VOYAGE AUTOUR DU MONDE, PAR LA FRÉGATE DU ROI LA BOUDEUSE, E T 3LÉL FJLTTïCJtu JL}'jtl'OXLJZ, En 1766, 1767, 1768 & 1769. Nouvelle Edition augmentée» PREMIERE PARTIE. A N E U CH AT EL, De l'Imprimerie de la Société* Typographique. M. DCC. LXXII. AU ROI. I R E JCe voyage dont je vais rendre compte ? ejl le premier de cette ejpece entrepris par les François, £5? exécuté par lesvaiffeaidX de Votre Majesté'. Le monde entier lui devoit déjà la connoijjance de la figure E P I T R E. de la terre. Ceux de vos fujets a qui cette importante découverte étoit confiée, choifs entre les plus illujlres favans François, avoient déterminé les dimenfions du globe. VAmérique , il eft vrai, découverte conquife, la route par mer frayée aux Indes §f aux Moluques, font des prodiges de courage £jf de fucces qui appartiennent fans conteflation aux EfpagnoU §f aux Portugais. Vintrépide Magellan, fous les aufpices d?un Roi qui fe connoif foit en hommes , échappa au malheur fi ordinaire à fes pareils , de pajfcr pour un vifionnaire ; il ouvrit la barrière, franchit les pas difficiles , & malgré le fort qui le priva du plaifir de ramener fou vaijjeau à Séville , d9ou il étoit parti, rien ne put lui dérober la gloire d?avoir le premier fait le tour du globe. Encouragés par fon exemple, des navigateurs Anglois E P I T R E. £jf Hollandois trouvèrent de nouvelles terres, & enrichirent l'Europe en Véclairant. Mais cette efpece de primauté £jf d'aî-nejfe en matière de découvertes , empêche pas les navigateurs François de revendiquer avec jujiice une partie de la gloire attachée a ces brillantes, mais pénibles entreprises. Plujieurs régions de VAmérique ont été trouvées par des fujets courageux des Rois vos ancêtres £f Gouneville , né à Dieppe, a le premier abordé aux terres aujirales. Différentes caufes, tant intérieures qu extérieures, ont paru depuis fufpendre à cet égard le goût g? VaBivité de la nation. Votre Majesté' a voulu profiter du loifir de la paix pour procurer à la géographie des connoijfauces utiles à Thuma-nité. Sons vos anfpices , SIRE, nous A ? t » E P I T R E. finîmes entrés dans la carrière ; des épreu~ ves de tout geni e nous attendoient a chaque pas , la patience & le zèle ne nous ont pas manqué. C'ejl Vhifioire de nos efforts que fofe préfenter à Votre Majesté* ,* votre approbation en fera le fuccès. Je fuis avec le plus profond refpetl, DE VOTRE MAJESTE', SIRE, Lettrés-humble & très-fournis ferviteqr & fujÇt , DE BOUQAINVILI.E, DISCOURS PRELIMINAIRE. J'Ai penfé qu'il feroit à propos de préfenter à la tête de ce récit, l'énu-mération de tous les voyages exécutés autour du monde , & des différentes découvertes faites juftju'à ce jour dans la mer du Sud ou Pacifique. Ce fut en if 19 que Ferdinand Magellan , Portugais , commandant cinq vaiffeaux Efpagnols, partit de Séville, trouva le détroit qui porte fon nom, par lequel il entra dans la mer Pacifique , où il découvrit deux petites ides défertes dans le fud de la ligne, enfuite les isles Larrones , & enfin les Philippines. Son vaifieau, nommé la Vi&oire, revenu en Efpagne, feul des cinq, par le cap de Bonne-Efpérance , fut hiffé à terre à Séville, comme un monument de cette expédition, la plus hardie peut-être que les hommes euffent encore faite. Ainfi fut démontrée phy-fiquement , pour la première fois , la a4 fphéricité & retendue de la circonférence de la terre. Drack, Anglois, partit de Plymouth avec cinq vaifléaux, le if feptembre M771 î y rentra avec un feul le 3 novembre if8o. Il fit , le fécond , le tour du globe. La reine Elifabeth vint manger à fon bord, & fon vaiiTeau, nommé le Pélican, fut foigneufement confervé à Deptfort dans un baiïïn avec une infeription honorable fur le grand mât. Les découvertes attribuées à Drack font fort incertaines. On marque fur les cartes dans la mer du Sud, une côte fous le cercle polaire, plus quelques ides au nord de la ligne , plus aulli au nord la nouvelle Albion. Le chevalier Thomas Candish , Anglois , partit de Plymouth le 21 juillet if86", avec trois vaiffeaux , y entra avec deux le 9 feptembre 1 f 88- Ce voyage , le troifieme fait autour du inonde , ne produifit aucune découverte. Olivier de Nord , Hollandois, fortit de Roterdam le 2 juillet if9S? avec quatre vailfeaux, pafTa le détroit de Magellan , cingla le long des côtes occidentales de l'Amérique , d'où il fe rendit aux Larrones, aux Philippines, aux Moluques , au cap de Bonne-Efpérance, & rentra à Roterdam avec un feul vaifléau , le 26 août 1601. Il n'a fait aucune découverte dans la mer du Sud. George Spilberg , Hollandois , fit voile de Zélande le 8 août 1614 , avec fix navires , perdit deux vaif-feaux avant que d'être rendu au détroit de Magellan, le traverfa, fit des çourfes fur les côtes du Pérou & du Mexique , d'où , fans rien découvrir dans fa route, il palfa aux Larrones & aux Moluques. Deux de fes vaif-feaux rentrèrent dans les ports de Hollande le Ier- juillet 1617. Prefque dans le même tems, Jacques Lemaire & Shouten immortali-foient leur nom. Ils fortent du Texel le 14 juin , avec les vaiifeaux la Concorde & le Horn, découvrent le, détroit qui porte le nom de Lemaire, 10 D I S C 0 U R S entrent les premiers dans la mer du Sud en doublant le cap de .Horn, y découvrent par quinze degrés quinze minutes de latitude iiid , & environ cent quarante - deux degrés de longitude occidentale de Paris, fisle des Chiens ; par quinze degrés de latitude iud à cent lieues dans l'oueft, Fisle fans Fond ,* par quatorze degrés quarante-fix minutes iud , & quinze lieues plus à Pou cil, Fisle de Water ; à vingt lieues de celle-là dans l'oueft, Fisle desMoitches\ par les feize degrés dix minutes iud, & de cent foixante-treize à cent ibixante-quinze degrés de longitude occidentale de Paris , deux ifles, celle des Cocos, & celle des Traîtres; cinquante lieues plus ouell, celle d'Efpérauce, puis Yisle de Horn , par quatorze degrés cin-quante-fix minutes de latitude Iud , environ cent foixante-dix-neuf degrés de longitude orientale de Paris. Enluite ils cinglent le long des côtes de la nouvelle Guinée , parlent entre fon extrémité occidentale & Gilolo , & arrivent à Batavia en octobre i6i6. George Spilberg les y arrête , & on les envoie en Europe fur des vaiffeaux de la compagnie : Lemaire meurt de maladie à Maurice , Shouten revoit fa patrie. La Concorde & le Horn rentrèrent après deux ans & dix jours. Jacques Lhermite , Hollandois , commandant une flotte de onze vaif-feaux , partit en 162,1 avec le projet de faire la conquête du Pérou ; il entra dans la mer du Sud par le cap de Horn, & guerroya fur les côtes Efpa-gnoles, d'où ilfe rendit aux Larrones, fans faire aucune découverte dans la mer du Sud, puis à Batavia. Il mourut en fortant du détroit de la Sonde, & fon vaiiTeau , prefque feul de fa flotte , territ au Texel le 9 juillet 1626. En 1683 1 Cowley, Anglois, partit de la Virginie ; il doubla le cap de Horn, fit diverfes courfes fur les côtes Efpagnoles, fe rendit aux Larrones , & revint par le cap de Bonne - Efpé-rance, en Angleterre , où il arriva le 12 octobre 1686'. Ce navigateur n'a fait aucune découverte dans la mer du Sud; il prétend avoir découvert dans celle du Nord, par quarante-fept degrés de latitude auftrale, & à quatre-vingts lieues de la côte des Patagons, Visie Pepis. Je l'ai cherchée trois fois, & les Anglois deux, fans la trouver. Wood Roger, Anglois , fortit de Briltol le 2 août 1708 , parla le cap de Horn, fit la guerre fur les côtes Efpagnoles jufqu'en Californie, d'où, par une route frayée déjà plufieurs fois, il parla aux Larrones, aux Moluques , à Batavia, & doublant le cap de Bonne-Efpérance, il territ aux Dunes le icr oclobre 1711. Dix ans après, Roggewin, Hollan-dois, fortit du Texel avec trois vaif. féaux ; il entra dans la mer du fud par le cap de Horn, y chercha la terre de Davis fans la trouver, découvrit dans le fud du tropique auflral Yisle de Pâques, dont la latitude efl incertaine ; puis, entre le quinzième & le feizieme parallèle auftral, les mes Pernicieuses, où il perdit un de fes vaiiléaux ; puis, à peu près dans la même latitude, les isles Aurore, Vefpres, le Labyrinthe compote de fix illes, & Pille de la Récréâtion% où il relâcha. Il découvrit enfuite fous le douzième parallèle fud trois ifles , qu'il nomma isles de Bauman, & enfin ibus le onzième parallèle auftral, les isles de Tienhoven & Groningue ; navi-geant enfuite le long de la nouvelle Guinée & des terres des Papous, il vint aborder à Batavia , où fes vaif-feaux furent confifqués. L'amiral Rog-" gewin repaffa en Hollande de fa per-fonne fur les vaiffeaux de la compagnie , & arriva au Texel le 11 juillet 1723 , fix cents quatre-vingts jours après fon départ du même lieu. Le goût des grandes navigations paroiffoit entièrement éteint, lorfqu'en 1741 l'amiral Anfon fit autour du globe le voyage dont l'excellente relation eft entre les mains de tout le monde, & qui n'a rien ajouté à la géographie. Depuis ce voyage de Pamiral Anfon, il ne s'en eft point fait de grand pen- dant plus de vingt années. L'efprit de découverte a femblé récemment fe ranimer. Le Commodore Byron part des Dunes le 20 juin 1764 , traverfe le détroit de Magellan, découvre quelques ifles dans la mer du Sud, faifant fa route prefque au nord-oueft, arrive à Batavia le 28 novembre 176 f , au Cap le 24 février 1766 , & le 9 mai aux Dunes, fix cents quatre-vingt-huit jours après fon départ. Deux mois après le retour du Commodore Byron, le capitaine Wallas part d'Angleterre avec les vaiffeaux le Delfin & le Swallow , il traverfe le détroit de Magellan, eft féparé du Swallow que commandoit le capitaine Carteret, au déb ou que ment dans la mer du Sud ; il y découvre une ifle environ par le dix-huitieme parallèle , à peu près, en août 1767; il remonte vers la ligne, palfe entre les terres des Papous , arrive à Batavia en janvier 1768 , relâche au cap de Bonne - Efpérance , & enfin rentre en Angleterre au mois de mai de la même année. Son compagnon Carteret , après avoir eiïiiyé beaucoup de miferes dans la mer du Sud, arrive à MacafTar au mois de mars 1768 ? avec perte de prefque tout ion équipage ; à Batavia, le 1 f feptembre ; au cap de Bonne-Efpérance, à la fin de décembre. On verra que je l'ai rencontré à la mer le 18 février 1769? environ par les onze degrés de latitude feptentrionale. Il n'eft arrivé en Angleterre qu'au mois de juin. On voit que de ces treize voyage? ( t ) autour du monde, aucun n'appartient à la nation Françoife, & que fix feulement ont été faits avec l'efprit de découverte ; favoir , ceux de Magellan , de Drack , de Lemaire , de Roggewin, de Byron & de Wallas ; les autres navigateurs , qui n'av oient pour objet que de s'enrichir par les courfes fur les Efpagnols , ont fuivi (1) Dom Pernetty , dans fa DiJJertationfur ÏAmê~ rique, parle d'un voyage autour du monde , fait en 1.719 par le capitaine Shelwosk *, je n'ai aucune con* noiffance de ce voyage. des routes connues, fans étendre la connoi(Tance du globe. En 1714, un François, nommé la Barbinais le Gentil, étoit parti fur un vaiffeau particulier, pour aller faire la contrebande fur les côtes du Chili & du Pérou. De-là il fe rendit en Chine , où, après avoir féjourné près d'un an dans divers comptoirs, il s'embarqua fur un autre bâtiment que celui qui l'y avoit amené, & revint en Europe, ayant à la vérité fait de fa perfonne le tfur du monde, mais fans qu'on puiiTe dire que ce foit un voyage autour du monde fait par la nation Françoife. Parlons maintenant de ceux qui partant, foit d'Europe , foit des côtes occidentales de l'Amérique méridionale , foit des Indes orientales , ont fait des découvertes dans la mer du Sud, fans avoir Elit le tour du monde. Il paroît que c'effc un François , Vanhnier de Gonneville, qui a fait les premières en ifo? & 1^04,- on ignorç où font fituées les terres auxquelles il a abordé, Se dont il a ramené un habitant, habitant , que le gouvernement n'a point renvoyé dans fa patrie , mais auquel Gonneville , fe croyant alors peribnnellement engagé envers lui , a fait époufer fon héritière. Àlfonfe de Salazar, Efpagnol, découvrit en If2f Yisle de Saint-Barthe-îemi à quatorze degrés de latitude nord, & environ cent cinquante-huit degrés de longitude à l'eft de Paris. Alvar de Saavedra, parti d'un port du Mexique en 1 f 26 , découvrit entre le neuvième & le onzième parallèle nord, un amas d'ifles qu'il nomma les isles des Rois, à peu près par la même longitude que l'ille Saint-Barthelemi ; il fe rendit enfuite aux Philippines & aux Moluques ; & en revenant au Mexique , il eut le premier connoiffance des iiles ou terres nommées nouvelle Guinée & terre des Papous. Il découvrit encore par douze degrés nord, environ à quatre - vingts lieues dans l'eft des illes des Rois, une fuite d'ifles baffes, nommées les isles des Barbus. Diego Hurtado & Fernand de Grijal-Première partie. B 18 D I S C 0 U R S va, partis du Mexique en 1433 pour reconnoître la mer du Sud, ne découvrirent qu'une ifle iituée par vingt degrés trente minutes de latitude nord, environ à cent degrés de longitude oueit de Paris. Ils la nommèrent isle Saint-Thomas. Jean Gaétan , appareillé du Mexique en if42 , fit auffi fa route au nord de la ligne. Il y découvrit entre le vingtième & le neuvième parallèle, à des longitudes différentes, plulieurs ifles ; lavoir, Rocca Pàriida , les isles du Corail, celles du Jardin , la Matelote , Y isle d'Jrézife, & enfin il aborda à la nouvelle Guinée , ou plutôt, fui-vant fon rapport, à la nouvelle Bretagne mais Dampierre n'avoit pas encore découvert le paflàge qui porte fon 310 m. Le voyage fuivant eft plus fameux que tous les précédens. Alvar de Mendoce & Mindana, partis du Pérou en 1^67, découvrirent les ifles célèbres que leur richeffe fit nommer isles de Salomon ; mais , en fuppo- fant que les détails rapportés fur la richeiïè de ces iiles ne foient pas fabuleux , on ignore où elles font fituées, & c'eft vainement qu'on les a recherchées depuis. Il paroît feulement qu'elles font dans la partie auftrale de la ligne entre le huitième & le douzième parallèle. JJisle Ifabella & la terre de Guadalcanal , dont les mêmes voyageurs font mention, ne font pas mieux connues. En IÇ9Ç , Alvar de Mindana, compagnon de Mendoce dans le voyage précédent , repartit du Pérou avec quatre navires pour la recherche des ifles de Salomon. Il avoit avec lui Fernand de Quiros , devenu depuis célèbre par fes propres découvertes. Mindana découvrit entre le neuvième & le onzième parallèle méridional , environ par cent huit degrés à l'oueft de Paris , les isles Saint-Pierre, Magde-leine , la Dominique & Chrijline , qu'il nomma les Marquifes de Mendoce, du nom de Dona Ifabella de Mendoce , qui étoit du voyage \ environ vingt B 2 DISCOURS quatre degrés plus à l'oueft , il découvrit les isles Saint-Bernard ; prefque à deux cents lieues dans Poueft de celles-ci , Yisle Solitaire , & enfin Yisle Sainte-Croix , fituée à peu près par cent quarante degrés de longitude orientale de Paris. La flotte navigea de-là aux Larrones , & enfin aux Philippines , où n'arriva pas le général Mindana : onn'a pas fu ce qu'étoit devenu fon navire. Fernand de Quiros, compagnon de Pinfortuné Mindana , avoit ramené au Pérou Dona Ifabella. Il en repartit avec deux vaiffeaux le 21 décembre i5of , & prit fa route à peu près dans Poueft-fud-oueft. Il découvrit d'abord une petite iile vers le vingt-cinquième degré de latitude fud, environ par cent vingt-quatre degrés de longitude occidentale de Paris ; puis entre dix-huit & dix-neuf degrés fud, fept ou huit autres ifles baffes & prefque noyées, qui portent fon nom; & par le treizième degré de latitude fud , environ cent cinquante fept degrés à Poueft de Paris, Pille qu'il nomma de la belle Nation. En recherchant enfuite Yisle Sainte - Croix qu'il avoit vue dans fon premier voyage , recherche qui fut vaine , il découvrit par treize degrés de latitude fud, & à peu près cent foixante-feize degrés de longitude orientale de Paris, Yisle de Taumaco ; puis à environ cent lieues à l'oueft de cette ifle, par quinze degrés de latitude fud, une grande terre qu'il nomma la terre aujirale du Saint-Efprit, terre que les divers géographes ont diverfement placée. Là, il finit de courir à l'oueft, & reprit la route du Mexique , où il fe rendit à la fin de l'année 1606 , après avoir encore infriicraieufement cherché Pille Sainte- Croix. Àbel Talfnan, forti de Batavia le 14 août t 642, découvrit par quarante-deux degrés de latitude auftrale, & environ cent cinquante-cinq degrés à Peft de Paris, une terre qu'il nomma Vandiemen \ il la quitta faifànt route à oueft, & environ à cent foixante degrés de notre longitude orientale , il découvrit la nouvelle Zélande par qua» B 3 rante-deux degrés dix minutes fud. Il en fuivit la côte environ jufqu'au trente - quatre degré de latitude fud, d'où il cingla au nord-eft, & découvrit par vingt-deux degrés trente-cinq minutes , environ cent foixante-quatorze degrés à l'eft de Paris, les isles Pyljlaart, Amjlerdam & Roterdam. Il ne pouftà pas fes recherches plus loin , & revint à Batavia en pafîant entre la nouvelle Guinée & Gilolo. On a donné le nom général de nouvelle Hollande à une vafte fuite , foit de terres, foit d'ifles , qui s'étend depuis le frxieme jufqu'au trente - quatrième degré de latitude auftrale , entre le cent cinquième & le cent quarantième degré de longitude orientale du méridien de Paris. Il étoit jufte de la nommer ainli, puifque ce font prefque tous navigateurs Hollandois qui ont reconnu les différentes parties de cette contrée. La première terre découverte en ces parages , fut la terre de Concorde, autrement appellée d'Endracht, du nom de celui qui l'a trouvée en 1616, par le vingt-quatre & vingt-cinquième degré de latitude fud. En 1618, une autre partie de cette terre, iituée à peu près fous le quinzième parallèle, fut découverte par Zéachen, qui lui donna le nom à'Amhem & de Diemen ; & ce pays n'eft pas le même que celui nommé depuis Diemen par Tafman. En T619, Jean iVEdels donna fon nom à une portion méridionale de la nouvelle Hollande. Une autre portion, fituée entre le trentième & le trente-troifieme parallèle, reçut celui de Lenwin. Pierre deNuitz en 1627 » impofa le fien à une côte qui paroît faire la fuite de celle de Leuwin dans l'oueft. Guillaume de IVitt appella de fon nom une partie de la côte occidentale , voiiine du tropique du Capricorne, quoiqu'elle dût porter celui du capitaine Viane, Hollandois , qui en 1628 avoit payé l'honneur de cette découverte par la perte de fon navire & de toutes fes ri ch elfes. Dans la même année 1628, entre le dixième & le vingtième parallèle 5 B 4 le grand golfe de la Carpentarie fut découvert par Pierre Carpenter, Hol-landois , & cette nation a fouvent depuis fait reconnoître toute cette côte. Dampierre,. Anglois , partant de la grande Timor, avoit fait, en 1.Ç87 un premier voyage fur les côtes de la nouvelle Hollande , & étoit abordé entre la terre à'Amhcm & celle de Diemen ; cette courfë , fort courte , n'avoit produit aucune découverte. En 1699 ? 2 partit d'Angleterre avec l'intention expreffe de reconnoître toute cette région, fur laquelle les Hollandois ne publioient point les lumières qu'ils polfédoicnt. Il en parcourut la côte occidentale depuis le vingt-huitième jufqu'au quinzième parallèle. Il eut la vue de la terre dç Concorde, de celle de Witt, & conjectura qu'il pouvoit exifler un palfa-ge au fud de la Carpentarie. Il retourna enfuite à Timor, d'où il revint vifiter ' les illes des Papous, longea la nouvelle Guinée, découvrit le paliàge qui porte, fon nom , appella nouvelle Bretagne la grande ille qui forme ce détroit à l'eft, & reprit fa courfe pour Timor le long de la nouvelle Guinée. C'eft ce même Dampierre qui , depuis jufqu'en I691, tantôt flibuftier , tantôt commerçant , avoit fait le tour du monde en changeant de navires. Tel eft l'expofé fuccinél1 des divers voyages autour du globe , & des découvertes différentes faites dans le vafte océan Pacifique, jufqu'au tems de notre départ de France. Avant que de commencer le récit de l'expédition qui m'a été confiée , qu'il me foit permis de prévenir qu'on ne doit pas en regarder la relation comme un ouvrage d'amuièment : c'eft fur-tout pour les marins qu'elle eft faite. D'ailleurs cette longue navigation autour du globe , n'offre pas la reffource des voyages de mer faits en tems de guerre, lef-quels fournillént des feenes intéreilan-tes pour les gens du monde. Encore fi PHabituïe d'écrire avoit pu m'appren-Hre à fauver par la forme une partie de la féchereffe du fonds ! Mais, quoi-qu'initié aux fciences dès ma plus tendre jeun elfe , où les leçons que daigna me donner M. d'Alembert , me mirent dans le cas de préfenter à l'indulgence du public , un ouvrage fur la géométrie, je fuis maintenant bien loin du fanciuaire des fciences & des lettres ; mes idées & mon ftyle n'ont que trop pris l'empreinte de la vie errante & iauvage que je mené depuis douze ans. Ce n'eft ni dans les forêts du Canada, ni fur le fein des mers , que l'on fe forme à l'art d'écrire , & j'ai perdu un frère dont la plume aimée du public eût aidé à la mienne. Au relie , je ne cite , ni ne contredis perfonne ; je prétends encore moins établir ou combattre aucune hypothefe. Quand même les différences très-fenfi-bles que j'ai remarquées dans les di-verfes contrées où j'ai abordé , ne m'auroicnt pas empêché de me livrer à cet efprit de fyffême , fi commun aujourd'hui , & cependant fi peu compatible avec la vraie philofophie, corn- ment aurois-je pu efpérer que ma chimère , quelque vraifemblance que je fuife lui donner , pût jamais faire fortune ? Je fuis voyageur & marin c'eft-à-dire , un menteur & un imbécille aux yeux de cette claiTe d'écrivains parefiéux & fuperbes , qui, dans les ombres de leur cabinet, philofophent à perte de vue fur le monde & fes ha-bitans , & foumettent impérieufement la nature à leurs imaginations. Procédé bien fingulier , bien inconcevable de la part de gens qui , n'ayant rien obfervé par eux-mêmes , n'écrivent , ne dogmatifent que d'après des obfer-vations empruntées de ces mêmes voyageurs auxquels ils refufent la faculté de voir & de penfer. Je finirai ce difcours en rendant jultice au courage , au zele , à la patience invincibles des officiers (1) & ( 1 ) L'état-major de la frégate la Boudcufc, étoit compofé de MM. de Eougainville , capitaine de vaif-leau \ Duclos Guyot, capitaine de brûlot ; chevalier de Ëournand, chevalier d'Oraifon , chevalier du Bouchage, enleignes de vaiffeau ; chevalier de Suzannet, chevalier de Kué, gardes de la marine, faifant fondions d'officiers; 28 DISCOURS, gfiv équipages de mes deux vaifïèaux. Il n'a pas été nécefïaire de les animer par un traitement extraordinaire , tel que celui que les Anglois ont cru devoir faire aux équipages de M. Byron. Leur confiance a été à l'épreuve des pofitions les plus critiques , & leur bonne volonté ne s'efl pas un inilant ralentie. C'eft que la nation Françoife eft capable de vaincre les plus grandes difficultés, & que rienn'efl impoffible à tes efforts , toutes les fois qu'elle voudra fe croire elle-même l'égale, au moins, de telle nation que ce foit au monde. le Corre, officier marchand; Saint-Germain, écrivain; la Veze , aumônier ; la Porte , chirurgien-major. L'état-major de la flûte F Etoile étoit compofé de MM. Chefnard de la Giraudais, capitaine de brûlot : Caro , lieutenant des vaiffeaux de la compagnie des. Jndes; Donat, Landais , Fontaine & Lavary-le-Roi, officiers marchands ; Mlchaud , écrivain ; Vives, chirurgien - major. Il y avoit de plus MM. deCemmerqon, médecin; Verron, aftronome, & de Romainville , ingénieur» VOYAGE AUTOUR D U MONDE. PREMIERE PARTIE, Contenant depuis le départ de France » jnfquà la finie du détroit de Magellan. CHAPITRE PREMIER. Départ de la Boudcufe de Nantes > relâche à Brefi ; route de Brejî à Monte-video ; jontlion avec /ev frégates Efpagnoles pour la remife des isles Malouines. Ans le mois de février 1754, la France avoit commencé un établif-fement aux ifles Malouines. L'Ef-pagne revendiqua ces ifles, comme étant une dépendance du continent de l'Amérique méridionale ; & fon droit ayant été reconnu par le roi, je reçus ordre d'aller remettre notre établiflement aux Efpagnols , & de me rendre enfuite aux Indes orientales , en traversant la mer du Sud entre les tropiques. On me donna pour cette expédition le commandement de la frégate la Bçudeufe, de vingt-fix canons de douze, & je devois être joint aux isles Malouines par la flûte t Etoile, deltinée à m'apporter les vivres néccfïaircs à notre longue navigation, & à me fuivre pendant le refte de la campagne. Le retard que diverfes circonftances ont mis à la jonction de cette flûte avec moi, a alongé ma campagne de près de huit mois. Dans les premiers jours du mois de novembre 1766, je me rendis à Nantes, où la Boudeufe venoit d'être conftruite, & où M. Duclos Guyot, capitaine de brûlot , mon fécond , en faifoit l'armement. Le 5 de ce mois , nous defeendîmes de Painbeuf à Mindin pour achever de l'armer ; & le 1^ , nous finies voile de cette rade, pour nous rendre à la rivière de la Plata. Je devois y trouver les deux frégates Efpngnoles , la Efmeralda & la Liebre, forties de Ferrol le 17 octobre , & dont le commandant étoit chargé de recevoir les isles Malouines au nom de Sa Majefté Catholique. Le 17 au matin , nous erfuyames un coup de vent violent de la partie du oueit-fud-oueit au nord - oueft ; il renforça dans la nuit, que nous parlâmes à fec de voiles & les baffes vergues amenées , le point de deifous de la mifaine, fous laquelle nous capeyions auparavant, ayant été emporté. Le 18 ■> à quatre heures du matin, notre petit mât de hune rompit à la moitié environ de fa hauteur : le grand mât de hune rélîita jufqu'à huit heures , qu'il rompit dans le chouquet du grand mât, dont il fit confentir le ton. Ce dernier événement nous mettoit dans l'impoilibilité de continuer notre route , & je pris le parti de relâcher à Brelt, où nous entrâmes le 21 novembre. Ce coup de vent , & le dégréement qu'il avoit occafionné , me mirent dans le cas de faire les remarques fuivantes fur l'état & les qualités de la frégate que je commandois. i". Son énorme rentrée laiuant trop peu d'ouverture à l'angle que font les haubans avec les mâts majeurs , ceux-ci n'etoient pas allez appuyés. 2°. Le défaut précédent devenoït d'une plus grande conféquence par la nature du left, que la grande quantité des vivres dont nous étions pourvus , nous avoit contraints d'embarquer. Quarante tonneaux de fer de leit, diftri-bués des deux côtés de la carlingue «à peu de dillance de celle-ci, & douze canons de douze placés au pied de l'archipompe , (nous n'en avions que quatorze montés fur le pour ) for-moient un poids confidérable , lequel , très-abaiffé au deffous du centre de gravité, & prefque réuni fur la carlingue , mettoit la mâture en danger, pour peu qu'il y eût de roulisV Ces confidérations me déterminèrent à faire diminuer la hauteur exceffive de nos mâts* & à changer notre artillerie de douze contre du canon de huit. Outre la diminution de près de vingt tonneaux de poids , tant à Fond de cale que fur le pont , gagnée par ce changement d'artillerie, le peu de largeur de la Frégate fuffifoit pour le rendre nécefiaire. Il s'en faut d'environ deux pieds qu'elle n'ait le bnu des frégates faites pour porter du douze. Malgré ces changemens qui me furent accordés , je ne pouvois me diliimuler que mon bâtiment n'étoit pas propre à naviguer dans les mers qiai entourent le cap de Horn. J'avois éprouvé dans le coup de vent , qu'il faifoit de l'eau par tous fes hauts , & je devois nvat-tendre au rifque d'avoir une partie de mon bifeuit pourrie par l'eau qui , pendant le mauvais tems > s'introduiroit infailliblement dans les foutes ; inconvénient dont les fuites feroient fans relTource dans le voyage que nous entreprenions. Je demandai donc qu'il me fût permis de renvoyer la Boudeufe des isles Malouines en France , fous les ordres du chevalier Bournand , lieutenant de vaiifeau j & de continuer le voyage avec la feule flûte l'Etoile , dans le cas où les longues nuits de l'hiver m'in-terdiroient le paffage du détroit de Magellan. J'obtins cette permiifion, & le 4 décembre , notre mâture étant réparée , l'artillerie changée , la frégate entièrement récalfatée dans fes hauts, je forcis du port & vins mouiller en rade, tftde, où nous panâmes la journée à embarquer les poudres & rider les hautbans. Le 5 à midi nous appareillâmes de la rade de Breft. Je fus obligé de couper mon cable* le vent d'eft très-frais & le jullànt empêchant de virer à pic, & me faifant appréhender d'à* battre trop près de la côte. Mon état-major étoit compofé de onze officierstrois volontaires, & l'équipage de deux cents trois matelots* officiers mariniers, foldats, moufles & domef-tiques. M. le prince de Nafïau Sieghen avoit obtenu du rot la permifîlon de faire cette campagne. A quatre heures après midi, le milieu de l'isle d'oueffant me reftoit au nord-quart-nord-elt du compas , & ce fut d'où je pris mon point de départ. Pendant les premiers jours , nous eûmes afTcz conftamment les vents d'oueff-nord-oueffc au oueft-fud oueft & fud-oueft , grand frais. Le 17 après midi , on eut connoiifancc des Sahages , le 18 de fisle de Palme , & le 19 A Visle de Fer. Ce qu'on nomme les Salvageu, eft une petite isle d'environ une lieue d'étendue de l'eft à l'oueft 5 elle eft baife au milieu , mais à chaque extrémité s'élève un petit mon-drain ; une chaîne de roches , dont quelques-unes paroiifent au deffus de l'eau, s'étendent du côté de foueft à deux lieues de l'isle : il y a aufil du côte de l'eft quelques brifans, mais qui ne s'en écartent pas beaucoup. La vue de cet écueil nous avoit avertis Première Partie. g d'une grande erreur dans notre route ; mais je ne voulus l'apprécier qu'après avoir eu con-noiflanec des isles Canaries, dont lapofition eft exactement déterminée. La vue de l'isle de Fer me donna avec certitude cette correction que j'attendois. Le 19 à midi j'obfervai la latitude , & en la faifant cadrer avec le relèvement de l'isle de Fer , pris à cette même heure , je trouvai une différence de quatre degrés fept minutes dont j'étois plus eft que mon eftime. Cette erreur eft fréquente dans la traverfée du cap Finiftere aux Canaries , & je l'avois éprouvée en d'autres voyages : les courans , par le travers du détroit de Gibraltar , portant à l'eft avec rapidité. J'eus en même tems occafion de remarquer que les Salvages font mal placés fur la carte de M. Bellin. En effet, lorfque nous en eûmes connoillancc le 17 après midi , la longitude que nous donnoit leur relèvement , diftéroit de notre eftime de trois degrés dix-fept minutes à l'eft. Cependant cette même différence s'eft trouvée, le 19, de quatre degrés fept minutes, en corrigeant notre point fur le relèvement de Tislè de Fer, dont la longitude eft déterminée par des obfervations aftronomiques. Il eft à remarquer que, pendant les deux jours écoulés entre la vue des Salvages & celle de l'isle de Fer, nous avons navigué avec un vent étale , grand largue , & qu'ainfî il doit y avoir eu Sien peu d'errreur dans Teftime de notre route. D'ailleurs , le i8> nous relevâmes l'isle de Palme au fud - oueft quart d'oueft corrige , & félon M. Bel lin , elle devoit nous refter au lud-oueft. J'ai pu conclure de ces deux obfer-vations, que M. Bellin a placé l'isle des Salvages trente-deux minutes environ plus à l'oueft, qu'elle n'y eft effectivement. Je pris donc un nouveau point de départ le 19 décembre à midi. Notre route n'eut depuis rien de particulier juiqu'à notre attérage à la rivière de la Plata ; elle ne fournit d'obler-vations qui puilTent intéreifer les navigateurs, que les fuivantes. i*. Le 6 & le 7 janvier 1767, étant entre un degré quarante minutes & 00 degré trente-huit minutes nord, & par vingt- huit degrés de longitude, nous vimes beaucoup d'oifeaux; ce qui me feroit croire à la vigie de Pencdo Sun-Pedro, quoique M. Bellin ne la marque pas fur fa carte. 2'. Le 8 janvier après midi, nous panâmes la ligne entre les vingt-fept & vingt-huit degrés de longitude. 39. Depuis le deux janvier, les obfervationj de variation nous étoient refufées, & jel'avois eftimée d'après la carte de Williams Mountain & Jacob Obfon. Le 11 , au coucher du foleil , nous obfervames trois degrés dix-fept minutes de variation nord - oueft, & le 14 au matin j'obfervai encore dix minutes de variation nord-oueft avec un compas aziinuthal, C 2 ■étant par dix degrés trente minutes ou quarante minutes de latitude auftrale , & environ par trente-trois degrés vingt minutes de longitude occidentale du méridien de Paris. Il eft donc certain, fi ma longitude eftimée elt exacte, & je l'ai vérifié telle à l'attérage , que la ligne où il n'y a pas de variation, s'eft encore avancée vers l'oueit depuis les ohfervations de Mountain & d'Obfon , & qu'il femble que le progrès de cette ligne vers l'oueft eft affez uniforme. En effet , fur le même parallèle où Williams Mountain & Jacob d'Obfon avoicnt trouvé douze à treize degrés de différence dans l'cfpace de quarante-quatre ans , j'en ai trouvé un peu plus de fix degrés après un efpace de vingt-deux ans. Cette -progreflïon mériteroit d'être constatée par une fuite d'obfervations. La découverte de la loi que fuiveut ces eban-gemens dans la déclinaifon de l'aiguille aimantée , outre qu'elle fourniroit un moyen de conclure en mer les longitudes , nous conduirait peut-être à celle des caufes de cette variation , peut-être même à celle de la vertu magnétique. 4°. Au nord & au fud de la ligne , nous avons prefque conftamment obfervé des différences nord affez grandes , quoiqu'il foit plus ordinaire de les y éprouver fud. Nous eûmes lieu d'en foupqonner la caufe , lorfque 3 le 18 janvier après midi, nous traverfames un banc de frai de poiifons, qui s'étendoit à perte au t dur du monde. 