propofoit de remplir. Il établit une charge de Procureur Fifcal, lui donna quatre Afleflcurs pour les affaires d'Etat, Ôc un certain nombre de Fifcaux fubordonnés Ôc difpcrfés dans chaque Gouvernement; avec ordre de dénoncer toutes les malverfations ôc rous les crimes qui pourroient fe commettre dans leurs Départemcns, contre les Loix de L'Etat, Ôc au préjudice des Particuliers. 11 régla les fucccfîions. Jufqtf ici les enfuis partageoient également l'héritage de leurs pères ; mais comme ce Prince avoit fort à cœur la confervation des firmilles, il abrogea ces anciennes Loix, ôc leur fubititua les moyens qu'il avoit vu pratiquer en Angleterre , pour maintenir la Noblelfc dans la pureté ôc fon luflrc. Pierre ordonna donc que dorénavant les biens immeubles , propres ou acquis, des pères Ôc mères decedés, ne fèroicnt plus également partagés entre les enfans, mais romberoient de droit à un fcul fils, fans aucun égard pour le droit daînefle; que ce fils , défigne dans le teilamcnt, devoit être celui que les pères Ôc mères jugeroient le plus digne de cette préférence; qu'a défaut d'enfans mâles , on ehoiliroit parmi les filles une héritière des immeubles , ÔC que fi les pères ôc mères mouroient fins avoir fait de difpofition , le droit d'arneflè régloit la poifciïion des immeubles par indivis. Le but du Légillareur étoit, i°. de conferver la fortune Ôc la fplendcur des familles Nobles. i°. De mettre le fort des enfans HISTOIRE DE RUSSIE. 397 dans la dépendance de leurs pères &c mères ; de relTerrcr par-là les liens de la tcndrclfc, & dinfpirer le defir confiant de leur plaire , par des actions louables, pour mérirer la préférence accordée par la Loi. 30. De faire iervir aux avantages de la Patrie les befoins de ceux qui , ne partageant que les biens immeubles , fe trouvoient forcés à fe frayer une route a la fortune, en fc vouant au fervicc militaire, a la politique, au commerce , &c. Nous n'avançons rien fans preuve : en preferivant la manière d'acheter les immeubles mis en vente, la Loi porte que les cadets ou ceux qui ont été exclus de la fucceflion, ne pourront acheter les biens de leur famille qu'après fept ans de fervicc militaire, s'ils ont embraifé cet Etat ; qu'après dix ans dans le Civil, ôc qu'après quinze dans le Commerce ou les Arts. Il falloit fans doute de puiflans motifs au Légiflatcur, pour ajouter des condii-tions fi dures à une Loi dont l'efprit cft jufte, Ôc dont la lettre dépouille. Elle ftipulc encore que, lorfque le dernier des mâles fera fuis poftérité , il pourra léguer fes biens à unc perfonne de l'autre fexc , pourvu qu'elle foit de la même maifon ; mais fous la condition que fon mari ajoutera a fon nom propre celui qui doit perpétuer la mémoire de la famille qui, fins cela feroit éteinte. La Ruftie en a vu plufieurs exemples dans les Branches de Golovin , de Romadanofski , de Balck , de Polct, ÔCC. Pierre cfpéroit que ces difpofitions produiraient l'effet qu'il s'en étoit promis : mais la liberté que les parens avoicnt de choiiir leurs fuccclfeurs, caufa dans la fuite tant de cabales ôc de confulion dans les familles, que l'Impératrice Anne, en 1731 , crut devoir rétablir l'ordre de fucccilïon fur l'ancien pied. Le Tzar publia encore en cette année , une Loi qui mérite des éloges : elle défend aux Juges de régler aucune affaire dans leur maifon particulière, exigeant que tout le fit dans les Cours publiques affectées à la tenue des Tribunaux , tk en préfence de tous ceux qui les compofent. Section CXXXIII. Le feu de la guerre qui avoit embrafé le Nord, fembloit devoir fe ranimer par le retour de Charles XII. Ce Prince conduifoit fes Etats comme fon Armée, avec un dcfpotifmc qui ne con-noiflbit ni la lenteur du Confcil, ni les égards pour les formalités &: les Loix du Gouvernement. Le Sénat fléchilfoir devant fes ordres abfolus, <5c la Suède étoit moins un Royaume qu'un Camp: tout homme étoit devenu foldat. Ce Prince avoit raffcmblé trente cinq mille hommes, avec lcfquels il cfpéroit venger fa gloire &: recouvrer fes pertes. Il avoit auili une flotte qui croifoit fur la mer Baltique , ck qui gênoit beaucoup le commerce des Puiflanccs confédérées contre lui. D'autre part, les Alliés du Tzar craignoient que ce Prince ne profitât des divifions que le retour de Charles XII eV les négociations de fon Miniftrc alloicnt femer dans prcfque toutes les Cours de l'Europe. La demande que le Tzar avoit faite de Vifmar, fon méconrentement, le mariage de fa nièce avec le Duc de Mecklembourg, la préfence des troupes Ruifcs dans ce Duché, fes forces de terre ck de mer, fit prépondérance dans les affaires du Nord; toutes ces confidérations infpiroicnt des foupçons, de la défiance &: de l'envie à l'Empereur d'Allemagne, aux Villes Anféatiqucs , à l'Electeur de Hanovre, aux Rois de Prufle, de Pologne tk de Danemarck. La Pologne étoit toujours en proie aux divifions domeftiques : la Noblelfc formoit une nouvelle confédération contre Auguflc, &: refufoit de le reconnoître pour fon Roi avant qu'il n'eut renvoyé les Saxons &c les Ruifcs qu'il rctenoit en Pologne. Dans cette circonftancc critique, Augufte implora encore le fecours du Tzar. Le Monarque Rulïe, fatigué des querelles renaiffantes entre le Maître Ôc fes Sujets, fe borna a offrir fa médiation à Augufte. L'Armée Rulfe eut ordre d'évacuer la Pologne, & de fe retirer fur fes frontières. De fon côté, le Roi de Danemarck redoutoit les forces ôc la colère de Charles XII : il avoit raifon. L'Electeur de Hanovre ôc lui dévoient être les premiers objets de fa vengeance. Il alla trouver le Tzar à Hambourg, cur avec lui unc conférence, Ôc en obtint la promelfe d'un fecours de troupes Ôc de vaiifeaux, pour favorifer la defeente qu'il nuditoit de faire en Scanie. Le Tzar fut chercher fa Flotte, ôc tranfporta fes rroupes de terre en Danemarck. A fon arrivée à Copenhague, il fut falué par tous les Amiraux, Ôc proclamé Commandant-Généraliflimc de toutes les Flottes de fes Alliés. La fienne confiftoit en feize vaiifeaux , èV: celles des Allies en quarante-deux, fuis compter les frégates & les fénaux. Ainfi, dit Fontcnclle , les Nations les plus expérimenrées dans la Marine, confentoient d'obéir au premier des Ruffcs qui avoit connu la mer. Après avoir reçu cette marque éclatante du rcfpcct qu'on avoir pour fi perfonne , le Tzar mit en mer ôc fut a la découverte de l'Efcadrc Suédoife, que l'on difoit être a la hauteur de l'Ifle de Moon. Les Suédois, informés a tems de la réunion des vaiifeaux Ruflcs, Anglois, Danois ôc Hollandois, s'étoient retirés dans leurs Ports : la Flotte guerrière rentra dans Copenhague. Dans cet état des choies, le Roi de Danemarck follicitoit vivemenr le Tzar pour hâter la defeente projettée dans la Scanie; mais ce Prince fit naître des difficultés, temporifa, Ôc rcfufa enfin de remplir fes promeflès avant le printems. Son but étoit de fc venger de la prife Ôc de la démolition de Vifmar, & darYoi-bhr le Danemarck, en l'engageant dans des liais immeniès ôc inutiles. Section CXXXIV. La méfintelligencc des Allies étoit ce qui pouvoit arriver de plus heureux à Charles XII. Le Baron de Goertz, Miniftrc à La Haye , avoit des correspondances avec celui du Tzar; Charles n'étoit pas éloigné de faire la paix avec la Ruftie, ôc Pierre y étoit d'autant plus difpofé, que cette paix lui fourniroit le moyen de fc venger du Roi de Danemarck ôc de L'Electeur de Hanovre, qui avoit donné ordre a l'Amiral Norris d'attaquer la Flotte Ruflc, fi la defeente en Scanie ne fe faifoit pas. Avant de prendre un parti décifif, Charles voulut favoir les intentions de fes ennemis : il ordonna a fes Miniftrcs à La Haye ôc a Vienne, de déclarer de fii part, que il le Congrès de Brunf-wick avoit pour objet une paix générale entre la Suède 6c les Princes alliés contr'cllc, il y enverroit fes Plénipotentiaires, ôc s'en rapporterait a la médiation de l'Empereur ôc de la France. Le Congrès de Brunfwick avoit un autre but ; le repos de l'Allemagne en étoit l'objet; Ôc les Co-partagés n'étoient pas difpofés a reftituer à la Suède les Etats qu'elle avoit perdus. Pierre, devenu l'arbitre du Nord par fes victoires ôc les conquêtes, s'indigna de la jaloufie que la puiflanec donnoit a fes Alliés. Les Danois avoicnt démoli les fortifications de Vifmar contre fi volonté; il commencent a être très-mécontent du Roi de Pologne, ou plutôt de fon premier Miniftrc, le Comte de FUmming, qui vouloit fecouer le joug de la dépendance, impoio par les bienfaits ôc par la force. Cette Cour ôc celles d'Angleterre , de Danemarck, de Holftcin, de Mccklembourg, de Brandebourg , étoient agitées d'intrigues ÔC de cabales ; les Etats du Tzar étoient les fculs tranquilles : la caufe de fes Alliés ne 1 -intcrclfoit plus; il étoit inftruit des defleins de Goertz, qui vouloit non-feulement le rapprocher de Charles XII, ôc finir leur HISTOIRE DE RUSSIE. 401 leur guerre, mais encore les unir contre des rivaux ôc des ennemis communs. Pierre avoit réfolu un fécond voyage en Europe, pour s'inftruirc à fond des intérêts politiques des Cours, de la Légiflation des Etats ; & pour fuivre le fil des intrigues que Goertz tramoit à la Haye. Ce Prince, confiant dans fes réfolutions, fe difpofa a partir vers la fin de cette année, avec Catherine, déjà avancée dans fa groifellc. Section CXXXV. 1717. Il dirigea fa route par Copenhague, Lubeck, Schvcrin, Neuftadt : il vit le Roi de Pruffe dans la petite ville d'Aversbcrg ; il alla à Hambourg , defeendit l'Elbe jufqu'a Stade , &c arriva à Amfterdam. Son époufe étoit demeurée a Schverin, malade ; cependant, dès qu'elle put fc mettre en route, elle voulut aller trouver le Tzar en Hollande : les douleurs de l'enfantement la furprirent a Véfel, où elle accoucha, le ^Janvier, d'un Prince qui ne vécut qu'un jour; dès qu'elle fut rétablie; elle fc rendit à Amfterdam. On peut juger, dit Voltaire, avec quelle idolâtrie le Tzar fut reçu par un peuple de Commerçans & de gens de mer, dont il avoit été le compagnon : ils croyoient voir dans le vainqueur de Pultava leur élève, qui avoit fondé chez lui le commerce &c la marine, èV: qui avoir appris chez eux a gagner des batailles navales ; ils le regardoient comme un de leurs concitoyens devenu Empereur. Pierre conduifit Catherine a Sardam , qui avoit été le théâtre de fes travaux ; ils dînèrent fans appareil chez un riche Charpentier de vaiifeaux, nommé Kalf, qui avoit le premier commerce à Pétcrsbourg. Catherine voulut voir cette chaumière qu'avoit Tome III. Eee habitée fon Epoux, ôc qu'on appelle encore Maifon du T^ar. On ne l'a point changée en maifon agréable, ou du moins ce n'eft que depuis peu de tems, car je l'ai vue dans fon premier état ; elle étoit habitée par une pauvre femme. Depuis les Paix de Nimèguc, de Rifviek ôc d'Utrecht, la Haye avoit confervé la réputation d'être le centre des négociations de l'Europe. Goertz y jettoit alors les fondemens d'une grande révolution dans l'Europe : le Tzar s'y rendit, ôc y refta trois mois pour en attendre le développement ; » mais il ne vit point Goertz ; » il auroit donné trop d'ombrage aux Etats-Généraux, fes amis, » attachés au Roi d'Angleterre. Ses Miniftrcs mêmes ne voyoient » Goertz qu'en fecret, avec les plus grandes précautions, avec » ordre d'écouter tout, de donner des cfpérances, fans prendre m aucun engagement, Ôc fans le compromettre «. Jamais homme, dit l'Hiftorien de Charles XII, ne fut 11 fouplc ÔC fi audacieux à-la-fois, fi plein de rcftburccs dans les difgraccs, fi vafte dans fes démarches, que le fut Goertz. Nul projet ne fcffrayoit, nul moyen ne lui coûtait ; il prodiguoir les dons, les promeffes, les fermens, la vérité ôc le menfonge... C'cft-à-dirc, ajoute le célèbre Auteur du Droit public de l'Europe, que jamais homme ne fut plus propre a être le fléau de la nation qu'il gouverne. Voici le plan concerté entre le Baron de Goertz ôc M. Ofterman, Miniftrc Plénipotentiaire du Tzar, pour conclure la Paix entre les deux Puilfanccs : ce plan eft configné dans l'Hifloire du Mi-niftère du Chevalier Robert Walpool, l'un des grands Miniftrcs qu'ait eus l'Angleterre. « Le Héros Suédois, dit l'Auteur, outré de voir fes Etats mis publiquement a l'enchère, conçut une haine indicible contre celui qui les avoit achetés : il lavoir que Georges ne régnoit alors que fur le coeur d'une partie de fes Sujets. Le peu de fuccès HISTOIRE DE RUSSIE. 403 qu'avoient eu ks mouvemens qu'on avoit faits en faveur du Prétendant, avoit un peu abattu fon parti, mais il n'en avoit point changé Lame ni les fentimens. Il n'attendoit qu'un fecours proportionné aux forces de l'ufurparcur, ( c'eft ainfi qu'il nommoit Georges I) pour faire de nouveau quelque hcureufe tentative en faveur du Prince qu'il rcgardoit comme fon Souverain légitime. » II eft certain que de tous les Princes de l'Europe, les mécon-tcns de la Grande-Bretagne, ne pouvoient point en trouver un qui fût plus propre que le Roi de Suède à faire réuftir leur projet. Il venoit de rentrer dans fes Etats démembrés, jouet de la fortune, mais fupérieur à fes caprices : il ne refpiroit que la vengeance contre les ufurpatcurs. Son Miniftrc, le Baron de Goertz, lia une corrcfpondancc avec le Cardinal Albéroni, qui, en très-peu de rems, s'étoit diftingué dans fon adminiftration, par le grand ordre qu'il avoit mis dans les affaires de la Monarchie d'Efpagne, l'ayant rérablic dans un état à fe faire rcfpcctcr ; le Baron de Goertz fit entrer Son Emincnce dans les vues de fon Maître. Ils formèrent le plan d'une invafion en Ecoffe, où les Chefs du parti du Prétendant , inftruits du deffein qu'avoient les Cours d'Efpagne 8c de Suède, en attendoient l'exécution avec impatience, bien déterminés à la favorifer de toutes leurs forces. Charles XII, pour bien conduire cette affaire importante, envoya le Baron de Goertz avec la qualité d'Ambafladcur en Hollande. Il ehoifit pour exercer la même fonction à la Cour de Londres, le Comte de Gyllembourg3 Seigneur habile, qui feul étoit en état de bien couvrir a la Cour de Georgcs-cc que l'on tramoit contr'cllc. Le Tzar, Picrrc-lc-Grand, ctoit fur le point d'entrer dans ce projer qui devoit terminer la guerre entre ces deux Puiftanccs. i°. «Le Tzar promet &: prend fur foi de faire exécuter au pied de la lettre le Traité $ Alt-Ranfladt, conclu &: figné entre le Roi de Suède & Augufte, Electeur de Saxe, avant la bataille de Pultava j Ecc ij 4o4 HISTOIRE DE RUSSIE, de forte que la République de Pologne ne fera plus aucune difficulté de reconnoître, à l'avenir, le Roi Staniflas pour Ton légitime Souverain, ôc de le recevoir en cette qualité. Pour cet effet, le Tzar enverra, le printems prochain, en Pologne, unc Armée de quatre-vingt-mille hommes. Sa Majcfté Suédoife, pour appuyer ce projer, paflera en méme-tems en Allemagne avec unc nombreufe Armée qui agira de concert avec l'Armée Ruflc ; ôc en cas que quelque Puiflance voulût prendre part aux affaires de Pologne, ôc empêcher le rétabliflement de la Paix dAlt-Ranjladt, Leurs Majeftés Suédoife ôc Tzaricnne s'engagent à ne pas mettre bas les armes, que le Roi Staniflas ne foit remonté fur le Trône de Pologne; elles s'engagent a l'y maintenir de toutes leurs forces, ÔC à conferver la République Polonoifc dans la paifiblc ôc entière liberté d'élire fes Rois. i°, » Sa Majcfté Tzaricnne fe porte médiatrice entre le Roi de Suède &: le Roi de Prufle, pour rétablir la bonne intelligence entre ces deux Puiffanccs; ôc, en confcqucncc, S. M. Tzaricnne mettra tout en ufàgc pour raccommoder à l'amiable les differens furvenus fur Stettin ôc les terres que ce Prince pofsède en Poméranie, comme aufti fur la démolition de Vifmar : mais fi le Roi de Prufle réfutait de donner au Roi de Suède une fatisfaction raifonnable fur Stettin ôc fon Diftri£t, les deux hautes Parties contractantes agiront de concert pour procurer au Roi de Pruffe un autre équivalent à fa convenance , fans qu'il en coûte rien à la Suède. En échange , le Roi de Pruilc fera obligé de reftituer à la Suède , Stettin ÔC la partie de la Poméranie qui lui a appartenu; de garantir le Traité qui interviendra entre ladite Couronne ÔC celle de Moskovic, ôc de conclure avec elles unc alliance défen-ftvc, fuivant le plan formé a ce fujet ; ôc cette alliance avec la Prufle fera conclue a la fatisfaction réciproque des Parties , deux mois avant l'échange des ratifications du Traité entre la Suède ôc la Moskovic. 5°. » S, M.Tzarienne trouve non-feulement jufte, que, pour les Pays 6c Provinces confidérables que S. M. Suédoife lui cède, elle ait d'ailleurs une fatisfaction &: un équivalent convenables, mais même elle s'oblige de les lui procurer ; 6c en cas qu'un équivalent de la Norvège accommode le Roi de Suède, le Tzar travaillera, par voie de frit, à l'exécution de ce projet. Si le Roi de Suède veut palfer en Allemagne avec un corps de quarante mille hommes, le Tzar y joindra vingt ou vingt-cinq mille hommes de l'Armée qu'il aura en Pologne : il les'entretiendra à fes dépens, 6c ils feront aux ordres du Roi de Suède, pour l'exécution du plan qu'il aura formé ; que il quclqu'autrc Puiffancc veut s'y oppofer, le Tzar s'engage à agir contr'clle avec toutes fes forces, fous la condition néanmoins que l'équivalent que la Suède prendra fur le Danemarck, ne pourra confifter en aucun Pays de ce côté-ci de la mer Baltique. Les opérations de mer fe feront de concert entre les deux Puiffanccs contractantes, 6c le Tzar promet de joindre toutes fes forces maritimes à celles de la Suède. 4°. " Le Tzar promet 6c s'engage à agir avec toutes fes forces, pour obliger le Roi d'Angleterre, comme Electeur, non- feulement de reftitucr Brcmcn 6c Vcrdcn au Roi de Suède, mais encore de lui donner unc fatisfaction convenable pour les dommages qu'il a foufferts ; 6c s'il arrive que la Couronne d'Angleterre veuille s'y oppofer , les deux Parties contractantes promettent d'unir leurs forces contr'clle, 6c de ne point mettre bas les armes que cette reftitution 6c cette fatisfaction n'aient été prifes fur l'Elcctorat de Hanovre. Au cas néanmoins que S. M. Suédoife voulût, avant l'échange des ratifications, difpcnfcr S. M. Tzaricnne de cette obligation , elle promet 6c prend fur foi d'engager le Duc de Mecklenbourg à céder volontairement 6c à perpétuité, au Roi 6c à la Couronne de Suède, le Duché de ce nom 6c fes dépendances, moyennant un équivalent convenable que le Tzar promet 4o6 HISTOIRE DE RUSSIE, de procurer audit Duc : ÔC comme il ne pourroit fe trouver que du côté de la Pologne, le Roi de Suède s'engagera à en effectuer l'exécution ; Se en ce cas, les pactes de familles héréditaires qu'il y a entre les Maifons de Pruffe & de Mecklcnbourg, auront lieu à l'égard, de l'équivalent qui fera donné au Duc. 5°. » Au furplus, les deux Parties contractantes inviteront les autres Puiffanccs à entrer dans ce Traité; elles entretiendront avec elles unc bonne amitié, confiance ÔC voiiinagc «. Pour peu que l'on veuille fc repréfenter l'exécution d'un tel plan, on fe fera un tableau frappant des révolutions qu'il auroit eau fées en Europe fi Charles XII eut vécu, fur-tout étant conduit par des Miniftrcs tels que Ço§&% > Albéronï, le Comte de GylUmbourg ÔC Ojkrman. Une chofe étonnante, c'eft qu'aucun des Hiftoricns de Pierre I n'ait rapporté les détails d'un Traité il étrange. Mais revenons a Goertz. » Il vouloit que Charles cédât beaucoup à Pierre, pour reprendre tout le relie fur fes ennemis, Ôc qu'il pût en liberté faire une defeente en Ecolfc, tandis que les partilâns des Stuards fe déclareraient efficacement en Angleterre, après s'être tant de fois montrés inutilement. Il étoit néceflaire d'ôter au Roi régnant fon plus grand appui, ôc cet appui étoit le Régent de France. Il étoit extraordinaire qu'on vît cette Couronne unie avec celle d Angleterre contre le petit-fds de Louis XIV, que la France avoit mis fur le Trône d'Efpagne, au prix de les tréfors Ôc de fon fang, malgré tant d'ennemis conjurés : mais, ajoute Voltaire, tout étoit forti de fa route naturelle ; ôc les intérêts du Régent n etoient pas les intérêts du Royaume. Albérom ménagea dès-lors une confpiration en France contre ce même Régent. Les fondcinens de toute cette vafte entreprife furent jettes prcfqu'aïuUtôt que le plan en eut été forme. GotH^ devoit aller déguifé en Italie, pour s'aboucher avec le Prétendant, auprès de Rome, ôc de-la revoler à la Haye, y voir le Tzar, ôc rerminer tout auprès du Roi de Suède, après avoir couru les bords de la mer Baltique , dans tous les Etats où il pouvoit trouver des ennemis du Roi Georges, en Allemagne, en Hollande , en Flandre, en Lorraine, Ôc enfin à Paris, fur la fin de l'année 1716. Le Cardinal Alhàonï débuta par lui envoyer dans Paris un million de livres de France pour commencer à mettre le feu. aux poudres; c'étoit fon exprcllion. Goert% étoit revenu en Hollande àTa fin de cette même année, muni des lcttres-dc-change <\yAideront, & du plein pouvoir de Charles. Le parti du Prétendant devoit éclater, tandis que le Roi de Suède defeendroit de la Norvège dans le Nord de lTcolfe. Section CXXXVI. Philippe, Duc d Orléans, Régent de France, exeelloit dans la politique comme en plufieurs autres genres. Inftruit du refroi-dilfcmcnt du Tzar avec fes Alliés ôc des plaintes qui échappoient à leur Cour, il jugea de l'inaction même de ce Monarque pendant fon féjour a La Haye, qu'il y avoit dans les affaires du Nord un grand changement qui ne tarderoit pas a éclater ; & il jugeoit bien. Il découvrir la partie du projet qui regardoit l'Angleterre: comme ce Prince avoit établi une liaifon intime entre Georges ôc lui, il en inilruifit la Cour de Londres au mois de Janvier de cette année. Georges ne tarda pas a reconnoitre la réalité du projet dont le Régent lui avoit fait part : vers la fin du même mois un paquebot Suédois fut forcé par la tempête de relâcher en Norvège ; il portoit des lettres en Hollande, ôc ces lettres furent priles. On trouva dans celles qui étoient adrefiecs â Goertz Ôc à quelques Miniilrcs d'intelligence avec lui, de quoi ouvrir les yeux fur la révolution qui fc tramoit. La Cour de Danemarck communiqua lçS lettres à celle d'Angleterre ; ôc le ? Février, le Minifire Suédois GylUmbourg fut arrrêté à Londres ; on fajfit fes papiers, ôc on y trouva une partie de fa corrcfpondancc avec les Jacobïtes. Le Roi Georges écrit incontinent en Hollande, Ôc requiert que le Baron de Goert% foit arrêté de même. Ce Minifire, qui avoit partout des créatures, en efl averti; il part incontinent. Déjà il étoit dans Arnheim, fur les frontières, lorfque les Officiers ôc les Gardes qui couroient après lui, l'atteignirent ^ ^ fut Pris> tes papiers faifis, fa perfonne traitée durement. GylUmbourg ôc Goert^, Ambaffadeur ÔC Plénipotentiaire', furent interrogés ; l'un à Londres, l'autre à Arnheim, comme des criminels. La Cour de Londres ôc les Etats-Généraux fe permirent de paffer par-deffus toutes les règles, à la vue du péril qui menaçoit la Maifon de Hanovre. Tous les Miniftrcs des Souverains crièrent à la violation du droit des gens ; mais la force n'entend jamais de cette oreille ; fes attentats renaiifans ne le prouvent que trop. Section CXXXVII. La Cour de Londres fit publier les papiers qu'on avoit furpris au Comte de GylUmbourg. Le Roi d'Angleterre fc trouvant en guerre, comme Electeur de Hanovre, avec la Suède, prétexta la confervation de l'Empire , pour toucher le fubfidc que la Nation avoit accordé ; mais le parti contraire à la Cour fit voir dans les débats qu'il y eut à ce fujet dans la Chambre , que dans l'acte du Parlement qui appelloit la Maifon de Hanovre au Trône d'Angleterre , il étoit particulièrement arrêté qu'on ne feroit point obligé de fournir, ni des troupes ni de l'argent, pour la défenfe ou pour l'augmentation des Etats Germaniques de ladite Maifon. H étoit évident que la Cour d'Angleterre n'avoit pour objet de fi demande, que la fureté des Duchés nouvellement conquis. Ce fut M. Stanhope qui demanda ce fubfidc au nom de Sa Sa Majcfté. Le refus de la Chambre ne le rebuta pas : voulant juftificr la confiance ôc les bonnes grâces de fon Maître, il fit fi bien valoir l'avantage ôc l'utilité qui réfultoicnt de cette acquisition pour la Grande-Bretagne, relativement à la mer, qu'enfin le fubfidc fut accorde ^la pluralité des voix. S E C T I- O N CXXXVIII. Ce n'étoit plus par des victoires, dit l'Auteur du Droit public de l'Europe, qu'il falloit efpérer de relever la Suède; mais Charles XII, inftruit inutilement par fes difgraces, Ôc trop foible pour fc faire redouter, confervoit toujours ce caractère qui lui avoit frit méprifer la véritable grandeur, pour ne s'occuper que d'entreprifes extraordinaires. Dans le cours de fes profpérités, il auroit cru ternir fa réputation, s'il eût du à la politique quelque partie de fes fuccès ; il étoit auflî pallîonné pour faire la guerre que le Roi d'Angleterre pour faire des Traités ; ôc quand la néceilité le força de recourir à la politique, il ne pouvoit goûter que les projets inouïs du Baron de Goertz. Charles, outragé dans fes Miniftrcs, ne parle que de châtier fes ennemis qu'il trouvoit par-tout triomphans. En partant de Stockholm pour la Norvège , il avoit fait voeu de n'y rentrer que vengé; ôc l'affront fait à Goertz ôc Gillembourg , ne fit qu'affermir en lui la refolution de tout tenter pour détrôner le Roi d'Angleterre. Il étoit en effet plus difpofé à fe réconcilier avec fes anciens ennemis qui avoient fait fes malheurs, qu'avec la Maifon de Hanovre qui en avoit profité, pour s'emparer, fans danger, des Duchés de Brcmen ôc de Verden. u Cependant il fallut qu'une fois en fa vie il ufàt de difîimulation, qu'il defa-vouât fes Miniftrcs auprès du Récent de France qui lui donnoit un fubfidc , Ôc auprès des Etats-Généraux qu'il vouloit ménager: il fit moins de fatisfaction au Roi Georges. Ses Miniftrcs aufti Tome III. F f f 4io H I S T O I P. E DE RUSSIE. furent retenus près de fix mois, & ce long outrage confirma en lui tous fes dclleins de vengeance «. Section CXXXIX. Au milieu de tant d'alarmes & de tant de jaloufies, Pierre, attendant tout du tems, ne fe commettoit en rien ; attentif à pourfuivre fes avantages en grand Capitaine 6c en grand Politique, il avoit mis aifez d'ordre dans fes vaftes Etats, pour n'avoir rien a craindre , ni du dedans ni du dehors. Il réfolut enfin d'aller en France pour s'inftruirc de rout l'art avec lequel les Nations les plus éclairées gouvernent les différentes branches de la Société. Ce Prince partit donc de Hollande, où il laifla la Tzarinc, 6c arriva en France. Il fut reçu à la Cour avec tous les honneurs qu'il méritoit. On fait qu'au lieu de l'appartement du Louvre, qui lui fut d'abord offert, il aima mieux, pour éviter le cérémonial , s'aller loger à l'Hôtel de Lcfdiguièrcs, où il fur traite èc défrayé. Le lendemain, le Régent de France vint le falucr; enfuite il reçut les rcfpccls du Corps de la Ville; & deux jours après il alla au Château des Tuileries. Tout étoit prêt pour le recevoir avec les diftinélions les plus marquées : il en trouva tous les dehors 6c toutes les cours occupés par la Maifon du Roi fous les armes. Ce fut au milieu de ces divers Corps de Troupes, qui formoienr un fpcélaclc aufti magnifique que guerrier, qu'il arriva à l'entrée du Château. On amena le jeune Roi au-devant de lui. L'air noble de Louis XV, 6c les grâces de l'enfance répandues fur fil Perfonne, firent unc douce impreftion fur le Tzar. Il fe fentit faitl d'une tendre admiration, 6c s'inté-reflant auffi-tôt pour cet aimable Prince, il parut inquiet de la foule qui fe preflbit autour de ce Monarque enfant; il le prit 6c le porta quelque tems dans fes bras. HISTOIRE DE RUSSIE. 411 t r \ La poli telle Françoife fc montra ingénieufe, pour faire fentir à Pierre premier tout ce qu'elle avoit de noble ôc de charmant : on s empreffa de lui procurer tous les amufemens les plus conformes à fon goût ; Ôc dans ces lieux deftinés a réunir les chefs-deeuvres des divers Arts qu'on expofoit a fes yeux, tout ce qui fembloit mériter fon approbation lui étoit offert de la part du Roi. Cette munificence cft comme naturelle aux Monarques Erançois. On fait que le Tzar étant allé voir le tombeau du Cardinal de Richelieu dans l'Eglife de Sorbonne, il s'arrêta moins à confidérer ce chef-d'ocuvre de fculpture, que les. traits du vifage de ce grand Miniftrc, dont le nom étoit célèbre en Europe. Saifi d'un tranfport dont il ne fut pas le maître , il embralla la ftatue, en s'écriant : Grand homme, je t'aurois donne' la, moitié' de mes Etats > pour apprendre à gouverner Vautre. Quand il alla dîner chez le Duc çYAntin, dans le Palais de Petit-bourg, à quatre ou cinq lieues de Paris, ôc qu'a la fin du repas il vit fon portrait qu'on venoit de peindre, placé tout d'un coup dans la fallc, il fentit, dit Voltaire, que les François favoient mieux qu'aucun peuple du monde, recevoir un hôte fi digne. »Il fut encore plus furpris, lorfqu'allant voir frapper des médailles dans cette longue galerie du Louvre, où tous les Artiftes du Roi font honorablement logés, unc médaille qu'on frappoit étant tombée, ÔC le Tzar s'empreflant de la ramafler, il fc vit gravé fur cette médaille , avec une renommée fur le revers, pofant un pied fur le globe , ÔC ces mots de Virgile fi convenables a Pierre le Grand : Vires acqnirit eundo ; allufion également fine Ôc noble , ôc également convenable à fes voyages ôc à fa gloire. On lui préfenta de ces médailles d'or, ôc a tous ceux qui l'accompagnoient «. » Pierre alla à PAcadémic des Sciences, qui fe para pour lui de ce qu'elle avoit de plus rare ; mais il n'y eut rien d'auffi rare que Fff ij lui-même ; il corrigea de fa main plufieurs fautes de Géographie dans les cartes qu'on avoit de fes Etats, ÔC fur tout dans celles de la mer Cafpicnne. Enfin, il daigna être un des Membres de cette Académie, 6c entretint depuis une correspondance fuivie d'expériences 6c de découvertes, avec ceux dont il vouloit bien être le iimple confrère. Il faut remonter aux Pytagores 6c aux Anacarfis pour trouver de tels voyageurs, 6c ils n'avoient pas quitté un Empire pour s'inftruirc «. Pierre ne fe livrait qu'avec unc forte de complaifancc aux fêtes 6c aux divertilTemens que Ton créoit pour lui : il reprit bien-tôt fa vie active , 6c il fe faifoit conduire a la naiflance du jour dans toutes les rues de Paris, ou il y avoit quelque chofe de remarquable. Il leva lui-même le plan de plufieurs beaux Tdificcs. L'Hôtel des Invalides lui parut un établilfemcnt digne d'un Monarque magnifique 6c bienfaifant. M. le Maréchal de Vtllan Payant conduit dans le Réfectoire au montent que les Soldats fe mettoient à table, ce Prince goûta de leur foupe, fe fit verfer de leur vin 6c but à leur faute; il falua en particulier les Oftïcicrs, les nommant fes camarades. 11 aimoit à voir les Savans , les Artiftcs célèbres, les Ouvriers indullricux; il portoit toute ion attention fur les machines qu'il n'avoit pas encore vues, 6c s'en faifoit démontrer le travail 6c l'utilité. Le Tzar étoit trop ami de la Juftice pour ne pas vifiter fon fanéluaire : il délira d'ailifter a une Audience du Parlement; ÔC ce Tribunal augufte tint fa Séance en Robes rouges, les Préiidcns ayant leur fourrure. M. de Lamoignon, alors Avocat-Général, prit la parole après unc caufe qui fut plaidécpar deux Orateurs célèbres. L'éloquent Magiflrat finit fon difeours par un éloge digne du Tzar, ôc requit que l'on confign.it dans lesregiftrcs l'honneur que ce Monarque faifoit au Parlement. Le voyage du Tzar en France lui fut utile par fon union avec ce Royaume commerçant, ôc peuplé d'hommes induftrieux : il ramena à fir fuite plufieurs Artifans François; toutes les Nations chez lcfquelles il voyagea fe firenr un honneur de le féconder, dans le deffein de porter tous les Arts dans la nouvelle Patrie que le Tzar leur créoir. Nous avons parlé ailleurs de la démarche que fit la Sorbonne auprès de lui, pour réunir fEglifc Grecque avec l'Eglife Latine; des négociations politiques de ce Prince avec le Duc Régent; du projet de marier Louis XV avec la Princcffe Elifabeth : nous ajouterons ici que, dès-lors Pierre premier minuta un Traité de commerce avec la France, ôc qu'il le remit entre les mains de fes Miniftrcs à La Haye. Ce Traité ne concernoit pas feulement le commerce, il regardoit la paix du Nord. Le Roi de France ôc l'Electeur de Brandebourg acceptèrent le titre de Médiateurs qu'il leur donna L'Ambalfadcur de France, Châtcauneuft fi gna ce Traité le 15 Août 1717. Section CXL' Pendant le féjour de Pierre premier en France, le Baron de Goertz ôc le Comte de Gillcmbourg furent réclamés par leur Souverain Se recouvrèrent leur liberté. Le premicr.cn fit ufage pour fuivre , avec encore plus d'ardeur qu'auparavant, le fil de fes projets. Le Traité que le Tzar avoit conclu pour la paix du Nord, faifoit allez fentir au Roi d'Angleterre qu'il n'étoit pas content de lui; ôc ce Traité combloit les efpérances de Goertz, qui vint trouver le Tzar à La Haye, ôc qui mit tout en œuvre pour lui faire envifiger l'alliance de la Ruflic avec la Suède comme la bafe ôc le mobile ueeelfaire des grands projets du Tzar, ôc de la fortune de Charles XII. Le deffein du Monarque Ruflc étoit de profiter des conjonctures ; il favorifoit en fecret les projets du Miniftrc Suédois, fans fe déclarer ouvertement fon partiian; il le lailloit préparer toutes les batteries fans y toucher, fc montrant prêt a faire la paix avec le Roi de Suède, mais aufli à continuer la guerre; toujours lié en apparence avec le Danemarck, la Pologne, la Pruffe, ôc même avec l'Electeur de Hanovre. Dès ce moment, Goertz vit publiquement à La Haye les Miniflrcs du Tzar; il leur déclara qu'il avoit un plein pouvoir de conclure la paix de la Suède. Ce fut dans cet état des chofes, que Pierre ôc Catherine fc difpofèrent à retourner en Rufïic. Us traverfèrent cnfcmble la Veflphalie, arrivèrent à Berlin fans aucun appareil, virent le nouveau Roi aufÏÏ ennemi des vanités ôc du cérémonial qu'eux, vêtu en iîmplc foldat, s'interdifant toutes les délicateffes de la table, ôc toutes les commodités de la vie. Il n'y manquoit que Charles XII, &: l'on eût vu cnfcmble quatre têtes couronnées faire le procès au luxe 6V: à la mollclfc. 1 Arrivé dans fes Etats, le Tzar viiira fes conquêtes, donna de nouveaux règlemens dans Pétersbourg, fe rendit enfuite a Moskou, fe tranfporta àTzaritzin fur le Volga, arrêta les incurfions des Tatars du Kouban, conflruiiit des lignes du Volga au Tanaïs, fit élever des Forts de diftanec en diflancc , d'un fleuve à l'autre ; ôc pendant ce tems-la même , il donne la fanction au Code qu'il a compofé &: qu'il a fair imprimer a Dantzik ; il fe fait rendre compte des parties de l'adminiftration pendant fon abfcnce, il trouve des coupables; une Chambre de Juflicc cfl établie pour examiner leur conduite, ôc remettre l'ordre dans les Finances; il pardonne, en puniflant les plus coupables : le Prince Mentfchikof même, toujours avide d'argent, fut un de ceux qui curent befoin de toute fa clémence. Dans la même année, ce Prince refolut de faire des recherches fur le paflage du Nord aux Indes. Il crut pouvoir fc procurer ces connoiflanecs, en envoyant un Mathématicien intelligent avec des prefens, à plufieurs Princes du Nord de la Tatarie. HISTOIRE DE RUSSIE. 415-Cet Envoyé rapporta qu'il avoit été fort bien reçu par le plus grand nombre de ces Princes, qui favoient fucceilivement fait efeorter jufqu'au 70e degré de latitude Nord, dans la Province d'Iakoutski, fur la Léna, qui fe perd dans la mer Glaciale, au 80e degré près de Kazata; mais que le Kan de cette contrée n'avoit voulu ni accepter fes préfens, ni lui permettre de continuer de defeendre la Léna, le menaçant de le fabrer lui & les fiens, s'il pcrilitoit à vouloir palfer outre. L'Envoyé ne rapporta d'autre fruit de fon voyage, qu'une carte aflez exacte des Provinces Tatarcs qu'il avoit parcourues. Prcfque dans le même tems , le Tzar reçut des nouvelles facheufes d'une expédition qu'il avoit ordonné de tenter à l'Elr. de la mer Cafpicnnc. On lui avoit fait rapport qu'il fc trouvoit beaucoup de fable d'or & de perles dans la rivière de Sir-Daria, &: il avoit chargé le Prince Alexandre Békcvu\ de débarquer avec trois mille hommes a l'embouchure de cette rivière, d'y conftruire un Fort, de s'avancer enfuite dans le pays, pour tacher de découvrir les mines qui fourniflbient cet or. Békévitz débarqua hcurcufcmcnt, éleva ce Fort; & loin de trouver de la réfif-tance, les Tatars-Usbeks 1 aidèrent dans cette conftrucrion. Des qu'il voulut remonter la rivière pour chercher les mines d'or, ils lui repréfentèrent que le Sir-Daria faifànt de grands èV de nombreux détours, la route par eau feroit longue &c difficile ; mais que s'il vouloit aller par terre, il ne lui faudrait pas plus de trois jours pour arriver aux mines, & qu'ils lui ferviroient de guides. Le Prince , trop crédule , ne laifle que deux cents hommes pour garder le Fort, 8C part avec les Tatars. Il marcha pendant fept jours au lieu de trois; l'eau &c les provifions coin-mençoient à lui manquer. Enfin , il arrive aux mines avec fa troupe, Se il y trouve le Kan des Usbeks avec cinquante mille hommes. Ce Kan l'accueillit bien, & fous l'apparence d'une 4i* HISTOIRE DE RUSSIE, grande familiarité, il lui propofa de faire camper les Rulfes avec fes Tatars. Békevitz réfuta, ôc le Kan fc plaignit du peu de confiance qu'il avoit en lui, d'après les démarches qu'il avoit faires auprès du Tzar en 1714, Ôc la bonne intelligence qui régnoit entre ce Monarque ôc lui : il ajouta que l'on auroit grand tort de le craindre, puifqu'il ne faifoit aucun cas de l'or, qu'il n'avoit befoin que de troupeaux, ôc que fes tentes formoient fes Villes ôc les Fortcrcffcs. Le Prince ayant cédé à ces inlînuations, les Ruflcs furent obligés de camper, malgré eux, avec les Tatars. Le Kan conduifit Békevitz ôc les principaux OiHciers dans fa tente, ôc leur donna un grand fcflin ; c'étoit l'appareil de leur mort. Vers le milieu du repas, unTatar entra dans la tente, ôc dit au Kan : Tes ordres font exécutés. Prenant alors un ton févère, le Kan perfide fit défumer ôc attacher les Ofliciers Ruffcs, ôc dit à Békevitz : «Tes foldats viennent d'être mallâerés, ôc tu vas a l'être avec tes Officiers, pour apprendre aux Ruflcs à jouir de «ce qu'ils ont chez eux, ôc à ne pas troubler les jouillances de » leurs voifins «. Békevitz voulut reprocher au Kan fa trahifon, Ôc le menacer de la vengeance du Tzar : le poignard lui ferma la bouche, ôc les Officiers furent mis en pièces. Le Kan fe rend en diligence h fa horde, s'empare du Fort conllruit pat les RuÛCS, égorge la garnifon , brille les vaiifeaux, ne laiflant pas le moindre veilige de cette malhcurcufe expédition. On n'en auroit jamais fu les détails, fans un Allemand attaché au fervicc de Suède, qui avoit été fait prifon nier à la bataille de Pultava, ôc qui depuis avoit fervi d'Aide-dc-Camp au Prince Békevitz. Il avoit été témoin de cette feène atroce; ôc fon hôte, dans l'cfpérancc de le vendre, l'avoir préfervé du maflaerc général, en lui faiiânt mettre un habitTatar. Il avoit été vendu plufieurs fois, ôc conduit à Aftra-kan , où ayant donné des aQurances pour fa rançon, il avoit obtenu la liberté. Le Le Prince Békevitz étoit fils unique &Jrckilla, Prince çtivérie Se de Mingrélie , qui avoit époufe une femme .d'une grande beauté ; n'ayant pas voulu la céder à fon Souverain, il avoit encouru fa difgracc, Se s'étoit réfugié auprès du Tzar, emportant avec lui des tréfors immenfes, fuivant le récit de Pierre^ Henri Bruce. Etant mort peu après, fon fils époufa une Princcffe Galitzin , l'une des plus belles femmes de Ruflic, Se des plus attachées à fon époux. Elle forma la réfolution d'aller le joindre dans l'expédition dont le Tzar l'avoit chargé, Se elle fc noya dans le Volga, fur la route d'Ailrakan. La beauté Se la fidélité étoient dignes d'un meilleur fort. Les démarches que le Kan desTatars-Usbcks avoir faites auprès du Tzar, le 17 Mai 1714, avoienr pour objet de vivre en bonne intelligence avec la Ruilie, Se d'engager le Tzar a ordonner au Kan des Kalmouks, fon vaffal, de laitier en paix les Usbcks, Se de ne plus fe joindre aux Tatars, fujets de la Chine , pour les dépouiller. A fon arrivée à Pétersbourg, l'Envoyé du Kan préfenta au Tzar beaucoup de foie Se de marchandifes de Perle Se de la Chine, avec des fourrures prccicufcs; ajoutant qu'il avoit laiffé à Moskou des chevaux d'élite, Se autres animaux de Pcrfc. Après avoir félicité le Tzar fur fes fuccès, il lui offrit, de la part de Méhémet.Bahadit-, fon Maître, un libre paffage aux caravanes Ruflcs, à travers fes Htats; ce qui étoit bien plus avantageux pour elles , que le voyage ordinaire par la Sibérie , où il n'y avoit point de chemins battus, Se où il falloit néccffaircmcnt fuivre la finuofité des fleuves ; au lieu que par la Tatarie, on n'avoit que quatre mois de route, en traverfint les déferts des Usbeks. Cette propofition, fi favorable aux vues commerçantes du Tzar, fut fuivie d'une autre, qui ajoutoit du poids a la prépondérance de fes forces militaires. Méhémct-Bahadir lui offroit encore d'entretenir à fes frais cinquante mille Tatars, qui (croient Tome III. G g g 4i* HISTOIRE DE RUSSIE, aux ordres de la Ruilie. L'Envoyé fut reçu avec des marques de dillincfion, & Pierre I accepta avec reconnoiffance les offres du Prince Tatar, dont peut-être il auroit dû fc défier, par la raifon même qu'elles étoient trop avantageufes à fon Empire : mais l'amour de la domination ne calcule pas toujours jufte ; la foif de l'or a fes martyrs, comme l'ambition de régner encore après la mort a aufti les fiens ; cette pafïion étouffe jufqu'aux fjenti-mens de la Nature ; le Livre fuivant va nous en offrir la preuve. * HISTOIRE PHYSIQUE, MORALE, CIVILE ET POLITIQUE RUSSIE ANCIENNE. LIVRE ONZIÈME. JL/A plupart des Etats doivent craindre la vérité, paire qu'ils veulent des flatteurs ôc non pas des Hiftoricns. Unc Hiftoirc qui, remontant a l'origine de leurs ufages, de leurs coutumes, de leurs mœurs, de leurs loix ôc de leurs prétentions, dévoileroit leur état primitif, leur fortune ou leur décadence, révolterait leur amour-propre, &: palferoit peut-être pour l'ouvrage d'un mauvais Citoyen. Cette réflexion d'un homme de génie nous paraît bien fondée : rarement la politique des Cours eft-cllc d'accord avec le droit naturel ôc la morale; fes rcftbrts font cachés, ôc les évènemens font prcfque toujours les feercts du Trône. Voila Cgg u DE LA Section tremiere. pourquoi l'Hiftorien fe trouve réduit à former des conjectures au ha fard, ou à ne préfenter que des faits fins chaîne, fans liaifon. Si les inconvéniens dont nous parlons ne nous ont point arrêté jufqu'ici dans notre marche, ils ne nous arrêteront pas dans la carrière qui nous refte à parcourir, ôç nous ne nous lai (ferons fubjuger par aucune réputation : il ne fuffit pas d'être grand, il faut être jufte avant tout. L'Hiftorien eft un témoin qui dépofé : nous allons oublier les titres, ôc pefer les actions d'un Dcfpote. L'appareil formidable de fa vengeance contre un fils qui avoit la grofîièreté, tes penchans & les vices de la mauvaife éducation, va nous retracer ia peinture des mœurs féroces ÔC du choc terrible des pallions, quand l'amour-propre exalté les dirige, ôc qu'il a pour guide l'ambition de régner encore après la mort. Nous voila donc arrivé a la fatale époque de l'exhérédation Ôc de la condamnation d'Alexis Pétrovitz : Tune ÔC l'autre font a mettre au nombre des évènemens extraordinaires, fur lefquels la Poftérité feule a le droit de prononcer, Ôc dont on lit avec un intérêt toujours nouveau jufqu'aux moindres particularités. M. de Voltaire qui ne les a pas onv'fes, a cru pouvoir y joindre fes réflexions, pour prévenir, en quelque forte, ou adoucir le jugement de la Poftérité envers Pierre I : notre devoir cft de chercher a l'éclairer dans l'examen impartial èc la difeuilion des faits qui appartiennent a l'Hifloire. Nous nous permettrons donc de joindre nos obfervations à celles de Voltaire, ôc de nous écarter de fon opinion quand elle nous paroîtra plutôt celle d'un homme d'efprit, d'un politique ôc d'un courtifan, que celle d'un Hiftoricn Philofophc, qui avoit calculé les délits ÔC les peines, ôc qui s'étoit montré plus d'une fois le défenfeur courageux ôc k bienfaiteur de 1 innocence opprimée. Il faur être jufte envers cet homme célèbre, ôc convenir de bonne foi que la pofltion étoit cmbarrafEmtc ; MHifloirt de la RuJJie fous Pierre-le-Grand lui avoit été demandée avec inft ance, c'eft-a-dirc, commandée par. l'Impératrice Elisabeth , remplie d'amour 6c de vénération pour la mér moire de fon Père ; & il cft prefqu'impoftible que les Ouvrages commandés foient exacts. Une autre confidération plus forte encore que les égards dont il s'agit, c'eft la lenteur & les difficultés que Voltaire a éprouvées pour fc procurer les Mémoires qu'il demandoit avec tant d'inf-tanecs a M. le Chambellan Schouvalof: les lettres qui le prouvent, Ont été imprimées dans le Mercure de France, N°. IV, Janvier, 1785, pages \6o & fuivant es. Les Mémoires que l'on envoyait à Voltaire, étoient lus par l'Impératrice Elifaberh, 6c ils étoient rédigés en conféquenec. Mais il y a plus : Voltaire, ennuyé des retards que lui faifoit éprouver M. Taudbert, chargé de la rédaction des Mémoires de Pétersbourg, avoit fait imprimer le fécond 6c dernier volume de l'Hiftoire de la Ruftie fous Pierrc-îc-Grand, lorfque les Mémoires ultérieurs lui furent envoyés de Paris a Ferncy par M. le Prince Galitzin, alors Miniftrc de Ruftie a la Cour de France ; a la réception de ces Mémoires, Voltaire envoya à ce Prince, par le même Courier fon fécond volume imprimé ; c'eft: un fait dont nous offrons, 6c dont nous donnerons la preuve au Public , s'il nous étoit contefté. Mais revenons a l'cxhérédation & à la condamnation d Alexis. Avant d'en expofer les motifs, nous allons faire notre profcfïion de foi a cet égard : nous penfons que la juftice eft une comme la vérité : fes principes peuvent être altérés par les vices d'un Gouvernement, la pratique peut en être refferrée par des entraves plus ou moins fortes j mais ils ifen font pas moins gravés dans le cœur de tous les hommes, 6c par-tout le langage du cœur eft le même : la Nature a par-tout le même cri, la confciencc le même aiguillon ; celui qui ne le fent pas, n'eft plus homme. Ç'cit après avoir pofé ces maximes pour bafe de notre analyfe, 4i2, HISTOIRE DE RUSSIE. que, fans prétendre que notre fentiment doive prévaloir fur celui de Voltaire, s'il n'eft appuyé fur des raifons plus folides, nous prendrons la liberté de n'être pas toujours de fon avis, ôc qu'en ne diftimulant pas ce que nous trouverons de blâmable &: d'in-jufte dans la conduite du Tzar envers fon fils, nous ne croyons point avoir a craindre qu'on nous reproche de manquer de refpcéL ou d'admiration pour la mémoire du Créateur ôc du Légiflatcur de la Ruilie. Nous allons expofer les motifs de l'exhérédation d'Alexis. Section II. » Pierre I, âgé de dix-fept ans, avoit époufe en 1689, Eudoxie, » fille de Fédor ou Théodore Lapoukin , élevée dans tous les pré-: «jugés de fon pays, ôc incapable de fc mettre au-deifus d'eux, »> comme fon Epoux.....Enfin, le Tzar fut obligé de la répudier » en 1696, Se de l'enfermer dans un Couvent à Sufdal, où on lui » fit prendre le voile, fous le nom d'Hélène. »Lc fils qu'elle lui avoit donné en 1690, naquit malhcurcufc-» ment avec le caractère de fa mère, Ôc ce caractère fe fortifia par la >5 première éducation qu'il reçut «. Voltaire prétend , comme on le voit, qu'Alexis naquit avec le caractère de fa mère, c'eft-â-dire, avec du penchant a la fupcrilition , de la répugnance pour les nouveautés même utiles. Ne peut-on pas obfervcr d'abord que la fupcrilition fcmblc être moins un vice de caractère qu'un vice d'éducation? Alexis en fut atteint comme fa mère : mais peut-on dire qu'elle le lui tranfmit avec l'cxiftcncc \ La marche de la Nature cft-clle absolument la même au moral qu'au phyfiquc? Nous ne le penfons pas. Les premières impreftions qui gâtèrent pour jamais l'cfprir du jeune Prince, ne peuvent, félon nous, être attribuées qu'a l'éducation. Alexis avoit fucé, pour ainfi dire, avec le lait, tous les préjugés de fa Nation; fa mère, qui en étoit imbue, blâmoit les changemens HISTOIRE DE RUSSIE. 413 avantageux, les nouveautés intéreffantes que le Réformateur fon Epoux s'cfforçoit d'introduire dans fes Etats : ceux qui prirent foin de l'enfance d'Alexis, étoient partifans des anciens ufages, Se blâmoient de même les nouveaux. Il cft néceflaire d'appliquer ici unc maxime que nous avons démontrée ailleurs : L'homme par-tout eft modifié par ceux qui l'environnent; tout ce qu'il eft3 & en bien & en mal, il le doit à l'exemple. Les voyages continuels de Pierre I, fes projets renaiifans, fes travaux ÔC fes veilles lui firent oublier le premier des devoirs d'un père, la bonne éducation de fon fils ; ôc il ne s'apperçut des fuites de cette négligence impardonnable, qu'après que les vieux Boyari ÔC les Popes lui eurent inculqué les pernicieufes infinuations dont il fe plaignoit lui-même a fon fils, dans la lettre qu'il lui adrefla le 19 Janvier 1716 : Quand vous feriez réfolu aujourd'hui de tenir vos promejfes , ces longues barbes qui vous tournent à leurfantaifie3 vous forceroient à les tranfgrejfer. C'eft ainfi qu'il défîgnoit les Eccléfiaftiques ôc les Nobles attachés aux anciens ufages. Mais alors le mal étoit fait, ôc la réflexion venoit après coup. Les infinuations avoicnt produit leur effet fur l'efprit ôc le cœur d'un Prince foible ôc crédule. Devenu adolcfcent, il fut l'écho de fes Inftituteurs, Ôc murmura ouvertement ogntrc les innovations de fon père. La répudiation de fa mère, fon union forcée avec la Princcffe de Volfenbutel, le mariage du Tznr avec Catherine, ôc les enfans qu'elle lui donna ; tout concourut à aigrir fon caractère, ôc cette aigreur acheva d'irriter fon père contre lui. Pierre auroit dû fentir que fi le premier devoir d'un Souverain eft de rendre fes Peuples heureux, le fécond cft d'alfurcr leur bonheur, non pas en fe choififiant un fucceffeur à fon gré, mais en formant lui-même le cœur Ôc l'efprit de l'héritier naturel du Trône, en veillant à tous ceux qui environnent fon enfance, écartant fur-tout de lui avec le plus grand foin, les fupcriliticux, ôc les partifans des anciens ufages, auxquels l'éducation d'Alexis fut confiée, les mauvais confcils, les flatteurs ôc les exemples dangereux. Un Empire peut êtte heureux fans être célèbre ou floriffant. Lorfqu'on a vu le Tzar conferver l'efclavage dans fes Etats, s'occuper d'en reculer les bornes, fe montrer jaloux de fon autorité, appellcr en Ruilie les Sciences & les Arts, également propres à civilifer les hommes, & a leur faire fentir avec plus de force le poids de la fervitude; ne peut-on pas avancer que, s'il fit de grandes chofes, il eut de fauffes idées fur les véritables fourecs du bonheur public, ou qu'il les négligea pour étendre la gloire de fon Empire, ou plutôt la fienne ? On objeéleroit en vain que le Tzar chercha a réparer les vices de la première éducation d'Alexis, par unc meilleure, en lui donnant le Prince Mentfchikof pour Mentor. Le Bouffon même du Tzar lui en avoit démontré l'impoflibilité : il prit une feuille de papier, la ploya fortement, ôc la préfentant au Tzar, il lui dit : Homme de génie , efface ce pli, fi tu le peux. Mentfchikof d'ail-lcurs méprifoit ôc outrageoit Alexis j il étoit à la fois le favori du Tzar, la créature dévouée de Catherine, ôc par conféquent l'ennemi d'Alexis. Voltaire infifle ÔC dit : » Pierre tenta tous les moyens de le » ramener. Il le mit même à la tête de la Régence pendant unc » année n..... L'on fc croit fondé à demander ici fi cette preuve de confiance donnée au Tzarévitz par fon père, n'étoit pas un piége qu'il lui tendoit, après avoir promulgué en 1715 , unc Loi qui permet aux pères de choifir arbitrairement ôc d'inflitucr pour leur héritier celui de leurs enfans qu'ils jugeront à propos de préférer aux antres? Ce qui fuit fcmblc prouver que cette Loi préparoit d'avance rcxhérédation dAlcxis. %i Le j »> Le Tzar le fit voyager ; il le maria en 1711 avec la Princelfe "ticVolfenbutel, belle-fœur de l'Empereur Charles VI". Mais ce mariage, qui ne fut pas du choix du Tzarévitz, étoit-il de fon goût, quelqu'aimable que fût cette digne époufe? Son père, cu acquicfçant à une union défirée fc formée par la Reine de Pologne, n'avoit-il pas ufé de la plénitude de fon pouvoir en eette occafion 2 Ces queftions ne font pas étrangères à ce qui fuit ; & l'on fait combien il y a peu de rcflcmblance entre le langage dicté par la tcndrclfe, fc celui d'un dcfpote qui ne veut pas que rien lui réfiile. D'ailleurs, le Tzar parla toujours à fon fils, plus en Souverain qu'en père. «Le mariage d'Alexis fut très- malheureux \ âgé de vingt->sdcux ans, il fe livra à toutes les débauches de la jcunclfe, » à toute la groilièreté des anciennes mœurs, qui lui étoient fi »> chères ». Nous ne prétendons pas les juftificr, fc nous pouvons allurcr que la Princcffe de Volfenbutel ne négligea rien pour gagner le cœur de fon époux. Ce cœur réfractairc femble prouver de la manière la plus forte une union forcée \ fc les défordres qui la fuivisent ne peuvent être imputés qu'a la mauvaife éducation du Tzarévitz, qu'aux perfonnes qui l'approchoicnt, fc fur lef-quclles Pierre auroit dû veiller, ou qu'il devoit éloigner foigneufement de l'éducation fc de la compagnie de fon fils. Nous voyons bien unc conduite que Pierre devoit réprimer; mais non pas Un crime envers l'Etat fc fon Souverain. Alexis n avoit pas le droit de répudier la femme; fon père avoit répudié la fienne, quoiqu'il en eût deux enfuis. Et qui peut répondre des excès auxquels il fc feroit porté contr'clle, s'il n'avoit trouvé le moyen de s'en défaire, en abufant de l'autorité , qui rend légitime dans un defpotc, ce que lui-même jugeroit puniflablc dans un de fes Sujets ? Tome III. Hhh La PrinceiTe de Volfenbutel mourut de douleur en 1715 : elle laiiToit au Prince Alexis un fils dont elle venoit d'accoucher. Pierre écrivit a fon fils une lettre très-détaillée, en date du 27 Octobre 171J ; il lui peint l'état de la Ruflic avant lui, Se tout ce qu'il a fait de glorieux Se d avantageux pour elle depuis qu'il ctl monté fur le Trône. Après lui avoir expofé le fruit de fes travaux, il dit » que tous ces avantages lui caufent moins de joie que de » douleur, en penfant qu'il a un fils incapable de régner après « lui, quoiqu'il ait reçu de la Nature des forces fuffifantes. Il lui » reproche, i°. fon amour pour i'oifivcté, fon peu de goût pour «les armes, fon opiniâtreté, la déoravation; 20. de ne vouloir « pas même entendre parler des changemens avantageux qu'il a » déjà fairs, ni de fes hautes entreprifes; 3°. il lui rappelle l'inu-»3 tilité de fes exhortations, & combien de fois il l'en a puni. La lettre 13 du Tzar finit par ces mots : J'attendrai encore un peu de tems, «pour voir fi vous voulez vous corriger; finon, fâchez que je » vous exclurai de la fucceflion comme on retranche un membre ») inutile. N'imaginez pas que je ne veuille que vous intimider; »fi je n'épargne pas ma propre vie pour la gloire de la Patrij & la profpé-» rite de mes Sujets, pourquoi épargnerois-je la vôtre, Ô'c. Cette lettre, au jugement de Voltaire, cft d'un père; mais encore plus d'un Légiflateur. Elle ne nous femblc digne de l'un ni de l'autre. Lorfqu'nn père menace, c'eft avec bonté ; c'efl en témoignant combien il lui en coûteroit d'accomplir les menaces : la nature parle, Se lorfqu'unc févérité néceflaire donne à fon langage plua de véhémence ou de dureté, le cœur fe trahit lui-même en fc lailfant toujours entrevoir aufli défireux que prêt de pardonner. Enfin , un père ne dit point a fon fils : Corriges-toi t ou je te retrancherai comme un membre inutile £• gangrené; parce que telle Cil la force de l'affection paternelle, qu'un père, en frappant fon fils, fc frappe Lui même fur la partie la plus fcnfible. La lettre du Tzar n'eft point a nos yeux celle d'un Légiflateur; parce que le Légiflateur proportionne la punition au crime, ÔC qu'il n'y avoit pas de proportion entre le libertinage Ôc les mau-vaifes habitudes d'Alexis, ôc la menace de Pexhércdation, de U privation du Trône, ôc celle de ne pas épargner fa vie. «Dans ce tems-la même, l'Impératrice Catherine accoucha » d'un Prince , qui mourut depuis, en 1719. »î Alexis écrivit à fon père qu'il renonçoit à la Couronne, ôc »? â toute cfpérance de régner : Je prends Dieu à témoin j dit-il , & *> je jure fur mon ame , que je ne prétendrai jamais à la fuccejfton. Je mets » mes enfans entre vos mains , & je ne demande que mon entretien pendant « ma vie «<. Cette demande confiftoit en un petit apanage , qu'Alexis chargea le Prince Dolgorouki de iblliciter auprès de fon père. Quel que fût le motif qui dicloit au Tzarévitz cette étrange réponfe , elle contenoit une renonciation libre, volontaire Ôc formelle â la fucceflion. Si déjà Pierre avoit formé le projet de l'en exclure, il pouvoit, en l'acceptant, lui faire donner la forme la plus authentique : il écrivit cependant h fon fils une féconde lettre: —» J'ai de juftes raifons de croire que vous rcnvcrfcrcz «tout, fi vous me furvivez ; corrigez-vous, rendez-vous digne » de la fucceflion, ou faites-vous Moine. Répondez pofitivc-«menr, foir par écrit, foit de vive voix; finon j'agirai avec vous y* comme avec un malfaiteur c«, M. de Voltaire ne dit plus que cette féconde lettre fût celle d'un père ou d'un Légiflateur. Il convient qu'elle étoît dure ; ôc nous ne pouvons nous empêcher d'ajouter qu'elle étoit atroce ôc celle d'un tyran. Pierre avoit, dit-on, le droit de fc choifir un fucceifeur; ôc ce droit, il le tenoit des Loix de ion Empire : il jugeoit fon fils indigne d'en tenir les rênes après lui.... Comment accorder ce Hhh ij raifonncmcnt avec ce que Pierre écrivit a fon fils, le 17 Octobre ffif, clans la lettre donr nous avons donné l'extrair?... Fous ne fOuve\ , lui dit-il, alléguer pour exeufe la foibleffe de votre efprit ni celle de votre corps ; vous ave\ reçu de Dieu les dons qui vous étoient nécejfaires; & fans être lobufle 3 vous ave% des forces fuffifantes, Pierre, comme on le voit, ne jugeoit donc pas fon fils indigne de tenir les rênes du Gouvernement. Dans Phypothèfe contraire, que n'acceptoit-il donc fa renonciation ? pourquoi contraindre fa vocation ? pourquoi le forcer à fc faire Moine ? Si le droit qu'on lui attribue de fc ehoifit un fucccffcur cft légitime, fon fils ne pourra réclamer la fucceflion, fans avoir à craindre qu'on ne lui oppofe le choix de fon père Ôc les Loix de l'Etar, fur lcfquclles il cft appuyé. Si ce droit n'eft qu'un abus qui ne peut jamais fervir de fondement à la profeription, la renonciation folcmncllc d'Alexis formera toujours un titre d'ex-dufion, qu'il ne pourra défavoucr : enfin, fi la Nation un jour fe joint à lui pour appuyer fa réclamation , après la mort de fon père, le Tzar a-t-il le droit de s'y oppofer j en a-t-il même le pouvoir > Si fes Peuples après lui font malheureux par leur faute, ce qu'il aura fait pendant fon règne pour ail tirer leur féliciré, perdra-t il de fon mérite aux yeux de la poftérité ? fi fes établiftemens font renverfés, perdront-ils de leur prix rclarivcmcnt a lui ? leur chute lui fera t clic perdre le titre de Grand qu'ils lui ont fait donner? fes actions, fes qualités morales, civiles ôc politiques en auront-elles moins de droit a 1 admiration de tous les Peuples &: de tous les fiècles?.... Non, fans doute. Allons plus loin, ôc difons que le moyen le plus fur d'éter-nifer fes établiftemens Ôc de fe procurer un fucccifcur digne de lui, fins imprimera fa mémoire la tache ineffaçable d'une injustice, qui porte tous les caractères de la barbarie dont il a tiré fes Sujets, eût été de former de bonne heure famé d'Alexis, qui avoit reçu de Dieu & de la Nature les dons nécejfaires & ks forces Affifantes, d'élever fes Sujets jufqu'a lui, de les affranchir, au lieu d'appefantir fur eux le joug de la fervitude, Se de les faire fervir d'inllrumcns paiïifs ou infenfibles , a l'exécution de fes ambitieux projets. »î Alexis fe contenta de répondre en quatre lignes à la féconde » lettre de fon père, qu'il vouloit fe faire Moine, Se qu'il lui »> demandoit pour cela fon confentement". Cette réfolution ne paroîr pas naturelle à Voltaire..... Elle ne dut pas femblcr moins étrange au Tzar : mais en la jugeant d'après le portrait que Voltaire lui-même a fait d'Alexis, elle doit celfcr de paroître extraordinaire. On ne doit point être étonné qu'un efprit fuperflideux préfère l'état Monailiquc au Gouvernement d'un Empire; qu'un homme amolli, énervé par la débauche, choififle l'indolence du Cloître, de préférence aux foins pénibles de l'Ad-miniftration d'un Etat aufïï vafte que l'Empire de Ruilie, d'un Etat dont la çivilifation, malgré les grands rravaux de fon père, ctoit à peine ébauchée ; d'un Etat enfin dont les innovations du Tzar avoicnt divifé les Sujets en unc infinité de partis, que peut-être il ne fe fentoit pas capable de concilier ou de maintenir. Quoi qu'il en foit, en annonçant qu'il vmiloit fe faire Moine, Alexis fortifioit fa renonciation écrite à la fucceflion de fon père. Or, par-tout il doit être libre a chacun de renoncer au droit introduit en fa faveur. Renoncer a la fucceflion de fon père, ce n'eft pas fe rendre coupable envers lui : renoncer même h régner quand on y cft appelle par la nature, ce n'eft pas fe rendre coupable d'un crime capital. « Le Tzar voulut voyager; Se ce voyage, comme le rcmarouc «Voltaire, prouve évidemment qu'il ne voyoit pas de compila ration a craindre de la part de fon fils. Il alla le voir avant que * » de partir pour l'Allemagne fc pour la France. Le Prince malade, «ou feignant de l'être, le reçur au lit, &: lui confirma par les «plus grands fermens, qu'il vouloit fc rerirer dans un Cloître. «Le Tzar lui donna fix mois pour fe confultcr, fc partit avec « fon Epoufe. » A peine fut-il a Copenhague, qu'il apprit (ce qu'il pouvoit « préfumer ) qu'Alexis ne voyoit que des mécontens qui liattoient » fes chagrins. Il lui écrivit qu'il eût a choitlr dtl Couvent ou du «Trône; que s'il vouloit lui fuccéder, il falloir qu'il \înt le » trouver a Copenhague (i) u. Le choix d'Alexis étoit fait, comme on l'a vu, depuis long-tems ; mais le Tzar douroit, avec raifon , de la fiabilité de ce choix. On ne renonce pas au Trône pour un Monaflère , fans éprouver des regrets, a moins qu'on ne foit pouffé à cette abnégation de foi-même par unc impulfion de la grâce divine, proportionnée â la grandeur du facrificc. Or, il étoit impofiiblc de reconnoître la main de Dieu dans Ja réfolution apparente d'Alexis. Pierre ne la regardoit que comme une fuite de l'obftinarion de ce Prince à perfévérer dans fes égarcmens; fc les délais qifil lui donna pour faire fes réflexions, atteficroient fa tendrefle paternelle , fi, comme on le verra, il ne s'en éroir pas rétracté. Ces réflexions enflent pu devenir utiles à Alexis, fi fon père eût apporté plus d'attention a écarter de lui les mauvais confcils; fi l'amour paternel eût corrigé l'a;grcur de fes réprimandes; il l'orgueil dans lui n'eût étouffé la nature; enfin, fc pour parler plus jufte , s'il n'étoit réfervé aux plus grands hommes de faire les plus grandes fautes, foit pour leur faire connoître que, quelque (i) LeTiaï écrivit i!e Copenhague, h7 ÂoÛC 1716» & envoya fa lettre par un Coule,. H owUnoit à Alexis de venir le trouer dans huit jours, (Inonde lui marquer ic icu le tems & le jour où il vouloit prendre l'habit monulticmc. HISTOIRE-DE RUSSIE; 43* grands qu'ils (oient, ils participent aux imperfections de l'huma-nité, foit parce que chez eux tout eft exagéré, les vices ainfi que les vertus. » Les confîdcns d'Alexis lui perfuadèrent qu'il feroit dangereux » pour lui de fc trouver loin de tout confcil, entre un père irrité » Ôc une marâtre. 