y H I s T o I R E D'UN VOYAGE AUX ISLES MALOUINES, Fait en 1763 & 1764 ; A r E C DES OBSERVATIONS SUR le detroit de magellan, ET SUR LESPATAGONS, Par Dom Pernet TY^ Abbe de ÜAbhayt de Bürgel, Mcmbn de CAcadimie Roy ah des Sciences & Belles-Lettres de P ruße ; Ajfocie Correfpondunt de Celle de Florence, 6* Bibliotkecaire de Sa Majeßi le Roi de Prüfe. nouvelle edition. Hefondut augmentee /Tun Difcours Prcliminaire, fur FHißtiire Naturelle, &c. TOME PREMIER. " A PARIS, r Sa1li,ANT & Nyon, Libraires, rue Saint-Jean) de-ßeauvais ; ADelalain , Libraire , rue & ä cöte de la C Comedie Fran^oife. M. D C C. L X X. 4VEC APPROBATION ET PRIVILEGE DU ROL •g ^ " 5 : : — ■ '•o:^'3.''/O'. . s. X M • . • -r i ' , '' o . .••IK.. I AVIS DES LIBRAIRES. i 'Auteur de cet Ouvrage eßlmi^ J riß dam a Berlin , & occupant ß>n lolßr ä des travaux plus imponans ; un Homme de Lettres connu a bien voulu fi charger de ve 'dler furcmeßconde Edition , & de la rendre digne du Public. Void en quoi conßße Jon travail. Le Dißcours Priliminaire, avec les notes, eß tout entier de l'Edi-teur. II a ajoute dans le cours de VOu' vrage btaucoup d'obfervations ßur l'Hißoire Natur eile ^ laPhyßcjue , » gres de latitude, anxquelles j'ai donne le >> nom d^IJIes nouvclks, pour avoir ete decoii-» vertes depuis i'annee 1700 , la pliipart par » Ics vaiffeaus de S. Malo. Je les ai placees, » (»r les Memoires du Maurepas &c du Saint» Loiiis, vaiffeaux de la Compagnie des Indes, » qui les ont vues de pres; & meme ce der» nier y a fait de l'eaii dans un erang, que j'ai » niarque aupres du port S. Louis. L'eau eti » etoit im pcu rouffe & fade, au refte bonne » pour la Mer. L'lm &c I'antre ont parcouru >> difFerens endrolts ; mais celui qui les a co-»toyees de plus pres , a etc le Saint Jcan-»Baptifte, commande par Doublet du Havre, qui cherchoit ä paffer dans un enfoncenient " qu'il voyoir vers le mliieu. Mais ay an t re- cru depuls Colomb, que defcen-dre dans une region incqnnue, ce >f connu des Ifles b^ffes prefque ä fleur d'eaii, »iljugea apropos de revirer cic boid. Cette » fiiite d'Illes font cellos que Fonqiiet deS^Int-»Malo dccouvn! , & qu'il appclla du nom >fd'Anican fon Armateiir. Les roiitt'S que j'ai » tracees, feront voir ie gifiement des terres, »par rapport ait detroit de le Maire , d'oii »Ibrtoit Ie Saint-Jean üaptifte , lorfcjii'il les »vit ; 5; par rapport a la Terre des Etats , }> dont les deux autres avoient eu connoilTan-)) ce, avant que de les troiiver. » La partie du Nord de ces Terres , qui eft w ici fous ie nom de Cotes de C Aßompt 'ion ^ a >» ete detouverte le 16 Juiilet de Tannee 1708, »} par Pore de Saint iMalo , qui lui donna le »nom du Vaifleau qu'il montoit. On ia j> croyoit line nouvel'e Terre elotgnee cl'envi-wron cent lieues ä TEft des Ifles nouvelles » dont je parle ; mais je n'ai point f.iit de dilti-i> culte de la joindre aiix autres, tondc iur des wraifons convaincantes. » La premiere, c'eft que les latitudes ob» fcrvees au Nord & au Sud de ces Ifles, & I9 »giflement des parties connues, concourent w parfaitement hien au m£me point de reu-r }f qion, du cdte de TEft, fans qu'il dMi foit en prendre pofleflion , on ne peut pas plus nous difputer la do» vuide entre deux. La feconde, c'eft qu'il » ii'y a point de raiCon cl'eftimer cette cote » I'Eft des Ifles d'Anican. Car M. Gobien du w Saint-Jean, quia blen voiilu me commanl-»quer un extrait de fon Journal , eftime » qu'elle eft an Sud de la riviere de la Pla-» ta ; ce qui etant pris k la rigneur ne pour-» roit I'eloigner al'Efi: que de deux ou trols » degrcs , c'eft-jl-dive ij on 30 lieues. Mais » la diverfite des eftimes eft toiijours une mar-w que d'incertitude. La premiere fois qu'ils » virent cette cote , en venant cle I'lfle Sainte-»Cntherine (auBrefil), ils reftlmerentpar « 319 clegres; & la feconde, en venant de la » riviere de Plata , ou les vents contraires lea » avoient contraints d'aller relacbcr , apres » avoir tente de paffer le Cap Horn, lis la « jiigerent par pi degres, & fnivant quel-»ques-uns 314 fur les Cartes dePicter Goos, » dont nous avons fait remarquer les erreurs » page 28. Ainfi on doit y avoir pen d'egard. » Cependant, comme lis y avoient de la con-» fiance, ils fe crnrent fort loin de la terre » ferme, & fe comptant trop ä I'Eft, ils coii-» rurent aufli 300 lieues trop a I'Oueft dans la » Mer du Sud , de forte qu'ils fe croyoien^ mination fur ces Ifies, qa aiix Ef-pagnols celie qu ils ont acquife fur » courir fur la Guinee, lorfqu'ils atterrirent » ä Ylo, Mais la troifieme & convaincante , » c'eft que nous & nos camaraclcs avons dii » pafler par-deffus cette noiivelle Terre, fui-» vant la longitude oii elie etoit placee dans » la Carfe inaniifcrite; & qu'il eft moralement » impofTible qu'aitcun navire n'cn efit eii con-»> noiflance, etant loiigiie d'environ 50 lieues »E. S. E. Sc O. N. Ö. Alnfi 11 ne refte phis » aiicnn lien de doiiter que ce ne fut la partie » dii Nord des lües Noiivelles, dont le temps » decouvrira la partie de i'Ouelt, qui eft en« core inconnue. » Ces Hies font fans doute les memes que le ^^ Chevalier Richard HaTPkins dčcouvrit en » IJ93 , ctant ä I'Eft de ia Cote defene , par » les 50 degres. U fut jette , par une tempeie, » fur unc Terre inconnue ; il courut lej long » de cette Ifle environ 60 lier.es, & vit des » feux , qui liii firent juger qu'elle etoit ha» bitee Je ne tranfcris ce long texte de Prezier que pour avoir occafion de placer des remarques judicieufes de Dom Pernetty qui le reöifie. II faut obferver au fujet de ce Pore de S. Malo dont parle Prezier, que ce Capitaine ne la moitie du Nouveau Monde. Depuis la premiere decouver- connoiflbit paslalituation exafte ties cötes des Palagons, ni celle des Ifles Maloiiines; ou qii'il avoii mal fait fon point. En effet ces Ifles ne font qvi'ä 90 OLi 100 lieiies du detroit de Magellan : comment auroient-elles done čte eloi-;nees de 100 Heues ä TOueft de la cöte de 'Aflbmptlon , ainfi nommee par Pore ? S'il avoit eu connoiffance de la pofidon des Ifles Maloiiines, il auroit vu clairement, par la latitude & lalongitiide de la cote qu'il parcouroit, qii'elle ne poiwoit ctre autre que celle de ces liles. Remarquons en fecond lieu que l'eftime du fieurGübien du Saint-Jean efi erronce, puifqu'ilmet ccitecöte de TAfTomption au Sud de Rio de la Plata; & que Dom Pernetty y etant defcendii comme liii, & au mßme en-droit fuivant la Carte de Prezier, fon cftime lui donna environ 64 degres & demi de longitude Occidentale, mcridien de Paris ; & Pemboucliure de Rio de la Plata, 56' 30"; ce qui rejctte l'endroit de la cote oü les deux Na-vigateurs abordercnt , 8 degres plus au Sud-Oueft; ik fait ä peupres l'erreiir que l'Auteijr du Voyage de TAmiral Anfon (page 78), attii- te, les Navigateurs de toutcs ]es Nations qui y oiit aborde , ont voLilu avoir la gloire de leur donner un nom ; cette efpece de(ou-verainete flatte les Marins comme les Afironomes le font du droit de nommer des etoiles. Je ne parle point de Hawkins, qui des lan 1593 donna, dit-on , ;iux Ifles Malouines le nom de Vüginie ; m.nis vers j 714 M. Fou- bue h la Cafte de Prezier, fur la pofition de la cote des Pafae^ons, Enfin au lujet de ccs Illes que le Chevalier Havkins apperciit cn 1593 par les 50 degrffs A I'Eft de la cote deferte des Patagons , il n'efl pas probable qu'elJes fbient la partie Septen-irionale des I/les Maloiiines ; M. de Bougain-viile coiimt cette cote au moins 60 Üeiies com-ine Ha-w'klns,& n'y appelant aucun feu, ni au-Cime apparence d'habitalion, quoiqu'il n'en flit affez foiivent eloigne que d'une deini-Iieue^ <511 line lieue, qüet de Saint - Malo les appella A nie an, du nom de fon Armateur; TAmlral Roggewin , qui en i'^ii cotoya la princlpale du cote de rOrient, lul donna le nom de Bel-gie Auflrale; quelques Capitaines Anglois lesont fait connoitrefous le nom ^Ißes de Falkland; nos Armateurs les ont quelquefois appellees }ßes Neuv es de Sa in t-Louis; & il paroit que l'Europe aujour-d'hui confent ä leur lailTer le nom ^'Ißes Malouines. Aupres de la grande Ifle Ma-louine du cote du Nord , font trois petites IHes rangees en trian-gU , qu'on a quelque temps con-fondues avec Celles que M. de Bougainville a reconnues ; mais il paroit que ce fonc les Ifles Sebal- lö D I s C o U R s des (/;) marquees avec exaöitude {b") refte, Dom Pernetty clöiita qtielque tenips fi ces Mes, qu'il recontiiit , etoient vraiment les Ifles Sebaldes de Ja Carte cte Prezier; void ce qu'il cn (lit dans line note du Dif-CüLirs jjreliminaire de la premiere edition. « Nous decouvrimestrois Ifles d'environ demi» lieue de Jong, affez elevees, & placces a pell >f prčs en trinngte, comme on dit que le font les » lilesScbaldes. Cette reflembiancedcpofition » &de figure nous les fit prendre d'abord ponr w elles ; mais enUiite ayant decouvcrt aupres » d'ellcs quelques Illes piates prefqu'a fleur w d'eau, nous jugežmes que ccs trois Ifles n'e-»toient pas Ics Sebaldes, mais des Jiles un » peu avancees de la grande des Malouines, « & nous eumes lieu de nous confirmer dans » cette opinion. Si ces trois Ifles etoient en » eti'ct ies Sebaldes, elles ne feroient eloignees wde k grande Ifle que de deux lieues, & non V de 7 ä 8, comme le dit Prezier, Voyez Ja » Carte de notre route le long de la cote. Ce-» pendant, dans les deux voyages de I'Aigle, » & deja flüte du Roi TEtoile, qui ont recon-« nu apres nous ces trois Ifles, en allant des » Ifles Malouines an detroit de Magellan , les w Capitaine^ n'ayant pas rrouve d'autres Ifles dans dans la belle Carte clu detroit de Magellan , dreflee par M. de Vau-gondy, pour rintelligence de Thif-toire des Terres Auftrales. L'Amiral Roggewin paroit im des Navigateurs qui avant Dom Pernetty, a jette le plus de lumie-res fur la vraie pofition des Mes Maiou'mes (c) ; il reconnut que ce qu'on avolt pris pour un vade continent, netoit quune grande Iße d'environ deux cens lieues de « qiic^ces' {rois, ils les orit regardees depuls » cfe'rElmc-etant les Schaidts (c) Sc« voyage a cte ecrit en Fran9ois:pfi;^ iin Allemand, embarquc fa flotte , fii£ imprime ä la Haye en 173^ , en 1 vol, /«-! 2,. La fiotte qu'il commandolt utoit defliaee par la" Compagnie hollandoife des Indes. Orien-tales'j '^ la- decouvertc du Monde AuftraK- Le voy.gge de ^Roggcwin eft p^ut-etre le plws .cu-rieuxde rous ccuxqiii ont ete entreprispouX tecbnnoitre ce tioifieine Continent. Tome I, B circuit. II cotoya toute la partie Orlentale, la jugea Inhabltee, par-ce qu'il u'y vit ni feu ni na vire; & s'il n'avoit cralnt de perdre le temps favorable pour doubler le Cap de Horn, 11 ferolt defcendu dans cette contree pour la vifi-ter; i'unique a£le de fouverainete qu'il exer^a , fut de lui donner le nom de Belgie , parce qu elle fe trouve dans une latitude corref-pondante ä celle des Pays-Bas ; inais cet evenement ne parut pas a la Compagnie de Batavia un titre fuffifant pour envoyer fes Ami-raux prendre poffeffion des Ifles Malouines. Les Anglois ont aufli partage avec les Hoilandois la gloire de reconnoitre les Ifles Malouines; lis paroilTent tous y avoir ete con- dults en cherchant uiie pretenclue Ifle Pepys, que Cowley en 1686 crut decouvrir Qf), ou il y a, dit- (d) Toiite la relation du Capirainc Covley paroit erronee a Dom Pernetty , & il ell aiie, dh-il , tie s'en convaincre par la lefture cle fon voyage. Cct Anglois dit que « U gros temps » Vanpiclia de dcfcendrc , qtitlm put meitrc »fa chaloitpe a la mef. S'il a vu cette tcn e ^ eil y> effet, ce n'ett done qu'en paflant, comme » pliifieurs Navigateurs ont fait de beaucoup » d'autres Ifles &Tcri-es qui nous font encore « inconnues , lant pour la qualite & les pro» dučtions du tcrrein , que pour la veritable » pofition de leiits cotes. Pulique ce Capitalnö » n'y eft pas defcendii, comment peut-il dire » que c'eft nn lieu commode pour faire de » I'eau ? 11 n'y a peut-etre point d'eau douccj » Quant au bois, nous y avons ete trompes »> fur les apparences; en coufniit la Cote des » Ifles Malouines , nous avons eru en voir , » &C apres y etre defcendus, ces apparences M ne nousontdonneenrealiteque desglajeuxj V efpece de jonc ou plante k tongues feuilles* » plattes & etroites, qui s'eleve en motte de w trois pieds au molns , & dont lesfeuilles ert »toiiffes font , en s'elevant au-deffus de la j> motto, une hauteur de fix äfept pieds. n Bij on, des bois & de l'eau douce en ^ibondance , & dont le principal port eft ailez vafte pour conte-nir millc vaifTeaux (t-), lilc que Jes meiileurs Navigareurs font rentes de meftre dans le rang de llfle Atiantique de Piaton & du beau pays d'El-Dorado. Woods Rogers, des le com-inencement de cC liede, comman- (e) Cette Me Pe.pys, fiiivant l'Amiral An-fon , elt ii quarante-lept degres cie latitiuie Sud ; Cuivant le Dofleiir Hailey, a qiia-tre-vingts lieues du Cap-Blanc Tur Ja Cöte des Patagons- Le Capitaine Cowley la nomniii /Jldtž^ Pipys en I'honneur de iiiimuel Pepys, Secretaire du Due d'Yorck , cjul fiit depuis Jacques H, & qui pQiir lors ctoit grand Aniiral tlel'Angleterre. Le Chot'd'ercadrcBiron , dans fon voyage aurour du Monde ; Ö£ M. de Bougainville , dans cicu.v voyages aux Illes iVfa-louines , ont vaineinent cherchecerte file Pepys , qui ne fat probabicment, pour le Capitaine Cowley , qu'im nuageou un grand banc dc glace, da une petite cfcadre chargee de reconnoitre la mer du Sud ; il avoitpourfecondCnpitaine le ce-lebre Medecin Dower, & pour Pilote Williams Danipier, quis'e-toit dejä immortallfe par deux voyages autour du monde ; Rogers courut la core N. O. des Ifies Maloaines, & determina leur pofi-tion;mais il jugea mal de Icur etendue (y'). (/) Suivant le recit de TAmiral Anfon , « Rogers counit la Cöte de N.E. de ces Ifles eti M 1708 ; i! vit qii'cllcs s'etendoient environ la » longusur de deux degres , qu'elles ctoient » cornpofees de hauteurs qui s'abaiffoient en « pente douce les unesdevant les autres; que » le tcrrein en ctoit bon & couvcrt de bois ; » & que , fuivant les apparences, il n'y man» quoit pas dc bons ports. » Dom Pernetty rcdrcffe ici le Capitaiiie Rogers. « Si cet Anglois , dit-il, n'a courn que » la Coie N. E, des Hies Mabuines , comment >? peut-il favoirfi ces Iflcsne s'etendent qii'en- Bilj George Anfon, mort comble degloire en 1761, & do nt la cen^ dre auroit du etre placce äWefl-minßer, ä cote de celle des grands homraes&desRois, navlgeafort pres des Ifles Malouines; 1 elegant reda£teur de fes Voyages propofa meme aa Gouvernement Anglois un plan de commerce fur ce fujet, qui prouve 1 etendue de fes vües it viron la longueur de deux degrcs ? Noiis n'a-» vons couru qu'une partie des cotes de Ja w grande Ifle , & nous avons trouve qu'elie » s'etendoitdeplus de trois degres, depaisrEH: » jtifqii'auNord-Oiiefl:. Nous avons remarque » qu'elle eft en eifet compofee de hauteurs qui » s'abaiflent en pente douce les unes devant les » aiitres; mals le tcrrein ne nous a jamais pam » couvert de bois, quoique nous J'ayons cow toye de fort pres : nous avons menie tou-j> jours doute qu'il y en eiit, parce que nous ** ri'avons pu en decouvrir pendant Ic Tejour » que nous y avons fait, tant au jjremicr » voyage qu'aiix deux fuivans politiques (^), & le Chef d'Ef-cadre Byron dans Ton voyage au- (^) « J'ai prouve , dlt-il, que toiites nos en» treprifes dans la mer du Sud coiirent grand » rifque d'echouer, tant qu'on fera oblige de » relacher au Brefil; ainfi tout expedient qui « pouiToit nous affranchlr de cette neceflite , w eft surement digne de I'attentioii du Public ; « & le meilleur expedient ä propofer, i'eroit » done de trouver quelqu'autre endroit plus « au Sud , oil nos vaifleaux puflent reläcber , » & fe pourvoir des chofes neceffaires pour » leur voyage autour du Cap Horn. Nous » avons dejä qiielque connoiffance imparfaite » de deux endroits , qu'on trouveroit peut-» žtre , en les faifant reconnoitre , fort pro» pres ä cet efFet. L'un efl I'lfle Pepys ; le fe* w cond ell aux Ifles de Falkland, fituees au » Sud de rifle Pepys, L'un & I'autie de ces » endroits eft k. une diftance convenable du w Continent; & i en juger par ieurs latitudes , » le climat y dok etretempere. 11 eft vrai qu'on » ne les connoit pas affez bien pour pouvoir » les recommander comme des lieux de ra-» fraichiflement k des vaifleaux deftines pour » la mer du Sud: mais I'Amiraute pourroit les faire reconnoitre ä pea de frais; il n'en cou-» teroit qu'un voyage d'un kul vaiffeau: & fi Biv tour cliiMonde eii 1764, a ete Tur le point de lexecuter (A). » unclecesendroitsfetroiivok, aprescetexa-» men , propre ä ce que je propol'e, il n'eft » pasconcevabk tie quelle iililite pourroit etre » un Heuderafraichifiemeat, aiiffi avance vers » le Sud, & auffi prts du Cap Horn. Le Duc&: » la Ducheffe tie Brißol ne mirent que trente-» cinq jours, depuis qu'ils pci'tUrent la vuedes » Ifles dc Falkland, jLifqifu leur arrivee ä I'lHe » de Juan Fernandez , dans la mer du Sud ; & » comme le retour en eft encore plus facile, ä » caufo des vents d'Ouell qui rcgnent clans ces » parages , je ne dpute pas c[ii'on ne puifie faire » ce voyage des Ifles de Falkland k celle de » Juan Fernandez , aller & revenir , en un pen w plus de deux mois », Qi) Voici ce qui eft dit dans la relation de By-rtjn , au fujet des Iiks Maloijines. « L'Ifle la » plus coniidäabie ell fituee au Nord du Port » Egmont, Nous y delcendimes , attires par >t fa litiiation , & nous eumes le plaifir, dii » haut d'une niontagnc fort elevee, de jouir » d'un point de vuc admirable ; ona beaucoup » de peine ä monter fur le fornmet de cette » montagne ; niaii on en elt bien detlommage » par la vue agreablo de toute rt4cndue dti » Port, des troispaffages qui vienneiity abou- Ce voyage de Byron eft pofte-rieur ä celui de Doni Pernetty quonvalire. Les Angloisavoient pris des precautions extraordlnai-res pour les preparatifsde cetar-meinent , qui a excite i'attention » tir, de nos vaiffeaux que nous voylonsaTan-w ere, de toute la mor qui environne cctte • » Me & les Mcs volfmes , jiirqu'au nombre de » tinquante , tant petites que grandes, qui » nous pariirent toutes tapiffees dc verdure. » Le 13 Janvier , le Commandant , accotn-» pagnedes Capitaines Sc des principnux Offi-»ciers, deicendit dans I'lfle ; on fixa auffitot >nm poteaiifur lerivage, au haut duquelon » attacha le pavilion de TUnion; & des qu'll » fut deploye, le Chef d'efcadre declara que w routes ces lilcs appartenoient Sa Majefte » Britanniqite , qu'il en prenoit poflel-» fion s\\ nom de la Couronne d'Angleterre. Foyuge atitour du Monde ^ faic fur U vaißean tie gutrn U Dauphin , &c. page 131 , &C. L'Auteur, dans tout le cours de cette relation, ne nomme point les Mes Malouines; & j'aime mieux le croire un mauvais Gcographe, qu'un Politique mal-intentionne. de toute I'Europe; mais il eft de-montre que M. cle Bougainville avoit pris pofleffion des Ifles Ma-iouines, dans le temps que le Dauphin, monte par Byron, etoit encore fur le chantier ; & il n'y eut peut-etre jamais de droit plus in-conteftable que celuide la France fur cette region: car fes Armateurs font les premiers qui y aient aborde ; fes Hiftoriens font les premiers qui I'aient decrite; & ce qui eft encore plus interelTant pour I'humanite, elle ne I'a point enle-vee ä des hommes, mais ä des in-fe£les malfalfans ou inutiles, ä des araignees & a des grelots. Dom Pernetty, qui a obferve en Philofophe les Ifles Malouines, eft perfuade qu'elies faifoient autrefois parrie de la contree des Patagons 5e: de laTerre de Feu. Je Denfoiscomme lui meme avantde avoir lu; il eft certain qu on voit danstoutes les parties de TUnivers des traces de ces grandes revolutions du globe : la Sicileaete autrefois unie ä I'ltalie, TEfpagne a FAfrique, & la France ä la Grande-Bretagne : rille de Finlande pa-roit clairement avoir ete feparee du Groenland , & recemment le ProfelTeur Ruffe Kraclieninnikow a demontre que le continent de I'A-meriqoe tenoit autrefois ä TAfie par le Kamfarka (i) : des erup- (() Suivant le recit de ce fijavant Etranger, le Continent de rAmerique s'etend du Sud-Oiieft au Nord-Eft prefcjue partout ä ime egale diftance des cötes du Kamfaika , & Ics deiix cotes femblent paralleles , fur-tout de-Puis la pointe des Kowriles , jufqu'au Cap Tchoukotfa. II n'y a que dciix degres öc demi tions cle volcan, des tremblemens de terre, quelquefois me me le feul effort des eaux de la mer fuffifent pour dechirer ainß la terre, & le-parer violemmentleshommes que riiiteret tend fans cefle a reunir. Cette obfervation con vienf par-ticulierement au continent Auf-tral; la Terre de Feu tire Ton nom de fes volcans: cette region auffi- cntre ce dernier Cap & le rivage de PAme-riquecorrefpondanT. On voit, parJ'afpeft des cores, qii'elles ontete leparees avec violence, & Jes liies, qui foot entre deux , forment line efpcce de chainc comine Ics Maldives. Les habifans de i'Anierique correlpondante a I'ex-trcmite Orientale de I'Afie , font de petite tailie , bafancs & pen barbus, comme les Kanitfckadales , &c. Voyez les preiives de cette opinion dans I'ouvrage meme de Krache-ninnikov , fradiiit au fecond volume du Voyage en Siherie de I'Abbe Chappe. Ces picuves font trop fortes, pour nc feryirqu'i I'appui d'un fylieme. bien que la Terre des Etats femble entierement compofee de roches inaccefiibles, fufpendues prefque fansbafe, entourees d'abymes af-freux, & couronnees dune neige eternelle. D'un autre cote, ä quelques lieues de Tendroit de la grande lAe Malouiue ou a aborde M. de Bougainville , on voit par la pofitlon des montagnes, par les crevafTcs qu'on y rencontre , par le defordre des Üts de pierre de taille, que cette contree n efl: devenue une lÜe que par Teffort d'im tremblement de terre (A ) ; (/;) « Un autre motif m''engage encore ä » croire que les Ifles Maloiünes tenoient ja(]is »<\Ia Terre desPatagons. On ne voit point « d'arbres aux Ifles Malouines, & toutc la »> cote de I'Eft des Patagons, & de la Terre de >>Feu, en eft depourvuc iafqu'ä. environ i 5 If lieues eii ayant dans les tcrrcs, ou Ton com- ce grand evenement na pu etre configne dans des Hirtoriens ; mais pour le Philofophe il eft ecrit dans le livre de la Nature. Au refte nous ne connoifTons les MesMalouines que depuis le-poque oü elies ont ete arrachees avec violence du continent; ain/i ce que les Nav^igateurs nous ont appris jufqu'ici ne ferttout au plus qu a perfeöionner la theorie de la terre; mais que FEfpagne y en-voie line Colonie, que les Arts !» mence ä trouver des arbres. Depuis-!ä. juf-» qu'a la cote, on ne rencontre que quelques » arbiiftes & des bruyeres. On en trouve de » femblables aiix Ifles Malouines. Les decoii-» vcftes que les Anglois, qui s'y font etabli-s » plus k rOueft, pourront faire dans ceite » partie , nous eclaireront davantage fur tous » ces articles. Les Efpagnols fubftitues k nos » Frangois dans I'etabllffement de I'Eft, nous » mettront au fait de I'autre pavtie ». naiffent dans Ton fein , que cette contree ferve ile point dunion entre le Nouveau Monde & le Monde Auftral, & alors commen-cera fon Hiftoire. DES GRANTS DE LA PATAGONIE. Les Ifles Malouines ne font fe-parees que par un detroit de cette pointe de TAmerique Merldio-nale qu'habltent les Patagons, con-tree Tingullere ou la nature s'aba-tardit dans lesvegetaux, & fe re-leve avec avantage dans I'efpece humaine; qui produit des Geants, des Plantes fans vlgueur 6c des quadrupedes degeneres. C'eft un phenomene aflez ßn-gulier, que depuis qu'il y a des Iiomuies polices & des livres, oil ne fe fblt jamais accordefur I'exif-tence des Geants; c eft fur-tout par rapport aiix Paragons que ce probleme a paru long-temps info' luble aux Philofophes ; pendant cent ans les Navigateurs de toutes les Nations s'accorderent ä dire que la pointe de TAmerique Me-ridionale produifoit des ColoiTes; dans le fiecle fuivant les Mariiis n'y virent plus que des hoinmes. ordinaires; & des Naturaliiles, du-fond de leur cabinet j aCurent au-jourd'huiquelesPatagOns^comrae voifins du Pole ne doivent etre^ que des pygmees. Cetfe -queftion (\ curieufe pa-' roit maintenant decidee pair JaT relation autentique 'du Comfirio-dor'e i>}(ron, t<. par eelles tqu'on? lira Ura ä la fuite du Voyage de Dom Pernetty: mais pour Tatisfaire routes les clafles d'honames qui rai-fonnent , void dautres preuves qui ferviront ä juftlfier la nature contre les idees etroites de fes de-traäeurs; fi apres cela, dit le ce-lebre Fontenelle ,'k P. Baltus veut croire encore que le diable rend des oracles, il ne tiendra qu'a lui. De temps immemorial on croit en Amerique qu'il y a dans fa partie Meridionale une race de Geants redoutable par fes violences iSc par fes crimes ( /) : car dans ( / ) Voyez {"ur - tout VHlßolre du Pirou. de ITnca Garcilaflo, liv. 9 , cha[j. 9. Je f^si qu'il fe trouve dans fbn recit bien des fables : par exempie , ildit que ces Geants avoieiit les yeux Urges commelefondd'une affiette ; que chacun d'eux mangeoit autant que clnquante bommes ; qu'lls tuoient les feintiies dont ils Tome I, C 34 D I s C o U RS tous les fiecles on a obferve qu or-dinairement etre le plus fort figni-fie etre le plus injure. Magellan, le premier Marin qui navigea Tur les cotes de la Pata-gonle, vit de fes propres yeux quelques'uns de ces Geants fi re-doures dans le Nouveau Monde (ni), mais Ton artillerie les con- voiiloient jouir , &c. LTncan'a pas mieiix obferve les proportions de fes Geants, que Mahomet, celui de fon angc- qui avoit loi-xante-dix niille tetes : mais de ce que les Pe-ruviens ont exagere ^ il ne s'enfiiit pas qu'ils n'ont rien vu. (/b) Le recit du Chevalier Pigafetta, qui etoit für le vaiffeau de Magellan, & qui a redige fon Voyage, eft trop bien circonlbncie , pour qu'on puiffe croire fon Auteur dupe ou fripon. n Un Geant vint k nous , chantant, » danfant & jettant de Ja poulTiere fur fa tete. » Le Capitaine ordonna de fairela meme chofe. » Ces geftes raflurerent le fauvage. II vint ä » nous dans une petite Ifle, donnant ž notre vue les plus granges marques de furprife ; tint, &letohnerre desEuropeens fuffit pour faire trembler les Titans de l'Amerique. il levolt un doigt vers le Gel j vöulant dire w que nous en venions. Nos gens lui alloient » ä peine ä la ceinture. Magellan luI fit donner » ä manger & ä bolre. On Ini prefenta un mi» roir , il fut fi effraye d'y voir fa figure , que » d'un faut qu'il fit en arricre, il jetta quatre » de nos gens par terre. Ses compagnons pa» roiflbient avoir dix palmes , environ fept b pieds ; on leur fit figne de venir avix vaii-ieaux : alorsilsfirent remonterleurs femmes^ i* dont i!s paroiffoient jaloux , fur desanimaux >> faits com nie des änes , & les renvoyerenti M Une autre fois fix de ces fauvages parurent it fur le rivage , faifiint ligne qu'ils vouloient » venir aux vaifleaux ; ce qui nous fit grand » plaifir. On envoy a Tefquif pour tes prendre. » lis monterent fur la capitane, oü le General w leur fit fervir une chaudiere debouillie affez h grande pour raffafier vingt matelots. lis la » mangerent toute entiere ; auffi le plus petit » d'entr'eux etoit-llplus haut que le plus grand. ^ de nöusi Des qu'ils eurem mange, ils de-mandeirent qu'on les rernlt a terre. Ces peu-» plesn'ont point de maifoas fixes; ils font de^t Cij Undemi-fiecle apresMagellan, Drake, le premier Anglois qui fit le tour du Globe, & le meine qui fut devore tout vivant par des Crabbes, vit fur la cote de la Patagonie huitGeants, pres de qui les Europeens les plus gi'ands ne pa-roifTent pas plus hauts que des Lapons («). w cabanes de peaiix, qii'ils tranfportent ä leiir w grc d'un lieu a un autre. Hs vivent de chair » cnie & d'nne racine,nommee en leiir langage w £t7/£[j,Lepriibnnier que nous avionsfurnotre » bord, mangeoit en iinrepas line p!eine cor-» beille de bifcuit, & biivoit tout d'un trait « un demi feau d'eau. lis ont les cheveux i> coupes en rond comme des Moines & la tete »(lieed'itne corde de coton , dans laqueile ils « paflent leurs fleches. » Voyez la traduftion fran^oife du Journal de Pigaretta , Chevalier de Rhodes, adreflee au Grand-Maitre Villiers de rifle-Adam. («) Du moins tel eft le recit d'Argenfola , dans Ton Hißoiredes Moluques, iivre 3. Cct -Auieur ajoute queie vpliimedu corps des Pa- Vers lan 1591, le Chevalier Cavendish traverfa le detroit de Magellan , il attefta avoir vu fur la cote Americaine deux cadavres de Paragons qui avoient quatorze palmes de long ; il mefura fur le ri-vage la trace du pied d'un de ces Sauvages, & elle fe trouva quarre fois plus longue qu'une des fiennes; enfin trois de fes Matelots manquerent ä etre tues juf-ques dans la mer par les quartiers de rochers qu uii Geant leur lan^a (0) : voila le Polypheme de I'O- tagons nefaifoit point tort ä leuragilite; ilsiie cciiroient pas, i s voloient. (o) Voyez la relation d'Antoine l^^nivet; dans la colleftiondc PiircUafs, tome IV, l\v.6. L'Aiiteur des Recherches phllofophiques fur Us ■^miricains dlt , tome i , page 295 , que , mi temps de Cavendish , Topinion fur I'exif-tence desGeantsetoit iiniverfelle, & que Knt- C iij ^S D J s C o [/ R s fiyfTce rajeuni; niaisheureufement pour Je Patagon, il ne fe trouva point d'Ulyfle dnns le vaiiTesu. Tous les Voyageurs qui, clans le reiziemefiecle, parcoururent la iner du Sud, parlerent de lexif-rence des Geants du cercle An-taröique comine d une verite re^ connue. Le Corfaire Efpagnol Sarrnicnto s'accorde fur ce vet nel acioptfi que par la crainte des Autodafes, Je ns vois pas t 'aborcl comment une opinion cefTeroit d'etre vraie, parce qii'elle eft reciie des Inquifitenrs. De plus, la crainte des Jacobins pouvoit bien cmpecher Knivet dc dire ce qu'il avoit vii, mais non le forcer ä dire ce qu'il n'avoit pii voir. L'Hiftorien dii voyage de Cavendish n'avoit beroin c]iie de taire laycritc , &non de direun menfonge. (/') « L'equipagc vit bientot paroitrc une w troupe de Geants fans armes; ils s'appro-» cherent de notre chaloiipe , & aiiffitot I'en-» feigne dclcendit ä terrc avec des foldats . .. « Dix Efpagiiols environnerent adroitement fujet avec le Capltaine Anglois Richard Hawkins (^), & avec les » un des fauvages le prirent, malgre fa reAf-tance ; les aiitres coitrurcni auffirot ä leiirs » armes, & revinrent fi promptement fur nous, »> que noLiseCimesä peine le temps de renrrer » dans la chaloupe. .... L'Indien , que nos » gensavolt pris, etoit Geant entre les autrcs » Gcants, ßc refl'embloit ä un Cydope. Ses » compatrlotes etoient haiits de trois aulnes, » gros & forts ä proportion.....On fit, qucl- » qiies jours apres, une autre defcente ; mais » rartlllerie effraya lesGdants: ils s'enfuirent » aveclegerete, &onauroitcruqu'ilsaUoient » aufli vite que la balle d'une arquebufe. Hif-loire la conquhc des Moluques de Leonard d'Argenfola, llv. 3. II faiit cependant fe de-fier deSarmiento , qui vlvolt dans le fidde de laChevalerie, & qui avolt Telprit vifionnaire de Dom Quichotte. (if)« II taut fe defier des habitans de la Cote » de Magellan ; on les appelle Paragons : 11» >> font cruels, perfides, & de fi haute talile, >» que pliifieursvoyageiirsleurdonnent le litre » de Geants. » Voyez Tabrege de fa relation dans le Compilateiir Purchais,tome 4,liv. 7* chap. C iv Amiraux Hollandois Olivier de Noort 0 & Sebald de Werf (/); (r) M Nous primes fur la Cotedii Detroit de w Magellan quatre fauvages & deux filles cjiie w nous menftmes ä bord : Tun d'eux apprit » bientot Je HoUandois , Sč nous inftruifit de » rHiftoire de fon pays.....II y a dans I'in- » teneurclela Patagonie unc Nation nommče w Tircmmen, dont les individus ont dix ä doiize ii pieds de hauteur: ilsviennent faire la guerre w aux peuples voifins, parce qu'ils font inan-» geurs d'autmchcs : pour les Geants, nous » coiijeftinames (-[«'ils font Antropophages. » Voyez le recueildePiirchafs, tonie i, liv.i, chap. j. (/) « Le Vice-Amiral rencontra pres de la » baie Verte , fepr canots avec des Sauvages « qui avoient dix ä onze pieds de hauteur ..... w On les lailla venir jalqu'ä la portee du fufii; » enfuite les Hollandois ayant fait une dechar-w ge, on en tua quatre ou cinq, &, le refte « epouvante s'enfuit vers la terre ; iä ces Geaiits arracherent de ieurs mains des arbres » qui paroiflbient de Tepaiffeur d'un ernjian , » &C en firenr des retranchemens ......Mais le » Vice-Amiral abandonna ces honimesfangui-» naires a leur propre fureur j ainia mieux Sc on ne voit pas meme que le petit nombre des Philofophes de ce tems-la, revoquaflent en dorne cette fingularite de la nature ; le peuple citoit fur ce fujet les Na-vigateurs de toutes les Nations ; les Theologiens, Goliath ; & les beaux efprits, qui de tout temps ont voulu concilier THiftoire avec la Mythologie 5 Polypheme & les Titans. Du {eizieme fiecle il faut fautec tout d'un coup au dix-huitieine , pour trouver des temoignages fur la ftature cololTale des Patagons. En 1704, les Capitaines Haring- »s'en retourner bord que d'aller les combat-» tre». Voyezlatradu£tionfran9oife du voyage de Simon de Cordes & de Sebald de Vert dans le llecueil de la Compagnie des Indes , Tome 2. ton 6c Carman , commandant deux Vaifleaux Francois, I'un de Š. Malo, & lautre de Marfeille , virent une fois fept Geants dans une baie du detroit de Magellan , une feconde fois fix , & une troi-fieme une troupe de deux cents hommes, melee de Geants & de Sauvages d'une talile ordinaire ; les Francois eurent une entreviie tres-pacifique avec ces Geants (^). Le judicieux Prezier qui fit eti 1711 le vojage de la mer du Sud, rapporte pour confirmer ce trait, le temoignage d'une multitude d'anciens Navigateurs {u)y & il eft (0 Voyez J'Hiftoire des Navigations aiiX Terres Auftrales du fa vantPrefident de Brofles, torn. 2, pag. 319. («) Et il termine Tes citations par cette reflexion fi fjtnple & fi naturelle. « On pent difficile d'etre Pyrrhonien quand ce cdebre Marin ne I'eft pas. Le Capitaliie Shelwock qui fit en 171916 tour du Monde, con-firma les recits de Magellan, de Cavendish , & de Prezier: quelques annees auparavant un Capi-r talne deValfleau Marchand nom^ me Raynauldy avoit vu fur une des » croire fans legerete qii'il y a dans eette par-» tie de l'Amerique , une Nation d'hommes »d'une taille tres - fu peri eure ä la nötre ; le » detail des temps & des lieux, &toutes les » circonftances qui accompagnent ce qu'on en » dir, femblent porter iin cara«äere de veri/e » iuffifant pour vaincre la prevention natureile w qu'on a pour le contraire: la rarete du fpec-» tacle a peut-etre caufe quelqu'exageration » dans les mefures de leur taille; mais fi on doit »les regarder comme eftimees , plutöt que » cotnme prifes ä la rigueur, on verra qu'elles » different tres-peu entr'ellesVoyez le Foya-M.Prezier, edit, de 1732, pag. 7Ö fif luiv. cotes du detroit de Magellan des hommes de neuf pieds de haut , qu'il avoit mefures lui meme aufTi-bien qu'une partie de Ton equipage : le Lieutenant de Fregate , DucIos-Guyot,& le Commandant dune flute de Roi, la Giraudais, revirent encore en ij66 ces Geants , dont ils mcfurerent le plus petit qui avoit au moins cinq pieds Tept pouces {x); mais per-fonne n'a porte cette verite hifto-rJque jufqu a la demonftration , comme le Chef d'Efcadre Bjroii (jk) , qui en 17^4 & 1765 fit le (^) L'extrait des voyages de ces NavJga-teiirs Francois fe troiivera dans cet ouvrage. (y) Voici quelques traits de la relation de cet Officier Anglois ; on obfervera en ia lifant que le pied dont on fe fervoit pour me-furer les Patagons, ctoit le pied d'Angletcrre PRELIMINAIRE. 