Ex Libris ^ P. Joannis Tretter* C oe f a r. Reg. Profefforis Publ. #% #'% #'% QwWiStSV ■- I II JC"(»BHnu yhf * L E S PROVINCIALES, LOUIS DE MONTALTE A un Provincial de fes amis, & aux RR. PP. Jefuites fur la Morale & la Politique de ces Peres. AVEO LES NOTES DE GUILLAUME WENDROCK, Dotteur en Thdologie dans l’Univerfite de Saltzbourg en Allemagne. Traduites en Francois Par MADEMOISELLE DE JONCOURT. NOUVELLE EDITION, Revue, corrigee £? augmentee de courtes Notes O V LETTRES ECRITES PAR Hiftoriques. TOMS TRO IS 1 Chez PIERRE sz ik VAL M DCCXXXIX. A COLOGNE 3 03»d3W$1 ■ \ ' v ; / •«# x * I* ; y s db^ & J-ir 7 ’ 'l- if W«i''M-:''* > «$ 4 ' ' w •>' '•''*>* y TABLE Des Lettres & des Notes contenues dans ce Troifieme Tome. XI. LETTRE. U'on pent re¬ railleries les erreurs ridicules. Precautions avec lefquelles on le doit faire. Qii'elles ont ete obfer- vks par Mont alt e , £5? qu'elles ne Pont point ete par les JeJ'uites. Boufonneries impies du P. le Moyne £«P du P. GaraJJe. Pag. 1 Noie I Des railleries de Montalte. Qu’il a cboiji fagement ce genre d’icrire. 24 Note 11 Qiie Montalte ne s’eft jamais raillS du Cbapelet , fif que c’eft avec raifon qu’il fe faille de la Grace Suffifante prife en gi- ntral £? en faifant abftrabtion de tout Jens. Note III. Que les armes du P. Le Moyne Jefuite font tr^s-foibles, e? Ja patience fort fufpecle. Impieti de la propofition du P. Garajfe. Tome 111. ' * fitter par des 29 TABLE des LETTRES &c. XI I. LETTRE. Refutation des chi¬ canes des Jefuites Jur VAumone fur I a Simonie. , 3 5 Note I. Oil Refutation de la Lettre que les Jefuites oni publiie contre la Lettre prece- dsnte, 58 Note fl. Diverfes maximes corrompues des Jefuites touchant les Revenus Ecclefiajli- que t s. 77 Note III. Explication & refutation de la. doctrine de V Apologifte des Cafuijtes fur la Simonie de droit divin de droit pofitif. 84 XIII. LETTRE. Que la doctrine de Le/fius fur VHomicide eft la me- me que celle de Victoria. Comhien il eft facile de pafter de l-a /pecula¬ tion a la pratique. Pourquoi les Jefuites Je font Jervis de cette mi¬ ne dftmtiion; £5? comhien elk eft inutile pour les jnftifier. 90 Note Unique. De l'Homicide. 114. §. i. Refutation des chicaneries des Jefuites.. Ibid. ■ §, II. Hiftoire dii P. Fmrgois LamyJcfuite, ecrite par tm Dodteur de Louvain. 1 17 §. III. Cenjures de la Faculti de Theologie de Louvain contre la pernicietife doctrine du P Lamy Jcfuite. 124 §. IV. Suite de Vhiftoire -du P. Lamy, tiree de la Theologie FondamentaD dcCaramud■ . §,V. TABLE des LETTRES &c. §. V. En quel fens Montalte condamnela dip tinStion de j.peculation & de pratique. 132 XIV. LETTRE. On refute par les Peres les maximes des Jejuites fur T Homicide. On repond en pajfant a quelques-unes de leurs calomnies , on compare leur doltrine a-vec la forme qui sPbferve dans les ju- gemens criminels. 134, Note. Oil DiJJertation Tbiologique far V Ho¬ micide. 159 Section I. Oh Von pofe quelques principes neceffaires pour mieux comprendre cette doc¬ trine de V Homicide. Ibid. §. I. Premier principe. Qiie l'Homme a eleplus corrompu par le picbe originel dans fa volonte que dans fen entendement , £? qu’ainji il a plus d’oppojition, pour les veritez qui regar¬ ded les Moeurs, & en juge moins fainement que de celles qui regardent la Foi. : Ibid. §. II. Second principe. Qiie l’on doit puifer dans la Tradition le fens des Ecritures fur la Morale comme fur la Foi. 164 §. III. Application de ces principes a la doctri¬ ne pernicieufe de VApologifte fur l’Homicide. Regie certaine pour examiner ces queftions. ... - 167 §. IV. Confluences qui fuivent naturellement de cette regie. Premiere confequence. 173 Seconde confequence. Ibid. Troifieme confequence 174 Section. II. On refute par les Peres & par * 2 les TABLE des LETTRES &c. les Conciles la doctrine des Jefuites furl’Ho¬ micide. 176 §. 1 Que la doctrine des Jefuites eft condamnee par un confentement unanime des Ptres. Ibid. §. II. La mime doStrine prouvee par les Con¬ ciles. 182 §. III. Troifieme preuve tiree de la patience quiefl commandee aux Chretiens. 183 Section III. Refutation des raifons des 'Je¬ fuites. 188 §. I. Refutation de cette raifon,qui eftprefque I'unique fondement de leur opinion: L’bon- neur eft plus cber que La vie. II eft done permis de tuer pour defendre I’bonneur, com- me pour defendre la vie. Ibid. §. II. Oil I'on marque en paffant la conduite qu’un Tbeologien pieux 6? prudent doit gar - der dans la dkifion des Points de Morale. 194 §. III. Fauffe apparence de douceur dont les Jefuites couvrent leur opinion. 196 §. IV. Que rien n'eft plus foible que les bor- nes que les Jefuites, apres avoir aboli les commandemens de Dieu , mettent quelque- fois a leurs maximes pour arreter la licence des meurtres qu’elles autorifent. 200 XV. LETTRE. Que les Jefuites otent la Calomnie du nombre des crimes , £5? cpifils ne font point de fcrupule de s'en fervir pour decrier leurs Ennemis. 2 06 No- TABLE des LETTRES &c. Note I. Que la doctrine des Jefuites fur la Calomnie eft faujje, erronee, £? Uretique. 230 § I. Refutation de cette doElrine par les prin- cipes etablis ci-deffus. ibid. $. II. On refute la raifon par laquelle les Je- J'uites pretendent prouver que la Calomnie n’ejl pas un crime. 235 §. III. Examen des deux argumens de I’A- pologijle des CaJ'uiJtes Refutation du pre¬ mier, par lequel il tdcbe d’eloigner des Je- fuites le fouppon , qu’ils mettent en pratique leurs maximes fur la Calomnie. 239 §. IV. Refutation du J'econd argument, oic l’on fait voir que les Jefuites ne Je donnent pas feulement la liberte de calomnier ceux qui imputent d leur Societe des crimes dont elle n’ejl point coupable, mais qu’ils calom• nient ceux-mimes qui lui en reprochentde veritables. 245 Note II. Mauvaifefoi de I’Apologiftefuries exemples que Montalte rapporle des calom- nies des Jefuites. 248 Note III. De la delicatejfe des Jefuites , qui fe plaignent qu’on les a traitez trop dure- ment,parce que Montalte dit qu’ils mentent impudemment. 254 Catalogue des calomnies de I’Apologifle des Cafuifles. 25 y XVI. LETTRE. Calomnies horri¬ bles des Jtfuites contre de pieux Ecclefiajliques £5? de faintes Reli- gieufes . 2(52 * 3 No- TABLE des LETTRES &c. Note I. Objiination des Jefuites a foutenir les calomnks les plus horribles. 2^6 Note IL Hiftoire du Cbapelet fecret du St. Sacremeni. 302 Note III. Reczt abrege des miracles faits par la Sainte Epine dans le MonaJHre des Re- ligieufes de Port-Royal de Paris. rjo9 XVII. LETTRE. On fait voir en levant VEquivoque du Jens de Jan- fenius , qii'il n'y a aucunc here fie dans PEgliJe. On montre par le confentement uncmime de tons les Theologiens , & principalsment des Jefuites , que l"autorite des Papes & des ConcilesQeucumeniques deft point infaillible dans les queftions de Fait. 319 Lettre an R. P. Annat , ConfeJJeur du Roi, fur [on Ecrit qui a pour titre, La Bonne Foi des ianieniltes £fc. nji XVIII. LETTRE. On fait voir en¬ core plus invincihlenient par la Re- ponfe mime du P. Annat , qu'il iiy a aucune hire fie dans PEgliJe. Que tout le monde condamne la doctrine que les JeJ'uites renferment dans le Jens de Janfenius , £3? qu'ainft tous les Fideles jbnt dans les mimes Jen- ti- TABLE des LETTRES &c. timens fur la mattere des cinq Pro - pofitions. On marque la difference qidil'j a entre les dijputes de Droit if cedes de Fait on montreque dans les qaejlions de Fait on doit plus s'en rapporter a ce qiCon wit quia amine autorite humaine. 363 Dialogue de Guillaume Wendrock pour fervir d’edairciJTement d la dix-huitieme Lettre. 397 Cenfure & Approbation des Do&eurs en Theo - logie de fl/niverfite de Bordeaux. N O us foufHgnez Dofteurs & Profef- feurs Royauxen Theologiedel’U- niverfite de Bordeaux,declaronsquefui- vant I’Arrec du Parlement,le Li vre intitu¬ le, Ludovici Montaltii Lit terce Provinciates de morali (j? politico, JeJuitarum difcipiind , nous ayanc ete mis entre les mains pour en examiner la bonne ou mauvaife dodtrine, & donner notre avis s’il contenoit quel- queherefie, apres avoir premierement invoque le fecours du Pere des lumieres, nous avons lu avec foin Iedic Livre, & qu’apres avoir delibere enfemble fur la do&rine y contenue,& nous etre com¬ munique nos avis,nous n’y avons trou- ve aucune herefie. Fait dans le Cou- vent des Carmes le 6. du mois de Juin 1’an 1660. Sign6 Francois Arnauld , del’Or • dre de Saint Augujtin. F. Jean Baptiste Gonet ,de I’Ordre des Freres Precbeurs. Lopez, Cbanoine Tbeologal. O N- O N Z I £ M £ LETT RE (i). ECRITE AUX REVERENDS PERES JESUITES. Qu'on pent refuierpar des railleries leserreurS ridicules Precautions avec lefquelles on le doitfaire; qu’elles ontbte obfervees par Mon* talte , qu'elles ne lent point ete par les Jefuites. Bouffonneries impies du Pbre 16 Maine & du Pire Garajje. Du 18. Aofit, 165(5. Mes Reverends Peres, jj’ai vu les Lettfes que vous d^bi* tez contre celles que j’ai dcrites a un de mes amis fur le fujet de votre Morale, oh 1’ufl des prim* cipaux points de votre ddfenfe eft, que je n’ai pas parld aflez feneuf menc de vos maximes: e’eft ce que vous rdodfez daps tous vos Ecrits , & que vous pouflez jufqu’fc O) Mt. Nicole a drefle le plan de cette Letti&i Tome III, A 2 XI. L E T T R E. jufqu’a dire , Que j’ai tourne les chofes Jain- tes en raillerie. Ce reproche, mes Peres, eftbien furpre- nant , & bien injufte. Car en quel lieu trouvez-vous que je tourne les chofes fain* tes en raillerie? Vous marquez enparticu- lier le ContractMohatra, & I’HiJloire de Jean d'Alba. Mais eft-ce cela que vous appellez des chofes faintes? Vous femble-t-il que le Mohatra foit une chofe fi vdnerable, que ce foit un blafphdme de n’en pas parler a- vec refpeft ? Et les leqons du P. Bauny pour le Larcin, qui portbrent Jean d’Alba k le pra- tiquer contre vous-mdmes, font-elles fi fa- crdes, que vous ayez droit de traiter d’im- pies ceux qui s’en moquent? Quoi, mes Peres, les imaginations de vos Auteurs pafleront pour les vbritez de laFoi; & on ne pourra fe moquer des palfages d’Efcobar, & des decifions fi fantafques & fi peu Chrdtiennes de vos autres Auteurs, fans qu’on foit accufb de rire de la Religion? Eft-il pofiible que vous ayez 6fb redire fi fouvent une chofe fi peu raifonnable ? Et ne craignez-vous point, en me bldmant de m’dtre moqu6 de vos bgaremens , de me donner un nouveau fujet de me moquer de ce reproche , & de le faire retomber fur vous-mdmes, en montrant que je n’ai pris fujet de rire, que de cequ’il y a de ridicu¬ le dans vos Livres; & qu’ainfi en me mo- quant de votre Morale , j’ai dtb aufli dloi- gp.6 de me moquer des chofes faintes, que SE RAILLER DES ErREURS. 3 la doftrine de vos Cafuiftes eft dloignde de la doftrine faince de l’Evangile ? En veritd, mes Peres, il y a bien de la difference entre rire de la Religion, & ri- re de ceux qui la profanent par leurs opi¬ nions extravagantes. Ce feroit une impid- td de manquer de refpedt pour les vericez que l’Efpric de Dieu a revdlees: mais ce fe¬ roit une autre impidtd, de manquer demd- pris pour les- faufletez que l’efprit de l’hom- me leur oppofe. Car, mes Peres, puifque vous m’obligez d’entrer en cedifcours,je vous priede con- fiderer, que comme les Vdritez Chretien- nes font dignes d’amour & de refpedt, les erreurs qui leur font contraires, font dignes de mdpris & de hainefparce qu’i! va deux chofes dans les vdritez de notre Religion ; une beautd divine qui les rend aimables, & une fainte majefte qui les rend vdnera- bles: & qu’il y a auffi deux chofes dans les erreurs; l’impidte qui les rend horribles , & l’impertinence qui les rend ridicules. C’eft pourquoi comme les Saints ont tou- jours pour la vdritd ces deux fentimens d’a¬ mour & de crainte, & que leur fageife eft toute comprife entre la crainte qui en eft le principe , & l’amour qui en eft la fin;, les Saints ont auffi pour l’erreur ces deux fentimens de haine & de mdpris , & leur' zdle s’emploie dgalement ii repouffer avec force la malice des Impies, & £ confondre avec rifee leur dgarement & leur folie. Ne prdtendez done pas, mes Peres , de A 2' faire 4 XL L E T T R E. faire accroire au monde que ce foit une chofe indigne d’un Chretien, de traiter les erreurs avec moquerie ; puifqu’il eft aifb de faire connoitre ii ceux qui ne le fauroient pas, que cette pratique eft jufte, qu’elle eft commune aux Peres de l’Eglife , & qu’elle eft autorifde par l’Ecriture, par J’exemple des plus grands Saints , & par celui de Dieu mdme. Car ne voyons-nous pas que Dieu hait & meprife les pecheurs tout enfemble , jufques-li mdme qu’a l’heure de leur mort, qui eft le terns oh leur 6tat eft le plus deplorable & le plus trifte , la Sagefle Di¬ vine joindra la moquerie & la rifde a la vengeance & k la fureur qui les condam- nera a des fupplices dternels: In interim veftro ridebo cif fubfamiabo. Et les Saints agiflant par le mdme efprit en uferont de mdme , puisne felon David quand ils ver- ront la punition des mdchans, ils en trem• bleront enrironten meme terns: Videbunt, jujli, & timebunt: & fuper eum ridebunt „ Et Job en parle de mdme: Innocens fub• fannabit eos. Mais c’eft une chofe bien remarquable fur ce fujet, que dans les prdmieres paro¬ les que Dieu a dites & l’homme depuis fa chute, on trouve un difcours de moque¬ rie , & une ironie piquante , felon les Peres. Car apres qu'Adam eut defobdi dans I’efpe- rance que leDdmon lui avoit donnde d’e¬ tre fait femblable k Dieu , ils paroit par l’Ecriture que Dieu en punition le rendie SE RAILLER DES ErREURS^ 5 fojet & la mort, & qu’apres 1’avoir rdduic & cette mifdrable condition qui dtoit due & fon pdchd,il fe moqua de lui en cet dtat par ces paroles de rifde: Voild I'bomms qui ejl devenu cmme I'un de nous : Ecce Adam quafi unus ex nobis : Ce qui eft une ironie Jimglante & fenjible , dont Dieu le piquoit '’vivement , felon St. Jer6me & les Interpre- tes. Adam, dit Rupert , miritoit d’etre ratt¬ le par cette ironie , & on lui faifoit fentir fy folie lien plus vivement par cette expreffion ironique , que par une expreffion J'erieufe. Ee Hugues de St. Vidtor, ayant dit la mdme chofe, ajoute, que cette ironie etoit due a fa fotte credulite; & que cette efpece de raillerie eft une aStion de jujtice , lorfque celui envers qui on en ufe , l'a meritee. Vous voyez donc,mes P&res,que'Ia mo- querie eft quelquefois plus propre d faire revenir les homines de leurs dgaremens, & qu’elle eft alors une adtion de juftice; parce que, comme die Jerdmie,/er aStionsdeceux qui errent font dignes de rifee, d caufe de leur vaniti: vana funt & rifu digna, Et e’eft ft peu une impidtd de s’en rire, que e’eft l’ef- fet d’une fagefte divine, felon cette parole deSt. Auguftin: Lesfagesrient des infenfez , parce qu’ils font pages , non pas de leur propre fageffe , mais de cette fagejje divine qui rim de la mort des miebans. Audi les Prophbtes remplis de l’efprit de Dieu ont ufd de ces moqueries , comme nous voyons par les exemples de Daniel & d’EUe. Enfin il s’en trouve des exera- A 3 pies 6 XL Lettre. Erreurs des Cas. pies dans les difcours de jefus- Chrift m§- jne: & St. Auguffin remarque , que quand il voulut humilierNicodeme, qui fe croyoit habile dans l’intelligence de la Loi: Comma il le voyoit enjU d’orgueil parfa qualiUde Doc- teur des Juifs , il exerce £jp elonne fa pre¬ emption par la hauteur de fes demand.es , £? Pay ant reduit d l'impuiffance de repondre: Ouoi, lui dit-il, vous etes Maitre en Jfrael,&vous ignorez ces chofes 1 Ce qui eft le tneme que s’il eilt dit: Prince fuperbe , recovnoijfez que vous ne fcivez rien. Et St. Chryfoftome & St. Cyrille difent fur cela, qu’il meritoit d'e¬ tre joue de cette forte. Vous voyez done, mes Peres , que s’il arrivoit aujourd’hui que des perfonnes qui feroient les Maitres envers les Chrbtiens, comme Nicodeme & les Pharifiens envers les Juifs, ignoroient les principes de la Re¬ ligion , & foutenoient par exemple, qu’on pent etre fauvi fans avoir jamais aimi Dieu en toutefa vie, on fuivroit en cela l’exem- ple de Jdfus-Chrift , en fe jouant de leur vanitb & de leur ignorance. Je m’alfure, mes Peres , que ces exem- ples facrez fuffifent pour vous faire enten¬ dre, que ce n’eft pas une conduite contrai- re a celle des Saints , de rire des erreurs & des egaremens des hommes : autrement il faudroit bl&mer celle des plus grands Dofteurs de J’Eglife qui font pratiquee, comme St. Jbrdme dans fes Lettres& dans fes Ecrits contre Jovinien , Vigilance , & les Pdlagiens : Tertullien dans fon Apolo- ge- DIGUES D’ETRE JOUE’ES^ 7 gdtique contre les folies des Idolatres: St. Auguftin contre les Religieux d’Afrique qu’il appelle les Chevelus : St. Irenbe contre les Gnoftiques: St. Bernard, & les autres Pe¬ res de l’Eglife, qui ayant dte les imitateurs des Apdtres , doivent btre imitez par les fideles dans toute la fuite des terns ; puif- qu’ils font propofez , quoiqu’on en dife , comme le veritable modele des Chrdtiens, mbme d’aujourd’hub Je n’ai done pas cru failliren les fuivant. Et comme je penfe l’avoir affez montrd, je ne dirai plus fur ce fujet que ces excel- lentes paroles de Tertullien , qui rendent raifon de toutmon proebdd. Ce que j’ai fait n’eft qu’un jeu avant un veritable combat. J'ai plutot montre les blejjures qu'on vouspeut faire , que je ne vous en ai faites. Oiie s'il fe trouve des endroits oil l'on foit excite a, rire y c’ejl parce que les fujets mimes y portoient, II y a beaucoup de cbofes qui meritent d’etre mo- quees & jouies de la forte , de peur de leur donner du poids enles combattant firieufement. Rien n'eft plus dd ala vanite que la rifee ;&c'eft proprement d la verite qu’il appartient de rire , parce qu’elle eft gaye, & de J'ejouer de fes en- nemis, parce qu’elle eft affuree de la viiloire. II eft vrai qu’il fautprendre garde que les railleries ne foientpas baffes & indignes dela virite. Mais d cela pres , quand on pourra s’en fervir avec adrejfe , e'eft un devoir que d’en ufer. Ne trouvez-vous pas, mes Peres, que ce paf- fage eft bien jufte a notre fujet. Les Let- ires que j’ai faites jujques-ici , ne font qu’un A 4 jeu 8 XI. Lettre. Erreurs bes Cas. feu avant un veritable combat. Je n’ai fait encore que me j^uer, vous montrer plu- tot les blejjures qu’on vous peut faire, que je ■ne vous en uifaites. J’ai expoie (implement ■vos paflages fins y faire prcfque de refle¬ xion. Que fi on y a ete excite a rire , c’eji puree que les J'ujUs y portoient d'eux-memes. Car qu T y a-t il de plus propre a exciter k xire, que de voir une chole auffi grave que la Morale Chretienne, remplie d’imagtna- tions auili grocefques que les vdtres? On conqoit une fi haute attente de ces maxi- mes , qu’on die que Jesos- Christ a lui- mime revilies a des Peres de la Societi, que quand on y trouve qu’un Pretre qui a re- fu de l’argent pour dire une MeJJe , peut outre cela en prendre d’autres perfonnes , en leur cidant toute la part qu'il a au facri- fice : qu’un Religieux n’efb pas excommunii pour quitter fon babit ,lorf que c’eft pour dan- Jer , pour filouter , ou pour aller incognito en des lieux de dibauche: & qu’on fatisfaii au precepte d'ou'ir la MeJJe , en entendant quatre quarts de MeJJe a la fois de differens Pretres: lors, dis-je, qu’on entend ces ddcifions & autres femblables , il eft impoffihle que eette furprife ne fade rire; parce que riea n’y porre davantage.qu’une difpropordon furprenante entre ce qu’on atcend & ce qu’on voit. Et comment auroit-on pu traiter autrement la plupart de ces matu¬ res? puifque ce feroit les automfer, que de jes traiter ferieufement, felon Tertullien. Quoi, faut-il employer la force dp I’E- cri» PIGNES D’ETRE JOUe’eS. 9 eriture & de la Tradition pour montrer que c’eft tuer ion ennemi en trahifon, que de lui donner des coups d’dpee par der- ridre & dans une embuche ; & que c’eft achecer un Bdneiice, que de donner de /’argent comme un motif pour fe Je faire rdfignerV II y a done des matieres qu’il faut mbprifer , & qui mtritent d'etre jouees moquees. Enfin ce que dit cet ancien Au¬ teur , que rien n'ejl plus dH a la •vanite que la rijee ; & le reite de ces paroles s’appli- que ici avec tant de jufteffe & avec une force ft convaincante,qu’on nefauroitplus douter qu’on peut bien rire des erreurs fans blefter la bienfbance. Et je vous dirai aufli, mes Pdres, qu’on en peut rire fans blefter la charite , quoi- que ce foit une des chofes que vous me re- prochez encore dans vos Ecrits. Car la eba - rite oblige quelquefois d rire des erreurs des hom¬ ines , pour les porter eux-memes a en rire & a lesfuir, felon cette parole de St. Auguftin : Here tu mifericorditer irride „ ut eis ridenda acfugienda commendes. Et la mdme charite oblige auili quelquefois k les repouffer avec coldre, felon cette autre parole deSt. Grb. goire de Nazianze: L'efprit de charite e? de douceur a Jes motions&fes coleres. En effet, comme dit St, Auguftin, Qui oferoit dire que la write doit demeurer defarmee contre le men- fonge; &? qu’il fera permis aux ennemis de la foi d’effrayer les fideles par des paroles fortes, (&? de les rijoutr par des rencontres d’efprit agreables ; mais que les Catboliques ne doivent A j ecrire io XI. Lettre. Erreurs des Cas. ecrire qu’avec me froideur de Jlile qui endor- vie les Lett ears? Ne voic-on pas que felon cette condui- te on lailferoit introduce dans l’Eglife les erreurs les plus extravagantes & les plus pernicieufes, fans qu’il ffit permis de s’en moquer avec mepris, de peur d’dtre accu- fd de bleffer la bienfbance; ni de les con- fondre avec vehemence , de peur d’dtre accufe de manquer de charitd? Quoi , mes Peres, il vous fera permis de dire, qu’on pent tuerpour eviter unfouf- jlet me injure; & il ne fera pas permis de rdfuter publiquemeiit une erreur publi- que d’une telle confdquence ? Vous aurez la libertd de dire, qu’an Jugepeuten con- fcience retenir ce qu'it a regu pour faire une injufiice , fans qu’on ait la libertd de vous contredire ? Vous imprimerez avec privi¬ lege & approbation de vos Dodleurs , qu’on pent etre fauve fans avoir jamais aime Dieu; & vous fermerez la bouche £ ceux qui ddfendront la veritd de la Foi, en leur difant qu’ils blefferoient la charite deFreres en vous attaquant, & la modellie des Chre¬ tiens en riant de vos maximes? Je doute, mes Pdres, qu’il y ait des perfonnes a qui vous ayez pu le faire accroire: mais ndan- moins s’il s’en trouvoit qui en fftflent per- fuadez, & qui crfiffent que j’aurois blelfe la charitd que je vous dois, en decriant votre Morale; je voudrois bien qu’ils exa- minaffent avec attention, d’oh nait en eux ce fentiment. Car encore qu’ils s’imagi- nent DIGNES D’ETRE JOUE’ES. , II nent qu’il part de leur zele , qui n’a pu fouftrir fans fcandale de voir accufer leur procbain ; je les pridrois de confiderer qu’il n’eft pas impoflible qu’il vienne d’ail- leurs; & qu’il eft mdme affez vraifembla- ble, qu’il vient du deplaifir fecret & fou- vent cache a nous-mdmes, que le malheu- reux fond qui eft en nous ne manque ja¬ mais d’exciter contre ceux qui s’oppofent au reldcbement des Moeurs. £t pour leur donner une regie qui leur en fafle recon¬ noitre le veritable principe , je leur de- manderai, ft en meme terns qu’ils fe plat- gnent de ce qu’on a traite de la forte des Religieux , ils fe plaignent encore davantage de ce que des Religieux ont traitd la Vdrite de la forte. Que s’ils font irritez non feulement contre les Lettres, mais encore plus contre les maximes qui y font rapportdes, j’avouerai qu’il fe peut faire que leur reflentiment parte de quel, que zele , mais peu dclaird ; & alors les paflages qui font ici , fuffiront pour les eclaircir. Mais s’ils s’emportent feulement contre les reprehenfions, & non pas con¬ tre les chofes qu’on a reprifes;en verite, mes Peres, je ne m’empdcherai jamais de leur dire qu’ils font groffierement abufez, & que leur zele eft bien aveugle. Etrange zdle qui s’irrite contre ceux qui accufent des fautes publiques, & non pas contre ceux qui les cotnmettent! Quel¬ le nouvelle charitd, qui s’offenfe de voir confondre des erreurs manifeftes, & qui DQ 1 4 XL Lettre. Erreurs des Cas. ne s’offenfe point de voir renverfer la Mo¬ rale par ces erreurs ! Si ces perfonnes d- toienc en danger d’dtre aflaffindes, s’offen- feroient-elles de ce qu’on les avertiroit de l’embuche qu’on leur drefle; & au lieu de fe ddtourner de leur chemin pour 1’dviter, s’amuferoient-elles ei fe plaindre du peu de chari td qu’on auroit eu de ddcouvrir le deffein crirainel de ces aflaffins? S’lrritent- ils lorsqu’on leur die de ne manger pas d’u- ne viande, parce qu’elle eft empoifonnde, ou de n’aller pas dans une ville , parce qu’il y a la pefte? D’oii vient done qu’ils trouvent qu’on manque de charitd, quand on ddcouvre des maximes nuifibles & la Religion; & qu’ils croient au-contraire qu’on manque- roit de charitd, ft on ne leur ddcouvroit pas les chofes nuifibles & leur famd & k leur vie : finon parce que l’amour qu’ils ont pour la vie , leur fait recevoir favo- rablement tout ce qui contribue & la con- ferver ; & que 1’indifference qu’ils ont pour la vdritd, fait que non feulement ils ne prennent aucune part a fa defenfe, mais qu’ils voient mdrne avec peine qu’on s’ef- force de ddtruire le menfonge ? Qu’ils confiddrent done devant Dieu, combien la Morale que vos Cafuiftes rd- pandent de toutes parts, eft honteufe & pernicieufe h l’Eglife: combien la licence qu’ils introduifent dans les Mceurs, eft fcandaleufe & demefurde: combien la har- dieffe avec laquelle vous les fouteneg, eft EIGNES D’ETRE JOUE’es. 13 opiniatre & violente. Ec s’ils ne jugenc qu’il eft terns de s’dlevercontre de tels del- ordres, Jeur aveuglemenc fera aufH & plairi- dre que le vdtre, mes Peres; puifque & vous & eux avez un pareii fujet de crain* dre cette parole de Sc. Auguftin fur celle de Jdfus Chrift dans i’Evangile : Malheur aux aveugles qui conduifent ymalheur aux aveugles qui font conduits : Vt ccecis ducenti - bus , vie ccecis fequentibus. Mais afin que vous n’ayez plus lieu de donner ces impreflions aux autres, ni de les prendre vous-mdmes ; je vous dirai, mes Peres, (& je fuis honteux de ce que vous m’engagez & vous dire ce que je de- vrois apprendre de vous) je vous dirai done quelles marques les Peres de l’Eglife nous one donnees, pourjugerft les repre- henfions partent d’un efpric de pidte & de charitd , ou d’un efpric d’impiete & de haine. La premiere de ces regies eft, que l’efprit de pidtd porte toujours a parler avec vdritd & fmceritd; au lieu que l’envie & la haine emploienc le menfonge & la calomnie : Splendentici & vehementia , fed rebus veris, die Sc. Auguftin. Quiconque fe fere du menfonge, agit par l’efpric due Diable. XI n’y a poinc de direfiion d’inten- tion qui puifte rectifier la_ calomnie: & quand il s’agiroit de convertir toute la cer- re, il ne feroit pas permis de noircir des perfonnnes innocences; parce qu’on ne doit pas faire le moiudre mal pour faire r^uffif 14 XL Lettre. Erreurs des Cas. rduffir le plus grand bien, & que la virlt'i de Dieu n’a pas befoin de noire menfonge , fe¬ lon 1’Ecriture. II eft du devoir des defen- feurs de la verite , die St. Hilaire, de n'a< vancer que des cbofes vraies. Audi , mes Peres, je puis dire devant Dieu qu’il n’y a rien que je ddtefte davantage, que de bleffer tant foit peu la veritd,- & que j’ai toujours pris un foin tres-particulier, non feulemenc de ne pas falfifier, ce qui feroit horrible, mais de ne pas alterer, ou dd- tourner le moins du monde le fens d’un paf- fage. De forte que fi j’dfois me fervir en cette rencontre des paroles du mdme St. Hilaire, je pourrois bien vous dire avec lui. Si nous difons des cbofes faujjes , que mes difeours foient tenus pour infames : mais fi nous montrons que celles que nous produifons font publiques & manifeftes , ce n'eft point fortir de la modejtie & de la liberte Apoftolique de les reproeber. Mais ce n’eft pas aflez, mes Pdres, de ne dire que des chofes vraies, il faut en. core ne pas dire toutes celles qui font vraies; parce qu’on ne doit rapporter que les chofes qu’il eft utile de decouvrir, & non pas celles qui ne pourroient que blef¬ fer, fans apporter aucun fruit. Et ainfl comme la prdmiere regie eft de parleravec vdritd, la feconde eft de parler avec difere- tion. Les meebans , dit St. Auguftin, per- fecutent les bans en fuivant Vaveuglement de la paffion qui les anime, au lieu que les bons perfecutent les mechans avec une fage difrre- tion; DIGNES D ETRE JfOUE ES. 15 lion: de mime que les Cbirurgiens confiderent ce qu'ils coupent, au lieu que les meurtriers ne regardent point oil ils frappent. Vous fa- vez bien, mes Peres, que je n’ai pas rap- porte des maximes de vos Auteurs, celles qui vous auroient dtd les plus fenfibles, quoique j’eufle pu le faire, & mdme fans pdcher contre la difcretion, non plus que de fa vans hommes & tres-catholiques, mes Peres , qui l’ont fait autrefois. Et tous ceuxqui ont lu vos Auteurs, favent aufll bien que vous, combien en cela je vous ai epargnez: outre je n’ai parld en aucune forte concre ce qui vous regarde chacun en particular ; & je ferois fache d’avoir rien dit des fautes fecretes & perfonnel- les , quelque preuve que j’en eflfie. Car je fai que c’eft le propre de la haine & de l’animolke , & qu’on ne doit jamais le fai¬ re & moins qu’il n’y en ait unendceffitdbien preflante pour le bien de l’Eglife. II eft done vifible que je n’ai manqud en aucune forte a la difcretion, dans ce que j’ai dtd obligd de dire touchant les maximes de votre Morale; & que vous avez plus de fu jet de