177 Sophie Aubin: DIDACTIQUE ET MÉTHODOLOGIE DU RYTHME DU FRANÇAIS POUR APPRENANTS ... Sophie Aubin UDK [811.133.1'243+801.61]:37.091.3 Universitat de València DOI: 10.4312/vestnik.14.177-195 Espagne Izvirni znanstveni članek sophie.aubin@uv.es DIDACTIQUE ET MÉTHODOLOGIE DU RYTHME DU FRANÇAIS POUR APPRENANTS ADULTES : UN ÉTAT DES LIEUX ET DES PERSPECTIVES INTRODUCTION Dans un ouvrage monographique francophone publié récemment en Pologne, portant sur la conscience et l’autoconscience en didactique des langues 1 , l’importance de cultiver la conscience musicale des enseignants et apprenants en langue-cuture fran - çaise a été globalement abordée (Aubin, 2022). La présence insuffisante du rythme de la langue française a été à cette occasion soulignée, tant du point de vue théorique que pratique chez nos étudiants se spécialisant en langue française, entrant en première année d’université (ayant par conséquent suivi un cursus de français de plusieurs an - nées dans l’enseignement secondaire). Ce constat s’étend facilement à nos étudiants en master de formation des professeurs de français (ayant par conséquent derrière eux, pour la plupart, une bonne dizaine d’années d’études de français). Le résultat de ces observations rejoint le courant des didacticiens-phonéticiens qui ont maintes fois souligné, dès les années 80-90, l’absence paradoxale de la phonétique mais surtout de la prosodie dans l’enseignement du français : E. Lhote (1987), E. Guimbretière (1994) pour ne citer qu’elles. Il est loin de se tarir car des voix s’élèvent toujours aujourd’hui dans le même sens : J. Sauvage et M. Billières (2019), Philippe Martin (2019) pour ne citer qu’eux. Ainsi, le terme « rythme » en parlant bien du rythme de la langue produite sur le mode parlé, ne semble pas avoir fait partie des contenus les plus sérieux auxquels les étudiants ont été / sont fondamentalement familiarisés. En outre, l’absence de distinction avec le débit arrive en tête dans les réactions et réponses des apprenants aux questions que nous leur posons régulièrement sur les aspects rythmiques de la langue française. 1 Maciej Smuk (coord.) (2022) Conscience et autoconscience dans l’enseignement/apprentissage d’une langue-cul- ture : pourquoi ? quoi ? comment ?, Glottodidactica. An International Journal of Applied Linguistics, 49(1). https:// pressto.amu.edu.pl/index.php/gl/issue/view/2405 Vestnik_za_tuje_jezike_2022_FINAL.indd 177 Vestnik_za_tuje_jezike_2022_FINAL.indd 177 24. 01. 2023 09:18:53 24. 01. 2023 09:18:53 178 VESTNIK ZA TUJE JEZIKE/JOURNAL FOR FOREIGN LANGUAGES Dans l’intention de développer le thème de la conscience rythmique de la langue étudiée, nous restons dans l’hypothèse générale selon laquelle cette absence ou faible pré- sence d’une culture d’enseignement-apprentissage du rythme du français ne concerne de toute évidence pas exclusivement les nouveaux apprenants que nous accueillons chaque année et ceux qui se préparent pour enseigner le français mais qu’il s’agit d’une tendance générale dans l’enseignement-apprentissage du français dans le monde. Compte tenu du fait que rythme et intonation sont inséparables mais que le second attire souvent toute l’attention prosodique et tend à effacer le premier, c’est volontaire- ment que nous nous centrerons sur le rythme, d’autant plus que la simple centration sur le rythme entraîne automatiquement, chez l’apprenant, une amélioration sensible de ses courbes mélodiques, de son articulation, de la qualité de ses sons, de sa fluidité, de la confiance en ses capacités orales et communicatives, ce que la méthode verbo-tonale de Petar Guberina et ses collaborateurs (Renard, 1971) a largement prouvé. Le monde de l’édition française internationale de méthodes de français ayant tou- jours un certain impact ou un impact certain sur les contenus et pratiques d’enseignement tournés vers l’innovation, même si le suivi réel de manuels éventuellement choisis dépend de nombreuses variables aléatoires et incontrôlables (profil réel des groupes, habitudes de chaque enseignant, adhésion à la méthode, pratique de l’art contradictoire de plus en plus répandu semble-t-il de savoir « sortir de la méthode » etc.), nous procéderons à une ob- servation des espaces aménagés pour le rythme dans des manuels de français relevant de méthodes dites « universelles », c’est-à-dire adressées à tout apprenant adulte de niveaux débutants à avancés, quelles que soient les caractéristiques du système rythmique de sa/ ses langue(s) première(s). Afin d’avoir une idée actuelle de la part accordée à l’étude du rythme dans les méthodes éditées, cette observation reposera sur l’offre éditoriale actua- lisée en 2022. Ce regard sur le domaine éditorial, qui ne peut bien sûr pas prétendre à l’exhaustivité, sera précédé d’un retour nécessaire sur le sens qui a été donné au terme « rythme », sur des définitions-clés issues de dictionnaires spécialisés du domaine de la didactique des langues et du français. Ces mouvements tournés vers le passé et le présent seront accompagnés d’observations, d’hypothèses, d’une enquête très récente menée en 2022, de déductions et de réflexions susceptibles de confimer nos observations et d’ouvrir des perspectives d’ac - centuation et de motivation pour la didactique du rythme de la langue-culture française. 1 OBSERVATIONS, HYPOTHÈSES ET ENQUÊTE INITIALES L’emploi du terme « rythme » dans le discours de l’enseignant, en tant que contenu à étudier pour l’apprentissage du français parlé, autant que celui de « musique » d’ailleurs, a tendance à dérouter ou à surprendre. Nous avançons quelques raisons à cela. Vestnik_za_tuje_jezike_2022_FINAL.indd 178 Vestnik_za_tuje_jezike_2022_FINAL.indd 178 24. 01. 2023 09:18:53 24. 01. 