4% tour du Globe fur les traces des qui a presd'un police de möinsque notre pied de roi. « En approchant de la cote, des niar-»» cjues fenfibles de frayeur fe manifefterent » fur le vifage de ceux de nos gens qui etoient » dans le canot, lorfqu'lls apper^urent des » hommes d'une taille prodigieufe. Qiielques-Muns d'entr'eux, pour encourager peutetre w les autres, obfervcrent que ces hommes gi-» gantefques paroiffoient auffi etonnis ä la vue » de nos nioufqucis, que nous I'etions de leiir »taille. » Le Commodore dcfcendit ä terre avec In» trepidite.....fit afleoirces Sauvages, & leur w diftribua des colifichets. ..... Leur grandeur » etoit fi extraordinaire, que mcme affis , ils » etoient prefque auffi hauts que I'Amiral de» bout...... Leur taille moyenne parut de huit » pieds, & la plus haute de neuf pieds & plus.... wLa ftature des femmes eft aufTi etonnante » que celle des liommes, & on remarque dans »leurs cnfans les memes proportions. » Leur langage n'eft qu'un jargon confus » fans melange de Portugals Sz d'Efpagnol...... >• lis regardoient frequemmentlefoleUenfigne » d'adoration.....Leurs chevaux avoient en» vn onfei^e palmes de haut,& paroiffoient fort ^ rapides; mals leur grandeur n'etoit point Dampier , des Gemelli & Anforii » proportionnee ä celle des cavaliers qui lea *> montoient ». Voyage autoin du Monde , traduction Fran^oife , pag. 73 & fuiv. juf-qu'ä 86. L'Editeiir du Voyage de Byron, confirma ces anecdotes par le tčmoignage de deux Offi-ciers de Ion vaifleau qui lui permirent de pu-blicr leufs relations. « Les Pnfagons, difent it cesOfficiers dans la preface dci'Ouvrpge que »j'analyfe, ont pour la plfipan neitfpieds;ils n font bien faits, quarres, d'une force pro-i>digleufe. Les deiix fexes ont la peau cou->> leur de cuivre, portant de longs cheveux »noirs, & font vctus de peaux de betes fau- voces ■ lis paroiffoient voir avec plaifir n le Lieutenant Cummins, A caitfe de fa gran-wde taille, qui eft de fix pieds dix pouces; »> quelques-uns de ces Indiens lui frappcrent « litr I'epaule, 8c qiiolque cc fiit pour le caref-» fer, leurs mains tomboient avec tant de pe-» fanteur que tout fon corps en etoit ebranlii >j. Lesfemmes des Paragons careflerent auffi Ic Commodore Byron ; mais lespolitefles qu'el-Icslui firent elTujrer, fiirent encore plus ex-pre/Tives ;elks badimnnt^ dit I'Hiftorien An-^diSjßfirieufcmtnt avec moi^ que feus beaw Je ne cherche ä en impofer ä perfonnč; je f^ais que la plu* part des Voyagcurs qui traverfe-rent le detroit de Magellan dans le dix-feptieme fiecle, ne virent dans la Patagonie que des homines d'une talile ordinaire ; ils en conclurent alors que leurs prede-cefieurs avoient ete des fourbes ou des vifionnalres ; les Scepti-ques s'empreflerent d'adopterune opinion qui les difpenfoit de* tre credules, & I'exiftence des Geants fut bientot mife au rang des menfonges imprimis* II me femble qu'on s'eft trop prefle de declamer dans le dix-ieptieme (lecle contre les Voya- coup dc pelm a m'en dibarraßr. Ce trait n'eft point dans la traduaion Fran^oife. geurs du feizieme; Wood & Nar-borough qui ne virent en Patagonie que des hommes comme eux, peuventtres-bien etre veridiques, ians que Pigafetta, Hawkins, & Knivet foient des impofteurs; on 11 a jamais foutenu que tous les peuples de la pointe de l'Ameri-que Meridionale eulTent une taille coioffale. Que diroit-on d'un Hif-torien qui ne voyant en Laponie que des Suedois, des Danois & des Ru/Tes, traiteroit de vifion-iiaires les Voyageurs qui aflurent que les Lapons font les nains de lefpece humaine? .^es Geants de la Patagonie ne forment quune Nation particu-liere , qui fans doute n'eft pas fort etendue, parce que tous leurs voi-fins femblent interefTes ä les exter- miner; niiner; il ell meme probable qu ef-frayes par les clefcentes des Europeans dans Icurs contrees, ils fe . retirerent au fiecle dernier dans I'interieur du pays, ce qui empe-cha nos Navigateurs de les ren-contrer ; Narborough & les au-tres Marins ennemis desGeants ^ ont beaucoup d'autorite quand ils racontent leurs avantures , mais fort peu quand ils critiquent Celles des autres ; ils ont bien obferve i Sctnal raifonne ; ils peuvent etre d'excellens Pilotes j mais a coup jTur ils font de mauvais Logiciens. Ajoutons qu un temoin qui dit yaivu, eft pluscroyable que cent autres qui difent je nal rien vu ; Ce principe eft vrai toutes les fois qu'il ne s agit pas de fails evidern-Bient contradi6ioires avec les loix Tome L I> eternelles & invariables de la nature. L'Auteur plus ingenieux qu'e-xa£l des Rccherchcs PhilofophL-qiies fur les Amcricains, a ete la dupe de Ton imagination, quand il a confacre un chapitre entier de fon Ouvrage, ä repandre Ton pyrrhonlfme fur lexiftence des Geants; on voit que la crainte de parier comme le refte des homines, a conduit fa plume. II palfe en revue reus les Voyageurs qui ont traverfe le detroit de Magellan , affoiblit le temoignagc des uns par des plaifanteries ce- ({) La pliipart au refte portent faux; on pent enjiigerparcelle-ci. « Corneille deMaye, qui >» a redige le rentier de la navigation de Spil-»> berg , crut diftinguerde loin iur les colJines " » navire de Magellan, donna k ion retour les » plus grands details fu r ies pretendii^Titans de » cette contree.....Or. ne I'^auroit etre ni plus » credule , ni moins eclaire quecetUltramon-» tain , & ce feroit faire tort ä les lumleres, »c|ue d'accorder la moindre confiance ä des »> fables fi groffieres ». Rech, pkilof. torn, r , pag. 189 & 190. « L'heroique Satlniento etoitun vifionnaire rhomme de fon terns le plus ignorant » en Geographie m. Ibid. pag. 293. « On peut juger apres cela du credit que me» rite le Journal du Commodore Byron, qu» Dij bout de fa declamation, il e/l tout iurpris qua la placc dun calcul de probabilire, on lui ait donne une fatyre; & au lieu de recher-ches philofophjques, un recueil d epigram m es. Je voudrois bien f^avoir par quelle bizarerie on voudroit que dans les trois continents, lefpece humaine für neceflairementredui- » poiirfe preter aiix vues du Miniäere angloJs, » a bien voiilti fe declarer auteur d'une Rela-»tion que le moincire Mateiot defon efcadre » n'auroit ofe piiblier.....Ce conte de Gar» gantua fut dtbhe a Londres en 1766. Le Doc» teur Maty , li conmi par fa petite taille & fon w Journal Britartniqiie , fe häta extremement » d'y ajoLiter foi, & de divulguer cette fable >1 dans les pays cirangers ». Ihid. pag. 306 & 307. Voilä ä pcii prcsdequelle fa9on raifoniie rauteur des Rcckcrchss PhUofopkiques : oa s'apper^oit qu'il a cherche non ä eclairer, i^^ai® H ie faire iire. tealaplusexafteuniformlte? N'y a-t-?l'pas ä I'embouchure du Senegal des Albinos qui ne reflemblent prefque en rien aux hommes d'Eu-rope ? Le Hottentot, avec Ton ta-blier; le CeyIanois,a vec fes groffes jambes;IeNegredeManille,avecfa queue, doivent-ils etre ranges dans la meme clafie qu'unPerfan ou un Georgien? Pourquol nyauroit-il pas des Geants en Patagonle, com-me il y a des Plgmees en Laponie & a la bale d'Hddfon ? La Nature n'a peut-etre qu'une lol ; mais cette loi lui fuffit pour regir Tefpece humaine des trois Mondes, pour produlre des co-lofTes & des nalns, pour faire nai-tre uii Kalmouk& une femme de Georgie; pour organifer un Ne- Diij .gre ftuplde d'Angola & un Mon-tefquieu. ^ Cette vafle plage qui horde le detroit de Magellan, aulTi-bien que la Terre de Feu qui lui repond, femblent aa refte former une ef-pece de Monde a parr; le fol j eft nud & meic de talc, de nitre & de coquillagcs foffiles ; lamas do toutes ces niatieres heterogenes j compofc des colllnes en pic, qui ne font jamais tapifTees de verdure. D'enormes rochers couronnes de ^lafonSjparoilTentfufpendusdans es airs, & ferment un tableau fu-hlime, mais affreux; quand le ciel n'eft pas ferein, il nefl voile que par d'affreux nuages ; tous les vents y font impetueux ; les cairn es de la mer n'y font inter- rompus que par les tempetes. Pourquoi dans des climats qui different Ci fort des notres, chercher des hommes qui nous reffemblent? Ilferoit abfurde de nier qu'on ne voie de temps en temps dans I'Eu-rope meme des individus de taille coloflale ; les TranfaÖlons Philo-fophiques de la Societe Royale de Londres, parlent du crane d'un Geant de douzepieds (^);rAbbe (t) Voyez numero 108 8c 169. IIy a dans leRoman philofophique de TelUamed im trait bien plus extraordinaire. Le Conliil de Mail-let pretend que , dans le ftecle dernier , on trouva afis lieues de Salcniqiie, dans unvafte tombeau , un corps humain de quarante cinq coudees de longueur. Dufquenet, alors Coti-iiil de France , avec I'agrement du Pacha de la Province , fir enlevcr les offemens du Geant, & on en tranlporta une partie a Paris dans la Bibliotheqife du Roi. La tete du cadavre co-loflal fut fufpendue k Salonique au haut de la Div de !a Caüle pretend avoir mefure au cap de Bonne-Efperance un Hottentot, haut de fix pieds Tept pouccs & dlx lignes; & on a vu ä Paris en 17 5 6 un homme de fept pieds cinq pouces, Ii eft vrai que porte dela marine, ponrperpetiier la manoire ciece predige; maisfon grand poidslaßt tom-ber quelques annees apres , & die fiit briree, Le cräne fcu! eroit ü vaße, qu'avant qu'on ex-pofät la t^fe , il pouvoit contenir dix-feptcens livrcs de hicd. TdlLimed, rom. 2., pag. 220. - Au reftc , il faut beaiicoup le defier de ces fquelettes enormes qu'on donne pour des ca-davres hiimains. Le Chevalier Hans Sloane a jprouve dans une excellente diflertation, cjiie ces pretendus Geants n'etoient que des debris d'^lephants, de baleines & d'hyppopotames; c'eft ce qu'il penfe en particulier dufquelette de quarante-fix coudees qu'on rencontra , luivant Pline , dansune caverne en Crete, &d'un autre de foixante coudees trouve , ä ce que dit Strabon , en Mauritanie, & que le peuple prit pour le corps de cet Anthee qui fut etouffe entre les bras d'Herciile dans le? temps Het ?iOiqiies ^ c'eft-Ä-idire dans le tems des fables^ parmi nous ces varietes de Tefpece humaine fontaccidentelles; on ne volt point de famille entiere dont la ftature Iblt colofrale;& un Geant Europeen, eft moins regarde con> meunindividud'unerace panicu-liere, que comme un monftre. Mais queft-ce qu'un monftre ? Eft-il bien vrai que la nature trouble elle-meme I'ordre invariable de fes loix ? Les comblnaifons des elemens de I'aninialite , qui nous paroifTent vicieufes, le ibnt-elles eo efFet? & la variete des formes change-t-elle Teffcnce des etres ? Des qu'un etre refpire, des qu il croit, des qu'il peut fe multiplier, il ne doit point etre place liors de la grande echelle des etres; mais le peuple des Phllofophes, qui fait le Monde, aime a le deraiiger, II eft probable qu'un monftre n eft ja_ mais I'ouvrage de la nature, mais feulement celui des Naturalises. Un Geant Tur-tout ne fut jamais un nionftre; la taille duPatagon, plus ele vee du double que la notre; Je volume de fon corps huit fois plus confiderable,n'occafionnent aucun defordre dans fon economle organique. Qu'un homme de dlx pieds s'unilTe a une femme de meme taille, volla un peuple, & la nature eft juftifiee. On pourroit meme porter plus loin fes conjeftures; on pourroit foup^onner que la puifTance gene-ratrice eft dans fa vigueuj chez les Patagons, tandis que chez nous elle eft dans fa decrepitude; mais cette opinion ne paroit point ä fa. place ä la tete dun Voyage ; on eft tente de fe defier de kverlte quand on la volt appuyee par des fyftemes. DU MONDE AUSTRAL, J'enteiids fous le nom de Monde AiißraL, toute la partie du globe fituee au-dela des trois point^sMe-ridionales du Monde connu: c'eft-a-dire au-dela du Cap de Bonne-EfperancejdesIflesMolucques, 6c du detrolt de Magellan , contrees immenres qui renferment huit ä dix millions de lieues quarrees , ^ qu'on connoit moins par les relations des Voyageurs que par les conjectures des Philofophes. Tous les hommes qui ont etu-die avec foin la theorie de laTerre, %avent que cette vafte etendue du globe qu'on nomme le Monde Auflral, ne peut etre occupee feu-lement par I'Ocean; la terrc eft prefque une fois fpeclfiqucment plus pefante que I'eau; & sil n'y nvoit pas dans riiemifphere An-tarQique une mafle de terre incon-nue, qui repondit ä celle de The-mifphere Ar^tique, le mouvement de rotation du globe feroit gene , & notre planete perdroit fon equi-libre. II eft difficile de croire que les Anciens n'aientpas loiipconne I'e-xiftence du Monde Auftral; les Af-trononies d'Egypte & de Baby-lone , les grands Navigateurs de la Phenicie, & les Sophiftes de la Grece, parlent fans ce/Te du globe de la Terre, & de fa diftribution en cinq zones ; ils avoient une notion confufe dun hemifphere Auftfal qu'ils Antich-' t hon , & qu'ils croyoient fepare dc nous par un Ocean impermeable- Voila ä peu pres fur quoi nous fondons nos railbnnemens fur Fe-quilibre de la Terre ; lefprit phi-iofophique depuis deux cents ans, n'a ajoute que tres-peu de chofes a la mafie des idees anciennes für cette partie de TAftronomie- Auffi quand le celebre Mau-pertuls, dans fa lettre au Roi de PrufTe fur le progres des Sciences, propofa la decouverte du Monde Aulh-al, perfonne ne prit fon idee pour un paradoxe ; on rit du Geometre qui apres avoir applati le Pole , donnoit un plan pour percer le noyau de la Terre (c) , ( c ) (Euvres de Maupertuis , tome ^ t ■ page 365. iTiais on approuva les vCies inge-nieufes pour en parcourir la lur-face. Le Prefident de BrofTes, echauf-fe d abord par la leöure de cette lettre, & enfuite par fon patriotizme , donna quelque temps apres fa f^avante Hiftoire des Terres Auftrales; & on ne liii oppofa point ce dome de Tignorance que j appelle le pyrrhoniTme de la cre-dulite. On ne remplit pas, il eft vrai, fes projets; mais il en ell de meme de toutes les grandes entre-prifes; il y a ordinairement des fiecles d'intervalle entre le genie qui propofe & le hazard qui execute. Le Monde Auftral femble com-pofe aujourd'hui duneprodigieu-fe quantite d'Ifles grandes ou pe- tites ; mais il eft aflez probable qu'autrefols il ne formoit quun feul continent. La Nouvelle Hollande, qui eft au Sud des Moluc-ques , eft feparee des Ifles de Salomon, moins par une mer que par des rochers, des bancs de fable & un archipel ; il y a une autre chaine d'Ifles entre celles de Salomon & la Terre de Quitos j enfin Ferdinand Gallego a recon-nu une fuite de cotes, inconnues avant lui, depuis la terre de Qui-ros jufqu ä la Terre de Feu: or s'il y a eu un temps ou la Terre de Feu etoit reunie ä la Nouvelle Hollande, on pent hardiment en conclure que le continent Auftral etoit plus etendu que nos deux Mondes. II feroit encore plus aife de prouver que le Monde ^uftra! tint autrefois ä rAmerique par le pays des Patagons on voit par rinfpeHion du detroit de Magellan , par le parallelifiTie des deux cotes, ^ par la conforniite des deux climats, qu'il fut un temps ou la Terre de Feu faifoit partie du Nouveau Monde; elle en a ete feparee fans doute par une de ces revolutions phyfiques qui chan-gcnt la face du globe, & en de-^ truifant les Nations aneanrifTent la trare de leurs defaftres L'Amerique dun autre cofe tint probablenient autrefois ä 1'Afie par le Kamlatka : ainfi au berceau du Monde les trois continents purent n'en fa ire qu'un ; & fi jamais la Terre, par I'irruption de I'Ocean , fe trouve par tage e en une multitude tüde innombrable d'Ifles, ce ferä un figne manifefte de fa decrepL-tudci II efl: prouve qüe le premiei? Navigateur möderne qui ait pene-tre aux Terres Auftraleseft Ame-ric Vefpuccj qui parut dans ces pä^ tagesen 150z; parune bizarrerle finguliere des evenemensj ce Flo^s rentin qui avoit donne fon nom au Nouveau Monde trouve par Co-lomb j ne put le donner au Mondes Auftral, dont perfonne ne lui dii-putoit la decoüverte- Vers i504,unNormandnom-me BlnotPaulmyer de Gonnevilti {d^, cherchant lur les traces dö _ () La date de Tannee eft fixee par ce dii-tique qii'on grava fur une croix plantee aux Terres Auftrales, &dont routes les lettresnui- Tome L E D I s C o U R s Gama la route des Indes Orientales, futallailli d'une tempete violente qui le jetta dans le continent Auftral. II refta fix mols dans ce pays inconnu, & emmena enfuite en France Eflbmerik, fils du Roi Arofca ; c'eft I'arriere-petit-fils de cet ElTomerik qui a compofe la relation finguliere du Capitaine Gonneville ; ainfi ce voyage eft un double monument en faveur de I'exiftence du Monde Auftral. Depuis cetre epoque Magellan, Saavedra, Drake, Cavendish, Mindana, Quiros, Spilberg, Bou-vet, Anfon, & une multitude d'au- ■ meralesreuniosforment le nombrc de i hlC f;iCra paLMnrlUs posUIt gonlVILLa blnotUs , gt-cX , foCIL/s , parlrerq. UtraqUe progenies. Hiftoire des Tcrres Auftrales , tome i , page III, tres Marius de routes les Nations ^ decouvrirent differentes parties des Terres Auftrales & les Rois mfmes qui ont refufe de sj etablir , n'ont pas ofe les contre-dire. Comme dans ce fiecle il n'y a prefque plus d'etincelles de ce genic ardent qui , du temps des Colomb & des Gama, falioit executor les grandes choies, ftc ne voyoit dans le peril que la gloire de le furmonter, on na pas manque d'exagererbeaucoup les diffi-cultes de la navigation aux Terres Auftrales; & cette opinion eft ( £ ) L'analyfe de tons ces voyages forme les deux tiers ties deux volumes in 4°. da Prii-litlent de BrofTes furTniftolre desTcrtes Auf-trales. II y en a de tres-ciirieuj^, & ceuJC qui ne le font pas font encore utiles. Eij nialntenant la plus repandue, par-ce qu el!e favorife la parelTe de lefprit, & le difpenfe de la peine de i'examen. Mais ce font les hommes qui font tlmides, & non la nature qui eft infurmontable : malheureufe-ment comme homme de Lettres, je ne puls que faire foupconner cette veritc qui feroit d^nontree par les Drake, les Magellan les Anfon. On oppofe pour la Nouvelle Guinea, le peril de naviger dans un archipel entrecoupe de detroits, & embarrafle de courans, comme fi les menies difiicultes ne s'etoient pas renconrrees, & n'a-voient pas etc furmontees dans I'archipel des Maldives, On fe recrie contre la ferodte des Auftraliens; cette accufation eft-elle fondee ? n'avons-nous pas vu les Efpagnols egorger Ics Ame-rlcains , & dire enfuite qu'ils etoient antropophages. Les Auf-traliens fepares de nous de temps imm^norial par d'lmmenfes aby-mes, n'ayant ni notre luxe, ni nos befolns, doivent etre dautantplus humains qu'ils font plus pres de la nature. Le plus grand obftacle quon oppofe, regarde ces hautes mon-tagnes de gface qui arretent le$ navires, & les empechent de na-viger proche du pole. On a re-connu en efFet que le frold efl plus grand dans la partie Anrar61:ique du globe que dans la notre ; les mers y font glacees ä des latitudes tempereesdans notre Europe, & E iij cn particLiller la Terre des Etats; eft impratlcable neuf moisdelan-nce , quoiqu eile foit auffi eloign ce de fon pole qu Edimbourg left du fien ; mais 11 eft prouve qu'il ne gele point dans la haute iner, & les glaces meme qu'on rcncontre i doivent etre iin nou-vel encouragement pour le Navi-gateur , parce qu'elles annoncent ie vol/inagedesTerres & lemboa-chure des grands Fleuves: au refte ft riiyver dans ces parages eft plus froid que dans notre zone tempe-ree, lete y eftauftibeaucoup plus ardent; ainft 11 ne faut que cinq ou fix jours pour falre fondre les gla^ons & rendre la mer libre, L unique attention des Marius de-vroit etre de partir ä propos des deux Mondes connus, pour qrri^ ver ä celui qui ne 1 eft pas. Mau-pertuis propofoltcle partir en dif-ferentes faifbns du cap de Bonne-Efperance ; M. de Buffon vou-drolt qu'on tentät d'arriver aux terres Auftrales par la iner Pacl£' que^ en partant de Baldlvla ; mais il me femble que depuls la decou-verte deslfles Malouines, le noeucl gordien a ere coupe, & qu'll n'y a plus de con jeÖures a propofer. Cene navigation conduiroit peut-etre a une des plus belles en-treprifes de Tefprit humain : ce fe-roit de faire le tour du globe noa dans la direöion de TEquateur , mais dans celle du Meridien (/). (/) En traverfant le pole, on decouvriroic les phenomenes les plus finguliers fur lafigm '^ de laterre, fur I'ofcillation dii pencliile, fuc la pefanteur, 6c fur la variation de I'aimant: ua E iv Je ne parle point ici du com-, nierce avantageux qu'on pourroit: i^ire dans les terres Auftrales, dont Ics vegetaux, les foffiles, & les ani-maux meme , Tont probablement d'un ordre nouveau pour nous. II s'agit ici d'etre utile au genre humain, & non a quelques Ne-gocians dune Compagnie des Indes. Ne feroit-il pas infiniment avan^» tageux pour l'humanite detudier Ivi Philolbphie des Auftraliens; de voir Ci cetre indolence animale qu'on leur reproche eft l'effet d'ua fjfteme raifonne ou du temperament ; & d examiner ü le titre tel voyage fait par des Philofophes pourroit banniräjamais lesqualites occultes , qui, mal-gre les Boyle & les Newton, regnent encode dan^notfephyficjiie. de Sauvages que nous leur don-nons , doit defigner leur feroclte plutot que Tenergie de leur nature. L'entiere decouverte du Monde Auflral eft done de la plus grande importance , pour la plus faine partie des hommes. Les Phllofo-phes ontpropofe I'entreprife, les Marins en ont rendu le fucces au-moins vraifemblable ; mais c'eft aux Rois ä 1'executer. HISTOIRE H I s T o I R E D'UN VOYAGE AUX ISLES MALOUINES- INTRODUCTION. A paix ayant ete conclue au moyen de la ceffion que la France ayoit faite du Canada ä I'Angleterre, Monfieur de Bou-^ainville , Chevalier de S. Louis, & Co-onel d Infiititerie, le propofa de dedom-mager la France de cette perte, par la decouverie des Terres Auftrales, & des Ifles qui fe trouveroient fur la route. La lefture du Voyage de VAmiral Anfon , autour du Monde, fixa fes idee? pour la reconnoilTance des Ifles Malouines. H fit part de fon prejet au Miniftere, qui Tap' prouva- Pour I'executer, M. de Bougainville fitconitruire ä fes frais, uiie fregate & una corvette a S. Malo , ibus la direction des fieurs Guyot dii Clos, & Che-nart de la Gyraudais, qui devoient les commander fous fes ordresj & quand il flit fur le point de partir,je re^us les ordres du Roi, par une ettre de M. le Due de Choifeul, Miniftre de la Marine, pour m'embarquer avec lui; nn tel choix ne pouvoit que me flatter, & je faifis avec empreffement cette occafion de me ren-dre utile ä ma patrie. Je partis de Paris le 17 Aout 17^3. Le 15, nous nous tranfportames au Port de Saint-Servant (a) pour affiileräla cere-monie du bapteme de nos fregates : eile fe fit avec toutl'appareil ulice dans de pa-rcilles circonllanccs; & les deux navires, pendant la Meffe , firent deux falves ge-nerales, une pour Dieu, & une autre pour le Roi. Le premier Septembre, nos equipages &■ nos provilions furent tout-a-fait embar- ques; &, des cinq heures du matin , un — *___ ^^ (a) On le nomme Solidor; c'eft le lieu ou I'on c«nf-truit Ics navires. Aux Isles Malouines. 77 vent du Nord-Oueft s'etant eleve , nous quittames la rade de Solidor. La fregate i'Aigie^ fur laquelle je montai, etoit de vingt canons & renfermoit cent hommes d'equipage. Elle etoit comrnandee par lefieurDuclos-Guyot, de Saint-Ma 0, Capitaine de brülöt: ce navire avoir h fa fuite la corvette k Sphinx , de quarante hommes d'equipage, montee de huit canons & de fix pierriers, & comrnandee par le fieur Chenart de la Gyraadais, de Saint-Malo , Lieutenant de fregate: la petite efcadre etoit fous les ordres de M. de Bougainville. r^usn'attendions qu'un vent favorable pour appareiller , lorfqu'on forma des dif-ficultes k I'Amirautd de Saint-Malo fuf notre depart. M. de Bougäinville fit ä I'inf tant partir un courier , pour informer le Miniftre de la guerre : ce courier, qui etoU fon domeftique, fit tant de diligence, qu'il fut de retour ä Saint-Malo avec la r^-ponfe , la cinquame-neuvieme heure apr^s fou depart. Libres alorsde route inquietude , nous profitames d un vent de Sud-Sud-Oueil, & le 8 de Septembre , nous fimes voile pour les Illes Malouines, CHAPITRE PREMIER. Route fur Mer jußjuau pcijfagc de la ligne. D ts le troifiemejourdenotre depart, la mer clevinr groffe ia pluie & la grele ronibcrcnt avec violence ; cepeu-clant il n'}- ^ ant dc \ lait tc::]pete, & le navire ne futpoiiiL cndommage. Je profiraidenioii loifir pour tenter ime experienceinr uae drogue de M, Seguin, deffinee ä prelerver I'eau de corruption dans les voyages de longcours. Un Chi-nii/le avoitdonne une autre compofition a M. de Bougainville pour la meme fin, C etoit uns pate grijßUre, qui fembloit etre compofee cle terre glaiie & de poudrc d'antimoine criid. Quelqucs-uns difotent qu'il y entroit uii melange de Mercure. M. de Bougainville , nc me I'ayant nion-tree qu'ä bord dc la fregate , je n'ai pas cffaye d'en faire lanalyle, Pourcelle de M. Seguin, comme je f^avois que I'efprit de fei en forir oit TefTence, &: qu'elle ren-doit I'eau propre ä prevenir le fcorbut, ou rneme kle guerir, je nhefataipas k en faire I'eflai: on verra dans la fuite ce qui re-fulta de cette experience. II y avoit dans le vaiffeau, Tons le titre de palTagers, deux Acadiens qui furent fur le point de mettre la difcorde dans notre petite fociete ; ils refufoient , fous ies plus mauvais pretextes , d'aider ä la manoeuvre; & dans un moment d'orage, lorfque le peril rend tout le monde aftif & indultrieux , on en trouvaunqui fetenoit les bras croifes fur le gaillard , & regar-doit tranquillement I'embarras des Matelots & des paflagers. M. de Bougainville ne put s'empecher de lui en faire des re-proches. L'Acadienfe retirafous le pont ians repondre , & ayant raffemblefoii epoufe , fon pere & deux autres families Acadiennes, il voulut leur faire paffer fon mecontentement; il leurfit entendre qu'ils ne s'etoient embarques que fous le titre depaffagers, &non pour faire la manoeuvre, &qu'il eut mieux valu pour eux etre reftes en France , que d'etre expofes fans ceffe k fubir de pareilles vexations. Les families Acadiennes, qu un efprit turbulent & fa£tieux cherchoitaijifi ä fou- So HisToiRE d'un Voyage levet, etoient etablies ä Saint-Servant Sč äSaiht-Malo, depuis que les Anglois nous avoientenlevei'Acadie. Le Roi leürdon-noit uiie fomme par tete,ä-peu-pres comme aux troupes reglees j & ces families n'a-voient gueres a'autre refTourcc que cette efpecede folde & le travail de leurs mains. M. de Bougainville leuravoitpropofe de les prendre ä fon bord, de les tranfporter dans un pays ouil leur donneroit des terres en propriete , & mille autres avantages qu'ils ne pouvoient efperer en France. II ieuravoitmdme fait faire des avances en efFets & en argent. Sur le rapport qu'on lui fit des difcöurS du foügueux Acadien, il dit: it n'y a qui les remettretous ä tcrre^ & les renvoyer ä Saint-Servant j puifque ]a mifere leur plait, qu'ils aiUent y vivre miferables. L'Acadien & fon pere, inflruits des intentions du Chef d'efcadre demanderent ä retourner ä Saint-Servant j & des I'apres-midi, on debarqua pres de Saint-Gail le" pere, le fils & fonepoufe , avec rout ce qui Jeur appartenoit : M. de Bougainville cut mčme la generofire de leurlai/Ter les avances d'argent qu'il leur avoit obte^ nues AUXISLES MALOUINES. Sf nuesduRoi. Les deux autres families de-jmanderent avec inftance de refter dans le vaiffeau : on remarqua m^ne qu'elles furent ravies d'etre delivrees de ces efprks ' inquiets & remuams. La femme avoitune humeur uii peu acariätre ; le mari eil etoit fi jaloux, qu'ilne laquictoit prefque pas un inftant; il obfervoit jufqu'^ fes moindres ;eftes, & auroit infailliblement trouble la )onne intelligence dont dependoit notre lionheur. Cette unionfidenrees'eft main-tenue entre lesdeux families qui ont fait le voyage avec nous, & que nous avons debarquees & etablies aux Ifles Maloui-nes. Elles etoient compofees, Tune du mari, defonepoufe, dedeuxenfans, Fun gargon ägede troisans , I'autre fille ägce d'un an, & des deux fceurs de la femme , Tune ägee de vingt ans , I'autre de dix-fept. La feconde famille confiftoit dans le man, la femme, ungarconde quatreans, &lafoeur de la femme, ägee de feize ans, La femme etoit prete d'accoucher , lorfque nous fommes partis de ces Ifles , pour retourner en France. Jamais Colo-nie ne fut fondee fous de ineilleurs auf-pices. ■ Tome. U F Le 18 Septembre, les vagnes etant calmees, & le ventridant ä peine la fur-face de la mer , nous defcendimes ä i'llle Agot pour y tuer des lapins; mais les cha(l feurs parcoururent en vaiti laplaine pendant trois heures. Pour moi qui ne pou-vois aller qu a la decouverte cles plames, je m'occupai k herboriler. Vers I'heure de midi, lafaim commenga^i fe faire fen-tir j comme on n avoir encore rien tue, on prit le parti d'aller demander ä diner au Prieur de I'Abbaye de Saint Jacut: on nous recutavecmagnificence; & , apres le repas, nous eumes encore lalibertede charger notre canot des legumes du jar-din. Le lundi 2 y , on tenditun hame5on ä deuT: crochets, & ä peine I'eut-on jette k la mer, qu'on prit un poiflbn du poids de trcnre livres qui avoit la forme la cou-leiir dunMaquereau.Sa chair etoitfolide comme celle du Thon; eile en avoit auffi le goüit. Nous trouvames ce poiffon excellent ; il eft un peu fee , mais moins que la Bnnite : on le nomme Grande-Oreille. L'hame^on avec iequel on le prit eft d'unefoimepamculiere, llcftcompofede Aux Isles Malouines. 