vous louer de ma retenue, que de vous plaindre de mon indiferdtion. La troifieme regie, mes Peres, eft que quand on eft oblige d’ufer de quelques rail¬ leries, l’efprit de pidte porte a ne les em¬ ployer que contre les erreurs, & non pas contre les chofes faintes; au lieu que l’ef¬ prit de bouffonnerie , d’impidtd & d’he- refie, fe rit de ce qu’il y a de plus faerd. t6 XL L E T T R E. Je me fuis deja juftifid fur ce point ; & on eft bien dloignd d’dtre expofe a ce vice, quand on n’a qu’k parler des opinions que j'ai rapportdes de vos Auteurs. Enfin, mes Pdres, pour abrdger ces re¬ gies, je ne vous dirai plus que celle ci ,qui eft le principe & !a fin de toutes les autres. C’eft que l’efprit de charitd porte a avoir dans le cceur le ddfir du falut de ceux con- tre qui on parle, & & adrefler fes prieres k Dieu, en mdme terns qu’on adrefle fes re- proches aux hommes. On doit toujours , dit St. Auguftin, covferver la chariti dans le cceur, lors mime qu’on eft obligi de faire an dehors des chofes qui paroijfent rudes aux hommes , fj? de les frapper avec une dpreti du¬ re , mais bienfaifante ; leur utilite devani etrepreferee d leur J'atisfaction. Je crois, mes Peres, qu’il n’y a rien dans mes Lettres qui temoigne que je n’aye pas eu ce ddfit pour vous; & ainfi la charitd vous oblige & croire que je l’ai eu en effet, lorsque vous n’y Voyez rien de contraire. II pa- roit done par-ia que vous ne pouvez mon- trer, que j’aye pdchd centre certe rdgle, ni contre aucune de celles que la charitd oblige de fuivre; & c’eft pourquoi vous n’avez aucun droit de dire, que je l’aye bleflde en ce que j’ai fait. Mais fi vous voulez, mes P&res , avoir maintenant le plaifir de voir en peu de mots une conduite qui peche contre cha- cune de ces regies , & qui porte vdrita- ^lement le caradtere de l’efprit de bouf- fon» BoUFFONNERIES DU P. LE MoiNE. I 7 fonnerie, d’envie & de haine. ]e vous en donnerai des exemples; & afin qu’ils vous foient plusconnus & plus familiers, je les prendrai de vos Ecrits memes. Car pour commencer par la maniere in- digne dont vos Auteurs parlent des chofes faintes, foit dans leurs railleries, foit dans leurs galanteries , foit dans leurs difcours fdrieux ; trouvez- vous que tant de contes ridicules de votre P. Binet dans fa Confola- tion des Malades , foient fort propres au deflein qu’il avoit pris de confoler Chrd- tiennement ceux que Dieu affliae? Direz* vous que la maniere fi profane &fi coquet* te dont votre P. le Moine aparldde la pid- tedans fa Devotion Ai/ee bit plus propre i donner du relpedl que du mepris pour l’i- dde qu’il forme de la Vertu Chrdtienne? Tout fon Livre des Peintures Morales refpi- re-t-il autre chofe, & dans fa prole, & dans fes vers, qu’un eiprit plein de la vanitd & des folies du monde? Eft ce une piece di- gne d’un Prdtre, que cette Ode du 7. livre intitulde, Eloge de la Pudeur, oil il eft mon- tre que toutes les belles chofes font rouges , ou. fujettes d rougir. C’eft ce qu’il fit pour con* foler une Dame , qu’il appelle Delphine , de ce qu’elle rougiffoit fouvent. Ilditdonc h chaque ftance , que quelques-unes des chofes les plus eftimdes font rouges, com- me les rofes, les grenades, la bouche , la langue; & c’eft parmi ces galanteries hon- teufes k unReligieux, qu’ft ofe mdlerinfo- lemment ces Efprits bienheureux, qui af- Tome III. B fiftent I g XI. L E T T R E. fiftent devant Dieu, & dont les Chrdtiens ne doivent parler qu’avec veneration. Les Cherubins , ces glorieux Compofez de tete & de plume, Ojie Dieu de fin efprit allume , Et qu’il iclaire de Jes yeux ; Ces illujlres faces volantes Sont toujours rouges & brulantes, Soit dufeu de Dieu , foit du leur % Et dans lears flames mutuelles Font du mouvement de leurs attes Un e'ventail d leur chaleur. Mais la rongeur eclatte en toi t Delphine , avec plus d’avantage, Quand I’bonneur ejt fur ton vifage F'etu de pourpre comme un Roi, &c. Qu’en dites-vous, mes Peres ? Cette pre¬ ference de la rougeur de Delphine a l’ar- deur de cesEfprits, qui n’en ont point d’au- tre que la charite ; & la comparaifon d’un eventail avec ces ailes myftdrieufes, vous paroit-elle fort Chrdtienne dans une bou- che qui confacre le corps adorable de J£* iuS'Chrift? ]e fai qu’il ne l’a dit que pour faire le galant & pour rire ; mais c’eft cela qu’on appelle rire des Chofes Saintes. Et n’eft-il pas vrai que fi on lui faifoit juftice, il ne fe garandroit pas d’une cenfure ? quoi- que pour s’en ddfendre il fe fervft de cette raifon, qui n’eft pas elle-meme moins cen- furable, qu’il rapporte au Livre i. Que la Sorbonne n’a point de jurifdiction fur le Par- 1 najfe , Impiete’ du P. Garasse. 19 naffe , & que les erreurs de ce pais Id ne font Jujettes ni aux CenJ'ures ni d I’lnquijition , comme s’il n’etoit defendu d’etre blaiphd- xnateur &impiequ’en profe. JVlais au-inoins od n’en garantiroit pas par-la cet autre en- droit de 1 ’avant-propos du mbme Livre : Que I’eau de la riviere au bord de laquelle il a compoft fes vers , eft Jipropre dfaire des Poe- tes , que quand on en feroit de I’eau benite , elle ne cbafteroit pas le demon de laPoefie : non plus que celui-ci de votre P. Garalle dans la Somme des Vbritez Capitales de la Re¬ ligion pag. 649, 011 il joint le Blafphdme a l’Hbrdfie,en parlant du Myftere facrede l’lncarnadon de cette forte : La perfonali- te humaine a ete comme entie ou mife a che- val fur la perfonaliti du P'erbe. Et cet au¬ tre endroit du mdme Auteur p. 510. fans en rapporter beaucoup d’autres, 011 il dit fur le fujet du Nom de Jesus , figurd ordinairement ainli ms , Que quelques-uns en ont ote la croix pour prendre lesfeuls ca - raSteres en cette forte , ihs> qui eft un J e- 5 u s devalift. C’eft ainli que vous traitez indignement les vdritez de la Religion,contre la rdgle inviolable qui oblige a n’en parler qu’avee rdvdrence. Mais vous ne pdchez pas moins contre celle qui oblige & ne parJer qu’a- vec vdritd & difcrdtion. Qu’y a-t il de plus ordinaire dans vos Ecrits que la ca- jomnie ? Ceux du P. Brifacier font-ils fin- cdres ? Et parle-t-il avec veritd, quand il dit 4. part. p. 24. & 2j, que les Religieu- io XI. L E T T R 2. fes de Port-Royal ne prient pas les Saints, & qu’elles n’ont point d’images dans leur Eglife? Ne font-ce pas des fauffetez bien hardies , puifque le contraire paroit & la vue de tout Paris? Et parle-t-il avec difcrb- tion , quand il dbchire 1’innocence de ces Filles, dont la vie eft ft pure & fi auftere, quand il les appelle des Filles impenitentes , afacramentaires , incommuniantes, des Vierges folles, fantajliques, Calagqnes , defefperees, £? tout ce qu’il vous plaira , & qu’il noircit par tant d’autres mbdifances, qui ont mb- rite la ceniure de feu Mr. l’Archevbque de Paris ? Quand il calomnie des Prbtres, dont les mceurs font irreprochables , jufqu’a di¬ re i. part. p. 22 . Qii'ils pratiquent des nou- veautez dans les ConfeJJions , pour attraper les Idles 6? les innocentes ; qu'il auroit bor- reur de rapporter les crimes abominables qu’ils commettent ? N’eft-ce pas une tbmbrite in- fupportable d’avancer desimpofturesfinoi- res, non feulement fans preuve, mais fans la moindre ombre, & fans la moindre ap- parence ? Je ne m’btendrai pas davantage fur ce fujet, & je remets & vous en parler plus au long une autre fois: car j’ai ii vous entretenir fur cette matiere , & ce que j’ai dit fuffic pour faire voir combien vous pb- chez cotitre la veritb & la difcrbtion tout enfemble. Mais on dira peut-btre , que vous ne pb* chez pas au-moins contre ladernibre rbgle, qui oblige d’avoir le dbfir du falut de ceux qu’on dbcrie ; & qu’on ne fauroit vous en accufer Calomnies contre Port-Royal 21 accufer fans violer le fecret de votre cceur, qui n’eft connu que de Dieu feul. C’eft une chofe derange, mes Peres, qu’on aic neanmoms de quoi vous en convaincre : que votre haine contre vos adverlaires ayant dtd jufqu’d fouhaiter leur perte dternelle, votre aveuglement ait dtd jufqu’d ddcou- vrir un fouhait fi abominable : que bien loin de former en fecret des ddfirs de leur falut, vous ayez fait en public des veeux pour leur damnation : & qu’aprds avoir produit ce malheureux fouhait dans la ville de Caen avec le fcandale de tou- te l’Eglife, vous ayez 6fd depuis foutenir encore k Paris dans vos Livres imprimez une addon 11 diabolique II ne fe peut rien ajouter k ces exeds contre la pidtd: railler & parler indignement des chofes les plus faerdes: calomnier les Vierges & les Prdtres faulfement & fcandaleufement: & enfin former des ddfirs & des veeux pour leur damnation. Je ne fai, mes Pd- res, fi vous n’dtes point confus, & com¬ ment vous avez pu avoir la pcnfde de m’accufer d’avoir manqud de charitd,moi qui n’ai parld qu’avec tant de vdritd & de retenue , fans faire de rdflexion fur les horribles violemens de la charitd, que vous faites vous.mdmes par de li ddpiorables emportemens. Enfin, mes Peres, pour conclure par un autre reproche que vous me faites,de ce qu’entre un fi grand nombre de vos maxi- mes que je rapporte, il y en a quelques- B 3 unes 22 XI. L E T T R E. lines qu’on vous avoit deja obje&des, far quoi vous-vous plaignez de ce que je redis contre vous ce qui avoit ite dit. Je reponds que c’eft au contraire, parce que vous n’a- vez pas profitb de ce qu’on vous I’a deji dit, que je vous le redis encore. Car quel fruit a-t-il paru de ce que de favans Doc- teurs, & i’Qniverfitd emigre vous en ont repris par tanc de Livres ? Qu’ont fait vos Peres Annat, Cauffin ,Pintereau, & le Moi- ne , dans les rdponfes qu’ils y ont faites , linon de couvrir d’injures ceux qui leur a- voient donnd ces avis falutaires ? Avez- vous fupprimd les Livres ou ces mechantes maximes fontenfeignbes ? En avez-vous re- prime les Auteurs ? En dtes-vous devenus plus circonfpe&s ? Et n’eft * ce pas depuis ce tems-ld qu’Efcobar a tant btb imprimb de fois en France, & aux Pai's-Bas-, &. qus vos Peres Cellot , Bagot, Bauny , Lami, le Moine, & les autres , ne ceflent de pu- blier tous les jours les mbmes chofes , & de nouvelles encore auffi licentieufes que jamais? Ne*vous plaignez done plus, mes Peres, ni de ce que je vousai reprocne des maximes que vous n’avez point quitbes, ni de ce que je vous en ai objedlb de nou. velles, ni de ce quej’ai ri de routes. Vous n'avez qu’& ]e$ confiderer pour y trouver votre confufion & ma dbfenfe. Qui pourra voir fans en rire la dbcifion du P. Bauny pour celui qui fait brfiler une grange icelle du P. Cellot pour la reftitution : le regle- ment de Sanchez en faveur des Sorciers: CaLOMNIES CONTKE PoRT-RoYAl. 23 la maniere dont Hurtado fait dviter le pe- chd du duel , en fe promenant dans un champ, & y attendant un hornrne: les com- phmens du P. Bauny pour dviter l’ufure : la maniere d’eviter la fimonie par un de¬ tour d’intention, & celle d’eviter le men- fo nge en parlant tantdt haut, tantdt bas ; & le refte des opinions de vos Do&eurs les plus graves? En faut-il davantage, mes Pdres, pour me jultifier ? Et y a-t-il rien de mieux dd d la vanite & a la foiblejje de ces opinions, que la rifee , felon Tertuilien? Mais, mes Peres, la corruption des moeuvs que vos maximes apportent, eit digne d’ti¬ ne autre confideration , & nous pouvons bien fa ire cette demande avec le mdme Tertuilien: Faut-il rire de leur folk , ou de¬ plores leur avcuglement ? Rideatn vanitatem, an exprobrem caecitatem ? Jecrois, mes Peres, qu'on peut en rire & en pleurer a fon cboix: Hxc rolerabiliiis vel ridentur, vel flentur , dit St. Auguilin. RecOnnoiiTez done, qu’il a un terns de rire & un tuns de pleurer , felon l’Ecriture. Ec je fouhaite , mes Peres , que je n’eprouve pas en vous la vdritd de ces paroles des Proverbes: Qjfil y a des perfonnes fi peu raifonnables , qu'on 11 en peut avoir de fatisfadlion de quelque ma¬ niere qu’on agijfe avec eux , foit qu’on rie , fnt qu’on fe mette en colere. 24 I. Note sue la XI. Lettre, NOTE PREMIERE S U R LA ONZIE’ME LETTRE. Des Railleries de Montalte. Qtdil a fngement choijt ce genre d'e'erire. A Pres avoir rdfutd les calomnies par Iefquelles les Jdfuites ont tkhd en vain de dormer at- teinte a la do&rine & 4 la fiddlitd de Montalte dans fes prdmidres Lettres, nous allons le fui- vre dans les autres , & ie voir fe juftifier lui- meme contre tous les reproches de fes enne- mis. II le fait avec tant d’exa&itude & de force , qu’il prdvient & qu’il ru'ine jufqu’a leurs moindres chicanes. Aufll eft-ce une chofe fur- prenante que de voir la foibleffe de ce qu’ils out publid depuis , pour fe relever des coups qu’il leur a portez. Le plus fouvent manquant de raifons, tneme apparentes, ils ont recours a des declamations frivoles , aux injures & aux calotnnies. C’eft ce qu’on commence de voir des cette Lettre. Je cherche dans toute la reponfe (t) qu’ils y out faite , quelque chofe qui merite d’etre re- lev<§, & je n’y trouve prefque rien qui ne foie plus digne de rifde que d’une refutation {&• rieufe. I!s avouent que les Peres ont quelque-' fois employd avec pidtd la raillerie contre des dogmes impies. Cell done injuftement qu’ils s’etn- (i) 2. part, des Imps]}, tip, k la Onz. Lett, Des railleries de Montalte. 25 s’emportent, comme ils font, contre Montalte; car c’eft-14 uniquement ce qu’il a voulu proa- ver dans cette Lettre. Mais ils nient qu’on puiffe raettre au nombre des dogmes impies les opinions de leurs Auteurs. La quefiion fe rd- duit done a favoir fi les opinions que Montal¬ te a attaqudes dans les Cafuiftes, font impies. Et fi ce qu’il dit dans les Lettres fuivantes, & ce que nous y ajoutons dans ces Notes, prou- ve que ces opinions font impies , cela prouve en mdme terns qu’elles mdritent qu’on s’en rail- le. Ainfi ce qu’il a eu deflein de montrer ici, qu’il y a des erreurs qu’on peut rdfuter par des railleries , demeure toujours certain & incon- tettable. Mais jamais le cara&ere des Jefuites, qui eft la fiertd & la vanitd , ne parut davantage, que par la maniere dont ils regoivent ces railleries. Montalte les convainc des relachemens les plus honteux dans la Morale. 11 auroit pu s’dlevtr contre eux avec toute la force que mdritoient de pareils exces. II fe contente de les avertir par des railleries agrdables & falutaires de fe corriger eux-memes. Que font fur cela les J6- fuites ? 11 femble qu’ils devoient tenir compte a Montalte de cette moderation, & profiter de fes avis. Mais au - contraire, ils font tout ce que la vengeance peut infpirer A des gens or- gueilieux. Quelquefois ils s’emportent d’une maniere Strange, ils menacent, ils chargent d’injures leurs adverfaires , ils rdpandent contre eux les calomnies les plus atroces: il ne leur ref- te enfin que de mettre le flambeau A la main de la populace, pour rdduire leurs maifons en cen- dres. Et d’autrefois piquez jufqu’au vif, ils s’a- bandonnent a des plaintes pudriles, & 4 des gd- miflemens qui ne conviendroient qu’il des fem- B 5 mes; 26 I. Note sur ea XI. Lettre. mes; iis exaggerent Ie tort que leur font leurs ad- verfaires; & ies railleries ies plus Iggeres leur paroiffent plus infupportables que les plus cruels fupplices. C’efl: ce que l’on voit dans cette Apologie ful- minante qu’ils ont publile pour la d6fenfe des Cafuiftes. Car I’Auteur qui ne refpire dans toute cette piece que le meurtre, le fang, 6c Pincendie, fait des lamentations dont un enfant auroit hon- te , lorsqu’il vient aux railleries de Montalte. „ Les plus cruels fupplices , dit-il (i), ne font „ pas toujours ceux que l’on fouffre dans Ies „ banniffemens , fur les gibets, & fur les roues. „ Le fupplice que Ton a fait fouffrir a des mar- „ tyrs que Ton frottoit de miel pour apres les „ espoferattx piqures desguepes & des bourdons, „ a 6r,6 plus cruel que beaucoup d’autres qui ,, femblent plus horribles , & qui font plus de „ companion. La persecution qu’ont fouffert les „ Jeefuttes par les bouffbnneries de Port-Royal a ,, quelque chofe de femblable: leurs tyrans ont „ fait l’inftrument de leurs fuppiices, des dou- 5, ceurs empoifonn6es d’un enjouement cruel; „ & le monde les aabandonnez& iaiffez expofez „ aux piqures fanglantes de la calomnie. . . Je „ ne doute point que les banniffemens & les ,, martyres meme n’ayent 6te moins facheux, & „ plus aifez a fupporter, que l’abandonnement „ que cette Soci£t6 s’eft vue contrainte de fouf- „ frir parmi ces railleries. Ce Jefuite deguite ne pouvoit pa? mieux d6- couvrir 1’orgueil, ni mieux faire connottre la foi- bleffe de la Soci6t6,que par ces plainces fl ame- res. Mais rien en meme terns ne fait mieux voir, comrne je l’ai dcJjA reinarque, que Montalte, qui pou* (>) P- 174 - Des railleries de Montalte. 27 pouvoit exceller en tout autre genre d’dcrire, n’en pouvoit choifir un plus propre a fon deflein. C’dtoit ainfi qu’on devoit traiter ces fortes de gens. L’orgueil dtoit Ieur plus grand mal: rien nel’abaifle, rien ne le mortifie davantage que la railierie. Quand on reproche aux Jdfuites qu’ils font emportez, qu’ils font cruels , qu’ils oppri* ment l'Eglife par une injufte domination, qu’ils fdduifent les peupies par leurs flateries , qu’ils gagnent la faveur des Rois par leurs complaifan- ces, & qu’ils prdviennent par leurs caloinnies l’efprit du Pape contre leurs adverfaires , ces plaintes ont quelque chofe qui leur plait. Cette image de puiirance & de credit fur laquelle elles font fondles , flatte leur amour-propre. Mais plus ils ont de vanitd, moins ils veulent paiTer pour ridicules. On ne peut done aflez louer la fagefle de Montalte , d’avoir choifi le remede dont ils avoient le plus befoin. II a portd le fer medicinal jufques dans la plaie & dans l’endroit le plus fenfible. Leurs cris & leurs plaintes mar- quent aflez & la grandeur du mal & la ndceifltd du remede. Mais comme fon but dtoit de gudrir les Jdfui- tes, & non pas de fe venger, il a mdnagd avec tant de fagefle le fel de fes railleries, & il a tellement tempdrd fes correftions, que non feu- lement on n’y peut rien trouver de faux, mais mdtne qu’il n’y a rien d’outrd. Tout y eft pefd avec une circonfpeftion merveilleufe. Il ne re¬ tranche point de partie faine pour des parties malades- Il n’enfonce jamais ie fer plus avant qu’il n’efi: utile pour la gudrifon, felon 1’avis que St. Franqois de Sales donne ( 1 ) d ceux qui font cbligez de reprendre les autres. On ne voit dans fes 0 ) IntroiuU. a la V'ie Divote y 28 I. Note sur la XL Lettre. fes Lettres aucune marque d’un efprit emportd. On n’y trouve rien d’inconliddrd, rien qui ne convienne aux chofes dont il parle; mais on y trouve par-tout une juftefie & un rapport admira¬ ble des termes dont il fe fere avec les choies qu’il traite. C’eft done faire un jugement tdmdraire & in¬ jure de ces Lettres, que de croire que Montalte n’y ait point eu d’autre but que de tourner les Jdfuites en ridicule, & de s’attirer par d’ingd- nieufes fatyres l’attention des peuples. II a eu un deflein plus important & plus faint ; il n’a eu en vue que Futility de 1’Eglife , & celle des Jd- fuites. Car les opinions corrompues de leurs Do&eurs, ne leur font pas moins pernicieufes qu’elles le font i route 1’Eglife. Voulant done leur dtre utile aufii bien qu’l l’Eglife , il n’a pas cru pouvoir choifir une voie plus fure. II voyoit que le goftt du fiecle dtoit tel, qu’on ndgligeoit prefque entierement les Ecrits Thdologiques & Sdritux, & qu’a peine dtoient-ils lus par un petit nombre de Savans; & que cependant les opinions des Jdfuites fe rdpandoient rous les jours de plus en plus. 11 faloit done choifir un genre d’dcrire, qui par fa nouveautd, fon agrdment, & fon dld- gance, excit&t la s curiofiid meme des plus indo- lens: ce qui iui a tellement rdufii, qu’il s’elt at- tird I’attention de tout le monde. Un feul hom- me a combattu contre toute la puifiance des Jd- fuites, & il a triomphd de tous leurs efforts. II les a ob'igtrz de jetter ces trifles plaintes, qui font encore plus un tdmoignage de leur orgueil que de leur douleur. Au relle Montalte n’eft point redevable de ce fucces it des railleries recher- chdes, mais a 1’adrefle avec laquelle il a expofd aux yeux des Ledteurs les dogmes des Jdfuites, d’une maniere qu’ils en peuvent voir tout ie ridi- Des railleries de Montaite. 29 ridicule. De forte que les Jdfuites ne peuvent fe plaindre, que de ce qu’il a dtd aulli heureux Areprdfenter les impertinences de leurs Auteuis, qu’ils l’ont 6 ti eux-memes a ies in venter. N O T E I I. Que Montaite ne s’efi jamais ruille du Chapelet. Et que c’efi avec rdifon quit fe raille de la Grace Suffifante prife en general, & en Jaifant abfir ac¬ tion de tout fens. L ’Apolog'fte des Jdfuites (i), & celui des Cafuif- tes (z), accufent Montaite d’avoir fait des boufFonneries impies des chofes faintes, en fe rail— lant du Chapelet & de la Grace SufB fame Et fous ce prdtexte l’un tache de Ie ddcrier comme un hdr£tique, Sc l’autre ddclame contre lui d’une maniere tout-a fait foditieufe. Je rSpons en un mot d cette double accufation, que c’eft une pure calotnnie. Montaite ne s’eft jamais railld du chapelet, ce qu’on ne peut faire fans impidtd. On ne trouvera rien de femblabie dans toute fa IX Lettre, i laquelle Jes Apolo- giftes renvoient. II eft vrai qu’il s’y eft railld de ceux qui promettent le falut I des pdcheurs quf perfoverent dans leurs crimes, pourvu qu’ils pra- tiquent quelques devotions extdrieures envers la Ste. Vierge. Mais j’ai traitd amplement cette matiere dans les Notes que j’ai faites fur cette Lettre. Les Apologiftes donnent encore malicieufe- ment le change fur la Grace Suffifante, Montaite ne (1) p. 199. [*) P, ui, go II. Note sur la XL Lettre. ne s’elt point moqud de cette grace en elle-mS- me. II s’efl feulement moqud du mauvais ufage qu’on faifoit du norn de Grace fuffifante, qui a dcd inconnu a toute 1’Antiquitd , & mdme aux anciens Scofaltiques; & de ce que les Thomitles le prenant dans un fens, & les Moliniites dans un autre, les uns & les autres refufoient d’expli- quer leur fens, afin d’opprimer Mr. Arnauld par cette Equivoque. Et en efFet rien n’elt plus ri* dicule que cette grace fuffifante en gdndral, in- diffdrente a marquer le fens des Thomiltes ou celui des Molinifies; puifqu’dtanc prife en cette gendraiitd, ce n’eft rien qu’un fon vuide, & un mot qui ne donne aucune idde. Car li on d£tache d’un terme Equivoque les notions particulieres auxquelles on peut le determiner, ii n’en relte plus que le fon. A 1’dgard du reproche que Montalte fait d ce fujet a quelques Dominicains, de s’etre unis avec les Jdfuites dans le deffein de fe fervir de ce terme fans l’expiiquer, je ne crois pas que per- fonne 6fe lui en faire un crime, comme s’il avoit voulu par-id ddcrier cet Ordre. II ell certain au- moins qu’on ne pourroit 1’en accufer , fans feren- dre foimeme coupable d’une injullice pareille 3 c«lle qu’on voudroit lui imputer. Impiete’ du P. Garasse. NOTE III. 3i Que Its armes du P. le Molne Jefuite font tres-foibks, '~~£? fa patience fufpefte. Impute de la propoji. tions du P. Garajfe. L ’Apologifte des J^fuites ( 1 ) exalte fort la pa¬ tience du P. le Moine, & il nous menace que ce Pere a de bonnes armes pour dfifendre font ^logede la Pudeur, & la comparaifon qu’il fait de fa Delphine avec 1’ardeur des Chdrubins. N6anmoins ce bon Pere ne s’eft point encore fervi jufqu’ici de ces armes fi redoutables. 11 a mieux aimd, felon cet Apologifte, prendre le parti de la patience. Mais cette patience eft ex- tremement fufpefte dans un Jefuite. Car il n’y a pas d'apparence que des gens qui foutiennent avec opini&tret£ tant de maximes corrompues, abandonnaffent ce qu’ils croiroient pouvoir d&- fendre avec quelque ombre de raifon. L’Apologifte paffe enfuite au P. Garaffe, & il femble avoir de quoi le venger. „ Je vous fa- „ tisferai, dit-il fa) fur les paroles du P. Garaffe, „ que vous accufez d’avoir mdld l’hdrdfie avec „ la raxllerie, lorsqu’il dit que la perfonaiitd de „ l’Homme a comme ent£e & mife & cheval „ fur la perfonalitd du Verbe Voyons comment il s’acquite de fa promeffe. D’abord il fe tour- mente beaucoup pour juftifier fon Auteur du foupgon d’h6r6fie , & il rapporte pour cela un paffage tir£ d’un autre endroit de fon Livre, oil il dit clairement qu ’il w’jf a qu'une ptrfonne en Jd- /«5 (l) P 201. if) P. 29 3 , 32 III. Note sur la XI. Lettre. fus-Chrifl. La perfonalite de la Nature ajant ete com- me engloutie bonorublemcnt clans la perfonalite du Verbe. Mais 1 ’ApoIogifte fe trompe fort, s’il s’imagine que cette rdponi'e fatisfafte. Montalte n’a jamais cru que le P. Garalfe fut vdritablement Neftorien, ainli il dtoit inutile de le juftifier fdrieufement de cette hdrdfie. Ce qu’ii a voulu dire, c’eft que ce Pere eft un brouillon & un ddciamateur, qui fe lailfant emporter a fon gdnie, a joint, fans y penfer, i’hdrdfie de Neftorius & une raiiierie im- pie dans ces paroles qu’ii a rapportdes. Or cela eft fi dvident, qu’ii eft impoffible d’en obfcurcir la clartd par aucune chicane. Car il dit en propres termes, que la perfonalite humaine a ete comme ente'e on mife d cheval fur la perfonalite du Verbe. L’Apologifte fe trompe encore davantage , lorfqu’il prdtend juftifier l’expreflion du P. Ga- ralfe par un patTage de St. Paulin, dont il abufe d’une maniere indigne, comme il eft aifd de le faire voir. C’eft: une explication fort commune dans les Peres, que d’appliquer a Jesus - Christ k parabole du Samaritain. Ils difent que le Sa- niaritain charitable qui mit fur fon cheval cet homme bleffd par les voleurs, & ndgligd par le Pretre & par le Ldvite , eft la figure de Jesus. Christ , qui en prenant notre chair a gudri nos plaies que la Loi n’avoit pu gudrir, & qui a por- td dans fa chair les pdchez des hommes. „ 11 a „ eu foin de nos plaies, dit St. Augullin (i); il „ nous a mis fur fon cheval, c’eft - & - dire qu’ii „ nous a pris dans fa chair. fct ailleurs (2): Il „ dtoit prdfent a ceux a qui il parloit, mais ils ne „ voyoient point en lui la forme de Dieu, fa » natu- I'mpiete* du P. Garasse. 33 „ hature divine dtoit encore voilde pour eux. II „ ies portoit fur fon cheval a l’hdteilerie pour les „ y faire panfer. Lorsqu’ils feront gudris, ils le „ verront. Et encore ailleurs. (i) Le cheval du „ Samaritain eft ia figure de la chair dans laquel- „ le Jesus-Christ a daignd venir a nous : & „ dtre mis fur le cheval du Samaritain, c’eft croi- j, re l’lncarnation de Jeeus-Chkist. Enfin l’Au- „ teur d’un Ecrit attribud 4 St. Auguftin. II met, „ dit-il ( 2 ), 1 ’homme bleffd fur fon cheval, c’eli- 3 , d dire il l’affifte de fa grace; parce que comme 3 , dit 1’Ecriture, C’eft lui qui a forte nos pecbez > & „ qui a fouffert four nous. C’eft dans le meme fens que St. Paulin ( 3 ) a dit dans l’endroit citd par l’Apologifte; Nous avions „ dtd ddpouillez par le iarcin du diable; nous dtions couverts de bleffures; notre frere dans „ la perfonne du Ldvite & du Pretre dtoit paffd „ fans nous donner aucun fecours; il nous avoit „ laiffd dans cet dtat au milieu du chemin, c’eft- 5> a-dire la Loi par fes facrifices memes ne nous „ avoit point rachetez. Le vdritable Samaritain , ,, Jesus-Christ qui a bien voulu dtre appelld de j, ce nom.eft venu il nous. 11 a eu pitid de l’hom- ,, me bleffd, & ndgligd par ceux qui avoient prd- „ cddd fon avenement. Il s’elt approchd de lui. „ Il I'a mis fur fon cheval, c’eft-A dire il I’a rele- „ vd par Pincarnation du Verbe. Il eft facile de voir que 1 ’exprefllon du P. Ga- raffe & celle de St. Paulin font tout-4-fait diffd- rentes. St. Paulin dit que le Verbe ayant pris no¬ tre chair a relevd l’homme bleffd , c’eft-a-dire tous les hommes qui dtoient pdcheurs, & qu’il a portd (1) t. i. 2. (z) Hiptgn. (i) Bp. 4. Toms III, Evang. q. ip. 34 III. Note sim la XI. Lettre. ■oortd leurs pdcbez dans fa propre chair, de mdme que le Samaritain reieva cet hotnme qui dtoic tombd entre Jes mains des voleurs, & le porta fur ton chevai; au lieu que le P. Garaffe dit que la perfonalitd humaine a dtd comme entde ou mife a chevai fur la perfonalitd du Verbe. Ainil il compare le Verbe divin au chevai, & St. Pau¬ lin n’y compare que l’humanitd. Mais quand mdme Sc. Paulin auroit voulu mar- quer la nature divine par le chevai du Samaritain y cette expreflion feroit toujours extremement dloi- gnde de la duretd de celle du P. Garaffe: car il y a bien de la difference entre expliquer une pa- rabole, & en appliquer a Dieu d’une manier® figurde quelques termes qui paroiffent injurieux; & entre fe fervir (implement de ces memes ter- mes en parlant de Dieu, fans marquer qu’ils ont rapport i quelque parabole. Jisus- Christ dans l’Evangile fe compare lui-meme a un larron qui vient furprendre les hommes & l’heure qu’ils n’y penfent point. Il n’y a aucune impidtd de dire, en expliquant cet endroit de l’Evangile, que par ce larron on doit entendre Jesus-Christ. Mais ce feroit une impidtd & un blafpeme manifelte, de dire (implement que Jesus-Christ ell un lar¬ ron, fans marquer qu’on feroit allufion a cette parabole. Or c’eft-la le jugement qu’on doit por¬ ter de la propofition du P. Garaffe, qui s’eft fer- vi pouf expliquer les plus faints myfleres , non des paroles de l’Ecriture, mais des expreffions ti- jdes du langage des Muletiers, & qui font tout- a-fait indignes du fujet qu’il traitoit, DOUt 35 DOUZIEME LETTRE (i) E C R I T E AUX RR. PERES JESUITES. Refutation des Chicanes des Jefuites far l' An- mone & fur la Simonie. Du 9 . Septembrc 1 6$<5. Mes Reverends Peres, J ’Etois prdt & vous dcrire fur lc fujet des injures que vous me ditesdepuis filong- tems dans vos Ecrits, ou vous m’appel- lez Impie, Bouffon , Ignorant, Farceur, Impof- teur, Calomniateur , Fourbe, Heretique , Cal• vinifte deguife, Difciple de Du Moulin, P of - fide d'une legion de diables , & tout ce qu’il vous plait. Je voulois faire entendre an monde pourquoi vous me traitez de la for¬ te, car je ferois fachd qu’on crfit tout cela de moi; & j’avois refolu de meplaindrede vos calomnies& de vos impoftures, lorfque j’ai vu vos rdponfes, oh vous m’en accuf'ez moi-mdme. Vous m’avez oblige par-M de changer mon delTein, & ndanmoins je ne laiflerai pas de le continuer en quelque forte; puifque j’efpere, en me defendant, vous convaincre de plus d’impoftures vd- ritables £1) Nicole fit lc plan de cette Lettre, C 2 3 6 XII. Lett. Calomnie des Jesuites ritables, que vous ne m’en avez impute de fauffes. En veritb , mesPfires, vous en fites plus fufpects que moi. Car il n’eft pas vrai-lemblable , qu’etant feul comme je fuis , Tans force , & fans aucun appui hu- inain contre un fi grand corps, & n’fitant foutenu que par la verite & la finceritb, je me fois expofe & tout perdre , en m’expo- fant a fitre convaincu d’impofture. II eft trop ail'd de decouvrir les faufietez dansles queftions defait , comme celle-ci. Je ne manquerois pas de gens pour m’en accufer, & la juftice ne leur en feroit pas refuffie. Pour vous , mes Peres , vous n’fites pas en ces termes; & vous pouvez dire contre moi ce que vous voulez, fans que je trou- ve a qui m’en plaindre. Dans cette difffi* rence de nos conditions je ne dois pas fi. tre peu retenu , quand d’autres considera¬ tions ne m’y engageroient pas. Cependant vous me traitez comme un impofteur infi- gne , & ainli vous me forcez a repartir; mais vous favez que cela ne fe peut faire, fans expofer de nouveau , & mfime fans decouvrir plus k fond les points de votre Idorale; en quoi je doute que vous foyez bons politiques. La guerre fe fait chez vous, & & vos dfipens; & quoique vous ayez penfe qu’en embrouillant les queftions par des terrnes d’Ecole, les rdponfes en feroient li longues , fi obfcures, & fi epineufes , qu’on^ en perdroit le gofit , cela ne fera peut-fitre pas tout-i-fait ainfi: car j’efiaye- rai de vous ennuyer le moins qu’il fe peut CONTRE MONTALTE. 