2023 09:18:53 179 Sophie Aubin: DIDACTIQUE ET MÉTHODOLOGIE DU RYTHME DU FRANÇAIS POUR APPRENANTS ... a. Il s’agit d’un terme trop souvent associé à une autre matière, celle de la musique, domaine qui ne semble pas concerner la langue étudiée par l’apprenant. b. Le rythme de la communication en langue première (maternelle, familiale) est acquis naturellement et inconsciemment dès la sensation et la perception des battements du cœur de la mère et des temps forts de son expression orale, d’où l’absence logique de repères provenant d’habitudes d’apprentissage scolaire de la structure rythmique de notre propre langue. c. Si des enseignements de la structure rythmique lors de l’apprentissage de la lecture ont dû certainement avoir lieu, les apprenants adolescents et adultes en ont gardé peu de souvenirs… d. Il est probable que dans les autres langues étrangères apprises avant le français si c’est le cas, la notion de rythme de cette langue a été peu consciemment abordée, ce qui renforce le manque d’habitudes d’apprentissage. e. Le rythme n’est pas perçu comme un élément fondamental au même titre que « les conjugaisons », le vocabulaire, l’orthographe, etc. f. Des confusions s’opèrent spontanément avec l’intonation, les courbes mélodiques ou la rapidité du débit de parole. g. Le mot « rythme » semble plus crédible s’il renvoie au français chanté et paraît exa- géré pour le français courant produit sur le mode parlé. h. L’apprenant arrive à se faire assez bien comprendre ou à « survivre » en parlant français sur une organisation rythmique qui lui est propre et naturelle, ce qui ne contribue pas à la prise de conscience de l’importance de l’exactitude rythmique. i. Si l’on parle d’erreur fossilisée en matière de sons, il en est de même pour tout ap- prenant qui a pris inconsciemment l’habitude d’utiliser la langue cible sur la structure rythmique et mélodique d’une autre langue. Afin de nous rapprocher davantage de la perception du rythme de la langue en tant qu’objet d’étude par les apprenants, nous avons effectué, en 2022, une enquête auprès de 80 étudiants 2 en première année et deuxième années de la filière langues modernes et littératures (spécialité français) et en première année de Traduction et médiation inter- linguistique (spécialité français) de l’Université de Valencia, Faculté de Philologie, Tra- duction et Communication, étudiants que nous ne connaissions pas. Dans leur immense majorité, leur langue première est l’espagnol ou le catalan ; quelques-uns étaient de na- tionalités ou d’origines diverses (marocaine, italienne, bulgare, canadienne, brésilienne). Leur niveau en langue française oscillait entre A1 et C2 (selon leur propre estimation). Les questions posées par écrit, assorties d’un espace libre pour un commentaire éventuel, étaient les suivantes : 2 Nous les remercions de leur collaboration spontanée, attentive et constructive. Vestnik_za_tuje_jezike_2022_FINAL.indd 179 Vestnik_za_tuje_jezike_2022_FINAL.indd 179 24. 01. 2023 09:18:53 24. 01. 2023 09:18:53 180 VESTNIK ZA TUJE JEZIKE/JOURNAL FOR FOREIGN LANGUAGES 1. Penses-tu que la langue française parlée a un rythme différent de ta langue mater- nelle ? Réponses possibles : Oui Non Je ne sais pas 2. As-tu reçu des cours sur le rythme du français depuis que tu apprends le français ? Réponses possibles : Oui, souvent Oui mais je ne sais pas si c’était sur le rythme De temps en temps Jamais 3. Est-ce que tu as eu l’impression qu’un professeur de français évaluait ton français du point de vue rythmique ? Réponses possibles : Oui Non Je ne sais pas 4. L’étude du rythme du français te semble-t-elle (plusieurs réponses possibles) : Facile Difficile Inutile Intéressante Indispensable 67,5 % ont répondu que le rythme du français et celui de leur langue maternelle étaient différents tandis que 24,3 % ont estimé qu’il n’y avait pas de différence et 8,1% qu’ils ne savaient pas. Si une majorité de réponses affirmatives était attendue, il est im- portant de remarquer que plus de 30 %, ce qui nous semble élevé, disent ne pas percevoir de différences. 39,5% ont répondu qu’ils n’avaient jamais eu de cours sur le rythme du français. 29,5 % pensent que cela s’est produit de temps en temps et 20,25 % répondent oui mais sans savoir s’il s’agissait bien du rythme. Sur la question de savoir si leur rythme a été évalué, 41, 85 % ne savent pas, 33,75% pensent que leur rythme n’a pas été évalué alors que 24,5 % répondent affirmativement. Quant aux adjectifs les plus choisis, c’est intéressant qui arrive largement en tête (75,6%) suivi de difficile (21,6%) et de facile (12,15%). Les commentaires et caractérisations du rythme de la langue française montrent clai- rement une assimilation du rythme avec le débit de la parole, le rythme du français étant perçu comme rapide ou trop rapide. La confusion avec l’intonation apparaît également, le rythme étant qualifié de « jolie » (écrit au féminin) ou « chantant ». Il y a par conséquent une large majorité d’étudiants qui disent ne pas avoir reçu d’enseignement sur le rythme, ce qui est en cohérence avec leurs réponses allant dans le sens de l’ignorance ou de l’incertitude sur la signification exacte du terme pour une langue parlée. La conviction qu’il s’agit d’un domaine d’étude de la langue française qu’ils ne connaissent pas ou très peu est en effet souvent exprimée. Leurs réponses dévoilent pro- bablement une pratique inconsciente du rythme qui pourrait aller vers la bonne imitation ou un ajustement sur le rythme de la langue maternelle qui entretiendrait l’impression d’absence de différences entre les systèmes rythmiques du français et de l’espagnol. Il Vestnik_za_tuje_jezike_2022_FINAL.indd 180 Vestnik_za_tuje_jezike_2022_FINAL.indd 180 24. 01. 2023 09:18:53 24. 01. 2023 09:18:53 181 Sophie Aubin: DIDACTIQUE ET MÉTHODOLOGIE DU RYTHME DU FRANÇAIS POUR APPRENANTS ... n’est pas possible d’affirmer, à travers cette enquête, que le niveau général de l’étudiant en français et sa langue maternelle (espagnole ou autres) ont une influence sur les réponses. Ainsi, un étudiant de niveau B2 ou C2 peut considérer, tout comme un étudiant de A2 qu’il ne connaît pas cet aspect de la langue et que ce petit questionnaire est l’occasion d’y réfléchir. Quant aux étudiants français du programme Erasmus, ils épousent les mêmes réponses dominantes, à savoir l’impression de ne pas avoir étudié le rythme de l’espagnol langue étrangère et de ne rien savoir sur le rythme du français parlé. Cette enquête ne fait que confirmer nos observations et constats depuis plusieurs années. Elle a cependant ouvert deux dimensions auxquelles nous ne nous attendions pas de façon si accentuée : • L’étude du rythme du français est spontanément perçue comme étant intéressante et éveille par conséquent