3? de vue du fud-oueft quart d'oued au nord-eft quart d'eft, fur une ligne d'un blanc rougeâ-tre , large d'environ deux brades. Sa rencontre nous avertiiToit que depuis plufieurs jours les courans portoient au nord-e(l quart d'eft ; car tous les poiffons dépofent leurs œufs fur les côtes, d'où les courans les détachent & les entraînent dans leur lit en haute mer. En obfervant ces différences nord, dont je viens de parler,, je n'en avois point inféré qu'elles néceifitauent avec elles les différences oueft ; aufïï quand, le 29 janvier au foir, on vit la terre , j'eftimois à midi qu'elle me rcftoit à douze ou quinze lieues de diftance , ce qui me fit naître la reflexion fuivante. Un grand nombre de navigateurs fc font plaints , depuis long-tems , & fe plaignent encore que les cartes, fur-tout celles de M. Bellin , marquent les côtes du Brefil beaucoup trop à l'eft. Ils fe fondent fur ce que , dans jeurs différentes traverfées , ils ont fouvent apperçu ces côtes , lorfqu'ils croyoîent en être encore à quatre - vingt ou cent lieues. Ils ajoutent qu'ils ont éprouvé plufieurs fois que dans ces parages , les courans les avoient portés dans le fud-oueft : & ils aiment mieux taxer d'erreur les obfervations aftronomiques & les cartes, que d'en croire fufceptible l'eftime de leur route. Nous aurions pu , d'après un pareil raifon-nement, conclure le contraire dans notre tra- C3 verfée à la rivière de la Plata, fi un heureux ha fard ne nous eût indiqué la raifort des différences nord que nous éprouvions. Il étoit évident que le banc de frai de poiffons , que nous rencontrâmes le 29 , étoit fournis à la direction d'un courant : & fon éloignement des côtes prouvoit que ce courant régnoit depuis plusieurs jours. Il étoit donc la caufe des erreurs coudantes de. notre route , les courans , que les navigateurs ont fouvent éprouvé porter au fud-oueft dans ces parages , font donc fujets à des variations , & prennent quelquefois une direction contraire. Sur cette obfervation bien conftatée , comme notre route étoit à peu près le fud-oueft, je fus auto ri fé à corriger nos erreurs fur la dif-tance, en la faifant cadrer avec l'obfervation de latitude, & à ne pas corriger l'air de vent. Je dois à cette méthoile d'avoir eu connoilîànce de terre, prefque au moment où me la m 011-troit mon eftime. Ceux d'entre nous qui ont toujours calculé leur chemin à l'oueft , d'après l'eftime journalière , en fe contentant de corriger la différence en latitude que leur donnoit l'obfervation méridienne , croient à terre , long-tems avant que nous ne l'euffions apper-çuc. Auroient-ils été en droit d'en conclure que la côte du Brefil eft plus à l'oueft que ne le marque M. Bellin ? En général, il paroît que, dans cette partie, les courans varient, & portent quelquefois au nord-eft, plus fouvent au fud-oueft. Un coup d'œil fur le gûTcment de la côte fufnt pour prouver qu'ils ne doivent fuivre que l'une ou l'autre de ces deux directions » & il eft toujours facile de diftinguer laquelle règne, par les différences nord ou fud que donnent les observations de latitude. C'eft à ces courans qu'il faut imputer les erreurs fréquentes dont les navigateurs fe plaignent, & je penfe que M. Bellin place exactement les côtes du Brefil. Je le crois d'autant plus volontiers , que la longitude de Rio-Janeiro a été déterminée par MM. Godin & l'abbé de la Caille , qui s'y rencontrèrent en 17^1 , & qu'il y a auffi eu des obfervations de longitude faites à Fernam-buc & à Buénos-Aircs. Ces trois points déterminés , il ne fauroit y avoir d'erreur confidé-rable fur la polition en longitude des côtes orientales de l'Amérique , depuis le huitième jufqu'au trente-cinquième parallèle de latitude auftrale , & c'eft ce que l'expérience nous a, confirmé. Depuis le 27 janvier nous avions le fond, & le 29 au foir, nous vimes la terre, fans qu'il nous fût permis de la bien reconnoître, parce que le jour étoit fur fon déclin, &que les terres de cette côte font fort baffes. La nuit fut obfcure , avec de la pluie & du tonnerre. Nous la paflames en panne fous les huniers aux bas ris & le cap au large. Le 30 , les premiers layons du jour naiflant nous firent appercevoir ^.o V o y a g e les montagnes des Maldomdes. Alors il nous fut facile de reconnoître que la terre vue ta veille, étoit fisle de Lvbos. Toutefois , comme notre latitude d'arrivée étoit trente-cinq degrés feize minutes vingt fécondes , nous devions la prendre pour le cap Sainte - Marie , que M. Bellin place par trente - cinq degrés quinze minutes, tandis que fa latitude vraie eft trente-quatre degrés cinquante-cinq minutes. Je relevé cette faufle pofition, parce qu'elle eft dangereufe. Un navire qui, cinglant par trente-cinq degrés quinze minutes de latitude fud , croiroit aller chercher le cap Sainte-Marie , courroit le rifquc de rencontrer le banc aux Anglois , avant que d'avoir reconnu aucune terre. Cependant la fonde l'avertiroit de l'approche du danger ; près du banc, on ne trouve plus que fix à fept braffes d'eau. Le banc aux François, qui n'eft autre que le prolongement du cap Saint-Antoine, leroit plus dangereux ; lorfqu'on eft prêt à donner fur la pointe fep-çentrionale de ce banc , on trouve encore douze à quatorze brailès d'eau. Les Maldonadcs font les premières terres hautes qu'on voit fur la côte du nord, après rtre entré dans la rivière de la Plaça, & les feules prefque Jufqu'à Montevideo. A l'eft de ces montagnes , il y a un mouillage fur une côte très-baffe. C'eft une anfe en partie couverte par un islot. Les Efpagnols ont un bourg «ujx Maldonades, avec une garnifon. On tra<* vaille depuis quelques années, dans fes environs, une mine d'or peu riche, l'on y trouve aulîi des pierres allez tranfparentes. A deux lieues dans l'intérieur, crt une ville nouvellement bâtie , peuplée entièrement de Portugais déferteurs , & nommée Fueblo nuevo. Le 3 r, à onze heures du matin , nous mouillâmes dans la baie de Montevideo, par quatre bralfes d'eau , fond de vafe molle & noire. Nous avions palfé la nuit du 30 au 31, mouillés fur une ancre, par neuf bralfes même fond , à quatre ou cinq lieues dans l'eft de fisle de Flores. Les deux frégates Efpagnoles deftinées à prendre potfcfïïon des isles Malouines, étoient dans cette rade depuis un mois. Leur commandant , Don Philippe Ruis Puente , capitaine de vaiifeau , en étoit nommé gouverneur. Nous nous rendîmes enfemble à Buénos-Aires, afin d'y concerter avec le gouverneur général, les mefures nécejfaires pour la ceiîion de l'établit-fement que je devois livrer aux Espagnols. Nous n'y féjournames pas long-tems , & je fus de retour à Montevideo le 16" février. M. le prince de Naifau avoit fait avec moi ce voyage ; & comme le vent étoit debout pour revenir en goélette, nous débarquâmes vis-à-vis Buénos-Aires , au deifus de la Colonie du S. Sacrement, & fîmes la route par terre. Nous traverfames ces plaines immenfes dans lefquelles on fe conduit par le coup d'œil, dirigeant fon chemin de manière à ne pas man- 4-3 V o y a o e quer les gués des rivières , chaflant devant loi trente ou quarante chevaux , parmi lcfqucls il faut prendre avec un laqs fon relais, lorf-que celui qu'on monte eft fatigué , fe nour-rilfant de viande prefque crue, & panant les nuits dans des cabanes faites de cuirs, où le fommeil eft à chaque inftant interrompu par les hurlemens des tigres qui rodent aux environs. Je n'oublierai de ma vie la faqon dont nous palfames la rivière de Sainte Lucie, rivière fort profonde , très-rapide & beaucoup plus large que n'eft la Seine vis-à-vis les Invalides. On vous fait entrer dans un canot étroit & long, & dont un des bords eft de moitié plus haut que l'autre ; on force enfuite deux chevaux d'entrer dans l'eau, l'un à [tribord, l'autre à bas-bord du canot, & le maître du bac tout nud, précaution fort fage aiTurément, mais peu propre à raffiner ceux qui ne favent pas nager , foutient de fon mieux au delfus de la rivière la tète des deux chevaux, dont la befogne alors eft de vous paner à la nage "de l'autre côté , s'ils en ont la force. Don Ruis arriva à Monte-video peu de jours après nous. Il y vint en même tems deux goélettes chargées , l'une de bois & de rafraichif-femens , l'autre de bifeuit & de farine , que nous embarquâmes en remplacement de notre confommation depuis Breft. Les frégates Efpa-gnoles étant également prêtes, nous nous dif-pofames à fortir de la rivière de la Plata. CHAPITRE IL Détails fur les ètabliffemtns des Espagnols dans la rivière de la Flata. Io de la Plat a , ou la rivière d'argent, ne coule point fous le même nom depuis fa fource. Elle fort, dit-on , du lac des Xaragès vers les feize degrés trente minutes fud , fous le nom de Paraguai , qu'elle donne à une immenfe étendue de pays qu'elle traverfe. Elle fe joint vers le vingr-ieptieme degré avec le Parana, dont elle prend le nom avec les eaux. Elle coule enfuite droit au fud jufque par le trente-quatrième degré s elle y reçoit M Draguai & prend fon cours à l'eft fous le nom de la Plata, qu'elle conferve enfin jufqu'à la mer. Les géographes Jéfuites, qui les premiers ont attribue l'origine de ce grand fleuve au lac des Xaragès , fe font trompés , & les autres écrivains ont fuivi leur erreur à cet égard. L'exiftence de ce lac, qu'on a dépuis cherché vainement, eft aujourd'hui reconnue fabuleuse. Le marquis de Valdelirias, & don George de Menezès , ayant été nommés , l'un par l'Ef-pagne , l'autre par le Portugal , pour régler dans ces contrées les limites des poflcflïons refpecTàves des deux punfances , plufieurs officiers Efpagnols & Portugais parcoururent, de- puis 17?i jufqu'en 17sS t toute cette portiorr de PAflieriquê. Une partie des Efpagnols remonta le fleuve du Paraguai, comptant entrer par cette voie dans le lac des Xaragès ; les Portugais de leur côte, partant de Matagroflb , établi lie ment de leur nation fur la frontière intérieure du Brefil par douze degrés de latitude fud , s'embarquèrent fur une rivière nom--mëe ÇaoïiYoïi, que les mêmes cartes des Jéfuites marquoient fe jetter aulli dans le lac des Xaragès. Ils furent fort étonnés les uns & les autres de fe rencontrer fur le Paraguai, parles quatorze degrés de latitude fud, & fans avoir vu aucun lac. Ils vérifièrent que ce qu'on avoit pris pour un lac , eft une vafte étendue de pays très-bas, lequel en certain tems de l'année eft couvert par les inondations du fleuve. Le Paraguai ou Rio de la Plata prend fa fourec entre le cinquième & le fixieme degré de latitude auftrale , à peu près à égale diftance des deux mers & dans les mêmes montagnes d'où fort la Madera , qui va perdre fes eaux dans celles de l'Amazone. Le Parana «Se l'Ura-guai nailfcnt tous deux dans le Brefil ; l'Ura-gu.û dans la capitainic de Saint-Vincentle Parana près de la mer Atlantique , dans les montagnes qui font à l'eft-nord-eft de Rio Janeiro, d'où il prend fon cours vers l'oueft , & enfuite tourne au fud. On trouvera dans l'abbé Prcvoft l'hiftoire de la découverte de Rio de la Plata, des obfta- tics que les Efpagnols y ont rencontrés , & des premiers établiliemens qu'ils y ont Faits. On y verra Diaz de Soiis entrer le premier dans cette rivière en 15i? , & lui donner ion nom qu'elle garde jufqifen 1ç26", que Sébaftieii Cabot lui donne celui de la Plata, ou de rivière d'argent, en reconnoitïance de l'argent qu'il en tire des naturels. Cabot bâtit le fort dit S. Efprit fur le Rio Tercero , trente lieues au delfus du confluent du Paraguai & de l'Uraguai ; mais cet éta-blinement cil détruit'prcfqu^ullî-tôt que formé. Don Pedre de Mendozc , grand échanfon de l'empereur, eft enfuite envoyé dans la rivière de la Plata en 153c. Il jette fous de mauvais aufpices les premiers'fondemens de Buénos-Aires à la rive droite du fleuve, quelques lieues au delfous de fon confluent avec l'Uraguai, & fon expédition n'ett. qu'une fuite de malheurs qui ne fe terminent pas même à là mort. Les babitans de Buénos-Aires , combattus fans cette par les Indiens & par la famine, font forcés de l'abandonner, &fe retirent à YAjfomption. Cette ville , aujourd'hui capitale du Paraguai, bâtie pas des Efpagnols de la fuite de Men-^loze, fur la rive occidentale du fleuve, & à trois cents lieues de fon embouchure, if étoit accrue en peu de tems. Enfin Don Pedre Or ci'/ de Zarate , gouverneur du Paraguai, rebâtit Buénos-Aires en 1580, au même lieu ou fin-fortuné Mendoze l'avoit autrefois placée : il > fixe fa demeure, elle devient femrepôt des vaiifeaux d'Europe, &fuccefiïvement la capitale de toutes ces provinces, le fiege d'un évêque, & la réfidence du gouverneur général. Buenos-Aires eft fîtuée par trente-quatre degrés trente-cinq minutes de latitude auftrale; fa longitude de foixante - un degrés cinq minutes à l'oueft de Paris, a été déterminée par les obfervations aftronomiques du P. Feuillée. Cette ville , régulièrement bien bâtie , eft beaucoup plus grande qu'il femble qu'elle ne devroit l'être, vu "le nombre de fes habitans, qui ne paffe pas vingt mille blancs , nègres & métifs. La forme des maifons eft ce qui lui donne tant d'étendue, Si l'on excepte les cou-vens, les édifices publics, & cinq ou fix maifons particulières , toutes les autres font très-baifes & n'ont abfolument que le raiz de-chauf-fée. Elles ont d'ailleurs de vaftes cours, & prefque toutes des jardins. La citadelle, qui renferme le gouvernement, eft i'ituée fur le bord de la rivière, & forme un des côtés de la place principale ; celui qui lui eft oppofé , eft occupé par Phôtel-de-ville. La cathédrale & l'évêché font fur cette même place où fe tient chaque jour le marché public. Il n'y a point de port à Buenos-Aires, pas même un mole pour faciliter l'abordage des bateaux. Les vaiffeaux ne peuvent s'approcher de la ville à plus de trois lieues. Us y déchargent leurs cargaifons dans des goélettes qui entrent dans une petite rivière nommée &o Qhuelo , d'où les marchandées font portées en charrois dans la ville, qui en eft à un quart de lieue. Les vaiffeaux qui doivent caréner ou prendre un chargement à Buenos-Aires , fe rendent à la Encenada de Baragan, ef-pecc de port fitué à neuf ou dix lieues dans l'eft-fud-eft de cette ville. Il y a dans Buenos-Aires un grand nombre de communautés religieufes de l'un & de l'autre fexe. L'année y eft remplie de fêtes de faints , qu'on célèbre par des procellions & des feux d'artifice. Les cérémonies du culte tiennent lieu de fpe&acle. Les moines nomment les premières dames de la ville, Major* dômes de leurs fondateurs & de la Vierge. Cette charge leur donne le droit & le foin de parer féglife, d'habiller la ftatue & de porter l'habit de l'ordre. C'eft pour un étranger un fpec-tacle affez fingulier de voir dans les églifes de feint François ou de faint Dominique, des dames de tout âge, affilier aux offices avec l'habit de ces faints inftituteurs. Les Jéfuites offroient à la piété des femmes un moyen de fandification plus auftere que les précédens. Ils avoient attenant à leur couvent une maifon nommée la Cafa de los exer-cicios de las mugeres, c'eft-à-dire la maifon des exercices des femmes. Les femmes & les filles » lans le confentement des maris ni des parens, ▼enoien* s'y fan&ifier par une retraite de douze jours. Elles y étoient logées & nourries aux dépens de la compagnie. Nul homme ne pé-nétroit dans ce fancluaire, s'il n'était revécu de l'habit de faint Ignace ; les domciviques même du fexe féminin n'y pouvoient accompagner leurs maîtreifes. Les exercices pratiqués dans ce lieu faint, étoient la méditation , 1,4 prière, les catéchifmes, la confeilion & la flagellation. On nous a fait remarquer les murs de la chapelle encore teints du fang que fai-foient , nous a-t-on dit, rejaillir les difcipli-nes , dont la pénitence armoit les mains de ces Magdeleines. Aurefte, tous les hommes ici font frères , & de la même couleur aux yeux delà religion. Il y a des cérémonies facrées pour les cfclaves, & les Dominicains ont établi une confrairie de nègres. Ils ont leurs chapelles, leurs mef-fes, leurs fêtes , & un enterrement aifez décent i pour tout cela, il n'en coûte annuellement que quatre réaux par nègre aggrégé. Les nègres reconnoiifent pour patrons S. Benoît de Païenne & la Vierge, peut-être à caule de ces mots de l'écriture , nigra fum, fed formofa filia Jerufalem. Le jour de leur fête, ils éli-fent deux rois , dont l'un repréfente le .roi d'Efpague, l'autre celui de Portugal, & chaque roi fe choifit une reine. Deux bandes, armées & bien vêtues, forment à la fuite des rois une procefïion , laquelle marche avec croix, bannières & inftrumens. On chante, on on danfe, on figure des combats d'un parti à l'autre , & l'on récite des litanies. La fête dure depuis le matin jufqu'au foir , & le fpectaclc en eft niiez agréable. Les dehors de Buénos-Aires font bien cultivés. Les habitans de la ville y ont prefque tous des maifons de campagne qu'ils nomment Quin-tkf, & leurs environs fourniilent abondamment toutes les denrées nécellaires à la vie. J'en excepte le vin , qu'ils font venir d'Ef-pagne, ou qu'ils tirent de Mcndoza, vignoble fitucà deux cents lieues de Buenos - Aires. Ces environs cultivés ne s'étendent pas fort loin ; fi l'on s'éloigne feulenrent à trois lieues de la ville, l'on ne trouve plus que des- campagnes immeufes, abandonnées à une multitude innombrable de chevaux & de bœufs, qui en font les feuls habitans. A peine, en parcourant cette vaite contrée, y rencontre-t-on quelques chaumières éparfes, bâties moins pour rendre le pays habitable , que pour constater aux divers particuliers la propriété du terrein , ou plutôt celle des beitiaux qui le couvrent. Les voyageurs qui le traverfent , n'ont aucune retraite, & font obligés de cou-cberdans les mêmes charrettes qui les tranfpor-tcnt, & qui font les feules voitures dont on fe ferre ici pour les longues routes. Ceux qui veytgent à cheval, ce qu'on appelle aller à la légère, font le plus fouvent expofés à coucher au bivouac au milieu des champs. Première Partie. D ï o Voyage, Tout le pays eft uni, fans montagnes & fans autres bois que celui des arbres fruitiers. Situé fous un climat delà plus hcureufc température , il feroit un des plus abondans de l'univers en toutes fortes de productions, s'il étoit cultivé. Le peu de froment & de maïs qu'on y feme , y rapporte beaucoup plus que dans nos meilleures terres de France. Malgré ce cri de la nature, prefque tout eft inculte , les environs des habitations comme les terres les plus éloignées; ou fi le hafard fait rencontrer quelques cultivateurs, ce font des nègres efclaves. Au refte, les chevaux & Us beftiaux font en fi grande abondance dans ces campagnes , que ceux qui piquent les bœufs attelés aux charrettes , fout à cheval, & que les habitans ou les voyageurs, lorfqu'ils ont faim, tuent un bœuf, en prennent ce qu'ils peuvent manger , & abandonnent le refte , qui devient la proie des chiens fauvages & des tigres : ce font les feuls animaux dangereux de ce pays. Les chiens ont été apportés d'Europe; la facilité de fe nourrir en pleine campagne leur a fait quitter les habitations , & ils fe font multipliés à l'infini. Us fe raffemblent fouvent en troupe pour attaquer un taureau, même un homme à cheval, s'ils font preffés par la faim. Les tigres ne font pas en grande quantité , excepté dans les lieux boifés, & il n'y a que les bords des petites rivières qui le foient. On connoit l'adreffe des habitans de ces corU trées à fe fervir du lacs ; & il eft certain qu'il y a des Efpagnols qui ne craignent pas de lacer les tigres : il ne l'eft pas moins que plu fleurs fU niffent par être la proie de ces redoutables animaux. J'ai vu à Montevideo une efpece de chat-tigre , dont le poil allez long eft gris-blanc. L'animal eft très-bas fur jambes, & peut avoir cinq pieds de longueur : il eft dangereux} mais fort rare. Le bois eft très-chet à Buénos-Aires & à Montevideo. On ne trouve dans les environs que quelques petits bois , à peine propres à brûler. Tout ce qui eft néceffaire pour la charpente des maifons , la conftruction & le radoub des embarcations qui naviguent dans la rivière -, vient du Paraguai en radeaux; Il feroit toutefois facile de tirer du haut pays tous les bois propres à la conftruction des plus grands navires. De Montegranàt , où font les plus beaux , on les tranfporteroit en cajeux par VTbiaù dans l'Uraguai & depuis le Sa'.to Chico de l'Uraguai, des bâtimens faits exprès pour cet ufage, les ameneroient à tel endroit de la ri* viere où l'on auroit établi des chantiers. Les Indiens , qui habitent cette partie de l'Amérique au nord & au fud de la rivière de la Plata, font de la race de ceux que les Espagnols nomment Indios bravos. Us font d'une taille médiocre, fort laids , & prefque tous galeux. Leur couleur eft très- bafance, & U D % grailTe dont ils fe frottent continuellement, les rend encore plus noirs. Us n'ont d'autre vêtement qu'un grand manteau de peau de chevreuil, qui leur defeend jufqu'aux talons , & dans lequel ils s'enveloppent. Les peaux dont il eft compofé , font très-bien parlées ; ils mettent le poil en dedans» & le dehors eft peint de diverfes couleurs. La marque diftinc-tive des Caciques eft un bandeau de cuir dont ils fe ceignent le front; il eft découpé en forme de couronne , & orné de plaques de cuivre. Leurs armes font l'arc & la flèche ; ils fe fervent auffi du lacs & de boules (i). Ces Indiens paiîent leur vie à cheval, & n'ont pas de demeures fixes , du moins auprès des éta-bliifemens Efpagnols. Us y viennent quelquefois avec leurs femmes pour y acheter de l'eau-de-vie; & ils ne ceffent d'en boire que quand l'ivreife les lailTe abfolument fans mouvement. Pour fe procurer des liqueurs fortes, ils vendent armes , pelleteries, chevaux ; & quand ils ont épuifé leurs moyens, ils s'emparent des premiers chevaux qu'ils trouvent auprès des habitations, & s'éloignent. Quelquefois ils fe raflcmblent en troupes de deux ( I ) Ces boules font deux pierres rondes , de la ïçroffeur d'un boulet de deux livres, enchâffées l'une & l'autre dans une bande de cuir, & attachées à chacune des extrémités d'un boyau cordonné , long de fix à fept pieds. Ils fe fervent à cheval de cette arme comme d'une fronde, & en atteignent jufqu'à trois bouts pas l'animal qu'ils pourfuivent, ou trois cents pour venir enlever des beftiaux fur les terres des Efpagnols , ou pour attaquer les caravanes des voyageurs. Ils pillent, ma(facrent & emmènent en efclavage. C'eft un mal fans remède -y comment dompter une nation errante , dans un pays immenfe & inculte , où il feroit même difficile de la rencontrer ? D'ailleurs ces Indiens font courageux , aguerris, & le tems n'eft plus où un Efpagnol faifoit fuir mille Américains. Il s'eft formé depuis quelques années dans le nord de la rivière une tribu de brigands qui pourra devenir plus dangereufe aux Efpagnols , s'ils ne prennent des mefures promptes pour la détruire. Quelques malfaiteurs échappés à la juftice, s'étoient retirés dans le nord des Maldonades ; des déferteurs fe font joints à eux : infenfiblement le nombre s'eft accru ï ils ont pris des femmes chez les Indiens , & commencé une race qui ne vit que de pillage. Ils viennent enlever des beftiaux dans les polTeffions Efpagnolcs, pour les conduire fur les frontières du Brciil, où ils les échangent avec les Pauliftes (i) contre des armes & des vêtemeni. Malheur aux voyageurs qui tombent entre leurs mains. On affure qu'ils font aujourd'hui plus de iix cents* Ils ont abandonné leur (i) Les Pauliftes font une autre race de brigands fortis du Brefil , & qui fe font formés en république vers la fin du feizieme fiecle. D 3 première habitation, & fe font retirés plus loin de beaucoup dans le nord-oueft. Le gouverneur général de la province de la Plata réfide, comme nous l'avons dit , à Buénos-Aires. Dans tout ce qui ne regarde pas la mer, il eft cenfé dépendre du Viccroi du Pérou ; mais Véloignement rend cette dépendance prefque nulle , & elle n'exifte réellement que pour l'argent qu'il eft obligé de tirer des mines du Potofi ; argent qui ne viendra plus en pièces cornues , depuis qu'on a établi cette année même dans le Potofi une maifon des monnoies. Les gouvernemens particuliers du Tucuman & du Paraguai, dont les principaux établiffemens font Santa - Fé » Corrientes, Salta, Tujus , Cordune , Mendoze 8c YAjfomption , dépendent, ainfi que les fameu» fes millions des Jéfuites , du gouverneur général de la Plata. Cette vafte province comprend en un mot toutes les poffefïions Espagnoles à. l'eft des Cordillieres , depuis la rivière des Amazones jufqu'au détroit de Magellan. Il eft vrai qu'au fud de Buénos-Aires il n'y a plus aucun établirfement la feule néceiîité de fe pourvoir de fel , fait pénétrer les Efpagnols dans ces contrées. Il part à cet effet tous les ans de Buénos-Aires un convoi de deux cents charrettes , efeorté par trois cents hommes ; il va charger environ par quarante degrés dans les lacs voifins de la mer , où le fel fe forme naturellement. Autrefois les Efpagnols fen- voyoient chercher par des goélettes dans la haie St. Julien. Je remets au fécond voyage, que les cir-conftances nous ont forcés de faire dans la rivière de la Plata , à parler des millions du Paraguai ; ce fera le tems d'entrer dans ce détail, en rapportant l'expulfion des Jéfuites t de laquelle nous avons été témoins. Le commerce de la province de la Plata eft le moins riche de l'Amérique Efpagnole; cette province ne produit ni or ni argent, & fes habitans font trop peu nombreux, pour qu'ils puilfent tirer, du fol tant d'autres richeifes qu'il renferme dans fon fein ; le commerce même de Buénos-Aires n'eft pas aujourd'hui ce qu'il étoit il y a dix ans : il eft confidéra-blement déchu, depuis que ce qu'on y appelle rinternation des marchandifes n'eft plus permife , c'eft-à-dire depuis qu'il eft défendu de faire palfer les marchandifes d'Europe par terre de Buenos - Aires dans le Pérou & le Chili j de forte que les feuls objets de fon commerce avec ces deux provinces font aujourd'hui le coton , les mules & le maté ou l'herbe du Paraguai. L'argent & le crédit des négocians de Lima ont fait rendre cette ordonnance, contre laquelle réclament ceux de Buénos-Aires. Le procès eft pendant à Madrid , où je ne fais quand ni comment on le jugera. Cependant Buénos-Aires eft riche ; j'en ai vu fortir un vaiffeau de regiftre avec un million de D 4 5 6" Voyage pi affres ; & fi tous les habitans de ce pays nvoient le débouché de leurs cuirs avec l'Europe, ce commerce feul fuffiroit pour les enrichir. Avant la dernière guerre, il fe faifoit ici une contrebande énorme avec la colonie du S. Sacrement, place que les Portugais pof-fedent fur la rive gauche du fleuve , prefque en face de Buénos-Aires ; mais cette place elt aujourd'hui tellement reiferrée par les nouveaux ouvrages dont les Efpagnols l'ont enceinte, que la contrebande avec elle eft im-poilible s'il n'y a connivence ; les Portugais même qui l'habitent, font obligés de tirer par mer leur fubfiltancc du Brefil. Enfin ce pofte eft ici a l'Efpagne , vis-à-vis des Portugais , ce que lui eft en Europe Gibraltar vis-à-vis des Anglois. La ville de Montevideo , établie depuis quarante ans , eft fituée à la rive feptentrio-na'c du fleuve , trente lieues au detfus de fon embouchure , & bâtie fur une prefqu'isle qui défend des vents d'eft une baie d'environ deux lieues de profondeur fur une de largeur à fon entrée. A la pointe occidentale de cette biiie eft un mont ifolé, alfez élevé, lequel fert de reconnoilfanec, & a donné le nom à la ville; lés autres terres qui l'environnent, font très-baffès. Le côté de la plaine eft défendu par une citadelle. Plufieurs batteries protègent le côté de la mer & le mouillage. Il y eu a même une au fond de la baie fur une isie fort petite , appellée fisle aux François. Le mouillage de Montevideo eft fur, quoiqu'on y effuie quelquefois des pamperos , qui font des tourmentes de vent de fud-oueft , accompagnées d'orages affreux. Il y a peu de fond dans toute la baie; on y mouille par trois , quatre & cinq bralfes d'eau fur une vafe très-molle, où les plus gros navires marchands s'échouent & font leur lit fans fouifrir aucun dommage ; mais les vaiifeaux fins s'y arquent facilement & y dépériifent. L'heure des marées n'y eft point réglée ; félon le vent qu'il fait, l'eau eft haute ou balfe. On doit fe méfier d'une chaîne dp roches qui s'étend quelques encablures au large de la pointe de l'eft de cette baie; la mer y brife , & les gens du pays l'appellent la Pointe dee charrettes. Montevideo a un gouverneur particulier, lequel eft immédiatement fous les ordres du gouverneur général de la province. Les environs de cette ville font prefque incultes , 8c ue fournilfent ni froment ni maïs : il faut faire venir de Buénos-Aires la farine , le bifeuit & tas autres provifions néceifaires aux vaiffeaux. Dans les jardins , foit de la ville , foit des maifons qui en font voifines , on ne cultive Prefque aucun légume ; on y trouve feulement des melons , des courges, des figues, des pêches , des pommes & des coins en grande quantité. Les beftiaux y font dans la même abondance que dans le refte de ce pays ; ce qui joint à la falubrité de l'air, rend la relâche à Montevideo excellente pour les équipages; on doit feulement y prendre fes mefures contre la défertion. Tout y invite le matelot, dans Un pays où la première réflexion qui le frappe en mettant pied à terre , c'eft que l'on y vit prefque fans travail. En effet, comment réfifter à la comparaifon de couler dans le fein de Foilîveté des jours tranquilles fous un climat heureux, ou de languir afTaiffé fous le poids d'une vie conftamment laborieufe, & d'accélérer dans les travaux de la mer, les douleurs d'une vieillefle indigente ? ♦gg^^^S^gg-! CHAPITRE III. Départ de Montevideo \ navigation jufqu\tux isles Malouines ; leur remije aux Efpagnols ; détails hijloriques fur ces isles. JLiE 28 février 1767, nous appareillâmes de Montevideo avec les deux frégates Efpagnoles &une tartane chargée de beftiaux. Nous convînmes , Don Ruis & moi , qu'en rivière il prendroit la tète, & qu'une fois au large je conduirois la marche. Toutefois pour obvier nu cap de féparation, j'avois donné à chacune des frégates un pilote pratique des Malouines. L'après-midi il fallut mouiller , la brume ne permettant de voir ni la grande terre ni l'isle de Flores. Le vent fut contraire le lendemain ; je comptois néanmoins que nous appareillerions , les courans aflTez forts dans cette rivière favorifant les bordées,* mais voyant le jour prefque écoulé , fans que le commandant Ef-pagnol fit aucun lignai, j'envoyai un officier pour lui dire que , venant de reconnoître l'isle de Flores dans un éclairci , je me trou vois mouillé beaucoup trop près du banc aux Anglois j & que mon avis était d'appareiller le lendemain , vent contraire ou non. Don Ruis me fit répondre qu'il étoit entre les mains du pilote pratique de la rivière, qui ne vouîoit lever l'ancre que d*un vent favorable & fait. L'officier alors le prévint de ma part , que je mcttrois à la voile dès la pointe du jour, & que je l'attcndrois en louvoyant, ou mouillé plus au nord , à moins que les marées ou la force du vent ne me féparaifent de lui malgré moi. La tartane n'avoit point mouillé la veille , & nous la perdimes de vue le foir pour ne la plus revoir. Elle revint à Montevideo trois femaines après , fans avoir rempli fa million. La nuit fut orageufe , le pamperos fouffla avec furie, & nous fit chaffer : une féconde ancre que nous mouillâmes nous étala. Le jour nous montra les vaiiîeaux Efpagnols, mâts de hune & baffes vergues amenés , lefquels avoient beaucoup plus chafle que nous. Le vent croit encore contraire & violent, la mer très-grofle, & ce ne fut qu'à neuf heures que nous pûmes appareiller fous les quatre voiles-majeures ; à midi nous avions perdu de vue les Efpagnols demeures à l'ancre , & le 3 mars au foir, nous étions hors de la rivière. Nous eûmes pendant la traverfée aux Malouines , des vents variables du nord-eft au fud-oucfl, prefque toujours gros tems & mauvaise mer : nous fumes contraints de palier en cap le iç & le 16 t ayant eifuyé quelques avaries. Depuis le 17 après midi que nous commençâmes à trouver le fond, le tems fut toujours chargé d'une brume épaiife. Le 19 , ne voyant pas la terre , quoique l'horifon fe fût éclaire! , & que par mon eftime je fufle dans l'eft des isles Sébaldes, je craignis d'avoir dépaffé les Malouines , & je pris le parti de courir à l'oueft i le vent, ce qui eft fort rare dans ces parages , favorifoit cette réfolution. Je fis grand chemin à cette route pendant vingt-quatre heures, & ayant alors trouvé les fondes de la côte des Patagons, je fus affuré de ma pofition, & je repris avec confiance la route à l'eft. En effet , le 21, à quatre heures après midi, nous eûmes connoilfance des Sébaldes qui nous reftoient au nord-eft quart d'eft à huit ou dix lieues de diftanec, &bien-tôt aprè.