8| devix crochets de fer de la grofTeur dun tuyau de plume ecrire, accolles Tun ä I'autre. On couvre la tige de ces deux crochets reunis avec de l'äoupe , en lui donnantla forme d'un fuCeau: on couvre cette etoupe d'une teile blanche, forte, & d'une plaque de plomb j on y ajufte enfuite deux ou quatre plumes blanches j de maniere qu'ellesfoient placees comma des nageoires etendues.En cet etat, rha-mecon reprefente ü-peu-pres un poiflon volant. Le bout de la tige eft tourne en anneau, dans lequelon paffeun fil de le^ ton unpen moins gros, & longd'environ deux pieds & demi; on jette le tout ä Li mer, attache ä une ficelle große comme le petit doigt, & longue d'environ fix braffes.Cette ficelle eft attachee d'un cote ä I'arriere du navire & del'autre ä I'hame-con qui fijit le fillage du vailleau. L'ennui du voyage etoit charme de tems en terns par la vue de quelques vaiffeaux. Le i6 , nous en apper9umes de loin quelques-uns; mais ils n'appro-cherentpas aflez de nous, pour que nous pufilons diftinguera quelle Nation ils ap-partenoient 3 on jugea feulemenr qu'ils Fii 94 Histoire d'un Voyage revenoieiit de la peche cle la morue au grand banc de Terre-Neuve. Le lendemain , nous en decouvri-mes im autre qui s'approcha du Sphinx : il etoit du port d'environ trois cens ton-neaux, lans battcrie , Scmonte d'un equipage de cin4,uante homines ; il alloit a .Bayoniie & revenoit de Terre-Neuve. Le I Odiobrc, la tner etant fort grofle, nous appcrcumes un navire donate, & cettehumanite que le befoin rend encore dIus ncceflaire aux niarinsqu'au refte des lomnies, nous engageaa aller au-devant de lui, pour lui c onner tous les fecours qui dependroient de nous. Nous luiavons parle ä dix heures. C etoit un navire marchand Hollandois qui veiioir de Curafol, & qui ayantre^u un coup de vent ä cent lieucs des Bennudes, avoit ere oblige de couper fon mat d'artimon & fon grand mat. Nous liii demandamcs s'll avoit befoin de quelque chofe ; il nous repondit qu'il avoit cinq dames Fran^oifes a fon bord qu'il menoit eu France ; mais qu'il ne pouvoit mettre fon canot ä la iner. Alors nous lui fimes entendre que nous en partions , que nous n'y retournerions pas de plufieursmois&que nousnepou- vions pas nous charger de ces dames; mais que fi on avoit befoin d'agr^s, oa d'autres provirions, on pouvoit en four-nii". L'interprete a repete qu'on ne pouvoit mettre le canot ä lamer.Elle etoit en efletafTez groflej & n'ayant pas ofe y expoferle notre, nous avons eu le regret de ne pouvoir etre utile h ce navire qu'eii lui fouhaitant un plus Ixeurcux voyage. Le 5 Oftobre , la vued'un autre vaif-feau nous jetta dans de jnrtes allarmes. Nous etions dans les parages ou les Sale-tins fontquelquefois leurscourfes, & nous fcavions qu'ils avoienten merune fregate nommee 'Oifeau^ de trente-fix canons & de trois cens hommes d'equipage, que les AngloisavoientvendueauxSaletins.Ceux-ci en avoient donne le commandement ä unCapitaine Provencal, renegat,homme de mer& brave. lis avoient aufli une corvette de douze canons & de cent hommes d'equipage. En confequence , le Commandant de nos deux fregates donna fes ordres, pour qu'elles puflent agir de concert, en cas d'attaque. L ordre du combat etoit defigne ; les canons & les armes etoient en etat j chacun fe mit au F ii) pofte qui luj etoit marque, & nous vo^ guamesavec confiance. On etoit convenu que, fxc'etoit la fregate arboreroit pavilion Anglois, & paroitroit faire tous fes effoi-ts pour fe retirer fous le canon ennemi. Nous devions en confe-quencearborer pavilion Francois, & faire mine de pourfuivre le Sphinx en lui tirant des coups de canon , Gomme pour lui dire d'amener. Lorfque la fregate Saletine fe feroit trouvee entre le Sphinx ik nous, le Sphinx devoit arborer pavilion Francois , & lachet toute fa bordee} de fagon que les corfaires fe feroient trouves entre deux feux. On efperoic, par cette ina-nceuvre, fuppleeraunombre &nialtraiter les Saleniis par un combat vigoureux, ^u point de lesobliger 4 fe rendre. Nos equipages montroient un air gai & determine. lis avoient en efFet beau-coup de confiance dans la fcience & la bravoure de nos Capitaines & des autres Ofiiciers, avec lefquels ils avoient fait des courfes dans la guerrederniere, & en-leve, ä Fabordage, quelques na vires Anglois. A mefure que nous approchions du na-"vire que nous avions decouvert, on crut aux Isles Malouin es. reconnoitre qu'il etoit de conftruftion An-gloife. Mais nons f^avions que les An-glois en avoient vendu plufieurs aiix Sale-tins j & comme il iie mettoit point de pavilion , nous crumes que ce pouvoit ^tre un navire Saletin qui venoit k la decou-verte. Alorsnous luitirämes deux coups de canon ä differents intervalles & nous avan^ames fur lui : enfin quand il fut proche de nous, il arbora pavilion An-glois, & on reconniit que e Capitaine etoit deGuernefey, & qu'il avoit fervi de Pilote-cotier aux Anglois, lorfque dans la derniere guerre , ils avoient fait leurs defcentes ä Cancale & ä Saint-Caft. On lui fit, enlangue Frangoile , les quellions ordinaires ,f^avoir d'ou il etoit, d oiiil venoit , OLiilal oit, & comment il iiommoit fon navire. 11 ne repondit rien. M. dc Bel-court prit le porte-voix, lui fir les memes queftions en angue Angloife, afTaifonna Ton difcours de termes energiques , en i-ifage chez les Matins, & dit an Capitaine qu'il auro-it merite qu'on I'eut coule t fond , pour avoir rant tarde ä mettre ion pavilion. Pour-lors, I'Anglois repondit y & s'excufa lur ce que fon pavilion F iv fiS Histoire d'un Voyage s'eroit trouve embarralTe dans fes mar-chandifes. C'etoit un navire marchaiid k. deux mats qui venoit de Lisbonne, S>c alloit aux Acores. Pour celui-la, nous ne lui fouhaitames pointun heureux voyage. Le 13 , nous primes un Fiiote & trois Bonites, On en trouvera la figure au natu-rel, Planche I, fig- S. Le premier de ces poiflbns n'avoir que huit pouces de long; les autrespefoientchacun aumoins vingt livres. [ Le poiflonqu'onconnoit fous le ipom de Pilore^ eft une de ces efpeces de Re-mora , celcbre chez les Poeres de I'anti-quite (je ne dis pas chez lesNatnraliftes) Dar la propriete d'arreter un vaifTcau , i orfqu'il vogue a pleines voiles. Pour la Eonitc , c'efl: un poifTon fort fain & fort delicat dans les mers d'Europe. II n'en eft pas de meme fur les cotes d'Afrique. Sa chair eft un aliment tres-dangereux. Ce-pendant ies Negres de la cote d'Or ado-rent la Bonite qui les empoifonne ]. Les Naturaliftes pretendent, fans doute fur le rapport de quelques marins, que le Pilote precede toujours le Requin , &: que c'eft pour cette raifon qu'on a donne ä ce poiffon le nom de Pilote, comme sil dirigeoit la route de Taijtre. J'ai obferve quelquefois un ou deux Pilotes devant ou aupres de cliaque Requin que nous avons peche ; maisnousavons vu fouvent des Pilotes fans Requin, comme des Re-quins fans Pilotes. Le Pere Feuillee, page 173 , confond le Pilote avec le Succet, & ne fait qu'un poiflbndes deux. « Lcs Requins, dit-il, » font accompagnes de pettts poiffons , » qui leur font infeparables qui aiment » mieux perir avec eux que de les abaii-» donner ; ils font toujours places fur leur » corps, ä une telle diftance , que les »Requins ne les f^auroientprendre; ce »_qui leur a fait donner le nom de Pilotes. » Nous ne primes aucun Requin , fans » avoir trouve de ces petits poiffons col-»les fur leur dos, parle moyend'unepel-» licule jaunätre, cartilagineufe/de figure « ronde qu'ils ont au-deffus de leur tete, » laquelle aune infinitede petits trousrem-» plis de fibres, qui leur fervent, felon » toutes lesapparences, ätirerde la peau y du Requin quelque fubftance pour leur » nourriture Ce voyageur ne donneque trois rangs o-fition de la queue vient apparemment aufli fa marxiere de naget , comme s'il fortoit de i'eau J & sy replongeoit ä I'alternative. Celui dent je donne ici Ui defcription,[ & tous ceuxque nousavons 3ris lui relTembloient ] ell:, je penfe, de I'efpece de ceux que Ton noinme Moh}^ Gij 100 Histoire d'un Voyage de miri car la parde antciieure de la tetefe termine en bourlet pres de la racine du mu-reau,&y forme commeles bordsd'unco-c]ueluchon. IIa ledos noirätre & le ventre C 'un gris de perle, un pen jaimätre, mou-chetede taches noires & d'autres gris de fer; il a trois nageoires arquees & tres-epaifles, une fur le dos, deux autres fous leventre. Eiles font, ainfiquela queue, recouvertes d'une membrane fouslaquelle paroiffent cinq cartilages blancs, difpo-ies comnie les doigts de la main , & arti-cules en phalanges. Les Marfouins vonrprefque toujours en troupes & nagent de front, comme s'ils etoient ranges en ordre de bataille. Iis femblent a ier chercher le vent. Nous avons remarque qu'ils prenoient toujours leur route du cote d'ou levents'elevoit. II n'efi: point de poiffon qui ait peut-etre au-tant de force quele Marfouin, proportio-neilement ä fa groffeur. Dans le nombre de ceux que nous avons harponnes , deux ou trois fe font debarraffes du harpon, foit en fe dechirant le dos, foit en brifant le harpon m^me ; quoique la barre de fer dont il etoit compofe, fut groffe comme Aux Isles Malouines. ioi le pouce. Ceux que novis avons prls ont toujours force cette barre, & I'un d'eux Tavoit tordue, commele commencement d'une vis. La chair de ce poifibn exhale une odeur fi forte & fi tenace, que mes mains, apres I'anatomie que j'en ai faite, ont conferve cette odeur plus de trois jours J quoique je les eulTe lavees bien des fois avec du vinaigre, 11 en eil de meme de celle du Requin, Le 3 de Novembre, un Requin de moyenne grandeur & du poids d'environ cent-cinquante livres , vint fe promener fur l'arriere du navire. II mordit ä Teme-rillon, auffitotqu'on le lui prefenta. Lorf-qu'il etoit dejä enleve hors de l'eau, il fe donna une fecoufie qui ledegagea de l'e-merillon , moyennant un morceau de fa machoire qu'il iaifla pour gage, Sans s'e-tonner nife rebuter de cet echec , le Requin ayant apper^u le meme morceau de lard , qu on lui avoit tendu pour appät la premiere fois, s'elancafur lui, & devora & le lard, & le morceau de fa mächoire, fans etre accroche par I'emerillon. On mit un autre morceau de lard; le Requin avoit fans deute bon appetit; car il revint Giij i02 Histoire d'unYoyage pour le faifir. Mais , comme ce poiiTon n'ett pas d'une nourriture faine, ni appe-tiffaute , aulieude chercher äle prendre, on s amiiia pres d'une heure ä ui laiffer ilairerrappat.Lorfqu'il vouloitTavaler, on le retiroit promptementde I'eau , experience qu'on repera une doiizaine de fois au moins , fans qu'il arrivat au Regain de s'elanccr hors de Tcau pour faifir iaproic , cc que difent cependant lesNa-turaliftes. Je ne Tai pas vu non plus fe tourner fur le dos pour avaJer fappH-t, iiiais feule-inent tant foit peu furle cote. M. de Bougainville , pendant cet amufement , lui tira deux coups de fufil a balle ; mais , foit qu'il Teui: manque, foit que la balle n cut pu ]5enetrer la peau du poiiTon, le Requin ne s'encmutpas davantage ; il continua de roder autour de l'appät, & enfin avala cefeconcljfms avoir eteaccroche.Un grain etant furvenu , on laifla le Requin pour &'occuper de la manoeuvre, [ Le Requin , dit-on , a une gueule affez vafle pour devorer un homme en-tier. Le Voyageur Dampier rapporte qu'un de fes Matelots, etant tombe dans Aux Isles Malouines. lo} la mer, fut avale parun de ces monftres. L'equipage, pour venger fa mort , fetta au Requin un larpon avec I'appat; ce poif-fon vorace I'engloutit auflit6t,&le harpon s'etant accroche clans fes entrailles, on le tira k bord ; on fe häta de lui fendre le ventre j, & on y troiiva Tinfortune Matelot prefqu'entier. Sur.l'expofe de Dam-:)ier , on ne manqua pas^de conclure que e Requin etoit le monftre qui engloutir autrefois le Prophete Jonas. ] Le 7 de Novembre, le foleil fe leva aflez beau, mais au milieu de quelques nuages. Avant que de paroitre, fes rayons dardes fur ces nuages, prefentoient vui des plus beaux afpeas du monde, par la variete& I'eclat des couleurs. J'ai etetres-mortifie de ne pouvoirpeindreuneaurore femblable, qui auroit fait un des plus brillans tableaux. Je n'ai pu conferver qu'une tres-foible efquiffe d'unfoleil cou-chant, que nous avions admire tous, pendant pres d'une demi-heure; mais il n'eft 3as pofiible d'en prefenter avec des concurs ä la gomme , un tableau fur lequel on puiffe s'en former une ideeexafte. Ces G iv 104 Histoire d'un Voyage couleurs font tfop mattes, & ne f^au-roient exprimer le brillant & I'eclat que les rayons du foleiirepandent fur les bords des nuages: les couleurs ä I'huile I'expri-meroient fans doute beaucoup moins mal j mais je n'en avois pas^, & d'aiUeurs il fau-droit un habile Peintre pour faire un tel tableau ; & je nj fnis ni un Vernet ni un Loutherbourg. Le beau terns continuant, on en pro-fita pour faire fecher les hardes de Tequi-page qui avoieht ete mouillees pendant les orages des jours precedens. Cette huini-dife des hardes eft nnecaufe prochainedu fcorbut & de plufieurs aucres maladies , hien plus que la noiirriture ialine que Ton donne aux equipages. Un Capitaine ne fcauroit avoir tropci'attentiona enrretenir h proprete parrai Tequipage , & ä faire prendrerairauxhamacs,au ■ quadres,&c, s'il veut prevenirles maladies. Notre Capitaine m'a fait faire cette obfervation fur fa propre experience dans les divers voya- fes qu'il a faits ä la Chine, aux Indes, au erou & en Canada. II atoujours eu, me difoit-il, cette attention, &il lui attribuoit. 'aux Isles Malouines. lof' aufli-bien qu'au choix des aliments, le peu de maladies dont fes equipages ont ete affliges pendant des voyages de ü long cours. Le 9 , unoifeaua-peu-pres gros comme un pigeon, mais plus alonge, etantvenu fe percher fur la vergue dumat de mifene, un Matelot le prit ä la main. Get oifeau que i'ai peint, moitie grandeur naturelle, & dont on voit la figure, PL II, fig- 2 , eft dun brun clair-rougeätre , prefquede couleurde noifette. Les plus grandes plumes des alles & de la queue font d'unbrun plus fonce , meme un peu noirätre. Son bee eft noir , droit, perce de part en part au milieu , menu avec une petite groffeur endeffous , auffi long que la tete de I'oi-feau. Le deflus de la tete eft blanc pres du bee, & d'un blanc perle de plus en plus fonce jufqu'au cou qui eft aftez long pour la groffeur. Ses pattes font d'un gris noir, palmees comme cellesde la poule d'eau. Je le mis dans une petite armoirede ma dunete^ oiije le trouvaile lendemambien vivant, & fi peu effarou-che de fe voir pris, que I'ayant pofe fur ma table, il s y pla^a dans I'attitude oii je io6 Hi s toi re d'un Voyage Tai peint. Jeliii prefentaidelanourriture, ilmangea,toujo«rs accroupi, &demeura ainfi pendanttrois jours, cequime donna tout le terns dele peindre au nature!. Qiiel-ques-uns de nos marins dirent que c'efoit un Fou i mais il n'avoit point , comme 1 oifeau de ce nom, le bee etroit du Canard , oule bee recourbe du Perroquet. [ II eft probable que le nom de Foil qu'on a donne k tontes ces efpeces d'oi-leaux, vient de ce qu'ils ont la foHe de ie pofer fur les vergues des vaiffeaux qu'ils rencontrent, & de fe iaiffer prendre i la main fans faire de reiiftance. Ce nom me paroit plus heureuxque celui dePiratesJs mer, queleur ont donne quelques Natura-liftes j. Le Jeudi, lo Novembre, fur les cinq heuresdumatin, nouspaffamesla ligne. CHAPITRE II- Baptcme de la Ligne^ t Les anciens qui n'avoient point de bouffole, qui ne secartoient point des cotes dans leurs plus longs trajets, & qui navigeoient rarement fous les Tro-piques, ne connurent pas la ceremonie bizarre qu'onvadecrire. Ceftunufage qui ne remonte pas plus haut que ce voyage celebre de Gama, qui a tourni au Ca-moens le fujetdelaLuriade. L'ideequ'on ne f^auroit etreun bonmarin, fans avoir traverfd I'equateur , I'ennui infeparable dune longue navigation , uii certain ef-prit republicain qui regne dans toutes les petites focietes, peut-etre toutes cescau-fes reunies, ont pudonner naiflance äces efpeces de faturnales j quoi qu'il en foit, elles furent adoptees en un inftant dans toutes lesNations, & les hommes lesplus eclaires furent obliges de fe foumettre ä line coutume dont ils reconnoiflbient Tab- furdite ; car partout, des que le peuple parle, il faut que le fage fe mette ä l'unif-fon Je vals decrire cette ceremonie avec fimplicite, cela note rien du merite de la relation. Cefont les Maitres, les Contremaitres &les Matelots, quiontdejäpaffe la ligne, qui baptifent fans diftintHon de grade, de fexe & de qualite , tous les nouveaux Navigateurs. Iis fe donnent un Preiident pour la ceremonie , & ils i'appellent le bonhomme la Ligne. II etoit pres de fept heures, & nous etions k fouper, lorfque nous entendimes claquer un touet qui nous annon^a l'arri-vee du courier du Bonhomme la Ligne ; ce courier etoit le maitre Canotier, & on l'avoit habille tres-proprement. II heurta ä la porte de la charabre j on demanda qui heurtoit ? C'eft , repondit-il, un en-voye du Bonhomme la Ligne, Seigneur & Prefident de ces parages. Qu'on lui ouvre , dit M. de Bougainville. On ou-vrit, I'Envoye mit pied ä terre, entra, & ia monture refta ä la porte. Cette monture etoit formee de deux Matelots attaches auxisles Maloüines. iö9 Tun k l'autre &marchant ä quatre pattes. L'un avoit fur la tete unfaušen ( a) pour reprefenter la queue de ranimal j I'autre en avoit auffi un pour former fa criniere, & de plus nn mafque de carton figure en tete de cheval. Les harnoisetoient le pa-vois du grand canot, c'eft-ä-dire, une grande bände d'etoffe bleue , parfemee de fleurs de lys jaunes. L'envoye ayant ete introduit, adreffa la parole anotre Commandanten ces ter-mes: « Le Prißdcnt dc ccs Parages^le Bon.' » homme la Ligne , ayant appris que le V brave Chevalier de Bougainville, Com» mandant de la fregate I'Aigle, y etoit » arrive, m^aordonnedevenir le faKierde » fii part, de lui temoigner la joie qu il reC-» fent de fa venue, deluiremettre une » lettre, dans laquelle fcs fentimens font »fidelementexprimes M, de Bougainville lut la lettre qui etoit concue cn ces termes: Brave Chevalier , vos hauls faits ant rendu k mm Francois C'j) Le f;iubert eft une efpece cle balai, coinpofe de fils cle carret, pris des vieux covd;iges; lis reprifentent i-peu-pres une grolle Sclongue queue de cheval, no Histoire d'un Voyagb tres'dkbre dans le Canada: voire reputation eß parvenuedans les parages de ma domination Jur Us ailes de la renommee , & votre nam eß en telle vmiration dans le cccur de mes jujets , que les Dorades , les Bonites, Us Thons & les Marfouins^ ay ant appercu U ßegate I'Aigle bourin, pendant üii demi^, Toms B a 114 H isto! re d'ün Voyage quart cl'heure. Iis s'approcherent enfuite de la baignoire , & le matelot leur jetta quelques feaux d'eau fur la tete. Alors on annon^a la defcente clii Seigneur Prefident de laLigne , par des haricots blancsqiie ronjettaen guife de drawees , de la grande hune lur le gaillard. Le Bonhommt La. Ligm^nth meme route ue le Matelot & tesMoufles; il defcen-it lentement & majeftueufenient. Sa Cour etoit compofee du fecond Maitre , des Contremaitres, duPilote*'& du Cano-nier. Celui qui jouoitce premier role etoit le premier Maitre. 11 etoit couvert de peauxblanchesdemoutonavecleurlaine, coufues enfemble pour former un ha-biUement dune feule piece. Son bonnet de m^me etoffe Im delcendoit jufqiies fur Jes yeiix. Un paquet d'etoupes melees avec la laine lui fervoit de perruque & de baibe. II avoit un nez poiliche de hois peint. En^uile de cordon, Üportoit d'une epaule k I'autre un chapelet de pommes de racage , grolTes conime des ceufs d'oies. Les gens de fa fuite etoient afFubles k-peu-pres de metne. L'un portoitune mafTe AUX ISLtS MALÖUINES. II5 oucaffe-tete äla Sauvage; I'autre un arc, celui-lä line hachc, celui-ci un calumet. Aupres du Prefidem droit Ton Chancelier , & iL tenoit foniceptre ä ia main. Le Mai-tre Canotier ^ habille en femme & farde avec du gros rouge ä I'huile , fe tenoit aupres du Bonhomme qui rappelloitfafille. ■Le Vicaire ä fon c6te etoit vžtu d'une ef-pece de robe de toile gaudronnee 5 une cor3e grofle comme le pouce , lui fervoit de ceiiitüre. II pörtoit un bonnet quarre de carton noirci, un mafque de m^me une ecole de toile peinre en rouge , & tenoit un livre ä la main. Quatre Mouf-fes Tenvironnoient, & portoient un en-i cenlbir , un rechaut , un arc ^ & uil bafiin plein d'eau de mer pour fervir aU baptdme. Tout lequipageetantrafTemble, lePre-fident s'adrefla au Commandant: Soye^ le bien venu^du-il, M, le C/ieralier^ ex-cufe^-ntoiß je ne vous jais pas de longs tomplimens j'ai la poitrine fifoibU , ^u'ä peine puis-je parier i 'N'enjoye:^ pasfurprls; J s fuis ägd de fept mille fepi cent foixanie-troisans ; fai charge mon Secretaire d'ccrire^ t/ mon Ckanceüer de patUr pour moi. Hij ti5 h isto i re d'un Voyage Juis defcendu de mon Palais expres pour vous reccvoir dans ma fociete. J'efpere qu^ vous nefere^ pas dlfficuUc de vousjoumeure a la cirimome du bapteme , ufitce dans ces parages, M. de Bougainville prit la lettre, la lut & applaudit an compliment; il fa-lua enfuite la fille da Bonhomme j & apres Tavoir felicite d'avoir une fille fi jo-iie J ils'approcha de la corde tendue. Les nouveaux Officiers ly accompagnerent, & le Preridentallas'afleoir fur fon throne Davoife, ainfi que fa fille & Ton Chanceier. Les Ofiiciers lierent le pouce de la main gauche de M. de Bougainville fur la ligne avec un ruban rouge; & nous nous piagames ä fa fuite , Meffieurs de Ner-ville, de Belcourt, LhuillierSc moi. Le Vicaire affe^lant un air grave , & fon livre ä la main , s'approcha de M. de Bougainville. II etoit accompagne d'un Mouffe qui portoit une afliette couverte d'une ferviette pliee , pour recevoir le tribut qu ils appellent racliat.; car on le contente de verier un peu d'eau de mer lur la t§te de ceux qui fe rachetent j au lieu de lesplonger dans la mer, comme 1 on aux Isles Malouii^es. 117 faitquand ondoniieiacale (fl).Aurefte, (1} La cale eft une pimitlon que Ton fait fubir ;i ceux fic riquipagi;, qui font convainciis d'avoir voli, blaf-pliemi, ou cxcitc quelquc riSvoltc. II y a deitx fortes cle cale, Tordinaire & la fcche. Lncale ordinaireconfirtc ä condulie le criminel aii-deflbus dcla grande vergiie. Lk oil Uli paffe uii baton entre les jambes fur leqiiel on )e faitaffcoir, pour !c foulager. I) einbraite un cordage attache ace baton, S: qui paffe par une poulie fiifpendue ä. Uli des bouts de !a vergue. Trois ou quatre Matelots hiiTcnt cette corde, leplus promptenieiuqu'ilspcuvent, jufqu a ce qu'ils aient euinde )e patient ä h hauteur de la vcrgnc. lis lichentenfuite le cordagetout-a-coup, ce qui precipite le crimincl dans la nier. Qiielqiiefois pour auginenterla peine en augmentant la rapiditi de la chute, on lui attache un boulet de canon aux pieds. Ce fup-plice fg r^iitcrc fouvcnt jufques u cinq fois. On Tappellc tj/ir ficAe, quand le criminel eft fufpenda a line corde raccourcie de rnajiiere que , dans fa chute , il ne defcend que jufqu ä la furface cle I'cau, & n'eft pas plong^ dans la nier. C'eft iiiic efpcce d'eftrapade. Ce chatinient eft rendu public par im coup de canon, pour avertirtousceux de I'Efcadte d'enctre'las fpeflateurs. Les Hollandois pratiquent une autre cale, qu'ils appel-lent la gründe c.iic. Pour la donncr , on conduit Ic cou-pablc au bord du navire, on lui lie unc corde au milieu du corps. Un bout de cctte corde cfl attache au bord du vailTeau, ou au botit de la vergue amende ;rautre bout paiTe fous la quille, & eft tenij de Tautre coii du navire par queiques-uns des Matelots les plus robuftes. On met quelquc ciiefe dc pefant autour du corps „on aux pieds du criminel, pour k faire cnfoncer davantage dans I'eau. Lc coupable itant jctti a lu mcr, L ordre qu'en donna Hiij Il8 HISTOIRE D'UN VOY A GE on ne plonge plus maintenaiit dans la met pour donnerlebapteine,parce qu'on afait reflexion que cette ceremome devien-droit tres-dangereufea caiile des Requins quipourroientroderautourdu navire, ßc empörter une cuille ou \m bras A celui qiii auroit le inalheur den etre mordu. On a fubfHtue ä ce bapteme celui de la baignoire , fur le bord de laquelle on fait afleoir celui qui nc s'efl: pas rachete, ou ä qui on veut jouer quelque tour. Le Vicaire s'approcha de M. de Bougainville &iui dit : « Promettez-vous d'e-f tre bon cicoyen, & pour cet effec de tra-» vailler ä la population, & dene pas laif-n Ter chomer les filies, routes les fois que rpccafion s'en prefentera ? - Je le pro- Jü Quartier-Maitre , ceux qui tienncnt hcorde nu bord fippofe, la tirent le plus vine qu'ils peiivent, de forte que le patient paffe rapidement fous la quille. On reitei-e ce fupplice aLitantck fbis que la fentencc Ic portc. Cescliätlmens font rude?, & dangereux pour la vie mertic ; fur-tout k grands cale. Car le moindre def;iut de dilipnce 0!i d'adreiTe, de la part de ceux qui tlre.-it la corcle, peut etre caufe qiie celui tjue Ton tire fe rom-pe 5ti bras ou une jambe, & roeme la tste. Auffi met-on cette cale an nombre » de vos engagemens M. de Bougainville touchaaloi'Sune eflampe,qui repre-fentoit unG^nie Scunejetinefille quis'em-^ braflent-tendrement. Au bas de cette ef-tampe etoit ecrit: Quis mihi det tefratrem meiim fugemem ubsra mains me^e , & invc' veniam te ßtris ^ & deofculer te. C antique des Cantiques , ch. 8. Le Vicaire alia ren-dre compte au Prefident des engagemens de M. de Bougainville; & le Bonhomme repondit: Digmis efiintrare innoflro doüo corpore ; admittatur. Alors le Vicaire re-tourna k M. de Bougainville & lui dit: « Le Preiident de la Ligne vous juge dr» gne d'etre admis dans la fociete dont il » eft le Chef, & m'a charge de vous y » recevoir parTadminiftrationde fon bap- Hiv lio Histoire d'unVoyage »> teme. Comment vous nomniez-voiis? j> Louis, repondit M. de Bougainville. H^ bien ; E^o , nomine Reveretidißimi Do^ mini Domini & SereniJJimi PriEfidentis ^quatoris, te,Ludovice^ admittom Jocieiat^ ejus. En pronon^ant ces paroles, il liii verfa lur latere quelques gouttes deau de mer, Ondelia ie poucede M. de Bougainville, qui mitdel'argent dansTafTierte Ibus lafer-viette , on retira le baton, & le Vicaire Tcnccnlli. On pafla a M, de Nerville ä qui le Vicaire fit les memes queffions, & ainfi fucceffivement aux autres PalTagers & Offiders avec les roanes ceremonies. Quand on hit parvenu ä un Garde-Ma,, rine, affez mauvais fujet & hai de tout le monde , le Vicaire bi dit que le Prefix dent ordonnoit qu'it tut regu avec toutes les ceremonies en ufage. Enconfequence, il lui pofa un bout de (on etole fur la tete, marmotta quelques paroles, puis lui fit baifer cette etole peinte k Thuile. On le delia de la ligne, & on le fit aiTeoirfiir un baton pofe tranfverfalement fiir l^i bagne. A peine s y fijt-il place, que le Pi^ lotm tornba dans I'eau. On avoit d? plus aux Isles Malouines. iit a]ufte dans la bagneun lacet; de maniere que, quand le Cathecumene tomba, il fe trouvafaifi par le milieu du corps & affu-jetti fans pouvoir fe debarraffer. On pro-fita de fa fituation pour lui barbouiller le ■vifage de noir & de rouge. On lui verfa aumoins cinq oufixfeauxd'eaufark tete, puis on le laiffa aller. On en vititenfuite h deux Demoifelles Acadiennes, & le Vicaire leur demanda naivement fi elles etoieiit pucelles ? Elles repondirent, oui. Promettez-vous, ajou-ta-t-il de ne pas manquer ä la foi conju-gale , fi vous epoufez un Maxin ? La promeffe faite, il la baptifa ä-peu-pres comme nous. La fceur de cette Demoi-felle s'etoit qachee pour n'etre pas expofee ä fubircette ceremonie. On la trouva , & on voulut la contraindre ä venir rcce-voir le bapteme ; mais le Vicaire, averti qu'il y avoir des raifons, pour qu'eile ne s'exposat pas au bapteme de I'eau , lui dit qui! fe con*enteroit de lui mettre des mouches au vifage. Elle fe prefenta , & il tint parole. Deux femmes mariees ne furent pas baptifees , parce que leurs en- iii Histoire d'un Voyage fans en bas äge , & qu'elles ne pouvoient abandoniier, jettoient des cris par la peuf que leur infpiroient les figures gro-tefques desgensde Jafuitedu Prefidentde la Ligne. Quelques PafTagersfurentenfuite bap-tifes & barbouilles de nöir & de rouge , maison ne les fit pas placer fur la bagne, parce qu'ayant commence ä jetter quelques feaux d'eau fur les baptifes, ceux-ci pouravoir leur revanche en jetterent aux Matelots. Ceux qniavoient ete moiiilles, voulurentmouiller lesautres; le defordre augmenta, & tousceux qui fe trouverent fur le gaillard furent auffi humeftes que s'iisetoienttombes dans lamer. Ainfi hnit ordinairement cette farce , & on eil: encore tropheureux quand on en eft quitte pour de I'argent & quelques feaux d'eau. Le bapteme dans les navires qui paf fent la Hgne, eft en ufage chez routes ies Nations de TEuropejmaisiln'yapasd'u-nifbrmite dans les ceremoTiies. Chaque Nation en imagine de conformes ä fon genie & ä fon caraftere , & la fete de-vietu plus ou moins gaie, fuivant le plus aux Isles MaloüInes. 