La politique existe-t-elle sans éthique? Jelica Sumic-Riha Le thème de notre rencontre: »Ethique et politique« signale, par la copule »et«, qu'un rapport entre éthique et politique est (toujours déjà) instauré. Chacun est donc invité à méditer pour son propre compte sur les modalités de la relation entre les deux vocables. Or, toute la question est de savoir si, en acceptant de placer ses réflexions sous le thème proposé, on ne s'interdit pas de discuter sa pertinence, ou plus précisément, de mettre en cause la conjonction entre éthique et politique. On pourrait se demander, par exemple, si cette conjonction ne vaut pas comme rappel qu'il n'y aurait pas, pour nous, de politique sans éthique. Dans la suite de mon propos, j'essaie de mettre en relief cette conjonction et d'en tirer quelques implications politiques. Il va de soi que le rappel: pas de politique sans éthique, ne trouve en lui-même aucune garantie. En effet, si on ne croit pas au métalangage, rien ne nous assure que la politique rejoint l'éthique, sinon la supposition que la politique n'est digne de ce nom et pensable qu'en faisant noeud avec l'éthique. Essayons de mesurer la portée de cette supposition qui, d'ailleurs, n'est pas nouvelle. On a toujours demandé à la politique d'être liée à l'éthique et déploré que ce ne soit plus le cas. Tout de même, il importe de savoir si aujourd'hui ne se cache pas, sous cette forme d'homologie, une homonymie, une équivoque, plutôt que la répétition d'une requête ancienne. En effet, on peut constater que ces deux vocables, politique et éthique, sont devenus pour nous opaques. Qu'on leur attribue plusieurs sens, qu'ils sont même contradictoires, c'est-à-dire ouverts à toute interprétation, cela témoigne du fait qu'aujourd'hui on ne comprend pas très bien ce que veulent dire politique et éthique, même si elles ne parlent plus grec. Suivant Lacan, on peut dire qu'il n'est pas d'autre communauté pour l'homme que de langage et que, dans le langage, seul le discours fait lien entre les êtres parlants. D'où suit que le nom de politique désigne depuis toujours les rassemblements d'êtres parlants, et plus précisément, que la politique désigne, pour nous ainsi que pour les Grecs, le lieu où se produisent les effets matériels du discours. A vrai dire, la politique, prise comme un fait de langage, ne serait pas en mesure d'agglomérer les semblables, de fonder leur être-ensemble, de constituer pour eux la réalité et d'en assurer la permanence, si le discours n'était effectif Fil. vest. /Acta Phil., XVI (2/1995), 53-31. 54 Jelica Sumic-Riha en tant que tel, si le dire ne coïncidait avec l'être. Et c'est justement par rapport à cette effectivité inhérente au discours, à cette autonomie performative du langage, que le monde grec se sépare du nôtre. Le fait que le discours en tant que tel fait le lien entre les parlêtres, qu'il crée le monde en le nommant, n'indique nullement, pour nous, la nécessité que la politique entretienne des rapports avec l'éthique. Chez les Grecs, par contre, la seule politique digne de ce nom s'inscrit au registre du vrai, du juste et du bien. Autrement dit, n'est effectif que ce qui est qualifié de vrai, de juste ou de bon.1 Ce n'est seulement que l'éthique, prise en tant que jugement sur notre action, n'est pas disjointe de la politique, c'est aussi qu'elle est appelée à ordonner les rassemblements, ou plus précisément, les modes de gouvernements, à l'idée du Bien.2 Si la politique désigne la recher- che du meilleur mode de gouvernement, on peut conclure que, chez les Grecs, il n'y avait pas de politique sans éthique. Or, rien n'est plus suspect à nos yeux que l'idée d'un jugement qui porterait sur les rassemblements, les communautés ou les modes de gouvernements (les Etats) au nom de quoi que ce soit: aujourd'hui, on a du mal, même, à envisager un tel jugement. J'entends pour ma part que - si rien ne s'impose comme mesure à l'égard de la constitution du »corps social«, ni la vérité, ni le Bien, ni la justice, ni la liberté, ni l'égalité - rien n'est moins évident que la conjonction entre politique et éthique que j'ai prise comme point de départ. Pour autant que je tienne à problématiser l'idée selon laquelle la politique serait inséparable de l'éthique, voire soumise à l'éthique, il me parait néanmoins ici opportun de donner quelques précisions sur le sens dans lequel l'éthique, à mes yeux, touche à la politique. J'avancerais donc l'hypothèse suivante: réunir politique et éthique n'est aujourd'hui possible que sous le signe de l'impossibilité. Plus précisément, elles ne se rejoignent que, d'une part, par leur commune mise en cause et, d'autre part, par leur commune référence au réel que j'entends, dans son acception lacanienne, comme impossible. Dire que toute conjonction entre politique et éthique est frappée de l'impossibilité n'est rien d'autre qu'une manière d'affirmer sa contingence radicale. Le caractère hasardeux de cette conjonction se manifeste sous une double forme: l'ouverture sur un vide, d'une part, et, d'autre part, l'engluement dans quelque matérialité contingente. La conséquence en est que la rencontre entre politique et éthique - mais rien ne garantit qu'une telle rencontre aurait lieu - toujours précaire parce que 1 Voir sur ce point, J.C. Milner, Constat, Ed. Verdier, 1992, p. 12. 