37 en ce genre d’dcrire. Vos maximes ontje ne fai quoi de divertiflant, qui rdjoui't tou- jours le monde. Souvenez-vous au-moins que c’eft vous qui m’engagez d’entrer dans cet eclairciflement, & voyons qui fe ddfen- dr a ie mieux. La prdmiere de vos impoftures eft fur I’opinion de Vafquez touchant I’Aumone, Souf- frez done que je 1’explique nettement, pour dter route obfeuritd de nos difputes, C’eft une chofe aflez connue , mes Peres, que felon l’efprit de l’Eglife il y a deux prd- ceptes touchant I’Aumdne: I’un, dedonner de Jon fuperflu dans les necejjitez ordinaires des Pauvres; l’autre, de donner meme de ce qui eji necejfaire J'elon fa condition , dans les necejjitez extremes. C’eft ce que dit Cajetan apres Sr. Thomas: de forte que pour faire voir l’ef¬ prit de Vafquez touchant FAum6ne,il faut 'inontrer comment ilaregld, tant celle qu’on doit faire du fuperflu, que celle qu'on doit faire du ndeeflaire. Celle du fuperflu,qui eft le plus ordinai* re fecours des Pauvres, eft entierement a- bolie par cette feule maxime de El. c. 4. n. 14. que j’ai rapportde dans mes Lettres. Ce que les gens du monde gardent pour relever leur condition, & celle de leurs parens ,n'ejl pas qppelle fuperflu, Et ainfi a peine trouvera-t-on qu'il y ait jamais de fuperflu chez les gens du monde, & non pas meme chez les Rais. Vous voyez bien , mes Pdres, que par cette dd- flnidon , tous ceux qui auront de 1’arnbi- tion,n’auronc point de fuperflu; & qu’ainfi C 3 l’au- 38 XII. Lettre. Vas^uez I’ aumone en eftandantie h l’dgardde la pla* part du monde. Mais quand il arriveroic mdme qu’on en auroic, on feroit encore difpenfd d’en donner dans les ndceffitez communes, felon Vafquez, qui s’oppofe 4 ceux qui veulent y obliger les Riches. Voi- ci fes termes c. i. n. 32. Corduba , dit-il, enfeigne que lorsqu'on a du Juperjlu , on eft oblige d'en donner a ceux qui font dans une Tieceffite ordinaire , aumoins une partie, afin d'accomplir le precepte en quelque choje : Mais cela ne me plait pas i Sed hoc non plaeet: Car nous avons montre’ le contrai. re centre Cajetan & Navarre. Ainfi , mes Peres , 1’obligation de cetce aumdne eft abfolument rui'nde, felon ce qu’il plafc 4 Vafquez. Pour celle du neceffaire , qu’on eft obli¬ ge de faire dans les neceffitez extremes & preffantes, vous verrez par les conditions qu’il apporte pour former cette obligation, que les plus riches de Paris peuvent n’y £tre pas engagez une feulefois en leurvie. Je n’en rapporterai que deux. L’une, que l’on sache que le pauvre ne fern fecouru d’aucun autre : Haac intelligo & caacera 0- mnia,quando scio nullum alium opem la- turum, c. 1. n. 28. Qu’en dites-vous, mes Pbres, arrivera-t il fouvent que dans Paris, oh il y a tant de gens charitables, on puif- fe favoir qu’il ne fe trouvera perfonne pour lecourir un pauvre qui s’offre a nous ? Ec cependant fi on n’a pas cette connoiffance, on pourra le renvoyer fans fecours, felon Vafquez. TOUCHANT L’AUMONE. 39 Vafquez. L’autre condition eft , que la ceceffitd de ce pauvre foit telle , qu’il foit menace de quelque accident mortel , ou de per * dre J'a reputation , n. 24. & 2 6. ce qui eft bien peu commun. Mais ce qui en marque encore la raretb, c’eft qu’il die num.qj. que ie pauvre quieftencet dtat, 011 il ditqu’on eft obligd k lui donner l’aumbn e,peut voler le riche en confcience , Et ainfi il faut que ce- la foie bien extraordinaire, ft ce n’eft qu’il foit ordinairement permis de voler. De forte qu’aprds avoir ddtruit l’obligation de donner l’aumdne du fuperflu, qui eft la plus grande fource des charitez , il n’oblige les riches d’affifter les pauvres de leur necef- faire, que lorfqu’il permet aux pauvres de voler les riches. Voila la dodtrine de Vaf¬ quez, oh vous renvoyez les ledteurs pour leur edification. Je viens maintenant h vos impoftures. Vous-vous btendez d’abord fur l’obligatioa que Vafquez impofe aux Eccldfiaftiques de faire l’aumone. Mais je n’en ai point par- le, & j’en parlerai quand il vous plaira. II n’en eft done pas queftion ici. Pour les Lai'ques, defquels feuls il s’agit, il femble que vouliez faire entendre que Vafquez ne parle en 1’endroit que j’ai citd , que felon le fens de Cajetan , & non pas felon lefien propre. Mais comtne il n’y a rien de plus faux , & que vous ne favez pas dit nette- nent , je veux croirc pour vocre honneur que vous ne l’avez pas voulu dire. Vous-vous plaignez enfuite hautement , C 4 de 4© XII. Lettre. Vasquez de ce qu’apres avoir rapportd cette maxi- roe de Vafquez : A peine fe trouvera-t-il que les gens du monde, & mime les Rois , ayent jamais de fuperflu , j’en ai conclu , que les riches font done d peine ohligez de donner I’au- mone.de leur fuperflu. Mais que voulez-vous dire, mes Peres? S’il eft vrai que les riches n’ont prefque jamais de fuperflu , n’eftdl pas certain qu’ils ne feront prefque jamais obli- gez de donner l’aumdne de leur fuperflu? Je vous en ferois un argument en forme, ii Diana, qui eftime tant Vafquez qu’il l’ap- pelle le pheenix des ejprits ,n’avoit cir6 la m§* me confluence du m§me principe. Cir apres avoir rapporte cette maxime de Vaf¬ quez, il en conclut: Qiie dans la quejlion , [avoir fi les riches font obligez de donner I’aumd- ne de leur fuperflu , quoique I’opinionqui les y oblige flit veritable , il n’arriveroit jamais on prefque jamais qu'elle obligedt dans la pratique. Je n’ai fait que fuivre mot a mot'tout ce difeours. Que veut done dire ceci , mes P&res? Quand Diana rapporte avec £loge les fentimens de Vafquez, quand il les trouve probables, £? tres-commodes pour les riches , comme il le dit au mdme lieu , il n’eft ni calomniateur, ni fauflaire, & vous ne vouj plaignez point qu’il lui impofe: au lieu que quand je reprefente ces mdmes fentimens de Vafquez, mais fans le traiter de pheenix, je fuis un impofteur , un fauflaire , & ui corrupteur de fes maximes. Certainement, mes Peres, vous avez fujet de craindre que la difference de vos traitemens envers ceux qu TOUCHANT L’AtJMONE. „ 41 qui tie different pas dans Je rapport, mais feulement dans l’eltime qu’ils font de votre dodtrine , ne decouvre Je fond de votre coeur, & ne faffe juger que vous avez pour principal objet de maintenir Je crddit & la gloire de votre Compagnie ; puifque tan- dis que votre Theologie accommodante paffe pour une fage condefcendance, vous ne defavoudrez point ceux qui la publient, & au contraire vous les louez comme con* tribuant a votre deflein. Mais quand on la fait paffer pour un relachement perni- cieux, alors le mdme interdt de votre So- cidte vous engage a defavouerdes maximes qui vous font tort dans le monde: & ainfi vous les reconnoiflez ou les renoncez,non pas felon la vdritd qui ne change jamais; mais felon les divers changemensdes terns, fuivant cette parole d’un ancien : Ovinia pro tempore , nihil pro veritate. Prenez-y gar¬ de , mes Peres; & afin que vous ne puiffiez plus m’accufer d’avoir tird du principe de Vafquez une ccnfdquence qu’il eut defa* voude, fachez qu’il Pa tiree lui-mdmec. 1. n. 27. A peine eft-on oblige de dormer I’aumo- ne, quand on n’eft oblige d la donner que de Jon fuperftu, felon l'opinion.de Cajetan et selon la mienne , fecundum noftram. Confef- feffez done, mes Peres , par le propre td- moignage de Vafquez, que j’ai fuivi exac- tement fa penfee ; & confiddrez avec quel¬ le confcience vous avez 6fd dire , que ft Von alloit d la fource , on verroit avec etopne- ment qit'il y enfeigne tout le contraire. C j Enfin 42 XII. LeTTRE. V.ASQUEZ Enfin vous faites valoir par-deflus tout ce que vous dices, que fi Vaiquez n’oblige pas les riches de donner faumdne de leur i'uperflu, i 1 les oblige en rdcompenfe de la donner de leur nbeeffaire. Mais vous avez oublid de marquer 1’aflemblage des condi¬ tions qu’il declare dtre ndceflaires pour former cette obligation, lefquelles j’ai rap- porrees , & qui la reftraignent fi fort, qu’elles I’aneantiflent prefque entierement: & au lieu d’txphquer ainfi fincbrement fa dodtrine , vous dites gdneralement, qu’il olvge les riches a donner mdme ce qui eft neceflaire k leur condition. C’eft en dire trop, tnes Pdres: la regie de l’Evangile ne va pas fi avant: ce feroit une autre erreur, dont Vafquez eft bien eloignc Pour cou- vrir fon relachement, vous lui attribuez un cxces de fetdrite qui le rendroit reprehen- fible, & par-la vous-vous 6tez la creance de l’avoir rapporfe fidelement. JVIais il n’eft pas digne de reproche apres avoir eta- bli , comme je 1’ai fait voir, que les riches ne font point obligez, ni par jufb'ce, ni par charitd, de donner de leur (upeiflu, & en¬ core moins du ndcefiaire , dans tous les befoins ordinaires despauvres, & qu’ils ne font obligez de donner du neceflaire qu’en des rencontres fi rares qu’elles n’amvent prefque jamais. Vous ne m’objeftez rien davantage; de forte qu’il ne me refte qu’a faire voir com- bien eft faux ce que vous pretendez, que Vafquez eft plus ievere que Cajetan, £t ceia TOUCHANT L’AUMONE. 4.3 cela fera bien facile; puifque ce Cardinal enfeigne, Qii’on eft oblige par juftice de don- ner Vaurnme de Jon fuperjiu, mime dans les communes necejjitez des pauvres: parce que fe¬ lon les faints Peres, les riches font feulement difperifateurs de leur fuperjiu, pour le donner d qui ils veulent d’entre ceux qui en ont befoin, Ec ainfi au lieu que Diana die des maximes bien commodes, if bien agreables aux riches, & d leurs Confeffeurs, ce Cardinal, qui n’a pas une pareille confolation a leurdonner, declare, De Eleem. c. 6. qu’il n’a rien d dire aux riches que ces paroles de Jesus-Christ; Qu’il eft plus facile qu'un chameau pajfe par le trou dime eguille, que non pas qu'un ri¬ che entre dans le del ; & d leurs Confeffeurs: Si an aveugle en conduit un autre, ils tom- beront tous deux dans le pricipice : tant il a trouve cette obligation indilpenfable! Au& ii e’eft ce que les Peres & tous les Saints ont dtabli comme une vdrite conftante, II y a deux cas, dit Sr. Thomas 2. 2. q. 118. art. 4. oil Von eft oblige de donner I’aumme par an devoir de juftice , Ex debito legali: I’un, quand les pauvres font en danger : I’au* tre, quand nous pojfedons des Mens fuperflus. Et q. 87- a. 1. Les troijienes decimes que les Juifs devoient manger avec les pauvres, ont ete augmentees dans la Loi nouvelle, parce que Jesus-Christ veut que nous domions aux pauvres, non feulement la dipcieme partie ,rtiais tout notte fuperjiu. Et eependant il ne plait pas a Valquez, qu’on foit obl.igb d’en don- nqr une partie feulement,tantll a de com- 44 XII. Lett. Sentimens desJesuites } )laifance pour les riches, de duretb poqr es pauvres, d’oppofition k ces fentimens de charitb, qui font trouver douce la vd- ritb de ces paroles de St. Grbgoire, laquel- le paroit fi rude aux riches du monde: Quand nous donnons aux pauvres ce qui leur eji neceffa ; re, nous ne leur donnons pas tant ce qui eft d nous, que nous leur rendons ce qui eft d eux: if c’eft un devoir de juftice, plutot qu une oeuvre de mifericorde. C’eft de cette forte que les Saints recom- mandent aux riches de partager avec les pauvres les biens de laTerre, s’ils veulent poffbder avec eux les biens du Cie!. Et au lieu que vous travaillez & entretenir dans les hommes I’ambition , qui fait qu’on n’a jamais de fuperflu , & I’avarice , qui refufe d’en donner quand on en auroit: les Saints ont travaille au contraire a porter les hom¬ ines a donner leur fuperflu, & & leur faire connoitre qu’ils en auront beaucoup, s’ils le mefurent, non par la cupidite qui nefouf- fre point de bornes, mais par la pietb qui eft ingenieufe a fe rttrancher pour avoir de quoi fe repandre dans l’exercice de la charitb. Nous durons beaucoup de fuperflu , die St. Auguftin, fi nous ne pardons que le necejfaire: mais Ji nous recherchons les chafes vaines, rien ne nous fuffira. Recberchez, vies fceres, ce qui fuffit d I'ouvrqge de Dieu, e’eft- &-dire d la nature; if non pas ce qui fuffit d votre cupidite, qui eft l’ouvrage du Demon: Et fouvenez-vous que le fuperflu. des riches, ejl le necejfaire des pauvfes. touciiant la SiMONIE. 45 }e voudrois bien, mes Peres, quece que je vous dis fervit non feulement A me jufti- fier , ce feroit peu; mais encore a vous faire fentir & abhorrer ce qu’il y a de cor* rompu dans les inaximes de vos Cafuiftes* afin de nous unir fmcerement dans ]es fain* tes regies de l’Evangile , felon lefquelles nous devons tous dtre jugez. Pour le fecond point qui regarde la Simo* nie, avant que de repondre aux reproches que vous me faites, je commencerai par l’dclairciffement de votre do&rine fur ce fujet. Comme vous vous dtes trouvez em* baraifez entre les Canons de l’Eglife qui impofent d’horribles peines aux Simonia* ques, & l’avarice de tant de perfonnes qui recherchent cet infame trafic, vous avez fuivi votre methode ordinaire, qui eft d’ac- corder auxHommesce qu’ils ddlirent, & de donner k Dieu des paroles & des apparen* ces. Car qu’eft-ce que demandent les fi- moniaques , finon d’avoir de 1’argent en donnant leurs Bdndfices? Et c’elt cela que vous avez exemtd de fimonie. Mais parce qu’il faut quele nom de fimonie demeure* & qu’il ait un fujet oil i 1 foit attachd, vous avez choifi pour cela une idde imaginaire, qui ne vient jamais dans l’efprit des fimo* niaques, & qui leur feroit inutile: qui ell d’euimer l’argent confiddrd en lui-mdme , autant que le bien fpirituel confiderd en lui mdme. Car qui s’aviferoit de comparer des chofes (i difproportionndes , & d’un genre fi different ? Et cependant pourvu qu’on 4 quand la pratique en eft decouverte, il ne laiE ie pas de dire que c’eft une opinion proba¬ ble, & par confequent fiire en confcience, & qu’il n’y a en cela ni fimonie, ni pdchd. C’ejt, dit-il, une opinion probable , & enfei- gnee par beaucoup de Dotleurs Catholiques , qu’il n'y a aucu?ie Jimonie , ni aucun pe- che’ d donner de I’argent , ou une autre chafe temporelle pour un Benefice , foit par forme de reconnoiffance, foit comme un motif fans lequel on ne le donneroiz pas, pourvu qu'on ne le don- ne pas comme un prix egal an Benefice. C’eft-la tout ce qu’on peut ddfirer. Et felon tou- tes ces maximes vous voyez , mes Phres, que la fimonie fera fi rare, qu’on en auroit exemrd Simon mdme la Magicien , qui vou- loit acheter le St. Efprit, en quoi il eft l’i- mage des Simoniaques qui achettent: & Gid« zi, qui requt de l’argent pour un miracle , en quoi il eft la figure des Simoniaques qui vendent. Car il eft fans doute, que quand Simon dans les Adtes offrit de I’argent aux Apotres pour avoir leur puiffance , if ne fe D 2 fervid fit XII. Lett. SenTimens des Jesuites fervic, ni des termes d’acheter, ni de ven- dre , ni de prix, & qu’il ne fit autre chofe que d’offrir de l’argent , comme un motif pour fe faire donner ce bien fpirituel. Ce qui dtant exemt de fimonie, felon vos Au¬ teurs, il fe flit bien garanti de 1’anathdme de St. Pierre , s’il eflt etd inftruit de vos maxirnes. Et cette ignorance fit aufli grand tort a Giezi, quand il fut ftappe de le- pre par Elifee: car n’ayant requ de J’argent de ce Prince gueri miraculeufement , que comme une reconnoifiance , & non pas comme un prix egal a la vertu divine qui avoit opere ce miracle,il eut obligd Elifee a le guerir fur peine de pdchd mortel; puif- qu’il auroit agi felon tant de DoCieurs gra¬ ves , & qu’en pareils cas vos Confefleurs font obligez d’abfoudre leurs Penitens , & de les laver de la lepre fpirituelle, dont la corporelle n’eft que la figure. Tout de bon, mes Peres, il feroit aifd de vous tourner la-deffus en ridicules : je ne fai pourquoi vous vous y expofez. Car je n’aurois qu’& rapporter vos autres maxi- mes, comme celle-ci d’Efcobar dans la Pra¬ tique de la Simonie felon la Societe de Jefus , n. 40. Eft - ce fimonie , lorfque deux Keligieux s'engagent I’un d Vautre en cette forte: Donnez- moi votre voix pour me faire elire Provincial , je vous donnerai la mienne pour vous faire Prieur ? Nullement. Et cet autre tr. 6. n. 14. Ce n’eft pas fimonie de fe faire donner un Benefice en promettant de Vargent , quand oil n'a pas dejfein de payer en effet ; parce que . ce touchant les Banqueroutiers. 53 n'eft qu'une fimonie feinte , qui n’eft non plus yraie , que du faux or n'eft pas; vrai or.' C’eft par cette fubtilite ;de confcience qu’il a trouve le moyen , en ajoutant Ja fourbe a la fimonie, de faireavoir desBenbfices fans argent & fans fimonie. Mais je n’ai pas le Joifir d’en dire davantage : car il faut que je penfe a me defendre centre votre troifie- me calomnip fur le fujet des Banquerou- tiers. Pour celle-ci, mes Peres , il n’y a rien de plus groffier. Vous me traitez d’impof- teur fur le fujet d’un fentiment de Leffius, que je n’ai point citd de moi-mdme , mais qui fe trouve alldgud par Efcobar dans un paflage que j’en rapporte: & ainfi, quand il feroit vrai que Leffius ne feroit pas de 1 ’avis qu’Efcobar lui attribue, qu’y a t-ilde plus injufte que de s’en prendre a moi? Quand je cite Leffius & vos autres Auteurs de moi-meme , je confens d’en repondre. Mais comme Efcobar a ramafle les opinions de 24. de vos Peres, je vous demanded je dois dtre garant d’autre chofe que de ce que je cite de Iui,& s’il faut outre celaque je rdponde des citations qu’il fait lui meme dans les pafifages que j’en ai pris? Cela ne feroit pas raifonnable. Or c’eft dequoi il s’agit en cet endroit. j’ai rapportd dans ma Lettre ce paffage d’Efcobar traduit fort fi- delement, & fur lequel auffi vous ne dites rien: Celui qui fait banqueroute peut-il en fu- rete de confcience retenir de fes Mens autant qu’il efi neceffaire pour vivre avec honneur , Ne in- D 3 • decord 5:4 XII. Lett. Sentimens des Jesuites decorfe vivat ? Je repons que oui avec Lessxus, Cum Lessio assero posse, &c. Sur cela vous me dites que Leffius n’eftpas de ce fentiment. Mais penfez un peu oh vous vous engagez. Car s’il eft vrai qu’il en eft, on vous appellera impofteurs, d’a- voir aflurd le contraire,- & s’il n’en eft pas, Efcobar fera l’impofteur : de forte qu’il faut maintenant par neceflite , que quel- qu’un de la Socidte foit convaincu d’impol- ture. Voyez un peu quel fcandale! iluffi vous ne favez prdvoir la fuite des chofes. II vous femble qu’il n’y a qu’a dire des in¬ jures aux perfonnes , fans penfer fur qui elles retombent. Que ne faifiez-vous fa- voir votre difficultd a C1 ) Efcobar, avant de la publier: il vous eut fatisfait. JI n’eft pas fi raal aifd d’avoir des nouvelles de Vail- ladolid, oh il eft en parfaite fantd , & oh il acheve fa grande Thdologie Morale en fix volumes, furies premiers defquels je vous pourrai dire un jour quelque chofe. On lui a envovd les dix prdmieres Letcres ; vous pouvies auffi lui envoyer votre objection, & ( 1 ) Efioiar'] Pat tout ce qu’Alegambe rapports du P. Antoine Efcobar, il paroit que c’etoit un bon homme, laborieux ,5c de'vot a fa fa^on. On allure que quand il apprit combien il etoit cite dans les Lettres Provinciates, le chef d’oeuvie de la fine railierie, i! en concut une joie extreme; il s’en eftimoit beaucoup plus, & croyoit va- i oil plus qu'auparavant. Nous ayons ton portrait qui ell fingutier, & qui le reprefer.te comme un homme qui ne doutoit de rien, tant il avoir 1‘air refolu & decifif. Il mourut a Vailladolid en Efpagne le 4 . Juiliec iSSp. age de SI. ans. TOUCHANT LES BaNQUEROUTIERS. 55 & je m’aflure qu’il y eut bien rdpondu: car jl a vu fans-doute dans Leflius ce paflage, d’oli il a pris le Ne indecore vivat. Lifez-le bien , mes Peres, & vous l’y trouvercz comme moi, lib. 2. c. 1 6. n. 45. Idem colli- gitur aperte ex juribus citqtis , njaximi quoad ea bona qua poft cejjionem acquirit , de quibus is qui debitor eft etiam ex delidto, poteft retine- re quantum necejfarium eft , lit pro Jua condi- tione n on indecore vivat . Petes, an leges id permittant de bonis , quce tempore inftantis ceJJionis babebal ? Ita videtur colligi ex DD. Je ne m’arrdterai pas & vous montrer, que Leflius pour autorifer cette maxime abufe de la Loi, qui n’accorde que le Ample vi- vre aux Banqueroutiers, & non pas dequoi fubfifter avec honneur. II fuffic d’avoir juf- ti6.6 Efcobar contre une telle accufation, c’eft plus que je ne devois faire. Mais vous, mes Peres, vous ne faites pas ee que vous devez : car il eft queftion de rdpondre au paflage d’Efcobar, dont les decifions font commodes en ce qu’dtant independantes du devant & de la fuite, & toutes renfer- mees en de petits articles , elles ne font pas fujettes k vos diftindlions. Je vous ai citd fon paflage entier, qui permet« ceux qui font ceffion de retenir deleurs biens, qubi- qit'acquis injujlement, pour faire fubfifter leur famille avec bonneur. Sur quoi je me fuis dcrid dans mes Lettres : Comment, mes Pe¬ res , par quelle Strange charite voutei-vous que .les biens appartiennent plutot d ceux qui les out mal acquis , qu'aux Creanciers legitimes? D 4 C’eft $6 XII. Lett. Sentimens desJesuites C’eft h quoi il faut rdpondre : mais c’eft ce qui vous met dans un fdcheux embarras, que vous eflayez envain d’eiuder en ddtour- nant la queftion, & citant d’autres paffages de Lefiius, defquels il ne s’agit point. Je vous demande done fi cette maxime d’Ef- cobar peut dtre fuivie en confcience par ceuxqui font banqueroute?Et prenez gar¬ de a ce que vous direz. Car fi vous re- pondez que non, quedeviendra votreDoc- teur, & votre Dodtrine de la Probability ? Et 11 vous dites que oui, je vous renvoie au Parlement. ]e vous laiffe dans cette peine, mes Pe¬ res ; car je n’ai plus ici de place pour en- treprendre l’impofture fuivante fur le paf- fage de Lefiius touchant 1’Homicide , ce fe; ra pour la premiere fois,& le refte enfuite. Je nc vous dirai rien cependant fur les avertiffemens pleins de fauffetez fcandaleu- les par oh vous finiffez chaque impofture: je repartirai a tout cela dans la Lettre oh j’efpere montrer la fouree de vos calom- ifies. Je vous plains, mes Peres , d’avoir recours a de tels remedes. Les injures que vous me dites , n’eclairciront pas nos dif- fdrends: & les menaces que vous me faites en tant de faqons, ne m’empdeheront pas de me ddfendre. Vous croyez avoir la force & l’impunitd , mais je crois avoir la verity & 1’innocence. C’eft une etrange & longue guerre, que celle oh la violenceefi faye d’opprimer la verite. Tous les efforts de la violence ne peuvent affoiblir la veri- TOUCHANT LES BaNQUEROUTIERS. td, & ne fervent qu’a la relever davantage. Toutes les lumieresde la vdrite ne peuvent rien pour arreter la violence , & ne font que l’irriter encore plus. Quand la force combat la force , la plus puiflante detruit la moindre : quand on oppofe les difcours aux difcours, ceux qui font veritables & eonvaincans, confondent & diffipent ceux qui n’ont que la vanitd & le menfpnge: la violence & la veritd ne peuvent rien l’une fur l’autre. Qu’on ne prdtende pas de lk ndanmoins que les chofes foient e- gales : car il y a cette extreme differen¬ ce, que la violence n’a qu’un corns bof- nd par 1’ordre de Dieu , qui en conduit les effets a la gloire de la veritd qu’elle attaque : au lieu que la veritd fubfifte e- ternellement , & triomphe enfin de fes ennemis ; parce qu’elle eft eternelle & puiffante comme Dieu mdme. 58 I. Note svr la XII. Lettre, NOTE PREMIERE S U R LA DOUZIEIEME LETTRE. Ou Refutation de la Lettre que les Jefuites ont publide contre la Lettre prgcecteme. AVERTISSEMENT. La Lettre fuivante a ele donne'e an public par un Au¬ teur inconnu, & inferee entre la douzieme & trei- zierne Lettre de Montalte■ Elle examine en detail quelques chicanes ties Jefuites auxquelles Montalte n’aurcit pu s’arreter fans faire tort an public, qui attendoit de lui toute autre chofe. II cfi vrai qtdel- le eft fort eloignee de la beaute ties autres, pane qu'elle traite une matiere tout d fait difficile. Mats comme elk a fon prix & fon utilite', nous avons juge d propos de Pinferer id, & de la faire fervir de premiere Note d la douzieme Lettre. DEFENSE D E L A DOUZIEME LETTRE. Monsieur, Q Ui que vous foyes qui aves entrepris de de¬ fen dre les jefuites contre les Lettres qui dd- eouvrent fi clairement le dereglement de leur Mo- D e Vasqvez sur l’aumone. 59 Morale , il paroit par le foin que vous prenez de les fecourir, que vous avez bien connu leur foibleffe , & en cela on ne peut blamer votre jugement. Mais fi vous aviez penfd de pou- voir les juftifier en effe-t, vous ne feriez pas excufable. Auffi j’ai meilleure opinion de vous, & je m’affure que votre deflein eft feulement de ddtourner l’Auteur des Lettres par cette di- vetfion artificieufe. Vous n’y avez pourtant pas rduffi; & j’ai bien de la joie de ce que la trei- zieme vient de paroitre, fans qu’il ait reparti a ce que vous avez fait fur la n. & fur la 12 , & fans avoir feulement penfd a vous. Cela me fait efptSrer qu’il nbgligera de meme les autres. Vous ne devez pas douter, Monfieur, qu’il ne lui eftt dtd bien facile de vous pouffer. Vous voyez comment il mene la Society entiere : qu’eut-ce done dtd s’ii vous eut entrepris en particulier ? Jugez-en par la maniere dont je vas vous rdpondre fur ce que vous avez (5eric contre fa douzieme Lettre. Je vous iaifferai, Monfieur, toutes vos inju¬ res. L’Auteur des Lettres a promis d’y fatis- faire,& je crois qu’il le fera de telle forte qu’il ne vous reftera que la honte & le repentir. 11 ne lui fera pas difficile de couvrir de confufioa de fimples particuliers comme vous & vos Jd- fuites, qui par un attentat criminel ufurpent l’autoritd de I’Eglife , pour traiter d’hdrdtiques ceux qu’il leur plait, lorsqu’ils fe voient dans l'impuifiance de fe ddfendre contre les juftes reproches qu’on leur fait de leurs mdchantes maximes. Mais pour moi je me refierrerai dans la refutation des nouvelles impoftures que vous employez pour la juftification de ces Cafuiftes. Commenqons par le grand Vafquez. Vous ne rdpondes rien a tout ce que l’Au- teus 6 o I. Note sur la XII. Lettre. £eur des Lettres a rapporte pour faire voir fa mauvaife doctrine touchant l’Aumone. Et vous l’accufez feuiement en l’air de quatre fauffetez, dont Ja premiere eft, qu’il a fupprimd du paf- fage de Vafquez cit <5 dans la fixieme Lettre, ces paroles, Statum quern licite pojjunt acquirere; & qu’il a diffimuld le reproche qu’on iui en fait. Je vois bien, Monfieur , que vous avez cru fur la foi des Jdfuites vos chers amis , que ces paroles-la font dans le paffage qu’a citd 1’Au¬ teur des Lettres. Car fi vous euffiez fu qu’el- les n’y font pas, vous euffiez bl&tnd ces Peres de lui avoir fait ce reproche, plutot que de vous dtonner de ce qu’il n’avoit pas aaignd rdpondre a une objection fi vaine. Mais ne vous fiez pas tant a eux, vous y feriez fouvent attrapd. Con- fiddrez vous-meme dans Vafquez le paffage que; l’Auteur en a rapportd. Vous le trouverez de Eleem. c. 4. n. 14. mais vous n’y verrez aucune de ces paroles qu’on dit qu’il en a fupprimdes, dc vous ferez bien dtonnd de ne les trouver que 15. pages auparavant. Je ne doute point quV pres cela vous ne vous plaigniez de ces bons Peres, & que vous ne jugiez bien que pour ac- cufer cet Auteur d’avoir fupprimd ces paroles de ce paffage, il faudroit l’pbliger de rapporter des paffages de 15. pages in folio dans une Lettre de g. pages in quarto, oil il a accoutumd d’en rap- porter 30. ou 40. ce qui ne feroic pas raifon- nable. Ces paroles ne peuvent done fervir qu’a vous convaincre vous-mdme d’impofiure, & elles ne fervent pas auffi davantage pour juftifier Vafquez. On a accufd ce Jdfuite d’avoir ru'ind le prdcepte de Jhsus.Christ , qui oblige les Riches de faire I’aumdne de leur fuperflu, en foutenant, m ce De Vasquez sur l’aumo'ne. Ci que les riches gardent pour rekver leur condition , on celle de lews parens, n’eft pas fuperflu; & qu’ainft d peine en trouvera-t-on chez les gens du monde, & non pas meme chez les Rois. C’eft cette confluence, qu’il n'j a prefque jamais de fuperflu chez les gens du monde, qui ruine I’obligation de donner l’aum6- ne; puifqu’on en condut par ndceflitd , que n’ayant point de fuperflu ils ne font pas obligez de le donner. Si c’dtoit l’Auteur des Lettres qui I’eut tirde, vous auriez quelque fujet de prdten- dre qu’elle n’eft pas enfermde dans ce principe que ce que les riches gardent pour rekver lew condi¬ tion , ou celle de lews parens , n'efi pas appelle fuperi flu. Mais il I’a trouvd toute tirde dans Vafquez. 