115 ou moins d'efprit de ceuxquiypreiident. Quelquefois celui qui baptile donne au Cathecumene le nom d'uneville, ou d'vin cap, ou d une mer, & on tiche d'afibr-rir ce nom de maniere qu'il exprime le caraftere , I'humeur, la figure ou I'incli- • nation du baptife. On appelle cette cere-monie le Baptane ou le rachat: le bapte-me, ä caufe de I'eau dont on inonde ceux qui paffem laLigne pourlapremiere fois; le rac/iat, a caufe du tribut que paient ceux qui ne veulent pas etre inondes. Ce tribut eft ordinairement volontaire de la part de celui qui paie. Quelquefois ce font les farceurs meme qui Timpofent, en gardant neanmoins la proportion conve-nable aux facultes des iributaires. Lorfque le navire dans fa route ne doit pas paffer la Ligne , mais feulement le Tropique, les Matelots ne voulant pas perdre leur tribut, fuppofent que le Tropique eft leßis aini du Bon-homme la Ligne, ^ heritier prefomptif de fes droits. Iis jouent en confequence , au paffage du Tropi-qi^e, la meme farce que les autres fous I'Equateur. On a meme imagine de faire 124 Histoire d'un Voyage cette ceremonie, quand un navire double , pour la premiere fois, le cap Saint-Vincent, pov:r paffer le detroit de Gibraltar. Les navires qui vont ä la p^che de la Morue, obfervent la meme pratique , lorfqu'ils approchent du grand banc dc Terre-neuve. CHAPITRE III. Voyage depuls I'Equateur jufqu aux cotes du BrifiL AP R E S avoir paffe la Ligne, nous avons rencontre plufieurs de ces oifeaux qu'on nomme Frigates i on le trouve communementäquatrecens lieues de terre, & cepeiidant on pretend qu'il ne peut fe repofer fur I'eau, lans y perir. Ses jambes font courtes, groiTes & ramalTees. Ses piedsne font pas palmes, mais armes de griffes fort aigues. On voit des Frega-tes qui ont neufpieds d'envergure quand leurs ailes font ctendues. Au moyen de la grandeur de ces ailes deployees, cet oifeau fe foutient facilenient en Fair, & y ilane. 11 s'eleve quelquefois fi haut que 'oeil le plus penetrant le perd de vüe. Lorfqu'il s'approche des navires, il voltige autour des girouettes, s'en eloigne & s'en rapproche bien des fois; mais fans fe pofer. Sa groffeur eft ä-peu-pres celle d une poule. Son regard eft per^ant & 126 Histoire d'un Voyage aflure. U fond fur fa proie avec une vl-teffeincroyable. Les males ont une mem-trane rouge & boutonnee, qui leur def-cend du bee jufques vers le milieu du cou. Les plumes au ventre font d'un gris blanc; celles du dos & des ailea font bru-nes. II vit de poiflbns volans, qu'il faifit adroitement en rafant la furface de la mer, lorfqu'ils volent, pour eviter d etre la proie des Bonites. On dit qu'il pourfuit aulJi les Goelans, & les autres oifeaux de mer, pour leur faire degorger les poiflbns qu'ils ont avales, & pour s en faiiir lui-meme (a). ( per^us fur le fable les traces fraiches d'un animal k quatre pieds, qui iTie parurent Kij 148 Histoire dVtj Voyage ^tre Celles dun Tigre. Nousluivimes ces traces jufqu'^ un endroit rres-mareca-geux , 0Ü noiis n'ofiimes pas nous enga. ger, n'en connoiflant ni le fond ni la carte. II faut, tne dit M. de Belcourt, que ces traces foicnt celles d un animal que je n'ai apper^u qu au moment oil i[ s'enfon-coit dans les brouffailles. II eft haut fur les pieds comme le plus grand cliien Da-nois, & dunecouleur grifätre. II faifoit alors une chaleur etouffante. Nous fimes halte , affis fur des bouts de branches , le dos appuye contre un arbre. Nous etions etourdis par le fiffle-ment des Terpens , qui nous environ-noient, & nous fumes obliges d'avoir toujours lefabre nudk la main pour nous defendre : nous en vimes plufieurs de la" grofleur du bas de la jambe j il y en avoit d'autres plus petits. Lesuns etoient de couleur aurore ; les autres rouges & jaunes, quelques-uns gris , & reffem-bloient aflez ä de grofles couleuvres. Mais ces reptiles, loin de nous attaquer, fuyoientdevant nous. A notre retour , M. de Bougainville Aux Isles Malouines. m9 acheia une grande & belle pirogue dont ilcroyoit avoir befoin aux Hies Malouines; eile etoit faite dun feul tronc d'un arbre caiinellier creufe, dedix-neufpieds & quelquespouces de longueur, lur trois pieds de large en-dedans, & prefque au-tant deprofondeur.Quelques-uns de nos Officiers de terre & de mer, qui avoient ete en Canada, en f^avoient la manoeuvre. On s'en fervit pour la peche. Mais, lorfque nous relachames ä Montevideo, M. de Bougainville la ceda ä un Officier Efpagnol, pour la fomme de huir piaf-ires. Elle lui avoir coute environ d:x-huit livres de France. Le Dimanche 11 de Decembre, nous resumes ä bord le Gouverneur de I'lfle Sainte-Catherineavec fon fils, un Miniftre du Roi de Portugal, PremierPrefident du Confeil fouverain de Rio-Janeyro , I'Oi-dor, le Major 6c quelques Officiers dela garnifon. _ Latente etoit tendue furle gaillard d'ar* riere , que Ton avoit difpofe en forme de lalle ; le navire etoit pavoife & le pavilion Francois ddjaloye. Des que tout le monde y Yut place , j'y chantai la Meffe K iij Ip HiSTOIRE n'uN Vo TAGE folemnellement; & a midi on y fervit nn diner au/Ii fplenclide qn'ii etoit j^offibie cians les circonllanccs. On but ä la (hnte du Roi de Portugal, avcc iine ialvc de onze coups de canon, a laquelle b bat-lerie du fort de Sainte-Croix repondit pr.r iin meine nombre de coups. Apres le diner, ü y eut un concert. Pendant cet amufement ^ iin vent violent s'cicva, le tenis fe couvrit, & i! tomba une plule fi abondante , qu'il futimpofl lible aux Portugals de penfer ä s'einbar-quer. M. de Bougainville les engagea aSors ä coucher far le vaifleau. Pendant le lbi!|)er, je m entrerins toujours avec le Miniftre de Portugal, ä quiilne nianquoit que I'll fage pour bieii parier notre langue^ &qui fubftituoit des mots latins tres-ener-giques, lor(que les termes Francois ne ie prefentoient pas ä fa memoire. Tres-au-fait du Brelil qu'il jarcouroit alors j pour y faire fa vifite ordinaire , il eut la com-plaifance de repoiidre ä routes mes quef-rions, & me donna fur le ^ays & fur fes habitans tous les eclaircifTemens que je detaiiierai dans la fuite de cet ou- vrage. MefTieurs de Bougainville & de Ner-Yille cederentleurs hts au Gouverneur & au Miniftre de Portugal; TOidor coucha dans la dunette de xM. Diiclos-Guyot , Capitaine,& ies autrcs Ofiiciers s'eten-dirent fur des matelats. Des les quatre heures du matin , le Gouverneur & la compagnieretournerent au fort de Sainte-Croix. Cette partie de plaifir fut fuivie de pre-fens mutuels entre notre Capitaine & le Gouverneur. Le Portugals envoya au vaifieau beaucoup d'animaux domefti-ques, parmi lefquels il y avoir vingt-fix canards du Brefil k grandes cretes rouges. M. de Bougainville de Ton cote fit prelent d'une grande boete pleine d eventails & de tabatieres , verniffees par Martin. Les deux jovirsfuivansfurent employes a completter notre provifion de hois de chaufFage,qui fut compofee defaflafras, de cedre & de bois jaune de Brefil. Je fis mon poffible pour avoir dubaumede Co-paiba^ connufovis le nomde Copahu car j'avois appris d'un Negre affranchl que I'arbre qui le porte n'eil: pas rare dans le pays; mais je ne pus reußir, parce qu'on Kiv iji Histoire d'ün Voyage m'afTuraque ce bäume necouloit quepen, clniula pleinelune. Commenotre clefiination^toit pour un pays ounosMarins n^avoient pas encore ete , & clotjt les mers & le climat pafTent pour orageux j avant que de partir de Sainte-Catherine , iiotreCapitaine jiigea a propos de fe munir de petits mars de hune& de perroquets »pour fervir de batons d'hyver. II s'adrefla pour cet effet au Negre affranchi dont j'ai fait mention plus d'une fois. II nous rendoit reus les fervices qui dependoient de lui, de Ja meilleure graee du monde , & fit meme propofer ä M. de Bougainville de Temme-i:cr avec lui, promettantd'allerpartoutou nous voudrions le conduire. II etoit fort, trayailloit beaucoiip; & M. de Bougainville auroit volontiers acquiefce ä fa de-Jiiande j s'il n'avoit craint que les PortUr-^ais ne fe fufTent plaints que nous avions «te relächer chez eux pour debaucher leurs Negres, & que ce ^jruit n'eut fait tort aux n a vires Francois qui auroieiit ete dans la fuite relächer ä Sainte-Cathe-rine. Ce Negre fut lui-meme chercher dans Aux Isles Malouines. in la foret lesarbresqu'il crutles pluspropres 3u deffein de notre Capitaine.Lorfqu'il les euttrouves, il Ten avertit, & nousy con-duifit k travers les halliers & les brouf-failles. Nous coupames les arbres & les tranfportames fur le bord de lamer: heu-reufement nous netrouvämes dans la for^t que trois gros Terpens que nous tuämes. Quand routes nos provifionsfurent fal-tes, nous quittämesrifleSainte-Catherine; ce fut le 14 de Decembre que nous en fortimes, bien plus fatisfaits d'y avoir re^ lache que ne Tavoit ete I'Amiral Anfon, II me femble que cette Ille de viendroit une habitation excellente , fi on fe donnoit la peine de la defricher j car , excepte la petite ville ou r^fide le Gouverneur , il n'y a que quelques petites cafes repan^ dues fur la cote, & I'lfleentiere neparoit qu'une vafte foret. TV.vf* CHAPITRE V. Hißöire Naturelle de t Ißt Sainie- Catherine^ &dela Cote du Brifil. f TL s'en faut bien que l'Ifle Sainte-Ca-X therinefoitun fejourenchantecomme cette Ifle de Tinian, dont parle l'Aini-ral Anfon. Les Lions , j es Pantheres les Tigres domineiit dans les vafies foiets. L air y eft mal fain ; les hommes y font malgre cux dans un etat fingiilier d'iner-tie , & la nature n'y ade l'aflivite que pour devoter fes habitans]. L'air mal fain de ce ciimat efl vraifem-blablement la caufe de la päleur des Blancs qui y font Icur fejour. De ces bois oü Ic foleil ne penette jamais, s'elevent des vapeurs groflieres qui ferment des brumes eternelles fur le liaut des mon-tagnes dont l'Ifle eft environnee. Les bas, qui font fort marecageux, en font egale-ment converts dcpuis fix a fept henres du foir , jufqu'au lendemain ä luiit heurcs oü le loieil les diflipe. Ces vapeurs ont fou. aux Isles Malouines. 155 vent une odeur devafe , & la circulation ck I'air n'y etant pas libre , elles femblent ne (e cliffiper que pour faire place h. Celles qui leur füccedciit. Cet air mal-fain n'eft qua peine corrige par laquantite de plan-tes aromatiques dont I'odeur fuave le fait lentir ä trois ou quatre lieues en mer , lorf-que le vent de terre y porte (ti). Cepen-dant on ert dedomrnage de cet abandon de hl nature par lafingularite des animaux & des plantes que produit ce climat. Ulfle eft maudite par rhomme riche qui veut jouir, mais eile eft bien chere aux Naturalises. Le finge , ce quadrumane qui paroit rempUr Tintervalle entre rhomme & les quadrupedes , fe trouve dansl'Ifle Sainte-Ciulieiine; & nous dumes la connoiflance de cet animal i un hazard fuigjulier. En jaffant aupres d'lme cafefitueele longde a cote, nous entendimes un bruit fem-blable ä celui d'un Bucheron qui abat du 0«') Nos chiens nous annonccrent Tapproche de Vifle an mollis k cettc diftance, en flairaiu de ce cotMipendant pres d'tine demi-lieiirc. 11 eft ii rcmarqiier que les ciiiciis fant d'lme gmntle reffource dans im navire, pout rcconnokve les approtlies de terre ; peiidam la nuit (I"" jiioins,ils tiennent lieu de limettes. Histoire d'un Voyage hois. Nous demandames ä un Negre af-franchi ce que ce pouvoit etre. Ceft , dit-il, un finge qui rode autour du jardia pour en manger les fruits, & avertit fes camarades de venir profiter de la decou-verte. II y a trois ou quatre jours qu il fait ce tintamare. Un de nos Contremaitres lui preta fon fufilj le Negre le chargea de gros plomb, alia au bruit, tira le finge deux fois , fans qu'ilprit la fuite; au troi-fieme il tomba mort au pied de I'arbre. Le Contremaitre apporta le finge ä bor d de la fregate oii nous eümes taut le temps de le confiderer ä loifir. II avoit deux pieds& pres de huit pouces de haut, etant debout fur fes jambes de derriere} fon peil etoit long & dune couleur brune-fauve par tout le corps , excepte fous le ventre, qui tiroit fur le fauve clair. Sa barbe brune lui prenoit depuis les oreilies, & defcendoit pres de cinq pou^ ces fur la poitrine; fes pieds etoient noirs Gornme fes mains; fes oreilies fans poil ^toiem biendetachees, & le duvet balane quicouvroitla face , paroiflbit fi raz, qu'ä peine on le diffinguoitde fa peau. Ses four-cils plus noirs etoient laillans ^ fä queue ^toit auffi longue que fon corps, la tete comp rife. Je ne fgais ä quel jeu il avoit perdu roeil gauche. II fallut lexaminer de pres pour s'appercevoir qu iletoitborgne. Au globe de ibn oeil perdu, il avoit fublHtue une beule , compofee d'une gomme qui nous €toit inconnue, deboispourri&dunpeu de mouffe tres-fine , le tout paitri en-femble. La paupiere recouvroit cette beule, comma eile auroit fait le globe de Tceii. Avoit-il imagine cet ceil poftiche pour paroitre moins difforme , ou pour fe guerir de fon ceil malade , ou pour le garantir de I'infulte des mouches & autres infefles ? Je lelaifle k deviner, Ce finge d' ailleurs paroiflbit vieux; car il avoit lapeau duvifageaffez ridee, & quelques poils blancs äla barbe. Nous n'avons vu que celui-lä pendant notre fejour ä I'lfle Sainte-Catherine; on nous a cependant dit qu'il y en avoit beaucoup ^ & que Ton niangeoitles jeunes, parce que leur chair eft affez delicate. On a meme voulu me perfuader que le Gouverneur nous en fit fervir dans un repas, & que nous primes tous cemetspour dulapin. [ CesSinges au refte, font desanlmau^ malms fans etre malfaifants j il n en ell: pas cle meme des ferpefnts, c ui ont dans ce climattoute la ferocite de leur nature. Nos Francois marchoient d'abord fans foup^on aupres d eux, mais ils apprirent bientot ä les connoitre parleurs morfures. J UnMatelot, apres avoir coupe de Ther-be pour nosbeffiaux,s etant allisaupres, les jambes nues ,fut mordu presde la che-ville du pied par un ferpent long den-viron un pied & demi, & dont la peau etoit tigree. II ne tint compre de cette morfure ; & fi-tot qu'il fur arrive a bord, il dina copieufement, & lans inquietude. Une demi-heure apres , il lui prit un i^al de coeur ; & voyantfa jambe tres-enflee & douloureufe, il vim m'en avertir. Je comtiiencaipar luidonner de la confiance, pourleguerir de lapeur qui s'etoit empa-ree de Ibn efprit. Pendant que j'en don-naiavis aux deux Chirurgiens de la Fregate , il vomit , ce qui! reitera encore line ou deux fois dans I'intervalle d'une heure. Nous lui fimesavalerdeux gros de theriaque melee avec dix gouttcs d'efj^rit volatil de fei ammoniac, dans un verre de auxTsles Maloui ne s. 159 vin. On appliqua fvir la plaie, dejadeve-nue noiratre , apres }'avoii- fcarifiee , un emplarre de theriaqne pilee avec de Tail. Le mal du cceur continua neaii-moins; il vomit encore deux ou troiß fois. On repeta de nouveau le remede. Sur cesentrefaitesvint ä bord un Oflicier Portuo-ais du Fort Sainte-Croix, ä qui nous racomames ce qui etoit arrive. Le rapport du Matclot, & la defcription du reptile , fireiit juger k I'Officier que ce lerpeiit etoit une des efpeces de ceux que les Nationaux nomment Jararaca. « Son venin eft li dangereux, dit-il, qu'il » caufe une mort inevitable li ceux a c[ui »iln'excite pas le vomiffement dans les » vingt-quatre heures. Mais, puifque vo-»tre Matelot avonii, vousdevez etre raf» fare fur fon compte. Continuez cepen-» dant de lui donner le meme remede, » & joignez y un vomitif. II y a plufieurs » autres efpeces de Jararaca, dent il faut » egalement fe deiier; une lur-tout,qui eft » de couleur deterre, ou de couleur cen-»dree , avec quelques raies plus-brunes » fur la tete •>. Le lendemain , la noir-ceur de la plaie n'ayant pas augmente , i^o Histoire d'ün Voyage nil'enflüre de la jambe, on donna l'em^,^ tique au malade ; & il guerit. Dans fuite, il ne lui eft pas arriv^ d'autres accidents J on a traite la plaie comme une plaieordinaire- On la aufli purge deux fois, & il s'eft toujours bien porte. Aller dans les bois &lescampagnes, c'eftpret que toujours s'expofer ä la morfure des reptiles dangereux , qui y font en grand flombre. Nous avons vu bien des fois des efpeces defillonsondoyesfur le fable du bordde la mer , formes par les traces des ferpents quiavoientpaffe. Si,lorfqueTon a eu le inalheui: d'en etre mordu, on n'y remediepas promptement, il fauts'at-^ tendre k mourir dans les douleurs les plus cruelles. Quelques elpeces , fur-tout Celles des Jararacas, exhalent une odeur forte de mufc: cette odeur eft d'un grand fecours k ceux qui le ffavent, pour fe ga-ranrir de leur furprife. Le Serpent ä Jonnettes , eft un des plus terribles qui naifle dans le Brefil j fa Ion-, geuf va jufqu a trois pieds, rarement paf,' fe-t-elle un demi-piedde plus. Sa couleur eft un gris-de-fer cendre, & il eft re-gulierement onde. A I'extremite de fa queuQ' Aux Isles Malouines. i^i queue , eft attache ce que les Elpagnols nomment fa Cajcabdle, d'ou lui vient le nom de ferpent Cafcabdla. Cette Cafcabelle, qu'ii nous a plu de nommer Sonncite , ä caufe du bruit quelle fait , refl'einble a la coffe des pois iechee fur la plante. Elle eft divifee de meme en plu-iieurs articles oumonticules,quiconiien-nent des offelets ronds, dont le frotte-inent produit un fon affei femblable a ce-lui de deux ou trois fonnettes un peu four-des, ou grelots. Son fifBement tientaufli beaucoup du bruit que font les cigales. La morfure de ce ferpent eil ii dange-reufe , que les habitants des lieux ou il ie trouve , font bien heureux que la nature ait donne il ce reptile un ftgne qui les . avertit de fon approche. On le nomme aufli Boicinininga. [ On ne le fait pas ordinairement une idee jufte du danger qu'il y a d'habi-ter le climat oil fe trouve le Serpent ä fonnette ; il franchit les roches avec une rapidite finguliere : fe replier en cer-cle, s elancer fur fa proie y diftiller fonpoifon&fe renter, font pour lui I'ou-vrage d'un inftant: il nage avec legerer^, Tome /. L ^ 102 Histoire d'unVoyage & attaque les hommes dans la tner, comme dans les foräs; un coup legej frappe fur Ton dos, le tue : on eil inftrui^ de fa mort paf le filence de fa fonnette. ] Je n'ai vu qu'un feul Lezard ä I'lfle Sainte-Catherine j il pouvoit avoir deux pieds de long , & trois' pouces & demi ouquatre de large. Sa peau etoit noire , tachee de blanc de la tete au bout de la queue. Le ventre etoit ä-peu pres de m^-me ; mais le blanc ydominoit davantage; au lieu que le noir & le blanc etoient dif-tribuesprefque egalementpartachesde figures regulieresiurtoutlereftedu corpsj fa forme etoit d'aillcurs ceile de nos Lezards verds de France. M. de Ner-ville j qui etoit avec moi, fe difpofoit ä lui tirer nn coup de fiifil, lorfque je re-connus que l'animal etoit mort. Nous nous en appröchäines; mais comme il exhaloit une odeur fetide , nous ne ju-geämes pas ä-propos de l'examiner avec Ijlus d^ arrention. Seron-ce \eMai>oya, ou e Teju^uacu , ainfi nomme par les gens du Pays , & Iguana par Piibn & Mar» grafF? Les Brafiliens ^prouvent Hncomrno- Aux Isles Malouines. ditede tous les pays chauds , qui eft d'etre tourmentes par des infečlesdont la petitefie empeche d'eviter la morfure. Un de nos Acadiens etant de retour k bord , fe trouva beaucoup incommode d'une petite tumeur qui luieroit furvenue au gros orteil du pied gauche, depuis quelques jours. Cette tumeur augmen-toit, ainfi que la douleur qu'elle caufoit. Onreconnutque c'etoit le Nie[ue du Breill , que Ton nomme Pique au Perou. C'eft un infefte fi petit»qwW eftprelque imperceptible. Voyezla defcription qu'en fait M. d'Ulloa , dans fon voyage du Perou, & qui convient parfaitement k celui que nous avons vu ä I'lfle Sainte-Catherine. On guerit notre Acadien par lextrailion dunid , & par rapplication de la cendre de tabac. Les jambes de cet infefte , dit TAuteur que je viens de citer, n'ont pas le reffort de Celles des puces j ce qui n'eft pas une petite faveur de la providence, puifque s'ilavoit lafaculte de fau-ter, U n'y a pas de corps vivant dans les lieux OÜ fe trouve cet infefte , qui n'en fut rempli. Cette engeance feroit perirles trois quarts des hommes par les accidens L.j quelle pourroitleurcaufer. Elle efttou-jours dans la poiiffiere , fur-toiu clans les iieux mal-propres. Elle s'attache aux pieds, ä la pbnte meme & aux doigts. La Nigua pcrcefi lubtilement la peau, qu'elie s y infroduit ians qu'on le Tente. On ne s'en apper9oit que lorfqu'elle comroencc ä s'etendre, D^abord il n'ell: pas difficile de Ten tirer ; mais quand elle n'y auroit introduit que la tete, eile s'y etablit fi fortement , qu il faut icari-fier les petites parties voilines, pour lui faire lächer prife. Si Ton ne s'en ap-per^oit pas affez tot, Tinfefte perce la premiere peau fans obftacle , & s'y loge. La il fuce le iang, & fe fait un nid d'une tunique blanche & deiiee , quia la figure d'une perle plate. II fe rapit dans cet ef^ pace J demaniere que la tete & les pieds fonttournes vers Texterieur, pour la com-modite de fa nourriaire , & que I'autre partie de fon corps repond ä I'interieurde Ja tunique , pour y depofer fes ceufs. A mefure qu'il les pond , la tunique s'elar-git ; & Hans I'lntervalie de quarre ä cinq jours , eile a jufqu'ä deux lignes de dia-fneire. 11 elt tres-important d® Ten tirer, aux Isles Malouines. i> t'avons d'obligation 1 Que tu as pris de » peine ävenir ! Que tu es beau ! Que tu t> nousfaisde plaifir d etre venu nous voir »I & autres exclamations femblables. Sil'E-tranger veut donner bonne opinion de lui^ il doit repondre par des marques d'atten-driffement. Lery affure qu'il a vu des Francois vraiment attendris , & pleurer, Maisilconfeilleäceux quinon^aslecoeur fi fufceptible de cette impreflion ( c'eft-k-dire ä la home de nos Europeens, quife piquent cependant , mais avec fx peu de raifon , d'avoir plus d'humanite que les Brafiliens) de jetter, ou feindre de jetter quelques foupirs. N'eft-ce pas nous re-procher en peu de mots que nous n'a-vons que le mafque de la politeffe & de rhofpitalite , & que les Brafiliens en ont la realite ? PiJ Apres cette premiere falutarion, Je Mouilcicat, qui s'etoit retire clans un coin de lacabane, affeftant defiiire une flecKe, Oll quelque autre ouvrage, comme s'il ng prenoit pas garde ä ce qui fe pafle, s ap-proche du lit, demande ä l'hote comment il le porte, re^oit fa reponfe, & i'interroge fur le fujet qui l'amene. On doit latisfaire ä routes ces queftions, lorfque Ton fgait Iei langue. Alors, fi Ton eft arrive ä pied, il fait apporter de I'eau , dont fes temmes iavent les pieds & les jambes du Mair : c'efl le nom qu'ils donnent aux Euro-peens. Enfuite il s'informe fi Ton a befoiii de boire ou de manger, Sil'onrepond que i'on defire I'un & 1 autre, il fait fervir fur le champ tout ce qu'il a de venaifon, de volaille, de poiffon & d'autresmets, avec les breuvages du pays. Veut-on paffer la nuit dans le meme lieu ? Non-feulement le Mouffacat fait ten-dre un bel Ims ( hamach) blanc; mais , quoiqu'il faffe toujourschaud auBrefil, ii prend le pretextede fhumidite de la nuit, pour faire allumer autour de I'inis trois oa quatre petits feux , qui font entretenus pendant le fommeil duMair, avec une Aux Isles Malouines. 129 forte de petit eventail , nomme Tata-pecoun, qui reffemble beaucoup ä nos ecrans. Le loir, dit Lcry, pour ne rien fouffrir de iiuifible au repos de I'liote, on fait eloigner tous les enfans. Enfin le Moufiacat fe prefente au re-■veil, vient vous demander fi vous avez Hen dormi, & des nouvellcs de votre iäme. Lors meme quevous repondez d'un air fatisfait, il vous dit, « llepotej-vous » encore , mon enfant, vous en avez be» foin; car je vis bien hier au foir que M vous etiez fatigue». Ceil Tufageparmi les Europeens de leur faire dans ces occa-lions quelques, prefens; & Ton ne doit jamais marcher, fans avoir de qaoi leur ea faire. On fe munit done de quelques pc-tites marchandifcs, telles que des cou-teaux, des cifeaux, des petites piiicettes ä tirer le poil, (ils font dans I'ufage, homines & femmes, de s'arracher le poil de toutes les pardes du corps, lesfourcilsfeuls exceptes) , des peignes, de petits mi-roirs, des bracelets, de pedts grains & des boutons de verre, eniin des hame^ ^ons pour la peche. P iij On pourroit peut-etre douter de cette conduite desErafiliensaTegard desEtran-gers; mais on en feraaifement convaiticu, quand on f^aura que ces liommes , que nous traitonsdebarbares, acaufe de leur cruaute enversleursennemis, ne font An-thropophages qu'ä I'egard de leurs enne-inisdeclares; qu'ilsportent une grande feftion aleurs amis, & ä leurs allies j & que pour garantir ceux-ci du moindre deplai-fy , ils fe feroient hacher en pieces. Ce n'eft pas envers les etrangersfeule- , ment qu'ils font tendres & affeftueux. Dans leurs maladies, lesBrafiliens fe trai-tent mutuellement avec des attentions, Sc des egards fi humains, que s'il eft quef-tion d'uneplaie, levoifinfe prefente auffi. tot pour fuccer celle du malade , & tous ies offices de I'amitie font rendus avec le m^me zele. La R eligion n a cependant point de part lux idees des Braflliens. lis ne con-noiffent aucune divinite (a) ; ils n adorent - (a) Remarqiions qu'ici Dom Pernetty ne fait que gi, ter le voyageiir Liiy ; an refte , qiiand le philofophe le plus judieieux me diroitfur ce fujct,/iji vu, je ne le Aux Isles Malouines. 131 rieii, & leur langue n'a pas meme de ter-mequi exprime le nom ou I'idee d'unDieu. Dans leurs fables on ne trouve rien qui ait du rapport ä leur origins , ou ä la creation du Monde. lis ont feulement quelque hiftoire, qui femble rappeller I'idee d'un deluge qui fit perir tout le genre humain, ä la referve d unfrere &d'une foeur, qui repeuplerent la terra. lis attachent quelques idees de puiffance au tonnerre, qu ils nomment Tupan^ puifqu'ils le craignent, & croient tenir delui la Tcience de 1'Agriculture. II ne leur tombe pas dans I'efprit que cette vie puilTe etre fuivie d'une autre, & ils n'ont point de termes qui expriment le Paradis ni I'Enfer. II femble cependant qu'ils penfent quil refte quelque cliofe d'eux apres leur mort; car on leur entend crolrois pas encore; car la nature eft plus facree pour moi que le temoignage meme du genre humain. I) en eft des atliies dans I'ordre moral, dit un philofo-pnc moderne, comme des monftres dans I'ordre phyfi-que, il eft auffi ImpolTible qu'un grand nombre de perlonnes s'accordent a nier 1'ex.iftence de Dleii, qu il 1 eft, qu une mere engendre conftamment des eiifans ä deux tetes; un peuple d'ath^es contredit plus les leix de la nature qu'un peuple d'hermaphrodites. Philofopliie de la Nature , torn. /, pag. ^g. de I'Editeur. Piv dire que plufieurs d'entre eux ont ete changes en Genies ou Demons qui fe jouiffent, & s'amuient ä danfer dans des campagnes charmantes, & plantecs de toutes Ibrtes d'arbres (a). Les Indiens du Brefil aiment paffionne-ment les chiens de race Europeenne , Sc ils les eleven: pour la chafle. Ceux du pays , quoique lemblables aux notres , conferventtoujours uncaraftere fauvage & carnader. Un Portugals nous en avoit fait prefent de deux, I'un eleve & dejä grand, I'autre encore fi jeune qu'il mar-choit h peine. On fut oblige de fe defaire fncceffivement de Tun & de I'autre ; par-ce que Ton s'appercut que, malgre les corretl:ions, ils etoientacharnes contreles brebis & les poules. Le Gouverneur avoit donne k M. de Bougainville deux chiens de chaffe, n^ayant que quatre mens, & de la plus belle race Portugaife connue. (a"^ Accordc/,, fi vous Ic poiivez, cstte kIilsc confufe de I'immorwlltc tie I'aiiie , & cettc efpece crintelligence fupreme donnec an tonnerre, avec un at'iieifme jjavfait. J'afiirme avcc coiinoiffance de caufe que tons les Voya-Seiirs qui oni vii des peupks d'athees, ont tte contru-JL^oires. A'u/e de I'Eiliuur. aux Isles Malouines. 235 Arrives auxifles Malouines, ils arretoieat natureUement, & fans avoir re^u aucune inrtruftion. M. de Bougainville les a conduits en France, & en a fait prefemäun Seigneur de la Cour, 'CTOWS' CHAPITRE VII. Rome de CIße de Sainte - Cathmne a Monte - Video. LE jeudi 15 Decembre , nous nous embarquames pour la reconnoiiTance des Ifles Malouines; le temps varia beau-coupdans notreroute je charmairen-rtui du voyage , en etudiant les fingula-rites de I'Hilloire Naturelle. Pendant la traverfee,ie vis plufieurs de ces oifeaux que les Marins nomment Da-dins , & des Quebranta- huejfos ou Mou-tous. Un de ces derniers s'etant unjour trop approche du bord, on le tua dun coup de fufil, & on allalepecher. On eft perfuade , fur la mer du Sud, que le Quebranta-hueffos ne fe montre qu'un ou deux jours avant la tempete. Mais nous en avonsvu une grande quan-tite dans les temps les plus fereins, fans que la tempete foit venue enfuite. On repete le meme conte fur Xe^Aicyons, qu'on nomme aulTi Puans , foient qu'ils Aux Isles Malouines. 