une curiosité, une motivation. • La conscience d’un lien entre la maîtrise du rythme du français et l’amélioration de la prononciation et de la communication en français, l’impression de se retrouver à la fois face à un manque et un moyen de progresser, apparaissent clairement. Le formateur ou l’enseignant qui introduit cours, pratiques, activités, tâches centrées sur le rythme du français a par conséquent une forte possibilité d’engager l’apprenant sur un terrain « nouveau » pour lui et motivant, avec un apport de connaissances sur le fonctionnement de la langue et une progression dans la production et la communication. Le besoin de moyens et de définitions propres au domaine de la didactique est par consé- quent particulièrement grand. Nous allons passer chronologiquement par quelques temps forts qui représentent, selon nous, des avancées notoires et des repères solides pour la didactique et la méthodologie du rythme de la langue française. 2 EXISTENCE ET PERMANENCE DU SYSTÈME VERBO-TONAL Rappelons que le système verbo-tonal a été élaboré et développé par Petar Guberina à partir des années 1950 et par de nombreux chercheurs dont Paul Rivenc, sans oublier l’in- fluence déterminante de Charles Bally (Rivenc, 2013), donnant lieu, pour l’enseignement des langues, à la méthode verbo-tonale de correction ou d’intégration phonétique, mé- thode dont l’efficacité a été scientifiquement prouvée à l’Institut de phonétique de Zagreb et au Centre de recherches et d’études pour la diffusion du français (CREDIF) puis confir- mé sur le terrain à travers l’Europe et le monde. Or, parmi les fondements de ce système, se trouve tout simplement la priorité qu’il convient de donner aux éléments prosodiques, le rythme ayant une place et un rôle incontournables. Ainsi, l’intonation ne saurait être enseignée sans enseigner le rythme ; les sons de la langue ne peuvent être coupés de leur structure rythmique et mélodique. Vestnik_za_tuje_jezike_2022_FINAL.indd 181 Vestnik_za_tuje_jezike_2022_FINAL.indd 181 24. 01. 2023 09:18:53 24. 01. 2023 09:18:53 182 VESTNIK ZA TUJE JEZIKE/JOURNAL FOR FOREIGN LANGUAGES Ce souci du respect de la structure implique que soit respectée la prosodie, c’est-à-dire le schéma mélodique ainsi que l’alternance des accents d’intensité (ou de durée) et des pauses, les intensités et les durées relatives des syllabes. En deux mots : l’intonation et le rythme. (Renard, 1979 [1971] : 59) Paul Rivenc, dans sa présentation stratégique de la méthode Voix et images de France avait employé « rythme » au pluriel, au même titre que « les sons » et « les intonations ». Cet alignement du rythme et de l’intonation sur la même pluralité que « les sons » n’est pas un hasard. Il traduit sa volonté de souligner l’importance d’accorder ces trois piliers de la structure avec le corps et l’esprit : L’étudiant qui a su assimiler les sons, les rythmes et les intonations d’une langue étrangère, qui saura la vivre par les gestes, les attitudes, les mimiques, n’éprouvera aucune difficulté à lire un texte en français correspondant à son niveau de connaissance. (Rivenc, 1962 : VII) Divers centres et associations ont poursuivi, recherches, formations, travaux de diffusion et d’édition : le Centre international de linguistique appliquée (CIPA) Bel- gique, l’Antenne du CIPA de Barcelone (Espagne), l’Association Structuro-Globale et Verbo-tonale (SGeVT), le Groupe d’études et de recherches pour le français langue in- ternational (GERFLINT) France, le site de Michel Billières, « Au son du FLE 3 » pour ne citer qu’eux. 3 DÉFINITIONS FONDAMENTALES DU RYTHME EN DIDACTIQUE DES LANGUES Que faut-il exactement entendre par « rythme » de la langue française en didactique ? Il nous semble pertinent de revenir sur certaines définitions qui ont été élaborées il y a plusieurs décennies, dans un contexte consacré à la méthodologie et à la didactique des langues et du français, définitions qui brillent par leur clarté et leur pertinence. Ainsi, Raymond Renard donnait, dans le même ouvrage consacré à la méthode ver- bo-tonale, dans une section finale intitulée Code de terminologie, cette définition très structuro-globale du rythme de la parole : Rythme de la parole : organisation de la parole dans son déroulement tempo- rel. Cette organisation peut se décrire en termes de découpage en unités ryth- miques, de succession de syllabes accentuées et inaccentuées, de distribution 3 https://www.verbotonale-phonetique.com/ Vestnik_za_tuje_jezike_2022_FINAL.indd 182 Vestnik_za_tuje_jezike_2022_FINAL.indd 182 24. 01. 2023 09:18:53 24. 01. 2023 09:18:53 183 Sophie Aubin: DIDACTIQUE ET MÉTHODOLOGIE DU RYTHME DU FRANÇAIS POUR APPRENANTS ... syllabique dans les unités rythmiques, de durée relative des syllabes, de régu- larité des temps forts, etc. (Renard, 1979 [1971] : 125) On ne saurait par conséquent penser l’enseignement du rythme de la parole unique- ment comme un phénomène réduit à un « découpage » en groupes rythmiques de chaque phrase extraite d’un texte ou d’une conversation, comme c’est souvent le cas, au risque de perdre la perception des caractéristiques rythmiques de l’ensemble de la production dans une situation de communication donnée. Il faut considérer, dans une même mesure, une « organisation » globale du temps que le locuteur utilise ou qui est mis à sa disposition (« déroulement », « succession », « durée ») permettant à un certain nombre d’éléments (« unités », « syllabes », « temps forts ») de se placer d’une certaine manière (« accen- tués », « inaccentuées », « relative », « forts ») dans un espace temporel. Il s’agit encore et toujours d’enseigner et d’apprendre à maîtriser un système rythmique de communication bien particulier, différent de ceux que l’apprenant a connus ou domine. La définition de « groupe rythmique » donnée quelques années plus tard dans le Dictionnaire de didactique des langues en 1976 appartenait encore au domaine de la pho- nologie, comme les auteurs le signalaient eux-mêmes (Galisson, Coste, Dir, 1976 : 261). Par contre, celle de « rythme » est courte mais complètement didactique car proche du vécu de l’apprenant en langue française. Elle donne la priorité au rythme puisque celui-ci détermine la forme prise par l’intonation : Rythme Le