11 feignit donc d'aller trouver fon père a Copcn -« hague ; mais il prit le chemin de Vienne, 6c alla fc mettre entre »les mains de l'Empereur Charles VI, fon beau-frère, comptant m y demeurer jufqu'a la mort du T^ar. » Dès que Pierre fut que fon fis avoit été a Vienne, 6c qu'il s'étoit retiré dans le Tirol ôc enfuite à Naplcs, qui appartenoit » alors à l'Empereur, il dépêcha le Capitaine aux Gardes Rou-» mantzof Ôc le Confeillcr-PrivéTolftoé (i), chargés d'une lettre ( i) Le Comte Tolfloé dont il cft ici queftion , cft celui-là même que le Tzar employoit toujours dans les entreprifes hardies Se périllcufes. Il fc rendit d'abord à Vienne avec Roumantzof, & ils y apprirent, après bien des recherches, que le Tzarévitz en écoit parti pour Turin. Ils fc mirent en marche pour l'y joindre, mais il n'y étoit plus à leur arrivée. Ils y payèrent plufieurs mois dans l'cfpérancc de le découvrir, tk dans la Mtluaubn «ju'il y étoit caché. Tolftoé, déguifé en (impie particulier & vivant de même, parcouroit fuccclTivcmcnt toutes les auberges, toutes les maifons publiques, Se ne négligeoit aucun des moyens mu pouvoient lui procurer quelques rcnfcigncmcns fur le lieu où Alexis pouvoit être caché. Il fc trouva un foh dans une auberge & dans la même chambre où étoient auffi plufieurs étrangers, & entr'autres un Napolitain : on but beaucoup ; Tolftoé fît femblint d'arc ivre, fe jetta en chancelant fur le lit qui étoit dans la chambre, & affeda un profond fommeil. Ccui qui étoient reliés à table racontèrent des nouvelles : le Napolitain dit qu'il étoit anivé a Naplcs un jeune homme avec une jeune fil le, qui parîoit unc langue que perfonne ne comprenoit j qu'il y loifoit unc grande dépenfe, & qu'on le fourçonnoit d'être un grand Prince du Nord qui voyageoit fccrètcmcnt. L'orgie finit ; & Tolftoé feignant de fc réveiller, demanda à boire, fit beaucoup «l'amitié aux convives, & particulièrement au Napolitain, qu'il pria à dîner pour k Icu- » écrite de fa main, datée de Spa, du tï Juillet 1717. Ils trou-» vèrent le Ptince a Naples, dans le Château Saint-Elme, & lui » remirent la lettre. Elle étoit conçue en ces termes «...... demain. Dès ce moment il s'attacha à lui de manière à ne pas le perdre de vue, jufqu'a ce qu'il fût inftruit de ce qu'il défiroit favoir ; alors il partit de Turin pour Naples avec le Comte de Roumantzof. Dès le lendemain de leur arrivée dans cette Capitale, ils furent rendre vifîte au Gouverneur : après les politenes d'ufage, Tolftoé tira le Gouverneur à part, & lui dit: Tierre I fait, à n'en pouvoir douter, que le Tzarévitz, fon fils, eft à Naples; & comme ce Souverain a des infirmités graves, il défire ardemmert de revoir un fils qu'il aime SC qui doit lui fuccéder. Il vous aura une obligation particulière, fi vous voulez bien me procurer un entretien avec le jeune Prince.....Voila, dit-il, les preuves de ce que je vous avance, en lui remettant un gros diamant, & l'inftru&ion oftenliblc que le Tzar lui avoit donnée. Le Gouverneur lui promit cet entretien pour le jour fuivant, & tint parole. En abordant le Tzarévitz, Tolftoé & Roumantzof fe profternèrent à la manière des Rufics, & lui bai-ferent la main : le Prince leur demanda le fujet de leur voyage, & k récit de ce qui s'étoit pafle en Ruflîe depuis fon départ. Après avoir fatisfait aux queftions d'Alexis, ces furveillans fe retirèrent : Tolftoé fuppîia le Prince de lui permettre de fc repréfenter devant lui pour lui faire part des intentions du Tzar, & fupplécr par-là à tout ce qu'il n'avoit pu lui marquer dans fa lettre. Le Prince lui accorda fa demande. De retour à l'auberge, Tolftoé dit à Roumantzof : » Vous connoifTez mon habileté „ Jaris les affaires, Se je me âatte, fi vous me laitlez faire, de gagner bien-tôt la con-» fiance du Tzarévitz s mais pour cela, il faut que je lui parle feul «. Roumantzof y confentir. Dès que Tolftoé eut obtenu l'entière confiance du Prince, il lui infpira de la défiance pour Roumantzof. » Cet homme, lui dit-il, cft totalement dévoué à votre père } on ne » l'a envoyé avec moi que pour lui rendre compte de votre conduite ic de la mienne j w je vous confcillc donc de le faire arrêter pendant votre féjour ici, & je vous promets w de faire tout ce qu'il faut pour vous procurer les bonnes grâces de votre père «. Alexis fe laiifa perfuader, & Roumantzof fut mis aux arrêts. Pendant le tems qu'ils durèrent, Tolftoé dépêcha un Courier au Tzar, pour l'informer des fuites de l'évafim de fon fils, & des moyens qu'il avoit employés pour gagner fa confiance & celle de fa maitrcjfe, en f ailurant que leur retour en Ruffic feroit très-prompt. Mon Mon cher fils..... je vous écris pour la dernière fois, pour vous dire que vous ayei à exécuter ma volonté que Tolstoé & Roumantzof vous annonceront de ma part. Si vous m'obéiffe^, je vous affure & je promets à Dieu cjue je ne vous punirai pas , & que fi vous revene^, je vous aimerai plus que jamais; mais que fi vous ne le faites pas, je vous donne, comme pire , en vertu du pouvoir que j'ai reçu de Dieu, ma malédiction patemilk ; & comme-Vôtre Souverain, je vous affure que je trouverai bien le moyen de vous punir, en quoi j'efpère que Dieu m'ajfifiera, & qu'il prendra ma jufie caufe en main. Au refte , fouvene\-VOUs que je ne vous ai violenté en rien, &c. < La traduction de la lettre du Tzar à fon fils, envoyée de Pétersbourg a Voltaire, n'eft pas exacte dans tous les points. Dans le texte original, le Tzar reproche à fon fils de s'être mis, comme un traître, fous une protection étrangère.......d'avoir violé fes fermens....... H fallurc & lui promet, au nom de Dieu & par te Jugement dernierj de ne le punir point, mais de l'aimer encore plus qu'auparavant, s'il revient en Rujfie; & dans le cas contraire, il le déclare traître, & lui donne fa malédiction éternelle. Ici, nous rcconnoilTons le langage d'un père irrité contre un Tolftoé difoit fouvent à la maitreue: d'Alexis : *> Nons fommcs très-bien dans ce » pays charmant, où je voudrois finir mes jours avec vous ; mais malheurcufemcnt ce » pays cft gouverne par le Pape, &: notre Religion orthodoxe nous défend de vivre avec m ceux qui piofcfTcnt le Culte Romain. Pierre I eft très-infirme ; Alexis ne tardera pas » à être Souverain , & vous jouerez le plus grand rôle en RuAle : il faut donc quitter » ce beau pays par amour pour le Tzarévitz, & pour vous-même. Si vous voulez que » fon règne & le vôtre foit long Se heureux , empêchez que les Ruffcs ne croient qu'Alexis » balance entre la Religion Grecque orthodoxe Se la Religion Romaine «. Les infinuations de Tolftoé réunirent au gré de" fes défirs 5 Roumantzof fut mis en liberté ; le départ fut réfolu, & Tolftoé conduira fa viclime à Moskou. Cette note nous a été communiquée par M. le Général Bct^hi-t nous avons cru devoir la rapporter en entier, parce que les moindres détails font importans dans les caufes intércflantes. Tome III. I i f 434 HISTOIRE DE RUSSIE, fils défobéiilant Se fugitif ; d'un Souverain qui, parlant en maître, ne fair point un vain étalage de fon pouvoir, mais en parle pour effrayer un fujet qu'il veut ramener; Se par-fa s'affranchir de la néccfllté douloureufe d'en faire ufage pour punir. Voltaire dit que les Loix de la Ruilie ne permettent pas au fils du Souverain de forrir du Royaume malgré fon père ; mais il ne dir pas quelle peine ces Loix prononcent contre le fils fugitif. Que cette peine foit délignée ou qu'elle foit laiifée a la diferétion du Tzar, il fuffifoit que la défenfe fubfiftât, pour qu'Alexis dût craindre, non-feulement la colère de fon père, mais encore la juftice de fon Souverain. Nous ne cohnoiifons aucune Loi de Ruftie qui défende particulièrement au fils du Souverain de fortir de l'Empire malgré fon père : on ne fait pas des Loix pour tous les cas imprévus. Mais on a vu que fous les Règnes antérieurs à celui de Pierre I, il étoit défendu aux Ruflcs, en général, de fortir de l'Empire fans pafle-porr. Dans la circonftance dont il s'agir, &: par la lettre du Tzar, ce Prince fc montre véritablement grand, lorfqu'il concilie le pouvoir fouverain, dont le plus beau droit cft celui de pardonner, avec le titre de père qui lui rend ce droit fi précieux. On aime fur-tout a relire ces premières cxprcilïons : Si vous m'obciffei, je ne vous punirai pas ; Ji vous revenc^ , je vous aimerai plus que jamais. Alexis eût mérité le fort cruel qui termina fes jours, s'il fe fût montré rebelle aux ordres de fon Souverain , Se fourd a la voix d'un père offenfe qui promettoit, non-fculcment de pardonner., mais de l'aimer davantage , pourvu qu'il rcvolat dans fes bras. Eloigné des corrupteurs qui avoicnt abufé de fon âge Se de fa' foiblcfte naturelle, la voix du fang fe fit entendre, les infinuations de Tolftoé produifirent leurs effets, Se les exhortations du Vice-Roi de Naples déterminèrent Alexis a croire Se a fc fier aux fermeras du Tzar. " HISTOIRE DE RUSSIE. 4?J «Il arrive, dit Voltaire, le 13 lévrier i?t8', a Moskou, oirlc » Tzar étoit alors. Il fe jette le jour même aux genoux de fon * père ; il a un long entretien avec lui : le bruir fc répand auffi-» tôt dans la Ville que le père ôc le fils font réconciliés , que tout »cft oublié ; mais, le lendemain, on fait prendre les armes aux "Régimens des Gardes, à la pointe du jour; on fait fonner la >3 groife cloche de Moskou : les Boyards, les Confcillcrs Privés » font mandés dans le Château ; les Evêqucs , les Archimandrites deux Religieux de Saint-Bafilc, Profcfteurs en Théologie, » s'alfemblent dans l'Eglife Cathédrale. Alexis cft conduit fans » épéc ôc comme prifonnicr devant fon père. Il fc profterne )s en fa préfence, ôc lui remet en pleurant un écrit par lequel il » avoue fes fautes, fe déclare indigne de lui fuccéder, ôc pour « toute grâce lui demande la vie «c On ne conçoit pas comment M. de Voltaire a pu fc réfoudre à faire palfer dans fes Ecrits ce monument de perfidie 3c de trahi fon de la part du Tzar, pour lequel il avoit une admiration fi méritée. C'eft en vain , malgré le charme de fon ftyle, qu'il a cru pouvoir le juftificr. Un Panégyrifte qui ne veut que louer , doit cacher les foiblcifcs de fon Héros, plutôt que de chercher a les juftificr; parce que, s'il n'écrit pas pour inftruirc, il ne doit pas non plus fc propofer de corrompre , en dénaturant toutes les idées, reçues, ôc préfentant comme digne "d'approbation ou d'éloge ce qui cft effcntiellemcnt injufte ôc criminel. M. de Voltaire écrivant comme Hiftoricn , cft infiniment moins cxcufablc encore, quand il paroit oublier que le but de l'Hifloire cft de peindre les hommes, non pas tels qu'ils auroient dû être, mais tels qu'ils ont été; de préparer, pour ainfi dire, les voies au jugement de la Poftérité; de faire fervir enfin les vices comme les vertus des grands hommes des fièclcs pâlies, à l'inftnïclion ôc au bonheur des fièclcs à venir. I i i ij 436 HISTOIRE DE RUSSIE; * » L'Hiftorien, a dit Voltaire, qui loue un tyran, eft un lâche : H celui qui veut flétrir la mémoire d'un bon Prince, cft un monftrc; » ôc le Romancier qui donne fes imaginations pour la vérité , cft »s méprifé «. D'après ces vérités inconteftables, Pierre avec de grandes vertus a fait de grandes chofes...... Il falloit donc l'en louer. On le devoit, ôc pour n'être pas un monflre, ôc parce que fes grandes actions le rendront à jamais digne de vivre dans la mémoire des hommes, &: de ceux qui font appelles a gouverner les peuples : mais il fut injufte, parjure Ôc traître envers fon fils, par principe d'orgueil, par foiblcfic humaine, par un amour défordonné de fa propre gloire Ôc de fon autorité...... M. de Voltaire devoit aufti feu blâmer, non pour ftetnr la mémoire de ce Prince, mais pour fc montrer jufte ôc fidèle a la vérité , parce que celui qui loue un tyran, efl un lâche. Il ne falloit pas enfin fc livrer a des conjectures pour trouver des prétextes a la conduite de Pierre envers fon fils, parce que des conjectures ne font pas des preuves, ÔC parce que celui qui donne fes imaginations pour la vérité, efl méprifé. » Le Tzar, après avoir relevé fon fils, le conduifit dans un >j cabinet, où il lui fit plufieurs queftions. Il lui déclara que s'il y> ccloit quelque choie touchant (on évafion , il y alloit de fa tête ; «enfuite on ramena le Prince dans la falle où le Confcil étoit »aftemblé : la on lut publiquement la déclaration du Tzar, déjà » dreffee. » Le père, dans cette pièce, reproche a fon fils fon peu d'appli- » cation à s'inftruirc tfcs iuufons avec les parafans des anuennes muurs » fa mauvaife conduite avec fa femme. 11 a viole, dit-il > la foi » conjugale en sattachant a unc fille de la plus balle extraction, >s du vivant de fon époufe «. Les chefs daceufation étoient préfentes avec adrefle. Une grande partie de la Nation Ruflc, ôc peut-être même de ceux qui compo-l'oient le Confcil, partageoient avec Alexis ion attachement aux anciennes mœurs. Ce fécond grief, que nous regardons comme le feul auquel il fut facrifié, n'eût donc excité que des murmures, ou peut-être des factions, s'il eût été fcul. Pierre, en homme bien inftruit des difpofitions de fes Sujets, prend foin de l'envelopper. Il commence par reprocher a fon fils le défaut d'application à s'inftruirc. Il glilfc fur fon véritable motif, s'appefantit davantage fur fa conduite envers fa femme, fc ne fc diffimulant point qu'on pouvoit alléguer pour la juftification d'Alexis fur le troi-fièmc grief, l'exemple de fon père, il lui reproche enfuire » d'être >3 allé à Vienne fe mettre fous la prorcelion de l'Empereur ; d'y »5 avoir calomnié fon père, en faifant entendre a Charles VI m qu'il étoit perfécuté, qu'on le faifoit renoncer à fon héritage; n qu'enfin il a prié l'Empereur de le protéger a main armée «. Le Tzar ne fait pas attention qu'au moment même où il dit que fon fils l'a calomnié auprès de l'Empereur, il juftifie par de nouvelles perfécutions ce qu'Alexis auroit pu dire des précédentes. Qu'étoit-il étonnant d'ailleurs 'que fuyant des Etats de fon père qui, non-content de fa renonciation au Tronc, vouloit le contraindre a fc faire Moine, il eût dit a l'Empereur, fon beau-frère, les motifs de fon évafion, en lui demandant un afylc ? Quant à paceufation d'avoir prié l'Empereur de le protéger a main armée, la conduite de Charles VI fc le retour d'Alexis auprès de fon père, fuififoienr pour en démontrer la faulfeté. Pierre ajoute qu'Alexis avoit perfuadé a l'Empereur qu'il n'étoit pas en sûreté de fi vie s'il revenoit en Rujfie. » Voilà , dit il, de quelle » manière notre fils cft revenu ; fc quoiqu'il ait mérité la mort par fon » évafion fc fes calomnies, cependant notre tendreffe paternelle lui par-adonne fes crimes : mais conlidérant fon indignité fc fa conduite » déréglée, nous ne pouvons en confeiencé lui lai (Ter la fucceftion » au Trône ; prévoyant trop qu'après nous fa conduite dépravée >îdétruiroit la gloire de la Nation, fc feroit perdre tant d'Trats 4j8 histoire, de russie. »j reconquis par nos armes. Nous plaindrions fur-tout nos Sujets i » il nous les rejettions par un tel fucceffeur dans un état beaucoup » plus mauvais qu ils n'ont été. «Ainfi, par le pouvoir paternel, en vertu duquel, félon les » droits de notre Empire , chacun même de nos Sujets peut dés-» hériter un fils comme il lui plaît, ôc en vertu de la qualité de » Prince Souverain, ôc en considération du fiilut de nos Etats, » nous privons notredit fils Alexis de la fucceflion après nous au )j Trône de Ruilie , à caufe de fes crimes & de fon indignité, quand « même il ne fubfilleroit pas une feule perfonne de notre famille » après nous. >î Et nous continuons ôc déclarons fucceffeur audit Trône, »j après nous, notre fécond fils Pierre, quoiqu'encorc jeune, n'ayant » pas de fucceffeur plus âgé , ôcc. et. Le Tzar donne enfuite fa malédiction a fon fils Alexis, / jamais, en quelque tems que ce foit, il prétend à la fucceffion & la recherche. Il exige de tous fes Sujets qu'ils confirment le tout par ferment devant le fatnt Autel, fur le f tint Evangile, en baifant la croix. Il termine fa conftitution en ces termes. » Et tous ceux qui s'oppoferont jamais, en quelque tems que ce » foit, a notre volonté, Ôc qui dès aujourd'hui ©feront conlidérer »> notre fils Alexis comme notre fucceffeur, ou laililter h cet effet, if nous tes déclarons traîtres envers Nous & ta Patrie; ÔC avons ordonné « que la préfente foit par-tout publiée, afin que perfonne n'eu » prétende caufe d'ignorance. Fait a Moskou, le 14 février 1718, «N. S. Signé de notre main Ôc fccllé de notre fecau. »Lc Prince Alexis, de fon côté, figna qu il renonçoit à la n liicceulon. Je reconnois, dit-il, cette exchifion pour jufte $ njc l'ai méritée par mon indignité, ÔC je jure au Dieu rout-» puifiant en Trinité , de me foumettre en tout à la volonté » paternelle, ôcc. «Ces actes étant (Ignés, le Tzar marcha a la Cathédrale on »les y lut une féconde fois; &: tous les Eccléflaftiques mirent » leurs approbarions Ôc leurs fignatures au bas d'une autre copie «. Jamais Prince, dit Voltaire, ne fut déshérité d'une manière fi authentique....... nous ne dirons pas aufti injufte ; mais accompagnée de circonftances qui fourniflent matière a tant de réflexions. »îEn Ruflic, comme chez les anciens Romains, tout père avoit » le droit de priver fon fils de fa fucceflion ; & ce droit étoit plus "fort dans un Souverain que dans un fujet, & fur-rout dans un » Souverain tel que Pierre K Cette aifertion vague Ôc la réflexion qui l'accompagne , ne juftiflcnt point un Souverain tel que Pierre, parce qu'avant tout il faut être jufte, &: que la juftice cft le premier devoir de ceux qui commandent aux autres. Pour mettre nos Lecteurs en état de juger unc caufe aufti grave , nous croyons devoir expofer ici le pouvoir des pères chez les Romains ôc chez les Ruflcs, le Tordre de la fueccilion des biens parmi ces derniers (1). Une des maximes du Droit Romain étoit, que ce qui cft injufte dans fon principe, ne peut jamais cefter de l'être par quelque eirconftancc Ôc par rapport a quelque perfonne que ce foit. Les pères avoient, dans l'origine de la République, le droit de vie ôc de mort fur leurs enfans; ôc la Loi des Doyze Tables (1) L'importance de la caufe augufte que nous allons difeuter, ne nous permettant pas *k nous en rapporter à nos connoilfanecs fuperficiclles des Loix Romaines, nous avons «u devoir conlulrei un Jurifconfultc habile : c'eft; M. Hecquet, Avocat en Parlement* & notre ami , qui s'cil fait tin plaifir de fupplccr par fes lumières à la loiblcllc des nôtres, a condition que nous ne le nommerions pas ; mais s'il eft beau d'être modefte, il clt jufte «écic icconnoiflaut, & U juftice doic l'emporter fur toute autre confidération : ce n'eft Jonc pas manqua à fa p^oic que de rendre à fon bienfaiteur l'hommage public qui lui ca dû. leur avoit accordé celui de fe choifir un fucceffeur, en déshéritant un ou plufieurs de leurs enfans , pour enrichir les aurres (i) j mais lorfque les Romains s'appliquèrent à perfectionner leurs Loix, ils fentirent combien il étoit important de mettre des bornes à l'abus que plufieurs pères faifoient de leur pouvoir ; &; la Loi IVe du Digefte, au titre du Teftament inoffieieux y permit aux enfans déshérités injuftement de fe pourvoir devant le Juge, pour faire annuller le teftament de leur père; car, dit la Loi, Tonne doit point prêter les mains à des pères qui fevijfcnt contre leur propre fang; ce qu'Us font la plupart du tems, parce qu'ils fc laiffent féduire par les carefjes de$ belles-mères (i). Sous les Empereurs, le droit de vie ôc de mort, fans l'intervention du Juge, fut ôté aux pères fur-leurs enfans; parce qu'on penfa que l'autorité paternelle devoit conflit Cr plutôt dans la tcndrcilC que dans l'atrocité (3). Trajan contraignit un père qui avoit inhumainement traité fou fils a l'affranchir ; ôc le fils étant morr, l'Empereur priva le père de fa fucceflion, qui lui étoit dévolue fuivant la Loi 5 du Di^ gefte (4). Adrien fit reléguer dans une lile, un père qui avoit tué fofl fils , quoique coupable du crime d'adultère avec fa belle-mère y parce quC ce père l'avoit tué à la chafle, Ôc plutôt a la manière des voleurs, que par l'exercice du droit paternel (j). (i) Vti qnifquc Irgaffîr , ira jus efio. (1) Non enitn confentîendum tjl parentibus eontra proprium fwguinem fœvientibu*, quoa pterumque fuciunt t novcrcalibus dtlinimtntis infiîgationibufquc corrupti. (}) Quod putaverint patriam poteftaum in piecatc potiufquam in airachate fijîerc debtrt. (4) Si qais à parente manumijfus. (0 Latronis more t mugis quant jure partntis. Lcgc quimâ, fl". Je Loge Pomp-r»3' de Varrkidiis Pai Par rapport à l'exhérédation, en admettant les enfans a s'en plaindre dans les Tribunaux, on en fpécifia les caufes légitimes. Elles furent fixées à quatorze ; & l'exhérédation qui ne portoit pas fur une de ces raifons écrites, fut regardée comme in jufte. Toutes ces modifications des loix de Romulus Se de la loi des douze Tables, ne s'introduifirent à Rome que par degrés, Se devinrent en quelque forte, le fruit des lumières Se de la raifon épurée par elles. La Ruilie, au contraire, étoit encore plongée dans les ténèbres de la barbarie à l'époque dont nous parlons ; Se les faits qui précèdent attellent que, malgré tous fes efforts pour en faire fortir fes Sujets, le Tzar lui-même n'en étoit pas exempt. Avant la fatale époque dont il s'agit ici, les Ruifcs n'avoient jamais eu le droit de vie Se de mort fur leurs enfans, ni celui de fc choifir un fuccefteur, en déshéritant un ou plufieurs de leurs enfans à volonté, pour enrichir les autres. Les enfans de tous les fexes, de tous les âges, mariés ou non, y ont toujours été jufqu'a ce jour fournis au pouvoir des pères Se des mères : il n'eft pas permis aux enfans de plaider contre eux dans quelque cas que ce foit ; Se leurs plaintes font rejettées par tous les Tribunaux. Un père ou unc mère grièvement offenfés, ne peuvent pas fc taire juftice a eux-mémes ; ils doivent porter leurs plaintes à un Tribunal compétent, déterminer la peine qu'ils veulent infliger a l'enfant coupable, Se le Tribunal cft obligé de le punir, conformément aux défirs du père ou de la merc. Ces exemples ne font pas rares dans l'Hiftoirc de Ruftie. Avant la loi de l'exhérédation promulguée par le Tzar en 1715-, l'exhérédation n'avoit pas lieu en Ruftie ; les anciennes loix accor-doient aux enfans un partage égal dans la fucceftion de leurs pères Se mères, tant dans les biens immeubles, propres ou acquis , que dans les biens meubles, &c. Tome III. K k k Dans l'ordre actuel de la fucccilion des biens, l'aîné des mâles n'a aucune prérogative fur fes cadets : lu fage de la fubftitution en faveur des aînés n'y eft connu que depuis le mois de Février 1774; il y a éré établi avec la permiflion de Catherine II, ôc a la follicitation de M. le Comte Zakar de Tchcrnichcf, en faveur de fon neveu, le Comte Grégoire de Tchcrnichcf, fils du Miniftre de la Marine. . * La fucceflion cft directe des parens aux enfans, des frères aux frères ; ôc s'il y a des neveux, enfans de l'un des frères morts, ils reçoivent la part qui auroit appartenu a leur père, s'il eût vécu. Si un des frères morts laiffe un fils ôc unc fille, le fils hérite fcul de la fucccilion des immeubles. Cette coutume cft fondée fur une Loi du Tzar Alexis Mikaïlovitz, par laquelle la fille n'hérite jamais des biens immeubles, quand elle a un frère vivant. Mais lorfque dans une fucceflion il n'y a que des nièces de frères, ôc point de mâles, alots chacune d'elles partage également. Les pères ôc les mères n'héritent jamais de leurs enfans. Us ne peuvent pas difpofer de droit de leurs biens au préjudice de leurs enfuis; mais, faute d'enfans, ils peuvent tefter au préjudice de leurs neveux, ôc en faveur d'un homme de leur famille portant le même nom. Dans le partage des biens entre le frère ôc la focur, celle-ci reçoit aujourd'hui la quatorzième partie des biens fonds, ôc U huitième du mobilier. Cette difpolition de la Loi n'a lieu que pour les filles qui n'étoient pas encore établies à la mort de leurs pères : le père vivant peut donner a fes filles la dot qu'il veut. Le teftatcur ne peut plus déroger h ces difpofirions, dès qu'elles font revêtues des formalités légales dont nous avons parle ailleurs. La donation des biens fonds entre deux époux n'eft pas valable? elle ne l'cft qu'à l'égard du mobilier. HISTOIRE DE RUSSIE. 445 Comme les Loix Ruflcs ne permettent point aux pères cTexhé-réder leurs enfans, que le mari ne peut pas donner directement les biens fonds k fa femme, ni la femme au mari, ni un ami k un autre , on a trouvé le moyen de tromper la Loi, en faifant des venres fimulées k un tiers1, qui emploie le même manège pour faire palfer les biens aux perfonnes défignées par les prétendus vendeurs. Unc chofe digne de remarque, c'efl la claufe qu'on efl: obligé de fpécifier dans les contrats de vente, les legs, 6cc. \ la voici: Moi y qui ne fuis pas le dernier de ma famille , je donne, je vends, &c. Cette claufe prouve que le dernier d'une famille ne peur ni donner, ni vendre fon bien, parce que fa fucccilion appartient au Fifc. Telles font les Loix de Ruilie qui ont rapport a l'exhérédation d'Alexis. Rien ne prouve mieux qu'il étoit incapable de fuccéder h fon père , que fa renonciation volontaire à la fucccilion, le choix qu'il fit d'un Couvent, plutôt que de travailler à fe corriger, l'efprit fuperflitieux qu'on lui fuppofc, les débordemens ôc le libertinage dont on l'aceufé, fon peu d'application va s'inftruire dans fart dillicile de gouverner, fon attachement aux anciennes mœurs, fon peu de rcfpcct pour les changemens utiles que fon perc y avoit apportés, fa défobéiffancc&: fa fuite chez l'Empereur. Mais on ne doit pas oublier qu'une partie de ces vices étoient ceux de fon éducation , Ôc que Pierre I ne devoit s'en prendre qu'a lui-même. S'il exifloir des caufes fuffifantes pour légitimer fon exhérédation, il ne s'enfuit pas que la conduite de Pierre doive paroître fans reproche, ôc que fa mémoire pafle fans tache a la poftérité. Le refus d'accepter la renonciation de fon fils au Trône, fuivi de cette exhérédation infamante , annonce un drflèin forme depuis long - tems de le perdre. La Princeife de Volfenbutel , Kkk ii femme d'Alexis, étoit accouchée d'un fils prcfqu'en même tems que Catherine. Le fils d'Alexis & celui de Catherine n'avoient l'un & l'autre qu'environ trois ans, lorfqu'Alcxis de fon fils furent déshérités & facrifiés au fils de Catherine. Voltaire a juftifié Catherine d'avoir eu part a l'exhérédation d'Alexis, ainfi qu'à la catallrophc ianglantc dont elle fut fuivie; mais s'il n'exifte dans l'Hifloire aucune preuve de fon innocence que ce qu'en a dit cet homme célèbre, nous croyons pouvoir douter que ce qu'il a écrit pour (à défenfe, prévale fur la pré-fomption que laiffc contr'clle le choix de fon fils, à l'exclufion de celui d'Alexis. Nous n'adoptons point aveuglément ce qu'ont pu écrire contr'clle les Auteurs que réfute Voltaire : mais nous ne penfons pas être les fculs qui, révoltés par les traitemens barbares de Pierre envers fon fils, exeuferont leur averfion pour eux par ce paffage des Loix Romaines que nous avons déjà cité: Non enim confenticndurn efl parentibus contra proprium fanguinem ftvien-tibus, quod plerumque faciunt novcrcalibus delinimentis infligationibuj* que corrupti. Alexis, à la première lettre de fon père, avoit promis avec ferment de ne prétendre jamais à u fucccilion : Je remets, écri- VOit-il, mes enfans entre vos mains , & je ne demande que la vie. En réponfe à unc féconde lettre, par laquelle on ne lui donne que l'alternative de fi corriger ou de fi fure Moine, il dit qu'il veut fe faire Moine. Son perc va le voir ; il étoit malade ou feignoit de l'être : il confirme par lermens qu'il veut fc retirer dans un Cloître j &: le père, en partant pour un voyage, lui donne fi* mou pour fe confultcr* En rapprochant tous ces faits de ceux qui les fuivent, n'eil-il pas naturel d'imaginer que Pierre, lors de fes premières menaces à fon fils, s'attendoit à quelque réliflancc de fa part, qui lui ferviroit de motif pour fe livrer aux excès auxquels il avoit refolu H I S T OU E DE RUSSIE. 445 de fc porter; Ôc que rFdclai de fix mois qu'il lui accorda pour fe confulter, ne fut qu'un terme qu'il fc ménagea à lui-même, pour fe donner le tems de lui dreffer de nouvelles embûches? A peine arrivé a Copenhague, il lui écrivit qu il eût a choifir du Couvent ou du Tronc. 11 abrégea le terme qu'il lui avoit accordé.....Sous quel prétexte?.... Parce qu'il apprit qu'Alexis ne voyoit que des mécontens qui flattoient fes chagrins. 11 lui manda que s'il vouloit lui fuccéder, il falloit qu'il vînt le trouver à Copenhague. Ne fcmblc-t-il pas qu'il ait prévu, d'un côté, que fon fils auroit de la peine à quitter pour le Cloître la vie molle Ôc diilipée qu'il avoit menée jufqu'alors ; ôc de l'autre, qu'il refuferoit de l'aller rejoindre ôc de fe mettre fous la difeiplinc févère; en un mot, qu'il lui défobéiroit, fe rendroit coupable, Ôc lui fournirait unc occafion de le punir? Alexis fc retire en Allemagne ôc en Italie; fon père lui ordonne de revenir, ôc jure que s'il obéit il ne le punira pas 1 que s'il revient, U l'en aimera davantage. Il fe fie aux fcrmens du Tzar, il fc rend a Moskou, fc jette à fes genoux, reconnoît publiquement fes torts, en demande pardon, 6c le bruit fc répand que le père ôc le fils font réconciliés, que tout cft pardonné : mais le lendemain, la Ville cft remplie de gens armés ; les Gardes du Souverain s'emparent de toutes les portes ; Alexis cft conduit comme un criminel, fans épéc, devant fon père, ôc devant les Chefs de la Nation atfcmbléc : troublé par cet appareil, il fe profterne de nouveau devant fon père, il lui remet un écrit par lequel il avoue les fautes, fe reconnoît indigne de lui fuccéder, 0 demande feulement la vie. Son père fait tout a la fois l'office d 'Accusateur, de Grand-lnquifitcur Ôc de Juge; il le relève cependant, l'emmène dans un cabinet, lui fait fubir un interrogatoire privé; lui déclare qu'il y va de là tête, s'il cache quelque choie touchant 446 HISTOIRE DE iU S S I E. fon évallon, &: que la plus légère réticence le rendra indigne du pardon qu'il lui a promis. Il le ramène enfuire, le dénonce a la Nation comme un coupable digne de mort, fins lui donner la permiiïion de fe juftificr devant elle; il prononce fon exhérédation Se celle de fon fils, Se déligne k leurs places pour fon fuccefleur le fils de fa belle-mère. Il déclare traîtres envers le Souverain Se la Patrie, tous ceux qui, dans quelque tems que ce foit» ne feront pas de fon avis; il exige de tous ceux qui font préfens, qu'ils confirment le tout par fermais fur ce qu'il connoît de plus facré ; fe tranfportc h la Cathédrale, pour faire approuver par le Clergé fa conftitution, en ordonne la publication par-tout fon Empire, afin que perfonne n'en prétende caufe d'ignorance. Il termine enfin par contraindre Alexis à figner qu'il reconnoît pour jufte tout ce qu'il vient de faire, au mépris de fes fermais, à jurer lui-même par Dieu tout-puiflant en Trinité, de fc fou-mettre en tout à la volonté paternelle. Tout avoit évidemment été prévu, médité de fang-froid Se de longue main. Les fermens du Tzar h fon fils n'éroient qu'un piége tendu a fa (implicite. Pc 15, il arrive à Moskou, comme l'héritier du Trône; le 14, il en cft exclu avec toutes les circonftances qui précèdent, Se dont le rapprochement qui fournit tant de preuves de trahifon , de perfidie Se d'atrocité, fait de l'exhérédation d'Alexis un chef-d'auvre d'iniquité, tandis que Pierre avoit deux moyens naturels d'exclure fon fils du Trône ; le premier, d'accepter, comme nous l'avons dit, fii renonciation volontaire ; le fécond , d'ufer de fon droit de Souverain Se de père, fans joindre à l'exercice de ce droit l'extérieur d'un Jugement , de faire enfin porter l'exhérédation fur l'indignité facile à prouver du Tzarévitz, fans s'obftincr à le faire paroître criminel, per fas & nefas. Comme le premier crime conduit prcfque toujours à d'autres, HISTOIRE DE RUSSIE. 447 de même la première injuiticc que commet un Prince, le rend capable de toutes celles qu il croit utiles pour alTurer l'effet qu'il s'efl promis de la première. Alexis renonçant de lui-même au Trône , fa renonciation pouvoit paroître fufpcctc. La Nation pouvoit ne la regarder que comme une preuve de foumifïion aux volontés de fon père ; ôc lorfque revenu des erreurs de fa jeuneffe, il auroit travaillé dans l'obfcurité d'une vie privée a laquelle il afpiroit, a fc rendre digne de la fucceflion à l'Empire, on pouvoit par la fuite confidérer le motif même de fa renonciation, comme un titre de plus pour lui décerner la Couronne. Lui-même pouvoit revenir fur fa renonciation extorquée : confiné dans un Cloître, il pouvoit en fortir. Déshérité par fon père, il pouvoit réclamer encore après lui contre fon exhérédation. Enfin, « il » étoit à craindre, dit Voltaire , qu'un jour ceux mêmes qui >s avoicnt animé le Prince contre fon père Ôc confeillé fon éva-» fion , ne tâchaffent d'anéantir unc renonciation impoféc par >j la force, Ôc de rendre au fils aîné la Couronne transférée au » cadet d'un fécond lit. On prévoyoit en ce cas unc guerre civile, »& la deftruction inévitable de tout ce que Pierre avoit fait de » grand ôc d'utile. Il falloit décider entre les intérêts de près de » dix-huit millions d'hommes que contenoit alors la Ruilie,^ » un fcul qui n'étoit pas capable de les gouverner «. Qui pourroit ne pas frémir des conféqucnccs affreufes qui réfultent de cette manière de raifonner trop fréquente en politique? Quelle Nation allez barbare , aflez ennemie d'elle-même, pourroit adopter un Code, où la vie des hommes dépendroit des calculs les plus chimériques; où la crainte, fouvent ridiculey d'un mal futur, fuffiroit pour autorifer à faire périr unc foule d'innocens ? Un cft-il befoin d'ailleurs de prêter a la conduite ultérieure 448 HISTOIRE DE RUSSIE, du Tzar, des motifs dont il n'eut peut-être jamais l'idée? Ne peut-on pas dire que la mort d'Alexis, dont nous parlerons dans un moment, eut les mêmes caufes que fon exhérédation?." L'attachement de Pierre pour fes érablilTemcns, le délir de perpétuer fon autorité , même après fon décès, les préventions fc la haine qu'on lui avoit infpirécs contre fon fils, les careffes peut-être fc les inftigations de Catherine, mère de celui qu'il défigna pour fon fucceffeur, fc belle-mère d Alexis, ddinimentis infigationibufque noverca. Pierre , après avoir puni fon fils pour des fautes de jeune homme, qu'un père peut pardonner; après l'avoir traité comme un malfaiteur, fuivant la menace qu'il lui en avoit faite-; après s'être joué de la religion du ferment pour le tirer de l'afylc qu'il avoit été chercher auprès de Charles VI; enfin, après l'avoir exclu du Trône, pour y placer le fils de fa belle ..mère, Pierre n'eft pas fatisfait. Il a dit expreffément par fa conftitution qui prononce l'cxlié-rédatioil d'Alexis, que quoiqu'il eût mérité la mort par fon évafion & fes calomnies cependant Ja tendrejfe paternelle lui pardonnoit fes crimes ; il lui avoit précédemment écrit ce qu'on a lu, que s'il lui obéiffoit, il ne le puniroit pas; qu'il juroit, s'il revenoit, de l'aimer plus que jamais..... Cependant ceux qui lui ont fait enfreindre fes premiers fermais, le tiennent, pour ainfi dire, enfermé dans un labyrinthe d'iniquité, l'y tourmentent fans cefte, fc ne lui laiifent entrevoir d'autre moyen d'en fortir que par la mort de fon fils. Il ne peut plus fc flatter qu'après que lui-même fera forcé d'abandonner un feeptre que fes mains défaillantes ne pourront plus foutenir, en un mot après qu'il ne fera plus, Alexis rcfpcdc les volontés abfolucs de fon père, fc les fermais qu'il lui a arrachés , après avoir rompu les fiens. Lifànt avec effroi dans l'avenir, il le voit protcftànr contre line exhérédation > HISTOIRE DE RUSSIE. 449 exhérédation, dont lui-même ne peut fe diflïmulerau moins la rigueur Ôc la précipitation. Alexis, vainqueur de fon frère cadet, ou fécondé par la Nation, n'a pas oublié que les établiffemens de fon père ont été la caufe de fes humiliations ôc des tourmens qu'il lui a fait fourfrir. Il n'en devient que plus prompt à les détruire ; ôc ce que Pierre avoit fait pour en aifurer la perpétuité, ne fert qu'à en accélérer la ruine. A cette idée , le courroux de Pierre fe ranime ; fon defpotifme prend de nouvelles forces, Ôc bientôt, l'orgueil achevant d'étouffer la nature, la voix du fang ne peut plus fe faire entendre, Ôc la mort d'Alexis cft réfolue. Sa paftion l'aveugle : il ne confulte que le droit de vie ÔC de mort qu'il a fur fes Sujets; cependant il ne peut étouffer en lui le premier cri de la confciencc. Ce fentiment qui fait diftinguer l'homme le bien d'avec le mal, à travers le tumulte des paflions qui agitent fon cœur, lui rappelle les fermens qu'il a faits à fon fils de lui pardonner, ôc lui fait appréhender le jugement de Dieu, Ôc même celui des hommes. Il croit mettre fa confciencc en repos en confultant le Clergé qui le trompe , ôc donnant à la condamnation de fon fils tout l'extérieur d'un Jugement. Il nous refte à examiner la condamnation ôc la mort d'Alexis, d'après les principes d'équité ôc les Loix fanctionnés par Pierre I, avant cet événement funefte. Section III. Avant de rapporter les chefs d'aceufation qui fervirent à motiver la condamnation d'Alexis, la vérité exige que nous faftions connoître au Lcdcur comment le Tzar paffa fur toutes les formalités que lui-même avoit preferites dans fon Code, pour violer toutes les Loix prorcétriecs de l'innocence opprimée. ï". Dans le Chapitre I de lu Juftke & des Juges, le Légiflateur dit : Tome ///. lu liNorrs avons inftrtuc* dos Audi tcursjurifcon fuites pour éclairer nos >* Tribunaux civils & militaires fur les défauts de formalité dans » les procédure:, V pour leur fournir les moyens de les rectifier, 6C « de les ramener au bon droit par de fol ides raifons. Ces Auditeurs >j font expreifément obligés d'avoir l'oeil à ce que la Jullicc fo'.t >5 impartiale , ôc funs acception de perfonne > Ut font les méditttttttt >s entre V Accufateur & TAccufé; & s'ils étoient convaincus de négligence »s à cet égard, ou de connivence dans une Sentence injujle , ils doivent non->s feulement être privés de leurs charges , mais encore févèrement punis «• Art. vu 6c VIII. Quels font les Auditeurs qui ont été les médiateurs entre l'Accufateur 6c l'Accnfé dans ce Procès atroce? Un Sénat réduit à n'être que le Confcil du Prince, & des Sénateurs qui n'avoient que voix confultativc : un Clergé tremblant devant un Dcfpotc, qui lui foumet toutes les Loix divines ÔC humaines, en le laifiant maître abfolu do jurer, de fc parjurer, d'abfoudre ou de condamner arbitrairement, Ôc d'employer les moyens qu'il croiroit les plus convenables à la fevérité ou a fa clémence ; un Clergé cnlin , qui, en lui citant la rendreife paternelle «3c la miièricorde de David envers un fils fon perféeutcur, ajoute : Le père voulut T épargner3 mais la Juftice de Dieu ne l'épargna pas. z°. Le Légiilateur dit que l'Accufateur, quel qu'il foit, doit citer fon Adversaire devant le Tribunal compétent, faute de quoi laceufation efl nulle. Art. I, Chap. III. L'Article II enjoint a l'Accufateur de déclarer fes griefs dans ce Tribunal compétent, pardevant les Juges Ôc l'Accufé , mais en termes précis ôc diilinfts, pour obtenir une jullc làtisfaclion. Or, le Tzar cil l'Accufateur d'Alexis; fon Cabinet remplace le Tribunal : la Partie cil le Juge, ôc ce Juge condamne (on (ils in petto, au mépris de la Loi qui dit expreifément, Art. Il ,Ch. IV: L'Accufateur & l'Accufé ont te droit de faire les plaintes, tes reponfes, la réplique & la duplique9 fur-tout dans les ajfaires majeures. 3°. Le Légiiiatcur deiîgnc, dans le Chapitre des Témoins, ceux des deux fexes que les Juges doivent réeufer. Il comprend dans ce nombre Us adultères publics, qui, dit il, violant ta foi conjugale & infidèles à Dieu, deviendront plus aifément parjures; ceux qui font les ennemis de TAccufé, ou qui Vayant été,peuvent encore conferver un levain; ks parens, ks amis dévoués, ks fervir eu rs de TAccufé, les Etrangers mêmes dont la conduite ôc les mœurs ne font pas encore bien connues ; ceux qui ne dépofenr que par oui-dire, ôc qui n'ont ni Vu, ni entendu l'Accufé. Enfin, le Légiiiatcur dit a l'Article XIV, que perfonne ne peut être témoin dans fa propre caufe. 4". Le Chapitre des Preuves prv lente d autres Loix auili favorables k faceufé : i°. fi l'Accufateur ne prouve pas allez évidemment ce qu'il a avancé, f Accule doit être renvoyé abfous par le Tribunal ; ôc fi les délations ou les plaintes non prouvées font de grande confequenec, l'Accufateur doit être puni fuivant la rigueur des Loix. i°. La preuve la plus complctte étant l'aveu de l'Accufé, on n'en cherchera point d'autre; mais cet aveu doit être accompagne des conditions fui van tes. Il faut que ce qui c(l avoué foit véritablement conforme k ce que l'Accufateur a avancé. • Cet aveu doit être libre, Ôc non arraché par la crainte. Il doit être fait dans le Tribunal même, ôc devant les Juges, fans quoi il eft nul, ôc ne peut fervir en rien contre l'Accufé. Il faut encore qu'il n'y ait aucun licu.de douter de la vérité du fait ÔC de l'aveu. Moyennant ces conditions néceffaircs, le Juge ne doit pas heliter a prononcer la Sentence. Seconde Partie des Procès, Art. I ôc IL y". Le Chapitre V du Code traite du Serment. Le Légiiiatcur dit que l'Accule ne peut, dans aucun cas, être contraint au ferment purgatoire j fi Paccufatiou portée contre lui n'eft pas prouvée ôc démontrée. Art. V. LU ij Les Juges doivent employer tous les moyens poilîblcs pour découvrir la vérité , avant de contraindre l'Accufé a la prédation du ferment ; mais dès qu'une fois l'Accufé y eft admis Ôc qu'il fa prêté, le Juge alors doit l'abfoudre ôc le déclarer exempt de punition....... Si l'Accufé refufe de prêter le ferment requis, fon refus induit à croire que l'accufation portée contre lui cft bien fondée ; tnais cependant les foupçons & mêmes tes prcfomptions ne fufffent point dans les affaires criminelles, il faut des preuves certaines; car il vaut mieux ahfoudre dix coupables que de condamner un feut innocent. Arr. Vl. 6°. Le Légiflateur traite de la Queftion ordinaire ôc extraordinaire dans le Chapitre VI, ôc il en reft*cint t'ufage a ce qui fuit. Le Juge ne doit jamais ordonner la torture, que lorfqu'il * des preuves complctres contre 1 Accufé , telles, par exemple , que deux ou plufieurs témoins irréprochables ÔC irrecufables, qui affirment avoir vu commettre le crime par l'Accufé. Art. I. , On n'appliquera à la torture que dans les affaires criminelles fullifiuumcnt prouvées, ôc dans la fuppofition que le coupable refufe conftamment d'avouer fon crime ôc fes complices. Ce n'eft donc que dans les délits de cette nature ôc qu'a ces conditions, qu'il cft permis au Juge d'interroger le coupable par la torture, pour en tirer l'aveu de la vérité. Art. II. Il cft défendu au Juge de fiiirc fubir unc féconde fois la torture au coupable qui nie obftinément, a moins que de nouveaux témoins ne fournilfcnt de nouvelles preuves des faits niés Art. Vf Mais il ne fuftït pas que le Torturé s'avoue coupable pendant qu'il fubit la queftion \ la douleur préfenreou la crainte de nouveaux tourmens peut lut arracher cet aveu : il faut encore que le Juge l'interroge de nouveau quelques jours après avoir fubi la torture ; il faut que le coupable perfrilc dans fon aveu, ôc qu'indépendamment de fon aveu, les preuves ne laiffcnt rien à défirct fur la certitude du crime commis, avant de prononcer la condamnation. Art, VIII. HISTOIRE DE RUSSIE. 4J5 Après avoir expofé les principes du Code criminel de Pierre I, nous allons entrer dans les détails du procès, de la condamnation &: de la mort d'Alexis. Cette tragédie cft de tous les faits qui fe font pafles fous le règne du Tzar, celui qui influera le plus fur le jugement de la Poftérité, parce qu'il expofe au plus grand jour le caradère de ce Prince &: les fentimens de fon cœur : en un mot, c'eft un fait dont les circonftances & le fond, regardés fous des points de vue différais par les Hiftoricns, font de ce Prince un monftrc dénaturé , ou l'offrent comme un exemple de zèle pour Ja juftice , de courage & de patriotifmc. Nous dirons donc avec Cregorio Leti, qu'un devoir indifpenjable à celui qui entreprend d'écrire l'Hifloire y c'cjl de dire tout ou rien. Section IV. PREMIER CHEF D'ACCUSATION. «Une des charges qui fervirent a la condamnation d'Alexis,-n fut unc lettre d'un Réfident de l'Empereur , nommé Beyery » écrite de Pétcrsbourg après l'évafïon du Prince. Cette lettre »3 portoit qu'il y avoit de la mutinerie dans l'Armée Ruffc aftem-1» bléc dans le Mccklcmbourg ; que plufieurs Officiers" parloient «d'envoyer la nouvelle Tzarinc Catherine & fon fils, dans la «prifon ou ctoit la Tzarinc répudiée, & de mettre Alexis fur » le Tronc quand on l'auroit retrouvé. Il y avoir en effet alors » unc fédition dans cette Armée du Tzar; mais clic fut bientôt « réprimée. Ces propos vagues n'eurent aucune fuite. Alexis ne « pouvoit les avoir encouragés ; un Etranger parloit comme d'une » nouvelle ; la lettre n'était point adrejfée au Prince Alexis y & il n'en " av"it qu'une copie qu'on lui avait envoyée de Vienne «. 11 feroit impofliblc de rien ajouter à ce que dit Voltaire pour faire fentir le ridicule & lmfufliiàncc de cette première depofition. 454 HISTOIRE DE RUSSIE. En France on pourroit demander fur quel fondera nt on a pu faire une information, fans qu'il y eût de corps de dclic, fans qu'il y eut d aceufateur : ne pourroit-on pas faire la même queftion en Ruilie , ci'anrcs le Code même dont nous venons de rapporter les principaux articles? Nous y renvoyons le Lecteur. Mais tout ctoit extraordinaire dans la marche du Tzar : il avoit oublié que le Lé-giilateur eu: le Protecteur de l'innocence, il étoit devenu , comme lors de la Sentence d'exhérédation, l'Accufateur fc le Juge de fon fils; a moins qu'on ne veuille regarder Catherine comme la véritable Acculatricc : Faclum deiuiimentis & infligat onibus nover\.» que/que chofe aux Eveques, qui le rediront aux Curés , les Curés aux »î Paroijficns ; & on me fera régner, fût-ce malgré moi «. Voltaire ne fait aucune réflexion fur cette dépofition, qui n'en mérite pas, puifqu'cllc ne porte que fur un propos vague, fui unc rodomontade , qui, dans nos mœurs, ne feroit d'aucune confidération, ôc qui ne pouvoit en être d'aucune en Ruflic, ou un fcul rémoin dépoiant d'un fair, cft regardé comme Utt témoin nul. La Loi du Tzar y cft formelle. QUATRIÈME CHEF. «La propre maitrefte du Tzarévitz dépofa contre lui «. Voltaire ne rapporte pas fa dépofition ; nous allons y fuppléer : elle dépofa que fon amant avoit écrit à l'Empereur une lettre qui renfermoit des plaintes contre fon père. Dans la confrontation, Alexis lui prouva qu'il n'avoit pas envoyé cette lettre. Mais Euphrofinc étoit un témoin bien récufablc, puifqu'clle avoit été caufe de l'adultère public du T^atévit^; qu'elle étoit encore réputée fon amie ; ÔC qu'a ce double titre, les Juges dévoient la réeufer conformément aux Articles I ôc II de la Loi de Pierre I, concernant les témoins uon-rccevablcs en Juftice. La dépofition d'Euphrofinc, qui fut admife malgré la Loi ôc regardée comme légale, prouve de la manière la plus forte, l'acharnement des ennemis d'Alexis, qui s'étoient abaiftes jufqu'a corrompre fa maitrefte , fille de ta plus bajje extraction, fuivant le rapport du Tzar, dans fes griefs pour légitimer l'exhérédation. Nous n'avançons rien fins preuve : l'immunité d'Euphrofine, dans le procès capital où clic étoit fi fort impliquée i quéc ; les bijoux qu'elle avoit reçus du Tzarévitz, fc dont on ne la dépouilla point j la pcnfion que le Tzar lui afligna, fc qui n'eut poinr d'effet rétroactif j tout annonce, tout démontre la fubornation d'Euphrofinc fc le complot formel de perdre Alexis, per fus & nefas , fc à quelque prix que ce fur. Cette affertion cft fi plaufible, qu en cherchant même a rendre moins odieufe la conduite du Tzar, Voltaire n'a pu s'empêcher de dire «que toutes les aceufations n'étoient pas bien précifes; « nul projet digéré , nulle intrigue fuivie, nulle confpiration , « aucune aftbciation, encore moins de préparatifs ç«. Cependant, Je Tzar exige au Chapitre des Preuves, qu'elles fiaient complexest & que fi l'Accufateur ne prouve pas évidemment ce qu'il a avancé', l'Accufé doit être renvoyé abfous par le Tribunal ; & fi les délations ou les plaintes non prouvées, font de grande conféquence, l'Accufateur doit être puni fuivant la rigueur des Loix. Et fût-il jamais d'aceufation plus grave, de conféquence plus terrible , que celles qui ont pour objet de flétrir la vie morale d'un Prince , en lui fuppofant des crimes qui le rendent indigne du Trône fc de la vie > C'étoit, dit Voltaire, » un fils de funillc mécontent fc dépravé , qui fc plaignoit de « fon perc, qui le fuyoit fc qui efpéroit fa mort ; mais ce fils « de famille étoit l'héritier de la plus vafte Monarchie de notre « hémifphcrc; cV dans fa fituation & dans fa place, il n'y avoit point « de petite faute «. Jufqu'a préfent, nous n'avons pas encore apperçu qu'Alexis ait été convaincu de la plus légère faute envers l'Etat, ni même directement envers fon père : or, dans quelque place qu'il fut, on ne pouvoit pas, fans preuve, le déclarer coupable envers l'Etat fc fon père; mais élans f a fituation, tout devenoit criminel, parce que les ennemis avoicnt en main l'autorité la plus abfolue, fc qu'ils vouloient que fes actions les plus innocentes fuffent jugées criminelles. Tome III. M m m CINQUIÈME CHEF. » Accufé par fa maitreffe , Alexis le fut encore au fujet de » l'ancienne Tzarinc 6c de Marie fa fœur. On le chargea d avoir »3 confulté fa mère fur fon évafion, 6c d'en avoir parle a la frin-m ceffe Marie. Un Evêquc de Roftof, confident de tous trois, » fut arrêté, 6c dépofi que ces deux Princelfes, prifonif ères dans » un Couvent, avoient cfpéré un changement qui les mettroit » en liberté, 6c avoicnt, par leurs confeils, engagé le Prince a » la fuite.... Plus leurs reffentimens étoient naturels, plus ils » étoient dangereux ( i ) «. (i) Le fait que Voltaire ne fait, pour ainfi dire , qu'indiquer à fes Lecteurs, nous paroît trop important pour pafler fur fes détails. Les ennemis d'Eudoxic &: les partifans de Catherine découvrirent qu'Eudoxie répudiée & reléguée avec la Princcflc Marie , fa bellc-forur, dans un Monaftèrc de Souzdal, avoic quitte l'habit de Saint-Bafjlc, malgré les \ecu» qu'on l'avoit obligé de faire j que la Princcife Marie lui avoit procuré des habits féailicrs , & que l'une & l'autre avoient approuvé l'évafion du Tzarévitz. Le Tzar en fut informé dans le tems même qu'il inftruifoit non fcuUmcnt le procès de fon fils, mais qu'il faifoit tranfpoitcr à Moskou tous ceux qui etoient accu (es ou foupeonnés d'avoir eu des relations avec ce mallicurcux Piincc. Pétcrsbourg & Mo-kou étoient en alarme : on ne pouvoit fortir de ces Villes fans patte-port ; des Corps-dc-gardc & des Patrouilles gardoient tous les chemins : les Moskovitcs étoient rcfpU nom ci oient pas au Sénat, dans le cas ou quelques uns des habitans voudvoicuc s'enfuir de la Ville. Le T/ar envoya un détachement aSoii/dal pour enlever ks deux Prinecilcl, le ConfclTcur dT-udoxic , l'Archevêque de Roftof, le Procureur du Couvent & le céuétal Major C.lébof, folip^onné d'une intii'.ui: amoureufe avec la T a me i étudiée. On dit qu'entte les mé onténs attachés à l'ancienne barbarie, étoit Dojtpkei, Evoque • lui imputoit contre fon père, ôc il s'exeufa fur la colère Se fur >î l'ivrelfe ». Ce que nous venons de dire montre le peu de cas qu'on doit faire des aveux d'Alexis, extorqués par la crainte de la morr, ou l'efpoir de s'en garantir en s'avouant coupable. On n'avoit pas des armes contre lui, ôc pour en avoir on voulut lui arracher, niêmc par des tourmens, la confcflion de fes penfées les plus fecrètes. Le feptième Chef va le prouver. S E P T I È ME C II E F. » Le Tzar dreffa lui-même de nouveaux Articles d interrogatoire. Le quatrième étoit ainli con^u: "Quand vous avez vu par la lettre de Bcycr qu'il y avoir unc •3 révolte à l'Armée de Mccklcmbourg, vous en avez eu de 1a » joie : je crois que vous aviez quelque vue, Se que vous vous ^ feriez déclaré pour les rebelles, même de mou vivant». La plume échappe des mains à chaque inftant, &: le coeur fe foulèvc, en lifant avec attention toutes les feencs d'horreur de ce barbare procès. 11 n'eft peut-être rien de plus monftrueux dans 4a Nature/, que ce rôle d'un père compofant à loillr fes argtt-mens contre Ton fils; 1 interrogeant fur le fond de fes fentinicns feerer> , lur les fentimens cachés de fon cœur, qui ne furent jamais chez aucun Peuple , comme l'obfcrvc très-judicieufement Voltaire, l'objet d'un procès criminel. Cette violation du Tribunal même de la confciencc cft un ficrilége pour le Légiiiatcur qui'dit, Chap. V, Traité du Serment ; Si l'Accufé refufe de prêter le ferment requis , fon refus induit à croire que Taccufation eft fondée ; mais cependant les foufçons & même les prefomptions fondés ne fufjfent point dans les affaires'criminelles ; il faut des preuves certaines; car il vaut Mlt.UX AlïïOUQRE DIX COU TABLES , QUE DE CONDAMNER US no ijp îtijoriiu9q]oi uoq c*i';o*)iir> z*>up1'*up tviorr rx^Tn t *J*?" • "31 SEUL INNOCENT. *» Alexis, continue Voltaire, pouvoit nier les faits, il n'étoit «pas obligé d'ouvrir fon amc; cependant, il répondit par écrit: njSt tes rebelles nravoient appelle de votre vivant, j'y ferois apparemment » allé, ftppof^qu ils euffent été affe\ forts. Il cft inconcevable qu'il » ait fait cette réponfe de lui-même; Se il feroit aufti extraordinaire, du moins fuivant les mœurs d'Europe, qu'on lVlir ^condamné fur l'aveu d'une idée qu'il auroit pu avoir un jour, "dans un cas qui n'eft point arrivé La réponfe d'Alexis, 'loin de nous paroîrrc extraordinaire, nous fcmble conforme à fon caractère pufiUanimc : elle cft d'ailleurs un effet îuturel de la menace de mort, en cas de refus d'avouer. Cette réponfe n'eft pas plus extraordinaire que l'éloge de Mentfchikof, qu'on l'obligea de faire dans fes interrogatoires; de Menrlchikof, qui le meprifoit, l'outrageoit Se le perdoit dan* l'efprit de fon père. C'eft donc avec raifon que Voltaire dit : » A cet étrange aveu de fes plus fecrètes penfées qui ne s'étoient point échappées au-delà du fond de fon amc, on joignit des preuves qui, en plus d'un pays, ne font pas admifes au Tribunal de la Juftice humaine «. Avant de palfer au huitième Chef, nous croyons devoir remer-tre fous les yeux du Lecteur, les Rcglemcns du Légiiiatcur Ruflc, au fujet de la queftion ordinaire & extraordinaire. Le Juge, dit-il , ne doit jamais ordonner la torture que lorfqu'il a des preuves prefque complettes contre l'Accufé,,,, On ne peut appliquera ta torture que dans les affaires criminelles fujfifamment prouvées.,.. Mais il ne fuffit pas que le torturé s'avoue coupable ■ la crainte de nouveaux tourmens peut lui arracher cet aveu...... // faut que le coupable pcrfjle dans fon aveu après la torture , £• qu'indépendamment de fin aveu , tes preuves ne lai(jent rien à déftrer fur la certitude du crime commis pour prononcer la condamnation..... Nous fommcs donc fondés à demander de quel droit le Tzar a commencé par fuie fubir unc cfpccc de queftion ordinaire à fon fils? ( la prifon , la perte de la liberté, la violence ôc les coups en font une) Cv pourquoi encore il a joint a celle-ci la queftion la plus injufte, la plus extraordinaire de toutes, finquiiition de la confciencc même, avant d'avoir, nous ne difons pas des preuves complettes, mais feulement des précomptions fondées? HUITIÈME CHEF. m Le IYuicc accablé, hors de fes fens, recherchant dans lui-même avec l'ingénuité de la crainte tout ce qui pouvoit fervir >»a le pctdic , avoua enfin que dans la Ctfkftjfion :l s'était anufé » devant Dieu à t'Jnhiprérrc Jacques , d'avoir fonhaité la mort de fon » père, ÔC que le Coniefteur lui avoit répondu : Dieu vous le par- 4É4 HISTOIRE DE RUSSIE. » donnera > nous lui en fouhaitons tous autant..... Le PrêtrC Jacques » fut applique à la queftion, ôc avoua ce que le Prince avoit »> révélé ». Tout le monde fait que les preuves tirées de la Confeilïon font inadmifliblcs : ôc l'Eglife Grecque, dit M. de Voltaire, n* croit pas 3 non plus que la Latine , que cette correfpondance intime & fierce entre un Pécheur & U Divinité , foit du r effort de la Juftice humaine ; mais il s'agiftoit (ou plutôt Pierre vouloit faire croire qu'il s'agitfoit) de l'Etat Ôc d'un Souverain. On n'ignore pas que les crimes d'Etat & de Lèzc-Majcfté divine Ôc humaine, font les fculs pour lefqucls il foit permis aux Confelfcurs de violer le fecret de la Confeilïon, ôc pour lefqucls ils foient même obligés, par les Loix de l'Eglife ôc de l'Etat, à révélation : mais le crime d'avoir fouhaité la mort de fon père, dont Alexis s'étoit accule, devoit paroître plus grand aux yeux de la Divinité, qu'à ceux des hommes & du Tzar lui-même. Dieu fcul a droit de juger les intentions, parce que lui feu! les connoît, ôc que fcul il peut fonder les coeurs. Quant au Tzar, il ne pouvoit prouver que fon filé, non-feulement eut tenté d'accomplir fon fouhait, mais qu'il eut rien fait qui fervit à démontrer qu'il eut eu deifein d'en accélérer l'accomplilfementi ÔC malgré la réponfe exécrable de l'on Confcifeur, qu'il eût per-fevére dans fon defir. NEUVIÈME C H E F. «Dans les répontes que fit Alexis au premier interrogatoire »»de fon père, il avoue que quand il fut à Vienne , ou il ne » vît point l'Empereur, il s'adreifa au Comte de Schonborn, »> Chambellan; que ce Chambellan lui dit ; L'Empereur ne vous >j a bandonnera HISTOIRE DE RUSSIE. 46 < M abandonnera pas, ôc quand il en fera tems , après la mort de » votre père, il vous aidera a monter fur le Trône à main armée. »» Je lui répondis ajoute l'Accufé , je ne demande pas cela; que tEm » pereur m'accorde fa protection , je n'en veux pas davantage. w Cette dépofition fimple ôc naturelle porte un grand caractère de vérité........Cette dépofition cft du mois de Février -y »& quatre mois après, au premier Juillet, dans le cours Ôc fur »la fin de ces procédures, on y fait dire au Tzarévitz, dans fes «•dernières réponfes par écrit : »Nc voulant imiter mon père en rien, je cherchois à parvenir » à la fucccilion de quclqifautre manière que ce fût, excepté » de la bonne FAcoN. Je la voulois avoir par aftiftanec étran-» gère ; Ôc fi j'y étois parvenu, Ôc que l'Empereur eût mis en »> exécution ce qu'il m'avoit promis, de me procurer la » Couronne de Ruilie , même à main armée , je n'aurois rien »> épargné pour me mettre en poftèilion de la fucceflion. Par ♦3 exemple, ii l'Empereur avoit demande en échange des troupes » de mon pays pour fon fervicc , contre qui que ce fût de fes 11 ennemis, ou de groftes fommcs d'argent, j'aurois fait tout ce w qu'il auroit voulu, ôc j'aurois donné de grands préfens à fes » Miniftrcs Ôc à fes Généraux. J'aurois entretenu à mes dépens » les troupes auxiliaires qu'il m'atuoit données pour me mettre » en polfeilion de la Couronne de Ruilie; ôc en un mot, rien » ne m'auroit coûté pour accomplir en cela ma volonté tt. Voltaire frit fentir combien cette dépofition du Trincc paroît forcée ; il auroit pu dire davantage : il fe borne à obfcrvcr quil ne s'agifj'vit pas de f révolter contre fon père , meut de lui fuccéder après fil mort , & que le Prince dit dans ce dernier interrogatoire ce quil croie qu'il eût fait, s'il avoit eu à dijputer fon héritage ; héritage auquel il n'avoit pas renoncé juridiquement avant fon voyage de Vienne à Naples. » Le voilà donc, s'cci'ic encore cet homme célèbre, le voilîl Tome HL JSÏ n n ^6 HISTOIRE DE RUSSIE. « qui dépofé une féconde fois, non pas ce qu'il a fait ôc ce qui » peut être fournis à la rigueur des Loix, mais ce quil imagine u qu'il eût pu faire un jour, Ôc qui, par conféquent, ne femble «fournis à aucun Tribunal : le voilà qui s'accufc'dcux fois des « penfées fecrctes qu'il a pu concevoir pour L'avenir. On n avoit «jamais vu auparavant dans le monde entier, un fcul homme « jugé &: condamné fur les idées inutiles qui lui font venues dans «l'efprit, ôc qu'il n'a communiquées à perfonne. Il n'ell aucurt «Tribunal en Europe, où Ion écoute un homme qui s'aceufe «d'une penfée criminelle; ôc Ton prétend même que Dieu ne « les punit que quand elles font accompagnées d'une volonté « déterminée «. Afturémcnt on ne peut pas jrftificr Alexis avec plus de force ôc de folidité : mais Voltaire, qui ne femble s'être propofé que d'exercer l'orTicc de Rapporteur djns ce procès intérciïant, laific trop entrevoir fon opinion perfonnellc, ÔC fon opinion n'eft pas celle d'un juge tout-a-fait impartial 11 femble fc faire à lui même des objections, pour fc donner lieu de les réfuter; mais la réfutation cft facile à écarter, ôc les objections reftYnr. «On peut répondre, dit-il, à ces confidérations fi naturelles «(que nous avons copiées littéralement) qu'Alexis avoit mis fon m p-re en droit de le punir, par fa réticence Jur plufieurs complices de frt « évafion ; fti grâce étoit attachée à un aveu général, Ôc il ne le « fir que quand il n'étoit plus tems. Enfin, après un tel éclat, « il ne paroi(Joit pas dans la nature humaine t qu'Alexis pardonnât un jour « au fr re, en faveur duquel il avoit été déshérité ; ÔC il valoit micilX, n difoit-on, punir un coupable, que d'expofer tout l'Empire. L* n rigueur de la Juflicc s'accordait avec la raifon d'Etat. « 11 ne faut pas juger des moeurs ôc des Loix d'une Nation pat » celles des autres. Le T/ar avoit le droit fatal mais réel, de « punir de mort fon fils pour la feule évafion, ôcc. «. Alexis , dit-on , avoit mis fon père en droit de le punir, par fa réticence . fur quelques-uns de fes complices ,&fa grâce étoit attachée à un aveu général.,.. Nous avons déjà dit ce que nous penûons de ce piége tendu au. Prince Alexis par le Tzar, pour le forcer à des aveux que fon père croyoit capables de le juftifier lui-même, ou dont il avoit befoin pour juftificr à fes propres yeux la mort de fon fils, réfolue dès l'époque de la lettre qu'il lui avoit écrite à Naples, ainfi que le donne à préfumer la rapidité des procédures faites contre Alexis par fon père. Voyez les réflexions fur le cinquième Chef d'aceufation. Après un tel éclat, il ne paroijfoit pas dans la nature humaine, quil fut poffible qu Alexis pardonnât un jour au frère , en faveur duquel il avoit été déshérité.____ Quelle étoit à la Cour du Tzar la perfonne que cette crainte devoit naturellement frapper davantage ? Il n'eft: perfonne qui, répondant à cette queftion, ne nommât la Tzarinc, mèic de l'enfant préféré, ÔC le favori qui avoit le plus à redouter la vengeance du Tzarévitz, dont il tramoit la perte après avoir concouru à fon exhérédation. On doit le rappcllcr que nous avons établi pour bàfc de notre difeufiion, le principe incontcftablc que la Juftice cft unc, ainfi que la vérité. Nous croyons pouvoir en tirer deux conféqucnccs; la première, que toutes les Loix qui portent atteinte aux droits imprescriptibles ôc facrés de la Nature, font cftcntiellcmcnt mau-vaifes ôc contraires à la Juftice ; la féconde, que chez aucun des Peuples de la terre, où la vie des hommes n'eft pas abandonnée aux caprices ôc aux pallions de ceux qui les commandent, il ne doit être permis de déclarer un homme coupable ôc digne de mort, fans qu'il n'y ait un corps de délit conftaté par d'autres preuves que des aveux extorqués par la force : que nulle part, on ne doit paroître cxcufablc quand on fc joue de la religion du ferment pour faire périr un innocent j qu'avec les plus foiblcs notions de la Juftice, Nnn ij 46S HISTOIRE DE RUSSIE, on doit regarder la dépofition d'un feul témoin, comme une dépofition nulle : Teflis mus, tcjïis nultus ; que lorfqu'unc affaire criminelle cft fufceptible d'être envifagée fous deux faces différentes, on doit toujours prendre celle qui tend à la décharge de l'Accufé > que le Juge même doit fupplécr d'office h ce que l'Accufé , p^r ignorance ou par oubli, peut avoir omis pour fa défenfe : Qui* ipflus efl pfO Accufati laborare innocentiâ. L. Jt non defendatur, ff« de pœnïs; que l'on ne doit point faire périr un homme par la crainte d'un mal futur : A futuro gravaminé ; que par-tout où la Confeilïon auriculairc cft confacrée par !a Religion, le fecret doit en être rcfpcclé; que l'on doit fcftreindre les cas auxquels les Confefteurs peuvent en être difpenfés, bien loin de leur donner une cxtcnfion arbitraire; qu'enfin par-tout, on doit faire obfcrvcr l'axiome du Droit Romain , qui défend d'ajouter foi aux déclarations d'un homme qui, fans y être contraint, avoue là propre turpitude; Hemo crtditur propriam turpitudinem allegans. Nous avons fulfifammcnt prouvé que toutes ces maximes pré-Cieufes furent méconnues par Pierre; mais Pierre étoit Empereur de lluflie : // avoit le droit fatal, mais réel, de punir de mou fon fus pour fa feule évafion , ev la rigueur de ta .Influe s'a^cordoir avec la raifort d'I rat. Te fcul crime d'Alexis fut donc de s'être retiré chez l'Empereur, fans le confentement de fon père : il en étoit revenu fur la première injonction qu'il en avoit reçue. Son père lui avoit promis de ne pas le punir, Se s'il revenoit, de l'en aimer davantage : maigre les fermons, il l'avoir puni par l'exhérédation; la rigueur de fa Juftice étoit fatisfàitc, aux dépens même de fi bonne foi. Si Pierre eût connu cet aune principe d'équité, qui défend de punir deux fois pour un même crime, non bis in idem, que feroit il donc relié contre Alexis?____ la raifon d'I't.ir, Or, la raiibn d'Etat chez un dcfpotc/cft fouvent celle qui HISTOIRE DE RUSSIE. 469 difpcnfe d'en donner d'autre , Se qui fert de voile à fes cruautés, à fes paillons, a fa tyrannie. Pierre adreffa aux Juges Se aux Evêqucs, une déclaration que "M. de Voltaire a rapportée toute entière, en paroiftant lui faire lin mérite d'avoir confulté fur un crime qu'il pouvoit commettre a lui fcul. Cette déclaration de Pierre cft en effet celle d'un homme qui therche à fc raffermir contre les remords anticipés que lui caufe lé crime qu'il cft fur le point de commettre. // craint la mon éter- ndlc j fi , ne connoiffant peut-être point la qualité' de fon mal, il voulait s'en guérir feut, vu principalement qu'il a juré fur tes Jugemens de Dieu 3 qu'il a promis par cent te pardon de fon fis , & l'a enfuite confirme de fa louche,... 11 cft effrayé du parjure, Se ne l'cft point du tout de tinfanticide. Ce n'eft point unc opinion qu'il demande____ Wàus avons un pouvoir qffe\ abondant & abfolu'de juger notre fils feion notre Volonté , fans en demander avis à perfonne,,.. Ne me flatter pointajoute te Prince. Il parle en dcfporc, Se demande qu'on ne le flatte pas; c'eft demander l'impoftible...... " N'appréhende^ point que s'il ne mérite quune légère punition , & qui Vous le jugiez ainfi, cela me foit defagréable ; car je vous jure par le Grand-Dieu & par fes Jugemens , que vous n'ave^ abfolument rien à craindre. Il ne promet pas que s iU jugent qu'Alexis ne mérite qu'une légère punition, il aura égard a leur fentiment; car, dit Voltaire, c'étoit ieur fentiment quil demandait, & non pas une Sentence. Il fe contente de les affiner qu'ils n'auront rien a Craindre , fi leur avis n'eft pas conforme a les intentions ; & quelle afluranec leur en donne-t il ? Dca fermens. Quelle conliance pouvoient infpirer fes fermens? *1 avoir déjà rompu ceux qu'il avoit faits à fon propre fis. Il termine (a déclarai ion par un aifemb!âge bizarre d'orgueil humain éc de crauire des Jltgcmen* de Dieu____ Enfin, que notre èonfèlénce ne nous reproche tien an jout tetàbli du Jr/gtmcnt, & que notre Vaf'ie ne foit point le\ée ; c'eft-à-dire, que mes établiflemens ne courent point le rifque d'être renverfés après ma morr, Ôc que je puiife emporter avec moi la certitude qu'ils me iurvivenr. Voltaire fait la plus brillante apologie de la réponfe que je Clergé fît le premier Juillet à cette déclaration du Tzar; réponfe dont les plus illuflres Pères de l'Eglife n'auraient pas, dit-il, défavoué lt fageffe ni l'éloquence. Parmi routes les épigrammes Ôc les calomnies que les détracteurs de la Religion Chrétienne ont pu fc permettre contre fes défenfeurs, il n'en feroit peut-être pas de plus mordanre que cette comparaifon de la réponfe du Clergé Ruflc avec les écrits des Pères de l'Eglife, Il Voltaire avoit donné lieu de douter qu'il ne fût de bonne foi dans l'éloge qu'il a fait de cette pièce remplie d'aftucc Ôc de détours, diéféc par la baflefle , la flatterie ôc la crainte, infeéléc même du poifon le plus fubtil. Le début, que l'on fuppofc devoir mériter l'attention de l'Europe , cft conçu dans le ftyle abject de la fervitude, Ôc fait pic-fumer les motifs de fes Auteurs. Nous favons qu'il n'étoit pas plus permis aux Evêqucs, qu'aux moindres des Sujets du Tzar, de s'écarter du rcfpcft: qu'ils lui dévoient comme à leur Souverain : mais lorfqu'il feignoit d'avoir recours a leurs lumières, il étoit de leur devoir de l'éclairer, de s'cxpofcrà toute fa colère, plutôt que de s écarter de la morale qu'ils étoient chargés d'annoncer cV de foutenir au péril même de leur vie. Cependant ce font les Miniflrcs d'un Dieu de paix , les dépO fitaircs de la morale fainte de l'Evangile, qui recommande avec tant de force le pardon des injures; des Prêtres confultcs fur ce for intérieur, par un père prêt à faire périr fon fds, pour des confidé-rations purement humaines; ce font enfin des hommes Ibupçonnc* d'avoil gâte l'efprit du jeune Prince par leurs mauvais conlcils, qui craignent de ic compromettre en prenant là defenfe, qlll> HISTOIRE DE RUSSIE. 