135 puent en effet, foit par la raifon que rmi n'aime pas ä les voir, etant regardees cotnme des oifeauxde maavais augure. J'avoue cependant que nous n'avons jamais VÜ des Alcyons , fans qu'un gros temps ne foit furvenu. Oil voitles Quebranta-hueflbss'abaif-fer & fe foutenir k fleur d'eau , effleu^ rer les lames, & en fuivre tous les mou-vements , fans paroitre remuer les alles, qu'ils tiennent toujours developpees & etendues j quand ils ne fe repofent pas furies lames, ils voltigent au-tour & tres-pres des Navires. Get oifeau n'a pas le corps plus gros qu'un fort chapon; mais les plumes lon-gues & ferrees , dont il ell couvert, le font paroitre gros commeun coq-dlnde. Son col eft court & un peu courbe j fa tete groffe , & fon bee fort fingulier. Je Tai peim , & on le voitdans la PL VIII. fiS- 3- Ce bee eft comme divife en quatre ou cinq pieces II a la queue courte , le dos eleve, Ip jambes bafles, les piedsnoirs & palmes; il a troisdoigts fur le devant, un quatrieme tres-courtfur le derriere j Histoire d'un Voyage lesuns&les autres armes d'onglesnoirs, emouffes&peu longs. li y a des Quebraiita-hueffos de plu-fieurs efpeces. Les uns ont le plumage blanchätrc, radiere de brun obicur, ou de roiix; d'autres ont la poitritie , le def-fous das ailes, la partie inferieure du col, & to Ute la tete d'une grande blanchcur, mais le dos, !e deffiis des ailes & la partie fuperieure du col, d'un rouge brun , jnouchere de quelques marques d'uii gris bleuatre. Tel etoit celui que nous avons tue. Peut-etre ne different-ils que par le fexe ,& non parlefpece. lis ont tous les ailes fort longues. Celles du n6-tre , avoient fept pieds deuxpouces, de-puis I'cxtremite des plumes d'uiie alle, jufqii'au bout des plumes de I'autre. On iestrouvea plus de 300 lieiieseloignees de touteterre; & Tonne fcair pas quell es font iesretraitesd'ouilsviemient , & oü lis font ieurs nids. Le 22 , nous entrames dans la riviere de la Plata, & nous reconniimes I'lfle Lotos , qui fe prefente comme dans hP/an-che Vl.fig. L On I'a ainfi nommee ä caufe des loups marins qui y font en abondance: nous mouillämes aupres de I'lfle de Mal- axjx Isles Malouines, 237 donade pour y faire eau, & avoir des vivres. Le Commandant du Fort accueillit tres-gracieufement nos deputes, & leur accorda toutes leurs demandes. Toute la cote de I'lile , prefente des Dunes de fable bafles , & il n'y parok dans leloignement que quelques hauteurs , appellees les montagnes des Maldonades, doignees de la cote de quelques lieues. On n'y voit point d'arbres, mais beaucoup de troupeaux de tres-gros boeufs & de chevaux. L'argent & les peaux de bceufs font aufli tout le commerce du pays de la Plata. Nous nous occupames beaucoup de iapeche dans ce parage, & avec fuccesj car ä peine la ligiie etoit-elle ä la iner, qu'on la retiroit avec un poiflbn pris : fouvent on prenoit autant de poiflons, qu'il y avoit d'hamecons ä la iigne. II n'y en avoit que de quatre ou ciiiq fortes. Les uns etoient ceiix que les Efpagnols nomment Viagrios^ta nos Marius'ilfa-choirans. Lcs autres etoient des Carandes ou Camngues^ des Roußettes Demoi-felles & des Requins. Nous pechamesune RoufTete , une Demoifelle & deux petits Requins. Le Machoiran a le ventre plat, Sc quelques barbes ^ comme le Barbillon; la tete groffe, la peau converte de petites ecailles brunes,& prefque imperceptibles, ä peu-pres comme celies de la Tanche • ä. la racine des nageoires, & pfoche de la tete , eft unearretetaillee en forme de feie , dent les dents font inclinees du cote du corps. Cette arrete eft aufli lon^-gue que la nageoire, 6c a les memes mouvements. Lorfave ce poiffonveut fe defendre des autres poiffons, ou du pe-^ cheur , il drefTe ces arr^es , & les en-fonce dans le corps des autres poiffons y dans la main de celui qui le peche, meine dans le hois, s'il le peut, & y de-meure attache. Cette piquure eft ve-nimeufe.Aulfi lespecheurs ie tiennent-ils fur leurgarde ,quand ilspechent. J'ignore s'il y en a de plus gros que ceux que nous avonspris. Le plus tort avoitun pied&de^ mi de longueur fur quatre pouces de large.-Ce poiffon eft d'un excellent gout. On pecha auflx ^ la fois une li grande quannte dune efpece de Bar, qu'on en fournit tout I'equipage pendant deux jours , &: qu'on.prit le parti de faler le Aux Isles Malouines. 139 refte , & de le faire fecher de la fa^on dont on prepare la Moruefeche, ou Mer-luche, ä Terre-Neuve. Le plus gros de ces Bars etoitde la groffeur & de la grandeur du Machoiran. La Rouffete & la Demoifelle font des efpecesde Requinsj ils leur reffemblenttellement, qua la figure il eft aife de s'y meprendre: elles ont environ deux pieds & demi de longueur. Le i4, dans le temps que nous appa-pareillions pour Monte-video , il s'e eva un orage des dIus violents; on ne peut rien voir de plus ,beau que le fpeöacle que nous prefentoient les eclairs conti-nuels & fans nombre , qui s'elangoient d'entre les nuages, ä meuire qu'ils mon-toient furrhorizon. Le Ciel etoit tout en feu; & le feu d'artifice le mieux compo-fe , le mieux nourri & le plus varie, n'a rien de comparable a ce que I'horizon nous a prefente pendant une heure.Nous ne foup^onnions pas alors que nous en yerrions dans peu un autre bien moins fa-tisfaifam. Mais notre Capitaine, qui en connoiffoit mieux le danger & les fui-tes, s'occupoit pendant cetems-lä ä nous en mettre ä convert. 11 fit Haler touteš les vergiics au vent, & les amena , ainfi que les'mäcs de hune & les perroquets; routes les voiles furent aulTi carguees Sc pliees. Nous comptions que I'orage pafferoit ŽL cote de nous: il paroificit en elFet en prendre lechemin; mais enim inftantle vent le plus inipetueux nous afTaillit j les eclairs le tonnerre nous gagnt rent, & on cut toute la peine du monde ä degreer le mat du petit perroquet. Tomes ccs precautions prifes, nous rertamcs lur nos deux cables ä lutter toute la niiit contre I'impetuofite de ce vent & les mugifle-ments d'une mer extremement irritee , qui menagoit i chaque inflant de nous fubmerger. Dans le pays on nomme ce vent Pamperos , parcequ"ilvient des plaincsdes Pam^. pas, au-de ä de Buenos-Ayres. Ces plai-ness'etendent jufques aux Cordillieres, qui les feparent du Chili. Elles ont trois cents lieues au moins, fans aucun hois, ni hauteur qui puifle brifer la fiireur ds ce vent. 11 enfle la riviere de ia Plata ^ dont il eleve ies vagues comme dcsmon^ «agues y iagnes ^ & fait perir fouvent les navires qvü s'y trouvent, en lesfaifaiit echouer iur la cote voifine oppofee au vent. Le mouillage oü nous etions eft des plus inauvais, par la proximite de I'lile de Maldonat, & des cotes qui renvironnent, toutesbordeesde roches & d'ecueils. Un Navite Anglois, charge de piaftres, ou pieces de huit, s'y perdit il y a trente ans. Les habitants de I'lflevoifine de I'en-droit oil il fe brifa, cherchent encore au^ jourd'hui k iaiiver une partie de cette Cargaifon. lis en avoient peclie avec la «irague , deux milie quatre cents, la veille de notre arrivee- Le vent Pamperos eft beaucoup plus fr^uent en hiver qu'en ete, & foufle toujours avec violence j ec qui rend en tout temps Rio de la Plata un lieu de re-läche tres-dängereuXi II n'eft bon que lour le commerce des piaftres & des Doeufs, dont les plus gro« s'y vendent cinq pieces de huit, ou vingt-cinq Uvres» de notre monnoie^ Pour I'ordinaire, leur pnxeft de tfoispiaftres, ouquinze livres. II eft tres-diffici e d'y faire du bois, rant parce qu'il y eft extremement rare, que Tome L Q parce que le peu qui s'y trouve eft le long ■ des rivieres, feuls endroits oii le retirent les tigres, les leopards & les aiitres betes feroces, qui y font en grand nombre , beaucoup plus c rue Is & plus gros que ceux d'Afrique & des Indes Orientales. On trouve depuis Maldonat & Monte^ video, jufqu'ä Buones-Ayres, des figues & des peches. Le , Timpetuofite du Pamperos fe Ibutint pendant la nuit avec la meme fufeur; cependant malgre le roiilis & le tangage continuelsqui lembloient conjures pour nous tourmenter , je dormois affez profondement, lorfque je fus reveille tout-k-coup par une fecouffe affreufe que re9ut le Navire, &qui le fit craquer dans toutes fes parties , comme s'il fe brifoit fur des rochers. II etoit pres de cinq heures du matin. Je faute de men lit, i'ouvre ma fenetre, & je demande au Timonnier fi nous avons touche ši quelques, roches. Non, medit-il, nous n'y fommes pas encore; mais nous chalTons & nous y allons grand train. Le cable de notre feconde ancremouillee a manque j I'autreeftderapee. Ceft la caufe de la fe- Aux Isles Malouines. 245 coufle vlolente que nous venons de feii-tir. Notre relTource eft dans notre grandei ancre que Ton vient de laifler tomber. Je m'habille ; je vais fur le gaillard, & je vois en eiFet que nous avions tellement chafle , que la cote fur laquelle le vent & les vagues nous pouffoient, ne me pa-rut pas eloignee d'une demi-Ueue. On redouble d'attention j & en faifant la ma-heuvfe, une poulie fe caffe, un des eclats va frapper le front d'un matelot qui perd oorinoiflance; tous ces defaftres nous in-quit^toient, mais heureufement, le plus grand n eut point de fuite; le blefle mou-tut quelque jours apres, mais la mer fe ealma. Pendantla tenipete , la riier fut agi-tee jufques dans fon fond ; deux heures apres c^ue la tourmente eut commence , la mer fe creufa de maniere qu'on au-toit dit que nous allions toucher le fond j les lames alors (^toient fi courtes, qu elles ne nouslaiflbientpasle temps de refpirer. Je vis plus d'une fois le bout de lavet-gue du grand mat plonger trois pieds ou environ dans la lame j dont fouvent une partie tomboit fur le pont. Notre pofitiori Qij devenoit encore plus dangereufe par I4 proximire de la cote. Nos Officiers Ma-rins, tous genshabiles,qui avoient com-mande des Navires & desCorfaires, fen-toient Ü bien le peril qui nousmena9oit, que la plupart penfoient dejä aux moyens de fe fauver du naufrage. Le danger leur parut meme fi preffant, que Ton avoit dejidifpofe les canons en chapelet, pour fuppleer aux ancres en cas que les cables vinflent ä caffer. Nous en fumes quittes pour la peur; le 28, nous mouillämesdans la baie de Monre-video. CHAPITRE VIII. ReLdche a Monte-video , & D'igreßon fur les Jefuites. SUr le point d'entrer dans la baie, le Capitaine d'un Navire Efpagnol nomme la Saime-Barbe^VwM de la part du Gouverneur du pays, nous offrir fes fervices, & nous fervir de pilote ; grace ii fon induftrie, nous entrames fans danger, & nous faluames la citadelle de douze coups de canon, qui nous furent rendus coup pour coup. Dans les premiers jours de notre rela.-che, on ne fut occupe que des arrange-mens k prendre avec le Gouverneur de Monte-video, pour nous concilier avec lui pendant notre (e j our. II parut d'abord trou-ver beaucoup de dilBcultes, tant ä nous permettrelapechelelong de lacöfe, qu'ä y laiflcr aborder notre chaloupe & notre canot. II exigeoit qu'au prealable on lui donnat avis routes les fois que Ton vou-droit les envoyer ä terre, afni qu il mit Q "j 140 Histoire d'un Voyage des gardes dans I'endroit oil ils aborde-roient, pour noas empecher de faire le commerce. N'imaginant pas trouver ces difficultes, des le furlendemain de iiotre mouillage on ayoit expedi^ notre petit canot pour pecher au bas du Mont. Le Gouverneur qui en fut averti, donna ordre ^ deux dragons de la garnifon de s'y tranfporter Sc de faifir hommes, canot & marchan-difes, fi Ton en ayoit debarque. MM. de Bougainville , de Nerville , Guyot 8< JBoi, arrivämes au Gouvernement un inllant apres cet ordre donne ^ dont on fit part ä M. de Bougainville. Le Gouverneur, qui craignoit fans doute de ne pas bien ^'exprimer en fran^ois , par-loit en langue efpagnole , & avoir pour interprets un Provencal etabli dans la Ville depuis une quinzaine d'annees. Ce Provencal nous rendit les intentions du pouverneur, de maniere ä nous faire entendre quil n'etoit pas difpofe ä nous ren-dre tons les fervices qu'il nous avoit ofi ferts, & que nous avions lieu d'efperer de lui. Ce n'etoit cependant pas fa fa^on |ie penfcr j & il nous prouva des fend- mens bien contraires dans la fuite de la conference. Cet ordre, qui fembloit confirmer i'in-terpretation du Provencal, eronna M. de Bougainville; il en temoxgna fon reflenti-ment ä M. le Gouverneur. Monfieur, lui dit-il, « il eil: bien dur pour des Francois » de trouver chez les Efpagnols leurs »amis, des difficultes qu'ils n'ont pas » trouvees chez les Portugais avec qui ils » etoient en guerre il y a deux jours; je » vais mettre k ki voile, & j'en donnerai » avis au Roi mon Maitre Le Gouverneur repondit que fon intention n'etoit pas de nous defobliger; mais que les loix & les ordres de fa Cour etoient de ne laiffer faire aucun commerce aux navires qui n'etoient pas Efpagnols , ou autorifes de fa Cour pour cet effet, ni meme ä ccux de les compatriotes qui ne feroient que les Agents des autres nations; qu'une fregate de la Compagnie des Indes, ayant mouille trois ans auparavantdansle meme port, ti'avoit fait aucune difficulte de fe foumettre k ce qu il venoit de propofer. Il y a une grande difference, repliqua M. de Bougainville , entre une fregate Qiv 14S Histoire d'un Voyage i-narchande & une fregate de guerre du R-oi. Nous n'avons aucunes marchandi-, fes j & nous ne fbmmes venus que pour prendre des rafraichiflemens, & attendre a fregate le Sphinx, doiit nous nous fom-ines fepares, & ä laquelle nous avons donne rendez-vous dans Rio de la Plata. V- Des que vous me repondez que Ton ne debarquera pas de marchandifes; vous etes maitre de venir ä terre & d'y en^ voyer toutes les fois que vous voudrez, Mais I'ufage etabli etant d'envoyer uu Soldat par-tout ou les canots metrent k terrc, ne trouvez pas maiivais , je vous prie, que je m'y conforme : c'eft pour votre tranquillite & pour la mienne; car je ne veux pas que ma Cour ait rien ä me reprocher. D'ailleurs vous pouvez compter fur la droiture de mes intentions; car, independamment des ordres que j'ai de traiter les Francois avec les memes egards que les Efpagnols, j'y fuis porte d'incli-? nation, Ainü de part & d'aurre on adou, cit le ton, & la querelle fp terinina par ^es complimens. Le Gouverneur pria enfuiteM, de Bour gainville de lui permettre de prendre co.. Aux Isles Malouines. 249 pie des ordres que le Roi de France lui avoit donnes pour le commandement de nos deux fregates; parce qu'iletoit oblige dei'envoyer ä laCour d'Elpagne,avec le proces verbal de notre mouillage. M. de Bougainville laccorda tres-volontiers:le refte de la conference fe tint fur le ton de bienveillance, & Ton fe quitta bons amis. Le Gouyerneur avoir plus d'une raifon d'agir ainfi: il nous en dit quelques-unes j les autres ne furent pas difficiles ä deviner. Don Jofeph-Joachim de Viana ( ceil le nom de ce Gouverneur) age ačluellement, (en 1763), d'environ quarante- huit ans. Chevalier de Calatrave, Brigadier des Ar-mees de Sa Majefte Catholique, fut charge par le Roi d'Efpagne, du commander ment des troupes eiivoyees au Paraguay contre les Indiens, quia rinftigation, dit-on, des Peres Jefuites, defpotesdans ces contrees, s'etoient re voltes, & refufoient de fe foumettre aux arrangemens pris par les Cours d'Efpagne & de Portugal, pour fixer les limites de leurs poffeffions refpec-tives. Don de Viana fe com porta en fu-jet fidele, & routes fes operations eu^ rentunheureuxfucces, malere les obfta- 7 D 1^0 Histoire d'un Voyage des de routes elpeces que lui oppoferent les Jefuites. Ce n etoit pas le moyen d'ac-querir leur bienveillance, aufTidevinrent-ils fes ennemis irreconciliables; le Gouverneur le f9avoit bien, & il n'en devint pas plus politique (a). Ces Religieux militaires ont ä Montevideo un holpice ou refident deux Pretres &un Frere Lai, qui, ainfi que leurs affides, ont toujours les yeux ou verts, pour epier ce qui (e pafle, & eclairer la conduite du Gouverneur. Celui de Bue-nos-ayres, qui eft Gouverneur general du Paraguay, favorife en tout la ibciete, & ne fefait pas de fcrupule d'etre leur ef-clave , pour fervir d'inftrument ä leur vengeance Jnformes de la raefintelligence (a) A notre retour ä Paris, M. de Grimaltll, Am-baffadeur d'Efpagne en France, fit beaucoup de Qiief-tions ä M. de Bougainville fur la conduite que ce Gouverneur tint i notre egard. Ce Commandant ayant par fes reponfes rendu jufticc ä la probitž de Don Jofeph de Viana, & ä fon devouement i fon Prince, TAmbaf-fadei^ avoiia que les Jtfuites & leurs amis avoient envoys ä Madrid des memoires ä la charge de ce Gouverneur pour le deffervir aupres du Roi, & le faire rs-wquer. M. de Grimaldi dans la fulte a juftifie Don de Viana, 8c !cs Gazettes nous ont apprls que cc Gouverneur avolt čtč continue. qu'ils ont peut-etre fufcitee entre ces deux Gouverneurs , ces Peres ne manque--roient pas d'informer celui de Buenos-ayres des demarches reprehenfibles de Don de Viana , s'il etoit capable d'en faire: & celui-cieneft tres-perfuade. Homme eftimablepartoutes fortes d'en droits j homme d'efprit, plain de connoiffances dans I'art mititaire , rempli de probite, n'ayant rien de la hauteur que Ton repro-che quelquefoisaux Efpagnols, il s'eft acquis I'eftime & la confideration de tous ceux qui le comioiffent. II n'y a qu'une voix fur fon compte, & les Jefuites m^me font contraints de lui donner leur fuffrage, du moins en public. Ces Peres font plus de foixante dans leur Maifon de Buenos-ayres. L'hofpice de Monte-video n eft qu'une petite Maifon, fans apparence, diffinguee de Celles des autres habitants par una petite cloche placee dans une arcade de trois pieds ou environ de hauteur , elevee fur un des bouts ducomble de la maifon. Jenen ai pas VÜ i'interieur, quoique ces Peres m'ayent fait folliciter deux ou trois fois d aller les voir. Le Provencal, dont j'ai Histoire d'un Voyage parle , men fit la premiere propofition chez le Gouverneur, & j'y donnai les mains. Un Officier Efpagnol qui etoit pr^ent, en avertit M. de Bougainville, & lui reprefenta qa'il ne convenoit pas que des Francois allaffent voir les Jefuites, apres ce qui etoit arrive depuis peu ä Buenos ayres. II raconta le fait k M. de Bougainville , & m'ayant enfuite pris a part: Vous etes bon Francois, me dit-il, vous venez de promettre d'aller voir les Peres Jefuites! Je vais vous inftruire dun fait qui fuffirapour vous en detour-ner; c'ell: qu^il y a environ fix femaines, qu'un Jefuite prechant ä Buenos-ayres, s'eft repandu en inveciives contre leRoi de France, contre celiii de Portugal, la Republique deGenes& lesautresPuiffan-ces qui out puni les intrigues de la Sedete. J'etois du nombre des auditeurs, & I'intlecence de cette declamation me re-volta. Que penfez-vous de cette teme-tite ? Je promis de ne pas aller aux Jefuites , & i'ai tenu parole. Deux jours apres , j'eus occafion d e-claircir la vcrite de cette anecdote. Je nVen informal de deux Officiers Efpa- Aux Isles Malouines. gnols qui parloieiit bien la langue fran-^oife , & qui devoient s'embarquer fur ia Fregate la Ste Barbe, pour retourner en Efpagne. L'un etoit Colonel, I'autre Capitaine. Celui ci fe nommmoit Simonen. Iis me confirmerent le fait fucce/Ti-vement, & ajouterent, que comme le Gouverneur general protege les Jefuites, il ne tint aucun compte de ce Sermoa temeraire } mais que des perfonnes da diflinftion, de probite reconnue & titrees, en firent drelTer un proces verbal, qu'elles envoyerenta la Courd'Efpagne, & qu'eux-memes, Officiers, etoient charges d'en porter un double ä. la meme Cour (a). {<»') Ces deux Officiers font partis de Montc-vidco le mtme jour qtie nous. La fregate fur laqiielle ils font, eft comraandee par Don Pedre de Flores, Sc cliargče de i ^ a 1800000 piaftres, de quarante Sctant de mille de euirs de taureaiix 6c de bcaucoup d'autres marchandires. Elle ctoit partie de Cadix en 1755 POur la Guinea, armee ^ur k cotnpte des Anglois, & devoiE tranfporter des Negres k Buenos-ay res; mais n'ayant pas trouvi au Cap-vertl le Navire Anglois, qui devoit kslui fournir,Dojnt Pedte de Flores continua fa route & fe rendit k Rio de^ la Plata. II y ^toit refte depuis ce temps-la, ou ä Montevideo , pour ne pas courir les rifques d'etre prls par '«s Anglois peodant la guerre derniere, Surlesobfervatiomf Deux ou trois jours apres cene con: verfation , j'allai voir un EcclefialH, que, Aumonier d'une fregateEfpagnole mouillee dans le Port de Buenos-ayres depuis cinq mois j je le f^avois tres porte 30ur les Jefuites. On difoit m erne affez lautementqu'iletoit envoye d'eux ä Monte-video, pour acheter tout ce qu'il pour-roit des pacotilles qui fe trouveroient fur notre fregate. II fit en effet emplette de tout ce qu'on voulut lui vendre. Apres le premier falut, il me deman-da pourquoi je n'avoispas ete voir les Peres Jefuites, qui m'enavoient fait prier, & ä qui je I'avois promis. 11 eit vrai, je I'a-vois promis, luidis-je ; mais onm'aaffu-re qu'un de ces Peres a, depuis peu, tres-mal parle du Roi de France mon Makre, dans un Sermon qu'il a preche k Buenos-ayres J & fi ce fait eft vrai, il ne convient pas ä un bon Fran9ois comme moi, d'aller voir lesconfreres d'un Predi-cateur temeraire, Vous etiez fans doute qu'il avolt rccueillies pour faire la carte de cette riviere, & fur nos propres obrervations, a etž ridigee la carte aui forme la Planche V. Aux Isles MalOUINes. lyj' ce Sermon, ajoutai-je.-Oui, )'y etois ; il elT: vrat que ce Pere menagea peu fes termes. — Que dit-il done en particulier du Roi de France ? - Qu'il eft un tyran & un perfecuteur de I'Eglile. Mais il fauC leur pardonner : c'eft leffet du reffenti-ment qu'ont ces Peres de leur expulfion de France. A peine eut - il fini;, que deux des trois Jefuites de Monte-video entrerent dans la chambre ou nous etions. Apres nous avoir falues, un des deux Jefuites m'adref fa la parole, & me temoigna fa furprife fur ce que je ne m'etois pas rendu k leur hofpice: j'en ai dit la raifon k M. I'Abbe, lui repondis-je j & il pourra vous la dire. -Oh 1 je n'en fuis pas furpris; je fgai que les Benddiöins ne penfent pas bien , &: qu'ils ne font pas de nos amis, - Vous vous trompez, lui dis-je; s'ils ne penfoient pas bien, ils feroient de vos amis. Ma re-ponfe ne fut pas de fon gout; il n'ajouta pas un mot, nous fit la reverence , & fe retira. Les Jefuites ne font pas hommes ä fe rebuter pour une epigramme , ils eher- i.^6 HiSTOlilK d'un Voyage cherent ä fe Her encore avec nos Fran^ ^ois J un foir M. de Beicourt , qui avoit pris un logement dans la ville, fe trouva dans la compagnie d.'un Komme inconnu^ peut-etre deguiie , & quiparloit unfran-cois-gafcon. Sufcite vi-aifemblabiement ' par les Jefiütes, qui s'etoient dejä infor-mes des gens de nos fregates, de la reputation militaire de M. de Beicourt; cet homme lui propofa d'aller fervir au Paraguay, pour y former les Troupes. Afin de l'y determinerj il lui promit de ia part des jfefuites, les plus grands avantages. M. de Beicourt feignit d'y donner les mains, fans cependant s'engager en rien; & des le lendemain , il en fit part ä M. de Bougainville. Celui-ci repondit que ta politique pourfoit y trouver fon avantage t que s'il vouloit, par cette meme politique, fe facrifier pour le bien de I'Etat, il feroit peut-etre ä propos d ecouter ces proportions. M. de Belcourt lui dit alors, qu'en cas qu'il prit ce parti, il faudroit que lui, M. de Bougainville, lui donnat mi Certificate comme il n y alloit que de fon confentement ^ & pour le bien pre^ fume de I'Etat. Le Le lendemain, le raeme inconnii re-nouvella ä M. de ßelcourt les memes propoiitions avec plus d'inftance, lui di-lant defe determiner promptement: qu'il ne devoir pas s'inquicter de prendre fes hardes & ies effets ; qu'on lui fourniroit tout ce qui lui etoit neceffaire ; & que, pour que le Gouvcrneinent Erpagiiol n'cn cut aucune connoißance, on le conduiroit par des chemins inconnus jufqu'au lieu oil on I'etabliroit. M. de Belcourt lui demanda quels etoicnt le lieu & les avantages propofes; mais I'in-connu n'ayantrien voulu determiner, & meme pour inieux cacher fon jeu, fans doure, lui ayant parle fur un ton peu favorable aux Jefuites , M. de Belcourt lui declara qu'il ne fe rendoit päs ä les folli-citations. Mais, comme il avoit ä crain-dre le retour , il fe tenoit fur fes gardes. Le foir meme, ä Tenrree de la nuit, il fe trouva tellement ferre de pres par trois hommes, qu'il fe crut oblige de tirer fon epee, & de la porter hors du fourreau , pour fe faire paflage, s'ils lavoient en-toure: cequ ils ne firent pas. Je tienscette Tome 1. fl aventure de M. de Beicourt lui-meme " & il m'a permis de la piiblier. Je terminerai ce que j'ai ä dire (iit les Jeluites par quelques reflexions fur l'ou, vrage de M. Muratori fur le Paraguay. Get Auceur n'a travailie que fur les Memoires que lui a fournis la Societe ou des amis de ces Religieux, gens interef-fes ä ne pas iiiftruire le public de tout ce qui s'y paffe. Des Offiders Eipagtiols pieins de probite , envoyes par la Cour de Madrid au Paraguay, dans le temps des partages des poffeffions reipeftives des Cours d'Efpagne & de Portugal , m'oiJt affure que tous les Imprimes qu'ils onr vü fur la conduite des Jefuites dans ce Pays-lä , tant ä Tegard des Indiens, que par rapport aux interets de ces deux Couronnes, etoient ecrits meme avec beaucoup de menagements pour les Jefuites; qu'un de ces Peres, I'un des prin-cipaux de ce Pays-la , avoit fait en fa prefence la reponfe fuivante, ä un des OfEciers generaux Efpagnols , qui lui te-moignoit la furprife des obftacles que fa Societe oppofoit h I'execution des arraa-r Aüx Isles Malouines. 259 gcments concertes & arretes entre les deux Cours : J'ai bienplus lieu d'etre hon-ne de ce que. les deux Rois s'avifent de j aire des arrangements , pour partager un Po.ys qaineleur appanient pai. Nousfeulsjefia-' tes Favons conquis ; nous feuls cvons droit den dijpofer , de le garder & de le defend re cnverswiis & contre lous.^z laiffeä penfer quelle doit etre la conduite des Jeiuites, avec de tels principes. II eft certain que les Indiens duParaguay n'obeilTentqu aux Jefuites, foitenpais, Ibit en guerre. Der-nierement , lorfque les Efpagnols ont af-ficge & pris fur les Portugais la Colonic du Saint-Sacrement, qui eft a une tren-taine de lieues de Monre-video , les Ef-pagnois avoient k leur fecours environ mille Indiens, h la tete defquels etoit un Pere Jefuite, quiles commandoit en chef, & fans les ordres duquel ces Indiens n au-roient pas fait un pas , ni tire unfeul coup de fufil. M. le Gouverneur de Montevideo , qui commandoit les Efpagnols , & plvifieurs autres Officiers qui s'etoient trouves ä cette attaque , m'ont dit qu'ils eroient obliges de concerter les opera- Ri) 26o HistoiE-e d'ljn Voyage tionsdelacampagne avecle Pere Jefuite qui donnoit enfuite fes orclres cn fon noni aux Indiens, campes feparement des pagnols. (Tous ces faits juftifient afTez les puif. fances qui ont brile le deiponfme delaSo-dete i h cependantces puiffances ont be-foin d'etre julHfiees ). C H A P I T R E IX. Reunion du Sphinx 0 de. I'Aigle. IE Samedi 3 t, nous apper^ume^n ^ navire en pleine mef , & on ji^ea cVabord ä la route qu'il faifoie, qu'il alloit ä Buenos-ayres. Mais , comme nous at-tendions de jour ä autre la corvette le Sphinx , k laquelle le rendez-vous etoit donne ä Rio de la Plata , on fonpgoniia bientot que c'etoit elle. A mefore que le navire s'avan^oit, oiirobferva avec plus d'arLention;&; eiifin Ton fe confirma dans cette idee agreable; M. de Bougainville expedia auin-tot la chaloupe , pour leur faire remonter fans danger la riviere; on donna aux Officiers qui la inontoient , des fufees de la poudrc pour executer les fignaus , & ils partirent fur les fept heures. Cependant ia nuit devint noire , les vents conrraires & la mer grolle; de maniere que n'ayant pas apper^u leurs fi-gnaux , nous tombämes dans de grandes inquietudes. Le Sphinx nousavoit recon- Riij nu j & pour ne pas nous perdrc de vfie, il ne failbit que louvoyer & faire des bor-dees; ce qui, joint al'obfcurite , empe-choit norrc chaloupe de laborder. ElJe y parvintäniiiiuit. Alors le Sphinx mouil, la , & le lendemain premier jour delan, nous le vimes appareiUer. ^n peut juger de ia joie que fa pre-fence nous cauia apres deux mois & plus de reparation. On avoir prevenu M. de la Giraudais de I'errcur des Cartes fur la pofidon des cotes du Breill; mais quoi-que nous faflions fur nos gardes, pen s'ea etoit failu que nous n'euffions echoue fur iin banc qui n'eft pas marque dans les Cartes Frangoifes. Ce banc fe trouvoit fur fd route , comine il s etoit rencontre fur la notre : les Abrolhos n'ont pas aufii fur les Cartes toute I'etendue qu'elles out en efFet 5 tout cela nous fourniffoit de grands motifs d'etre inquiets du retard de fon arrivee , fur-tout apres le fcjour que lions avionsfait a I'lfle Sainte-Cathenne. Sitot que !e Sphinx eur inouille, M. tie la Giraudais vint a notre bord dans notre clialoupe, & nous dit qu'il avoit t^'te contraintde relächer a ^»^•'^JK » fur b aüx Isles Malouines. cote du Brefil; parce que, malgre la defiance qu ils avoient eu des Cartes , ils avoient touche aux Abrolhos dans le terns qu'ils penfoient en čtre encore eloignes au-moins de trente lieues. lis le trouve-rent deffus au milieu de la nuit j heureu-iement le temps etoit calme, & la roche fur laquelle ils toucherent, etoit de pierre argilleufe. Le Sphinx s'etant arrete fur cette roche , ceux qui le montoient, pour eviter les iuites malheureufes du naufrage,mi-rent k la hate la chaloupe & le canot ä la mer; & apres avoir bien vifite le navire, ils revinrent un peu de leur inquietude , lorfqu'ils virent qu'il n'etoit pas endom-mage. Aiitreembarras. H fi^lloittirer le Sphinx de deffus cette roche : des que le jour pa-rut , ils ie virent environnes de fembla-bles ecueiis; & ä un demi-quart de lieue ils appercurent un navire fansmät, & furle cote, Jiigeant alors qu'etant f.ir les Abrolhos,ils n'etoient jas beaucoup eloignes de terre, M. de la Giraudais expe- . dia le bateau vers la cote , pour avoir da lecours. lis rencontrerent plufieurs Pi- Riv 2^4 Histo'ire d'unVoyage rogues de pecheurs Negres & Indiens. On [qot parla la langue Portugaiie , Sc fix d'entre eux confentirent d'atler k bord du Sphinx, 0Ü on les traita bien. Itsprorni-rent tous les lecours qui etoient en leur pouYoir. On en garda deux, & I'onren-voya les quatre autres dans le bateau , pour chercher leurs camarades de la cote.Le iendeinain ils revinrent accom-pagnes d'un grand nombre de Pirogues. Avec leur fecours on vint a bout de dega-ger le Sphinx de deffus la roche , apres qu eile s'y fur repofee trois jours de fes fatigues. M. de la Giraudais en fur quitte pour le bafteau de peche qui fe serdit. Ces Negres le piloterent jufqu'a Togny ^ OÜ , pendant fix jours , les habitants le traiterent lui & fon equipage avec toute rhumaiiite pofiibIe,&: comme s'ils avoient etedu pays meme: ces habitants font ce-oendant prefque tous Negres ou Brafi-iens. M. de Bougainville , les prindpaux Officiers & moi, nous partimes du Port pour aller ä la rencontre du Sphinx ; nous avions deja fait les trois quarts du che-min , lorfqu un vent du Sud-Eft s'deva Aux Isles Malouines. i6) avec affez de force pour nous engager k ibrccr cle rnmes, afiii d'arriver ä bord, avant qu il deviiit plus impetueux. II ie fortifia en effet de ilus en plus. Chaque nuagequi s'elevoit de Thorifondonnoit uii nouveau grain toujoursplusvif que ceux dont i! avoiteteprecede.I'ous ces aflauts reunis qui fouleverent beauconp les eaux, formoient des lames qui grolliflbient de plus en plus, & retardoient notre mar-cKc. Malgre lamer & le vent contraire, nous avionsdeja gagne jufqu'a la portee dufutil du Sphinx ; mais dans Tobfcurite profonde qui regnoit alors , nous ne i'ap-percumes pas, nous ne vimes qu'un petit bateau qui portoit fur nous. Comma les vagues reiitrainoient de notre cole avec violence, nous reconnCimes bien-rot notre petit canot ä la merci des va-gues, niais perfonne n'etoit dedans. L'en-vie de le fauver nous fit changer notre route 5 nous fumes ä fa rencontre, nous le joignimes , jettames deux hommes dedans avec des rames & un grapin , & nous nous diipofames i reprendre notre route. II pouvoit etre alors huit heu-res & demie. Nos eilbi-ts furent inutiles contre la maree , la violence des va-gues & de rimpetuofite du vent. Dans I'iiitervalie que nous avions jette les deux hommes' & les avirons dans le canot, nous avions derive de pins de trois quarts de lieuc, du cötc de I'lfle aux Francois, lituee tout pres de la cote, prefque h I'op-pofite de la Citadelle. L'obfcurite nous empechoit de diflingiier la terre , k 3eine diflinguions-nous les fanaux que on avoit mis a nos deux fregates. Voyant done que nous nous en eloi-gnions de plus en plus au lieu d'en appro-cher, on fe determina ä porter fur la terre, & longouverna du cote oü Ton pre-fuma que laVille pouvoit etre; car on ne )u-geoit defii fituation que par deux lumieres tres-eloignees I'une de lautre. Les lames qui venoient fe brifer contre le canot, y avoient dejä mis beaucoup d'ea\i, que Jious jettions avec nos chapeaux nous etions nous-memes inondes, &ies Ca-notiers tres-fatigues. M. de la Giraudais, apresavoir rame pres dune heure,avoit pris le Gouveniffil; nons ne fcavions oü nous etions, & nousn'avionspointd'eau-de-vie pour nous donner des forces & du Aux Isles Malouines. 