rythme français se mesure par le nombre de « syllabes » d’un « accent » à l’autre (groupe rythmique). Le rythme constitue le moule de l’ « intonation », dont il n’est pas séparable. À ne pas confondre avec le débit. (Galisson, Coste, 1976 : 476) Dans les années 80, Régine Llorca dans l’objectif de mieux connaître « l’architecture sonore » de la langue française a montré que le système du rythme de la langue française possède des caractéristiques du rythme de la musique occidentale tonale : Régine Llorca (…) a expérimenté l’application du système rythmique de la musique occidentale à des segments de phrases françaises, considérées comme « formes musicales ». Ce qui lui a permis de discerner une « structure ryth- mique minimale », d’une durée d’un temps musical, présentant différentes fi- gures rythmiques mais toujours précédée d’une anacrouse et suivie d’un point d’orgue. (Aubin, 1996 : 46) Cette nature musicale tonale du rythme du français, dont tout professeur de français doit logiquement tenir compte, lui permettra notamment de développer, pour l’enseigne- ment du français, le Théâtre rythmique et Les Ritmimots (Llorca, 1998). Vestnik_za_tuje_jezike_2022_FINAL.indd 183 Vestnik_za_tuje_jezike_2022_FINAL.indd 183 24. 01. 2023 09:18:53 24. 01. 2023 09:18:53 184 VESTNIK ZA TUJE JEZIKE/JOURNAL FOR FOREIGN LANGUAGES À l’arrivée du XXI e siècle, dans le Dictionnaire de didactique du français langue étrangère et seconde (Cuq, 2003), la définition de « rythme », dont nous ne citerons qu’un passage ainsi que le paradoxe final, ne signale plus une appartenance à une autre discipline. Le collaborateur-auteur de la définition insiste sur les caractéristiques du rythme de la langue française par rapport aux autres langues, donc à la langue première de l’apprenant : Le rythme se caractérise par le retour à intervalles réguliers d’un temps fort. L’absence d’accent lexical confère au français parlé une originalité rythmique non seulement par rapport aux familles de langues voisines germaniques ou slaves et également par rapport aux autres langues romanes. (Cuq, 2003 : 217) Cette description nous donne, de façon générale, une approche contrastive des rythmes des différentes langues avec une mise en relief du caractère manifestement unique ou du moins rare du rythme de la langue française, soit l’absence d’accent lexical. Cette originalité est doublée d’une spécificité, l’allongement de la dernière syllabe de l’unité rythmique, cette caractéristique renforçant la difficulté de l’apprentissage : Le rythme du français se caractérise par un allongement de la dernière syl- labe, manifestation de la force articulatoire. Il s’agit d’une caractéristique qui induit un rythme tout à fait particulier et de ce fait rare dans les langues. Au plan didactique, peut-on néanmoins oser parler d’accent final ? On en arrive au paradoxe suivant, à savoir que ce qui est rythmiquement important en français ne frappe pas l’oreille, mais s’incarne dans la discrétion difficile à identifier de l’énergie articulatoire. (Cuq, 2003 : 217) 4 CONDITIONNEMENT DE LA PERCEPTION RYTHMIQUE Ce degré de subtilité et de difficulté est vraiment très éloigné de la faible conscience du rythme de la langue que nous observons chez l’apprenant, le futur enseignant de fran- çais, voire la plupart des professeurs de français langue étrangère, ceux-ci ne percevant effectivement pas cette réalité par rapport à leur langue maternelle s’il s’agit du français et par rapport aux autres langues premières, surtout si celles-ci sont très apparentées au français comme le castillan et le catalan. Cette impression de facilité, que l’on remarque souvent pour la compréhension du lexique et de structures grammaticales, contraste avec la difficulté d’obtenir de façon durable l’exactitude rythmique. Selon notre expérience d’enseignement-apprentissage du français à de jeunes et moins jeunes adultes, afin de conditionner la perception rythmique et « frapper l’oreille », donc l’esprit et le corps des apprenants et sortir, pour nos besoins pédagogiques, le rythme Vestnik_za_tuje_jezike_2022_FINAL.indd 184 Vestnik_za_tuje_jezike_2022_FINAL.indd 184 24. 01. 2023 09:18:54 24. 01. 2023 09:18:54 185 Sophie Aubin: DIDACTIQUE ET MÉTHODOLOGIE DU RYTHME DU FRANÇAIS POUR APPRENANTS ... du français de cette discrétion, l’enseignant peut aisément conjuguer l’exagération de ces caractéristiques : a. la régularité du retour du temps fort ; b. l’énergie des mouvements articulatoires et corporels nécessaires à ce temps fort ; c. le mouvement ou la trajectoire (qui peut être accompagnée par le geste) entre chaque temps fort. Ces exagérations, auxquelles l’enseignant peut/doit se livrer, comme pour l’appren- tissage de tout système musical (Aubin,1996), trouvent de nombreux contextes qui s’y prêtent ne demandant pas que l’on sorte forcément de l’usage réel de la langue. Les si- tuations quotidiennes et socio-professionnelles dans lesquelles le discours est très rythmé et doit l’être d’ailleurs pour remuer l’interlocuteur sont nombreuses, que ce soit dans une communication présentielle ou en ligne : enfant ou adolescent réclamant inlassablement qu’on lui achète ou qu’on lui donne quelque chose, slogans dans une manifestation, dis- cours autoritaire d’un supérieur hiérarchique, réclamation d’un consommateur qui s’est fait avoir, paroles de militaires à son régiment, robot ou parole d’intelligence artificielle dont la programmation rythmique serait au-dessus de la moyenne, professeur en colère, contribuable en désaccord avec le fisc, etc. Exemple 4 : Je / veux / de l’argent ; je/ veux / de l’argent ; je/ veux de l’argent. (Et ainsi de suite). Cette exagération rythmique, avec le temps, il faudra apprendre à la maitriser autant que l’expression des émotions, ce qui amène l’apprenant à régler le rythme de son dis- cours avec plus de discrétion : Je veux / de l’argent. Peut-être arrivera-t-il finalement à s’exprimer avec une énergie rythmique bien me- surée et en toute discrétion : J’veux de l’argent. 