471 nouveaux Pilâtes, donnent leur avis avec unc indifférence d'autant plus criminelle-, qu'ils lavent que par fa tournure artificieufe, il efl plus propre àfavorifer le deffein atroce du père, qu'à fauver le fils. Non contens de rendre fervilcment à un droit atroce en lui-même , un hommage qui les rend d'autant plus méprifablcs qu'il ctoit moins néceffaire, ils font, par un abus odieux des citations, un droit fondé fur la Loi divine, d'un droit deftruétcur de la Loi naturelle. Après avoir dit que leur Souverain a l'autorité d'agir fuivant fon bon plaiilr, fans qu'aucun inférieur y intervienne, ils cirent le Lévitiquc pour prouver que Pierre peut infliger, fuivant la Loi de Dieu, la peine de mort contre fon fils. » On finit après plufieurs citations par ces paroles très-rcmar- » quables : Si Sa Majcfté veut punir celui qui eft tombé SEION S£? »î actions et suivant la mesure de ses crimes, il a devant » lui des exemples de l'ancien Teftament; s il veut faire mifericorde , il a » l'exemple de Jefus Chrift c*. Que Pierre fafle périr fon fils ou lui conferve la vie, il fera donc également innocent aux yeux de Dieu. Dans l'un comme dans l'autre de ces deux cas, il n'a rien à redouter de fes Jugemens. Qu'il fuive les mouvemens de fa férocité, de fon reffen-timent pour de légères offenfes ; qu'il facrific Alexis à l'orgueil qui le rend jaloux de fon autorité , même après fa morr, à la crainte que ce fils ne renverfe les établiIfemens qu'il a formés...... le fcrupulc efl levé par la Loi févère du Lévitiquc, rapportée dans T Evangile de St Mathieu. S'il veut nferde mifericorde , on lui cite l'exemple de Jcfus-Chiift; mais de Jefus-Chrift pardonnant à ta femme adultère qui avoit mérité la lapidation Juhant la loi ; mais qui ne favoit point offenfe perfon-ncllcment. On ne cite point l'exemple de Jcfus-Chnil pardonnant 47i HISTOIRE DE RUSSIE, à les ennemis, priant pour les Bourreaux.... L'exemple eût été trop tort, il eût pu faire fur le Tzar une impreilion rrop vive. On cite encore David qui veut épargner fon fis & fon perfécutcur j ÔC par cette citation, les Evêqucs font d'Alexis un Ablàlon ; ÔC Ut ajoutent, en parlant du fils de David : le père le voulut épargner lui-même î mais la Juftice divine ne l'épargna point. Ainii le Tzar, en faifant mourir fon fils, ufera de fon droit de Souverain; il agira conformément a. la Loi du Lévitiquc» citée dans l'Evangile ; ôc fi, comme David, il veut l'épargner lui-même, la Juftice divine n'épargnera point le nouvel Ablalon. Les Evêqucs Rulfes s'appuient fur U Religion, pour confeillcn le meurtre de préférence au pardon promis ôc ratifié avec ferment. Ils commencent par natter Pierre par fon endroit fcniiblc, eu unifiant fur l'étendue de fon pouvoir, dont il fut toujours fi jaloux. Ils flattent fà pafïion ôc le confirment dans fon projet criminel, par des citations capables de juflificr fa férocité. Parlent-ils de mifericorde, ils le font dans des termes propres à en éloigner. Ils exagèrent les fautes d'Alexis par ces expreilions : Si Sa Majcfté veut punir celui qui eft tombé selon ses actions et suivant la mesure de ses crimes.... Us font de nouvelles citations; mais foibles, comme celle de la femme adultère, ou qui font paroître Alexis indigne de pardon, comme celle de David ; citations qu'ils terminent en donnant à entendre au Tzar, qu'en épargnant fon (ils, ce (éroir s'oppolcr à la volonté de Dieu, dont la Jullicc ne argnera point. Ils fmilfcnt, comme ils ont commence, par unc flatterie, ailàilbnnee par le fanatifmc; î indijpcnfablement obligé de remettre ce fils criminel entre les mains de la » Juftice ? » Ce cas propofe , le Roi fortit pour iailfer délibérer, Se il ne « rentra que trois heures aptes. On lui remit deux voies, égale-»> ment jufles Se poftibles félon toutes les Loix de la confciencc; a le cours de la Juftice Se la punition , la mifericorde Se le pardon. >j On lui dit que Sa Majcfté avoit le choix , ou de mettre en ufage m l'autorité de Prince, ou de fc renfermer dans la qualité de Juge. "Que dans I Adminift ration de les Etats, elle devoit considérer » deux choies t le titre de Souverain , les loiulions de Juge, Qu'a "CcdcniKT égard, nen ne pouvou le dit peu fer de punir les crimes » dans toute la rigueur de la plus fcYCrc Juftice, pour le bien ÔC Tome JU. Ooo u le repos de la fociété fins acception de perfonnes. Que, comme » Roi, il étoit tenu d'ouvrir fes entrailles à la pitié, à la rûiicn-« corde ôc au pardon. Qu'au furplus, il devoit fc fouvenir qu'en » conféquence des droits de Monarque, il fuivoit fouvent avec » plaifir les monvemens dune générofité , d'une clémence qui lui » étoient naturelles, pour remettre a un fcélérat, à un malfaiteur «qu'il ne connoitfoit pas, la peine juftement infligée a fes forfaits. »Quà plus forte raifon il devoit écouter la voix de ce penchant » à pardonner, en faveur de fon propre fang, d'un fils unique , » forti de fes entrailles. » Apres cette expofition du droit rigoureux ôc des motifs légitimes de l'adoucir, tout le Confcil unanimement le fupplia , » avec un zèle fou tenu des plus vives inflanccs , de vouloir en « cette rencontre imiter l'Empereur Charlcmagnc, qui la première » fois que Pépin confpira contre fa perfonne , pardonna à ce fils » dénaturé une faute que ce père tendre attribuoit à la légèreté » de là jeunefle, ôc qui, à la récidive, forcé, par l'obflination de « ce rebelle endurci, à en venir au châtiment, fc contenta de le » faire enfermer dans un Cloître , en difant qu'il étoit le père ôc » non le Juge de fon fils. Tous les aflillans firent fur cet exemple » fi digne d être fuivi , les reflexions les plus étendues , les remon-« ttanecs les plus animées. Ils ajoutèrent plufieurs autres traits de «cette nature, auxquels ils crurent donner plus de force par •> leurs prières ÔC l'abondance de leurs larmes, dans la vue de » l'exciter plus puiflàmment à couquilion, &; convaincus tous » que fans aucun doute , ce Monarque étoit oblige de iairc cet » afte de clémence...... « . . . . La Consultation finie , le Roi envoya chercher les » Inquifitcurs , ôc abandonna fon fris au ingénient de ce redou » table Tribunal, avec ordre de n'avoir pas plus d\h»ard pour fa «perfonne, que pour celle du plus miférablc ou du plus vil de HISTOIRE DE RUSSIE. 475 » fes Sujets. Les fuites de ce parti barbare font connues : les » Inquifitcurs encouragèrent Philippe par l'exemple de Moyfe, » qui demanda d'êtte anathême pour le bien du peuple. On doit » concevoir l'excès du plaifir qu'eurent les Inquifitcurs de fe voir « déclarer Juges fans appel d'un Prince, qu'ils fouhaitoient depuis » long-tems compter au nombre des prétendus criminels fournis » au jugement de leur Tribunal. Ils curent auili la barbare iatis-» faction d'affouvir leur haine contre Don Carlos, Se de faire .» connaître à toute la terre que leur Jurifdiaion s'etendoit jufquc » fur les têtes couronnées. Abus bien déplorable ! honte immor-» telle des Princes qui fe laiffent ainfi tyrannifer dans les lieux m où Dieu les a fait naître Souverains «. Hiftoirc de Philippe II, par Getgoria léâ , Tome III, pag. 314 Se fuiv. Quel contrafle entre l'avis du Confcil de confciencc de Philippe II, & la conduite des Inquifitcurs! L'avis de ces derniers a des rapports frappans avec celui que le Clergé Ruffe préfenta au Tzar..... m Le même jour où il lui fut préfenté , on interrogea encore «Alexis, pour la dernière fois; Se il mit par écrit fon dernier >» aveu. C'eft dans cette confeilïon qu'il s'aceufe d'avoir été bigot «dans fa jeunefle, d'avoir fiéqucnté les Prêtres Se les Moines, » d'avoir bu avec eux, d'avoir reçu d'eux les impreilions qui lui » donnèrent de l'horreur pour les devoirs de fon état, Se même » pour la perfonne de fon père «. S'il fit cet aveu de fon propre mouvement, cela prouve, au jugement de Voltaire , qu'il ignoroit le Confcil de etememe que venoit de donner ce même Clergé qu'il aceufoit; Se cela prouve davantage combien le Tzar avoit change les mœurs des Prêtres de fon pays, qui, de la groflièreté Se de l'ignorance, étoient parvenue en fi peu de tems à pouvoir rédiger un écrit dont les plus illuflrcs Pères n'au-r oient dé/avoué ni U fageffe , ni l'éloquence. O o o ij » C'eft dans ces derniers aveux qu'Alexis déclare ce qu'on a » déjà rapporté, qu'il vouloit arriver à la fucccilion, de quelque »5 manière que ce fût, excepte de la bonne «. »î ii fembloit par cette dernière confeilïon qu'il craignît de ne M l'être pas allez chargé , allez rendu criminel dans les premières, » ôc qu'en fc donnant lui-même les noms de mauvais caractère, »> de méchant efprit; en imaginant ce qu'il auroit fait, s'il avoit » été le maître, il chcrxholt avec un foin pénible à juftifier T Arrêt de mort »î qu'on allai, prononcer contre lui Plus ce foin d'Alexis à juftificr fon Arrêt de mort étoit pénible, plus il fait détefter le raffinement de cruauté qui favoit réduit à cette extrémité de juftifier fa mort, par unc fuite de la pcrlùafion où il étoit qu'il n'avoit que ce fcul moyen de s'en garantir. L'Arrêt fut porté contre lui le 24 Juin 1718. Nous ne le copierons pas en entier; mais nous ne croyons pas pouvoir au moins nous difpcnfcrd'cn donner l'extrait, félon la traduélion que M. de Voltaire dit avoir été faite alors, par l'ordre de Pierre I. ARRÊT DE MORT Rendu contre le T^arcviti ALEXIS. «En vertu de l'Ordonnance expreffe, émanée de Sa Majcfté «Tzaricnne, Ôc (Ignée de fa propre main, le 13 Juin dernier, «pour le Jugement du Tzarévitz Alexis Pétrovitz , Ôc fur fes n tranfgreftions ôc fes crimes contre fon Père ôc fon Seigneur, les nfouftignés, Miniftrcs, Sénateurs, Etats Civil ôc Militaire, ôcc. (Suit le récolcmcnt des pièces qui fervirent a déclarer Alexis coupable, ôc fon y parle de fes confeflions ôc déclarations, tant écrites de fa propre main, que faites de bouche à fon Seigneur ôc Père. ) » Les foulTïgnés, établis par l'autorité Tzaricnne , à l'effet « du préfent Jugement, ont reconnu que quoique, félon les droits >î de l'EmpitC Ruflicn, il n'ait jamais appartenu à eux, étant dans la » domination fouverainc de S. M. Tzaricnne, de prendre connoiffance d'une « affaire de cette nature, qui, félon fon importance, dépend uniquement « de la volonté fouveraine, dont le pouvoir ne dépend que de Dieu feul, & » n'est point limite l'Ail aucun e Loi, s réflexions ôc en confciencc chrétienne, fins crainte ni flatterie, & fans t> avoir égard a) ta perfonne; n'ayant devant les *ycux que les Loix » divines applicables au cas préfent, tant de l'ancien que du nou-« veau Teftament, les iàintcs Ecritures ôc des Apôtres ; comme » aufti les (anons ôc les règles des Conciles, l'autorité des Saints » Pères ôc des Docteurs de ITglilc, ôcc...... (Quel mélange exécrable de blafphémes ÔC d'impiété! Quelles confequcnccs fu-ueftes de lavis du Clergé! Quel abus des citations! Combien cet abus de la Religion feroit peu propre à la faire rcfpcttcr ÔC à lui procurer des Prolclytcs ! Mais auili, combien la conduite de tous ceux qui trempèrent leurs mains dans le fang d'Alexis, neif-cllc pas oppoféc à Ton Efprit!) "Les fouilignés, ayant été «aux avis, font convenus unanimement, fans contradiction. (Quelle idée cette unanimité de fufTragcs ne donne-t-ellc pas, ou de la barbarie dans laquelle étoit encore la Ruflic à cette époque, ou de la force du dcfpotifmc de Pierre, qui enchaînoit tous les fuf-frages, & portoit tous les Juges à trahir leur propre confciencc, ou a le faire a eux-mêmes illudon! ) «Et ils ont prononcé que le «Tzarévitz Alexis Pétrovitz esï digne de mort, pour » fes crimes fufdits ôc fes tranfgreflions capitales contre l'on Sou-» verain ôc fon Père, étant Fils Se Sujet de Sa Majcfté ; enforte que, » quoique S, M. Tzaricnne ait promis au Txarévirr par la lettre qu'il lui » a envoyée par M. Tolftoé, Confcillcc- Privé, ôc par le Capitaine •j Roumantzof, datée de Sp3 le Io Juillet 1717, de lui pardonner f on » évafion, s'il retournait de son' bon gré et volontairement; » ainfi que le Tzarévitz même l'a avoue avec remerciement dans *» fil réponfe à cette lettre, datée de Naplcs le 4 Octobre 1717» »> où il a marque qu'il rcmercioit Sa Majcfté Tzaricnne pour le « pardon qui lui étoit donné pour fon évafion volontaire, il s'en « efl rendu indigne depuis par fes oppoftions aux volontés de fon père, à' par vtjès autres tranfgicfions qu'il a rcnouvellces Ôc continuées, comme " il cil amplement déduit dans le Manifcfte publié par Sa Majcfté «Tzaricnne, le $ février de la préiente année; ôc parce qu'entre H autres chofes t il neflpas retourné de son bon gré ( L'on parle, àdi\erfcs rcpvifes , dans cet Arrêt, de tranfgrcilions , d'oppo-fitions, ÔC de défobéiftànccs de la part d'Alexis aux volontés de fon père -, mais aucune de ces allégations n'eft Ipecificc. Les Ju;.vs prennent en outre fur eux : f. d'ajouter aux expreftions du Tzar, fi vous m'olKiflez, &:c., il vous revenez, eV'c. ; celles-ci, de votre bon gré, volontairement : cependant ils avancent dans leur préambule qu ils ont conlultc les Loix Romaines, L'acharnement qu'ils té- moigncnt contre Alexis prouve donc, ou qu'ils ne connoilToient pas, ou qu'ils n'ont pas ofé mettre en pratique la loi du Digeltc que nous avons déjà citée, ÔC qui fait aux Juges, un devoir de travailler à décharge de l'Accule ; pro Jccufaà innocentïâ laborare. iQ. D'avancer qu'Alexis n'eft pas revenu de fm bon gré. Nous ne voyons pas qu'il ait aucunement été queftion de ce fait dans tout le cours du procès : or, de même que les Juges ne peuvent, en matière civile, accorder plus qu'il n'eft demandé, ultra peùta; dans les matières criminelles, ils ne doivent prononcer que fur les faits &: les faits prouvés, aCLi & probata ; Jurifprudcncc qui tient de trop près à la Juftice primitive, pour ne pas être de tout pays. 30. De lever les fcrupules , dont le Tzar lui même ne pouvoit fc défendre fur la violation des fermens faits à fon fils. Ainfi le père cft parjure.....Des Evêqucs lui démontrent qu'il n'a rien à craindre de la Juftice divine ; ( la feule qui puitfe fervir de frein a l'abus du pouvoir abfolu ) ôc des Juges vont plus loin encore , ôc lui perfuadent qu'il n'a pas même fait de fermens, ou que ceux qu'il a faits font étrangers à la condamnation de ion fils, qu'il a déjà puni, quoiqu'il eut juré de ne pas le punir, Ôc contre lequel ils prononcent, en fon nom, l'Arrêt de mort, quoiqu'il eût juré, s'il revenoit, de Wûmcr davantage. » Sa Majcfté lui promit le pardon de toutes fes tranfgrcftions.... » avec cette condition expreife quelle exprima en préfence de » tout le monde; favoir, que lui Tzarévitz déclare-roi t, fans «aucune reftridion ni réferve , tout ce qu'il avoit commis Ôc « tramé jufqu'a ce jour-là contre Sa Majcfté Tzaricnne, ôc qu'il "declarcroit toutes les perfonnes qui lui ont donné des conleils, » fes complices , Ôc généralement tous ceux qui ont fu quelque «choie de les delfeius ôc de fes menées; niais que s'il celoit "quelqu'un ou quelque choie, le pardon feroit nul ôc demeu-» rcroit révoque..... Sa Majcfté Tzaricnne lui confirma aufti la «même chofe, de fa propre main, le lendemain, dans fes in-» terrogatoires inférés ci-deifus, qu'elle lui lit donner; ayant » écrit à leur tête : « Comme vous aver reçu hier votre pardonà condition que vous décla* « rerie\ toutes les circonjlances de votre cvajlon & ce qui y a rapport : mais « que fi vous cclic^ quelque c/yfe , vous feric[ prive'de la vie; & comme vous « aver déjà fait de Souche quelques déclarations , vous deve^^ pour une plus « ample fatisfaclion & pour votre décharge , les mettre par écrit , félon les « points marqués ci-dejfous. » Et à la concîufion , il étoit encore écrit de la main de S. M. » Tzaricnne, dans le feptième article ; "declarez tout ce qui a du rapport a cette affaire, « quand même cela ne feroit point Jpécifié ici, & purgez-vous comme «dans la sainte confession; mais si vous cachez OU «celez quelque; chose qui se découvre dans la suite, » ne mtmputez rien; car il vous a été déclaré hier, "devant tout le monde, qu'en ce cas-la, le pardon «que vous avez reçu seroit nul et révoqué «. L'on ne doit plus être furpris du foin d'Alexis a chercher tout ce qui pouvoit le faire paraître coupable; à fe purger comme dans lafainte Conffjion ; à chercher dans l'avenir ce qu'il auroit pu faire dans telle ou telle circonftancc ; à mettre même en avant des faits faux qui pouvoient lui nuire. Il paroit qu'on lui rappelloit ail commencement de chaque interrogatoire la grâce inlidieufe que lut avoit accordée fon père; que l'on infiiloit fur la condition a laquelle elle étoit promiic, ôj que l'on ne regardoit jamais fes aveux comme fufHfans. «Nonobtlant cela, le Tzarévitz a parlé dans fes réponfes SC «dans lès conférions fans aucune fincenré ; il a celé èc caché, « non feulement beaucoup de perfonnes, mais auili des affaires «capitales, & fes tianfg reliions, èc. en particulier fis de feins de „ rebeltb* « rebc'lhn c nre fon Père & fon Seigneur, & fes mauvaifes pratiques qu'il « a tramées & entretenues long-tems pour tâcher d'ufurper le Trône de fon »» père y même de fon vivant, par différentes mauvaifes voies & fous de » méchant prétextes, fondant fon cfpérance & les fouhaits qu'il faifoit « de la mort de fon Père & fon Seigneur, fur la déclaration dont il fe flattoit *» du petit Peuple en fa faveur a. Nous ne voyons, ni dans les inculpations du Tzar, ni dans les dépositions des témoins, ni dans les aveux d'Alexis, aucune trace de ce projet criminel d'ufurper le Trône de fon père de fon vivant, des mauvaifes pratiques tramées & entretenues pendant long-tems par le Tzarévitz dans cette VUC, ni de fes prétendues efpéranccs fur la déclaration du petit Peuple en fit faveury dont il fe fattoit. «Tout cela a été découvert enfuite par les informations cri-» mincllcs, après qu'il a rcfufé de le déclarer lui-même , comme « il a paru ci-deifus », Ou M. de Voltaire n'a pas rendu compte de toute la procédure , ou ces prétendues informations pollérieurcs aux déclarations d'Alexis, ne font que des menfonges fabriqués par efprit danimofité contre le Tzarévitz , de flatterie Ôc de foumiilion aveugle aux volontés du Tzar. Si M. de Voltaire avoit eu cou-noiffance de ces informations fi propres a juftificr la févérité de Pierre, il n'eût pas manqué d'en parler. Il faut donc conclure de fon filcncc qu'elles n'ont jamais exifte. « Ainfi, il cft évident par routes ces démarches du Tzarévitz, « ôc par toutes les Déclarations qu'il a données par écrit ôc de «bouche, ôc en dernier lieu par celle du 11 Juin de la préfente *> année, qu'il n'a point voulu que la fucceflion a la Couronne >J lui vînt après la mort de fon père, de la manière que fon perc "auroit voulu la lui lai lier, félon l'ordre de l'équité ÔC par les "voies 5c les moyens que Dieu a preferits; mais qu'il t'a defirée & » qu'il a eu deffein d'y parvenir, même du vivant de fan Père & de fon Tome III. Ppp >j Seigneur y contre la volonté de Sa Majefté T^rienne , & en s'oppofnt »> à tout ce que fon père vouloit ; mais encore par Cajfijlancc de iEmpereur, » & avec une Armée étrangère, qu'il s'étoit fa: té d'avoir à fa difpoftion , »î OU prix même du renverfement de l'Etat, 6* de l'aliénation de tout ce qu on m auroit pu lui demander de l'Etat pour cette affiflancc «. Les Juges d'Alexis ne nous paroiifent pouvoir être compares qu'aux fang-fucs, qui ne quittent point la peau quelles ne loient ralfa fié es de fang : Non mijfura cutem} nifi plena cruoùs hirudo. L'ofl frémit d'indignation en les voyant s'obftincr à foutenir que le Tzarévitz a prétendu à la fucccilion de fon père, même de fon Vivantj lorfque cette alfertion calomnieufc eft démentie formellement par les interrogatoires, les réponfes ôc les confeilions mêmes d Alexis. Ce Prince, en effet, ne s'étoit aceufé, même devant. Dieu , que d'avoir fouhaité la mort de fon père. On peut fouhaiter la mort de quelqu'un fans être capable de travailler à l'accélérer : d'ailleurs, Alexis s ctoit confefte de ee fouhait, parce quil le croyoit criminel; ôc la confeilïon même qu'il cri avoit faite, prouvdir qu'il en avoit eu horreur. Le Confclfcur, plus coupable que lui, favoit raifuré ; le Prince n'avoit communiqué ce defir à perfonne; ni Bcycr, ni Afanajfief, ni même Euphroiînc l'a maitrefte (les fculs témoins entendus contre lui) ne depolcnt point qu'il leur en ait fait part..... Nul projet digae, dit Voltaire, nulle intrgue fuivie, nulle confpiration, aucune afjociation , encore moins de préparatifs. » L'expofé qu'on vient de faire, fait donc voir que le Tzarévitz, » en Cachant tous fes pcnfcieux deifeins, ÔC en celant beaucoup » de perfonnes qui ont ete d intelligence avec lui, comme il a » lait jufqu'au dernier examen 6e jufqu'a ce qu'il ait ete plci-« nement convaincu de toutes fes machinations, a eu en vue de »fc referver des moyens pour l'avenir, quand l'ocealion fc pré-u fenteroit favorable de reprendre fes deifeins, e\: de pouifer à » bout l'exécution de cette horrible entreprife contre fon Père & fon n Seigneur, & contre tout cet Empire u. On perfide à vouloir faire du lâche, de l'efféminé, du timide Alexis, cat c'eft ainfi que Ta peint Voltaire, un homme entreprenant , audacieux, capable de concevoir ôc d'exécuter des projets qui demandent du courage, de la vigueur ÔC une fermeté dame, dont il paroît qu'il n'eût jamais été capable. » Il s'cft rendu par-la indigne de la clémence & du pardon qui lui a » été promis par fon Seigneur & fon Père.... Ainfi, puifquc les fufditcs «Loix Divines, Eccléfiaftiques, Civiles ôc Militaires, ôc parti-« culièrcmcnt les deux dernières, condamnent à mort fans mifé-» ricorde, non-feulement ceux dont les attentats contre leur Père »> ôc Seigneur ont été manifeftés par des évidences, ou prouvés « par des écrits, mais même ceux dont les attentats n'ont été » que dans l'intention de fc rebeller, ou d'avoir formé de fimples « deifeins de tuer leur Souverain ou d'ufurper l'Empire ; que peu fer « d'un dejfcin de rébellion , tel qu'on n a guère oui parler de femblable dans w le monde , joint à celui d'un horrible double parricide contre fon Sou-« verain? premièrement, comme fon père de la Patrie, ôc encore « comme Ion père félon la nature (un père très-clément, qui « a fait élever le Tzarévitz depuis le berceau avec des foins plus « que paternels, avec une tcndrclfc ôc une bonté qui ont paru en « toutes rencontres, qui a taché de le former pour le Cïouvcr-«nement, ôc de 1 inftruirc avec des peines incroyables Ôc unc «application infatigable dans l'Art militaire, pour le rendre "capable ôc digne de la fucccilion d'un fi grand Empire); à » combien plus forte raifon, un tel dclfcin a-t-il mente une puni- *> tion de mort « > L'exagération des Juges paroît fi forte à Voltaire, qu'il regarde les expreftions que nous avons miles en italique, comme des fautes qui fc font gliftces dans la traduction, il juftific Alexis du P p P JJ crime de parricide en ces ternies : Peut-être ces mots furent mal trahits £ après le Procès criminel imprimé par ordr,e du T\ar ; car, apurement, U y a de plus grandes rébellions dans le monde, et ON ne voit POINT par les actes , que jamais le TZARÉVITZ EUT CONÇU te dessein de tuer son pere. Peut-être entendoit-on par ce mot de parricde, l'aveu que ce Prince venoit de faire de s'être confeffé un jour d'avoir jouhaité la mort a fon Père & à fon Souverain. Mais l'AVEU secret dans la confession D'UNE PENSÉE SECRÈTE, N'EST pas un double parricide. » C'eft avec un coeur affligé Ôc des yeux pleins de larmes, que « nous, comme Serviteurs u Sujets, prononçons cette Sentence , COU' >7 fidérant qu'il ne nous appartient pas en cette qualité d'entrer en Jugement » de f grande importance , ôc particulièrement de prononcer unc Sen' « tence contre le fis du très-Souverain & nes-elérnent T~ar, notre Seigneur* » Cependant, sa volonté étant que nous jugions, non? »> déclarons par la préfente notre véritable opinion , & nous pro* nuançons cette condamnation avec une confciencc f pure & f chrétienne, ») que nous crayons pouvoir ta foutenir devant le terrible , le jufte & 110* » partial Jugement du Grand-Dieu. « Soumettant au refic ce Jugement que nous rendons & cette candam-« nation que nous faijons , à ta fauveraine puiffancc , à ta volonté & à ta » clémente révifon de Sa Majcfté T\arienne , notre très-clément Monarqueu> M. de Voltaire nous apprend que de cent quarante-quatre Juges par lefqucls fut rendu cet Arrêt odieux, // n'y en eut pas un feut qui imaginât feulement une peine moindre que ta mort. Il ajoute cniUitC : « IUen ne fait mieux connaître ta différence des tems & des lieux.,.. LCS «Loix ne punilfent point en Angleterre l'évaiion d'un Prince » de Galles, qui, comme Pail du Royaume, eft maître d'aller » où il veut. Les Loix de la Ruftie ne permettent pas au (ils du >i Souverain de fortir du Royaume maly.re l'on Père. Une penieC-» criminelle, fans aucun ctfct, ne peut être punie, ni en An&lc" HISTOIRE DE RUSSIE. 4S5 «terre, ni en France; elle peut Terre en Ruftie. Une défobéif-» fanec longue, formelle &: réitérée, n'eft parmi nous qu'une » uuuvaifc conduite qu'il faut réprimer; mais c'étoit un crime ca-« pital dans l'héritier d'un vafte Empire , dont cette défobéiftanec «même eût produit la ruine. Enfin, le Tzarévitz étoit coupable » envers toute la Nation, de vouloir la replonger dans les ténè-» bres dont fon père favoit tirée «. Nous fommcs bien éloignés de chercher a flétrir la mémoire de Picrrc-lc-Grand & fes lauriers immortels; Se nous le répétons, c'eft en gémiflant fur le fort de l'humanité, que nous fommcs forcés de reconnoître que la condamnation d'Alexis fut l'ouvrage de fon père. Tout ce que nous venons de rapporter d'après Voltaire, fur les Loix de la Ruftie, nous femble propre tout au plus a juftifier l'exhérédation du Tzarévitz; mais riCn ne peut exeufer (dans un Souverain Se dans un Père) la violation de fes fermens envers fon fils èc Ion fujet, l'abus du pouvoir, l'oubli des premiers principes de la Juftice, Se le facrifice des droits de la Nature à. 1 orgueil ou à la politique : (dans les Evêqucs) la flatterie, l'artifice, l'abus de la Religion & le fanatifmc : (dans les Juges) la partialité, la précipitation, la foumilïion la plus rampante, qui les porte, comme ceux d'Alexis, à confacrer les calomnies les plus atroces , en condamnant un homme fur des faits dénués de preuves, fur des dépolirions ilblées de témoins rcCufablcS, fur des déclarations extorquées par la crainte de la mort Se l'efpoir de s'en garantir, èVc. &c. Tel cft le réfultat de l'Arrêt que non, venons d'analyfcr : mais pour ne pas donner nous menus dans la partialité que nous reprochons aux Miniftrcs aveugles des volontés du Tzar, il nous xefte a parcouru quelques autres réflexions de M. île Voltaire , qui tendent a faire fentir combien la rigueur de Pierre 1 étoit indif-peu fable. 4$6 HISTOIRE DE RUSSIE. «Tel étoit, dit Voltaire, le pouvoir reconnu du Tzar, qu'il >s pouvoit faire mourir fon fis, coupable de defobetjfance, fans confultcr » perfonne La première imprcllîon que fait naître cette étendue de pouvoir, ell un mouvement de compaflion fur le lort d un Peuple chez lequel la dcfobéiflancc a un ordre même injuilc, pourroit non-feulement exclure le malheureux objet de la haine d'un père dénaturé, des droits qu'il tient de fa nailfancc ; mais encore, armer le bras de ce père barbare contre Ion fils : où le Chef de la Nation, confidéré comme le père de la grande famille, a droit de vie ôc de mort fur tous fes Sujets, ôc peut éterni 1er a fon gré fa tyrannie , fes vexations ou fes vices, en immolant a les fureurs tous ceux de fes enfans qu'il ioupeonne trop julles ou trop humains pour marcher fur fes traces. Pierre I parut facrilîer, il cil vrai , (on fils au defir d'affurci à fes Peuples les fruits de fes longs travaux pour leur bonheur ; mais quand il feroit même potlible de fc prêter a cette fuppo-fition, elle rendroit l'abus du pouvoir dans un Souverain moins révoltant , èv ne détruiroit point la conféquence atfreule qui ré fllî te de ces CX p reliions : Pouvoit faire mourir fon fis , coupable de dcfobeijfance , fans confultcr perfonne, » Cependant Pierre s'en remit au jugement de tous ceux qui » repréfentoient la Nation". C ell ici que Voltaire femble, comme nous l'avons dejà dit, faire un mérite au T/ar, d'avoir conlulte fur un crime qu'il pouvoir commettre a lui fcul. » Ainfi T ce fut la Nation elle-même qui condamna le Prince i> Alexis u. Ce reproche fait a la Nation Rulfe , d'avoir condamné à mort le fils de fon Souverain, ne nous paroît pas fonde. M. de Voltaire a dit lui même qu'on demanda, tant aux Juges qu'au Clergé, • non pas leur Jugement, non pas une Sentence, mais leurs fenti-mens. Le Clergé, par la tournure artirlcieufe de fa réponfe à la déclaration du Tzar, lui lailfoit a choifir le parti auquel la main de Dieu le conduirait j &c les Juges, malgré leurs proteftations de ne donner que leur véritable opinion en confciencc chrétienne , n'ont été que les échos des ennemis du Tzarévitz, & n'ont fait que répéter l'Arrêt qu'on leur a dicté. Les uns 5c les autres reconnoiflent leur incompétence pour prononcer fur unc affaire aufïi importante de le droit exclufif. En déclarant Alexis digne de mort, ils n'ont pas même indiqué le genre du fupplicc; ils ont jugé, parce que la volonté de Pierre étoit qu'ils jugeaffent; fa volonté étant que nous jugions : enfin , ils s'en font rapportés fur la réviflOn , non pas de leur Jugement, mais du Jugement qu'ils ont rendu à\. à la clémente révifion de Sa Majeflé i\arienne, leur très-clément Monarque. Eft ce donc-là le ai univerfel d'un Peuple? le Toile du Peuple Juif pont la condamnation du Méfie ? Si , comme nous en allure Voltaire , la Loi de l'Hiftoirc ne lui a permis de rien déguifer, ni de rien affoiblir dans le récit de cette tragique aventure, Pierre n'eût-il pas agi plus (àgement pour fa gloire, en faifant périr fecrètement fon fils, qu'en donnant a fa mort un éclat qui n'a fervi qu'a nunifcftcr fon injuf-ticc, en meme-tems que la cruauté réfléchie? >j 11 crut qu'il étoit important que la Sentence fût prononcée » publiquement au Prince, afin qu'après cet acle lolcmncl , il » ne pût jamais revenir contre un Arrêt auquel il avoit acquiclcc *J lui-même, &c qui, le rendant mort civilement, le mettroit pour "jamais hors d état de réclamer la Couronne ». Pierre n'avoit, i\ l'on en croit Voltaire, d'autre intention que d'exclure irrévocablement fon fils de la Couronne, .V il croyoït Ilcccllairc a cet clfet de te rendre mort uvilcment; mais en CC cas , l'Arrêt ne devoit donc prononcer qu'une mon civile. L'exhérédation (blcmnellc prononcée contre Alexis le 14 Février 1718, ctoit d'ailleurs fuftifanrc ; ôc Pierre pouvoit-il penfer qu'une mort civile, prononcée par un Arrêt injuitc, auroit plus de force qu'une exhérédation méritée? » Le Tzarévitz , à la lecture de fon Arrêt de mort, tomba en »convuliionj les convuliions fe tournèrent, dit-on, en apo-» plexie ; on eut peine a l'en faire revenir. Il reprit un peu fcl » fens, ÔC dans cet intervalle de vie ôc de mort, il fit prier (on »> père de venir le voir. Le Tzar vint, les larmes coulèrent des m yeux du père Ôc du fils^ infortuné ; le Condamné demanda par-» don , le père pardonna publiquement. I.'Extrême Onction tuc » adminiftréc folemncllcmcnt au malade agonilànr. Il mourut »> en préfence de toute la Cour, le lendemain tic cet Arrêt funefte; »fon corps fut porté d'abord a la Cathédrale èv depofe dans »» un cercueil ouvert. Il y relia quatre jours expofe à ions les « regards; ôc enfin il fut inhumé dans l'Eglife de la Citadelle, » a coté de fon époufe. Le Tzar Ôc la Tzarinc allillcrent a la cére-» monie «. Ce récit n'eft pas exact en tous points : divers Auteurs ont rapporte la mort d'Alexis avec des circonftances bien différentes. Les uns ont écrit que le Tzar avoit décolc Ion (ils de (a propre main : d'autres ont dit qu'il lui lit trancher la tete dans la Forte- reife , èv qu'il ordonna a l'Exécuteur de rapprocher la tête du tronc par le moyen d'une forte couture, après quoi on couvrit le tout d'un large col noir; on publia la mort d'Alexis, Ôc fon corps fut expofe aux yeux du Publie. Un Rude , contemporain du 1 /.ir, ôc qui peut être vit encore , nous a allure qu'Alexis mourut d'un veficatoue empoifonné, que le Chirurgien de Pierre I lui apph" qua au fortir d'un bain de vapeurs : d'autres enfin, prétendent que le TzareviU mourut du poilbn prépare par une marâtre. Voltaire Voltaire réfute tontes ces aliénions, 6c prend fur-tout la dé-Unie de Catherine. L'intérêt étant la mefurc ordinaire des actions des hommes, on regarde toujours comme coupable d'un crime celui qui en a profité : h fuit cul prodejl. Catherine, a-t-on dit, a recueilli tout le fruit de la mort d'Alexis; donc, Ôcc. Telles font les préfomptions qui fc font élevées contre elle. Toutes les conjectures hafardées à ce fujet vont être détruites, fi l'on doit ajouter foi au rapporr de Pierre-Henri Bruce, Capitaine au fervicc de Ruilie, créature du Tzar, ennemi du Tzarévitz, témoin de l'événement, & l'un des confident de cette tragédie. Pierre-Henri Bruce a donne dans fes Mémoires la relation fui-vainc ( 1 ). » Sa Majcllc partit pour Moskou le 3 de Février 171S, fur l'avis »> qu'il avoit eu que le Comte Tolftoé s'y rendoit de Naplcs avec » le Tzarévitz. Us arrivèrent le 11 ; à cette occafion on convoqua » une grande Aftcmblec, compofec des premiers de l'Empire ; » le Tzar étoit réfolu de faire éclater, d'une manière folcmnellc, " fi Juftice fur le Prince, coupable de défobéiflance. Le Tzarévitz >j fut amené dans la (aile du Confcil, comme uu prilbruiier. Eu » entrant, il préfenta à Sa Majelle un écrit, qui contonoit l'aveu ,»>de Ion crime. Le Tzar lui demanda ce qu'il déiùoit; le Prince » implora fa clémence j 6C le lupplia de lui accorder la vie. Sa » Majcfté lui accorda ce qu'il demandoir, à condition qu'il decou-uvriroir tous lès complices, Cv renoncerait-Ji tous lès titres,&c n Ks droits a la fucccilion ; en conféquence, le Prince ligua uu » acte, dont la teneur eioit que, fc trouvant incapable de régner, » il renonçoit a fon omit de fueeeder au Tronc ; ce qu'il confirma enfuite par levment, rcconnoiifant fou frère Pierre LcgU (1) Mcmoin of I»Ctcr Hcnty Bruce. &c. As Alto Scvcial Vciy inteidbug r-jivarç AïK.Uotcs La Fiinccifc Marie, focur du Tzar, ôc complice dAlcxi«> M fut enfermée dans un Monallère près du lac Ladoga-, la Tzarinc «fur conduite dans la Fortcreifc de Schluifelbourg (M. Bruce » prend la deilination de f unc de ces Princcllés pour celle de » l'autre) y tous les domelliqucs du Tzarévitz furent arrêtés, ainfi « que fa maitreife Euplirolinc, le Prince Dolgorouki qui avoit «agi avec t.int d'arrogance vis-à-vis du Prince Mentfchikof, ôc « plufieurs autres. Dolgorouki fut exilé a Kazan ; un des Pages «du Tzar & plufieurs Religieux furent punis corporcllcment. » Euplirolinc eut l'adrelfe de faire valoir les clforts qu'elle avoit » laits pour engager le Prince a revenir dans l'Empire. Elle alla jufqu'a perfuader qu'après fes premières couches, elle avoit été « mariée légitimement avec le Tzarévitz, par un Prêtre Grec...... » Le Tzar partit enfuite, pour fe rendre a Pétcrsbourg, où » il arriva le 4 Avril. Le Tzarévitz, qui arriva deux jours après » lui, fut enfermé dans la Fortcreifc...... »Les exécutions ôc les punitions, en grand nombre, qui fui-« virent les recherches que l'on fit a Moskou, firent croire à bcau-»» coup de gens que tout étoit fini. Mais de nouvelles découvertes » firent connoitre que le Prince n'avoit point dit la vérité dans »» la dénonciation de tous les conjurés. Le Tzar vdyant croître » chaque jour le nombre des auteurs d'une conjuration fi compliquée, crut absolument necclfairc de faire au Prince fon »> procès dans toutes les formes. Pour cet erfet, il lignifia à toute m la Nobleife ôc au Clergé, aux principaux Oliiciers des Troupes k de terre ôc de mer, aux Gouverneurs des Provinces, ôc autres «différais Ordres, de s'alfembler pour interroger Ôc juger le *> Prince. Le procès commença le is Juin , ôc finit au 6 de Juillet, 11 où h Cour-Souveraine, d'une voix unanime, porta Sentence «de mort contre le Prince, laitfant au Tzar le choix du genre « de fupplicc : le Tzarévitz comparut devant la Cour; on lui lut » fa Sentence, ô: il fut reconduit en prilon dans le Château. 492, HISTOIRE DE RUSSIE. »Lc jour fuivant (i), Sa Al.tjefté, accompagnée de tous les ■ Sénateurs & Evêqucs, avec plufieurs autres perfonnes de niar-» que, fe rendit au Château , & entra dans l'appartement qu1 » fer voit de prifon an Tzarévitz. Peu de tems après, le Maféth& » Wt'idc forât, & m'ordonna d'aller che\ M. Bear, Droguifle , dont m « boutique ctoit près , & de lui dire de faire la POTION FORTE (STRONG « POTION) qu'il.avoit commandée lui-même, vu que le Prince e'to'it très-« mal. Bn apprenant l'objet de mon meffage, M. Bear devint pâle ; ia %y frayeur le fin fit : fon état de trouble me furprit au point que je lui dernan" nkai quel en était le fujet ; mais U ne put me répondre. Sur ces entrefaites »> le Maréchal arrive, dans le même defordre que te Droguiftc, lui a ■—■ — ■ — (i) Nous avons au devoir rapporter ici le rexte original. On thc iicit day, liis Majcfly, attended hy ail tlic Sciutors and Bishops, with fcvcr.il oehers of Kîgh rjnk, went tothe fort, and entercd thc apartements wherc thc c7.àrowirE was krrr plumer. Somc Rtttc rime tltcit.li'tcr Marshal Vcydc came out, and ordercJ me to i\o ta Mr. Bcir's tlic druggifr', whof'c shop vrjs hard hy, and tell h in to nuke thc fotioa stiotig vhicli lie had bespoke, .ts tlic Prince v^as chen very ill : when I dchvct.d thii rtuil'.ii^c to Mi. flfli , lie tiinicd <]intc pale , and fell a sduking and ijrcmbling, W appcircd in thc utmoft confuiion , whuh Guprifcd me fo muji, tlut I askcd iùm wha* vas thc matter with hiiu, hut hc vas unablc to iciurn nie ani .mswci ; in thc mcan timc the Marshal Uimfclf caruc in, nuich in thc i.uiic condition * ilit thc diuggifl , faying» lie ouhgt ta have bcen more expéditions, js tlic l'tiiuc u as u ciy ill of an apopteclk fit i upon tins thc dflïgglrt dclivned him a filvcr ciip with a covér, whirh thc Marshxl HimfcH Carricd into thc Piincc's apartements, ftaggciM»* rll ihe way as he went, like onc dfBnw /bout hall' un honr ultei , ihc l'/.n with ail his attendants with djew with trery Ai»*J ttVMt&ÉnCCf, and when they wenc, tlic M .u si ml onlctcd nie to attend at thc l'tiruc'l apattiucnt , ami m aie of any altération, to infoiin luin inmicdtatcly tlicicof ; ihtrc wetc at tlut timc two phyficiani and two furgeons in waiting, with *hom, jnd thc Orticcr on guaul, 1 dincd on vhât nad been drcfl'cd for the Prînce's dinner. Tlic phyficians verc callcd in bnmcdiatcly after to attend the Piiiue, who wan ftrtigglmd ont of ^ coovullîon into another, and, after great agonies, Ctpircd at live o'dovh in thc afcruun n qu'il aurait dû être plus cxpéditif, vu que le Prime étoit dans un actis » d'apoplexie. Auffi-tôt le Drogiujle lui donna une coupe d'argent avec " fon couvercle ; le Maréchal la porta lui - même dans l'appartement du « Prince, chancelant à chaque pas comme un homme pris de hoiffon. Une "demi-heure après, le Tzar, avec toute fa fuite, fc retira avec » la contenance la plus trille j fut le champ le Maréchal m'or-» donna de relier dans l'appartement du Prince, &; en cas de « quclqu'accident, de Pcn informer immédiatement. J'y trouvai « deux Médecins ôc deux Chirurgiens de quartier, avec lefqucls " je dînai de ce qui avoit été fervi pour le repas du Prince ; >î l'Officier de garde ctoit avec nous. On ne tarda pas a appcller » les Médecins , pour aller auprès du Prince, qui tombait de convut-» fions en convulfions ; il expira vers les cinq heures après-midi. "J'allai directement en informer le Maréchal, qui fortit a l'inf-» tant pour en donner avis à Sa Majcué, qui lui ordonna de faire n embaumer le corps du Prince. Le cadavre fut mis dans un ^cercueil, que l'on couvrit d'un velours noir, fur lequel on « étendit un drap richement brodé en or. On le tranfporta du «Château a lTglilè de la Sainte-Trinité, où il demeura jufqu'a «onze heures du foir. Il fut reporté au Château ôc dépole dans » le caveau Royal, auprès de la tombe de la Princclfe fon époufe. » Le Tzar, avec la Tzarinc , èc; les principaux de la Nobleife , ail ill ère nt lolcmucllciucnt a cette cérémonie. On a varié lin le o récit des citeonlfmecs de la mort du Tzarévitz. On répandit » dans le public, qu'a la lechire qui lui fut faite de la Sentence «de mort, la frayeur le fit tomber en apoplexie, Ôc qu'il en « mourut, lies-peu de perfonnes ajoutèrent foi à cette mort naturelle ; màjê 6 il était dangereux- de dire ce que l'on en penfait. Les Minillrcs de lLm- » percur &: des Etats de Hollande furent exilés de la Cou/, pour savoir p.tvle trop librement à cette occalion ; nuis ils ne tar-» derent pas a etre rappelles. • 4;4 HISTOIRE DE RUS S I E. « Ainfi mourut le Prince Alexis, héritier incontestable de ce "vafte Empire. Il fut peu regretté des Grands, dont il évita « toujours la compagnie. On difoit que le Tzar s croit donné inu-» tilement beaucoup de peine pour l'éducation de ce Prince, » naturellement parclfeux Se négligent ; il fréquentoit les gens » les plus abjects, avec lefqucls il fe livroit à toute forte de vices » Se de débauches. Son père, pour mettre un frein à fes défordres, « le fit voyager dans les pays étrangers, croyant par-la changer » fa conduite, mais ce fut en vain. La-dcffus il lui ordonna de* »j l'accompagner dans toutes fes expéditions, afin de lavoir fous » fes yeux; mais le Prince fe délivra de cette gène, fous le pre-» texte continuel d'être malade j ce qui pouvoit probablement » être vrai, vu qu'il s enivrait prcfque toujours. A la lin, le Tzar »j crut lui faire changer de vie, en lui failant époufer unc Princcife »> étrangère. Après la mort de fon aimable époufe, Sa Majcfté lui » ordonna de l'accompagner dans fon expédition d'Allemagne, "durant cette campagne, fous prétexte de l'aller joindre dans » le Duché de Mecklcmbourg, il prit fecrètement la fuite, Se »alla chercher la protection de fon beau-frère, l'Empereur n d'Allemagne, qu'il voulut engager a faire la guerre contre fon » père. » II fut aceufé dans fon procès d'avoir menacé de détruire, t » l'inftant qu'il monterait fur le Trône, tout ce que l'on avoit » fait, Se d'avoir dit qu'il fc vengeroit du Prince Mcntlchikof Se "de fon beau-frère, en les faifmt empaler tout vifs, aufii-bien » que le Grand Chancelier, Comte Golofkin, pour lui avoir con-nfcïlté d'époufer la Princcffe de Voîfenbuttcl ; qu'il banniroit tOUS les » favoris de fon père, Se chaficroit du pays tous les étrangers ; n qu'il feroit fortir la mère de prifon, Se rétabliroit Catherine »Sc fes enfans dans leur place; Se qifenfuite il composerait fa » Cour de ceux qui avoient les aticicnncs Mœurs Se Coutumes HISTOIRE DE RUSSIE. 49 y » de la Ruilie, parce qu'il n'aimoit pas les innovations. Rien ne » pouvoit toucher plus fcnilblemcnt le Tzar, que la menace P d'abolir tout ce qu'il avoit fait pour la confervation & la gloire » de fon pays, en s'expofant à tant de peines, de fatigues ôc » de dangers ; ce qui lui faifoit dire, avec grande émotion, qu'il m donneroit plutôt fes Etats à un digne étranger, que d'avoir » pour fucceffeur un fils fi indigne du Trône. Dans le tems où «il tenoit ce langage, il n'avoit d'autre fils que le Tzarévitz ; H ce qui faifoit voir qu'il avoit le bien de fon pays plus à cœur, » qu'il ne défiroit de voir la Couronne héréditaire dans fa famiJle«. Nous revenons à Voltaire, ôc au réfultat de tout ce qu'il a rapporté dans ce procès étrange. La conclufion de cet homme célèbre, cft que Pierre fut plus Roi que père , & qu'il" facrifia [on propre fils aux intérêts d'un Fondateur & d'un Légiflateur & à ceux de fia Nation qui retomboit dans l'état dont il Vavoit tirée 3 fans cette févérité malheureufe. Cette réflexion nous femble tout au plus applicable a Tcxliéré-dation d'Alexis : mais nous ne pouvons pas nous prêter a l'illufion que Voltaire paroît chercher à faire naître; ôc dans tout ce qui fc rapporte a la condamnation ôc à la mort d'Alexis, Pierre fut a nos yeux plus homme que père, plus tyran que Souverain, plus jaloux des intérêts du Fondateur que de ceux du Légiflateur. La voix de la Nature crioit grâce : les Loix du Légiflateur l'accor-doient ; mais la haine preferivoit le châtiment. La néccfïîté apparente de fatisfairc a la Juftice divine ôc humaine, fut le prétexte qui l'emporta. Le Monarque févère ne vit plus dans fon fds qu'un criminel, ôc fe détermina à fuivre les motifs de vengeance qui portoient le Fondateur a cette barbarie. Son cœur n'eut point à combattre ces terribles crforts de la Nature , pour rompre les chaînes facrées &: indilfolubies de l'amour paternel ; 1 amour-propre lui avoit fait perdre tout fentiment de tend relie ôc de pitié : ce tyran égoifie ne pardonne jamais. Pierre cependant, lorfqu'il violoit envers fon fds fes fermons, ks Loix de la Nature &: celles de l'équité, s'occupoit de rcclirier la Législation dans fes Etats : quelle inconséquence ! A quoi un Prince ne doit-il pas s'attendre de la part de fes Sujets, quand il donne lui-même l'exemple du parjure Ôc de la violation des Loix ? »I1 cft évident, ajoute Voltaire, que Pierre n'immola point » fon fils à une marâtre Ôc à l'enfant mâle qu'il avoit d'elle, » puifqu'il le menaça fouvent de le déshériter , avant que Ca-» therinc lui eût donné ce fils, dont l'enfance infirme étoit me-" nacée d'une mort prochaine, ôc qui mourut en effet bientôt >j après «. Nous répéterons ici ce que nous avons déjà dit a ce fujet : c'eft â la Poftérité feule qu'il appartient de juger fi Catherine eut part ou non au fort funclle d'Alexis. Voltaire infifte : » Si Pierre, dit-il, avoit fait un fi grand éclat, «uniquement pour complaire â fa femme, il eût été foiblc, » infenfe Ôc lâche ; Se certes il ne l'étoit pas », Pierre , en cédant aux careftès de fa femme, n'eut pas été le premier â donner un exemple de foiblciic, que l'Hiftoirc attelle avoir été le partage des plus grands hommes. Si l'humanité étoit infaillible, les grands hommes feroient des Dieux......»» Mais n la Nation Ruflc cil devenue célèbre Se refpcctéc dans l'Europe, H dont clic étoit auparavant iéparéc ; ôc û Alexis eut régné, tout » auroit été détruit «. Voilà donc le véritable motif de la mort d'Alexis, celui que Ton a fait valoir auprès de fon père pour le déterminer à l'or* donner; mais il faut toujours en revenir à dire que ce motif étoit propre tout au plus â frire exeufer fon exhérédation. u Enfin , quand on confidère cette cataftrophe, les cœurs fen->* fiblcs frémiffent Se les févères approuvent ». Voltaire HISTOIRE DE RUSSIE. 497 Voltaire ne confond-il point ici Pinjufticc avec la févérité? Les févères font ceux qu'an amour cxceilîf de la Juftice rend inflexibles envers les coupables. Sans cet amour de la Juftice, la févérité n'eft autre chofe que la férocité, la barbarie. Après avoir démontré que la juftice fut'méconnue dans les procédures dirigées contre Alexis, & dans l'Arrêt raonilrucux qui les couronna, nous penfons pouvoir changer ainfi la phrafe de Voltaire : Quand on confdae cette catajirophe, les cœurs fcrfbles franiffent, les jujlcs s'indignent , & tes barbares fculs approuvent. Voltaire cherchant la première caufe de la conduite d'Alexis, de fon évafion, de fa mort ôc de celle de fes complices qui péiircnt . de la main du Bourreau, dit ailleurs : Ce fut l'abus de ta Religion, ce furent Us Prêtres & les Moines. Nous croyons qu'il feroit plus conforme a la vérité, de dire que l'abus de la Religion, les Prêtres & les Moines fervirent à indifpofer le fils contre fon père, & rendirent le père homicide de fon fils. Nous avons pour garans de la première de ces deux aftertions, les déclarations d'Alexis, Se cette réponfe de l'Archiprêtrc Jacques a ce jeune Prince fc confeftant d'avoir fouhairé la mort de ion pèl'C.....Dieu vous te pardonnera ; nous lui en foukaitons tous autant. » On ne (avoit en Europe (dit encore Voltaire ) qui l'on devoit «plaindre davantage, ou un jeune Prince aceufé par fon père, « «Se condamné par ceux qui dévoient être un jour fes Sujets, ou » un père qui fe croyoit obligé de facrificr ion propre fils au falut « de l'Empire «. On doit voir dans la conduite de Pierre I le danger même de pouvoir tout ce qu'on veut. Ce DclpotC a juftifié CC que dit Tacite du caractère méfiant & foupçonneux d'un grand nombre de s rinces : Suaptè naturà potent'u anxu.....Jufpeétus femper invifufquc dominantibus quifquis proxtmus dejlinatur, adeb ut dfpl'ueant ctiam civile flliorum ingénia. Tome IIf. , Pierre fut enfin comme tant d'autres grands hommes, le jouet de fes pallions ; fa gloire échoua contre l'orgueil cV contre les carclfes ôc l'ambition de fa féconde femme, il les préventions contre clic font fondées. Nous ne conterions point ce qu'a dit Voltaire , que les défauts du Tzar n'ont point affoiblr fes grandes qualités, Ôc qu'en lui le Monarque fm toujours grand; mais nous fommcs auili fondés de nous écrier avec le même Auteur, qu'en lui \ homme eut fes taches. Nous ajouterons même que la mort d'Alexis en cft une ineffaçable, ÔC qu'après cette cataftrophe , Pierre ne put conferver le titre de Grand que par fon repentir. Lorfque nous indiquerons aux Lecteurs les rapports nombreux de Pierre I avec Chademagne, ils regretteront avec nous que le Monarque Rutfe ait préféré la rigueur de Philippe II envers Don Carlos, à la clémence dont ufa le Monarque François envers Pépin fon liis, ôc Tajfilhn, Duc de Bavière, fon coufin. «Charles avoit eu, comme on le fait, une première femme, quil répudia lorfqu'il époufa la tille de Didier. Celle-ci ne partagea fon lit que pendant un an, Ôc ne lui donna point d enfans: mais la Reine Himiltrude en avoit un qui parut abandonné en même-tems que fa mère. »Hildcgardc, troifièmc femme du Roi, avoit eu trois fils-Charles, l'aîné, deftiné au Tronc par fon père, n'avoit point quitté la Cour. Des c^ux puînés, Pcpin ctoit Roi d Italie, ÔC Louis Roi d'Aquitaine. » Le Prince, fds d'Himiltrude, nommé aufti Pépin, étoit fcul fans emploi ôc fans confidération. Ennuyé de fon état, il commence par en murmurer, èv finit par fe livrer aux ConfcillcrS perfides, que fes plaintes avertirent de s'attacher a lui. La conspiration formée fut découverte a Ratisbonne, où ce Prince coupable étoit arrive , fous prétexte de rendre fes rcfpcéls au Roi* HISTOIRE DERUSSIE. 499 fon père. Les Conjurés crurent devoir fc lier entr'eux par des fermens horribles. Ce fur dans une Eglifc, à la face des Autels, Se pendant la nuit, qu'ils fc*llèrcnr leurs abominables engage-mens. Un Trêtrc Lombard, qui s'étoit endormi, fut réveillé par leurs difeours, Se entendit tout : forcé, pour fauver fa vie, -de leur jurer le fecret, il ne fe crut point lié par fa promefle, vint rout révéler au Roi. Pépin Se fes complices font arrêtés fur le champ. Ceux-ci font jugés Se condamnés à mort \ le jeune Prince eft enfermé dans le Monaftèrc de Prum, dans les Ardenncs. Cependant il étoit parricide, Se fon crime bien prouvé. On croit que Fajlrade acheva d'aigrir le parricide Pépin, avec lequel clic fc conduifit toujours en impitoyable marâtre. » Charlemagnc, las de pardonner à fon coufin Taftillon, Duc de Bavière, fes perfidies Se fes trahifons, convoqua a Ingclheim en 788, unc Cour plénièrc {générale placitum). Tous les Grands y font mandés : Taililon y eft ajourné comme les autres \ Se dès qu'il y cft arrivé, il cft arrêté. Là, il eft de nouveau jugé dans les formes, &: avec tout l'appareil qui avoit coutume d accompagner le Tribunal fuprême, lorfqu'il avoit à ftatucr fur le fort d'un Grand, coupable. On lui met fous les yeux les chefs d'accu-fation : on entend les témoins, on écoute fes défenfes : toute l'Alfcmbléc le juge digne de mort. Noxd conviclus, uno omnium ajfenfu , ut Lefé Majejlatis reus , capitali Sentcntiâ damna-us eft. Convaincu des crimes qui lui étoient imputés?, il fut pat les fuffrages Unanimes de fes Juges, condamné à mort, comme coupable de Lèzc-Majcfté. Fginh. ann. 788. "Charlcmagne cependant, ne put fe réfoudre à verfer le fang d'un Prince qui lui appartenoit de fi près. Content d'avoir fait tefpetler fa puiffancc par cet aclc légal, il fit enfermer Tallillon Se fes fils dans ditfércus MonalVères. La Duchcifc , la femme, fc retira dans un Cloître, Se fes deux filles prirent le voile. Rri ij "Taftiilori fc rendit cri'794V au Concile de Francfort, en habit de Moine, pour y folliciter fitldulgcnce S: les bontés du Monarque. Il demanda un revenu honnête, avec lequel il put le réunur h fes fils. Pouf v parvenir, il apporta un a-lc'qui contenait- une renonciation dans ■ les' formes à tous fis droits^ a&c très-imrtilc , puifquc ce Prince avoit été jugé. Mais Charles fut touché, il lui accorda une penfion confidérablc, qui le mit en état de fc retirer à l'Abbaye de Jumiège, fur la Seine, d'y faire venir fes enfans, &c d'y jouir d'une aiiancc qui ne le co'nfola jamais de la perte de fa dignité. Difc. fur l'Hiftoirc de France, par M, Moreau 3 Tome VI y pag. 8r, Si èC' 103. ^wH^t^n^i^ri t Nous avons dit qu'après la cataftropbc d'Alexis, Pierre ne put confetvcr.le titre de Grand que par (bu repentir : les remords qu'éprouva ce Prince depuis cette fatale époque jufqu'a fa mort, juftifient cette ^réflexion ; & ce long repentir expia en quelque forte la condamnation injnftè d'Alexis. Ce repentir, ces remords font prouvés par un monument Se par l'Hiftoire. Le monument qui tranfmet les regrets du Tzar k la poftérité, eft la médaille qif il fit frapper le 2.0 Décembre de cette année fatale. Le monument qu'on y voit cft élevé, dit-on , tonti douutr inkoN-Tfttj&i mais il n'eft pas ditlicile d'en aiîigner la caufe. II a pour devife : Véhtchestvo tvoiî vi.zdl. jasno. Ta Grandeurefi faflk par-tout. Cette allufion a la Providence univerféllc, démontre invinciblement le repentir du Tzar , 5c (à réfignation à foui m les regrets qu'il éj couve» regrets quil regarde comme un châtiment mérite de infligé par la Divinité même. A cette preuve convainquante de la douleur du Tzar, nous allons en ajourer Une autre qni renforce la première. Pierre premier perd le fils qu'il avoit eu de Catherine, & cette mort lui rappelle l'atrocité de celle d'Alexis, Son courage, fa prudence , la confiance clans les revers , fabandonnent ; le Héros, le Politique , le Créateur ôc le Légiiiatcur, fuccombe à fes remords, ôc va s'enfermer à Péterhof , dans l'intention de fe lailfer mourir de faim : il défend , fous peine de mort, à qui que ce foit, de venir l'y trouver. Malgré cette défenfe, le brave Prince Dolgorouki, dont nous avons parlé ailleurs, fc préfente à la porte de la chambre oir le Tzar s'étoit enfermé, ôc frappe fans ménagement ; le Tzar répond d'une voix menaçante : Si j'ouvre j je t'abats la tête! Dolgorouki inllfte ôc dit : Ouvres, j'ai à te parler. Je viens, de ta part du Sénat, te demander qui tu veux que Von nomme Empereur a ta place, puifque tu renonces à l'être. Pierre, frappé du zèle courageux du Prince Dolgorouki, ouvre fil porte, embraffe fon ami, l'écoute , fe rend a la fagclfc de fes confeils, ôc reprend les rênes de l'Etat. Cette anecdote inté-reffante nous a été communiquée par M. le Général Bet^i. Les différens traits de la vie du Tzar, que nous avons rapportés jufqrfici, ôc qui n'étoient pas connus, peignent l'homme ôc le Prince dans toutes les pofitions de la vie ôc fous tous les afpccls, avec unc impartialié dont il y a peu d'exemples : mais en tranf-mettant a la pollérité les travaux utiles des grands hommes, nous n'avons pas dû cacher leurs fautes ; on doit les révéler, & on peut même oublier leurs reves fans manquer de rcfpccï à leur mémoire. Tous les hommes font fujets aux vicifîitudes , ôc les vicifïitudes règlent les mouvemens de leur cœur, qui efl prcfque toujours le tyran de l'efprit. Les Princes y font d'autant plus fujets, qu'ils font plus expo (es a la diversité des évènemens. Plus un arbre cil élevé, plus il cil agité en tous fens. Le devoir de l'Hiftorien efl de peindre les pallions a travers leurs déguifcmcns; ôc nous penfons avec un Sage, que la Philofophic aura produit tout le bien qu'elle peut faire aux hommes, lorfqu'elle les aura cou- Co2, HISTOIRE DE RUSSIE, vaincus que les vertus font bien fupérieures aux talens mêmes les plus éminens. Tel cft l'efprit de cet ouvrage, Ôc c'eft par-là quil fera toujours cher aux gens de bien. Leur furfrage cft pour nous la plus douce, la plus fiatteufe des récompenfes. HISTOIRE PHYSIQUE, MORALE, CIVILE ET POLITIQUE DE LA RUSSIE ANCIENNE. LIVRE DOUZIÈME. 1718. Section première. On a vu que Tannée 1717 fe paffa partie en hoftilités avec la Suède , partie en voyages, partie en négociations ; ôc nous avons lai lie les premiers Miniftrcs de Philippe P ôc de Charles Xli occupés du projet de changer la lace de l'Europe, en réunifiant Pierre avec Chartes, en détrônant Georges I, en rétablilTant Staniflas en Pologne, tandis quAlbcroni donnerait au Roi d'Efpagne la Régence de la France. Devenu maître de l'efprit de Charles XII, Goertx le fit donner dans tous fes projets. Les ouvertures que ce Miniftrc avoit faites au Tzar pendant fon féjour en Hollande, ôc la négociation qu'Albéroni avoit entamée avec Kourakin, Ambaf-fadeur du Tzar à La Haye, décidèrent ce Prince à envoyer des Plénipotentiaires dans f'Iflc d'Abo, pour traiter de la paix avec la Suède. Ce fut pendant le malheureux Procès du Tzarévitz que Pierre travaillent également à fe couvrir au-dehors, ôc à régler l'intérieur de fes Etats. L'EcolTois Bruce, Grand-Maître d Artillerie , Ôc le célèbre Ofterman, qui fut depuis à la tête du Miniftèrc de Ruilie, arrivèrent au Congrès dans le tems même qu'on arrê-toit Alexis dans Moskou ; ils y trouvèrent &oert% ôc Gyl'embourg, tous deux impatiens de fe venger de Georges I par la conclulion de la paix entre les deux Cours Belligérantes. " Ce qui étoit étrange, obfcrvc Voltaire, c'eft qu'il y avoit un Congrès, ÔC point d'Armifticc. La Flotte du Tzar croifoit toujours fur les côtes de la Suède, ôc faifoit des prifes : mais malgré ces petites hoftilités, toutes les apparences d'une paix prochaine étoient manifeftes «. Ce fut pour l'accélérer, que vers la fin de Mai les conférences qui fc faifoient à Abo, furent transférées il Pille d'Aland, à la requilition du Baron de Goertz qui deveuoit par-la plus a portée de Stockholm. Pierre-Henri Bruce dit qu'il ne fut admis dans le Congrès d'Aland , aucun autre Miuillre étranger que le Baron de Mardcfcld, Envoyé de Pruffe. Les Préliminaires furent des actions de générofité : Charles renvoya fans rançon les Généraux Troubtrxkcï ÔC Galovin prifonniers en Suède depuis la journée de Narva. De fon côté , le Tzar rendit le Maréchal llrenfehild, que lui-même avoit fait prifon nier. » Les négociations avançoient ; tout alloit changer dans le Nord : Goertz propofoit auT/.ar l'acquifition du Meckîcmbourg. Le Duc Charles, qui poffédoit ce Duché, avoit époufe unc fille du Tzar /v^j frère aîné de Pierre. La Nobleife de fou pays ctoit foulcvcç / foulcvée contre lui. Pierre avoit une Armée dans le Mccklcm-bourg, ôc prcnoit le parti du Prince, qu'il rcgardoit comme fon gendre. Le Roi d'Angleterre, Electeur de Hanovre, fc déclarait pour la Nobleflc : c croit encore une manière de mortifier Georges I, en aflurant le Mccklembourg à Pierre, déjà maître de la Livonic, ôc qui alloit devenir plus puilfant en Allemagne qu'aucun Electeur. On donnoit en équivalent au Duc de Mccklembourg, le Duché de Courlandc ôc unc partie de la Prufle, aux dépens de la Pologne, à laquelle on rendoit Staniflas, Eremen ôc Vcrden dévoient revenir à la Suède; mais on ne pouvoit en dépouiller l'Electeur de Hanovre que par la force des armes. Le projet de Goertz étoit, comme on la déjà dit, que Pierre ôc Charles, unis non-feulement par la paix, mais par unc alliance ofFcnfivc, envoyaient en Ecolfe une Armée. Charles, après avoir-conquis la Norvège, devoit dcfccndrc en perfonne dans la Grande-Bretagne , ôc fc flattoit d'y faire un nouveau Roi, après en avoir fait un en Pologne. Le Cardinal Albéroni promettoit des fubfidc* à Pierre Ôc à Charles. Le Roi Georges, en tombant, entraînoit probablement dans fa chute le Régent de France, fon Allié, qui, demeurant fans fupport, étoit livré à l'Lfpagne triomphante ce Il (croit impoilibic de mieux développer le plan , la trame ôc les fuites du projet de Goertz ôc d Albéroni, aufli ce tableau cit-il d'un Grand-Maître. Voltaire dit que Charles XII donna dans tous les projets de Goertz , & que k T\arfe contenta de les examiner : cela n'eft pas exacî. Indépendamment des Plénipotentiaires qu'il envoya au Congrès, lui-même partit de Kronllot avec fon Efcadrc au mois d Août pour aller à Rével, ôc de là à Abo, afin d être près du lieu de la conférence. 11 y fut convenu, i°. que le Tzar céderoit la Finlande ôc une partie de la Carélie au Roi de Suède; ÔC qu en échange de ces Provinces, il auroit Vibourg, toute J'Ingric, l'Euonic ÔC Tome ///. S s s So6 HISTOIRE DE RUSSIE, la Livonic; i°. que le Tzar s'obligcroit d'aider les Suédois a recouvrer la Poméranie Suédoife, ainfi que Bremen ôc Verden; 3°. qu'il rétabliroit le Duc de Mccklembourg dans fon Duché, ôc qu'en fuite il obtiendroit de ce Duc l'échange du Mccklembourg avec un équivalent que lui donneroit la Suède ; 40. il devoit replacer Staniflas fur le Trône de Pologne, conféquemment au Traire d'Alt Ranftdat ; ôc fi la Grande-Bretagne entreprenoit de vouloir reprendre Bremen ôc Verden, la Rulfie ôc la Suède join-droienr leurs forces de terre ôc de mer pour faire unc defeente en Angleterre ôc placer le Prétendant fur le Trône. Après ces conventions, le Baron de Goertz fc rendit auprès de Charles Xll, à la fin de Septembre, avec l'cfpérancc d'engager ce Prince à accepter ces propofitions. Dès ce moment, la Rufiic ne fit rien qui pût troubler le Roi de Suède dans l'on entreprife fur la Norvège ; ainfi, le Tzar étoit acteur, Ôc non pas fimplcmcnt fpectatcur de la grande révolution qui devoit changer la face politique de l'Europe. Il s'en retourna avec (à Flotte a Kronflot, ôc arriva à Pétersbourg le 1 y Septembre ; il trouva la Tzarinc accouchée d'une Princcffe qui fur nommée Nathalie. Section II. » Albéroni ôc Goertz, dit Voltaire, fc croyoient fur le point de boulcvcrfcr l'Europe d'un bout a l'autre. Line balle de cou-Ievrinc , lancée au halàrd des battions de Fridcricshal en Norvège, confondit tous ces projets; Charles XII fut tué : la Flotte d'Efpagne fut battue par les Anglois; la conjuration fomentée en France, découverte ôc difiipée; Albéroni chalfé d'Efpagne; Goertz décapité à Stockholm; Ôc de toute cette ligue terrible, à peine commencée , il ne relia de puillant que le Tzar, qui, ne s étant compromis avec perfonne , donna la loi à tous fes voifins «*• Voltaire peint toujours à grands traits, mais les traits ne font pas toujours rcflfcmblans; &: de plus, cet Ecrivain, unique en fon genre, néglige fouvent les dérails hiftoriques qui font il précieux aux Le&curs. 4 Il eft: certain qu'au moment où Pierre I donna l'ordre de dé-farmer l'Efcadrc qui étoit à Kronftadt, chacun regardoit la paix avec la Suède comme certaine; mais ces cfpéranccs furent bien-tôt diflipées par la mort de Charles XII, qui fut tué, dit-on, d'un coup de balle a la tête. Le Feld-Maréchal Beïnfchild, qui étoit alors a la tranchée, fe rendoit auprès du Roi, lorfqu'il le trouva à genoux fur la banquette, la tête appuyée fur le parapet : le Maréchal croyant qu'il étoit endormi, voulut le réveiller; mais il le trouva froid &c mort. Suivant l'opinion de plufieurs Ecrivains, Charles XII fut tué par quelqu'un de fon Armée : nous ne le penfons pas ; mais nous devons, en qualité d'Hiftorien, rapporter ce que M. Vraxallle jeune, dit à ce fujet dans fa feptième lettre, où il rend compte de fon arrivée à Stockholm : » J'ai eu, dit-il, dirférens entretiens avec les Suédois, fur les » victoires &c la mort de Charles XII. Ils font prcfque tous dans » la conviction qu'il n'a pas été tué d'une balle tirée des remparts » de Fridcricshal, comme on l'a rapporté, M. de Voltaire a voulu » prouver le contraire, & juftificr l'Ingénieur qui accompagnoit »lc Roi. Je vois néanmoins que les raifons qu'il allègue font » peu concluantes, 6c que certaines particularités quil rapporte, » combattent fon opinion Le Roi fortit, dit-il, dans le deffein de voir les progrès qu'a-voient frits fes Troupes. C'étoit la nuit, il fe mit à genoux pour mieux examiner, Se appuya fa tête fur fa main. Dans cette attitude au milieu des ténèbres, une balle le frappa a la tempe; il tomba à la renverfe fur le parapet, en pouffant un profond foupir, & mourut dans Imitant. Il eut cependant encore la force de porter la main à fon épéc, &: ce fut dans ce moment qu'il expira. Sss ij Mcgret, Ingénieur François, dit alors avec le fang-froid qui iC diflinguoit : La fcène efl jouée , allons-nous en...... « Les Suédois, continue j^l. Vraxall, admettent ces faits; niais >î leurs conféqucnccs font toutes autres. Ell-il probable , difent-ils, » qu'une balle tirée au hafard 6c pendant la nuit, ait atteint pré-»j cifément la tête du Roi? n'eft-il pas plus vraifcmblablc, au >s contraire , qu'un coup fi bien ajuilé foit parti d'un piftolct, tiré » par quelqu'un qui étoit a portée? l'attitude de Charles n'indi-» quoit elle pas le deffein de fc défendre contre un agreifeur qui >3ctoit auprès de lui? il n'auroit pas porté la main a fon épéc "contre un boulet de canon, &c. «..... Nous ne voyons rien dans ces objections qui détruife la pofli-bilite de l'événement dont il s'agir. Charles XII étoit expofe aux coups de fufil fur le parapet ; une balle pouvoit l'atteindre par hafard de nuit comme de jour; un Piincc qui s'étoit expolé en foldat dans toutes les actions, devoit mourir en foldat : d'ailleurs, il faut autre choie que des objections, pour prouver à la poftérité qu'un Roi a été aftailiné par unc perfonne de fa fuite. Section III. »sLc Baron de Goertz, dit Ticrrc-Hcnri Ptuce, fut arrêté fur » la route comme il alloit joindre Charles XII. Il fut decapire, »&: fon corps enterré fous l'échaftuid même. On arrêta les per-r> fondes qui avoicût été dans fa confidence ; de ce nombre, devoit » être Stamblc, Secrétaire du Congrès d'Aland , dont on ne iaidt » que les papiers : il fc fauva à Tétershourg, où il refta fous U » protection du Tzar, au fervicc duquel il entra. Ce fut par lui >î que les Rulfes apprirent la mort du Roi de Suède, & la proclamation de la Princcffe Ulrique, fa fœur. Ce changement » fubit renverfa toutes les mefurcs prilcs pour la paix , qui, (ans » cela, alloit être lignée «. HISTOIRE DE RUSSIE. joc, Charles avoit été defpotîque dans un Gouvernement libre : émule d Alexandre, enthoufiafte de la gloire des armes, il avoit outré toutes les qualités de rhéroïfmc, Ôc l'excès avoit fait des vices de fes vertus mêmes, car il en avoit; fa frugalité, fon défin-téreflement Ôc la fageflé de fes mœurs méritent des éloges; mais il fut moins Roi que Guerrier, plus Egoïftc que Citoyen, ôc moins Chef que Soldat. Après fa morr, la Suède épuifee d'hommes Ôc d'argent, en proie à la vengeance, ou plutôt à la cupidité de fes voifins, avoit befoin d'une adminiftration fage ôc modérée, pour réparer rant de pertes a la fois, ôc calmer les orages excités de toutes parts fous le règne de ce Prince. Les Etats de la Nation fe crurent en droit de rétablir l'ancienne forme de Gouvernement, en tempérant l'autorité fouveraine par celle du Sénat; ôc ce fut a ces conditions qu'ils déférèrent la Couronne à la Princcfic Ulriquc-Eléonorc, fueur de Charles XII, mariée a Frédéric, Prince héréditaire de Helfe, qu'elle fit peu de tems après fon couronnement élire Roi de Suède. La Couronne devoit appartenir au Duc de Holftcin , fils de la foeur aînée de Charles; mais Ulriquc l'emporta fur les droits de fon neveu. Section IV. L'année où la grandeur de Pierre I fourfrit unc éclipfe totale, eft une des plus remarquables de fon règne, par les avantages qu il procura à fes Sujets. » Il établit des Manufactures ôc des Fabriques en tout genre, parmi lcfquclles il y en eut pour les glaces Ôc les tapifteries de hautc-Jiffc fur le modèle de celles de Paris; Pétcrsbourg eut des Fderics d'or ôc d'argent, ôc le Tzar ordonna qu'il ne feroit employé par année dans cette Manufacture que quatre mille marcs, foit d'or, foit d'argenr, afin de n'en point diminuer la malfe dans les Etats. 