<; nous vimes la terre des Malouines. Je me ferois au refte épargné l'embarras où je me trouvai , il de bonne heure j'euffe tenu le vent, pour me rallier à la côte de l'Amérique & chercher les isles en latitude. Le 23 au foir , nous entrâmes & mouillâmes dans la grande baie, où mouillèrent auilî le 24 les deux frégates Efpagnolcs. Elles avoient beaucoup fouffert dans leur traverlée ; le coup de vent du 16 les ayant obligées d'arriver Vent arrière, & la commandante ayant reçu un coup de mer qui avoit emporté fes bouteilles , enfoncé les fenêtres de fa grand'chambrc, & mis beaucoup d'eau à bord. Prefque tous les beftiaux embarqués à Montevideo , pour la colonie , avoient péri par le mauvais tems. Le 2S > les trois bâtimens entrèrent dans le port, & s'y amarerent. Le 1e1' avril , je livrai notre ctabliflemcnt aux Efpagnols , qui en prirent polfelîion , en arborant l'étendard d'Efpagne, que la terre & les vaiffeaux faluerent de vingt & un coups de canon au lever & au coucher du foleîl. J'a-vois lu aux François habitans de cette colonie «aillante, une lettre du roi, par laquelle fa ■Majefté leur permettoit d'y relier fous la domination du roi catholique. Quelques familles; profitèrent de cette pcrmifïîon : le refte, avec l'état-major , fut embarqué fur les frégates Ei-Pagnoles, lefquclles appareillèrent pour Montevideo le 27 au matin (j). (O Lorfque j'ai livré Pêtablifleinent w\ Efpngnols, tons les frais f généralement quelconques, qu'if avoit 62 V O y a g s On me pardonnera quelques remarques hiC toriques fur ces isles. Il me paroît qu'on eu peut attribuer la première découverte au célèbre Améric Vef-puce , qui, dans fon troifieme voyage pour la découverte de l'Amérique , en parcourut la côte du nord en If02. Il ignoroit à la vérité fi elle appartenoit à une isle , ou li elle faifoit partie du continent -, mais il eit facile de conclure de la route qu'il avoit fuivie , de la latitude à laquelle il étoit arrivé , de la deferip-tion même qu'il donne de cette côte , que c'étoit celle des Malouines. J'arfurerai , avec non moins de fondement , que Bcaucbefne Go'ûin * revenant de la mer du fud en 1700, a mouillé dans la partie orientale des Malouines , croyant être aux Sébaides. Sa relation dit qu'après avoir découvert l'isle entraînés jufqu'au premiet avril 1767 , montoient à fix cents trois mille livres , en y comprenant l'intérêt à cinq'pour cent des fommes dépenfées depuis le premier armement. La France ayant reconnu le droit de fa Majefté catholique fur les isles Malouines, le roi d'Efpagne, par un principe de droit public, connu de tout le monde , ne devoit aucun rembourfement de ces frais. Cependant, comme il prenoit les vaiffeaux, bateaux , marchandifes, armes , provifions de guerre & de bouche qui compofoient notre établiffement, ce monarque jufte autant que généreux , a voulu que nous fuirions rembourfés de nos avances, & la fourni* fufdite nous a été remife par fes tréforiers, partie à Paris , le refte à Buénos-Aires. à laquelle il donna fon nom, il vint mouiller à l'eft de la plus orientale des Sébaldes. Je remarquerai d'abord , que les isles Malouines étant fituées entre les Sébaldes & l'isle Beau-cbefne, & ayant une étendue considérable, il dut néceifairement rencontrer la côte des Malouines , qu'il eft même impoilible de ne pas appercevoir étant mouillé à l'eft des Sébaldes. D'ailleurs Beauchcfne vit une feule isle d'une immenfe étendue, & ce ne fut qu'après en être forti, qu'il s'en préfenta à lui deux autres petites i il parcourut un terrein humide , couvert d'étangs & de lacs d'eau douce , couvert d'oies, de farceiles , de canards & de bécalîines ; il n'y vit point de bois : tout cela convient à merveille aux Malouines. Les Sébaldes au contraire font quatre petites isles pierreufes , où Guillaume Dampierre en 1683, chercha vainement à faire de l'eau, & où il ne put trouver un bon mouillage. Quoi qu'il en foit, les isles Malouines juf-qu'à nos jours n'étoient que très-imparfaitement connues. La plupart des relations nous les dépeignent comme un pays couvert de bois, Richard Hawkins , qui en avoit approché la côte feptentrionale, à laquelle il donna le nom de Virginie cPticrwkins , & qui l'a aifez bien décrite , affuroit qu'elle étoit peuplée, & pré-tendoit y avoir vu des feux. Au commencement du fîecle, le Saint-Louis, navire de Saint-^îalo, mouilla à la côte du fud-eft dans une mauvaiFe baie, à l'abri de quelques petites isles qu'on appella isle d'Ankan , du nom de l'armateur j mais il n'y iejourna que pour faire de l'eau , & continua fa route fans s'embarrafler de les reconnoître. Cependant leur pofition heureufe pour fer-vir de relâche aux vailleaux qui vont dans la mer du fud, & d'échelle pour la découverte des terres auftrales , avoit frappé les navigateurs de toutes les nations. Au commencement de l'année 1763 , la cour de France réfolut de former un établiffemcnt dans ces is'es. Je propofai au miniltere de le commencer à mes. frais , & fécondé par MM. de Nerville & d'Ar-boulin , l'un mon couiîn germain , & l'autre mon oncle, je fis fur le champ conitruire & armer à Saint-Malo , par les foins de M. Duclos Guyot , aujourd'hui mon fécond , l\/bgie de vingt canons , & le Sphinx de douze , que je munis de tout ce qui étoit propre pour une pareille expédition. J'embarquai plufieurs familles Acadienncs , efpece d'hommes labo-rieufe , intelligente , & qui doit être chère à la France par l'inviolable attachement que lui ont prouvé ces honnêtes & infortunés citoyens. Le 15 feptembre 1763 , je fis voile de Saint-Malo : M. de Nerville s'étoit embarqué avec moi fur l'Aigle. Après deux relâches , l'une à Fisle Sainte - Catherine fur la côte du lirelil, l'autre à Montevideo, où nous primes beaucoup de chevaux & de bêtes à cornes, nous attérimes attérimcs fut les isles Sébaldesle 31 janvier: Je donnai dans un grand enfoncement que forme la côte des Malouines entre fa pointe du nord-ouen; & les Sébaldes > mais n'y ayant pas apperçu de bon mouillage , je rangeai la côte du nord * & étant parvenu à l'extrémité orientale des isles 4 j'entrai le 3 février dans une grande baie qui me parut commode pour y former un premier établiifcmcnt. La même illuiion qui avoit fait croire à Hawkins, à Wood Roger & aux autres , que ces isles étoient couvertes de bois , agit aulii fur mes compagnons de voyage. Nous vimes avec furprife en débarquant , que ce que nous avions pris pour du bois en cinglant le long de la côte , n'étoit autre chofe que des touffes de joncs fort élevées & fort rapprochées les unes des autres. Leur pied, en fe defléchant, reçoit la couleur d'herbe morte jufqu'à une toife environ, de hauteur ; & de-là fort une touffe de joncs d'un beau verd qui couronne ce pied? de forte que dans l'éloignement les tiges réu-* nies préfeiïfcent l'afpect d'un bois de médiocre Hauteur. Ces joncs ne croilfent qu'au bord de la mer & fur les petites isles ; les montagnes de la grande terre font , dans quelques endroits , couvertes entièrement de bruyères * qu'on prend aifément de loin pour du taillis. Les diverfes courfes que j'ordonnai auili-tôt, & que j'entrepris moi-même clans l'isle, nef nous procurèrent la découverte d'aucune espèce de bois, ni d'aucune trace que cette terre Première Partie, E eût été jamais fréquentée par quelque navire. Je trouvai feulement, & en abondance , une excellente tourbe qui pouvoir fupplécr au bois, tant pour le chauffage que pour la forges & je parcourus des plaines immenfes , coupées par-tout de petites rivières d'une eau parfaite. La nature d'ailleurs n'offroit pour la fubMf. tance des hommes que la pèche & plufieurs fortes de gibier de terre & d'eau. A la vérité ce gibier étoit en grande quantité, & facile à prendre. Ce fut un fpectaclc fingulier de voir , à notre arrivée , tous les animaux , jufqu'alors feuls habitans de l'isle , s'approcher de nous fans crainte, & ne témoigner d'autres mouvemens que ceux que la curiofité infpire à la vue d'un objet inconnu. Les oifeaux fe laiifoient prendre à la main , quelques-uns ve-noient d'eux-mtmes fe pofer fur les gens qui étoient arrêtés ; tant il qit vrai que l'homme ne porte point empreint un caractère de férocité qui faffe reconnoître en lui, par le feui inftinct, aux animaux foibles , l'être qni fe nourrit de leur fang. Cette confiance ne leur a pas duré long - tems : ils eurent bientôt appris à fe méfier de leur plus cruel ennemi. Le 17 mars , je déterminai l'emplacement de la nouvelle colonie. Elle ne fut d'abord compofée que de vingt-fept perfonnes, parmi lefquelles il y avoit cinq femmes & trois en-fans. Nous travaillâmes fur le champ à leur bâtir des cafés couvertes de jonc, à conftruire un magafin & un petit fort, au milieu duquel fut élevé un obélifque. L'effigie du roi déco-roit une de les faces, & l'on enterra fous fes fonderaens quelques monuoies avec une médaille, où dun côté étoit gravée la date de l'entreprife ; fur l'autre on voyoit la figure du roi, avec ces mots pour exergue : Tibi Jtrviaû iiïtima Thuli. Telle étoit finfeription gravée fur cette médaille : etablissement des isles malouines, SITUë'ES AU 5 i deg. Jo min. de lat. AUST. et 60 deg. ço Mlff. de long. occid. me'RID. de paris , par la fre'gate l'aigle , capitaine p. duclos guiot , CAPITAINE se brulot4 et la corvette le SPWlNX , CAP. f. CT1ENARD de la giraudais, lie ut. de frf.'fï ate, ahme'es par louis-antoine de bougainv ille, colonel d'infanterie, capitaine de vaisseau, chef" de l'expe'dition , g. de nerville, capitaine d'infanterie, et p. dakeoul1n, adminis-trareur ge'ne'pvAT, Des postes de France : construction d'un fort et d'un ore'lis-q.ue de'core' d'un medaillon de sa majeste louis xv. sur les plans d'a. l'huilier, ing. ge'ogr. des camps et arme'es, servant dans l'expe-dition; sous le ministere d'e'. tat de choiseul , duc de sta1nville. en fe'vrier 1764. Avec ces mots pour exergue : conamur tenvî9 GKANDIA. E % Cependant, pour encourager les colons, & augmenter leur confiance en des fecours prochains que je leur promis , M. de Nerville confeutit à relier à leur tète, & à partager les hazards de ce {bible établiifement aux extrémités de l'univers , le feul qu'il y eût alors à une latitude auiîi élevée dans la partie auttrale de notre globe. Le f avril 176*4, je pris folem-nellement poifefiion des isles au nom du roi > & le 8 je mis à la voile pour France. Le 5 Janvier 176^ , je revis mes colons, & je les revis fains & contens. Après avoir débarqué les fecours que je leur apportois , j'allai dans.le détroit de Magellan chercher un chargement de bois de charpente, des paliiTa-des, de jeunes plants d'arbres ; & j'ouvris une navigation devenue néceJfaire au maintien de la colonie. Ce fut alors que je rencontrai les vaiffeanx du Commodore Byron , qui , après être venu reconnoître les isles,Malouines pour la première fois, traverfbit le détroit pour entrer dans la mer du fud. A mon départ des Malouines, le 27 avril fuivant, la colonie fe trouvoit compofée de quatre-vingts perfon-nes, en y comprenant l'état-major. En 1765 5 nous renvoyâmes l'Aigle aux isles Malouines , & le roi y joignit l'Etoile, une de fes flûtes. Ces deux bâtimens, après avoir débarqué les vivres & les nouveaux habitans1, allèrent enfemble faire du bois pour la colonie dans le détroit de Magellan. L'établiifement Gommençoit dès-lors à prendre une forme. Le commandant &l'ordonnateur logeoient dans des maifons commodes & bâties en pierre ; le refte des habitans occupoit des maifons dont les murs étoient faits de gazons. Il y avoit trois magafins , tant pour les erfets publics, que pour ceux des particuliers. Les. bois du détroit avoient fervi à faire la charpente de ces divers bâtimens, & à conduire deux goélettes propres à reconnoître les côtes. VAigle retourna en France de ce dernier voyage , avec un chargement d'huile & de peaux de loups marins tannées dans le pays. L'on avoit aulîi fait divers e;Tais de culture, fans défefpérer du fuccès, la plus grande partie des graines apportées d'Europe «'étant facilement naturalisées ; la multiplication des beftiaux étoit certaine , & le nombre des habitans montoit alors environ à cent cinquante. Cependant, comme nous venons de le dire, le Commodore Byron étoit venu au mois de janvier ly^S reconnoître les isles Malouines. Il y avoit abordé à l'oueft de notre établiifement, dans un port nommé déjà par nous port la Croifade , & il avoit pris poifeftion de ces lsles pour la couronne d'Angleterre , fans y laitTer aucun habitant. Ce ne fut qu'en 1766"» que les Anglois envoyèrent une colonie s'établir au port de la Croifade, qu'ils avoient nommé port d'Egmont ; & le capitaine Macbride, commandant la frégate le Jafon, vint à notre établiflcment au commencement de décembre de la même année. Il prétendit que ces terres appartenoient au roi de la grande Bretagne ,. menaça de forcer la defeente, fi l'on s'oblti-noit à la luirefufer, fit une vifite au commandant, & remit à la voile le même jour. Tel étoit l'état des isles Malouines , lorfque nous les remimes aux Efpagnols , dont le droit primitif fe trouvoit ainfi étayé encore par celui que nous donnoit înconteilablement la première habitation. Les détails fur les productions de cette isle , & les animaux qu'on y trouve, font la matière du chapitre fuivant, & le fruit des obfervations qu'un féjour de trois années a fourni à M., de Nerville. J'ai cru qu'il étoit d'autant plus à propos d'entrer dans ces détails, que M, de Commercon n'a. point été aux isles Malouines, & que l'hiftoire naturelle en eit à certains égards aiîez importante ( i ). (i) L'ouvrage que nous publions aujourd'hui, éfcoît. fait avant que le Journal de Don Pernetty fur les isles Malouines parût. Sans cela, nous nous ferions» difpenfés des détails fuivans, CHAPITRE IV. Détails fur Phijloire naturelle des isles Malouines. Il n'y a point tic pays nouvellement habite qui n'offre des objets intéreffans aux yeux même les moins exercés dans l'étude de l'hif-toire naturelle ; & quand leurs remarques ne ferviroient pas d'autorité, elles peuvent toujours fatisfaire en partie la curioiité de ceux qui cherchent à approfondir le fyltème de la nature. La première fois que nous mimes pied, à terre fur ces ifles, rien de féduifant ne s'offrit à nos regards j & à l'exception de la beauté du port dans lequel nous étions entrés , nous ne favions trop ce qui pouvoit nous retenir fur cette terre ingrate eu apparence. Un horifon terminé par des montagnes pelées; des terreins entrecoupés par la mer, & dont elle fembloit fe difputer l'empire ; des campagnes inanimées faute d'habitans ; point de bois capables de nuTurer ceux qui fe deftinoient à être les premiers colons i un vafte iilence , quelquefois interrompu par les cris des monftres marins ; par-tout une trifte uniformité ; que d'objets décourageans & qui paroilfoient annoncer que la nature fe refuferoit aux efforts de l'efpece E4 humaine dans des lieux fi fauvages ! Cependant le tems & l'expérience nous apprirent que le travail & la confiance n'y festoient pas fans fruits. Des baies immeules à l'abri des vents par ces mêmes montagnes qui répandent de leur fein les cafeades 8c les ruiffeaux; des prairies couvertes de gras pâturages, faits pour alimenter des troupeaux nombreux; des lacs 8c des étangs pour les abreuver; point de con-tcflation pour la propriété du lieu; point d'animaux à craindre par leur férocité , leur venin ou leur importunité ; une quantité innombrable d'amphibies des plus utiles, d'oifeaux & de poiffons du meilleur goût; une matière con-buftibïê pour fuppîéer au défaut du bois; des plantes reconnues fpécifiques aux maladies des navigateurs; un climat falubre & une température continuelle , bien plus propre à former des hommes robudes & fains, que ces contrées enchanterefles où l'abondance même devient unpoifon, & la chaleur une obligation de ne rien faire; telles furent les reffources que la nature nous préfenta. Elles effacèrent bientôt les traits qu'un premier afpect avoit imprimés j & juflifierent la tentative. On pourroit ajouter que les Anglois, dans leur relation Au port Egmont, n'ont pas balancé à dire " que le pays adjacent offre tout ce qui „ eft néceflaire pour un bon établiftement. Leur „ goût pour Phiftûire naturelle les engagera j, fans doute à faire & à publier des recherches 0 qui rectifieront celles-ci. ,? aut 3 iir du monde. f£ Les isles Malouines fe trouvent entre cinquante-un & cinquante-deux degrés & demi de latitude méridionale , foixante-uu & demi & foixante-ciiiq & demi de longitude occidentale du méridien ds Paris; elles font éloignées de la cote de l'Amérique ou éès tatagons , & de l'entrre du détroit de Magellan , d'environ Quatre-vingt à quatre-vingt-dix lieues. La carte que nous avons donnée de ces isles n'a pas fans doute la préci l'ion géographique; elle eût été l'ouvrage d'un grand nombre d'années. Cet apperçu peut cependant indiquer à peu près l'étendue de ces isles de l'eft à l'oueft & du nord au fud , le giilemcnt des côtes parcourues par nos vaiffeaux , la pofition & l'enfoncement des grandes baies, enfin, la direction des principales montagnes. Les ports que nous avons reconnus , réunifient l'étendue & l'abri ; un fond tenace & des isles heureufement fituées pour oppofer des ObftacleS à la fureur des vagues , contribuent à les rendre sûrs & aifés à défendre,- ils ont de petites baies pour retirer les moindres embarcations. Les ruiffeaux Je rendent à la côte, de manière que la provifion d'eau douce peut fe faire avec la plus grande expédition. Les marées aifujetties à tous les mouvemens d'une mer environnante , ne fe font jamais élevées dans des tems fixes , & qu'il ait ete pofïible de calculer. On a feulement remarqué «Celles avoient trois viciifitudss déterminées avant l'inftant de leur plein ; les marins ap-pelloicnt ces viciiîitudes varvodes. La mer alors en moins d'un quart d'heure monte & baûTe trois fois comme par fccomles, fur-tout dans les tems des folftices , des équinoxes & des pleines lunes. Les vents font généralement variables , mais régnant beaucoup plus de la partie du nord au fud par l'oueft, que de la partie oppofée. En hiver, lorsqu'ils fouillent du nord à l'oueft, ils font brumeux & pluvieux ; de l'oueft au fud , chargés de frimas , de neige & de grêlei du fud au nord par l'eft, moins chargés de brumes , mais violens , quoiqu'ils ne le foient pas autant que ceux qui régnent en été & fe fixent du fud-oueft au nord-oueft par l'oueft. Ces derniers , qui nettoient l'horifon & fe-client le terrein, ne commencent à fouiller que îorfquG le foleil fe montre à l'horifon , ils fuivent dans *leur accroirfement l'élévation de l'aftrc, font au point de leur plus grande force, lorfqu'il pafle au méridien, & déclinent avec lui quand il va fe cacher derrière les montagnes. Indépendamment de la loi que le mouvement du foleil leur impofe, ils font encore affervis au montant des marées, qui augmente leur force, & quelquefois change leur direction. Prefque toutes les nuits de l'année , celles d'été fur-tout, font calmes & étoi-lées i les neiges que les vents du fud-oueft amènent en hiver ne font pas confidérables » \ elles reftentenviron deux mois fur le fommet des plus hautes montagnes, & un jour ou deux tout au plus fur la furface des terreins. Les ruiifeaux ne gèlent point ; les lacs & les étangs glacés n'ont jamais pu porter les hommes plus de vingt-quatre heures. Les gelées blanches du printems & de l'automne ne brûlent point les plantes & fe convertiflent en rofée au lever du foleil. En été il tonne rarement ; nous n'éprouvions en général, ni grands froids ni grandes chaleurs, & les nuances nous ont paru prefque infeufibles entre les faifons. Sous un tel climat, où les révolutions fur les tempéramens font comme impoffibles , il eft naturel que tous les individus foient vigoureux & fains ; & c'eft ce qu'on a éprouve pendant un féjour de trois années. Le peu de matière minérale trouvée aux isles Malouines, répond de la falubrîté des eaux; elles font par - tout commodément placées > aucune plante d'un cara&erc dangereux n'in-lecT:e les lieux où elles coulent , c'eft ordinairement fur du gravier ou fur du fable , & quelquefois fur des lits de tourbe, qui leur laiiTe à la vérité une petite couleur jaunâtre , mais fans en diminuer la qualité ni la légèreté. Il y a par-tout dans les plaines olus de pro-fondeur qu'il n'en faut pour fouffrir la charge; le fol eft tellement entrelacé de racines d'herbes jufqu'à près d'un pied, qu'il étoit in-«ifpenfable , avant que de cultiver, d'enlever cette couche, & de la divifer pour la deflecher & la brider. On fait que ce procédé clt merveilleux pour améliorer les terres , & nous remployâmes. Au deffous de la première couche , on trouve une terre noire qui n'a jamais moins de huit à dix pouces d'épaifleur, & qui le plus fouvent eu a beaucoup plus ; on rencontre enfuite la terre jaune ou terre franche à des profondeurs indéterminées. Elle eft fou-tenue par des lits d'ardoife & de pierres , parmi lefquelles on n'en a jamais trouvé de calcaires , épreuve faite avec l'eau forte. Il paroit même que le pays eft dépourvu de cette nature de pierre ; des voyages entrepris jufqu'au fom-met des montagnes , à deflein d'en chercher, n'en ont fait voir que d'une nature de quartz & de grès non friable , produisant des étincelles Se même une lumière phofphorique, accompagnée d'une odeur fuîphurcufe. Au refte , il ne manque poinr de pierres à bâtir; la plupart des côtes en font formées. Onydiftingue des couches horifontales d'une pierre très-dure & d'un grain fin, ainfi que d'autres couches plus ou moins inclinées , qui font celles des ardoifes & d'une efpece de pierre contenant des particules de talc. On- y voit auill des pierres qui fe divifent par feuillets, fur le'fqucls on rcmarquoit des empreintes de coquilles foifiJes d'une efpece inconnue dans ces. mers; on en faifoit des meules pour les outils. La pierre qu'on tira des excavations étoit jau- nâtre, & n'avoir, pas encore acquis fon degré de maturité j on i'auroit taillée avec un couteau, mais elle durcilfoi: à l'air. On trouve facilement la glaife, les fables & les terres propres à fabriquer la poterie & les briques. La tourbe qui fe rencontre ordinairement au delfus de la glaife, s'étend bien avant dans le terrein. On ne pouvoit faire une lieue, de quelque point que l'on partît, fans en aoper-cevoir des couches confidérablcs , toi. j mrs aifées à diftinguer par des ruptures qui eu offrent quelques faces. Elle fe forme tous les jours du débris des racines & des herbes dans les lieux qui retiennent les eaux, lieux qu'annoncent des joncs fort pointus. Cette tourbe prife dans une baie voifine de notre habitation, où elle préfente aux vents une furface de plus»de douze pieds de hauteur, y acqué-roit un degré fuffifant de déification. C'étoit celle dont on fe fervoit ; fon odeur n'étoit point mal-faifantc, fon feu n'étoit pas trille, & fes charbons avoient une action fupérieure à celle du charbon de terre , puifqu'en foufflant def-fus , on pouvoit allumer une lumière auiîî ai-fément qu'avec de la braife; elle fuhSfoit pour tous les ouvrages de la forge, à. l'exception des foudures des groifes pièces, Tous les bords de la mer & des isles de l'intérieur font couverts d'une efpece d'herbe que l'on nomma improprementglayeuh ; c'eft plutôt une forte de gramen. Elle eft du plus beau 7g V 0 ï age verdi & a plus de fix pieds de hauteur. C'eft la retraite des lions & des loups marins i elle nous fervoit d'abri comme à eux dans nos voyages. En un inftant on étoit logé. Leurs tiges inclinées & réunies formoient un toit * & leur paille feche un alfez bon lit. Ce fut aufîï avec cette plante que nous couvrîmes nos maifons; le pied en eft fucré, nournifant, & préféré à toute autre pâture par les beftiaux. Les bruyères , les arbuftes & le gommier font après cette grande herbe les feuls objets qu'on diftingue dans les campagnes. Tout le refte eft furmonté par des herbes menues, plus vertes & plus fournies dans les endroits abreuvés. Les arbuftes furent d'une grande relfource pour le chauffage, on les réferva enfuite pour les fours , ainfi que la bruyère ; les fruits rouges de celle-ci nous attiroient beaucoup de gibier dans la faifon. Le gommier, plante nouvelle & inconnue en Europe , mérite une deicription plus étendue. Elle eft d'un verd de pomme, & n'a en rien la figure d'une plante ; ou la prend oit plutôt pour une loupe ou excroiifance de terre de cette couleur; elle ne laifie voir ni pied, ni branches, ni feuilles. Sa furface, de forme convexe, préfente untiifu i\ ierré, qu'on n'y peut rien introduire fans déchirement. Notre premier mouvement étoit de nous alleoir ou de monter delfus ; fa hauteur n'eft gueres de plus d'un pied & demi. Elle nous portoit auifi fe* rement qu'une pierre, fans en être foulée; fa largeur s'étend d'une manière disproportionnée à fa forme ; il y en a qui ont plus de fix pieds de diamètre, fans en être plus hautes* Leur circonférence n'eft régulière que dans les petites plantes qui repréfentent afiez la moitié d'une fphere ; mais lorfqu'elles fe font accrues, elles font terminées par des bolfes & des creux fans aucune régularité, C'eft en piuiicurs endroits de leur furface que l'on voit en gouttes de la grofteur d'un pois, une matière tenace & jaunâtre qui fut d'abord appelléc gomme ; mais comme elle ne peut fe diifoudre que dans les fpiritueux, elle fut décidée réfine. Son odeur eft forte, allez aromatique, & approche de celle de la térébenthine. Pour connoître l'intérieur de cette plante , nous la coupâmes exactement fur le terrein, & la renverfames. Nous vimes en la brifant qu'elle part d'un pied d'où ^élèvent une infinité de jets concentriques, eompofés de feuilles en étoiles, cnchàilées les Unes fur les autres, & comme enfilées par un a*e commun. Ces jets font blancs juiqu'à peu de diftancede la furface, où l'air les colore en verd ; en les brifant, il en fort un fuc abondant & laiteux; plus viiqueux que celui des tithymales; le pied eft: une fource abondante de ce fuc, ainfi que les racines qui s'étendent Wifbntalement, & vont provigner à quelque diftance; de forte qu'une plante n'eft jamais feule. Elle paroit fe plaire fur le penchant des collines, & toutes les exportions lui font in- §0 V 0 y a g s différentes. Ce ne fut que la troifieme aimée qu'on chercha à connoitre fa fleur & fa graine, l'une & l'autre fort petites, parce qu'on étoit rebuté de n'avoir pas pu en tranfporter en Europe. Enfin on a apporté quelques graines pour tâcher de s'approprier cette (inguiiere & nouvelle plante , qui pourroit même être utile eu médecine , plufieurs matelots s'étant fervis de fa réfine avec fuccès pour fe guérir de légères bleflures. Unechofe digne de remarque, c'eft que cette plante ainii retournée s perd fa réfine à l'air feul , & par le lavage des pluies. Comment accorder cela avec fa difïblution dans les feuîs fpiritueux? En cet état j elle étoit d'une légèreté furprenante , & brûloit comme de la paille. Apres cette plante extraordinaire , on eu rencontroit une d'une utilité éprouvée; elle forme un petit arbriifeau ,• & quelquefois rampe fous les herbes & le long des cotes. Nous la goûtâmes par fantaifie , & nous lui trouvâmes un goût de fapinette; ce qui nous donna l'idée d'effayer d'en faire de la bière. Nous avions apporté une certaine quantité de mélalfe & de grains ; les procédés que nous employâmes réuffirent au-delà de nos fouhaits , & l'habitant une fois inflruit, ne manquait jamais de cette boilfon que la plante rendoit anti-feorbutique ? on l'employa très-fpécifiquement dans des bain» que l'on faifoit prendre aux malades qui vc-noient de la mer, Sa feuille eft petite & dentelée» telée, d'un verd clair. Lorfqu'on labriie entre-les doigts >, elle fe réduit eu une efpece de farine un peu glutineufe , & d'une odeur aro^ Viatique. Une efpece de céleri Ou perfil iauvage, très-abondante , une quantité d'ofeille , de cretfon de terre & de cétéracs à feuilles ondées , four-ïùifoient avec cette plante tout ce qu'on pouvoit délirer contre le fcorbuL Deux petits fruits, dont l'un inconnu, ref-femble allez à une mûre, l'autre * de la grof-feur d'Un pois * & nommé lucetx à caufe de fit conformité avec celui que l'on trouve dana l'Amérique feptentrionale , étoient les feula Que l'automne nous fournit. Ceux des bruyères n'étoient mangeables que pour les enfuis * Qui mangent les plus mauvais fruits, & pour le gibier. La plante de celui que nous nommâmes *nûre eft rampante : la feuille reflemble à celle du charme, elle prolonge fes branches, & fe reproduit comme les fraifiers. Le lu cet eft au iîî lampant, il porte fes fruits le loilg de fes branches garnies de petites feuilles parfaitement bffes , rondes, & de couleur de myrte i ces fruits font blancs & colorés de rouge du côté expofé au foleil, ils ont le goût aromatique & l'odeur de fleur d'orange, ainfi que les feuilles, dont Pinfufion prife avec du lait a paru très-agréable. Cette plante fe cache fous les herbes 3 & fe plaît dans les lieux humides > on en trouva une quantité prodigieufe aux environs des lacs* Première Partie f Parmi plufieurs autres plantes, qu'aucun befoin ne nous engagea à examiner , il y avoit beaucoup de fleurs , mais toutes inodores, à l'exception d'une feule qui eft blanche, & de l'odeur de la tubercule. Nous trouvâmes autîî une véritable volette d'un jaune de jonquille; Ce que l'on peut remarquer, c'eft qu'on n'a jamais rencontré aucune plante bulbeufe ou à oignon. Une autre fingularité , ce fut que dans la partie méridionale de l'isle h.ibitée, au-delà d'une chaîne de montagnes qui la coupe de l'eft à l'oueft, on vit qu'il n'y a, pour ainfi dire , point de gommier réfineux , & qu'à leur place on rencontroit en grande quantité une plante d'une même forme, & d'un verd tout différent, n'ayant pas la même folidité , ne pro-duifant aucune réfine , & couverte dans fa faifon de belles fleurs jaunes. Cette plante , facile à ouvrir , eft compofée comme l'autre, de jets qui partent tous d'un même pied & vont fe terminer à fa furface. En reparlant les montagnes, on trouva un peu au delfous de leur fommet une grande efpece de fcolo-pandre ou de cétérac. Ses feuilles ne font point ondées, mais faites comme des lames d'épéc. Il fe détache de la plante deux maîtrefles tiges qui portent leur graine en deffous comme les capillaires. On vit aufli fur les pierres une grande quantité de plantes friables qui fem-blent tenir de la pierre & du végétal ; on penfa que ce pouvoient être des lichens, mais l'on remit à un autre tems à éprouver li elles fe- l'oient de quelque utilité pour la teinture. Quant aux plantes marines , elles étoicnt plutôt un objet incommode qu'utile. La mer eft prefque toute couverte de goémon dans le port , fur-tout près des côtes, dont les canots ^voient de la peine à approcher; il ne rend d'autre fervice que de rompre la lame lorfque la mer eft, grotfe. On comptoit en tirer un grand parti pour fumer les terres. Les marées nous apportoient plufieurs efpeces de corali-Ues très-variées "& des plus belles couleurs ; elles ont mérité une place dans les cabinets des curieux, ainfi que les éponges & les coquilles. Les éponges atfedent toutes la figure des plantes, elles font ramifiées en tant de manières , qu'on a peine à croire qu'elles foient l'ouvrage d'infectes marins. D'ailleurs leur tilfn eft fi ferré & leurs fibres fi délicates , qu'on ne c mcoit gueres comment ces animaux peu-Vent s'y loger. Les côtes des Malouines ont fourni aux cabinets plufieurs coquilles nouvelles. La plus Précieufe eft la poulette ou poulte. On recon-UQÎt trois efpeces de ces bivalves, parmi lesquelles celle qui eft ftriée , n'avoit jamais été Vue , à ce qu'on dit, que dans l'état de fouîtes» ee qui peut fervir de preuve à cette atlèrtion » que les coquilles foflïïes trouvées à des niveaux beaucoup au-deifus de la mer, ne font point des jeux de la nature & du hazard , mais qu'elles ont ete la demeure d'êtres vivans dans» le tems que les terres étoient encore couvertes par les eaux". Avec cette coquille très-commune on trouVoft les lepas efttmés par leurs belles couleurs, les buccins feuilletés & aimés , les cames , les grandes moules unies & ftriées , & de la plus belle nacre, &c. On ne voit qu'une feule efpece de quadrupède fur ces isles ; elle tient du loup & du renard. Les oifeaux font innombrables. Us habitent indifféremment la terre & les eaux. Les lions & les loups marins font les feuls amphibies. Toutes les côtes abondent en poiffons , la plupart peu connus* Les baleines occupent la haute mer ; quelques-unes s'échouent quelquefois dans le fond des baies, où l'on voit leur débris. D'autres offemens énormes, placés bien avant dans les terres, & que la fureur des flots n'a jamais été capable de porter fi loin , prouvent, ou que la mer a baiifé , oU que les terres fe font élevées. Le loup-renard, ainfi nommé, parce qu'il fe creufe un terrier, & que fa queue eft plus longue & plus fournie de poil que celle du loup, habite dans les dunes fur le bord de la mer. Il fuit le gibier & fe fait des routes avec intelligence, toujours par le plus court chemin d'une baie à l'autre ; à notre première defeente à terre , nous ne doutâmes point que ce ne fuffent des feutiers d'habitans. Il y a apparence que cet animal jeûne une partie de l'année » tant il eft maigre & rare. Il eft de la taille d'un chien ordinaire, dont il a auilî l'aboiement, mais foible. Comment a-t-il été tranfporté fur les isles? Les oifeaux & les poilfons ne manquent pas d'ennemis qui troublent leur tranquillité. Ces ennemis des oifeaux font le loup , qui détruit beaucoup d'œufs & de petits ; les aigles , les éperviers, les émouchets & les chouettes. Les poilfons font encore plus maltraités; fans parler des baleines qui, comme on fait* Ue fe nourriffant que de fretin , en détrui-feut prodigieufement, ils ont à craindre les. amphibies & cette quantité d'oifeaux pêcheurs, dont les uns fe tiennent conftamment en fen-tinelle fur les roches , & les autres planent fans celfe au deifus des eaux. Pour être en état de bien décrire les animaux qui fuivent, il eût fallu beaucoup de tems & les yeux du naturalifte le plus habile. Voici les remarques les plus eflentielles, étendues feulement par rapport aux animaux Qui étoient de quelque utilité. Parmi les oifeaux à pieds palmés, le cygne tient le premier rang. Il ne diffère de ceux d'Europe que par fon col d'un noir velouté » qui fait une admirable oppofition avec la blancheur du refte de fon corps ; fes pattes font couleur de chair. Cette efpece de cygne fe trouve auiïi dans la rivière de la Plata & au détroit de Magellan. Quatre efpeces d'oies fauvages formulent f a une de nos plus grandes richelfes. La première ne fait que pâturer; on lui donna improprement le nom d'outarde. Ses jambes élevées lui font néceilaires pour fe tirer des grandes herbes , & fon long col pour obferver le danger ; fa démarche eft légère , ainli que fon vol ; elle n'a point le cri défagréable de fon efpece. Le plumage du mâle eft blanc, avec des mélanges de noir & de cendré fur le dos & les ailes. La femelle eft fauve, & fes ailes font parées de couleurs changeantes; elle pond ordinairement lix œufs. Leur chair faine, iiourrilfante & de bon goût, devint notre principale'nourriture ; il étoit rare qu'on en manquât : indépendamment de celles qui naif-fent fur l'isle , les vents d'eft en automne en amènent des voliers , fans doute de quelque terre inhabitée : car les chaffeurs reconnoif-foient aifément ces nouvelles venues au peu de crainte que leur infpiroit la vue des hommes. Les trois autres efpeces d'oies n'étoient pas fi recherchées, elles fe