2 II faut néanmoins noter que la sophistique fait exception à cette règle. Les sophistes, comme on le sait, étaient les partisans acharnés de l'autonomie performative du langage, les défenseurs d'une "constitution esthétique du sens" contre une "législation éthique du sens" telle que la pratiquaient les philosophes et, notamment, Platon et Aristote. Voir la remarquable analyse philologique de Barbara Cassin, L'effet sophistique, Gallimard, Paris 1995. La politique existe-t-elle sans éthique ? 55 dépendante des situations, des conjonctures singulières, n'est pensable qu'à partir du particulier et même du fragmentaire. Même si l'on insiste sur le caractère précaire, incertain de leur rapport, la question, malgré tout, se pose: comment mettre en évidence ce qui, de la politique, touche à l'éthique? Deux voies s'offrent alors pour penser ce noeud que la politique fait avec l'éthique. L'une manifeste une nostalgie de leur réconciliation; l'autre essaie de penser l'incidence de l'éthique dans la politique et, ce faisant, de manifester que l'hétérogénéité et la multiplicité sont inhérentes à la rencontre entre politique et éthique. Parler d'éthique à propos de la politique peut sembler paradoxal, même si la référence à l'éthique se présente aujourd'hui comme une expérience commune. Ainsi, on parle de bio-éthique, d'éthique de la communication, d'éthique de l'être-ensemble, d'éthique des droits de l'homme et ainsi de suite. Or, que signifie cette »inflation socialisée de la référence à l'éthique«,3 évoquée par exemple par A. Badiou? Pendant longtemps, l'éthique a été bannie du domaine publique (politique, droit, science). Elle a été réduite à une sorte de morale privée. Ce qui veut dire que les réflexions sur la politique se caractérisaient par la suspension, la mise entre parenthèse de l'éthique. Il apparaît donc que, dans ce contexte, toute éthique comme doctrine des valeurs était complètement superflue. Aujourd'hui, par contre, l'éthique, me semble-t-il, revient comme une mauvaise conscience de partout où elle avait été autrefois proscrite. De sorte qu'on pourrait même parler d'une »vengeance de l'éthique«. Prenons l'exemple de l'intervention de l'éthique dans le domaine de la science. La science par définition va trop loin. Or, la question qu'on se pose aujourd'hui est de savoir s'il faut aller plus loin encore. Ce questionnement n'est, bien évidemment, pas nouveau. Ce qui est nouveau, et d'une certaine manière caractéristique de cette époque, c'est un déséquilibre entre, d'une part, la progression de la science, et, d'autre part, la conscience que, pour la science, le bien-être humain n'est pas une fin, un telos. On pourrait dire, avec J.C. Milner, que »si l'éthique existe, la science n'a rien à en dire et, sans doute, en tant que science, elle n'a rien à en faire.«4 Pourtant, ce décalage entre le bien-être humain et la progression de la science a déjà provoqué une réaction, à savoir l'exigence de limiter les recherches scientifiques considérées comme non- éthiques. Ce qui est inquiétant, à mon avis, c'est justement ce retour spontané du Bien au nom duquel on intervient dans le domaine de la science. La science s'expose à la censure et, même, à l'autocensure. Ainsi, on assigne aux scientifiques une magistrature morale: c'est à eux qu'il appartient de s'exprimer 3 A. Badiou, L'éthique. Essai sur la conscience du Mal, Hatier, Paris 1993, p. 5. 4 Voire J.C. Milner, L'oeuvre claire. Lacan, la science, la philosophie, Seuil, Paris 1995, p. 55. 56 Jelica Sumic-Riha sur l'expansion effrayante de la science. Or, ce qu'ils pensent n'est que la répétition de ce que pense n'importe qui au moment où justement, comme le dirait Lacan, il ne pense pas. L'éthique s'identifie donc ici à la non-pensée. Cette représentation débile qu'on se fait actuellement de l'éthique ne serait pas inquiétante si la référence à l'éthique, ou plutôt au Bien, n'était pas devenue le moyen de justifier tout ce qui se passe, de justifier chaque action. Ainsi, c'est au nom de la bio-éthique, comme en témoignent par exemple les mouvements dits »pro-life«, qu'il est possible de traiter les femmes comme des machines à produire des enfants; au nom de l'éthique de la différence qu'il est possible de refuser à l'Autre les droits et les privilèges que l'on réclame pour soi-même; au nom de