11 y a lu ces paroles fi dloigndes de 1’efprit de l’Evangile, & de la moderation Chrdtienne, Quid peine trouvera t-on du fuperflu chez les gens du monde, & non pas meme chez les Rois. 11 y a lu encore cette derniere conclufion rapportde dans la dou- zieme Lettre: A peine eft-on oblige de donner 1’au- mone, quand on n'eft oblige d la donner que de fon fuperflu: & ce qui eft remarquable,c’eft qu’elle fe voit au meme lieu de ces paroles , Statum quern licite pojfunt acquirere, par lefquelles vous prdten- dez l’eiuder. Vous chicanez done inutiiement fur le principe, lorfque vous etes obligd de vous taire fur les confdquences, qui font formellement dans Vafquez, & qui fuflifent pour andantir le prdcepte de Jesus- Christ , cornme on l’a ac- cufd de l’avoir fait. Si Vafquez les avoit mal tirdes de fon principe, il auroit joint une faute de jugement avec une erreur dans la Morale; & il n’en feroit pas plus innocent, ni le prdcepte de Jesus-Christ moins andanti. Mais il paroS- tra par la rdfutadon de la feconde fauiletd que vous reprochez a 1’Auteur des Lettres, que ces mauvaifes confdquences font bien tirdes du mau- vais 6z I. Note svr la Xll. Lettre.' Vais principe que Vafquez dtablit au meme lieu J & que ce Jdfutce n’a pas pdchd contre les re¬ gies du Raifonneraent, mais contre celles de l’ii- vangile- Cette feconde faufletd que vous dites qu’il a dijfmiulec apres en avoir dtd convaincu, eft qu’il a omis ces paroles par un defiein outrageux, pour corrompre la penfde de ce Pere, & en tirer cette conclufion fcandaleufe, Qu’il tie faut felon Vafquez qu’avoir beaucoup iP'ambition pour n’avoir point de J'u- perfiu. Sur cela, Monfieur, je vous pourrois di¬ re en un mot, qu’il n’y eut jamais d’accufation moins raifonnable que celle-14. Les Jdilutes ne fe font jamais plaints de cette contequence. Et cependant vous reprochez a 1’Auteur des Lettres, de n’avoir pas rdpondu d une objeftion qu’on ne lui avoit pas encore faite. Mais ft vous croyez avoir dtd en cela plus clairvoyant que toute cette Compagnie, il fera aifd de vous gudrir de cette vanitd, qui feroit injurieufe a ce grand Corps. Car comment pouvez vous nier que de ce princi¬ pe de Vafquez: Ce que Von garde pour rekver fa condition ou celle de fes parens, n’eft pas appelle Jii- perflu : on ne conclue ndceffairement, qu’il ne faut qu’avoir beaucoup d’ambition pour n’avoir point de fuperflu? Je vous permets de bon cceur d’y ajouter encore la condition qu ’il exprime en un autre endroit, qui eft que Ton ne veuille re¬ lever fon dtat que par des voies legitimes : Sta- turn quern licite pojfunt acquircre. Cela n’empeche- ra pas la vdritd de la eonfdquence, que vous accu- fez de fauffetd. Il eft vrai, Monfieur, qu’il y a quelques riches qui peuvent relever leur condition par des voies Idgitimes. L’utilitd publique en peut quelquefois juftifier le ddiir, pourvu qu’ils ne confiderent pas tant leur propre honneur & leur proore intdrdt, que De WtSQUEZ SUR l’aumone. que Hronneur de Dieu & l’intdrdt du Public: mais il eft tres rare que l’efprit de Jesus-Christ, fans lequel il n’y a point detentions pures, infpire ces fortes de ddfirs aux riches du monde: il les porte bien plutot A diminuer ce poids inutile qui les empeche de s’dlever vers Ie Ciel, & a crain- dre ces paroles de fon Evangile, Que celui qui s'eleve Jem abbaiffe. Ainfi ces defirs que l’on voit dans la plupart des hommes du fiecle, de monter toujours 4 une condition plus haute, & d’y faire monter leurs parens, quoique par des voies ld« gitimes, ne font pour l’ordinaire que des effets d’une cupidity terreftre, & d’une veritable ambi¬ tion. Car c’eft, Monfieur, une erreur groftiere, de croire qu’il n’y ait point d’atnbition 4 d^firer de relever fa condition, que lorfqu’on fe veut fervir de moyens injuftes: & c’eft cette erreur que St. Auguftin condamne dans le Livre de la Patience c. 3 . lorfqu’il dit. 1?amour de Vargent & le defir de la gloire font des folies que le monde emit permifes. Et on s'imagine que Vavarice, Pambition, le luxe, les divertijfanens des fpcdacles , font innocens lorfqtPils ne nous font point tomber dans quelque crime ou quelque defordre que les loix defendent. L’atnbi- tion confide a ddfirer l’61evement pour l’t'leve- ment, & l’honneur pour l’honneur; comme l’a- varice 4 aimer les richefles pour les richeires. Si vous y joignez les moyens injuftes, vous la ren- dez plus eriminelle ; mais en fubftituant des moyens legitimes,vous ne la rendez pas innocen- te. Or Vafquez ne parle pas de ces occafions dans lefquelles quelques gens de bien ddfirent de changer de condition, & font dans Tattente pro¬ bable de le faire, comme dit le Cardinal Cajetan. S’il en parloit, il auroit dt 6 ridicule d’en conclu- re, comme i! a fait, que l’on ne trouve prefque jamais de fuperftu chez les gens du monde ; puif- qu? 6\ I. Note sur la XII. Lettre. que des occafions tres-rares, qui ne peuvent ar- river qu’une ou deux fois dans ia vie, & qui ne fe rencontrent que dans un tres-petit nombre de riches, & qui Dieu^ fait connoitre qu’ils ne fe nuiront pas a eux-mdmes en s'dlevant pour fer- vir les autres, ne peuvent pas empdcher que la plupart des riches n’ayent beaucoup de fuperflu. Mais il parie d’un defir vague & inddtermind de s’agrandir, il parie d’un ddfir de s’elever fans au. cune borne; puifque s’il dtoit bornd, les riches commenceroient d’avoir du fuperflu, lorfqu’ils y feroient arrivez. Et enfin il croit que ce ddfir eft ii gdndralement permis, qu’il empeche tous les riches d’avoir prefque jamais du fuperflu. C’eft , Monfieur, afin que vous l’entendiez, cette prdtenfion de s’aggrandir, & de s’dlever toujours dans le fiecle a une condition plus hau¬ te, quoique par des moyens legitimes, Ad fia- ium quern licite pojfunt acquirere , que 1’Auteur des Lettres a appelle du nom d’ambition; parce que c’eft le nom que jes Peres lui donnent, & qu’on lui donne meme dans le monde. Il n’a pas dtd oblige d’imiter une des plus ordinaires adref- fes de ces mauvais Cafuiftes, qui eft de bannir les noms des vices,& de retenir les vices monies fous d’autres noms, Quand done ces paroles, Statum quem Rcite fojjunt acquirere , auroient 6t6 dans le paf- fage qu’il a citd, il n’auroit pas eu befoin de les re- trancher pour le rendre criminel. C’eft enlesyjoi- gnant qu’il a droit d’accufer Vafquez ,que felon lui il ne faut qu’avoir de l’ambition pour n’avoir point de fuperflu. Il n’eft pas le premier qui a tird cette confdquence de cette doftrine. Mr. du Val l’avoit fait avant lui en termes formels, en combattant cette mauvaife maxime, tom. 2 . qu. 8. p. 57 <5- Ilsenfuivroit, dit-il, que celui qui de- fireroit une plus haute (lignite, e’efi-d-dire qui auroit De Vasquez sur l’aumone. 6$ me plus grande ambition , n’auroit point de fuperflu quoiqu’il eUt beaucoup plus qu’il ne hi faut felon fa condition prefente: Sequeretur eum qui banc digni¬ tatem cuperet , feu qui majori ambitions duce- retur , habendo plurima fupra dccentiam fui flatus , non babiturum fuperflua. Vous avez done fort mal rdufC , Monfieur, dans les deux prdmidres faufletez que vous re- prochez a I’Auteur des Lettres. Voyons fi vous ferez mieux fondd dans les deux autres , que vous 1’accufez d'avoir faites en fe defendant. La prdmiere eft, qu’il aflure que Vafquez n’o- blige point les riches de donner de ce qui eft ndeeffaire a leur condition. II eft bien ail'd de vous rdpondre fur ce point : car il n’y a qu’4 vous dire nettement que cela eft faux, & qu’il a dit tout le contraire. II n’en faut point d’au- tre preuve que le paflage meme que vous pro- duifez trois lignes apres , ou il rapporte que Vafquez oblige les riches de donner du neceffaire en certaines occafions. Votre derniere plainte n’eft pas moins dd- raifonnable. En void le fujet. L’Auteur des Lettres a repris deux ddcifions dans la doftrine de Vafquez. L’une , que les riches ne font point obligez ni par juftice ni par charite de donner de leur fuperflu , & encore molds du neceffaire dans tous les befoins ordinaires des pauvres. L’autre , qu’ils ne font obligez de donner du neceffaire qu’en des ren¬ contres ft rares qu’elles n'arrivent prefque jamais. Vous n’aviez rien k rdpondre fur la prdmiere de ces ddcifions, qui eft la plus mdchante. Que faites-vous la-deftiis ? Vous les joignez enfetn- ble , & apportant quelque mauvaife ddfaite fur la derniere , vous voulez faire croire que vous avez^ rdpondu fur toutes les deux. Ainfi pour ddmeler ce que vous voulez embarafler k def- Tome III. E fein, 66 I. Note suit la XII. Lettre. fein , je vous demande a vous-merne , s’il n’eil pas vrai que Vafquez enfeigne, que les riches Be font jamais obligez de donner ni du fuper- flu, ni du ndceifaire , ni par charitd, ni par juftice, dans les ndcefEtez ordinaires des pau- vres? L’Auteur des Lettres ne l’a-t il pas prou- vd par ce paffage formel de Vafquez ? Corduba enfeigne que lorfqu'on a du fuperflu , on efl oblige d’en donner d ceux qui font duns une neceffite ordi¬ naire , au mins une partie, afin d’accomplir le pre- cepte en quelque chofe. (Remarquez qu’il ne s’a- git point en cet endroit ,ii on y eft obligd par juftice ou par charitd, mais fi on y eft oblige abfolument.) Voyons done quelle fera la dd- cifion de votre Vafquez. Mais cela ne me plait pas, sed hoc non placet ; car nous avons non• tre le contrenre conti e Caftan & Navarre. Voili a quoi vous ne rdpondez point , laiffant ainfi vos Jefuites convaincus d’une erreur ft contrai- re a I’Evangile. Et quant a la feconde deciuon de Vafquez, qui eft que les riches ne font obligez de don- ner du ndeeffaire d leur condition , qu’en des rencontres ft rares qu’elles n’arrivent prefque jamais , l’Auteur des Lettres ne l’a pas moins clairement prouvd, par l’affemblage des condi¬ tions que ce Jdfuite demande pour former cet- te obligation r favoir, que Ton facbe que le panics qui eft dans la neceffite urgente , ne fera ajftfte de perfmne que de nous; & que cette neceffitd h me¬ nace de quelque accident mrtel, ou de perdre la reple¬ tion. li a demandd fur cela ft ces rencontres dtoient fort ordinaires dans Paris, & enfin il a preffd les Jefuites par cet argument : Que Vaf¬ quez permettant aux pauvres de voler les riches, dans les mernes circonftances ou il oblige les ri¬ ches d’affifter les pauvres, il faut qu’il ait cru, ou De Vasquez suk l’aumone. 6f ou que ces occafions dtoient fort rares, ou qu’il £toit ordinairement permis de voler. Qu’avez- vous r^pondu a cela, Monfieur ? Vous avez dif- fimuld toutes ces preuves, & vous-vous etes con- tentd de rapporter trois paffages de Vafquez , oil il dit dans les deux premiers, que les riches font obligez d’affifter les pauvres dans les ndceifitez urgentes, ce que 1’Auteur des Lettres reconnoic expreffiment: raais vous-vous dtes bien gardd d’ajouter qu’il y rapporte des reftri&ions, qui font que ces ndceffitez urgentes n’obligent pref- que jamais d donner l’aumdne; qui eft ce dont il s’agit. Le troifieme de vos paffages dit (implement , que les riches ne font pas obligez de donner feu- lement l’aumdne dans les ndceffitez extremes s c’eli-a-dire quarid un homme eft pret de mourir, parce qu’elles font trop rares ;d’oii vous conclues qu’il eft faux que les occafions oil Vafquez obli - gd a donner l’aumdne , foient fort rares. Mais vous-vous moquez , Monfieur: vous n’en pou- vez conclure autre chofe , finon que Vafquez 6te le nom de tris-rares aux occafions de donnef 1’aumone , qu’il rend tres-rares en effet par les conditions qu’il y apporte. En quoi il n’a fait que fuivre la conduite de fa Compagnie. Ce ]6~ fuite avoit d fatisfaire tout enfemble les riches qui veulent qu’on ne les oblige que tres-rarement a donner l’aumdne , & l’Eglife qui y oblige tres- fouvent ceux qui ont du fuperflu. Il a done vou- lu contenter tout le monde, felon la m^thode de fa Socidt6, & il y a fort bien rdufli. Car il exige d’une part des conditions fi rares en effet, que les plus avares en doivent etre fatisfaits ; & if leur 6te de l’autre le nom de rares, pour fatisfaire 1’Eglife en apparence. Il n’eft done pas queftion de favoir fi Vafquez a donn£ le nom de rares aux E 2 ren- <58 I. Note sue la XII. LettHe. rencontres ou il oblige de donner I’aum6ne, On ne i’a jamais accuf<£ de les avoir appellees rares. II 6toit trop habile Jefuite , pour appeller ainfl les mauvaifes cbofes par leur nom. Mais il eft queftion de favoir fi elles font rares en effet, par les reftrictions qu’il y apporte : & c’eft ce que j’Auteur des Lettres a fi bien montr£ , qu’il ne vous eft refi£ fur cela que cette rdponfe g6n6rale, qui ne vous manquera jamais , qui eft la diffimu- latio'n & le filence. Tout ce que vous ajoutez enfuite de la fubtili- de l’efprit de Vafquez dans les divers fens qu’il donne aux mots de necejfaire & de fuperflu , eft une pure illufion. Il ne les a jamais pris qu’en deux fens, auifi-bien que tous les autres Thtolcr- giens. Il y a felon lui necejfaire a la nature , 0* necejfaire a la condition:fuperflu d la nature ,&Jiiper- flu d la condition. Mais afin qu’une chofe foit fu- perfiue a la condition, il veut qu’elle le foit non feulement a 1’^gard de la condition prdfente ,tnais auffi 4 l’^gard de celle que les riches peuvent ac- qu£rir ou pour eux, ou pour leurs parens, par des moyens legitimes. Ainfi felon Vafquez, tout ce que l’on garde pour relever fa condition, eft ap¬ pend (Implement ndceifaire 5 la condition, & fu¬ perflu feulement a la nature ; & on n’eft obligd d’en faire l’aumfine que dans les occafions que 1’Auteur des Lettres a fait voit dtre fi rares, qu’el- les n’arrivent prefque jamais. Il n’eft pas befoin de rien ajouter touchant la comparaifon de Vafquez & de Cajetan, a ce que 1’Auteur des Lettres en a dit. Je vous avertirai feulement en paflant.que vous impofez a ce Car¬ dinal , auffi-bien que Vafquez , lorfque vous fou- tenez, Que contre ce qu'il avoit dit dans le Traite' de VAumone , il enfeigne en celui des Indulgences , que f obligation de donner le fuperflu , fie pajft point le D'e laSimonie. 69 she veniel. Lifez-le, Monfieur , & ne vous fiez pas tant aux ] 6 h uites, ni morts ni vivans. Vous trouverez que Cajetan y enfeigne formeilement le contraire : & qu’apres avoir dit qu’il n’y a que les ndceflitez extremes , fous Jefquelies if comprend aufC la plupart de celles que Vafquez appelle urgentes, qui obligent a pdchd mortel, il y ajoute cette exception , fi ce n’efi qu'on ait des Mens fuperflus : Seclusa suferfluitate bo- norum. Je paffe done avec vous a la dodtrine de la Simonie. L’Auteur des Lettres n’a eu autre def- fein que de montrer que ia Socidtd dent cette maxime , que ce n’eft pas une fimonie en con- fcience de donner un bien fpirituel pour un temporel, pourvu que le temporel n’en foit que le motif meme principal; & pour le prouver, il il a rapportd le paiTage de Valenda tout au long dans la 12. qui le dit fi clairement que vous n’avez rien & y rdpondre, non plus que fur Ef- cobar, Erade Bille , & les autres , qui difent tous la mdme chofe. Il fuffit que tous ces Au¬ teurs foient de cette opinion, pour montrer que felon- toute la Compagnie qui tient la doctrine de la Probability , elle eft fure en confidence , apres tant d’Auteurs graves qui Pont foutenue, & tant de Provinciaux graves qui l’ont approu- vde. ConfeiTez done qu’en laiffant fubfifter , comme vous faites , le fentimenr de tous ces autres Jdfuites, & vous arretant au feul Tannd- rus, vous ne faites rien contre le deflein de PAuteur des Lettres que vous attaquez , ni pour la jultification de la Socidte que vous dd- fendez. Mais afin de vous donner une entiere fatis- fadtion fur ce fujet , je vous foutiens que vous avez tort auffi-bien fur Tanndrus que fur les E 3 tres. I. Note sur la XII. Lettre. tres. Prdmierement vous ne pouvez nier qu’il ne dife gdndralement, qu’il n’j a point de fimonie en confcience, in foro confcientise , a donner ,un him fpiriluel pour ttn temporel, lorfque k lemporel n'en efl que le • motif nieme principal, & non pas le prix. Et quand ii die qu’il n’y a point de fimonie en con¬ science, il entend qu’il n’y en a point,ni de droit divin ni de droit pofitif. Car la fimonie de droit po* fitif efl une fimonie en confcience. Vciii la regie gdndrale a Iaquelle Tanndrus apporte une excep¬ tion, qui eft que dans les cas exprimez par le droit, (’'efl une fimonie dedroitpofilif ,oumefimonieprefumee. Or comme une exception ne peut pas etre aufli si- ten due que la regie, il s’enfuit par ndceffitd que cette maxime gdndrale , que ce n'efi point fimonie en confcience de dormer un lien fpiritucl pour un tcmporel, qui n’en efl que le motif, & non pas le prix , fublifte en quelque efpece des chofes fpirituelles. Et qu’ainfi il y ait des chofes fpirituelles qu’on peut donner fans fimonie de droit pofitif pour des biens temporeis, en changeant le mot de prix en celui de motif. L’Auteur des Lettres a choifi ,1’efpece des Bd* ndfices, a Iaquelle il rdduit la doftrine de Vaien* tia & de Tanndrus. Mais il lui importe peu ndan- moins que vous en fubftituyez une autre, & que vous difiez , que ce n’eft pas les Bdndfices, mats les Sacremens, ou les Charges Eccldfiaftiques,qu’on peut donner pour de 1’argent. Il croit tout cela dgalement impie, & il vous en laiffe le choix. Il femble, Monfieur, que vous 1’ayez voulu donner a entendre , que ce n’eft pas fimonie de dire la Meffe ayant pour motif principal d’enrecevoirde l’argent. C’eft la penfde qu’on peut avoir, en li- fant ce que vous ropportez de la coutume de l’E* glife de Paris. Car fi vous aviez voulu dire fim- plement que les fideles peuvent offrir des biens tetu- De la Simonie. 71 temporels a ceux dont Ils regoivent les fpirituels, t& que les Pretres, qui fervent a Mutel peuvent vivre de 1 ’Autel, vous auriez dit une chofe dont perfonne ne doute , mais qui ne touche point auffi notre queftion. II s’agit de favoir , fi un Pietre qui n’auroit pour motif principal en of- frant le facrifice que l’argent qu’il en regoit.ne feroit pas devant Dieu coupable de fimonie. Vous Pen devez exempter felon la do&rine de Tan- n£rus; mais le pouvez-vous felon les principes de la pi6t£ Chrdtienne ? Si la Simonie, dit Pier¬ re le Chantre , l’un des plus grands ornemens de l’Eglife de Paris , efi fi bonteufe & damnable dans les chofes jointes aux Sacremens; combien Vefi- die plus dans la fubftance meme des, Sacremens , & principalement dans l’Eucharifiie,ou on prend Jesus- Christ tout entier, la fource & I'origine de toutes les graces. Simon k Magicien , dit encore ce faint homme , ay ant ete rejette par Simon Pierre , lui eitt pu dire: Tu me rebutes, mais je triompherai de toi & du corps entier de VEglife ; j'etablirai le fie- ge de men empire fur les Autels ; & lorfque les An- ges feront ajfemblez en un coin de VAutel pour ado¬ rer le Corps de Jesus-Christ , je feral d Vautre coin pour faire que le Minifiere de VAutel , ou phi- tot le mien , fe forme pour de Vargent. Et cepen- dant cette fimonie , que ce pieux TMologien condamne fi fortement, ne confide que dans la cupidke, qui fait que dans l’adminidration des chofes fpirituelles on met fa fin principale dans l’utilite temporeile qui en revient. Et c’elt ce qui iui fait dire g£n£ralement c. 25 , que les Minifleres faints, qu’il appelle les outrages de la droite, e'tant exercez par Vamour de Vargent , foment la fimonie : Opus dexter® operatum caufi pecuni® acquiren- ds „ parit fimoniam. Qu’auroit-il done dit, s’il avoit out parler de cette horrible rnasime desCa- E 4 fuiftss 72 I. Note svr la XU. Lettre. failles que vous ddfendez : j Qa'il eft permis a m Trdtre He renoncer pour tin peu d’argent d tout le fruit fpirituel qu’il peut pretendre du /aerifies ? Vous voyez done , Monfieur , quefic’eft-la tout ce que vous avez a dire pour laddfenfe de Tanndrus, vous ne ferez que le rendre coupa- ble dune plus grande impidtd. Mais vous ne prouverez pas encore par-la qu’il y ait, felon 3 ui , fimonie de droit pofitif a recevoir de Par- gent comme motif pour donner des Bdndfices. Car remarquez, s’il vous plait , qu’il ne die pas iimplement que e’eft une fimonie de donner un bien fpirituel pour un temporel comme motif, & non comme prix: mais qu’il y ajoute une alternati¬ ve , en difant -que c’eil on une fimonie de droit po¬ fitif , ou me fimonie prefumee. Or une fimonie prdfumde n’elt pas une fimonie devant Dieu; el- le ne mdrite aucune peine dans le tribunal de la confcience. Et ainfi dire, comme fait Tannd- rus, que e’eft une fimonie de droit pofitif, ou une fimonie prdfumde, e’eft dire en effet que e’eft une fimonie , ou que ce n’en eft pas une, VoiU A quoi fe rdduit l’exception de Tanndrus, que l’Auteur des Lettres n’a pas dfi rapporter dans fa fixieme Lettre ; parce que ne citant au- canes paroles de ce Jdfuite , il y dit (implement qu’il eft de l’avis de Valentia : mais il l’a rappor- tde , & y rdpond expreffd/nent dans fa douzie- .me, quoique vous 1’accufiez fauflement del’avoir diflimulee. C’a etd pour dviter l’embarras de toutes ces dif- tinfbions. que 1 ’Auteur des Lettres avoit deman- dd aux Jdfuites , Si c'etdit fimonie en confcience felon leurs Auteurs , de donner un Bine fixe de quatre milk livrcs de rente , en recevunt dix mille francs comme motif, gp non comme prix. Il les a pref- fez fur cela de lui donner rdponfe prdcife fans parler De la Simonie. 73 parler de droit pofitif, c’eft-a-dire fans fe fervir de ces termes que le monde n’entend pas, & non pas fans y avoir dgard , comme vous l’avez pris contre ies Loix de la Grammaire. Vous y avez done vouiu latisfaire , & vous rdpondez en un mot , qu'en otant le droit pofitif il n'y auroit point de ftmonie, comme il n'y auroit point de pec be a n'entendre point la Mejfe un jour de Fete, ft f E- glife nc I'avtnt point commande : c’eft-a-dire que ce n’eft une ftmonie que parce que l’Eglife l’a vou¬ iu , & que fans fes ioix pofitives ce feroit une action indifKrente. Sur quoi j’ai a vous re- partir. Primierement, que vous rdpondez fort mal & la queftion qu’on a faite. L’Auteur des Lettres demandoit s’il y avoit ftmonie , Jelon les uiuteurs Jefuites qu’il avoit citez , & vous nous dites de vous-mdme qu’il n’y a que ftmonie de droit po¬ fitif. Il n’eft pas queftion de favoir votre opi¬ nion , elle n’a pas d’autoritd. Prdtendez-vous etre un Dofteur grave ? Cela feroit fort difputa- ble. Il s’agit de Valentia, Tanndrus , Sanchez, Efcobar, trade Bilie , qui font indubitablement graves. C’eft felon leur fentiment qu’il faut rd- pondre. L’Auteur des Lettres prdtend que vous ne fauriez dire, felon tous ces Jdfuites , qu’il y ait en cela ftmonie en confcience. Pour Valen¬ tia, Sanchez , Efcobar, & les autres, vous les quittez. Vous le difputez un peu fur Tanndrus, mais vous avez vu que c’dtoit fans fondement; de forte qu’apres tout il demeure conftant que la Socidtd enfeigne , qu’on peut fans ftmonie en confcience donner un bien fpirituel pour un tem- porel, pourvu que le tempore! n’en foit que le motif principal, & non pas le prix. C’eft tout ce qu’on demandoit. Et en fecond lieu, je vous foutiens que votre E 5 rdpon- 74 I. Note sur la XII. Lettre. rdponfe contient une impute horrible. Quoi Monfieur ! vous 6fez dire que fans les loix de PEglife il n’y auroit point de fimonie, de don¬ ner de i’argent arec ce ddtour d’intention pour entrer dans les charges de I’Eglife: qu’avant les canons qu’eile a faits de la Simonie , l’argent dtoit un moyen permis pour y parvenir, pour- vu au’on ne le donnat pas comme prix ; & qu’ainli St. Pierre fut tdmdraire de condarnner fi fortement Simon ie Magicien , puifqu’il ne paroiiToit point qu'il lui offroit de I’argent plu- tdt comme prix, que comme motif! A quelle Ecole nous renvoyez-vous pour y ap- prendre cette doctrine? Ce n’eft pas a celle de Jesus-Cheust , qui a toujours ordonnd a fes difciples de donner gratuitement ce qu’ils avoient requ gratuitement; & qui exclut par ce mot, comme remarque Pierre Je Chantre in Verb. Mr. c. 3 6 . toute attente At prefcns ou Services , J'oit avec paBc , foit fans paBe ; pane que Dieu voit dans le cceur. Ce n’eft pas a l’Ecole de l’Egiife , qui traite non feulement de criminels.mais d’hdrdti- ques, tous ceux qui empioient de l’argent pour obtenir les Minifteres Eccldfiaftiques, & qui ap- pelle ce trafic, de quelque artifice qu’on le pal- lie , non un violement d’une de fes loix poQ- tives, mais une hdrt'fie, pmoniacam barejim. Cette Ecole done, en laqueile on apprend tou- tes ces maximes, ou que ce n’eft qu’une fimo¬ nie de droit pofitif, ou que ^ce n’en eft qu’une prdfumde, ou qu’il n’y a meme aucun pdchd a donner de l’argent pour un Bdndfice comme mo¬ tif & non comme prix, ne petit etre que celle de Gidfi & de Simon le Magicien. C’eft dans cette Ecole, oh ces deux premiers trafiqueurs des diofes faintes, qui font extkrables par-tout ail- leurs 1 Des Banqueroi/tes. 7 j* leurs, doivent etre tenus pour innocens; & ou laiffant & la cupidity ce qu’elle ddfire, & ce qui la fait agir, on lui enfeigne a dluder la loi de Dieu, par le changement d’un terme qui ne chan* ge point les chofes. Mais que Ies difcipies de cette Esole ecoutent de quelle forte le grand Pa¬ pe Innocent III. dans fa Lettre a I’Archeveque de Cantorbie de l’an 1199. a foudroyd toutes les damnables fubtilitez de ceux qui etant avew- glez par le defir du gain, pretendent pallierla fimo - me fous m nom honnete : Sitnoniam fub honefto nomine palliant. Comme ft ce changement de nom, pouvoit faire changer & la nature du crime , & la peine qui lui eft due. Mais on ne fe moque point de Dieu, (ajoute ce Pape; ) & quand ces Seda- teurs de Simon pcurroient eviter cn cette vie la pu- nition qu’ils meritcttt , ils n'e'viteront point en Van. tre le Jupplice eternel que Dieu leur referve. Car Vbannetete du nom n'efi pas capable de pallier la malice de ce peche, ni le deguifement d'une parole ne peut empScher qu'cn n'en foit coupalle. Cum nec honeftas nominis criminis malitiam palliabit. nec vox poterit abolere reatum. Le dernier point, Monfieur, eft fur le fujet des Banqueroutes. Sur quoi j’admire votre bar- diefie. Les Jefuites , que vous ddfendez , a- voient rejettd la queftion d’Efcobar fur LefUus tres-mal a propos. Car l’Auteur des Lettres n’avoit citd Leflius que fur la foi d’Efcobar, & n’avoit attribud qu’a Efcobar feul ce dernier point dont ils fe plaignent, favoir que les Ban- queroutiers peuvent retenir de leurs biens pour vivre honndtement, qumquc ces biens eujjent ete gagnez par des injuftices des crimes annus de tout le mendc. C’eft aufli fur le fujet du feul Efcobar qu’il les a preflez, ou de defavouer publiquement cette j6 I. Note sue la XII. Lettre. cettemaxime.oude declarer qu’ils la foutiennent,' & en ce cas ii les renvoie au Parlement. CM- toit 4 cela qu’il falioit repondre ; & non pas dire fimplement que Leffius , done il ne s’agit pas , n’eft pas de Tavis d’Efcobar , duquel feul il s’agit. Penfez-vous done qu’il n’y ait qu’i d&ourner les queftions, pour les rdfoudre? Ne le prdtendez pas , Monfieur. Vous r^pondez fur Efcobar, avant qu’on parle de Leffius. Ce n’eft pas que je refufe de le faire. Et je vous promets de vous expliquer bien nettement la doftrine de Leffius fur la Banqueroute, dont je m’aflure que le Parlement ne fera pas moins choqu6 que la Sorbonne. Je vous tiendrai pa¬ role avec l’aide de Dieu, mais ce fera apres que vous aurez r^pondu au point conteftd tou- chant Efcobar. Vous fatisferez 4 cela prdciffi- ment , avant que d’entreprendre de nouvelles queftions. Efcobar eft le premier en date , il paifera devant malgr£ vos fuites. Affurez- vous qu’apres cela Leffius le fuivra de pres. Des revenus Ecclesiastiques. 