11 donna cent cin- qualité mille livres de France, avec tous ks matériaux ôc tous les inllrumens néceflaircs , à ceux qui entreprirent les Manufactures de draperie ôc des autres étoffes de laine. Cette libéralité utile le mit en état d'habiller Tes Troupes de draps faits dans fon pays : auparavant on tiroit ces draps de Berlin Ôc d'Angleterre. On fit à Moskou d'aufîî belles toiles qu en Hollande? On cifaya de travailler en Ruilie la foie de Perfc, ôc l'entrcprife ne fut pas fans fuccès. Les Mines de fer furent mieux exploitées qu'auparavant ; on découvrir quelques Mines d'or ÔC d'argent; Ôc un Confcil des Mines fut établi pour conflater fi les exploitations donneraient plus de profit qu'elles ne coûteraient de dépenfe, on perfectionna plus que jamais la Fabrique des armes. Pierre fit en cette année le plan du canal &: des éclufes de Ladoga. Il s'agiffoit de faire communiquer la Neva a unc autre rivière navigable , pour amener facilement les marchandées à Pétcrsbourg, fans faire un grand détour par le lac Ladoga, trop fujet aux tempêtes, ôc fouvent impraticable pour les barques; il nivela lui-même le terrein ; on conferve encore les inllrumens dont il fe fervit pour ouvrir la terre, ôc la voiturcr; fon exemple hâta un ouvrage qu'on regardoit comme impoffiblc, ôc qui a été aelyevé après (a mort. Le grand canal de Kronlladt, qu'on met aifément a fec, ôc dans lequel on carêne Ôc on radoube les vaiifeaux de guerre , fut auili commencé dans le tems même des procédures contre fon fils. La nouvelle Ladoga fut bâtie, ôc bien-tôt après le T/ar tira ce canal qui joint la mer Cafpicunc au golfe de Finlande ôc a l'Océan «. Tous ces faits rapportés par Voltaire font exacts, ôc il cil fondé a dire que pour faire fleurir tant de Manu* factures, tant d'Arts difterens, tant d'Entrcprifes, ce n'étoit pas aflez de ligner des patentes ôc de nommer des Infpccteurs; il falloir dans ces commencemens que Pierre vît tout par fes yeux, ôc qu'il travaillât même de fes mains, comme on l'avoit HISTOIRE DE RUSSIE. y 11 vu auparavant conftruire cîcs vaiffeaux, les appareiller Se les conduire. Pierre exécuta encore Se projetta pour les années fuivantes d'autres érablilfemens utiles. Les riches furent obligés de bâtir des Maifons régulières, fuivant leur fortune. Ce fut unc excellente police, de faire venir fans frais a Pétersbourg les matériaux fur les barques Se les chariots qui revenoient à vuide des Provinces voifincs. Il établit des Ecoles d'Arithmétique dans toutes les Villes de l'Empire : elles furent délivrées de la foule de ces mendians qui n'ont cFautrc métier que celui d'importuner ceux qui en ont un , Se de vivre a leurs dépens. Les Maifons pour les orphelins Se pour les enfans-trouves furent achevées Se dotées. Le l'uxe dans les habits Se les jeux de hafard furent févèrement défendus. Pour augmenter les branches du commerce, il accorda des privilèges aux étrangers; il rendit fixes Se uniformes les poids Se les mefurcs, établiffcmcnt fi utile dans tous les Etats policés, Se que l'on regarde mal à propos comme impraticable. Le prix des denrées néceffaircs fut réglé; des finaux éclairèrent Pétcrsbourg pendant la nuit; l'ufage des pompes pour les incendies fut établi, ainfi que tout ce qui regarde la commodité publique, la fureté, la propreté Se le bon ordre ; Pétersbourg Se Moskou prirent unc face nouvelle. Section V. Les Loix furent un des grands objets de l'attention du Tzar: dans fes voyages il avoit tiré des inltrudions des Etats par lefqucls il avoit palté, Se il avoit pris des différentes Nations ce qu'il croyoit pouvoir convenir a la fienne ; mais après de mûres réflexions, il fe détermina a prendre pour modèle le Royaume de Suède, préférablcment a tout autre. Il établit un Lieutenant-Général de Police à Pétcrsbourg Se à Moskou. Il créa un Procureur Général, auquel il joignit quatre Aileflcurs, dans chacun des Gouverne- mens de l'Empire, pour veilter a la conduite des Juges : il défendit à ceux-ci, fous peine de mort, de recevoir ni préfens ni epiecs; mais ils eurent des appointemens duTréfor public, 6c n'achetèrent point leurs charges. Ainft la juftice fut rendue promptement & fans frais. Avant fétabliflement du Sénat, il y avoit une Cour de Boyari qui décidoit en dernier rcflbrt des affaires contcnticufcs : le rang 6c la naiflance, dit Voltaire, y donnoient fente; il falloit que la fcicncc la donnât : cette Cour fut cafléc Nous allons rapporter ce que le Tzar fit pour fe procurer la feienec. Il donna ordre de recueillir à Stockholm, tous les Rèçlcmcns 6c toutes les Ordonnances qu'il crut capables d être utiles à fes vues. 11 fubflitua aux anciennes Cours de Juftice, qtfon nommoit PriLii, des Collèges qu'il diftingua par le nom des affaires qui etoient du relfort de chacun d'eux : tels font les Collèges des Affaires étrangères, de la Guerre, de l'Amirauté, des Finances, de la Juftice, de la Révifion, du Commerce, des Mines, des Manufactures, auxquels il ajouta enfuite le Comptoir d'Etat, le Synode 6c le Magiftrat. 11 détermina politivement les cas qui fèroient du Département de chaque Collège, fpécifia le nombre des Membres dont chacun feroit compofé; 6c dans la crainte que ces nouveaux Juges ne paffa lient les bornes de l'autorité qu'il leur coniîoit, il rit publier un Règlement gênerai, qui entre dans le plus grand détail fur les fondions que chaque Collège devoit remplir. Il fit plus, il envoya diverfes perfonnes de confiance en Allemagne, Se en d'autres Etats de l'Europe, avec ordre d'y engager les hommes dignes d'occuper des places dans ces Collèges; 6c il permit aux prifonniers Suédois d'y exercer des emplois, pourvu qu'ils fullcnt la Langue du pays. Le Le but de ce Prince que l'on doit admirer ici, étoit-d'avoir en place un mélange d'Etrangers Ôc de Nationaux ; perfuadé que-ces derniers, en fc modelant fur les premiers, acquerraient les lumières qui leur, manquoient, ôc que les autres, en fc conformant aux coutumes du pays, s'habitueroient a croire qu'ils Cn étoient citoyens. .iw':h.'. Pour former la jeune Noblelfc aux affaires, il ordonna a chaque Collège de prendre un nombre fixe de Nobles, ôc de les occuper-d'abord aux plus bas emplois, avec la pcrfpedivc de parvenir aux fondions les plus relevées, s'ils s'en rendoient dignes : il ftatua en même-rems que les roturiers ne pourroient avoir place dans les Tribunaux , à moins que leurs talcns ne l'engageaffent à faire une exception cn leur faveur. Ce fut ainfi que Pierre crut devoir apprendre a fa Nation que des ferviecs étoient préférables à des aïeux, ôc que les talcns utiles pouvoient aller de pair avec la naiffanec. Les Juges des Tribunaux établis dans les Provinces curent le droit de juger cn première inftanec, mais avec injonction d'inftruirc le Gouvernement de leurs décifions. L'appel fe portoit du Gouverneur à la Cour de Juftice, ôc de celle-ci au Sénat, comme Juge cn dernier reftbrt. Afin de rendre le Sénat plus rcfpcdablc, Pierre fit publier une Ordonnance qui défendoit à qui que ce foit d'ofer porter des plaintes diredes au Souverain, fur les cas qui étoient du reftbrt des Tribunaux établis , voulant que chacun s'en tînt à ce que le Sénat auroit cru devoir prononcer. Cette Ordonnance portoit encore , que fi quelqu'un étoit affez téméraire pour appcllcr du Sénat au Prince, Se qu'il ne pût prouver fes allégations, il encourrait la peine de mort, parce qu'on regarderait fa démarche comme attentatoire a 1 honneur & a la dignité d'un Tribunal préfidé par le Souverain. Dans la fuppofition qu'il fc trouvât des matières d'appel que la Loi n'eût pas prévues, ÔC des cas fur lefqucls elle n'eût rien ftatué, Tome III. T 11 5r4 HISTOIRE DE RUSSIE, il fut défendu au Sénat de rien décider avant d'avoir pris les ordres du Souverain a cet égard : mais le Légiflateur, craignant que le retard de fes ordres n'exposât les Parties à trop de délais, créa un Maître général des Requêtes, dont les fondions ftriétement détaillées, dévoient procurer unc prompte juftice fut les plaintes formées contre les Tribunaux inférieurs. » L'Empereur, dit Pierre-Henri Bruce, ayant été informé que » fes Sujets fouffroient beaucoup des procès, par l'avidité des « gens de Loix qui en retardoient la décifion, afin d'arracher « plus d'argent de leurs cliens, établit un nombre fuftifant de >3 gens de Loix , payés raiibnnablcmcnt par l'Etat, ôc obligés » d'adminiftrer gratuitement la juftice à fits peuples. 11 leur cn-» joignit d'enregiftrer tous les procès, 6c de les juger par ordre >î de dates, fans égard à. la qualité des petfonnes. » Ce Règlement portoit encore la peine du knout 6c de l'exil » cn Sibérie contre tout Juge convaincu d'avoir retardé un Jugc-M ment 6c de s'être laitfé corrompre «. Pour prévenir les injuftiecs dans les décifions, l'Empereur crut devoir déroger a la Loi antérieure a ce Règlement, " en permet-j» tant â ceux de fes Sujets qui fc croiroient lézés par la Sentence, «d'en appcllcr au Tribunal du Souverain. Ce nouveau Règlement » fit beaucoup de plaifir a la Nation, ôc fur-tout au Peuple..... «Comme jufquc-lâ la Ruilie n'avoit point encore de Loix tbè& u tenus, l'Empereur fit publier un petit Codcdc Loix claires & pn\':Jc<> »cn Langue Rulfe ôc Allemande, fuivant la méthode que le » Maréchal W'cydc avoit fuivie dans la rédaction des Loix mili-» taircs. Chaque Juge, chaque Officier fut obligé d'avoir un »î exemplaire du petit Code civil, pour lui fervir d'inftruclion » dans tous les cas «. Voila des faits digues des cJogcs de la Poftérité 1 PuiffcrU-^5 produire des Emules ! . . ;.. ; i t .VA ; ' HISTOIRÏ' DE RUSSIE. )t{ **>*^^p à j J L wfj&i ^ 3 -i v|, ,7*11 - 'cïi.'l'Ifjj .Il X1.-'" r'I;l. L >.ï. b| 1/iG Section VI. ..... j i,;> Les Etabli[Temciis que fît'le Tzar, ôc la multitude des Loix qu'il promulgua cn cette année ôc pendant qu'il inftruifoït folcm-ncllemcnt le procès de fon fils, ne nous paroîtroient pas1 même vraifcmblables, fi nous n'avions fous les yeux les pièces authen-tiques de cette vente. En 1714, le Tzar avoit publié 41 Ordonnances. Eni7ir,ilcnfitparoîtrc2o. En 1716-1717, on cn compte $1. En 1718, il cn parut 36, dont les principales font les fuivarïtcs. Sur les Débiteurs. 15 Janvier. Sur les Témoignages que doivent rendre les Maîtres des Manufactures. 17 Janvier. Sur la nature des Déclarations à faire devant le Souverain. 19 Janvier. Sur les Galons. _/dc cinquante coudées \ ôc la fentenec de mort portoit que le »î coupable rcllcroit au gibet, jufqu'a ce que fon corps tombât » en pourriture , Ôc qu'il y auroit unc forte garde pour garder ce » corps. On lut cette fentenec au Prince Gagarin, qui ne voulant » pas fervir de fpcélacle après fa mort, mit dcux#ics d'argent »î dans les poches de fes culottes, afin que ce poids accélérât la » chute de fon corps , Ôc c'eft.ce qui arriva au bout de quelques »j jours i les foldats de garde partagèrent l'argent, Ôc par recon-»> noiftanec, ils enlevèrent les reftes du corps ». Il faut convenir que l'amour-proprc du coupable étoit bien placé. Section VII. Toutes les mefures furent changées cn Suède après la mort de 510 HISTOIRE DE RUSSIE. Charles XII, mais le congrès d'Aland ne fut pas rompu. La Reine Ulricjue nomma le Baron de LillenJIed pour remplir la place de Goertz au Congrès, où il arriva au mois de Juin. A cette époque, la mort de Charles XII avoit entièrement changé les difpofitions Se le fyftêmc politique des Ptinces de l'Europe, relativement a la Suède. Le Roi de la Grande Bretagne envoya le Lord Cariera cn Amballadc à Stockholm, pour y conclure un Traité d'alliance avec cette Couronne. Il fut ftipulé que Brémen Se Verden refteroient à Georges I, moyennant un milliqn d'ecus \ Se qu'en cas que la guerre avec U Ruilie continuât , l'Angleterre payeroit à la Suède trois cents mille écus chaque année, Se qu'elle agiroit avec toutes fes forces contre le Tzar. Peu après les Suédois firent la paix avec le Roi de Truffe fur des termes a-peu-près fcmblables. On lui céda Stettin & fes diftricts \ Se en même-tems le Roi de Pologne conclut un Traité avec l'Empereur Se avec Sa Majcfté Britannique. Section VIII. Pierre faifoit fentir au Nord l'afeendant qu'il avoit pris fur les autres Nations i fa grandeur, lès conquêtes, la puiffancc Se fa' politique leur donnoient de l'ombrage. Le Congrès de Brunfv ick eut pour principal objet de faire rentrer la Suède cn polfcîlîon de la Finlande Se de la Livonic , Se de ne lai lier au Tzar que Pétersbourg , Kronfladt Se Narva. Les Puiifanccs contractantes convinrent de réunir leurs forces contre lui , s'il refufoit de conclure la paix à ces conditions. L'Empereur excité par les follicitations de Georges I, ne garda aucun ménagement envers le Tzar : il donna ordre au Rélidcnt de Rufiic de fortir de Vienne fans audience de congé \ Se le Confia Ruflc qui étoit a Brcflau fut renvoyé fans ménagement. Pendant ces actes d'hoftilitis commençantes , le Tzar Se I* Heine HISTOIRE DE RUSSIE. 511 Reine de Suède fe conduifoient plus politiquement, ôc fe mon-troient, cn apparence , également difpofés a conclure la paix. Dès que Pierre fut inllruit de ce qui fe paffoit au Congrès de Brunf-vick, il fit déclarer aux Plénipotentiaires Suédois , quai étoit réfolu d'envoyer une armée en Suède , fi, dans l'cfpacc de deux mois, la paix n'étoit terminée d'une manière conforme a fes intentions connues. Pierre ne tarda pas à être inllruit de la conduite que l'Empereur avoit tenue envers le Réfidcnt Ôc le Conful de Ruflic : il avoit reçu les Jéfuitcs dans fes Etats, a la follicitation de l'Empereur , il les bannit de toutes les Villes de fa domination. » Ils curent »> ordre, dit Pierre-Henri Bruce, de fortir de Ruilie fous quatre » jours , Ôc furent très-humiliés d'être obligés de partir fi fort a » la bâte j de laiifer leur riche Chapelle aux Capucins, les fculs » Religieux qui euffent la pcrmiflïon de refter cn Ruflic , Ôc on w les y fouffroit h caufe du grand nombre de Romains qui fe « trouvoient alors ôc dans l'armée , ôc ailleurs : les Jéfuitcs furent ♦s bannis pour s'être mêlé des affaires d'Etat «. Malgré ce témoignage, il nous paroît que la rcpréfaillc eut plus de part à leur banniflemenr, que l'intrigue dont l'Auteur cité les aceufe : ce n'eft pas qu'ils n'en fuflent très-capables ; mais nous ne voyons rien qui le prouve dans la circonftancc dont il s'agit, ôc nous ne prononçons jamais que fur les preuves de fait. Section IX. Dès que la Reine de Suède fut affuréc par le Lord Cattcret que fon maître alloit envoyer unc flotte Angloifc à fon fecours, elle fit lavoir au Tzar qu'elle ctoit réiolue de rompre les conférences d'Aland , fi Sa Majcfté ne lui reftituoir pas les Provinces conquilcs fur la Suède, à 1 exception de Pétersbourg , Kronftadt ôc Narva. Unc flotte compoféc de douze vaifteaux de ligne, de plufieurs Tome III, U u u du fécond rang, de frégates ôc de galères, fut la réponfe du Tzar. Il la fit partir aux ordres de l'Amiral Apraxin ôc du Général La/ci, pour faire deux defeentes au nord ôc au midi de Stockholm.Nord-koping, Nikoping, plufieurs autres Villes , Bourgs ôc Villages, furent réduits cn cendres, ôc l'on évalue le nombre des maifons brûlées à plus de quinze mille. Le récit des cruautés que l'Amiral Ruflc exerça cn cette occafion , feroit frémir nos Lecteurs. Elles furent fufpendues à l'arrivée de la flotte Angloifc, fous le commandement de l'Amiral Norris, " Pierre , dit Voltaire, eut allez de confiance dans fa nouvelle marine, pour ne s'en pas laifter impofer par les Anglois j il tint hardiment la mer, Ôc envoya demander h l'Amiral Anglois, s'il venoit Amplement comme ami des Suédois ou comme ennemi de la Ruflic. L'Amiral répondit qu'il n'avoit point encore d'ordre pofitif. Pierre, malgré cette réponfe équivoque , ne laiifa pas de tenir la mer ». La Reine enrayée de tant de défiftres , prefla le renouvellement des négociations : Canera ÔC Norris écrivirent au Tzar pour lui offrir la médiation de Georges L Le Tzar refufa les lettres ÔC U médiation ; il fe prépara â faire face a fes Allies , devenus fes ennemis. Les nouveaux intérêts des Cours rompent prcfque toujours les liaifons anciennes, ôc en forment de nouvelles. S 1 C T I O N X. Le ly Décembre de cette année , M. Vécilofskï , Minifire du Tzar a la Cour de Londres , préfenta un Mémoire , dans lequel ce Prince fe plaignoit de ce que Georges I étoit entré dans des Traités avec la Suède, contraires aux engagemens qu'il avoit ptft avec Sa Majcfté Tzaricnne en 171 r , ôc de ce qu'il avoir détaché de l'Alliance de la Ruflic , les Cours de Pruffe ôc de Pologne. On y rappclloit au Roi d'Angleterre , que le Roi de Danemarck ne lui avoit cédé les Duchés de Bremen Se Vcrdtn, qu'à la vive follici-tation du Tzar \ Se qu'au lieu de la recennoiflance qu'il lui devoit pour un il grand fervicc , ce Prince venoit de conclure unc A'-liance avec la Reine de Suède, par laquelle il s'engageoit a l'af-iiller d argent ,-Se d'un bon nombre de vaiffeaux de guerre contre Sa Majcfté Tzaricnne : on y ajoutoit que le refroidiflement de Georges I envers le Tzar, venoit de ce que ce Prince protégeoit le Duc de Mccklcmbourg contre la révolte de fa Noblcffc; au lieu que le Roi d'Angleterre, comme Electeur d'Hanovre, encoura-geoit les Rebelles, pour fe procurer la facilité d'envahir le pays ; que ce motif étoit le fcul qui eût pu déterminer le Monarque Anglois a chercher les moyens de brouiller le Tzar avec la Cour de Vienne, Se â détourner celle de Danemarck des mefures concertées avec lui, pour les opérations de la guerre contre la Suède. Enfin, difoit-on dans ce Mémoire, lorfque Sa Majcfté Tzaricnne fc trouva à Copenhague, la Cour de Londres ne fut-elle pas fur le point de faire agir fon Amiral Noms, contre la flotte Ruflc & les troupes de débarquement, fi S. M. B. avoit voulu confentir â une manœuvre fi contraire au droit des gens? De plus, ajoutoit-on , le Tzar a reçu différens avis, tous dignes de foi, que la flotte nombreufe envoyée par l'Angleterre dans la mer Baltique, cft deftinéc a fecourir la Suède , Se à tourner fes armes contre la RutTïe. Ce Mémoire finiffoit, cn obfervant que Georges I offroit fa médiation au Tzar, pour terminer ces différends avec la Suède, après avoir fait un Traité offenfif cVrdéfenfif avec cette Couronne, contre celle de Ruflic , ce qui ne peut engager le Tzar à la paix 5 puifquc c'étoit chercher des prétextes à une rupture ouverte, ou plutôt l'en menacer. On répondit à M. Vécélofski qu'on avoit aflez fait paroître le defir fincère de bien vivre avec le Tzar, quoique l'Angleterre U u u ij Ti4 HISTOIRE DE RUSSIE, n'eût point d'engagemens formels avec ce Prince ; &: que 1011 pouvoit attribuer aux avances que le Tzar avoit faites, ce reflen-timent du Roi de Suède contre lui. On rappclla au Miniftte du Tzar que, lorfque le Prince Kourakin fe rendit à Londres en 17.6, pour conclure un Traité de Paix offcnfU &c défcnfif, &: un Traire de Commerce entre la Ruflic & l'Angleterre, cet Ambaf-fadeur fit naître plufieurs difficultés très-déplacées, & entr'autres qu'il rcfufi aux Anglois la liberté de commercer a Kazan &C * Allrakan j privilège qu'ils avoient obtenu des prédécefleurs dû Tzar. L'Hiftorien du Miniftère du Chevalier Robert Walpool dit a ce fujet : » Les deifeins que la conduite du Tzar donna lieu de lui « imputer alors , firent principalement échouer cette négocia->s tion. Il étoit intimement allié avec le Roi de Danemarck ; m cependant, il méditoit le deffein de fe rendre maître du Sund » & de Copenhague, au lieu de faire la defeente cn Scanic; projet « dont on avoit amulè le Public pendant quelques mois. S'il cft «vrai que le Tzar avoit projette une telle invafion , il fc peut » qu'il n'ait été retenu pour l'exécution , que par la crainte de la » Flotte Angloife qui s'y feroit certainement oppoféc. Ne feroit-ce »? pas le relfeiuiment de voir fon projet avorté par rapport a 1* «Flotte d'Angleterre, curi avoit fi fort animé le Tzar contre »j Sa Majcfté Britannique ? ("cft à cette époque que l'on doit fixer « l'indifpofition confiante que le Tzar laiifa tranfpirer contre le »i Roi d'Angleterre i«. Ce reffentiment devint très-fenfîblc quelque tems après. Les lettres du Baron de Gocn\ &: du Comte de (GylUmbourg firent cou-noître que le Tzar, outré de la conduite de Georges 1 â fon égard, s'occupoit très-férieufemeut de fa réconciliation avec le Roi de Suède, en faifant avec lui une paix feparéc \ ces lettres prouvaient encore la réfolution du Tzar de donner au Prétendant tous ks fecours nécetfaires pour le remettre en poifcftïon du Trône de les ancêtres. Les Hiftoricns contemporains ont écrit, que quelque loin que la Cour de Ruilie fc foit donné pour détruire ce foupçon, la conduite du Tzar paroi (foit n'avoir eu pour objet que l'exécution de ce plan. Ils appuient cette opinion fur les négociations de M. fcrntpm Ôc du Chevalier Hugues Paterjbn avec le Miniftrc Rulfe , pendant le féjour du Tzar cn Hollande : on n'ignoroir point, difent-ils, les intrigues de ce Miniftrc, tant avec le Duc d'Ormond, pendant le féjour qu'il fit fecrètement à Mittau , qu'avec le Chevalier Henri Strickland ôc Jcmegan a Pétcrs-bourg. On favoit auili la correspondance qui.s'établit par les intrigues de ce dernier, entre le Tzar ôc le Roi d'Efpagne. Il cft certain que les conférences d'Abo, commencées fans la participation du Roi d'Angleterre, furent les fruits dune entrevue que l'on avoit ménagée à Loo avec le Baron de Goertz, au mois d'Août 1717. Les papiers de ce Miniftrc ont fait voir quel en étoit l'objet : linvafion de l'Ecoftc devoit fuivre la conquête de la Norvège ; de forte qu'il n'eft pas étonnant que le Tzar n'ait point entrepris de traverfer cette conquête, en fecourant le Roi de Danemarck dans un befoin fi prcifant. On fut enfin toutes les propoiitions du Tzar à la Cour d'Efpagne, pour la faire entrer dans une alliance orfenlive qui avoit pour objet de favoriier le Prétend .m t. C'eft d'après toutes ces connoi fiances que le Roi d'Angleterre eut lieu de croire que le Mémoire qui lui fut pré-tenté par le Miniftrc de Rufiic, ôc par lequel le Tzar témoignoit le plus grand defir de vivre cn amitié avec lui, n'étoit qu'un artifice dont on fe lervoit pour mafquer les négociations ôc favoriier les intrigues que nous venons de rapporter. A ces railôns, Georges l en ajouta d'autres : » Lorfque , dit-il, »les entreprifes concertées à Aland avec le Baron de Goertz, m furent diilipécs par la mort de Charles XU, le Tzar ne trouvant »s dans la Princcffe qui lui fuccéda aucune difpoiition à fuivre des a projets auili contraires a la juftice, ôc auili dangereux, il forma « le deftein de les lui faire adopter par la force, ôc par des excès «dont on trouve peu d'exemples dans l'Hiftoire. Tout enrier à\ « cette idée, il n'en fut diftrait que par les allarmcs que lui donna « la Flotte Angloifc, que Sa Majcfté Britannique envoyoit tous «les ans dans la mer Baltique, pour proréger le commerce de « fa Nation. Ce fut alors que le Tzar demanda d'une manière » impérieufe, ou plutôt d'un ton menaçant, quelle ctoit la defti-« nation de cette Flotte? H écrivit a l'Amiral Norris dans des « termes que l'on n'avoit point encore employés a l'égard de la «Couronne d'Angleterre. Cependant, Sa Majcfté Britannique «n'y répliqua que par les voies de ta douceur £e de la modéra-«tion, cfpéraht toujours qu'un Prince aufti éclairé que Pierre 1 «confentiroit non-fculcmcnt pour le bien général de la paix, fi a modérer lès prétentions, mais qu'il reconnoitroit aufti qu'il «étoit plus digne de fa prudence de s'aftûrcr par fa modéra-« tion , ôc par le conlèntcment des autres grandes Puitîânccs de » l'Europe, des pays dont on pouvoit lui procurer la ccllion de « la part de la Cour de Suède, que d expofer les fruits de lès » heureux fuccès aux évènemens d'une guerre qu'il (croit oblige « de foutenir feul, ôc peut-être contre tous. Que li malheureu-» fement les avances Ôc les bonnes intentions de Sa Majcfté deve-« noient infrueTueufcs par le refus du Tzar; ôc que il Sa Maicfté, » en vertu des engagemens dans lefqucls elle cft entrée avec la » Suède, qu'elle eft bien réfoluc de foutenir, fc voyoit obligée de «prendre des mefurcs dcfagréablcs h Sa Majcfté Tzaricnne, elle «auroit la confolation de n'avoir rien négligé pour prévenir foi «fuites iacheufes qui pourroient en réfulter«. Les réfultats des faits ci-deftiis, prouvent d'une part, combien la Maifon de Hanovre ambitionnoit de s'agrandir cn Allemagne- non contente d'avoir acquis avec les fonds de la Nation les Dnches de Bkmèn Se de Verden, elle excitoit encore des fermentations parmi les Nobles du Mccklcmbourg contre leur Souverain légitime, Se dans le dclfein de fe mettre en polleillon de ce grand Duché. Ces faits prouvent de l'autre, que Pierre 1 avoit iormé le projet de fc rendre maître de la mer Baltique, en s'emparant de Copenhague Se du paflage du Sund : ils prouvenr enfin tout ce que nous avons rapporté des projets du Roi de Suède, Se du Tzar contre l'Angleterre; Se c'eil donc-la la politique 1 Section XL Les chofes refièrent dans cet état pendant toute l'année 1715»; mais au milieu de tant d'embarras Se de travaux qui fe multi-plioient a proportion des nouveautés utiles que le Tzar iutro-duifoit dans fes Erats , ce Prince ne regrettoit ni peines, ni foins, ni argent pour établir Se faire fleurir les Arts. Dans la vue dinf-pirer de l'émulation &: de l'ardeur aux Fabricans Se aux Ouvriers, il vifiroit fouvent les Ateliers Se les Manufactures, Se fur-tout celles de fer Se de papier. Il avoit formé à fes dépens la Papeterie dont Karothin lui avoit donné l'idée; Se lorfqu'ellc fut entièrement montée, le Tzar y alloit travailler pendant des heures entières, Se quelquefois même dès le point du jour. 11 s'y rendit un matin à cinq heures, Se n'y trouva que les Ouvriers; le Maître étoit encore au lit. En attendant Ion réveil, Fièvre fc mit a travailler. On réveilla le Maître, qui accourut hors d'haleine, &e qui relia interdit devant le Monarque. «Karotkin, Karotkin, lui dit le "Tzar, ne faurois-tu te lever d'auflî bonne heure que moi? Au " lieu de pafier les foirées arable , fi tu te couchois de meilleure « heure, tu ferois en état de te lever plus matin , Se de faire pins « de befogrreu. Après ce reproche, le Tzar continua le travail &: parla avec bonté au parefleux, qui devint plus matinal. Ce 518 HISTOIRE DE RUSSIE. Prince étoit attaqué d'une rétention d urine, ôc recouroit fou-vent a l'ufagc des eaux minérales; il avoit été foulage de celles qu'il avoit découvertes aux environs de Kalouga. En s'y rendant, il vifita la Fabrique de fer d'un Maître de Forges, nommé Mullery établie a Iftia, à quatre-vingt-dix vérités de Moskou, fur le chemin de Kalouga. En s'entrerenant cn langue Hollandoifc avec les Maîtres , fur la fonte &c le travail du fer, non-fculcmcnt il exami-noit tous les procédés avec attention, mais il mettoit la main à l'oeuvre. Pendant les quinze jours qu'il avoit deftinés à boire les eaux minérales, il employa ce tems a travailler le fer cn barre. Il réullit au point, que pendant ta quinzaine, il en fabriqua dix-huit pouds { y 94 livres). On voit dans la chambre des curiolîtés de Pétcrsbourg, plufieurs de ces barres, qui portent le nom du Tzar, ôc l'année où elles ont été faites. Lorfque ce Prince paffa par Moskou pour fe rendre a Pétersbourg, il fit unc viiîtc au Propriétaire de la Fabrique d'Illia, ÔC lui rendit compte du travail qu il y avoit fait pendant fon féjour aux eaux. Il s'informa enfuite du iâlairc que MulUr donnoit aux Maîtres étrangers qui conduilbient la Fabrique. Mullcr répondit qu'il payoit à chaque Maître trente kopeki par poud de fer mis cn barres.... J'ai donc cette fomme à répéter fur vous , repartit le Tzar j t\: â 1 "mitant Mullcr lui. compta dix-huit ducats, ôc lui dit : On ne (auroit payer le poud de fer cn barre moins d'un ducat, à un forgeron tel que le T\ar.%.. Pierre iburit ôc rendit les ducats à Mullcr; » repre-^nez, lui dit-il, vos ducats; je n'ai pas mieux travaillé que vos * Maîtres ; pavez-moi mon lalaire au même prix, ÔC je ferai fatîs-» fait. J'achèterai avec cet argent unc paire de fouliers neufs dont «j'ai grand befoin u. Pierre acheta réellement unc paire de fouliers avec une partie de cet argent; il prenoit plaifir à les porter dans les jours de cérémonie; ôc comme il tiroit parti de tout pour infpircr à tous ceux qui l'approchoient l'amour du travail, de la la fimplicité ôc de l'économie, il difoit, cn montrant fes fouliers: Je tes ai bien gagnés ; car Us Jonc le prix d'un rude travail* Ce ne font pas-la de ces évènemens frappans qui charment le commun des Lecteurs, de ces intrigues de Cour qui amufent la malignité; mais ces anecdotes particulières peignent l'homme ôc le Monarque fous toutes les faces; elles développent les reiTorrs de la félicité publique, que les yeux des vrais Philofophcs aiment tant a confidérer. C'eft par-là, que prcfque tous les traits de la vie privée du Tzar font intéreftans. Ce Prince, qui aimoit unc prompte juftice dans tous les cas, ne pouvoit fourfrir la longueur des procédures : dans l'intérieur de fon domeftique, il puniftbit fur le champ avec fa canne ,Nou avec un cable, le menfonge, la fourberie, la méchanceté. Mais il appliquoit fi bien les coups, qu'on s'en refientoit encore pendant plufieurs jours. S'il arrivoit que la correction fût injufte, ôc qu'on pût le lui faire comprendre lorfqu'il étoit appaifé ; alors, par un principe d'équité naturelle, il difoit : Chcto délat? que faire? Si une autre fois tu mérites d'être châtié, fais-moi fouvenir de la correction que tu viens de recevoir, & je t'en tiendrai compte. Le Maure Annibal, qui étoit au fervicc du Tzar, 6c qui fe trouvoit avec lui fur un yacht, cn fit f épreuve. Cette anecdote cft de M, Leftoc. Section XII. L'amour de l'ordre Ôc celui de la juftice étoient, pour ainfi dire , les deux grandes pallions du Tzar; il fit pendant le cours de cette année vingt-fix Règlemens, qui curent pour objet les articles (uivans : Les Fabriques étrangères a Rével; IcTranfport des marchandées dans les Ports; les Vaifteaux Se les Ancres; les Conftrucltons a Valili-Oftrof ; les Sommes a prélever pour les appointemens des falariés de l'Etat; les Douanes fur les marchandées fournies par Aïouk-Kan; les Rations pour les Régimens dos Tome IIL X x x 55o HISTOIRE DE RUSSIE. Gardes ; la Coupe des bois à Slavenska ; les Réponfcs fur les Oukas émanés du Souverain; les Eaux minérales; les Marchands; la nouvelle Monnoic; les Bâtimens de tranfport; les Voleurs & lcsDéfer-tcurs ; le Dénombrement des Sujers ; les Fabriques ; le Commerce des étoffes étrangères a Riga ; l'injonction a tous les Membres des Collèges de figner les Ordonnances ôc les Jugemens; le Régiment des Gardes à cheval ; les Rations des Troupes; le Commerce des Arméniens; les Bâtimens de nouvelle conltruction; les Bois de réferve; le Canal de Volotcheka ; la Déclaration envoyée dans les Cours étrangères pour faire des Traités de Commerce ; la Fourniture des caux-dc-vic dans les Kabaki, ôcc. Section XIII. ^cependant l'hiver de Tannée précédente, le Tzar s'étoit préparc h réfillcr aux forces réunies de la Suède ôc des nouveaux alliés de cette Puiffancc : la Noblelfc des Provinces, les Régimens des Kofaqucs avoient ordre de fe tenir prêts pour fe joindre aux troupes qui étoient en quartier d'hiver dans la Livonic Ôc la Finlande ; Ôc les vaiifeaux iVattcndoicnt que la débâcle des glaces pour tenir la mer. De fon cote , le Prince Frcddnc de Helfe , mari de la Reine de Suède , couvrir la Capitale de ce Royaume avec une armée de quatorze mille hommes de pied ôc fix mille cavaliers. Devenu Roi de Ion chef, par la ccilion de la femme, il commença Ion règne par envoyer Marc Virtcnhcrg, fou Adjudant Général, a Pétersbourg, pour notifier au Tzar fon avènement au Trône , ÔC pour lui témoigner combien il déhroit de conclure la paix ôc de vivre cn bonne intelligence avec S. M. Le T&* parut fenfible a la démarche du Roi de Suède, Ôc difpofe à conclure unc paix fi défiréc. Il retint quelque tems l'Adjudant Suédois à Pétcrsbourg, pour le rendre témoin des préparatifs de la cam- HISTOIRE DE RUSSIE 551 pagne ôc de fes forces de terre ôc de mer. Pendant ce tems, il envoya le Lieutenant-Général Roumantzof a Stockholm pour féliciter le nouveau Roi, ôc l'allûrcr de fes difpofitions pacifiques : mais au milieu de ces négociations, fétat de guerre fubfiiloit toujours. On ouvrit la campagne : la flotte Angloife fc joignit à la Suédoife, fans cependant commettre des hoftilités; il n'y avoit point encore de rupture déclarée entre la Ruflic Ôc l'Angleterre. Mais unc efeadre de la flotte Ruflc, fous le commandement du Brigadier Mcngden, fe (îgnala contre une efeadre Suédoife; ôc le Prince Galitzin, qui étoit entré dans le golfe de Bothnie, livra un combat près de Greinham qui dura quelques heures : ce combat Opiniâtre coûta aux Suédois fept à huit cents hommes, ôc la perte de quatre frégates avec unc artillerie nombreufe. L iflue malheureufe de cette action détermina le Roi de Suède à demander une fufpenfion d'armes, ôc il l'obtint pai la médiation du Duc d'Orléans, Régent de France : ce Prince, allié de la Rufiic & de la Suède, eut l'honneur de la conciliation; il envoya, en qualité de Plénipotentiaire à Pétersbourg, Campredon> Miniftrc de France en Suède : il fut ftatué que le Congrès fe tiendroit à Neuftadt ; mais le Tzar ne voulut accorder 1 Armiftice que quand on fut fur le point de conclure Ôc de figner la Paix. Pendant l'ouverture des conférences, nous allons préfenter au Lecteur le tableau des intérêts refpectifs des anciens Alliés du Tzar, devenus ceux de la Suède qu ils avoient aidé à dépouiller. Quoique le Midi de l'Europe fût menacé d'un fécond orage, ôc que la France ne fût pas tranquille, clic agit cependant cn faveur des Suédois. C'eft fous fa médiation qu'ils firent leur paix a Stockholm, le 10 Novembre 1719, avec le Roi d'Angleterre, comme Electeur de Flanovrc. Ce Prince donna a la Suède un million de rixdallers; ÔC par le huitième Article de fon Traité, convint avec la Reine Ulriquç de rcnouvellcr, cn qualité de Roi X x x i j d'Angleterre, toutes les anciennes alliances que leurs prédécef-feurs avoient contractées. Cette féconde négociation ne fut pas longue : l'Angleterre ôc la Suède conclurent à Stockholm, le ic£ Février 1710, une alliance défenfive. Le Roi Georges y reconnoît qu'en vertu du Traité conclu en 1700, entre Guillaume 111 ÔC Charles XII, il eft obligé d'envoyer dans la mer Baltique une efeadre qui fecourra les Suédois contre les hoftilités du Tzar. On ajouta, qu'après que la Ruilie aura fait fa paix, l'Angleterre rappellera fes vaifteaux, ôc fe contentera de payer a la Suède des fubfides cn argent, fuppofé que le Danemarck n'ait pas contenu à un accommodement. Voyez le Droit public de l'Europe > par l'Abbé Mablyy Tome IL Le Roi de Pologne , Electeur de Saxe , défiroit la paix : ce n'étoit plus l'allié fidèle de Pierre I, depuis qu'il avoit appris que ce Prince, prêt à fe réconcilier avec Charles XII dans le Congrès de rifle d'Aland, avoit confenti de replacer fur le Tronc le Roi Staniflas. Obligé de renoncer a fes cfpéranccs fur la livonic, il la voyoit avec chagrin fous la domination des Rulfes, ôc crut fc venger cn entrant dans les vues de l'Angleterre Ôc de la France; il n'exigea que d'être reconnu pour Roi de Pologne. Le Roi de Prufle, de fon côté, fc hâta de faire la paix , foit qu'il prévît que les Suédois fc prêteroient moins à fes propoli* tions, a mefure que le nombre de leurs ennemis diminueroit, foit qu'il commençât a redouter la trop grande puilfance de la Rufiic. Son Traité fut ligné à Stockholm le même jour que l'Angleterre y avoit conclu fon alliance; ôc ce Prince s'engagea à ne donner aucuns fecours au Tzar ni a fes Alliés pendant le refte de la guerre. Le Danemarck alors fongea férieufement à s'accommoder. Sa haine contre la Suède étoit fatislaitc , il pouvoit faire la loi à la Maifon de Holilcai ; èv maigre les préparatifs qu'il avoit laits Histoire de Russie. 533 pour-pouffer la guerre avec vigueur, il confentit, à la prière des Cours de Londres & de France, à une fufpenfion d'armes, &: ligna enfin fa paix à Stockholm le 14 Juin 1720. Les forces de la Ruilie étoient trop fupérieures a celles de la Suède, pour que les Trairés particuliers dont nous venons de parler , inquiétalfcnt le Tzar Se lui fanent craindre quelques revers en continuant la guerre. La flotte Angloifc qui parut dans la Baltique , if étoit qu'un vain épouvantai! pour lui : il favoit que la Maifon d'Hanovre ayant été payée d'avance des fecours qu'elle donnoit, fa reconnoiflance feroir d'autant plus molle, qu'il n'étoit pas de l'intérêt des Anglois de fe brouiller avec lui, pour fecourir inutilement la Suède. Il n'ignoroit pas que les Puiffanccs du Midi, occupées par des négociations importantes, étoient trop lafles de leurs propres différends, Se ttop embarraflecs à les terminer, pour prendre part férieufement aux affaires du Nord. En effet, on ne vouloit que la paix, cn ne parlant que de guerre ; tous ces Traités de ligue Se d'alliance qui fc concluoient alors, n'étoient que l'ouvrage de la crainte. On fe promettait les fecours les plus grands , fans avoir l'intention de les donner. Toutes les Puiffanccs ne chcrchoicnt qu'à s'intimider réciproquement \ Se plus Georges i faifoit de menaces, plus on étoit fur qu'il n'agiroit pas. Si ce Prince s'étoit fait unc grande réputation auprès des perfonnes peu éclairées , cn faifant chaque jour quelque nouveau Traité , il avoit décrié fa politique auprès des autres. » Il étoit >3 difficile , dit fon Hiftoricn , que tant de Traités s'accorda (lent » parfaitement ; Se ce qu'on dit communément, que celui qui »> ell ami de tout le monde n'eft ami de perfonne , convient » naturellement a ces alliances multipliées. Si l'Empereur avoit ^attaqué 1 Efpagnc, l'Angleterre auroit fourni à cette Couronne » douze mille hommes -y fi la France avoit attaqué l'Empereur, »i ce Prince auroit auili eu douze mille Anglois à ion fervicc ; ii la m HISTOIRE DE RUSSIE. >j Hollande avoit attaqué la France, douze mille Anglois atuoient »> été obligés d'accourir au fecours de la France ; fi la Suède avoit « attaqué la Hollande , cette République auroit eu droit à de » pareils fecours : ainfi le fruit de ces alliances auroit été que la >j Grande-Bretagne fe fût battue dans toute l'Europe , fans être » en guerre avec aucune Puiffancc. Si on dit qu'elle n'étoit point >j obligée de fournir des troupes contre fes Alliés ; tous ces Traités » étoient donc nuls ôc illufoires, puifqu'clle étoit alliée à toute » la terre. Elle l'éroit avec l'Empereur , avec la Suède , avec la » Pologne, avec le Danemarck , avec la Pruffe, avec la Savoie , » avec la Hollande, avec la France ôc avec l'Efpagne. Dans tous n ces Traités , on avoit flipulé des fecours i ces flipulations » n étoicnt-cllcs que pour la forme » ? Section XIV. 172.1. On a vu que pour accélérer la paix, le Tzar faifoit éprouver à la Suède tous les malheurs de la guerre. 11 avoit unc armée en Finlande, prête à fubjuguer le relie de cette Province; fes efeadres mcnaçpicnt continuellement la Suède ; il falloit, dit Voltaire, que la paix ne fe fit que fuivant fes volontés. On Ion i -crivit enfin à tout ce qu'il voulut : on lui céda à perpétuité tout ce qu'il avoit conquis, depuis les frontières de la Courlandcr jufqu'au fond du golfe de Finlande, êv par-delà encore, le long du pays de Kcxholm, au Nord : ainfi, il relia Souverain reconnu de la livonic , de l'EUonie, de flngiie, d une partie de la Carélie ÔC de la Finlande , du pays de Vibourg, des llles d'Œfcl , de Dago, de Moén, ôc de plufieurs autres llles voiliues des rivages de là nouvelle domination. Le Général Manflcin rapporte dans fes Mémoires l'anecdote fuivante, au fujet de la ceflion de Vibourg. HISTOIRE DE RUSSIE. 55* » Pierre I, dit-il, avoit envoyé cn 1721, le Comte d'Ofterman ►j au Congrès de Neuftadt, Se lui avoit recommandé d'infifter p fur la cellîon de Vibourg ; mais non pas au point de rompre » les conférences. Ofterman, qui connoiflbit fimporrance de >j cette Place, ne ccifoit de repréfenter au Tzar, dans toutes fes » relations, la néceflité de la conferver ; Se il lui répondoit fur >s fa tête, que les Suédois la céderoient à l'extrémité. On prétend >j qu'il cn étoit fur, par la trahifon d'un Miniftre Suédois, a qui ►3 il avoit promis quatre-vingt mille roubles ( 1 ). En effet, les ►s intimerions des Plénipotentiaires Suédois étoient précifément 13 les mêmes fur cet article. Ofterman, qui connoiflbit à fond i> l'efprit de fon Maître, Se la pafïion d'Iagougenski de figurer au ►s Confcil, craignit que ce fiivori ne fc prévalant de l'impatience '3 qu'avoit Pierre 1 de finir cette guerre, ne l'engageât à renoncer o à Vibourg, Se ne vînt lui-même au Congrès avec Y ultimatum : » cn conféquence, il réfolut de brufqucr les chofes. Il fe con-• certa avec le Général Schouvalof, fon ami intime Se Comman-11 dant de Vibourg, Se le pria qu'au cas où Iagougcnski pafleroit >» par cette Ville, de l'arrêter auili long-tems qu'il pourroit, Se » de lui cn donner avis fur le champ. La chofe arriva comme >3 il l'avoir prévu : Iagougcnski, incapable de refufer unc partie >3de plaifir, fe laifla arrêter deux jours de fuite. Ofterman averti, ( \ ) On eft fonde' à croire ;,,i nc fiviaif pas laip i on umpre put Ofterman ». ^6 HISTOIRE DE RUSSIE. » profita de cette imprudence, 6c fit dire aux Suédois, qu'il venoit » de recevoir Tordre de conclure la paix en vingt-quatre heures, »Ou de rompre les conférences. L'artifice réuftit; les Suédois, «réduits à L'extrémité, accordèrent la ceflion de Vibourg i le >s Traité fut fait 6c ligné avant qu'Iagougcnski n'arrivât. Ce fut » un coup de foudre d'autant plus accablant pour le favori, qu'il » n'ofa pas même s'en plaindre ; mais il ne pardonna jamais ce >3 trait au Comte d'Ofterman ce La paix fut conclue a Neuftadt le 30 Août, Pierre n'avoit entrepris la guerre que dans la vue d'acquérir un Port fur la mer Baltique; & on lui cédoit plufieurs Provinces fur cette mer, 6c une étendue de pays de trois cens lieues communes, fur des largeurs inégales. Couvert de gloire, vainqueur de Charles XII, lui rcftoit-il autre chofe à défircr, que de mettre la dernière main aux grands projets qu'il avoit formés pour faire figurer fa Nation parmi les grandes Puilïanccs de l'Europe? Dans les premiers tranfports de fa joie, il écrivit a fes Plénipotentiaires : » Vous avez drclfé le Traité , comme fi nous l'avions »j rédigé nous-mêmes, 6c fi nous vous l'avions envoyé pour le » faire ligner aux Suédois; ce glorieux événement fera toujours n préfent a notre mémoire «c. CYll a cette occafion quil dit au Maréchal Munich : » Je viens <>i de finir une guerre qui a duré plus de vingt ans, fans faire des o dettes; 6c fi c'eft la volonté de Dieu de m'en faire faire encore "une autre aufti longue, je pourrai la foutenir de même fans » m'eudetter». Ceci cft d'autant plus remarquable, que les revenus de l'Empire de Ruilie avant, &: pendant le règne de Pierre I, u'etoient rienen comparaison des dépenfes qu'exigèrent unc guerre de vingt années, 6c la multitude des créations ce. des récompculcs qui eurent lieu fous le règne de ce Prince. La preuve qu'il ne manquent pas d'argent après tant de dépenfes, c'eft qu'il entreprit HISTOIRE DE RUSSIE. f 37 prit l'année fuivante, la guerre de Perfe, qui lui coûta des fommcs immenfes, parce qu'il fallut tranfporter par la mer Cafpicnne les vivres ôc tout1 ce qui ctoit néceffaire pour l'armée qi 'il conduisît lui-même jufqu'a Dcrbcnt. L'économie de ce Prince lui rcffcmble ; elle ell plus admirable qu'imitable. Le Maréchal Munich fait à ce fujet unc réflexion judicieufe : » Jamais Conquérant, dit-il, n'eut >3 un point de vue plus fixe cn tout, ni plus d'afluranec à l'égard » de fes conquêtes que Picrrc-lc-Grand; il employa des fommcs » immeniès a bâtir les Villes ôc les Fortcrcifcs de Pétersbourg, « de Kronftadt, & des Ports fur les territoires de la Suède,, avant » d'être affuré des conditions dune paix, qui paroiffoit encore »? très-éloignéc ÔC douteufe. Mais les reflburecs de fon génie fe » multiplioient a mefurc que les obftaclcs augmentoient ; l'ordre »> ôc l'économie fuppléoicnt à fon revenu «. » Des fîtes de toute efpèce, dit Voltaire, flgnalèrcnt la fatisfaction des Peuples dans tout l'Empire, ÔC fur-tout â Pétersbourg Les pompes triomphales que le Tzar avoit étalées pendant la guerre, napprochoient pas des réjouiifanccs paiiibles, au-devant defqucllcs tous les Citoyens alloicnt avec tranfport.: cette paix ctoit le plus beau de les triomphes; ôc ce qui plut bien plus encore que toutes ces fêtes éclatantes, ce fut unc rémiftîon entière pour tous les coupables détenus dans les prifons, ôc l'abolition de tout ce qu'on devoit d'impôts au Tréfor du Tzar dans toute 1 étendue de l'Empire, jufqu'au jour de la publication de la paix. On brifi les fers d'une foule de malheureux : les voleurs publics, les aftaf-fuis, les o-mincis de Lèze-Majcfté turent fculs exceptés«. C'était les chaînes du dcfpotifmc que ie Tzar auroit dû brifer! c'étoit le pardon d'Eudoxic ôc de la Princcffe Marie qu'il falloit accorder avant tout! La plus belle couronne, la feule immortelle , cil celle que la juftice & la mifericorde ont treifée de leurs mains- Pierre le fentoit, ce qui fuit va le prouver. Tome IL Yyy «Le Sénat ôc le Synode , dit le Maréchal Munich, décernèrent "les titres de Grand, d'empereur, ÔC de Pè-e de la Patrie au Tzar; « il fut reconnu ôc déclaré tel à PÈglife de la Trinité fur PÏÏÎé «de Pétersbourg. Te Grand Chancelier, Comte Go'ofkin, «prononça un difeours pathétique , ôc pria le Monarque , au «nom de toute la Nation, de vouloir agréer ces titres fi bien « mérités..... L'Empereur répondit : Qu'on ne pouvait ajfe^ remercier « Dieu de la paix qpant&gcufe qu'on venoit de conclure } & que pour lui y »i/ n'en pouvoit marquer fa reconnoifame qu'en faifant grâce & mifericorde «<} fes Sujets a, Par quelle fatalité fa première époufe ôc fa foeur le trouvèrent-elles inexorable? Le Lecteur n'aura pas de peine à deviner le mot de l'énigme. Section XV. La conclufïon de la paix donnoit d'autant plus de fatisfaction à Picrrc-le-Cïrand , que , lé voyant délivré de la néccflité d'entretenir de grandes armées vers la Suède , libre d inquiétude avec l'Angleterre Ôc fes voifins, il pouvoit fc livrer tout entier a la reforme de fon Empire, déjà fi bien commencée, ôc h faire fleurir cn paix les Arts ôc le Commerce, introduits par fes foins avec tant de travaux. On a vu qu'après la défection de Mazcppa , ce Prince abrogea le Hetmanat, Ôc remplaça cette dignité par un Tribunal établi a Cîloukof, fous le nom de Minifcrskaïa Kantjcllaria ou Chancellerie du Miniltèrc : elle étoit compofec de Généraux Ruffcs Ôc de Starehini^ Ofliciers Kofaqucs, h nombre égal. Pierrc-le-Grand avoit pour maxime dans tous fes etabliffemens, de donner les premiers emplois aux Seigneurs Ruflcs, ôc les féconds polies a des Etrangers : par cet arrangement, les chofes s'exécutoient d'une manière conforme à fes vues ; les Etrangers donnoient l'exemple de l'émulation aux Nationaux, ôc ceux-ci, qui furveilloient les autres, les entretenoient duis l'habitude de remplir leurs devoirs avec exactitude, afin de mériter toujo i s la protection particulière que l'Empereur leur accordoit. Cet protection marquée ne pouvoit manquer d'infpircr aux Nationaux de ta jaloufie contre les Erran. gers ; mais lorfque fa voix s'elcvoir jufqif au Tronc, le Prince l'étouffoit d'un fcul mot : Je fais faùsfaït des Etrangers > difoit-il, lorfqu'à l'exemple des Apôtres , il y en a dou\c de bons contre un coquin. Jufqu a l'année 1711, les aifaircs civiles & politiques de la RurHl Ctoient adminiilrécs par différens Tribunaux appelles Prika^es. Les Stolkovié Boyari étoient les Minillres d'Etat, 6c formoienr la première claife de la Noblelfc. Les Okolnitfchi Boyari) Chambellans ou gens de la Cour, étoient les Confeillcrs-Privés. Les Daumnic Dvorainî repréfentoient les Confcillers-d'Etat. LesDoumnic Diaki fai(oient les fonctions de premiers Secrétaires. 11 y avoit trois cfpèces de Départemens : les arfaircs fecrètes fc traitoient par les Minillres dans le Tribunal appelle Préobra-genskoï Prikaz. Le Souverain Tribunal de Juftice «étoie le Soudnoï Prikaz. Toutes les aifaircs concernant les Domaines, les Terres Eccléfiafliqucs 6c celles de la Nobleflc, étoient jugées dans le Pomcllenoï Prikaz. Lorfqu'il sagiilbit d'à flaires importantes, telles que des Déclarations de Guerre 6c des Traites de Paix , 6cc. le Tzar alors fc rendoit chez le Patriarche pour le confultcr, 6c fui voit ordinairement fon avis. «Les Patriarches, dit le Maréchal Munich, étoient tellement »» contiderés, que dans toutes les grandes Cérémonies ou Pro-h cédions, lorfque le Patriarche mon toit a cheval, le Tzar régnant » lui tenoit Terrier «. Ce fut en 1711, le 10 Mars, que Pierre I établit le Sénat dirigeant avec unc autorité prcfque abfbluc, pendant le tems de fon Vyy ij abfcncc hors de l'Empire; ma;s a ion retour, ce S.nat précairement deipotique, devoit rendre compte de la conduite au Chef iuprême. Au retour de les voyages en France ôc en Hcflahde, Pierre établit eu 1717 la Police générale dans tous les Gou\ ernenr.-ns de Ton Empire : celle qu'il avoit vue régner a Paris, 6e les ren-fcigneni.TiS qu'on lui avoit donnés cn partant, lui fervirent de £glc ôc de modèle. En 1719, le premier Janvier, ce Prince, Créateur Ôc Inftituteur, divi.'a les Départemcns cn Collèges; Ôc la Ruilie cur, a l'exemple des autres frais de I Europe, un Collège des Affaires étrangères, un Collège de Juilicc, un Collège de Guerre , un Collège d Amirauté, unc Chambre des Comptes, des Chancelleries de Cour, d'Artillerie, de fortifications, de Bâtimens, ôc des Prikafes importantes dans les divers Gouvcrncmcns, ÔC même en Sibérie. Le Patriarcbat ctoit vaquant depuis vingt années par la mort du Patriarche Adrien : le fouvenir cn étoit nie , ôc l'Empereur abrogea cette dignité qui donnoit unc autorite fupréme a celui qui cn tmi revau. La perfonne du Grand-Pontife fut remplacée par le Saint Synode, le 11 Janvier de cette année. Mais loin de lui attribuer la plénitude d'autorité dont les Patriarches avoicnt joui jufqu'a la mort d'Adrien, elle fut fubordonnec à celle de l'Empereur , qui réferva pour lui la première prélidenec du Synode. Ce tribunal Eccléfialtiquc ctoit compofé du Souverain, de deux Vice 1 1 fidens , de quatre Confeillcrs ôc de quatre Alfelfeurs, tous ehoifit tuiiui les Evêqucs & les Archimandrites les plus fâvans, tous nommés par I Empereur, tous amovibles, tous reconnoilfant le Souverain pour leur Juge fupiémc, cn lui prêtant le ferment de fidélité comme fidèles Sujets ôc Serviteurs obéi dans. Leurauto-lite fmiiloit avec leur conumlhon. Le projet de cette opération avoit mûri dans le filcncc, ôc le cclcbrc Théophane Prokopovitz le manifefta dans le fameux Règlement quil compofa cn 1719, Se qui ne fut publié qu'en 1721, fous le nom de l'Empereur. Dans la même année, il parut unc nouvelle forme pour les procédures judiciaires; forme qui étoit encore en ufage dans tous les Tribunaux , pendant notre féjour cn Rufiic. Si cette année cft: remarquable par de grands évènemens, elle le fut aufîi par des Loix qui ont pour objet les Ufurpatcurs, le Partage des fuccef-fions, les Privilèges des Fabriquans, les Titres a prendre vis-à-vis des Cours étrangères, le Dénombrement*dc tous les Sujets de l'Empire j une Capitation égale, au lieu de l'impôt arbitraire mis fur les maifons, les Requêtes au Sénat, les Affaires qui ne font pas du reffort des grands Collèges, la Découverte des Mines, un Confcil pour cn régler l'exploitation , la Propriété accordée à ceux qui les auront découvertes &: qui réuiliront a les exploiter, la Formation des Régimens de Kofaqucs, Sec. On a vu dans les Volumes précédera, que les Odnodvortfi font des fujets indépendans de la Nobleife , mais obligés de prendre les armes lorfque le Souverain l'exige. Cette claiTe de fujets indépendans étoit alors compoféc de trente a quarante mille hommes. » C'eft de ces Odnodvortfi, dit le Maréchal Muni, h, que l'on a «formé depuis le Corps de l'Ukraine ou Landmilice, le Régi-m ment des Gardes Ifmaitof, 6c le premier Régiment des Ouïs raftiers «. Section XVI. On a vu qu'en 1718, Picrrc-lc-Grand fit le plan du canal Se des éclufes de Ladoga , Se qu en joignant par un canal la Mcfta * la Tvertza, il avoit ouvert unc communication entre la mer Cafpiennc &: le Ladoga, entre la Pcrfc Se la mer Baltique; Se nous avons dit que le Ladoga , herillè d ccueils, fujet aux tcltV pêtes, fouvent impraticable pour les barques, étoit un paifagc Hi HISTOIRE DE RUSSIE, fouvcnt funcllc. Ce fut pour remédier aux malheurs de cette navigation, que 1 Empereur forma le pro et d'un nouveau canal> qui devoit réunir le Voîkof à la Néva. On mit la main a fecuvre, mais on débuta mal > on fc trompa dans les niveîlemcns; il fallut recommencer les travaux, 6c le canal ne fut achevé que fous le règne de Pierre IL On a peine a concevoir comment il cil pofliblc a un fcul homme d'exécuter a la fois tant de projets différais, tant de travaux difficiles , tant d'opérations militaires, politiques 6c commerçantes, pendant les trois années que nous venons de parcourir. Mais nous obfcrvcrons que le génie fupplée à tout, 8c que l'homme de génie qui fait employer le tems cn a pour tout, 6c même pour fes plailirs. Picrredc-Grand, d'ailleurs, conuoitVoit les hommes, 6c favoit s'en fervir dans toutes les entreprifes dont la Patrie 6c les Citoyens dévoient tirer des avantages confidérables. Douze mille hommes de guerre furent employés pendant la paix pour creufer le canal qui devoit réunir le Volkof a la Neva. Pourquoi ces travaux 11 néceffaircs pour féconder un Etat, cn ouvrant les fburces de l'abondance, font-ils ordinairement fi négligés ailleurs? Ett-il un pays fi avantagé par la nature, qui n'ait encore befoin des fecours de fart 6c de findullrie? Les Romains, Alexandre, Pierre le-Grand, doivent apprendre aux autres Nations l'emploi que l'on doit faire des gens de guerre pendant la paix. Ce n'cll qu'eu employant les Troupes a des travaux utiles, qu'un Monarque peut entreprendre a peu de frais, èv voir réuilir en peu de tems les plus grap.!s projets de conftruétion ou d amélioration : en augmentant un peu la folde des travailleurs, il leur procure un fort plus heureux, Uns les amollir dans l'oifi* veté; le travail modère entretient les forces; les rcflbrts exercés O) deviennent plus agiles, 6c l'adrclfe acquiie par le travail cft» au beloin, le fupplcmcnt des forces. Pourquoi j difoit Pierre-le- Grand, taifferois^je mes Soldats oififs? il faut qu'ils fervent toujours la Patrie foit en la défendant > foit en l'enrichiffant ; c'eft leur defination. Section XVIL Apres la conclufion de la paix de Neuftadt, Pierre nomma Michel-Pétrovitz Deftuchef Ambaffadcur à Stockholm, Il lui dit la veille de fon départ d'aller voir le Comte d'Oftcrman, qui lui remettroit fes intimerions, Ôc de fc rendre avec lui a la Cour, le lendemain a trois heures du matin, pour prendre fes ordres particuliers; mais fur-tout de ne pas oublier d'apporter des tablettes. Il étoit dix heures du foir lorfque Bcftuchcf fc rendit chez le Mînîitre des Affaires étrangères; &: comme ils dévoient fc trouver cnfcmble chez l'Empereur a trois heures du matin, ils ne jugèrent P«is a propos de fe coucher. A deux heures Ôc demie ils fe rendirent au Palais : le Denchik- de garde leur dit que Pierre ctoit levé, ôc qu'il fc promenoit dans fa chambre depuis unc demi-heure ; fur^uoi ils lui ordonnèrent d'aller les annoncer. Le Denchik s'en exeufa, cn donnant pour raifon qu'il n'ofoit entrer dans Pappartcment avant l'heure preferitc. A trois heures fonnantes, l'Empereur ouvrit fa porte ôc les fit entrer, Ôc les reçut avec affabilité, 11 demanda a Bcftuchcf s'il avoit lu attentivement ôc bien compris (es intimerions. L'Ambafladcur lui répondit que oui. Pierre lui propofa enfuite quelques problêmes politiques difficiles a refondre, ôc qui avoient des rapports avec le contenu de fes dépêches. Bcftuchcf ayant répondu d'une manière ïatisfàifantc diverfes queftions , Sa Majcfté lui dit : Bon. Tu es injhuit de ce que tu dois faire pour la gloire & l'intérêt de mon Empire. Tires à préfent tes tablettes de ta poche j pour y inferire les commiffons particulières dont je veux te charger ; i°. tu engageras à mon fervice les Art fans & tes .^rtiftes dont nous manquons en Ruffie , & fur-tout ceux dont la profejfion a des rapports avec le climat de Pétcrsbourg* tels j par exemple. *j4 HISTOIRE DE RUSSIE. que des gens au fait de- défricher les terres, des Laboureurs & des Jardiniers intelligens ; z°. des Maures Charpentiers & des Maçons ; j°. un nombre d'habiles Serruriers & d'Armuriers , car nous avons befoin d'hommes qui excellent à faire les refforts des armes à feu, & d'autres ouvrages à rejforts; des Hommes infruits dans la connoiffance des Mines ; des Ouvriers qui fichent travailler le fer & le purifier au degré de l'acier; des rondeurs de laiton j &c. Dans la crainte que Bcftuchcf n'eût omis quelque chofe de ce qu'il venoit de lui dicter, l'Empereur prit les tablettes &lut; fe tournant enfuite vers l'Ambaftadcur, il lui dit: Ta rendras compte aux Affaires étrangères de tous les objets qui regardent tes fonctions de Miniftrc, mais quant aux commiffions particulières couchées fur tes tablettes, tu m'en feras un rapport direct, & cela en peu de mots £■ fans formalités. Après ces paroles, l'Empereur le congédia, ôc lui ayant donné, félon la coutume, un baifer fur le front, il lui dit: Pars, que Dieu te conduife ! fi tu t'acquittes de ton Ambaftade avec intelligence & fidélité, ton Maître continuera à prendre foin de ta fortune; autrement, ji fierai ton ennemi autant que je fuis à préfent ton ami. On aimc*tl rctroUYCt ainfi l'homme dans le Monarque. » Il faifoit tout pont fes Sujets ôc rien pour lui, dit le Maréchal » Munich; il s'habilloit Amplement ÔC vivoit comme un (impie pat-» ticulict. La dépend* de toute fa Cour ne furpailbit pas foixante mmilk roubles par an. On n'y vit ni Chambellans, ni Gentils-» hommes de la Chambre, ni Pages : point de vailfellc d'argent. » Dix ou douze jeunes Gentilshommes titrés du nom de Denchiki* » ôc autant de Grenadiers des Gardes formoient (a Cour: on n'y » voyoit point de livrée, point de broderie aux habits des hommes; »j tout ce luxe étoit inconnu en Ruftie <«. flic a bien change depuis ; le luxe s'y cft introduit même avant les richclTcs. 11 ièinblc que cet Empire foit fait pour les chofes extraordinaires. S e ç t i o n XVIII. Pierre, étonnant par retendue de fes vues patriotiques, n'étoit pas moins admirable par le détail des moindres objets dans lequel il entroit pour policcr fa Nation : il aimoit a montrer à fes Sujets, par des contraires frappans, tout ce qu'il avoit ofé entreprendre ôc perfectionner pour relever l'éclat de fa Couronne. Il leur faifoit voir les fuccès rapides que le rravail, fécondé de la Puiifance fou-verainc, eft: en état de produire. Dans l'cnthouiiafmc qui l'animoit, il difoit fouvent aux Grands de la Nation : » Mes amis, c'eft à » notre rour de pofféder le génie des Sicnccs ôc des Arts. Exilé de » la Grèce, fa patrie, il a voyagé* dans les principales Cours de » l'Europe , i! a comblé de gloire ks Peuples dont il a fait le «bonheur. La Moskovie barbare ne lui avoit pas encore ouvert » les barrières : je l'ai appelle , il n'eft pas venu; mais je l'ai été » chercher par-tout où j'cfpérois le trouver, Se il m'a fuivi. II eft: » venu diilipcr la nuit de notre ignorance, détruire nos préjugés »> honteux ; il veut adoucir nos mœurs ; établir parmi nous les » charmes d'une fociété agréable, enrichir nos Villes, féconder H nos campagnes, enfin élever cet Empire a fon plus haut degré »» de ("plaideur : foyez dociles à fa voix ; fécondez mes entreprifes ; »j devenez les émulos de ma gloire ôc les compagnons de mes » travaux « ! Il créoit tour, dit Voltaire. Il n'y avoit pas jufqu'a la fociété qui ne fût fon ouvrage. Nous avons parlé ailleurs des aftcmblécs qu'il ordonna pour réunir les perfonnes qualifiées des deux fexes, Ôc même les Marchands ôc les Charpentiers de vaifteaux avec leurs femmes. On a vu dans le règlement fait a ce fujet , que ces aftcmblécs avoicnt des loix ; que les rangs entre les hommes étoient réglés fuivant leurs emplois, depuis l'Amiial ôc le Marc^ chai, juiquà ILnfciguc, fans aucun égard pour la naiflance, Tome lit* Z z £ Les rangs furent auili fixés pour les femmes ; 6c quiconque dans une aifemblée prenoit unc place qui ne lui étoit pas ailigncc, payoit une amende. Par un Règlement plus utile, tout foldat qui parvenoit, pat fon mérite, au grade d'Officier, devenoit Gentilhomme; 6c tout Boyar flétri par la Juftice, devenoit roturier. Mais fi Pierre créoit tout, jufqifaux plaifirs de la fociété, fes délaffcmcns 6c les amufemens qu'il procuroit à fon peuple avoicnt un but conforme aux vues politiques du Monarque, a la çivilifation 6c à la réforme des moeurs 6c des ufages anciens. Rien ne le prouve mieux que ces divertiftemens qui ont paru bizarres Se même extravagans, h quelques Ecrivains fans génie, qui n'ont VU que lécorec des grandes chofes que méditoit le Légiiiatcur Ru lie , 6c qu'il a fi bien exécutées. La fête des Cardinaux ne fut rien moins qu'établie par averfion pour l'Eglife Romaine, comme on l'a dit 6c répété : ce fpectaclc fut donné aux dépens des anciens Moines Ruifcs, que Pierrcde-Grand vou'ioit rendre ridicules, tandis qu'il réformoit les nouveaux. Voltaire n'a pas pris le change fur tes diverti ifemcns de cette cfpècc; 'mais Voltaire avoit cn fa-gacité tout ce qui manque aux Ecrivains dont nous venons de parler. Avant de promulguer les Loix Eccléfiaftiqucs 6c d'abolir le Patriarchat, Pierre avoit créé. Pape un fou nomme Zotof, ÔC avoit célébré la fête du Conclave. Ce fou étoit âgé de 84 ans. » Le Tzar imagina de lui faire epoufer une veuve de fon âge, 6c de cékbrer folcmncllcment cette noce; il fit faire l'invitation par quatre bègues ; des vieillards décrépits conduifoient la mariée, quatre des plus gros hommes de Ruilie fervoient de coureurs: la mufique étoit fur un char conduit par quatre ours , qu'on piquoit avec des pointes de fer, & qui par leurs mugilfemcns formoient unc balfe digne des airs qu'on jouoit fur le chariot. • Les mariés furent bénis dans la Cathédrale par un Prêtre aveugle* ôc lourd, à qui on avoit mis des lunettes. La Proceiîion , le mariage, le repas de noce, le déshabillé des mariés, la cérémonie de les mettre au lit, tout fut également convenable à la bouffonnerie de ce divertiflement w. Mais fut-il jamais d'apologue plus convenable au but que fc propofoir Pierrc-lc-Grand dans cette fête bizarre ? Chaque Acleur y eft a fa place : leur réunion préfente le tableau parlant que le Réformateur avoit jugé à propos de rappeller aux yeux des fpcélatcurs. Unc Telle fête ne reffem-bloir donc point a nos anciennes fêtes des Fous Ôc de l'Ane, ni à nos Comédies de la Mère fotte. C'eft ainfi que l'Empereur employoit les moyens les plus propres à faire réuflir fes réformes, lâchant bien que le ridicule ôc la raillerie réufiiflént prcfque toujours mieux que l'autoritc pour corriger certains abus, ôc fur-tout les vices d habitude. Section XIX. * 1721. " Unc chofe très-remarquable dans la conduite de Pierrc-lc-»> Grand , dit le Maréchal Munich, c'eft que ce Souverain defpo-» tique, dont la pénétration étoit aufti grande que fes maximes »> étoient parfaites, n'ait pas cherché a remplir le vuide qu'il y a » entre la fouveraineté ablbluc ôc l'autorité du Sénat. Il fentoit » fi bien le vice de cette conrtitution , qu'il ehoifit toujours une » perfonne capable de gouverner l'Empire j ôc de diriger le Sénat « pendant le tems de fon abfcnce. m II eft notoire que le Prince Mentfchikof, qui n'étoit pas né » Noble, qui ne lavoit d'ailleurs ni lire , ni écrire , avoit allez de « crédit, ôc polfcdoit tellement la confiance de l'on Maître, qu'il »» gouverna ce vafte Empire pendant plufieurs années, ôc fervit >» d'intermédiaire entre le Souverain, le Sénat Ôc le Peuple «. Zzz ij i Ce favori intelligent, ce Régent de l'Etat pendant les abfcnces de l'Empereur, vivoit avec unc profufion & un éclat qui ne pouvoient être foutenus que par fes exactions ôc fes monopoles. Pierre lc-Grand les lui avoit pardonnes plufieurs fois; mais l'avidité de ce favori étoit infatiable. Il déplut à (on Maître cn 1722.-» L'Empereur, ajoute le Maréchal, mit a fa place Paul Ivanovitz » Jagoujinski, alors Procureur-Général du Sénat. Il le préfenta aux « Sénateurs avant ion départ pour la Pcrfe. Ces Sénarcurs étoient »lc Prince Mentfchikof Fcld-Maréchal , le Grand-Amiral » Comte Apraxin, le Grand - Chancelier Comte Golofkin, le » Vicc-Chancclicr Baron Schafirof, lc Prince Démitri Mikaélovitz »> Galitzin , Préfident au Collège de la Chambre, lc Confcillcr-» Privé Tolftoé , Miniftrc favori de Pierrc-le-Grand, &: les Majors «aux Gardes Oufchakof ôc Jéfcrapofj tous gens d'aVitorité «Se de » fervicc, au lieu que Jagoujinski , jeune encore , étoit fils d'un » Etranger qui n'étoit pas noble. L'Empereur, cn le préientant » aux Sénateurs , leur dit « : Foilà l'œil par lequel je pretens voir ; il cft informé de mes vues ô' de mes intentions; ce qu'il trouvera bon, vous le fcre\; 6' quand même il vous paroîtroit que ce fut contre mes intérêts & ieux de l'Empire, vous Tcxécutere^ toujours par provifon, i,' vous m'en fere\ rapport pour recevoir mes ordres à ce fujet. » Quelle maxime, ajoute lc Maréchal, de foumettre ainfi les «lumières ôc les (uffrages des premiers hommes de lTmpirc, au «jugement arbitraire d'un jeune Etranger |rj La réflexion du Maréchal cft fenfée : un Prince ne court aucun rifquc en confiant Une portion de fon autorité a l'homme de bien dont il connoît la conduite ôc les talcns ; mais, en général, l'abus cft prcfque toujours il voilïn de l\ chofe , qu'il y a du danger à confier l'autorité ab(olue a un fcul homme, quel qu'il foit. Pierrc-le-Grand, qui favoit fi bien apprécier les hommes, fc trompa dans cette occafion; » Jagoujinski abufa de fon crédit; HISTOIRE DE RUSSIE. 