l'éthique des droits de l'homme qu'il est possible d'intervenir militairement là où les violations des droits de l'homme s'accordent avec les intérêts de la Realpolitik. Cependant, ce »retour à l'éthique« vulgaire et quotidien ou plutôt, ce »retour de l'éthique«, pris dans le sens d'un »retour du refoulé«, ne nous intéresse pas en tant que tel. Il ne nous intéresse que dans la mesure où il s'agit là d'une réponse, d'une réaction à une insuffisance fondamentale des réflexions actuelles5 sur l'effondrement du communisme, sur l'échec de toute politique d'émancipa- tion, ainsi que sur le sens de la démocratie. Dans la perspective de ces réflexions, les sociétés contemporaines, démocra- tiques ainsi que post-socialistes, privées du communisme qui jouait le rôle de l'Autre de la démocratie, semblent témoigner d'une nécessité: celle de réaffirmer leur légitimité. La conséquence en est que ces réflexions ramènent, pour l'es- sentiel, l'extrême variété des problèmes discutés (elle va des problèmes écologiques aux morosités économiques en passant par le souci de maintenir la cohésion sociale) à une seule question: celle de la relégitimation. Même si cette compulsion à la relégitimation prend des formes assez différentes selon les spécificités des constellations politiques, culturelles, théoriques, on ne peut manquer de noter une certaine autosatisfaction provoquée par l'effondrement de la seule alternative contemporaine à la démocratie parlementaire. En effet, il apparaît, dans la perspective de ces réflexions, que la démocratie parlementaire se trouve auto-légitimée par le fait même de la disparition de son adversaire.6 5 Ces réflexions, qui d'ailleurs se distinguent par un souci de redéfinition conceptuelle, témoignent de nombreux malentendus liés aux spécificités des scènes nationales. En effet, il y a des différences considérables entre les "communitauriens" anglo-saxons, soucieux de la cohésion des communautés locales, les néokantiens français ou américains, ou les partisans allemands de la démocratie délibérative. Pourtant, ce qui domine, c'est une perspective d'inspiration kantienne universaliste et rationaliste. Une perspective, donc, qui se présente comme la seule alternative au relativisme et au nihilisme. Voir Ch. Mouffe, TheReturn of the Political, Verso, London, New-York 1993. 6 Sur ce point, voir J. Rancière, Les Mésententes, Galilée, Paris 1995. La politique existe-t-elle sans éthique ? 57 Pour mieux situer l'enjeu de ces réflexions, c'est-à-dire la rélégitimation de la démocratie parlementaire par rapport à toute forme de totalitarisme, je me pose la question de savoir si, en acceptant la démocratie parlementaire comme la seule réalité politique, on n'est pas condamné à assumer cette position politique que Lacan qualifie de knavery: »Chacun sait qu 'une certaine façon de se présenter qui fait partie de l'idéologie de l'intellectuel de droite est très précisément de se poser pour ce qu'il est effectivement, un knave, autrement dit, de ne pas reculer devant les conséquences de ce que l'on appelle le réalisme, c'est-à-dire, quand il le faut, s'avouer être une canaille.«1 Ce réalisme se fonde sur le postulat d'existence selon lequel n'existe que ce qui est capable d'exister. De cela découle que la preuve suprême de la légitimité du mode de gouvernement qu'on appelle démocratie libérale ou parlementaire n'est constituée par rien d'autre que par son existence. Mais si la démocratie s'auto-légitime, si aucun effort supplémentaire n'est requis pour la justifier, alors, conséquemment, on aboutit à l'équation de la Realpolitik et de la politique. Cette équation qui va presque de soi, surtout dans les sociétés post-socialistes, témoigne d'une double absence: d'une part, de l'absence de toute politique d'émancipation et, d'autre part, de l'absence du désir sur lequel, comme le dit Lacan, il ne faut pas céder. Au lieu de la foolery, plus précisément, au lieu d'une vérité qui est tolérée seulement si elle est revêtue des insignes du fooP - c'est sous cette forme, en effet, que se présente, dans le domaine politique, le désir de ne pas accepter ce qui est, de se révolter contre la réalité - s'instaurent la bêtise et la canaillerie, pour emprunter les termes à Lacan, donc, une sorte de lâcheté morale qui demande le renoncement à son désir, à la liberté rebelle, et qui commande d'accepter ce qui est comme ce qui, seul, doit être. Ne vouloir rien d'autre que ce qui est toujours déjà là, ne croire qu'à la réalité, aux liens établis depuis toujours, cela n'est que la conséquence radicale de la créativité du discours, car c'est le discours lui-même qui crée cette illusion du »toujours-déjà-là«. Pour autant il ne suffit pas de dire que la réalité, ou plutôt »l'effet-monde«, témoigne de l'efficacité du discours, comme le veut B. Cassin. Pour