77 NOTE II. Diverfes Mnximcs corrompues des Jefuites toucbant les Revenus Ecciefiaftiques. L ’Apologise des Jdfuites avoit extremement fait valoir I’obligation que Vafquez impofe aux Eccleflafiiques de donner leur fuperflu aux Pauvres, Mais Montalte , qui ne vouloit pas s’dcarter de fon deflein en fe jettant dans de nouvelles difputes, meprife ces vaines declama¬ tions, &fecontente de repondre qu’il n’a point parie des Ecciefiaftiques, mais que ndanmoins fi les jefuites vouloient entrer dans cette queftion, il eft pfet d’en parler quand il leur plaira. Afin done de faire voir qu’il n’y a rien que de veritable dans cette menace de Montalte, je crois devoir faire ici ce qu’il n’a pas dft faire, & marquer en paflant divers relachemens de la Morale des jefuites fur l’ufage des Biens Eccie¬ fiaftiques. Ii n’y a rien de plus certain dabs la doftrine des Peres, des Conciles, & des anciens Scolafti- ques, que les Ecciefiaftiques ne font point ies maitres de leurs revenus, mais qu’ils n’en fonc que les cBconomes & les difpenfateurs ; ce qui a fait dire au jefuite Comitolus (i): Que les an¬ ciens Dofteurs & les meilleurs Auteurs des fiecles paifez, & mSme du nfitre, n’ont jamais mis en queftion, fi ceux qui ont des Benefices font les maitres des revenus & des fruits de ces Benefices. Tant il dtoit certain qu’ils ne l’etoient pas. Et afin (i) Re/p. Mur. 1 . i. q. 10. Nous avons de'ji parie do ee Pete Paul Comitolus, qui ne fuivoit pas tons les ega- remens des Jefuites fes confreres, 7§ II. Note sur la XII. Lettre. afin qu’on ne s’imagine pas que cela n’a lieu qu’d regard des premiers fiecles, le dernier Concile Gdndral (i) a ddclard conformdment acefenti- raent comrnun , que Ies biens des Eveques (ce qu’on doit aufli entendre de ceux des Miniftres infdrieurs) appartiennent a Dieu; & ainil il leur defend de ies diliiper,& deles donner a leurspa¬ rens. „ Neanmoins, ajoute Comitoius, certains „ Auteurs modernes, difcipies de Dominique So- „ to, ont tachd apres quinze iiecies d’introduire „ dans l’Eglife une opinion nouvelle & perni- „ cieufe, favoir que ies Bdndficiers font vdrita- „ blement les maitres des revenus de leurs Bdnd- ,, fices. Voila comme parie ce Jdfuite, bien dloignd en cela des maximes de fa Socidtd. Car ces Ca- fuiftes, a qui il fuffit pour embraifer les opinions les plus relachees, qu’elles foient appuydes fur la moindre raifon, ou fur quelque autoritd qui ne foit pas tout-a-fait mdprifable, ont prefque tous donnd dans l’opinion de Soto, & Vafquez en-- tr’autres (2). Ainii ceux qui enrichiffent leur fa- mille des biens de l’Eglife, ou qui les emploient d nourrir des chiens, ne font point obligez, fe¬ lon ces Auteurs, a reftituer; & ils peuvent par confdquent obtenir 1’abfolution de cette dillipa- tion, & rentrer en grace avec Dieu en fe con- feffant, & en faifant un a£le d’attrition qui eft tou- jours en leur pouvoir. II eft aifd de comprendre quels defordres une maxime ft licencieufe pent introduce. Non feulement Vafquez rend Ies biens de l’E- glife propres aux Ecclefiaftiques; mais n’ayant pas 6fd nier qu’ils ne fuflfent obligez de donner au f l) SeJJ. z$. de reform. C. I. i) De Redis, Eetl, c, I, dub. I. nm, 27. Des Revenus Ecclesiastiques. 79 aa moins leur fuperflu aux pauvres» il ddcharge de cette obligation ceux qui ne font pas titulaires des Bdndfices, & qui ont feuiementdes penfions. „ Je ne vois.dit.il (i), aucun Auteur qui oblige „ ceux qui ont des penfions fur des Benefices, 4 „ faire des aumbnes plus abondantes que les Sd- „ culiers; qui, felon le meme Vafquez, ne font point oblige* a donner leur fuperflu, ft ce n’eft dans les ndceffitez preffantes & extremes, & fen- core avec les exceptions que Montalte a rap- portdes. Mais quand ce qu’il dit feroit vrai, qu’il n’a trouvd aucun Auteur qui oblige ceux qui ont des penfions fur les Bdndfices, a faire des aumdnes plus abondantes que les Sdculiers, ce feroit par une autre raifon & par un motif tres-eloignd de fa prdtention. Car puifqu’il eft Evident que ces penfions font vdritabiement partie du bien de l’Eglife & des Pauvres, il eft: naturel que les Au¬ teurs ne les ayent point diftingudes des autres biens Eccldfiaftiques. Pourquoi en effet les era diftinguer, puifqu’elles n’ont rien de particulier, finon que I’ufage en eft tout nouveau, qu’elles font fujettes & beaucoup- d’abus , qu’elles ont toujours quelque chofe d’odieux & qui reflent la funonie , a moins que I’utilitd de l’Eglife on quelque raifon importante ne les rende ndcef- faires ? De ces principes, les autres Jdfultes qui ont un gdnie merveilieux pour dtendre les opinions relachdes, qu’ils regardant comme des faveurs qu’on ne doit point reflerrer; de ces principes, dis-je , ils ont tird diverfes confdquences qui deshonorent la dignitd & la faintetd du Sacerdo- ce & de l’Etat Eccldfiaftique. Hur- ( i ) De Eltemof , c , 4, dub . ult . nm . 22. 8 o II. Note sur la XII. Lettre. Hurtado de Mendoza (i) , citd par Diana (2), enfeigne qu’un Eveque qui dans les n&reffitez ordinaires donne ie tiers de fon revenu aux pau- vres, & donne une grande partie du refte a fa familie, ne peche point. „ Suppofons, dit-il, „ unEvdque qui ait trente miile iivres de rente, „ s’ii en diftribue dix miile en oeuvres pieufes, „ il n’y a perfonne qui puiffe l’accufer d’avarice „ ou de duretd envers les pauvres, ni fe fcanda- „ lifer avec raifon de ce qu’il ddpenfe les vingt ,, miile qui lui reftent pour 1’entretien de fa mai* „ fon, ou commeil lui plait, pourvu que ce ne „ foit point en des ufages profanes, quand me me „ il Its repandroit abondamment fur fa familie :.... } , ce qu’il pent faire fans aucun fcrupule. Sanchez affure que ce que l’on donne aux Pr£- tres pour adminiftrer les Sacremens, & pour en¬ tendre les Confeflions, doit dtre regards comme un bien de patrimoine, & que par contequent ils ne font point abfolument obligez d'en donnet meme le fuperflu aux pauvres. 11 prdtendque cette maxime a lieu a l’dgard de ceux m£mes qui font obligez par leur emploi a exercer ces fonftions fans aucune retribution. C’eft ce qu’Ef- cobar renferme dans ce peu de mots. „ Les „ Pretres, demande-t-il (3), font-ils obligez de „ faire des aumdnes du fuperflu de ce qu’ils- re- „ qoiventpour les fon&ions de leur miniftere, „ comme par exemple pour dire la Meffe, pre- „ cher, sflifter aux Convois, adminiftrer les Sa- ,, cremens, &c. J’affure, rdpond-il, que felon ,, la doftrine de Sanchez ils n’y font point obli- >1 gez» ft) In 2. 2. vol. 2. difp. I60. /cflf. Ij. §. ioj. ufijut ai no. (i) J. part, trail. 8. refp. 37 . . (l) Trail, S. IX, S. C. 6. in praxi, Des Revenus Ecclesiastiq.ues. 8i 13 gez, quand rndme leur eraploi Ies obiigeroit >3 d’exercer toutes ces fonctions gratuitement, »> parce qu’on doit regarder ces biens comme >, des biens de patrimoine Comme ft les Pre- tres pouvoient efptirer de leur miniftere quelque chofe de temporel qui leur tienne lieu de rdcom- penfe, ou que Sc, Paul permit aux Miniftres de PEvangile de retirer autre chofe de l’Aute!,quece qui eft ndceffaire pour leur nourriture & leur en- tretien. Le meme Sanchez autorife i’avarice la plus for- dide des Eccl6fiaftiques. „ Quand les Eccldfiaf- „ tiques, dit-il(i), vivent avec une telle dpar- „ gne qu’ils ne d£penfent pas des revenus de „ leurs Bdndfices ce qui, au jugement d’un hom- „ me de bien, eft ndcellaire pour vivre honndte- „ ment dans leur dtat, peuvent-iis difpofer de „ cette dpargne comme d’un bien de patrimoine; „ ou font-ils obiigez de le donner aux pauvres „ comme un bien fuperflu? „ 11 y a la deffus deux opinions. La prdmiere n qu’ils font obiigez de le donner aux pauvres, „ parce que les biens de l’Eglife ne font donnez „ aux Eccldfiaftiques qu’autant qu’ils leur font „ ndceffaires, & que le retie doit etre diftribue „ aux pauvres. Or dans ce cas le ndceffaire ett „ devenu fuperflu par l’dpargne de cet Eccldfiaf- „ tique. ” Done, &c. C’eft 1 ’opinion de Panor- me, cap. Cum omnes tsum. 27. de tefi- Sarmient. Etjl en apporte pluiieurs preuves. lib. de red part. 3. c. k. r. 2, 3. 4. 5. & in defenf. part. 1. monito. 30. ©*31. „ II. La feconde opinion tient le contraire. „ III. Ma conclufion elt qu’il eft plus proba. „ ble que les Eccldfiaftiques peuvent ufer, com- „ me ( 1 ) Cor.cl. Mor. I, 2 . Cm 2 . Dub. 43 , Toms III. F ' 3 a II. Note sur la XII. Lettke. „ me d’un bien de patrimoine, de ce qu’ils ont „ 6pargn£ fur leur neceffaire. Et ia raifon fur „ laqueile Je me fonde eft, que ce nfceflaire eft s> accordd aux Eccldfiaftiques & caufe de leur tra- „ vaii, en forte qu’ils en peuvent difpofer cora- „ me il leur plait. lis peuvent done fans feru- „ pule difpofer comme d’un bien de patrimoine, „ de ce qu’ils ont amafE par leur dpargne. C’eft „ le fentiment de Navarre, &c. Efcobar die la m&me chofe en moins de mots, y, Un Eccldfiaftique, demande-t-il (r), eft-i! obli- „ gd de donner aux pauvres comme fuperflu, ce 3 > qu’il a dpargne fur ce qui £toit n&eflaire pour „ vivre honnetement felon fon 6tat? Je foutiens ,,.avec Molina qu’il n’y eft pas oblige: parce que „ ces biens font comme des biens de patrimoine, ,, qui lui font dits pour fa fubfiftance Ceft ainfi que les Jefuites, non contens d’introduire 1’avarice dans le plus faint de tous les minifteres , corrompent encore les vertus mSmes, en enfei- griant aux Pretres a vivre frugalernent & pauvre- ment, non pour 1’amour de Jesus-Christ, mais pour enrichir leurs parens. Mais rien n’eft plus indigne que ce qu’enfef- gne encore le meme Sanchez ( 2 ). „ Si un Eccld- „ fiaftique, dit-ii, m£rite par fon travail & par „ les fervices qu’il rend 2 l’Eglife, une plus gran- ,, de rdcompenfe que celle qui eft ndeeftaire pour ,, fon honnete fubfiftance ; comme s’il exerce „ dans Ton Eglife plus de fondtions qui m^ritent „ une rdcompenfe, qu’il n’eft oblige d’en exer- j* cer ; par exemple, s’il preche , s’il confeffe , „ &c. il peut prendre fur le fuperflu de fes reve- ,> nus une certaine quantity proportionnde a fon „ tra- fi) 'Thiol. Mor. trail. 5- exam. 5 - c. 6. ( 2 ) Censl, Mor. I, z, c. z.tliJl. 38 . r.am. u, Des Revenus Ecceesiastiques. 83 „ travail, & en difpofer comme d’un bien de pa- „ trimoine, parce que felon le droit divin & le „ droit naturel , celui qui travaiiie mdrite fa „ rdcompenfe ( 1 ). C’eft le fentiment de Navar* „ re, &c. On ne peut trouver des termes alTez forts pour ddtefter une doctrine ii abominable, & ft inju> rieufe a Jesus-Chkist de d I’Eglife. Je dis done hardiment que quiconque tire des For,ebons Ec- cldfiaftiques au-dela de ce qui eft ndeeffaire pour vivre honndtement felon les regies du Chnftia- nifme, non feulement il deshonore fon miniftere, mais il s’en acquite avec un efprit fimoniaque & merednaire. Car e’eft vendre les fonftions de fon miniftere, & non pas les exercer gratuite- ment, que d’en exiger quelque chofe comme rd» compenfe. Ce n’eft pas ici le lieu de s’arreter a combattre ces rel&chemens, Je fai qu’il y a un grand nom- bre d’Eccldfiaftiques a qui ces maximes ne ddplai* fent pas; tant i’efprit Eccldfiaftique eft dteint dans la plupart de ceux qui en devroient etre remplis. Mais enfin tous ceux qui font encore un peu touchez de i’honneur & de la faintetd de leur miniftere , entreront dans les mdmes fenti- inens que moi. 11s gdmiront comme moi de l’in* jure qu’on fait d I’Eglife; & mdprifant les mur- mures de cette multitude aveugle, ils rdpeteront avec moi ces belles paroles de St. Auguftin fur 1’Epitre de St. Paul aux Galates: „ Malheur aux „ homines d caufe de leurs pdchez. Nous n’a- t, vons plus d’horreur que pour les crimes ex- 1, traordinaires. Car pour ceux qui fe commet- ,, tent commun&nent , quoique Jesus - Ciiiust „ ait verfe fon fang pour les expier, & qu’ils „ foient (1) Or. c, 9. &* Luc. c. ir. 84 HI. Note svr la XII. Lettke. „ foient fi grands qu’iis ferment 1’entrde du R<> ,, yaume du del; nous fommes contraints enles „ voyant fouvent eommettre , de ies toiler, & „ en Jes tolerant, d’en eommettre fouvent nous- „ m&nes quelques.uns. NOTE HI. * explication gf refutation de la doBrine de I'Apolo*. gifts des Cujiapes far la Simenie de droit divin & de droit pefittf. I L n’eft pas n£ceffaire que j’examine id ce qua 1’Apologifte des Cafuilies dit avec tant d’em- portement pour d^fendre Vafquez. Car il n’y a rien qui n’ait £td fuffifamment ddtruit dans laLet- tre pr^eddente. Il diffimule a deffein de i’avoir vue, afin de confondre, felon fa coutume, l’dtat veritable de la queftion , & d’en fubftituer de nouvelles & de frivoles.qui luidonnent lieud’ac- cabler fes adverfaires d’injures. Il fuppofe, par exemple (r), que Montalte oblige les riches de fe ddpouiiier de ce qui eft ndeeffaire a leur con¬ dition , pour foutenir ou r&ablir la fortune de ceux qui font en danger de ddcheoir de leur dtat; quoiqu’on ne puifle trouver aucun veftige de cet- te opinion outree dans les Lettres de Montalte. Mais s’il a mal pris le fens de Montalte, il a parfaitement bien pris celui des Jdfuites fur la Si- monie; & il en pr^fente le venin fans aucun dd- guifement, car voici comme il parle (2). „ Le „ Secretaire dePort- Royal nous objedte, dit-il, „ que s’il taut pour faire la limonie qu’il y ait „ une (I) P. 58 . W) P- «i. <1. De u Simonie. 8 f une vraie vente... ainfi que l’enfeignent nos „ Auteurs,... il n’y aura plus de fimonie. Car „ qui fera aflez malheureux que de vouloir con- „ trailer pour une Mefle, pour une Profeflion, „ pour un Bdndfice fous cette formalitd de mar- 3, chandife & de prix? Je rdpons que tout hom- „ me qui feroit adluellement dans cette difpofi- „ tion (Je n’ai garde jamais de vouloir dgaler „ une chofe fpirituelie d une temporelle, ni de „ croire qu’une chofe temporelle puifle etre le „ prix d’une fpirituelie) ne commettroit pas une „ fimonie contre le droit divin en donnant quel- 3, que chofe fpirituelie en reconncifiance d’une „ temporelle qu’il auroit reque. Je dis plus, que „ la difpofition habituelle fuffit, pour empdcher „ qu’on ne tombe dans le pichd de Simonie. ,3 Que s’il fe trouve quelqu’un qui n’ait jamais 3, eu cette difpofition habituelle ou aituelle, & 3, qui donne de l’argent pour une chofe fpirituel- „ le, en forte qu’il igale la valeur de Fun a l’au- ,3 tre, il comtqettra le pdchd de Simonie contre ,, le droit divin; encore qu’il ne penfe pas for- „ mellement, fi la chofe fpirituelie tient lieu de „ marchandife, & l’argent tient lieu de prix Ainfi, felon lui, il n’y a de fimonie que lorfqu’on dgale l’argent avec la chofe fpirituelie, & qu’on ngarde Fun comme le prix de l’autre. Et com- me cela n’eil prefque jamais venu dans l’efprit de perfonne , il s’enfuit que cet Auteur abolit en- tierement la fimonie du droit divin. Cette fimonie du droit divin , qui eft propre- ment la vraie fimonie , & prefque la feule que tous lesDecrets des Conciles condamnent, dtant une fois retranchde , les Cafuiftes n’aurontpas beaucoup de peine i aniantir auffi celle de dro t pofitif, qu’il a plil a l’Apologifte de conferver. Car prdmierement, fi cet- ufage d’offrir de l’ar- E 3 gent 8 porel en lui-meme autant que le bien fpiritutft confidSrd en lui-meme. Par quelle autoritd les Cafuiftes ont - ils done except^ des Canons des Conciles, i’efpece de fimonie qui eft la plus con- nue, la plus commune, & prefque la feule qui foit en ufage ? Mais nous parlerons avec 6- tendue dans la fuite de ces exceptions arbi- traires, qu’ils ont ajoutdes aux commandemens de Dieu. II. La plupart des Canons de I’Eglife font con<;us dans des termes qui ne peuvent pas fouf- fiir ces fauffes interpretations. Car tantdt ils veulent qu’il n’entre aucun motif d’intdret tem- porel dans la diftribution des Dignitez Eccldfiafti- ques. „ Prenez garde, dit Sc. Grtigoire a un E- „ vSque, qu’il ne fe glide jamais dans les Ordi- „ nations que vous ferez, aucun motif d’intd- n ret, de peur que vous ne vousrendiez coupa- F 4 » ble 88 III. Note sur la XII. Lettre. ,, ble de l’hdrefie de la Simonie; ce que je prie ,, Dieu de ne pas permettre. Tantdtils ddclarent en g£ndral, qu’il n’eft pas permis de parvenir aux Dignitez Eccldfiaftiques en donnant de l’argent. Si un Eveque, dit un „ des Canons des Apdtres (i), ou un Prdtre, ou „ un Diacre, a obtenu par argent cette digmtS, „ qu’il foit ddpoffi. Tantot ils dependent en gdndra! de rien ofFrir pour aucun Miniftere Ecclefiaftique. „ Si on dd- „ couvre , dit le VIII. Concile de Tolede, „ que quelqu’un ait ofTert quelque chofe pour „ obtenir la Dignity Sacerdotale, qu’il fache que „ des ce moment il eft frapp£ d’anatheme. Tantdt ils condamnent toutes les fubtilitez par lefquelles on pourroit 6!uder ce commandement de Jhsus-Christ : Votts avez rcfu gratuitemnt, donncz gratidtement. C’eit ce qu’on peut voir dans la Lettre de Gennade Patriarche de Conftantino- ple, qui fait une partie du Droit Canonique de l’Eglife d’Orient; ou plutdt- dans le Decret du Concile de Conftantinople affembld par ce Patriar¬ che , qui le rapporte en ces termes. „ Nousavons, „ dit il, jugd a propos avec le Saint Concile qui „ fe tient maintenant dans cette nouvelie Rome, ,, d’abolir cette coutume impie & odieufe qui „ s’eft gliffde dans les plus faintes Eglifes,& d’en ,, ruiner abfolument tous les artifices, tous les „ pr£textes, & toutes les fubtilitez dont on ti- ,, che de la couvrir; afin que perfonne n’dtant „ tSIevd aux Ordres que d’une manure pure & ,, dloign^e de toute convention criminelle, la ,, grace du St. Efprit defcende fur ceux qui font ,, ordonnez, en meme terns que la proclamation j, en eft faite par les Eveques, &c. CO Can. 30 . III. En- De la Simonie. 89 III. Enfin les Souverains Pontifes condamnent gin^ralement tous ces ddtours qui ne changcnt que les noms & non pas les cbofes : comme fi Ie cbange- ment ilu nom pouvoit faire changer , & la nature du ciime, & la peine qui hi eft due. Ce font les paro* les d’Innocent 111. done on peut voir la fuite dans la Lettre de Montalte. II eft facile maintenant de rdfuter par ces autoritez ce que dit Efcobar, que celui qui ob- tient un Bdndfice en promettant de l’argent qu’il n’a point intention de donner, n’eft point fimoniaque. Car puifque la Simonie coniifte proprement & obtenir par argent un Bdndfice , un Otdre, ou quelque autre chofe fpirituelle ; il eft Evident que celui qui promet de l’argent, foit qu’il s’acquite ou non de fa promefie , ne I’obtient pas uioins par argent, que celui qui a effeftivement donnd de l’argent, puifque Ie Bd- ndfice n’eft accordd d l’un & a I’autre qu’acau- fe de l’argent. De plus la Simonie eft d J’dgard des Colla¬ tions des Bdndfices, ce que la corruption ou la fubornation eft a l’dgard des jugemens. Or ce¬ lui qui a promis de l’argent pour obtenir un jugement , n’a pas moins corrompu fon Juge, quoiqu’il ne l’ait pas donnd , que celui qui !’a promis & qui I’a donnd. Done celui qui a pro- mis de i’argent pour obtenir un Bdndfice , n’eft pas moins fimoniaque, quoiqu’il n’ebt pas in¬ tention de Ie donner , que celui qui l’a promis & qui l’a donnd. Enfin les Conciles ne ddfendent pas feulement de donner de 1’argent, ils ddfendent aulfi d'en promettre. „Queperfonne, dit le Concile de Melfi „ tenu en 1090, ne tdche a l’avenir d’cfbtenir la „ Dignitd Epifcopale en faifant des prdfens ou des „ promeftes, ou en donnant de l’argent, ou en F 5 » ten- 90 XIII. Lett. Doctrine des Jesuites „ rendant k ce deffein, ou promettant de rendre „ quelque fervice. On voit par la avec quelle precaution les Con- riles ont prtSvenu les diitin&ions &, tous les vains fubterfuges des Cafuiftes. TREIZIEME LETTRE (i) E C R I T E AUX RR. PERES JESUITES. Qiie la Doctrine de LeJJius fur VHomicide eft la mime que celte de Victoria, Combien il eft facile de pajfer de la fpiculation d la pra¬ tique. Poarquoi les Jefuites fe font fer- vis de cette vaine diftindliQn, combien elle eft inutile pour les juftifier. Dir30. Septembre 16 $ 6 . Mes Reverends Peres, J E viens de voir votre dernier Ecrit, o!j vous continuez vos impollures jufqu’d la vingtieme, en declarant que vous fi« nifiez par-la cette forte d’accufation , qui Faifoit votre premibre partie pour en ve- nir & la feconde , 011 vous devez prendre Une nouvelle manure de vous ddfendre , en montrant qu'il y a bien d’autres Cafuif- tes que Jes vdtres qui font dans le reidche- ment ( 1 ) Cette Lettie a e'te tevae 8c coitigee pat Mi. Ni- eole. S u r l’H o m i c i d e. 91 rnent auffi bien que vous. Je vois doncmain* tenant, mes Peres , a combien d’impoftu* res j’ai k rdpondre: & puifque Ja quatridroe oil nous en famines demeurez , eft fur le fujet de l’Homicide, il fera & propos en y repondant, de fadsfaire en mdme terns a Ja ii. 13. 14. ij. 16. 17. & 18. qui font fur le meme fujet. Jejuftifidrai done dans cette Lettre lavd* ritd de mes citations contre les faufletez que vous m’impofez Mais parce que vous avez 6fa avancer dans vos Ecrits, que les fentimens de vos Auteurs fur le Meurtre font conformes aux decifions des Papes & des Loix Ecclejiajliques , vous m’obligerez & detruire dans ma Lettre fuivante une propofition (1 temeraire & (I injurieufe & l’Eglife. 11 im- porte de faire voir qu’elle eft exempte de vos corruptions,afin que les Herdtiquesne puiffent pas fe prdvaloir de vos dgaremens, pour en tirer des confequences qui la desho- norent. Et ainfi en voyant d’une part vos pernicieufes maximes, & de l’autre les Ca-, nons de l’Eglife qui les ont toujours con- damndes, on trouvera tout enfamble & ce qu’on doit dviter , & ce qu’on doit fui* vre. Votre quatridme impofture eft fur une maxi me touchant le Meurtre, que vous prd* tendez que j’ai fauflement attribude h Lef. fius. C’eft celle-ci; Celuiqui a regumfou- fiet, peut pourfuivre d I'beure meme fon enne - mi, & mime d coups d'ep/e , non pas pour fe venger , mais pour rtparerfon honneur. Sur 92 XIII. Lett. Doctrine des Jesuites quoi vous dites que cecte opimon-la eft du Cafuifte Viftoria. Et ce n’eft pas encore Id le fujet de la difpute. Car il n’y a poinc de repugnance a dire, qu’elle foit tout en- femble de Vj&oria & de Leffius; puifque Leffius dit lui-mdme qu’elle eft auffi de Na¬ varre , & de vorre Pere Henriquez , qui enfeignent: Que celui qui a regu unfouflet, pent a I’keure mime pourfuivre Jon homme , £? lui donner autant de coups qu’il jugera nice/- faire pour reparer fon bonneur. II eft done leulement queftion de favoir, ft Leffius eft du fentiment de ces Auteurs, auffi-bien que fon confrere. Et e’eft pourquoi vous a- joutez : Que LeJJius ne rapporte cette opinion que pour la ref liter ; 6? qu’ainjije luiattribue un fentiment qu’il n'allegue que pour le com- battre , qui ejt 1’action du monde la plus lacbe 6? la plus honteuje a un Ecrivain. Or je fou- tiens, mes Peres, qu’il ne la rapporte que pour la fuivre. Celt une queftion de fait, qu'il fera bien facile de decider. Voyons done comment vous prouvez ce que vous dites , & vous verrez enfuite comment je prouve ce que je dis. Pour montrer que Leffius n’eft pas de ce fentiment , vous dites qu’il en condamne Ja pratique. Et pour prouver cela, vousrap- portez un de fes paffages Liv. 2. c. p.n 82. oft il die ces mots: J'en condamne la prati¬ que. je demeure d’accord, que ft on cher- checes paroles dans Leffius au nombre 82. 011 vous Jes citez, on les y trouvera. Mais que dira-t-on, mes Peres, quand on verra en S u R l’H o m i c i d e. 93 en mdme terns qu’i! traite en cet endroic d’une queftion toute diffdrente de celle done nous parlous; & que l’opinion, dont il die en ce lieu-1^ qu’il en condamne la pratique, n’eft: en aucune forte celle dontil s’agit ici, mais une autre toute feparde ? Cependant il ne faut pour en etre dclairci, qu’ouvrir le Livre mdme oil vous renvoyez. Car on y trouvera toute la fuite de ion difeours en cette manidre. Il traite la queftion ,Savoir Ji on pent tuer pour un foufiet au n. 79 & il la finitau nom- bre 80. fans qu’il y ait en tout cela un feul mot de condamnation. Cette queftion d- tant terminde, il en commence une nou- velle en i’article 81 /avoir fi onpent pour des medifances &c. Et e’eft fur celle-Id qu’il ditau p. 82. ces paroles que vous avez citdes: J’en condamne la pratique. N’eft-cedonc pas une chofe honteufe, mes Peres, que vous 6fiez produire ces paroles, pour faire croire que Leflius con¬ damne l’opinion, qu’on peut tuer pour un fouflet ? Et que n’ayant rapporte en tout que cette feule preuve , vous triomphiez ld-defius en difant coniine vous faites: Plufieurs perfonnes d’honneur dans Paris ont dtja reconnu cette infigne faujjeti par la lec¬ ture de LeJJius , & ont appris par-id quelle criance on doit avoir d ce calomniateur? Quoi, mes Pdres? Eft-ce ainfi que vous abufez de la crdance que ces perfonnes d’honneur ont en vous ? Pour leur faire entendre que Leflius n’eft pas d’un fentiment, vous leur 94 XIII. Lettre Homicide Permis leur ouvrez Ton Livre en un endroit oil il en condamne un autre. Ec comme ces perfonnes n’entrent pas en defiance de vo- tre bonne foi , & ne penfent pas & exa¬ miner s’il s’agit en ce lieu-la de la quel- tion conceftee , vous trompez ainfi leur credulite. Je m’aflure , mes Pdres , que pour vous garantir d’un fi honteux men- fonge, vous avcz eu recours a votre doc¬ trine des Equivoques, & que lifant ce paf- fage tout baut , vous difiez tout bar, qu’il s’y agiffoit d’une autre matiere. Mais je ne fai li cette raifon, qui fuffit bien pour fatisfaire votre confcience , luffira pour fatisfaire la jufte plainte que vous feront ces gens d’honneur, quand ils verrontque vous Ies avez jouez de cette forte. Empdchez-les done bien, mes Peres , de voir mes Lettres, puifque e’eft le feul moyen qui vous refte pour conferver en¬ core quelque terns votre erddit. Je n’en ufe pas ainfi des vdtres : j’en envoie & tous mes amis : je fouhaite que tout le monde les v'oie. Et je crois que nous a* vons tous raifon. Car enfin , aprbs avoir publie cette quatrieme impofture avec tant d’dclac , vous voilii ddcriez II on vient k favoir que vous y avez fuppofe un pafia- ge pour un autre. On jugera facilement, que fi vous eufilez trouve ce que vous demandiez au lieu mdme oh Leffius traite eette matibre, vous ne l’eufilez pas ete ehercher ailleurs ; & que vous n’y avez eu recours , que parce que vous n’y vo- yiez rien cjui ffit favorable & votre def- fein. Dans la Speculation. 95 fein. Vous vouliez faire trouver dans Let fius, ce que vous dites dans votre impoftu- re pag. 10. ligne 12. Qu’il n’accorde pas que cette opinion foit probable dans la Jpdculation : & Leffius dit expreffement en fa conclufi- on n. 80. Cette opinion qu’on pent tuerpour un fouflet repu, eft probable dans la /pecu¬ lation. N’eft ce pas-lk mot & mot le con- traire de votre difcours ? Et qui peut aflez admirer avec quelle hardiefle vous produi- fez en propres termes le contraire d’une verite de fait: de forte qu’au lieu que vous concluyez de votre pallage fuppofe, que Leffius n’dtoit pas de ce fentiment , il fe conclut fort bien de fon veritable paflage", qu’il eft de ce mdme fentiment. Vous vouliez encore faire dire & Let fius, qu'il en condamne la pratique. Et com- me je l’ai ddjk dit , il ne fe trouve pas une feule parole de condamnation en ce lieu- hi, mais il parle ainfi : 11 Jemble qu’on n’en doit pas facilement permettre la pratique : In praxi non videtur facile permittenda. Eft-ce-lil, mes Pbres, le langage d’un hom- me qui condamne we maxime? Diriez vous qu’il ne faut pas permettre facilement dans la pratique les adult£res ou les inceftes ? Ne doit-on pas conclure au-contraire, que puifque Leffius ne dit autre chofe , finon que la pratique n’en doit pas dtre facile¬ ment permife , fon fentiment eft que cette pratique peut dtre quelquefois permife , quoique rarement? Et commes’il efit vou- lu apprendre k tout le raonde quand on la doit 9 6 XIII. Lettre. Homicide Permis doit permettre, & 6fer aux perfonnes of- fenlees les fcrupules qui ies pourroienc troubler mal a propos, ne fachant en quel- les occafionsil Jeur eft permis detuer dans la pratique, il a eu foin de leur marquer ce qu’iis doivent dviter pour pratiquer cette dodirine en confcience. Ecoutez-le, mes Peres. II femble, dit-il , qu'on ne doit pas le permettre facilement , A cause du danger qu'il y a qu'on agijje en celci par haine, oupar vengeance, ou avec exces ,ou que cela ne cau- fdt trap de meurtres, De forte qu’il eft clair que ce meurtre reftera tout-a-fait permis dans la pratique felon Leffius , ft on dvite ces inconvdniens, c'eft a-dire fi 1’on peut agir fans haine,fans vengeance,& dans des circonftances qui n’attirent pas beaucoup de meurtres. En voulez-vous un exemple, roes Pdres ? En voici un affez nouveau. C’eft celui du fouflet de Compidgne. Car vous avoudrez que celui qui l'a requ, a td- rooignd par la maniere dont il s’eft con¬ duit , qu’il dtoit affez maitre des mouve- mens de haine & de vengeance. Il ne lui reftoit doncqu’a dviterun crop grand nom- bre de meurtres : & vous favez , mes Pe¬ res , qu’il eft fi rare que des Jdfuites don- nent des fouflets aux Officiers de la Maifon du Roi, qu’il n’y avoit pas a craindre qu’un meurtre en cette occafion en efit tird beau- coup d’autres en confequence. Et ainfi vous ne fauriez nier que ce jefuite ne ffit tuable en furetd de confcience ;& quel’of- fenfd ne put en cette rencontre pratiquer envers dans la Speculation. 97 envers lui ia dodtrine de Leflius. Et peuu dcre, mes Pdres , qu’il 1’eAt fait, s’il eftt dte inftruit dans votre Ecole, & s’il eflt ap- pris d’Efcobar, quiin bomme qui a regu un fouflet,eft reputi fans bonneur jufqu’d ce qu’il ait tue celui qui le Lui a donne. Mais vous avez fujet decroire queles inftrudtions fore comrades qu’ilaregues d’un Curd que vous n’aimez pas trop, n’ont pas peu contribnd en cette occafion a fauver la vie h un Jd- fuite. Ne nous parlez done plus de ces incon* vdniens qu’on peut dviter en tant de ren* contres, & hors lefquels le meurtre eft per- mis felon Eelftus dans la pratique mdme* C’eft ce qu’ont bien reconnu vos Auteurs, citez par Efcobar dans la Pratique de I'Ho- filicide felon votre Societe. Eft-il permis, 6 it* il, de tuer celui qui a donni un fouflet ? Lef- fius dit que cela eft permis dans laJpeculation , mais qu’on ne le doit pas confeiller dans la pra¬ tique , non confulendum in praxi , J cauft du danger de la baine ou des meurtres nui]i‘ hies a, I’Etat qui en pourroient arriver. Mais LES ACJTRES ONT JUGE* , QU’EN EVITANT CES INCONVENIENS CELA EST PERMIS ET sur dans la pratique i In praxi probabi- lem & tutam judicarunt Henriquez , &c. Voil& comment les opinions s’dlevent peu* & peu jufqu’au comble de la probability* Car vous y avez porte celle-ci, en la per- mettant enfin fans aucune diftindtion de fpdculation ni de pratique en ces termes: 11 eft permis lorfqu’on a regu un foufflet de don - Tome III. G ner 98 XIII. Lett, de la Politique ■tier incontinent un coup d’epee , non pas pour fe vengcr , mais.pour conferver fonbonneun C’eft ce qu’ont enfeigne vos Peres a Caen en 1644. dans leurs Ecrits publics, que l’U- niveriitd produifit au Parlement, lorfqu’el- le y prefenta la 3. requdte contre votre doc* trine de l’Homicide, comme il fe voic en la p. 339. du Livre qu’elle en fit alors impri¬ nter. Remarquez done, mes Pdres , que vos propres Auteurs rui’nent d’eux-mdmes cette vaine diftin&ion de fpeculation & de prati¬ que , que l’Univerfite avoit traitd de ridicule, & dont l’invention eft un fecret de votre politique, qu’il eft bon de faire entendre. Car outre que l’intelligence en eft necef- faire pour les 15. 