5 LE RYTHME DE LA LANGUE-CULTURE FRANÇAISE Ce mélange ou équilibre subtil entre « discrétion » et temps forts présents dans cette défi- nition est d’autant plus précieux qu’il permet de faire le lien entre le rythme de la langue française, la culture et la société. Les Français n’ont-ils pas, par exemple, le double profil exagéré du « râleur » qui cherche à faire entendre constamment ses protestations et du « discret /modéré », maîtrisant l’art de parler dans un lieu public sans avoir un mot plus haut que l’autre ou sans que personne, à part son interlocuteur, ne puisse comprendre ce qu’il dit ? De même, des comparaisons peuvent être faites entre le rythme régulier aux 4 En caractère gras, nous signalons les mots et syllabes sur lesquels tombe le temps fort. Vestnik_za_tuje_jezike_2022_FINAL.indd 185 Vestnik_za_tuje_jezike_2022_FINAL.indd 185 24. 01. 2023 09:18:54 24. 01. 2023 09:18:54 186 VESTNIK ZA TUJE JEZIKE/JOURNAL FOR FOREIGN LANGUAGES temps forts mais modérés d’une expression respectant les règles de politesse (Je repren- drais bien / un peu de thé, / s’il vous plaît.) et celui qui s’en éloigne (Je veux /du thé.). Ce contraste contribue à faciliter l’identification des caractéristiques d’une organisation rythmique, à condition de ne pas toujours se limiter à l’analyse rythmique d’une seule phrase. La didactique du rythme du français, si elle définit ainsi des extrêmes, possède un large spectre socio-culturel qu’elle peut mettre à profit. Ces démarches, tournées vers le conditionnement de la perception et la recherche d’environnements optimaux, rejoignent de toute évidence la méthodologie structuro-glo- bale et verbo-tonale et les approches théâtrales et musicales. Aborder un texte ou une conversation en pensant, en premier lieu, au moins à quelques éléments de son organisa- tion temporelle (temps forts, régularité des intervalles, contrôle de l’énergie articulatoire), que celle-ci soit à percevoir, imiter, modifier, créer, synchroniser, improviser, prévient non seulement les risques de confusion permanente avec le débit (qui est souvent trop ra- pide) mais apporte également une qualité qui met l’apprenant en langue, plus exactement en musique de langue, sur un pied d’égalité avec un apprenant en musique tonale qui doit, absolument, se centrer sur le rythme du morceau et le contrôle de son instrument. 6 LE RYTHME DANS LES MÉTHODES DE FRANÇAIS PROPOSÉES EN 2022 De quelle manière, de nos jours, le rythme est-il traité dans les méthodes de français et quelle place lui donne-t-on ? Nous livrerons ici les résultats d’un regard et d’observations portés sur les manuels de français actuels pour apprenants adultes en nous centrant sur les contenus des méthodes les plus récentes promues par cinq grands éditeurs 5 français et présentées dans leur catalogue de l’année 2022. Dans ce genre de démarches, nous nous garderons de « pointer du doigt » tel ou tel éditeur, manuel, auteur pour mettre en relief l’absence de ce qui est recherché. Nous ne constituerons pas non plus un corpus de titres de méthodes dont le profil cor- respondrait plus ou moins aux vides constatés. Cette pratique est en effet déontologique- ment et scientifiquement discutable dans la mesure où aucune méthode qui a pour objet l’enseignement d’une langue ne pourra inclure tout ce qu’une langue représente. Il y aura toujours de multiples aspects jugés essentiels qui manqueront à l’appel. Nous privilégie- rons par conséquent la détermination de tendances communes puis le repérage d’espaces conçus pour l’apprenant exclusivement consacrés à l’enseignement du rythme du fran- çais, autant de lieux susceptibles de marquer largement et durablement le déroulement de l’apprentissage. 5 Hachette FLE, CLE International, Didier Hatier, Presses Universitaires de Grenoble, Édition Maison des langues. Vestnik_za_tuje_jezike_2022_FINAL.indd 186 Vestnik_za_tuje_jezike_2022_FINAL.indd 186 24. 01. 2023 09:18:54 24. 01. 2023 09:18:54 187 Sophie Aubin: DIDACTIQUE ET MÉTHODOLOGIE DU RYTHME DU FRANÇAIS POUR APPRENANTS ... 6.1 « Surprises » En cherchant la fréquence d’emploi du terme « rythme » dans les catalogues et tables des contenus des méthodes de français générale, la première surprise est le nombre infiniment réduit d’apparition de ce terme. Tant et si bien que si l’on dressait la liste des mots-clés des méthodes de français offertes en 2022, « rythme » ne pourrait pas en faire partie. La seconde surprise est, dans cette fréquence réduite, le sens de la majorité des em- plois de « rythme » : il s’agit le plus souvent et de façon générale du rythme de l’or- ganisation des activités, de la dynamique de la classe, d’où les expressions rythmer la classe, rythmer les pratiques de classe, rythmer la lecture au fil des pages, les rituels pour rythmer le travail, l’adaptation de la méthode et des unités au rythme d’apprentissage, au rythme des adolescents. Les deux acceptions, très éloignées, n’en demeurent pas moins conciliables. La vo- lonté commune aux diverses méthodes de veiller sur une bonne organisation du rythme général et particulier de la classe, de l’apprentissage, de la progression de l’apprenant et son évolution dans le temps admet et justifie l’intégration systématique de l’étude du rythme de la langue. 6.2 Stabilité dans le mode d’organisation générale de l’enseignement du rythme Dans l’offre méthodologique, l’organisation de l’enseignement du rythme de la langue française ne connaît pas à notre sens et selon les consultations que nous avons effectuées de très grandes modifications par rapport aux trente dernières années. S’il existe un espace explicitement et régulièrement consacré, dans chaque unité didactique, à la phonétique, dans la même mesure pratiquement que la grammaire et le vocabulaire, les sons - sous la forme d’oppositions phonologiques - restent les plus re- présentés. Parmi les éléments prosodiques, l’« intonation » apparaît mais très rarement le « rythme » que l’on doit donc sous-entendre. S’il existe, dans une méthode, une section ou rubrique consacrée à la « phonétique », elle a tendance à être située en fin d’unité, en tout cas rarement ou jamais en premier lieu. Si le rythme apparaît, c’est de façon éphémère dans les premières unités de la méthode. La tendance à n’aborder le rythme et l’intonation qu’aux niveaux débutants et beaucoup moins ou pas du tout aux niveaux intermédiaires et supérieurs tend à persister. L’étude du rythme et de l’intonation, contrairement à la grammaire et au vocabulaire, tend à décroître avec la progression des niveaux. Les éléments prosodiques traités de façon explicites et approfondis sont alors à chercher dans des ouvrages spécifiques souvent appelés « complémentaires » sur les- quels nous nous pencherons infra. Ils conservent par conséquent un statut secondaire ou non prioritaire, dépendant du temps d’enseignement-apprentissage que l’on peut leur Vestnik_za_tuje_jezike_2022_FINAL.indd 187 Vestnik_za_tuje_jezike_2022_FINAL.indd 187 24. 