que cet effet-monde se produise, il faut aussi qu'on y croit, tout bêtement: si le discours rassemble, fait d'une multiplicité hétérogène un Un et finalement un corps social, la bêtise, en revanche, lui confère la permanence et se constitue pour lui en garantie, si le discours fait le lien, la bêtise le consolide à jamais, si le discours crée la réalité, la bêtise la confirme. Dire que l'effet-monde repose sur la bêtise, c'est-à-dire sur la croyance aux 7 Voire J. Lacan, L'éthique de la psychanalyse. Le séminaire VII, Seuil, Paris 1986, p. 215. "Ibid. 58 Jelica Sumic-Riha liens et à la réalité que le discours lui-même crée, c'est affirmer qu'on est tombé dans le piège de cette configuration discursive que Lacan appelle discours du maître: »Pour désigner l'être qu'il/Aristote/oppose au tô ti esti, à la quiddité, à ce que ça est, il va jusqu'à employer le tô ti en einai — ce qui se serait produit si était venu à être, tout court, ce qui était à être. Il semble que, là, le pédicule se conserve qui nous permet de situer d'où se produit ce discours d'être - c'est tout simplement l'être à la botte, l'être aux ordres, ce qui allait être si tu avais entendu ce que je t'ordonne. Toute dimension de l'être se produit dans le courant du discours du maître, de celui qui, proférant le signifiant, en attend ce qui est un de ses effets de lien à ne pas négliger, qui tient à ceci que le signifiant commande. Le signifiant est d'abord impératif.«9 Or, toute la question est de savoir s'il est possible de transgresser ce discours, de rompre avec le lien social qu'il établit. Cl. Lefort a bien montré les enjeux politiques et théoriques que soulève la question de la rupture. Cette question motive, comme on le sait, la modernité et l'invention démocratique dont parle Lefort. La modernité prise en tant que rupture s'instaure, selon Lefort, par un effondrement du corps social ou, pour utiliser sa définition, par une dissolution des repères de certitude sur lesquels reposait la société de l'Ancien Régime. Ce qui constitue la modernité, c'est d'avoir exposé la société à ce »lieu vide«: la société s'ouvre sur un vide, et cette ouverture la frappe d'une indétermination radicale. Or, cette indétermination de la société n'est pas le signe d'une impuissance, c'est la preuve que la société se sait, comme le dit Lefort, énigme et non réponse. Ce qui se joue ici, ce n'est rien d'autre que la question de la démocratie. Car ce savoir du non savoir n'immunise cependant pas la société moderne contre les incertitudes: l'invention démocratique ne renvoie ni à un dehors, assigné à une transcendance, ni à un dedans, identifié au corps social. Cette invention a rendu impossible toute figure de l'Autre, médiateur avec la transcendance, toute figure de l'Un, incar- nation du corps social, par exemple dans le corps du roi. C'est pour cette raison que la société démocratique, selon Lefort, est »sans détermination positive, irreprésentable dans la figure d'une communauté«10 La société s'organise autour du clivage irréductible qui la sépare de son unité, de son identité. Par conséquent, là où la société est censée se représenter son unité, s'institue un différend, un conflit: »L'aménagement d'une scène politique, sur laquelle se produit une compétition, 9 Voire J. Lacan, Encore. Séminaire XX, Seuil, Paris 1975 p. 33. 10 Voire C. Lefort, Essais sur le politique. XIXe-XXsiècles, Seuil/Esprit, Paris 1986, p. 265. La politique existe-t-elle sans éthique ? 59 fait apparaître la décision, d'une manière générale, comme constitutive de l'unité même de la société. Ou, en d'autres termes, la légitimation du conflit purement politique contient le principe d'une légitimité du conflit social sous toutes ses formes.« 11 Dans cette perspective, la politique ne se défait plus de la confrontation de la société à sa propre immanence. En d'autres termes, la politique est le lieu d'une interrogation que porte la société sur sa propre ouverture, sur son propre sens, une interrogation qui, selon Lefort, ne peut se satisfaire d'aucune réponse. En revanche, si cette interrogation, à laquelle la société est vouée, apparaît comme insupportable, immaîtrisable, c'est parce qu'elle est motivée par une perte irrémédiable. Or, cette perte des fondements traditionnels est une véritable obsession pour des philosophes politiques comme J. Habermas ou J. Rawls, c'est-à-dire pour les penseurs décidés à la combler en faisant appel au consensus. Car, pour Habermas (et pour Rawls), consolider la cohésion sociale est dicté par la nécessité de surmonter la fragmentation du social. Habermas, aussi bien que les postmodernistes, diagnostique l'effondrement des idéologies, la disparition des »grands récits«, si je reprends la notion de Lyotard, le scepticisme à l'égard de la politique d'émancipation. Or, à l'inverse des