nourriffent de poif-fon & en contractent un goût huileux. Leur forme eft moins élégante que celle de la première efpece. Il y en a même une qui ne s'élève qu'avec peine au deffus des eaux ; celle-ci eft criarde. Les couleurs de leur plumage ne fortent gueres du blanc, du noir, du fauve & du cendré. Toutes ces efpeces, ainfî que les cygnes , ont fous leurs plumes un duvet blanc ou gris très-fourni. Deux: efpeces de canards & deux de farcel-les embelliffent les étangs & les ruiffeaux. Les premiers différent peu de ceux de nos climats; on en tua quelcjues-uns de tout noirs , & d'autres tout blancs. Quant aux farcelles, l'une à bec bleu, eft de la taille des canards.» l'autre eft beaucoup plus petite. On en vit qui avoient les plumes du ventre teintes d'incarnat. Ces efpeces font de la plus grande abondance & du meilleur goût. On voyoit deux efpeces de plongeons de la petite taille. L'une a le dos de couleur cendrée & le ventre blanc; les plumes du ventre font fi foyeufes , fi brillantes & d'un tiffu û ferré, que nous les primes pour le grefpc dont on fait des manchons précieux : cette efpece eft rare. L'autre, plus commune, eft toute brune, ayant le , ventre un peu plus clair que le dos. Les yeux de ces animaux font Semblables à des rubis. Leur vivacité Surprenante augmente encore par l'oppofitioii du cercle de plumes blanches qui les entoure, & qui leur a fait donner le nom de plongeons a lunettes. Ils font deux petits, fans doute trop délicats pour fouffrir la fraîcheur de l'eau lorfqu'ils n'ont encore que le duvet ; car alors la mere les voiture fur fon dos. Ces deux efpeces n'ont point les pieds palmés à la façon des autres oifeaux d'eau,- leurs doigts féparés font garnis de chaque côté d'une membrane très-forte : en cet état chaque doigt f 4 $g V O y A g b -reffemble à une feuille arrondie du côté dé l'ongle, d'autant plus qu'il part du doigt des lignes qui vont fe terminer à la circonférence des membranes , & que le tout eft d'un verd de feuille , fans avoir beaucoup plus d'é-paireur. Deux efpeces d'oifeaux que l'on nomma feec-fcies , on ne fait nas pourquoi, ne diffe-rent nue par la taille & quelquefois parce qu'il s'en trouve à ventre brun parmi tous les autres qui Pont ordinairement blanc. Le refte du plumage eft d'un noir tirant fur 1e-bleu, très-foncé; leur forme & les plumes du ventre , aufti ferrées 8c auiK foyeufes que celles du plongeon blanc, les rapprochent de cette efpece; ce que l'on n'oferoit cependant pas affurer. Ils ont le bec aflfez long & pointu , & les pieds palmés fans féparation , avec un caractère remarquable , le premier doigt étant le plus long des trois, & la membrane qui les joint fe terminant à rien au troifieme. Leurs pieds font couleur de chair. Ces animaux font de grands deftrucleurs de poilfons. Us fe placent fur les rochers , ils s'y ralfemblent par nombreufes familles , & y font leur ponte. Comme leur chair eft très-mangeable , on en fit des tueries de deux ou trois cents, 8c la grande quantité de leurs œufs offrit encore une reffource dans le befoin. Ils fe défioient Il peu des chafTeurs, qu'il fuffifoit d'aller à eux avec des, bâtons, Ils ont pour ennemi un oifeaa de proie à pieds palmés , ayant plus de fept pieds d'envergure , le bec long & forts ca-raclérifé par deux tuyaux de même matière que le bec , lefquels font percés dans toute icur longueur. Cet animal eft celui que les El pagnols appellent quebrantaJmeJJb*\ Une quantité fie moves de couleurs très-variées & très-agréables, de caniats & d'équer-rets, prefque tous gris & vivant par familles , viennent planer fur les eaux & fondent fur Je poiifon avec une vîteife extraordinaire. Us nous fervoient à reconnoître les tems propres à la pêche de la fardine ; il fuffifoit de les tenir Un moment fufpeudus , & ils rendoient encore dans fa forme ce poi.fon qu'ils ne venoient que d'engloutir. Le refte de l'année ils fenour-rùTent de gradeau & autres menuailles. Ils pondent autour des étangs fur des plantes vertes allez fcmblables aux nénuphars , une grande quantité d'œufs très-bons & très-fains. On diftingua trois efpeces de pçngouins; la première , remarquable par fa taille & la beauté de fon plumage , ne vit point par familles comme la féconde, qui eft la même que celle décrite dans le voyage du lord Anfon. Ce pengouin de la première clafle aime la foli-tude & les endroits écartés. Son bec plus long & plus délié que celui des pengouins de la féconde efpece , les plumes de fon dos d'un kleu -p^s ciair ■ foll ventre d'une blancheur €blQuiflani0 f ime palatine jonquille qui part de la tête , & va terminer les nuances du blanc & du bleu pour le réunir enfuite fur l'eltomac > fon col très-long quand il chante, fou allure allez légère, lui donnent un air de noblelfe & de magnificence fingulicrc. On efpéra de pouvoir en tranfporter un en Europe. Il s'appri-voifa facilement juSqu'à fuivre & connoitrc celui qui étoit chargé de le nourrir, mangeant indifféremment le pain, la viande & le poil-fon : mais on s'apperçut que cette nourriture ne lui furfifoit pas, & qu'il abforboit fa graine? aufïi-tôt qu'il fut maigri à un certain point, il mourut. La troifieme efpece habite par familles, comme la féconde , fur de hauts rochers, dont clic partage le ter rein avec les becs-fcics» ils y pondent aufîi. Les caractères qui les distinguent des deux autres, font leur petiteffe, leur couleur fauve , un toupet de plumes de couleur d'or, plus courtes que celles des aigrettes ,. & qu'ils relèvent lorfqu'ils font irrités , & enfin d'autres petites plumes de même couleur qui leur fervent de fourcils i on les nomma pengouins fauteurs : en effet ils ne fe tranfportent que par fauts & par bonds. Cette efpece a dans toute fa contenance plus de vivacité que les deux autres. Trois efpeces d'alcyons , qui fe montrent rarement, ne nous annonqoient pas les tempêtes comme ceux qu'on voit à la mer. Ce font cependant les mêmes animaux, au dire des marins ; la plus petite eSpece en a tous 1©? \ caractères. Si c'eft un véritable alcyon , on peut être aifuré qu'il fait fon nid à terre , d'où l'on nous en a rapporté des petits n'ayant que le duvet , & parfaitement reifemblans à pere & mere. La féconde efpece ne diffère que par la groifeur ; elle eft un peu moindre qu'un pigeon. Ces deux efpeces font noires avec quelques plumes blanches fous le ventre. Quant à la troifieme, qu'on nomma d'abord pigeon blanc , ayant tout le plumage de cette couleur Se le bec rouge , on peut conjecturer que c'eft un véritable alcyon blanc à caufe de fa conformité avec les deux autres. Trois efpeces d'aigles, dont les plus forts ont le plumage d'un blanc fale, & les autres font noirs à pattes jaunes & blanches , font la guerre aux bécaftines & aux petits oifeaux y ils n'ont ni la taille ni les ferres alfez fortes pour en attaquer d'autres. Une quantité d'é-perviers & d'émouchets & quelques chouettes , font encore les perfécuteurs du petit gibier. Les variétés de leurs plumages font riches , & préfentent toutes fortes de couleurs. Les bécaftines font les mêmes que celles d'Europe. Elles ne font point le crochet en prenant leur vo!, & font faciles à tirer. Dans le tems de leurs amours elles s'élèvent à perte de vue : Se après avoir chanté & reconnu leur nid, qu'elles font fans précaution au milieu des champs & dans des endroits prefque dégarnis d'herbes > elles s'y précipitent du plus ttaut des airs ; alors elles font maigres : la faifon de les manger excellentes eft l'automne. En été on voyoit beaucoup de corlieux qui 41e différent en rien des nôtres. On rencontre toute l'année au bord de la mer un oifeau affez femblable au corlieu. Ou le nomma j»e de w£r,àcaufe de fon plumage noir & blanc ; fes autres cara&cres difttncTâfs font d'avoir le bec d'un rouge de corail & les pattes blanches. Il ne quitte guère les rochers qui découvrent à baffe mer, & fe nourrit de petites chevrettes. Il a un fifflement aifé à imiter ; ce qui fut par la fuite utile à nos chaffeurs , & pernicieux pour lui. Les aigrettes font aifez communes ; nous les primes pour des hérons , & nous ne connûmes pas d'abord le mérite de leurs plumes. Ces animaux commencent leur pêche au déclin du jour; ils aboient de tems à autre, de manière à faire croire que ce font de ces loups-renards dont nous avons parlé ci-devant. Deux efpeces d'étourneaux ou grives nous étoient amenées par l'automne i une troifieme ne nous quittoit pas : on la nomma oifeau ■rouge ; fou ventre eft tout couvert de plumes du plus beau couleur de feu, fur-tout en hiver i on en pourroit faire de riches colle&ions pour des garnitures. Des deux autres efpeces paf-fageres, l'une eft fauve, & a le ventre marqueté de plumes noires; l'autre eft de la couleur des grives que nous counoiifons. NouS n'entrerons pas dans le détail d'une infinité d'autrûs petits oifeaux aifez femblables à ceux uu'on voit en France dans les provinces maritimes. Les lions & les loups marins font déjà connus ; ces animaux occupent tous les bords de la mer & fe logent , comme on l'a dit, dans ces grandes herbes nommées glaïeuls. Leur troupe innombrable fe tranfporte à plus d'une lieue fur le terrein pour y jouir de l'herbe fraîche & du foleil. Il paroît que le lion décrit dans le voyage du lord Anfon , devroit être, à caufe de fa trompe , regarde plutôt comme Une efpece d'éléphant marin , d'autant plus qu'il n'a pas de crinière , qu'il eft de la plus grande taille , ayant jufqu'à vingt-deux pieds de longueur ; & qu'il y a une autre efpece beaucoup plus petite , fans trompe & caraété-rifée par une crinière de plus longs poils que ceux du refte du corps , qu'on pourroit regarder comme le vrai lion. Le loup marin ordinaire n'a ni crinière ni trompe ; ainfi ce font trois efpeces bien aifées à diftinguer. Le poil de tous ces animaux ne recouvre point un duvet , tel qu'on le trouve fur ceux qu'on pèche dans l'Amérique fcptcntrionale & dans la rivière de la Plata. Leurs huiles & leurs peaux avoient déjà formé une branche de commerce. Nous n'avons pas pu reconnoître une grande quantité d'efpeces de poijïbns. Nous nomma- mes celui que nous péchions le plus communément , muge ou mulet , auquel il rcitemble allez. Il s'en trouve de trois pieds de longueur, qu'on féchoit. Le gradeau eft auiîi très-commun; il y en a de plus d'un pied de long. La fardine ne monte qu'au commencement de l'hiver. Les mulets pourfuivis par les loups marins, fe creufent des trous dans les terres va feu Tes qui bordent les ruilfeaux où ils fe réfugient, & nous les prenions avec facilité, en enlevant la couche de terre tourbeufe qui couvre leurs retraites. Indépendamment de ces efpeces, on en prenoit à la ligne une infinité d'autres , mais fort petits , parmi lefquels il s'en trouvoit un qu'on nomma brochet tranfpa-rent. Il a la tête de ce poiffon, le corps fans écailles , & abfolument diaphane. On trouve aufli quelques congres fur les rochers ; & le marfouin blanc ou taupe fe montre dans les baies pendant la belle faifon. Si on avoit eu du tems & des hommes à employer pour la pêche au large , on auroit trouvé beaucoup d'autres poilfons , & indubitablement des foies, dont on a rencontré quelques-unes échouées furies fables. On n'a pris qu'une feule efpece de poiifon d'eau douce , {ans écailles , d'une couleur verte , & de la taille d'unp truite ordinaire. On a fait, il eft vrai, peu de recherches dans cette partie ; le tems manquoit, & les autres poiffons étoient en abondance. Quant aux ;cruftacées, on n'eu a diitingue que trois efpeces fort petites, l'écreviffe rong?, même avant que d'être cuite, c'eft plutôt u ic falicoque;le crabe à pattes bleues, qui reflemble allez au tourjlourou, & une efpece de chevrette très-petite- On ne ramaifoit que pour les curieux ces trois fortes de cruftacccs , aiuli que les moules & autres coquillages qui n'ont pas le goût aufïï fin que ceux de France. ■ Le pays paroît être abfolument privé d'huîtres. Enfin, pour préfenter un objet de compa-raifon avec une is!e cultivée en Europe, on peut citer ce que dit Puffendorf eu parlant de l'Irlande , fituée en la même latitude dans l'hémifphcre boréal , que les isles Malouines dans l'autre hémifphcre. Savoir, K que cette 5> isle eft agréable par la bonté & la férénité de » fon air, la chaleur & le froid n'y font ja-si mais exceftîfs. Le pays bien coupé de lacs n & de rivières, offre de grandes plaines cou-as vertes de pâturages excellens, point de bêtes m venimeufes , les lacs & les rivières poiifon-35'neufes, &c. „ Voyez l'hiftoire univerfelle. C H A PITRE V. Navigation des isles Malouines à Rio - Janeiro i jonSion de la Boudeufe avec l'Etoile j 60///'-/irè/ lorfqu'il en fortit, je le fis faluer de dix-neuf coups de canonique la terre remit Dans cette vifite , il nous offrit tous les fecours qui Soient en fon pouvoir : il m'accorda même la Permiifion que 1e lui demandai, d'acheter une C()rvette qui m'eût été de la plus grande utilité dans le cours de l'expédition : & il ajouté 4ue s'il y en avoit au roi de Portugal , il me i'pffiriroit. Il m'aifura auflï qu'il avoit ordonné les plus exactes perquifitions pour connoître veux qui, fous les fenêtres même de fon palais , avoient aifaifmé l'aumônier de Pltoile Peu de jours avant notre arrivée , & qu'il en feroit la plus févere jultice. Il la promit, mais 1° droit des gens élevoit ici une voix impuil-fante. Cependant les attentions du viceroi poumons continuèrent plufieurs jours :il nous annonça G 2 même de petits foupers qu'il fe propofoit de nous donner, au bord de l'eau, fous des berceaux de jafmins & d'orangers, il nous fit préparer une loge à l'opéra. Nous pûmes dans une falle allez belle , y voir les chefs-d'oeuvre de Mé-taftafio représentés par une troupe de mulâtres , & entendre ces morceaux divins des grands maîtres d'Italie, exécutés par un orqueftre que dirigeoit alors un prêtre borfu en habit ecclé-fiaftique. La faveur dont nous jouiiîions étoit un grand fujet d'étonnement pour les Efpagnols, & même pour les gens du pays, qui nous avertif-foient que les procédés de leur gouverneur ne feroient pas long-tems les mêmes. En effet, foit que les fecours que nous donnions aux Efpagnols, & notre liaifon avec eux lui dépluffent, foit qu'il lui fût impofliblede Soutenir davantage des manières oppofées entièrement à fon humeur , il fut bientôt.avec nous ce qu'il étoit pour tous les autres. Le 28 juin , nous apprimes que les Portugais, avoient furpris & attaqué les Efpagnols à Rio - Grande , qu'ils les avoient chailés d'un pofte qu'ils occupoient fur la rive gauche de de cette rivière , & qu'un vaiffeau Efpagnol > en relâche à l'isle Sainte-Catherine , venoit d'y être arrêté. On armoit ici en grande diligence le Saitit-Sebaftieii, de foixante - quatre canons, conftruit dans ce port , & une frégate , de quarante canons, la nuejira Segnora da gracia* Celle -ci étoit deftinée , difoit-on, àefcorterun convoi de troupes &de munitions à Rio-grande & à la colonie du Saint-Sacrement. Ces houH-Htés & ces préparatifs nous donnoient lieu d'ap-pi'éhendcr que le viceroi ne voulût arrêter le Diligent, lequel, étoit en carène fur fisle de fas Cabras, & nous accélérâmes fon armement le Plus qu'il nous fut pofîible. Effectivement il fut en état le dernier jour de juin de commencer à embarquer les cuirs de fa cargaifon j mais lorfqu'il voulut, le 6 juillet, embarquer fes canons qu'il avoit, pendant fon radoub , dépofés fur l'isle aux Couleuvres, le viceroi défendit de les lui livrer , & déclara qu'il arrêtoit le vaiifeau, jufqu'à ce qu'il eût reçu des ordres de fa cour au fujet des hoftilités commifes à Rio-grande. Don Medina fit à ce fujet toutes les démarches convenables , ce fut en vain ; le comte^ d'Acunha ne voulut pas même recevoir la lettre que le commandant Efpagnol lui envoya par Un officier de fon bord. Nous partageâmes la difgrace de nos alliés. Lorfque, d'après la parole réitérée du viceroi, j'eus conclu le marché pour Tachai, d'un fe-nault, fon excellence fit défendre au vendeur de me le livrer. Il fut pareillement défendu de nous iailfer prendre dans le chantier royal des bo;s qui nous étoient néceifaires , & pour îefquels nous avions arrêté un marché : il me ïefu a enfuite la permiilton de me loger avec mon état-major, pendant le tems qu'on feroit à la frégate quelques répara ions eflentielles, çkn- une maifon voiiine de la ville, que m'offrit le propriétaire, & que le Commodore Byron «voi occupée, lors de fa relâche dans ce port en i76>. Je voulus liïf faire à ce fujet & fiir le refus du fenault & des bois , quelque représentations. 11 ne m'en donna pas le tems i & l aux premiers mots que je lui dis , il fe leva ïivec fureur m'ordonna de fortir i & piqué {ans doute de ce que , ma'gré fa colère, je ieu lois aiTis de même que deux officiers qui m'ac-çompagnoient, il appela la garde i mais fa garde plus fige que lui, ne vint pas, & nous nous retirâmes fans que perfonne parût s'être ébranlé. A peine fumes-nous fortis, qu'on doubla la drài de de on palais , on renforça les patrouilles, Si Tordre fut donné d'arrêter tous les François qu'on trouveroit dans les ri es après le coucher ,iu (oieif II envoya dire auih au capitaine du Vait^eau François, de quatre canons, d'allerfe xnoufler fous !e fort de Villagahoi , & le len-i demain je l'y fis remorquer par mes canots. Je ne rongeai dès-lors qu'à me difpofer au départ, d'autant plus que les gens du pays que nous fréquentions , avoient tout à craindre du viceroi, Deux officiers Portugais furent la victime de leur hou êteté pour nous ; l'un fut "mis au cachot dans la citadelle ; l'autre envoya en exil à Sun ta , petit bourg entre Saintc-Catlie-. rine & Rio-grande. Je me hâtai de faire notre tm s de prendre abord de l'Etoile les Drovifîons dont je ne pouvois me pafTer, & d'embarquer des rafraichùîemens. J'avois été forcé d'augmenter la largeur de mes hunes, & le commandant Efpagnol me fournit le bois nécef-faire pour cette opération , & qu'on nous avoit l'eFufé aux chantiers. Je m'étois auffi muni de quelques planches dont nous ne pouvions nous palfer, & qu'on nous vendit en contrebande. Enfui le 12, tout étant prêt, j'envoyai un officier prévenir le viceroi , que j'appareillerois au premier vent favorable. Je confeillai auffi à M. d'Etcheveri, commandant l'Etoile du matin , de ne s'arrêter à Rio-Janeiro que le moins qu'il pourroit, & d'employer plutôt le tems qui reftoit jufqu'à la faifon favorable pour le patfage du cap de Bonne-Efpérance, à bien reconnoître les isles de Triftan d'Acunha, où il t:ouvcroit de l'eau, du bois, du poiifon en abondance , & je lui donnai quelques mémoires que j'av is fur ces isles. J'ai fu depuis qu'il avoit fiiivi ce confeil. Nous avions joui pendant notre féjour à Rio-Janéiro du printems des poètes , & fes habitans nous avoient témoigné de la façon la plus honnête le déplailir que leur caufoient les mauvais procédés de leur viceroi à notre égard. Aulïï regrettions-nous de ne pouvoir relier plus long-tems avec eux. Tant d'autres voyageurs ont décrit le Brefil & fa capitale * que je n'en dirais rien qui ne fût une répétition faltidicufe. Rio-Janeiro, conquis une fois V 0 y a g e par les armes de la France , lui eft bien connu* Je me contenterai d'entrer ici dans quelques détails fur les richelfes dont cette ville eft le débouché , & fur les revenus que le roi de Portugal en tire. Je dirai auparavant que M. de Commerçon , Pavant natura lifte, embarque iur l'Etoile pour fuivre l'expédition , m'a allure que ce pays étoit le plus riche en plantes qu'il eut jamais rencontré , & qu'il y avoit trouve des tréfors pour la botanique. Rio-Janeiro eft l'entrepôt & le débouché principal des richelTes du Breiîl. Les mines ap-peWées générales, font les plus voifinesdela ville» dont elles font diilantes environ de foixante & quinze lieues. Elles rendent au roi tout les ans, pour fon droit de quint, au moins cent douze arobes d'or,- l'année ï762, elles en rapportèrent cent dix-neuf. Sous la capitainie des mines générales on comprend celle de Rio des morts y de Sahara 8c de Stro-frio. Cette dernière, outre l'or qu'on en retire , produit encore tous les diamans qui proviennent du Brefib Ils fe trouvent dans le fond d'une rivière qu'on a loin de détourner , pour iéparer enfuite, d'avec les cailloux qu'elle roule dans fon lit* les diamans , les topazes , les chryfolites & autres pierres de qualités inférieures. Toutes ces pierres , excepté les diamans, ne font pas de contrebande ; elles appartiennent aux entrepreneurs , lefquels font obligés de donner un compte exadf des diamans trou- Ves , & de les remettre entre les mains de l'intendant prépofé par le roi à cet effet. Cet intendant les dépofe auffi-tôt dans une caifette cerclée de fer & fermée avec trois ferrures. Il a une des clefs , le viceroi une autre, & le provador de l'Hazienda Réale , la troifiemc. Cette caifette eft renfermée dans une féconde , où font pofés les cachets des trois perfonnes mentionnées ci-deifus , & qui contient les trois clefs de la première. Le viceroi n'a pas le pouvoir de vifiter ce qu'elle renferme. Il configne feulement le tout à un troifiemc coffre-fort, qu'il envoyé à Lisbonne, après avoir appofé fon cachet fur la ferrure. L'ouverture s'en fait en la préfence du roi, -qui choifit les diamans qu'il veut, & en paie le prix aux entrepreneurs fur le pied d'un tarif réglé par leur traité. Les entrepreneurs paient à fa majefté très-fidcllc la valeur d'une piaftre, monnoie d'Ef-pagne , par jour de chaque efclave employé à la recherche des diamans i le nombre de ces efclaves peut monter à huit cents. De toutes les contrebandes, celle des diamans eft la plus févérement punie. Si, le contrebandier eft pauvre , il lui en coûte la vie , s'il a des biens capables de fatisfaire à ce qu'exige la loi, outre la confifeation des diamans, il eft condamné à payer deux fois la valeur, à un an de pri-fon , & exilé pour fa vie à la côte d'Afrique. Malgré cette févérité, il ne laifle pas de fe faire une grande contrebande de diamans , même des plus beaux, tant leur peu de volume donne Pefpérance & la facilité de les cacher. Tout l'or qu'on retire des mines ne iauroit être tranfporté à Rio-Janéiro, fans avoir été remis auparavant dans les maifons Je fondation établies dans chaque diftricl;, où fe perçoit le droit de la couronne. Ce qui revient aux particuliers leur eft remis en barres avec leur poids, leur numéro & les armes du roi. Tout cet or a été touché par une perfonne prépofée à cet effet, & fur chaque barre elt imprimé le titre de l'or , afin qu'enfuite , dans la fabrique des monnoies , on faife avec facilité l'opération néceifaire pour les mettre à leur valeur pro 'ortionnL'Ile. Ces barres appartenantes aux particuliers font enregiftrées dans le comptoir de. la Pray-bima, à trente lieues de Rio-Janeiro. Dans ce polie font un capitaine , un lieutenant &-cinquante hommes : c'eft là qu'on paie le droit de quint, & de plus un droit de péage d'un réal & demi par tète d'hommes & de bêtes à cornes ou de fomme. La moitié du produit de-ce droit appartient nu roi, & l'autre moitié fe partage entre le détachement proportionnellement au grade. Comme il eft impoffible de revenir des mines, fans palfer parce regiftre, on y eft arrêté & fouillé avec la dernière rigueur. Les particuliers font enfuite obligés de porter tout l'or en barre qui leur revient, à la mon-* soie de Rio-Janeiro , où on leur en donne la Valeur en efpeces monnoyécs : ce font ordinairement des demi-doublons qui valent huit piaftres d'Êfpagne. Sur chacun de ces demi-doublons, le roi gagne un piaftrc par l'alliage & le droit de monnoie. L'hôtel dos monnoies de Rio-Janeiro eft un des plus beaux qui exii-fcent ; il eft muni de toutes les commodités né-cci.fai.res pour y travailler avec la plus grande célérité Comme l'or defeend des mines dans le même tems où les flottes arrivent de Portugal , il faut accélérer le travail de la monnoie , & elle s'y frappe avec une promptitude furprenante. L'arrivée de ces flottes rend le commerce de Rio-Janeiro très-flori liant, principalement la flotte de Lisbonne. Celle de Porto eft chargée feulement de vins , eaux-de-vie, vinaigres , denrées de bouche , & de quelques toiles grof-fîeres fabriquées dans cette ville ou aux environs. Aulli-tôt après l'arrivée des flottes, toutes les marchandifes qu'elles apportent font conduites à la douane, où elles paient au roi dix pour cent. Obfervez qu'aujourd'hui, la communication de la colonie du St. Sacrement avec Buenos-Aires étant févérement interceptée, ces droits doivent éprouver une diminution conlidérable. Prefque toutes les plus précieufes marchandifes étoient envoyées de Rio-Janeiro à la colonie, d'où elles paffoient en contrebande P^r Buénos-Aires au Chili & au Pérou, & ce commerce frauduleux valoit tous lés ans aux* Portugais plus d'un million & demi de piaftres. En un mot, les mines du Brelilne produifent point d'argent ; tout celui que les Portugais polfedent provient de cette contrebande. La traite des nègres leur étoit encore un objet immenfe. On ne fauroit évaluer à combien monte la perte que leur occafionne la fup-preifion prefqu'entiere de cette branche de contrebande. Elle occupoit feule au moins trente embarcations pour le cabotage de la côte du Brefil à la Plata. Outre le dix pour cent d'ancien droit qui fe paie à la douane royale, il y a un autre droit de deux & demi pour cent, impofé fous le titre de don gratuit depuis le défaftre arrivé à Lisbonne en 175" y. Il fe paie immédiatement à la fortie de la douane , au lieu qu'on y accorde pour le dixième un délai de iix mois, en donnant caution valable. Les mines de S. Paolo & Parnagua rendent au roi quatre arobes de quint, année commune. Les mines les plus éloignées , comme celles de Pracaton , de Quiaba , dépendent de la capi-tainie de Matagrouo. Le quint des mines ci-deifus ne fe perçoit pas à Rio-Janeiro , mais bien celui des mines de Goyas. Cette capitainie a auffi des mines de diamans qu'il eft défendu de fouiller. Toute la dépenfe que le roi de Portugal fait à Rio-Janeiro, tant pour le paiement deS troupes & des officiers civils , que pour les frais des mines, l'entretien des bâtimens publics , la carene des vaiifeaux , monte environ a iix cents mille piaftres. Je ne parle point de ce que peut lui coûter la conftruction des vaiffeaux de ligne & frégates qu'on y a maintenant établie. Récapitulation montant des divers objets du revenu royal , année commune. Cent cinquante arobes d'or qne rapportent , année commune, tous les quints réduits, valent en monnoie piaftres. d'Efpagne,............i, 125000 Le droit de diamans,.........240000 Le droit de monnoie ,........400000 Dix pour cent de la douane,.....350000 Lieux & demi pour cent de don gratuit, 87000 Droit de péage, vente des emplois , offices, & généralement tout ce qui provient des mines ,........... 225000 Droits fur les noirs ,........... iiûooo Droit fur l'huile de poiifon, le fel, le favon, & le dixième fur les denrées du pays, ............... t30000 Total,............. 2, 667000 Sût quoi défalquant la dépenfe ci-deûus mentionnée , on verra que le revenu que le roi Qe Portugal tire de Rio - Janeiro , monte à plus de dix millions de notre monnoie. 110 V o y a g e CHAPITRE VI. Départ de Rio-Janeiro ; fécond voyage à Monte* video \ avaries qu'y reçoit l'Etoile. JLe 14 juillet nous appareillâmes de Rio-Ja-néiro , & fumes contraints , le vent nous manquant, de remouiller dans la racle. Nous fortunes le 1 f , & deux jours après, l'avantage de marche que la frégate avoit fur-l'Etoile* me mit dans le cas de dégréer les mâts de perroquets, nos mâts majeurs exigeant beaucoup de ménagement. Les vents furent variables ■* grand frais, & la mer très-grotte i la nuit du 19 au 20, nous perdimes notre grand hunier, emporté fur fes cargues. Le 25 , il y eut une éclipfe de foleil vilible pour nous. J'avois pris à mon bord M. Verrou , jeune obi er va te ut venu de France fur l'Etoile , pour s'occuper dans le voyage de méthodes propres à calculer en mer la longitude. Suivant le point elhmé du vaiffeau, le moment de l'immerlion, calculé par cet aftronorne , devoit être pour nous le 25 à quatre heures dix-neuf minutes du foir-A quatre heures fix minutes , un nuage nous déroba la vue du foleil, ik lorfque nous Ie revimes à quatre heures trente-une minutes, y en avoit alors environ un doigt & demi d'e- clîpfé. Les nuages qui paiTerent enfuite fuccef-hvement fur le foleil , ne nous le taillèrent appercevoir que pendant des intervalles très-courts i de forte que nous ne pûmes obfervct aucune des phafes de l'éclipfe , ni par ccnfc-quent en conclure notre longitude. Le foleil fe couchoit pour nous avant le m. ment de la eonjonclion apparente, & nous ellimames que celui de l'immerfion avoit été à quatre heures vingt-trois minutes. Le 26", nous commençâmes à trouver le fond, & le 28 au matin nous eûmes connoitfance des Caftilîes. Cette partie de la côte eft d'une hauteur médiocre , & s'apperçoit de dix à douze lieues. Nous crûmes reconnoître l'entrée d'une baie, qui eft vraifemblablement le mouillage °ù les Efpagnols ont un fort, mouillage qu'ils m'ont dit être fort mauvais. Le 29 , nous en-trames dans la rivière de la Plata, & vîmes les Maldonades. Nous avançâmes peu cette jour-ftée-là& la fuivante. Nous pafiames en calme Prefque toute la nuit du 30 au 31 , fondant fans ceffe. Les courans paroiifoient nous entraîner dans le nord-oueft, où nous reftoit à-peu-près l'ifle Lobos. A une heure & demie après minuit, la fonde ayant donné trente-trois bralfes, je jugeai être très-près de cette ifle, & je fis le fignal de mouiller. Nous appareil-lames à trois heures & demie, & vimes l'isle de Lobos dans le nord - eft , environ à deux lieues & demie. Le vent de fud & de fud-eft , foiblc d'abord, renforça dans îa matinée, & nous mouillâmes le 31 après midi dans la baie de Montevideo. L'Etoile nous avoit fait per-d- ; beaucoup de chemin, parce qu'outre l'avantage de marche que nous confervions fur elle, cette flûte , qui, au fortir de Rio-Janeiro, faifoit quatre pouces d'eau toutes les deux heures , après quelques jours de navigation , en rit fept pouces dans le même intervalle de tems s ce qui ne lui permettoit pas de forcer de voiles. A peine fumes-nous mouillés, qu'un officier venu à bord de la part du gouverneur de Montevideo pour nous complimenter fur notre arrivée , nous apprjt qu'on avoit reçu des ordres d'Efpagne pour arrêter tous les Jéfuites, & le faifir de leurs biens ; que le même bâtiment porteur de ces dépêches , avoit amené quarante pères de la compagnie deltinés aux mif-lions, que l'ordre avoit été exécuté déjà dans les principales maifons , fans trouble ni ré-flftance, & qu'au contraire ces religieux fup-portoiônt leur difgrace avec fageffe & réfigna-tion. J'entrerai bientôt dans le détail de cette grande affaire , de laquelle m'ont pu mettre au fait un long féjour à Buenos-Aires & la confiance dont m'y a honoré le gouverneur général don Francifco Bukarcly. Comme nous devions relier dans la rivière de la Plata jufqu'après la révolution de l'éqiri-noxe, nous primes des logemens à Montevideo , où nous établîmes aufli nos ouvriers & un autour i) u Monde. ùn hôpital. Ces premiers foins remplis, je rrisi rendis à Buénos-Aires le n août, pour y accélérer la fourniture des vivres qui nous étoient "écellaires , & dont fut chargé le munition-naire-général du roi d'Efpagne , aux mêmes Prix que portoit fon traité vis-à-vis fa ma jette catholique. Je vdulois auilï entretenir M. de Bukarcly fur ce qui s'étoit paifé à Rio-Janéiro , Quoique je lui cuife déjà envoyé par un exprès les dépêches de Dom Francifco de Médina^ Je le trouvai fagemént réfolu à fë contenter de rendre compte en Europe des hottilicés corn-» mi fes par le viceroi du Brefil , & à ne point Hier de rëpféfailles. Il lui eut été facile de s'emparer en peu de jours de la colonie du S* Sacrement, d'autant plus que cette place man-quoit de tout , & qu'elle n'avoit pas encore reçu au mots de novembre le convoi de vivres & de munitions qu'on lui préparoit, lorfque nous fortunes de Rio-Janéiro. J'éprouvai de la part du gOuvèrncur-géné-* *al les plus grandes facilités pour la prompte expédition de nos befoins. A la fin d'août deux goélettes , chargées pour mous de bifcuit & de larine, avoient fait voile pour Montevideo , °ù je m'étois auifi rendu pour y célébrer là S. Louis. J'avois laiifé à Buénos-Aires le chevalier du Bouchage , enfeigne de vahfeau , pour y faire embarquer nos vivres, & y être1 chargé des affaires qui pourraient nous fur-venir jufqu'à notre départ, que j'efpérois de* Première Partie. H :i 14 Voyage voir être à la fin de feptembre ; je ne prcvoyoi* pas qu'un accident nous retieudroit fix femai-nes de plus. Pendant une tourmente de fud-oueft, le S. Fernand, vailfeau de regiftre qui étoit mouillé près de l'Etoile, challa fur fes ancres, vint de nuit aborder cette flûte, & du premier choc lui rompit fon mât de beaupré au ras de l'étambré. Sa poulaine & fes écharpes ou herpès furent enfuite emportées ; heureux encore d'avoir pu fe féparer, malgré le mauvais tems & l'obfcuritc, fans elfuyer d'autres avaries ! Cet abordage augmenta confidérablement la voie d'eau que l'Etoile avoit dès le commencement de la campagne. Il devenoit indifpen-fable de décharger ce bâtiment, peut-être même de le virer en quille pour découvrir & fermer cette voie d'eau qui paroiifoit être ! très-baffe & de l'avant. Cette opération ne pouvoit fe faire à Montevideo, où d'ailleurs on ne trou-voit point les bois néceifaires à la réparation de fa mâture. J'écrivis donc au chevalier du Bouchage d'expofer au marquis de Bukarely notre fituation, & d'obtenir fon agrément pour: que l'Etoile remontât la rivière & vint à la En-cenada de Baragan; je lui mandois d'y faire palfer aufii les bois & autres matériaux dont nous avions befoin. Le gouverneur général confentità ces demandesj & le 7 feptembre» n'ayant pu trouver aucun pilote , je m'embarquai fur l'Etoile avec les charpentiers & cale* A U f 0 il R DU Iït O N DÊi t If ds la Boudeufe pour partir le lendemain «fe Cuivre moi-même une navigation qu'on noua difoit être de la plus grande difficulté. Deux Vaitïêaux de regiltre , le Saint-Fernand & le Carmen, munis d'un pratique * appareilloient le même jour de Montevideo pour la Encenada & j'avois compté les fuivres mais le Saint-Fer-,land, à bord duquel étoit ce pilote nommé Philippe , appareilla la nuit du 7 au 8 > dans la feule vue de nous dérober fa marche & lailla f°u camarade dans le même embarras. Nous partîmes toutefois le 8 au matin précédés par hos canots * le Carmen étant refté pour attendre une goélette qui dirigeât fa route. Le foit flous joignîmes le Saint-Fernand, nous le dé-pafTames & le dix après midi nous mouillâmes dans la rade de la Encenada, Philippe, auiîî mauvais pilote que méchant homme b ayant toujours gouverné fur nous. Je trouvai dans cette rade la Venus , frégate de vingt-fix canons, & quelques navires marchands deitinés, comme elle;, à faire voiles bicejïament pour l'Europe* J'y trouvai suffi h Smeralda & la Liebe, qui fe dtfpofoient à retourner avec des munitions de toute efpece ftux isles Malouines, d'où elle dévoient palier dans la mer du fud * pour y prendre les Je-fuites du Chili & du Pérou. Il y avoit de plus le chambekin FAndalous arrivé du Ferrol à la fin de juillet, en compagnie d un autre chambekin nommé ? Aventurera \ mais celui-ci s'étoit H % perdu fur la tête du banc aux Anglois , l'équipage avoit eu le tems de fe fauver. L'Andalous le préparoit à aller porter des millionnaires & des pré feus aux habitans de la Terre de feu , le roi catholique voulant leur témoigner fa rcconnoifïance des fervices qu'ils avoient rendus aux Efpagnols du navire la Conception, lequel en 176*^ avoit péri fur leurs côtes. Je defeendis à Baragan , où le chevalier du Bouchage avoit déjà fait tranfporter un partie des bois qui nous étoient néceffaires. Il les avoit raffemblés avec peine & à grand frais à Buénos-Aires dans l'arfenal du roi & quelques magafins particuliers, approvisionnés les uns & les autres par les débris des vaiffeaux qui font naufrage dans la rivière. On ne trouvoit d'ailleurs à Baragan aucune efpece de reffource , mais bien des difficultés de plufieurs genres Se tout ce qui peut forcer à n'opérer que lentement. La Encenada de Barangan n'eft en effet qu'une efpece de mauvaife baie formée par l'embouchure d'une petite rivière qui peut avoir-un quart de lieue de largeur ; mais il n'y a de l'eau qu'au milieu, dans un canal étroit Se qui fe comble tous les jours , où peuvent entrer des vaiffeaux qui ne tirent que douze pieds : dans tout le refte il n'y a pas fix pouces d'eau à marée batfej or, comme les marées font fort irrégulieres dans la rivière de la Plata, qu'elles font hautes ou bafles quelquefois huit jours de fuite, félon les vents qui régnent, le débarque- «lent des chaloupes y eflliie les plus grandes difficultés. D'ailleurs nuls magafins a terre,, quelques maifons ou plutôc des chaumières, confinâtes avec des joncs, couvertes de cuir» difperfées fans ordre fur un fol brut, & habitées par des hommes qui ont adez de peine a fe procurer leur fubfiftance. Les bâtimens qui tirent trop d'eau pour pouvoir entrer dans cette anfe, mouillent à la pointe de Lara, à Une lieue & demie dans l'oueft. Ils y font ex-, pofés à tous les vents ; mais la tenue étant fort bonne, ils y peuvent hiverner, quoiqu'a-. vec beaucoup d'incommodités. Je laiflài à la pointe de Lara M. de la Girau-dais, chargé des foins relatifs à fon vaiffeau, & je me rendis à Buénos-Aires , d'où je lui expédiai une grande goélette fur laquelle il pouvoit abattre, lorfqu'il feroit entré à la Encenada. Il falloir pour cela qu'il déchargeât en partie les effets qu'il avoit à bord, & M. de Bukarely permit de les dépofer à bord de ]duSmera!da & de la Liebe. Le 8 octobre, l'Etoile fut en état d'entrer dans de port, & l'on trouva que fon radoub feroit moins long qu'on ne l'avoit appréhendé. En effet, à peine avoit-clle commencé à s'alléger, que fa voie d'eau diminua fenfiblement & elle ceffa d'en faire, lorfqu'elle ne tira plus que huit pieds de l'avant. Après y avoir débité quelques planches de fon doublage , on vit que la couture des barbes du navire étoit abfolument faus.