549 » îl maltraita les Sénateurs, & perfonne n'avoit entrée chez lui ; » lc pouvoir abfolu favoit rendu dur, repoulfant &: injufte «. Section XX. La Paix de Neuftadt aifuroit a Pierre-lc-Grand la profpérité de fon commerce, fa prépondérance dans lc Nord, &: fon influence dans les affaires politiques de l'Occident. Créateur & Légiflateur d'un Peuple nouveau, Chef des Armées de terre & de mer, Chef des Loix, Chef de la Religion, aucun pouvoir fur la terre nega-loit le ficn, & cependant fon ambition n'étoit pas encore ftuis-faite; il veut étendre fa domination jufque fur les côtes orientales de l'Afic. Il veut avoir des Places fur la mer Cafpienne : des iyi6 , il avoit fait lever unc Carte de cette Mer, de fes.llles, de fes Rivages; Carte dont il avoit fait hommage a l'Académie des Sciences de Paris dont il étoit Membre. Pour fc procurer ces Places dclirécs , il falloit recommencer unc nouvelle guerre; ck. pour la déclarer, il falloit un motif au moins apparent. Les foins infinis que ce Prince donnoit au Gouvernement de fes Etats, ne 1cm-péehoicnt point d'être attentif aux occafions que la fortune lui préfentoit au-dehors. Il apprit que la Pcrfc étoit déchirée par des guerres inteftincs; il fe mit cn difpofition d'en profiter pour étendre fes frontières vers l'Orient. Voila l'occafion, & voici les prétextes de la guerre. La Pcrfc , de même que la Turquie, a des Provinces différemment gouvernées; elle a des Sujets immédiats, des Vaftaux, des Princes tributaires, des Peuples mêmes a qui la Cour pavoit alors un tribut, fous lc nom de fubfidc : tels étoient les Peuples du Dagucftan , qui habitent les branches du mont Caucafe , à l'Occident de la mer Cafpienne ; ils faifoient autrefois partie de l'ancienne Albanie : ces Peuples s'appellent aujourd'hui les Icfguisi ce font des Montagnards tnutôt fous la protection que fous la domination de la Pcrfc ; on leur payoit des fubfides pour défendre ces frontières. Ces Albanois, a qui le malheur des tems n'avoit pas permis qu'on payât leurs fubfides, defeendirent en armes de leurs montagnes ; de forte que l'incendie s'alluma des extrémités de l'Empire Perfan jufqu'a la Capitale. Ils ravagèrent tout le pays qui s'étend lc long du bord occidental de la mer Cafpienne, jufqu'a Dcrbent, que les Turcs appellent Demir-Capï3 la Porte de fer. Dans cette contrée qu'ils dévaluèrent, efl: la ville de Samachic, à ij lieues communes de la mer : cette Ville étoit opulente. Les Arméniens voifins de cette partie de la Perfe, y faifoient un commerce im-menfe , ôc Pierre venoit d'y établir a fes frais unc Compagnie de Marchands Ruifcs , qui commencent à devenir florilfantc. Les Lefguis furprirent la Ville, la faccagèrent, égorgèrenr tous les Ruifcs qui trafiquoient fous la protection du Schak Hujfàn, ÔC pillèrent leurs magafins, dont on fit monter-la perte a près de quatre millions de roubles. Pierre envoya demander fatisfacrion au Sophi Huflcin , qui difputoit encore fa Couronne, Ôc au Tyran Mahmoud qui l'ufur-poir. Hulfcin ne put lui rendre juftice, ôc Mahmoud ne le voulut pas. Pierre réfolut de fe taire juftice lui-même, ÔC de profiter des défordres de la Pcrfc, malheureufe fous un Prince foible ôc indolent. Ce Sophi abandonnoit les rênes de fon Empire au* mains de fes Eunuques ôc de lès Minillres, qui fe preftbient de profiter du moment de leur faveur, cn dépouillant les Peuples par des impôts énormes. Voltaire a peint le Schak - Hulfcin , lc tyran Mahmoud, 1* fituation de la Perle a l'époque dont il s'agit, dans le Chap. X0 des Conquêtes en Perfe, Hiftoire de l'Empire de Ruftie : nous Y renvoyons nos Lecteurs ; ce renvoi, fondé fur la juftice ôc les égards que l'on doit a un homme célèbre , fera plus agréable HISTOIRE DE RUSSIE. j$i à fes Admirateurs, que tout ce que nous pourrions dire en ic travefl jjant. « HuJJein, defeendant du Grand Schak-Abas, tremblant fur fon Trône , avoit été contraint de fc fauver d'Ifpahan ; ce Prince fugitif fut inftruit des difpofitions guerrières de Pierre I, Se il implora fon fecours. Cet Empereur partit le xy Mai, Se Catherine f accompagna dans ce voyage ; il avoit une Armée forte de quarante-cinq mille hommes. L'Infanterie fit fa route par la mer Cafpienne, & la Cavalerie par terre; il fallut qu'elle franchît les montagnes du Caucafc. Après avoir palfé le Dagucftan, Pierre arriva à Dcrbcnt. Cette Ville cft imprenable du côté de la terre, à caufe de l'élévation Se de la folidité extraordinaire de fes murs qui pourroient palfer pour unc muraille de l'antiquité ; ils font hauts de quarante pieds, larges de fix, flanqués de tours quarrées, à cinquante pieds l'une de l'autre : tout cet ouvrage paroît d'une feule pièce ; il cft bâti de grès Se de coquillages broyés qui ont fervi de mortier, Se le tout forme une malfe plus dure que le marbre. Mais fi Dcrbcnt eft inexpugnable du côté de la terre, on peut y entrer par mer. A la vue de l'Armée Ruffe, le Gouverneur de cette Ville ne voulant pas foutenir un fiége, porta les clefs de la Ville a Pierrc-le-Grand; fon Armée y entra paifi-blcment, Se alla camper fur lc bord de la mer. • » Pierre ne voulut pas poulfer plus loin fes conquêtes, parce que les bâtimens qui apportoient des recrues &; de nouvelles provilions avoient péri vers Allrakan, Se la fiiifon s'avançoit. 11 retourna donc a Moskou, Se y entra cn triomphe. Section XXI. n La Pcrfc étoit encore partagée entre Huflcin Se l'Ufurpatcur Mahmoud. Le premier cherchoit à fc faire un appui de l'Empereur de Ruilie ; le fécond craignoit cn lui un vengeur, qui lui arrachcroit le fruit de fa rébellion. Mahmoud fit ce qu'il put pour foulevcr la Porte Ottomane contre Pierre : il envoya un Ambaf-fadeur à Conftantinoplc; les Princes du Dagucftan, fous la protection du Grand-Seigneur, dépouillés par les armes de la Ruftie, demandèrent vengeance. Le Divan craignit pour la Géorgie, que les Turcs comptoient au nombre de leurs Etats. Lc Grand-Seigneur fut prêt de déclarer la Guerre. La Cour de Vienne 6c celle do France l'en empêchèrent. L'Empereur d'Allemagne notifia que, fi les Turcs attaquoient la Ruftie, il feroit obligé de la défendre. Le Marquis de Bonac, Ambaftadcur de France à Conftantinople, appuya habilement par fes repréfentations les menaces des Allemands; il fit fentir que c'étoit même les intérêts de la Porte, de ne pas fouffrir qu'un rebelle, Ufurpatcur de la Perle, enfeignât à détrôner les Souverains ; que l'Empereur Ruftè n'avoit fait que ce que lc Grand-Seigneur auroit dû faire. Pendant ces négociations délicates, le rebelle Myr-Mahmoud s'étoit avancé aux portes de Dcrbcnt : il ravagea les pays voifins, afin que les Rulfes, qui cn étoient maîtres, n aillent pas de quoi fubfïftcr. La partie de l'ancienne Hyrcanie, aujourd'hui Guilan, fut iaccagée , 6c ces Peuples dilperlcs fe mirent d'eux-mêmes fous la protection des Ruifcs, qu'ils regardèrent comme leurs Libérateurs. y> Ils fuivoient cn cela l'exemple du Sophi même. Thamafcb, fiU de ce Prince détrôné, échappa au tyran qui le rctenoit prifon-nicr, ralfcmbla quelques troupes, 6c combattit l'U(ûrpateur. Il ne fut pas moins ardent que fon père a pretfer Pierre le Grand de le protéger, & envoya a l'Ambalfadcur qui alloit a la ( ont de ce Prince , les mêmes inftruclions que le Schak-I lulfein lui avoit données. »Cct Ambatfadeur Pcrfm, nommé Ïfma'èl-Bck, n'étoit pas encore arrive , & L\ négociation avoit deja réuili. 11 lût, en aboruant i à Altrakan, que lc General Ruffe Matlouskin alloit partir avec de nouvelles Troupes, pour renforcer l'Armée du Dagueftan. On n'avoit point encore pris la Ville de Baku, qui donne à la mer Cafpienne le nom de mer de Baku chez les Pcrfans. Il remit au Général Faine unc lettre pour les Habitans, par laquelle il les exhortoit au nom de fon Maître a fc foumettre a l'Empereur de Ruilie. L'Ambafîadeur continua fa route pour Pérersbourg, ôc Matiouskin alla mettre lc fiége devant Baku. Jamais Traité ne fut aiuTi-tôt conclu que celui cVlfmad-Bek. Pierre, pour venger la mort de fes Sujets, ôc pour fecourir lc Sophi Tkamafeb contre l'Ufurpatcur,. promettoit de marcher cn Pcrfc avec des Armées; Ôc le nouveau Sophi lui cédoit non-feulement les Villes de Baku Ôc de Dcrbcnt, mais les Provinces de Guilan, de Mazandcran ôc d'Ailcrabath ; de forte que Tierrc fc voyoit maître du premier Royaume de Cyfuê «. Tel étoit lc fort déplorable de la Pcrfc, que fon Souverain légitime étoit réduit a fupplict a la fois la Rufiic ôc la Turquie, de vouloir bien prendre une partie de fes Etats, pour lui con-ferver l'autre. Voltaire termine le récit que nous venons de faire d'après lui, par les réflexions fuivantes. Pierre régna ainfi jufqu'a fa morr, du fond de la mer Baltique par-delà les bornes méridionales de la mer Cafpicunc. La Pcrfe continua d'être la proie des révolutions Ôc des ravages. Les Pcrfans, auparavant riches &: polis, furent plongés dans la mifère ôc dans la barbarie, tandis que la Rulîîc parvint de la pauvreté Ôc de la groflièreté a l'opulence ôc à la poli-tcllè. Un fcul homme j parce qu'il avoit un génie actif & ferme, éleva fii Patrie ; ôc un fcul homme, parce qu'il étoit foiblc Ôc indolent, fit tomber la fienne. Tome in. À a a a Section XXII. , A l'époque dont il s'agit, les Arméniens occupoient un Eaux-bourg de la Ville d'Ailrakan , d'où ils faifoient un grand commerce avec la Pcrfc, par le concours des Banians, Peuples Païens, originaires des Indes, qui s occupoient uniquement du commerce , Se qui avoicnt une Factorerie établie dans cette ViH^ Un de leurs principaux Facteurs étant mort en cette année, Ta veuve demanda à Pierre-lc-Grand la permiffion de fe brûler avec lc corps de fon époux, fuivant la coutume de (on pays. L'Empereur ne voulant pas perpétuer un ufage auili barbare, refufa. La Factorerie Indienne fut fi irritée de ce refus, qu'elle prir la réio* httion d'abandonner Altrakan, 6e d'emporter avec elle toutes fes richcifcs. Pierre-lc-Grand eut recours aux moyens de la raifon SC de la perfuafion pour détourner la jeune veuve de fon projet| 6e comme il ne put rien gagner fur fon efprit, il acquicfça enfin à fa demande. Lc corps du défunt, revêtu de fes plus riches vête-mens, fut porté cn pompe à unc petite dirtanec de la Ville, on l'on avoit élevé un bûcher de bois fec , fur lequel on le pofa» Pierre-Henri Bruce, rémoin du fait, rapporte que fa femmc'ctoit magnifiquement habillée, qu'elle avoit de riches boucles d oreilles> un collier de perles, beaucoup de bagues a fes doigts, 6e qu'on avoit tendu des tapis des Indes devant le bûcher, pour lui en dérober la vue : elle étoit conduite par un Brame, 6e fuivie d'un grand nombre d'Indiens des deux fexes: a fon approche du bûcher, on y mit lc feu; c\lc diftribua fes habits 6e fes joyaux entre fcS amies, 6e dit fes derniers adieux à l'aflènibléc avec beaucoup de cérémonies ; après quoi les tapis ayant été enlevés, elle fc précipita au milieu des fiammes. Ses amis versèrent de 1 huile fitf fon corps, cn raflcmblèrcnt les cendres avec foin, & les mirent dans une urne, qui fut envoyée à les parens dans l'Inde. I*c favant* M. Pallas a été témoin d'un pareil facrifice à Aftrakan, cn 1767. Section XXIII. La carrière militaire de Pierrc-le-Grand ne détournoit pas ce Prince du plan de fa Légiflation. Auffi actif qu'Alexandre, aufti ami des Arts utiles, il travailloit à changer comme lui le commerce du monde. Mais qu'eft-cc qui donne des ailes au commerce S>c qui en multiplie les anneaux parmi les Nations? n'eft-ce pas lc crédit? Et comment lc crédit s'établit - il * n'eft-ce pas par la confiance? Sur quoi porte cette confiance qui donne tant d'activité au commerce ? Sur la bonne-foi qui cft le fublime effet des fentimens de la probité & de la juftice diftributive. De la, la néccfïité d'un régime pour entretenir la confiance, lc concert, l'harmonie & lc crédit entre les hommes. Ce régime cft l'ouvrage du Légiflateur. Pierre aufli forma & exécuta lc projet d'un Code maritime. A l'exemple de Louis XII, il ordonna que la juftice fût rendue par-tout avec promptitude, avec impartialité, & prcfque fans frais. Un Edit de 1499, éternellement mémorable, a rendu la mémoire de Louis XII chère à tous ceux qui rendent la juftice, & à ceux qui l'aiment. Il ordonne par cet Edit qu'on fuive toujours la Loi t malgré les ordres contraires que Timportunité pourrait arracher du Monarque. Picrrc-lc-Gratld ordonna aux Juges en cette année, de terminer promptement les procès.... Il défendit, fous peine de mort, à aucun Juge a*interpréter les Loix ou les conflitutions à voulant que le touvfàt littéralement fuivi. Il lai fia cependant aux Chefs des Tribunaux la liberté d'expofer au Sénat les doutes qui pourroient leur furvenir; mais ils étoient obligés d'en attendre la décifion, &c de s'y conformer dès qu'elle auroit eu l'approbation de l'Empereur : & afin qu'aucun d'eux ne s'écartât de cette Loi, il voulut que cette Ordonnance fût collée fur une petite planche, &c mile fur la table devant laquelle ils fiégeoienr, Aaaa ij pour qu'ils l'cuflcnt toujours fous les yeux ; ufage qui a encore lieu dans tous les Tribunaux de l'Empire. Pierre-lc-Grand ne borna pas Tes foins â prévenir l'arbitraire ÔC la corruption des Juges : U défende à tous Us Courtijdns, de quelque condition qu'ils fuffent, de fe prêter aux follicitatians de ceux qui auroient des procès, d'appuyer leurs prétentions, directement ni indirectement, & de briguer la faveur des Juges , fous peine d'encourir la difg'ace de l'Empereur. Cette Loi, dont aucun autre Code ne fournir de modèle, nous paroît digne d'être écrite en lettres d\r, dans toutes les Cours de l'ancien ôc du nouveau monde. Après ces Règlcmcns immortels, l'Empereur donna au Sénat un Procureur-Général, chargé d'affilier a toutes les féances, pour y veiller a ce que les affaires du rcilbrt fuilcnt traitées conformément aux Loix ôc aux Conff initions de PEmpire , pour y accélérer la décifion des procès, ou pour faire coucher (ans délais, fur les rcgiflrcs, ce qui pourroit y mettre obltacle. Ce M agi u rat fupericur eut ordre de s'inftruirc du zèle que chaque Sénateur inettroit dans les fondions de fi place; il avoit droit de reprendre publiquement celui qui s'en écartoit; ôc lorfque ces remontrances étoient inutiles, il pouvoit fufpendrc le cours des affaires, s'adrclfer a l'Empereur, lui dénoncer les coupables, pour les faire contraindre â rentrer dans leurs devoirs. Ce Procureur Général avoit aufli infpcction fur la Chancellerie, ôc fur tous ceux qui cn dépendoient. Le Procureur Fifcal devoit faire entre fes mains les dénonciations des délits publics. La multiplicité &: l'étendue des fondions de ce Procureur-Général , déterminèrent Pierrc-le-Grand à lui donner un Adjoint qui devoit l'alliller lorfqu'il ctoit préfent, & qui avoit droit de le remplacer cn fon abfence. Il fut fpécialement ordonné a l'un ôc a l'autre d'examiner les Loix ôc les Conftitutions fufccptiblcs d'une double iircrprérarion , èc de propofer au Souverain les moyens propres a cn détruire f ambiguïté. HISTOIRE DE RUSSIE. 557 Pour attirer plus de vénérarion à des Magiftrats chargés de fonctions h* importantes, Pierre-le-Grand voulut qu'ils ne rcle-vâlTent que de lui-même, dans tout ce qui regardoit l'exécution des devoirs de leurs emplois ; &: il établit dans chaque Cour inférieure des perfonnes, qui, fous le titre de Subilituts, y repré-fentoient le Procureur-Général, & lui rendoient compte de tout ce qui pouvoit fe palfer d'irrégulicr dans leurs Tribunaux ref-pecrifs, afin que celui - ci put le faire rectifier par autoriré du Sénat. L Empereur choifilfoit lui-même, comme Louis XII, les fujets propres à remplir les places vacantes : fous les deux règnes, les dignités de la Magistrature ne furent confiées qu'au mérite connu, ou à la réputation qui fuppofe lc mérite : les Officiers de Juftice n'étoient qu'en périt nombre, 6c n'en valoient que mieux. Lc grand nombre des Offices a toujours été mis par les hommes d'Etat, au nombre des fiéaux publics : les deux Princes virent le point où finit la néccfïité 6c où commence l'abus, 6c ils rédui-firent les Offices à certe proportion. Leur amour pour leurs Peuples s'étendit jufqu'a l'avenir. Louis y prévoyant les maux que l'humeur prodigue 6c inconfîdéréc de François /cauferoit a la France , pleu-roir, en difant : Ce gros garçon gâtera tout. La même prévoyance caufa les mêmes chagrins 6c la même crainte à Pierre 1 ; mais fa conduite envers fon fils ne fut pas cclfc que tint Louis-le-JuJe envers le fien. S E C T IJj) N XXIV. On a vu comment Picrre-lc-Grand s'inftruifit de prcfque tous les Arts, Se fe perfectionna dans plus d'une Science. En 1697, pendant fon premier féjour cn Hollande, il alloit de Sardam à Amfterdam travailler chez le célèbre Anatomifte Ruifih ; il faiibit des opérations de C hirurgie, qui , en un befoin, pouvoient le rendre utile à fes Ofliciers ou à lui-même. Ce Prince portoit jjg. HISTOIRE DE RUSSIE, toujours fur lui deux étuis, l'un d'inftrumens de Mathématiques, Se l'autre d'inftrumens de Chirurgie. Il ell certain qu'il a arraché des dents à plufieurs Particuliers ; Se qu'il fir, cn cette année, la ponction a la femme d'un Marchand nommé Borflt qui étoit hydiopique. A l'âge de vingt-quatre ans, il avoit déjà acquis des connoif-fanecs f - criques Se pratiques dans cet Art; il avoit plaifir a cn parler avec M. Tirmont, Chirurgien habile, qui étoit attaché a la perfi n .aiout s étoit acquis les bonnes grâces de Picrrc-Ic-Glv.. ■ nt qu'il vint un jour, pénétré de douleur, fc jette: a les p^çds, Se s'aceufer d'un meurtre qu'il avoit commis dans un moment d'ivielle : il avoit pafle fou épéc au travers du corps d'un de les domeitiques. Pierre le releva, Se lui dit cn rembratfant : Ta douleur eft jufte , mais cependant il ne faut pas trop te chagrina: Je t'accorde ta grâce ; demandes pardon à Dieu, & prends foin de la veuve & des enfuis, fi te défunt en a laiffé. Tirmont fit une pen-iîon viagère a la veuve ÔC aux orphelins. Cet habile homme mourut âgé de foixante-dix ans, laiiTant une femme encore jeune Se jolie, héritière d'une fortune con-lidérable. Cette femme, qui, du vivant de fon époux, étoit épi île d'un jeune Chirurgien de Danrzick, bien fait Se d'une belle figure, ne tarda pas à 1 epoufer. Les hommes, en général, fupportent mieux la mauvaife fortune que la bonne : celle du jeune Chirurgien lui tourna la tête; il oublia ce qu'il étoit, pour jouer le rôle d'un grand Seigneur. Table ouverte, nombreux domeiii-que, équipage, rien ne manquoit de tout ce qui pouvoit latis-faire fa vanité. Pierre-lc-Grand, inllruit d un étalage fi étrange, fc forma une idée très-défavantageufe du prétendu Eiculapc : fe trouvant un jour à dincr chez un de fes favoris, la converfation tomba fur lc fuccclfcut de fon cher Tirmont : il envoya lc chercha. Lc Chirurgien, richement habille, monte dans un car- roffc de parade, attelé de quatre chevaux, conduit par un Cocher à mouftaches & un Portillon; il arrive à l'Hôtel où dînoit l'Empereur. Pierre, affectant de ne pas le connoître, lui demanda depuis quand il étoit arrivé dans fon Empire, ôc quels étoient fon état, fon rang, fa condition. Il répondit qu'il étoit Chirurgien par état, ôc Médecin dans foc cation. Alors, l'Empereur lui fit plufieurs queftions fur les opérations de fon Art : l'ignorant, qui ne put répondre a aucune, relia confondu. Je reconnus, lui dit lc Monarque, que loin d'être le digne fucceffeur de l'habile Tirmont, tu n'es que le geai paré des plumes du paon. Il dit, ÔC ordonna que fur le champ cet ignorant avantageux fît la barbe a une multitude de valets qu'on fit palier dans un autre appartement. Après cette cérémonie, le barbier eut la pcrmiflion de s'en retourner dans fon carrolfe de parade. Une icène auili humiliante l'obligea peu de tems après de fortir de Ruilie avec fon époufe ôc les débris de fa fortune. M. Schulrr, Chirurgien de l'Etat-Major des Gardes, qui a communiqué cette anecdote h M. Schctélint Confeiller-dEtat, ajoute que l'on rencontra depuis ce Chirurgien, devenu vivandier dans l'Armée de Suède, &: que fa femme étoit réduite à faire le métier de blanchi lieu ic. Section XXV. 172,3. Nous avons dit qu'avant le départ de l'Empereur pour la Pcrfe, le Prince Mentfchikof lui avoit déplu, ôc qu'il avoit préfenté au Sénat Paul Ivanovitz Jagoujinski, comme T ail par lequel il prétendoit voir. Le Prince Mentfchikof fut menacé de la difgracc de Pierrc-le-Grand , ôc condamné a rcuitucr unc fomme conliderablc pour de nouvelles malverfitions qu'il s'étoit permifes, ôc qui furent découvertes. En cette année, Pierre eut un autre coupable à 56o HISTOIRE DE RUSSIE, punir. Le Vice-Chancelier Schafirof y qui avoit toujours fait voir un zèle éclairé Se beaucoup d'intégrité dans l'cxerçicc de fes divers emplois, eut unc difputc fort vive dans l'aflemblécdu Sénat avec le Procureur-Général Pijfarof, Se Pinfulra grièvement. Cette infulte, qui étoit un crime capital, donna lieu à la découverte d'un autre. Le Prince Mentfchikof, implacable ennemi du Vice-Chancelier Schaflrof, faiiit cette occafion pour le perdre. L'accufation d'avoir dit des injures cn plein Sénat, nu Procureur-Général, fut accompagnée de griefs encore plus graves. Schafirof fut aceufé* i°. d'avoir donné des ordres à l'infu du Sénat, fans les avoir fait enregistrer; 2°. d'avoir donné a fon frère un titre Se des appoin-temens fans l'attache de l'Empereur; 30. d'avoir, comme Directeur-Général des Polies, &: de fa pleine autorité, augmenté le prix des ports de lettres, Se d'avoir mis l'argent dans fes coffres; 40. d'avoir recelé deux cents mille ducats d'or, Se des joyaux pour la valeur de foixante Se dix mille, provenans de la confiscation des biens du Prince Gagarin, qui avoit dépouillé les caravannes Ruflcs revenant de la Chine, excité les Kalmouks c\: les Tatars a la révolte, dans l'cfpérancc de fecouer lc joug, Se d'ériger fon Gouvernement cn Royaume indépendant ; j* enfin , d'avoir commis ce dernier crime au mépris de la Loi qu'il avoit rédigée lui-même; Loi qui obligeoit tous ceux qui avoicnt des effets appartenais h ce criminel, de les déclarer, fous peine de moi t. Ces dirférens chefs d'aceufation furent prouvés, Se ce procès criminel narrera que peu de tems les Jug s : Schafirof fut condamné a perdre la tête. Catherine , qui cflimoit Schafirof, fit valoir auprès de fon Epoux les grands ferviecs que le coupable avoit rendus a l'Etat; clic follicita vivement ia grâce, Se l'obtint au moment que le Vice-Chancelier étoit déjà monté fur l'échafiuid. La hache étoit levée, lorfqu'un Héraut, apode par ordre HISTOIRE DE RUSSIE. j*i Ordre de l'Empereur, cria : Grâce pour la vie! La peine fut commuée cn un exil perpétuel en Sibérie : mais après la mort de Pierre-le-Grand, l'Impératrice, qui lui avoit fauve la vie, le rappeîla, lc rétablit dans fes dignités, Se lui rendit tous fes biens. Section XXVI. L'Empereur avoit ordonné que le Synode lui préfentât les Sujets les plus dignes de la Prélaturc: ce Prince choiillfoit un Evêque, Se le Synode lc facroit. Dans l'Affcmbléc de cette année, un jour qu'il s'agilfoit de préfenter un Evêque, lc Synode lui avoua, dit-on , qu'il n'avoit encore que des ignorans à préfenter, » Eh bien ! » ripofta le Monarque, il n'y a qu'à choifir le plus honnête »? homme \ cela vaudra bien un Savant «. Dans cette même Aifemblée, où aiïîllèrent la plupart des Evêqucs, Pierrc-le-Grand leur propofa de détruire quantité d'abus Se de pratiques fupcriliticufcs qui déshonoroient la religion. Quoique fortement attachés à ces anciens ufages, ils ne récriminèrent pas, Se conformèrent leurs décifions aux avis, ou, pour mieux dire, aux ordres de leur Souverain : mais ces décifions du Synode , quoique foutenucs par les Edits de l'Empereur, révoltèrent tous ceux que le fanatifmc attachoit aveuglément aux anciennes pra-tiqiics. On vit des Déclamateurs infenfés lancer l'anathême contre l'Auteur de ces réformes confeillées par la raifon, confacrées par f Aifemblée des Chefs de l'Eglife Ruiliennc, Se revêtues du fecau de l'autorité temporelle. tatu\koi, l'un des Imprimeurs de la Cour, prit le ton d'un Prophète, Se prêcha dans les Places publiques quC là fin du monde arrivait > & que Pierre Alexie'vit^ étoit TAnte-Chrifi. Les anciens Popes Se plufieurs Moines ignorans adoptèrent fes vifions , les répandirent parmi un Peuple fiupide Se fupcriliticux : les Fauteurs du menfonge Se de la folie expirèrent dans les fupplices: mais la perfécution même augmenta lc nombre Tome ILL B b b b 5*2, HISTOIRE DE RUSSIE, des fanatiques, ôc perpétua des opinions extravagantes qu'il ne falloit combattre qu'avec le mépris ou les armes du ridicule. La Ruilie eut deux fectes qui lui déchirèrent le fein ; ôc Picrre-le-Grand qui vouloit un Clergé inllruit, fut contraint de donner un Oukaz qui faifoit défenfe aux Moines d'avoir du papier ôc de l'encre dans leurs Cellules. Cet Edit cil du 19 Janvier, V. S. 1713. Section XXVII. La demi filon volontaire que la Reine Ulriquc avoit faite de fa Couronne cn faveur de fon époux, ne permettoit plus au Duc Charles-Frédéric de Holftcin d'afpircr au Tronc de Suède ; ôc comme il ne lui reftoit, de fes Etats , que la poffeujon de Slefvick que la France 5c l'Angleterre lui avoicnt garantie, Pierre obtint pour lui, des Etats de Suède, lc titre dAlteife Royale : titre qui aifuroit lc droit de Charles-Frédéric au Tronc, dans le cas où lc Prince de Hcffc-Calfcl, devenu Roi, mourroit fans enfans. Lc Monarque Ruflc ne borna pas la fits bons offices envers le Duc de Holftcin, à qui il deftinoit unc Princeffc Impériale. Les Rois de Suède Ôc de Pruffe lavoient reconnu pour Empereur ; il envoya ordre à fon Miniftrc à Coppcnhaguc de rcnouvcllcr fc* inftanecs fur trois Articles. * 1°. Que le Roi de Danemarck le reconnoiffe pour Empereur. i°. Que Us Vaiffeaux de VEmpire de Ruffie paffent le Sund fans payer aucun droit, 5". Que S. M. Danoife rétabhffe le Duc de Holflein dans U r°£cfflon de tous fes Etats , & lui refit uc Tonningcn qu'elle lui avoit enlève- Une Flotte mir à la voile fous prétexte d'appuyer ces demandes, Ôc d'engager la Cour de Danemarck à fc prêter aux vœux du Vainqueur de Charles XII : mais cette Flotte n'avoit point des hoftilités pour but : l'Empereur qui la commandoit ne forti* HISTOIRE.DE RUSSIE. <î ront annuellement un capital considérable «. Pierre, qui connoilfoir mieux le caractère national que fon Miniftrc, l'interrompit brufqucmcnt: «Paul Ivanovitz, lui dit-il, «penfes tu que quelqu'un vienne voir cette Chambre de raretés «quand il fera obligé de pvyer fa curiolité ? Non - feulement » j'ordonne qu'il foit permis à chacun de la voir gratuitement, >j mais je veux encore que l'on donne du café, du vin, de l'cau-» dc-vie, ou des rafraîchillèmcns à tous ceux qui viendront vifiter » ce Cabinet «. Pour pourvoir a cette dépenfe , il ailigna unc fomme annuelle au Bibliothécaire , en fus de fes appointemens. Ce Monarque ne dédaigna jamais d'entrer dans lesdétails mêmes les plus petits cn apparence, pourvu qu'il cn réfultàt quelque utilité : pour ne point perdre les bonnes idées qui lui venoient tout a coup dans l'efprit, il les rédigeoit en peu de mots fur les tablettes qu'il porroit toujours avec lui, ou les noroit en marge de la première Requête qui lui tomboit fous la main, ou du papier qu'il lit'oit alors , obiervant d'y indiquer le jour où ces idées lui étoient venues. Parmi la multitude des fragmens de cette cfpècc que l'on a confervés, il cn cft un rempli de notes marginales écrites de la main de Picrrc-lc-Cirand, 6c qui mérite dette rapporté: c'eft un premier projet de l'Etablillcmcnt de l'Académie des Sciences de St-Pétcrsbourg, du 11 Janvier 1714. A 1 article où il cft dit qu'on aftbciera à chaque Profcffcur Académicien deux ltudiansou Adjoinrs, Pierre écrivit cn marge: n On donnera a chaque ProieiFcur deux de ces fortes d Allbcïés n de la Nation, afin de pouvoir mieux inflruirc les Ruffcs, Se » on leur enjoindra cxprctfcmcnt de s'appliquer de préférence H HISTOIRE DE RUSSIE. ^ » celle des Sciences pour laquelle ils auront du goût Ôc de Papti-» tude «. A l'article où l'on demande qu'il foit permis à l'Académie de donner les dégrés académiques à ceux qu'elle en jugera dignes, l'Empereur a écrit en marge : Permis. Il eft dit, dans l'article fuivant, que pour ne pas perdre le tems à demander leurs appointemens, les Académiciens doivent être pourvus d'un Curateur expreffément chargé de les faire payer au terme, ôc de pourvoir aux chofes dont ils pourront avoir befoin ; on lit cn marge : » 11 faut mettre à leur tête un Directeur Ôc deux Affelfcurs, ôc établir un Commis à leurs paye- « mens......Au lieu d'attendre le dernier jour du mois, on com- » mencera lc payement par le premier «. Le dernier article porte, qu'il ne fera guercs poftlblc d'entretenir l'Académie a moins de vingt mille roubles par an. Pierre a ajouté cn marge : « Lc revenu annuel de l'Académie fera de m vingt-quatre mille neuf cens douze roubles, tirés de la Douane «des Villes de Derpt, » Peina n ôc Arcnsbourg «. A la fin de ce dernier article , l'Empereur écrivit les notes fui van tes: «Le 23 Janvier il faut expédier à Roumantfof, dans l'Ukraine, »> un ordre d'échanger des beeufs de ce Pays la contre des moutons >*ôc brebis de Siléfie (ceci regarde l'article des boeufs ), ôc d'en-» voyer lès gens apprendre à faire Va ce de brebis Ôc moutons, «ainfi que la manière de les tondre ôc d'cnapprêrcr la laine». »>Lc 23 Janvier (Supplément a A), on doit me chercher de » bons Officiers du Génie ÔC de l'Artillerie , principalement parmi »ccux qui , pendant la dernière guerre, eut lervi dans le Tïra- » bant......Il faut demander aux C olléges le rapport de l'éducation «des jeunes Gentilshommes : il me fouvienr que j'ai déjà donné » l'ordre de les faire voyager dans les Pays étrangers; mais on doit >î me donner des preuves qu'ils font partis, nie défigner leur m nombre, les dirférens lieux où ils font allés, ce quil leur a été » enjoint d'apprendre, ôc combien de tems il faut pour cela. Les « Collèges doivent en faire leur rapport au Sénat, afin que nous Mpuiflions favoir s ils s'appliquent comme il faut, &: les progrès » qu'ils pourront avoir faits dans les Arts ÔC les Sciences auxquels » ils font deftinés..... On expédiera fur tout ceci un ordre dans » lequel tous ces points feront diftinctement expliqués : il faut «que tout foit prêt quand je me rendrai au Sénat...... Celui à ♦> qui on a remis ces articles, il y a quelque tems, aura attention » de choifir quelque Ville où les jeunes gens puiifcnt étudier "l'économie fous d'habiles Profeffcurs..... » Avant de leur fiiirc traduire des livres, il cft très-ncccftairc »> qu'ils foient bien verfés dans les Sciences, ÔC principalement »j dans les Arts qui font l'objet de ces livres. Il cft impoflible de » réuiïir dans ces fortes de traductions, lorfqu'on ignore les Arts » dont ils traitent. Il tant donc avoir foin que ceux qui enten-« dent les Langues, ôc non pas les Arts, s'y appliquent, ôc que » ceux qui font verfés dans les Arts, ôc non dans les Langues, » les apprennent..... Ceux que l'on veut occupet aux traduc- » tions doivent être Ruifcs, ou du moins nés ou élevés ici, afin » qu'ils entendent également bien , ôc la Langue Ruflc, ôc leur » propre Langue: il eft toujours plus aile de traduire d'une Langue » étrangère dans fa Langue naturelle, que de celle-ci dans celle-là. » Voici les Arts. -» Les Mathématique!, du moins cette partie qui regarde les »> triangles, fphériques. » La Méchaniquc, l'Hydraulique, l'Architecture Civile ÔC Militaire, fAnatomie , la Chirurgie, la Botanique, &c...... 11 tant >j faire venir de Hollande des gens qui fâchent employer les vieux » tonneaux pour cn faire de la Potaflc.... Il faut chercher uu H STOIRE DE RUSSIE. 567 » teneur de livres qui foit capable de former des Elèves...... " Concernant les perfonnes qui préfentent des Requêtes malgré » la défenfe des Ordonnances...... »I1 faut apprendre aux enfans des Payfans Finois à faire des « Lapki (Souliers decorces d'arbre) à la Ruffe, parce qu'ils font » plus commodes Se plus légers que ceux dont on fc fett en »> Finlande «. On demandoit a l'Orateur Romain comment il avoit fait pour être inllruit de tant de chofes ; il répondit : Nulla d'us fine lineâ. Si l'on eut fait la même queftion a Pierre-lc-Grand, il auroit pu dire: Lc travail remplit mes journées: chaque portion de mon tems tjl marquée pour chaque befoin de l'Etat ; chaque heure en fuyant porte fon tribut à la Patrie. Ce Génie puiflànt parcouroit également toutes les branches Se tous les rameaux de détail de l'Adminiftration. La Politique, l'Education, les Sciences, les Arts, l'Agriculture, la Marine, le Commerce, les Réformes, les Créations, l'Education nationale , la Légidation , la Religion , l'Economie politique , la Conftrucrion des grandes routes, les Canaux de communication pour épancher l'abondance & porter les richeifes; tout fut l'objet de fes travaux Se de fes fuccès ; fes délalfemcns mêmes étoient mâles Se févères; c'étoit du repos fans indolence Se du plaifir fans molleftc. L'antique frugalité des Camps régnoit à la Cour. Si quelqu'un étoit fatigué de ces détails, qu'il fâche que les chofes les plus petites cn apparence influent fur lc Gouvernement économique, &e que ce font les fibres obfcurcs, cachées dans les entrailles de la terre, qui portent Se qui nourriflent ces forêts majcilucufcs , l'un des principaux ornemens du monde, Se dont l'utilité eft univerfclle. La fimplc adminiftration des Finances n ell qu'un méchanifmc d'ordre Se d'infpcclion ; mais la fcicncc du Gouvernement économique cft la feience même de 5 Section XXX. Lc 31 Janvier, l'Empereur publia un petit Code maritime. Il jouiifoit cn paix de là gloire; il voulut, dit Voltaire, la partager d'une manière nouvelle, avec celle qui , cn réparant lc malheur de la campagne du Pruth, avoit, difoit-il, contribué à cette gloire même. La Déclaration qu'il publia rappelle l'ufagc de plufieurs Rois Chrétiens, de faire couronner leurs Epoufes ; on y cite les exemples des Empereurs Bajilidc, JuJlinUn, Héraclm Se Léon le Philofophc. L'Empereur y fpécific les ferviecs rendus à l'Etat par Catherine, ôc fur-tout dans la guerre contre les Turcs, Ôcc. mais il n'étoit point dit dans cette Déclaration, que l'Impératrice dut régner après lui. «Ce fut à Moskou, ôc lc 18 Mai 172.4, que Pierre fit cou-tonnerèx: facrer fon Epoufe, en préfence de la Duchcflé de Cour-lande, fille de fon frère aîné, Ôc du Duc de Holftcin, qu'il alloit faire fon gendre. L'Empereur marcha devant Catherine à pied lc lour du couronnement, cn qualité de Capitaine dune nouvelle Compagnie qu'il créa, fous le nom de Chcva/U/s de l'Impératrice. Quand on fut arrivé à l'Eglife, Pierre lui pofà la Couronne fur h tête; clic voulut lui cmbralfcr les genoux, il l'en empêcha; Se au fortir de la Cathédrale, il fit porter le feeptre Se lc globe devant clic. La fête fut digne en tout d'un Empereur ». Après cette lète, l'Empereur fiança fa fille aînée, Anaa-Pdtrovna, au Duc de Holftcin; mais cette cérémonie fc fit fans grand appareil: d lalloit de grandes occafions pour que Pierre I étalât de la magnificence. Tome IJ/, C c c c Section XXXI. Les recherches, les foins, les peines & les travaux incroyables de Pierre-lc-Grand , alréroicnt chaque jour davantage la faute de ce Prince : les remords de la condamnation d'Jlexis ôc la perte du fils qu'il avoit eu de Catherine, aigrirent encore lc mal dont il mourut. Un nouveau chagrin répandir Pamcrtumc fur lc refic de fes jours. On a vu (pages 143 ôc 145 ) la paillon violente de Pierre I pour Anne de Mocns ; ôc nous avons annoncé que fon malheureux frère perdroit la tête peu de tems avant la mort de l'Empc-reur, fur le foupeon de familiarités criminelles avec l'Impératrice Catherine. Nous allons d'abord rapporter ce que Voltaire dit.à CC fujet, d'après les Mémoires du Comte de Bajjcvitr; ôc nous rapporterons enfuite une anecdote qui nous a été communiquée par un témoin de cette feène iànglante : ce témoin refpcclablc mérite d être cm. "Catherine avoit un jeune Chambellan, nommé Moins de la Croix, né en Ruilie , d'une famille flamande : il étoit d'une figure diilinguée; fa feeur Madame de Baie, étoit Dame d'Atours de l'Impératrice; tous deux gouvernoient fa Maifon. On les accula l'un èv l'autre auprès de l'Empereur: ils furent mis en prifon , ÔC on leur fit leur procès pour avoir reçu des pré fens. 11 avoit été défendu, dès fan 1714, à tout homme cn place d'en recevoir, fous peine d'infamie & de mort; cV cette défenfe avoit été plufieurs fois renouvellée. » Le frère ôc la fix m furent convaincus.... Mocns fut condamné à perdre la tête, Ôc fa lueur, favorite de l'Impératrice, a reCC' voir onze coups de knout. Les deux (ils de cette Dame, l'un Chambellan ôc l'autre Page , furent dégradés, & envoyés en qualité de fimplcs Soldats dans l'Armée de Perle. » Ces févérités qui révoltent nos mœurs, étoient peut-être néceffaircs dans un pays où 1e maintien des Loix fembloit exiger une rigueur effrayante. L'Impératrice demanda la grâce de fa Dame d'Atours, Ôc fon mari, irrité, la refafa. Il caffa dans fa colère unc glace de Vcnife, & dit à fa femme : Tu vois qu'il ne faut qu'un coup de ma main pour faire rentrer cette glace dans la poujfihc dont elle efl fortie. Catherine lc regarda avec unc douleur attendri liante, ôc lui dit : n Hé bien, vous avez caffé ce qui faifoit 15 ^ornement de votre Râlais; croyez-vous quil cn devienne plus » beau»? Ces paroles appaifèrent l'Empereur; mais toute la grâce que fi femme put obtenir de lui, fut que fa Dame d'Atours ne fecevroit que cinq coups de knout, au lieu d'onze». Le Seigneur Ruflc qui a été lc témoin de ces rigueurs effrayantes, nous a paru mieux indruit des faits que lc Comte de Baffcvir(, Minifire du Duc de Holftcin; ces faits lui ont été révélés par le Prince Rcpnin, aycul du Prince de ce nom, Ambafiàdcur en Pologne , pendant les troubles qui ont déchiré ce Royaume. Ici, nous allons nous effacer nous-mêmes pour rendre mot à mot l'anecdote dont on nous a donné connoiffance. » Pierrc-le-Grand » aimoit les femmes, ÔC n'étoit pas délicat fur le choix. Ses excès » ôc fes travaux lui avoient occafionné un abcès dans la vcfïic *î ôc unc rétention d'urine , qui lui caufoient fouvent des douleurs »5 cruelles ; Ôc chaque jour cet Empereur devenoit plus chagrin " ôc plus impatient. L'Impératrice Catherine, qui avoit beaucoup "à fouifrir de fes impatiences, s'en confoîoit avec Moins, frère » de Madame IValc, qui jouiffoient l'un ôc l'autre de ta plus grande » faveur, ôc qui gouvernoient la Maifon de l'Impératrice; mais ** cette intrigue étoit n* bien ménagée, fi fecrète, que perfonne » ne la foupçonnoit. ^Catherine cfpç roit , qu'après avoir été couronnée comme >jEpoufe de l'Empereur, elle feroit déclarée Souveraine après C c c c ij 572 HISTOIRE DE RUSSIE, «lui. La Déclaration de l'Empereur ne difoit rien à cet égard, » ôc ce fllcnce rendoit la fucccilion au Trône bien doutcufc. «L'Impératrice en conçut du dépit^ fon refroidiifement appa-« rent envers fon Bienfaiteur, fon Epoux Ôc fon Maître, ôc la « faveur trop marquée qu'elle avoit pour fon Chambellan, firent « naître des foupçons dans l'efprit de l'Empereur, ôc bien-tôt il « conçut de la jaloufie contre Moëns. Il fit furveillcr fon Epoufe, « 5c les furveillans découvrirent f intrigue : mais ne la croyant «pas polfiblc, après tout ce qu il avoit fait pour Catherine, il » voulut s'en alfurcr par lui-même. La Cour étoit alors a Pétcrhof, »& ce fut-là que ce Prince fit cette fatale découverte, à deux «heures après minuit. Saifi d'un accès de fureur, il entre bruf-« quement dans la chambre où le Prince Repnin étoit couché. « Réveillé cn fur faut, ce Prince crut fa perte certaine. Lcves-toi, m lui dit lc Monarque, & parles-moi ; tu n'as pas befoin de t'habil/er. «Repnin fc lève cn tremblant; l'Empereur lui raconte fon aven-« turc, ôc finit par dire : Je fuis refolu de faire trancher la tête à TJmpcra-« triée, dès qu'il fera jour..... Vous êtes offenfe, répondit lc confi-« dent, ôc vous êtes Maître abfolu : mais permettez-moi de vous «faire unc rcfpeclucufe oblcrvation. Perfonne, vous excepté, ne « fait au vrai cette aventure funefte; pourquoi la rendre publique? « Vous avez été contraint de détruire les Strcltfi; prcfque toutes « les années de votre règne ont été marquées par des fupplices « nombreux : vous avez cru devoir condamner h mort votre » propre fils ; fi vous laites encore couper la tète a votre femme, » vous ternirez pour jamais votre nom èv votre gloire; l'Europe « vous regardera comme un Prince féroce , avide du fang de VOS » Sujets ôc de vos Proches. Si vous voulez venger votre injure, „ il c'1 facile de faire périr Mocus par le glaive des Loix; quant «a l'Impératrice, il cil des moyens pour vous cn défaire, fans » que votre gloire cn fouffre, HISTOIRE DE RUSSIE. ^75 "Pierre, agité de convoitions violentes, fixa long-tems fes m regards fur le Prince Repnin, ôc fortit de la chambre fans pro-« férer une parole. Il fc promena à grands pas dans unc falle voi-« fine pendanr deux heures, après quoi il rentra dans la chambre m du Prince : Moins périra, lui dit-il, & j'ohferverai Jl bien la conduite >i de ma femme , que la première faute qu'elle fera lui coûtera la vie. Depuis «cette époque jufquà fa mort, Pierrc-le-Grand ne parla plus à »3 Catherine qu'en public, ôc ne vécut point avec elle dans le m particulier ». Section XXXII. » L'Empereur, dit lc Maréchal Munich , étoit prcfque toujours au Sénat, ôc fouvent deux fois lc jour, jufque dans la nuit. Il n'y avoit point de Collège qu'il ne vifltât avec unc affiduité inconcevable. Jamais Prince n'a été plus laborieux, ni plus au fait des intérêts de fon Peuple. Génie fupéricur, il décidoit promp-tement ôc précifément les affaires qui embarraffoient les Sénateurs ôc les Juges, cn marquant fut une feuille de papier, ôc cn peu de mots, fes fentimens Ôc fes décifions..... Trois mois avant fa mort, il fit encore lc voyage de Seara-KuJfa, fur le lac d'ilmcn , pour y faire crculcr un bafiin aux fourecs d'eaux falées qu'on y trouve, Ôc qui font propres à conferver les bois.de chêne dcflinés à la conflruclion de la Flotte, jufqu'au tems où l'Amirauté cn fait ufage. En allant à Stara-Rulfa, ôc à fon retour, il vifita le canal de Ladoga, dont il m'avoit confié la direction, ôc qu'il regardoit comme fon ouvrage favori. Ce canal, difoit-il? 'nourrira les Villes de Pétersbourg , de Kronjladt,' & fournira des matériaux pour les bénir; il y fera paffer toutes les marchandées, toutes les productions de l'Empire, & profpérer le Commerce de la Rujfie avec le rejle de l'Europe, «Jamais ce Monarque ne marqua plus de fatisfaction , que lorfqu'il vit la reuilitc des travaux que j'avois fait faire pour ce canal : il m'écrivit à ce fujet une lettre très-gracieufe Se très- flatrcule ; qu'il me remit lui-même..... Il avoit déjà eu de vives attaques de la maladie dont il mourut , avant fon départ de Pétersbourg pour l'ilmcn ; Se à fon retour, il dit publiquement à l'Impératrice : Les travaux de mon Munich mont guéri; je compte de m'embarquer un jour avec lui de Pétersbourg, & de mettre pied à terre au jardin de Golovin à Moskou. Il me mena le lendemain au Sénat, Se dit aux Sénateurs : J'ai trouvé l'homme qui achèvera bien-tôt le canal de Ladoga ; je ri ai jamais eu à mon fervicc d'étranger qui fit projettera exécuter comme lui de grands ouvrages , 6' VOUS ftrc% tout ce qu'il vous demandera. En fortant du Sénat, lc Procureur-Général Jagoujinski me dit: » Monficur lc Général, nous dépendons à préfent de vos ordres », On commanda vingt-cinq mille hommes de l'Armée pour accélérer les travaux de ce canal ; ce qui marque combien l'Empereur avoit à cœur i intérêt de l'Etat celui de fes Sujets». Section XXXIII. Avant le couronnement de l'Impératrice, Pierrc-le-Grand s'étoit rendu aux eaux thermales d'Olonctz , qui le foutagèrent ; èc~ il fc crut guéri cn arrivant à Moskou : le mal n'étoit que pallié; les douleurs reparurent bien-tôt, Se les accidens s'aggravèrent au point, qu'on lc vit s'affoiblir fcnliblcmcnt depuis fon dernier chagrin. Mais le génie de ce Prince étoit toujours agitlànt, lors même que fon corps fc refufoit à la plus légère fatigue ; il employoit l'intervalle de les douleurs à prelfer l'exécution de fes projets. Ce fut même dans cet état de langueur, qu'il voulut aililler à la bénédidion des eaux, lc jour de l'Epiphanie. Cette fête fc célèbre en Ruilie avec un grand appareil le 6 Janvier V. S. Voyez la description que nous cn avons donnée dans le Tome I clc l'Hifloire ancienne, pag. i<8. La longue cérémonie dont il S'agit fc fait fur la Neva, dans le tems le plus rigoureux de 1 année. L'Empereur, fiifi par le froid, en rapporta un enrouement, fuivi d'un rhume , accompagné de fièvre violente. La chaleur de la fièvre augmenta l'acrimonie des humeurs, Se l'irritation aggrava les accidens de la maladie antérieure a cet événement. La fuppreilion totale des urines obligea Plumentrof, Chirurgien de rierre-le-Grand, de recourir a la fonde; le fpafmc lui oppofa des obftaclcs qu'il voulut furmonter ; mais il fit, dit-on, fauJJ'e route; l'inflammation qui furvint tourna en gangrène. Pierre ic fentoit mourir ; l'approche de la mort ne lui caufà aucune crainte. Voltaire dit « que ce Prince reftentit des chaleurs brûlantes, » qui le jettoient dans un délire prcfque continuel : qif il vou-» lut écrite dans un moment d'intervalle que lui lailfèrcnt fes «douleurs, mais fa main ne forma que des caractères inlifi-»» bles, dont on ne put déchiffrer que ces mots cn Ruflc : Rendei « tout à........ «11 dk qu'on fît venir la Princcffe Anne Petrovna, a laquelle « il vouloir dicler; mais lorfqu'ellc parut devant fon lit, il avoit «déjà perdu la parole, Se il tomba dans unc agonie qui dura « fei/e heures. I/lmpérarricc Catherine n'avoit pas quitté fon « chevet depuis trois nuits : il mourut enfin entre fes bras lc « 18 Janvier, vers les quatre heures du matin. » On ne favoir point à l'heure de fa mort qui rempliroir fon «Trône: il lailfoit Pi§rn% fon petit fils, né de l'infortuné Alexis; « il lailfoit la fille aînée la Duchcflé de Holftcin. 11 y avoit une » fa cl ion coniidérablc cn faveur du jeune Pierre. Le Prince Mentf-«chikof, Hé avec l'Impératrice Catherine dans tous les tems, «prévint tous les partis Se tous les deifeins. Pierre éroit près « d'expirer, quand Mentfchikof fit palfer l'Impératrice dans une 576 HISTOIRE DE RUSSIE. « falle où leurs amis étoient déjà aftemblés; on fait tranfportct » le tréfor à la Forterefle, on s'affurc des Gardes ; le Prince « Mentfchikof gagna P Archevêque de Novogorod ; Catherine « tint avec eux , Se avec un Secrétaire de confiance, nommé nMakarof, un Confcil fecret, où afïifta le Miniftrc du Duc de « Holftcin. « L'Impératrice, au fortir de ce Confcil, revint auprès de fon «Epoux mourant, qui rendit les derniers foupirs entre fes bras. «Àufïi-tôt les Sénateurs, les Officiers-Généraux accoururent au « Pa! lis ; l'Impératrice les harangua ; Mentfchikof répondit cn «leur nom; on délibéra pour la forme hors de la préfence de » l'Impératrice. L'Archevêque de Pleskof Théophane, déclara que » f Empereur avoit dit la veille du couronnement de Catherine, « qu'il ne la couronnoit que pour la faire régner après lui ; toute «PAlfcmbléc figna la proclamation, Se Catherine fuccéda à fon «Epoux le jour même de fa morte». Ce récit n'eft pas conforme à celui que M. lc Général Bei^ki a eu la bonté de nous faire, Se que nous avons rapporté dans le premier Volume de l'Fliftoirc moderne, à l'article de fa fucceflion au Trône de Rujfic, pag. 443 : nous y renvoyons le Lecteur, Nous ajouterons ici ce que dit le Maréchal Munich à ce fujet. Malgré les précautions prifes par les Partifans de Catherine pour la placer fur le Trône , « tous les Sénateurs Se les Grands de «l'Empire étoient d'accord pour proclamer Pierre U. Us s'allcm-» blcrcnr de grand matin au Palais, avant que lc Prince Menti-« chikof s'y rendit. Tous généralement haillbicnt ce Prince : on « mit des Gardes devant la porte de 1 appartement où les Séna->j tcurs étoient atfcmblés ; le Prince Mentfchikof s'y prefenta, »>mais on lui rcfufa l'entrée; il s'en retourna fans faire de bruit n dans fon Palais, èv' envoya chercher Ivan Ivanovitz liourourlin, » LicuLcnant-Coloncl des Gardes de Préobragenski : il le pria de lui «lui amener au plus vite une Compagnie des Gardes, ce que «celui-ci ayant fait, le Prince Mentfchikof marcha droit au « Palais, enfonça la porte de l'appartement où les Sénateurs «& les Généraux étoient alfemblés, ôc déclara Catherine Impé-» rarrice ôc Souveraine de toutes les Ruffies. Perfonne ne s'atten-* doit à ce coup hardi du Prince Mentfchikof, ôc perfonne ne M s'oppofa à fa proclamation. Les Gardes, les Sénateurs, les « Minillres, la première Nobleife, ôcc. prêtèrent lc ferment de » fidélité à Catherine. « Les raifons pour lefquellcs les Sénateurs, les Miniflrcs ôc les « Généraux vouloient lui préférer lc petit-fils de Pierrc-le-Grand, » pouvoient être, i°. que ces Seigneurs auroient adminiflré l'Etat «pendant la minorité de Pierre II; i°. que vers la fin du règne de « l'Empereury on avoit remarque le refroidijfement de ce Monarque envers « l'Impératrice, pour des raifons ficcrètes ; 30. que les Miniflrcs qui COn-«noiUbicnt l'afccndant que Mentfchikof avoit fur l'efprit de « Catherine, prévoyoient bien que cette Impératrice fc laifferoit » gouverner par ce Prince «. A ces raifons, nous cn ajouterons d'autres qui font fans réplique : Pierre avoit feulement couronné Catherine cn qualité d'Epoufc du Souverain, ôc non comme devant être Souveraine après lui : ainfi, la cérémonie du couronnement ne lui donnoit pas le droit de régner. En fuppofant même que l'Empereur eût alors défigné fon Epoufe pour lui fuccéder, il l'excluoit du Trône dans lc peu de lignes qu'il écrivit quelques heures avant fa mort; il y défignoit fon petit-fils pour fon fùcccifcur. Ses conflitutions lui en donnoieht le droit. Les dernières volontés de ce Prince furent dérobées à la con-noillàncc des Minillres, des Sénateurs, des Généraux par les amis de Catherine, intéreflés à ce qu'elle régnât au préjudice, de Pierre II, héritier légitime du Trône. Le Prince Mentfchikof Tome III. D d d d avoit été un des principaux inflrumcns des malheurs Se de la mort d'Alexis r le Comte Tolftoé avoit été lc complice du Prince Mentfchikof; il avoir ramené la victime de Naplcs à Moskou. Les deux Mamminaf, Majors des Gardes a pied, étoient les créatures de Mentfchikof Se les protégés de Catherine; fi les premiers dévoient craindre que Pierre II, devenu majeur Se Maître abfolu, ne vengeât la mort de fon père furies auteurs de fa perte; les féconds, les Majors des Gardes, aftiiroient leur fortune, en proclamant Catherine, C'eft de cette manière, Se non autrement^ que cette Impératrice fuccéda à fon Epoux le jour même de fa mort. Ceux qui jugent de tout avec malignité , ont débité que Catherine hâta les jours d'un Epoux qui lui infpiroit plus de crainte par fa colère , que de rcconnoiftancc par fes bienfaits. Cette calomnie cft atroce : fi Pierre fut enlevé par unc mort prématurée, c'eft que la même activité qui nous anime, cft un feu qui nous détruit, Se la deftrucrion cft d'autant plus prompte que l'ufage de nos forces cft plus immodéré. Mais il cft poftible que l'aventure de Moéns, Favori de Catherine, ait accéléré la mort de Picrrc-lc-Grand : les chagrins concentrés dans lc coeur d'un homme violent , ont occafionné plus d'une fois des morts plus promptes que celle-ci. Indépendamment de cette caufe, Pierre étoit extrême dans fes travaux, dans fes plaifirs, dans là vengeance Se dans fa haine; unc pareille conftitution ne fuffîfoit-cllc pas pour lc détruire à l'âge de cinquante-deux ans, &: de fon règne le quarante-troifième > Pierre-lc-Grand laifta trois Princcftcs : Anne , fiancée au Duc de Holftcin ; Elifabeth Se Nathalie : celle-ci ne furvécut pas long-tems à fon père; clic mourut, dit-on, de la douleur de l'avoir perdu. HISTOIRE DE RUSSIE. 57? Section XXXIV. Picrre-lc-Grand avoit une taille avantagcufe, Tait noble, le regard rude, la démarche fièrc. Les compagnons que Sophie lui avoit donnés, pour lui infpirer le goût du vin ôc des liqueurs fortes, n'avoient que trop bien fécondé fes vues ambitieufes : les excès de la boilfon avoicnt enflammé le fang du jeune Prince, ôc porté le défordre dans fes nerfs ; il lui en refloit un certain tic défagréablc, qui altéroit fouvent les traits de fon vifage. Sa converfation étoit vive ÔC fpirituclle, il s'exprimoit avec facilité, &: difoit beaucoup en peu de mots. Ces qualités lui donnoient un afeendant auquel il étoit difficile de réfifter. Simple dans fes mœurs ôc dans fa Cour, il méprifoit l'éclat ôc le faux qui n'avoient pas la dignité ou futilité pour objet : l'économie domeflique Pavoit formé à cette économie publique, qui devint le fitlut de l'Etat. Né avec unc franchife guerrière, il aimoit la voix fièrc ôc libre de la vérité ; aucun Prince ne fut plus familier ni plus accef-fiblc; fon amitié envers ceux qu'il cn croyoit dignes, faifoit dif-paroître les rangs. La Nature, qui varie par des combinaifons infinies les facultés intellectuelles de l'homme, comme les propriétés des êtres phyfiqucs, avoit donné a ce Prince l'amour du travail, le goût des Arts utiles, des talens avec l'orgueil des grandes chofes : il n'y eut jamais d'homme plus actif, plus laborieux, plus entreprenant, plus infatigable; fa vocation étoit de faire des chofes extraordinaires; dès fon enfance, il fentit Ôc montra qu'il étoit né pour commander. Ce fentiment, que la débauche même n'avoit pu affoiblir, prouve que l'impulfion de la Nature n'attend qnc le développement des forces phyfiqucs ôc morales Ôc les occa-fions d'agir, qui naiffent des évènemens ôc des cireonflanccs. Pierre n'eft encore âgé que de quatorze ans, qu'il commence déjà à fc fignalcr : les premiers talens qu'il montre font ceux de Dddd ij la guerre. Les Etrangers qu'il affocie à fes amufemens guerriers, nourriiTent fon goût pour les armes ; le Fort lui met fous les yeux la vie de quelques grands hommes, ôc PHiftoirc lui fait fentir qu'il eft né pour les imiter. Pierre veut que l'ordre règne dans les premiers jeux de fon enfance ; ôc ceux qui les partagent font fournis aux règles de la difeiplinc militaire ; il leur donne à la fois l'ordre ôc l'exemple. On dit a ce Prince que les Mathématiques accoutument l'efprit à ces combinai fous juilcs ôc rapides qui forment lc guerrier ôc f homme d'Etat : il demande des Maîtres, ôc fait des progrès rapides dans cette Science. Une fœur barbare, fupcrftiticufe , voluptueufe &: fpiritucllc, Sophie, agite les renés fanglantcs de l'Etat : Pierre indigné s'impatiente du joug, ôc brife fes fers. Les fureurs religieufes ôc politiques dont il a été le témoin Ôc prcfque la victime, lui infpircnt l'horreur du fanatifmc, ôc lui donnent l'énergie nécclfairc pour détruire les frétions Ôc les complots du Clergé ôc des Grands dévoués h Sophie. Il veille fans celle autour de ces volcans réunis ou dif-perfés , qui , tantôt avoicnt une fermentation lourde , tantôt eclatoient cn dehors par des trcmblemcns violens: fon génie, qui s'élève au milieu des difficultés, les furmonte. La première victoire qu'il remporte fur lc parti de Sophie, lui donne le courage d'attaquer de front les préjugés de l'ignorance èv de la barbarie, ôc par-là de fc faire haïr de fes Sujets : loin d'être effrayé des obftaclcs à vaincre , ôc des rifqucs à courir dans une entreprife aufli hardie , les moyens les plus prompts lui paroillènt les plus efficaces; il les préfère à tous les autres, quoiqu'il lâche très-bien que l'habitude ôc les préjugés font autant d ccueils contre lefqucls fe brife ordinairement toute la force de la raifon. Vainqueur de fes Sujets, impatient de vaincre les ennemis de HISTOIRE DE RUSSIE. j8r l'Etat, Pierre s'arme contre les Tatars ôc les Turcs, qui, non contens d'exiger un tribut humiliant pour les Tzars fes prédé-cc(leurs, ravageoient encore leurs frontières. Ses premières aimes ne font pas heureufes, mais fes revers l'inftruifcnt; il reparoît devant Azof l'année fui van te, monte un vailfeau de guerre Hollandois ; U fort cn commande un autre ; tous deux s'emparent de 14 faïques Turques ; Azof eft prife, ôc la petite Flotte Ruflc qui croife fur les Palus Méotides cn impofe déjà aux fiers Ottomans. De retour dans fes Etats, Pierre veut que fes Généraux n'entrent à Moskou qu'en triomphe : il leur cède toute la gloire de la campagne, fe cache dans la foule, pour joindre fes applaudifté-mens à ceux de la multitude : il ambitionnoit un autre genre de gloire. C'eft dans fage même orageux des pallions qu'il forme lc projet de defeendre du Trône pour apprendre à gouverner : mais avant de voyager parmi les Nations policées de l'Europe , il croit devoir commencer par fc bien inftruirc de la fituation de fes Etats, Ôc: il les parcourt cn (impie Particulier; la faim, la foif, les veilles, les fatigues, les périls, rien ne l'arrête; tout au contraire, fortifie fon courage èv fon zèle : il obfcrvc tout ce qui peut traverfer ovi féconder les vues, ôc forme déjà ces combinaifons puiifantcs, qui doivent influer un jour fur le nouveau fyftêmc de fon Empire. Il découvre dans plufieurs Provinces de vaftes campagnes négligées ou làns valeur; des chaumières déferres ou qui tombent cn ruine; des charrues brifées ; l'herbe couvrant les rues folitaircs des Villes, les chemins infeftés de brigands; la circulation interrompue ; l'induftrie nationale étouffée; point de commerce, point de relVourccs au dedans, làns crédit au dehors; des grands opprclfeurs , des ferfs tyrannifes; un Etat défoie par les deiôrdrcs mêmes de rAdminiftration. Tel fut lc fpcclaclc qui frappa Us-yeux du jeune Tzar, Avec l'amc du Citoyen, il portoit l'œil du Philofophc : cn obfcrvant les maux, il étudioit les reffourecs. C'eft moi, dit-il, qui dois arrêter la chute de mon Empire : c'eft donc à moi à forcer ta Nature dans ces climats ftauvages , a la dompter dans moi-même , dans mes Sujets 3 & fur la terre & fur les eaux. Loix > Police , Politique , Difeiplinc militaire, Marine j Commerce, Manufaokures , Sciences , Beaux-Arts, tout me manque pour féconder mes vues : je les appellerais en vain ; la Moskovie barbare ne leur ouvrirait pas fes barrières; défendons du Trône pour les aller chercher par-tout ou l'on peut les trouver; nous devons les tranfplanter de nos mains. Il dit; Se femblablc cn quelque forte à fcfprit créateur qui, fe promenant fur l'abymc, féparoit les germes du monde pour les féconder , avec des vues auili bientàiiàntcs, Pierre parcouroit un Empire, image du chaos, Se prcfque couvert des mêmes ténèbres , où toutes les mains fembloient réunies pour lc poulie r dans le précipice. On a vu comment ce Prince s'inllruifit parmi les Nations policées. Il aimoit la vérité, Se fouffroit qu'on lui fît des leçons fur l'Art de régner. Son retour marqua Huilant de la création. Tous les élémens étoient prêts ; la lumière naquit fur la Ruflic, Se tout prit une face nouvelle. Armé du feeptre, &: rempli de toute l'énergie d'une amc qui veut faire lc bien, Pierre commence par réformer les abus. Réfolu de faire de grandes chofes, il confulte fes moyens, &: porte dans l'examen de fes revenus toute la lumière du talent Se l'aclivité du travail. 11 parcourt tous les rcgiflrcs, compare tous les états de dépenfes Se de recettes, vérifie tous les comptes, les rapproche, les combine , Se reconnoît les faux emplois Se les abus. Il porte enfuite le flambeau dans toutes ces Mines lourdes SC profondes , où les Receveurs puifoient lc peu d'ot Se d'argent qu avoit la Ruflic. Les fouterrains qu'avoir creufés l'avarice furent découverts au grand jour, Se les tygres qui s'y retiroient pour dévorer fom-dernent les entrailles du Peuple, ceffèrenr enfin d'avoir des repaires. Les coupables furent forcés à rendre compte de leurs pillages; une Loi de rigueur en fit juftice; l'or égaré hors des canaux publics , revint fcrtilifer la Patrie. Dès ce moment, les Grands 6c les prépofés de la Couronne, n'eurent plus le droit de lever des contributions arbitraires fur les Provinces. Pierre drefla un Etat général de Finance, qui prévint déformais tous les moyens honteux de s'enrichir; il preferivit aux Receveurs de nouvelles formules de compte ; les frais de la perception multiplies à l'infini, engraiflbient une foule d'hommes inutiles : la perception ne coûta plus rien ni à l'Etat, ni aux contribuables ; &: le Peuple fc félicita de n'avoir plus à payer que les fubfides ordonnés par lc Souverain même. Les courtifans n'influant plus dans la nomination des emplois, Ceflerenr de vendre leur protection : dès-lors, les choix furent meilleurs , 6c ce qui fut protégé, étoit cn général digne de l'être. L'Empereur fit des Loix qui ôtoient aux hommes l'intérêt de les violer : une équiré févère préfida a tous les Jugemens; la juftice ûdminiftréc gratuitement, les rendit plus prompts, plus exempts de partialité. Les emplois, les charges, les dignités, devinrent les récompenfes des bonnes mœurs, des talcns, du mérite, des fer-Vices rendus a la Patrie. Si la Ruflic ne retira point de ces Loix jiiflcs'& févères, Se de ces Ftabliflèmcns formés par les lumières 6c la fage fie , rout le fruit qu'elle en pouvoit cfpacr, 6c fi quelques Grands abusèrent de la confiance de leur Maître, du moins les criminels, de Quelque rang qu'ils Aillent, n\chappèrcnt point à la pour fui te Loix, ni au glaive de la Juftice; il frappa indiftinclcmcnt les t^'tes de tous les coupables. //efl un point, dit M. Thomas , où l'or, efl la fourec des crimes , fert à les couvrir, & ou , à force d'être coupable , on devient prefqu'innocent..... 5S4 HISTOIRE DE RUSSIE, Ce point fatal difparut fous lc règne de Pierre-lc-Grand ; 62 on a reproché à ce Prince d'avoir été jufte jufqu'a la cruauté. Quoi qu'il cn foit, nous penfons que l'autorité ejl toujours bienj'aifante§ quand clic n'ejl févère que pour être utile. La mort prématurée du Créateur Se du Légiflateur, ne lui permit pas de confolider ce grand édifice : mais il faut le louer du bien quil fît, & de celui qu'il voulut faire. Il eft un genre de gloire où il n'eut point de rivaux, c'eft celui d'adminiftrer tout par lui-même. Les abus qu'il avoit découverts dans toutes les parties de l'Ad-' miniftration , lui avoient appris à fe défier de les Miniftrcs, Se à furvcillcr leur conduite. Il avoit l'art fuprême de commander aux efprits, de tout pénétrer Se d'être impénétrable : il connoiflbit les hommes, Se caleuloit ce que chacun pouvoit valoir : il ilattoit l'ambition par des dignités, l'intérêt par des richelfcs, la vanité par des éloges, l'amour de la gloire par des triomphes: il aimoit les Sciences Se les Arts, Se ceux qui les cultivoicnt : il animoit Se protégeoit l'induftric; mais il la tenoit au fécond rang, où elle doit être. C'eft par-la, Se par unc éloquence mâle qui naît encore moins des lumières que de la vigueur des fentimens, qu'il commandoit aux efprits, Se qu'il triomphoit de tous les obftaclcs. On a vu comment ce Prince préfentoit la raifon armée de toute fti force, lorfcju'il faifoit retentir au fond du cœur de fes Sujets la voix de la Patrie qui demande des Citoyens, cn retraçant l'horreur des guerres civiles, l'apathie orguciîlcufc des Grands pour lc fervicc de l'Etat, l'opprobre de la pareffe, de l'ignorance, de la fupcrilition , tous les excès Se les malheurs de la férocité & de la barbarie. Grand jufques dans les moindres chofes, il avoit toutes les petites attentions d'un inftinct laborieux ; il entroit dans tous ces détails qui rabaiftent continuellement lcftbr du génie ; il comptoit , « HISTOIRE DE RUSSIE. 0$ toit, non fes jours, mais fes rr.omens, & il n'avoit à regretter la perte d'aucun. Dans les longues nuits de l'hiver, ce Prince confacroit à de pénibles calculs cette même main accoutumée a manier le feeptre, à conduire des bataillons, a moiflbnner des lauriers. Les travaux arides où l'imagination n eft point foutenue par l'idée de la gloire, exigent une amc plus forte que les opérations les plus extraordinaires du Miniftèrc : tant il cft vrai que l'amour du devoir eft infiniment plus courageux & plus héroïque que l'amour de la gloire ! Fortement pénétré du grand principe de Sully y Pierre pcnfbit que l'Agriculture cft la bafe de la puiftànce des Etats. Il penfoit jufte : ce font, comme on l'a dit, les champs enfemencés qui, fcmblablcs à ceux de Cadmus, enfantent les hommes & les armées ; c'eft dans ces champs couverts d'épics, que germent flnduftrie, les Arts, lc Commerce, l'aifanec & les grandes entreprifes; c'eft l'Agriculture enfin qui crée &: entretient les flottes. Pierre encourage tous les hommes utiles ; il propofe des récompenfes à ceux qui remettront cn valeur des terres incultes ; il emploie une partie des prifonniers Suédois difperfés dans fes Etats, a de nouveaux défrichemens ; il va par-tout chercher des bras pour fertilifer la terre. Tout change, l'Agriculture renaît à fa voix , flnduftrie fe réveille, lc Commerce s'étend de proche en proche : la main même du Souverain lui trace, lui ouvre des canaux ; bientôt l'abondance &c les richefles de la Pcrfc eV de la Chine circulèrent dans l'intérieur de l'Empire , & le canal qui joint la mer Cafpicunc au golfe de Finlande , transporta par la grande Mer, la furabondance des productions de la Ruilie dans toutes les parties du Monde. Pierre établit un Collège de Commerce, d'autant plus utile, que le Négociant y étoit réuni avec 1 homme d'Etat. Si le premier y portoit l'intérêt perfonnel guidé par les lumières de l'expérience, Tome III. E c c c le fécond y faifoit prévaloir les grands principes de l'opulence générale fur les petits intérêts. Pendant que ce Prince créateur s'occupoit ainfi de la profpérité de fon Peuple, le Légiiiatcur travailloit a prévenir l'influence des richeffes fur les hommes, en réprimant les vices, ôc fur tout lc luxe, plus ftual que les féditions ôc les guerres civiles; celles-ci ne donnent que des fecoulfcs paftàgèrcs a l'Etat, au lieu que le luxe lc mine lourdement, cn détruifant les vertus fociales. En réflechiflànt fur les motifs ôc le but des travaux de Pierrc-le-Grand , on fe demande it foi-même, comment il efl pofïlblc qu'un Prince capable Je voir ôc d'cmbralfcr les dérails ôc l'en-femble du Tableau général de fon Empire, n'ait pas vu, ou n'ait pas fenti que la liberté cft famc de llndullric Ôc du Commerce, Ôc que celui-ci cn parcouranr l'Univers, fuit les lieux des entraves ôc de l'opprcftion ? Les efelavcs dans un Etat, ne fervent que de nombre, fouvent à charge, ôc quelquefois bien dangereux; s'ils forment une claffe particulière, on peut demander férieufement il c'eft cn tant qu hommes? Ils ne travaillent, ils ne combattent que pour l'intérêt d'un Maître, à la puilfanec duquel ils ne cherchent que l'occalion de le fouftrairc. C'eft la liberté ôc la propriété feules qui conllitucnt les forces phyfiqucs ôc morales d'un Empire ; ces deux biens appartiennent à chaque Citoyen particulier. Lorfque chacun deux cn jouit, tous travaillent de concert, tous combattent également pour défendre les plus précieux droits de l'homme. Avec la liberté, la Ruilie conquérante comme Carthagc, feroit devenue commerçante comme Iyr. Avec une fagacitc admirable, des vues patriotiques, un zèle fans borne, une activité qui ne lui permettoit point de repos, une politique adroite qui lui faifoit profiter de tout, ÔC prendre les moyens les plus surs pour parvenir à Ion but, Pierre, fe livrant a l'avenir avec unc confiance que l'on ne trouve que dans les HISTOIRE DE RUSSIE. y87 hommes fupcricurs cn génie, croyoit avoir faifi l'accord du def-potifmc avec des inftitutions dont la liberté cft la bafe chez les Nations policées : il lc penfoit, & il fe trompoit : avec l'orgueil des grandes chofes, il manquoit de la modération qui rend l'homme maître de foi même. Il avoit reçu une mauvaife éducation dans unc Cour orageufe Se encore barbare, &: lc Trône ne l'avoit pas corrigé de fes défuits. Les vices fucés, pour ainfi dire , avec lc lait, s'identifient avec l'homme. Souvent on l'a vu rougir de fes emportemens involontaires, &: s'écrier avec douleur : Hélas ! j'aurai pu reformer ma Nation & je ne pourrai me réformer moi' même ! Pierre, malgré fes défauts, fut, fans contredit, un grand homme Se un Prince citoyen : on lc vit toujours vigilant Se actif, brave Se prudent, confiant dans les revers, modéré dans la victoire ; il avoit de grandes vues, des projets bien combinés, unc fécondité de reflburecs Se de moyens, Se l'adrcftc fupéricurc à les employer. On peut dire , fans crainte d'être aceufé de flatterie, que ce Prince réunit prcfque toutes les parties qui font le Guerrier, lc Politique, flnftitutcur Se lc Légiflateur. Son génie admirable créa tout, réfifta à tout, triompha de tout, Se fut extraordinaire cn tout. En formant des hommes, il prépara les règnes glorieux de fes Succcftcurs, Se fervit la Ruftie lors même qu'il n'étoit plus. C'eft en donnant un pareil fpcétacle au Monde, qu'il a défié fon fiècle, Se peut-être la Poftérité. L'Hiftoirc des Thé fée, des Romulus Se des autres Fondateurs, cft mêlée de fables abfurdes : Picrrc-lc-Grand cft lc fcul dont l'Hiftoirc foit bien connue; Se nous avons eu l'avantage d'écrire des faits uni par la force de fon génie. Il mena continuellement la No-m bielle d'expédition cn expédition : il ne lui laifla pas le tems de » former 5 former des deifeins , ôc 1 occupa toute entière a fuivre les ficns. > L'Empire fe maintint par la grandeur du Chef. Lc Prince étoit l grand, l'homme l'étoit davantage. Les Rois fes enfans furent 5 fes premiers Sujets, les indrnmcns de fon pouvoir ôc les mo-i dèles de Fobéiffancc. Il fit d'admirables Règlemcns; il fit plus, > il les fit exécuter : fon génie fe répandit fur toutes les parties de j l'Empire. On voit dans les Loix de ce Prince, un efprit de pré-i voyance qui comprend tout, ôc unc certaine force qui entraîne * tour. Les prétextes pour éluder le devoir font ôtés ; les négli-i genecs corrigées, les abus réformés ou prévenus. Il favoit punir; s il favoit encore mieux pardonner. Vaftc dans fes deifeins, fimplc j dans l'exécution , perfonne n'eut à un plus haut degré, l'art de » faire les plus grandes chofes avec facilité , Ôc les difficiles avec > promptitude. 