2(^7 courage. Dans cet embarras, 011 penfa qu'il n'y avoit rien de inieux ^ faire que de lailTertomberlegrapin, pour donneraux Canotiers le temps de fe repofer. Nous erions prefque determines ä pafl'er la nuit dans cet etat, lorfque M. de laGiraudais cruts'appercevoir que nous chaflions fur notre grapin. II ditau Maitre Canotier de mettre la main fur Thanfiere , pour juger par le tremcuHement, fi nous chafFions en effet. Le Maitre Canotier penfa dV bordque le mouvement qu'il fentoitetoit I'effctdes fecouiTes que le canot recevoit des lames j mais bientöt apres il recon-nut fon erreur, & en avertit. On lui dit de Ibndcr avec la gaffe j ille fit, & ne trouva que trois pieds d'eau , & un fond de roches. On borda les avirons , on leva le grapin, & Ton nagea pres d'un grand quart-d'heure , toujours en fondant, & toujours meme fond. Enfin il fe prefenta un fond de vafe, & fept ä huit pieds d eau. On alloit y mouiller , lorfque les Canotiers prevoyant qu'ils ne trouveroient pas la dequoi fouper , direiit que , puifqu'ils etoienr en train, ilfalloit continuer Smaller coucher ä terre. Charme de voir leur 2.68 Histoire d'un Voyage refolution , oti porta fur une lumiere , que Ton imagina etre celle du corps-de-■ ■ garde, place au feul port oil Ton peut clef-cendrc. Uli moment apres, chacun jetrant les yeux de tous cotes pour fe reconnoitre , nous entrevimes une goelette , que nous lavions n'etre pas mouillee fort au large. La vue de ce navire ranima le courage j Ton fit taut d'eßorts, qu'environ una grande demi-heure apres, nous aborda-mes au port. L'Officier de garde fc pre-fenta pour nous reconnoitre. Un autre Officier avec notre Maitre Can oner fu-rent envoyes pour donner avis au Gouverneur de notre retour ä la Viile ; parce que nous n'avions pxi gagner notre bord. II nous fit faire fon compliment de con-doleance, & prier en meme temps d'aller fouper & coucher chez lui. Bientot apres il parut lui-meme , & n'ofaiit le refufer , nous nous acheminarnes au Gouvernement, Le lendemain nous apprimes que ces deux hommes que nousavions jette dans |e canot qui fe perdoit, avoient eu le bon-heur de relächer dans une petite anfe far Aux Isles Malouinhs, bloneufe, & que la chaloupe du Sphinx qui avoit couru pour I'atteindre, s'etok rendue au fond de la baie fans eprouver aucun dommage : ainfi nous en fömes quittcs pour quelques heures d'inquietu-de, & 1 orage ne fervit qu'ä augmenter le plaifir de nous voir reunis. Cette teropžte fe fit fentir avec desfui-tes plus funeiles ä deux portees de canon au large de nos fregates. La foudre tom-ba fur le navire Efpagnol la Sainte Barbe, quiy avoit ete mouiiler depuis deux jours, pour ^tre plus ä portee de fortir de la riviere au premier bon vent. II y eut dans ce defaitre un homme tue & quatorze bleffes, outre cela fon mät d'artimon fut fracafle. ^ ^ « u /i CHAPITRE X. Des Loix , des Moeurs , & des Coutumet de Monte - video, MOnte-video eft dans un fens une Colonic nouvelle. IIn'y a pas vingt-cinq ans, qu'on n'y voyoit que quelques cafes. Ceft cependant le feul endroit un peu commode pour ie mouillage des na-vires qui remontent Rio de la Plata. Au-jourd'hui c'eft une petite ville , qui s'em-bellit tous les jours. Les rues y font tirees au cordeau, & affez larges pour que trois carofTes y puiffent pafler de front. On en trouvera une vue, que j'ai de/Tinee telle quelle fe prefentoit ä bord de la fregate J'Aigle , pendant notre mouillage , entre Je mom & la ville. Voyez PL VI. fig. i. Lesmaifonsn'yontque Ie rez-de-chauf^ fee fous la charpente du toit. J en excepte une feule, (ituee dans la grande Place , & appartenam ä Tlngenieur qui I'a fait bätir, & y fait farefidence. Elleaunetage & une efpece de manfarde, avec une aüx Isles Malouines. 271 affei longue laillie, aui fupporte nn bal-coii au milieu de la facade. On voit le plan de cette ville PL VI./^. 3. Chaque mailon bourgeoile eil ordinal-, rement compofee d une falle, qui fert d'entree , de quelques chambres pour coucher, & d'une cuifine, feul endroit oü il y ait une cheminee, & oü Ton fafle du feu. Ces maifons font done propre-jnent un rez-de-cliauflee de quatorze ou, quinze pieds de hauteur, y compris le comble. La i^iece d'entree du Gouverneureft une falle d'un quarre-long,qui ne revolt de jour que par une feule fenetr® aflez petite, avec un vitrage, moitie papier , & moitie verre ; le bas de la croi-lee eft ferme par une menuiferie. Cette falle peut avoir qiiinze pieds de large fur dix-huit de long. On paffe de-lä dans la falle deCompagnie, qui eft prefque quar-ree, ayant plus de profondeur que de largeur. Au fond, vis-ä-vis l'unique fene-tre qui 1 eclaire, on voit une efpece d'ellra-de large de fix pieds, couverte de peau xde Tigres. Aumi ieueft un fauteuil pour Madame laGouvernante, & de chaque cöte fix tabouretsrevetus, comme le fauteuil. vj^ Histoire d'un Voyage de velours cramoifi. Tovite Li decoration confille en trois mauvais pctits tableaux & quelques grands plans, moitie peints^ moitie colores,encore plus mauvnisqnant ä la peinture. Lesfieges pour les hommcs occupent les deux autres cotes de la falle. Ce font des chaifes de bois, ä dolTier fort eleve^de la forme de nos chaifes du temps de Henri IV, ayant deux colonnes tournees, poiir accompagner un cadre qui orne le milieu , revetu de cuir , eilampe endemi-relief, ainfiquele fiege. Laporre de communication de cette falle älachani-bre qui fiiit, oii couchent le Gouverneur & fon epoufe , n eft fermee que par une efpece de rideau de tapifferie. Les deux angles dc cette falle, aux deux cores de la fenerre , font remplis , Tun par une table de bois, fur laquelie efttoujours expofe ie cabaret ä prendre le mate; I'autre par une efpece d'armoire, furmontee de deux ou trois rayons, garnis de quelques plats & de quelques tanes de porcelaine. La Dame de la maifon eft la feule qui s'affeoit fur l'eftrade , quand il n y a que des hommes en fa compagnie , ^ moins quelle n'en invite quelques-uns a venir Avx Isles Malouines. 275 venir fe placer fur les tabourets aupres d'elle. Ces ialles font d'ailleurs, generalement parlanE, fans plancher & fans carrelage. On voit de Finterieur les roleaux qui Ibu-ticnnent les miles de la couverture. Les Efpagaiols de Monte-video font fort oififs; lis ne s occupent gueres qu'a con-verfcr enfemble, h prendre du mate , & ä fumer une cigare (i:). (a^On nefefert pas de pipes h Monte-videOjTil dans les etabllfTemens ErpagiioSs en Amertqiie. lis fiiment, ce que les Francois ifef Ifles Antilles appei'knt fitmsren hut. CeS bouts que les Kfpagnols nonimeiiE Cigares, ou Cig.iUs f ou Sie^arL-s, font de petlti cylindres di fix ä lept puuces de long, & de cinq a fix lignes dc dlaniecre, conipoftis (.le reiiilLes de tabac roisleesTuna fur I'auti-e , dc la queue ä la pointe. Coiix que j'aL vu fitbriqucr ä Monte-vidso na font faits que de deux ou trois teuilles au plus,. Elles font rou-lees fort legerement, afin de kiffer unllbre paffnge a la fitmic ppLi- les interilices qui fe tfoiivent entre elles, Ordi-nnirenicnt les d^ux bouts font litis d'lm psu de fil, qu"' em-peche la feuille de fe derogier ^ & I'on a foin , en finif-lant le cylitidre, de niouillcr d'un peu de colle de fariiie-trei-cbire , h derniere extrimite qui coniplette le rou-lenu. Ou allumc un bout de ce cylindre, &. Ton tient lautre dans la bouthe, poiirinfpirerenfuitclafumeeycomins-lon feit avcc une pipe ordinaire-Uji Efpagnol nem ardie jamais fans fa provifion declgare* qu i) met en paqucts dans una efpece de petite gibeciere, flu fac de peau parfum^e, un peu plui grand que nos por-- Totns L S Les MarchaiidsS: quelques Artiftes en tres-petit nombre, font les leuls gens oc- tes-lettres. Jamais ilne manque,fur-touteniortantdeta-ble, de prefenter des cigares fes convives. Lafumee en eft beaucoup ])!iis douce que celle que Ton tire par le tuyau d'une pipe. J'iinagine que le tabac dont ces cigares iontfaitcs, elt d'une cfiiecc plus douce que celui dont ils font des andouilies en forme de fuieaujpour prendre en poiidre; ou bien ils lui donnent iine preparation qui I'adoucit; & qui confifte, je penfe, a faire tretn-per lafeuille dans Teau pendant quelcfues lieures, avant que de la foiiler. Nos niatelots, qui fiunoicnt du tabac ca andouilies, fe plaignoient de fon äcrete, & difoicnt qvia la fiimee de ce tabac leur peloit la gorge. Les Efpagr.ols ne donnent pas au tabac la meme pi'cpi-fationqiielesPortugalsduBrcfd:aufli n'eft-ilpas abeaii-coup pres , fi bon. Les Portugals, cn Le filant comijie une corde, dont lagroffeur n'excede pas un posice de dia-metre, I'huineftent d'un peu d'eaii de mer, melee avec dii fyron de caiine ä fucre; ce qui I'entretient gras & frais. Celui ties Efpagiiois eft toiijours extremenient fee; les andouilies ou fufenux font d'une livre & deniie, ou deux livres. Les Portugals mettentleur tabac tile en Roiie. Pour cela ils rentortillent amour d'lm morceau dc bois gros ' comme le poignet, comme on fait en Francc i e celui qifonconnoit fousles iionis de tabacafumer,ouih ttihac de caiiüne. Ces Rolles font depuis dix jufqu ä deiix cents livres, & fontenveloppesd'un cuirverd ou fans apprets. Quoique le tabac du Brefil foit peut-etrc le plus excellent qu'il y ait, perfonne, au-moins au goutFran^ois, n'en p rend de plus mauvais en poudre que les Portugals de cc pays-lä. lis ne le rapent pas; lis le coupent en petits itior-ceaux, commes'ils vouloientle fumer dansunepipe rils ic iiiectent enfuite fiir unc plaque de fet ou de cuivro,lou- AUX I SLES MALOUINES. I75 Cupes dans Monte-video. II n'y a point cle boutiques apparentes, ni d'enleignes (juiles annoncent j on eft afliire den trou-ver une lorfqa'on entre dans line maifon fituee ä Tangle formee parla rencontre de deux rues. Le meme marchand vend du vin, deleau-de-vie, de 1 etofe, dulinge, de la clinquaillerie, &c. Le terrein des environs de Monte-vide© , eft une plaine k perte de vüe. Le Toi eft noir, fort, & produit abondamment des qu'on y donne la plus legere culture. Ii n'y manque que des cultivateurs, pour en faire un des meilleurs pays du monde. L'air y eft fain, le ciel beau; les dialeurs n'y font pas excellives. Le bois cepen-dam y manque , & I'on n'en trouve que le long des rivieres. tenue par trots pieds fur un feu doux, o-:i ik Ic laiffcnt eher, jufcju'a ce qu'il pullTeetrcreduit en poudri;. On le pile apres cela dans uti niortier , on Ic tain'ife; & pourlui tHer I'odeur defagreable de brule qu il acquLen en fechaQC aiiift, on y melc quelques odeurs dd fleurs^ chacun fui-vant fon gout particulier. Les Portnpis prčferolent au kur celui que nous avions apporte de France. M. deBou-^^vTn" fitprifent de deuxUvrcsä M. le GouTerncm' de 1 ifle Sainte-Catherine, dans une ca.c ds pofcelainc inontee en argent, Sii Les Efpagnols cle Monte-video font vetiis ä-peu-pres comme \cs Porrugais de Hile Sainte-Catherine j niais ils portent alles communement des chapeaux blancs, ä alles rabattues, d'une grandeur dome fur ee. Les femmes y font afTez blen pour la taille & la figure j mais on ne fcauroit leur dire avec verite qu'eiles ont un teint de ■lys & de rofe ; leur vifage eft reinbruni^ & comm\inement les dents leur man-quent, ou ne font pas blanches. Leur habillement confiile, Texte-neur, en un corfet blanc ou de couleur, fans ajuftement j il fuit Ics ]>roportionsde la taille, & fes bafques defcendent de quatre doigts fur le jupon. Ce jupon ert d'une etoffe plus ou moins riclie , fuivant les facultes ou la fantaifie de celle qui le porte. 11 eft horde d'un galon ou d'une crepine d'argent, d'or, oude feie, quel-quefois ä double rang; mais fans falbalas. Elles ne portent point de coefiures de teile ni de dentelles. Un leul ruban, pafTe autour de la tcte, tient leurs cheveux reunis iur je fomniet j d'oti, en paffant fur le der-riere de la tere, ils tombent en deux ou trois treffes iurledossquelquefois jufqii';! la jarretiere. Le> plus longs leur paroif-lent les plus beaux, Quancl dies Torrent, elles paflent fur la tete une piece d'etoffe fine, blanche & de laine, bordee d'un galon d'or, d'ar-gcnr, ou de foie. Cette piece d'etoffe , qu'clles nomnicnt i^udia ou mantille , couvre anffi les epaiiles & les bras, & dei-cendiuiquaudefTousdelaceinture, Elles croifent les deux boms fur la poirrinc, ou les palient fons les bras, comme nos Dames Frangoifes font de leur mantelet. Lorfqu'elles portent cette efpece de voile dans a maifon, ordinairement elles ne le laflenr pas fur b rete (a). Mais dans ' es rues & h TEglife, elles I'arrangent fur leur tete de manierc qu'on ne leur voit qu'un ceil & le nez^ & il eii alors impofTi-ble de les reconnoitre. ^ Les femmes font chez elles au-moins avec autant de liberte qu'en France. Elles recoivent la compagnie de tres-bonne grace, & ne fe font pas prier pour chan- tpX «^itelets font cn nfage parml l.es payfannes S iij 278 Histoire d'uh Voyage ter, danfer, j oner de la Harpe, de la gui-tarre, du tuorbe , ou de la mandoline. Elles foRt en cela bcaucoup plus complai-fantes que nos Fran^oifes. Lorfqu'eltes nedanfent pas, elles fe tiennent aflifes fur des tabourets, places, comme je Tai dit, fur una efpece degrade au fond de la falle de compagnie. Les liommes ne peuvent s'y placer que lorfqu'on les y invite; Sc une telle faveur prouve une grande fami, liarite. La manlere de danfer des Dames tient de I'indolence dans laquelle elles paflctit leurs joxirs, qiioiqa elles foient naturelle-iTientfortvives. Dans la plupart de leurs danfes, elles ont les bras pcndans, ou plies fous la mantille , qu'elles nomment auffi Rehos. En danfant le Sapateo , une des danfes le plus en nfage, elles tiennent les bras deves, & frappent des mains, comme Ton fait quelquefois en France en danfant le rigodon, Le fapateo fe danfe fans changer beaucoup de place, & en battant altern;uivemenr du bout du pied & du talon, A pdne fembietJt-elles re-iTiuer. Elles paroiflent plutot glifler feute-ment le pied , que marcher en cadence. II y a cependant une danfe fort vive & fort lafcive qu'on danfe quelquefois ä Monte-video; on I'appelle Calmda^ & les Negres auffi-bien que les Mnlätres, dont le temperament eft embrafe, I'aiment ä la fureur. Cette danfe a ete portee en Amerique par ies Negres du royaume d'Ardra fur la cote de Guinee. Les Efpagnols ia dan-fent comme eux dans tous leurs etabliffe-mens de TAmeriqiie, fans s'en faire le moiiidre fcrupule. Elle eft cependant dune indecence qui etonne ceux qui ne la voient pas danfer habituellement. Le gout en eft li general & ft vif, que les en-fans merne s'y exercent des qu'ils peu-vent fe foutenir fur leurs pieds. La calenda fe danfe au Ton des inftm-mens & des voix. Les afteurs font difpo. fes {ar deux lignes, l\me devant I'autre , les hommes vis-a-vis des femmes. Les fpeftateurs font un cercle autour des dan-feurs & des joueurs d'inftrumens. Qnel-qu'un des aftenrs chante une chanfon , dont le refrein eft repete wr les fpe^a-teurs, avec desbattemens ce mains. Tous ies danfeurstiennem alors les bras ä demi- Siv Histoire dun Voyage leves, fautent, tournent, font des con-torfions du derneve, s'approchent ä deux pieds ies nns des autres, & reculent en cadence, jufquä ce quele ion de I'infti-u. mcnt, ou le tondc la voix, les avertifie de ie rapprocher. Alors ils le irappent du ventre les uns contre les autres deux on troi£ fbis de iuite& s'eloignent apres en pirouettanr pour recommcncer le meine iBouvement, avec des gelles fort lafcifs, iiutant de fois que Tinflrumeat ou la voix en dotine le fignal. De temps en temps ils s'entrelacent ies bras, & font deux ou trois tours, en continuant de fc frapper du ventre, & en fe donnant des bailers, raais fans perdre la cadence. On peut iiiper combien notre educa-■tion francoife fcroit ctonnee d'une danfe «uifii lubtique. Cependant Ies relations de Voyages nous allurcnt qu eile a taut de charmes pour les Efpagnols meme de FA-merique, & que Tufagc en efc ü bien eta-bli parmi eux, quelle entre jufquesdans Jeurs r.cles de devotion: ils la danfent dans i'Eglife & dans leurs Proceflions: Ies R.e-ligieufes m^me nt manquent gueres de Iii danfcr la nuit de Noel fur uu theatre Aux Isles Malouines. 281 eleve clans leur chceur, vis4-vb tie la grille , qti'elles deniient onverte po^ir faire part du fjjeftacle au peuple ; cette taleiida facree n'eft diftinguee des profanes que parce que les honimes ne dan-lent pas a\'ec les reJigieiifes. Le Gouverneur & les Niilitaircs font Iiabilles ä la Francoife , mals ils ne frifent ni ne poudrent lours cheveiu:, ainft que les femmes.Ilsviventaufiidani une grande oiflvete. Les gens cu commiin, les Mulatres & les Negrcs, au lieu de manteau , portent une piece d'etoffo tayee par bander, de diffcrentes coulcurs , fendue. feulement dans le milieu, pour paffer la tete. Elle tombe fur les bra; & couvre julqu'aux poignets. Pa^-de^•ant & par-derriere elle delcend jufqu'au deiTous du gras de la jambe, & ei1frani;ee tour au t^^ur. On lui donne le nom de Poncho ou Chony. Tous le portent ä cheval, &le trouvent beau-coup plus commode que le manteau & la redingote. M. la Gouverneurnous en montra un , brode en or & argent, qui lui coutoit trois cents & tant de piaftres. aSz Histoire d'ünVoyage On en fait au Chiii du prijj de deux raiile j & c'eft de cette contree, qu'on en a em-prunterulage ii Monte-video. Le Poncho garantit de la plvie , ne fe defait pas au vent, fert de couverture la nuit, & de tapis en campagne. On voit routes ces figures PL XV. La maniere de vivre des Efpagnols eft tres-fimple. Les hommes qui ne font pas occupes au commerce, le levent tres-tard ainfi que les femmes. lis reltenten-luite les bras croifes, jufqu'ä ce qu ii leur prenne fantaifie d'aller fumer una cigale avec leurs voifins. On les trouve fouvent quatre ou cinq, debout ä la porte d'une maifon, caufant & fumant. D'autres mon-tent h cheval, & vont faire , non un tour de promenade , dans la ^laine , mais un tour de rne. Si I'envie leur prend , ils defcendent de cheval, fe joignent a la compagnie qu ils rencontrent , caufent deux hexires, fans rien dire , fument , prennentdumat^, & remontent k cheval. II eft tres-rare en general qu'un Efpagnol fe promene a pied , & ou voit dans les rues, autant de chevaux que d'hommes. a.ux Isles Malouines, iSj Pendant la matinee, les femmes de-menrent affifes fur un tabouret, au fond de leur Salle, ajant fous les pieds, d'a-bord une natte de rofeaux furle pave;& par delTus cette natte , des manteaux de Sauvages, ou des peaux de Tigres. Elles y jouent de la guitarre, ou de quelque autre inftrument en s'accoinpagnant de la voix, ouprennent du mate , pendant que les Negreffes appretentle diner dans leur appartement. Vers midi & demi ou nne heure, on fert le diner, qui confifte en du boeuf ac-commode de differentes fagons, mais tou-jours avec beaucoup de piment & de fe-fran. On y fcrt quelquefois des ragoütsde moutons , qu ils nomment Camera , & quelquefois du poiflbn , rarement de la volai le. Le gibier y abonde; mais les Ef-pagnols ne font pas chaffeurs ^ cer exer-cice les fati^ueroit. Le deffert e'il com-pofe de confitures. D'abord apres le diner, Maitres & Ef-claves font ce qu'ils appcllent la Skfia , c'eft-a-dire qu'ils fe deshabillent, fe cou-chent & dorment deuxou trois heures. Les ouvriers, qui ne vivent que du travail de 284 Hi s to ire d'un Voyage leurs mains, ne fe refufent pas ces heu-res de repos. Cette bonne partie de la journee perdue, ell: craife qu'ils font peu d'oiivrage, & voilace qui rend ia main-d'oeuvre excciTivement chere. Peut-etre auffi cette inertie vient elle de ce que Targent y efl tres-commun. II n'eil pas iurj^rcnant qvi'ils foient in-dolents. La viande ne leuu cnute que la oeine de tuer, d'ecorcher, & de couper e laureau pourrappreter. Le pain y ell a tres-bon marche. Les peaijx detaureaux & de vaches leur fervent k faire des facs de toutes efpeces, &a couvrirune partie de leurs niaifons. Cespeaux font fi communes , que Ton en trouve des lambeaux cpars ca ik la ie long des rues peu frequen-tees , dans ies Places & fur les murs des jardiiis. On trouve peu de ces jardins cultives, quoicue chuque maifon ait le fien. Je n'en vu qu'un feul aflez bien entretenu , fans doute parce que le Jardinier etoit Anglois. Aufii les legumes y font rares. Celui qu£ Ton y cultive le plus eft le Se-fi'^in ou Carthame , pour la foupe & les fauces. Aux Isles Malouines- zSy II eil ordinaire auxEfpagnols d'avoirune Maitreffe. Ceux qui en ont des cnfents,leur donnent une efjjece de legitimite) en re-connoiirant publiquement qu'il.s en font les peres. Alors ces enfants heritent d'eux , ä-peu-pres cominc les enfants legitimes. Iln'y a pas de honte attachee i la bätar-diie ; parce que les Loix autorifent cette naiffance, aa point dc donner aux bä--tards meme le titre de Gentilsbommes; & de lelles loix paroiffent plus conformes ä rhumanite, en ce qu'eiles ne puniffent point vin enfant innocent du crime de foa pere. Les ceremonies de la Religion font ä-peu pies les meraes qu'ä Madrid. Pendant tout le temps de la Mefie , un habitant joue de la Harpe, dans une tribune , fans doute pour tenir lieu d'orgues. Je n y ai vu de parriculieres demonlbations de devotion , que celle de fe frapper la poi-trine a ciiiqou fixrepriies,depuis lecom-Jiiencement du Canon jufquapres la Communion. Le Rofaire y eft encore fort en ufage ; & c'eft prefque la feule priere qu'onfait ä Monte-video. Les Portugals de Sainte-Catherine, Blancs, Noirs Histoire d'un Voyage & Mulatres, font tous gloire d en avoir, lis ont nuffi beaucoup cle devotion au Cca-pulaire du Mont-Carmel , Hommes Sc temmes en portent. Au moyen du fcapu-laire & des A villas, ils fe croyent ä labri de tous les perils, & en furete pour leur falut eternel. Ces AviUas qu'on leur voit pendus au cou , font une efpece de cha-taignc de mer, reiTemblanr k une feve plate & ronde, de la largeur d'un petit ecu, & de deux ligaes & demie d epaif-feiir ;la peau eft grenue & chagrinee tres-fin, co'uleur claire de chataigne j ä lacir-conference efl: une bände noire , qui en fait prefque tout le tour. J'en amaffai beau-cou 3 fur le bord de la meräl'Ifle Sainte-Cat lerine, fans les connoitre , & j'en ai v.u plufieurs montees en argent chez un Orfcvre k Monte-video. 11 me dit que , portee au col, eile prefervoit du mauvais air & des forcier s. A chaque Autel eft un voile qui regne depuis le haut jufqu'au bas, toujours rendu devant la principale Image. Au commencement de la Meffe , le Servant tire le cordon qui fufpend ce voile , & il de-couvre I'lmage: laMefTe finie, illaifle re- Aux Isles Malouines. tomber le Store, & ce Tableau ell voile. II n'y a qu'uii feiil Ecclefiaftique clans la Ville qui nous fit beaucoup d'accueil; il avoir connoiifance , non-feulement de ce que le Roi de Portugal avoit fait contreles Jelliitesde Tes Etats, mais encore de ce que les Parlements de France & le Gouvernement avoient ftatue contre cette Societe. II me pria meme de lui donner en ecrit le precis de ce que reprefente le celebre Tableau trouve chez les Jefuites de Billom en Auvergne, lots de Tinven-taire qui y fut fait des meubles & des biens de ces Peres, apresla condamnation & lafuppreffion de leur InlHtut en iy6z & 1763 , & lafecularifation de fes mem-bres. Je fatisfis fa curiofite fur ce monument autemiqiie de la folic Jefuitique. Ce Cur6 eft homme de bon fens , generale-ment aime. II a une trentaine d'Efclaves, qu'il aime comme fes enfants. II les eleve bien,& leur donne enfuite la libene, avec quarante ou cinqnante taureaux, pour les mettreen etat de vivre fans dependance. La Cure de ce bon Pr^tre, avec fes revenus particuliers, peuvent lui valoir pres de quatre mille piaftres. Me crouvaiit un Jour cliez le Gouver-T^eor, je lui temoignai rnon etonnement (ie ce que ies habitants de Mpnte-video ne s'avifoient meme pas de fe procurer de I'ombre dans leurs jardins & dans les Placespubliques, en y piantant des arbres qui ferviroient ä 1 utilite & k i'agrement; il nous dit, que cette decoration ne man-quoit pas totalement au pays, & que lui-ineme avoir fait planter un joli bois dans line maifon de campagne qu'il avoir ä environ deux lieues de la Ville. II propofa erx iiieme temps la partie d'y aller ä cheval le lendemain apres-midi. Nous acceptaipes ] a c avalcad e d ans 1 e deffein de v oir le pays, & de verifier ce que lui & tant d'autres nous avoient dit d'etonnant & de merveil-leux fur les chevaux du Paraguay. Le i our de la partie , M. de Bougainville , les principaux Officiers & moi, novjs nous rendimes au Gouvernement, OÜ nous tfouvames des chevaux prets, Madame la Gouvernante , babillee en Amazone & coefFee d'un cliapeau horde d'or retrouffe ala militaire , fe mit ä la tete de la cavalcade, fur un chevalfuperbe, clont la bonte egaloit I'apparence. Nous arrivämes Aux Isles Malouines. 2S9 arrivämes au bout d'vine grande heure au bciquet du Gouverneur^ cetenclos deii-cieux confifte en pommiers, poiriers, pž-chers & figuiers, blames en allees , mais peu regulieres, A Fonen excepte celie du milieu, qui a de longueur pres d'une demi-lieue. Ui;, ruiiTeau aüez confiderable ler-pente au travers du verger; ies allees font fort champeires, ä caule des plantes hau-tes & baffes qui y croiffent fans culture. La melilTe fur-touty vienten abondance. Les arbres etoient fi charges de fruits, que la plüpart des branches n'ayant pu en fupporter le poids, etoientdejä brifees; & tous ces fruits, dit-on, font excellents. Nous ne pumes en juger, car lis ne de-voient etie en maturite qu'h la fin de Fe-vrier ; ils avoient au-refte une tres-belle apparence. On lourroitfaire de ceverger iinepro-rnenade charmante; mais le Gouverneur n y fait pas travailler, parce qu'il eil dans le deflein de retourner en Europe, oii il compte fixer fon fejour. Ceft dans ce bofquetque je liai con-noiffance avec un Francifcain nomme le Pere Roch, qui ^toit Precepteur du fils Tome /. T 190 Histoire d'ünVoyage tie Dom-Viana. Pendant la promenade nous raiibnnames en langue latine , fur quelques points de Phyiique; & il mefut aile dc connoitre qu'il ne I'avoit gueres etudice que dans les ecoies de la Philofo-phie d'Ariilote. II m'avoan meme qu'il y etoit tres-attache. Jeßds , me dit-il, Pd-ripatitidcn & Scotiße pour la vie. Nous avons dme plufieursfois chez le G ouver neu r, qui noiis a ton j ours do nne des repas auffifpiendides que ie pays peut le jiermettre; niais les mets y etoient appretes Inivant l'uü^e; c efta-dire, la p lup arc avec de la graifle de bcauf rafinee , qui leur tient lieu de beurre ß: d'liuile 3 & alTai-Ibnnes de tant de piment, & de cartha-me,que les viandes en etoient toutes cou-vertes. On avoit cependant foin de ne pas mettre ces epices fur tons les mets. Les vins d'Erpagne & du Chili nous fer-voientde boilibu; les plats & les afliertes etoient d'argent J ily en avoit auflidepor-celaine. Une nappe tres-courte couvroit ia table, & les ferviettes etoient un peu pluspetites que desmouchoirsmediocres, frangees naturellement; ou pour parier plus correfteraent, effilees par les deux aüx Isles Malouines. 191 bouts. Les Elpagnols ne buivent ordinai-renient que de i'eau pendantle repas äla fin on apporte \ chacun un grand ver-re de vin, fans meme qu'on ie demande^ Qnand nous demandions de I'eau & da vin , on lesapportoit done Tun apres Taii-tre,& il falloit les boirefeparement. Le vin du Chili a la couleur d'une potion de ihubarbe&deiene;fongout en approche affez. II prend ce gout peut etre du ter-roir, peut- etie aufli des peaux de bouc gaudroneesdanslefquelles onle tranfpor-te. On n'en boit gueres d'autres dans tout le Paraguay. On fefait bientot ä ce gout-lä; & quelques jours apres en avoir fait fon ordinaire,onle trouve bon. II eit rres-chaud fur reltomach. Mais foit gout, foit fantaifie , les Efpagiiols prefcroient celui de France que nous y avons porte. Le I de J anvier, nous allames a iMon-te-video faire au Gouverneur notre compliment fur la nouveile annee ; nous ne f?avions pas que cette ceremonieeftren-voyee dans ce pays-lä , au fixieme du mois, jour deTEpiphanie. II etoir occu-pe b. tenir lafTemblee pour la nomination des Officiers de la Jiittice. Avant appris ^Tij qu'apres cette nomination, il devoit aller avec tout fon cortege , ä TEglife' Paroif-^iale, qiuli nomment la Cathidrale ; nous nous y rendimcs ä midi & demi. 11 parut au milieu des nouveaux Ofliciers de la JuiHce , ayant tons de grandes baguettes blanches fi la main, cJont ils fe fervoient comme de batons, pour s'appuy er en mar-chant. II traverfa la p!acc au milieu de ces Officiers, ranges fur une mžme ligne, ayant leur grand manteau noir & leur TOtin , comme I'Oidor de I'lfle Sainte-Catherine. La ceremoniefinitcomme en Europe, par une Mefle, & par un grand diner. Comme Monte-video n'eft point peu-Ae , on y encourage les defertions dans es troupes etrangeres; nous perdimes durant notre fejour fix Mateiots & un Colon defnne pour les Illes Malouines; le Gouverneur, ä la ibllicitation de M. de Bougainville , qui promit dix piaftres pour chaque Deferteur qu'on lui ainene-roit, envoya des Dragons ä leur pour-■fuite i mais ils n'en donnerent aucunes nouvelles. Je penfe meme qu'on leur en auroit promis cent, qu'ils n'en auroienc Aux Isles Maloui nes. 293 arrete aucun ; il elt de Tinteret de I'Ef-3agne qu'il reite beaucoup d'hoinmes dans e pays , pour le peupler. II n'eil: permis k aucun etranger de ven-dre des inarchandifes ä Monte-video; ce-pendant , malgre les difficulies qu'il y avoit ä les dä^arquer, & les dangers qu'on couroit ä les vcndre , plufieurs de nos Officiers, & des gens de I'equipage, qui av'oient fait des pacotilles,dans I'efpe-rancede lesvendreä I'lfle deFrancc & aux Indes Orientales oü ils penfoieni que nous alliens, s'en debarraffercni:. Comme noTre navire etoit aborde le premier dans le Pays, depuis la paix, tout s y vendit tres-bien. Les Gardes ne confifquerent que quelques paquets portes imprudemment, & M. de Bougainville parut approuver hautement cette rigueur; ce quiperfuada les Efpagnols qu'il n'autorifoit point la contrebande. Dans la fuite, en donnant quelque argent aux Gardes Efpagnols, & meme ä I'Offi-cier qui les commandoit, on vint a bout de n'efTuyer aucune difficulte. Comme nous etions cenfes n'avoir pas de la mon-noie d'Efpagne , & que celle de France Tiij 294 Histoire.d'ük Voyage n'a pas cours dans le Pays, M. de Bougainville demanda & obtitit la permiflion de vendre quelques pieces de vin , d'eau-de-vie , d'huile, & pluHeurs autresMar-chandifes qu'il avoit de (uperflues, pour scquiter toutesles dettes du navire; enfin la bonne intelligence emre nous & les EC-pagnols, dura pendant tout le temps de fiotre relache ä Monte-video, CHAPITRE XI. Dc quelques paniailaritis fur les InJ^itns du Paraguay. TIN jour que nous etions au Gouvernement, quatre Indiens vinrent s'y prefenterides que le Gouverneur apper-9ut qu'ils entroient dans lacour, il fit fer-mer la porte de fes appartetnents. Nous lui en demandames la ralfon : s'lls entroient dans cette Salle , nous dit-il, eile feroit infečlee pour huk jours. lis exha--lent line odeur qui s'attache aux mu-railles memes. Cette odeur vient de ce qu'ils s'oignent le corps d'une huile infec-tee , pourfe garantir desinfedes. Ces Indiens, trouvant les portes fer-mces , s'approcherent de la fenetre oü nous etions, & un d'eux tira dun petit fac de peau de Tigre, un papier ecrit & plie , qu'il prefenta. Le Gouverneur le prit, & le lut. II etoit ecrit en langiie Ef-pagnole.Cetoitun Certificat deplufieurs Gouverneurs Efpagnols qui declaroient Tiv HI ST o i RE d'un Voyage qu'uii de ces Indiens etoit de la race des Caciques, &lui memeaftuellementChef dc Village. Le Gouverneur le lui rendit, & rindien lui demandapar figne une feuil-le de papier, pour fublHtuer k ceile qui enveloppoit auparavani le Certificat, par-ce qu'elle etoit coupee dans les plis, par vetufle: on la lui donna. Vraifemblable-inent ceslndiens ignoroient lalangueEfpa-gnole; carils n'enprononcerentpas un feul mot. Un Officier nous dk, qu'ils avoient parle la langue du Para, melee de celle des Indiens des Terres circonvoifmes. Iis n'avoient pour tout habillement, qu'une eipece de nianteau compofe de pluiieurs peaux de chevreuils avec leur poil, cou-Tues enfemble pour former un quArre long, tel que pourroit etre une Terviette de table. II etoit attache aupres des epau-Ics avec deux courroies; & produifoit I'eifet que Ion voit dans 4. de la P/. VL Le cote de lapean qui touchoit ä la chair, etoitblanc , & peint en rouge Sz en bleu gris, par quarres , lozanges & triangles. Ces Indiens viennent affez fou-ventdansla Ville, par troupes, & 7 ame-nent auffi leurs femmes. Leurs habitations Aux Isles Malouines. 