étoupe fc H 3 pendant une longueur d'environ quatre pied** & demi,, depuis huit pieds & demi de tirant d'e.iu en remontant. On découvrit auffi deux: trous de tarriere dont les chevilles n'avoient pas été pofées. Toutes ces avaries ayant été promp-tement reparées, de nouvelles herpès remifes. eu place, le mât de beaupré fait & mâté , la flûte récalfatée en entier-, elle revint le 21 à la pointe de Lara, où elle reprit fon charge* mène à bord des frégates Efpajnoles. Elle y embarqua auffi fucceffivement le bois „ Ls fa-, rines, le bifeuit & les différentes provisions: que je lui envoyai dans cette rade. Il en étoit parti pour Cadix, à la fin de feptembre, la Venus & quatre autres bâtimens. chargés de cuirs , & portant deux cents cinquante Jéfuites & les familtes Françoifes des Malouines , à l'exception de fept, qui n'ayant pu y trouver place, furent forcées d'attendre une autre occafion. Le marquis de Bukarely les fit venir à Buénos-Aires, où il pourvut^* leur fubfiftance & à leur logement. Onvenoit d'apprendre dans le même moment l'arrivée du Diamant , vaifTeau de registre , expédié pour Buénos-Aires , 8c celle du Saint-Michel',. autre vaiffeau de registre deftiné pour Lima. La situation de ce dernier bâtiment étoit trille. Après avoit, pendant quarante - cinq jours ,, lutté contre les vents fur le cap de Horn , ' trente - neuf hommes de fon équipage étant morts & le refte attaqué de feorbut y un coup de mer ayant emporté fon gouvernail , il avoit été forcé de faire route pour cette rivière , où il étoit entré dans le port des Mal-donades, fept mois après être forti de Cadix, & n'ayant plus que trois matelots & quelques officiers en état d'agir. Nous envoyâmes à la requête des Efpagnols, un officier & un équipage pour amener ee bâtiment à Montevideo. Il y étoit arrivé le f octobre la frégate Efpa-gnole VAigle , fortie du Ferrol au mois de mars. Elle avoit relâché à fisle Sainte-Catherine , & les Portugais l'y avoient arrêtée dans le même tems où ils retenaient le Diligent à Rio-Janéiro. CHAPITRE VII. Détails fur les misions du Paraguai, & fexpulfion des Jéfuites de cette province. T A ANDis que nous hâtions nos difpofitions Pour fortir de la rivière de la Plata, le marquis de Bukarely faifoit les fiennes pour paffer iur l'Uraguai. Déjà les Jéfuites avoient été arrêtés dans toutes les autres provinces de fon département , & ce gouverneur général vou-loit exécuter en perfonne dans les millions les ordres du roi catholique. Il dépendoit des premières mefures qu'on y alloit prendre, de faire agréer à ces peuples le changement qtfon leur préparent, ou de les replonger dans l'état de barbarie- Mais avant que de détailler ce que j'ai vu fur la cataftrophe de ce fngulier gouvernement, il faut dire un mot fur fon origine , fes progrès & fa forme. Je le dirai fine ira & jiudio quorum caufas procul habet*. C'eft en 1^80, que l'on voit les Jéfuites admis pour la première fois dans ces fertiles régions, où ils ont depuis fondé, fous le règne de Philippe III , les millions fameufes auxquelles on donne en Europe le nom du Para* ^uai, & plus à propos, en Amérique celui de ÎHJraguai, rivière fur laquelle elles, font fituées. Elles ont toujours été divifées en peuplades, foibles d'abord & en petit nombre , mais que des progrès fuccelTifs ont porté jufqu'à celui de trente-ièpt, lavoir, vingt-neuf fur la rive droite de l'Uraguai , & huit fur la rive gauche , régies chacune par deux Jéfuites en habit; de l'ordre. Deux motifs qu'il eft permis aux fouverains d'allier . lorfque l'un ne nuit pa* à l'autre , la religion & l'intérêt, avoient fait defirer aux monarques Efpagnols la converfion de ces Indiens ; en les rendant catholiques , # çivilifoit des hommes fiiuvages , on fe rendoit. maîtres d'une contrée varie & abondante > ç'étoit ouvrir à la métropole une nouvelle fource de richeHes , & acquérir des adorateurs au vrai Dieu. Les Jéfuites fe chargèrent de remplir ces vues, mais ils repréfenterent que * pour faciliter le fuccès d'une fi pénible en-treprife , il falloit qu'ils fuffent indépendant des gouverneurs de la province , & que même aucun Efpagnol ne pénétrât dans le pays. Le motif qui fondoit cette demande , étoit la crainte que les vices des Européens ne-diminuaient la ferveur des néophytes , ne les éloignaflent même du chriitianifme , & que la hauteur Efpagnole ne leur rendit odieux un joug trop arpeianti. La cour d'Efpagne approuvant ces raifons , régla que les millionnaires {croient fouftraits à l'autorité des gouverneurs , & que le tréfor leur donneroit chaque année foixante mille pialtres pour les frais des défri-chemens , fous la condition qu'à mefure que les peuplades feroient formées & les terres miles en valeur , les Indiens payeroient annuellement au roi une piaftre par homme depuis l'âge de dix-huit ans jufqu'à celui de foixante. On exigea auili que les millionnaires appri ^ent aux Indiens la langue Efpagnole; mais cette claufe ne paroit pas avoir été exécutée. Les Jéfuites entrèrent dans la carrière avec le courage des martyrs & une patience vraiment Angélique. Il falloit l'un & l'autre pour attirer, retenir , plier à l'obéiffance & au travail des b.ommes féroces, inconHans , attachés autant a leur pareiTe qu'à leur indépendance. Les °.bflacles furent infinis, les difficultés renaif-Ipieut à chaque pasj le zele triompha de tout, & la douceur, des millionnaires amena enfin a. leurs pieds ces farouches habitans des bois. En effet, ils les réunirent dans des habitations, leur donnèrent des loix, introduifirent chez eux les arts utiles & agréables; enfin, d'une nation barbare, fans mœurs & fans religion, ils en firent un peuple doux , policé , exact obfervateur des cérémonies chrétiennes. Ces Indiens , charmés par l'éloquence perfuafive de leurs apôtres, obéirfoient volontiers à des hommes qu'ils voyoient fe facrifier à leur bonheur; de telle façon que quand ils vou-loient fe former une idée du roi d'Efpagne, ils fe le repréfentoient fous l'habit de S. Ignace. Cependant, il y eut contre fon autorité un in (tant de révolte dans l'année 1757. Le roi catholique vendit d'échanger avec le Portugal les peuplades des millions limées fur la rive gauche de l'Uraguai, contre la colonie du Saint-Sacrement. L'envie d'anéantir la contrebande énorme, dont nous avons parlé plufieurs fois , avoit engagé la cour de Madrid à cet échange. L'Uraguai devenoit ainfi la limite des pof-feiîîons refpectives des deux couronnes ; 011 faifoit palfer fur fa rive droite les Indiens des peuplades cédées , & on les dédommageoit ert argent du travail de leur déplacement. Mais ces hommes accoutumés à leurs foyers , ne purent fouifrir d'être obligés de quitter des terres en pleine valeur , pour en aller défricher de nouvelles. Ils prirent donc les armes : depuis long-tems on leur avoit permis d'en avoir pour fe défendre contre les incurfions des Pauliftes, brigands iflus du Brefil, & qui s'é-toient formés en république vers la fin du feizieme fiec'e. La révolte éclata fans qu'aucun Jéfuite parût jamais à la tète des Indiens. On dit même qu'ils furent retenus par force dans les villages, pour y exercer les fonctions du facerdoce. Le gouverneur généra' de la province de la Plata, Don Jofeph Andonaighi, marcha contre les rébelles , fuivi de Don Joachim de Viana, gouverneur de Montevideo. Il les défit dans une bataille où il périt plus de deux mille Indiens. Il s'achemina enfuite à la conquête du pays j & Don Joachim voyant la terreur 9^'une première défaite y avoit répandue, fe chargea avec fix cents hommes de le réduire en entier. En effet, il attaqua la première peuplade , s'en empara fans réfiftance, & celle-là piïfe , toutes les autres fe fournirent. Sur ces entrefaites, la cour d'Efpagnc rap-Pella Don Jofeph Andonaighi, & Don Pedro Cevallos arriva à Buénos-Aires pour le rempla-€er. En même tems Viana reçut ordre d'abandonner les millions & de ramener fes troupes. " ne fut plus queftion de l'échange projette Clltre les deux couronnes, & les Portugais, qui ^voient marché contre les Indiens avec les Espagnols x revinrent avec eux. C'eft dans le J24 V o y a g e tems de cette expédition que s'eft répandu en Europe le bruit de l'élection du roi Nicolas, Indien dont en effet les rebelles firent un fantôme de royauté. Don Joachim de Viana m'a dit que quand il eut reçu l'ordre de quitter les millions , une grande partie des Indiens , mécontens de,la vie qu'ils menoient , vouloient le fuivre. Il s'y oppofa , mais il ne put empêcher que fept familles ne l'accompagnaffent, & il les établit, aux Maldonadea , où elles donnent aujourd'hui l'exemple de l'indullne & du travail. Je fus furpris de ce qu'il me dit au fujet de ce mécontentement des Indiens. Comment l'accorder avec tout ce que j'avois lu fur la manière dont ils étoient gouvernés ? J'aurois cité les loix des niifïions comme le modèle d'une, adminiftration faite pour donner aux humains le bonheur & la fageffe. En effet, quand on fe repréfente de loin & en général ce gouvernement magique, fondé par les feules armes fpiritueiles, & qui n'étoit lié que par les chaînes de la perfuafion, quelle institution plus honorable à l'humanité! C'eft, une fociété qui habite une terre fertile fous un climat fortuné, dont tous les membres font laborieux , & où perfonne ne travaille pour foi i les fruits de la culture commune font rapportés fidèlement dans des magafins publics » d'où l'on distribue à chacun ce qui lui eft néceffairc pour fa nourriture, fon habillement & l'entretien de fon ménage ; l'homme dans la vigueur de l'âge , nourrit par fon travail feulant qui vient de naître; & lorfque le tems a ufé fes forces, il reçoit de fes concitoyens les mêmes fervices dont il leur a fait l'avance > les maifons particulières font commodes , les édifices publics font beaux ; le culte eft uniforme & fcrupuleufemcnt fuivi ; ce peuple heureux ne connoît ni rangs ni conditions , U eft également à l'abri des richelies & de l'indigence. Telles ont dû paroître & telles me pa-roiffoient les millions dans le lointain & l'illu-fion de la perfpective. Mais en matière de gouvernement , un intervalle immenfe fépare la théorie de l'adminiftratiou. J'en fus convaincu par les détails fuivans, que m'ont faits unanimement cent témoins oculaires. L'étendue du terrcin que renferment les unifions , peut être de deux cents lieues du nord au fud » de cent - cinquante de l'eft à l'oueft, & la population y eft d'environ trois cents mille ames ; des forêts immenfes y offrent des bois de toute efpece ; de vaftes pâturages y contiennent au moins deux millions de têtes de beftiaux ; de belles rivières vivifient l'intérieur de cette contrée, & y appellent par-tout la circulation & le commerce. Voilà le local ; comment y vivoit-on? Le pays étoit, comme nous l'avons dit, divifé en paroiffes, & chaque paroirfe régie par deux Jéfuites, l'un curé, l'autrt fon vicaire, La dépenfe totale pour l'entretien des peuplades entraînent peu de fraK les Indiens étant nourris, habillés, logés du travail de leurs mains, la plus forte dépenfe alloit à l'entretien des églifes conltruites Se ornées avec magnificence. Le relie du produit de la terre & tous les belliaux aopartenoient aux Jéfuites, qui de leur côté faifoient venit d'Europe les outils des ditférens métiers, dss vitres , des couteaux , des aiguilles à coudre, des images , des chapelets , de la poudre & des fufils. Leur revenu annuel confiitoit en coton , fuifs, cuirs , miel & fur-tout en maté* plante mieux connue fous le nom d'herbe du Paraguai, dont la compagnie faifoit feule le commerce, & dont la confommation eit im-menfa dans toutes les Indes Efpagnoles où elle tient lieu de thé. Les Indiens avoient pour leurs curés un6 foumiiîion tellement fervile , que non feulement ils fe laiifoient punir du fouet, à la manière du collège, hommes & femmes, pour les fautes publiques , mais qu'ils venoient eux-mêmes folliciter le châtiment des fautes mentales. Dans chaque paroiife les percs élifoient tous les ans des corrégidors & des capitulaires chargés des détails de l'administration. La cérémonie de leur élection fe faifoit avec pompe le premier jour de fan dans le parvis de l'églife » &fe publioitau fon des cloches & des initru-mens de toute efpece. Les élus venoient aux pieds du pere curé recevoir les marques do f leur dignité qui ne les ëxemptoit pas d'être fouettés comme les autres. Leur plus grande distinction étoit de porter des habits , tandis qu'une chemife de toile de coton compofoit feule le vêtement du refte des Indiens de l'un & l'autre fexe. La fête de la paroiffe & celle du curé fe célébroient auffi par des réjouif-fances publiques , même par des comédies j elles relfembloient fans doute à nos anciennes pièces qu'on nommoit myjïeres, Le curé habitoit une maifon vafte proche féglife ; elle avoit attenant deux corps de logis , dans l'un defquels étoient les écoles pour la musique, la peinture, la fculpture, l'architecture & les atteliers des différens métiers ; l'Italie leur fourniflo.it les mnîtres pour les arts , & les Indiens apprennent, dit-on , avec facilité ; l'autre corps de logis contenoit Un grand nombre de jeunes filles occupées à divers ouvrages fous la garde & l'infpectioti de vieilles femmes : il fe nommoit le guatiguafit ou le féminaire. L'appartement du curé corn-muniquoit intérieurement avec ces deux corps de logis. Ce curé fe levoit à cinq heures du matin ^ prenoit une heure pour l'oraifon mentale, du foit fa mefle à fix heures & demie , on lui baifoit la main à fept heures , & l'on faifoit alors la distribution publique d'une once de maté par famille. Après fa meffe , le curé déjeûnoit , difoit fon bréviaire 5 travaillent avec les corrégidors dont les quatre premier^ étoient fes minières , vifitoit le féminaire» les écoles & leà ateliers; s'il fortoit, c'étoit à-cheval & avec un grand cortège ; il dinoit à onze heures feul avec fon vicaire, relleit en converfation jufqu'à midi , & faifoit la fierté jufqu'à deux heures j il étoit renfermé dans fon intérieur jufqu'au rofaire, après lequel il y avoit converfation jufqu'à fept heures du foir ; alors le curé foupoit ; à huit heures il étoit cenfé couché. Le peuple cependant étoit depuis huit heures du matin diftribué aux divers travaux foit de la terre, foit des atteliers , & les corrigédors veilloient au févere emploi du tems; les femmes filoient du coton ; on leur en diftribuoit tous les lundis une certaine quantité qu'il falloit rapporter filé à la fin de la femaine ; à cinq heures & demie du foir on fe raifembloit pour réciter le rofaire & baifer encore la main du curé ; enfuite fe faifoit la diflribution d'un* once de maté & de quatre livres de bœw pour chaque ménage qu'on fuppofoit être com-pofé de huit perfonnes ; on dpnnoit aulii du" maïs. Le dimanche on ue travaillent point, l'office divin prenoit plus de tems , ils poti-Voient enfuite fe livrer à quelques jeux àîin» triffes que le relie de leur vie. On voit par ce détail exact que les Indiens n'avoient en quelque forte aucune propriété*, & qu'ils étoient aiîujettis à une uniformité de travail travail & de repos cruellement ennuyeufe. Cet ennui , qu'avec rai fon on dit mortel , furfit pour expliquer ce qu'on nous a dit, qu'ils quittaient la vie fans la regretter, & mouroientfans avoir vécu. Quand une fois ils tomboient mandes, il étoic rare qu'ils guériifent j & lorfqu'on leur demandoit alors fi de mourir les affli-geoit, ils répondoient que non, & le répon-doient comme des gens qui le penfent. On ceifera maintenant d'être furpris de ce que , quand les Efpagnols pénétrèrent dans les mif-bons , ce peuple, administré comme un cou-Vent, témoigna le plus grand delir de forcer la clôture. Au relie, les Jéfuites nous repré-ientoient ces Indiens comme une efpece d'hommes qui ne pouvoit jamais atteindre qu'à fin-tel ligence des enfans ; la vie qu'ils menaient ernpèchoit ces grands enfans d'avoir la gaieté des petits. La compagnie s'occunoit du foin d'étendre les millions , lorfque le contrecoup d'événe-mens palfés en Europe, vint renvcrlèr dans le Nouveau monde l'ouvrage de tant d'années & de patience. La cour d'Llpagne ayant pris la résolution de chailer les jéfuites, voulut que cette opération fe fit en même tems dans toute l'étendue de fes valles domaines. Cevallos lut rappelle de Buén s-Aires , & Don Francifco Bukarely nommé pour le remplacer. Il partit inltruit de la befogne à laque 'e on le.deftinoit, & prévenu d'eu différer l'exécution jufqu'à de nouveaux ordres, qu'il ne tarderont pas à re-Premiere Partie. I cevoir. Le confeifeur du roi, le comte d'A" randa, & quelques miniitres étoient les feuls auxquels fut confié le fecret de cette affaire. Bukarely fit fon entrée à Buénos-Aires au commencement de 1767. Lorfque Don Pedro Cevallos fut arrivé ert Efpagne, on expédia au marquis de Bukarely un paquebot chargé des ordres tant pour cette province que pour le Chili, où ce général de voit les faire palfer par terre. Ce bâtiment arriva dans la rivière de la Plata au mois de juin 1767 , & le gouverneur dépêcha fur le champ deux officiers , l'un au viceroi du Pérou , l'autre au préfident de l'audience du Chili, avec les paquets de la cour qui les concernoient. H fongea enfuite à répartir fes ordres dans les différens lieux de fa province où il y avoit des Jéfuites , tels que Cordoue , Mendoze » Corientes, Santa-Fé , Salto, Montevideo & le Paraguai. Comme il craignit que, parmi les commandans de ces divers endroits , quelques-uns n'agiffent pas avec la promptitude , le fecret & l'exactitude que la cour defiroit , il leur enjoignit, en leur adreffant fes ordres, de ne les ouvrir que le * * * jour qu'il fixoit pour l'exécution , & de ne le faire qu'en préfence de quelques perfonnes qu'il nommoit; gens qui occupoient dans le même lieu les premiers emplois eccléfiaftiques & civils. Cordoue fur-tout l'intéreffoit. C'étoit dans ces provinces la principale maifon des Jéfuites & la réfi- dence habituelle du provincial C'eft là qu'ils formoient & qu'ils inlbruifoient dans la langue & les ufages du pays les fiujets deftinés aux millions & à devenir chefs des peuplades ; on y devoit trouver leurs papiers les plus importans. M. de Bukarely fe réfolut à y envoyer un officier de confiance, qu'il nomma lieutenant de roi de cette place, & que, fous ce prétexte, il fit accompagner d'un détachement de troupes. Il reltoit à pourvoir à l'exécution des ordres du roi dans les millions, & c'étoit le point critique. Faire arrêter les Jéfuites au milieu des peuplades , on ne favoit pas fi les Indiens Voudraient le fouffrir, & il eut fallu foutenir cette exécution violente par un corps de troupes aiiez nombreux pour parer à tout événement. D'ailleurs n'étoit-il pas indifpenfable , avant que de fonger à en retirer les jéfuites, d'avoir une autre forme de gouvernement prête à fubilituer au leur , & d'y prévenir ainfi les défordres de l'anarchie ? Le gouverneur fe détermina à temporifer , & fe contenta pour le moment d'écrire dans les millions, qu'on lui envoyât fur le champ le corrégidor & un cacique de chaque peuplade, pour leur communiquer des lettres du roi. Il expédia cet ordre avec la plus grande célérité , afin que les indiens fulfent en chemin & hors des réductions, avant que la nouvelle de l'expullion de la fociété put y parvenir. Par ce moyen il rem-pliifoit deux vues, l'une de fe procurer des ôta- » ges qui l'aflureroient de la fidélité des peuplades , lorfqu'il en retircroit les jéfuites, l'autre de gagner l'affection des principaux Indiens, par les bons traitemens qu'on leur prodigue-roità Buénos-Aires, & d'avoir le tems de les inftruire du nouvel état dans lequel ils entre* roient, lorfquc n'étant plus tenus parla lificre, ils jouiroient des mêmes privilèges & de la même propriété que les fujets du roi. Tout avoit été concerté avec le plus profond fecret, & quoi qu'on eut été furpris de voir arriver un bâtiment d'Efpagne fans autres lettres que celles adreflees au général, on étoit fort éloigné d'en foupçonner la caufe. Le moment de l'exécution générale en étoit combine pour le jour où tous les couriers auroient eu le tems de fe rendre à leur deftination, & le gouverneur attendoit cet mitant avec impatience, lorfque l'arrivée des deux ebambekins du roi, f Aïi datons & /'Avanturero , venant de Cadix, faillit à rompre toutes fes mefures. H avoit ordonné au gouverneur de Montevideo , au cas qu'il arrivât quelques bâtimens d'Europe, de ne pas les laùTer communiquer avec qui que ce fut, avant que de l'en avoir informé ; mais l'un de ces deux ebambekins s'étant perdu, comme nous l'avons dit , en entrant dans la rivière, il falloit bien en fauver l'équipage, & lui donner les fecours que fa fitua-tion exigeoit. - Les deux chambekins étoient fortis d'Ei- pnguc depuis que les jéfuites y avoient été arrêtés : ainfi l'on ne pouvoit empêcher que cette nouvelle ne fe répandit. Un officier de ces bâtimens fut fur le champ envoyé au marquis de Bukarely , & arriva à Buénos-Aires le 9 juillet à dix heures du foir. Le gouverneur ne balança pas : il expédia à l'initant à tous lescom-mandans des places un ordre d'ouvrir leurs paquets, tk d'en exécuter le contenu avec la plus grande célérité. A deux heures après minuit, tous les couriers étoient partis , & les deux maifons des jéfuites à Buénos-Aires invefties , au grand étonnement de ces pères qui croyo.ient rêver, lorfqu'on vint les constituer prifon-«iers, & fe failir de leurs papiers. Le lendemain on publia dans la ville un ban qui dé-eernoit peine de mort contre ceux qui entre-tiendroient commerce avec les jéfuites , & on. y arrêta cinq négocians qui vouloient, dit-on, leur faire paifer des avis à Cordoue. Les ordres du roi s'exécutèrent avec la même facilité dans toutes les villes. Par-tout les jé-iuites furent furpris fuis avoir eu le moindre indice, & on mit la main fur leurs papiers. On les fit auffttôt partir de leurs diféreutes maifons , efeortés par des détachemens de troupes qui avoient ordre de tirer fur ceux qui chercheraient à s'échapper. Mais l'on n'eut pas beibin d'en venir à cette extrémité. Ils témoignèrent la plus parfaite réfignation , «'humiliant fous la main qui les frappoit, & recon- noiflant, difoient-ils, que leurs péchés avoient mérité le châtiment dont Dieu les puniilbit. Les Jéfuites de Cordoue, au nombre de plus de cent , arrivèrent à la fin d'août à la Encenada , où fe rendirent peu-après ceux de Cor-rientes, de Buénos-Aires & de Montevideo. Ils furent aufîitôt embarqués, & ce premier convoi appareilla, comme nous l'avons déjà dit, à la fin de feptembre. Les autres pendant ce tems étoient en chemin pour venir à Buénos-Aires attendre un nouvel embarquement. On y vit arriver le 13 feptembre tous les corrégidors & un cacique de chaque peuplade , avec quelques Indiens de leur fuite. Ils étoient fords des millions avant qu'on s'y doutât de l'objet qui les faifoit mander. La nouvelle qu'ils en apprirent en chemin leur fit impreffion , mais ne les empêcha pas de continuer leur route. La feule initruction, dont les curés euiTent muni au départ leurs chers néophites , avoit été de ne rien croire de tout ce que leur débiterait le gouverneur général. „ Préparez-vous , mes enfans, leur w avoit-il dit, à entendre beaucoup de men-M fonges, „ A leur arrivée , on les amena en droiture au gouvernement , où je fus pre-fent à leur réception. Us y entrèrent à cheval au nombre de cent vingt, & s'y formèrent en croiliant fur deux lignes : un Efpagnol inftruit dans la langue des Guaranis leur fer voit d'interprète, Le gouverneur parut à un balcon î »l leur fit dire qu'ils étoient les bien venus, qu'ils allalfent fe repofer, & qu'il les infor-meroit du jour auquel il auroit réfolu de leur fignifier les intentions du roi. Il ajouta, fom-ïwaircment qu'il venoit les tirer d'efclavage, & les mettre en poffeiïïon de leurs biens, dont jufqu'à préfent ils n'avoient pas joui. Us répondirent par un cri général , en élevant la main droite vers le ciel, & fouhaitant mille ptofpérités au roi & au gouverneur. Us ne paroiifoient pas mécontens, mais il étoit aife de démêler fur leur vifage plus de furprife que de joie. Au-fortir du gouvernement, on les conduifit à une maifon de Jéfuites où ils furent logés , nourris & entretenus aux dépens du roi. Le gouverneur, en les faifant venir, avoit mandé le fameux cacique Nicolas , mais on écrivit que fon grand âge & fes infirmités ne lui permettoient pas de fe déplacer. A mon départ de Buénos-Aires, les Indiens n'avoient pas encore été appelles à l'audience du général. Il voulbit leur laiifer le tems d'apprendre la langue & de connoître la façon dë Vivre des Efpagnols. J'ai plufieurs fois été les Voir. Ils m'ont paru d'un naturel indolent, je leur trouvois cet air ftupide d'animaux pris au piège. L'on m'en fit remarquer que l'on diloit fort inilruits i mais comme ils ne par-loient que, la langue Guaranis, je ne fus pas dans le cas d'apprécier le degré de leurs con-îiouTances; feulement j'entendis jouer du violon* 136 " Voyage un cacique que l'on nous affuroit être grand niufîcien ; il joua une fonate , & je crus entendre les fons obligés d'une fermette. Au refte jpeu de tems après leur arrivée à Buenos-Aires, la nouvelle de rexpuliion des jéfuites étant parvenue dans les millions , le marquis de Bukarely reçut une lettre du provincial qui s'y trouvoit pour lors, dans laquelle il l'aifuroit de fa fourmilion & de celle de toutes les peuplades , aux ordres du roi. Ces millions des Guarani' & des Tapes fur l'Uraguai n'éroieut pas les feules que les jéfuites euifènt fondées dans l'Amérique méridionale. Plus au nordi's .noient rai'endvé & fournis aux loix les MajOf , les Chtqifïfài & les yj'vipones. Ils formoient au'iTi de nouvelles réductions dans le fudduChi'i du côté de l'isle de Chiloé j & depuis que'qucs années ils s'é-toient ouvert une route pour pâfféf de cette province au Pérou , en traverfant lé pays des Chiquitos , route plus courte que celle que l'on fuivoit jufqu'à préfent. Au refte, d'ans les pays où ils pénétraient, ils faifoient appliquer fur des poteaux la devife de la compagnie i & fur la ci rte de leurs réductions faite par eux , elles font énoncées fous cette dénomination, oppida cbrïftravorum. L'on s'étoit attendu , en failiffant les biens des jéfuites dans cette province, de trouvée dans leurs maifons des fommes d'argent très-confîdcrables s on en a néanmoins trouvé fort peu. Leurs magafins étoient à la vérité garnis de marchandifes de tout genre, tant de ce pays que de l'Europe. Il y en avoit même de beaucoup d'efpcces qui ne fe confomment point dans ces provinces. Le nombre de leurs efcla-ves étoit confidérable, on eu comptoit trois mille cinq cents dans la feule maifon de Cordoue. Ma plume fe refufe au détail de tout ce que le piiolic de Buenos-Aires prétendoit avoir été trouvé dans les papiers faifis aux jéfuites ; les haines font encore trop récentes , pour qu'où puife difeemer les fa u lies imputations des véritables. J'aime mieux rendre jufticc à la plus grande partie des membres de cette fociété qui ne participoient point au fecret de fes vues temporelles. S'il y avoit dans ce corps quelques ïntrîgàns , le grand nombre, relig^ux de bonne foi, ne voyoient dans l'inititut que la piété de fon fondateur, & fervoient cn'cfprir & eu vérité le Dieu auquel ils s'étoient confacrés. Au relie j'ai fû depuis mon retour en France que le marquis de Bukarely étoit parti de Buénos-Aires pour les mi{ïïons le 14 mai 1768» & qu'il rt'y avoit rencontré aucuns obftacles, aucune réfiftance à l'exécution des ordres du loi catholique. On aura une idée de la manière dont s'elfc terminé cet événement intéref-fant, en lifant les deux pièces fuivantes qui contiennent le détail de la première feene. C'eit te qui s'eft palfé dans.la réduction Tapegu iituée fur l'Uraguai & qui fe trouvoit la première fur le chemin du général Efpagnol ; toutes les autres ont fuivi l'exemple donné par celle-là. Traduction d'une lettre d'un capitaine de grenadiers du régiment de Muyurque , commandant un des détachemens de l'expédition aux tnijjhns du Paraguai. D'Yapcgu le 19 juillet 1768. „ Hier nous arrivâmes ici très-heureufement ; a, la réception que l'on a faite à notre géné-„ ral , a été des plus magnifiques & telle „ qu'on n'auroit pu l'attendre de la part d'un 33 peuple auffi limple & auffi peu accoutumé à „ de femblables fêtes. Il y a ici un collège 3> très-riche en ornemens d'églife qui font en „ grand nombre ; on y voit aufîi beaucoup „ d'argenterie. La peuplade elt un peu moins j, grande que Montevideo , mais bien mieux ,3 alignée & fort peuplée. Les maifons y font ,j tellement uniformes , qu'à en voir une , „ on les a vu toutes , comme à voir un homme „ & une femme , on a vu tous les habitans » 3, attendu qu'il n'y a pas la moindre diffé-„ rence dans la façon dont ils font vêtus. Iî „ y a beaucoup de muficiens , mais tous mé-33 diocres. x ,3 Dès Pinftant où nous arrivâmes dans les. „ environs de cette miffion , fon excellence 5> donna Tordre d'aller fe faifir du pere pro-35 vincial de la compagnie de Jéiiis, & de fix 3? autres de ces pères , & de les mettre auffi-s, tôt en lieu de fureté. Us doivent s'embarquer 33 un de ces jours fur le fleuve Uraguai. Nous îj croyons cependant qu'ils relieront au Salto , 5> où on les gardera jufqu'à ce que tous leurs s, confrères aient fubi le même fort. Nous 3, croyons auffi refier à Yapegu cinq ou fix 33 jours , & fuivre notre chemin jufqu'à la sa dernière des millions. Nous fournies tressa contens de notre général qui nous fait pro-J5 curer tous les rafraîchiflemens poffibles. Hier a, nous eûmes opéra, il y en aura encore au-,3 jourd'hui une repréfenfation. Les bonnes 33 gens font tout ce qu'ils peuvent & tout ce jj qu'ils faveur. « Nous vimes auffi hier le fameux Nicolas, s, celui qu'on avoit tant d'intérêt à tenir ren-3, fermé. Il étoit dans un état déplorable & i5 prefque nud. C'eft un homme de foixante ,j & dix ans qui paroit de bon fans. Son excel-„ lence lui parla long-tcms,. & parut fort fa-„ tisfaite de fa converfation. „ Voilà tout ce que je puis vous apprendre ,> de nouveau #■ Relation publiée à Buénos-Aires Je feutrée de S. t\ Don Prancifco Bukarely y Urf'mt dans 1$ miljion Tapeçu, fune de celles des Jéfuites chez les peuples Guaranis dans le Paraguai >lorf]U 'elle y arriva le i§ juillet 1768. „ A huit heures du matin fou Excellence fortit de la chapelle Saint-Martin , fituée à „ une lieue d'Yapegu. Elle étoit accompagnée „ de la garde de grenadiers & de dragons , & „ avoit détaché deux heures auparavant les ,-, compagnies de grenadiers de Mayorque pour „ difpofer & foutenir le pallage du ruiifeau „ Guavirade qu'on eft obligé de traverfer en „ balfes & en canots. Ce ruifleau eft à une „ demi lieue environ de la peuplade. „ Aufli-tôt que fon Excellence l'eut traverfe, J:) elle trouva les caciques & corrégidors des 3 millions qui l'attendoient avec l'aîferès d'Ya-M pegu qui portoit l'étendard royal. Sou 35 Excellence ayant reçu tous les honneurs & 3, complimcns ufités eu pareilles occafions 1 * 53 monta à cheval pour faire fon entrée pu-„ blique. „ Les dragons commencèrent la marche ; ils 3, étoient fuivis de deux aides-de-camp qui 35 précédoient fon Excellence , après laquelle 5Ï venoient les deux compagnies de grenadiers » 4e Mayorque , fuivics du cortège des caci-33 ques & corrégidors , & d\ui grand nombre M de cavaliers de ces cantons. ,5 On fe rendit à la grande place en face de 13 l'églife. Son excellence ayant mis pied à 3, terre, Don Francifco Marti n ez, vicaire gé-35 néral de l'expédition , fe préfenta fur les 33 degrés du portail pour la recevoir. U l'ac-33 compagna jufqu'au presbytère & entonna le 33 Te Deum, qui fut chanté & exécuté par une 33 mufique toute compofée de Guaranis. Pensa dant cette cérémonie l'artillerie fit une trias pie décharge. Son excellence fe rendit en-ss fuite au logement qu'elle s'étoit deffiné dans 33 le collège des pères, autour duquel la troupe sa vint camper jufqu'à ce que par fon ordre * elle allât prendre fes quartiers dans le Gua-33 tiguafit ou la Caja de las recogidas, la maifon sj des reclufes ,,. Reprenons le récit de nôtre voyage dont le fpe&acle de la révolution arrivée dans les millions n'a pas été une des circonftances les moins intérelfantes. < ' =a§gë-:b==»* CHAPITRE VIII. Départ de Montevideo ; navigation jufqu'au cap des Vierges ; entrée dans le détroit } entrevue avec Us Patagons i navigation jufqu'à fiïfk Sainte-Eiifabeth. Nimborum in patriam , loca fœta furcntibus auitris. Virg. Mneid. Lib. I- Le radoub & le chargement de l'Etoile nous avoient coûté tout le mois d'octobre & des frais confidérables ; ce ne fut qu'à la fin de ce mois que nous pûmes folder avec le mu-nitionnaire-général & les autres fourniifeurs Efpagnols. je pris le parti de les payer de l'argent qui m'avoit été rembourfé pour la cef-fion des isles Malouines , plutôt que de tirer des lettres de change fur le trcfor royal. J'ai continué de même pour toutes les dépenfes de nos différentes relâches en pays étranger. Les achats s'y font lints par ce moyen à meilleur compte & avec plus d'expédition. Le 31 octobre au point du jour, je rejoignis à quelques lieues de la Encenada l'Etoile qui en avoit appareillé la veille pour Montevideo. Nous y mouillâmes le 3 novembre à fept heures du foir. Ce qui fait la difficulté de cette navi- gation de Montevideo à la Encenada , c'eft qu'il, faut chenaîer entre le banc Ortiz & un autre petit banc qui en eft au fud , qu'aucun d'eux n'eft balifé & que rarement peut-on Voir la terre du fud , laquelle eft très-ba/fe. A la vérité le hafard a placé prefque à l'accoté occidental du banc Ortiz une efpece de balife. Ce font les deux mâts d'un navire Portugais qui s'y eft perdu , & qui fort heureufement eft refté droit. Au refte , on trouve dans le canal quatre , quatre & demi, jufqu'à cinq bralfes d'eau , & le fond eft de vafe noire ; il eft de fable rouge fur les accores du banc Ortiz. En allant de Montevideo à la Encenada . auffï-tôt qu'on a amené la balife à l'eft-quart-fud-cft du compas, & que la fonde donne cinq bralfes , on a paifé les bancs. Nous avons obfervé dans le chenal if deg. 30 min. de variation nord-eft. Cette traverfée nous coûta trois hommes qui furent noyés j la chaloupe' s'étant engagée fous le navire qui viroit de bord, coula bas: tous nos efforts ne purent fauver que deux nommes & la chaloupe, dont le cablot n'avoit pas rompu. J'eus aufli le chagrin de voir que, Malgré fon radoub , l'Etoile faifoit encore de l'eau; ce qui donnoit lieu de craindre que le défaut ne fut général dans tout, le calefatage de fa flottaifon : le navire avoit été franc d*i.iu jufqu'à ce qu'il eut été calé à treize pied:;. Nous employâmes quelques jours à embar- qucr à bord de la Boudeufe tous les vivres qu'elle pouvoit contenir , à recalfatcr les hauts, opération que Pabfence de fes caliats nécelfaircs à l'Etoile, n'avoit pas permis de faire plutôt, à raccommoder la chaloupe de l'Etoile, à faire couper l'herbe pour nos beftiaux & à déblayer tout ce que nous avions à terre. La journée du 10 fe paifa à guinder nos mâts de hune , virer les batfes vergues & tenir nos agrets î nous pouvions appareiller le même jour fi nous n'euiïïons pas été échoués. Le il , la mer ayant monté, les bâtimens affiouerent, & nous allâmes mouiller à la tête de la rade, où l'on eft toujours à flot. Les deux jours fui-vans , le gros tems ne nous permit pas de faire voile, mais ce délai ne fut pas en pure perte. Il arriva à Buénos-Aires une goélette chargée de farine, & nous en primes foixante quintaux, qu'on trouva moyen de loger encore dans les navires. Nous y avions, toute compenfation faite, des vivres pour dix mois: il ell vrai que la plus grande partie des boif-fons ne confiftoit qu'en eau-de-vie. Les équipages jouiifoient de la meilleure faute i le long féjour qu'ils venoient de faire dans la rivière de la Plata, pendant lequel un tiers des matelots couchoit alternativement à terre , & l*1 viande fraiche dont ils y furent nourris, les avoient préparés aux fatigues & aux mifei'cs de toute efpece , dont la longue carrière allait s'ouvrir. Je fus obligé de laipèr à Montevideo le maître pilote , le maître charpentier , le maître armurier & un officier marinier de ma frégate, auxquels l'âge & des infirmités incurables ne permettoient pas d'entreprendre le voyage. Il y déferta auffi, malgré tous nos foins , douze foldats ou matelots des deux navires. J'avois pris à la vérité aux ifles Malouines quelques-tms des matelots qui y étoient engagés pour la pèche, ainii qu'un ingénieur , un officier de navire marchand & un chirurgien; en forte que les Vaiffeaux avoieut autant de monde qu'à notre départ d'Europe, & il y avoit déjà un. an que nous étions fortis de la rivière de Nantes. Le 14 novembre, à quatre heures & demie du matin, le vent étant au nord, joli frais, nous appareillâmes de Montevideo. A huit beures & demie, nous étions nord & fud de l'isle de Flores , &à midi, à douze lieues dans l'eft & l'elt-quart-fud-eft de Montevideo , & c'eft de là que je pris mon point de départ par 34 deg. 54 min. 40 fec. de latitude auftralc, & S8dcg. f7 min. 30 fec. de longitude occidentale du méridien de Paris. J'y ai fuppofé la pofition de Montevideo, telle que M. Verrou l'a déterminée par fes obfervations, lef-quelles en fixent la longitude 49 min. >ofec. plus à l'oueft que ne la place la carte de M. bellin. J'avois auffi profité du féjour à terre pour vérifier mon odtant fur les diifances d'étoiles connues; cet infiniment s'étoit trouvé Première Partie K donner les hauteurs des aftres trop petites de 2 min. & j'ai toujours eu égard depuis à cette correction. Je préviens ici que dans tout le cours de ce journal , je donne le gifle ment des côtes telles que les montre le compas » quand je les donnerai corrigées de la varia" tion , j'aurai foin d'en avertir. Le jour de notre départ, nous vimes la terre jufqu'au coucher du foleil ; la fonde avoit toujours augmenté, paffant d'un fond de vafe à un de fable : à lix heures & demie du foir elle donna 35 bradés, fond de fable gris; & l'Etoile , à laquelle je fis le lignai de fonder le 1$ après midi, trouva 6"o bralfes, même fond : nous avions obfervé à midi 36" deg. 1 min. de latitude. Depuis le 16* jufqu'au 21, nous eûmes les vents contraires, une mer très-grofle, & nous tinmes les1 bordées le moins défavanta-geufes fous les quatre voiles majeures, tous les ris pris dans les huniers ; l'Etoile avoit dé-pafle fes mâts de perroquet, & nous étions partis fans avoir les nôtres en place. Le 22, nous reçûmes un coup de vent , accompagné d'orages & de grains qui durèrent toute la nuit» la mer étoit arFreufe, & l'Etoile fit lignai d'incommodité ; nous l'attendîmes fous la mizaine & la grand voile , le point de deflbus cargué : cette flûte nous paroiffoit avoir' fa vergue de petit hunier rompue. Le vent & la mer étant tombés le lendemain au matin, nous fimes de Ja voile, & le 24, je fis paffer l'Etoile à la por- AUTOUR DU MON!) È» H? de la voix pour favoir ce qu'elle avoit fouk fert dans le dernier coup de vent. M. de la Giraudais me dit qu'outre fa vergue de petie hunier , quatre de fes chaînes de haubans ^Voient aulfi été rompues; il ajouta qu'à l'exception de deux breufs, il avoit perdu tous lus beftiaux embarqués à Montevideo : ce malheur nous avoit été commun avec lui, mais Ce n'étoit pas une confolation ; qui iavoit quand nous ferions à portée de réparer cette perte i * Pendant le refte du mois les vents furent Variables du fud-oueft au nord-oueft ; les courans nous portèrent dans le fud avec alfez de-rapidité , jufques par les 4Ç deg. de latitude, qu'ils nous devinrent infenfibles. Plufieurs Jours de fuite nous fondâmes fans trouver de *ond ; ce ne fut que le 27 au foir , qù'étanc environ par 47 deg. de latitude, & nous efti-rriant à trente-cinq lieues de la côte des Pati-gtms, nous trouvâmes 70 bralfes , fond de vafe & de fable fin, gris & noir. Depuis ce jour» nous confervames ce fond jufqu'à la vue de ^rre, par 67 , 6"o, 5 s;, s;0 > 47, & enfin 40 btanes d'eau que nous donna la fonde > lorf-que nous vimes pour la première fois le cap des Vierges. Le fond étoit quelquefois vafard » ™ais toujours de fable fin, tantôt gris, tantôt Jaune, accompagné de petits graviers rouges* Je ne voulus point trop accofter la terre jufqu'à ce que je n'eulfe atteint les 49 deg. de latitude , à caufe d'une vigie que j'avois recon- nue en 176* Ç par 48 deg. 30 min. de latitude îiuitralc, à fix ou fept lieues de la côte. Je l'ap-perçus le matin dans le même moment que la terre , & ayant en hauteur à midi par un très-beau tems, j'en ai pu déterminer la latitude avec précifion. Nous rangeâmes à un quart de lieue cette bâture, que celui qui en eut la première connoiifancc avoit d'abord prife pour un fouifleur. Le Ier & le S décembre, les vents furent favorables de la partie du nord au nord-nord-eit, très-frais, la mer grolfe & le tems brumeux ; nous forcions de voiles pendant le jour , & nous pallions la nuit fous la mitaine & les huniers,aux bas ris. Nous vimes pendant tout ce tems des damiers, des quebrantaneflbs, & 9 ce qui eit de mauvais augure dans toutes les mers du globe, des alcyons qui difparoilfent quand la mer eil belle & le ciel ferein. Nous vimes auffi des loups marins , des pingouins , & une grande quantité de baleines. Quelques-uns de ces monftrueux animaux paroiifoient avoir l'écailie couverte de ces vermiculaires blancs qui s'attachent à la carène des vaiffeaux' qu'on laifle pourrir dans les ports. Le 30 novembre, deux oifeaux blancs femblables à de gros pigeons étoient venus fe pofer fur nos vergues. J'avois déjà vu un volier de ces animaux traverfer la baie des Malouines. Nous reconnûmes le cap des Vierges le 2 décembre après midi, & nous le relevâmes au fud , environ à fept lieues de diftance. J'avois obfervé à midi , 52 deg. de latitude auftrale, & j'étois alors par 52 deg. 3 min. 30 fec. de latitude, &7ï deg. 12 min. 20 fec. de longitude a l'ouell de Paris. Cette pofition du vailfeau, jointe au relèvement, place le cap des Vierges par f2 deg. 23. min. de latitude, &71 deg. 2^ min. 20 fec. de longitude occidentale de Paris. Comme le cap des Vierges eft un point intéreffant dans la géographie, je dois rendre compte des raifons qui me font croire que la polition que je lui donne eft, à peu de chofe près , exa&e. Le 27 novembre après midi, le chevalier du Bouchage avoit obfervé huit diftances de la lune au foleil, dont le réfultat moyen avoit donné la longitude occidentale du vailfeau de 6<) deg. 30 fec. pour 1 heure 43 min. 26 fec. tems vrai : M. Verrou de ion côté avoit obfervé cinq diftances de la lune au foleil, dont le réfultat donna pour notre longitude, au même inftant 66 cfeg. 57 min. Le tems étoit beau & très-favorable aux obfervations. Le 29 fuiVant, à 3 heures 57 min. 3^ fec. tems vrai, M. Verron, par cinq obfervations de diftance de la lune au foleil , détermina la longitude occidentale du vailfeau de 67 deg. 49 niin. 30 fec. Maintenant, en fuivant pour fixer le point du vailfeau, lors de la vue du cap des Vierges 3. K 3 IfO V Q y a. €?. £ Ja longitude déterminée le 27 novembre- pa? 5e terme moyen entre les rcfultats du chevalier du Bouchage & de $£ Verrou, on aura la longitude du cap des Vierges de 71 deg. 29. min. 47 fec. à l'oueft de Paris. Les obfervations du 29 après midi rapportées de même »U point du vailfeau, quand nous relevâmes le cap donneroient un réfultat plus oueft de 38 Hîifl. 47 fec. Mais il me femble qu'on doit plutôt fuivre celles du 27 .quoique plus éloignées de deux jours ,. parce que faites en plus grand nombre par deux obfcrvateurs qui ne communiquoient point cnfemble, & ne différant dans leur réfultat que de 3 min. 30 fec; elles portent un caractère de probabilité auquel il eft difficile de. fe refufer. Au refte, fî' l'on veut prendre un terme moyen entre les obfervations dq ces deux jours, on trouvera la longitude du cap des. Vierges de 71 deg. 49/ min. % fec. ce qui ne diffère que de quatre lieues de la première détermination, laquelle eft la même, aune lieue près , que celle qui a été donnée par l'eftime de mes routes, & que je fuis par cette raifon. Cette longitude du cap des Vierges eft plus, occidentale de 42 min. 20 fec. de deg. que. celle par où le place M. Bel Un , & ce n'eft que la même différence donnée par lui à la pofi-tion de Montevideo , différence dont nous-avons rendu compte au commencement de ce-chapitre. La carte de milord Anfon affigne pour la longitude du cap des Vierges 72 deg. à l'oueft de Londres , & conféqucmment près de 7f / deg. à l'oueft de Paris; erreur bien plus con- iidérable, qu'il commet auffi pour l'embou- ch ure de la rivière de la Plata, & généralement pour toutes les côtes des Patagons. Les obfervations que nous venons de rapporter ont été faites avec l'octant Anglois. Cette manière de déterminer les longitudes à la mer par le moyen des diftances de la lune au foleil ou aux étoiles zodiacales, eft connue depuis plufieurs animées. MM. de la Caille & Daprés en ont fait particulièrement ufage à la mer , enfe fervant auffi de l'octant de M. Had-îey. Mais comme le degré de juftelfe, qu'on obtient par cette méthode, dépend beaucoup de la précifion de l'inftrumcnt avec lequel on ob-ferve, il s'enfuivroit que l'héliometre de M. Bouguer, rendu capable de mefurer de grands angles, feroit très propre à perfectionner ces. obfervations de diftances. M. l'abbé de la Caille y avoit vraifemblablement fongé, puif-qu'il en a fait conftruire un qui mefure des arcs de fix à fept degrés ; & fi dans fes ouvrages il ne parle point de cet inftrument, comme propre à obferver à la mer, c'eft qu'il pré-voyoit beaucoup de difficultés à s'en fervir fur Un vailfeau. M. Verron apporta avec lui à bord un inftrument nommé mégametre, qu'il avoit déjà employé dans d'autres voyages faits avec M. de: Charnières , & dont il s'eft fervi à celui-ci. Cet inftrument nous a paru ne différer de l'hélio-metre de M. Bouguer, qu'en ce que la vis qui fait mouvoir les objectifs étant plus longue» elle leur procure un plus grand écartement > & rend par là cet inftrument capable de me-furer des angles de 10 deg. limite du mégametre que M. Verron avoit à bord. Il feroit à fouhaiter qu'en alongeant la vis, on eût pu augmenter encore fon extenfion , refferrée » comme on le voit, dans des bornes trop étroites pour la fréquence & même l'exactitude des obfervations ; mais les loix de la dioptrique limitent l'écartement des objectifs. Il faudroit auiîi remédier à la difficulté preffentie par Mr* l'abbé de la Caille , celle qu'apporte l'élément fur lequel il s'agit d'obferver. En général , ii me femble que le quartier de réflexion de M. Hadley feroit préférable , s'il comportoit la même précifion. Depuis le 2 après-midi, que nous eûmes la connoiffance du cap des Vierges, & bientôt après celle de la terre de Feu ; le vent debout & le gros tems nous contrarièrent plufieurs jours de fuite. Nous louvoyâmes d'abord jufqu'au 3 à fix heures du foir, que les vents ayant adonné permirent de porter fur l'entrée du détroit de Magellan. Ce ne fut pas pour long-tems : à fept heures & demie le vent calma tout-à-fait, & les côtes s'embrumèrent ; il refraichit à dix heures , & nous parlâmes la nuit à louvoyer. Le 4, à trois heures du matin , nous courûmes vers la terre,avec un bon nais de nord : mais, le tems chargé de brume & de pluie nous en dérobant bientôt la vue, il fallut reprendre la bordée du large. A cinq heures du matin dans un éclairci, nous apper-çumes le cap des Vierges, & nous arrivâmes pour donner dans le détroit ; prefque auffi-tôt les vents fautèrent au fud-oueft, d'où ils ne tardèrent pas à fouffler avec furie ; la brume s'épaiffit, & nous fumes forcés de mettre à la cape fur les deux bords entre les terres de Feu & le continent. Notre mizaine ayant été déchirée le 4 après-midi, & la fonde prefque au même moment ne nous ayant donné que vingt brades , la crainte de la bâture qui s'étend dans le fud-eft du cap des Vierges , me fît prendre le parti d'arriver à fec de voiles , d'autant plus que cette manœuvre nous facilitoit l'opération d'enverguer une autre mizaine. Au refte cette fonde qui me fit arriver, n'étoit point à craindre : c'étoit celle du canal, je l'ai appris depuis en y fondant avec une parfaite vue de la terre. J'ajouterai , pour l'utilité de ceux qui lou-Voieroient ici d'un tems obfcur, que le fond de gravier annonce qu'on eft plus près de la terre de Feu que du continent; près de celui-ci 9» trouve du fable fin & quelquefois vafeux. A cinq heures du foir, nous remimes à la cape fous la grand-voile d'étai & le focq d'ar- timon -, à fept heures & demie du foir , le vent calma , le tems s'éclaircit, & nous finies de la voile , mais les bordées furent toutes défavantageufes, & nous écartèrent de la côte. En effet , quoique la journée du f fut belle & le vent favorable, ce ne fut qu'à deux heures après-midi que nous vimes la terre depuis le fud-quart-fud-oueft jufqu'à fud-oueft-quart-olieft environ à dix lieues. A quatre heures nous reconnûmes le cap des Vierges, & nous finies route pour le ranger à la diftance d'une lieue & demie à deux lieues. Il n'eft pas prudent de le ferrer davantage à caufe d'un banc qui s'étend au large du cap à peu près à cette diftance; je crois même que nous avons paifé fur la queue de ce banc ; car, comme nous fondions fréquemment , entre deux fondes, l'une de vingt-cinq , l'autre de dix-fept bralfes , l'E'oile qui étoit dans nos eaux , nous fignala huit bralfes , le moment fui vaut elle augmenta de fond. Le cap des Vierges eft une terre unie d'une hauteur médiocre ; il eft coupé à pic à fort extrémité; la vue qu'en donne milord Anfon eft de la plus grande vérité. A neuf heures & demie du foir nous avions amené à l'oueft la pointe feptentrionale de l'entrée du détroit » fur laquelle eft une chaîne de rochers qui s'étend à une lieue au large. Nous courûmes, les baffes voiles carguées , fous le petit hunier, tous les ris dedans , jufqu'à onze heures du loir que le cap des Vierges nous reftoit au nord. Il ventoit grand frais, & le tems couvert menaçoit d'orage , ce qui me détermina à paifer la nuit fur les bords. Le 6" au point du jour je fis larguer les ris des huniers Secourir à oueft-nord-oueft. Nous ne vimes la terre qu"à quatre heures & demie, & il nous parut que les marées nous avoient «ntrainés dans le fud-fud-oueft. A cinq heures <& demie , étant environ à deux lieues du continent, nous reconnûmes \e cap de Pojfejjion dans î'oueft-quart-nord-oueft & oueft-nord-oueft. Ce cap eft bien reconnoilfable. C'eft la première terre avancée depuis la pointe nord de l'entrée du détroit ; il eft plus fud que le refte de la côte qui forme enfuite entre ce cap & le premier goulet un grand enfoncement nommé la baie de PoJJê/Jion, nous avions auiîi la vue des terres de Feu. Les vents reprirent bientôt leur tour ordinaire du oueft au nord-oueft , & nous courûmes les bordées les plus avantageufes pour entrer dans le détroit, tâchant de nous Hier à la côte des Patagons, & profitant du lecours de la marée qui pour lors portoit à l'oueft. A midi nous obfervames la hauteur du fo-leil > & le relèvement pris au même moment, nie donna pour le cap des Vierges la même latitude, à une minute près , que celle que favois conclue de mon obfervation du 3 de ce mo:s. Nous profitâmes auffi de cette ©bferva^ tion pour aiturer la latitude du cap de PofTefïiori & celle du cap de S. Efprit à la terre de Feu. Nous continuâmes de louvoyer fous les quatre voiles majeures toute la journée du 6 & la nuit fuivante, qui fut très-claire , fondant fouvent & ne nous éloignant jamais de plus de trois lieues de la côte du continent. Nous gagnions peu à ce trille exercice , les marées nous retirant ce qu'elles nous donnoient, & le 7 à midi nous étions encore fous le cap de Poffefîion. Le cap d'Orange nous reftoit dans le fud-oueft environ à lîx lieues. Ce cap remarquable par un mondrain alfez élevé & coupé du côté de la mer, forme au fud l'entrée du premier goulet ( i ). Sa pointe eft dange-reufe par une bâture qui s'étend dans le nord-eft du cap , au moins à trois lieues au large » j'ai vu fort diftin&cment la mer brifer deffus. A une heure après-midi le vent avoit pane au nord-nord-oueft, & nous en profitâmes pouf faire bonne route. A deux heures & demie . (i) Depuis le cap des Vierges jufqu'à l'entrée du premier goulet, on peut eftimer de quatorze à quinze lieues : & le détroit y eft par-tout large de cinq à fept lieues. La côte du nord, jufqu'au cap de PolTeifion, eft unie , peu élevée & fort faine. Depuis ce cap , » faut fe méfier de la bâture qui règne dans une partie de la baie du même nom. Lorfque les mondrains * que j'ai nommés la quatre fih Aimond, n'en offrent* que deux en forme de porte 3 on eft par le travers de cette bâture. / Mous étions parvenus à l'entrée du goulet ; un autre obftacle nous y attendoit : jamais avec un bon frais de vent & toutes voiles dehors, nous ne pûmes refouler la marée. A quatre heures elle filoit près de deux lieues le long de notre bord, & nous culions. En vain per-filtames-nous à vouloir lutter. Le vent fut moins confiant que nous , & il fallut rétrograder. Il étoit à craindre de fe trouver en calme dans le goulet expofés aux courans des marées qui pouvoient nous jetter fur les bâ-tures des caps qui en font l'entrée à l'eft & à l'oueft. Nous gouvernions au nord-quart-nord-cft pour venir chercher un mouillage dans le fond de ta baie de Polfeflion, lorfque l'Etoile qui étoit plus à terre que nous , ayant paiTé tout d'un coup de vingt bralfes de fond à cinq, nous arrivâmes vent arrière le cap à l'eft, pour nous écarter d'une bâture qui paroirfoit régner au fond & dans tout le circuit de la baie. Pendant quelque tems nous ne trouvâmes qu'un fond de rocher & de cailloux & ce ne fut qu'à fept heures du foir , qu'étant fur vingt bralfes fond de fable vafcux & de graviers noirs & blancs , nous mouillâmes environ à deux lieues de terre. La baie de Poifellion eft ouverte à tous les vents, & n'orlre que de très-mauvais mouillages. Dans le fond de cette baie s'élèvent cinq mondrains, dont un eft allez con-fidérablc, les quatre autres font petits & aigus. 158 V o T a g Ë Nous les avons nommes le pere & les quatre fis Aymond ; ils fervent de remarque eifentielle dans cette partie du détroit. Pendant la nuit on fonda aux divers changemens de marée , fans trouver de différence fenilble dans le braifeia-ge. A huit heures & demie du foir elle reverfa fur l'oueft , & fur l'eft à trois heures du matin. Le 8 au matin nous appareillâmes fous les quatre voiles majeures , ayant deux ris dans chaque hunier; la marée nous étoit contraire ,. mais nous la refoulions avec un bon frais de nord-oueft (i). A huit heures les vents nous refuferent, & il fallut louvoyer , elfuyant de tems à autre de violentes raflai es. A dix heures la marée ayant commencé à porter à l'oueft avec alfez de force , nous mimes en panne fous les huniers à l'entrée du premier goulet, nous lailfant dériver au courant qui nous em-portoit dans le vent & virant de bord , lorfque nous nous trouvions trop près de l'une ou de l'autre côte. Nous paifames ainii en deux heures le premier goulet (2), malgré le vent qui étoit directement debout & très-violent. (1) Lorfqu'on veut donner dans le premier goulet, il convient de ranger environ à une lieue le cap de PoJ? JeJJkm , puis gouverner fur le fud-quart-lud-ouelt , prenant garde de ne point trop tomber iud à caufe de la bâture qui s'alonge nord-not cf eifc, & fud-fud-oueft du cap d'Orange plus de trois lieues. (2) Le premier goulet git nord-nord-eft & fud-fud-oueit, il n'a pas plus de trois lieues de longueur. Sa largeur varie d'une lieue à une lieue & demie. J'** Ce matin les Patagons, qui toute la nuit avoient entretenu des feux au fond de la baie de Ponefîion , élevèrent un pavillon blanc fur une hauteur, & nous y répondîmes en virant celui des vaiifeaux. Ces Patagons étoient fans doute ceux que l'Etoile vit au mois de juin 1766" dans la baie Boucault, auxquels on lailfa ce pavillon en ligne d'alliance. Le foin qu'ils ont pris de le conferver, annonce des hommes doux, fidèles à leur parole, ou du moins re-connoiffans des préf-ns qu'on leur a faits. Nous apperqumes auffi fort diftinciement, lorfquenous fumes dans le goulet, une vingtaine d'hommes fur la terre de Feu. Ils étoient couverts de peaux, & couraient à toutes jambes le long de la côte fuivant noire route. Ils paroiffoient même de tems en tems nous faire des fignes avec la main, comme s'ils eutfent déliré que nous aîlaffions à eux. Selon le rapport des Efpagnols , la nation qui habite cette partie des terres de Feu, n'a rien des mœurs cruelles de la plupart des Sauvages. Ils accueillirent avec beaucoup d'humanité l'équipage du vaiffeau la Conception qui fe perdit fur leur côte en 1765. Ils lui aidèrent même à fan ver Une partie des marchandifes de la cargaifon. Prévenu fur la bâture du cap d'Orange. En fortant du premier goulet, il y en a deux autres moins étendues fur chacune de ces pointes. F.lles s'alongent l'une & l'autre au fud-oueft. Il y a grand fond dans le goulet. & à- élever des hangards pour les mettre à l'abri» Les Efpagnols y conftrui firent, des débris de leurs navires, une barque dans laquelle ils fe font rendus à Buénos-Aires. C'eft à ces Indien? que le chambekin l'Andalous fe difpofoit à amener des millionnaires, lorfque nous fom-mes fortis de la rivière de la Plata. Au relie, des pains de cire provenans de la cargaifon de ce navire, ont été portés par les courans jul-que fur la côte des Malouines, où on les trouva en 1766. On a vu qu'à midi nous étions fortis du premier goulet : pour lors nous finies de la voile. Le vent s'étoit rangé au fud, & la marée continuoit à nous élever dans l'oueft. A trois heures l'un & l'autre nous manquèrent, & nous mouillâmes dans la baie Boucault fur dix-huit bralfes fond de vafe. Dès que nous fumes mouillés . je fis mettre à la mer un de mes canots & un de l'Etoile. Nous nous y embarquâmes au nombre de dix: officiers armés chacun de nos fufils , & nous 'allâmes defeendre au fond de la baie, avec la précaution de faire tenir nos canots à flot & les équipages dedans. A peine avions-nous mis pied à terre , que nous vimes venir à nous fix Américains à cheval & au grand galop. Us dépendirent de cheval à cinquante pas, & fut le champ accoururent au devant de nous en criant chaoua. En nous joignant, ils tendoient les mains j & les appuyoient contre les nôtres. Ils nous ferroient enfuite entre leurs bras , répétant à tue-tète cbaoua , chaoua, que nous répétions comme eux. Ces bonnes gens parurent très-joyeux de notre arrivée. Deux des leurs, qui trembloient en venant à nous , ne furent pas long-tems fans fe raflurer. Après beaucoup de carènes réciproques, nous finies apporter de nos canots des galettes & un peu de pain frais que nous leur diftribuames , & qu'ils mangèrent avec avidité. A chaque inftanc leur nombre augmentoit j bientôt il s'en ra-tnalfa une trentaine , parmi lefquels il y avoit quelques jeunes gens & un enfant de huit à dix ans. Tous vinrent à nous avec confiance, & nous firent les mêmes careifes que les premiers. Ils ne paroilfoient point étonnés de nous voir, & en imitant avec la voix le bruit de nos fulils, il nous faifoient entendre que ces armes leur étoient Connues. Ils paroilfoient attentifs à faire ce qui pouvoit nous plaire. M» de Comracrçon & quelques-uns de nos mef-iieurs s'occupoient à ramalfer des plantes ; plufieurs Patagons fe mirent aufli à en chercher , & ils apportoient les efpeces qu'ils nous voyoient prendre. L'un d'eux appercevant le chevalier du Bouchage dans cette occupation, lui vint montrer un œil auquel il avoit un niai fort apparent, & lui demander par figne de lui indiquer une plante qui le pût guérir. Ils ont donc une idée & un iifagc de cette médecine qui connoît les fimplcs & les appii-Première Partie. L que à la guerifon des hommes, Cétoït celle de Maeaon , le médecin des dieux ; & l'on .trouvèrent plufieurs Macaons chez les Sauvages du Canada. Nous échangeâmes quelques bagatelles pre-cieufes à leurs yeux contre des peaux de gua-naques & de vigognes. Ils nous demandèrent par lignes du tabac à fumer, & le rouge fem-bloit les charmer : aufii-tôt qu'ils appercevoient fur nous quelque chofe de cette couleur , ils venoient y palier la main deifus , & témoi-gnoient en avoir grande envie. Au relie, à chaque chofe qu'on leur donnoit, à chaque carelfe qu'on leur faifoit, le chaoua recommen-qoit, c'étoient des cris à étourdir. On s'avift de leur faire boire de l'cau-de-vie, en ne leur en laiffant prendre qu'une gorgée à chacun-Dès qu'ils l'avoient avalée , ils fe frappoient avec la main fur la gorge , & poulfoient en foufflant un fon tremblant & inarticulé qu'ils terminoient par un roulement avec les lèvres. Tous firent la même cérémonie qui nous donna un fpedacle a (fez bizarre. Cependant le jour s'avançoit, & il étoit tems de fonger à retourner à bord. Dès qu'ils virent que nous nous y difpofions, ils en parurent fâchés ; ils nous faifoient figne d'attendre , & qu'il alloit encore venir des leurs. Nous leuf fîmes entendre que nous reviendrions le lendemain , & que nous leur apporterions ce qu'ils defiroient: il nous fembla qu'ils euifentmieu* •iml que nous couchafîions à terre. Lorfqu'ils virent que nous pardons, ils nous accompagnèrent au bord de la mer ; un Patagon chan-toit pendant cette marche. Quelques-uns fe mirent dans l'eau jufqu'aux genoux pour nous fuivre plus long-tems. Arrivés à nos canots, il fallut avoir l'œil à tout. I-ls faifiifoient tout ce qui leur tomboit fous la main. Un d'eux s'étoit emparé d'une faucille s on s'en appcr-çut, il la rendit fans rc fil lance. Avant que de uou- éloigner*, nous vimes encore groffir leur troupe par d'autres qui arrivoientincelfammcnt à toute bride. Nous ne manquâmes pas en nous léparant, d'entonner un chaoua dont toute la côte retentit. Ces Américains fon tri es mêmes que ceux vus par l'Etoile en lj66. Un de nos matelots qui étoit alors fur cette flûte, en a reconnu un qu'il avoit vu dans le premier voyage. Ces hommes font d'une belle taille j parmi ceux que nous avons vus, aucun n'étoit au dellbus de cinq pieds cinq à fix pouces , ni au deifus de cinq pieds neuf à dix pouces; les gens de l'Etoile en avoient vu dans le précédent voyage plufieurs de fix pieds. Ce qu'ils ont de gigan-tefque, c'ell leur énorme quarrure, la grok feur de leur tête, & l'épailfeur de leurs membres. Us font robuftes & bien nourris, leurs nerfs font tendus , leur chair eft ferme & fou-tenue ; c'eft l'homme qui, livré à la nature & i un aliment plein de fucs, a pris tout Paccroif- L 2 16^ V 0 y a g e fement dont il eft fufceptiblei leur figure n'efï ni dure ni défagréable , plufieurs l'ont jolie; leur vifiige eft rond 8c un peu plat ; leurs yeux font vifs j leurs dents, extrêmement blanches, n'auroient pour Paris que le défaut d'être larges; ils portent de longs cheveux noirs, attachés fur le fommet de la tète. J'en ai vu qui avoient fous le nez des mouftaches plus longues que fournies. Leur couleur eft bronzée comme l'eft fans exception celle de tous les Américains, tant de ceux qui habitent la Zone torride , que de ceux qui y naiifent dans les Zones tempérées & glaciales. Quelques-uns avoient des joues peintes en rouge ; il nous a paru que leur langue étoit douce , & rien n'annonce eu eux un caractère féroce. Nous n'avons point vu leurs femmes , peut-être alloient-clles venir, car ils vouloient toujours que nous attendif-llons, 8c ils avoient fait partir un des leurs du côté d'un grand feu, auprès duquel paroiifoit être leur camp , à une lieue de l'endroit où nous étions, nous montrant qu'il en alloit arriver quelqu'un. L'habillement de ces Patagons eft le même à-peu-près que celui des Indiens de la rivière de la Plata,- c'eft un fimple bragué de cuir qui leur couvre les parties naturelles, & un grand manteau de peaux de guanaques ou de fou-rillos, attaché autour du corps avec une ceinture ; il defcend jufqu'aux talons, & ils laif-fent communément retomber en arrière » AUTOUR DU MOHDÏ. I6*Ç partie faite pour couvrir les épaules ; de forte que, malgré la rigueur du climat, ils lont