16. 17. & 18. impoftures, il eft toujours it propos de ddcouvrir peu-a- peu les principes de cette politique myftd- rieufe. Quand vous avez entrepris de decider les cas de confcience d’une maniere favo¬ rable & accomtnodante , vous en avez trouvd oil la Religion feule dtoit intereflee, comme les queftions de la contrition, de la pdnitence, de l’amour de JDieu , & tou- tes celles qui ne touchent que l’interieur des confciences. Mais vous en avez trou- vd d’autres , oil l’Etat a intdrdt auifi bien que la Religion, comme font celles de l’u* fure, des banqueroutes, de l’homicide, & autres femblables. Et c’eft une chofe bien fenfible a ceux qui ont un veritable amour pour l’Eglife , de voir qu’en une infinite d’oc- Des Jesuites. 99 d’occafions oh vous n’avez eu que la Reli- gion a combactre , vous en avez renverfe les loix fans rdferve , fans diftindtion, & fans crainte, comme il fe voic dans vos o- pinions fi hardies contre la pehitence & 3’amour de Dieu ; parce que vous faviez que ce n’eft pas id le lieu oil Dieu exerce vifiblement fa juftice. Mais dans celles oh 1’Etat eft intdrefte auffi-bien que la Religion, l’apprdhenfion que vous avez eue de la juf¬ tice des hommes, vous a fait partager vos ddcifions, & former deux queftions fur ces matieres: l’une que vous appellez de Jpe¬ culation , dans laquelle , en confiddrant ces crimes en eux-mdmes, fans regarder a l’in- terdt del’Etat, mais feulement & la loi de Dieu qui les defend, vous les avez permis fans hdfiter, en renverfant ainfi la loi de Dieu qui les condamne : l’autre que vous appellez de pratique, dans laquelle en con¬ fiddrant le dommage que 1’Etat en rece- vroit , & la prefence des Magiftrats qui maintiennentla furetd publique , vousn’ap- prouvez pas toujours dans la pratique ces meurtres & ces crimes que vous trouvez permis dans la fpdculation , aim de vous mettre par-la ii couvert du cdtd des Juges. C’eft ainfi , par exemple , que fur cette queftion, s’il eft permis de tuer pour des mddifances,vos Auteurs, Filiutius tr. 29, cap. 3 num. 52.Rdginaldusl. 21. cap. j. num. (S3. & les autres rdpondent: Cela eft permis dans, la /peculation , Ex probabili opinione licet» mais je n'en approuve pas la pratique, a can- G 2 Je joo XIII. Lett. De la Politique fe du grand nombre de meurtres qui en arrive - roient , feroient tort a I'Etat Ji on tuoit tous¬ les medijhns;& > qu’aujji on feroit puni enjuf- tice en tuant pour ce Jujet . Voila de quelle forte vos opinions commencent a paroftre fous cette diftin&ion, par le moyen de la« quelle vous ne rui'nez que Ja Religion, fans bleffer encore fenfiblement I’Etat Par-li vous croyez dtre en afl'urance. Car vous- vous imaginez que le crddit que vous avez dans l’Eglife , empdchera qu’on ne puniffe vos attentats contre la vdritd ; & que les precautions que vous apportez pour ne met- tre pas faeilement ces permiffions en prati¬ que , vous mettront a couvert de la part des Magiftrats , qui n’etant pas juges des cas de confcience , n’ont proprement in- tdrdt qu’a la pratique extdrieure. Ainfi une opinion qui feroit condamnbe fous le nom de pratique, fe produit en furetd fous le nom de fpdculation. Mais cette bafe dtant af- fermie , il n’eft pas difficile d’y elever le rede de vos maximes. 11 y avoit une diftan- ce infinie entre la defenfe que Dieu a faite de tuer , & la permiflion fpeculative que vos Auteurs en ont donnde. Mais la dif- tance eft bien petite de cette pennillion a la pratique. II ne refte feulement qu’a montrer que ce qui eft permis dans la {pe¬ culation , 1’eft bien aufii dans la pratique. On ne manquera pas de raifons pour cela. Vous en avez bien trouvd en des cas plus difficiles, Voulez-vous voir, mes Peres, par oh l’on y arrive ? Suivez ce raifonne- ment DES J E S O ITS s. ior ment d’Efcobar, qui l’a ddcidd nettemenc dans le premier des fix comes de fa grande Thdologie Morale, done je vous ai parld, oh il eft tout autremenc eclaird que dansce Recueil qu’il avoir fait de vos 24. Vieillards: car an lieu qu’il avoit penfe en ce cems-la, qu’il pouvoic y avoir des opinions proba¬ bles dans la lpeculadon qui ne fuftenc pas fures dans la pratique , il a connu le con- traire depuis , & i’a fort bien btabli dans ce dernier Ouvrage : tanc la doftrine de la Probability en general reqoit d’accroifte- ment par le terns , auffi-bien que chaque opinion probable en particulier. Ecoutez- le done in prteloq. n. 15. Je ne vois pas % dit-ii, comment il Je pourroit /lire que ce qui paroit permis dans la /peculation , ne lefdt pas dans la pratique : puifque ce qu’on peut faire dans la pratique , depend de ce qu'on trouve permis dans la /peculation ; & que ccs cbo/es ne different I'une de l'autre , que com - me I'effet de la cau/e. Car la /peculation efi ce qui determine a VaStion. D'oii il s’en- suit qu’on peut en surete’ oe con¬ science SUIVRE DANS LA PRATIQUE LES OPINIONS PROBABLES DANS LA SPECULA¬ TION , £? mime avec plus de Juretc que cel- les qu'on n’a pas Ji bien examinees jpiculati- vement. En vdritd , mes Peres , votre Efcobar raifonne aflez bien quelquefois. Ec en effet il y a tant de liaifon entre la fpdculation & la pratique, que quand I’une a pris racine, vous ne faites plus difficulty de permettre G 3 l’autre %oz XIII. Lett. Progrez des l’autre fans ddguifement. C’eft ce qu’on a vu dans la permiffion de tuer pour un fou- flet , qui de la Ample lpeculation a dtd portde hardimenc par Leffius d une prati¬ que qu’on ne doit pas facilement accorder, & de-la par Efcobar d une pratique facile-, d’oti vos Peres de Caen l’onc conduite a une permiffion pleine, fans diftindtion de thdo- rie & de pratique, comme vous l’avez dd- vu. C’eft ainfi que vous faites crofcre peu4> peu vos opinions. Si elles paroilfoient tout d’un coup dans leur dernier exces , elles cauferoient de l’horreur ; mais ce progres lent & infenfible y accoutume doucement les homines, & en 6te le fcandale. Et par ce moyen la permiffion de tuer ft odieufe a 1’Etat & a l’Eglife , s’introduit premidre- ment dans l’Eglife , & enfuite de l’Eglife dans l’Etat. On a vu un femblable fucces de 1’opinion de tuer pour des medifances. Car elle eft aujourd’hui arrivee d une permiffion pareil- le fans aucune diftindtion. Je ne m’arrdte- rois pas a vous en rapporter les paffiages de vos Peres , ft cela n’dtoit neceffaire pour confondre l’affurance que vous avez eue de dire deux fois dans votre 15. impofture p. 26. & 30, Qu’il n’y a pas un Jefuite qui permette de tuer pour des medifances. Quand vous dites cela, mes Pdres , vous devriez empdcher que je ne le viffe; puifqu’ilm’elt ft facile d’y rdpondre. Car outre que vos Peres Rdginaldus, Filiutius, &c. l’ontper- mis Opinions Probables. 103 mis dans Ja fpdculation , comme je l’ai dbja die, & que de-la le principed’Elcobar nous mene furement a la pracique; j’ai A vous dire de plus,que vous avez piulieurs Auteurs qui Tone permis en mots propres, & entr’autres le P. Hereau dans fes Lemons Publiques, enfuite defquelles le Roi le fit mettre en arret en votre maifon , pour avoir enfeignd outre plufieurs erreurs: Que quand celui qui nous decrie devant des gens d’honneur continue aprh I’avoir averts de cejjer, il nous ejt permis de le tuer; non pas veritaUement en public de peur de fcan- dale , mais en cacbette, sed clam. Je vous ai ddja parld du P. Lami , & vous n’ignorez pas que fa dodtrine fur ce fujet a dtd cenfurde en 1649. par rUni- verfitd de Louvain. Et ndanmoins il n’y a pas encore deux mois que votre Pere des Bois a foutenu & Rouen cette dodtri- ne cenfuree du P. Lami , & a enfeigne : Qu'il eft permis a un Religieux de defendre I’bonneur qu'il a acquis par fa vertu , me* me en tuant celui qui attaque fa repu¬ tation, ETIAM CUM MORTE INVASO- ris. Ce qui a caufd un tel fcandale en cette ville-IA, que tous les Curez fe font unis pour lui faire impofer filence, & l’obliger & retradter fa dodtrine par les Voies Canoniques. L’affaire en eft & 1’Of- fkialitd. Que voulez-vous done dire , mes Pe¬ res V Comment entreprenez-vous de fou- tenir apres cela, qu'aucun Jefuite n’efi d'a- G 4 lit io4 XIII. Lett. Pr ogrez des vis qu'on puiffe tuer pour des medifances ? Et falloitil autre chofe pour vous en con- vaincre, que Ies opinions mdmes de vos Peres que vous rapportez , puifqu’ils ne ddfendent pas fpdculativement de tuer ; mat's feulement dans la pratique , d caufe du mal qui en arriveroit d I’Etat. Car je vous demande fur cela , mes Peres , s’il s’agit dans nos difputes d’autre chofe, li- non d’examiner fi vous avez renverfe la loi de Dieu qui ddfend l’homicide. II n’eft pas queftion de favoir fi vous avez blefle l’Etat , mais la Religion. A quoi fert-il done dans ce genre de difpute de montrer que vous avez dpargnd l’Etac, quand vous faites voir en meme terns que vous avez detruit la Religion , en difanc comme vous faites p. 28. 1 . 3. Que le Jens de Reginaldus fur In queftion de tuer four des medifances, eft qu'un particular a droit d'ufer de cette forte de defenfe, la con - Jiderant Jimplement en elle-meme ? Je n’en veux pas davantage que cet aveu pour vous confondre. Un particular, dites-vous, a droit d’ufer de cette defenfe, e'ed-k-dire , de tuer pour des mddiiances , en confide- rant la chofe en elle - meme. Ec par confe- quenc , mes Peres , la loi de Dieu qui defend de tuer, eft rui'nde par cette deci- Con. Et i| ne fere de rien de dire enfuite, comme vous faites , que cela eft illigitime & criminel , meme felon la loi de Dieu, d raifon des meurtres IS des defordres qui en Opinions Probables. io^ arriveroient dans I’Etat , parce qu'on eft o- blige felon Dieu d’avoir egard au bien de VEtat. C’eft f'ortir de la queftion. Car, mes Peres, il y a deux loix a obferver: l’une qui ddfend de tuer , l’autre qui dd- fend de nuire a l’Etat. Reginaldus n’a pas peut-dtre viold la loi qui defend de nuire & l’Etat, mais il a viole certaine- ment celle qui ddfend de tuer. Or il ne s’agit ici que de celle-1^ feule. Outre que vos autres Pdres qui ont permis ces meur- tres dans la pratique,ont rui'ne l’une auifi- bien que l’autre. Mais allons plus avant, mes Pdres. Nous voyons bien que vous de- fendez quelquefois de nuire a l’Etat , & vous dites que votre deffein en cela eft d’obferver la loi de Dieu qui oblige h le maintenir. Cela peut dtre veritable, quoi- qu’il ne foit pas certain ; puifque vous pourriez faire la meme chole par la feu¬ le crainte des Juges. Examinons donc,je vous prie, de quel principe part ce mou* vement. N’eft-il pas vrai,mes Pdres, que ft vous regardiez vdritablement Dieu , & que l’obfervation de fa loi fdt le premier & principal objet de votre penfde , ce ref- pe£t rdgneroit uniformement dans toutes vos ddcifions importantes, & vous enga- geroit & prendre dans toutes ces occafions l’intdrdt de la Religion. Mais fi 1’on voit au-contraire que vous violez en tant de rencontres les ordres les plus faints que Dieu ait impofez aux hommes, quand il n’y a G j que fo<5 XIII. Lett. Progrez des que fa loi a combattre ; & que dans les occafions radmes dont il s’agit, vous ane- antiflez la loi de Dieu , qui defend ces aftions comrae criminelles en elles-mdmes, & ne tdmoignez craindre de les approuver dans la pratique que par la crainte des Ju- ges, ne nous donnez-vous pas fujet de ju- ger que ce n’eft point Dieu que vous con- fiddrez dans cette crainte ; & que 0 en ap- parence vous maintenez fa loi en ce qui regarde l’obligation de ne pas nuire k I’fi- tat, ce n’eft pas pour laloi-mdme, mais pour arriver a vos fins , comme ont tou- jours fait les moins religieux Politiques? Quoi, mes Peres, vous nous direz qu’en ne regardant que la loi -de Dieu qui de¬ fend I’bomicide , on a droit de tuer pour des mddifances? Et apres avoir ainfi viold la loi eternelle de Dieu, vous croirezlever le fcandale que vous avez caufe , & nous perfuader de votre refpedt envers lui, en ajoutant que vous en ddfendez la pratique pour des confiddrations d’Etat, & par la crainte des Juges ? N’eft-ce pas au-contraire exciter un fcandale nouveau, non pas par le refpeft que vous temoignez en celapour les Juges, car ce n’eft pas cela que je vous reproche, & vous-vous jouez ridiculement la-deffus p. 29. Je ne vous reproche pas de craindre les Juges, mais de ne craindre que les Juges. C’eft cela que je blame ; parce que c’eft faire Dieu moins ennemi des crimes , que les Hommes. Si vous di- fiez qu’on peut tuer un medifant felon les Hommes, Opinions Pbobables. 107 Hommes, mais non pas felon Dieu , cela feroit moins infupportable : mais quand vous prdtendez que ce qui eft trop crimi- nel pour dtre fouffert par lesHommes,foit innocent & jufte aux yeux de Dieu qui eft la jufiice mdme; que faites-vous aucre chofe, finon montrer a tout le monde que par cet horrible renverfement, ficontraired 1’efprit des Saints, vous dtes hardis contre Dieu, & timides envers les Hommes ? Si vous aviez voulu condamner fincerement ces homicides, vous auriez laiffd fubfifter l’ordre de Dieu qui les defend : & ft vous aviez oft permettre d’abord ces homici¬ des , vous les auriez permis ouvertement rnalgre les loix de Dieu & des Hommes. Mais corame vous avez voulu les permet¬ tre infenfiblement, & furprendre les Ma- giftrats qui veillent d la l'urete publique, vous avez agi finement en feparant vos maximes , & propofant d’un cdtd qu’il eft permis dans la Jpeculation de tner pour des me~ difances (car on vous lailfe examiner les chofes dans la fpdculation ) & produifant d’un autre cdtd cette maxime ddtachde, Qtie ce qui eft permis dans la Jpeculation, Teft bien aufti dans la pratique. Car quel intdrdt 1’Etat femble-t-il avoir dans cette propofition gdndrale & mdtaphyftque ? Et ainli ces deux principes peu fufpedis dtant requs ftpardment, la vigilance des Magif- trats eft trompee ; puifqu’il ne faut plus que raflembler ces maximes, pour en tirer cette conclufion oil vous tendez, qu’oD peut 1 done io8 XIII. Lett. De la Politiqije done tuer dans la pratique pour de iimples medifances. Car e’eft encore ici, mes Pdres,unedes plus fubtilesadrell'es de votre politique,de feparer dans vos Ecrits les maximes que vousaffemblez dans vos Avis. C’eftainfi que vous avez dtabli a part votre do&rine de la Probability, que j’ai fouvent expliquee. Et ce principe general etant affermi, vous avancez fepardment des chofes qui pou* vant dtre innocentes d’elles- mdmes , de* viennent horribles dtant jointes a ce per- nicieux principe. j’en donnerai pour exetn- ple ce que vous avez dit pag. 11. dans vos Impoftures, & & quoi il faut que je rdpon* de: Que plufieurs Tbeologiens celebres font d'a * vis qu'on pent tuer pour un fouflet recu. II eft certain, mes Peres, que fi une perfon- ne qui ne tient point la Probability avoit dit cela , il n’y auroit rien a reprendre; puifqu’on ne feroit alors qu’un fimple rdcit qui n’auroit aucune conlequence. Mais vous, mes Pdres , & tous ceux qui tenez cette dangereufedo£lrine,5«e toutce qu’ap- prouvent des Auteurs celebres , eft probable & JUr en confr.ience , quand vous ajoutez a cela que plufieurs Auteurs ctltbres font d’a~ vis qu’on peut tuer pour un fouflet, qu’eft ce faire autre chole , finon de mettre a tous les Chrdtiens le poignard d la main pour tuer ceux qui les auront offenfez, en leur dydarant qu’ils le peuvent faire en furetc de confcience, parce qu’ils fuivront en ce¬ la l’avis de tant d’Auteurs graves ? D E S JESUITES, IC l’honneur qui nalt meme des biens de l’efprit, 5 , ou du fecond dans le cas oil il eft ndeeflaire ,, pour acqudrir d’autres biens, tous ies Cafuiftes „ conviennent qu’il eft permis de le ddfendre en ,, tuant celui qui l’attaque. Car c’eft de cet „ honneur qu’il eft dcrit, Ayz foin de conferver „ votre reputation; & ailleurs, La bonne reputation „ vaut mietix que de granites richejjes. S’il eft done „ permis pour la ddfenfe des biens tetnporels de „ tuer celui qui nous les veut enlever, a plus forte raifon fera-t-il permis de tuer pour cet 5 , honneur, qui, comme nous l’avons dit, n’eft „ pas vain & frivole, mais folide & ndeeflaire 3 , dans le monde. Sayrus de 1’Ordre de St. Be- s , noit.homme tresdodte.enfeigne la mdmecho- s , fe; & Innocent IV. in cap. Dilefto de fent. ex- ,, com. 1. 6. approuve faction du Doyen d’Or- j, Mans. 11 dtoit permis , dit-il 4 ce Doyen , ft „ le Railli le vouloit ddpouiller injuftement de „ fes biens, de repouffer la force par la force. ,,’Et ce que nous venons de dire n’a ps«s feule- ment lieu i l’dgard des La'iques, mais auffi i „ I’dgard HlSTOIRE DtJ P. Lamy. 121 1 ’dgard des EccMHaftiques. Car ce principe, „ II eft permis de repoufler la force par la force, ,, a lieu auffi & l’dgard des Eccldfiaitiques, & leur ,, donne le mfime droit de ddfendre Ieurs biens ,, qu’aux Laiques. Leffius, l. 2. cap. g. num. 47. ,, explique ce meme cas, & en improuve avec „ raiCon la pratique, comme je fais auffi; quoi- J} que DuVal.Dofteur de Sorbonne &ProfeiTeur „ Royal en Thdologie, pafle plus avant Trait, de „ Char, quarft. 17. art. 1. oil il dit que fi quel- >, qu’un devoit infailliblement perdre la vie, fa „ reputation ou fa fortune , ou fi toute une fa- mille devoit Stre certainement ruinde par des „ crimes qu’un calomniateur impoferoit devant „ des Juges: comuie par exemple fi quelqu’un „ etoit fauflemerjt accufd par de faux tdmoins de „ crime de Leze Majeftd: cpt homme dans ces i, circonftances pourroit tuer en cachette celui „ qui auroit forme cette calomnie contre lui, s’il „ ne sen pouvoit garantir autrement. Mais j’ai „ t£moignd ci-deffus num. in. que je croyois ce „ cas miftaphyfique , en ce qu’il fuppofe qu’il „ n’y ait aucun autre moyen d’tichapper de ce „ danger. VoilA ce que les d 4 fenfeurs du P. Lamy pre- fenterent au Confeil de Brabant , comme une correction de ce qu’il les avoit voulu obliger de retrancher. Mais le Confeil voyant qu’outre la faufietd de quelques-unes de ces citations, ce changement qu’on avoit fait, tendoit plutdt a confirmer de nouveau 1’erreur qu’a la corriger, il ne crut pas devoir s’en contenter, & ordonna derechef qu’on 6t£t cette opinion de ce Livre. L’ob£iiTance qu’on rendit it cette ordonnance, ne fut encore qu’une illufion manifelie. Car on fe contenta de retrancher ces paroles de la premie¬ re edition: D’m ij s’enjuit qu’il fa a permis d up ‘ ' H j Eccle* j22 Note sur la XIII. Lettre. Hcdefiafiique ou a m Religieux , SPc. Mais on laiffa tout ce qu’il y avoit auparavant dans cet article. Or comme ces paroles retranchdes, qui permettent expreffdment aux Eccldfiaftiques & aux Religieux de tuer les calomniateurs, ne font qu’une conclulion tirde des principes que le P. Lamydtablit auparavant; il eft vifible que ce mal- heureux dogme, qui devoit etre ddtruit jufques dans fes principes, a requ a peine quelque ldgere atteinte j & qu’il renaitra de nouveau avec autant de facilitd, qu’il s’en trouve a tirer des principes qu’on a pofes, la confdquenee naturelle qui fe prdfente d’abord a l’efprit. Outre que les mau- vaifes conclufions ne pouvant etre tirdes que de mauvais principes, il s’enfuit que celui dont le P. Lamy a tird cette doctrine, & qu’il a laiffde dans fon Livre, eft auflr mauvais que la conclu- fion qu’il en a tirde. Il eft contenu dans le mm. 111. oil il foutient qu’il eft permis a un La'ique de tuer celui qui le veut deshonorer par fes actions ou par fes difcours, s’il n’y a point d’autre moyen d’dviter ce deshonneur, & qu’il eft cenfd n’en avoir point d’autre, lorfque celui qui lui veut faire affront injuftement, lui dit adtuellement des paroles injurieufes. I! eft dvident que ii on ne condamne cette doctrine dans les La'iques aufll bien que dans les Eccldfiaftiques , il faut ndcef- fairement, je ne dis pas feulement toldrer, mais meme approuver une infinitd de meurtres, qui fe commettent tous les jours dans les Etats. Pendant qu’on examinoit dans le Confeil de Brabant la doctrine que nous avons rapportde, on ddcouvrit dans le mdme Auteur une autre opi¬ nion qui n’eft pas moins horrible. C’eft dans le mdme Livre, & dans la meme difp. 36. J\U. 8. n. 430. ou apres avoir fait le ddnombrement de guelques cas dans lefquels il dit qu'il eft permis Histoire du P. Lamy’. 123 de ddfendre fon bien, meme en tuant celui qui Je veut ravir,ii y ajoute ceux qui fuivent. „Non „ feulement, dit- il, il eft permis de ddfendre ce „ que nous poiTddons aftuellement , mais aufli ,, les chofes auxquelles nous avons un droit com- „ mencd, & que nous efpdrons de poiTdder un „ jour. C’eft pourquoi il eft permis tant a un „ hdritier qu’S un ldgataire de fe ddfendre (en „ tuant) contre celui qui l’empeche injuftement, „ ou d’entrer en poffeflion de l’hdrdditd, ou de „ percevoir les legs qui lui ont dtd faits, Et de „ meme celui qui a droit fur une Chaire ou fur „ une Prdbende, peut ufer de la meme ddfenfe „ contre ceux qui lui en empechent injuftement „ la poiTeffion. Ndanmoins un crdancier ne pour- „ roit en faire de meme contre fon ddbiteur, de ^ i3 fon autoritd privde, & fans le faire venir en „ jugement, quand mdme il diroit qu’il ne le „ voudroit pas payer; mais il le pourroit contre „ ceux qui empdcheroient que le ddbiteur ne le „ pay&t, quand il n’y a point d’autre moyen, & „ qu’il y a danger qu’a moins que d’en venir-la, „ on ne perde fa dette par l’obftacle qu’il appor- „ tera au payement Voila ce qui a dtd re- tranchd de la feconde ddition du Livre du P. Lamy, par 1 ’ordre du Confeil Souverain de Bra¬ bant, a Ja requisition du Procureur Gdndral, apres qu’on eut produit la cenfure de Louvain contre ces propolitions. s’- iv, tr 124 Note sur la XIII. Lettre. $. HI. Cenfires de la Taculte de Tbeologie de Louvain mp trt la pernicieufe doSride du P. Lamj Jejuite. L ’An 1649. le fixieme jour de Septembre, fut convoqude fo'us'le ferment accoutumd, a la Requete de Mr. le Procureur-Gdndral, une affem- blde de la faerie Faculty de Thdologie de Louvain, pour donner fon jugement fur une doctrine con- tenue dans le cinquiemeTome duCoursdeThdo- logie Scolaftique du P. Francois Lamy , compote par lui felon la ntethode de fa Societe, & expri- mde en ces termes: (1) „ II fera permis a un 3, Ecctefiaftique,ou a unReligieux, de tuerun ca- s , lomniateur qui menace de publier de grands 3, crimes de lui ou de fon Ordre, quand il n’y a „ que ce feul moyen de l’empecher, comme il „ femble qu’il n’y en a point d’autre , fi ce ca- „ lomniateur eft pres d’en accufer cet Ordre ou „ ce Religieux devant des perfonnes de confidd- ,, ration, fi on ne le tue ”, La Facultd, apres une mure deliberation, a juge que cette doctrine eft faufle en elle-mdme, & pernicieufe a tout le gen¬ re humain, fant en foi que par les diverfes con- tequences qu’on eri peut tirer. Ainfi 1 ’une & l’au- tre Puiflance.tantEccIdfiaftique que Sdcutiere, doi- vent concourir enfemble pour 1’abolir. La meme Facultd a permis de plus, qu’il fut ddlivrd a Mr. le Procureur Gdndral un Afte de fon jugementj lignd par le Bedeau. (0 L’fp. 36. $t£l. 7. nuiu, 11?. IV 0 - Le P. Lamy Censure’ 115 AUTRE CENSURE. L ’An 1549. fe huitieme jour d’Octobre, fut con- voqude fous le ferment accoutumd, a ia Re-, quete de Mr. le Procureur Gdndraljuneaffemblde de la facree Facultd de Thdologie de Louvain, pour donner fon jugement fur deux Articles dela doctrine de Francois Lamy, contenus dans le cin- quieme Tome de fon Cours de Thdologie Sco- Mique, compofd par lui felon la mdthode de fa Socidtd en la Difp. 3 6. Sefl. 8. rmm. 131. & 132. Le premier, qui elt au nomb. 13 r. eft conqu en ces termes. „ On conclut en troifleme lieu que „ non feulement il eft permis de ddfendre ce que „ nous poffddons actuellement.mais auflilescho- ,, fes auxquelles nous avons un droit commence, ,, & que nous efpdrons de poiEder un jour. C’eft „ pourquoi il eft permis tant aun hdritierqu’aun ,, Egataire de fe ddfendre contre celui qui l’em- j, pfiche injuftement, ou d’entrer en poffeillon de ,, l’hdrdditd, ou de percevoir les legs qui lui ont „ dtd faits. Et celui de meme qui a droit fur une j, Chaire ou fur une Prdbende, peut ufer de la „ meme ddfenfe contre ceux qui en empechent „ injuftement la poffeffion. L’autre Article eft au „ mnb. 132. On conclut en quatriemelieuqu’un „ chancier ne peut ufer de cette ddfenfe contre „ fon ddbiteur de fon autoritd privde, & fans le » faire venir en jugement, quand meme il diroit » qu’il ne le voudroit pas payer ; mais qu’il en „ peut ufer contre ceux qui empdcheroient que „ fon ddbiteur ne le pay&t, quand il n’y a point j, d’autre moyen , & que par cet empdchement „ il y a danger de perdre fa dette. La Facultd, 3 , apres une mftre ddlibdration,a jugd que la doc* 1, trine contenue dans ces deux Articles, entendue „ d’uns 126 Note sue la XIII. Lettre. „ d’une ddfenfequi va a tuer,comme toute lafui- „ te & le titre meme de la Section le marquent „ affez, eft non feulement faufle , mais encore pernicieufe a l’Etat & a tout le Genre Humain, „ & qu’ainfi on la doit entierement abolir. |. I V. Suite de VHiftoire du P. Lamy , tiree de U Tbe'ologie Tondamentak de Caramuel. N Ous venons de voir combien les jefuites fi- rent d'efforts aupres du Confeil de Brabant, pour d&endre cette doftrine du P. Lamy. Mais leur credit n’ayant pu fauver des erreurs fi 6nor- mes , on avoit fujet de croire qu’apres un juge- ment fi folemnel, ils ne continu&qient pas d les dfSfendre. Cependant ils ne firent jamais piuspa- roitre que e’eft par une r^folution fixe & un def- fein conftant, que la Soci&d defend par toute forte de moyens la reputation de tous fes membres con* tre quiconque 6fe les attaquer. II ne s’dtoit pas encore pafK fix mois depuis ces cenfures de la Facultd , & ce jugement du Confeil de Brabant, que ces P£res fe perfuadant iqu’on avoit outrage toute la Societd en laperfonne d’un de fes Theologiens , commencerent d faire du bruit par toute l’Europe. Ils tacherent d’en- gager tous les Theologiens attachez a leur Com- pagnie, ou infeftez des maximes corrompues de la Nouvelle Morale , 4 defendre la caufe du P. Lamy, comme la caufe commune des Cafuiftes. Et quofque leurs intrigues foient ordinairement aflez fecrettes,celles-ci neanmoins font de venues publiques par la vanit6 de Caramuel. Car cet homme eft tellement avide de louanges, que fes la crainte d’en Lifter p^rir une feule de tdutes Histoxre du P. Lamy. 127 foutes celles qui lui ont dtd donndes, il a pris ]a peine d’infdrer dans fa Thdologie Fondamen- tale la Lettre obligeante & pleine de tdmoigna* ges d’eftime que le P. Zergol Jdfuite de Grats lui dcrivit fur ce fujet. „ Entre les autres confultations, dit-il,je crois que celle qui s’eft faite cette annexe par s , toute l’Europe, mdrite bien d’etre confiddrde „ comme une des plus cdlebres. Afin de mieux „ faire connoltre dequoi il s’agit, j’infererai ici 3 , les Lettres pleines d’drudition que m’en d- „ crivit le P. Zergol, & la rdponfe que je lui „ ai faite. Lettre du P. Zergol. „ M. R. P. Un de mes amis, (c'efi le P. Tran- 5 , pois Lamy ,) ayant publid la dodtrine que vous j, verrez dans cette Lettre , a le ddplaifir de „ voir qu’elle a dtd tres-rigoureufement cenfurde a, par quelques Thdologiens, (c’efi la Paculte dc „ Louvain,) & qu’on lui ddfend de la faire im- 3 , primer. Il m’a prid de confulter fur ce fujet 3, tous les Dofteurs les plus celebres dans la s , fcience des Cas de confcience que je connoi- „ trois. Je me fuis facilement rendu a la prie- 3, re d’un fi cber & fi vdritable Ami; & pour „ le fatisfaire, ma prdmiere penfde a dtd de j, m’approcher de la lumiere du grand Cara- „ muel. Car je fuis entierement perfuadd, ou „ que mon Ami fera tellement dclaird par ce „ grand flambeau des beaux efprits, qu’il fe „ confolera aifdment de fon infortune, li Cara- ,, muel la trouve jufte; ou que les tdnebres de » fes adverfaires dtant diflipdes, i!s feront cou- ,, verts de confufion& de honte, d’avoir condam- j, nd une doftrine dont ils verront Caramuel fe it 12,8 Note svk la XIII. Lettre.' „ declarer Ie protecfteur. Je recherche n£anmoins ,, encore les fentimens des autres Savans , a (in „ que s’il s’en trouve un nombre aflez confid£ra- „ bie qui juge qu’elle eft exempte d’erreur, & „ qu’elJe m6rite d’etre imprimde, ce juge fdvere, „ qui n’a pa etre fldchi par la force & par lepoids „ des raifons, foit au-moins dclaird par la multi- „ tude des Savans. II eft vrai que ft mon Ami j, s’en fut entierement rapportd d moi, je n’au- 3, rois point voulu d’autre juge que Caramuei, „ parce que je fai tr&s-certainement que les autres „ ne ddCouvriront pas ce qu’il n’aura pu ddcou- „ vrir. C’eft le fentiment que j’ai dans le cceur, „ & que je fais paroitre librement devant tout le „ monde, toutes les fois qu’en m’a prefence on „ vient a parler de Caramuei, dont on ne parle ,, jamais que pour le louer. Je prie Died, com* „ me j’ai ddjd fait,qu’il vousconferve long-terns ,, pour le bien de fon l’Eglife, & pour l’honneur „ des Belles Lettres, & qu’il vous infpire une „ volontd efficace d’achever enfin ce Livre des ,, principales rdfoiutions des Cas de confcience, ,, qui a dte promis au monde depuis long-rems. „ Je ne doute point de la grandeur & de l'im- „ portance de cet Ouvrage. Je fai qu’on a be- 3, foin de beaucoup de terns pour y travailler, „ MaiS je fai aufll que l’efprit de Caramuei peut „ beaucoup abrdger le terns, fans que la doctri- „ ne foit traitde moins exaftement. Vous voyez „ comment je me laiffe emporter a ma hardiefle. a, J’ai peur que ce ne foit avec trop peu de ref- 3 , peft & de retenue. Je me foumets de tout „ mon cceur d Votre Kivdrence, pour lui faire 5, toutes les fatisfa&ions qu’il lui plaira. Et je i, finis en la fuppliant de me permettre de baifer „ cette main fi illuftre dans le monde. A Grats k i. de Janvier 1650. c’eiH-dire quel* ques Histoire Du P. Lamy. rig tjues mois apres la cenfure de Louvain, qui iuc conclue ie 6. de Septembre 1649. Caramuel, qui n’eft pas avare de louanges en- vers ceux qui iui en donnent, apres avoir rdpon- du aux complimens du P. Zergol, propofe & de¬ cide la queliion en cette maniere. „ On demande, dit-il, fi la do&rine de Pier- „ re Navarre , de Sayrus, & de Fracqois Lamy „ touchant le pouvoir de tuer pour ddfendre „ fon honneur , eft digne de quelque cenfure. „ J’ajoute que c’eft auflx celle de Gordon de „ Reft, qu&ft- 4. cap. 1. mm. 7. de Sancius dans „;fes Difputes Choilies difp. 46- mm. 8. & d’autres „ citez par eux. Et pour rdfoudre cette quef- „ tion , je demande ft Ton peut alldguer un ,, feul Thdologien qui foit contraire en termes i, formels au P, Lamy. Je demande encore fi ce „ Cenfeur qui condamne cette doftrinedferoit „ obliger fon Pdnitent $ fuivre 1 ’opinion con- „ traire i je dis obliger , & non pas confeilier. ,, C’eft pourquoi tous tant que nous fommes de i, dotftes , nous concluons que la dodlrine du h P. Lamy eft la feule veritable qn’il y ait fur „ ce fujet, & que la doftrine contraire eft en- „ tierement improbable. Jugez par-la du ca- j, ra&ere de cet homtiie. II confirme enfuite fa ddcifion par cette maxime digne du grand Caramuel. ,, Quand il „ s’agit, dit-il, d’une matiere dont un Auteui' ,5 grave a traitd expres & a deffein , la rdfolu- 1, tion de cet Auteur doit dtre eitimde mora- j, lement certaine , c’eft-d-dire plus fare que si quelque opinion probable que ce foit, jut- >■ qu’i ce que d’autres Auteurs graces viennent 1, aufll a la combattre exprefKment. Car alors a ellq ceftera d’avoir la meme certitude, & elle i commencera i etre plus probable , ggalement Tome HI. I „ prct’ 130 Note suit la XIII. Lettre. „ probable , ou moins probable , felon qu’elte », aura plus ou moins d’adverfaires. Enfin elie ,, deviendra improbable , quand iis la rejette- ,, ront tous unanimement. Voila quelle eft l’autoritd que s’attribuent ces Dodleurs aveugles , qui n’empecbera pas que je ne leur oppofe encore ici cette maxime que j’ai prouvde ailleurs , & qui eft fans-doute beaucoup plus veritable que la leur : „ Quand „ la ddcifion d’un cas n’a point d’autres Au- „ teurs que Caramuel, Diana, ou quelque au- „ tre Cafuifte femblable , elle eft moralement „ faufte. On peut meme croire improbables „ plufieurs opinions qui font unanimement ap- „ prouvdes par les nouveaux Cafuiftes. Mais ceffons de nous ftcher contre Cara- muel. Remercions-le plutdt de ce qu’il nous a confervd cette Lettre du P. Zergol. Car quelles lumieres n’en peut-on point tirer pour mieux connoitre quel eft le g£nie de la So- ci£td ? On y voit 1. la fermetd , ou plutdt 1 ’obC- tination avec laquelle elle foutient les erreurs les plus odieufes de fes Thdologiens. 