297 ne font pas eloignees de Monte-video, de plus de fix oulcpt Heues. Ilsyviennent pour boire du vin & de I'eau de-vie, N'ayant pas parmieux Tufage de Tai-gent monnoye ^ ils donnent des petits lacs de peanx de Tigre, lours manteaux,quel-quefois les peaux des animaux feroces qu'ils ont tues; mais plus ordinairennent Celles qu'ils ont coufues enfemble , pour ie couvrir. lis les donaent prefque pour rien ; car ils livrent un de ces efpeces de inanteauxcompoiede huit peaux de che-vreuils pour un reau , qui vaut douzefols & denii, monnoie de France. Un fac de peau de Tigre , long de quatorze ou quin-zepouces, & large d'un pied , ne coute qu'un demi-reau. Quand on veut avoir CCS manteau.K des Indiens , il fuffit de le prendre d une main, & de prefemer \m reau, ou un demi - reau de lautre. L'ln-dien denoue aulTi-tot la courroie , prend la piece d argent, vous donne lemanteau, oule petit fac , & va tout mid chez le pre-HMer marchand, boire du vin ou de leau-de-vie. Leurs femmes font de m^me. Ellen'ont 29S Histoire d'un Voyage 3as ordinairement d'autres veiements que eshommes. Mais on en voit quclqueFois qtii attachent de plus uiie courroie de peau autour de leiir cdnmre, jDOur fe montrer avec decapce. H elldefendu de leurvendre une qusn-'lite de vin , ou d'eau-de-vie, aui puiffe les enyvi-er, dans la crainte que I'yvreffe ne leur fafTe coir.mettre qi^elques defor-drcs. M, de Bougainviüe voulant cionner iin reau ä chacnu des quatre qui fe pre-fentcrent cliez le Gouverneur; celui-ci le pria, par cette raifon, de inodcrer fa generoHte. Une autrefois, etant chez le Cure, on nous avertit qu'il en venoit une tronpe de huit ä neuf, hoinmes & fem-nies. L'ecrivain de notre Fregate s'ctaat mis ala porte , avec un morceau de pain qu'il mangeoit, un de ces Indiens iui prit en paiTant ce morceau de pain, s'arreta un moment,le mangea en riant, & enfuite rejoignit fa troupe en filence. lis avoient tous latete & ies pieds nuds,& ne portoient d'autre vetement que le manteau dont j'ai parle. Les unsle placoient fur I epaule droite, & Ies autres fur ia gauche. lis met- Aux Isles Malouines. 29c/ tent le poil en-dehors ou en-ded^ns, fuivant qu'il pleut, ou que le temps eft beau. Ceux que j'ai vusetoient bien faits; ils avoient le corps droit, la jambe & le bras bien tournes, la poitrine large , & tous les mufcles du corps bien deflines. Les femmes etoient plus petites de beau-coup qr.e les hommes, qui etoient tous de de belle taille. Ces femmes avoient, com-me eux, un air vif, un vifage arrondi, ce-pendantfans embonpoint; desyeuxaffez grands, plains de feu , le front eleve, la bouche grande, le nez, large & un pen applati vers la pointe; les levres de moy en-ne grolTeur & les dents blanches; les che-veux longs, noirs , & tombant negligem-ment aurour du cou, quelquefois m6me fur le front; ils les oignent, ainfi que le corps, de differentes drogues qui ne font des parfums que pour eux. Ondit qu'ils n'ont pas, dans le premier '^ge , cettecouleur de cuivre rouge bronze, qu on leurvoit repandue generalement iur toute la peau. Sans doute que le cli-mat, lair brulant qui agit fans ceiTe fur 300 Histoire d'un Voyage cetre peau, & les pretenclus parfnmsdont ils I'oignent, contribuent beaucoup ä lui donner cette couleur, qui apres plufieurs generations, pent clevenii" nanirelle. Les feminesfoiu occupees ä la culture du manioc, & ä fa prej^aration pour en faire la calTave. Lour menage ne con-iille qu ä coudre enfcmble les peaux de clievreuilsoud'auiresbetesjdontles homines les femmesfe couvrent, & ä preparer leurs repas pour clles; pour les hom-nies, ils paflentleur vie ä la chaffe , ou k la p^che, ou a motiter k cheval; aufli ibnt-ils d'exccllents cavaliers. Les vieil-lards prefident ä chaque hameau , & de-meurent dans leurs habitations avec les jeunes gar50ns & les filles quin'ont pas encore la force de faire un travail penible. Toute la forme dc leur gouvernement confifte ä refpefter leurs Ancif ns. Ils font extremement adroits dans le manlment des lacs, des lances & de Tare : rarement ils manquent leur coup avec le lacs, a cheval m^me, & en cou-rant ä toute bride. Un Taureau furieux , Tigre, Thomrne-meme le plus rufe ne Aux Isles MalouiNES. 301 leur echappent gucre. Dans leurs qucrel-les particulieres, ils fe fervent de cesUics, & dune demi-lance. La feiile maniere de rendre leur adrelfe inuriie, eft de i'e coucher ä terre , ou defe coUer contre uti arbre, 011 contre un mur. Ces lacs font de cuir de Taureaux coupes aiuour de la peau. Iis tordent cette courroie ; ils la rendent Ibuple ä force de la grailTer, & lallongenten la tirant, juf-Cju neiuihiißer qa'un demi-doigt de lar-geur. Elle ne lailT'e pas d'etre ü forte, qu'un Taureau ne pent la lompre, & qu'elie reiiile plus qu'une corde de chan-vre, qui meine feroit nioins fouple, & ne poiirroit pas etre employee au meme ufa2;e. On ne peut guere avoir de peaiix de Tigres & autres betes feroces que par les Indiens. Elles ne font cependant pas che-res, quoiqaaffez rares a Monte-video. On en a unedes plus belles pour deux ou trois piailres. Ten achetai une dö Tigre, tres belle, inais de moyenne grandeur , & coufue en bifiiK , pour une piecc de huit. Les Indiens n en tuent guere , quoi- 302. Histoire d'un Voyage qu'ils ies iiiangent, parce quilsne fe fervent deleurs j)eauxque pour lespetits facs clont j ai parle. Iis portent dans ccs lacs la caffave , qui leur fert de nourriture , Sc les fers de eurs flechcs, qu'ils n einman-chent au bout du rofeau , que lorfqu ils veulenr les tirer. Ce fer a la forme & la largeur d'une feuille de Laurier, dontles deux extremires feroient tres-allongees. Iis lenfoncent dans le rofeau par un . bout QU parl'autre indifferemment, par-ce que ce fer eft pointu & tranchant des deux cotes. Ces flechcs font d'autant plus meurtrieres, que le fer n'etant pas atta-chHblidenient au rofeau, ce ferdenieure dans ia bleffure , quand on veut en reti-rer la flecbe. Lorfqu'ils veulent lancer un animal , ils le pourfuivent, tenant la bride de leur chevald'une main, & de l'autre le lac; & le lui jettent au cou , aux jambes, ou aiix cornes. Si ranimaleftfi furieux ou feroce, ils I'attaquent trois , quatre de compa:-gnie; chacun lui lace un membre, puis ils fe feparent lun allant ä droite , lautre ä gauc le; ce qui roidit les lacs, & don- Aux Isles Malouines. 303 ne !a facilitc k un troifieme d'approcher lans danger de I'animal, & de ie tuer avec fa demi-lance. [ II eil fächeux que nous ne connoif-fions ces Indiens que par les Jefuites ^ ou les partilants de leur defpotilme: ils font 5our le politique anfli bons etudier que es Efpagnols meme , 8e pour Ie philoib-phe ils le font davantagejcar ils font plus pres de la nature]. CHAPiTRE XI I. Hifioire Naturelle de Monte - video. [¥ Es chevaux du Paraguay font cele-J ^ bres ciaiis le nouveau monde ; aulS lis formert ia pnncipale richeffe des habitants de Monte video ; ils fervent aux Bkincs, aux Mulatres iSL aux Negres, & leur nombre egale pourlemoins celui des hommes ]. Maigrelc prix qu on attached ces qua-drupedes, on pourroit cependant noin-mer Monte-video renfer des chevaux j on les fait travailler fouvent trois jours tie fviitefansboirenimanger; onlestraite comme les chameaux de TArabie. Ces chevaux neanmoins font excel-lents, ils ont confervela vivacite desche-vaux Efpaenols dont ils font fortits ; ils ont le pied extremement affure,& font d'une agilite furprenante, Leur pas eft fi vif & fi allonge, qu'il egale le plus grand trot & le petit galop des nötres. Leur pas confifte a lever en m^me-temps lepied de devant clevant&celui cle derriere ; & aulieu de porter le pied de derriere d ans Tendroit oü ils avoient pole celui de devant, ils le portent beaucoup plus loin , vis-ä-vis & me-ir^e au dclä du pied de devant du cote 0]3pofe ; ce qui rend leur mouveinent pres du double plus prompt que celui des chevaux ordinaires, & beaucoup plus doux pour le cavalier. lis ne Ibnt pas dif-Itingues par leur beaute j mais on peut vanter leur legerete , leur douceur, leur courage & leur ibbriete. Les habitants ne font aucune provilionde toin ni de paille pournourrir ces aniinaux. Toute leurref-Iburce ell de les faire paitre aux champs toute i'annee.Il eft vrai qu'il n'ytait jamais de froid ä glacer ni les rivieres ni Ics plantes. Les chevaux ne font pas- ferres. Lcs harnois font aufii bieii difierents de ceux que Ton employe en Europe. lis pofent premierement fur le cheval nud une groife etoffe molle & dun tiiTu peu ferre, qifils "ominent jchuadercs ; par-deffus une fan-gle , puis un cuir affezfort, do la largeur de la feile, qui deborde fur la croupe , & qui fcrt de houflb. Ou le nomine earns-T0771 e I. V iö6 htstoire d'un Voyage ros. Sur ce cuir fe place la feile, faitc com-me les bats de nos chevaux de charge, & par-deffus une ou plufieurs peaux de mouton avec la laine couilies enlemble , & peintes d'une leule ou plufieurs Couleurs. C'eit le peilhon. Enfin une feconde , fangle ou fouventriere , pour affujettir le tout fur le che val. Les etriers font petits &; €troits, ]iarce c|u'ils n'y mettent que le bout du foulier ; & ceux qui vont ^ieds ' iiuds, n'y mettent c ue le gros erteil. Le mords de la bride eil de fer, tont d'une piece , & fans bolTettes. Les renes font composes de plufieurs petites cour-roies, entrelacees en forme de cordons k pendulesou ^fonnettes, & ontau moins iix pieds & demi ou fept de longueur, parce qu'elles fervent en m erne temps de fouet, Un demi-cercle de fer, pris de ia meme piece de barre dans lequel on paffe la machoire inferieure da cheval, produit le meme elfet q\3e la gourmette. La parcie du carneros quiderobe la feile, & porte fur la croupe, ell ordinairement goffree en fieurons. Quand un Efpagnol eft a cheval, il porte le ponchos^ qui eft plus conimode Aux Isles Malouines. 307 que Ic inanteau , foit pour le cavalier , foit pour fa monture. Le ponchos eft, comme je Tai tlit, une pieced'etofFe de la forme dune couve.r-ture de lit, & de deux ou trois aulnes de long fur deux de large. On le porte ä che-val & ä pied. Les gens peu riches & les N^res ne le quitrent qu'ea fe couchant. Acheval, ce vetement eft k la mode, m erne pour les deux fexes, fans diftinc-tioii de rang. On ne diftingue le Gouverneur dun efclave , que par la fineffe, la legerete & la richeffe du ponchos. L'exercice du cheval eft ft commun k Monte-video, qu'on y voit aux fern me S autant d'adrefle & de legerete qu'aux hommes ; ce qui read jufqu'ii un certain point vrai-femblable I'hiftoire des Ania-zones. [ II y a beaucoup d'animaux feroces k Wonte-video , les Tigres fur-tout y font tres-communs, & en general ils font plus gros & ptiis feroces que ceux des deferts du Zaara & du Biledulgerid ^ cette obier-vation fait naitre quelques doutes fur I'i-dee lingiallerede M.de ßiiffon & de lau-leur des Rcc/ierches pfiilojophiques fur les Vij HlSTOlTlE d'uN VoYAGii Amcncains, que les iinimaux clu nouveait iBOncie font tons degeneres comme A la nature clans ces cliinats etoit cpuitee , ^ que ia piiiflance generatrice fur alteree ; uii feul fait bien conflate jiar un Na-turalHle fuloit pour faire ecrouler tous les lyileiTies d'un Philofophe ]. Malgrela ferodte desTigres de Mpn-te video , on reuliic quelquefois dans le bas age ä lesa iprivoifcr. Le Gouverneur en avoit fait e ever un dans la conr de foil Palais; il etoit attache aupres de la ports d'entree , avec ime ßmple courroie. Les Dragons & les Domeftiques badinoient avec Uli, fans qu'il donnat aucune marque de fa ferocite naturelle. Onletournoit, on le tiroit, on le culbutoit, comme Ton feroit un chat prive. Voyant qu'il pou-voit faire plaifir ä M. de Bougainville , le Gouverneur le fit porter ä bord, & le lui donna. On y fit conftruire une cage de madriers de fix pouces d'ecariffage , & on le garda une huitaine de jours. Au bout dece temps, il commen^a ä mugir de terns a autre , & fur-tout la nuir. On craignit alors qu'il ne devint furieux. D'ail-ieurs il falloit de la viande fraiche pour ie Aux Isles Malouines. 309 nourrir; & nous n'cii avions pas de refte ä lui donner. Ces confiderations deiermi-nerentM.deBougeiiiiville ale faireetran-gler. 11 n'avoit alors que quatre mois: & la hauteur, fur fes janibes, ctoit ds deux piedstroispouces. Onpcut jugcr de celle qu il auroit acquife dans fa grandeur naturelle. Un jour que M. FrontgoufTe & moi nous 110US occupions ä herbonfer, nous entendimes ui\ cri j^laintif qui partoitd'ua amas de pierres & de roches qui envi-ronnoitune desfontainesde Tvlonte-video; nous n'en etions pas eloignes de plus de 7 ä 8 toifes. Nous primes d'abord ce cri pour celui d'un chat emlsarraffe dans ces pierres , & echappe d'une iKÜ^itatioii qui eneroit diftaiite d un demi-quart de lieue. En nous approchant de la fontaine , ce cri nous parut etre celui d'un enfant. Nous en approchions, lorfque M. Frontgoufic nous dit: n'avaacons pas, ce n eft pas le cri d'un enfant, c'eft celui d'un Cayman. Je me rappelle en avoir entendu de fem-blables plus d'une fois dans nos liles. I'icus ne fommes pasaffez forts contreun animal aufllferoce. II y en a en cfFetdans Viij 310 Htstotre d'un Voyage le Pays; & M.de Saint-Simon nous avoit tlejL\ clit en avoir vii un fur le bord cl'une petite riviere, qui couledernere le Mont, qui n eft Icparee de la Ville que par labaie oü Ic Port ei!: fitue. [ Le Cayman eft une cfpcce de Crocodile ; ceil: le plus grand des animaiix ovipares ; car ii. a quelquefois jufqu'ä vingt pieds de long; les ecailles dontfon corps eft convert, reliftent un coup de moufquet cliarge de balles ramees ; on pretend quil peut couper un homme par le milieu du corps. Les Negres, qui font li foil^les aupres des Blanes, luttent avec avantage contre cet amphybie. I[s vont I'attaquer dans la mer, lui enfon-cent dans la gueulc un morceau de bois, pour la tenir ouverte ; & comme cet animal n'a point de langue , il eft bientot noye. Je dome que les conquerans de ces Africains s'expofaffent ainfi ä des combats finguliers contre les Caymans ]. Inftruit de la ferocite de cet animal in-connu , jenolaipoufterma curiofite plus loin ; nous nous contentames d'amafler encore quelques pieds de mote, & nous reprimes le c lemindela ville pour retour- aux Isles Malouines. 51s nera bord. Chemiti faiflint, nous ren-contrames bcaucoup de Conrlis quivo-loient par compagnie. Ik fe laifloient ap-prochera la portee dupiftolet i mais nous n'etions armes que de batons. Etant un jour dans uti caiiot avec le Gouverneur , nous fentimes une odeur infefte , femblable k celic qu exhalcroit un cadavre. Jem'imaginaid'abord qu'ello provenoit dela corruption de quelqueTavi-reau tue & abandonne fur lerivage; mais le Gouverneur me defabufa & m'affura que c'etoitune exhalaifon de Turine d'un animal nomme Zonllos, en coleie, ou pourfuivi par quelque chaffeur. Le Zorillos eft de la grandeur d'une Eelette, un peu moins long, d'un poil fauve, plus clair fous le ventre, qui eft pref-que gris; deux lignes blanches s etcndent le longdu dos, & forment depuis le cou jufqua la queue , une figure prefque ovale. Cette queue eft bien fournle de poil, &l'ammal la tient prefque tou)ours dreffee, corame faitl'Ecureui. Lorfqu'il fe fent pourfuivi, ouquils'irrite , illache Ion urine quiiiifefte I'air aplus d'une demi-lieue. Nous avonsfenti cette odeur deux Viv ou trois fois, ii bord meine de notre fregate , quoiqu'eloigsiee de terre d'ime bonne iiene & demie.LeZorilloseftpeut-etre le meme cue Vcißetcpuaiiie, ou En-jant du Z^w/-/^du Canada, dont i'uriiie pro-duit a-peu-preslesmemes effets. Le Chtn-c//edes parties mciidionales deTAmeric ue a aulli beaucoup de rapport avec le Zo-rillos. Un autre animal tort commiin dans les environs & du cote de Buenos-nyres , ell le Tatu-apara, que nous nomnions Ta-tou J les Eipagnols^/772t7c/i//ö , les Por-tugais E/iaSnacio. Comnie il eft tres-connu, je n'en ferai pas la defcription. Ximenez dit que les ecaiiles du Tatou, reduites en poudre & avalees au poids d'une dragme dans une decočliou de lauge , provoquent une fueur fi fakitaire, qu'eJle gucn'it les maladies veneriennes; quelle fait fortir les cpines de toutcs les parties du corps ; &, iliivant Monades, /a'. I , pag. lespetits osde la queue de cetanimal gueriffent la ^ilrd^tt^ Pluileiirs de nosMaiinsacheterent des Perruches a Monte-video. Files coii-toient jufqua deux piallres. Leur piu- Aux Isles Malouines 315. mage eft emierement verd , e^■cepte ce-lui du COLI, de rellomac , & un pcu da ventre, qui eft dun beau gris argente. Lc bee eft court, tres-couvbe, tk de couleur de chair; leur groflcur eft cellc d'unc grive ; mais elles out une queue tres-lon-p^e. Donees , careffantes , mais tres-v'ivcs, elles apprennenr ailment ä parier, pronoticent bien & feplaUenr en conipa-guie. Plus on fair de bruit , plus dies eievent la voix. On les elcvc & on les ticnt ä Montevideo dans des cages dc cuir dcTaureau; ce font des efpcces de boites plates par-deflbus, oblongucs, convexes par-deftiis, percecs dc troistrous de chaque cote, cruii trou, ä une cxtremice, aflez ous'"ert 3our laifter ä I'oifeau la liberte d'y paffer a tete feulemeiu. lautre extremite eft une ouverture qui le fernie a deux bat-tants, ayant la forme d'une porte codiere. Čeft par-la que Ton introdnit la Per ruche. On nous alTura que la durce de la vie de cet oifcau n'eft que d'un an , quand on lc ncnt en cagc. Eft-ce la vd-ite , ou luie tiniplc opimon fondcc fur I'expct ji4 Histoire d'un Voyage riencc ? Je n'en fgai rien. De huii que nous avioiis abord, fix lontpeiies cle ma-ladie, ou en tomb'ant ä la mer; une fep-tiemc fe faiiva , clit-on, k notre arrivee k Saint-Malo , & la huitieme mourut clans ma chambre trois jours apres mon retour ä Paris. II y apeudecoquillagesfinguliersdans ie Brefil j cependant le Gouverneur fit prefent ä M. de Bougainville d'un fu-perbe nautile papyracee qu'on lui avoic envoye de Rio-Janeiro : il aflura auflxen avoir trouve une femblable fur la cote de rifle de Maldonnat; il eft probable qu on en rrouveroit bien d'autrcs, ft on en fai-foit commerce ii Monte-video. Le regne vegetal merite un pea plus cl'attention dans cette coiuree.. Jetrouvai chez un Oßlcier Efpagnol , eleve eti France, un petitjardin deplantes curieu-fes ou medicinales que le pays fait naitrc, & dontj'aiapprisle noni&lesproprietes. La plante nominee Mcona , reflcmble beaucoup k du ferpolet 5 mais la feuille en eft ronde & d'un verd nioins brun j la tige efc rouge & rampante : elle prend racinc k chaque noeud , & donne un lait Aux Isles Malouines. 315 blanc comme le tithymale. La graine vient dans uiie gouffe Ipirale , heriiTee ; cefte gouffe ne contient qu'une graine jaimatre , qui a preique la forme d'uu rein. Elle jette de la racine beaucoup de tigesbranchues,quire repandent en rond fur la terre, comme celles de la renouee. Prife en infufion comme le the , eile guerit, dit-on , de la retention d'urine , comme par miracle. Ebreno, ou Mio-Wo, eft une plante dont la tige eft prefque rampante , & ne s'e-leve gueres que d'un demi-pied.Lafeuille eft plus menue que celle da fenouU ; fa fleur eft herbeufe & vient en bouquets, a-peu-pres en ombelle; la racine eft rouf-fatre en dehors, ayant,ainfi que la plante, le goiit de panais aromatife. Elle fe prend en infufion contre les fluxions & jes rhu-mes. Je la croirois une efpece de Meiim, Mod a la tige haute d'environ un pied & demi, droite , ronde , branchue, & velue, d'un gris un peu rougeatre. Les feuilles font longues d'un pouce h un pouce & un quart, larges feulement de^trois ä quatre lignes , d'un verd blan-chatre, velues comme la tige. Les fleurs iiaiflent une a une le long des branches. 3i6 Histoi Pv e d'u nt Voyag e compofces d'ane feule feuille jaune, de^* coiipde en qnatie , pteimie fans odeur. Ii Icur fuccede une goufle ou iilicf-ie , de 3a giofleur d'unc ])fume de coq , longue d'Lin povice , qui s'ouvre en c^uatre parties loriqu'ellc icclie , & laiife tomber des iejnences rrčs-menues, pointues par ies deux bouts, de covileur d'un gris brun. On la dit admirable pour les bleflures. M, Simoneri m'a dit , qu'apres iix mois tic traitement par les Miklecins & Chi-rurgiens de TaiTnee , pour une bleffure qiul ayoit recue au core , pres des reins, & qui avoir tournc en uScere , il s'etoit gueri en pen de temps par lafeulc application des feuilles de cette plante. La Cachcii-laguen on la Canchalagua , que Ton nomme au Chily Cachinlagua , reflenible en tout ä la petite Centauree de I'Europe. Elle eft un peu moins haute c|ue la notre. On fait infufer ä froid dans vin verre d'eau fix ou fept plantes entieres & feches, pendant toute la nuit, ou da matin au foir. On fe gargarife enfuite le gofier avec cette infufion,que Ton avale, & Ton eil bientöt gueri du mal de gorge, ^^n remet de nouveüe cau froide fur !a jnarc, qvi'on lailTc infufer autant de temp?; ion reitere le gargarifme & la deglutition: ce que Ton recommence line trolfieme fois. M. cle Bougainville & M. Duclos iiotre Capitaine cn ont fait lexperiencd avec iucces plus d'une fois. Lorlqvi'on fait rinfufion ä chaud en fa^on de the^, eile echauffe beaucoup ; mais elle pun-fie bien le fang. Cette plante eft tres-re-nommee dans le Chily , d'oü on la tire. Je la croirois un meilleiir febrifuge que celle d'Europe. Celle-ci n'auroit-elle pas la ineme propiiete pour les mau:: de gorge ? Mechoacan eft le nom que les Efpa«-gnols de Monte-video donnent ä une plante qui ne reffemble point du tout ä celle que I'on vend dans nos boutiques fous le meme nom. Celle de Monte-video, quiy eft tres-commune ainß qu'aiix environs de Buenos-ayres, eft une petite plante rampante , dont la racine court I'ous terre, comme la r^liffe. Elle eft blanchatre , menue comme un tuyan de plume ä ecrire. De cette racine fortent des branches affez courfes, coucheespar terre , peu garnies, & feulement ä I'ex-tremite, de petites feuilles, prefque fem- blables ä Celles du petit tithymale , con-nu dans plufieurs Provinces de France fous le nom de Riveil-matin. On me dit tfue les Anglois, qui font le commerce ä la Colonic du S. Sacrement, emportent toujours beaucoup de ces racines. Elle a une propriete purgative comme le nie-choacan de nos bouriques, Lorique Ton craint une fiipeipurgation , ou que Ton veut en arrcter reffet, il fuffit d'avaler une grande ciieiileree d'eau-de-vie. Une autre plante qu'iis elHment infini-inent, eft la Guaycurti. Elle porte une feuille d'un beau verd, un peu epaifle , fortant en grand nombre cie la racine , qui eft d'un rouge brim , luilant ä I'exte-rieur , & rougeätre en dedans , comme cclle du fraifier. Du milieu s'eleve une tige ä la hauteur d'un derni-pied , groiTe comme le tuyau d'une plume de poule , pleine , fans feuiiles, d'un verd grilatre , ■ ie partageant dans le haut en une dou-zaine de petites branches qui portent ä leur cime de tres-j^edtes fleurs h.erbeufes, ^ans odeur, & formant enfemble une ef-pece deparalol. Cette plante , fa racine fur-tout, eft lux Isles Malouines. 51^ Uli des plus puiflants aftriiigents de la Bo-taiiique; & l'experience a prouve qu'eU® eil: parfoite pour deffecher & guerir promptement les ulceres, les ecrouelles, & lour arreter la diflenterie. -e Payco. ert une plante , qui de fa racine jette beaucoup de branches rampan-tes, qui fe divifent enfuiteen plufieursau-tres. Les feuilles ont environ trois lignes de longueur iur deux de large, decouples enforme de feie, graffes & attachees lans queue aux branches. La fleur eft fi petite j qu eile fe confond a\'ec la graine quiluiluccede j les branches en fompref-que routes couvertes. Au premier coup cl'ceil, on la prendroit pour la turquette ou herniole , fi les branches etoieiu plus coiirtes.Toutelapbnteelt dun verdten-dre , quelquefois rougeatre, ainfi que la tige; quand eile a ^proche de la maturite, ellc exhale une odeur de citron qui coin-incnce k pourrir. Elle eft exceUente pour les maux d'cftomac & les indigeftions. Sa decoftion eft fudorifique , & on h vante beaucoup contre la pleurelie. On mache long comme le petit doigt d'une dcb tiges vertes, & 1 on avale ia fiilivti 52Ö Histoire d'un Voyage avec la plante machee. Prife decettenia-iiiere, eile eft un peu purgative. Lorfqu'on n'en a pas de vcHe , on la prend en infu-fion commc le die. On exalte beaucoup la propriete an-tivcuerieiiiie de la Colagiiala , que d'au-tres noniment CalagueLa. Elle croit dans les terreins fteriles me Pere Roch, que Ton difoit tres-vede dans la Medecine, m'a dit qu il faifoit ufer de la Colaguala contre I'epilepfie , ainfi que contre^les maux venefiens; que lorfque fon ufage ne gueriflbit pas par-faitement la premiere de ces deux maladies, il avoir recours aux remedesluivants, & toujours avec un heureux fucces. II faifoit boire au malade , dans le cours de laiournee,& fur-tout deux verres ä jeun, k une bonne demi-heure d'intervalle Tun del'autre, une pintc ou deux livres d'eau, avec laquelle une iille en puberte, ou une femme faine, seilbienlaveelesparties naturelles au fortir du lit ( ). 11 faifoit continuer ce remede huit ou neuf {a) Obfervei que cette recette n'cft point c!e Sydenham ou dc Boerhaave, mals du Pere Roeii, FrancUV cain. ^ Tome /, X 3ii HrsToiRE d'un Voyage jours de fuite au decUn de la Lune. On reitcre ce remede plufieurs mois de fuite, fur-tout au printems. On employe la racine de la colaguala en infufion dans du vin, ou de I'eau bouillante, pour les maux veneriens. Le meme Francifcain etant avec nous k la maifon de Campagne de M. le Gouverneur , m'a montre une autre plante qu'il nomme Carqueja , & quil dit etre admirable , prife en infufion comme le the, pour diflbudre le fang caille dans le corps, pour le purifier & oter routes les obftru61:ions. Mais il faut en ufer avec beaucoup de moderation , parce qu'elle agite extremement le fang , fur-tout la racine. Le Carque j a vient comme un petit ar-buftc , haut d'unbon pied, taille naturel-lement en tete arrondie. II n'a pas de feuilles diftinčles de fa tige , qui reffem-ble beaucoup a celle du genet, dans la clafle duque je penfe qu'on peut la met- tre. Cette tige fe partage en beaucoup dautres pour former la tete. Elles font ■ Jres-fouples & tres-minces. La Yguerilla, la Zarca & la Charrua^ font des plantes clont on fait grand cas dans le Pays, de meme que de la Birabi-bida, ou Viravida , qu'on croit tres-ra-fraichiffante. Un Chirurgien Francois fit prendre Tinfufion dc la Bira-bida , qui reuffitparfaitementcontre la fievre tierce. Prezier dit que c'eft une efpece d'im-mortelle ; ne feroit-ce pas la meme dont j'ai parle ci-devant fous le nom de Dora-diLle ? Mais celle dont ils font le plus grand ufage , eft la plante qu'ils nomment Si-fran. C'eft proprement une efpece de cliardon, que nous connoiflbns en France fous le nom de Carthame. On en trou-ve la defcription dans tous les Traites de Botanique. Sa fleur eft appellee Saffron, batard. Elle a la couleur & la forme de celle du Saffran vrai; mais non Todcur ni le gout. A Monte-video, ainfi qu'au Brefil, on cultive le fefran dans les jar-dins, &: en abondance; parce qu'on cou-vre de fa fleur prefque tous les mets, & meme la foupe. Les Perroquets & les Perruches font tres-friands de la graine , qui eft blanche, lilTe, &faite comme celle GU Corona folis^ que le peuple appelle lim- Xij }24 Histoire d'ün Voyage plement Soleiij mais eile eft de beaucouji plus courte. En gäieral les plantes de IVlonte-video font tres-curieu{es, &elles deviendroienr beaucoup plus celebres,, s'il le trouvoit dans le Pays quelque Juf-iieu, OH quelque Toume fort. t T CHAPITRE XIII. Ohfervations particulieres fur I'herbe da Paraguay. Ette plante fameiife eft la princi-^ pale fource des richeffes des^ Efpa-gnols, des Indiens, & fur-tout des Jefuites. Ainfi I'idee que je vais en douner , iute-reffe d'autres homines que les Naturalises. M. d'Ulloa a donne quelques details fur riierbe du Paraguay ; mais il ne parle que d'apreslesMiffionnairesde lafociete, car les Jefuites n'ont jamais laiffepeiitnrer dans cettc riche controe que leuis confreres, « On Dretend, die M. d'Ulloa , quele » debit de cette herbe fut d'abord h confi-» derable , que le luxe s'introdaifit bien-» tot parmiles conquerants du pays, qui » s'etoient trouves d'abord reduits au par » neceffaire. Pour foutenir une exceflive w depenfe, dont le gout va toujours en w croiffant, ils furent obliges d'avoir re- Xiij « cours aux Indiens afliijettis par les ar» iTies, ouvolontairementfoumis, dont » on fit des domeftiques , & bientot des *> efclaves. Mais on ne les menagea pas: ») plufieurs fuccomberent fous le poids »» dun travail auquel ils n'etoient pas ac-» coutumes j & p us encore fous celui des i> tnauvais traitements dont on puniflbit » I'epuirement de leurs forces plütot que leur pareffe. D'amres prirent lafuite, » & devinrent les plus irreconciliables » ennemis des Efpagnols. Cenx & qui augmente fa vertu comma fon prix. La maniere de prendre le Caacuys eft de remplir iin vafe d'eau böuillante, Sc d y jetter la feuille en poüdre & reduite en piite. A mefure qu elle fe diffout, le peu de terre qm peut y etre refte , lur-rage affez pour etre eciimee. OnpaiTeen-fviitel'eau dans unlinge;& I'ayant laifTe un peu repofer, on la hume avec un chalu-uieau, Ordinairementonn'y met point de iucre ; mais on j mele un peu de jus de citron,ou certaines paftilles dune odeur fort douce. Quand on la prend pour vo-mir, on y jette unpeu plus d'eau, que Ton laifie tiedir. La p;rande flibrique de cett« herbe efl ä l<3- Villa, ou l^wouweWe ViUarica , qui cH voifinedes montagnes de Maracayu , Aux Isles Malouines. 