01. 2023 09:18:54 24. 01. 2023 09:18:54 188 VESTNIK ZA TUJE JEZIKE/JOURNAL FOR FOREIGN LANGUAGES consacrer (qui est toujours réduit) et des moyens financiers supplémentaires dont on dis- pose, en plus de la méthode fondamentale. Le schéma général d’enseignement du rythme et de l’intonation dans les méthodes de français nous semble par conséquent très stable. Il existe cependant quelques espaces dans lesquels le rythme tient une place prépondérante. 6.3 Cas d’enseignement explicite du rythme dans une méthode de français spécialisée Il est une méthode de français (Barthe, Chovelon, 2018) intitulée Je lis, j’écris le français fon- dée en 2004 qui contient, de façon très méthodique et systématique, des exercices exclusive - ment consacrés à l’apprentissage du rythme des phrases en français. La détermination de l’or - ganisation rythmique revient manifestement régulièrement dans chaque unité, ce qui instaure, comme il se doit, un rythme très régulier de l’apprentissage du rythme. La reconnaissance du rythme de la phrase est associée à l’aide de la compréhension. Il est demandé à l’apprenant de souligner le groupe rythmique (ce qui, au passage, est peut-être un moyen d’enseigner à contrôler en toute discrétion la production du temps fort) et d’indiquer précisément le nombre de groupes rythmiques. Voici un exemple d’exercice extrait de l’unité 6, p. 49 : • Consigne : Je souligne et je compte les groupes rythmiques. • Exemple à suivre : Elle est au marché. 2 groupes rythmiques. Il est certain que pour les enseignants qui suivent cette méthode ainsi que pour leurs apprenants, la notion de « groupe rythmique » est aussi familière que celle de « liaison » ou de « verbes réguliers, irréguliers ». Page 6 du livre de l’élève, la première note du liminaire « Note pédagogique à l’at- tention des enseignants » est d’ailleurs la suivante : « Pour la lecture, veiller aux groupes rythmiques et à la fluidité ». Certes, il s’agit d’une méthode qui se fixe comme objectif d’alphabétiser des apprenants adultes en langue française, mais il nous semble que la méthodologie du français générale et celle qui œuvre dans les divers domaines du français sur objectifs spécifiques devraient s’en inspirer pour l’enseignement, au moins initial, du rythme de la langue parlée et écrite. En effet, les apprenants, qu’ils soient alphabétisés ou non, sont, du point de vue de l’apprentissage du rythme, confrontés à des arythmies (dans le sens non pathologique et musical du terme) sem - blables dans la mesure où le rythme de leur expression est calqué sur leur langue première. Cette consultation pourrait constituer un élément de confirmation de l’hypothèse que nous avons formulée supra selon laquelle l’application du Cadre européen commun de références pour les langues a engendré un recul de l’enseignement du rythme de la langue française. Vestnik_za_tuje_jezike_2022_FINAL.indd 188 Vestnik_za_tuje_jezike_2022_FINAL.indd 188 24. 01. 2023 09:18:54 24. 01. 2023 09:18:54 189 Sophie Aubin: DIDACTIQUE ET MÉTHODOLOGIE DU RYTHME DU FRANÇAIS POUR APPRENANTS ... 7 PROGRESSION DU RYTHME DANS LES OUVRAGES DITS COMPLÉMENTAIRES  Dans les ouvrages exclusivement consacrés à l’enseignement de la « phonétique », contrairement aux « méthodes de français », le rythme est assez visible, son étude étant regroupée et placée en début d’ouvrage. C’est le cas dans Les 500 exercices de phoné- tique : Partie 1. Le cadre rythmique et intonatif (Abry, Chalaron, 2012 : 7-28) ou dans le tout premier chapitre de la première grande partie, Les caractéristiques du français du premier livre de Phonétique progressive du français (A1), ce premier chapitre s’intitulant Le rythme (Charliac, 2018 : 8-20). Pour ce qui est de la série Phonétique progressive du français, il y a bien une pro- gression de l’enseignement du rythme d’un niveau à l’autre, chaque niveau ayant, en début d’ouvrage, une partie dédiée au rythme, à l’égalité des syllabes, au cadre rythmique et intonatif, aux groupes rythmiques. Ainsi, l’étude du rythme apparaît également aux ni- veaux B2/C1 : les deux premiers chapitres de la première partie intitulés respectivement Le rythme et Les groupes rythmiques et la continuité approfondissent l’étude du système rythmique (Chaliac, Motron, 2018 : 10-34). La volonté de distinguer sans séparer rythme et intonation est également à souligner. Les auteurs de « La prononciation en classe » précisent dans leur transition entre les exer- cices rythmiques et intonatifs : Avec l’étude du rythme, nous avons vu comment la suite des sons du français s’organise dans le temps. Nous allons voir avec l’intonation comment ces sons s’organisent dans l’espace. (Briet, Collige, Rassart, 2014 : 25) 8 LE RYTHME ET LE CADRE EUROPÉEN COMMUN DE RÉFÉRENCE POUR LES LANGUES En 2008 paraît le Dictionnaire pratique de didactique du FLE de Jean-Pierre Robert. Ne cherchant pas à rivaliser avec ceux qui l’ont précédé (cf 4 e de couverture), l’ouvrage est surtout conçu pour la formation des enseignants de français dans un va-et-vient constant entre la théorie, la pratique, l’évaluation des connaissances. Il apporte une nouveauté de taille : la prise en compte, de façon détaillée, du CECR. On observe alors la quasi dispari- tion du terme « rythme ». Il faut aller à l’article nº 80 intitulé « Phonétique » pour trouver une allusion au rythme et aux groupes rythmiques dans les phénomènes relatifs à la pro- sodie. Les phonèmes occupent le devant de la scène, même si l’auteur souligne que ceux- ci ne suffisent pas et qu’il faut étudier aussi les éléments prosodiques (Robert, 2008 : 164-165). Cette brusque diminution en l’espace de 5 ans de la part lexico-didactique du rythme tendrait à favoriser l’hypothèse selon laquelle l’application généralisée du Cadre Vestnik_za_tuje_jezike_2022_FINAL.indd 189 Vestnik_za_tuje_jezike_2022_FINAL.indd 189 24. 