2. De quelle maniere elle attire les autres Thdologiens dans fon parti, & de quelles bailed fes elle fe fert quand elie n’a point d’autre moyen de les gagner. • 3. Quel jugejnent elle porte de Caramuel , & ^approbation qu’elle donne a fes ddcifions im- pies. 4. On voit enfin par ce que Caramuel ajoute au meme endroit , qu’il n’y a point de Dogme fi horrible, pourvu qu’il plaife a quelque Jdfui- te de le hazarder, qu’elle ne foit prete de dd-> fendre comme permis, par cette feule raifon que cas Auteurs l’ont avancd. Car ce Cafuifte rap- porte Histoire i>u P. Lamy. 131 porte dans la meme difpute (1) un cas effroyable, qu’il nous allure que les Jdfuites ne IaiiTent pas de foutenir comme une confluence de la doc¬ trine du P. Lamy. „ Vous demandez, dit-il, ft „ un Religieux qui fe laillant after d la fragility, „ aura abufd d’une femme de bafie condition, „ Jaquelle fe trouvant fort honorde de s’etre „ abandonnde d un fi grand perfonnage , s’en „ vante & le ddcrie , peut tuer cette femme ? „ Que puis-je rdpondre d cela, finon ce que j’ai „ oui dire au R. Pere N. Docteur en Thdblogie, „ & homme d’un grand efprit & d’un grand fa- „ voir. II difoit que le P.Lamy fe futbien piffd de ,, decider qu’il la pouvoit tuer; mais qu’ayant „ une fois fait imprlmer cette ddcifion , il dtoit „ obligd de la foutenir, & nous de la ddfendre. „ Et en effet cette doctrine eft probable, & un „ Religieux s’en pourroit fervir, & tuer la femme „ dont il a abufe, de peur qu’elie ne le diffa- ,, mdt. C’eft ce que je vous laiffe a examiner „ foigneufement. Il eft vrai qu’il y a ddja quelques anndes que ces chofes fe font paffdes. Mais on ne peut douter apres ce qu’ils ont fait cette annde en France , qu’ils ne foient toujours dans les mo¬ nies principes. Car les Curez de Paris ayant principalement attaqud cette doftrine du Meur. tre , les Jdfuites Pont ddfendue fortement dans une Lettre publique adreflee aux Evdques. Et pour lui donner plus d’autoritd , ils ont prd- tendu non feulement que c’dtoit la doftrine de Mr. Du Val & de Bannez , mais encore celle du Cardinal de Richelieu , qui, difent- iis, approuve dans fon Inftruttion dv, Chre¬ tien (1) P . SSI. i * 13 a Note sur la XIII. Lettre. tk» CO* qu’on tue en cachette les calomnis- teurs. Ce n’eft pas ici le lieu de parler des railleries que toutes les perfonnes d’efprit fi- rent fur 1’alldgation d’un tel tdmoin. Ache- vons d’examiner les chicanes de 1’Apologif- te. 5. I V. Ha quel fins Montalte condamne la diftintfion de Spe¬ culation & de Pratique. O N a de la peine a s’empecher de rire, quand on lit les raifonnemens pudrils que l’A- pologille fait fur la diftinction de Speculation Sc de Pratique. II prouve fdrieufement qu’un grand norabre de Thdologiens fe font fervis de cette dillinftion : comme ft quelqu’un avoit jamais doutd que ces termes fuffent en effet tres communs dans l’Ecole, ou que Montalte eut attribud aux Jdfuites de les avoir inventez. Ce bon Apologifle devroit cefler de divertir le public par fes chicanes ridicules. II devroit mieux examiner ce que l’on reproche I fes Confreres. Perfonne ne les reprend de fe fer- vir de cette diftir&ion. Mais l’Univerfitd de Paris & Montalte fe plaignent avec raifon , de ce qu’ils s’en fervent pour excufer les meur- tres. Car c’eft une chofe dgalement abfurde & criminelie de permettre les meurtres , meme dans la fpdculation , c’eft-a-dire n’ayant dgard qu’tl la vdritd k Sc la loi dternelle. Car par- la on ddtruit, autant que cela eft dans le pou- voir (1) Lifon. De la Specul. et Pratique. 133 voir des hommes , la !oi dt ernelle & le com- manderaent de Dieu: & ce principe fuppote, les hommes ne s’abftiendront plus du meurtre qu’i caufe de certaines circonltances, qu'il ne leur fera pas difficile de changer quand ils le vou- dront. Mais pourquoi m’dtendre ici fur les confdquen- ces dangereufes de cette dillinfiion ? Moncalte l’a fait avec une Eloquence a laquelle on ne pent rien ajouter Je ne releverai point non plus ce que l’Apo- logifte dit dans le refte de fa Lettre touchant les Opinions Probables, parce que j’ai fuffifammenc expiiqud toute cette matiere dans mes Notes fur la cinquieme Lettre. 1 34 XIV. Lett. Sentimens des QUATQRZIEME LETTRE (i) ECRITE AUX RR. PERES JESUITES. On refute par les SS. Peres les maximes des fejuites fur 1’Homicide. On repond enpaf- Jant a quelques-unes de leurs calomnies , £? on compare leur doctrine avec la forme, qui s'obfer-ve dans les fttgsmens Criminsls. Da 23. Oftobre 1656 . Mes Reverends Peres, S I je n’avois qu’a rbpondre aux trois im? poftures qui reftenc fur l’Homicide,je n’aurois pas befoin d’un long difcours, &. vous les verrez ici rdfutbes en peu de mots : mats comme je trouve bien plus important de donner au monde de l’hor* reur de vos opinions fur ce fujet, que de juftifier la fidelite de mes citations, je fe» rai oblige d’employer la plus grande par- tie de cette Lettre d la refutation de vos maximes, pour vous reprefenter combien vous btes eloignez des fentimens de I’E- gfife,& mbme de la Nature. Les permif- fions de tuer que vous accordez en tant de rencontres , font paroitre qu’en cette matiere (i) Mr. Nicole a revu Sc corrige cette Lettre. r •' Jesuites sur l’Homicide. 135- mature vous avez tellement oublie la loi deDieu, & tellement etemt les lumieres naturelles, que vous avez befoin qu’on vous remette dans les principes les plus fimples de la Religion & du Sens Coramun. Car qu’y at-il de plus naturel que ce fen- timent? Qu'un particulier n’a pas droit fur la vie d’un autre. Nous en Jommes tellement infruits de nous-mimes, dit St. Chryfofto- me, que quand Dieu a etabli le precepie da ne point titer, il n’a pas ajoute que c’ejl d eaufe que l’homicide ejt an mal; parce , die ce Fere , que la Loi fuppofe qu’on a dijd appris cette veriti de la Nature. Audi ce commandement a dtd impofd aux hommes dans tous les terns. L’Evan- gile a confirme celui de la Loi; & le De¬ calogue n’a fait que renouveller celui que les hommes avoient requ de Dieu avant la Loi en la perfonne dcNoe, dont tous les hommes devoient naitre. Car dans ce renouvellement du monde Dieu dit h ce Patriarche: Je demanderai compte aux hom¬ mes , £p au frere , de la vie de fon frire. Quiconque verfera le fang bumain, fon fang fcra ripandu ; parce que I’boinme eft cree a I’image de Dieu. Cette ddfenle gdndrale Ate aux hommes tout pouvoir fur la vie des hommes. Ee Dieu fe l’eft tellement rdfervd k lui feul* que felon la vdritd Chretienne , oppofbe en cela aux faufies maximes du Paganif- me , l’homme n’a pas mdme pouvoir fur fa propre vie. Mais parce qu’il a plft A J 4 fa 136 XIV. Lett. Sentimens des fa providence de conferver les Soeidtez des homines, & de punir les mdchans qui les troublent, il a dtabli iui-mdme des Ioix pour 6ter la vie aux criminels: & ainli ces meurtres, qui feroiect des atten¬ tats puniffab'es fans Ion ordre , devien- nent des punitions louables par fon or¬ dre , hors duquel il n’y a rien que d’in- jufte. C’eft ce que St. Augullin a reprd- lente admirablement au 1 . 1. de la Citdde Dieu ch. 21. Dieu , dit-il, a fait lui-meme quelque exception d cette defenj'e generate de tuer, foit par les loix qu’il a etablies pour faire mourir les criminels; foit par les ordres particulars qu’il a donnez quelquefois pour faire mourir quelques perfonnes. Et quand on tue en ces cas-la , ce n’ejlpas I’bomme qui tue; mats Dieu , dont I’bomme n’ejl quel’inf- trument , comme une epee entre les mains de celui qui s’en fert. Mats Ji on excepte ces cas , quiconque tue fe rend coupable d’bomu cide. 11 eft done certain, mes Peres, que Dieu feul a le droit d’6ter la vie , & que nean- moins ayant etabli des Ioix pour faire mou¬ rir les criminels, il a rendu les Rois oules Republiques ddpofitaires de ce pouvoir. Ec c ; eft ce que St. Paul nous apprend , lorf- que parlant du droit que les Souverains ont de faire mourir les hommes, il le fait def- cendre du Ciel, en difant: Que ce n’ejl pas envain-quits portent I’epfa , parce qu’ils font Minijlres de Dieu,pour executer fes vengean¬ ces centre les coupables. Mais Jesuites sur l’Homicide. 137 Mais comme c’eft: Dieu qui ]eur a donnb ce droit, ft Ies oblige a l’exercer ainfi qu’il le feroit lui-meme , c’eft-a-dire avec juftice , felon cette parole de St. Paul au mdme lieu. Les Princes ne font pas etablis pourfe rendre terribles aux bans , mais aux mtcbans. Qiri veut n’avoir point fujet de re- douter leur puiffance , n’a qu’d bien fairs: car Us font Minifires de Dieu pour le bien. Ec cette reftridtion rabailTe li peu leur puif¬ fance, qu’elle la releve au-contraire beau- coup davantage ; parce que c’eft la rendre femblable & celle de Dieu , qui eft impuif- fant pour faire le mal, & tout-puiffant pour faire le bien ; & que c’eft la diftinguer de celle desDemons, qui font impuiftans pour le bien , & n’ont de puiffance que pour le mal. II y a feulement cette difference en- tre Dieu & les Souverains, que Dieu etant la juftice & la fageffe mdme , il peut faire mourir furle champ qui il lui plait, & en la maniere qu’il lui plait. Car outre qu’il eft le Maitre fouverain de la vie des hom¬ ines , il eft fans doute qu’il ne la leur 6te jamais ni fanscaufe, ni fans connoiffance, puifqu’il eft auffi incapable d’injuftice que d’erreur. Mais les Princes ne peuvent pas agir de la forte; parce qu’ils font tellement Miniftres de Dieu, qu’ils font Homines ndanmoins, & non pas Dieux. Les mau- vaifes impreflions les pourroient furpren- dre, les faux foupqons les pourroient aigrir, la paffion les pourroit emporter; & c’eft ce qui les a engagez eux-mdmes a defcen- I S dre 133 XIV. Lett. Sentimens des dre dans les moyens humains, & k dtablir dans leurs Etats des Juges , auxquels ils ont communique ce pouvoir;afin quecette autornd que Dieu leur a donnde, ne foit employee que pour ia fin pour laquelle ils l’ont regue. Concevez done, mes Peres , que pour dre exempts d’homicide, i! faut agir tout enfemble, & par 1’autoritd de Dieu, & fe¬ lon la juftice de Dieu ; & que fi ces deux conditions ne font jointes ,on peche, foit en tuant avec fon autoritd, mais fans injuf* tice ; foit en tuant avec juftice , mais fans fon autoritd. De la neceflitb de cette union il arrive felon St. Auguftin , que celui qui fans autorite tue un criminel, fe rend criminel lui-meme , par cette raifon principale , qidil ufurpe um autorite que Dieu ne lui a pas don- nee: & les Juges au-contraire qui ont cette autorite, font neanmoins homicides , s’ils font mourir un innocent contre les loix qu’il doivent fuivre. Voil&,mes Pdres,les principes du repos & de ia furetd publique, qui ont dte requs dans tous les terns & dans tous les Jieux, & fur lefquels tous les Ldgiflateurs du mon- de facrez & prophanes ont etabli leurs loix ; fans que jamais les Payens mdmes ayent apporte d’exception & cette regie, finon lorfqu’on ne peut autrementeviter la perte de la pudicitd ou de la vie; parce qu’ils ont penfd, qu’alors , cotnme die Cicdron, les Loix mimes J'emblent offrir leurs armes a, ceux qui font dans me telle neceJJitL . Mais Jesuites sur l ’Homicide. 139 Mais que hors de cette occafion , dont jeneparlepointici.il y ait jamais eu de loi qui ait permis aux particuliers de tuer, & qui fait fouffert, comme vous faites, pour fe garantir d’un affront, & pour dvicer la perte de l’honneur, ou dubien, quand on n’elf point en mdme terns en pdnl de la vie ; c’eft, mes Peres , ce que je ioutiens que jamais les Infideles mdmes n’ont fait. 11s l’ont au-coniraireddfenduexpreftemenr. Car la Loi des XII. Tables de Rome por- toit : Qu’il n’eft pas permis de tuer un voieur de jour qui ne Je'defend point avec des armes.Ce qui avoit ddja dtd defendudans l’Exode eft. XXII. Et la Loi Furem , ad Legem Corneliam , qui eft prife cFUlpien , defend de tuer mem les voieurs de nuit , qui ne nous mettent pas en peril de mort. Voyez-le dans Cujas tit. dig. de juftit. & jure ad 1. 3. Dites-nous done , mes Pdres, par quelle autoritd vous permettez ce que les loix divines & humaines ddfendent? & par quel droit Leffius a pu dire 1 . 2. c. 9. n. 66 . & 72? L’Exode defend de tuer les voleurs de jour qui ne Je dependent pas avec des armes, £? onpunit en jujlice ceux qui tueroient de cette forte. Mais nianmoins on n’en feroit pas coupable en con- feience, lorfqu’on n’eft pas certain de pouvoir recouvrer ce qu’on nous derobe , & qu’on ejl en doute , comme dit Sotus; parce qu’on n’ejl pas oblige de s’expofer au peril de perdre quel-, que cbofe pour J'auver un voieur. Et tout cela ejt encore permis aux Ecclejiaftiques me- mes? Quelle derange hardiefle 1 La Loi de Moife 140 XIV. Lett. Sentimens des Moife punit ceux qui tuent ies voleurs lorlqu'ils n’attaquent pas notre vie , & la Loi de i’Evangiie felon vous les abfoudra? Quoi, mes Pdres, Jesus-Christ eft il ve. nu pour detruire la Loi , & non pas pour 1’accornplir? Les Jugespuniroient , die Lef- flus, ceux qui tueroient en cette occafion , metis on lien feroit pas coupable en confcience. Eft- ce done que la Morale de Jesus-Christ eft plus cruelle & moins ennemie du meurtre, que celle des Payens , done les Juges ont prix ces loix civiles qui le condamnent? Les Chretiens font-ils plus d’etat des biens de la Terre, ou font-ils moins d’dtat dela vie des hommes,que n’en ont fait les Ido- Idtres & les Infideles ? Sur quoi vous fon- dez-vous, mes Feres? Ce n’eft fur aucune loi exprefle ni de Dieu, ni des Hommes, mais feulement fur ce raifonnement Stran¬ ge. Les Loix, dites-vous, permettent de ft defendre contre les ‘uoleurs, & de repouffer la force par la force. Or la defenfe etant per- mife , le meurtre eft aujji repute permis,fans quoi la defenfe feroit fouvent impoffible. Cela eft faux, mes Peres, que la ddfen- fe etant permife , le meurtre foit aufli per- mis. C’eft cette cruelle maniere de fe dd- fendre, qui eft la fource de toutes vos erreurs , & qui eft; appellde par la Facultd de Louvain une defense meurtriere , Defenfio occifiva , dans leur Cenfure de la Dodtrine de votre P.Lamy fur l’Homicide, Je vous foutiens done qu’il y a tant de dif¬ ference , felon les loix , entre tuer & fe Jesuxtes sur l’Homicide. 141 ddfendre, que dans les mdmes occafions oh la defenfe eftpermife, le meurtre eft d6- fendu quand on n’eft point en pdril de mort, Ecoutez le, mes P£res , dans Cu- jas au meme lieu. II eft permis de repoujfer celui qui vient pour s’emparer de notre pojfef- fion , Mais il n’est pas permis de le tuer. Et encore : Si quelqu’un vient pour nous f rapper , & non pas pour nous tuer , H eft bien permis de le repoujjer, mais il k’est PAS PERMIS DE LE Ti EH. Qui vous a done donnd le pouvoir de dire , comme font Molina , Rdginaldus , Filiutius, Efcobar, Leffius, & les autres, II eft permis de tuer celui qui vient pour nous frapper? Et ailleurs: II eft permis de tuer ce¬ lui qui veut nous faire un affront , felon l'avis de tons les Cafuiftes , Ex fentenda omnium, comme dit Leffius n. 74. Par quelle au¬ torite , vous qui n’dtes que des particu¬ lars, donnez-vous ce pouvoir de tuer aux particuliers, & aux Religieux mdmes ? Et comment dfez vous ufurper ce droit de vie & de mort , qui n’appartient eifentielle- ment qu’a Dieu, & qui eft la plus glorieu- fe marque de lapuifTance fouveraine ? C’eft fur cela qu’il falloit rdpondre ; & vous penfez y avoir fatisfait, en difant fimple- ment dans votre 13- impofture , que la va- leur pour laquelle Molina permet de tuer un voleur qui s’enfuit fans nous faire aucune vio¬ lence , n'eft pas aufti petite que j’ai dit , If qu’il faut qu'elle foit phis grande que fix ducats. Que cela eft foible, mes P£res. Oh voulez- vou® *42 XIV. Lett. Sentimens ees vous la determiner? A 15. ou 16. ducats ? Je ne vous en ferai pas moins de repro- dies. Au moins vous ne fauriez dire qu’el- le paffe la valeur d’un cheval. Car Leflius }. 2. c. 9. n 74. decide nettement, qu'il eft permis de tuer un voleur qm s'enfuit avec no- tre cheval. Mais je vous dis de plus , que felon Molina cette valeur eft ddterminde k 6 . ducats , comme je l’ai rapportd : & fi vous n’en voulez pas demeurer d’accord, prenons un arbitre que vous ne puiffiez re* fufer. Je choifis done pour cela votre Pd re Rdginaldus, qui expliquanc ce mdme lieu de Molina 1 . 21. n. 68. declare ; que ■Molina y determine la valeur poUr laquel- le il n'eft pas permis de tuer, a 3. oup. ducats. Et ainfi, mes Peres , je n’aurai pas feule- ment Molina, mais encore Reginaldus. II ne me fera pas moins facile de rdfuter votre 14. impofture,touchant la permiflion de tuer un voleur qui nous veut oter un ecu felon Molina. Cela eft ficonftant, qu’Ef- cobar vous le temoignera , tr. 1. ex, 7. n. 44. 011 il die , que Molina determine regulie- rement la valeur pour laquelle on pent tuer , d un ecu. Audi vous me reprochez feulemenc dans la 14. impofture, que j’ai fupprimdles dernieres paroles de ce paffage : Qiie Von doit garder en cela h moderation d’unepujte de- fenfe. Que ne vous plaignez vous doncaulli de ce qu’Efcobarneles a point exprimdes? Maks que vous dtes peu fins! Vous croyez qu’on n’entend pas ce que e’eft , felon vous , que fe defendre. Ne favons-nous pas Jesuites sur l’Ho micide. 143 pas que c’eft ufer d’utie defenj'e meurtriere ? Vous voudriez faire entendre que Molina a voulu dire par-id, que quand on fe trou- ve en peril de la vie en gardant Ton ecu , alors on peut tuer , puifque c’eft pour dd- fendrefa vie. Si cela etoit vrai , mes Pd» res, pourquoi Molina diroit-il au mdme lieu, Qu’il eft contraire en cela a Carrerus Bald, qui permettent de tuer pour fauver fa vie? Je vous declare done qu’il entend fimplemdnt, que fi Ton peut fauver fon ecu fans tuer le voleur,on ne doit pas le tuer; mais que fi Ton ne peut le fauver qu’en tuant, encore metre 'qu’on ne coure nul rifque de la vie , comme fi le voleur n’a point d’armes , qu’il eft permis d’en pren¬ dre & de le tuer pour fauver fon dcu ; & qu’en cela on ne fort point, felon Iui, de la moderation d’une jufte ddfenfe. Et pour vous le montrer, laiffez-le s’expliquer lui- mdme , tom. 4. tr. 3. d. 11. n. j On ne laijje pas de donner dans la moderation d’une jufte defenfe , quoiqu’on frenne des armes centre ceux qui n'en ont point , oil qu’on en prenne de plus avantageufes qu’eux. Je fai qu’il y en a qui font d’un fentiment contraire: mais jen’ap- prouve point kur opinion , meme dans le tribu¬ nal exterieur. Aufli, mes Peres, il eft conftant que vos Auteurs permettent de tuer pour la ddfen- fe de fon bien & de fon honneur, fans qu’on foit en aucun pdril de fa vie. E: c’eft par ce meme principe qu’ils autbrifent les Duels, comme je l’ai fait voir par tant depaflages. 144 XIV. Lett. Sentimens des fur lefquelsvousn’avezrienrepondu. Vous n’attaquez dans vos Ecrits qu’un feul paffa- ge de votre Pdre Layman , qui le permet lorfqu'autremmt on feroit en peril de perdre fa fortune ou/on honneur: & vous dites que j’ai fupprime ce qu’il ajoute , Que ce cas-la eft fort rare, Je vous admire , mes Pdres ; voilit de plaifantesimpoftures que vous me reprochez. 11 eft bien queftion de«favoirfi ce cas-!a eft rare , il s’agit de favoir ft le duel y eft permis. Ce font deux queftions fcpardes. Layman en qualitd de Cafuifte doit juger ft le duel y eft permis , & il de¬ clare que oui. Nous jugerons bien fans lui li cecas-lii eft rare, & nous lui declarerons qu’il eft fort ordinaire. Et ft vous aimez mieux en croire votre bon ami Diana, il vous dira qu'il eft fort commun. part. 5. traft. 14. Mifc. 2. Refol. 99. Mais qu’il foitrare, ou non, & que Layman fuive en cela Na¬ varre , comme vous le faites tant valoir, n’eft ce pas une chofe abominable qu’il con- fente £ cette opinion? Que pour conferver un faux honneur il foit permis enconfcien- ce d’accepter un duel, contre les Edits de tous les Etats Chretiens , & contre tous les Canons de l’Eglife , fans que vous ayez encore ici pour autorifer toutes ces maxi- mes diaboliques, ni Loix , ni Canons, ni .Autoritez de l’Ecriture ou des Peres ,ni E- xemple d’aucun Saint, mais feulement ce Raifonnement impie. L'honneur eft plus cber que la uie. Or il eft permis de tusr pour de¬ ftendre fa vie. Doncil eft permis de tuer pour Jesuites svr l’Homicide. 145 defendre fon bonneur. Quoi, mes Peres, parce que le ddreglement deshommesleur a fait aimer ce faux honneur plus que la vie que Dieu leur a donnde pour le fer- vir,il leur fera permis de tuer pour lecon- ferver? C’eft eela memequi eftun mal hor« rible, d’aimer cec honneur-ld plus que la vie. Et cependant cette attache vicieufe, qui feroit capable de fouiller les adtions les plus faintes, fi on les rapportoit & cette fin , lera capable de juftifier les plus criminel- les, parce qu’pn les rapporte a cette fin? Quel renverfement, mes Peres ! & qui ne voit & quel exees il peut conduire? Car enfin il eft vifible qu’il portera jufqu’i tuer pour les moindres chofes, quandon met- tra fon honneur a les conferver;je dis md- mejufqu’a tuer pour uhe ponime. Vous-vous plaindriez de moi, mes Peres, & vous di- riez que je tire de votre dodtrine des con¬ fluences malicieufes , fi je n’dtois appuyd fur l’autorite du grave Leflius, qui parle ainfi n. 68- Il n’ejl pas permis de tuer pour conferver une cbofe de petite valeur , comme pour un ecu , ov pour une pomme , aut pro pomo, ft ce n'ejl qu’il nous fut honteux de la perdre Car alors on peut la reprendre , fi? mime tuer s'il ejl necejfaire pour Iqravoir, Et fi opus eft, occidere; parce que ce n’ejl pas tant defendre fon bien que fon bonneur > Cela eft net , mes Peres. Et pour finir votre dodtrine par une maxima qui com* prend routes les autres , ecoutez celle-ci de votre P. Hereau , qui l’avoit prife de Tome III, K Leflius ■ 146 XIV. Lett. Sentimens des Leffius: Le droit de fe defendre s'itend a tout ce qui eft necejfaire pour nous garder de toute injure. Que d’etranges fuites font enfermees dans ce principe inhumain , & combien tout le monde eft il oblige de s'y oppofer, & fur- tout les perfonnes publiques? Ce n’eft pas feulement l’interdt general qui les y engage, xnais encore le leur propre ; puifque vos Cafuiftes citez dans mes Lettres, btendent leurs permiflions de tuer jufqu’a eux. Et ainfi les fadtieux qui craindrqnt la punition de leurs attentats, lefquels ne leur paroiffent jamais injuftes, fe perfuadant aifdment qu’on les opprime par violence, croiront en md- me terns, que le droit de fe defendre s’etend d tout ce qui leur eft necejfaire pour fe garder de toute injure. Us n’auront plus & vamcre les remords de la confcience, qui arrdtent la plupart des crimes dans leur naiflance , & ils ne penferont plusqu’il furmonter les^fa¬ llacies du dehors. Je n’en parlerai point ici, mes Pdres, non plus que des autres meurtres que vous avez permis, qui font encore plus abominables, & plus importans aux Etats que tous ceux- ci, done Leffius traite ft ouvertement dans les Doutesq. & 10. auffi-bien que tantd’au- tres de vos Auteurs. 11 feroit a defirer que ces horribles maximes ne fulfent jamais for* ties (1) del’Enfer; & que le Diable, qui en (1) Je fuis bien aife de rappotter ici un fait important qui fait beaucoup d'honneur ^ Mr Arnauid. On lui communiqua un Ouviage conliderable , oil l'on avoit tap. Jesujtes sur l’Homicide. 147 eneft le premier auteur, n’eut jamais trouve des hommesaffezdevouez a fes ordrespour les publier parmi !es Chretiens. 11 eft aife de juger par tout ce que j’ai dit juiques-ici, combien le rel&chement de vos opinions eft contraire & lafdveritd des Loix Civiles & meme Payennes. Que fera-ce done ft on les compare avec les Loix Ec- clefiaftiques, qui doivenc dtre incompara- blement plus faintes , puifqu’il n’y a que 1’Eglife qui connoifie Spqui poftede la ve¬ ritable faintete? Aufli cette chafte Epoufe du Fils de Dieu , qui a l’imitation de Ton Epoux fait bien repandre fon fang pour les autres, mais non pas rdpandre pour el- le celui des autres, a pour le meurtre une horreur toute particuliere , & proportion- nde aux lumieres pardculieres que Died lui a communiquees. Elle confidere les hommes non feulement comme ho.mmes, mais comme images du Dieu qu’elle ado¬ re. Elle a pour chacun d’eux un faint ref- peft qui les lui rend tous vdndrables, coni¬ ine rachetez d’un prix infini, pour tkre faits rapporte toutes les autorite's des Auteurs Jefuifes pre'- judiciabies ala vie des Rois & des Souverains. Cet illuP- tie Dofteur en empecha I’impreffion fur cette railon, tju’il etoic dangereux pour la furetd des Rois & pour I’honneur des Jefuites, qu’un parei! Ouvrage vit le jour, 8t de fait l’Ouvrage ne fut pas imprime'. Queiqu’un ^ moins delicat que Mr. Arnauld, en a fait im primer un pareil dans le Livre qui a pour titre Rtcueil de Piicec. mcerrant I'HiJltire de la Comp, de Jef, pAr k P. loii- vanci. 148 XIV. Lett. Sentimens des faics les temples du Dieu vivant. Et ainG elle croit que la more d’un homrr.e que l’on tue fans l’ordre de fon Dieu, n’eft pas feulement un homicide , mais un facrile- ge , qui la prive d’un de fes membres: puifque , foit qu’il foit fidele , foit qu’il ne le foit pas, elle le confidere toujours, ou comme dtant l’un de fes enfans , ou comme etant capable de I’etre. Ce font, mes Peres, ces raifons toutes faintes, qui depuis que Dieu s’eft: fait horn* me pour le falut des hommes, ont rendu leur condition fi eonfiderable & l’Eglife, qu’elle a toujours pum l’homicide qui les detruit, comme un des plus grands atten¬ tats qu’on puiffe commettre contre Dieu. ]e vous en rapporterai quelques exem- ples , non pas dans la penfee que toutes ces fdveritez doivent dtre gardees, je fai que 1 ’Eglife peut difpofer diverfement de cette difcipline extdrieure; mais pour faire entendre quel eftfonefprit immuable furcs fujet. Car les penitences qu’elle ordonne pour le meurtre, peuvent dtre differentes felon la diverfite des terns ; mais l’hor- reur qu’elle a pour le.meurtre, ne peut jamais changer par le chaagement des terns. L’Eglife a etd long-terns a ne rdconci- lier qu’i la mort ceux qui etoient coupa- bles d’un homicide volomaire , tels que font ceux que vous permettez. Le cele-i bre Concile d’Ancyre les foumet & la pe¬ nitence durant toute leur vie: & l’Egiife a cru Jesuites sur l’Homicide. 