postmodernistes, il maintient que la modernité garde encore une force d'émancipation qu'il s'agirait aujourd'hui de renouveler et de relancer. En d'autres termes, ce qui est en jeu dans la théorie de Habermas, c'est l'éthique universaliste ainsi que les valeurs politiques qu'on en déduit. Si Adorno, Lyotard et Lacan ont ceci en commun de critiquer une telle éthique universaliste et les valeurs politiques des sociétés modernes qui n'ont pas su empêcher les effets désastreux de l'universalisme moderniste - cet universalisme s'identifie soit à un conventionnalisme purement formel soit à une forme de violence - ce qui caractérise, en revanche, l'approche de Habermas et de Rawls, c'est l'attachement à un tel universalisme, compris comme le fondement de la reconnaissance réciproque et, de ce fait, comme la base de tout consensus. Celui-ci se présente, dans cette perspective, comme une compensation rationnelle de la perte: »L'autorité du sacré sera remplacée par l'autorité d'un consensus qui sera à chaque fois reconnu comme fondé.ce12 L'effondrement des repères de certitude se trouverait donc comblé par la force de consensus inhérente à toute communication, plus précisément, à tout partage public de la parole. En faisant appel au consensus, Habermas impose la solution moderniste au problème des rapports entre éthique et politique. Cette 11 Ibid, p. 28. 12 Voire J. Habermas, Theorie des kommunikativen Handelns, Suhrkamp, Frankfurt/M, 1981, t. II, p. 118. 60 Jelica Sumic-Riha solution consiste à poser qu'il est possible de bâtir des normes éthiques pour le jugement politique à partir de la simple idée d'une communication ou d'une délibération entre citoyens: »Ce que l'impératif catégorique devait réaliser peut se faire en projetant une formation de la volonté grâce aux conditions idéalisées d'une discussion universelle. Le sujet capable de jugements moraux ne peut examiner seulement pour lui-même, mais uniquement dans la communauté de tous les autres participants, si une norme existante ou proposée l'est dans l'intérêt général et si elle doit éventuellement avoir une validité sociale.«12 Ce qui caractérise cette perspective, c'est la prétention à fonder la politique sur la raison, c'est-à-dire la supposition selon laquelle les sujets autonomes et rationnels, en discutant, peuvent juger leurs arguments, leurs demandes et leurs actes à partir de normes qui seraient des normes universelles. De cela découle que les cas du désaccord, du différend ainsi que ceux de l'inégalité ou de l'injustice se traitent, dans cette perspective, à partir des normes et des règles de validité universelle. Dans la mesure où Habermas, ainsi que d'autres partisans de la »démocratie délibérative«, ramène toutes les questions qui travaillent la société contemporaine à une discussion soumise aux règles universelles, on peut dire qu'il méconnaît la politique proprement dite. Ce qui caractérise la politique proprement dite, c'est le fait que le lieu commun dans lequel s'inscrit la discussion sur tout désaccord possible, donc ce prétendu cadre universel que Habermas présuppose comme toujours déjà donné, n'existe justement pas. Ce n'est pas que ce cadre »universel« n'est pas reconnu d'avance par les participants et qu'il ne se constitue que dans le cours de la discussion elle-même; c'est qu'il est, lui-même, l'objet du désaccord ou du différend.14 Autrement dit, si l'argumentation, rationnelle ou irrationnelle, fait effet dans le domaine politique et éthique, cela n'est pas parce qu'elle respecte des normes communes, comme le suppose Habermas; l'argumentation fait effet parce que tous les constituants de la discussion (le lieu, l'objet et les participants) sont, comme le dit justement Rancière, contestés, demandant, de ce fait, qu'on en fournisse la preuve: »Avant toute confrontation d'intérêts et de valeurs, avant toute soumission d'affirmations à des requêtes de validité entre partenaires constitués, il y a le litige sur l'objet du litige, le litige sur l'existence du litige et des parties qui s'y affrontent.« 15 13 Ibid., p. 107. 14 On pourrait dire, avec Rancière, que ce lieu commun, ce cadre universel "...y est toujours enjeu singulièrement, sous la forme de cas où son existence et sa pertinence sont en litige." Voire J. Rancière, op. cit., p. 86. 15 Ibid., p. 85. La politique existe-t-elle sans éthique ? 