prefque toujours nuds de la ceinture en haut. L'habitude les a fans doute rendus infcnfiblc$ au froid i car quoique nous fuirions ici en été, le thermomètre de Réaumur n'y avoit encore monté qu'un feul jour à dix degrés au deffus-de la congélation. Ils ont des efpeces de bottines de cuir de cheval ouvertes par derrière , & deux ou trois avoient autour du jarret un cercle de cuivre d'environ deux pouces de largeur. Quelques-uns de nos Meilleurs ont auffi remarqué que deux des plus jeunes avoient de ces grains de raffade dont on fait des colliers. Les feules armes que nous leurs ayions vues, font deux cailloux ronds attachés aux deux bouts d'un boyau cordonné, femblables à ceux dont on fe fert dans toute cette partie de l'Amérique, & que nous avons décrits plus haut. Ils avoient auffi des petits couteaux de fer, dont la lame étoit épailfe d'un pouce & demi à deux pouces. Ces couteaux, de fabrique An-gloife , leur avoient vraifemblablement été donnés par M. Byron. Leurs chevaux, petits & fort maigres, étoient fellés & bridés à la manière des habitans de la rivière de la Plata. Un Patagon avoit à fa felle des clous dorés, des étriers de bois recouverts d'une lame de cuivre , une bride en cuir treffé, enfin tout un harnois Efpagnol. Leur nourriture principale paroit être la moelle & la chair àt guanaques & de vigognes. Plufieurs en avoient des quartiers attachés fur leurs chevaux, & nous leur en avons vu manger des morceaux cruds. Ils avoient aulîi avec eux des chiens petits & vt* îains, lefquels., ainfi que leurs chevaux, boivent de l'eau de mer, l'eau douce étant fort rare fur cette côte, & même fur le terreim Aucun d'eux ne paroifibit avoir de fupério-rité furies autres ; ils ne témoignoientmëme aucune efpece de déférence pour deux ou trois vieillards qui étoient dans cette bande.Il eft très-remarquable que plufieurs nous ont dit les mots Efpagnols fuivans, magnana 3 muchacho, bueno-ihîco, capitau- Je crois que cette nation mené la même vie que lesTartares. Errans dans les plaines, iinmenfes de l'Amérique méridionale , fans ceife à cheval , hommes , femmes & enfans, fnivantle gibier ou les beftiaux dont ces plaines font couvertes , fe vètiJïant & fe caba-nant avec des peaux, ils ont encore vraifem-blahlement avec les Tartares cette reifemblan-ce , qu'ils vont piller les caravanes des voyageurs. Je terminerai cet article en difant que nous avons, depuis trouvé dans la mer Pacifique une nation d'une taille plus élevée que ne l'eft celle des Patagons. Le terrein où nous débarquâmes eft fort fec * &, à cela près, il relfemble beaucoup à celui des isles Malouines. Les botaniftes y ont VÇr trouvé prefque toutes les mêmes plantes. Le bord de la mer étoit environné des mêmes goémons && couvert des mêmes coquilles. H n'y a point de bois, mais feulement quelques brou/failles. Lorfque nous avions mouilla dans la baie Boucault , la marée alioit commencer à nous être contraire, & pendant le tems que nous paifames à terre, nous remarquâmes qu'elle y moutoit; donc le flot por-toit à l'eft. C'eft une remarque que nous eûmes plufieurs fois occafion de faire avec certitude dans ce voyage , & qui m'avoit déjà frappé dans le premier que j'y fis. A neuf heures & demie du foir, l'ebe reverfa dans l'oueft .Nous fondâmes à mer étale , & nous trouvâmes 2i bralfes d'eau, nous n'en avions que 18 eu mouillant. Le 9 à quatre heures & demie du matin , les vents étant au nord-oueft , nous appareillâmes toutes voiles dehors contre la marée, gouvernant au fud-oueft-quart-oueft; nous ne pûmes faire qu'une lieue, les vents ayant parlé au fud-oueft grand frais, nous laùfames retomber l'ancre par 19 bralfes, fable, vafe & coquilles pourries. Le mauvais tems continua toute cette journée & la fuivante. Le peu de chemin que nous avions fait nous avoir écarta de la côte , & dans ces deux jours il n'y eut pas uninftantoù l'on eût pu mettre un bateau dehors. Les Patagons en étoient fans doute aufti fâchés que nous. On voyoit la troupe raifemblée à l'endroit où nous avions débarqué, & nous crûmes diftinguer avec les: longues vues qu'ils y avoient élevé quelques hutes. Cependant je crois que le quartier général étoit plus éloigné, car il alloit& venoit continuellement des gens à cheval. Nous regrettâmes fort de ne pouvoir pas leur porter ce que nous leur avions promis; on les contentait à bien peu de frais. Les variations de la marée ne nous donnèrent ici qu'une braffe d'eau de différence. Le lo, par une obfervation de diftance de la lune à Régulvts, M. Verron déduifit notre longitude occidentale à ce mouillage de 73 deg. 26 juin. \% fec. & celle de l'entrée orientale du fécond goulet de 73 deg. 34. min. 30 fec. Le thermomètre de Réaumur baiffa de 9 à g & à 7 deg. Le 11 à, minuit & demi, le vent ayant palfé au nord-eft» & le courant portant à l'oueft depuis une heure, je fignalai l'appareillage. Nous fîmes de vains efforts pour lever notre ancre, ayant même établi fur le cable nos poulies de franc fu-nin. A deux heures du matin le cable rompit entre la bitte & l'écubier, & notis perdimes ainfi r.otre ancre. Nous appareillâmes fous toutes voiles^ ne tardâmes pas à avoir 1§ marée ennemie, contre laquelle un foible vent de nord-oueft fnflfifoit à peine pour nous foutenir, quoique le ccurantnefo.it pas à beaucoup près auffi fort dans le fécond goulet que dans le premier. A midi, l'ebe vint à notre fecours, & nous pal-fames le fécond goulet ( i ), les vents ayant (1) B« la forfcie du premier godet à l'entrée d* varié jufqu'à trois heures après midi, qu'ils foufnerent grand frais du fud-fùd-oueft au fud-fud-eft avec de la pluie & des grains violens(i). En deux bords nous parvînmes au mouillage dans le nord de l'isle Sainte-Elizabeth , où nous ancrâmes à deux milles de terre par 7 brades , fond de fable gris , gravier & coquillage pourri. L'Etoile, qui mouilla un quart de lieue plus dans le fud-eft de nous, y avoit 17 brades d'eau. Le vent contraire , accompagné de grains violens , de pluie & de grêle, nous força de paffer ici le Ji & le 12. Ce dernier jour après midi, nous mîmes un canot dehors pour aller fur l'isle Sainte - Elizabeth ( 2 )• Nous débar- fecond , il peut y avoir fix à fept lieues , & la largeur du détroit y eft auffi d'environ fept lieues. Le fécond goulet gît nord-eft-quart-d'eft & fud-oueft quart-d'oueft. 11 a environ une lieue & demie de largeur , & trois à quatre de longueur. (f)Kn partant le fécond goulet, il convient de hanter la côte des Patagons , parce qu'au fortir du goulet les marées portent fur le fud , & qu'il faut s'y méfier d'une tête baffe qui naît au deffous de la pointe de h'Jle St. George \ encore que cette pointe apparente foit élevée & coupée à pic, la terre baflê s'avance dans l'oueft-nord-oueft, (2) L'IJÎe Sainte-Elizabeth gît nord-nord-efl & fud-fucfoueft, avec la pointe occidentale du fécond goulet à la terre des Patagons. Les isles Saint-Barthck-mi Se aux Lions giffent auffi nord-nord-eft & fud-fud-oueft entre elles , & avec la pointe occidentale du fécond goulet à l'isle St. George. quames dens la partie du nord-eft de l'isle. Ses côtes font élevées & à pic , excepté à la pointe du fud-oueft & à celle du fud-eft, où les terres s'abaiilcnt, On peut cependant aborder partout, attendu que fous les terres coupées il règne une petite plage. Le terrein de l'isle eft fort fec i nous n'y trouvâmes d'autre eau que celle d'un petit étang dans la partie du fud-oueft, & elle y étoit faumache. Nous vimes auiîi plufieurs marais alléchés, où la terre eft en quelque endroit couverte d'une légère croûte de fel. Nous rencontrâmes des outardes , mais eu petit nombre, Se fi farouches, que l'on ne put jamais les approcher allez pour 1er tirer ; elles étoient cependant fur leurs œufs. Il paroît que les Sauvages viennent dans cette isle» Nous y avons trouvé un chien mort , des traces de feu & les débris de plufieurs repas de coquillages. Il n'y a point de bois, & l'on n'y peut faire du feu qu'avec une efpece de petite bruyère. Déjà même nous en avions ra-malfé , craignant de palfer la nuit fur cette isle, où le mauvais tems nous retint jufqu'à neuf heures du foir; nous n'y euifions pas été mieux couchés que nourris. *%-_ fjgë==-==*j-^ CHAPITRE IX. Navigation depuis Pis le Sainte-Elizabeth jufqu'à la fortit du détroit de Magellan i détails nautiques fur cette navigation. O u s allions entier dans la partie boifée du détroit de Magellan , & les premiers pas difficiles étoient franchis. Ce ne fut que le 13 après midi, que le vent étant venu au nord-oueit, nous appareillâmes malgré fa violence , & fîmes route dans le canal qui fépare l'isle Sainte-Elizabeth des isles Saint-Barthelemi & aux Lions (1). Il falloit foutenir de la voile, quoiqu'il nous vînt prefque continuellement de cruelles rarfales pardeffus les hautes terres de Sainte-Elizabeth , que nous étions contraints de ranger, pour éviter les bâtures qui fe pro- ( 1 ) Les isles Saint-Barthclcmi & aux Lions font liées enfemble par une bâture. 11 y a auffi deux bâtures , l'une au fud-fud-oueft de l'isle aux Lions, l'autre au nord-nord-eft de Saint-Barthelemi, à une ou deux lieues ; en forte que ces trois bâtures & les deux isles forment une chaîne, entre laquelle à l'eft-fud -eft & l'isle Sainte-Elizabeth à oueft.nord-oueft , eft le canal pour avancer dans le déttoit. Ce canal court nord-nord-eft & fud-fud-oueft. Je ne crois pas qu'il y ait partage clans le £fud des longent autour des deux autres isles(i). La marée en canal portoit au fud , & nous parut très-forte. Nous vînmes attaquer la terre du continent au deffous du cap Noir-y c'eft où la côte commence à être couverte de bois , & le coup d'œii en eft ici atfez agréable. Elle court vers ' le fud, & les marées n'y font plus aulfi. fen-fibles. Nous eûmes du vent très-frais & par raffa-les jufqu'à fix heures du foir ; il calma enfuite & devint maniable. Nous prolongeâmes la côte environ à une lieue de diftance par un tems clair 8c ferein ; nous flattant de doubler pendant la nuit le cap Rond, & d'avoir alors, en cas de mauvais tems, le port Famine fous le vent à nous. Vains projets. A minuit & demi les vents fautèrent tout d'un coup au fud-oueft, la côte s'embruma, les grains violens & continuels amenèrent avec eux la p'uie 8c la grêle ; enfin le tems devint aufïï mauvais qu'il paroif-foit beau l'inftant d'auparavant. Telle eft la isles Saint-Barthelemi 8c aux Lions , non plus qu'entre l'isle Sainte-Elizabeth & la grand-terre. (1) De la fortie du fécond goulet à la pointe nord-eft de l'isle Sainte-Elizabeth, il y a près de quatre lieues. L'isle Sainte-Elizabeth s'étend fud-fud-oueft & nord-nord-eft dans une langueur d'environ trois lieues & demie. Il convient de la ranger en partant ce canal. De la pointe fud-oueft de l'isle Sainte-Elizabeth au. caj) 2ïoir. il n'y a pas plus d'une lieue. nature de ce climat i les variations dans le tems s'y fuccedent avec une telle promptitude, qu'il eft impoliible de prévoir leurs rapides & dangereufes révolutions. Notre grande voile ayant été déchirée fur ces cargues , nous fumes obligés de louvoyer fous la mizaine, la grande voile d'étai & les huniers aux bas ris, pour tâcher de doubler la pointe Sainte-Anne , & nous mettre à l'abri dans la baie Famine. C'étoit une lieue à gagner dans le vent , & jamais nous ne pûmes en venir à bout. Comme les bordées étoient courtes , que nous étions obligés de virer vent arrière, & qu'un fort courant nous entraînoit dans un grand enfoncement de la terre de Feu , nous perdîmes trois lieues en neuf heures de cette allure fu-nefte, & il fallut fe réfoudre à aller chercher le long de la côte un mouillage qui fût fous le vent. Nous la rangeâmes, la fonde à la main, & vers onze heures du matin nous mouillâmes à un mille de terre par huit bralfes & demie de fable vafeux, dans une baie que je nommai la baie Duclos (1), du nom de M. Duclos Guyot, capitaine de brûlot, mon fécond dans (1) Depuis le cap Noir la côte court fur le fud-fud-eft jufqu'à la pointe feptentrionaie d* la baie Duclos, qui peut en être à fept lieues. Vis-à-vis de la baie Duclos il y a dans les terres de Feu un enfoncement immenfe , que je foupeonne être un canal qui débouche plus elt que le cap de Horn. Le cap Montmouth en fait la pointe fopteatrionaie.. ce voyage, & dont les lumières & l'expérience m'ont été du plus grand fecours. Cette baie ouverte à l'eft, a très-peu d'enfoncement. Sa pointe du nord avance un peu plus au large que celle du fud , Se de Tune à l'autre il peut y avoir une lieue de diftance. Il y a bon fond dans toute la baie , on trouve fix & huit bralfes d'eau jufqu'à un cable de terre. C'eft un excellent mouillage , puifque les vents d'oueft , qui font ici les vents ré-gnans , & qui foufHent avec impétuoiité , viennent par deil'us la côte , laquelle y eft fort élevée. Deux petites rivières fe déchargent dans la baie; l'eau eft faurnache à leur embouchure , mais à cinq cents pas au dclfus elle eft très-bonne. Une efpece de prairie règne le long du débarquement, lequel eft de fable; les bois s'élèvent enfuite en amphithéâtre, mais le pays eft prefque dénué d'animaux. Nous y avons parcouru une grande étendue de ter-rein , fans voir d'autre gibier que deux ou trois bécaftines , quelques farcelles , canards & outardes en fort petite quantité : nous y avons aufîi apperçu quelques perruches i celles-là ne craignent pas le froid. Nous trouvâmes à l'embouchure de la rivière la plus méridionale fept cabanes faites avec des branches d'arbres entrelacées & de la forme d'un iour ; elles paroilfoient récemment conftruites , Se étoient remplies de coquilles calcinées, de moules Se de lépas. Nous remou- tam.es cette rivière niiez loin , & nous vimes quelques traces d'hommes. Pendant le tems que nous padames à terre , la mer y monta d'un pied , & le courant alors venoit de la mer orientale ; obiervation contraire à celles faites depuis le cap des Vierges , puifque nous avions vu jufques-là les eaux augmenter, lorf-que le courant fortoit du détroit. Mais il me femble d'après diverfes obfervations, que lorfqu'on a parlé les goulets , les marées celfent d être réglées dans toute la partie du détroit qui court nord & fud. La quantité de canaux dont y eft coupée la terre de Feu , paroît devoir produire dans le mouvement des eaux une grande irrégularité. Pendant les deux jours que nous panâmes dans ce mouillage , le thermomètre varia de 8 à y deg. Le 17a midi nous y obfervames 53 deg. 20 min. de latitude, & ce jour-là nous occupâmes nos gens à faire du bois , le calme ne nous ayant pas permis d'appareiller. A l'entrée de la nuit les nuages parurent prendre leur cours vers l'occident , & nous annoncer un vent favorable. Nous virâmes à pic, & effectivement le 16 à quatre heures du matin , la brife étant venue d'où nous l'avions efpérée , nous appareillâmes. Le ciel à la vérité étoit couvert , & , fuivant l'ordinaire de ces parages , le vent d'eft & de nord-eft étoit accompagné de brume Se de pluie. Nous paf- famés la pointe Sainte-Anne ( i ) & le cap Rond ( 2 ). La première eft unie , d'une médiocre hauteur , & couvre une baie profonde où l'ancrage eft fur & commode. C'eft celle à qui le malheureux fort de la colonie de Philippe-ville établie par le préibmptueux Sarmiento , a fait donner le nom déport Famine. Le cap Rond eft une terre élpvée & remarquable par la forme que déligné fon nom. Les côtes dans tout cet efpace font boifées & efcarpées; celles de la terre de Feu paroiffent hachées par plufieurs détroits. Leur afpeél eft horrible; les montagnes y font couvertes d'une neige bleue aufti ancienne que le monde. Entre le cap Rond & le cap Forward, il y a quatre baies , dans lesquelles on peut mouiller. Deux de ces baies font féparées par un cap dont la fingularité fixa notre attention , & mérite une defcription particulière. Ce cap •> élevé de plus de cent cinquante pieds au deffus du niveau de la mer, eft tout entier compofc de couches horifontales de coquilles pétrifices- (i) De la baie Duclos à la pointe Sainte-Anne, il y a environ cinq lieues, le giflement étant le fud-eft-quart-fud ; il y a à peu près la même diftance entre *la pointe Sainte-Anne & le cap Rond , kfquels font refpeétivement nord-nord-eft & fud-flid-oueft. (i) Depuis le fécond goulet jufqirau cap Rond , la largeur du détroit varie depuis fept jufqu'à cinq lieues. Il fe rétrécit au cap Rond, où il n,'en a guer^ plus de trois. pi J'ai fondé en canot au pied de ce monument, qui attelle les grands changemens arrivés à notre globe , & je n'y ai pas trouvé de fond «ivec une ligne de cent bralfes. Le vent nous conduifit jufqu'à une lieue 8c demie du cap Forward ; alors le calme furvint & dura deux heures. J'en profitai pour aller dans le petit canot vifiter les environs du cap Forward , y prendre des fondes & des rele-vetnëns. Ce cap eft la pointe la plus méridionale de l'Amérique & de tous les continens connus. D'après de bonnes obfervations , nous avons conclu fa latitude auftrale de ^4 deg. f min 45 fec. Il préfente une furface à deux tètes d'environ trois quarts de lieue, dont la tète orientale ell plus élevée que celle de l'oueft. La mer eft prefque fans fond fous le cap; toutefois entre les deux tètes , dans une efpece de petite baie embellie par un ruiifeau allez confidérable , on pourroit mouiller par IÇ bralies , fond de fable & de gravier -, mais ce mouillage , dangereux par vent de fud, ne doit fervir que dans un cas forcé. Tout le cap eft un rocher vif &* taillé à pic, fa cime élevée eft couverte de neige. Il y croît cependant quelques arbres dont les racines s'étendent dans les crevaffes & s'y nourriffent d'une éternelle humidité. Nous avons abordé au deifous du cap à une petite pointe de rochers, fur la-, quelle nous eûmes peine à trouver place pour quatre perfonnes. Sur ce point qui termine ou Première Partie. M commence un vaftc continent, nous arborâmes le pavillon de notre bateau , & ces antres fauvages retentirent pour la première fois de plufieurs cris de vive le roi ! Nous relevâmes de-là le cap Hollanà à oueft 4 deg. nord ; ainb" la côte commenqoit à reprendre du nord. Nous revînmes abord à fix heures du foir, & peu de tems après , les vents ayant paife au fud-oueft, je vins chercher le mouillage de la baie nommée par M. de Gennes baie Fran~ çoife. A huit heures & demie du foir nous y jettames l'ancre fur 10 bralfes , fond de fable & de gravier , ayant les deux pointes de la baie, l'une au nord-eft-quart-eft f deg. nord j l'autre au fud f deg. oueft , & l'ilot du milieu au nord-eft. Comme nous avions befoin de nous munir d'eau & de bois pour la traverfée de la mer Pacifique , & que le refte du détroit m'étoit inconnu, n'étant venu dans mon premier voyage que jufqu'auprès de la baie Fran-çoife, je me déterminai à y faire nos provisions , d'autant plus que M. de Gennes la re-préfente comme très-fùre & fort commode pour ce travail ; ainfi dès le foir même nous mimes tous nos bateaux à la mer. Pendant la nuit les vents firent le tour du compas , foufflant par raffales très-violentes 5 la mer groifit & brifoit autour de nous fur un banc qui paroiiîbit régner dans tout le fond de la baie. Les tours fréquens que les variations du vent faifoient faire au vailfeau fr* fon ancre, nous donnoient lieu de craindre que le cable ne furjaulât, & nous paiiames la nuit dans une apprehenfion continuelle. L'Etoile mouillée plus en dehors que nous fut moins moleitée. A deux heures & demie du matin j'envoyai ie petit canot fonder l'entrée de la rivière à laquelle M. de Gennes adonné fou nom. La mer étoit bane> & il ne paila qu'après avoir échoué fur un banc qui eft à l'embouchure ; il reconnut que nos chaloupes ne pourraient approcher de la rivière qu'à mer toute haute ; en forte qu'elles feraient à peine un voyage par jour» Cette difficulté de l'ai-guade , jointe à ce que le mouillage ne me paroiifoic pas fur, me détermina à conduire les vaiffeaux dans une petite baie à une heue dans l'eft de celle-ci. J'y avois coupé fans peine en 1765 un chargement de bois pour les Malouines , & l'équipage du vaiileau lui avoit donné mon nom. Je voulus auparavant aller m'aifurer ii les équipages des deux navires y pourroient commodément faire leuf eau. Je trouvai qu'outre le ruilfeau qui tombe au fond de la baie même , lequel feroit confacré aux befoins journaliers & à laver , les deux baies voiiines avoient chacune un ruilfeau propre à fournir aifément l'eau dont nous avions befoin, fans qu'il y ciit un demi-mil le a faire pour l'aller chercher. Eu couféquenec , le 17 a deux heures après-midi , nous appareillâmes ious le petit hunier M % & le perroquet de fougue » nous parlâmes au large de l'iiot de la baie Franqojfe , nous donnâmes enfuite dans une parle fort étroite , & dans laquelle il y a grand fond entre la pointe du nord de cette baie & une isle élevée longue d'un demi-quart de lieue. Cette pafle conduit à l'entrée de la baie Bougainville, qui eft encore couverte par deux autres ilôts , dont le plus coniidétablc a mérité le nom d'ilôt de VObftrvatoire (i). La baie eft longue de deux cents toifes, & large de cinquante ; de hautes montagnes l'environnent & la défendent de tous les vents ; auffi la mer y eft-elle toujours comme l'eau d'un bafîin. Nous mouillâmes à trois heures à l'entrée de la baie par vingt-huit bralfes d'eau, & nous envoyâmes auiîi-tôt à terre des amarres pour nous haler dans le fond. L'Etoile, qui avoit mouillé fon ancre de dehors par un trop grand fond , chaifa fur l'ilôt de l'Obfervatoire ; & avant qu'elle eût pu roidir les amarres portées à terre pour la foutenir , fapouppe vint à quelques pieds de l'îlot, ayant encore au deffous d'elle 30 bralfes d'eau. La côte du nord-eft de cet ilot n'eft pas auiîi efearpée. Nous employâmes le refte du jour à nous amarrer, la proue au large ayant une ancre devant mouillée par 23 bralfes de fable vafeux, une ancre ( 1 ) Du cap Rond à l'ilôt de l'obfervatoire, il peut y avoir quatre lieues, & la côte court fur I'oueft-fudV oueft. Dans cet efpace il y a trois bons mouillages. à jet derrière prefque à terre, deux grelins k des arbres fur la côte de bas-bord , & deux fur l'Etoile , laquelle étoit amarrée comme nous. Ou trouva auprès du ruilfeau deux cabanes de branchages , lefquclles paroilfoient abandonnées depuis long-tems. J'y en avois fait conftruire une d'écorce en 176*^, dans laquelle j'avois lailfé quelques préfens pour les Sauvages que le hafard y conduirait, & j'avois attaché au delfus un pavillon blanc : on trouva la cabane détruite, le pavillon & les préfens enlevés. Le 18 au matin j'établis un camp à terre pour la garde des travailleurs & des divers eifets qu'il y falloit defeendre ; l'on débarqua auflî toutes les pièces à l'eau pour les rebattre & les foufrer; on difpofa des mares pour les la-Vandiers , & on échoua notre chaloupe qui avoit befoin d'un radoub. Nous palfames le relie du mois de décembre dans cette baie , où nous rimes fort commodément notre bois & même des planches. Tout y facihtoit cet Ouvrage 3 les chemins fe trouvoient pratiqués dans la forêt, & il y avoit plus d'arbres abattus qu'il ne nous en falloit, refte du travail de l'équipage de l'Aigle en 1765. Nous y avons aufli donné demi-bande & monté dix-huit canons, L'Etoile eut même le bonheur d'étancher fa voie d'eau , laquelle depuis le départ de Montevideo étoit tout auffi confidérable qu'avant fa demi-carène à la Encenada. En élevant M 3 tout-à-fait fon devant, & levant quelques, planches de fon doublage , on trouva que Peau entrait par l'écart de fon étrave qui eft de deux pièces. L'on y remédia, & ce fut pour toute-la campagne un grand foulagement à l'équipage de cette flûte qu'écrafoit l'exercice jour-, ualier de la pompe. M. Verron avoir dès les premiers jours, établi fes inftrumens fur Pilot de l'Oblerva-. toire ; mais il y paffa vainement la plus grande-partie de fes nuits. Le ciel de cette contrée , ingrat pour l'aftronomic , lui a refufé toute obfervation de longitude ; il n'a pu que déterminer par trois obfervations faites au quart de cercle îa latitude auftrale de l'ilot de 53* fp* 2,v/;. Il y a aufïi déterminé l'établiffemcnt de rentrée de la baie de ooh s9''- La mer n'y a jamais marné plus de dix pieds. Pendant notre féjour ici, le thermomètre a communément été entre 8 & 9â , il a baiffé jufqu'à j'tf, & le plus haut qu'if ait monté, a été à I2d & demi. Le foleil alors paroiffoit fans nuages , & fes rayons peu connus ici faifoient fondre une -partie de la neige fur les montagnes du continent. M. de Commerqon , accompagné de M. le prince de Naflau , profitoit de ces journées pour herborifer. Il falloit vaincre des obftacles de tous les genres , mais ce terrein âpre avoit à fes yeux le mérite de la nouveauté , & le détroit de Magellan a enrichi fes cahiers d'un grand nombre de plantes iiv« connues & intéreffantes. La chaffe & la pèche* n'étoieut pasaulîî heureufes ; jamais elles n'ont rien produit, & le feul quadrupède que nous avions vu ici a été un renard prefque fem-blable à ceux d'Europe, qui fut tué au milieu des travailleurs. Nous fîmes aufîî plufieurs tentatives pour reconnoître les côtes voilines du continent & de la terre de Feu ; la première fut infruc-tueufe. J'étois parti le 22 à trois heures du matin avec MM. de Bournand & du Bouchage dans l'intention d'aller jufqu'au capHolland, & de viiiter les mouillages qui pourroient fe trouver dans cette étendue. A notre départ il faifoit calme & le plus beau tems du monde. Une heure après il fe leva une petite brife du nord-oueft, fur le champ le vent fauta au fud-oueft , grand frais. Nous luttâmes contre pendant trois heures , nageant à l'abri de la côte , & nous gagnâmes avec peine l'embouchure d'une petite rivière qui fe décharge dans-une anfe de fable protégée par la tète orientale du cap Forward. Nous y relâchâmes , comptant que le mauvais tems ne feroit pas de longue durée. L'efpérance que nous eit eûmes ne fervit qu'à nous faire percer de pluie & traniir de froid. Nous avions conftruit dans le bois une cabane de branches d'arbres pour y paffer la nuit moins à découvert. Ce font les palais des naturels de ce pays ; mais iî nous manquoit leur habitude d'y loger. Le froid & M 4 l'humidité nous changèrent de notre gîte , & nous fumes contraints de nous réfugier auprès d'un grand feu que nous nous appliquâmes à entretenir, tâchant de nous défendre de la pluie avec la voile du petit canot. La nuit fut arfreufe , le vent & la pluie redoublèrent & ne nous lailferent d'autre parti à prendre que de rebroulfer chemin au point du jour. Nous arrivâmes à la frégate à huit heures du matin, trop heureux d'avoir gagné cet afyle; car bientôt le tems devint il mauvais , qu'il eût été impofîible de nous mettre en route pour revenir. Il y eut pendant deux jours une tempête décidée , & la neige recouvrit toutes les montagnes. Cependant nous étions dans le cœur de l'été, & le foleil étoit près de dix-huit heures fur l'horifon. Quelques jours après j'entrepris avec plus de fuccès une nouvelle courfe pour vifiter une partie des terres de Feu , & pour y chercher un port vis-à-vis le cap Forward ; je me pro-pofois de repafler enfuite au cap Holland, & de reconnoître la côte depuis ce cap jufqu'à la baie Franqoife ; ce que nous n'avions pu faire dans la première tentative. Je fis armer d'efpingoles & de fufils la chaloupe de la Bou-deufe, & le grand canot de l'Etoile ; & le 27 à quatre heures du matin , je partis du bord avec MM. de Boumand, d'Oraifon & le prince de Naffau. Nous mimes à la voile à la pointe occidentale de la baie Franqoife pour traverfer aux terres de Feu , où nous terrimes fut les dix heures à l'embouchure d'une petite rivière, dans une anfe de fable mauvaife, même pour les bateaux. Toutefois dans un tems critique ils auroient la relfource d'entrer à mer haute dans la rivière , où ils trouveroient un abri. Nous dînâmes fur fes bords dans un allez joli bofquet qui couvroit de fon ombre plufieurs cabanes iauvages. De cette ftation nous relevâmes la pointe de l'oueft de la baie Françoife au nord-oueft-quart-oueft fd oueft, & on s'en eftima à cinq lieues de diftance. Après midi nous reprimes notre route en longeant à la rame la terre de Feu; il ventoit peu de la partie de l'oueft, mais la mer étoit très-houlcufc. Nous traverfames un grand enfoncement dont nous n'appcrcevions pas la fin. Son ouverture d'environ deux lieues eft coupée dans fon milieu par une islc fort élevée. La grande quantité de baleines que nous vimes dans cette partie & le gros houl, nous firent peufer que ce pourroit bien être un détroit, lequel doit conduire à la mer aifcz proche du cap de Horn. Etant prefque palfés de l'autre bord , nous vimes plufieurs feux pa-roitre & s'éteindre; enfuite ils réitèrent allumés , & nous diftinguames des Sauvages fur la pointe baife d'une baie où j'étois déterminé de .m'arrèter. Nous allâmes auffi-tôt à leurs feux, & je reconnus la même horde de Sauvages que j'avois déjà vue à mon premier voya- ge dans le détroit. Nous les avions alors nommés Pécherais, parce que ce fut le premier mot qu'ils prononcèrent en nous abordant, &que fans cetfe ils nous le répétoient , comme les Patagons répètent le mot chaoua. La même caufe nous a fait leur lailfer cette fois le même nom. J'aurai dans la fuite occalîon de décrire ces habitans de la partie boifée du détroit. Le jour prêt à finir ne nous permit pas cette fois de relier long-tems avec eux. Ils étoient au nombre d'environ quarante , hommes , femmes & enfans , & ils avoient dix ou douze canots dans une ïinfe voifine. Nous les quittâmes pour traverfer la baie & entrer dans un enfoncement que la nuit déjà faite nous empêcha de vifiter. Nous la pa-Tames fur le bord d'une rivière aifez confidérable , où. nous fimes grand feu , & où les voiles de nos bateaux , qui étoient grandes , nous fervirent de tentes » d'ailleurs , au froid près, le tems étoit fort beau. Le lendemain au matin nous vimes que cet enfoncement étoit un vrai port , & nous eu primes les fondes , ainfi que celles de la baie. Le mouillage eil très-bon dans la baie depuis quarante bralfes jufqu'à douze, fond de fable, petit gravier & coquillage. On y eil à l'abri de tous les vents dangereux. Sa pointe orientale ell reconnoilfiuble par un très-gros morne que nous avons nommé le âbme\ dans l'ouell e(t mr ilot entre lequel & la côte il n'y a point palfagc de navire. On entre de la baie dans le port par un goulet fort étroit, & l'on y trouve 10 , 8» 6> S & 4 bralfes fond de vafej dans le goulet le fond eli déroches par 4 » S & 6 bralfes ; il convient d'y tenir le milieu , hantant même plus le côté de l'eft où il y a plus d'eau. La beauté de ce mouillage nous a engagés à le nommer baie & port de Beaiibaijhi. Lorfqu'on n'aura qu'à attendre un vent favorable , il fufHt de mouiller dans la baie. Si on veut faire du bois & de l'eau , caréner même , on ne peut délirer un endroit plus propre à ces opérations que le port de Beaubaffm. Je laiiTM ici le chevalier de Bournand qui commandoit la chaloupe , pour prendre dans le plus grand détail toutes les conuoîHanccs relatives à cet endroit important , avec ordre de retourner enfuite aux vaiffeaux. Pour moi, je m'embarquai dans le canot de l'Etoile avec M. Landais , l'un des officiers de cette flûte , qui le commandoit , & je continuai mes recherches. Nous fimes route à l'oueft & vifitames d'abord une isle que nous tournâmes , & tout autour de laquelle on peut mouiller par 2S ». 