11 parcouroit fans cclTc fon Empire, portant la 5 main par tout oii il alloit tomber. Les affaires renaifibient de j toutes parts. Jamais Prince ne fut mieux braver les dangers ; i jamais Prince ne fut mieux les éviter. Il fe joua de tous les 'périls, ôc principalement de ceux qu éprouvent toujours les "grands Conquérans , je veux dire les confpirations. Ce Prince » prodigieux, étoit extrêmement modéré ; fon caractère étoit » doux , fes manières flmplcs ; il aimoit a vivre avec les gens de » fa Cour.... ITmit unc règle admirable dans fa dépenfe; il fit » valoir fes Domaines avec fagelfe , avec attention, avec écono-« mie. Un père de famille pourroit apprendre dans fes Loix à gouverner fa maifon. On voit dans fes Capitulaircs , la fourec » pure ôc facréc d'où il tira fes riclicffcs. Je ne dirai plus qu'un »> mot; il ordonnoit que Pou vendit les oeufs des baffes-cours de » fes Domaines ôc les herbes inutiles de fes Jardins; ôc il avoit »> dillribué a fes Peuples toutes les richeffes des Lombards, Ôc les «immcnfesTréfors de ces Huns qui avoicnt dépouillé l'Univers**. lifpnt des Loix, Liv. XXXI, Chef, 19. Tome IIL Efff RÉFLEXIONS POLITIQUES 5£/A Z£ RÈGNE DE PIERRE-LE-GRAND. Louis XIV, Albéroni, lc Chevalier Robert Walpool , ôc M. lc Marquis d'Argcnfon , font les quatre hommes d'Etat auquel le Tzar parut ce qu'il étoit ôc ce qu'il pouvoit devenir. Lc refus confiant que fit Louis XIV, d'entrer cn corrcfpon-danec , ou de faire quelque traité avec lui , étoit une leçon authentique, dont les Puilfanccs connoillcnt aujourd'hui la fage lie ôc l'utilité. Sans la mort de Charles XII, ôc la difgracc d'Albé-roni, lc Tzar auroit absolument renverfé la balance de l'Europe. M. le Marquis d'Argcnfon , dont le nom fera toujours époque dans les Annales du Minillère François, comme celui du Chevalier Robert Walpool dans les Annales Britanniques, va nous dire pourquoi Cv comment, dans les Conlidérations fur lc Gouvernement ancien ôc préfent de la France , Chapitre III, Article XIX. » L'Empire de Ruilie ou Moskovitc, n'étoit compté, il y a cinquante ans , que parmi les Nations barbares : un fcul homme l'a tire de cet état, & l'a rangé parmi les Puilfanccs conlkléra-blcs. Cette PuiûaACC étant arrivée foudainement a la politelfe, s'efl trouvée d'une grandeur inuncnfe; on négligeoit lbn i ni -menfite pat le mépris de la barbarie : elle ell devenue redoutable ôc très-digne qu'on réprime fon trop de pouvoir. « Pierre-lc-Grand a donc été a-la-fois Légiiiatcur Ôc Conquérant; ce qui continue un îles plus grands hommes que le monde ait vu. » Outre la va île étendue de leur Empire, les Tsars fc trouvent cn pofleflion d'une autorité fans bornes fur leurs Peuples ; rcfpcft ôc dévouement de fujétion , tel qu'on le voit naturellement chez des Peuples doux ôc barbares. Ils font Chefs de la Religion Ôc de l'Etat. » Pierre-lc-Grand étant donc réellement le maître de fes Peuples , cn a fait tout ce qu'il a voulu , ôc n'y a pas perdu de tems. »A un Peuple ainfi compofé, il faut d'autres Loix qu'a ceux qui font pleinement fortis de la barbarie. La politique Ruilïennc fe trompe, fi elle continue a entreprendre des guerres d'ambition. Cet Empire n'a déjà que trop d'étendue, ôc aflez de cotes ôc de fleuves pour faire un grand commerce; il ne devroit entrer que dans des guerres où il pût fe gagner l'amitié ôc lc concours des Etrangers, faire oublier l'excès de fa puiffancc, ôc non pas s'attirer Pcnvie de la naiflance de fir Politique : déjà l'Europe le repent de lui avoir prêté des fecours propres à lc perfectionner, ÔC de s'être endormi fur fes premiers progrès. » Le Tzar, dcfpotiquc comme il cft fur fes Peuples, n'élèvera certainement pas la Noblcflè à côté de lui.... Lc tems de l'Arif-tocratic cft pafle, quand lc defpotifmc a commencé fans fon fecours f. » La feule exiflenec de l'homme , dit Robert Walpool, l'occupe tout entier. La préferverdes dangers qui l'environnent, ôc la conferver , font les deux points auxquels il rapporte tous fes foins, tous les travaux. Comme la force fut lc premier moyen que l'ambition ôc le défit du bien-être reconnurent, elle fut aufli le fcul droit que les ambitieux firent valoir contre les foibles, pour s'approprier leur aifance , Ôc les foumettre a leur volonté. Ce principe s'accréditant parmi les hommes , on vit des Nations entières fituées fur un fol ingrat, èv fous un ciel rigoureux, errer dans l'Univers, cherchant k s'établir par la force, aux dépens des Naturels de ces climats fortunés, dans lefqucls la f fi f i; 596 HISTOIRE DE RUSSIE. Nature femble avoir mis fes complaifanccs ôc dépofé fes richeftes. C'étoit par lc fer ôc le feu que ces perturbateurs du repos public leur demandoient f hofpitalité. Ces Naturels, accoutumés à une vie paifiblc ôc heureufe , loin d'oppofer la force à ces nouveaux venus, ils leur abandonnèrent leurs terres chéries, ôc cherchèrent leur fureté dans la fuite : c'eft ainfi que les Nations du Nord vinrent inonder la Grande-Bretagne, ÔC en exterminèrent les habitans. De nos jours même , li la vafte étendue de la Ruftie n'avoit point contenu L'ambition de Pierre Aléxicvitz , cft-il vraifcmblable qu'il eût refté dans l'inaction , Ôi qu'il eut laiffé jouir d'une paix bien confiante Pune ou l'autre Pu i (fan ce de l'Allemagne , dont il auroit trouvé les l.tats le plus a fa bien-féanec? Lc ton impof.uit que ce grand Prince ôc ce lagc Legif latent prit au retour de fes voyages , vis-à-vis deux Puiffanccs de la mer Baltique, donne unc idée de fon caraétère entreprenant, èv juftiiie mes conjectures. » Si l'on COnfidère ce grand Monarque , qui dans les Faftes de l'Univeis confiera a jamais le fièclc qui l'a produit, on aura lieu d'admirer en lui toutes les qualités qui donnent de l'éclat au troue ; mais combien plus n'eft il point fupericur, fi nous portons nos regards fur tous les changement lumineux ec les innovations utiles qu'il fit adopter a des Peuples cnlèvclis, ou entretenus avec foin dans l'ignorance èv la fupcrilition? Il régnoit fur des automates; ÔC par fes foins, qui honorcroicnt les plus grands Legif-lateurs , les fucccflèuis régnent fur des Peuples toujours difpofés a failir les lumières, les connoilTancCS, les découvertes qui leur viennent des autres Nations, fur des Peuples enfin , qui , li les Princes de IT'urope n'y prennent garde , pourroient bien leur apprendre à leur faire fciîtir un jour, que tous les hommes ne font, en général , que ce qu'on les (au être. "..... » Pourquoi lc delpotiimc du Tzar, loin de jetter dans le HISTOIRE DE RUSSIE. yj>7 découragement, a-t-il au contraire infpiré a fes Peuples l'amour des Arts , des Sciences ôc de Plnduftric cn général > C'eft que Picrre-lc-Grand a été cn même tems Légiflateur 5c Conquérant, ce qu'il a ; par fon amour pour le grand, le bon ôc lc beau > fait fentir a lès Sujets qu'ils cn etoient capables. » Quelle idée avoit-on il y a foixante ou quatre-vingt ans de la Ruilie ? On lui faifoit 1 honneur cn Europe de la confondre avec les Tatars ÔC les Kofaqucs. Un fcul homme vient éclairer le Tronc , obfcurci de tout tems par l'ignorance ôc la barbarie. Ce folcil les diftipe ; Ôc par un changement aufti furprenant que fubit, il fc met en état de le ranger parmi les Puiffanccs les plus redoutables, ôc d'y jouer un perfonnage, dont on n'a point prévu les fuites. Ce grand Monarque qui fut defeendre du Trône , pour aller chez les Nations éclairées fouiller dans leurs conftitutions, fut furpris de fa puilfanec , Ôc encore plus .de l'inaction dans laquelle fes prédécelfeurs l'avoient entretenue ; il forme un Code de toutes les bonnes règles qu'il a trouvées établies en Europe , retourne dans Ion pays... A peine deux ans s'écoulent, que les Etats ont changé de face ; les longues barbes tombent, le pouvoir de l'eneenloir cft limité, les Boyards font abattus ; tout plie aux Volontés d'un Prince qui porte à fon Peuple le véritable ulagc de la raifon. On fait tout ce qu'il veut , parce qu'il ne veut rien qui ne foit réfléchi , ôc qui n'ait pour objet le bien tic ion Peuple ôc fa gloire; fa volonté devient le thermomètre de l'Empire. Chef de la Religion , il ne lai lie qu'une longueur convenable au bâton palloral , qui , chez, les Puilfanccs mêmes les plus policées , s'étend autant qu'il lui plaît , ôc frappe des coups li funcltcs aux Etats. Entreprend-il de le donner une Marine qui le lalle figurer entre les Puilfanccs qui le difputent l'empire de la mer? on le voit lui-même dans les chantiers, les outils à la main, encourager, par Ion exemple, les Sujets a ce travail utile*. Inllruit qu'il cft, d'après ce qu'il a vu chez les autres Puiffanccs, que la fiubordination dans la milice double fes forces, il pafte par tous les grades où il faut obéir, pour favoir bien commander... » Connoi fiant la valeur des hommes ôc lc prix de leur travail, il fait la guerre a la pareffe mendiante. Tous ces oififs font renvoyés a leurs lieux rcfpcclifs, pour y être employés au profit de ceux qui font chargés de les nourrir "____ » Les Rulfes ont unc obéiffance fans bornes , ÔC un rcfpecl illimité pour leur Souverain... Us pou tient ces fentimens jufqu'a croire qu'en combattant pour lui, ils font allures dans l'autre vie d'une réeompcnfe éternelle , pourvu qu'ils ne reculent point, Ôc qu'ils foient tues fur la place. Des troupes enthoufiaftes font un rempart que Pou ne renverfe point .dfémenr. Quand un Prince cft parvenu à inculquer des principes fcmblablcs a fes Sujets , que ne peut-il pas entreprendre avec beaucoup d'expérience Ôc de bons Généraux? « Pierrc-le-Grand a li bien établi les principes de la politclfe &: de l'amour de la gloire dans les Etats , qu ils y font tous les jours des progrès, quoiqu'il n'y ait eu depuis ce Légiiiatcur fur le Tfôtte de Ruftie , que des minorités Ibibles ôc des femmes, plus occupées des douceurs que des devoirs de la Royauté. ^ Ne point porter des regards attentifs fur les progrès d'une Puillancc naiffante , c'eft lui fournir de nouveaux moyens de frapper des coups dont on cft accable. Si les Succelfcurs de Pierre-lc-Grand avoicnt, ainfi que Ion Epoufe, luivi l'on fyftéme, que feraient aujourd hui la Suède , le Dane marc le ôc la Pologne ? tout au plus des Royaumes tributaires , ou peut-être même des Provinces de la Ruilie. Les pays que ce Conquérant a enlevés aces Puilfanccs , prouvent fulhYammcnr que les Succelfcurs, en acquérant la tactique moderne , peuvent leur faire la loi , ôc les rc il errer dans les limites qu'ils voudront bien leur prclcrirc. "Cet Empire, il cft vrai , n'a déjà que trop d'étendue; il a beaucoup de côtes 5e de fleuves pour faire un grand commerce ; mais il a tant de déferts, que les Pui fiances de l'Europe doivent éclairer toutes les démarches de cette Nation ; les conquêtes utiles quelle a faites, doivent rinftruirc fur futilité de celles qu'elle a à faire. Une Puiflancc abfolue, Se qui abonde en hommes qui afpirent a la gloire d'être martyrs d'Etat, ne peut guère fc refufer a l'efprit de conquête, quand le pays, dont la fertilité la féduir, cft a fa bienféanec. » L'Angleterre , afpirant a l'empire de la mer , doit, plus que toute autre Puiflancc , traverfer les progrès que cette Nation fc propofe de faire dans la Marine : c'eft aux Anglois à la réduire à un état qui ne lui permette d'entrer que dans les guerres ou elle puilfe gagner l'amitié des Etrangers, Se faire oublier l'excès de puiflancc a laquelle Pierre Alcxiévitz tendoit, 5c non pas a s'attirer l'envie des Nations de l'Europe , dès la naiflance du lyiléme politique qu'elle paroît avoir embrafle. »Si quelque Tzar adoptoit les vues du Légiflateur Ruflc, ce feroit alors que l'Angleterre devroit voler au fecours de la Pologne , de la Suède &c du Danemarck, pour arrêter l'impétuofité de la multitude dont il inonderoit lc territoire de ces trois Puif-ftnees. Les hommes font, a proprement parler , la monnoic des Empereurs de Ruflic. Us ne leur coûtent rien : leur marche n'eft po i i 11 difpcndicufe \ les frais de leur entretien font peu confidé-ftbîcs. Us font durs, fooxes, 5c faits à la fatigue; de l'eau, un peu de fuif Se de la farine , forment toute leur nourrituic; ils s>cntcrrcnt comme des lapins, Se fc battent comme des lions. Avec de telles troupes, que ne peut point ofer Se entreprendre un Chef qui a jc pintclligenec , qui lait leur faire goûter les avantages de la difeiplinc moderne > » La Ruilie ne craignant point d'invafion de la part d'aucune Puiffancc de l'Europe, (quelle cil celle, en cftèt, qui auroit la folle ambition de conquérir des déferts? ) l'efprit de conquête doit nécclfairemcnt entrer dans la conftitution. Polieffeur affurc de fes forêts , le Tzar ne peut manquer qu'a gagner dans toutes les tentatives qu'il fera contre les trois Puilfanccs dont je viens de parler. » Lc refus confiant que Louis XIV fit a Picrrc-lc-Grand, d'entrer cn correspondance*, ou de fiiirc quelque traité avec lui, cil une leçon authentique dont les Puilfanccs connoilfent aujourd'hui la ïageifc Cv l'utilité. Les Ambalfadcurs que ce Prince reçut des différentes Cours de l'Europe , lui firent connoître l'importance du rôle qu'il alloit jouer. En Acteur intelligent, il fe prépara à lc foutenir. La Pologne &c la Suède faveur, pat expérience, s'il débuta avec fuccès : ne devons-nous pas même regarder aujourd'hui l'inaction des Impératrices plutôt comme unc préparation a de grands coups, que comme unc infullilance ? m On pour, & Pou doit mettre au rang des traits de la politique la plus éclairée cette conduite de Louis XIV. Il favoit que faire des alliances avec unc Puiffancc julqualors inconnue, ou plutôt méprifablc, c'étoit l'éclairer fur l'importance de fon cxif-tenCC. Qu'elfcc, eu effet, entre les Souverains, que s'allier? c'efl: fc communiquer le befoin réciproque qu'on a les uns des autres: ccioit donc, en failant alliance avec Pierrc-le-Grand , lui dire qu'il ignoroit Pinllueucc que pourroit avoir fon exillcncc fur les intérêts refpcclifs des l tats de l'Europe; c'étoit ouvrir une vafte carrière a fon ambition , & lui décrire le chemin par lequel il pouvoit venir faire pencher la balance. Ce trait de politique, fans doute peu connu èv fenti par les François, puisqu'ils n'en parlent point, fera toujours honneur a la mémoire de Louis XIV. La Poftérité louera en lui cette fage cV éclairée prévoyance, qui pénétroit jufqucs dans Pobfcurité de l'avenir.... Si l'Europe continue HISTOIRE DE RUSSIE. 601 continue a regarder d'un ceil tranquille 6c indifférent la Puiflancc Ruflc, nous devons nous attendre a la voir juftifier à notre grand dé (avantage les prédictions tacites qui motivèrent la conduite de Louis XIV. » Si, Te modelant fur le Danemarck, la Ruftie forme, encourage , foutient unc Compagnie de commerce, 6c parvient à. s'établir des Comptoirs, notre commerce, ainfi que celui de la Hollande, fera-t-ii en état de fupportet cet échec? 6c il, éclairée par un calcul un peu fuivi, cette Puiffancc, qui ne fait où 6c comment cmployct les hommes, s'attachoit à augmenter fa marine 6c à multiplier fes vaiffeaux, pour être, à Pinftar des Hollandois, des Roulicrs de mer, que deviendroient les Etats-Généraux ? Bornés à leur épicerie, les trois-quarts de leurs matelots refteroient les bras croifés : or, dans un Etat comme celui de la République de Hollande, où le fol eft aufti borné qu'ingrat, l'activité des hommes fiiit toute fa puiflancc. m La faculté que la Ruflic a de conftruire des vaiifeaux, juftific mes inquiétudes; beaucoup de bois; la main-d'œuvre à bon marché ; des hommes qui ne cherchent qu a être employés, pour fe fiimalcr 6c fortir de l'état de misère où la nature du climat les réduit ; autant de raifons qui doivent néceflaircment déterminer un jour la Cour de Pétcrsbourg à tirer tous les avantages pofïiblcs des fublimes vues du Grand-Prince, qui a fait connoître 6c fentir a fes Sujets unc nouvelle vie, bien différente de celle qu'ils avoient menée jufqu'au commencement de fon règne. m Qu importerait d ailleurs a un Empereur Ruflc de renoncer entièrement a l'obéiflanec de quelques malheureux habitans de Sibérie 6c autres lieux éloignés , qui ne peuvent point profiter de l'influence de l'Aftrc qui éclaire lc Tronc, pour s'approcher des contrées les plus heureufes de l'Univers ? de quitter unc poignée de Sujets qni, UC voyant point les horreurs de leur Tome ///, ^ggg cxiilcncc, méprifcnt les moyens de l'améliorer. , pour acquérir des hommes éclairés, qui connoiftent les rapports intimes qui font entre celui qui commande 6c celui qui obéit ? "Quand unc Puiflancc eft parvenue a pénétrer les intérêts cachés de celle à qui elle foupçonne de l'ambition, elle a beaucoup tait. Mais fi l'indifférence rend cette découverte inactive, clic n'a vu que la caufe du mal qui la menace, Ôc qu'elle ne peut éviter. La Suède, la Pologne , le Danemarck, l'Angleterre , la Hollande, ôc la France même , fi elle veut toujours tenir le Tronc de Pologne ouvert a quelqu'un de fes Princes ou a quelqu'un de fes Protégés, paroilfcnr être dans cette fituation critique , pour peu que l'on difeute leurs intérêts, 6c qu'on les mefurc fur les intérêts particuliers que la Ruilie doit néceflaire-ment adopter. « Prenons garde que l'ambition de la Cour de Pétcrsbourg ne nous faffe fortir de notre léthargie. Elle aura porté a l'Europe les coups les plus dangereux, que nous nous trouverons encore dans un état d'engourdilfcmcnt qui nous empêchera d'oppoferune digue allez forte à l'impétuoiïté de ce torrent— Les plus grands ennemis que l'Europe ait h combattre dans les Rulfes, c'eft leur misère naturelle 6c leur préjugé de Religion.... S'il cft vrai que lc fanatifmc double fes forces, quels progrès n'avons-nous pas a craindre de la Ruilie ?..., « Que la Pologne feroit heureufe , même dans l'état affreux où Pont réduite l'ambition 6c Porgueilleufe indépendance de la Noblelfc, li elle parvenoit a fomenter la divilion entre la Cour Ottomane & ta Cour de Pétcrsbourg! Ifolée comme elle Peft, 6c n'étant qu'un tronc (ans tête , elle ne peut trouver f.\ sûreté que dans la guerre qu'elle aura Part d'entretenir, fous les dehors d'une exacte neutralité, entre ces deux Puilfanccs. Voila, fi je ne me trompe, le leul objet qui doive occuper aujourd'hui la HISTOIRE DE RUSSIE. 6oj République Polonoife ; encore même faudroit-il qu'elle fût affuréc quil n'y a point de liaifon d'intérêt entre la Cour de Berlin Se celle de Pétersbourg; ce qui, d'après les preuves d'ambition que la Maifon de Brandebourg a données, paroît très-certain..... Les Princes ont toujours, dans la parole qu'ils donnent, des reftri étions tacites, qui les mettent en droit de les violer. Sauf le bien de mes Royaumes & de mes Sujets, difent-ils; c'eft cette condition qui les j unifie de leur infidélité Se de leur perfidie. » L'intérêt que nous devons prendre aux démarches de la Ruilie, me paroît aflez établi, par le détail que je viens de mettre fous les yeux de mes compatriotes, pour ne pas m'appe-fimtir fur la néccfllté de voler au fecours de la Pologne, fi jamais les Rulfes font de nouvelles entreprifes contre elle. Mais hors de cette circonflance, l'état actuel de ce Royaume ne nous regarde point. Que la Noblelfc mette un Piaft fur lc Trône, ou qu'elle lc vende a un Prince étranger, les effets de ce caprice ne peuvent avoir aucune influence fcnfiblc fur les intérêts préfens de la Grande*Bretagne Les évènemens arrivés depuis vingt-cinq ans, prouvent la fagefle Se la vérité des réflexions politiques du Minifire Anglois. Nous allons cn ajouter d'autres bien dignes de figurer ici a coté de celles de M. le Marquis d'Argcnfon Se de Robert Walpool : il faut aux objets un grand jour pour les connoîrrc, 6e aux hommes des démonflrations pour les convaincre. Nous allons les p ni fer dans le Dictionnaire univerfel des Sciences morale , économique, politique, ou Bibliothèque de l'Homme d'Etat & du Citoyen, 6e tranferire Particlc du Génie politique de Piene-le-Grand, dont l'Auteur efl dé-figue par les lettres D. B. M. » Lc Roi Augufte, cn propolant au Tzar Pierre l'alliance offèn-fivc contre la Suède, ne foupçonnoit point que l'ambition de ce Prince lut d'une autre nature que la tienne; Se jugeant de fes *o4 HISTOIRE DE RUSSIE, forces fur 1 état actuel de fon Empire, il le crut un Allié utile ôc peu dangereux , qu'on fauroit obliger à fe contenter de la part qif on lui voudroit faire des conquêtes communes. L'engagement de lui former un Militaire a l'Allemande, parut a Augufte fans conféquence pour l'avenir, parce qu'il comptoit fur le défaut de commerce, qui, réduiiant la richeife du Prince Moskovite à l'aifanec intérieure, lc tiendroit dans l'impuiflancc d'entretenir conftamment un gros corps de troupes. Il n'y avoit pas a douter que fi les foldats étoient renvoyés dans leurs maifons, après la paix, le nouveau Militaire ne tombât dans l'ancienne ignorance. Ce fut de ces préventions que fc forma la confiance du Roi Augufte ôc du Roi de Danemarck cn cet Allié. Lorfqu'ils purent connoître qu'il étoit revenu de fes premiers voyages avec le defir de tirer fes peuples de la barbarie, Ôc de faire naître Pinduftric Ôc lc commerce dans les Etats, leur reflentiment contre Charles XII les aveuglèrent fur les fuites de la révolution qui commencoit dans Tinté rieur de l'Empire Moskovite. Le prodigieux travail de la réunion des fleuves, qui dévoient fiiirc un canal d'une extrémité de la Ruflic à l'autre, fut achevé, fans qu'ils panifient y avoir fait attention. Tout-à-coup la victoire de Pultava , la conquête de la Livonic, la nombreufe Armée répandue cn Finlande, l'Efcadrc qui demanda du refpcct pour le nouveau pavillon dans la Baltique » leur montrèrent un fupéricur dans l'Allié qu'ils avoicnt à peine regardé comme leur égal; Ôc ils durent craindre d'avoir bientôt à fc défendre de lc recevoir pour maître. «Après cette terrible bataille, dont la perte réduifoit la Suède à la défenfjve , il n'y avoit qu'une profonde paix , capable de conferver l'ancien équilibre du Nord. Les deux Rois dévoient allez connoître leurs forces, pour fentir que les fruits de la guerre qu'ils continucroient contre Charles XII, ne feroient pas pour eux. Lc démembrement du Royaume de Suède ks devoit mettre né* HISTOIRE DE RUSSIE. £05-ceflairemcnt aux mains avec le Tzar; Ôc les Provincs Suédoifes d'outre-mcr étoient des conquêtes trop à la bienféance de leurs voifins , pour qu'ils les vident pafiér tranquillement a d'autres poffcflcurs. Mais le defir de la vengeance, l'ambition, lc point d honneur, remportèrent chez les deux Rois alliés fur leur véritable intérêt ; ôc l'inflexibilité de Charles irritant leur paillon cn même-tems qu'elle leur donnoit un motif, ils fc livrèrent à leurs reflèntimens &: leurs cfpérances. «Les grandes Puilfanccs du midi de l'Europe, cn guerre pour la fucceflion de Charles II, étoient fi fort attachées à ce grand objet, qu'elles refufoient de voir tout ce qui ne lui étoit point relatif. Indifférentes fur le rcnvcrfcmcnt de la balance du Nord, que la bonne fortune du Roi de Suède rendoit prcfque indubitable , elles ne s'intérefsèrent ni à la neutralité forcée du Roi de Danemarck, ni aux malheurs du Roi Electeur, ni aux périls du Tzar. Elles confidérèrent uniquemenr, les unes ce qu'elles avoient à redouter, les autres ce qu'elles pouvoient fe promettre des armes Suédoifes, fi Charles XII victorieux s'offroit à elles pour médiateur ôc pour arbitre. Quand l'habileté du Duc de Marlbo-roug &: la fouplcflc de la Cour de Vienne curent délivré l'Empire de cet hôte incommode, la France ôc les ennemis de Philippe V lc perdirent également de vue. L'une lui favoit mauvais gré de la froideur qu'il avoit marquée fur fes intérêts; les autres ne lui pardonnoient point les alarmes qu'il leur avoit caufées. Le dépit rendoit les deux partis infeniibles aux fuites de la défaite de Pultava. Chacun fut mis, pat la paix d'Utrcchr, cn liberté de donner les foins à la pacification du Nord, Ôc chacun fc fit de Ion épuifement unc raifon de fon indifférence. Comme les objets perdent de leur grandeur à proportion de leur éloignement, les Puiflanccs qui venoient de terminer une guerre, dont unc Monarchie entière étoit lc prix , femblèrcnt en dédaigner unc, qui avoit le Duché de Holftcin pour première caufe. On eût dit qu'elles ignoraient l'influence qu'auraient fur les affaires générales de l'Europe raftbibliflement de la Suède 6c l'accroilTemcnt du Tzar. té La Suède étoit dans l'état lc plus déplorable, fans reflburecs au-dedans, fans forces 6c fans crédit au-dchors. L'opiniâtreté de fon Roi à continuer unc .abfcncc aufli avantageufe à fes ennemis , que peu honorable pour la perfonne ; 6c l'cxccflivc fourni {lion de les Etats au refus que faifoit lc Monarque, de leur communiquer l'autorité qu'il n'étoit pas à portée de gérer par lui-même, mettoient le Royaume cn anarchie. On ne pouvoit ni remédier aux maux, ni pourvoir au néceflaire, ni même faire ufage des forces qui refloient pour la défenfe du pays. On n'ofoit promettre à des Alliés chaneelans ce qui les aurait affermis dans l'alliance, ni accorder aux ennemis ce qui auroit ralenti leur haine. Du fond de la Turquie où il étoit prifonnier, Charles donnoit des ordres, dont il auroit eu peine h foutenit l'exécution dans fa plus grande prolpérité; 6c fes Sujets, accoutumés à fon dcfpotifmc, étoient obligés de fuivre, malgré leur épuilement, des plans, dont la difficulté s'étoit fait fentir, alors même que les affaires étoient dans la pofition la plus heureufe. Toutes les acquilitions de Guftave-Adolphe étoient pallècs à d'autres : l'ennemi étoit au cœur de la plus belle Province du Royaume : les côtes étoient deleitées par la crainte des dciccntcs , qu'on ne pouvoit ni rcpoulfcr ni prévenir. La marine Suédoife ne confiftoit plus que dans un petit nombre d'Armateurs, qui s'cntrctcnoicnt cn pillant amis 6c ennemis. La Nation le défendoit moins pour empêcher, que pour vendre chèrement fa ruine. u Le Tzar n'avoit pas perdu un fcul inftant pour s'aflùrcr ce qui ctoit à fa bienféanec dans la dépouille de l'ennemi qu'il vouloit accabler. Ce Prince, dont l'ambition étoit autant d'un HISTOIRE DE RUSSIE. 607 Conquérant que d'un Légiiiatcur, réunifient toutes les vues fur le commerce. Il avoit connu dans fes voyages qu'il étoit la fourec de l'opulence du Souverain, en même-tems que du bien-être des Sujets. Se livrant a l'avenir avec une confiance qui ne fe trouve que dans les grands génies, il n'avoit pas hefité a epuifer fes coffres pour faire fes préparatifs. Après l'exécution du projet qui devoit joindre, pour ainfi dire, Aftrakan a St-Pétcrsbourg, & la mer Cafpicunc à la mer Baltique, il avoit aveuglé, a force d'argent, les deux grandes Puiffanccs maritimes fur leurs intérêts, au point de les engager a lui vendre une nombreufe Efeadre toute équipée. Il avoit formé des chantiers, des magafins, des arfe-naux , dans les Ports conquis fur la Suède : 6c ce qui étoit plus difficile 6c plus important, il s'étoit procuré pour fes Sujets des Ecoles parmi les étrangers, afin de faire paficr tont-a-coup dans fes Etats leur induflrie 6c leurs connoiffanecs. >î Avec unc fagacité admirable, il avoit fiufi l'accord d'un dcfpo-tifmc, auquel il ne vouloit pas renoncer, avec des établiffemens donrla liberté cft la bafe chez les autres Nations. Dans les Etats où la propriété cft lame des Loix, la puiflancc du Souverain cft cn proportion avec l'opulence des Particuliers; 6c lc Prince cefté d'être riche, dès qu'il veut l'être plus que fon Peuple. Les Moskovitcs, nés dans l'efelavage, devenoient heureux pour peu que leur fort s'améliorât; 6V: l'habile Monarque fut borner fes vues pour leur bien-être, à leur laifter entrevoir l'aifance. Seul Négociant dans fon Empire, Chef des Fabriques, Surintendant de tous les Arts, il fc fit de fes Sujets autant d'Ouvriers, dont l'efpoir de la récompenfe 6c des applaudilfcmcns du Maître excita l'émulation. Il apprécioit leur travail, & fc réfervant de le vendre à l'étranger, il ramenoit dans les coffres de l'épargne les profits immenfes de l'induftric de rout fon Peuple. Bien différent des autres Souverains t qui font obligés de renvoyer circuler dans 6o8 HISTOIRE DE RUSSIE, leurs Provinces la meilleure partie de l'argent qui cn cft venu dans leurs coffres; il rendoit unc féconde année plus abondante, cn ne laiifant rien retourner du produit de la première. «Maître de donner aux cfpèccs la valeur qu'il vouloit dans Pétcndue de fon Empire, ÔC réfolu de ne les recevoir que pour leur valeur intrinfèque des étrangers, avec qui il ne vouloit le commerce d'échange qu'à des conditions qui leur étoient rui-neufes, il réalifoit pour fes Sujets des richeftes imaginaires, cn mème-tems qu'il groiliilbit des richeftes réelles, dont il n'étoit comptable qu'à fon ambition. «Tant de foins Se de dépenfes pour dégroftir fes Peuples; des vues auili conftamment fuivics fur l'introduction du Commerce ÔC des Arts dans fon Empire, ne Liilfoicnt point douter que lc Tzar n'eût formé l'cfpérancc de dominer dans la Baltique, ôc lc deffein d'en faire faire un jour tout lc commerce par fes Sujets; qu'il ne fe propolat de tenir la balance du Nord , ôc de faire fcul contrepoids à toutes les Puilfanccs. La France, l'Angleterre ÔC la Hollande perdoient également, quoique d'une manière différente , à l'exécution de ce plan : ôc elles manquèrent avec une égale négligence, les moyens d'y faire obftaclc. L'Hifloire du iieele n'a point d époque moins honorable à leur politique. » Lc principal intérêt de la France, quant au Nord, cft d'y avoir un Allié , qui tienne cn échec ceux de les voifins dont l'Empereur fc feroit des auxiliaires; ôc le Miniflètc François, incertain s'il trouverait à former avec quclqu autre Puiffancc les mêmes liaifons qu'avec la Suéde, qui lui avoit rendu cet office depuis un fièclc, abandonna Charles XII a Ion opiniâtreté, ôC les Suédois à leur malheur, fur le penchant de leur ruine. »> Les deux grandes Puilfanccs maritimes qui ont tourné vers le Nord la principale branche de leur commerce, qui ne l'y fbu- tiennent que pai l'équilibre entre les Princes capables de maître* 1* U Baltique ; qui ne la pouvoient étendre qu'en dégoûtant les Peuples feptentrionaux de négocier par eux-mêmes : loin de fecottrir, d'étayer unc Puiflancc accoutumée à traiter avec leurs Marchands, fe joignirent à fes ennemis pour l'accabler, fournirent des Armes, des Munitions, des Vaifteaux, des Officiers, formèrent enfin unc marine à un Prince qui ne pouvoit fe donner le commerce que fur la ruine du leur, &: qui étoit réfolu de fc le donner. »> L'Angleterre étoit alors gouvernée par unc Reine, qu'un objet particulier occupoit uniquement. La Nation accrue de force &: de puiflancc par les acquifitions d'Utrccht, fe jugeoit fupéricurc aux évènemens de la guerre du Nord, &c cn état d'y faire toujours à fon commerce les conditions qu'elle voudroit. Lc Prince fucceffeur, qui projettoit l'agrandilfcmcnt de fon Elcclorat fur des démembremens, auxquels la Suède n'entendroit point, jufqu'a ce qu'elle fût réduite a recevoir avec reconnoi fiance lc Traité qu'il plairoit à fes ennemis de lui dider, avoit un parti puilfant, qui entretenoit les Anglois dans leur indifférence par rapport à Charles XII : c'eft à quoi il faut attribuer unc conduite fi peu conforme à fintérêt de la Nation. «Les Hollandois agirent cn Marchands, qu'un gain préfent manque rarement de feduirc. Ça été leur deftinée de mettre les autres fur les voies de kuir fecret, &: d'enfeigner à ceux qui ont voulu devenir leurs émules, l'art de s'enrichir a leurs dépens. Ainfi qu'ils avoicnt fait pour Louis XIV, ils accordèrent au Tzar de lui former tics Conflrudeurs dans leurs chantiers, des Ofliciers 6V: des Matelots fur leurs Flottes, des Fadeurs &c des ( nmmiflionnaires dans leurs Comptoir,. Comme s'ils avoient eu intérêt a rendre promptement refpcclable ce nouveau Pavillon, ils vendirent au Tzar plus de vingt vaifteaux de guerre avec leurs agrêts & leur équipage : ils firent palier de leurs gens de mer dans Tome ///. Hhh h Jcs Ports de la Ruilie : ils menacèrent d'une guerre ouverte les malheureux Suédois, qui cmploy.oicnt lc reile de leurs forces à leur fermer ce monftrucux commerce. » L'Angleterre & la Hollande étoient les principaux garans des Traités d'Alténa &c dcTravendalh, qui alfuroient à la Maifon de Gottorp le Duché de Holftcin , avec la moitié du Duché de Schlcfvick ; la France avoit pris la garantie du Traité d'Ofnabruck, qui uniftbit à la Couronne de Suède la Poméranie , Bremen &C Verden. Les Alliés du Nord étant entrés cn Poméranie &C dans ks Duchés, la Cour de France s'en tint aux follicitations de les Ambafladeurs. Lc Roi de Danemarck s'étant emparé du Holftcin, l'Angleterre èv la Hollande difputèrcnt fi lc Duc étoit dans le cas de la garantie ; ôc elles attendirent tranquillement que les autres garans du Traire dcTravendalh cn donnâlfent leurs avis, L'Armée du Comte de Stcinbock étoit la dernière rclfourcc de la Suède. Lorfqu'cllc étoit fur le point d être accablée par l'Armée des trois Alliés, unc intrigue habilement ménagée lui fit ouvrir les portes de Tonningcn , ou clic ne pouvoit être forcée que par la dilette; 6c ce n'étoit guère que de la Hollande qu'elle pouvoit recevoir des vivres. Les Etats-Généraux furent fur le point de défendre la fortic des grains de leurs Ports; & ils n'accordèrent que la tolérance à ceux de leurs Négocians que le profit engagea a la traire. Lc Congrès de Brunfvick ayant décidé la neutralité des Provinces Suédoifes en Allemagne, les Miniftrcs de Suède fepréfentèrent dans toutes les Cours l'injufticc &c les inconvé-niens de cette neutralité , qui, mettant les ennemis de Charles XIl hors d'inquiétude pour leurs Etats, reduifoit les Peuples à la néceftité de recevoir la guerre dans lc cœur du Royaume ; &C les trois Puilfanccs femblèrcnt approuver par leur filcncc , que l'Empire fc lignât pour obliger Charles à fouferire a cette neutralité. LcTzar avoit déjà dans la Baltique plus de trente vaillèau* de guerre : fon Armée de terre étoit maitretfc de toute la Finlande; ôc il menaçoit de la conduire à Stockholm. Les Etats-Généraux lui firent demander s'il avoit fermement réfolu d'anéantir le Royaume de Suède, s'il éroit dans l'intention de faire tort au commerce des Sujets de la République ; ôc fes explications les rendirent à leur première indifférence. » Lc Tzar Pierre n'étoit peint un Prince dont on pût croire qu'agiifant de boutade ôc par pure impétuoiité de tempérament, ion inconftanec étoit d'autant moins éloignée qu'il fç portoit avec plus d'ardeur a l'exécution. Ses projets étoient lc fruit d'une profonde méditation; il les avoit contîdérés fous leurs différens points de vue; ôc on lui auroit fait injuflice de penfer que fes mefurcs enflent quelques fuites pofïiblcs qu'il n'eût pas pénétrées. Les ennemis de la Suède, qui avoient intérêt a tenir les anciens Allies dans l'inaction , fc bornoient à repréfenter à ceux qui s'alarmoicnt de l'agrandillémcnt duTzar, lc peu de vraifcmblance de l'ambition qu'on reprochoit a ce Prince, ôc l'obflaclc que lui feroit toujours leloigncmcnt de fes Erats; &: il n en fallut pas davantage pour ralfurcr les plus défians. On ne commença a craindre l'iniluencc de l'Empire des Ruflics fur les affaires générales de l'Europe, que quand il fc la fut affuréc. Le Tzar avoit uni a les Etats la Livonic, dont on ne lui avoit lailfé faire la conquête , que fur la promeife de la rendre au Royaume de Pologne. 11 avoit tranfporté d'Arkangel à St Pétersbourg le corn-nicrec de fes Etats, malgré les inftanecs des Hollandois. Contre les cfperances qu'il cn avoit données, il vouloit que le négoce fe fît autrement que fur l'ancien pied; ôc les Etats-Généraux lc follicttoicnt cn vain de conclure lc Traité de Commerce qu'il leur promettoit depuis qu'il étoit cn liailon particulière avec eux. 11 fc croyoit allez fort dans la Baltique pour éluder impunément unc fatisfaction qu'ils lui demandoient fur cinq de leurs vait- Hhhh ij fi* HISTOIRE DE RUSSIE, féaux que fon Amiral avoit traites cn ennemis. Déjà fes Sujets conduifoient eux-mêmes leurs navires, Se négocioient (ans guide dans la Méditerranée. Enfin , il propofa à l'Empereur 6c a la République une alliance pour lc maintien de l'équilibre général de, l'Europe : il s'y donna pour la puiflancc qui devoit remplacer l'Angleterre ; 6c on refufoit encore de croire fon agran-dilfemcnt Se fon ambition redoutables. Lc Cardinal Albéroni fut le premier homme d'Etat, auquel IcTzar partir ce qu'il étoit Se ce qu'il pouvoit être. L'indifcrétion du Baron de Goertz, Se la mort de Charles XII fermèrent la nouvelle carrière où le Monarque Ruflc vouloit entrer. La difgrace d'Albéroni lui coupa fes correfpondanccs avec le Midi de l'Europe. Mais à la manière dont il fut foutenir dans lc Nord fa ftipériorité, on put connoître qu'il cn avoit abfolument renverfe la balance. » Abandonné de les Alliés devenus fes jaloux, Se menacé de les avoir pour arbitres, il continua fcul unc guerre qu'il avoit à peine oie commencer en tiers. Il marqua fes conditions comme il auroit intimé des ordres : Se il fc tenoit li allure d'obliger tout le Nord à y fbuferire, qu'il n'en voulut point d'autre garant qne lui-même <«. HISTOIRE PHYSIQUE, MORALE, civile et politique RUSSIE ANCIENNE. LIVRE TREIZIÈME CONTENANT LES LOIX DE PIERRE-LE-GRAND. INTRODUCTION. IL efl un genre de gloire dans lequel Pierre I n'eut point de rivaux , & c'eft celui de tout créer dans fon Empire, de tout adminiitrcr par lui-même : les inditutions &c les travaux immortels de ce Prince démontrent cette vérité. Après avoir analyfc l'Hommc, le Citoyen, le Guerrier, le Politique, le Souverain Créateur &C Adminiitratcur, il ne nous refle plus qu'à faire con- D E 1 A noîtrc lc Légiflateur; ôc Picrrc-lc-Grand fera peint de face, avec les traits qui lc caractérifent. Si, comme il eft vrai, ce font les Loix civiles qui rendent prcfque toujours les hommes bons ôc médians, par la manière dont elles dirigent les pallions, ÔC dont elles dillribuent les bicHs ôc les maux parmi les individus des Sociétés, on peut affirmer que Picrrc-lc-Grand eft lc tfcui de tous les Légiflatcurs anciens Ôc modernes qui n'ait pas méconnu la fourec du bien ê\: du mal, des déforrircs publics ôc des délits particuliers, puifquil eft le fcul qui nait pas conjtdere les Loix criminelles, abflraclion faite des Lois civile*; le fcul enfin qui fe foit confia m ment occupé de la perfection de celles-ci, pour corriger les imperfections de celles-là, qnc f inhumanité même femble avoir dictées. Le Peuple qui aura ta meilleure forme d'adminijlration politique, auf* auffi les meilleures Loix criminelles, La preuve que Pierre I étoit intimement perfuadé de cette grande vérité, cft confîgnéc dans fes inftructions, où l'on trouve réunis les principes de la Jurifprudencc civile ôc ceux de la Jurif-prudenec criminelle , annexés à un Gode militaire. Ce Légiflateur penfoit donc que l'unité ôc la fimplicité ne font pas moins eflen-tiellcs dans Padminiflrarion politique, que dans les ouvrages de la Nature ôc de l'Art. Cette unité fut l'objet des travaux des phlS célèbres Légiflatcurs de l'antiquité, èV: cela fnflit pour expliqua comment, avec un fi petit nombre de Loix, ils firent tant de bien, tandis qu'avec des milliers de volumes fur les Loix, Ici modernes ont fait tant de mal. La chofe la plus étonnante dans la vie de Pierre-le-Grand, c'eft que le defpot if me n*ait pas corrompu en lui les maximes de la Juftice, Ôc que fit févérité même ait etc révoltée des ufag<* affreux de cette Jurifprudencc criminelle qui conferve unc forme inquilitoiiaic pour l'examen des fautes, des délits 6c des crimes- HISTOIRE DE RUSSIE. 6tJ Aufli ce Prince ne chcrcha-t-il point dans les livres ce qu'il ne pouvoit trouver que dans l'étude du coeur humain. Pour connoître la force que Ton doit donner a une digue, dit M. Briflbt de Warvillc, il faut connoître la force de l'agent que l'on veut contenir : de même pour connoître jufqu'a quel degré on peut porter la rigueur des peines, il faut néceflairement examiner la nature de l'homme, fes penchans, le degré d'activité des pallions, leurs écarts, ôc lc point ou la corruption eft parvenue dans la Société que Ton veut policcr. Cette étude fut celle de tout le règne de Pierre-lc-.Grand. Ce Prince regardoit avec raifon comme une découverte fatale au monde, ce Code trouvé par Irnérlus3 qui , fourniftant de nouveaux alimens à la rapacité des gens de Juftice, multiplia les Loix, les Tribunaux, les Procès, ôc par conféquent les vexations, les injuftices, les calamités publiques. A l'exemple de Louis XI, le Tzar Ivan Vafdicvh\ //avoit entrepris un Code général dont nous avons donné l'analyfe : mais les mains de Louis XI ôc d'Ivan Vafiliévitz pouvoient-elles élever des autels à l'humanité? François I, ôc le Tzar Alexis Mikaïlovitz, qui n'avoient point ce petit cfprir, ni cette méfiance ombrageufe du dcfpotifmc , fembloient nés l'un ôc l'autre pour être les Reftauratcurs des lettres dans leurs Etats, ôc pour y faire oublier l'hiftoirc lamentable des procédures judiciaires : mais la raifon ôc l'humanité pouvoient feules donner les vrais principes des Loix ; ôc lc quinzième ÔC le feizième fièclcs n'étoient pas ceux des Sciences morales Ôc politiques; toutes les Ordonnances des Princes d'alors pottoienl le Caractère de l'imperfection où étoient encore les connoiîïanccs humaines. Les meilleurs d'cntfcux ébauchoient des réformes ôc fe trom-poient dans les moyens. Sous François I, on vit paroître quelques 616 HISTOIRE DE RUSSIE, bonnes Ordonnances; mais le bien léger qu'elles produisirent, ne fut que trop compenfé par l'introduction de la vénalité des charges, de la procédure fecrète, ôc d'autres barbaries qu'ordonna de fang-froid lc Chancelier Dupmt. Sous Alexis Mikaïlovitz, la rédaction des Coutumes Rulfes, XOulagénié, loin d'accélérer la deftruction des abus du dcfpotifmc & de la féodalité , réunis pour enfevelir les droits de l'homme, ne fervit qu'à les multiplier , cn les couvrant du fceau de l'autorité fouverainc. La raifon ôc l'humanité fuyoient au bruit des armes, ôc la force qui leur montroit des chaînes pour leur impofer filcncc, dicta les Loix pour elles. «En contidérant la bafe de ces Loix, dit l'Auteur » cité ci-deifus, doit-on être étonné de leur inhabilité? en » voyant leur origine, doit-on être furpris des atrocités qu'elles » ordonnent «? Picrrc-lc-Grand forma le projet d'anéantir d'une main hardie les décombres trop révérés de la Légillation barbare de fes Prédé-celfeurs, pour lui fubilituer un édifice dont les fon de mens repo-sàlfcnt fur la raifon dirigée par les principes du droit naturel. Il fuivit le plan de Louis IX, qui vouloit tout-à la-fois limplilier les Loix ôc la procédure ; il ne pouvoit choilir un meilleur modèle! il réfolut donc en 1710, de former avec le tems un Code civil, un Code pénal, un Code militaire ôc un Code maritime, limplcs, uniformes, univerfels dans leur plan, clairs dans leurs difpofitions, écrits cn langue vulgaire, ôc intelligibles à tous. fendant que ce Prince méditoit ce plan de Légillation, qu'aucun Peuple de la terre n'a encore, ÔC qui fera bénir du lièele préfent Ôc de la polie rite le Souverain qui remplira cette tâche factée, il s'occupoit particulièrement de la parue morale de l'éducation nationale; il en conigeoit les abus, Se eu faifoit donner une meilleure. 11 vouloir que les pères, les mères, les enfans, les citoyens de tout fciç, de tout âge, de toute condition y piJl~ sa lient HISTOIRE DE RUSSIE. 6if faffcnt la connoiflance de leurs devoirs, le defir de les remplir, & l'amour de leur propre cllime, en apprenant a fc concilier celle de leurs fcmblables. Les Loix ne peuvent ptefque rien fans les mœurs. Pour rétablir les mœurs, il falloir rétablir l'empire de l'opinion publique: Pierre regarda les pères négligens comme de mauvais pères Se de mauvais citoyens; il ne voulut pas que les riches Se les puuTans fuflent impunément dépravés ; il ordonna que l'opinion publique notât Se frappât de fon fouet vengeur, les coupables qui porte-roient atteinte aux mœurs. Il s'attacha d'abord à inflruire fes Sujets pour les rendre meilleurs , a prévenir les délits par d'utiles Règlcmcns, 6e enfuite à les punir. La fagacité du Monarque Ruflc appercevoit dans Pcfptit qui le porte aux irrégularités Se aux défordres, & dans lc Gouvernement qui les tolère , la femenec des vices destructeurs des Empires; il voulut que l'ordre légal les réprimât Se leur impofât un frein , foit cn faifant donner des tuteurs a ceux qui diflipoient leurs biens, qui vexoient Se maltraitoient leurs ferfs, foit cn diflri-buant admirablement des peines proportionnées à chaque cfpècc de faute 6e de délit, par unc gradation qui commençoit par la réprimande 6e par la note légère, pour ceux qui, fins commettre des actions méchantes, menoient cependant une vie honteufe, jufqu'a 1 infamie de fait 6e l'infamie de droit qui comprend toutes les actions infâmes par elles-mêmes. Tour Gouvernement doit renfermer l'art 6e les moyens d'aflurcr entre les hommes l'obfcrvatiou des Loix de la morale, des loix civiles 6e politiques, le maintien des droits de tous, l'accom- pHilemcnt de tous les devoirs, Se les fuccès de tous les travaux utiles. Tout Monarque doit donc tenir dans fes mains deux rênes, avec lcfqucllcs il peut conduire à fon gré les pallions des hortl-Tomc III, 1 i i i <5i8 HISTOIRE DE RUSSIE, mes : ces rênes font les récompenfes ôc les peines. On rend les hommes meilleurs, on élève leurs ames, cn récompenfant la vertu, le vrai mérite, les talcns. On les empêche de tomber dans le*défordrc, cn puni fiant jutlcment les défordres, les vices, les crimes. Par-là, on arrête les méchans, on fortifie les bons, on féconde ceux qui îfont encore que des intentions honnêtes; tous dès-lors rempli fient leurs devoirs avec zèle, avec amour; les bonnes moeurs régnent avec les bonnes Loix ôc tes lumières dftltô le fein de la paix, 11 fuit de la que tout Légiflateur, à l'exemple de Pierre- le-Grand, doit publier un petit Code moral, civil ôc pénal, cn langue vulgaire , où chacun puifle lire fes devoirs Ôc fes droits, les récompenfes ÔC les châtimçns réfcrvésàccux qui obfcrvcnt ou qui tranf-greflent les Loix laites pour leur fureté, pour leur bonheur. Les Loix de ce Code élémentaire doivent avoir la Loi-naturelle pour bafe, parce qu'elles doivent être louvcraincment jufics, & que la Juftice repofe fur la Loi ôc le Droit naturels; fondement de teintes les Loix humaines. Plus les Loix de convention le rapproehent de la Loi naturelle, ôc plus aufli la vie foeialc, la vie phyliquc, morale ÔC politique efl douce èv fupportable aux indi\idus mêmes qui compofeut la dernière çl^ffc des Sociétés, A mefurc que nous avons ouvert nos yeux fur notre aflcrvil-l'ement à des Loix ôc à des inflitutions extravagantes , dit uu homme célèbre, nous nous fommcs occupés à les corriger; mais fans ofèr renvcrlèr entièrement lTdiiicc Gothique ôc Romain. On a remédié à des abus par des abus nouveaux ; ôc à force detayer, de réformer, de pallier, on a nus dans nus nuvurs plus de contradictions, qu'il n'y en a chçz les Peuples les plus barbares. Le développement de la Légillation de Pierre-lc-Grand, vient à l'appui de cette réflexion, L'inflruelion y concourt avec les mocDlSj lUl cétabliflcn^nt de l'opinion publique, pour pre- venir les délits moraux ; l'Empire des moeurs Ôc de l'opinion y établit le règne des Loix civiles fle politiques, dont les Loix pénales font les areboutansj ôc comme ta peine de la vie 3 lorfqu'on la faturc du fiel du mépris, cil bien plus terrible que ta peine de la mort j le Légiiiatcur a voulu que les peines infligées par les Loix, cftrayaflènt plus par leur nature ÔC leur durée que par leur rigueur, ôc que lc glaive même de la Juftice fût bien plus f infiniment de l'effroi que de la vengeance. Unc chofe qui nous paroît digne de toute l'attention des Souverains, c cil le moyen employé par Picrrc-lc-Grand pour prévenir, cm du moins pour diminuer lc nombre des délits &c des crimes: // puntffoit encore plus fevèrement le complice que le coupable. Les motifs de cette rigueur néceflaire méritent d'etre développés d'une manière nouvelle. Ce n'cll pas diminuer la gloire du Monarque Ruflc, que d'attri* bucr a Homère le mérite de l'idée'dont il fut tirer un fî grand parti pour fa Légillation,. Loïù\u'/lgamcmnon, qui commandoit a tous les Grecs, ôc qui en étoit adoré comme un Dieu, cherche un Orficicr d'un courage bien ferme ôc bien déterminé, pour l'envoyer épier lc camp des Troycns, furprendie Rhéfus, ôc lui enlever, s'il cil pofliblc, fon char, d'une magnificence fans égaie , garni de lames d'or Ôc d'argent, ôc fes courfiers auili blancs que la neige , ôc qui étoient aufli vites que les vents ; le plus brave des Grecs, Diomèdc , 6'oftrc pour unc entreprife aufii périlleulc, ôc dit cl^'un ton affuré: >»Ncflor, mon courage me porte d'aller dans le camp ennemi «pendant les ténèbres; mais li quelqu'un s'offroit pour m'ac-•> compagner, j'aurois dans cette entreprife, ÔC plus de confiance, w& plus de hardicflcj car deux hommes qui vont cnfcmble font » toujours plus allures, ils s'entr'aident, ÔC l'un voit ce que l'autre »nç voit pas; au lieu qu un homme fcul, quoiqu'il ne manque 1 i i i ij >j ni de prudence, ni de courage, a cependant moins d'audace » ôc moins de vigueur. Il dit : Agamcmnon lui laific lc choix » du compagnon qu'il croit le plus intrépide, ôc il ehoifit Ulyfic. » Ils s'avancent fans perdre de tems, avec des armes terribles. Ces » deux intrépides guerriers vont comme deux lions au travers des » ténèbres, ê\: marchent au milieu du meurtre, du carnage, des » morts, des armes ôc du fang. Ils affafïincnt Do/on; ils arrivent »au quartier des Thraccs, enfevelis dans un profond fommeil, » ôc ne ceffent de tuer qu'après avoir fait unc horrible boucherie. « Tandis que Diomcde plonge fon épéc dans te fein de Rhéfus , Ulyffc , de » fon coté, détache & enlève fes chevaux, fait un lignai à Diomèdc , >» pour l'avertir de lc fuivre. Ils montent promptement fur les " chevaux , Ôc ils volent fur les vaiifeaux, &x. «. Si le plus intrépide ôc le plus réfolu des Grecs a befoin d'un compagnon, Ôc le demande avec infiance, cn avouant qu'avec lui il aura plus de courage que s'il étoit fcul, y auroit-il tant de fcélerats, s'ils ne trouvoient pas des complices? Lc moment fatal qui décide d'un crime, feroit fouvent retardé, fi lc malheureux qui va le commettre n'avoit pas de complices qui le raffinent. C'eft donc la complicité que les Loix doivent prévenir , cn l'effrayant par la grandeur des peines. Pour faire voir combien cela cft dans la Nature, Madame Daciei rapporte un exemple très- fcmblablc que l'Ecriture-Saintc nous fournit dans YHijioirc des Juges, Gédéon cil appelle par l'Ange du Seigneur, k plus va;fiant des hommes. Le Seigneur le ehoifit pour délivrer fon Peuple du joug de Madian , Ôc il dit lui-même a ce vailkmt homme, qu'il n'a qu'à delccndre dans le camp des ennemis, parce qu'il les a livres dans fa main. Mais comme Dieu eonnoît la Nature, qui efi fon ouvrage , il ajoute : Si tu crains d'aller fcul, prends avec toi ton ferviteui Pu ah. a. Gédéon ne crut pas fc déshonorer cn témoignant qu'il HISTOIRE DE RUSSIE. 6it feroit plus alfuré ôc plus ferme, s'il étoit accompagné ; il prit fon fervitcut Phara. Unc autre chofe digne de remarque dans la conduite du Légiflateur Ruflc, c'efl: que les crimes contre lefqucls il a févi avec lc plus de rigueur, n'étoienr pas toujours les plus grands en apparence; mais ceux qui étoienr devenus les plus communs, ôc par confequent plus funeftes à la lbciété que ces grands crimes qui n'arrivent que rarement. Telles font la violation de fa promclfe, l'infidélité dans le dépôt, dans le mandat, dans les contrats facrés qui font la bafe de la fûreté publique ôc particulière : les exactions des hommes cn place, celles des Prépofés de la Couronne à la répartition des impôts ôc à leur perception, les banqueroutes frauduleufcs, la fubornation des témoins, ôc fur-tout le faux ferment. Les crimes de cette nature ne trouvèrent jamais gracé auprès de ce Souverain, parce que le faux efl peut-être de tous les délits le plus nuifiblc à la fociété; il marche rarement fcul : la bonne foi trahie, la confiance éteinte, lc commerce expirant, les fortunes boulcvcrfécs, les rangs confondus, l'innocence fut Péchafaud : telles font les traces que lailfe après lui lc faux cn tour genre (i). Encore quelques traits, ôc lc Lecteur fc formera nnc idée de la Légillation de Picrrc-lc-Grand. Pour adoucir fcxccfiivc rigueur des Loix pénales dans les autres cfpèccs de délits moins communs , le Légiflateur rejetta tous les moyens odieux &: dangereux, c'eft a-dirc, tous les faux inllrumens d'après lefqucls on juge les hommes ailleurs. (i) Les aimes que vous ne pourrez prévenir, dit l-'énélon, doivent être punis févère-mciu. C'eft une démence de faire d'abord quelques exemples qui arrêtent le cours de l'iniquité. l\,ur un peu de fang répandu à propos, on en épargne beaucoup.....Tour ne pas abuicr de cette maiimc politique , il non-, femble qu'il feroit néceflaire que Je légiflateur & les Jugei aillent le cevur & l'aine de cet Apôtre de l'humanité. i°. Le Dénonciateur doit être connu, Se jugé digne d'intenter unc aceufation. i°. L'Accufateur Se l'Accufé doivent comparoître cnfcmble, en préfence des Juges, Se dans un Tribunal compétent. 3°. Chaque Partie peut réeufer les Juges dont la prévention eft à craindre. 4°.Non-fculcmcnt l'Accufé peut avoir un Défenfcur au befoin , mais il a pour médiateur entre les Juges Se lui un Auditeur Jurif-confultc, expreifément charge de veiller à ce que la juftice fc rende d'une manière conforme au voeu du Légiiiatcur Se h l'efprit des Loix civiles Se criminelles, fuis acception ni exception de perfonne. 5V. Le Juge, cn conftatant lc corps du délit pour cn découvrir l'auteur, doit laifter a celui qui cft foupçonné ou acculé de l'être, la liberté de fe défendre , attendu que perfonne ne peut être condamné fins être oui : c'eft pour cela que le Légiiiatcur a jugé à propos d'accorder des fauf conduits, qui rendent inviolable la liberté de la perfonne acculée. L'attentat, cn ce genre , cft regarde comme un crime capital Se irrémilîible. 6". La communication de toutes les charges doit être faite à l'Acculé , cn préfence du Dénonciateur, pardevant les Juges, dans le Tribunal compétent, èe non ailleurs, dans la crainte qu'un fcul homme, cn interrogeant fecrètement un autre homme, ne fc rendît le fcul maître de les penlécs, de fes paroles, de (à vie 6e de fa mort. 7°. L.i publicité de la procédure criminelle cft jugée indifpcn-fable , pour prévenir , d'une part , les manœuvres lourdes que peut tramer l'iniquité , 6e de 1 autre , la ruine de l'Accule , forcé de recourir à l'or pour faire lever lc voile du myftère. 8°. En enjoignant de donner à la recherche du crime, cette publicité qnc lc dcfpotifmc des Tzars avoit foigncuiciucnt évitée, le Légiflateur proferit cette juftice cruelle qui cherche le fecret ôc l'ombre pour punir lc crime, comme lc coupable pour lc commettre. 9°. Envifàgeanr d'un même coup-d'ccil ôc dans un même point de vue l'aceufation ôc la défenfe, la Loi veut qu'on entende les témoins à charge Ôc à décharge; que l'aceufation ôc la juftifica-tion marchent d'un pas égal; que, pour ne point divifer ce qui cft indiviiible, lc Juge réunifie toutes les mêmes-circonftances, ralfemble tous les différens faits, ôc ne fupprime rien de tout ce qui peut aller a la défenfe de l'Accufé. Ainfi, tandis que l'Accu-fatcur cherche à prouver le délit, le Juge doit admettre tous les faits juftificatifs qui peuvent infirmer ôc détruire l'aceufation. io°. 11 cft cxpi elle ment ordonné aux Juges d'abréger les lenteurs dans l'examen de la procédure,. ôc fur-tout d'expédier lc plus promptement poftiblc les procès criminels; la célérité dans 1 inftiuclion étant également favorable à la fociété ÔC à l'Accufé. n'. La Loi , cn admettant la preuve tcftimonialc , réeufe ôc réprouve le témoignage des perfonnes mal famées ôc fufpectcs, ôc marque les figues qui caractérifent les témoins veridiques. Pour épargner des erreurs ÔC des méprifes aux Juges , elle leur fixe la valeur &: lc nombre des témoins, celle des preuves judiciaires, avec défenfe de convertir des apparences cn réalités. La Loi veut encore que de l'examen de la perfonne ôc de )a qualité des témoins, le Juge patte à celui de leurs dépolirions ; qu'il lesconfidère en elles-mêmes, pour s'alfurcr li elles n'impliquent aucune contradiction : clic veut que le Juge, après avoir interrogé féparément les témoins, leur fa lie rendre raifon de leur démolition , parce que c'eft un des plus surs moyens d'en connoître la vérité, ôc de découvrir la fubornation : il doit enfuite confronter les témoins en femble, ôc avec l'Accufé. 130. Les témoins doivent être reconnus pour gens de bien. t$i4 HISTOIRE DE RUSSIE. La Loi veut qu'ils foient défintércilés , concordans, fermes ; Ôc que les témoignages foient clairs ôc uniformes. Elle inftfte fur la nature des preuves ÔC fur la force des préfomptions, cn exigeant que le Juge non-feulement s'afture de la certitude du fait, mais encore de celle de la preuve. Il doit donc chercher la conviction ou l'innocence de l'Accufé, dans lc balancement feru-pulcux des lignes apparens èv probables, ôc des témoignages des indices ôc des préfomptions qui peuvent réfultcr de toutes les connoiilanccs du délit. 14". Enfin lc Légiiiatcur exige des preuves moralement complettes , qui excluent la pofîibilité de l'innocence de l'Accufé ; ôc ce n'eft que fut ces preuves décilives que le Juge peut prononcer la Sentence du coupable. Au défaut de preuves parfaites, lc ferment purgatoire de l'Accufé détruit l'aceufation, ÔC le Juge doit le déclarer innocent. Les preuves judiciaires, dit M. Brijjot de Warville, avec cette fàgacité ôc cette humanité qui le caraftérifent dans tous fes Ouvrages, les preuves judiciaires doivent avoir le caraclèrc de l'évidence ôc de la certitude, ôc cependant elles forment un des plus grands abus du Code pénal. Picrrc-lc-Grand n'a rien néglige pour épargner aux Juges les erreurs ôc les abus dont parle lc Juiilconfulrc que nous venons de citer. Lc Code du Légiiiatcur Rulfe diffère entièrement de ces Codes criminels ÔC trls-criminels, où les indices font érigés en preuves, & ces preuves en vérités; ou l'on calcule la vie de l'homme par moitié, par quart de preuve; où* lorfqu'il manque une fraction , on la cherche dans les tourmens de la torture ; où l'on compte pour pwewe > un aveu arraché par la force. Si la confcllion volontaire de l'Accufé paroît être l'effet du délire qui attente à la première Loi de la Nature, la confcftlon forcée eft unc violation atroce de cette Loi de confervation \ violation contre laquelle s'élève le cri de la raifon, de l'humanité ôc de la juftice même. Par HISTOIRE DE RUSSIE. 6^ Par quelle abfurdité , dit M. BriJJbt de WrarvilL> a-t-on pu croire trouver la vérité dans le fein des tourmens ? Si les preuves du délit font incomplctr.es, peut-on les compléter par un aveu que la violence arrache? Si elles font complettes, fi le coupable eft comme convaincu , pourquoi lc traîner a travers ce fupplicc intermédiaire, a Ton dernier fupplice î Mais s'il eft innocent, quels remords ne doit pas éprouver lc Juge dont Pamc n'eft pas entièrement endurcie > Quelle indemnité peut compenfet cette barbare mutilation? Si plufieurs des Loix de Pierrc-le-Grand relièrent imparfaites, c'eft que la Providence , dont les deifeins font impénétrables, l'enleva au milieu de la plus gloricufc carrière qu'un Monarque air jamais fournie, &: dans lc tems même que, livré tout entier au projet de fa nouvelle Légillation, ce Prince avoit lieu d'en cfperer lc fuccès le plus certain. La défenfe qu'il fit d'interroger les Accufés avec cet air redoutable qui décèle plus le Bourreau que lc Juge, prouve que ce Légiflateur auroit proferit l'ufagc de la queftion, qu'il n'avoit d'abord admis qu'avec la plus grande réferve, qu'avec des modifications qui inftigeoient la peine de mort aux Juges qui abuferoient de ce terrible moyen. Si Picrrc-lc-Grand eût vécu, fon Hiftoricn n'auroit pas un autre reproche a lui faire, celui d'avoir fuivi le préjugé abfurdc 5c injulle qui étend 1 infamie d'un coupable a toute fa famille, &: qui, pour le crime d'un fcul, punit tant d'innocens. Mais ce Monarque ne fut pas l'Inventeur d'une Loi barbare qui joint le fecau de l'opprobre a des aélcs de violence : cette maxime dcfpo-tique des derniers Empereurs Romains, fut tranfplantée dans le droit canonique, & delà dans toutes les Jurifprudcnces criminelles. Un Prince defpote ne devoit fc (aire aucun fcrupule d'adopter unc pareille maxime dans fa Légillation, puifque les Souveraine Monarchiques l'avoient confignéc dans la leur, 5c que prcfque Tome ///. K k k k HISTOIRE DE RUSSIE, tous, à l'exemple de l'Empereur Arcadms, croyoient faire grâce aux enfans d'un père coupable de Lèzc-Majcfté, de leur laiuer la vie, après les avoir réduits à la dernière, à la plus trifte, à la plus abjecte des fituations. Des Jurifconfultcs dcfpotcs &c cruels ont prétendu qu'il falloit des fupplices atroces dans les Etats où règne le dcfpotifmc ; ÔC ils cn ont donné pour raifon, que les ames des efelavcs, engoua dies dans le vice, ont befoin de violentes fecoufles pour fortir de cette apathie honteufe. Nous avons démontré le contraire, ôc prouvé jufqu'a l'évidence l'erreur de cette opinion homicide, dans lc premier Volume de YHijloire de la RuJJîe Moderne. Si les efelavcs font pareffeux, débauches, menteurs, fourbes, avides ôc avares; s'ils ne fortent de leur indifférence envers leurs maîtres, que pour devenir féditicux Ôc rebelles; a qui le Defpotc doit-il s'en prendre? A lui fcul. C'eft donc la caufe du mal qu'il doit attaquer, s'il a lc courage vertueux de vouloir en détruire les effets. Picrrc-lc-Grand, jufte par principe , ôc violent par caractère, monta fur le Trône dans les circonftances les plus critiques; Sophie vouloit régner, Ôc Sophie avoit de nombreux complices. La confervation du Trône ôc de la vie du Monarque adolcfccnt, exigeoit également que la juftice déployât toute la rigueur des Loix pour arrêter la fcélératcifc, ôc étonner par des fupplices, ceux même que les Régicides n'étonnoient pas. Mais li Ticrrc débuta comme Dracon, c'eft parce qu'on lui perfuada que les Loix pénales dévoient fe proportionner à la férocité ou a la douceur des mœurs d'une Nation. La preuve qu'il agit d'après ce principe , c'eft que le Légiiiatcur le propofa d'adoucir les Loix criminelles lorfque les mœurs des Rulfes (croient adoucies; la Légillation de ce Prince, quoiqu'imparfaitc a quelques égards, prouve que la dureté des Loix pénales devoit s'éteindre cn Rufnc avec la férocité des moeurs. L'Anaiyfc des Loix de Picrre-lc-Grand nous conduit à des réflexions importantes par leur objet ôc par leur utilité ; nous allons les foumettre au jugement de nos Lecteurs, en les priant de ne pas oublier que nos travaux ont l'humanité pour objet Ôc pour fin. La Société Economique de Berne ôc l'Académie de Châlons ont donné des Programmes qui fufHroient fculs pour faire l'éloge le plus complet de ces Sociétés Littéraires. L'intérêt lc plus important pour tout le genre humain , a dicté ces Problêmes : les grands objets qu'ils embraffent, font la confervation des formes faciales, la sûreté des Chefs, la propriété, la liberté, l'honneur, la vie de tous les Membres d'un Etat ; cn un mot, l'influence puîffante des Loix pénales fur lc bonheur ou lc malheur public, -félon qu'elles font fondées fur des principes conformes ou contraires a la raifon Ôc à l'humanité. S'il cft vrai, comme on n'en peut douter, que ce font les Loix civiles qui rendent prcfque toujours les hommes bons Ôc médians, par la manière dont elles dirigent les pafïions, Ôc dont elles diftri-buent les biens ôc les maux parmi les individus qui forment les réunions ôc les fociétés; il s'enfuit néceffaircment que le Peuple qui aura la meilleure forme de Jurifprudcnce civile, aura aufli les meilleures Loix pénales; celles-ci ne font, pour ainfi dire, que les corollaires de celles-là. On a dit que les Codes criminels femblent avoir été dictés pat des Légiflatcurs anthropophages ; que ces Codes qui renferment tous les rafiinemens de la barbarie, des fupplices dune atrocité révoltante, ne preferivent qu'une lutte inégale entre le Juge ôc 1 Acculé, ôc fourniffent des armes meurtrières à des Tribunaux qui ne rcfpircnt que lc fang; que ces Codes enfin choquent tout-à-la-fois, ôc le vœu de la Nature, ÔC le vœu du pacte facial* Ôc ne fervent qu'à féconder les défordres, en révoltant les efprits. C'efl cn remontant à la fourec des défordres moraux ôc poli- Kkkk îj tiques, qu'on peut ramener l'inftruction criminelle a l'unité, à la {Implicite que preferit la raifon, Ôc aux châtimens prompts ôc exemplaires que l'humanité demande à la juftice pour la sûreté de tous. Il faut donc, avant tout , s'attacher h connoître les Loix fondamentales de l'cfpècc humaine, afin de juger enfuite plus fainemenr de toutes les autres Loix, cn les comparant à ces règles primitives, cn les modifiant, ôc adaptant leurs principes d'abord aux Loix civiles, ôc enfuite aux Loix pénales. Lc grand Légiiiatcur, dit M. Briffot de WaM&j doit porter toute fon attention fur les Loix fondamentales ; Ôc lorfque , dans le moral, comme dans le monde phyfiquc, elles font bien ordonnées , les détails marchent d'eux-mêmes. Il n'y a que lc Code de la Raifon humaine qui renferme fefprir de la bonne Légillation; ôc c'eft cet efprit fcul qui indiquera le moyen de tracer unc ligne de démarcation entre les taures, les vices, les délits , les. différentes cfpèccs de crimes, ôc d'établir unc échelle de proportion entr'eux ôc les peines. Ce petit Code, qui doit fervir de bâfc à tous les autres, cft fcxpofttion fuccinte de ce que la raifon dicte à tous les hommes pour éclairer leur conduite, ôc aifurcr leur bonheur. 11 a été compofé cn 1774» pour fervir d'inftruction aux Elevés du Corps Impérial des Cadets : c'eft l'ouvrage d'un Irançois ôc d'un bon Citoyen, ^ ^------^gg^j^ _n, PETIT CODE DE LA RAISON HUMAINE. ï. Naijfance de l'Homme. Développement de fes organes. Premières lueurs de fa raifon. L'Embryon humain déchire les enveloppes dans lefqucllcs il végétoit. L'homme paioîr, fes organes fc déployent, il en fait Jelfai, il rcfpirc, il fent ; il a des befoins, la peine l'en avertit, fes cris l'annoncent ; il cherche, il trouve ce qui lui cil néceflaire; il fc calme, il goûte du plaifir : chaque jour lui ramène un pareil cercle de fonctions, unc pareille circulation de biens & de maux. Toutes fes facultés fc développent fucccllivcmcnt : il penfe , il fc confidère, il obfcrve ce qui l'cnvirone, il remarque des êtres divers, il cn rencontre de fcmblablcs à lui, il acquiert des idées, il compare, il difeerne , il réfléchit, il raifonne enfin; mais il ne lui rcflc aucun fouvenir de fa propre origine. IL Uftige de ta raifon. Que fhomme fafle ufage de fa raifon ; dès qu'elle aura acquis une jufte maturité, il fe dira : jexifte, mais il y a d'autres êtres que k- mien. Que fuis-je» Où fuis-je? Depuis quand, jufqu'a quand, comment, &z par qui exifte-jc? Ai-je des droits fur ce qui cft hors de moi? Suis-jc libre? De qui dépend , ou à quoi cft attaché mon bonheur ou mon malheur ? 