61 Suivant Rancière, on pourrait reprocher à Habermas d'avoir présenté une conception qui non seulement fait tort à l'argumentation, mais aussi dissimule ses implications politiques. La question alors se pose de savoir d'où vient cet aveuglement à l'égard du rôle que joue la discussion dans le domaine politique, cet aveuglement qui, à nos yeux, caractérise la perspective habermasienne. Le péché originel de l'approche habermasienne se cache, comme on l'a vu, dans son éthique communicationnelle, plus précisément, dans sa conception universaliste. Nous avons signalé en passant que cet horizon universaliste de l'éthique est aujourd'hui mis en cause, surtout grâce aux élaborations critiques d'Adorno, Lyotard, Lacan, et Badiou. En résumant ces réflexions, on peut dire que, pour nous, il n'y pas d'éthique en tant que telle, c'est-à-dire d'éthique pour tous.16 Plus encore: il n'est d'éthique que relative, c'est-à-dire spécifique au discours, comme le dit Lacan.17 Donc l'éthique dont parle Lacan ne s'inscrit pas dans le registre de l'universalité; elle ne repose pas sur des règles, car toute règle est, par définition, universalisable. Au contraire, cette éthique ne prescrit rien, plus encore, elle se tait: »Une éthique s'annonce, convertie au silence par la venue non de l'effroi mais du désir.«18 Si ce qui est en jeu dans l'éthique, c'est bien le désir et, de ce fait, la position du sujet, alors il importe de savoir où se décide la position subjective. Selon Lacan, cette position se décide dans cette dimension impensable qu'il appelle le choix: un choix préalable, un choix forcé, selon lequel le sujet se pose, s'impose ou s'effondre. La conséquence en est que, pour Lacan, l'éthique consiste essentiellement en la confrontation du sujet à son propre désir, donc à ce qui cause sa division. Si la psychanalyse touche à l'éthique, c'est parce qu'elle ramène le sujet au choix qui détermine sa position subjective, autrement dit, parce que l'analyse autorise le sujet à remettre en cause sa position. Cependant, dire qu'il y a de l'éthique, au sens lacanien, là où un sujet remet en jeu sa position n'exclut nullement une pluralité de modes d'une telle mise en cause. La trahison de son désir au profit des demandes de la réalité, ce qui caractérise précisément la position "éthique" d'une canaille, pourrait bien être l'un de ces modes suivant lequel le sujet a la possibilité de se constituer en tant que sujet éthique. Toute la question est de savoir dans quelle mesure l'éthique de la discussion échappe à la position de la canaille. Plus généralement: qu'est-ce qui caractérise, 16 Sur ce point, je renvoie à l'Éthique de Badiou selon qui "l'éthique doit se prendre au sens supposé par Lacan quand il parle, s'opposant ainsi à Kant et au motif d'une morale générale, d'éthique de la psychanalyse. L'éthique n'existe pas. Il n'y a que l'éthique-t/e (de la politique, de l'amour, de la science, de l'art), (ibid. p. 28) 17 Voire J. Lacan, Télévision, Seuil, Paris 1974, p.65. De cela découle le pluralisme des positions éthiques: L'éthique de l'universitaire n'est pas celle de l'analyste, l'éthique du maître ne se confond pas avec celle de l'hystérique. 18 Voire J. Lacan, Ecrits, Seuil, Paris 1966, p. 684. 62 Jelica Sumic-Riha du point de vue lacanien, l'éthique conforme à la conception habermasienne de la communication? Quelle peut être l'éthique soumise aux conditions d'une délibération publique et raisonnée? Il est bien évident que l'éthique de la discussion n'est pas assimilable à l'éthique du désir, dans la mesure où la compulsion au consensus efface le décalage entre l'énoncé et l'énonciation, donc ce lieu où s'inscrit le désir. Ce choix pour l'éthique du consensus instaure, dans la perspective habermasienne, la communication comme force constitu- tive. Elle est constitutive dans la mesure où des sujets (en l'occurrence, des citoyens) ne sont formés que par leur reconnaissance mutuelle au sein d'un espace commun. De même, c'est à travers l'institution du consensus que se forme la communauté elle-même. On voit bien que, dès qu'on se place du point de vue du dialogue, c'est la réciprocité qui vaut. Habermas le dit tout ouvertement. Pour lui, toute interac- tion repose sur cette symétrie stricte entre le sujet et l'autre. De ce fait même, l'autre sujet n'est qu'une pure fonction de reconnaissance. C'est un sujet qui vaut un autre sujet. En d'autres termes, dans cette perspective, il n'y a de sujet que pour et par un autre sujet. L'autre sujet est là, d'emblée, en tant que destinataire. L'autre est déjà là pour comprendre le sens de ce que je dis. L'autre me reconnaît dans mon statut de sujet dès qu'il sanctionne mon dit. Ce sujet de reconnaissance, Lacan le caractérise de la manière suivante: »Le sujet strict, c'est quelqu'un à qui nous pouvons imputer quoi? Rien d'autre que d'être comme nous cet être ... qui s'exprime en langage articulé, qui possède la combinatoire, et qui peut à notre combinatoire répondre par ses propres combinaisons, que nous pouvons donc faire entrer dans notre calcul comme quelqu'un qui combine comme nous.