01. 2023 09:18:54 24. 01. 2023 09:18:54 190 VESTNIK ZA TUJE JEZIKE/JOURNAL FOR FOREIGN LANGUAGES européen aurait entraîné entrainerait toujours un recul de l’enseignement du rythme de la langue française, celui-ci ne comptant manifestement plus parmi les priorités. Dans le domaine du rythme, la prise en compte du Cadre européen était en effet parfaite. Dix ans plus tard, en 2018, le Conseil de l’Europe publie le Volume complé- mentaire du CECR avec de nouveaux descripteurs. Nous apprenons qu’en matière de « Maîtrise phonologique », la description de 2001 convient toujours mais que l’échelle de 2001 « s’est révélée la moins réussie des échelles calibrées de la recherche originale » (p. 140). Trois grandes catégories sont désormais retenues présentées dans cet ordre : • Maîtrise générale du système phonologique (remplaçant l’échelle de 2001) • Articulation des sons • Traits prosodiques (intonation, rythme et accent tonique) (p. 141) Dans la troisième catégorie, celle des Traits prosodiques, les notions considérées comme clés sont détaillées comme suit : • Maîtrise de l’accent tonique, de l’intonation et/ou du rythme ; • Capacité à utiliser et/ou à varier l’accent et l’intonation pour souligner un message particulier (p. 141) Le rythme est par conséquent présent dans cette troisième catégorie mais il figure curieusement et paradoxalement comme une sorte d’option (et/ou du rythme). La pour- suite d’un idéal de reproduction rythmique exact est écartée. Cet objectif ne concerne pas seulement le rythme mais tous les éléments portant sur la maîtrise phonologique. Il sem- blerait que l’objectif principal des compléments apportés au Cadre européen, en matière phonologique, et de renoncer au moteur d’un idéal en matière phonique et prosodique donc rythmique. Mais comment rééduquer un apprenant de bonne volonté ayant intégré, mémorisé, fossilisé un rythme inexact du français ? Puisque les évaluations écrites et orales s’ajustent souvent sur le Cadre européen et de façon complète pour les examens officiels (DELF, DALF, etc.), le rôle du rythme jouera par conséquent un rôle minoritaire, ce qui est un facteur de non-enseignement. Pour ce qui est de l’enseignement du rythme, Le Volume complémentaire du Cadre européen, même s’il corrige des manques, confirme et renforce le texte de 2001 dans la mesure où dans ce texte de 2018, version en français, les éléments prosodiques sont loin d’être prioritaires, au profit des phonèmes et de l’articulation des sons. Il est probable qu’à l’avenir, les méthodes d’oppositions phonologiques et articulatoires domineront ou conti- nueront de dominer les méthodes de français et que les éléments prosodiques retrouveront ou conserveront leur statut secondaire ou occuperont plus exactement une troisième posi- tion. Au sein des éléments prosodiques, le rythme est lui-même secondaire ou optionnel. Vestnik_za_tuje_jezike_2022_FINAL.indd 190 Vestnik_za_tuje_jezike_2022_FINAL.indd 190 24. 01. 2023 09:18:54 24. 01. 2023 09:18:54 191 Sophie Aubin: DIDACTIQUE ET MÉTHODOLOGIE DU RYTHME DU FRANÇAIS POUR APPRENANTS ... CONCLUSIONS Cet état des lieux ne donne aucune idée de l’enseignement réel du rythme mené par les enseignants et de nombreuses études restent à entreprendre. Cela dit, il montre que globale - ment, l’enseignement-apprentissage du rythme de la langue française est peu perçu par les étudiants et que s’il existe à travers les manuels et méthodes consultés, il offre un panorama déséquilibré : un fort décalage apparaît entre des zones d’absence ou de faible présence dans les méthodes de français et des lieux de concentration dans des ouvrages complémentaires et spécialisés. Ce qui laisse présager que certains apprenants de français accèdent à des ap - prentissages intensifs du rythme pendant que d’autres y sont peu souvent exposés. La place du rythme dans les manuels des méthodes de français consultées est en co- hérence avec les descripteurs du Cadre européen. Il n’est pas exagéré d’affirmer que les auteurs et éditeurs des méthodes de français appliquent à la perfection le Cadre européen pour ce qui est du rythme et tous les autres éléments prosodiques. Il est manifestement impossible d’espérer, dans un proche avenir, une intégration didactico- méthodologique prioritaire, harmonieuse et équilibrée de l’enseignement du rythme à partir d’une applica- tion des nouveautés phonologiques et prosodiques du Cadre européen. La progression de l’enseignement du rythme, pour ne prendre que cet élément mu- sical de la langue française, depuis la suppression énigmatique du CREDIF en 1996 (Cortès, 2022), centre dont les recherches et les diffusions méthodologiques internatio - nales intégraient le système verbo-tonal et depuis l’arrivée de l’application systématique du Cadre européen (2001) n’est pas évidente à établir : il s’agirait plutôt d’un recul drastique. Compte tenu du fait que la langue française, comme toute langue, possède son propre système musical, que celui-ci repose sur des caractéristiques rythmiques mesurables et uniques (les définitions didactiques que nous avons mises en exergue nous le rappellent), on ne peut attendre ni prétendre que la didactologie-didactique de la langue-culture fran- çaise se transforme en didactique musicale. Elle a besoin, de façon stable et pérenne permanente, d’une co-disciplinarité avec la didactologie-didactique de la musique de la langue-culture française au sein de laquelle la didactique du rythme du français et par conséquent de l’intonation pourra pleinement se développer. BIBLIOGRAPHIE Sources classiques AUBIN, Sophie (1996) La didactique de la musique du français : sa légitimité, son interdisciplinarité. Thèse de doctorat dirigée par Jacques Cortès, Université de Rouen Normandie, France ; 1997. Villeneuve d’Ascq : Presses Universitaires du Septentrion. Vestnik_za_tuje_jezike_2022_FINAL.indd 191 Vestnik_za_tuje_jezike_2022_FINAL.indd 191 24. 01. 2023 09:18:54 24. 01. 