6p HISTOIRE DE R U S S I E. III. Notion d'un Dieu Créateur* Il méditera profondément, ôc il fe dira : je n'ai pas fait tout ce que je vois autour de moi; à peine connois-jc ce dont je jouis. Eh! me connois-jc beaucoup mieux moi-même? Je ne puis me rendre raifon ni de mon organifation corporelle, ni de mes facultés intellectuelles; je ne puis encore moins concevoir le lien qui les affemble. Je ne me fuis donc pas fait moi-même; je tiens fans doute mon ex i lien ce d'un Être fort fupeiieur. IV. Dieu Confervdtcur. Cet Être fuprême, que j'appelle Dieu, a pourvu à ma confervation, cn me rendant mon cxiilcnce agréable, ôc cn me donnant des facultés &: me fournilfmt des moyens propres à l'entretenir ; en quoi fa figeffe Ôc fa bonté n'éclatent pas moins que la puiffancc. V. Devoirs de VHomme envers Dieu. Je dois tout à Dieu : mes devoirs envers lui n'ont d'autres bornes que celles qu'il lui a plu de mettre a ma nature , aux forces de mon corps, cV aux puilfanccs de mon amc. Mais comment macquitter d'une telle dette , Ôc que puis je faire pour celui qui n'a befoin de rien ? Je m'humilierai devant lui, je ferai mon étude de fes loix , 6V me conformerai à l'ordre qu'il a établi. Voila la baie de tous mes devoirs, Ôc un (ennuient d amour ôc de gratitude me porte à m'en acquitter avec zèle. VI. Devoirs de l'Homme par rapport à lui-même. Je dois, par rcfpctl pour la volonté de celui qui m'a donné lètrc , 1°. ne point détruire mon cxiilcnce; ne point attenter à ma propre vie , qui cil ion ouvrage. Je dois conféquemment, HISTOIRE DE RUSSIE. 6yi i°. faire ufage des facultés quil m'a données, & des moyens qu'il m'a fournis , pour conferver tout ce que je tiens de lui. VIL Droits de l'Homme* tous émanés de Dieu. Si j'ai quelques droits, je les tiens de Dieu ; je n'en ai aucun pat rapport a lui ; il ne me devoit rien , & il m'a fait ce que je fuis. VIII. Droits de l'Homme par rapport à lui-même. J'ai pat la gtacc de Dieu, i°. un droit direct à ma propre confervation. J'ai conféqncmment , i*. un droit coudant a l'exercice des facultés dont il m'a doué , & à l'ufage des moyens qu'il m'a fournis pour y pourvoir. IX. Bonheur naturel de l'Homme. La première bafe de mon bonheur naturel coniiltc dans lc fentiment de mon cxiilcnce , de l'accomplillcment de mes devoirs & de l'ufagc de mes droits. Lc fecau adorable de l'inltitution divine a attaché notre bonheur à l'exercice de nos droits Ôc de nos devoirs. X, Liberté de l'Homme. Quoique Tordre établi dans la nature tende conftamment au bien de l'homme, Dieu lui a accordé la liberté de le fuivre ou de ne lc pas fuivre. Mais chercher notre bonheur ailleurs , ce feroit méconnoîtrcles deifeins de Dieu fur nous, &: mal répondre à fes bontés. XI. Infraction de la première Loi de la Nature. Ne pas faire ufage des moyens qui mont été donnés pour ma Y **4 H i S T O I RE DE RUSSIE, propre confervation , ce feroit tout-a-la-fois manquer a mon devoir ôc négliger mon droit, joindre la folie au forfait, Ôc me rendre indigne de vivre. XII, Peine attachée à ce délit. Unc telle négligence étant un délit capital, la fouffrançc me lc feroit bientôt reffentir; ôc fi elle ne fuflïfoit pas pour me corriger, je l'expicrois par une mort prématurée. XIII. L'Homme vis-à-vis de fes femblfihles. L'homme, mis a portée des autres hommes , contracte de nou* veaux devoirs, ôc acquiert de nouveaux droits. Par rapport a Dieu, le droit cil tout de fon côté, ôc le devoir tout du nôtre. Par rapport à nous-mêmes, lc devoir ôc lc droit fc confondent, ôc ne font qu'une feule Ôc même chofe. Par rapport aux autres hommes t tous les devoirs font corrélatifs , ôc compenfés l'un par l'autre, XIV. Devoirs de chaque Homme far rapport à tous les autres» Je dois, i°. laifler jouir chacun de ce qu'il tient comme mol de Dieu , «Se ufer des facultés ôc des moyens qui lui ont été donnés pour fa confervation. Je dois, i*. aider, autant que je le puis, aux autres hommes a conferver ce qu'ils tiennent de la bonté de Dieu , lorsqu'ils rtf peuvent pas y fuilire par eux-memes. Être bon , comme Dieu cil bon , c'eft lc fcul moyen de ^ plaire, ôc le vrai moyen d'être heureux. XV. Droits de chaque Homme par rapport à tous les autres. J'ai, i°. un droit direct &: abfolu de défendre ma propriété, ôc de rcpoulfcr toute atteinte qui pourroit être portée à ma jouif-fanec de ce que je tiens de Dieu. J'ai , i°. un droit indirect ôc conditionnel a l'afliftancc des autres hommes, pour nf aider, autant qu'ils le peuvent, a con-ferver ce que je tiens de Dieu , lorfque je ne puis y fufrirc par moi même. XVI. Crime. Si , abufant des moyens mêmes que Dieu m'a donnés pour aider les autres hommes dans l'occalîOn , je ne m'en fers que pour les troubler dans la jouiÛaUce de leurs biens, ou pour m'en approprier quelque portion , a leur préjudice , je manque au devoir qu'il ma impofé , j'intervertis l'ordre qu'il a établi, je me rends coupable envers lui ôc envers ceux à qui je fais tort ; enfin je mérite punition de la part de Dieu &,dc la part des hommes. XVII. Punitions humaines extérieures. Les punitions humaines ne (ont pas toujours proportionnées au délit, mais elles le fuivent ordinairement de pies. Lc coupable encourt immédiatement I averiion des aunes hommes , qui le regardent dès-lors comme déchu de ton* droit à leur aiTïilancc ; non contens même de revendiquer ce qu'il a ulurpé fur leur liberté ou fur leurs propriétés, ils fc croient fondés à pouffer plus loin leur relfentiment, & louvcnt ils le portent a 1 excès; les loix pénales les y autorifent; 1 Àccufatcur cil accueilli, fou-tenu par les Tribunaux , ôc l'Accule ell prcfque toujours la victime , où s'il ifcll pas immolé , il cil au moins dépouillé. Tome III. Lin XVIII. Remords de la confeience. Si quelquefois le coupable échappe a la vengeance des autres hommes, il trouve dans fa propre confciencc un Juge éclairé ÔC incorruptible; rien ne peut éteindre le flambeau quelle lui pré-fente, ni appaifer les remords qu'elle lui fuggère. XIX. Punition divine. La punition divine n'eil pas toujours prompte , ni vifible; mais elle n'en ell pas moins certaine ni moins complctte. L'homme peners fe flattcroit vainement d'être quitte de tout cn mourant : le tiflu de Cm corps fera détruit par la moit, mais la fubflancc fpir.tuclle qui l'anime reliera fous la main de Dieu, pour recevoir la rétribution due a les forfaits. XX. Vertu. Au contraire , cn faifant du bien a tous , autant que leur fituation lc requiert , ôC que la mienne lc comporte , quoique cette obligation ne foit pas la première dans l'ordre de nos devoirs, plus je fterific volontairement de mes propres avantages aux beloms Je mon prochain , plus ces privations font méritoires, plus elles me rendent agréable h Dieu ôc aux hommes, plus enfin je fuisaflùré d'une rccompcnlc proportionnée. XXI. Récompenfes humaines extérieures. La confuiération publique, la rcconnoiffancc Ôc les ferviecs réciproques des autres hommes, font le premier prix des fcrvtfC* qu'on leur a rendus. Cependant il ne faut pas trop compter qnc les hommes foient toujours allez judicieux pour rendre exactement a la vertu tout ce qui lui cil dù. XXII, Satisfaction intérieure. Si je n'éprouve que de l'ingratitude de la part des hommes, s'il arrive même que des mèchans me déchirent ôc m'oppriment^ j'en appellerai a ma propre confciencc, dont le fcul fuffrage peut me faire jouir intérieurement de la fatisfa&ion la plus delicieufe, que nulle puitfance humaine ne fauroit me ravir. XXIII, Réeompenfe divine. Enfin, quelque perféention que je puiffe éprouver de la part des hommes , le dédommagement lc plus complet m'cft afluré de la part d'un Dieu jufte , puiflant ôc bon , qui me tiendra un compte exacî de tout ce que j'aurai fait , & de ce que j'aurai fouftert II nous a donné ce que nous n'avions point mérité; il nous recompenfera au-delà de nos mérites. XXIV, Rapport des deux Sexes : principal fondement de la Société humaine. L'homme feut bientôt qu'il lui manquerait quelque chofe s'il reftoit fcul. Rencontre cil la femme qui lui convient, unc douce ôc vive émotion l'agite puilfamment ôc lc porte vers elle; le même attrait la porte réciproquement vers lui ; ils fe joignent Ôc ne veulent plus fe quitter, ils unifient leurs travaux , ils confondent leurs joui (Tances, l'un n'a rien qui ne foit à l'autre , ils femblcnt ne taire qu'un ; Ôc plus ils s'aimeront, plus ils feront heureux. XXV. Mariage : feeau naturel de la Société. Les defteins de Dieu fur l'homme <5c la femme s'étendent plus loin. Pont entretenir l'cfpccc humaine par la fucccilion des individus, il a fuggéré a tous les humains le defir de fe reproduire; Llllij pour y faire concourir les deux fexes, il a rendu leur union necef-fàirej & y a arrache du plaifir; il ordonne le mariage, & il bénit les époux. XXVI. Fruit du Mariage : affermiffemèm de la Société natu telle. le fruit du mariage efl la génération d'un enfant, dans lequel les père Qr mère fe voient cn quelque forte renaître avec un plaifir ineffable. Le lien de leur union facréc cil affermi par un nœud il cher, & ils défirent d'y cn ajouter fuece Hivernent de nouveaux. XX VIL Soin des En/ans : pieniier avantage de la Société naturelle. Aufant vandroit pour l'enfant de ne pas naître, que d'etre abandonne a lui même cn naiffaût. Mais le lait au Icin de la femme ifcfl pas plus naturel que l'affcètion maternelle, qui , l'épanchant douccmci.t fur les lèvres du nouveau-né , l'en abreuve à longs traits. Ainli la mère fe leur allégée immédiatement du poids de les mammellcs, prévient des engorgemens fâcheux, remplit fes devoirs avec joie, Se s'affûte de nouveaux droits fur le coeur de fon enfant. X XVI11. Éducation des Enfans. m 0^ 'M A mefurc que l'enfant prend de l'accroillcmcnt , il fc montre p't.s icmblablc a les parens, leur laiisfacliou redouble, èC leurs foîfts l'animent de plus en plus. Ils veilleur a fa confervation, fi.ppkenr a fa foiblclfe , aident au développement de les facultés, tant corporelles que fpivitucUes , en diligent le premier ufage» montrent a leur élève le but où il doit tendre, lui applaniflènt les voies dans Icfquellci il doit marcher, lui lùggèrcm les motift Se lui procurent les moyens de s'y foutenir. HISTOIRE DE RUSSIE. 637 XXIX. Émancipation des jeunes Gens. Lorfqu'ufl jeune homme efl en âge ôc en force de pourvoir par lui-même a fes divers hefoins, qu'on l'a inftruit au travail pour lequel il cft né, Ôc qu'on lui cn a infpiré le goût, fes parens l'émancipcnt. Le travail cft la fource la plus pure de toutes les richeftes, ôc la baie la plus folide de toutes les vertus ; il fortifie le corps , maintient la fanté , prolonge la vie , Ôc fait paroître lc tems cor.rt, parce qu'il cft dans l'ordre de la nature. Loitivcté, au contraire, porte des marques vilibles de la réprobation divine ; elle entendre la mollcffc ôc l'ennui , les maladies ôc la misère ; elle induit lc riche a tous les vices, ôc le pauvre .a tous les crimes. XXX. Soin des Vieillards : fecond avantage de la Société naturelle. v Les facultés des pères ôc mères le dégradent, leurs forces s'épui-fenr inlenliblement ; il arrive un rems ou ils ont befoin que leurs rejettons deviennent leur appui , ôc où ils recevront par leurs mains la jufte rétribution des avances qu'ils leur ont faites. Les enfans attachés par inftïnct & dévoués par railon a ceux dc qui émane leur être , s'cmprclfcront de remplir un devoir fi Touchant. Heureux celui qui pourra le mieux s en acquitter! il theforifera au fond île (a propre confciencc , où font les plus chers treiors, ôc où le dépc>t cn cft le plus allure. XXXI. Profpérité de la Famille. Nul homme au monde ne peut fe fuflirc h lui-même dans tous les âges. L'enfant cft ailifté par fon pere , lc vieillard cft afttftc par fon fils, l'adulte rend a l'un ôc prête a l'autre, bur ce double icu tourpuilfant, que dans toutes les aifaircs qui vont être traitées dans ce Tribunal, nous nous conduirons avec impartialité ôc candeur, n'agiftant ni par amitié ou faveur, ni par aucuns motifs d'intérêt particulier, ni par haine , ni par crainte, mais uniquement d'après l'aceufation ôc les réponfes, conformément aux Loix, aux Ordonnances du Code militaire de S. M. notre très-gracieux Souverain; de forte que nous croyons pouvoir un jour être jullifié de notre Jugement devant le Tribunal de notre Seigneur J. C*; ainfi lc même Juge équitable nous foit cn aide. iS°. Si les JugCs de cette Commiftion avoicnt déjà prêté lc ferment requis dans les léances antérieures a ccllçs-ci, il fuftira que l'Auditeur cn life la formule pour leur cn rappcller le fou-venir. Ces formalités étant remplies , lc Préfidcnt exhortera l'Accufateur ÔC l'Accule a expofer avec décence &: précifion les griefs èv les réponfes, Se l'on panera aux procédures. # . CHAPITRE II. Des Procédures judiciaires. t°. Les procédures font des actes qui expofent les affaires, Ôc qui doivent prouver les faits de manière a faciliter èV: accélérer la découverte de la vérité è\: la déciiion des Juges, félon les Loix cV: les cas. iu. 11 y a deux cfpèccs de procédures : celle qui fe fait par un Accufatcur, & celle qui (e fait par 1 jiquêtcs, fous l'autorité ou par les ordres du Juge d'Office ; mais en général, la Juftice militaire a plus d'égard aux faits qu'aux procédures. 3". Les procédures fe divilcnt cn trois tems; favoir, depuis l'aceufation jufqu'a la comparution de l'Acculé; depuis fes réponfes jufqu'a la Sentence définitive j ôc depuis celle-ci jufqu'.i fon exécution. PREMIÈRE PARTIE DES PROCÈS. CHAPITRE PREMIER, De la Sommation, ou Citation devant U* Tribunaux, T. Comme on ne doit condamner ni juger perfonne fins f entendre,' l'Accufateur Se L'Accufé doivent, avant tout, être fommés de comparoitre cnfcmble h tel jour, a telle heure, devant un Tribunal compétent. zy. C'eft le Juge qui ordonne la fommation qui notifie l'Accufateur a 1 Accule, qui donne a celui-ci la connoiflanec des griefs, Se qui fixe le lieu Se le tems de la compatution, afin que l'un Se l'autre puiifcnt répondre devant \ h.bunal, de vue voix ou par écrit. C H A P I T II E I I. Du Sauf-conduit. ic. Lc faufeonduit cft un refait du Souverain ou du Magifi trat fupéricur, en vertu duquel unc perfonne acculée d'un délit ou d'un crime, a la liberté de venir défendre la caufe, fans qilG l'on puifte ni le l.uiir d'elle, ni reculer lès moyens dg juftift-cation. i'\ Lc referit lui marque «Se lui fixe un terme pour comparoitre devant les Juges, èv prouver fon innocence, rendant le cours du deUi accorde, la pcrlonnc peut aller Se venir librement, & comparoitre en pleine fureté devant le Tribunal. Aucun Gouverneur, ni aucun Tribunal ne peuvent accorder un lauf-conduità un malfaiteur fugitif, avant d'en avoir reçu la pcrmiilion cxprcflc du Souverain. Cette défenfe ne fouffre d'autre exception que la fuivante. 4e. Lorfqu'unc perfonne aceufée d'un délit grave, cft dans un lieu d'où elle pourroit fortir pour s'évader, alors le Feld-Maréchal, ou un autre Générai cn Chef, peut lui accorder un fauf-conduit fans la pcrmiilion du Souverain , a l'effet d'aller défendre fa caufe pardevant lc Tribunal dé quel elle reflbrtit. Le but de cette exception, cft d'empêcher que l'Acculé, s'il cft réellement coupable du crime qu'on lui impute, ne pafte chez l'ennemi, ce qui cft poftiblc, Ôc ce qui a eu fouvent des fuites fun elles. J*. On doit toujours faire mention dans lc referit des raifons pour lcfqucllcs il a été expédié ; la fureté promife doit être fi rcli-gieufement obfcrvéc, que celui qui entreprendra quelque chofe contre la liberté de la perfonne qui en fera pourvue, doit être condamné h mort. 6°. On ne peut dans aucun cas arrêter un Acculé muni d'un fauf-conduit, quand même il feroit acculé d Un aune crime que de celui pour lequel il a obtenu le referit. Mais l'Accufé ne doit point être muni d'armes, ni fuivre des chemins détournés: Ici Officiers qui pourroient fe trouver dans ce cas, font les fculs à qui il foi* permis de porter une epee , Ôc même des piftolcts, pourvu toutefois qu'ils ne foient pas charges. C H A P I T R E II1. De l'Accufateur. r. L'Accufateur cft celui qui porte des plaintes Ôc demande juftice contre un autre. Il doit, i". citer l'on Adverlaire devant le Tribunal compétent, fans quoi fa plainte cft nulle ; iy. il doit déclarer les griefs CD préfence des Juge* ôc de l'Accule , cn termes clairs, précis 6c fans détours, pour obtenir unc jufte &: une prompte fatisfaction. CHAPITRE IV. De l'Accufé. i°. L'Accufé cft cdlui qui cft cité par un autre devant un Tribunal compétent. i". Les Tribunaux civils 6c militaires permettent également à l'Accufateur 6c a l'Accufé d'établir les plaintes, les griefs, les réponfes, la réplique & la duplique, 6c fur-tout dans les affaires très-compliquées : mais après la réplique de l'Accufateur 6c la duplique de l'Accufé, il n'eft plus permis de faire de plaidoyers par écrit. Tous les écrits de part 6c d'autre ne doivent contenir aucune fuperfluité, mais feulement les raifons èv les preuves qui doivent être fournies dans lc court délai que lc Tribunal aura, preferit. CHAPITRE V. Des Avocats ou Mandataires. i°. Tendant Pinllruelion d'un procès, il peut arriver'quc l'Ac* eufatcur on l Acculé tombe malade, ou qu'il iurvienne a l'un des deux des obftaclcs qui l'empêchent de comparoitre devant le Tribunal au tems pulciit. Dans ces circonftances, il fera permis aux Parties de fc pourvoir d'Avocats, 6c de les faire comparoitre en leur place. Mais cette pcrmiilion regarde bien plus les affaires civiles que les militaires ; il ne convient guère dam celles-ci d'employer des Avocats, attendu que les affaira y doivent être traitées avec toute la préciiion potlîble , t\- que les Avo.aîs , par leurs verbiages fuperftus, 6c par les fubterfuges de la chicane, ne font foLivcnt qu embarrafter les Juges èV: traîner les affaires eu longueur, HISTOIRE DE RUSSIE, tëf gueur. En conféquence, il cil défendu aux Parties, dans les procès criminels qui font du reifort de la Juftice militaire, de fe faire repreienter par des Avocats ; elles doivent comparoitre en perfonne, répondre de vive voix, & non par écrit. CHAPITRE VI. Des Réponfes é> des Fins de non-recevoir. La procédure cft entamée quand PAccufatcur a porté fa plainte, 6c que l'Accufé y a répondu. l°. La réponfe fe fait de trois manières \ favoir, quand l'Accufé convient des faits qu'on lui impute \ quand il les nie abfolumcnt, quand, en les avouant, il allègue des raifons & des circonftances qui ne s'accordent pas avec les plaintes de PAccufatcur. 3°. Lorfque l'Accufé convient des faits, on décidera la con-teftation fans délais : mais s'il allègue d'autres raifons 6c d'autres circonftances, alors les faits doivent être mûrement examines, dilcutés, Se jugés conformément a ce qui cft preferit dans le Chapitre des preuves, 4°. Lorfque l'Accufé aura répondu a fon Accufateur, la plainte 6c la réponfe feront regardées comme des chofes fixes 6c positives : on n'y pourra plus rien ajouter i 6c quand même l'une ou l'autre des Parties voudrait le faire, le Juge doit s'y refufer, à moins qu'il n'aime mieux rendre fon Jugement nul. C'eft en conféquence de laccufation, des preuves 6c des réponfes, qu'il doit donner la dccifion. Tome III P p p p SECONDE PARTIE DES PROCÈS. CHAPITRE PREMIER. Des Preuves. i°. La. féconde partie des procédures judiciaires confilfc dans ks preuves de ce qui a été avancé par PAccufatcur, &: répondu par l'Accufé. * 2?. Si le premier ne peut prouver ce qu'il a avancé, lc fécond doit être renvoyé abfous par le Tribunal * mais <ï les plaintes non prouvées font de grande conféquence, PAcculatcur fera puni félon la rigueur des Loix. 3". De fon côté l'Acculé doit fournir des preuves fuflifantes de l'on innocence. 4°. Si l'Accufateur, ne pouvant pas démontrer par des preuves fullifantcs la légitimité de les plaintes, oflroir de les confirmer par ferment , il n'y fera point admis ; car dans ce cas les répliques de l'Acculé ont plus de force que les plaintes de l'Accufateur. Dans le cas ou les deux Parties olfriroient également de confirmer eV la plainte & la défenfe, par ferment, les Juges ne recevront que celui de l'Accufé, comme étant plus digue de foi dans la cii cou'tan ce. T si PAccufatcur ne pouvoit pas fournir les preuves complettes qu'on adroit d exiger de lui, mais qu'il fournît un témoin OU dis indices probables; alors Paccui.itton doit remporter C\it la négation de P Accule , expreifément tenu de fc jullilier p** des contre-preuves : s il ne veut pas, ou ne peut pas ks fournir, ou cn Mendia aux interrogatoires rigoureux. HISTOIRE DE RUSSIE. é6y 6*. Les preuves juridiques fc font de quatre manières : Ie. par l'aveu volontaire j i°. par témoins j 30. par documens j 40. par ferment. CHAPITRE II, De l'Aveu. i°. La preuve la plus complertc de toutes étant l'aveu de l'Accufé, on n'en cherchera point d'autres. zv. Cet aveu doit être conforme aux conditions fuivantes: iQ. Il doit erre volontaire, &c non pas extorqué par la force ou par la crainte. i°. 11 faut que le fait avoué foit véritable dans tous les points cV d'accord avec les circonftances. 30. L'aveu doit être fait dans le Tribunal même ôc devant les Juges, parce qu'un aveu fait hors du Tribunal , n'eft d aucune valeur. 4y. 11 faut que l'aveu rende non-feulement lc Tait probable; mais encore qu il ne laillé aucun lieu eje douter de la vérité du fait. 5°. Si l'aveu réunit les conditions ci-deilus, les Juges ne doivent pas hcfiter de prononcer la Sentence. CHAPITRE 1 IL Des Témoins. i». La féconde efpèce de preuve fc fait par des témoins ; ôc les témoins des deux (exes font adiniilibles, lorfqu'ils font reconnus pour gens de probité , qu'ils jouiifcnt d'une bonne réputation, &c qu ils font dignes d'être crus. Ce point cil capital} l'honneur ôc la vie eu dépendent i"- Les témoins qui doivent être recules cn Juftice, font les Tppp ij 66% HISTOIRE DE RUSSIE, fuivans. i*. Les parjures reconnus pour rcls par les faux fermens qu'ils auront faits autrefois dans un Tribunal quelconque. La déposition d'un témoin étant, pour ainfi dire, unc cliofe facréc, on ne peut, on ne doit y admettre, dans aucun cas, que des perfonnes irréprochables, ôc non pas celles qui ont perdu la honte, l'honneur, la réputation. 3°. Les excommuniés, qui font exclus de la Société chrétienne, ôc qui doivent être regardés comme des gens fans principes, fans foi ôc fans Loix. 4°. Ceux qui n'ont pas encore fait leur première communion ne peuvent être admis cn qualité de témoin , de même que ceux qui n'ont pas encore atteint leur quinzième année. f°, Perfonne ne doit être regarde comme témoin valable, avant d'avoir prête ferment de dire la vérité. 6l\ Ceux qui ruinent les héritages des autres qui tranfportent furtivement les bornes des limites entre les particuliers, les r>ro£ crits, les bannis, les mutiles Ôc les flétris 1 ceux qui ont été déclares cn Juilicc infâmes èv malhonnêtes ; les voleurs , les brigands, les meurtriers; les adultères publics qui, ayant viole-les prouuifcs ôc les fermens faits a Pieu, au pied des Autels, deviendront plus aifenvut parjures dans une affaire étrangères ceux qui font ennemis tics Parties, ou qui l'ayant etc. pensent encore conferver le levain de la rancune èv de la haine i ceux enfin qui font les parens, les amis, les lalarics, les ferviteurs de l'une ou de l'auttc des Parties, font récufables. Obfcrwuion. S il n'y a point d'autres témoins, d'un fait ou d'un délit grave , que les pcrfbnr.es entretenues ôc nourries dans la maifon de PAccularcur ou de l'Accufé , dans ce cas , lc Juge peut admettre leur témoignage, pourvu que ces perfonnes (oient exemtes des reproches ci-detTiis. Les témoins éloignés du heu où Je Tribunal cil établi, doivent être payés des frais de leur voyage, Se indemnifés de l'abandon de leurs propres affaires, pour obéir à la Juftice. 7°. Les érrangers dont la conduite & les mœurs ne font pas encore bien connues, & ceux qui n'ont pas vu ou entendu , Se qui ne dépoferoient que par oui-dire, font récufablcs. La sûreté de 1 homme aceufé exige Tune Se f autre cxclufton. 8°. Les témoins ayant été produits devant l'Accufateur Se l'Accufé , ceux-ci doivent fur-lc-champ les accepter ou les réeufer : s'ils gardent lc filcncc, ils ne feront plus admis k les reprocher dans la fuite, à moins qu'ils n'affirment par ferment, qu'ils n'ont fu qu'après-coup les raifons qui les rendent incapables de rendre témoignage. . qq. Si l'Accufateur Se l'Accufé ont des reproches a faire contre un témoin, Se que celui-ci nie les faits, alors ils feront obligés de les prouver ; pour cela on leur accordera lc tems néceflaire : cn attendant ces éclairciftcmcns, le Juge interrogera pfovtâon-nellcment k témoin devant le Tribunal, pour que l'affaire ne traîne pas cn longueur, & pour y avoir égard, dans le cas où la preuve requife feroit infuftiiantc. io'\ Quiconque fera requis dedépolcr cn Juftice, doit le faire, ou y être contraint par le Juge ; perfonne ne pouvant fe fouftrairc à un devoir public. 11°. Perfonne ne peut être témoin dans fa propre caufe. u°. Avant la dépofition , on aura foin de faire prêtet ferment aux témoins de dire la vérité, dans la crainte que la honte de fc dédite dans la fuite, ne les engage a confirmer une fin fie dépofition par un faux ferment. Ainfi la qualité du témoin ne peut, dans aucun cas, le difpenfcrdu ferment, a moins que PAccufatcur ée l'Acculé n'y confentent d'après fa probité reconnue. 13*'. Après que les témoins auront prêté'ferment cn préfence du Juge, de PAccufatcur &: de 1 Aceufé, ces derniers doivent fc retirer, pour que lc Juge puilfe interroger chaque témoin à part, Se découvrir comment, en quel tems Se cn quel lieu il a vu, entendu ou appris les faits dont il va rendre témoignage, Se fi perfonne ne fa engagé par promelfcs, par récompenfes, par menaces à dépofer contre l'Accufé. 14°. Ell général, les témoins ne doivent être interrogés que dans lc Tribunal Se devant le Juge ; mais il peut arriver que des perfonnes de marque ou des malades ne puilfenr comparoitre devant-lé Tribunal au jour marqué : dans ce cas, il cil permis au Juge d'envoyer un Afieftcur, accompagné d'un Secrétaire, qui fera prêter lc ferment aux perfonnes ci-deifus dciiguécs , avant de recevoir leurs dépositions. 1 j". Quoique le Juge ne doive interroger lc« témoins qu'après les répliques ou les réponfes de l'Accufé aux plaintes de PAccufatcur, s'il arrivoit cependant qu'un témoin tut fur le point de partir pour un voyage indilpcnlablc Se de long cours, ou qu'un témoin lut attaque d'une maladie aflez grave pour dclcfpercr de fa guerifon; dans l'un Se l'autre cas, il cft permis de les interroger a la requifition de l'une des Parties, avant même les réponfes de 1 Aceufé , Se avant la fommation judiciaire. Cette dépofition cil appclléc par les Jurifconfultcs, tcflimomum in perpe* tuam rei memoriam, ou témoignage en mémoire perpétuelle. Dans le cas ou l'une des Parties demanderoit encore quelque délai , pour fe procurer èc produire tin plus grand nombre de témoins, lc Juge examinera s'il cft utile a la découverte de la vente d'accorder cette prolongation; èv s'il trouve A propos de l'accorder, il aura loin d'en fixer le tenue, au-dcU duquel la pieleutation des témoins ne iera plus admit c. 170, Lc Juge peut donc, fur de bonnes èv folides railbn<> accorder a l'Accufateur ou a l'Accufé un délai prélix pour pto-duuc de nouveaux témoins Se fournir de nouvelles preuves. 18*. Si l'Accufé demande de produire des contre témoins* on ne peut les refufer. Dans le cas où le nombre des témoins fournis par l'Accufateur ÔC PAccufé feroit égal , de la même autorité ôc de la même foi , on préférera les témoignages de ceux qui pourront prouver la vérité par les raifons les plus claires 6c les plus démon(Iratives. Un témoin mafeulin eft préférable au féminin, unc perfonne de condition a une du commun, un Eccléfiaftiquc à un féculicr, un homme de lettres a un non lettré. zcn. Si l'Accufateur 6c l'Accufé vouloient produire leurs preuves cn méme-tems, lc Juge acceptera d abord celles de PAccufatcur, 6c enfuite celtes de l'Accufé. ilu. Il cil des circonftances où le Juge doit faire comparoitre cnfcmble les témoins des deux Parties, pour les confronter, 6c les convaincre, s'il fe peur, 1 un par 1 autre. zi°. Si les témoins font éloignés de manière a ne pouvoir comparoitre fans de grandes difficultés ôc de longs délais, le Juge pourra leur envoyer les articles fur lefqucls ils doivent être interrogés , ôc leurs dépolîtions feront 1 -gales, pourvu que l'Accufateur ou l'Accufé, OU leurs Mandataires foient préfens a la prestation du ferment des témoins éloignés, avant qu'ils puiifent dépofer dans le procès. 139. Lc témoin convaincu d'avoir porté un faux témoignage dans une affaire quelconque, pendant ou après la dilcullion ôc le * Jugement, fera condamné à perdre les doigts avec lefqucls il aura prêté ferment, ou a faire amende honorable dans l'Eglife , ou au banniftement, ou aux galères, fuivant les circonftances. Le lubor-ncur qui aura engagé le témoin a rendre un faux témoigna , mu être condamne, ou a un châtiment corporel, ou a faire amende honorable dans l'Eglife, ou a une groffe amende pécuniaire. Le iaulfaue èc le luboincur leroni cxelu.1 de toute charge publique, Ôc ne feront jamais admis à rendre témoignage dans les Tribv> naux CHAPITRE IV. Des Documens* i°. Les documens forment la troitîèmc forte de preuves. Oit ne doit les réputer valables qu'après que celui qui les produit, les aura déclarés vrais ôc authentiques devant lc Tribunal \ déclaration quil doit confirmer par ferment. Dans le civil, les documens fervent a prouver ce que l'un doit a l'autre , ou ce que l'un a droit de prétendre fur l'autre. i°. Les documens font ou des attcflations tirées des rcgiflrcs ou des Tribunaux, ou des actes tels que les tcllamcns, les contrats, les obligations par écrit, les lettres des Marchands, leurs livres, ôcc. 39. Les livres ou états des Marchands doivent contenir la nature des objets, leur qualité , leur quantité, ôc le prix convenu. Lorfque les objets font ainfi indiqués, èv que celui contre lequel ils prouvent les reconnoît pour vrais, lc Juge n'a point de raifons pour retarder le Jugement. 4°. Si les titres produits au procès fc rapportent a d'autres écrits qui les contredifent èc qui paroi lient les annullcr , ils ne feront point admis comme valables avant que lc Juge ne fc foit convaincu de leur légitimité par l'examen des circonftances ac-cclfoircs. 5°. Les livres des Marchands ne peuvent iervir que de fémi-preuves, il tant de plus que le Marchand confirme par ferment que ce qui cft contenu dans ces livres cft cxaét cn tout point. Mais avant de recevoir (on ferment, le Juge doit être lui que le Marchand cft un homme de probité, ÔC que les nucurs (ont Irréprochables. 11 faut de plus que les livres tenus avec ordre, lalfcut fa lient mention des dettes actives ÔC paffivcs; qu'au bas de chaque article de fourniture, la fortune ôc la date foient fpécifiées. 6J. Lorfque le Débiteur a figné dans le livre du Marchand l'article des fournitures que celui-ci répète , la fignature du Débiteur cil une preuve complettc qui équivaut à unc obligation. CHAPITRE V« Du Serment. i°. La quatrième forte de preuve fc fût par lc ferment, qui a lieu dans les circonllances fui van tes. i#t Celui qui chargera un autre d'un délit qu'il ne pourra prouver que par des probabilités, ou qui répandra dans le Public des bruits désavantageux a la réputation de quelqu'un, par jaloufie, par haine , par vengeance , fera oblige de prouver lc délit &: les faits qu'il impute, (ans quoi il fera puni comme calomniateur, fuivant la rigueur des Loix èc la nature des griefs; & il fuffîra pour l'entière jullifïcation de l'Accufé, qu'il prête le ferment purgatoire. 3W. L'Accufateur qui voudroit, au défaut de preuves, confirmer Ion aceufation par le ferment, n'y fera point admis; la Loi ne permet ce moyen de jullifïcation qu'a l'Accufé fcul, ôc le Juge ne peut le contraindre à un pareil ferment, que dans le cas ou les griefs dont on le charge , étant confirmés par un témoin , lailferoicnt des foupçons que lc ferment fcul peut détruire. 4°, Les principales raifons qui fondent la préfomption d'un délit font les fui vantes : ip. fi l'Accufé s'eft enfui, ou s'il | formé le deffein de s'évader; i°. s'il fréquente la compagnie de perfonnes malhonnêtes, mallamées, èx; reconnues pour méchantes; 3°. s'il a connais quelques délits k-peu-près fcmblablcs dans Tome III, Q q q q <74 HISTOIRE DE RUSSIE, d'autres tems; 40. s'il a menacé verbalement les perfonnes dont il croyoit avoir à fc plaindre; j°. fi, lors de l'interrogatoire, il a cherché à donner le change à fes Juges, par des réponlcs infi-dieufes, équivoques &: fufccptiblcs de diverfes interprétations; 6°. fi le délit dont on l'accule cil confirmé par un témoin irréprochable. yu. Mais les foupçons qui paroiflent fondés, èv même la dépofition d'un fcul témoin, quoique digne de foi, ne fullifcnt pas pour prouver légalement que l'Accufé cil coupable du crime qu'on lui impute : dans les cas de cette nature, lc Juge doit employer tous les moyens légitimes pour obtenu de l'Accufé l'aveu du délit, ou pour découvrir la vérité par d'autres voies avant de lui fane prêter le ferment pwv;\.itoirc, attendu qu'après fa prédation, l'Accufé doit être renvoyé abfous & pleinement jullilié. (>'■'. Si l'Accule refufe de prêter le ferment requis par lc Ju; fon refus décèle un coupable; mais comme il fuit dans toutes les aifaircs criminelles, que l'Accule foir convaincu d'un délit par des preuves claires èv futliiantcs, èv qu'il vaut mieux abloudrc dix coupables, que de condamner un innocent ; le défaut de preuves futliiantcs autorité le Juge a renvoyer le coupable, ou à commuer cn une peine plus douce celle que la Loi inflige au crime prouvé èv reconnu. 70. Si le Juge avoit lieu de préfumer que l'Accufé fît un faux ferment, il ne l'exigera pas, mais il renverra l'affaire à un autre tems , pendant lequel la Jullicc divine fera découvrir de nouvelles pieuses qui compléteront les premières. Nous allons indiquer les cas où 1 on doit avoir recours à la torture pour obtenir l'aveu que l'Accufé refufe obflinémcnt. CHAPITRE VI. De l'Interrogatoire rigoureux* ou de la Torture. i«. La queftion ne doit avoir lieu qu'envers un criminel qui refufe conftamment d'avouer un délit dont il faut avoit la preuve complette. in. Le Juge ne peut donc recourir a ce moyen violeur, que quand il a des preuves prcfque complettes contre L Accule , comme deux témoins qui l'ont vu dans lc lieu ôc a l'heure où, le crime a été commis, fans cependant l'avoir vu commettre , ou d'autres préventions auili bien fondées. 30. La queftion cft plus cn ufage dans les affaires criminelles que dans les affaires civiles : il cft cependant des cas où clic peut avoir lieu pour découvrir les complots de la malice ÔC de la fraude dans les affaires majeures ; nous allons en citer un exemple. Lorfque dans une grande affaire civile, le témoin hélitc dans fes dépofitions, perd la contenance lorfque le Juge lc regarde fixement, fc coupe dans fes réponfes, change d'air ôc de couleur, fans néanmoins dire la vérité \ c'eft dans ce cas où lc Juge peut recourir à l interrogatoire rigoureux. 4U. Lc Juge doit avoir la plus grande circonfpcction en ordonnant la torture, vu que le Souverain s eu rapporte entièrement a fa prudence, pour la proportionner a la gravité du crime èV a la conllitution du criminel, de manière que fans courir le rifque d'y périr, il foit feulement force tic dire la vérité. Si le criminel ou l'homme réputé tel ctoit cllropié ou mouroit par la violence de la queftion, & par findiferétion du Juge, celui-ci feroit févèrement puni par le Magillrat fupéricur, foit par une amende, par la perte de Ion emploi, ôc même par celle tic la vie. !*• Avant d'ordonner la torture, le Juge doit réfléchir fur la Q q q q »i *7o HISTOIRE DE R U S S I R. d'un rang inférieur au il n , & a tous les Subalternes , fans exception , ce qui lui paroitra néceifaire 5c urgent pour le bien du fervicc ; 5c toi s ceux qui recevront fes ordres doivent lui obéir avec la même fournifiïoo 5c la même exactitude que s'il ctoit leur Commandant particulier, quand même ledit Officier feroit d'un autre Régiment. Ap,t. XVI. Tes Maréchaux, les Généraux , & après eux, tous les Commandans cn chef, pourront inférer dans les ordres qu'ils donneront , ce qui leur paroitra le plus propre a cn affurcr l'éxecution ; mais en donnant ces ordres , ils doivent prendre garde de fe fervir dexprciTïons orTenfantes qui choquent l'honneur, fous peine d être L'vèrcmcnt punis, 5c même, fuivant la gravité de f offenfe, d'être dégradés pour un tems ou pour toujours. Akt, XVII. Il cil expreifément défendu à quelqu'Orficicr que ce foit, de maltraiter les Soldats qui fc trouvent tous fon eom* mandement, lans des raifons légitimes; celui qui s'écartera de cette Loi fera cite au Confcil de guerre, pour y être puni apic, !a vérification du lait > è, li la ,^ e a lieu , on le privera de fon grade comme indigne d'en être revêtu. Art. XVIII. Les Juges militaires, les Commidaircs de l'Artillerie èv des Vivres , les Employés de ces ditfcrcns Département, tous ceux cn un mot qui font chargés de quelques fonctions auprès des Troupes, étant fous la protection particulière èc immédiate de Sa M qeile , d«uv< nt jouir de tous les égards dus â leufl places : ainfi, il efl détendu de les infultcr, de croifer leurs ope-rations, 5c de leur apporter des obllacles, fous quelque prétexte que ce puitfe étte, a peine envers les contrevenans de leur lairc non feulement des réparations convenables, mais encore dette mis en prifon, detre prives de leurs grades, 5c même delà vic> fi la gravite du cas 1 exige pour le bon exemple HISTOIRE DE RUSSIE. €9i Art. XIX. Tous les ordres qui feront donnes, foit dans les Camps, foit dans les Places de guerre, foir de vive voix ou par écrit, foit par le Ion des trompettes ôc des tambours, feront fidèlement exécutés, fous les peines portées dans les articles X Ôc XI; a moins que dans l'énoncé audit ordre, on iVait inféré unc punition particulière pour celui qui y contreviendra. CHAPITRE IV. Des Actions téméraires * du Tirage de l'Épée,, des Alarmes j & de la Garde. Article I. Si, en préfence du Général ou du Commandant en chef, fous les Drap,aux , en marche , dans les tems ôc à l'endroit où s'aflèmble le Tribunal militaire, pendant l'Office divin, ou lorfque l'on pofe les Sentinelles, foit dans les Camps, foit dans les Places de guerre , il arrive a un Officier ou a un Soldat de tirer lépéc avec emportement, dans l'intention d'eu frapper quelqu'un, il fera pafle par les armes, quand même fon aclion n'auroit eu aucune fuite funefte. Art. 11. Auili tôt que la retraite fera battue, ôc que les Sentinelles de nuit feront polies, (i quelqu'un donnoit l'alarme, foit cn criant, foit en tirant des armes a feu , (ans en avoir reçu ' l'ordre , ou fans y être contraint par une né ce Ai té tbfolue, il fera condamné a perdre la vie, li cette alarme a été donnée par malice ou de propos délibéré : mais II l'alarme n'a été occa-Sonnée que par inadvertance ôc fins aucun dclfein de nuire, alors lc Confcil de guerre doit, félon l'exacte jullicc, modérer la peine de mort infligée par le préfent article; peine qui ne doit avoir fa pleine ôc entière exécution que dans le cas feulement où l'alarme donnée avec une intention criminelle, favori feroit quclqu entreprife de l'Ennemi. Dans toute autre circonllancc, Ssss ij 69i HISTOIRE DE RUSSIE, où l'alarme n'auroit aucune fuite dangereufé, on ne condamnera Officiel' qu'à la conffeation de larme dont il s'eil fervi, & à h retenue de fes appointemens de quelques mois : quant au ujxiplc Soldat, il parlera par les verges. Cette févérité nous a paru neccifrre, fur-tout cn tems de guerre, où la moindre alarme peur, fuivant les circonftances, mettre unc Ville ou une Armée cn danger. ART. III. Dès que le fignal pour relever la Garde fera donné, tous ceux qui doivent ]a monter fc préfenteront fans jamais fc faire attendre L'Officier qui fc trouvera cn retard, fera pendant un mois le fervicc de Soldat ; ôc le (impie Soldat fera mis aux fers, ART. IV. L'Officier de garde fur un rempart ou dans tout autre lieu , foit en campagne, foir en garnifon, ne pourra quitter Ion pofte fans la permiiîion ou l'ordre exprès de fon Supérieur, fous peine de perdre la vie. Il lui cft enjoinr d'examiner avec attention tous ceux qui s'approcheront de fon pofte; s'il en conçoit quelques foupçons, il en donnera avis fur le champ au Commandant de la Garde ou de la Place. Les étrangers ou gens inconnus qui monteront fur le rempart fans la pcrmiilion de l'Officier de garde, feront punis. Art. V. Aucun Officier ne peut amener avec lui dans fon Corps de garde, un Officier qui n'eft pas de fervicc dans lc même endroit, attendu que ce camarade peut l'exciter à boire, à jouer, ou a s'amufer de toute autre manière, ôc lc rendre coupable de quelque négligence. Art. VI. La sûreté d'une Ville èV: de toute unc Armée, dépendant absolument de lexaélitude Ôc de la vigilance des Sentinelles , la Garde eft l'objet le plus important du fervicc militaire: en conféquence, tout Officier de garde , foit dans unc Fortcrcffe, dans un Camp, ou ailleurs, qui fc rendra coupable de négligence HISTOIRE DE RUSSIE. £95 ou d'inexactitude dans l'exécution de la configne qui lui aura été donnée, fera pane par les armes. Art. VIL Il en fera ufé de même, dans les Tlaces de guerre comme dans les Armées, a l'égard de tout Officier ou Soldat qui s'enivreroic dans fon polie de manière a ne pouvoir y faite fon fervicc, qui s'y endormirOit, ou Tabandonncroit avant que d'avoir été relevé. Si cependant lc pofte éroit dans un endroit peu important, où il n'y eût rien à craindre de la part de l'Ennemi, ôc qu'il fût prouvé que la Sentinelle ne s'cil endormie que par l'attaque fubite d'une maladie, par foiblelfe, par accablement, ÔC non par pareife ôc négligence; que ce polie fût cn même-tems rrop éloigné pour que le Factionnaire ait pu , a linftant où il a été faifi du mal, appcllcr a fon fecours, ôc faire avertir TOfti-cicr de garde de vouloir bien le faire relever :, on aura égard a ces circonftances ôc à la fuivante. Il cft poiliblc qu'un Factionnaire nouvellement entré au fervicc, n'ait aucune connoinance des Ordonnances militaires, Ôc qu'il ignore l'importance dont il cil de ne point dormir étant de garde. Lc Confcil de guerre doit dans ce cas, commuer la peine de mort cn une peine corporelle relative aux circonftances. Mais rien ne pourra garantir de la perte de la vie le Factionnaire qui abandonnera fon pofte, quand même il diroit pour fa juftification qu'il y cft refté plus lpng-tems qu'il n'eft ftatué par les Règlemcns militaires. Aucune Sentinelle ne peut jamais quitter fon pofte , fous quelque prétexte que ce puifte être, avant d'avoir été relevée ; c'eft alors qu'elle a droit de fc plaindre de ceux qui l'ont fait relier en faction au-delà du terme fixé. Art. VUE Tout Officier dans lequel on remarquera un penchant décidé a l'ivrognerie, ou à d'autres vices fcandalcux, fera congédié du fervice; fi place fera donnée à un autre Officier d'une conduite plus régulière. Art. IX. Si quelqu'un s'enivre, Ôc que dans cet état il corn-mette quelque délit, il fubira un châtiment proportionné au mal cufil aura fait, Ôc principalement dans le cas où le mal ne pourroit être effacé par le repentir, tel par exemple que le cas de mort, des délits graves. L'ivrclfe ne peur aucunement juftifier le coupable, par la raifon qu'il étoit le maître de ne pas tomber dans cet état d'abrutiffement. Art. X. Il cft défendu a toute perfonne, fans exception, d'infulte? dans aucun tems un Soldat cn faction. Si, après avoir crie deux fois : Qui vive! avec menace de tirer, & qu'on ne lui réponde pas, alors il a le droit de tirer fur la perfonne qui garde le filcncc; ôc s'il la blefte ou la tue, lc Factionnaire n'en fera aucunement répréhenfiblc, parce quit a exécute fa configne. Cependant on doit éviter , autant qu'il cft poflîblc, d'en venir a cette extrémité, qui ne peut être tolérée que dans ces polirions critiques, où le Factionnaire lui-même fc trouveroit expofe à un danger imminent. Art. XI. Celui qui injuriera unc Sentinelle, une Patrouille, unc Ronde, ou qui s'oppofera a l'exécution des ordres dont elles feront chargées, comme de mettre quelqu'un en prifon ou aux arrêts, perdra fon rang , s'il eft Officier, ôc fervira comme fimple Soldat, jufqu'a ce qu'il ait mérité d'être rétabli dans fon grade; ÔC fi c'eft un Soldat, il paliera par les baguettes. Art. XII. Si quelqu'un tire l'é-pcc comre une Sentinelle , une Ronde , ou tous autres étant de fervicc ev fous les a nues , il feii arque bu fé. Art. XIII. De leur coté, les Gardes, Rondes ôc Patrouilles, doivent fe conduire avec cirçonfpection , &c ne s'écarter cn ri< fl des confignes qui leur font données, afin de ne donner lieu à perfonne de fc porter contrcllcs à quelques excès. Ceux qni, pendant leur fervicc, commettront quelques indécences, ou qol HISTOIRE E> E RUSSIE. infulteront lc public, feront punis félon la gravité du cas, foit par la perte de leur grade, foit par quelqu'autie châtiment plus ou moins rigoureux. Art. XIV. Quiconque fera du bruit pendant la nuit, qui troublera le repos public dans unc ville ou fortcreifc , ou qui commettra d'autres excès en ce genre, payera, s'il cft Officier, i ne amende a l'Hôpital, équivalente a deux mois de fes appointemens, Ôc la même peine aura lieu envers tous ceux qui l'auront accompagné. Si lc carriHonneur cft un (Impie Soldat, il fera mis aux fers. Art. XV. Tout Militaire doit écouter avec la plus grande attention les confignes, l'ordre Ôc lc mot. Celui qui les oubliera ôc qui cn donnera d'autres , fera puni corporcllcment, ôc même par la perte de fon grade ou de fa vie, fi lc cas l'exige. CHAPITRE V. Des Travaux des Soldats. Art ici, r. I. Aucun Soldat ne peut fc refufer aux travaux ÔC corvées qui lui feront ordonnés pour lc fervicc du SOBVCram ôc de l'Etat, foit dans les places, dans les camps , fur les vaifteaux , foit dans quelque lieu que ce puifte être : celui qui s'oppofera publiquement a l'ordre qui lui fera donné a cet erfet, fera pafte par les armes comme un rebelle. Art. II. Les Officiers font obligés de conduire les Soldats au travail , & de veiller a ce que tout fois exécuté ainfi qu'il aura été ordonné. Les parefteux , les négligens , feront rigoureufement punis. Art. TU. Tout Soldat commandé qui ne fe trouvera pas au travail ou qui l'abandonnera fuis avoir rempli fa tâche, doit être puni, quand même il auro;t été commande au travail hors de fon tour èV: par la mauvaife volonté de l'Officier, attendu qu'il f96 HISTOIRE DE RUSSIE, tioir toujours commencer par obéir, &c que ce n'eft qu'après avoit obéi qu'il pourra fc plaindre de 1 in juftice qui lui aura été faite. Ceci cioit s'entendre généralement de tous les oidres donnés pour le fervicc de Sa Majcfté. Art. IV. Si un Officier commandoit aux Soldats qui font fous fes ordres , des travaux qui ne concernent point le fervicc & qui ne conviennenr pas aux Militaires, ceux-ci, loin d'être obliges de lui objir, pourronr porter leurs plaintes au Tribunal Militaire, qui punira cet Officier de la manière qu'il jugera convenable j l'autorité des Officiers ne devant, d.ns aucun cas, s'étendre au-delà de ce qu'exige précifement le bien du ferviee. Art. V. En conféquence, les Officiers, tant fupcricurs qu'inférieurs, ne pourront employer les Soldats à leur propre fervicc ni pour leur utilité particulière , fans falairc , ni même avec falaire, en les forçant a un travail pénible, ('eux qui contreviendront à cet article feront privés de leur honneur, de leur rang 6c de leurs biens. S'il arrivoit cependant, dans un camp ou ailleurs, qu'un Officier n'ayant pas auprès de lui fon Domclliquc au moment où il cn auroit beloin, demandât quelques petits ferviecs à un Soldat, celui ci ne doit pas les lui rcfulcr, parce que fon refus feroit une impolirefte envers un Chef, qu il doit toujours rcfpcéUr. Art. VI. Il cft permis à tout Soldat qui aura un métier, de travailler pour les Ofliciers de fon Corps, lorfqu'il n'aura point de garde à monter, ni aucun fervicc a faire. L'Oflicicr qui l'crn-ploycra à fon fervicc doit en prévenir Ion Chef, 6c payer équira-blemcnt lc Soldat : mais lorfque fon tour de monter la garde fera venu, f Officier ne pourra fous aucun prétexte l'en difpcnfer, pour l'employer à fon utilité particulière, CHAPITRE CHAPITRE VL Entretien de ïHabillement & de l'Équipement. ^rticli; I; Tour Soldat, foit dans les camps, foit dans les gainifons, doit apporter 'a plus grande attention à ce qu'il ne manque jamais rien à (en uniforme, Ôc a ce que fes armes foient toujours nettoyées ôc cn bon état. Ceux qui montreront de la négligence a cet égard, feront févèrement punis par leurs Officiers, qui recevront eux mêmes de tortes réprimandes lorfquils ne veilleront pas avec allez de foin à corriger cette parciTc dans leurs fubalternes. Art. II. Lc Soldat qui négligera la propreté de fes armes l ou qui les laiffera cn quelqu'cndroit, fera fortement pafle par les baguettes. Art. 111. On y fera pafler également celui qui par méchanceté gâtera ou brifera fa pique, fon épéc, ou qùclqu'autre chofe de fon fourniment, ôc le dommage fera repare du produit même de fa paie. Art. IV. Si quelque Soldat perd au jeu fon uniforme, fon fufil, &c., s il les vend ou les met cn gage, il fera condamné , pour l.i première ôc la féconde fois, a remplacer la chofe dont il aura difpofé , ôc à palfer fortement par les verges; mais à la troilîème fois il fera pafle p.u- les armes. Celui qui aura acheté ou reçu quelque chofe du Soldat, fera non-feulement oblige d'en faire la reftitution fans argent, mais encore de payer une amende du double de la valeur de la chofe : on peut même, dans certain cas, le faire palfer par les baguettes, comme receleur; ôc l'on ne doit jamais fc relâcher de cette févérité. Lc fourniment étant l'unique force du Soldat, celui qui efl capable de le jouer ou de Je vendre, prouve combien il cil peu propre à fc préfenter coura-Tome ul T111 69£ HISTOIRE DE RUSSIE. gcufement devant l'ennemi ; Se celai qui favorife la tranfgreflion des devoirs, mérite d'être puni avec la même rigueur que lc coupable , puifqu il rend par là lc Soldat inutile au iervice du Prince &: de la Patrie. CHAPITRE VIL Des Revues. Article I. Lorfque lc Fcldt-Maréchal, ou lc Général, ou le Commiflairc nommé par Sa Majellé, aura indiqué lc tcms&: le jour de la Revue, les Officiers de tout grade doivent s'y tendre exactement Se y conduire les Soldats qui fe trouvent fous leurs ordres : celui qui y manquera fans raifon légitime, fera puni comme un rebelle. Art. II. Les Soldats qui, par L'âge, les infirmité* ou les bief-furcs, ne feront plus cn état de continuer leur fervicc, n'en feront pas moins paffés cn revue, afin d'être examinés par les Commiffaircs, Se d'obtenir leur congé fur lc rémoignage des Chirurgiens. Art. III. Un Soldat ne doit jamais paffer cn revue qu'avec fes propres armes ik, tout ce qui lui appartient véritablement, fuis rien emprunter de qui que ce foit, fous peine pour les contrevenans de palfer par les baguettes, ou de fubir tel autre châtiment qui leur fera infligé par lc Commilfairc. Art. IV. Si un Soldat fc rendoit malade, fc mutiloit quelque membre, s'cftropioit afin de fe mettre hors d'état de fervir, ou s'il cflropioit fon cheval dans le même dclfein, il aura les narines coupées, Se fera enfuite envoyé aux galères. CHAPITRE VIII. # De lu Nourriture & Je la Paie des Troupes. Article E Tout Ollieier ou Soldat qui, fans la penniulou de fon Commandant, quittera fon fervice ou fon pofte pour folli-citer fes appointemens, ou autre argent qui lui feroit dû , fera puni ; l'Officier par la perte de fon grade 6c de la fomme répétée, 6c le Soldat cn partant par les baguettes. Art. II. S'il arrivoit qu'au tems de la paie ou de la diftribution des vivres de fourrages, un Ollieier reçût des rations ou cn exigeât pour un plus grand nombre de Soldats quil nen a effectivement à fes ordres, il fera, comme un ferviteur infidèle, privé de fon grade 6c chalfé ignominieufement du fervice, 6c même, fuivant les circonftances 6c la gravité du cas, il fera envoyé aux galères, ou condamné a mort comme voleur; Art. III. Les mêmes peines feront infligées à tout Officier qui retiendra aux Soldats fous fes ordres, la paie, la ration, les habits, &c, ou qui leur fera du tort de quelque manière que ce foit. Cette rigueur cft néceflaire pour prévenir a-la-fois les malvcrfa-tions des Officiers, les défordres dans lefqucls la misère pourroit faire tomber les Soldats, &: les maladies qui peuvent réfultcr de la privation du nécclfairc; trois chofes également préjudiciables au bon ordre 6c au bien du fervice. Art. IV. Lorfque quelqu'un aura prêté de l'argent h un antre, 6c qu'il s'adreffera a PEtat-Major pour en obtenir lc rembomfc-ment, celui-ci réglera lc recouvrement de la fomme prêtée, par une retenue fur les appointemens du débiteur, de manière cependant qu'il cn refte fuffifammcnr pour fa nourriture 6c fon entretien, afin que lc fervicc n'en fouffre cn aucune fiçon. Art. V. Dans le cas oit, par des raifons qu'on ne fuiroit prévoir, la paie des Troupes ne feroit point faite cxa&cment au tems preferit, & fouffriroit quelque retard, les Officiers 6c Soldats n'en feront pas mois tenus de remplir leur devoir avec le même zèle 6c la même bonne volonté : fi quelqu'un d'entr'eux , foit en campagne, foit dans les gamifons, fée la moi t publiquement T t t t ij 7orj HISTOIRE DE RUSSIE. ce qui lui dl dû, il fera regardé êc puni comme un Chef de iedirion , car c'en cil une vésjttblc, dç fa part d'un homme de guerre, de refufer de faire fon fervicc fur un pareil prétexte. CHAPITRE IX. Des Congés» AïèTTCLr I. Aucun Officier, de quelque grade quil foit, nC pourra, d? fon autorité privée, duiincr le congé abfolu aux Cas-Officier èv Soldats, fous peine de perdre ce l'honneur 6c la vie : celui qui obtiendra fon congé de cette manière, palfcra par les baguer' e*. Al.t. II. Lorfque lagc, les infirmités, les blcifurcs mettront un Soldat hors d'état de fervir, 6c qu'il demandera à fe retirer, aloti i Omcicr qui \: commande, doit cn informer les Commif-iaircs ] répoles \ cet effet, qui examineront li la demande du Soldat ell fondée, 6c qui lui accorderont fon congé abfolu. Ar r. II!. Lorfque les Troupes quitteront leurs quartiers pour marcher a l'ennemi, 6e qu'elles feront commandées pour quelque expédition, il ne fera permis a aucun Officier de demander un congé pour s'abfenter de fon corps : celui qui fera cette demande fera non-feulement refufe> mais il fera renvoyé ignomi-nici (cment aptes l'expédition. Art. IV. Aucun Ollieier, fous peine de pctdtc fon grade, ne peut envoyer les bagages des Soldats, ni leur accorder la permiiîion de retourner chez eux, fans cn avoir informé lc Commandant en chef. Aid. V. Tous les domefliques 6V: valets qui feront au fervicc des Officiers , ne pourront, avant le terme fixé , quitter leur maître ce s'engager ailleurs, fuis fa pcrmiilion , (bus peine d'être rendus à leur premier maître, après avoir fubi unc punition ri-gourcuic. Art. VI. Si un domediquc n'étoit plus en état de continuer fon fervice, ou qu'il eut des raifons valables pour le quitter, il doit en informer le Colonel du Régiment, qui examinera s'il eft jufte ou non de lui accorder Ton congé. Art. VII. H ne fera permis a perfonne de prendre à fen fervicc un domeftique qui ne fera pas muni d'un congé cn bonne forme, fous peine de le rendre a fon maître, ôc d'être puni parle Tribunal Militaire : il feroit injufte qu'un domeftique à qui on a fait apprendre quelque Art ou Métier puifte quitter fon maître avant d'avoir acquitté, par fon fervice, l'argent que Ton a dé-penfé pour lc faire inftruire. CHAPITRE X. Des Marches & des Rallicmens. Article I. Auftï-tôt que le lignai fera donné par les Tambours ôc Trompettes, chaque Ollieier Se Soldat fc rendront a leurs Régimens ôc a leurs Compagnies rcfpcélivcs. Lc Soldat qui y manquera, fera mis aux fers ou puni d'une autre manière ; èV: l'Ofticicr qui n'aura pas eu des raifons légitimes pour s'en difpen-fer, fera pendant quelque tems le fervicc de (impie Soldat. Art. II. On ne fauroit jamais dans les marches prendre trop de précautions contre les inconvénient, ôc les Soldats doivent toujours être raftcmblés, afin d'être prêts a tous les évènemens. Chacun cft donc obligé de fuivre exactement fon Drapeau ou fou Etendard, & de relier a fa place , lans pouvoir la quitter qu'avec la pcrmiilion de fon Commandant. Ceux qui marchent en avant ou qui relient cn arrière , lans y être autorités p peuvent être foupçonnés de n'agir ainfi que pour déferrer ou pour exercer quelques b, • ..uuiages ; indépendamment de ces motifs, il en peut réfultcr des fuites làchcufcs. Ils s'expofent a être laits prifonniers par l'Ennemi, qui s'inftruira, par leur moyen, de la fituation de l'Armée. En conféquence , tout Soldat qui contreviendra aux difpofitions du préfent Article, fera mis aux fers jufqu'a ce que l'Armée fe trouve dans unc pofition plus tranquille : alors l'on procès fera inllruit par lc Confeil de Guerre, qui lc fera punir comme il a été ilatué dans l'Article précédenr, ou félon lc plus ou lc moins de rigueur qu'exigeront les circonftances. Art. III. Si un Soldat défobéitaux ordres qui lui feront donnés par fon Officier, celui-ci cft en droit de le punir lui-même, ou de le faire punir félon les Loix du Code Militaire : mais fi l'Officier bleflbit ou maltraitoit grièvement le Soldat défobéilfant, il deviendra refponiablc &: pimilfâblc de fa violence. Art. IV. Si quelqu'un fuppofc unc maladie pour s'exempter de la campagne, 6c qu'enfuitc fa fupcrchcric foit découverte , il fera puni rigoureufement pour l'exemple. Art. V. Lorfque les Troupes marcheront, les Commandans cn chef le les autres Officiers répondront de tous les dégâts qu'elles pourraient commettre pendant la route, 6c ils font tenus de faire reftituer aux Habitans des Villes 6c des Campagnes tout ce qui leur aura été enlevé. C'eft aux Officiers a prévenir ces défordres, en aflujcttiftant toujours leurs Soldats aux règles de la plus févère difeiplinc. Art. VI. Lorfque les bagages s'arrêteront, il eft défendu à qui que ce foit, fous peine de la vie, de refter fur les derrières de la garde détachée, fans la pcrmiilion de fon Commandant ; 6c quiconque fera furpris, exerçant la maraude ou autre brigandage, fera pendu. CHAPITRE XL Des Quartiers & des Camps. Article I. Tout homme de guerre doit avoir un logement qui lui fera marqué par le Maréchal des Logis, foit dans les camps, foit dans les quartiers &: garnifons. Celui qui fc logera de fon autorité privée, ou qui prendra le nom d'un autre pour s'emparer d'un logement, doit être puni comme fauteur d'une révolte. Aucun Militaire ne pourra exiger plus de commodités qu'il ne lui en faut pour être logé lui & les fiens ; te chacun fe comportera de manière que le maître de la maifon n'éprouve ni trouble, ni empêchement dans l'exercice de fon Art ou Métier. Art. 11. Tout Soldat qui frappera lc maître, la maitreffe, les domelliqucs de la maifon où il fera logé, qui fe conduira envers eux d'une façon indécente, ou qui leur caufera quelque dommage , fera obligé non feulement de demander pardon a forfenfé, cn préfence du Tribunal Militaire, mais encore de le dédommager au double du tort qu'il lui aura fait. S'il arrivoit qu'un Soldat eut blciïé quelqu'un, le Tribunal Militaire le punira fuivant la gravité du cas, en lui faifant payer unc amende, ou le faiftmt palfer par les baguettes. Si même la qualité de la perfonne blefféc exige une autre réparation, le coupable fera mis en prifon te aura la main coupée. Art. III. Si, de leur côté, lc maître de la maifon ou quelqu'un de ceux qui lui appartiennent, faifoit quelque tort au Soldat, celui-ci en informera fur-lc-champ fon Ollieier qui, après en avoir rendu compte a fon Commandant ou a fon Général, fera rendre bonne èv prompte julticc au plaignant. Art. IV. Dans les quartiers on niera du feu te de la chandelle avec beaucoup de précaution : fi, par la faute des Officiers > 7o4 HISTOIRE DE RUSSIE, ou des Soldats, il arrivent quelque incendie, les uns & les autres cn feront punis Se condamnes à la réparation des dommages, fuivant l'cftimation qui cn fera faite par les Juges. Mais s il arrivoit que le feu eût été mis de propos délibéré, par unc méchanceté atroce, le coupable fera puni comme incendiaire. Perfonne ne fera rcipon fable d'un incendie eaufé par accident. Art. V. Immédiatement après la retraire battue , aucun Soldat ne pourra fortir du quartier, ni s'éloigner de fon logement , fous peine d'être févèrement puni, h moins qu'il n'y foit autorifé pour quelque affaire concernant le fervice, ou qu'il n'y ait été contraint par un befoin indifpcnfable $ ce qu'il fera tenu de juftifier. Art. VI. Chaque Soldat aura le plus grand foin de fon uniforme 5c de fes armes, Se fufpcndra Ion lu (il dans un endroit où rien ne puilfe en altérer la propreté. Les Ofliciers veilleront a l'exécution de cet Article, Se puniront févèrement ceux qui y contreviendront. Art. VII. La police doit toujours être maintenue dans les camps Se quartiers. Celui qui fouillera l'eau que l'on boit, qu'on emploie pour les alimens, pour abreuver les chevaux, pour le lavage, de quelque manière que ce foit, fera obligé de nettoyer lui-même les eaux qu'il aura falics, Se puni Iclon la gravite du cas. Art. VIII. Il cft défendu a toute perfonne, de quelque qualité Se condition qu'elle foit, d entrer dans lc parc des équipages, foit dans les camps, loir dans les villes, dans les forts èv retranchemens, par un autre endroit que par les voies ou les iffucs ordinaires, fous peine de perdre la vie. La peine fera la même pour la fbrtie. On examinera cependant les motifs qui ont pu donner lieu a cette entrée ou a cette fortie j Se s'il arrivoit que l'ignorance oU la (lupidité eût donné lieu a cette contravention, le Tribunal Militaire pourra modérer la peine. Art. Art. IX. Il cft défendu , fous peine de mort, tant aux Ofliciers qu'aux fimples Soldats, de fortir des Garnifons, des Forts ôc de tous autres lieux où ils feront détachés Ôc de fervicc, ni de s'ab-fenter pour aller coucher ailleurs, fans la permiflion de leur Colonel. Art. X. La même peine aura lieu envers ceux qui s'écarteront du bagage qu'ils doivent garder, fans y être autorifés par l'OiHcicr qui les commande. CHAPITRE XII. Des Déferteurs & dés Fuyards. Article L Tous ceux qui a la vue de l'Ennemi prendront la fuite , ou qui pendant le combat ne défendront pas jufqu'a la dernière goutte de leur fang leurs Drapeaux ou Etendards, feront déshonorés ôc déclarés indignes de porter le nom de. Soldat. Lorfque les fuyards feront attrapés, le Prévôt les enverra a leur Régiment pour y fubir la peine de mort \ ôc fi ce renvoi n'eft pas poftible, les fuyards feront pendus lans autre forme de procès. Celui qui fc trouvera bielle, ou lùbitcment attaqué d'une maladie , cn préviendra fur le champ fon Officier, qui lui donnera la pcrmiilion de fe retirer : fi Ton découvrait que la peur lui ait infpiré cette fupcrchcric , è\: qu'il ne fût réellement ni bleft'é, ni malade \ alors il fubira la peine de mort, qui cependant pourra être commuée par le Confcil de guerre, après un examen réfléchi fur la conduire de ceux qui font naturellement lâches &: poltrons. Art. II. Tout Soldat qui déferrera de fa garnifon, pendant la marche, ÔC dans quelque cïrconftanec que ce foit, fera pendu , foit qu'on l'arrête au moment de fa fuite ou long-tems après. On cn Q fera de même à l'égard de celui qui quittera fon Régiment fans congé , pour s'engager dans un autre. Tome III. U u u u Art. 117. Le Soldat de recrue qui défertera avant d'avoir fervi un an, fera, palie par les baguettes pendant trois jours confe-cutifs. Mais fi, après avoir fervi plus d'une année, il déferroit une féconde fois, il recevra lc knout y Ôc fera chvoyé aux galères à perpétuité, après avoir eu les narines arrachées cn préfence du Régiment. Art. IV. Ceux qui, avec connoiftance de caufe, retireront chez eux les déferreurs ôc les fuyards, qui leur donneront le logement ou la nourriture, doivent être regardés comme leurs complices. Ainfi, il cil enjoint au Tribunal militaire qui inftruira le procès d'un défertcur, de rechercher avec foin dans quel lieu cv chez qui il a demeure depuis fa défertion, afin qu'après avoir fait les informations requifes, on puniife comme il ell jufte, celui qui paura favorifé dans fa fuite, ou qui lui aura donné un afyle. Art. V. Si, après fon évafion, lc défertcur fc repent cn chemin, retourne fur les pas, 6c fc dénonce de lui même a fon Ollieier, l'équité ne permet pas de le punir de mort. Cependant la tranf-greftion de l'ordre 6c de la difeiplinc , exige une punition qui fera ordonnée par le Confcil de guerre. Art. VI. S il arrivoit qu'un Régiment ou qu'une Compagnie prît la fuite devant l fnnemi, ou pendant le combat, il fera jugé dans un Confcil général de guerre. S'il cft prouvé que les Officiers fculs ont donné lieu a cette coupable fuite, ils auront leurs épées eaûecs par la main du Bourreau , feront dégradés, 6c enfuite pendus. Dans le cas où. les Ofliciers 6c les Soldats auraient agi de concert, les Officiers leront punis de la manière indiquée, 6c les Soldats leront décimés ÔC pendus. Les autres paiferout par tes baguettes, Ôc relieront campes dans un lieu lepare de l'Armée, jufqu'a ce qu'ils aient cftacé l'ignominie dont ils fc font cou- HISTOIRE DE RUSSIE. j*f verts par quelques aérions de valeur. Si, comme il eft poftiblc, quelqu'un d'entr'eux pouvoit démontrer clairement fon innocence, il obtiendra fa grâce fans difficulté. Art. VII. Les Régimens, Efeadrons ou Compagnies, qui, ayant deferté, fe feront retirés au loin, doivent être fommés trois fois au fon des Trompettes Ôc des Tambours dans l'cfpace de neuf femaincs, a l'effet de comparoitre devant le Confcil de t guerre, ôc il leur fera accordé un lauf-conduit. Ceux qui après ces fommations ne fe préfenteront pas, feront déclarés traîtres envers la Patrie & le Souverain, comme tels, flétris ôc déshonorés , ôc leurs biens confifqués au profit de Sa Majcfté. S'ils font attrapés dans la fuite, ils feront pendus fans rémiftion. Ceux au contraire qui comparaîtront devant le Tribunal militaire, ÔC qui pourront s'y juftificr, feront rétablis dans tous leurs droits. Le fauf-conduit ne garantira perfonne du châtiment qu'il aura mérité. Celui qui cn fera pourvu, ÔC qui fera déclaré coupable, fera puni de la même manière que ceux qui n'auront pas comparu après les trois fommations. Art. VIII. Quiconque défertera pour palfer chez l'Ennemi, fera pendu en efligie, déclaré publiquement faulïairc ôc traître à la Patrie. Ses biens feront confifqués i tS s'il venoit enfuite à etre pris, il cft condamné d'avance à être pendu, fans qu'il puifte lui être fait grâce dans aucun cas. Ceux qui auront été faits prifonniers, Ôc qui, ayant la liberté de retournera leur Régiment, ne voudront pas rejoindre , feront regardés comme transfuges. On punira fevèrement les Soldats convaincus d avoir comploté de palfer cnfcmble chez l'Ennemi, quoiqu'ils n'aient pas exécuté leur deilcin Art. IX. Tout Ollieier ou Soldat qui aura obtenu un congé pour aller palfer quelque tems dam fa famille, ou pour quel-qu'autre motif, ÔC qui n'aura pas rejoint fon Drapeau au tems Uuuu ij 7o8 HISTOIRE DE RUSSIE* fixé pour fon retour, perdra autant de mois de fa paie, qifil aura été de femaines en retard. Il peut cependant être exempté de cette retenue, lorfqu'il prouvera que la caufe de fon retard vient d'une maladie, de la mort de quelque parent, ou de celle de fon homme-d'affaire, ou enfin de rout autre empêchement qui fera trouvé légitime par fes Supérieurs. CHAPITRE XI IL Des Attaques & des Affauts. Article I. Les Troupes qui feront chargées de la défenfe d'un Fort ou d'un Retranchement quelconque, Bt qui d'un commun accord céderont aux premiers efforts de l'Ennemi , Auront, ou mettront bas les armes avant d'avoir employé tous les moyens de défenfe qui feront en leur pouvoir, doivent être traités, Oiîicicrs ce" Soldats, comme il ell dit a l'Article IV du Chapitre précédent. Mais avant l'exécution du Jugement, elles doivent comparoitre devant le Confcil de guerre, pour y être interrogées fur la fituation des lieux, & fur toutes les circonllanccs de l'attaque , de la défenfe, &c des moyens qui etoient en leur pouvoir. Après cette inlhuclion, la Sentence fera ou exécutée dans toute fa rigueur, ou mitigée par lc Tribunal, qui ne doit jamais oublier, que plus les coupables feront d'un grade élevé, plus aijfi ils doivent ctrt punis féveremem, puifquc c'cll à eux a donner en route occafion l'exemple du zèle, de la fermeté èv de la bravoure. Aur. II. On niera de la même rigueur envers les Régimens OU Compagnies qui abandonneront èv huileront (ans défenfe les retranchemens, batteries, redoutes, &: tous autres ouvrages confiés a leur garde, ou qui prendront la fuite ibus de faux prétextes, fins attendre du fecours. Art, 111. Si une Troupe, un Régiment, une Compagnie reçoit Tordre de marcher a l'Ennemi, de livrer bataille, de monter a l'aflaut, ôc que par crainte ou par entêtement elle refufe d'y aller, ou qu'elle fuie lâchement, tous les Soldats de la Troupe , du Régiment ou de la Compagnie, feront regardés comme défer-tcurs, Ôc punis comme tels. CHAPITRE XIV. De la Prife des Filles & Forts J du Butin „ & des Prifonniers. Article I. Lorfquunc Ville ou un Fort fera pris d'alfaut, il cil défendu, fous peine de mort, aux Généraux , aux Officiers, aux Soldats, ôc à tous ceux, fans exception, qui compofent les differens Corps d'Armée, de piller les Eglifes, les Maifons Rcli-gieufes, les Collèges, les Hôpitaux, ôc généralement tous les Etablilfcmcns de cette nature, fans un ordre émane directement de Sa Majcfté, a moins que la Garnifon Ôc les Habitans ne fe fervent de ces Edifices comme de moyens de défenfe pour retarder la néceftité de fc rendre. Art. II. 11 cft également défendu, ôc fous la même peine, de faire aucun mal ni aucune violence aux filles, aux femmes, aux vieillards , aux Ordres Religieux, à moins qu'il n'ait etc ordonné pat le Général de faire main-balfe fur tous les habitans indiftinélcment : U n'y aurait que du deshonneur & de la honte à gagner, en attaquant à main armée des gens qui /ont hors d'état de fe défendre. Art. III. Dans toute Ville ou Place prife d'alfaut, le Général ne pourra donner ordre de piller, avant que l'action ne foit entièrement terminée , que la Garnifon n'ait mis bas les armes, qu'où ne fc foit emparé de tous les lieux de défenfe, ôc que les logc-mens n'aient été dillribués aux Troupes. Quiconque, avant cet ordre, commencera le pillage, ou s enivrera avec les boiftons qui feront a fa portée, fera puni de mort. Art.IV. Lorfqu'en pleine campagne, on attaquera les bagages de l'Ennemi, il n'eft permis a perfonne de s'emparer de quelque portion du burin, avant que l'Ennemi n'ait été chaftè ÔC pour-fuivi aufti loin que lc Cbcf jugera a propos. Alors chacun pourra s'emparer de ce qui lui reviendra. Celui qui voudra frufter un autre de la part qui lui appartient, fera tué par celui a qui il voudra l'enlever, attendu que ces conteftations peuvent donner lieu a l'Ennemi de fe raflurcr ÔC de revenir fur fes pas, ôc qu'il peut cn réfulter de funeftes con-féquences. Ceux qui auront donné lieu à ces conteftations ôc à leurs fuites, feront punis de mort; cn luppofant même qu'il n'en réfultàt rien de fâcheux, on les fera palfer par les baguettes à caufe de leur injufticc, ÔC leur part de butin fera diftribuée aux pauvres. Art. V. Par la même raifon, il n'eft permis a perfonne d'enlever par la force ce qui appartient a un autre, ni du logement qui lui a été deftiné, fous peine, dans le premier cas, de reftitucr a 1 heure même la chofe enlevée, ôc d'être puni, comme dans lc fécond, avec unc rigueur néceflaire. Art, VI. Les chevaux , les bon ifs, les troupeaux pris fur l'Ennemi, ne doivent être vendus que dans l'enceinte même du ( amp Ôc a un prix modéré, afin que chacun puifte en profiter : ce n'eft que dans le cas d'abondance ôc de fuperfluiré, que le Général peut permettre aux poftefteurs de ces animaux , de les vendre ou bon leur fcmblcra. Art. VIE Tout Ollieier qui aura la baftefte de priver fes Subalternes ôc les Soldats fournis à fes ordres d'une part du butin juftement ÔC gloriçufcmcnt acquil'c par la victoire, fera oblige à la reftitution , ôc fubira un châtiment rigoureux. Art. VIII. Tout ce qui fera enlevé à I Ennemi , après avoir relié vingt-quatre heures cn fa polfellion, lera déclaré4k bonne HISTOIRE DE RUSSIE. 