«i9 Ainsi, dans la perspective habermasienne, l'accord, le consensus universel, est toujours en instance de s'établir. Le désaccord, par contre, n'est qu'un accident, un malheur. Habermas, par contre, ne nie bien évidemment pas le désaccord. Le désaccord, ou plutôt le différend, pour emprunter le terme à Lyotard, manifeste sa présence dans une communauté quand il y est question de son identité, plus précisément, quand, par exemple, il s'agit de maintenir la mémoire des crimes et de la souffrance des victimes - des Juifs - comme partie intégrante de l'être et de l'identité de la communauté allemande. Pourtant, ce désaccord n'est reconnu ou admis, dans la perspective habermasienne, que dans la mesure où il est soumis à la réconciliation, à la compulsion au consensus. La présence d'un désaccord est donc bien marqué, chez Habermas, mais la compulsion à la réconciliation finit par la réintégration de ce désaccord, ou plutôt par sa dissipation, c'est-à-dire par la dissipation de ce qui, par définition, se manifeste 19 J. Lacan, Le transfert. Séminaire VIII, Seuil, Paris 1991, p. 174f. La politique existe-t-elle sans éthique ? 63 comme quelque chose de récalcitrant à tout consensus. Ce qui revient à dire que le consensus n'est possible qu'au prix de l'effacement de ce moment de trouble, de ce moment dérangeant. Il apparaît que, dans la perspective habermasienne, le différend est tout à la fois reconnu et réduit; il n'est donc qu'un état provisoire, dépassante. Habermas, comme je le disais, ne nie pas le différend. Seulement, il ne l'explique pas. Il ne l'explique pas parce qu'il ne sait pas d'où il vient. Pour qu'il y ait un différend, il faut le disparate, le discordant, l'hétérogène. Or, au niveau de la relation réciproque entre le sujet et l'autre sujet, donc dans l'empire où règne le sujet du signifiant, le sujet omnivalent (omnivalent précisément dans la mesure où toutes ses particularités sont universalisées et, de ce fait, annulées), il n'y a absolument rien qui pourrait donner lieu au différend. Le différend au sens radical est, dans la perspective habermasienne, non seulement impossible mais, plus encore, inadmissible. Il est inadmissible précisément dans la mesure où l'autre, en sanctionnant mon dit, me reconnaît comme sujet. Dénier à l'autre le droit de sanction revient donc à détruire mon propre statut de sujet. C'est pourquoi on sent que Habermas est mal à l'aise quand on lui demande d'expliquer la montée de la xénophobie, de l'antisémitisme, du nationalisme et du racisme, donc de tous ces mouvements post modernes qui dénoncent le principe de la reconnaissance, des mouvements qui dévalorisent l'horizon d'universalité en mettant en valeur le particulier en tant qu'irréductible à l'universel. Confronté à l'hostilité dirigée contre l'autre, le discours habermassien, tout comme le discours universel en général, se désoriente complètement. Il ne trouve d'autre recours pour expliquer ce phénomène que celui de l'irrationnel, de l'obscurantisme, de la chute dans les discours et les pratiques prémodernes. Ce qui désoriente le discours universaliste, qui se veut d'ailleurs humaniste, donc le discours qui ne reconnaît l'autre que sous la forme du pareil, c'est le moment où l'autre se manifeste comme pas pareil, comme complètement différent, bref, comme Autre tout court. La question est donc de savoir si, au-delà de la modernité habermasienne, ne se cache pas une »autre« modernité, une modernité qu'on peut nommer avec Lyotard la post-modernité qui ne repose pas sur l'illusion du consensus, de la société réconciliée avec elle-même. Une modernité, donc, qui reconnaîtrait le différend, ou le tort comme ce qui_ reste, par définition, intraitable par toute politique rationaliste et universaliste, parce que c'est précisément cette politique universaliste et rationaliste qui les engendre. Cette »autre« modernité, que les post-modernistes caractérisent comme ouverture à l'autre, à la singularité, à l'inconnu, est, bien évidemment, disruptive à l'égard de la modernité telle que Habermas la défend. Ce avec quoi elle veut rompre, c'est justement cette modernité consensuelle, commune. 64 Jelica Sumic-Riha L'ambition de mon propos a été de montrer que Habermas avait eu tort de placer la réconciliation de l'éthique et de la politique sous l'horizon universaliste. En effet, cette réconciliation ne s'établit que sous la condition d'esquiver le moment du tort, de l'instabilité et de la dissension, toujours singulier, qui témoigne pour la société moderne de la rencontre toujours manquée entre éthique et politique. Or, la société moderne, pour reprendre mon hypothèse de départ, n'est pensable qu'à travers l'asymétrie constitutive du rapport entre éthique et politique. La politique touche à l'éthique quand la société s'expose à l'indétermination, à sa propre différence, à sa propre étrangeté, sans qu'on puisse envisager le moment où elle se réconciliera avec elle-même. Ce n'est pas parce que le moment de la réconciliation est retardé, différé