2i & 18 bralfes fond de fable Se petit gravier. Sur cette isle il y avoit des Sauvages occupés à la pèche. En fuivant la côte, nous gagnâmes avant le coucher du foleil, une baie qui oftre lui excellent mouillage pour trois ou quatre navires. Je l'ai nommée baie delà Cormorandiere , à 'caufe d'une roche apparente qui en eft dans l'cft-fud-eft environ à un mille. A l'entrée de la baie on trouve if brafles d'eau , g & 9 dans le mouillage ; nous y parlâmes la nuit. Le 29 à la pointe du jour, nous fortunes de la baie de la Cormorandiere, Se nous naviguâmes à l'oueft, aides d'une marée très-forte* Nous parlâmes entre deux isles d'une grandeur inégale, que je nommai les deux Sœurs. Elles gilïent nord-nord-ett Se fud-fud-oueft avec le milieu du cap Forward , dont elles font diriantes d'environ trois lieues. Un peu plus loin nous nommâmes Pain de fitçre une montagne de cette forme, très-aifée à reconnoître, laquelle' gît nord-nord-eft & fud-fud-oueft avec la pointe la plus méridionale du même cap; & à cinq lieues environ de la Cormorandiere 9 nous découvrîmes une belle baie avec un port fuperbe dans le fond; une chute d'eau remarquable qui tombe dans l'intérieur du porc? m'engagea à les nommer baie & port de la Cafcale. Le milieu de cette baie gît nord-eft Se fud-oueft avec le cap Forward. La fureté & la commodité de l'ancrage, la facilité de faire l'eau & le bois, n'y briffent rien à délirer. La cafeade eft formée par les eaux d'une petite rivière qui ferpente dans la coupée de plufieurs montagnes fort élevées, & fa chute peut avoir cinquante à foixante toifes. J'ai monté au deifus ; le terrein y eft entre-mèlé de bofquets & de petites plaines d'une moufle courte Se fpongieufe; j'y ai cherché & n'y ai point trouvé de traces du palfagé d'aucun homme ; les Sauvages de cette partie ne quittent guère les bords de la mer qui fournùTent a leur fubfiftance. Au refte", toute la portion de la terre de Feu , comprife depuis l'isle Sainte-Eli/abeth , ne me paroit être qu'un amas informe de groifes isles inégales, élevées,mon-tneufes , & dont les Commets font couverts d'une neige éternelle. Je ne doute pas qu'il nyy ait entre elles un grand nombre de débou-quemens à la mer. Les arbres & les plantes font les mêmes ici qu'à la côte des Patagons ; & , aux arbres près , le terrein y reifemble affez à celui des isles Malouines (*), Jufqu'à préfent on ne connoiiîbit aucun mouillage dans ces contrées , & les navires évi-téient d'en approcher. La découverte des trois ports que je viens d'y décrire , facilitera la navigation de cette partie du détroit de Magellan. Le cap Forward en a toujours été un des points les plus redoutés des navigateurs. Il n'eft que trop ordinaire qu'un vent contraire & impétueux empêche de le doubler: il en a forcé plufieurs de rétrograder jufqu'à la baie Famine. On peut aujourd'hui mettre à profit même les vents régnant. Il ne s'agit que de hanter la terre de Feu, & d'y gagner un des trois mouillages ci-deflus, ce que fou (*) M. de Bougainville donne dans l'édition in-4to. une carte particulière de cette partie de ia terre dç Feu , qui fera fort utile aux navigateurs. pourra prefque toujours faire en louvoyant dans un canal où il n'y a jamais de mer pour: des vaiffeaux. De-là toutes les bordées feront avantageufes , & pour peu que l'on s'aide des marées qui recommencent ici à être fcnliblcs » il ne fera plus difficile de gagner le port Galant* Nous paifames dans le port de la Cafcadeune nuit fort défagréable. Il faifoit grand froid, & la pluie tomba fans interruption. Elle dura prefque toute la journée du 30. A cinq heures du matin , nous fortimes du port , & nous traverfames à la voile avec un grand vent & une mer très-grolfe pour notre foibîe embarcation. Nous ralliâmes le continent à peu près à égale diftance du cap Holland & du cap Forward. Il n'étoit pas queftiou de fonger à y reconnoître la côte , trop heureux de la prolonger en faifant vent arrière, & portant une attention continuelle aux ratfales violentes qui nous forqoicnt d'avoit toujours la driife & l'écoute à la main. Il s'en fallut même très-peu qu'en traverfant la baie Franqoife , un faux coup de barre ne nous mît le canot fur la tête. Enfin, j'arrivai à la frégate environ à dix heures du matin. Pendant mon abfence, M. Duclos Guyot avoit déblayé ce que nous avions à terre, & tout difpofé pour l'appareillage ; auffi nous commençâmes à défamarcr dans l'après-midi. Le 31 décembre à quatre heures du matin * nous achevâmes de nous défamarer, & à fi* heures nous fortimes de la baie en nous faifant remorquer par nos bâtimens à rame. IL faifoit calme ; à fept heures il fe leva une brife du nord-elt, qui fe renforça dans la journée , 8c fut allez claire jufqu'à midi; le tems alors devint brumeux avec de la pluie. A onze heures & demie , étant à mi-canal, nous découvrimes & relevâmes la Cafcade au fud-cff, le Pain de fucre à l'elt-fud-efl "d fud , le cap Forward ( 1 ) à Peft-quart-Hord-eft, le cap Holland (2) à oueft-ïiord-ouelt t\& oueft. Uc midi à fix heures du foir, nous doublâmes le cap Holland. Il ventoit peu , 8c la brife ayant molli fur le foir, le tems d'ailleurs étant fort fombre, je pris le parti d'aller mouiller dans la rade du port Galant , où nous ancrâmes à dix heures par 16" bralfes d'eau, fond de gros gravier, fable & petit corail, ayant le cap Galant (3) au fud- (1) Depuis l'Ilot de l'Obfervatoire jufqu'au cap Forward , il y a environ fix lieues, & la côte court à peu près fur l'oucft-fud-oueft. fe détroit y a entre trois & quatre lieues de largeur. (2) Dans l'efpace d'environ cinq lieues qui fépare le cap Forward du cap Holland , il y a deux autres caps & trois anfes peu profondes. Je n'y connois aucun mouillage. La largeur du détroit y varie de trois à quatre lieues. (3) Le cap Holland & le cap Galant giflent entre eux , eft 2 deg. fud & oueft 2 deg. nord , & la diftance eft d'environ huit lieues. Entre ces deux caps il y ea a un autre moins avancé, qui eft le cep Covcntry. On y place auffi plufieurs baies dont nous n'avons reconi.u 10 2 Voyage oueft 3d-'oueft. Nous eûmes bientôt Heu de nous féliciter d'être logés : pendant la nuit, il y eut une pluie continuelle & grand vent de fud-oueft. Nous commençâmes l'année 1768 dans cette baie nommée baie Fortefcû , au fond de laquelle eft le port Galant (1). Le plan de la baie & du port eft fort exadt dans M. de Gennes. Nous n'avons que trop eu le loifir de le vérifier , y ayant été enchaînés plus de trois femaines, avec des tems dont le plus mauvais hiver de Paris ne donne pas l'idée. Il eft jufte de faire un peu partager aux lecleurs le défa-grément de ces journées funefles , en ébauchant le détail de notre féjour ici. Mou premier foin fut d'envoyer vifiter la côte jufqu'à la baie Elifabcth , & les isles dont le détroit de Magellan eft ici parfemé ; nous appercevions du mouillage deux de ces isles, que la baie Verte, ou baie Bcjcardes, qu'on a vifitée par terre. Elle eft grande & profonde , mais il y parolt plufieurs hauts fonds. [1] La baie de Fortefcû peut avoir deux milles de largeur d'une pointe à l'autre , & un peu moins de profondeur, jufqu'à une prefqu'isle qui, partant de la côte de l'oueft de la baie, s'étend dans I'eft-fud.eit, & couvre un port bien à l'abri de tous les vents. C'eit le port Galant , lequel a un mille de profondeur dans l'oueft-nord-ouelt. Sa largeur eft de quatre à cinq cents pas. On trouve une rivière dans le Fond du port,-& deux autres à la côte du nord-eft. Dans le milieu du port, il y a 4 à 5 brafles d'eau, fond de vafe & coquillages. nommée?- nommées par Narborough Charles 8c Mont-mouth. Il a donné à celles qui Tout plus éloignées le nom isles Royales, 8c à la plus occidentale de toutes , celui ePisle Rupert. Les vents d'oueffc ne nous permettant pas d'appareiller, nous affourchames le 2 avec une ancre à jet. La pluie n'empêcha pas d'aller fe promènera terre, où l'on rencontra les traces du pallage 8c de la relâche de vaiffeaux Anglois : favoir du bois nouvellement fcié & coupé , des écorces du laurier épicc, allez récemment enlevées , une étiquette en bois , telle que dans les arfenaux de marine on en met lur les pièces de rilain 8c de toile, & fur laquelle on lifoit fort distinctement Chatham Martch. 1766 : on trouva auffi fur plufieurs arbres des lettres initiales & des noms avec la date de 176*7. M. Verrou , qui avoit fait porter fes inf-trumens fur la prciqu'isle qui forme te port, y obferva à midi avec un quart de cerde , 5 3 d 40' 41" de latitude auftrale. Cette obferva-tion, jointe au relèvement du cap LIolland, pris d'ici, & au relèvement du même cap Holland , fait le 16 décembre fur la pointe du cap Forward , détermine à douze lieues la diftance du port Galant au cap Forward. Il y obferva auffi par l'azimuth la décliuaifoii de l'aiguille 22cl. 30' 32" nord-eft, & fon incli-naifon du côté du pôle élevé de 1 ta 11 . Voilà les feules obfervations qu'il ait pu faire ici pendant près d'un mois, les nuits étant auffi Première Partie. N affreufes que les jours. Il y avoit le 3 une belle occafion de déterminer la longitude de cette baie par le moyen d'une écliplê de lune qui commençoitici à 10 heures 30' du foir; mais la pluie qui avoit été continuelle toute la journée, dura encore toute la nuit. Le 4 & le 5 fuivans furent cruels ; de la pluie, de la neige, un froid très-vif, le vent en tourmente , c'étoit un tems pareil que dé-cri voit le pfalmifte en difant : nïx , grarido » glacies, fpiritus procellarum. J'avois envoyé le 3 un canot pour tâcher de découvrir un mouillage à la terre de Feu , & on y en avoit trouvé un fort bon dans le fud-oueft des isles Charles & Montmouth; j'avois aufli fait reconnoître quelle étoit dans le canal la direction des marées. Je voulois avec leur fecours, & ayant la relfource des mouillages connus , tant au nord qu'au fud, appareiller même avec vent contraire": mais il ne fut jamais aflez maniable pour me le permettre. Au refte, pendant tout le tems de notre féjour ici, nous y remarquâmes conf-tamment que le cours des marées dans cette partie du détroit , eft le même que dans la partie des goulets, c'eft-à-dire que le flot porte à l'eft, & l'ebe à l'oueft. Le 6* après-midi, il y avoit eu quelque inf-tant de relâche, le vent même parut venir du fud-eft, & déjà nous avions défarfourché; mais au moment d'appareiller, le vent revint à oueft-nord-oueft avec des raffales qui nous forcèrent de réafFourcher aufîi-tôt. Ce jour-là nous eûmes à bord la vifite de quelques Sauvages. Quatre pirogues avoient paru le matin à la pointe du cap Galant, & après s'y être tenues quelque tems arrêtées, trois s'avancèrent dans le fond de la baie, tandis qu'une voguoit vers la frégate. Après avoir héfité pendant une demi-heure , enfin elle aborda avec des cris redoublés de Pécherais. Il y avoit dedans un homme, une femme qui eil commune dans le détroit, la corde eft de boyau & les flèches font armées de pointes de pierre, taillées avec alfez d'art; mais ces armes font plutôt contre le gibier que contre des ennemis : elles font aufti foibles que les bras def-tinés à s'en fervir. Nous leur avons vu de plus des os de poilfons longs d'un pied, aiguifés par le, bout & dentelés fur un des côtés. Eft-ce un poignard 'i je crois plutôt que c'eft un inftrument de pèche. Us l'adaptent à une longue perche , & s'en fervent en manière de harpon. Ces fauvages habitent pêle-mêle , hommes, femmes & enfans, dans les cabanes, au milieu defquelles eft allumé le feu. Ils fe nourrilfent principalement de coquillages j cependant ils ont des chiens & des lacs faits de barbe de baleine. J'ai obfervé qu'ils avoient tous les dents gâtées , & je crois qu'on en doit attribuer la caufe à ce qu'ils mangent les coquillages brîi-lans, quoiqu'à moitié cruds. Au refte , ils paroiffent alfez bonnes gens , mais ils font fi foibles, qu'on eft tenté de ne pas leur en favoir gré. Nous avons cru remarquer qu'ils font fuperftitieux & croient à des génies mal-faifans i auffi chez eux les mêmes hommes qui en conjurent l'influence font en même tems médecins & prêtres. De tous les fauvages que j'ai vus dans ma vie, les Pécherais font les plus dénués de tout : ils font . N 3 ■ exactement dans ce qu'an peut appeîîer l'état de nature; & en vérité fi l'on devoit plaindre Je fort d'un homme libre & maître de lui-même , fans devoirs & fans affaires, content de ce qu'il a parce qu'il ne connoit pas mieux, je pîaindrois ces hommes qui , avec la privation de ce qui rend la vie commode , ont encore à fouffrir la dureté du plus affreux climat de l'univers. Ces Pécherais forment aufîi la fociété d'hommes la moins nombreufe que j'aie rencontrée dans toutes les parties du monde ; cependant, comme on enverra la preuve un peu plus bas, on trouve parmi eux des charlatans. C'eft que dès qu'il y a enfemble plus d'une famille, & j'entends par famille, père, mere & enfans , les intérêts deviennent compliqués, les individus veulent dominer ou par la force ou par l'impofture. Le nom de famille fe change alors en celui de fociété, & fût-elle établie au milieu des bois, ne fût-elle compofée que de coufins germains , un efpiït attentif y découvrira le germe de tous les vices auxquels les hommes rafTemblés en nations ont, en fepoliqant, donné des noms, vices qui font naître , mouvoir & tomber les plus grands empires. U s'enfuit du même principe que dans les fociétés, dites policées, naiffent des vertus dont les hommes, voifins encore de l'état de nature , ne font pas fufceptiblès. Le 7 & le g furent fi mauvais, qu'il n'y eut pas moyen cîe fortir du bord ; nous chaffames même dans la nuit, & fumes obligés de mouiller Une ancre dubolfoir. Il y eut dans des inftans jufqu'à quatre pouces de neige fur notre pont, & le jour naiifant nous montra que toutes les terres en étoient couvertes , excepté le plat pays, dont l'humidité empêche la neige de s'y conferver. Le thermomètre fut à Ç, 4, barifa même jufqu'à deux degrés au delfus de la congélation. Le tems fut moins mauvais le 0 après midi. Les Pécherais s'étoient mis en chemin pour venir à bord. Us avoient même fait une grande toilette , c'eft-à-dire , qu'ils s'étoient peint tout le corps de taches rouges & blanches : mais voyant nos canots partir du bord, & voguer vers leurs cabanes , ils les fuivirent, une feule pirogue fut à bord de l'Etoile. Elle y refta peu de tems, & vint rejoindre auiîl-tôt les autres, avec lefqucls nos Meilleurs étoient en grande amitié. Les femmes cependant étoient toutes retirées dans une même cabane, & les fauvages paroilfoient mécontens, lorfqu'on y vouloit entrer. Us invitoient au contraire à venir dans les autres, où ils offrirent à ces Meifieurs des moules , qu'ils fuqoient avant que de les préfenter. On leur fit de petits préfens qui furent acceptés de bon cœur. Us chantèrent , danferent , & témoignèrent plus de gaieté que l'on n'auroit cru en trouver chez des hommes fauvages, dont l'extérieur eft ordinairement férieux. Leur joie ne fut pas de longue durée. Un N 4 de leurs enfans, âgé d'environ douze ans, le feuî de toute la bande dont la figure fût inté-reifante à nos yeux, fut-faifi tout d'un coup d'un crachement de fang accompagné de violentes convulfions. Le malheureux avoit été abord de l'Etoile, où on lui avoit donné des morceaux de verre & de glace , ne prévoyant pas le funefte effet qui devoit fuivre ce pré-fent. Ces fauvages ont l'habitude de s'enfoncer dans la gorge*& dans les narines de petits morceaux de talc. Peut-être la fupcrftition attache-t-ellechez eux quelque vertu à cette efpece de talifman, peut-être le regardent-ils comme un préfervatif à quelque incommodité à laquelle ils font fujets. L'enfant avoit vraifemblable-ment fait le même ufage du verre. Il avoit les lèvres, les gencives & le palais coupés en plufieurs endroits , & rendoit le fang prefque continuellement. Cet accident répandit la confternation & la méfiance. Ils nous foupçonnerent fans doute de quelque maléfice ; car la première action du jongleur qui s'empara aulfi-tôt de l'enfant, fut de le dépouiller précipitamment d'une ca-iaque de toile qu'on lui avoit donnée. Il voulut la rendre aux François, & fur le refus qu'on fit de la reprendre, il la jetta à leurs pieds. Il eft vrai qu'un autre fauvage , qui f\ns doute aimoit plus les vètemens qu'il ne craignoit les enchantemens, la ramafîa aulfi-tôt. Le jongleur étendit d'abord l'enfant fur le dos dans une des cabanes, & s'étant mis à genoux entre les jambes , il fe courboit fur lui, & avec la tète h les deux mains , il lui. pref-foit le ventre de toute fa force, criant continuellement fans qu'on pût diftinguer rien d'articulé dans fes cris. De tems en tems il fe levoit, & paroilfant tenir le mal dans fes mains jointes, il les ouvroit tout d'un coup en fair en foufflant , commme s'il eût voulu chaifer quelque mauvais efprit. Pendant cette cérémonie, une vieille femme en pleurs burloit dans l'oreille du malade à le rendre fourd. Ce malheureux cependant paroilfoit fourfrir autant du remède que de fon mal. Le jongleur lui donna quelque trêve pour aller prendre fa parure de cérémonie , enfuite les cheveux poudrés & la tête ornée de deux ailes blanches , aJez femblables au bonnet de Mercure, il recommença fes fondtions avec plus de confiance & tout auffi peu de fuccès. L'enfant alors paroiiïant plus mal, notre aumônier lui adminiitra furtivement le batème. Les officiers étoient revenus à bord , & m'a-voient raconté ce qui fe palfoit à terre. Je m'y tranfportai auffi-tôt avec M. de la Porte , notre chirurgien major, qui fit apporter un peu de lait & de la tifane émollieute. Lorfque nous arrivâmes , le malade étoit hors de la cabane ; le jongleur , auquel il s'en étoit joint un autre paré des mêmes ornemens, avoit recommencé les mêmes opérations fur le ventre, les cuiifes & le dos de l'enfant. C'étoit pitié de les voit martyrifer cette infortunée créature qui fouf-froit fans fe plaindre. Son corps étoit déjà tout meurtri, & les médecins continuoient encore ce barbare remède avec force conjurations. La douleur du pere & de la mere, leurs larmes, l'intérêt vif de toute la bande , intérêt manifefté par des figues non équivoques, la patience de l'enfant donnèrent le fpeclacle le plus attendri liant. Les fauvages s'apperqurent fans doute que nous partagions leurs peines, du moins leur méfiance fembla -1-elle diminuée. Ils nous laùTerent approcher du malade, & le major examina fa bouche enfanglantée , que fon pere & un autre Pécherais fuqoient alternativement. On eut beaucoup de peine à leur perfuader de faire ufage du lait ; il fallut en goûter plufieurs fois, & malgré l'invincible oppofition des jongleurs, le pere enfin fe détermina à en faire boire à fon fils, il accepta même le don de la cafetière pleine de tifaue émolliente. Les jongleurs témoignoient de la jaloufie contre notre chirurgien , qu'ils parurent cependant à la fin reconnoître pour un habile jongleur. Ils ouvrirent même pour lui un fac de cuir qu'il portent toujours pendu à leur côté, & qui contient leur bonnet de plume, de la poudre blanche , du talc, & les autres inilrumens de leur art ; mais à peine y eut-i! jette les yeux , qu'ils le refermèrent aufïî-tôt. Nous remarquâmes auiîl que tandis qu'un des jongleurs travailloit à conjurer le mal du patient, l'autre ne fembloit occupé qu'à prévenir par fes enchantemens l'effet du mauvais fort qu'irs nous foupqonnoient d'avoir jette fur eux. Nous retournâmes à bord à l'entrée de la nuit , l'enfant fouffroit moins ; toutefois un Vomilfement prefque continuel qui le tourmentait , nous fit appréhender qu'il ne fût paflé du verre dans fon eftomac. Nous eûmes enfuite lieu de croire que nos conjectures n'avoient été que trop juftes. Vers les deux beures après minuit, on entendit du bord des burlemens répétés ; & dès le point du jour, quoiqu'il fit un tems affreux , les fauvages appareillèrent. Us fuyoient fans doute un lieu fouillé par la mort, & des étrangers fuuefies , qu'ils croyoient n'être venus que pour les détruire. Jamais ils ne purent doubler la pointe occidentale de la baie , dans un inftant plus calme, ils remirenr à la voile , un grain violent les jetta au large , & difperfa leurs foibles embarcations. Combien ils étoient cm-prelfés à s'éloigner de nous ! Us abandonnèrent fur le rivage une de leurs pirogues qui avoit befoin d'être réparée } fatis eji gentem eff'giJJè ntfanâam. Us ont emporté de nous l'idée d'êtres mabfaifans \ mais qui ne leur pnrdon-neroit le reffentiment dans cette conjecture ? Quelle perte, en effet, pour une fociété auffi peu nombreufe, qu'un adolefceut échappé à tous les hafards de l'enfance î Le vent d'eft foufHa. avec furie & prefque fans interruption , jufqu'au 13 , que le jour fut affez doux ; nous eûmes même dans l'après-midi quelque efpérancc d'appareiller. La nuit du 13 au 14 fut calme. A deux heures Se demie du matin nous avions déiatfourché Se viré à pic ; il fallut réalfourcher à ilx heures \ Se la journée fut cruelle. Le 15 , il fit foleil prefque tout le jour, mais le vent fut trop fort pour que nous pulfions for tir. Le 16" au matin il faifoit prefque calme, la fraîcheur vint enfuite du nord, & nous appareillâmes avec la marée favorable ; elle bairfoit alors, & portoit dans l'oueft. Les vents ne tardèrent pas à revenir à oueft & oueft-fudoueft , & nous ne pûmes jamais avec la bonne marée, gagner Yisle Rupert. La frégate marchoit très-mal, dérivoit outre mefure, & l'Etoile avoit fur nous un avantage incroyable. Nous reliâmes tout le jour fur les bords entre l'isle Rupert & une pointe du continent, qu'on nomme la pointe du Paffage , pour attendre le julfant, avec lequel j'efpérois gagner ou le mouillage de la baie Dauphine à Yisle de Louis le Grand, ou celui de la baie Elisabeth (1). ( 1 ) Depuis le cap Galant jufqu'à la baie Elizabeth * la côte court à peu près fur l'oueft-nord-oueft, & la diftance de l'un à l'autre peut être de quatre lieues. Dans cet intervalle il n'y a point de mouillage à la côte du continent, Le fond eft trop coniidérable, môme Mais comme nous perdions à louvoyer, j'envoyai un canot fonder dans le fud-efl de l'isle Rupert, avec intention d'y aller mouiller jul-qu'au retour de la marée favorable. Le canot fignala un mouillage , & y reffa fur fon gra-pin i mais nous en étions déjà tombés beaucoup fous le vent. Nous courûmes un bord à terre, pour tâcher de le gagner en revirant; la frégate refufà deux fois de prendre vent devant, il fallut virer vent arrière; mais au moment où à l'aide de la manœuvre & de nos bateaux , elle commença à arriver , la force de la marée la fit revenir au vent : un courant violent nous avoit déjà entraînés à une demi-encablure de terre ; je fis mouiller fîir 8 bratfes de fond , l'ancre tombée fur des roches chalïà , fans que la proximité où nous étions de la terre , permit de filer du cable ; déjà nous n'avions plus que 3 brades & demie d'eau fous la pouppe , & nous n'étions qu'à trois longueurs de navire de la côte, lorfqu'il en tout à terre. La baie Elizabeth eft ouverte au fud-oueft^ elle a trois quarts de lieue entre fes pointes , à-peu-près autant de profondeur, La côte du fond de la baie eft fablonneufe, ainii que celle du fud-eft. Dans fa partie feptentrionale règne une bâture qui fe prolonge alfez au large. Le bon mouillage dans cette baie eft par 9 bmlfes, fond de fable , gravier & corail, & par les marques ft;i-vantes , la pointe eft de la baie au fud-fud-eft s deg, eft ; fa pointe oueft à oueft-quart-nord-oueft ; la pointe eft de Yisle de Louis-le- Grand, au fud-fud-oueft ç d. fud ; ia bâture au nord-oueft-quart-nord. vint une petite brife ; nous finies aufîi-tôt fervir nos voiles , & la frégate s'abattit j tous nos bateaux & ceux de l'Etoile venus à notre fecours, étoient devant elle à la remorquer ; nous filions le cable fur lequel on avoit mis une bouée, & il y en avott près de la moitié dehors, lorfqu'il fe trouva engagé dans l'entrepont, & fit faire tête à la frégate, qui courut alors le plus grand danger. On coupa le cable, & la promptitude de la manœuvre fauva le bâtiment. La brife enfuite fe renforça , & après avoir encore couru deux bords inutilement, je pris le parti de retourner dans la baie du port Galant, où nous mouillâmes à huit heures du foir , par 20 bralfes d'eau 1 fond de vafe. Nos bateaux que j'avois faines pour lever notre ancre, revinrent à l'entrée de la nuit avec l'ancre & le cable. Nous n'avions donc eu cette apparence de beau tems , que pour être livrés à des alarmes cruelles. La journée qui fuivit fut plus orageufe encore que toutes les précédentes. Le vent éle-voit dans le canal des tourbillons d'eau à la hauteur des montagnes , nous en voyions quelquefois plufieurs en même tems courir dans des directions oppofées. Le tems parut s'adoucir vers les dix heures ; mais à midi , un coup de tonnerre, lefeul que nous ayions entendu dans le détroit, fut comme le lignai auquel ltf vent recommença avec plus de furie encore que le matin j nous chaflames, & fumes contraints de mouiller notre grande ancre, & d'amener balles vergues & mats de hune. Cependant les arbuftes & les plantes étoient en fleurs , Se les arbres ofFroient une verdure alfez brillante , mais qui ne fuffifoit pas pour difîiper la triftelîe qu'avoit répandue fur nous le coup d'œil continué de cette région l'un elfe. Le caractère le plus gai feroit flétri dans ce climat affreux que fuient également les animaux de tous les élémens, & où languit une poignée d'hommes que notre commerce venoit de rendre encore plus infortunés. Il y eut le ig & le 19 des intervalles dans le mauvais tems ; nous relevâmes notre grande ancre, virâmes nos balles vergues & mâts de hune, Se j'envoyai le canot de l'Etoile, que fa bonté rendoit capable de fortir prefque de tout tems, pour reconnoître l'entrée du canal de la Sainte-Barbe. Suivant l'extrait que donne M. Frezier du journal de M. Marcant qui l'a découvert & y a patte, ce canal deveit être dans le fud-oueft & fud-oueft-quart-fud de la baie Elifabeth. Le canot fut de retour le 20, Se M. Landais qui le commandoit, me rapporta qu'ayant fuivi la route & les remarques indiquées par l'extrait du journal de M. Marcant , il n'avoit point trouvé de débouque-ment, mais feulement un canal étroit, terminé par des banquifes de glace & la terre, canal d'autant plus dangereux à fuivre, qu'il n'y a dans la route aucun bon mouillage, Se qu'il eft traverfe prefque dans ion milieu par un banc couvert de moules. Il fit enfuite ie tour de l'isle de Louis le Grand par le fud , & rentra dans le canal de Magellan , fans en avoir trouvé aucun autre. Il avoit vu feulement à la terre de Feu une atfez belle baie, la même fans doute que celle à laquelle Beauchefine donne le nom de la Nativité. Au relie , en faifant le fud-oueft & fini-oueft-quart-iud, à la fortie de la baie Elifabeth , comme M. Frezier marque que le fit Marcant, on couperait en deux l'isle de Louis le Grand. Ce rapport me fit penfer que le vrai canal de la Sainte-Barbe étoit vis-à-vis la baie même où nous étions. Du haut des montagnes qui entourent le port Galant , nous avions fou-vent découvert dans le fud des isles Charles & Montmouth , un vafte canal femé d'islots, qu'aucune terre ne bornoit au fud ; mais comme en même tems on apperçevoit une autre ouverture dans le fud de l'isle de Louis le Grand, on la prenoit pour le canal de la Sainte-Barbe, ce qui étoit plus conforme au récit de Marcant. Dès qu'on fut aifuré que cette ouverture n'étoit qu'une baie profonde , nous ne doutâmes plus que le canal de la Sainte-Barbe ne fût vis-à-vis le port Galant, dans le fud( des isles Charles & Montmouth. En effet, en reli-fant le pafiàge de M. Frezier , & ie combinant fur la carte qu'il donne du détroit, nous vimes que M. Frezier , d'après le rapport de Marcant, Marcant, place la baie Elifabeth , de laquelle appareilla ce dernier pour entrer dans fon canal, à dix ou douze lieues du cap Forward. Marcant aura donc pris pour la baie Elifabeth la baie Dejlordes, qui eft effectivement à onze lieues du cap Forward , puifqu'elle eft à une lieue dans l'eft du port Galant -, appareillant de cette baie, & faifant le fud-oueft & fud-oueft-quart fud, il a rangé la pointe orientale des isles Charles & Montmouth , dont i! a pris la malle pour l'isle de Louis le Grand, erreur dans laquelle tombera facilement tout navigateur qui ne fjra pas pourvu de bons mémoires i & il a débouqué par le canal femé d'isres, dont nous avons eu la perfpective du haut des montagnes, La connoiiiance parfaite du canal de la Sainte-Barbe feroit d'autant plus intéreiîànte j qu'elle abrégeroit considérablement le paiîage du détroit de Magellan. Il n'eft pas fort long de parvenir jufqu'au port Galant ; le point le plus épineux , avant que d'y arriver * eft de doubler le cap Forward , ce que la découverte de trois ports à la terre de Feu rend à prefent ajffez facile : une fois rendu au port Galant , fi les vents défendent le canal ordinaire, pour peu qu'ils prennent du nord , on auroitledé-bouquement ouvert vis-à-vis de ce port; vingt-quatre heures alors fuffifent pour entrer dans la mer du fud. J'avois intention d'envoyer deux, canots dans ce canal, que je crois îer-Premiere Partie. O mement être celui de la Sainte-Barbe, Icfqueîs auraient i apporté la Iblution complctte du problême. Le gros tems ne me l'a pas permis. Le 21 , le 22 & le 23 , les rarlales, la neige & la pluie furent prefque continuelles. Dans la nuit du 21 au 22, il y avoit eu un intervalle de calme ; il femb a que le vent ne nous don-noit ce moment de repos que pour, ralfembler toute fa furie , & fondre fur nous avec pms d'impétuofité. Un ouragan affreux vint tout d'un coup de la partie du fud-fud oueft, & fourHa de manière à étonner les plus anciens marins. Les deux navires chalferent ; il fallut mouiller la grande ancre, amener baifes vergues & mâts de hune ; notre artimon fut emporté fur fes cargues. Cet ouragan ne fut heu-reufemeut pas long. Le 24 le tems s'adoucit, il fit même beau foleil & calme, & nous nous remimes en état d'appareiller. Depuis notre rentrée au port Galant, nous y avions pris quelques tonneaux de left & changé notre arrimage , pour tâcher de retrouver la marche de la frégate ; nous réuiîimcs à lui en rendre une partie. Au refte, toutes les fois qu'il faudra naviguer au milieu des courans , on éprouvera toujours beaucoup de difficultés à manœuvrer des bâtimens aufli longs que le font nos frégates. Le 2f à une heure après minuit, nous défaf-fourchames & virâmes à pic ; à trois heures nous appareillâmes en nous faifant remorquer autour du monde. 2 i i par nos bâtimensr à rames, la fraîcheur venoic du nord ; à cinq heures & demie la brife fe décida de l'eft , & nous mimes tout dehors , perroquets & honnêtes , voilure dont il eft bien rare de pouvoir fe fervir ici* Nous paf-fames à mi-canal, fuivant les - iinuofités de cette partie du détroit que Narborough nomme avec rai fon le bras tortueux. Entre les isles Royales & le continent, le détroit peut avoir deux lieues ; il n'y a pas plus d'une lieue de canal entre l'isle Rupert & la pointe du Pajfage, en-fuite une lieue & demie entre l'isle de Louis le Grand & la baie Elilabeth, fur la pointe orientale de laquelle il y a une bâture couverte de goémons, qui avance un quart de lieue au large. Depuis la baie Elifabeth, la côte court fur le oueft-nord-oueft pendant environ deux lieues, jufqu'à la rivière que Narborough appelle Batchelor , & Beauchefhe du Majfacre , à l'embouchure de laquelle il y a un mouillage. Cette rivière eft facile à reconnoître, elle fort d'une vallée profonde , à l'oueft elle a une montagne fort élevée, fa pointe occidentale eft balle 8c couverte de bois , & la côte y eft fablonneufe. De la rivière du Marlàcre à l'entrée du faux détroit ou canal Saint-Jerème , j'eftime trois lieues de diftance , & le giife-ment eft le nord-oueft-quart-oueft. L'entrée de ce canal paroît avoir une demi-lieue de largeur, & dans le fond on voit les terres reve- O 2 nir vers le nord. Quand on eft par le travers de la rivière du Maiîacre , l'on n'apperqoit que ce faux détroit, & il eft facile de le prendre pour le véritable, ce qui même nous arriva , parce que la côte alors revient fur l'oueft-quart-fud-oueft & l'oueft.fud-oueft jufqu'au cap Qitad , qui s avançant beaucoup , paroit croifé avec la pointe occidentale de l'isle de Louis le Grand, Se ne laide point appercevoir de débouché. Au refte , une route sûre pour ne pas manquer le véritable canal , eft de fuivre toujours la côte de l'isle de Louis le Grand , qu'on peut ranger de près ians aucun danger. La diftance du canal S. Jérôme au cap Quad eft d'environ quatre lieues, & ce cap gît eft-quart-nord-eft 2 deg. eft & oueft-quart-fud-oueft 2 deg. oueft , avec la pointe occidentale de l'isle de Louis le Grand. Cette isle peut avoir quatre lieues de longueur. Sa côte fcptentrionale court fur l'oueft* nord-oueft jufqu'à la baie Dauphine , dont la profondeur eft d'environ deux milles , fur une demi - lieue d'ouverture i elle court enfuite fur l'oueft jufqu'à fon extrémité occidentale , nommée cap S. Louis, Comme, après avoir reconnu notre erreur au fujet du faux détroit, nous rangeâmes l'isle de Louis le.Grand à un mille d'éloignement , nous reconnûmes fort diftinclement le port Pheiippeaux , qui nous parut une anfe fort commode & bien à l'abri. A midi , le cap Quad nous reftoit à l'oueft- quart-fud-oueft 2 deg. fud deux lieues, & le cap Saint-Louis à Feft-quart-nord-eft environ deux lieues & demie. Le beau tems continua le refte du jour, & nous cinglâmes toutes voiles hautes. Depuis le cap Quad , le détroit s'avance dans l'oueft-nord-oueft & nord-oueft-quart-oueft fans détour fenfible , ce qui lui a fait donner le nom de longue rue. La figure du cap Quad eft remarquable. Il eft compofé de rochers efcarpés, dont ceux qui forment fa tète chenue , ne relfemblent pas mal à d'antiques ruines. Jufqu'à lui les côtes font par-tout boi-fées, & la verdure des arbres adoucit l'afpcdt des cimes gelées des montagnes. Le cap Quad doublé, le pays change de nature. Le détroit n'eft plus bordé des deux côtés que par des rochers arides , fur lefquels il n'y a pas apparence de terre. Leur fommet élevé eft toujours couvert de neige , & les vallées profondes font remplies par d'immenfcs amas de glaces dont la couleur attefte l'antiquité. Narborough frappé de cet horrible afpcct, nomma cette partie la défolation du fud , auiîi ne fauroit-on rien imaginer de plus affreux. Lorfqu'on eft par le travers du cap Quad, la côte des. terres de Feu paroît terminée par un cap avancé qui eft le cap Mtmdai, lequel j'ef-time être à quinze lieues du cap Quad. A la côte du continent on apperqoit trois caps auxquels nous avons impofc des noms. Le premier O 3 que fa figure nous fit nommer cap fendu, eft à cinq lieues environ du cap Quad , entre deux belles baies où l'ancrage eft très-fur, fi le fond y eft auifi bon que l'abri. Les deux autres caps ont reçu les noms de nos vaiffeaux, le cap de l'Etoile à trois lieues dans l'oueft du cap Fendu , & le cap de la Boudeufe dans le même giffement & la même diftance avec celui de l'Etoile. Toutes ces terres font hautes & efcarpées ; l'une & l'autre côte paroît faine & garnie de bons mouillages , mais hcureu-fement le vent favorable pour no.tre route , ne nous a pas lailfé le tems de les fonder. Le détroit dans la longue rue , peut avoir deux lieues de largeur ; il fe rétrécit vis-à-vis le cap Mundai, où le canal n'a guère plus de quatre milles. A neuf heures du foir, nous étions environ à trois lieues dans l'eft-quart-fud-eft & l'eft-fud* eft du cap Mundai. Le vent foufflant toujours de l'eft grand frais , & le tems étant beau , je réfolus de continuer à faire route à petites voiles pendant la nuit. Nous ferrâmes les honnêtes , & finies les ris dans les huniers. Vers dix heures du foir, le tems commença à s'embrumer, & lèvent renforça tellement que nous fumes contraints d'embarquer nos bateaux. Il plut beaucoup , Se la nuit devint fi noire à onze heures, que nous perdîmes la terre de vue. Une demi-heure après , m'eftimant par le travers du cap Mundai , je fis fignal de. autour du m^nd!. 21 f mettre en panne , (tribord au Vent, & nous payâmes ainii le refte de la nuit, éventant ou mafquant, fuivant que nous nous eftimions trop près de l'une ou de l'autre côte. Cette nuit a été une des plus critiques de tout le yoyage. A trois heures & demie Paube matinale nous découvrit la terre , & je fis fervir. Nous gouvernâmes à oueft-quart-nord-oueft jufqu'à huit heures , & de huit heures à midi entre l'oueft-quart-nord-oueft & l'oueft-nord-oueft. Le vent étoit toujours à l'eft petit frais très-brumeux; de tems en tems nous appercevions quelque partie de la côte , plus fou vent nous la perlions de vue tout-à-fait. Enfin, à midi nous ïumes connoiffance du cap des Piliers 8c des Evangélifles. On ne voyoit ces derniers que du aaut des mâts. A mefure que nous avancions