2023 09:18:54 192 VESTNIK ZA TUJE JEZIKE/JOURNAL FOR FOREIGN LANGUAGES CUQ, Jean-Pierre (Dir.) (2003) Dictionnaire de didactique du français langue étrangère et seconde. Asdifle, Paris : CLE International. GALISSON, Robert/Daniel COSTE (Dir.) (1976) Dictionnaire de didactique des lan- gues. Paris : Hachette. GUIMBRETIERE, Elisabeth (1994) Phonétique et enseigne- ment de l‘oral. Paris : Didier-Hatier. GUBERINA, Petar (1974) La parole dans la méthode SGA V. Le français dans le monde, 103, 49-54. LHOTE, Élisabeth (Dir.) (1987) À la découverte des paysages sonores des langues. Besançon : Presses universitaires de Franche-Comté. LHOTE, Élisabeth (2001) Pour une didactologie de l‘oralité. Éla. Études de linguistique appliquée, vol. 123-124, no. 3-4, 445-453. LLORCA, Régine (1998) Les Ritmimots, exercices de groupes avec la voix et le geste sur les rythmes du français parlé. 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Raziskava je pokazala vrzeli in neskladja na področju poučevanja in učenja jezikovnega ritma, čeprav gre za jezikovno prvino, ki je tako kot druge govorne prvine ključ - na za brezhibno sporazumevanje in kakovostno govorno izražanje. Novosti, predstavljene v dodatku Skupnega evropskega referenčnega okvira za jezike (CEFR) leta 2018, ne predvidevajo prednostne obravnave prozodičnih prvin jezika. Pomembno je torej, da ponovno opredelimo pojem ritem, ki je bil na področju poučevanja jezikov omenjen že leta 1976, in da poudarimo pomen opozarjanja na tonalnost besed pri poučevanju in učenju jezikov od 50. let 20. stoletja dalje. Rezultati analize kažejo na namerno ali nenamerno zmanjšan obseg poučevanja in učenja ritma francoskega jezika v primerjavi s priporočili učbenikov, ki jih je oblikoval in za mednarodni trg izdal Center za raziskave in študije za širjenje fran - coskega jezika (CREDIF), ki je leta 1996 nenadoma prenehal z delovanjem. Hkrati je naša raziskava pokazala veliko zanimanje študentov za učenje ritma kot prvine francoskega jezika in kulture. Ključne besede: ritem govorjene francoščine, metodologija, definicija, poučevanje in učenje, za- znavanje, verbo-tonalno ABSTRACT DIDACTIC AND METHODOLOGY OF THE RHYTHM OF FRENCH FOR ADULT LEARNERS: THE STATE OF PLAY AND PERSPECTIVES The teaching-learning of the rhythm of the language that is being taught and studied, the French language in this case, now does not have a dominant place in the didactics and methodology of the French language, in spite of the impossibility of dissociating it from the intonation, sounds and com - munication system. By personally questioning French students in Spain on their perception of rhythm as an object of study and by consulting globally part of the current editorial methodological offer for adult learners (general French methods and complementary works specialized in phonetics), we found gaps and imbalances in the teaching-learning of rhythm, despite the essential nature of this to achieve mastery of communication and quality of production, in the same way as any element language. The new features introduced in 2018 in the complementary volume of the European Framework do not Vestnik_za_tuje_jezike_2022_FINAL.indd 194 Vestnik_za_tuje_jezike_2022_FINAL.indd 194 24. 01. 2023 09:18:54 24. 01. 2023 09:18:54 195 Sophie Aubin: DIDACTIQUE ET MÉTHODOLOGIE DU RYTHME DU FRANÇAIS POUR APPRENANTS ... allow the prosodic elements to be considered a priority. Hence the importance of recalling and high - lighting not only the definitions of the term “rhythm” as they have developed in language teaching since 1976, but also the effectiveness of the verbo-tonal system for the teaching-learning of languages over the last years 50. The inventory obtained as part of this study tends to show, on the one hand, a decline in the teaching-learning of the rhythm of French, whether consciously or unconsciously, in relation to the training and international dissemination of French methods by the CREDIF (Center for Research and Studies for the Dissemination of French, which was abruptly abolished in 1996) and on the other hand the high real and potential interest of learners in the rhythm of the French language. Keywords: rhythm of spoken French, methodology, definition, teaching-learning, perception, verbo-tonal RÉSUMÉ DIDACTIQUE ET MÉTHODOLOGIE DU RYTHME DU FRANÇAIS POUR APPRE- NANTS ADULTES : UN ÉTAT DES LIEUX ET DES PERSPECTIVES L’enseignement-apprentissage du rythme de la langue enseignée et étudiée, la langue française dans ce cas, n’a pas, de nos jours, une place prépondérante en didactique et méthodologie de la langue française, malgré l’impossibilité de le dissocier de l’intonation, des sons et du système de communication. En interrogeant personnellement des étudiants en français en Espagne sur leur perception du rythme en tant qu’objet d’étude et en consultant globalement une partie de l’offre méthodologique éditoriale actuelle pour apprenants adultes (méthodes de français général et ou- vrages complémentaires spécialisés en phonétique), on arrive en effet à des constats de vides et de déséquilibres dans l’enseignement-apprentissage du rythme, en dépit du caractère incontournable de cet enseignement pour atteindre une maîtrise de la communication et une qualité de la pro - duction, au même titre que tout élément musical de la langue. Les nouveautés apportées en 2018 dans le volume complémentaire du Cadre européen ne permettent pas de considérer que les élé- ments prosodiques sont prioritaires. D’où l’importance de rappeler et de mettre en évidence non seulement les définitions du terme « rythme » élaborées en didactique des langues depuis 1976 mais aussi l’efficacité du système verbo-tonal pour l’enseignement-apprentissage des langues de - puis les années 50. L’état des lieux obtenu tend à montrer d’une part un recul de l’enseignement- apprentissage du rythme du français, que ce soit de manière consciente ou inconsciente, par rapport aux temps de la formation et de la diffusion internationale des méthodes de français par le CREDIF (Centre de recherches et d’études pour la diffusion du français) brusquement supprimé en 1996) et d’autre part un vif intérêt réel et potentiel des apprenants pour le rythme de la langue-culture française. Mots-clés : rythme du français parlé, méthodologie, définition, enseignement-apprentissage, per- ception, verbo-tonal Vestnik_za_tuje_jezike_2022_FINAL.indd 195 Vestnik_za_tuje_jezike_2022_FINAL.indd 195 24. 01. 2023 09:18:54 24. 01. 2023 09:18:54