711 prife, ôc appartiendra légitimement a ceux qui l'auront acquis par la voie des armes; c'cft-à-dirc, que fi dans une action, l'Ennemi nous avoit pris des chevaux ou autres effets, Ôc que quelques jours après ils fufient repris par d'autres que les premiers propriétaires, ceux-ci ne feront plus dans le cas de les réclamer. Art. IX. Dans la diftribution des dépouilles enlevées aux Ennemis, foit dans les Camps &: dans les Marches, foit dans les Villes ÔC Fortercfles, la Caiflc militaire, les vivres de tontes cfpèccs, les armes ôc munitions, è^ généralement tout ce qui peut fervir h la guerre, doivent appartenir au Souverain : le relie fera diftribué aux Soldats, auxquels il fera fait un décompte de la dixième partie du produit. Aufti-tot qu'une Ville, un Fort, ôcc. aura capitulé Ôc prêté le ferment de fidélité , il ne fera plus permis d'exercer aucune hofti-lité, ni d'en tirer la moindre contribution. Art. X. Tous les Drapeaux, Guidons ôc Etendards pris fur l'Ennemi; feront remis fins délai â Sa Majcfté, fi elle cft préfente , ôc en ion abfcncc au Général cn chef. L'Officier qui ne fc conformera pas a cet ordre, fera honteufement congédié du fervicc, ôc le Soldat qui retiendra quelques-uns de ces Drapeaux, panera par les baguettes. Art. XI. Tous les prifonniers faits Na la guerre feront conduits fur le champ au Général, attendu l'importance dont il eft qu'il puifte s'informer a l'heure même de la fituation de l'Ennemi ôc de fes deffeins. Le moindre retard h ce fujet fera regardé comme coupable, parles fuites funeftes qu'il peut avoir. En conféquence il cft également défendu a tous Ofliciers ôc Soldats, de retenir fous aucun prétexte , ou fans un ordre exprès, aucun prifonnicr, fous petne, pour l'Officier, d'être privé de fon grade, ôc pour le Sohi.it, de paner par les baguette*. Art, XII. Celui qui tuera un prifonnicr auquel on a fait grâce,, 7I2, HISTOIRE DE RUSSIE. ou qui lui donnera la liberté, fans la pcrmiilion du Général, fera privé de riionneur &: de la vie. Art. XIII. On ne doit rien prendre à un prifonnicr par force ni autrement, fous peine de reftitution ôc de punition rigou-reufe. CHAPITRE XV. De la Reddition des Places> & des Capitulations avec VEnnemu Article I. Les Corps détachés qui feront quelque traité ou capitulation avec 1 Ennemi fans les ordres de Sa Majellé ou du Général cn chef, feront traites comme il a été dit Chapitre XII, Article VI; ôc lorfqu'il ne fera pas pofliblc d'arrêter les tranf-grefteurs de cette Loi, ils feront déclarés défertcurs, ôc comme tels leurs biens feront confifqués. Mais ceci ne concerne que les Troupes qui, étant commandées avec d'autres, négocicroient fccrètcmcnt avec l'Ennemi, ôc traiteroient de leur chef, de la reddition de quelques Places ou Villes \ ôc non pas de celles qui, ayant défendu ces mêmes Places avec honneur, feroient enfin obligées de capituler fans les ordres du Général, ne pouvant plus compter fur des fecours. Art. II. On punira avec la même rigueur, les Troupes qui, fans être réduites a l'extrémité, rendront ou abandonneront les polies qu'on leur aura confiés j on punira de même les Officiers ÔC Soldats qui contraindroienr par la force, leur Commandant a fe tendre lorfquil peut encore fe défendre. Art. III. Dans le cas contraire, où un Commandant vouHroit fe rendre par lâcheté ou par tout autre motif, loin de lui obéir, il eft enjoint aux Ollicicrs<ïe Soldais d'employer tous les moyens capables de lui faire entendre la voix du devoir : s'il fc refufe i leurs juilcs reprélcntations, alors ils doivent l'arrêter ôc ehoifit un un autre Commandant, afin de pouvoir défendre avec honneur jufqu'a la dernière extrémité la Place confiée.à leur garde. Art. IV. Pendant unc attaque, un combat, un aflaut, unc expédition quelconque, il efl: défendu aux Soldats d'avoir des entretiens particuliers, ni de murmurer : celui qui fera convaincu d'avoir excité une révolte ou infpiré de la terreur aux autres, fera pendu fans délai. Art. V. L'ordre étant donné de matchet à l'ennemi Se de livrer combat, perfonne ne pourra s'éloigner, fous peine de mort: loin de confultcr lc danger, chacun ne doir penfer qu'a exécuter les ordres qu'il a reçus, au péril même de fa vie. Art. VI. Les Gouverneurs &: Commandans des Places, de même que les Officiers Se Soldats prépofés pour les défendre," loin d'encourir aucun blâme, feront au contraire dignes d'éloge ; lorsqu'ils ne fe rendront qu'après y avoir été contraints par les raifons fui vantes : i°. Lorfqu'ils feront réduits à unc extrême famine, malgré l'économie avec laquelle on aura fait la dillribution des vivres. ic. Lorfqifaprès avoir ufé de la même circonfpcction dans l'emploi des munitions, il n'en reliera plus. 3°. Lorfqu'après une vigoureufe défenfe , la garnifon fera tellement diminuée, qu'il ne reliera plus allez d'hommes pour garnir les différais polies i que les défehfes extérieures de la place feront ruinées , & qu'il ne fera plus polliblc d'attendre ni de recevoir du fecours. Cependant toutes ces confidérations ne pourront avoir lieu lorfque le Gouverneur ou lc Commandant aura reçu des ordres exprès de Sa Majellé , de ne pas le rendre , SI de combattre jufqu'a la dernière extrémité ; alors il doit s'enfevelir fous les ruines de la place plutôt que de la livrer h 1 ennemi, fous peine d'être jugé avec toute la rigueur militaire. Tome III, Xxxx CHAPITRE XVI. Des Trahïfons & Intelligences avec l'Ennemi. Article I. Tout Qfjciçi, tout Soldat qui entretiendront avec l'ennemi unc corrcfpondancc feerctte , qui lui feront parvenir directement eu indirectement quelques avis , en un mot qui auront quelques conférences ou quelques intelligences avec l'Ennemi , feront déclarés infâmes, traîtres à la Patrie ôc au Souverain, ccarteks vifs, ôc leurs biens confifqués, lorfque la trahifon aura fait un tort confidcrablc a l'Armée , à la Ville, cVc. En fuppofint que la trahifon n'ait pas eu des fuites funeftes, le Confcil de Guerre condamnera le coupable k une mort plus douce , mais il fera toujours écartclé après fa mort. A vr. II. Les Orïiçkrs Commandans fubiront la même punition, lorfqu'ayant eu connoifiance des trames de cette cfpècc , ils n'auront pas décelé les coupables. Les compilées du crime de trahifon doivent être punis comme les traîtres eux-memes. Ar t. III. La défenfe ci de (fus cft fi cxprelle, qu'il ne fera pas même permis à un fils dont le père ferviroit dans l'Armée ennemie, d'entretenir avec lui la moindre correfpondancc. Art. IV. Aucun Prifonnicr de guerre ne pourra cacheter fes lettres, & encore moins les faire partir fccrcttemcnt : il doit les remettre décachetées au Commandant qui les fera parvenir à leur dellination. Tout Prifonnicr qui agira autrement, fera rC' gardé h jufte titre comme un cfpion , ôc comme tel, il fera pendu. Art. V. On infligera la m$me peine a tout Officier ou Soldat qui révélera le mot de Vordrt a l'ennemi, ou qui lui fera quelques fanaux de tiahilbn , foit cn criant, foit cn chantant, foit par uu coup de fuiil, par un icu ou par tout autre moyen. Art. VI. Celui qui ayant oublié le mot de Tordre, fe fervira d'un autre, fera puni conformément al'ArticleXV du Chapitre IV. Art. VII. Le mot de l'ordre ne doit pas être communiqué indifféremment a chacun , ni annoncé publiquement. On ne doit le donner qu'aux Officiers de Ronde, Se aux Commandans des différentes gardes &. des poflcs avancés. Art. VIII. Celui qui fera découvert dans la trame d'une trahifon qu'il n'aura pas encore eu le tems d'exécuter, fera condamné au même fupplice que s'il avoir confommé fon crime. Art. IX. Il n'cfl permis a aucun Officier, a aucun Soldat, d'in* férer dans-les lettres qu'ils écriront a leurs parens, a leurs amis ou a toute autre perfonne , rien de ce qui concerne l'Armée , lc Camp ou la Garnifon où ils fe trouvent, fous peine, pour les Olhciers , d'être deshonorés &e privés de leurs grades, Se même de perdre la vie , fuivant la nature des renicignemens : quant aux Soldats, le Confcil de Guerre leur infligera les châtiment qu'il jugera convenables. Cette févérité cft d'autant plus néceffaire , que les Couricrs porteurs de ces lettres font fouvent arrêtés, Se que ces lettres peuvent procurer a l'ennemi des renicignemens qui le mettent a même de former quclqu'cntrcprife funcflc. Il cft bien plus naturel d'ajouter foi à des récits de cette nature, qu a tout ce qui cft rapporté par des efpions Se même par des prifonniers. Art. X. Celui qui aura connoifiance d'un projet de trahifon , formé par un fcul ou par plufieurs, qui découvrira un efpion ou une autre perfonne fufpcctc, foit dans le camp ou dans la garnifon, Se qui n'en donnera pas avis fur-lc-champ a fon Chef, ïer.i puni corporcllcmcnt, &: même privé de la vie fuivant les circonftances. 11 ne pourra le juftificr cn alléguant pour exeufe , qu'il n'auroit pas été en état de prouver fon accuiation par des témoins. Ce fera aux Chefs auxquels on fera ces dénonciations, Xxxx ij à examiner fcruputcufcmcnt il elles font vraifemblables, à faire épier avec foin la conduite des aceufés, pour cn tirer les indices néceftaires, dans la crainte de faire arrêter injuilement quelqu'un; car il peut arriver qu'un très-honnête homme foit aceufé par quelques méprifes, par calomnie, èv par quelques motifs de haîne ou de vengeance. . . Art. XI. La même peine aura lieu envers toute perfonne qui recevra de la part des ennemis des manifeftes ou autres écrits de cette nature , ôc qui les répandra dans l'Armée ou dans unc Garnifon. Il cil également défendu , fous la même peine, d'annoncer des nouvelles fauftes Ôc de répandre des bruits capables de jetter l'effroi dans le cœur des Soldats, foit que la perfonne répande elle-même ces bruits ou les fille répnndrc par fes éniiHaircs. Aut. XII. Tout ce qu'on apprendra concernant l'ennemi, ne doit être communiqué qu'au Commandant ou au Général, ôc jamais a d'autres, fous peine de chàtimcns. CHAPITRE XVII. De la Rébellion ù de la Sédition, des Querelles & Complots particuliers. Article I. Il cft expreifément défendu a tous les Militaires de former aucune aifemblée pour fe concerter entr'eux fur quel-qu'objet particulier, ou pour préfenter cn commun une Supplique ou Requête , parce qu'il en peut réfultcr des défordres èv même une fédition. Lorfque le cas arrivera parmi des Soldais, les auteurs du tumulte feront pendus fans rémiftion : on fe conduira à l'égard tics autres comme il a été ilatué a l'article des Déierteurs, Ceux qui auront fujet de iè plaindre feront toujours libres de demander juftice, mais ils ne peuvent le fane qu'en particulier, èv jamais cn gênerai. Art. IL Tout Officier qui aura donne lieu a de pareilles atTem-blées, ou qui les aura tolérées au-lieu d empêcher les Soldats qui font fous fes ordres de s'y rendre, fera dégradé 6c puni de mort : les biens feront confifqués. Art. III. Quiconque aura cherché à foulcvcr les efprits, a les excitera la fédition par paroles, par écrits, ou de telle manière que ce puilfc être, fubira la peine de mort, ou tel autre châtiment qui fera déterminé par le Confcil de Guerre. Tous ceux qui, ayant eu connoifiance des propos ou des écrits tendants à exciter une émeute, n'en auront pas averti a tems leurs Officiers fupé-ricurs, feront punis de la même manière. Art. IV. Toute révolte ou défobéilfaucc marquée fera punie par la corde fans aucune rcmiflïon. On fera exécuter les coupables fur lc lieu même &: dans linllant du fait, fi le retard du châtiment pouvoit occafionnet quelques dangers. C'eft lc moyen d'empêcher le feu de la révolte de fc communiquer, cn jettant la terreur dans lc cœur des autres féditieux. Au t. V. Lorlqu il iiirvicndra des difputcs, des querelles entre deux Soldats , aucun d'eux ne pourra appcllcr fes camarades a fon fecours, dans la crainte de donner lieu parla au défordre &: a quclqu'émcute. Celui qui aura appelle du fecours 6c ceux qui feront venus pour le fecourir, feront également pendus. Art. VI. Les appels, les cartels, les combats particuliers font abfolumcnt défendus, tant aux Officiers fupérieurs qu'inférieurs, foit nationaux , foit étrangers. Quiconque , pour venger des infultcs ou des injures, provoquera fon ennemi au duel , fera pendu lors même que le duel n'aura pas eu lieu. L'aggrclfcur 6c Toifcnlc fubiront la même peine s'ils le font battus > 6c fi 1 t n des deux relie fur le champ de bataille , fa mémoire fera llétric, èv quoique mort, il fera pendu par les pieds. Art. VII. Si un Militaire offenic par un autre prend un ticr -i% HISTOIRE DE RUSSIE, pour juger le différend que celui-ci, loin de chercher h calmer les efprits, les excite au combat, & s'y préfente avec celui qui aura requis fa médiation , ils feront pendus tous deux. Art. VIII. Lorfque dans un repas, ou dans toute autre pattie de plaifir; il furviendra unc difputc occasionnée par un excès de boiflbfl ou autrement, le que les voies de fait fuccéderont aux injures, l'aggrclfcur fera condamné a demander publiquement pardon a 1 'offenfe, cn préfence du Tribunal Militaire , Se cn outre il fera mis aux arrêts fi c Vil un Officier i Se il pa liera par les baguettes, fi c'efl un (impie Soldat, C'cit fur quoi les Juges doivent prendre des informations exaéles, dans la crainte de punir l'innocent au lieu du coupable. En fuppoiant que les voies de fait ayent occailonné des blelfurcs graves, ou 1.» mort même, le Tribunal Militaire prononcera fur le délit èv. fur la réparation des torts. Art. IX. Pour prévenir les fuites tàcheulcs que peuvent avoir les querelles particulières, il fuit que ceux qui cn font témoins, cherchent a les appaifer dès leur commencement. S'ils ne peuvent parvenir a calmer les efprits , il leur cil enjoint d'envoyer chercher la garde ou de l'aller chercher eux-mêmes, de déclarer ce qu'ils ont vu Se entendu. Ceux qui ne le feront pas, iubiront la même peine que les coupables. Art. X. Tout Soldat qui fc battant avec un autre le frappera d'un coup de couteau , fera conduit fur-le-champ fous une potence, pour y avoir la main percée d'un clou, ou du même couteau dont il aura blcflé fon advcifaire : il fera paffé par les baguettes enfuite. Art. XI. Celui qui dans un mouvement de colère fe fervira d'une épéc ou d'un pittolcr pour en frapper quelqu'un , aura la main coupée. La même peine aura lieu envers celui qui frappera fon ennemi d'une canne ou d'une arme quelconque. Art. XII. Celui qui donnera un fouftiet a un autre fubira la peine du Talion cn préfence des mêmes perfonnes devant lefqucltes il aura commis cet outrage, ôc fera cn outre condamné à telle punition que les Juges trouveront convenable. Art. XIII. Toute perfonne offenféc a droit de porter fes plaintes au Commandant de la Place ou du polie , pour obtenir la fatisfaction qui lui fera duc. Après un examen fcrupulcux des plaintes portées, lc Commandant obligera l'aggrcftcur a faire la réparation convenable ; ôc Ci le Commandant fc refufoit a cet acte de juftice , il fe mettroit dans lc cas d'être puni lui-même. Art. XIV. Celui qui portera des plaintes contre quelqu'un ôc qui préfentera fa requête en réparation du tort qu'il prétendra lui avoir été fait, doit bien prendre garde de rien avancer qu'il ne foit pas cn état de prouver; car dans ce cas il fubira lc châtiment attaché au délit dont il fc fera plaint injuftement. CHAPITRE XVIII. Des Lettres anonymes, des Placards injurieux > de la Mcdifancc & de la Calomnie. Artic i.i I. Celui qui acculera un autre de trahifon, ou de quelque action lâche èv: deshonorante, foit dans une Lettre anonyme, ou par un Placard répandu furtivement dans lc Public, fera puni de la même manière que le feroit celui dont il a voulu flétrir l'honneur, s'il étoit véritablement coupable du crime qu'il lui attribue; èv tous les écrits de cette nature feront lacérés Se brûlés par la main du Bourreau. ART. II. En fuppofant même que les laits contenus dans de pareils écrits fufient vrais , èv que la perfonne a laquelle on les attribue n'en ait pas été punie, l'auteur de l'Ecrit anonyme n'en fera pas moins répréhentable On commencera par le mettre en prilon pendant l'inilruelion du procès; èv s'il cft" reconnu pour être l'auteur du libelle, il paffera par'lcs baguettes, ÔC fera enfuite envoyé aux galères. Le Confcil de guerre peut, fuivant la gravité du cas, le condamner à unc peine plus grave ; car, loin que le coupable ait été infpiré p>ar aucun motif de zèle Ôc de probité , il n'a fait cette délation que dans la vue abominable de perdre celui qu'il aceufe, en lui-enlevant f honneur. Art. III. Tous ceux qui auront eu quelque part à ces infâmes écrits , foit cn les confcil tant ou cn les approuvant , foit en les affichant, cn les portant fccrètcmcnt dans les maifons , ou en les jettant dans la rue , feront punis de la même manière que l'auteur de ces libelles. Art. IV. Dans lc cas où il ne feroit pa« poiiibic de découvrir fauteur de ces atrocités , fon procès lui fera toujours fait par contumace, Ôc lc libelle fera laccré ôc brûle par la main du Bourreau. Art. V. Tout Officier, de quelque rang qu'il foit, qui répandra des calomnies contre un autre,ou qui l'offcnfcra par des ptopos injurieux, fera condamné à fix mois de prifon , èv a fc rétracter publiquement cn préfence du Tribunal Militaire èv de la Perfonne orientée. S'il refufe de faire la réparation , il fera condamné a une amende, ôc emprifonné de nouveau pendant fix mois. Si après ce terme il pcrlilloit encore .dans fon refus, il payera unc double amende ôc fera relier ré plus étroitement. Infin li rien ne pouvoit vaincre fon obllination , il fubira lc châtiment que lc Tribunal jugera a propos de lui infliger. ART. VI, Celui qui dans la colère , ou qui par légèreté , blellcra l'honneur de quelqu'un par lesdiicours , icra obligé d en demander exeufe, comme il vient d'être dit ; mais li loffcnfc cft grave , il payera cn outre unc amende , Ôc fera mis en prifon pour quelque teins. Dans le cas où il rcfufèroit de faire 1a réparation , HISTOIRE DE RUSSIE. 7^ ration , on l'y contraindra par toutes les voies juftes & raifon-nablcs. Art. VII. Tout homme infulte qui fe vengera par voies de fait, perdra non-feulement lc droit de demander ôc d'obtenir unc fatisfaction, mais il fubira la même peine que devroit fubir celui qui l'aura infulte. L'offenfc qui rendra injure pour injure, ne pourra plus exiger de réparation. CHAPITRE XIX. Du Meurtre. Article I. Quiconque, fans un danger imminent pour lui-même, tuera ou blelfera un autre , de manière qu'il meure de fes bleflurcs, aura la tête tranchée fans rémiftion. Mais lc Tribunal ne doit rien négliger pour s'allurcr pofitivement ii la mort a été la fuite des coups, où li clic n'eft pas arrivée par d'autres caufes. Dans ce dernier cas, lc coupable qui aura frappé ne doit pas être puni de mort, mais on lc punira par la prifon, par unc amende, par les baguettes, ou par tel autre châtiment proportionné au délit. 11 eft donc indifpcnfablc que le corps mort foit ouvert lans retard par des Chirurgiens experts, afin de pouvoir conftater la caufe de la mort, ôc lever tous les doutes des Juges à ce fujet. Les Chirurgiens feront tenus d'en faire un rapport par écrit à la Juftice, ôc de lc confirmer par ferment. Les bleflurcs qu'on peut regarder comme mortelles , font les fuivantes. i°. Lorfque lc cerveau cft attaqué , qu'il fe fait un epanchement , Ôc que le fang fc coagule au bout de quelques jours. Alors la fièvre, lc délire , la phrénéfic , s'emparent du malade , se ces accidens fc terminent ordinairement par la mort. Cependant il n'eft pas rate que le bielle recouvre la faute par l'opération du trépan, lorsqu'elle cft faite a tems ôc par un habile Tome III. Y y y y homme. z°. Les blciïures faites au bas-ventre , 6V: qui pénètrent dans les vifeères , font très-ciangereufes : il en cft de même de celles qui pénètrent dans la poitrine. 30. Les blelfurcs de la gorge » lorfqifelles pénètrent dans l'intérieur du goiier , ou quelles attaquent les nerfs du col. 40. Prcfque toutes celles de l'cftomac, des inteftins grêles, du foie, de la rate , du diaphragme, font prcfque toujours funeftes. Il cft cependant quelques cas ou l'ha-bileté du Chirurgien peut procurer laguérifon. y0. Les blelfurcs frites avec des armes empoifonnées, ne font prcfque jamais guérilla bl es. Le Tribunal doit prendre en conftdération l'cfpccc d'arme qui aura donné la mort : H clic cft de nature a ôter infailliblement la vie, telle, par exemple , qu'une hache, un pieu, une maftue , 6Gci, alors Vintcntion du coupable n'eft pas équivoque ; mais Ci le défont a été tué par unc arme légère , telle qu'une baguette ou autre inllrumcnt de cette cfpèce \ la mort doit être plutôt attribuée au hazard qu'au meurtrier lui même ; ôc dans un cas pareil la peine de mort doit être commuée cn une plus douce, attendu que l'accident cft plus malheureux que volontaire. Ain. 11. S'il arrivoit qu'un Oftkicr Commandant fit châtier quelques-uns de fes Subalternes , pont des fautes concernant le fervicc, Ôc que quelqu'un de ceux qui auraient fubi le châtiment cn mourût, ou ne doit pas regarder ce Commandant comme un meurtrier , ni le condamner à mort. On le punira , (dit par la privation de fon grade- , Ôc cn le failant fervir comme lin 1 pie Soldat, pendant un tems déterminé , foit pat unc amende pécuniaire , foit enfin par la prifon ce par l'obligation de remplacer à les frais le Soldat morr. Arcr. 111. fous les" complice» d'un meurtrier, qui l'auront féconde par leurs confeiU ou par leurs fecours, périront du même fupilicc que le meut (lier lui-même. HISTOIRE DE RUSSIE. 713 Art. IV Celui qui fe trouvant dans la néceflité de fe défendre, tuera fon adverfairc, fera a l'abri de toute pourfuite, cn prouvant le danger évident de mort pour lui-même, s'il n'avoit pas repoufle la force par la force. Art. V. 11 ne furrit point d'alléguer des raifons légitimes pour la jullifïcation d'un meurtre : celui qui l'aura commis fera tenu de prouver qu il n'a point été l'aggrelfcur, ôc que la violence de fon ennemi l'a forcé d'en venir aux mains avec lui. Dans lc cas même d'une défenfe légitime , on ne doit jamais s'écarter des règles de l'honneur ôc de la juftice. Elles continrent, i°. â régler la défenfe fur l'attaque , c eft-a-dirc , que lc combat doit fe faire à armes égales , &: que fi l'on cft attaqué fans armes, on doit fc défendre de même, a moins que l'aggrelfcur ne foit infiniment fupéricur a l'autre par fes forces phyfiqucs ; car alors le plus foiblc peut fe fervir de toutes les armes qu'il trouvera fous fa main , attendu qu'il n'eft point de confidération qui ne doive céder aux befoinsde défendre fa propre vie. t°, Si l'un des deux combattans prend la fuite , ou qu'il tombe, fût-ce même l'aggref-feur, fon adverfairc ne doit ni le pourfuivre , ni le frapper lorfqu'il cft a terre ; s'il le fait, ôc qu'il lc tue, il fera regardé comme un meurtrier ôc puni comme tel, n'y ayant pas été contraint pour fa propre défenfe. j*. Lorfque la perfonne attaquée aura poulie la modération aufli loin qu'il cft pofliblc, ôc qu'elle fera forcée de fe défendre, ou que redoutant les premiers coups de l'aggrelfcur, clic l'attaque lui-même Ôc lc tue , clic ne fera point punie de mort, mais clic fera condamnée a faire amende honorable dans l'Eglife pour demander à Dieu pardon de l'homicide; clic fubira enfuite la prifon, payera unc amende, ou paifera par les baguettes. Art, Vf Tout meurtre commis involontairement, fans aucune intention de bleffcr ni de tuer, ne peut encourir I.i peine de mort. Mais l'imprudence qui aura donné lieu a l'accident mérite Yyyy ij 7M HISTOIRE DE RUSSIE, d'être puni. C'eft à la fagefle des Juges a condamner le conv pable involontaire , fuivant la nature des circonftances» à l'une des peines défignées dans l'article précédent. Art. VII. Tout homme qui, par inimitié, par defir de vengeance , cn pouffera un autre avec violence ôc lc fera tomber, ou qui lui jettera quelque chofe à la tête, ou enfin qui lui portera quelque coup fuivi de la mort, fera puni comme iui meurtrier volontaire. Art. VIII. Lorfque dans unc querelle, un homme aura été frappé par plufieurs, &: mourra de fes bleflurcs, fans que l'on puiffe favoir qui lui a donné le coup mortel, alors tous les coupables doivent être arrêtés, emprifonnés, rigoureufement interrogés , ôc même mis a la queftion , fi lc cas l'exige , afin de découvrir la vérité par ce moyen. Si les Juges ne peuvent parvenir à connoître l'auteur du meurtre, ils commueront la peine de mort cn d'autres châtimens proportionnés a la nature du délit. Art. IX. On ne pourra infliger aucune cfpccc de punition a celui qui cn tuera un autre fans deffein , mais par pur accident, par exemple , il, lorfque les Soldats tirent au blanc dans unc place, quelqu'un paffoit derrière lc but , fans être apperçu, ou que courant à travers la place entre le tireur ÔC ic but , dans l'inftant que le coup part, il cn foit atteint ; le Soldat qui aura tiré ne fera nullement rcfponfable de la mort, qui ne doit être attribuée qu'à l'imprudence du défunt. Art. X. Celui qui ordonnera l'homicide, fera puni comme k meurtrier lui-même. ART. XL I ou t homme qui fc lai liera Icduirc par argent ou par quelque autre motif que ce foit, pour commettre un meurtre , fera , ainfi que lc feduetcur, roué vif, ôc les membres feront expofes fur la roue. Art. XII. Lc même fupplicc aura lieu envers tout homme qui cn fera périr un autre par le poifon. Art. XIII. Celui qui portera une main homicide fur fon Père, fur fa Mère, fur fon Enfant, fut un Officier, fera condamné au même fupplicc. Dans tous les auttes cas de meurtre, il aura la tête tranchée. Dans celui dont il s'agit, le Tribunal , avant de prononcer fur lc délit, doit examiner avec attention fi le meurtte a été volontaire cV: prémédité , ou non. Car, li un homme cn frappant fa Femme, ou corrigeant fon Enfant, lui donnoit un coup mortel, fans avoir lc dclfcin de tuer, alors lc Tribunal pourra adoucir les peines portées par la Loi. Art. XIV. Quiconque fc tuera lui-même , fera traîné fur la claie par le Bourreau , & fon corps fera jette enfuite a la voicric En fuppofant que lc Suicide ait été commis dans un état de folie reconnue, dans un accès de délire fébrile, ou par tout autre motif cxcufablc, les Juges , après l'examen rigoureux de toutes les circonftances, feront enterrer le mort. Art. XV. Lorfqu'il fera prouvé qu'un Soldat aura voulu attentet à fa vie, dans un accès de chagrin , ou pour éviter quelque humiliation, il fera chalfé du Régiment : mais s'il a voulu fe tuer par tout autre motif, il doit être puni de mort. CHAPITRE XX, Des Crimes contre nature j du Viol, du Rapt & de la Débauche. Article I. Celui qui commettra des crimes contre nature * r fubira un châtiment corporel très-rigoureux. Art. II. Celui qui employera la vfolcncc pour commettre ce crime, fera condamne aux galères perpétuelles, ou même puni de mort (clon la nature de la violence. Ailt. III. Quiconque fera convaincu d'avoir fait violence h unc Femme jeune ou vieille , mariée ou non, fût-ce même cn Pays ennemi, aura la tête tranchée, ou, félon les circonftances , il fera condamné aux galères pour lc refte de fes jours. Mais les Juges doivent obfervcr, a cet égard, que les femmes de mauvaife vie ajoutent fouvent la fauifeté à leurs dérèglemens. Elles ne doivent pas être crues légèrement. On ne peut admettre une pareille preuve que lorfque la femme violée produira des témoins irréprochables qui dépoleront quelle a crié de toutes fes forces au fecours. Mais li la chofe cft arrivée dans un bois ou dans quelqu'autre endroit écarté , il ne faut pas s en rapporter uniquement a la dépofition de la femme, même bien famée. Les Juges doivent examiner très-fcrupulcufement toutes les circonftances ; ôc s'il y a contre 1 Aceufé des indices allez graves» ils lui feront fubir la queftion, afin de lui faire avouer fon crime, ou ils l'obligeront à s'en purger par ferment. Ces indices font les fuivans. 1°. £i les habits de l'un des deux ou ceux de tous les deux l'ont déchires. V\ Si fun des deux a quelques contulions. Si la femme violée fc préfente devant les Juges aufli-rot après ces faits; ÔC dans ce os on doit examiner attentivement Ion air , fa contenance, les difeours. Mais on doit préfumer que la femme aura COnfenti a Ion déshonneur, lorfqu'clle ne rendra plainte que plu-fleurs jours après. Nous penfons, contre le fentiment de quelques Jurilconfultcs, que le viol d'une proftitucc doit être puni aufti fevèrement que celui d'une femme honnête, attendu que la violence ell toujours violence : aufli les Juges doivent-ils avoir moins d'égard a la qualité de la perfonne qu'à l'action même , èv a tout ce qui a précédé ou fuivi. Cet Article cft: conforme au Droit Saxon. Les Juges infligeront la peine qu'ils jugeront néceflaire à celui qui aura fait des tentatives pour violer, quoique lc viol n'ait pas ete confbmmé. HISTOIRE DE RUSSIE. 717 Art. IV. Celui qui enlèvera une femme bien famée, mariée ou non, veuve ou fille, ôc qui en abufera , aura la tête tranchée, quand même la perfonne auroit confenti à fon enlèvement. Cette peine n'aura pas lieu lorfque la femme ou la fille aura été promilé ou fiancée au ravilfcur, ôc qu'elle ne fera foumife ni à l'autorité d'un père , ni à celle d'un tuteur. Art. V. Un homme ôc unc femme mariés qui fe rendront coupables d'adultère, feront punis tous deux félon les circonftances du crime. Art. VI. Lorfque l'adultère cft fimplc, c'eft-à-dire, que Tune des deux perfonnes n cft point mariée, il doit être puni félon le rang des perfonnes, foit par unc étroite prifon, foit par le fupplicc des baguettes, foit en châtiant le coupable du Régiment, foit cn lc condamnant aux galères pour un tems limité. Mais fi la Partie offenféc intercède pour 1 autre, ôc fc réconcilie entièrement avec clic, ou que ceux qui auront commis l'adultère prouvent qu'ils n'ont pu fatisfiirc leurs défirs par lc mariage , la peine fera modérée. On doit encore regarder comme adultère iimplc tout célibataire qui débauchera une fille déjà fiancée ôe promile à un autre. Art. VIL Celui qui du vivant de fa femme cn époufera unc autre, fera jugé félon les Loix Eccléfiailiqucs. Art. VIII. Si lune des deux Parties cft dans la bonne foi> c'eft-à-dnc , ignore le mariage de l'autre , il ne lui fera indigo aucune peme : elle fera déclarée innocente ÔC maintenue dans (on honneur ôc là réputation. ART. IX. L'inccftc OC deux proches païens en ligne afeendante ou dcfccndantc fera puni par la perte de la tête ; mais s il ell commis par des collatéraux ou par des perfonnes alliées feulement par mariage , U peine eft remile a la prudence d< s Jn;cs . les coupable* feront cn outre unc amende honorable dans l'Eglife. 7?.8 HISTOIRE DE RUSSIE. Art, X. Aucune proftituée ou femme de mauvaift vie ne pourra être tolérée, foit à farinée, foit dans les garnirons j s'il s'y cn trouve quelques unes, elles feront, fuis aucun ménagement, dépouillées de leurs habits par lc Prévôt, Se chalfécs publiquement. Art, XI. Tout célibataire qui aura fait un enfant h unc fille , fera obligé de payer unc fomme pour l'entretien de la mère Ôc de l'enfant, &c cn outre mis en prifon pour quclque-tems, Se condamné à faire amende honorable dans l'Eglife. La peine fera proportionnée à la qualité & k la fortune du célibataire ; mais s'il époufe cette fille, on ne pourra lui infliger aucune punition. ART. XII. Quiconque abufera d'une fille fous promclfc de mariage, fera contraint de 1 epoufer. S'il nie fii promefle cn avouant pourtant qu'elle cil grofle de fon fut, se que de forts indices faflent préfumer qu'il lui a réellement promis de fc marier avec clic , lc coupable icra obligé de fc purger par ferment, &e s'il refufe de le faire, on le forcera d'épouler la fille. Mais on ne pourra pas exiger le ferment pour le fimplc fait de la groifelfe, lorfqu'il n'y aura point d'indices furlilants de promclfc de mariage. On ne l'exigera pas non plus lorfque de la réunion des preuves on pourra jullemcnt conclure que le coupable a véritablement promis de fc marier ; car alors , il vaudra mieux l'y obliger, que de l'expofer peut-être à fe parjurer. Art. XIII. Il efl défendu à toutes perfonnes, de quelque condition Se qualité que ce foit, de chanter des chantons impudiques, ou de fc fervir d'expreflions falcs Se indécentes, qui oftenient les mœurs. K ..... CHAPITRE CHAPITRE XXI. De VIncendie i des Brigandages & du Vol. Article I. Tout Officier ou Soldat qui de propos délibéré Se uns ordre , mettra le feu pendant la marche a unc Ville ou Bourgade , à un Village, unc Eglifc , une Ecole , un Hôpital, un Moulin, qui détruira ou ruinera des fours Se des maifons, qui garera les inllrumens Se outils des Payfans, ou fera quclqu'autre dommage , fera déclaré incendiaire Se tranfgrelfcur des loix , &: comme tel condamné , ainfi que tous ceux qui auront contribué à fon crime , a être décapité ou brûlé vif, fuivant 1 enormité du Crime c\: le fentiment des Juges. Art. II. Lorfque, pat négligence ou par défaut de précaution, il arrivera quelque incendie, foit dans les logemens des troupes ou ailleurs, les Officiers Se Soldats auxquels on pourra juftement attribuer ce malheur, feront tenus de faire réparera leurs frais,' Se félon ledimation des Juges, lc dommage caufé par le feu, Se l)a fubiront cn outre une peine proportionnée au degré de leur faute Se de leur négligence. Art. III. La même peine aura lieu envers ceux qui détruiront ou brûleront les maifons , les haies te clôtures des Sujets de Sa Majellé , ou qui gâteront les bleds te autres crains dans les champs, à inoins que ce ne foit dans un cas de néccilité prouvée , eV après en avoir obrenu ta permiflion. A^t.IV. Perfonne ne doit, même en pays ennemi, mettre le feu , fans ordre, en quelque endroit que ce foit : celui qui l'aura rail , 1er: jugé par le Confcil de Ciuerrc , èv condamné, tant a caufe du dommage e.iufc aux troupe, de Sa Majellé , que des avantages qui auront pu cn remit cr pour l'ennemi, à être enfermé dans une étroite prifon , à palfer par les baguettes, Se même Tome Ilf. Lzzz 73^ HISTOIRE DE RUSSIE, à être cafte. Quiconque par méchanceté mettra le feu aux logemens de fes Supérieurs ou de toute autre perfonne, fera puni de mort comme incendiaire. Art. V. Il ell expreifément défendu de piller, ni de faire aucune violence à qui que ce foit, Sujet ou non de Sa Majcflé Tzaricnne, Officier, Cavalier ou Soldat, foit cn route ou dans les camps, foit dans les Villes, Villages &c Fortcrcffcs : ceci doit être obfcrvé non-feulement dans les pays des Alliés St des Puilfanccs neutres, mais même cn pays ennemi. Il efl aufli défendu , fous peine d'un châtiment corporel, &c même de perdre la vie, de lever aucune contribution cn befliaux , ou de toute autre manière , fans y être fpécialemcnt autorifé par les Généraux ou autres Commandans cn chef. Art. VI. On punira de la même manière, ou par la confifea-tion de tous fes biens, félon la gravité du délit, toute perfonne qui , de fon autorité privée , ruinera les mai Ions ou édifices. Cette difpofition doit être exécutée avec d'autant plus de rigueur, que de pareils dégâts expolèroient les troupes a manquer de pro-vifïons, ou à fouffrir beaucoup du froid & des injures de fair, par défaut de logement ; ce qui peut ruiner infcnflblcmcnt Se entièrement l'Armée, Se mettre même l'Empire cn danger. ART. VII. Tout Soldat qui, étant de garde , extorquera aux palfans de l'argent ou autre, effets, foit par violence ou de toute autre manière, fera p ni de mort. Art. VIII. Toute Sentinelle ou autre Soldat de garde qui fe huilera corrompre Se donnera paflage à quelqu'un ou à des effets, contre la conlignc qui lui aura été donnée, fera condamné à être pendu. Art. IX. Tout malfaiteur qui à main armée commettra dans un chemin public quelque vol ou violence, ou qui ayam enfonce de nuit unc maifon, y volera, tuera ou blcllcra quelqu'un, fera HISTOIRE DE RUSSIE. 751 roue vif avec tous ceux qui auront participé à fon ciimc, & lcuts corps feront expofés fur la roue. Art. X. Tout voleur qui s'introduira dans unc maifon 6c cn tout aurre lieu fans armes, qui ouvrira les portes ou les coffres avec une faune clef ou de toute autre manière, fans effraction ni violence, 6c fans hlcffcr ni maltraiter perfonne, ne fera point puni de mort, mais paffeta fortement pat les baguettes. Art. XI. La même peine fera infligée , mais avec plus de modération , à celui qui , étant entre dans unc maifon dans l'intention de voler, fera furpris 6<: arrête avant d'avoir pu exécuter fon deifein. Art. XII. Il efl permis à toute perfonne, félon le droit des gens, &: fans encourir aucune punition, de tuer un voleur qui fera entré de nuit dans fa maifon, s'il ne peut s'en faiflr fans rifqucr fa propre vie. Car quiconque s'introduit nuitamment chez quelqu'un, peut être juflcmcnt foupçonné , non-feulement d'avoir delVein de voler, mais même d'affailincr. Art. XIII. Celui qui fera entré dans unc Eglife ou aurre lieu facré , à deffein d'y voler, 6c qui cn emportera quelque chofe, fera puni de mort, 6c fon cadavre expofe fur la roue. Art. XIV. On fera fubir la même peine à ceux qui attaqueront 6c voleront les Marchands ou autres perfonnes apportant des pro-vifions au camp. Art. XV. Celui qui fera convaincu d'avoir enlevé unc ou plufieurs perfonnes, 6c de les avoir vendues, aura la tête tranchée. Art. XVf Quiconque volera dans les tentes ou dans les caif-fons, foit en campagne, foit cn marche, aura lc nez èV les oreilles coupés. Art. XVII. Lorfqu'un voleur fera furpris fur le fait d'un vol fimple, èV: que la valeur de ce qu'il aura pris n'excédera pas vingt Z zz z ij roubles, il panera par les baguettes, Ôc on lui fera faire fîx tours pour la première fois : il fera condamné à douze tours pour la féconde j ôc a la troifièmc fois il fera envoyé aux galères, après avoir eu le nez 6c les oreilles coupés. Mais il fera cn outre condamné chaque fois a reftituer les effets voles. Art. XVILI. Ceux qui auront affilié ou favori fc quelques voleurs , qui auront eu connoifiance des vols, ou qui auront accepte ôc fait circuler des effets quils fuiront avoir été volés, feront punis comme les voleurs eux-mêmes. Ar i. XIX. Si l'on furprend fur le fait plufieurs voleurs cnfcmble, quelque nombreux qu'ils foient, ils feront punis de kl même manière que celui qui aura fait le vol. Art. XX. Ceux qui voleront du bois, blés , ou qui commettra ce crime pour la quatrième fois, qui profitera pour voler d'un tems d'incendie, d'inondation ou de quelqu'autre malheur public, qui dérobera quelque chofe dans les arfenaux, les magafins des vivres 6c munitions, ou dans les caillons d'Artillerie, qui volera (on propre maître, l'on camarade, ècc., fera pendu (ans rémillion , foit que lc vol fc trouve plus ou moins conlidérablc. ART. XXIII. Tout Soldat qui étant de garde dérobera quelque Chofe de peu ou de beaucoup de valeur, fera également pendu. Art. XXIV. Tout dépohtairc qui niera un dépôt pour le tourner à.fon profit ÔC en priver le propriétaire , leu regardé comme un HISTOIRE DE RUSSIE. 735 voleur, ôc puni comme tel, félon les circonftances Ôc la valeur du dépôt qui lui aura été confié. Art. XXV. Tout dépositaire ôc comptable des deniers de Sa Majcfté Tzaricnne ou de l'Etat, qui en détournera unc partie a fon profit, ou qui altérera fes regiftres ôC les comptes qu'il cft obligé de rendre de fa geftion , fera pendu ; ôc l'on punira du même fupplicc tous ceux qui ayant eu connoilfancc de fa mai-verfation , ne l'auront pas dénoncé. Art. XXVI. Les Soldats qui trouveront quelque chofe dans leur chemin ou dans un endroit quelconque, font obligés d'eu prévenir aufïi-tôt leurs Ofliciers, ôc de rapporter fans délais ferler perdu, afin qu'on le publie a l'ordre ou de toute autre manière, pour qu'il puilfe être réclamé par lc propriétaire : celui-ci doit donner, cn pareil cas, une récompenfe équivalente au tiers de li valeur des effets perdus. Les Soldats qui garderont les effets volés fans les déclarer, feront punis comme voleurs, Ôc obligés cn outre de les rcflitucr. Art. XXVII. La peine du vol fera modérée Ôc même entièrement remife envers celui qui aura volé du pain ou d autres vivres de peu de valeur, lorfqu'il fera prouvé qu'il ne l'a fut que pat unc misère extrême, ôc dans l'impuitlance abfoluc de s'en procurer pour de l'argent. On cn ulcra de même i l'égard de tout voleur qui auroit l'efprit aliéné , ou d un cnlaut encore eu bas âge; mais ce dernier doit être rigoureufement dutié par fes parens, afin de le détourner de bonne heure d'une habitude auili dangereufe èe; auili criminelle. C H A P I T R E XXII. Ou Parjure> & des autres crimes de cette nature* ArticIe L Celui qui aura prête un feux ferment ôc qui eu fera convaincu, fera condamné aux galères, te on lui coupera les deux doigts dont il s'eft fervi pour jurer. Cette peine n'aura lieu qu'envers celui qui aura effectivement juré a faux ; car quiconque fc feroit offert a prêter un faux ferment te qui ne fautoit pas prêté, ne doit pas être puni avec la même rigueur, quoique fon intention mérite un châtiment. Art. II. Lorfque lc faux ferment aura caufé du dommage à quelqu'un, dans fa perfonne ou dans fes biens, lc parjure doit fubir unc peine rigoureufe, te même être mis à mort, félon les circonflanccs du délit. Art. 111. On punira de la même manière les témoins qui, après avoir prêté ferment de dire la vérité, la cèleront ou l'alté-reronr dans le deffein de nuire a l'innocent i les uns te les autres feront cn outre obligés de faire amende honorable dans l'Eglife. Art. IV. Celui qui frappera ou fera de la fauflè monnoic fera puni de mort, èv même brûlé vif félon la gravité du crime. Cette lanification peut fe faire de trois manières, i°. cn marquant la monnoic â un coin Etranger, èv c'efl lc cas le plus puniffablc. i \ En y mêlant de l'alliage ou des matières de mauvais aloi. j°. En altérant fon poids. Ces deux derniers cas ne doivent pas être punis de mort, mais le coupable fubir a telle peine corporelle que les Juges trouveront convenable , ou fera privé de fon honneur te de lès biens. Art. Y. Ceux qui fc ferviront de faux poids te mefurcs, feront non-feulement condamnés à la rcllitution du triple du dommage qu'ils auront occalionné , mais encore à unc forte amende , ou unc peine corporelle. Art. VI. Tout fauûairc te rabricatcut de fecaux , de lettrcs-dc change, de regilUcs ou autres pareils écrits, perdra Ion honneur èv h's biens, & fera condamné à mort , fi la nature du délit Se le dommage caufe l'exigent. HISTOIRE DE RUSSIE. 73T Art. VII. Celui qui changera fon nom de baptême ou de famille dans lc deffein de nuire à quelqu'un, fera privé de l'honneur , 6c puni fuivant la grandeur de fon crime : mais on ne pourra infliger aucune peine a celui qui n'aura changé de nom que par crainte ou danger de fa propre vie , 6c fans aucune mauvaise intention. Art. VIII. Tout particulier qui, de deffein prémédité & par méchanceté , déchirera les Edits , Ordonnances , Mandats ou autres Artlchcs publiques , qui les effacera en tout ou cn paitic, fera condamné aux galères, 6c même à perdre la vie , fuivant les circonftances. CHAPITRE XXIII. Des Prévôts généraux & particuliers, & de l'Exécuteur de la Haute Juftice. Article I. Il cft défendu a toute perfonne , fous peine de la vie, d'attaquer ni de faire aucune violence, foit aux Prévôts généraux 6c particuliers, a leurs Employés 6c autres gens de Julticc, foit à l'Exécuteur, dans l'exercice de fes fondions. Art. II. Lorfque 1 Exécuteur de la Haurc-Juilicc ne tranchera pas la tetc d'un coupable du premier coup, ou qu'en lc pendant la corde vienne a cafter & que le patient tombe a terre vivant, il ne doit pas pour cela être mis en liberté, & l'Exécuteur doit continuer fes fonctions jufqu'a ce que la Sentence de mort ait eu fa pleine 6c entière exécution. Art. III. Si un criminel oppofe la force à ceux qui font commandés pour l'arrêter , 6c qu'en leur f.nluit uiillancc il vienne £trc tu<: ^ ]c meurtrier ne doit pas être puni quai d il ne s'agira que d'un cas ordinaire. Mais lorfqu'il s'agira de Traîtres ou de Rebelles, on doit prendre tous les moyens potlibics pour les faifir vivants, attendu que leur mort peut empêcher de découvrir les complices de leur crime. CHAPITRE XXIV. De ceux qui recèlent les Criminels ou leur procurent les moyens de fe fauver. Article I. Il eft: défendu, fous peine de mort, a toute perfonne, de quelque condition ôc qualité qu'elle foit, de cacher dam ta maifon , ou de toute autre manière, tout ennemi, traître, cfpion ou autre criminel, ni de favoriier leur fuite. Il cft expreifément ordonne de faire tous les efforts potlibics pour les arrêter Ôc les livrer a la Juftice. Art. U. S il arrive qu'un Crlmtncl, remis fous la garde du Trévôt général ou des Prévôts particuliers , s'échappe par leur négligence j Ou loir mis par eux en liberté, lans eu avoir rççu l'ordre exprès i alors ceux qui feront coupables de fon évafion , feront mis a fa place, Ôc fubiront la peine a laquelle il auroit été condamne. Art. ill Tout Officier a qui on dénoncera un Soldat comme toupablc , doit le faire arrêter fur le champ Ôc cn faire fon rapport , a défaut de quoi il fera puni , pour la prenucre fois, par h perte de fon grade, ôc condamné en outre à fervir cn quah.c de fimplc Soldat, pendant un tems limité. S'il commettoit une féconde lois la même faute, après .non recouvre Ion grade, il fera cafte pour toujours. Art. IV. Tout Militaire flétri par unc Sentence , ou qui aura patle par les mains du I'ourreau , doit être chatte ignominieufe-ment, & déclaré indigne de fervit dans les troupes de Sa Majcfté, Mais li un Ofticier ou un Soldat ctoit reconnu pour innocent apte; a\ou lubi la queftion , ou qu'après avoir été reconnu coupable , HISTOIRE DE RUSSIE. 737 pablc , il ait obtenu fa grâce ; dans l'un Se l'autre cas, l'Officier ou le Soldat pourra continuer le fervicc. En conféquence, il fera réhabilité en prélcncc de fon Régiment, a qui on fera prendre les armes pour lc palier fous les drapeaux j Se il cft défendu, fous peme de punition rigoureufe, de lui faire jamais aucun reproche h cet égard. Ici fe termine la première Partie du Code Militaire de Picrrc-lc-Grand. L'abondance des matériaux Se la grolfcur de ce Volume ne nous permettent pas de publier la féconde Partie. Mais fi les Miniftrcs Se les Militaires qui nous ont honore de leurs Souscriptions , cn défirent la publicité , nous nous ferons un devoir de nous conformer a* leur defir, en la fa i faut imprimer feparé-ment ou conjointement avec la première. Elle renferme 6j ( ha-pitres, qui traitent des devoirs^ de U difeiplinc. Voici ic début du Légiiiatcur dans fon Introduction. i> On fait que le Tzar Alexis Mikaelovitz, notre Père, de glo-» riculc mémoire , cil le premier des Souverains Rulfes qui ait « fait ufage des troupes réglées cn 1647.11 établit un fi bon ordre «dans fes Armées, qu'elles s'acquirent beaucoup de gloire en » Pologne Se en Suéde. »> On fait auili qu'après la mort de ce Prince, les Rulfes, loin »• de fc perfectionner dans l'Art militaire, le négligèrent au point » de ne pouvoir ni mefurcr leurs forces avec celles des Nations m dilciplinécs , ni même avec celles des Peuples barbares. 11 n'eit «pas befoin de remonter aux tems anciens pour en trouver la » preuve : il fuilit de rappellcr ici la prife Se la ruine de Tchi mu-» rin 1), la guerre contre les 'fûtes, l'expédition de la Krimée , « Se lc début de la guerre aeluelle avec la Suède. (1) Tebigttifln &oit autrefois la place forte dçj gWaqnil «le la ju-iitc Rulfrc. LIlc T""M Aaaaa « Les avantages que nous a\ons remportés enfuite fur cette «Nation b-lliqucuf-, démontrent invinciblement l'efficacité de wla bonne difeiplinc , & La nec.fïite indifpenfablc de l'obferver » cn tout tems: c'eft de ''on observation exaétc ou de fa négli->j gence qi e dépendent les fuccès ou les revers. w Convaincu de cette vérité par notre propre expérience, nous «avons réfol'i de nous mèrtre a l'abri des difgraccs que nous » avons éprouvées, Se dont l indifeiplîne de nos troupes a été « caufe. Polit parvenir a ce but , nous avons jugé néceflaire de n fixer, pai le préfent Règlement, les divers points de difeiplinc que » nous voulons faire obfcrver dans nos Armées, afin que chaque n Militaire inllruit de la nature & de l'étendue de fes devoirs , » ne pnifle s'exeufer de leur tranigrcflion , en alléguant fon igno-» tance pour exeufe. » Nous fommcs entrés ailleurs dans les plus grands détails fur »j tout ce qui concerne la formation des dilfércns corps Se les «exercices militaires : il ne nous rcflc plus qu'a parler ici des » Volontaires, de l'Artillerie , des Corps tic réferve , des Camps »j volans, des Ofliciers Généraux , de f Etat-Major, dcsCommaiir « dans, des Commiffaircs , &c, Se d'établir d'une manière claire »> Se précite , les règles que chacun deux doit obfcrver , tant m pour fa propre gloire , que pour les avantages du Prince Se » de l'Etat Il ell donc vrai que Picrrc-lc-Grand a la double gloire d'avoir frit des prodiges dans unc carrière qu'il avoit ou créée ou reformée ; que ce Créateur £c ce Réformateur a fait un Code civil Se cft fitiidc fur la rivicu Ti.iminj . nui tombe dam lc BorifiMiM . * marque la donne u un Ciouvcmemcntde U nouvelle Ruflic vers le Nord. Tdiiguiriu fut prife & détruite par les Tatars & 1« Turcs coiifédéiés, eu U78. Voyr\ le Règne de Icdoi Àlcxi^vir/., pag. 99. H I S T Ol R E DE RUSSIE. 739 pénal, un Code militaire en deux parties, 6c un Code maritime. L'intérêt de la vérité t xigeoit doac eifcn relevant les énormes bévues du Traducteur des Chroniques Ru.Tes, nous dénoncions à nos Lecteurs le faux volontaite dont i Vit rendu coupable envers Picrrc-lc-Grand 6c envers lui- cmc. M. lev-jcué à\X , Terne IV, page 545 : n on a loué Pierre 1 comme un Légiflateur j on a « célébré fon Code , ôc il n'a point fait de Code......"Autant l'ignorance de bonne-loi cft cxcufablc , quand on ne s'affiche pas pour infaillible , autant les Affermons téméraires font répré-hcnfiblcs quand on réunit le menfonge à l'audace pour cn im-pofer a fes Lecteurs. M. Le^efqu- arhrmc que Picrrc-lc-Grand n'a point fait de Code, après avoir dit , page 356 , ligne 14 : Ce fut pendant fon féjour à Dant^'uk que ce Prince publia fon Code militaire. Fut il jamais de faux plus nianitcilc ? Mais il n'y a cn ce genre que le premier pas qui coûte : pour foutenir CC parjure Littéraire , le Détracteur de fierté - le - Grand a porte la licence au comble , cn failant inférer dans le Courier de l'Europe , n°. 37 , que c'ejt fur des Perfonnages Augures que retombe l'injure qu 'on lia a jaite , en contondant les impollurcs. Ce feroit en vain que lc doigt de la dérifion confacreroit au m pris un Eciivain qui , au lieu de mettre fon orgueil h mériter la contïdératîon , traveuit Voltaire t avilit Cncron , déprime la Bruyère t fronde les Ilirtoricns les plus accrédités, 6c brave l'opinion publique, il u cil qu'un moyen de calmer cette cfpècc de phrénéfîe, 6c c'efl celui que Ait/:../ a indiqué dans ce vers, qui femble fait pour la choie: ......O média , mediam pertundite venant. Fin du troifihne Volume de l'Ilifioire Ancienne. Aaaaa ij TABLE DES MATIÈRES Contenues dans ce troificme Volume. Aux L l c; r e u r s , pages j & fuïv. livre ix. i Introduction à la. Généalogie des Romanofs, p^ges 1-3- Origine te Généalogie des Romanoft, 4-10. Tableau moral te politique des Rulfes au 17" lièclc, ll-if. Mikaïl - fédorovitz Jourief ou Romanof ell élu Tzar , 16. Il envoie un Ambalfadcur a Gullavc Adolphe pour conclure la paix ; Guftave refufe , itf , ty. Conquêtes des Suédois, 10,11. Traité entre la Pologne te la Suède , ibid. & 11. Démêles entre les Suédois te les Polonois, 14. Paix de Stolbof entre la Suéde te la Ruilie, if. Uladiilas étend les ravages julqu aux portes de Moskou ; il ell battu cv' propofe la paix , 16. Paix entre la Ruilie cv la Pologne , ij. Mikaïl nomme (on père Patriarche , ibid. Il époufe une Princcllc Dolgorouki , qui meurt peu après, 51. Second mariage de ce Prince , 51. Il police les laats, forme plufieurs Régimens de ( avalerie , jî. Mort du Patriarche Philarct , ibid. Portrait de ce Pontife , ibid. Mikaïl déclare la guette h la Pologne , \6, Il efl battu te force de faire la paix, J7, 38. Portrait de CC fonce, ihid. Sa mort , }$. Alexis Mikaïlovitz , 40. Morozof gouverne defpotiquement la Ruilie , 41. Mariage du Tzar, 43. Révolte générale a Moskou contre Morozof ôc les Grands , 44 & fuiv. Alexis appaife la révolte , 48. Traité entre ce Prince ôc la Reine Chriftinc , yi. Révolte au fujet de l'accaparement des bleds , appaifec par Nikon, ibid* cv fuïv. Difcuilion au fujet des Titres entre Uladiflas ôc Alexis , y 6 & fuiv. Les Kofaqucs fe foumettent a la Ruilie, e\: Alexis déclare la guerre a la Pologne, ^8 , 59. Paix avec la Pologne, avantageufe a la Ruilie , 60. Conquêtes des Rulfes cn Ingric , dans la Carélie , fuivies de la paix avec la Suède, ibïd. Révolte des Ruflcs, occafionnéc par l'altération de la monnoic , 61 &fuiv. Anecdote fur unc maladie du Tzar , 64, 6y. Requête bouifonne adreffée a ce Prince, 66. Cjuerrc entre la Ruilie ôc la Pologne, ibid. Ambaffadc du Baron de Mayerbcrg, 67. Dépofition du Patriarche Nikon , 70. Hiiloirc de Nikon, ibid. & fuiv. Révolte de Stcnko-Razin , 73. Second mariage du T/ar , 74. Alexis établit des Manufactures , prote v les Arts cv le Commerce , crée une petite Marine , ôcc. 7#. Portrait de ce Prince, détails fur fon Adminiltration , 79 , 80. Sa mort , Si. Précis du Code d'Alexis , S3-07 fédor Alexievitz , 9%. Incmiion des Tatars èv des Turcs , ôc Paix conclue avec eux, 99. Nouvelle ratification des Traités faits avec la Pologne ôc la Suède , tt-id. Difputcs fur les rangs, qui obligent le Tzar a faire brûler les Livres Généalogiques, ibid. fi. fuiv. Fédor établit la Police , fait conllruirc des Bâtimens publics, augmente lc nombre des Collèges, ôcc. 103. Il déligne pour fon luecelfeur Pierre , fon frère cadet, au préjudice d'Ivan, i'^11 aine , mort de l cdor , * io^ Jean V ôc Pierre I, 105. Sophie forme le projet de faire déclarer h an fcul Tzar, 106, 107. file fuie ire unc révolte , 108. Cruauté de» Rebelles, malfacres qu'ils commettent, 109 & fuiv. Ivan èv Pierre font déclarés Tzara, /W, Régence de Sophie , 113. Lllc donne tour pouvoir au Prince 742 TABLE DES M A TI E R E S. Vafili Galitzin , ibid. Mariage d'Ivan , 114. Révolte du "Prince Kavanski contre la Régente , ibid. & fuiv. Traité entre la Pologne & la Ruflic , ï 16. Entreprife des Ruflcs fur la Krimée , 117, ' Galitzin ell battu pendant deux campagnes , ibid. & 118. Scphic forme le projet de faire mourir Pierre , 6c charge Schcglovitoï de fon exécution , 1 t9. Pierre découvre le projet, délai me les Strcltfi, fait punir les coupables , depofe Sophie èv la fait enfermer, ibid. & 110. Ivan abandonne PAdminiftraticn de l'Etat a fon frère Pierre , 6c mène une vie privée, ibid. LIVRE X. Pierre I Alexiévirz , m. Etat politique de la Ruflïe , ni. Portrait de ce Prince, 11$ & fuiv. .son mariage , 114. Ses projets de réforme, nf. Ses amufenuns guerriers, 116 & fuiv. Traité avec la Chine, Guerre avec la Turquie , 156. Prife d'Azof, i'-;. Reforme dans l'habillement, 140. Origine de Mentfchikof, 141 & fuiv. Malheurs de la Tzarinc, 143 & fuiv. Pierre forme le projet de voyager , 147. Révolte des Strcltfi , 149. IV ni de ce Piincc, 1 to. Etat de l'Europe a cette époque , 1 s i cv fuiv. Prétendue infulte du Comte d'Alberg, Gouverneur de Riga ,153 & fuiv. Arrivée du Tzar en Hollande , 156. Il fe fait Charpentier , ibid. 11 voyage en Angleterre , 161 à Ji.-iv. Nouvelle révolte h Moskou , 166 & fuiv. Pierre vole a Moskou 6c punit les Rebelles, 168 fuiv. Il remplace les Streltfi par des trOUpd réglées, 171. 11 crée un Oidrc de C heva'erie ^ibiJ. Mon du Général Lc fort, 171. Sages reformes du T/ar j *7Î &f5 c fiiv. Lc Général Lyhccker cil battu cn Ingrie , 268. Mazcppa joint Charles XII avec 1500 Kofaqucs , dnd. Trille fituation de rAfméc Suédoife , 271. Charles ravage l'Ukraine Se alliegc Poltava , 271 & fuiv. Pierre marche au iccours de cette Ville , 27^ Charles cil bielle , 27t. Il perd la bataille de Poltava èv" (c fauve en Turquie , 27^ & fîuv. Le Général Loevenhaupt (è rend prifonnicr avec lc rcflc de l'Armée Suédoife ,280. Anecdote fur la lune de Charles, 281 & fiiv. Rcilexions fur la conduite de ce Prince , 285 & fuiv. LcT/ar recompenfe les Généraux èv les Soldats, 287. Anecdote fur le Colonel Ottman , 288 6- fu v. Pierre entre cn Pologne , 191. Les Polonois abandonnent Staniilas , 191. Entrevue de Pierre èv d'Auguilc, 293. Nouveau Traite entre la Ruilie , la Pologne, le Danemarck èv la Pruilc , confie la Suéde , îa-j. Augullc cil u'uMimi île nouveau pour Roi île Pologne, du/. Entrevue du Rot de Pruilc èc de Pierre a Maricm erder , i?1> Triomphe a l'occalion de la bataille de Poltava , Réparation de la Cour d'Angleterre poui l infulte faite h M. Matéof, 297 6- fuiv. Donne réception faite à C harlcs en Turquie , 299. I ollloé , Amballadcur de Ruilie a Conllantinoplc, fait UATraité avec la la Porte, 300. Pierre s'occupe de l'Adminiftration de fes Etats, 301. Conquêtes de Vibourg , de la Carélie, de la Livonic Ôc de Pille d'Efcl, 301 &f Les Danois font battus par les Suédois, 304. Guerre entre la Turquie ôc la-Ruflic, 306. Catherine reconnue Tzarinc , 308. Intrigues de Charles XII Ôc de Poniatoski à la Porte, 3096- fuiv. Pierre entre en Turquie a la tête d'une Armée, 31J. Trille fituation des Ruifcs furie Pruth, 516 & fiiv. Les Ruifcs battent les Turcs, 3116fuiv. Traité entre les Ruifcs ôc les Turcs, 314 & fiiv. Différentes Relations à. ce fujet, 318 & fiiv. Charles cabale contre lc Vifir, 3 35 &fiiv, Pierre n'exécute qu'une partie du Traité du Pruth, 357. Difgracc du Vifir, 33S. Azof cédée aux Turcs, 339. Mariage du Tzarévitz avec la Princclfe de Volfenbutel , 340. Lc Mariage de Pierre I avec Catherine , cft reconnu, 341. Staniflas renonce a la Couronne , ôc rejoint Charles en Turquie, 344. Secours pécuniaire donné aux Suédois par Samuel Bernard , 345. Lc Tzar va rejoindre fon Aimée cn Poméranie , 346 Les Suédois battent les Danois a Gadcbufch, 348 & fiiv. Anecdote fur lc Général Baur , jyo. Affaires du Holftcin, 3 y 1 6* fiiv. Entrevue du Tzar Ôc du Roi de Danemarck ,353. Lc Tzar revient a Pétersbourg, ÔC fait une defeente cn Finlande, 554. Le Général Stcinbock fc rend prifonnicr, ainli que fon Année , ôc livre Tonningcn , ibid. Intrigues ÔC Projets de Goertz , 3 y j & fiiv. Les Ambalfadcurs Ruifcs a, Conllantinople mis aux Scpt-Tours , 360. Procès fait au Vice-Amiral Kréitz, ôc clémence du Tzar, ibid. & fiiv. Le Tzar fait une defeente cn Finlande, Ôc y reçoit le grade de Général eu chef, 361. Difeours de Moullin Pouchkin à table, cn préfence du Tzar, ôc fage Réponfe du Prince Dolgorouki , 363 & fiiv. Anecdote fur Dolgorouki, $6y. Sage Ordonnance de Pierre pour forcer les Nobles au fervicc, $66. Evénement qui prive lc Clergé Ruifc du droit de vie ôc de mort, 367. Traité de garantie Tomé ///. B b b b b 746" TABLE DES MATIERES, entre la Ruilie, la Pologne 6c la Prufle, 369 Le Tzar cft arrête par des voleurs, 370. Anecdote intéreflante fur lc Tzar, 371. Sage Adminiflration du Tzar, 371. Il abolit le ratria1U1.it, 373. Lc Vice-Amiral Ercnfchild cft battu par 1 Amiral Apraxin 6c le Tzar, 375-, Triomphe à ce fujet, 377. Inftitution de l'Ordre de Sainte-Catherine, 379. Paix conclue avec les Turcs, &ÛL Charles abandonne enfin la Turquie 6c arrive a Stralfund , 3S0. Légiflarion du Tzar, 382 & fuiv. Négociations du Landgrave de Hcflc-Caflcl, des Rois de Prufle , de Danemarck 6c de l'E m-percur, 386. Lc Roi d'Angleterre achette les Principautés de Bremen 6c de Verden, 387. Prife de Stralfund , 388. Vie privée du Tzar, 389. Fctc des Nains, 390. Ambaffadcs h la Chine 6c cnPcrfe, 391. Mort de la Grandc-Duchclfc époufe du Tzarévitz, 391. Pierre publie fon Code Militaire 6c d'autres Loix, 39j &fuiv. Méfinrclligcncc de fes Alliés, 398 & fuiv. Voyage du Tzar cn Hollande, 401 &fuiv. Intrigues du Baron de Goertz 6c fes négociations avec M. Ofterman, 401 & fuiv. Goertz 6c Gyllenbourg font arrerés , 407 & fuiv. Voyage de Pierre cn fiance, 410 &fuiv. Goertz ce Gyllenbourg font relâchés 413, Retour du Tzar dans fes Etats, 414. Recherche fur le pailàgc du Nord, MU. Malhcurculc expédition du Prince Bckcvit. 41 y S fuiv. LIVRE XI. Examen impartial de l'exhérédation 6c de la condamnation du Tzarévu/., ec réfutation de tout ce qui a ete publie pour Ici fullincr, pag. 419488. Relation de la mort d'Alexis, tirée des Mémoires de Pierre-Henri Bruce, témoin de cette cataftrophe, 48'; cv l'uiv. DittèïciK'c de la conduite de Charlcmagnc 6c de Pierre leGrand envers leurs fis, 498 & fuiv. Regrets du Monarque Ruflc; Médaille qu'il lait frapper, ôc anecdote ftûgw-licre a ce fujet, 500 & fuiv* TABLE DES MATIERES. 747 LIVRE XII. Congres d'Abo 6c d'Aland, pag. 504. Négociations, ibid & fuiv. Mort de Charles XII, yo6 & fuiv. Mort du Baron de Goertz, 508. Etabliffemcnt des Manufactures &: des Fabriques cn Ruflic, conftrudion de Villes 6c de Canaux , 509 & fuiv. Nouvelle forme dadminiftrer la juftice , Loix promulguées à cet égard, 511 6- fuiv. Procès criminels du Voïévode de Kargapol 6c du Mnce Gagarin, 517 & fuiv. Alliance entre l'Angleterre 6c la Suède yio. Banniflèment des Jéfuitcs , Jlï. Conquêtes des Ruifcs en Suède , j 11. Mémoire préfenté a la Cour de Londres par M. Vécéiofski, 6c réponfe à ce Mémoire , ibid & fuiv. Anecdotes du T/.ar dans unc Papeterie 6c dans unc Forge, y 17 &fuiv. Publication de différentes Ordonnances, 519. Congrès de Neuftadt, 530. Paix entre la Pologne, la Pruilc, le Danemarck èV: la Suède, y31. Paix de Neuftadt, 534 £• fuiv. Lc Tzar prend le titre d'Empereur, 558. Reformes faites dans les Tribunaux 6c dans l'Adminiftration de la Juftice, ibid & fuiv. ConftrucTion de canaux , (41, Ambaftade de Bcftuchcf a Stoekolm, 545 &fiiv. Fête des Cardinaux, y 46. Sagcflc de la conduite de Pierre 1, 547. Guerres êv conquêtes en Perle , s p; 1 Piiy- Lue femme Banianc fc brûle a Allrakan, ^4. Nouvelles réformes dans la Légillation , yyy & fuiv. Anecdote fut M. Tirmont, y 57 & fuiv. Procès criminel du Vice-Chancelier Schafirof, peine de mon commuée cn exil , y. Rélormes dans le Clergé , yM- I e Danemarck Se la Prufle reconnoilient Pierre pour Empereur, y6i. Etablifle-ment de l'Académie des S. s , yf.4 0 fuiv. Couronnement de l'Impératrice Catherine, 569. Ses liaifonsavec Moéns, leurs fuites, J70 6'fiiv. Mort de Pierre 1, 574 6- fiiv. Portrait de ce Prince, réfume de Ion règne, 579-^87. Parallèle entre Pierre- 74* ■ TABLE DES, MATIERES. Ic-Grand &c Charlcmagnc, 588-593. Réflexions Politiques du Marquis d'Argcnfon, du Chevalier Robert Walpool, &c., fur lc Règne de Picrrc-lc-Grand, 594-611. LIVRE XIII. Introduction aux Loix de Pierre 1, 613-628. Petit Code de la Raifon humaine, 619-^6. Procédure judiciaire de Pierre I, $57~0St Code Militaire, 682-737. Fin de la Table des Matures. De l'Imprimerie de C L OU MLR, tue de Soiboiinc.