319 Ktuees k I'Orient du Paraguay , vers les vingt-cinq degres vingt-cinq minutes de latitude Aufträte. On vante ce canton pour la culture de I'arbre; mais ce n 'ell: pas fur les montagnes qu'il faut le cher-cher, cell dans Ics fonds inarecageux qui les feparent. On en tire pour lePeroufeulement juf-qu'a cent mille arrobes , pefaat chacuii vingt-cinq livres de feize onces poidsde marc , & le prix de Tarrobe eft de lept ecus, ou vingt-huit livres de France , ce qui fait deux millions huit cent mille livres, Cependant le Caacuys n'a pas de prix fixe, & le Caamini fe vend le double du Caas uazu. A Monte-video, ce dernier-pendant que nous y etions en reläclie, fe vendoit vingt-cinq livres ou cinq piaihes I'arrobe. Le Gouverneur nous en procura un i ce prix. ^ Les Indiens etablis dans les provinces d'Uraguay & de Parana , fous le gouver-Jiement des Jefuites , ontfeme des grai-iies de Tavbre, qu'ils y ont rranl'portees de Maracayu, & qiii n'ont orefque pas de-genere. Elles reffemblenr'acelle du lierre. 55ö Histoire dVn Voyage Mais ces Indiens ne font pas d'herbe dö ia premiere efpece j ils gardent le Caa-mini pour leur ufage, & vendent leGaa-guazu ou Palos, pour payer le tributqu'iU doivent ä l'Efpagne. Les Efpagnols croient trouver dans cette herbe un remede, ou un preferva-tif contre tous les maux. Tout le monde eftd'accord fur fa qualite aperitive & diu-retique; mais je ne voudrois pas etre garant pour les Jefuites, de teures les pro-prietesqu ils lui attribuent. Je croirois que la plus averee ^ & celle qu'ils prönent ce-pendant le moins, eft de leur procurer ^ tous les ans, une Ibmme incroyable d'ar-gent. On raconte que, dans les premiers terns, quelques-uns<3n ay ant ufeavec ex-ces, elle leur caufa une alienation totale des fens, dont ils ne revinrent que plu^. fieurs jours apres. Mais il paroit certain qu'elle produit fouvent des effets oppofes entre eux, tels que de procurer le fom-meil a ceux qui font fujets k I'infomnie , & de reveiller ceux qui tombent en le-tbargie ; d'etre nouriffante & purgative. L'habituded'en ufer la rendneceffaire , AUXlSLES MALOUINES. 33I & fouvent meme elle fait trouver de la peine äfecontenir dans un vifagemodere; puifqu'on aflure que I'exces eny vre , & caufe la plupart des incommodites que Ton attribue aux liqueurs fortes. Suivant M. d'Ulloa , I'Kerbe du Paraguay fe uomme Mate zw Perou. Pour la preparer, dit-il, on en met une certaine quantitedans une calebaffe montee en argent, que Ton nomme aufli Mate, ou To-tumo , ou Calabacito. On jette dans ce vafe une portion de fucre,& Ton verfe une portion d'eaufroide fur le tout, afin que I'herbe en pate fede-trempe: enfuite on remplit le vafe d'eau bouiilante; & comme 1 herbe eft fort me-nue , on boit par un tuyau aflez grand ( on nomme ce chalumeau BombilLa) pour laifier pafTage h I'eau, mais trop petit pour en laiffer ä I'herbe. A mefure que I'eau diminue, onla renouvelle, ajoutant toujours du fucre , jufqu'a ce que I'herbe ceflede furnager. Alors on met une nou-velle dofe d'herbe: Scuvent on y mele du jus de citron , ou d'orange amere , & des fleurs odoriferentes. Cetie liqueur fe prend ordinairement ä jeun : cependant 33i Histoire d'unVoyage plufieurs en iifent auffi rapres-diner. H fe pent que I'ufage en ibitfalutaire ; mais la maniere clc la prendre ell extremement clegoutante. Quelquenoinbreufe que foit line Compagnie , chacun boir par le memc tuyau qu'on fait paffer la ronde. Les Chcipetons (Efpagnols Europeens) ne font pas grand cas de cctte boiffon j mais les Creoles en fontpaiuonnemeiK avides. Jamais i!s !ie voyagent fans une provifion d'lieibe du Paraguay ils ne man-quent pas d'en prenclre chaque jour, ia preferant ä routes fortes d'alimens, & ne mangeiinr qu'apres I'avoir prife. Quelques-uns, dit Frezier ( Rdat. du Voyage de la Mer du Sud^ pag. 218 ) ap-peilenc I'herbe du Paraguay, Herbe dt Saint Banhelemi, parce qu'ils pretendent que cet Apotre aete dans ces Provinces, oil il la rendit falutaire & bienfaifante de venimeule qu'elle etoit auparavant. Au lieu d'en boirelateinturefeparement, comme nous buvons celle du the , ils mettent Fberbedans vine coupe , faite d'une cale-baffe montee en argent, qu'ils appellent Matl lis y aioutent du lucre, & verfent deflus de I'eau chaude , qu'ilsboivent aui- 'fitot, fans lui donner le terns crinfuler, parce quelle noircit comme de Tencre. Pour ne pasboire Therbe qui furnage, on t^ fert d'uii chalumeau d'argent, au iout du-quel ell une ampoule percee de plufieurs petits trous: ainü la liqueur que Ton fuce 3ar I'autre bout fe degage entierement de 'herbe. Onboitäla rondeavec le mem© chalumeau , enremettantde I'eauchaude fur la m^me herbe, ä ineiure que Ton boit. Aulieu de chalumeau ou Bombilla^ quelques-unsecartent Therbe avecune reparation d'argent, percee de petits trous. La repugnance que les Francois ontmon-tree de boire apres toutes fortes de gens, dans un pays oil il y a beaucoup dq per-fonnesattaquees de maladies veneriennes, a fait inventer I'ufage des petits chalu-meaux de verre dont on commence ä fe fervir ä Lima. Cette liqueur, a men gout , ert meilleureque le the: elle a une odeurd'herbeaffez agreable.Les gens du. pays y font fi accoutumes, qu'il n'y a pas jufqQes aux plus pauvres quinenboivent au moins une fois le jour. Le commerce de I'herbe du Paraguay, ajoute cet Auteur, fe fait ä Santa-Fiy ou eile vient par la riviere de la Plata, & pgr des charrettes.Ily en a dedeux fortes:I'une que Ton appelle Verva dePaios,&i:l'a\itre plus fine & de meilleure qualite, nommee Hierba de Caminu Cette derniere fe tire desterres des Jefuites. Lagrandeconforn-mation s'en fait depuis la Pa:^ jufqiia Cufco, OÜ eile vaut la motie plus que I'au-tre qui fe debite depuis le Potoži jufqu'ä Paz, II fort, tous les ans , du Paraguay pour le Perou plus de 50000 arrobes j c'eft-ä-dire 115 0000 pefant de I'une & de lautre herbe, dent il y a au moins le tiers de Camini, fans compter environ 25000 arrobes de celle de Palos pour le Chily. On paie par paquet, qui contient fix ou fept arrobes, quatre reaux de droit d'AI-cavala ; & les frais de la voiture de plus de fix censlieues, font doublet le prix du premier achat qui eft environ deux piaf-tres i de forte quelle revient au Potoži ä cinq piaftres I'arrobe , ou vingt-cinq li-vres de France. Cette voiture fe fait ordi-nairement par des charrettes qui portent cent cinquante arrobes, depuis Santa-Fi jufqu'ä Jujuy , derniere ville du Tucu-man ; & de-lä jufqu'au Potofi , qui en ell encore eloign^ decentlieues, onlatranl-porte fur des mules. J'ai remarque que Tu-fage de cette herbe eft necelTaire dans les mys des mines & dans les montagnes du Perou. J'ai vu b. Monte-video la verite de la relation de ces deux auteurs j & meme ä quelque heure du jour que vous vous pre-fentiez dans une maifon , vous trouvez quelqu'un qui prend du mate , & qui ne manque pas de vous en oftrir, meme dans les plus grandes chaleurs; car on leur a dit que cette infufionrafraichit, quelle aide ä la digeftion , &c. Ordinaiiementle vafe oil Ion prend le riate, eft monte lur unpied, & adherant žt un plateau. J'en ai vu d'i-peu-pres fem-blables prefque dans toutes les maifons. Quelques habitants cependant avoient le vafe feul orne d'argent ä la main fans le plateau. Ii y a auili des Bombilles, dont le bout quitrempe dans la liqueur ,ala forme d'unecoquilled'huitre, quiferoitemman-chee au chalumeau par le haut de lachar- nicre. HiSTOIRE d'UN VoYAGK CHAPITRE XIV. Depart pour les Jßes Malouines, A Notre arrivee ä Monte - video, nous avions porte au Gouverneur la boufTole imaginee par le Capkaiiie Manclillo, Genois, pourtrouver les longitudes: nous voulions y faire les obferva-tions que nous n'avions pu entieprendre fur le navire dans touie la traverfee , meme pendant le calme ; parce que le dcfaut de cette bouffole eft que le moin-dre mouvement empeche les aiguilles de fe fixer: & pendant le calme, il y a tou-jours un roulis plus ou moins fort. Maigrž toute I'attention que nous avions appor-tee ä conferver cette bouffole , I'humi-dite de I'air de mer qiti p6ietre parcout, en avoit altere les aiguilles, qui avoient acquis un peu de rouillepres du centre & descurfeurs. Elles avoientperducetequi-libre fi neceffaire, & meme leur aimant en partie. Nous travaillames ä les de-rouillerj & nous leur redonnames leur ai m ant: AVK Isles Malouines. 357 mant: mais nous partimes fans avoir fait nos obfervations; & m^me Fembarras du iranfport, joint h la craiiite deperdre le moment favorable pour forcir de Rio de la Plata, cngageaM. de Bougainville ä laif-fer cette machine chez le Gouverneur j il le pria feulcment de le lui faire tenir en France , quand lui-meme reviendroit en Europe. Ainfi cette bodlble Genoife ne nous a fervi k aucune experience. Ce fut le 16 Janvier que nous fimes voile vers Icslfles Malouincs. Nous etionsdeja en pleinemer , lorfque nous primes trois; luperbes papillons , qui par les couleurs varices de leurs alles,imitoientaflezle plumage du plus beau perroquet du Breßi. Je les ai deffines Pl, Yll. ßg. 4. Nous pechämesaufii clans ces parages nn poiffon fingulier: nos Marins ui doa-nent le nom de G alere. Cell une efpece de vcffie que Ion peut mettre dans le genre de Celles que les Naturalises nommcnt Holotures, qui, fansavoirFapparencede plante ni de poiffon , ne laiflent pas que d avoir une veritable vie , & fetranfpor-tent k la maniere des animaux , par ua mouvement quileur eft propre, d'unlieu Tome L y a im autre, indepenclamment du fecours cUivent & desondes, furiefquellesonvoit ces vellies portees comme de petits navi-resi Geux qui n'obfervent pas avec des yeitx curieux & eclaires cette apparence de veffie , la prendroient pour un limon enfle d'air qui lurnage , empörte par les vagues & ies vents; mais le matelot qui Favoitpechee, me Tayantapportee, j'eus tout le terns de I'obferver. J'y remarquai iinmouvementperirtaltique, tel quecekii que les Anatomiftes attribuent aux intef-tins 8c au ventricule. Petoisfur le point de I'enle ver du feau avec la main, lorique M. Duclos, notre Capitaine, m'arretale bras, & me fit connoitre le danger qu'il yauroit h toucher un telpoiflbn. Je me contentai done de i'obferver des yeux , & de le peindre. Le prefientlment du Capitaine fe veri-fia des le meme jovir. Un moufle ayant peclie une feconde galere , eut Hmpru-dence de la prendre avec la main; un inf-tant apres il s'ecria qu'il fentoit nne vive douleur fur tout le deffus de la main & au poignet: il la fecoua bien promptement pour fe debarraller de la galere , mais il Aux Isles Malouines. 339 etoit trop tard. On accowrut h fes cris j il pleuroit, trepignoit des pieds, & dilbit qu'illuifembloit avoir lamaindans unbra-fier ardent. Onlaluitrempa dans de I'hwi- lejonluiappliquadeffusunecomprelTeim-bibee de cette liqueur, &ilreffentit encore la meme douleur pendant plus de deux heures; maisellediminuainrenriblement. La galereeftuneveffieoblongue, ap-platiepardeflbus, arrondie dans ion contour ,mais comme emouffee par fes extre-mites; c'eft de-li que partent ces filets, dont rattouchement devient fi douloureux. Une de cesextremites eft plus arrondie que I'autre; cel!e-ci eft un peu allon-gee. Ce qui forme la bafe ou point d'ap-pui ä cette veffie, eftfraize par fos borcls. Le tout eft une membrane treS-dellee , tranfparente, & approchant de la figure de ces demi-globes quis'^leventfur la fur-face des eaux dansune pluie d ete, fur-tout quand eile tombe ä grofles gouttes: elle eft toujours vuide, mais enfl^e comme ua balon. Cette membrane a des fibres, le$ unescirculaires, lesautreslongitudinales, au moyen defquelles fe forme le mouve-ment de contraftion periftaltique. Yij A Ibn extremite la plusaUongee,elle ren-ferme un peu d'eau rres-claire, qu'ime petite clolfoii membraneüle empeche cle s'e-pancher dans le reite de la concavite. La fibre qui prend de I'avant a Farriere , en 3affantfurle dos, eiU4eve.e, ondee furies Dords, pliffee comme une belle Crete , d'une couleur vive de verd bleu- purpurin, & etendue en maniere de voile : eile fe baiffe , le haufle & fe tourne , comme pour s'appareiller fuivant le vent. Des deuxcxtremitesdelafraize,coloree comme cette elpece de voile, fortent des filets dedifFerenteslongueurs; deuxtres-courts font ^ros comme un fort tuyau de plume, qui ie divifent enfuite en plufieurs autres moins gros, mais beaucoup plus longs; & ceux-ci en d'autrcs encore ^lus longs & ■)\ws menus , au nombre de luit en tout: eur longueur eft d'environ un pied ;.mais tousne iont pas egalement longs. Ces cordons entrelaces ont pres du corps I'appa-rence d'un rezcau, dont les mailles font inegales. Ces jambes ont des efpeces d'arti-4 Histoire d'unVovage convenable. M. Lhuillier , Insemeuf-Geogra ^lie clu Roi, traca les fondeinents iuivant e ilati qu'il en avoit prefente an Commanc ant. Des le LuncU matin ^ tous ceux qui le trouvoient ä terre prirent la pioclie oil la beche pour en creufer les foiidements. J'avoisvulepremier plan; & furmesre-prefentations on avoit fait plufieurs chan-gements: je cms done pouvoir, avec la meme liberte, dire moii avis fur lechoix de Templacement. Je reprefentai que dans les grandes pluies , & les fontes de neige ^ I'eau qui defccndroit abondam-nientducoteau, inonderoitlelogement, & pouiroit pent-etre le renverler , linon tout d'un coup , du moins ä la longue , apres avoir mine les fondements. La pente eft en effetun peuroide danscet endroir. M. Lhuillier propola contre cet inconvenient d'ouvrir une tranchee au-deffus, pour reccvoir les eaux & les detourner ^ mais ce moyen ne me parutpas fiiffifant, la tranchee n'etoit pas capable d'arreter I'impetuofice d'un torrent : d'ailleurs I'eau qui y auroit iejourne , en fe filtrant peua-peu ä travers les terres , auroit Aux Isles Malouines. porte dans les appartements une humi-dite tres-pernicieuleä la fante de ceuxqui les auroient habites, aux vivres aux meubles. On parut d'abord ne pas (e ren-dre ä mon avis. M. Lhuillier defendit le fien; & avoir dejä fait deblayer quelques terrcs dans 1'endroitauquel il avoir donne la preference. Mais, routes reflexions fai-tes, il fe determina pour un autre lieu, ä line bonne portee de fufil, fitue fur le meme coteau j mais dont la pente ert rres-douce. Des le moment meme, on mit des ouvriers pour creufer les fondements. On employa pour cela les matelots des deux fregares; & M. de Bougaiuville pay a leurs iournees de travail, independamment de leurs appointemens de matelots. Apres avoir pris nos precautions pour nous defendre de la rigueur des üüfons, il fallut fonger k nous premunir contre I'at-taque imprevue des ennemis du nom Francois ; & on verra bientot fi nos mefures furent bien concertees. CHAPITRE XVII. On conßruit un Fort , & on eleve un ObUifqm. LE 15, M. de Bougainville propofa aux Officiers tant de terre que de mer, de travailler elever un Fort, fur la hauteur qui forme le coteau ou i'oti avoit bad le logement des nouvenux colons des IflesMalouines. Tons d'une voix unaninie, nous convinmes de I'elever de nos propres mains, & de le conduire ä fa perfection fans le fecours du relle de I'e-quipage; k I'inftant on choifit I'eraplace-j' ment & leplan du Fort fut trace par I'inge-nieur. Pendant ce tempsd^, quelques-ims de nous allerem choifir des outils pour exe-cuter notre pro)et; d'auires chaflerent, pour fournir des vivres aux travailleurs. Jufqu'ä prefent on a tue du gibier cn H grande abondance, qu'il a plus que fuffi pour la nourriture des equipages des deux fregates. Nous avons fait plus d une fois Aux Isles Malouines. 3Ö7 la reflexion , qu il ctoit bien fingulier que nous fuflions venus nous etablir ä terre , dans un pays delert & inconnu, ians au-tres vivres que dii pain, du vin, & de Teau-de-vie; fans inquietude pour le lendemain , & perfuades que la chafle four-niroit affez pour la nourritare de plus de cent vingt perfonnes defcendues & cam-5ees ibus des tent es. Au reite, non-feu-ement nous ii'en avons pas maiKiue, mais nous en avons ete pourvus tres-abondam-ment. On donnoit cependant ä chaque plat ( on appelle ainfi en fait de marine, le nonibre de fept hommes reunis pour manger enfemble. ) au moins une outar-de & une oie, ou une oie ik deux canards, ou deux oies, ou deux outardes ; & quel-ques-uns de ces oifeaux d'eau plongeurs, que nous nommons Becßcs ou Nigauts , done on voir la iigure dans la PL VllL 2 , & dont je parlerai dans la fuite, Sm- les trois hcures apres-midi, nous nous affeinblames au lieu ou Ton avoit trace le Fort, & Ton convint de le nom-mer le Fon du Roi, oule Fon royal. Cha-cun travailla de tout fon cceur, &c avec une ardeur mcroyable ; de maniere que le foir meme on avoit dejä creule une partie dun folTe de fix pieds de large & d'un pied de profondeur; I'exemple du Commandant animoit tout le mOnde, Lc 2 de Mars on debarquaquatre pieces de canon pour armer le Fort que nous elevions; on fe propofa d'y en ajouter qua-tre qu'on tireroit du Sphinx, & fix pier-riers. Comme Ton avoit refolu d'elever une Pyramide en forme d'Obelifque, au milieu du Fort, je propofai de placer fur la pointe , le bulk de Louis XV. & je me chargeai de I'executer en terre cuite. J'a-vois vu une terre glaife & grife fur le herd d'une anfe, qui m avoit paru propre ä ce defiein; & je partis 30urTaller chercher: I'ayant trouvee , je la fis charger dans un bateau avec de la tourbe. Mais le canot echoua, a caufe de fa trop grande charge, & on en ota pour le mettre ä flot. Nous avions ete trompes par le reflux car la mer, qui n'eft pas bien reglee dans ces baies-Iä , hors le temps de la nouvelle 8c de la pleine lune, n'etoit pas montee aufli baut que Ton avoit compte. Pres d'nne beurc s'ecoula avaiic que Ton eut mis le bateau aüx Isles Malouines. 369 bateau ä flot. Pour ne pas le furcharger, M. Düclos 8c moi primes le parti de nous en retourner par terre, en fuivant la cote. ISous fimes pres d'une lieue fur des cail-loux, g;ilets , roches qui bordent cette cote. Les canotiers avoient ordre de venir nous prendre au goulet, ou nous leur avions dit que nous les attendrions. Nous eunies beaucoup de peine ä nous y retidre , par un temps brumeux & tres-venteux. Les y ayant attendus pendant trois quarts d'heure inutilement, & dans una grande obfcurite, nous pennons que la mer, qui ie retiroit, & le vent violent, qui etoit contraire , aiiroient engage les canotiers ä relaclier aux navires. Nous prenions la rcfolurion d'achever la route par terre , en faifant le tour de la baie , qui a au-moins trots quarts de lieue, lorf-que nous enteridimes e bateau qui appro-choit; nous nous hatames d'y entrer; mais ä peine avions-nous vogue cinq h iix toi-ies, que le vent devint d'une violence extreme ; lesvaguES s'enflerent, & la mer, qui fe retiroit ^ aidee du vent qui nous etoit contraire, forma un obftacle que nous ne pumes vaincre. En une heure & demie ä Tome L A a 370 Histoire dVn Voyage peine , malgre tousnos efforts, refnontä-mes-nous dix toifes. La mer devint cf-frayante; chaqiie lame fe brifoit avec fu-reur contre le bateau, & entroit dedans en partie : nous etions dejatous inondes. Las de lutter envain contre les flots, & voyant que nous etions en grand danger d'echouer fur les pierres qui bordcnt le ri-vage, GÜ les flots & le vent nous failbient denver malgre tous nos efforts, M. Du-dos dit qu il falloit retourner ä la pointe clu goulet, & y aller echouer. En moins cle trois minutes, malgre les rames & le gouvernail, nous nous Yimes jetter vers ie rivage eloigne deterre de quatre braffes ou environ. La mer, alors furicufe, alloit mettre le bateau en pieces, & nous courions des rifques pour nous-memes. Notre Capitaine dit qu'il falloit fe jetter ä I'eau, & y lauta le premier. Je I'y fuivis au moment qu'une vague tres-groffe vint fe bri-fer contre le bateau, le coiivrit en entier, & par la fecouffe me fit tomber ä Feau ; je me relevai promptement, & je pris , fort fatigue , le chemin de riiabitation. En arrivant, j'appris que le Lieutenant da Sphynx, qui avoit ete en challant, Aux Isles Malouines. 371 Ingčnteur-Geogr. dcsCjnipsS: Afmces fervant dans I'expidirioii; fous Ic Minifrred'E.de Clioifcul, Due de Stainville. En Fevricr J 7 fi 4. ivee cei mots pour exergue : Conamur tenuis grjndia. Cette efpecede medaille eft enchaffee entre deux plaques de plomb dans une. pierrecreufee. Aupres on a place unebou- Aux Isles Malouines. 377 teillede verre double, bienbouc!iee,avec un maftic qui refifte ä I'eau, dans laquelle on a enferme un papier roule , fur lequel font ecrits les noms, furnoms, qualites & pays de tous ceuxqui compofent les equipages des deux navires employes ä cette expedition, & de ceux qui y font volon-taires, en cette forme: Rolle de l'Etat-Major , des Officiers, Matelots, qui compofent les equipages de la fregate du Roi tAigle , commandee par le iieur Duclos-Guyot, Capitaine de brülot; & de la corvette Ic Sphinx, commandee par le iieur Francois Chenard de la Gyraudais, Lieutenant de fregate , armees k Saint-Malo par MefTieurs le Chevalier de Bougain-gainville , de Bougainville - Nerville, & Darboulin , Adininilbateur general des Polles de France , aux ordres de M. de Bougainville, Colonel d'infanterie& Ca-pitaine de vailTeau; lefquels ontreconnu & etabli les Ifles Malouines au ■ mois de Feyrier 1764. Etat-Major. de la fregate I'Aigle. Le Chevalier Louls-Antolnt de BougainvUk, * G. dz BougainviUi-NčrvUU^ Volontaire , L'un & I'autre Armateur, de Paris. Etienne de Bdcourt^ Capitaine d'lnfanterle. N. de Saint-Simon, Canadien, Lieutenant d'ln-fanterie. 'Lhuillur di la Sem, Ingenieur-Geographe des Camps & Armees du Roi. Dom u4ntoinc-Jofepli P erne t ty, de Rouaniie en Forez , Bencdiftin de la Congregation de S. Maur, Paffager, envoyc par le Roi. Equipage. MM. Diiclos-Guyot, de Saint-Malo, Capitaine de Brulor. Ahxa7idTt Giiyot^ de Saiiit-Malo , Capitaine en fecond. Picrrc-Marin Donat. de Salnt-Malo, premier Lieutenant. 'Michd Sirandrc, de Saint-Malo, premier Lieutenant. Pierre-Marhi le Roy, dc Saint-Malo, fccond Lieutenant. Antolne Scmon, de Saint-Malo, fecond Lieutenant. Rini-Jean Hercoua^^z Saint-Malo, Enfeignc. 'Pierre Guyot^ de Saint-Malo, Enfelgne. Akxandn Guyot^Ae. Saint Malo, Enfeigne. Rcni^Andr^ Oury, de Genet en Normandie , Ecrivain. Pierre Moriclair, de Saint-Malo, premier Chirurgien. , , * GiällaumeSaße, de Saint-Malo, fecond Chirurgien. Pilotins. Charhs-Fel'iX'Pum Fechi, de Paris. Michd Sdgneurlc, de Saint-Malo. CharUi^Frangois Anger, de Saint-Malo. Louis Alain , de Saint-Malo. Jtan-Baptißi Carre , de Saint-Malo. Matelots. Germain Bortgourd, de Saint-Servant, premier Maitre. Frangnis Tennchuit ^ de Saint-Malo, fecond Maitre. Piene de Salnt-Murc, de l'Ifld d'Orleans en Canada , premier Pilote. Ariur Fleury , de Brehat, Pilote-Cötier, Jofcph Couture de Saint-Servant o rnnti-p ^vrvänr 5 ^ FeuUlet^ de Saint-Servant, Maitre Ca-nonier. Frangois Hamel^ de Saint-Servant, fecond Ca-: nonier. Mathurin. Toupe , de Saint-Servant , Maitre Charpentier. Etimnc U Breton.^ de Pleurthiiit, fccond Charpentier. Pierre Hoiiie, dePleurthuit, Maitre Calfat. Jacques Houic, de Pleurthuit, iecond Calfat, Louis Cantin, de Saint-Servant, Maitre de Chaloupe. Frangois-Jt(tn Mace^ de Saint-Malo, Maitre de Canot. Gilks Ferrand, de Saint-Malo, MaitreVoi-lier. Joachim FeuilUt, de Saint - Servant, Second Voilier. Mathurin Guerlavas ^ de Saint-Malo, Depen-fier. Michd Argouel, de Salnt-Malo, Maitre Ton-nelier. Guillaume Chauvin , de Saint-Malo, fecond Tonnelier. Jean du Feu , dc Saint-Servant, Armiirler. * Frangois Perrier^ de Coutances, Forgeron Taillandier. * A ntoine Guillard^ deRennes, Menuifier. Houvri Garfm^ Provencal, Tambourin. Mathim Mcance^ de Reze en Dauphine, Boii- langer. Simples Matelots, Marc Julien , de Saint-Malo. * Julien Brord^ de Saint-Enogat. Henry Laifni, de Saint-Malo. * Jean Bethuel, dc Saint-Servant. Antoinc-Louis MuiUi^ de Saint-Coulome. Banhdemy Guichard, de Pleurthuit. Jtdun U Bret, de Pleurthuit. Jacqucs Ic Mefnager, de Pleurthuit. Pierre Giht, de Saint-Servant. * Claudi du CaJJou^ de Saint-Scfvant, Char-pentier. Laurent Bdquet, de Saiat-Servant. FeUx Bros, de TAcadie. Laurent Roue: , de Saint Coulome. Lnuis O^^anne, de Pleurthuit. Frangols Fouqutt, de Saint-Servant. Frangois S affray ^ de Saint-Servant. * Andre Vaudekt^ Ae Pleurthuit. Nicolas Bureau, de Saint-Malo. * GuilLaume Guichard, de Pleurthuit." Jean Ketiouard ^ de Pleurthuit. Francois Duval ^ de Saint-Malo. * Frangois Goudo, de Saint-Malo. GiLlts Lahbi, de Saint-Malo. Jean-Baptifie U Bas , de Saint-Malo. Jofeph le Mer^ dit U Maire, de Saint-Malo. /can Bdye, de Parame. Moujfes. * JofiphTalbot, Acadien. Jean Jugan.A^ Saint-Malo. Louis Dupom, de Salnt-Servant. ^si Histoire d'un Voyage Pum Monclalr^ de Saint-Malo, Pierre-Uonard-Julien Joris , de Saint-Malo. Jojcph Coutun^ de Saint-Servant. Jwi Houii^ de Pleurthiiit. Frangoh Guerlavas , de Pleurthuit. * Loiiis-Noel U Roy , de Sjiint-Sei vant. * Eütnm Pontgirard , de Saint-Sei'Vant. * Julien. Beguin^ de Saint-Servant. Domefilques. * Michel Beaumont, de Normandie , Maitre d'Hötel. Henry Ballon, de Saint-Servant, Cuilinicr cn chef. ^Jean Gwrinon^ de Saint-Malo, fecond Cuifi-nier. * Michd Evard^ de Saint-Malo, fecond Cuifi- nier. 'Bernard Denis, dit Montmirel, de Valogtie. * Jcan-Frangois Henrion, de ßleld , pres Luxembourg. 'Eußache ItContour^ de Saint-Pjerre deSlrville. Jean Meir ^ de Munich cn Baviere, Passagers qui s'etablifTcnt clans I'lfle. Guillaume Malivaln ^ dit Boucher^ Acadicn, ^Anni Bourncuf, Acadienne, l'on cpoufc. 'AXJX ISLES MALOUITJES. 585' 'Jean, leitr fils, age de trols ans & demi. Sophie , Icur fille, agee d'un an. Jeanne Bourneuf\ leur tante, Acadleniie. Sophie Bourncuf^ leur tante, Acadienne. Jlugnßin Bench, Acadien. Frangoife Terriot^ fon cpoilfe , Acadienne.' A^. leur fils. Gemvieve Terrlot, fa tante , Acadienne. Equipage de ia Corvette le Sphinx, Officiers. AfM, Chcnard de la Gyraudals , Capitalne^ Lieutenant de Fregate , de Saint-Malo. Charles^ Malo Ti/on , de Saint-Malo , fecond Capitaine, Henry Donat, de Sairrt-Malo, premier Lieutenant. Jean-Baptißz Guyot, dc Saint-Malo, fecond Lieutenant. Jofcph Donat^ de Saint-Malo, fecond Lieutenant. Charles Marlin, de Rcnnes, fecond LleutOr nant. jyeph Laurent, de Salnt-Malo , Enfeigne. Front-^oiißc, de Guienne , Chirurgien. Filotins. Jcan-Franqois Oury, de Genet, en Normandie. CkarUs Martin^ dc Rennes, fils dii Lieutenant, Matelots, Frangois Blanchard, de Saint-Malo , premier Maitrc. J^an-Frangois Maqualre, de Saint-Malo, fecond Miiitre. Nicolas Vinu^ de Saint-Malo, Maitre Canon-nier. Laurent Lucas, de Saint-Servant, Maitre Char-pentier, * Jean Clauiicr^ de Saint-Servant, fecond Char-pentier. Rene is Moine^ de Saint-Servant, Maitre Calfat, Servant Dauple,^^ Saint-Malo, fecond Calfat. Phm-Thomas Fecquent^ de Saint-Malo , Maitre dc Canot. Frango'is Finet, de Saint-Malo, Maitre Voilier. J&an-Baptljh Blondeau, de Saint-Malo, Ton-neiicr, Jean Ma^ires^ de Saint-Malo. Purrt Nicole ^ de Saint-Servant. Jean Saunier, de Saint-Malo. Fra/igois Hue, de S;ünt-M^lo. Jean U Monier, de Saint-Malo. Louis le Frangois , de Saint-Malo. Frangois-Jean U Maire^ de Saint-Malo. Moi/ßs. Moujfes. Jean L amter is Saint-Servant. Jian Marlin^ de Saint-Mnlo. Jean-Pierre-Louis Renaud, de Saint-Servant. Claude Jean Hamon , de Saint-Servant. R&ni Eoeßer, de Saiat-Malo. Domeßiques. Scnfant-Nicolas launay ^ de Saint - Servant ^ Maitre d'Hotel. Jean Feuilltt, de Saint-Servant, Cuifinier. Jtan-Fran^ois Laifni, de Brie. W , , Ce fort a ete nomme Fort de Saint-Louis, II eft fitue fur iin terrein eleve qui n'eft pas domine paries hauteurs voifines. 11 bat tons les environs , & fur-tout I entree de I'anfe , au fond de laquelle eft la nouvelle habitation. Cette entree eft nominee le Gouict avec raifon ; car en mer haute , eile n'a qu une forte portee de piftolet d'ou verture. Lecharpentier du Sphinx futcharge de f j) Ceux qui font demeurcs djns cette lile pour formti !l Coiunie , font raatijuci pit uac *. Tom& 1, B b 3S4 Histoire dun VoVagR fculpter en pierre la fleur de lys double qui devoit etre pofee far h pointe de la Pyramide, tk de faire ies deux medail-ons en bois, Tun reprcfentant le hufte de Louis XV , & lautre les armes de France , qui devoient etre appliquees fur les deux cotes oppofesde la pyramide. . Quand toutfuc prit pour la ceremonie de la prife de pofleffion des Illes Ma-louines, nous nous embarquan:ies dans nos canots & un bateau de pcche pour nous rendre au fort. A notre debarque-ment au Gouler, le fort nous faUia de plu-fieurs coups. Une troupe des habitans, determines ä demeurer dans la nouvelle colonic , etoient en armes au Go\ilet, & ils nous conduifirent au fort au fon du tambourin. Tout le monde etantaffembleau fort, on decouvrit la pyramide j alors j'enton-nai folemnellement le Te Dewn que Ton chanta a demi cha^ur. On cria fept fois vive le Roi, & Ion tira vingt-un coups de canon. M. de Bougainville montra en-fuite le brevet du Roi, qui etablitun Commandant dans la nouvelle colonic , & le remit ä M. de Nerville , qvü fut auflitot Aux Isles Malouines. 385 regu & reconnupour tel. M. de Bougainville proclama auflxau 110m clu Roi lesau-tres Olficiers, qui farent aufll egalement reconnus. On avoitdreffeun autel dans le fort au pied meme de la pyramide. Je comptois y dire la Meffe , pourrendre laceremo-nie de la prife de pofTeflion plus aiigufte & plus folemnelle ; mais le vent y fouf-floit avec tant de force , malgre la rente que Ton y avoir montee, que Ton jugea ä propos de s'en renir ä la ceremonie que )e viensde decrire. [ Cert ainfi que la France a acquis uti droit legitime ä la fouverainete des lües Maloumes. Elles n'ont point ete enlevees ä des hommes : c'ell une conquete que I'induftrie a faite fur la nature ]. Fin du premier Volume,