indéfiniment, que la société contemporaine ne peut s'appréhender comme unité et identité. C'est plutôt parce que le conflit originaire autour duquel la société moderne s'organise est irréparable que l'idée même de la réconciliation n'est qu'une illusion, mais une illusion nocive, qu'il faudrait tout simplement abandonner. Si la politique n'est pas porteuse d'une promesse de réconciliation avec l'éthique, comme le veut Habermas, l'idée d'un rapport entre politique et éthique fondé sur la fidélité au différend, à l'intraitable, à l'irréconcilié, n'en est pas moins illusoire. En effet, on ne peut partager la conviction d'Adorno ou de Lyotard qui maintiennent qu'après Auschwitz et le Goulag tout projet politique est désormais suspect, et que toute politique d'émancipation est vouée à l'échec et donc impossible. Par conséquent, une éthique digne de ce nom doit rester en retrait de la politique, elle doit se réfugier dans un hors-politique. On ne manquera pas de voir le point faible de cette position: Il ne suffit pas de dire qu'une telle éthique, obsédée par le différend, par le tort intraitable, bref, une éthique radicalement pessimiste n'est pas réalisable - on imagine mal qu'elle puisse être adoptée par un sujet ou une communauté quelconque. Le problème réside plutôt dans le fait qu'elle dissimule son rapport avec la politique. Les partisans de cette éthique ont beau signaler le lieu d'incidence de l'éthique dans la politique (les cas du litige, du tort, de l'injustice), ils en méconnaissent la portée: Si l'éthique fait effet dans le domaine politique et social du fait qu'elle met en évidence un tort, un litige au sein de la communauté, si l'éthique a pour effet le différend politique, la contestation de ce qui se présente sous la forme d'un consensus - d'un sensus communis - c'est parce que, déjà, la politique est le lieu où se rencontrent deux logiques hétérogènes: d'une part, une logique du symbolique, c'est-à-dire de la loi universelle, du droit, et, d'autre part, une logique du Réel, c'est-à-dire du tort, de la résistance, de la liberté sauvage. Aux partisans de cette éthique disjointe de la politique, si rigoureuse, si radicale que leur position apparaisse à première vue, on pourrait reprocher le La politique existe-t-elle sans éthique ? 65 fait, qu'au contraire, elle n'est pas assez radicale. Animée par le désir de préserver la pureté de l'éthique à tout prix, ce qui d'ailleurs commande le recul devant toute rencontre entre politique et éthique, cette position aboutit à la trahison du désir même sur lequel, comme le dit Lacan, il ne faut pas céder. Si le sujet est rappelé d'agir en conformité avec son désir, c'est précisément parce qu'il n'est que trop facile de succomber aux demandes de la réalité, comme en témoigne la position de la canaille. C'est aussi la raison pour laquelle le désir est à la base de toute éthique de la résistance, de cette éthique qui, de ce fait même qu'elle est envisageable, qu'on peut énoncer ses »maximes« comme par exemple: »Ne pas céder!« »Continuer!« ou tout simplement »Ne pas accepter ce qui est!«, ouvre la possibilité d'une politique plus égalitaire, plus démocratique. Pourtant, ce n'est pas la résistance elle-même qu'il faut défendre à tout prix. On peut bien imaginer une résistance à ce qui est au nom d'une idée raciste, intolérante, bref, au nom d'une vision non-démocratique de la société. Il s'agit plutôt de préserver la possibilité même de l'éthique du désir. Or, pour préserver cette éthique, il faut garder ouvert ce gouffre, ce vide, duquel elle sort comme un choix pur, infondé. S'il faut défendre la résistance, c'est parce que la possibilité de dire non à ce qui se passe, finalement, à la réalité, creuse un trou, ouvre un espace dans lequel s'inscrivent les »maximes« de l'éthique du désir. Le rappel qu'il n'y a pas de politique sans éthique qui m'a servi de point de départ est, donc, tout à fait pertinent. Or, ce qu'elles ont en commun n'a, à mon sens, rien de positif. Ce qui les lie, c'est plutôt ce que les deux positions éthico- politiques que Lacan caractérisait comme bêtise et canaillerie excluent: la possibilité de l'impossible, d'un événement inouï qui soumettrait ce qu'on appelle la réalité ou l'ordre social au hasard. Ce qui les lie, c'est précisément ce que la Realpolitik et le moralisme larmoyant refusent d'assumer, à savoir le choix hasardeux dont les deux noms sont: contingence et liberté. La liberté sauvage et rebelle, c'est le seul fondement de ce qu'on appelle la politique du Réel, la politique qui se fonde sur l'éthique du désir. Le fait qu'on ne puisse pas montrer du doigt cette politique du Réel ne veut pas dire qu'elle n'a pas existé, ni n'existe, ni n'existera jamais. Ces traces fragiles, qu'on déchiffre ici et là, ne témoignent que de sa contingence radicale.