149 s cru depuis dtre aflez indulgence envers eux, en reduifant ce terns k un tres-grand norabre d’annees. Mais pour ddtourner encore davancage les Chretiens des ho¬ micides volontaires, die a puni tres fd- vdrement ceuxmemes qui dtoient arrivez par imprudence , comme on peuc voir dans Sc Bafile, dans St. Gregoire de Nyfi¬ fe , dans les Decrees du Pape Zacarie & d’Alexandre II. Les Canons rapportez par Ifaac Evdque de Langres tr. 2. 13. ordonnent 7 • ans de penitence pour avoir tud en fe defendant. Et on voit que St. Hil- .ddbert, Evdque du Mans, rdpondit a Yves de Chartres : Qu'il a eu raifon d’interdire m Pretre pour toute fa vie , qui pour fe defendre avoit tui un voleur d’un coup de- pierre. N’ayez done plus la hardiefle de dire que vos decifions font conformes a l’Efprit & aux Canons de 1 ’Eglife. On vous ddfie d’en montrer aucun qui permette de tuer pour defendre fon bien feulement : car je ne parle pas des occafions oh on auroit h defendre aufil fa vie , fe fuaque liberan - do : vos propres Auteurs confeffent qu’il n’y en a point, comme entr’autres votre Pere Lamy,Tom. 5. Difp. 36. num. 135. 11 n'y a , dit - il, aucun droit divin ni hu- main qui permette exprejjement de tuer un voleur qui ne fe defend pas. Et e’eft nban- moins ce que vous permettez exprelfd- ment. On vous defie d’en montrer aucun qui permette de tuer pour l’honneur, pour K 3 un 150 KIV. Lettre. Forme dans un fouflec , pour une injure & une me- difance. On vous defie d’en montrer aucun qui permette de tuer les Temoins, lesjuges, & les Magiftats , quelque in- juftiee qu’on en apprdhende. L’efprit de j’Egiife eft entierement eloignd de ces maximes fbditieufes, qui ouvrent la porte aux foulevcmens, auxquels les Peuples font fi naturellement portez. Elle a toujours enfeigne a fes eufans, qu’on ne doit point rendre le trial pour le mal: qu’il faut ce- der h la colere: ne point relifter a la vio¬ lence: rendre a chacun ce qu’on lui doit, honneur, tribut , foumiffion : obei'r aux Magiftrats & aux Simdrieurs, mdme injuf tes; parce qu’on doit toujours refpedter en eux la puiflance de Dieu qui les a &• tablis fur nous. Elle leur dbfend encore plus forcement que les Loix Civiles, de fe faire juft ice a eux-mdmes; & c’ell par fon efprit que les Rois Chrdtiens ne fe !a font pas dans les crimes mdmes de Leze- Majeftd au premier chef, & qu’ils remet* tent les Criminels entre les mains desju- ges, pour les faire punir felon les Loix, & dans les formes de la juftice, qui font fi contraires k votre conduite , que l’op- pofition qui s’y trouve vous fera rougir. Car puifque ce difcours m’y porte, je vous prie de fuivre cette comparaifon , entre la maniere dont on peut tuer fes enne- mis felon vous , & celles dont les Juges font mourir les criminels. Tout le monde fait, mes Fbres, qu’il n’eft EES JUGEMENS CrIMINELS. Ifi n’eft jamais permis auk particulars de de- mander la more de perfoime; & quequand un homme nous auroit rui'nez, eftropiez, brftle nos maifons , tub notre pere , & qu’il fe difpoferoit encore & nous aflaffi- ner, & a nous perdre d’honneur, on n’e- couteroit point en Juftice la demande que nous ferions de fa more. De forte qu’il a fallu btablir des perfonnes publiques qui la demandent de la part du Roi , ou plu- tdt de la part de Dieu. A votre avis , mes Peres , eft-ce par grimace & par feinte que les Juges Chretiens ont btabli ce rbglement? Et ne l’ont-ils pas fait pour proportionner les Loix Civiles celles de J’Evangile ; de peur que la pratique exte- I rieure de la Juftice ne flit contraire aux fentimens interieursque des Chrbtiens doi- vent avoir ? On voit afiez combien ce commencement des voies de la Juftice vous confond, mais le refte vous acca- blera. Suppofez done , mes Peres , que ces perfonnes publiques demandent la mort de celui qui a commis tous ces crimes , que fera-t-on la-ddfus? Lui portera-t-on in¬ continent le poignard dans le fein? Non, mes Peres ; la vie des hommes eft trop importante, on y agit avec plus de refpedl:; les Loix ne l’ont pas foumife & toutes for¬ tes de perfonnes , mais feulement aux Ju¬ ges dont on a examinb la probitd & la fuf- fifance. Et croyez-vous qu’un feul fuffi- fe pour condamner un homme & mort ? 152 XIV. Lett. Sentimens des 11 en fauc fept pour le moins, mes Pe¬ res. II faut que de ces fept, il n’y en ait aucun qui ait etb offenfb par le criminel, de peur que la paffion n’altere ou ne cor- rompe fon jugement. Et vous favez, mes Peres, qu’afin que leur efprit foit.aufli plus pur , on obferve encore de donner ies heures du matin a ces fondtions : tant on apporte de Coin pour les preparer a une •adtion fi grande , oh ils tiennent Ja place de Dieu, dont ils font les mini fires, pour ne condamner que ceux qu’il condamne lui-mbme. Et c’eft pourquoi , afin d’y agir comme fideles dilpenfateurs de cette puiffance divine, d’6ter la vie aux hommes , ils n’ont la libertb de juger que felon les db- pofitions des temoins, & felon touces les autres formes qui leur font prefcrites; en- fuite defquelles ils ne peuvent en confcien- ce prononcer que felon les Loix, ni ju¬ ger dignes de mort que ceux que les Loix y condamnent. Et alors , mes Pe¬ res , fi l’ordre de Dieu les oblige d’aban* donner au fupplice le corps de ces mifb- rabies, le mbme ordre de Dieu les oblige de prendre foin de leurs ames criminel- les; & c’eft mbme parce qu’elles font cri- minelles , qu’ils font plus obligez a en prendre foin ; de forte qu’on ne les en- voie & la mort, qu’apres leur avoir donnb moyen de pourvoir ti leur confcience. Tout ce!a eft bien pur & bien innocent ; & neanmoins l’Eglife abhorre tellement le fang, Jesuites sur l’Homicide. 153 fang, qu’elle juge encore incapables du miniftere de fes Autels ceux qui auroienc affiftd a un arrdt de mort, quoiqu’accom- pagnd de toutes ces circonftances ft reli- gieufes: par oh il eft aife de concevoir quelle idee l’Eglife a de Fhomicide. VoiR , mes Peres , de quelle forte dans l’ordre de la Juftice on difpofe de la vie des hommes : voyons maintenant com* menc vous en difpofez. Dans vos nou- velles Loix , il n’y a qu’un juge , & ce juge eft celui-lii mdme qui eft oftenfe. Il eft tout enfemble le juge, la partie, & le bourreau. Il fe demande a lui-meme la mort de fon ennemi , il l’ordonne , il J’exdcute fur le champ ; & fans refpefl: ni du corps, ni de l’ame de fon frdre , il tue & damne celui pour qui Jesus Chrit eft mort; & tout cela pour eviter un fou- flet, ou une mddifance , ou une parole outrageufe , ou d’autres offenfes fembla* bles, pour lefquelles un Juge,qui a l’auto- ritd ldgitime, feroit criminel d’avoir con- damne a la mort ceux qui les auroient commifes ; parce que les Loix font trds- dloigndes de les y condamner. Et enfin, pour comble de ces exces, on ne contrac- te ni pdchd, ni irrdgularitd , en tuant de cette forte fans autorite , & contre les Loix, quoiqu’on foit Religieux, & meme Prdtre. Oh en fommes-nous, mes Pdres ? Sont-ce des Religieux & des Prdtres qui parlent de cette forte P Sont-ce des Chre¬ tiens ? Sont-ce des Turca ? Sont-ce des K 5 Horn* 154 XIV. Lett. Sentimens des Hommes? Sonc-ce des Demons? Ec font* ce-la des myfteres revelez par VAgneaua ceux de fa Society, ou des abominations iuggdrees par le Dragon a ceux qui fuivent fon parti ? Car enfin, mes Peres, pour qui voulez* vous qu’on vous prenne ? pour des enfans de l’Evangile, ou pour des ennemis del’E- vangile ? On ne peut dtre que d’un parti ou de l’autre, iln’y a point de milieu. Qui n’efl point avec JeJ'us-CbriJl , eft contre lui. Ces deux genres d’hommes partagent tous les hommes. 11 y a deux Peuples & deux Mondes rdpandus fur toute la Terre, felon St. Auguftin : le Monde des enfans de Dieu, qui forme un corps dont J esus-Christ eft le Chef & le Roi; & le Monde enne- mi de Dieu, dont le Diable eft le Chef & le Roi. Et c’eft pourquoi Jesus-Christ eft appelld le Roi & le Dieu du Monde; parce qu’il a par-tout des fujets & des a- dorateurs: & que le Diable eft auffi appel- le dans 1’Ecriture, le Prince du Monde & le Dieu de ce Siecle ; parce qu’il a par- tout des fuppdts & des efclaves. Jesus- Christ a mis dans l’Eglife , qui eft fon empire , les Loix qu’il lui a plfi felon fa fagefle dternelle; & le Diable a mis dans le Monde , qui eft fon royaume, les Loix qu’il a voulu y £iablir. Jesus-Christ a mis l’honneur il fouffrir, le Diable h ne point fouffrir. Jesus-Christ a dit k ceux qui reqoivent un fouflet, de tendre Pautre joue : & le Diable a dit & ceux a Jesuites sur l’Homicide. 155 qui on veut donner un fouflet , de tuer ceux qui leur voudront faire cette injure. Jesus-Christ declare heureux ceux qui participent a fon ignominie , & le Diable declare malheureux ceux qui font dans l’ignominie. Jesus-Chrirt die, Mal¬ heur & vous quand les hommes diront du bien de vous; & le Diable dit, Malheur a ceux done le monde ne parle pas avec eftime. Voyez done maincenanc, mes Peres, duquel de ces deux royaumes vous dees. Vous avez oui' le langage de la ville de paix,qui s’appelle la Jdmfalem Myftique, & vous avez oui le langage de la ville de trouble, que l’Ecriture appelle la Spi~ rituelle Sodome: lequel de ces deux langa- ges entendez-vous? Lequel parlez-vous? Ceux qui fonc h Jesus-Christ one les mdmes fendmens que Jesus-Christ, felon Sc. Paul; & ceux qui font enfans du Diable, Ex patre diabolo, qui a dtd homi¬ cide des le commencemenc du monde , fuivenc les maximes du Diable, felon la parole de Jesus-Christ. Ecoutons done le langage de votre Ecole , & de- mandons d vos Auceurs: Quand on nous donne un fouflec, doit-on l’endurer plu- tdt que de tuer celui qui le veut donner? ou bien, eft - il permis de tuer pour dvi- ter cec affront? 11 eft permis , difent Lea¬ flets , Molina , Efcobar , Rdginaldus , Fi- liutius , Badellus , & autres Jdfuites, de tuer celui qui nous veut donner uji fouflet. I5<5 XIV. Lett. Sentimens des Eft ce-la le langage de JeSus-Ch r ist ? Repondez-nous encore. Seroit-on fans honneur en fouffrant un fouflet, fans tuer celui qui l’a donne? N'eft il pas veritabk, die Efcobar, que tandis qu'un homme laif• fe vivre celui qui lui a donne un fouflet , il demeure fans bonneur ? Oui , mes Peres, fans cet bonneur que le Diable a tranfmis de fon efprit fuperbe en celui de fes fu- perbes enfans. C’eft cet honneur qui a toujours bte l’idole des homraes poflbdez par l’efprit du Monde. C’eft pour fe con- ferver cette gloire,dont le Demon eft le veritable diftributeur, qu’ils lui facrifient ]eur vie par la fureur des duels a la- quelle ils s’abandonnent , leur honneur parTignominie des fupplices auxquels ils s’expofent, & leur falut par le peril de leur damnation auquel ils s’engagent , & qui les a fait priver de la fdpulture md- me par les Canons Eccldfiaftiques. Mais oh doit louer Dieu de ce qu’il a dclaird J’efprit du Roi par des lumieres plus pures que celles de votre Theologie. Ses Edits ft feveres fur ce fujet n’ont pas fait que le duel ffit un crime , ils n’ont fait que pu*' nir le crime qui eft infeparable du duel. Il a arrdtd par la crainte de la rigueur de fa juftice , ceux qui n’dtoient pas arrdtez par la crainte de la juftice de Dieu : & fa pidtd lui a fait connoftreque l’honneurdes Chrdtiens confifte dans 1’obfervation des ordres de Dieu & des regies du Chriftia- aifme, & non pas dans ce fantdme d’hon* neur, Jesuites sur l’Homicide. 157 neur, que vous pretendez, tout vain qu’il foie , dtre une excufe Idgitime pour les meurtres. Ainfi vos ddcifions meurtrieres font tnaintenant en averfion k tout le mon- de ; & vous feriez mieux confeillez de changer de fentimens, fi ce n’eft par prin- cipe de religion, au-moins par maxime de politique. Prevenez, mes Peres, par une condamnation volontaire de ces opinions inhumaines , les mauvais effets qui en pourroient naitre , & dont vous feriez refponfables. Et pour concevoir plus d’hor- reur de l’homicide, fouvenez-vous que le premier crime des hommes corrompus a ete un homicide en la perfonne du pre¬ mier Jude: que le'ur plus grand crime adtd un homicide en la perfonne du chef de tous les Judes: & que l’homicide eft le feul crime qui detruittouc enfemble l’Etat, l’Eglife, la Nature & la Pidtd. J E viens de voir la rdponfe de votre Apo- logifte a ma treizieme Lettre. Mais s’il ne rdpond pas mieux k celled, qui fa- tisfait a la plupart de fes difficultez, il ne mdritera pas de replique. Je le plains de le voir fortir a toute heure hors du fujet, pour s’etendre en des calomnies & des in¬ jures contre les vivans & contre les morts. Mais pour donner creance aux mdmoires que vous lui fournifiez, vous ne deviez pas lui faire defavouer publiquement une cho* fe aufli publique qu’eft le fouflet de Com- piegne. ?5S XIV. Lett. Sentimens &c. piegne. II eft conftant, mes Peres, par l’aveu de 1’Offenfe, qu’il a regu fur fa joue un coup de la mam d’un Jefuite ; & tout ce qu’ont pu faire vos amis, a etdde mettre en doute, s’il l’a regu de l’avant- main ou de l'arriere-main ; & d’agiter la queftion , ft un coup de revers de la main fur la joue , doit dtre appelld fouflet, ou non. Je ne fai a qui il appartient d’en de¬ cider; mais je croirai cependant que c’eft au-moins un fouflet probable. Cela me met en furete de conscience. N O* Dissert, sur l’homicide. iyg NOTE S U R L A QCJATORZlE’ME LETTRE. O U Dissertation Theologique sur l’Homicide. Ou l’on pofe quelques principes ndceffaires pour mieux comprendre cette dodrine fur l’Homicide. SECTION PREMIERE. §. I. Premier principe. Que Phomme a ete plus corrom- pu par le pecke originel dans fa volonte que dans Jon entendement , & qu'ainfi il a plus d'oppojition pour les veritez qui regal dent les Mceurs , & en juge mains fainement, que de cedes qui regardent la Foi. ■pUifque les Jdfuites perfiftent it foutenir avec -L une opinidretd furprenante les opinions fan- guinaires de leurs Confreres fur l’Homicide, & que l’Apologifte des Jdfuites & celui des Cafuif- tes entreprennent de nouveau de ies ddfendre, je crois qu’il ne fera pas inutile pour reprimer leur tdmdritd, d’ajouter quelque chofe a tout ce que Montalte en dit dans cette Lettre; d’autarit plus que les principes que nous dtablirons, peu- i6o Note sur la XIV. Lettre. tent s’appliquer non feuleraent a la matiere de 1’Homicide dont il s’agit id, mais aulfi a celle de la Calomnie dont nous parlerons dans la fuite, & a celle de la Simonie ignorance oil le p6che les a plongez. De peur meme que nous n’oubiiafiions un fi grand ( i ) In En. a d Cal . c . 3 . 7 . Tome III, t %6z Note sur la XIV. Lettre. grand bienfait, & que nous ne cruffions avoir acquis cette connoiflance par nos propres for¬ ces , Dieu a voulu laiffer encore une infinite de nations dans l’erreur, pour nous faire voir fans-cefle, dans cette multitude de peuples diffti- rens, ce que peut la raifon abandonee a elle- meme, & combien elle elf incapable de connoi- tre ie bien & le mal. C’eft pourquoi un Thdologien vdritablement humble dt chrdtien, a autant de mdpris pour fa raifon , qu’il a de refpect pour cette iumiere qu’ii recoit de Dieu. Le principal ufage qu’il fait de fa raifon , eft de s’en fervir pour fe con- vaincre que rien n’eft plus raifonnable que de foumettre la raifon a la loi de Dieu, & d’en fixer la ldgeretd par les beureux liens de 1’autorite di¬ vine. Et cette obdiffance n’eft pas fans rdcoin- penfe. 11 mdrite de comprendre la fouveraine jurtice des commandemens deDieu, apres 1’avoir adorde fans la comprendre. Celui au contraire, qui au lieu d’avoir ce religieux refpect pour la loi de Dieu, confulte de nouveau fa raifon, la prend feule pour guide de fa conduite, & croit qu’elle fuffit pour difcerner ce qui eft bon & ce qui eft mauvais; celui-la fe rend coupable d'une ingratitude crinjinelle, il mdprife les bienfaits de Dieu , & felon les termes l’Evangile, II aims mieux les tdnebres que la Iumiere. Or cette Iumiere cdlefte que nous devons prd- ferer a la raifon, n’eft autre chofe que la parole de Dieu,ou dcrite, ou pa flee jufqu’a nous par une tradition non interrompue depuis les Apotres. C’eft ce qui fait dire au Prophete Roi (i): Voire parole cfi la lampe qui edatre ines pas , & la lumie- re qui me conduit dans ks J'enlkrs oil je marche. C’eft la (r) Pf. us. Dissert, de l’Ho micide. 163 la raifon de ce commandement que Dieu fait an peuple d’lfrael dans ie Livre de Jofud (i): Que k Livre de cctte loi, dit-il , foil toujours proche de vous : ayez foin de le mediter jour & nuit, ufin que vous obfervtez & que vous fajfiez tout ce qui j ejb e'crit. Ce /era alors que vous rendrez voire vote droite, & que vous cn aurez /’ intelligence. Nc vous en de- tournez font ni d droit ni a gauche, afin que vous ogijjiez avec difcernement cn tout ce que vous faites. C’eft encore la raifon de la ddfenfe qu’il lui faic ailleurs (2) en ces termes: Vous ne vivrez point dans la tcrre que le Seigneur vous doit domer , comme on vit id aujourCthui , oit chacun fait ce que bon hi femble; mais vous y obferverez tout ce que je vous or- dome. C’eft enfin fur ce meme principe qu’eft fondd cet avertitTement que St. Paul donne a un de fes difciples: „ Quant 4 vous, dit-il (3), de- „ meurez ferme dans les chofes que vous avez „ apprifes, & qui vous ont dtd confides, fa- „ chant de qui vous les avez apprifes, & confi- „ ddrant que vous avez dtd nourri des votre en- „ fance dans les Lettres Saintes, qui peuvent „ vous inftruire pour le falut par la foi qui eft en „ Jdfus-Chrift. Car toute Ecriture , qui eft in- „ fpirde de Dieu, eft utile pour inftruire, pour „ reprendre, pour corriger, & pour conduire d la „ pidtd & a la juftice. (1) Jofuf c. I. V. 6. 7. 8. (z) Deut. c. 12. V. S. & 14. (3) 2, T»n, c. 3 . v. 14. 6' If, L 2 g. II. 164 Note sur la XIV. Lettre. 5- II. Second principe. Que Von doit puifer dans la Trad> tion le fens des Ecritures fur la Morale comme jur la Foi. S I ceux qui n’ont pas la parole de Dieu pour guide ne peuvent manquer de s’dgarer, ceex qui l’expliquent par leur propre efprit , & qui mettent felon leur caprice des exceptions 4 fes pr^ceptes, tombent prefque dans les mSmes erreurs & dans les memes egaremens. Car i! n'y a rien de fi precis , ni de fi clair dans 1’E- criture , qu’on ne puifle dluder par quelque ar¬ tifice. Dieu pour r^medier a ce mal, a voulu que nous reguffions le veritable fens des Ecritures, par le meme canal qu’elles font venues a nous. Ce canal eii la tradition, qui eit, felon la doc¬ trine conltante des Peres , la fource commune oil nous ne devons pas moins puifer les regies de nos mceurs , que les v£ritez de notre foi. C’eft fur ce principe qu'Innocent I. dcrivant 4. Vjcfricius: „ Ce ne font point, dit-il, nos prd- „ ceptes que nous publions; mais les prdcep- „ tes £tablis par la tradition des Apdtres & des ,, Peres, que la llchetd de quelques Paileurs a „ fait n 6 giiger , & que nous ddfirons de voir ,, obfervez par tout le monde , fuivant Pavis „ que St. Paul nous donne dans fon Epitre „ aux Theflaloniciens : Dcmetirez fames , dit* j, il , & confervez les traditions que vous avez „ apprifes , foit par nos paroles , foit par notre „ Lettre. Le huitieme Concile, tenu a Conltantinople, dit Dissert- de l’Homicide. 1^5 die la mdme chofe d’une maniere encore plus exprefle. „ Pour marcher furement, dit-il fi), „ dans le chemin royal & dans Ja voie droite „ de la juftice de Dieu, & pour ne point tom- „ ber dans l’erreur,il faut fuivre les regies que ,, les Saints Peres ont dtablies , qui font com- „ me des .flambeaux ardens & toujours allumtz „ pour nous conduire. C’eit pourquoi nous „ ddclarons qu’on doit garder & obferver avec „ foin les ddcifions de l’Eglife Catholique & „ Apoftolique , que nous avons reques par la ,, tradition tant des Saints Apdtres que des Con- „ dies orthodoxes, foit Oecumdniques, foit Pro- S1 vinciaux , & des Peres ou Dodeurs de l’Eglife „ qui ont parld par l’efprit de Dieu. Car le 3, grand Apdtre nous avertit tres-exprefEment, „ de garder les traditions que nous avons appri- „ fes, foit par les paroles foit par les dcrits des An- „ ciens qui fe font diilinguez par la faintetd de „ leur vie. Et le fecqnd Concile de Limoges, tenu en 1134. „ Ce que nous devons, dit-il,obferver en toutes „ chofes & fur toutes chofes, e’eft de donner aux „ peoples non nos propres traditions, mais les „ commandemens deDieu, de ne les obiiger 3 „ rien qui ne foit appuye fur I’autoritd des divi- „ nes Ecritures,& de n’avoir pas la prdfomption, „ ce qu’a Dieu ne piaife, de rien dtabiir, enfei- „ gner, ou ordonner de nous-mSmes, & qui ne ,, loit preferit par les commandemens de Dieu „ & par les maximes des Saints Peres. ,, Parce que nous avons requ la foi par les A- „ pbtres, dit Pierre Damien fi), Sc la difeipline „ que l’on doit obferver dans i’Eglife par les hom- „ mes fO AH 10. 1, ('-) £>. 18 . L 3 166 Note sur la XIV. Lettre. „ mes Apoftoliques qui leur ont fucc£de, nous „ confervons prefque avec une meme Religion, „ & l’ordre de cette difcipline que nous tenons „ desAnciens, & les fondemens de la foi qui font ,, invioiables. C’eft pourquoi St. Paul recom- „ mande a Timothde, de favoir l’ordre qu’il faut „ garder dans la maifon de Dieu. Kt 1'Auteur de l’Apo!og6dque pour Grdgoire VII. dit „ qu’on ne doit pas mains s’oppofer a „ ceux qui attaquent les regies autorifdes dans „ l’t'glife, qu’a ceux qui attaquent la foi; puif- „ que c’efi imiter les Demons, que de fuivre les „ regies des SS. Peres dans ee qui regarde feule. „ ment ia foi, & de les.abandonner dans ce qui „ regarde les moeurs. Enfiri !e meme Grdgoire VII. s’exprime d’une maniere encore plus forte. ,, Confiddrant, dit-i!, „ ce mdpris qn’on fait depuis iong-temsde la dif- ,, ciptine de i’Eglife, & la hardieffe avec laquelle „ on la ndglige, & que par l’inftigation du Diable „ on andantit & on fouie aux pieds ces regies fain- „ tes, qui font ies principaux & les v^ritabies „ moyens que nous ayons de fauver ies antes, „ touchez du danger Evident oil eft !e troupeau du „ Seigneur, nous avcns recours aux d£cifions & 4 ,, la doftrine des Saints Peres; nous n’dtabiiffons ,, rien de nouveau, rien de notre propre inven- „ lion; nous ne faifons que propofer la prdmiere „ & Punique regie de la difcipline Eccidfiaftique, „ & montrer le chemin par lequel les SS. Peres ,, ont marchtt, & oil nous devonsrentrerenaban- „ donnant l’erreur. Car nous ne connoifibns point „ d’autre porte par laquelle les Brebis & les Paf- „ teurs du troupeau de Jesus. Chiust puiflent ar- „ river au falut& a la vie&ernelle.quecelle qu'ii ,, nous a montrde lui meme quand il dit: Je fuis hi „ parse, $ quelqu’m sntre par moi il fera fame, & il » Dissert, de e’Homicide. 157 5, trouvera des piturages. Nous ne connoiflons point „ d’autre voieque celle qu’ilnous a fait annoncer „ par les Apotres, qui a dtd fuivie par les SS. Pe- „ res,& qui nous eit marqude dans 1’Evangile & 3 , dans toutes les pages de 1’Ecriture. II s’enfuit dvidemment de ce principe , que lorCqae les Peres ont entendu gdndralement un commandement de Dieu, nous le devons enten¬ dre dans la mdme gdndralitd , & n’approuver aucune exception qui en refferre rdtendue,fi elle n’a dtd approuvde par les Peres; & que par con- fdquent fion en veut introduce quelqu’une.qu’on voit clairement qu’ils ont ignorde, on doit la rejetter fans hdliter. §■ HI. Application de ces principes d la doBrine pernicieiifi de I’/ipologifte fur VHomicide. Regie certaine pour examiner Ces qucfiions. O N ne fauroit dire cambien dans un feul paf- fage l’Apologifte des Cafuifles a ramaile d’er- reurs pemicieufes contre ces principes. C’eft a la page 83- ou il parle ainfi. „ Faites-nous voir, „ dit-il a Montaite, que Dieu veut qu’oo dpar- „ goe la vie des voleurs & des infolens, qui 011 - „ tragent indignement un hotnme d’honneur. „ Faites-nous voir que cette ddfenfe de tuer n’eft „ pas un prdcepte qui eft nd avec nous, & que „ nous ne devons pas nous conduire par la lu- » miere naturelle.pour difcerner quand ileit per* „ mit ou quand il eft ddfendu de tuer fon pro- chain. 11 faut un texte expres pour cela. Celui ,, dont vous vous dtes fervi, ne ddfend autre cho* „ fe, finon de ne point tuer fans caufe Idgitime, i<58 Note sur la XIV. Lettre.' Ce feul paflage fuffit pour abolir tous les com- mandemens de Dieu. Car qu’y a-t-il de fi clair & de fi Evident , qu’on ne puiffe facilement Sluder par cette exception. Dieu fait un commande- ment glnlral de ne point commettre d’adultere. Vous ne commtttrez point cPadultere, dit le Dialo¬ gue. C’eft-a-dire vous n’en commettrez point, s'il n'y a une caufe legitime , dira un homme inflruit dans la Morale des Jefuites. Dieu fait de meme un commandement glnlral de ne point adorer les idoles. Mais fi on admet 1’exceptipn des Jl- fuites, on dira malgr! cette ddfenfe, que les Chre¬ tiens qu’on obligeoit par la crainte de la mart a prlfenter de l’encens aux idoles , le pouvoient faire fans crime; parceque le commandementde ne point rendre d’honneur aux idoles , fe doit entendre de ne le point faire fans caufe legitime, dont, felon l’Apologifte , il appartient d la rai- fon de juger. Or il eft certain qu’elle jugera fa¬ cilement que la nlceifit! de fauver fa vie, en eft une caufe affez llgitime. Car nous voyons que non feulement les plus fages d’entre les Payens en ont It! perfuadez, comme St. Auguftin le re- marque de Socrate; que non feulement plufieurs Herltiques ont enfeign! depuis que cela Itoit per- mis, & ont It! condainnez pour cela par l’Egli- fe; mais que les Jlfuites mimes ont port! les Chinois a faire la meme chofe, ainfi que le rap- porte Hurtado, & Mr. l’Eveque d’Angllopolis dans fa Lettre au Pape Innocent X. (i) Ne (i). Pour ce qui regarde les Idolatries Chincifes qui font permifes par les Jefuites , on doit voir le 3. Volu¬ me &c le 6. de la Merale Pratique des Jefuites , Li¬ vies excellens contre lelquels la Societe n’a pas merne ofe elever la voixjtant ceque Mr. Arnauld a dit y etolt convaincantjS; meme foudroyant pour ces Peres. Ilfaut avouer que ce Mr. Arnauld emit un terrible adverfaire, ' • Voiii Dissertat. de l’homicim. 169 Ne fera-t-il pas facile d’diuder de meme ce commandement, Vous ne porperez point de faux te- moignage ? Ou plutdt les Jdfuites ne i’ont-iis pas &udd par une ftmblable exception, en fcutenant qu’il defend feulement de calomnier fans fujet, comme la Lettre fuivante nous le fera voir ? Mais pour revenir au commandement de ne point tuer, puifqu’il fuffit pour s’en difpenfer que la raifon juge qu’il y a une caufe Idgitime de tuer, en combien d’occailons ne s’en croira-t-on pas difpenfd ? Combien d’homicides ne fera-t- il pas permis de commettre , quelquefois de l’a- veu mime des Jifuites, quelquefois auffi malgrd eux, maistoujours confiquemment a leurs prin- cipes. II eft permis, difent-ils, de tuer celui qui me veut donner un fouflet ; parce que la raifon juge qu’un fouflet eft une caufe ligitime pour tuer un Jiomme. Done il eft auffi permis de venger un fouflet qu’on a donni a mon ami,par la mortde celui qui le lui a donni; & ceux qui oiFrentpour cela leurs fervices a d’autres, ne fe rendent point criminels. 11 eft permis, difent encore les Jifui- tes.de tuer un calomniateur ou un voleur. Done il plus forte raifon eft- il permis de tuer les enne- mis de la Religion, ceux qui nuifent au falut des autres, qui les portent a picher , foit par leur mauvaife do&rine , foit par leur mauvais exam¬ ple , ou de quelque autre maniere que ce foit. Car quelle caufe plus ligitime peut-on avoir de tuer? Voila ce que les Jefuites fe font attire® en perfecutanc ce Dofteur, Sc ce qu’ils ne manqueront jamais de s'atti- rer, tant qu’ils perlecuterorit tout ce qu’il y a de gens de merite, qui ne vont pas leur faire d’humbles genufle¬ xions. 11s veulent etre fetez , c’efl: leur paflion domi- nante, ou pour mieux dire c*eft leurfolie; mais elle ne laifTe pas ioutent de leur couter tres-cher. LS 170 Note sur la XIV. Lettre. tuer? Qu2nd la maxime des J^fuites aura t-elle lieu , ft ce n’eft dans ces rencontres ? S’il eft permis de tuer pour conferver fa vie , combien le doit-il Stre davantage de tuer pour conferver la vie de fame, qui eft infiniment plus confid£rable que cede du corps ? Mais que de meurtres permis par cette feule exception, ft quiconque s’en voudra fervir! Si une femme paroit avec un habit immodefte , & qu’elle porte les hommes au pdchd ; ii un EvS- que ou un Curd fcandalife fon peuple par fa mau- vaife conduite, par fa negligence, ou par fa doc¬ trine ; fi l’on croit qu’une perfonne fait quelque prejudice ft la Religion: qui doute que le principe des Jdfuites ne fourniffe des raifons pour tuer en confcience tous ces gens-la? Qu’eft-ce qui mit le poignard a la main de Cldment & de Ravaillac, ( 1 ) ces ddteftables parricides de deux Rois de France, (1) Je re puis m’empeclter de marquer id ce que j’ai lu dans un Auteur tnorierne fur !a mort de Henri IV. „ On s’eft imagine ,ditcet Auteur, que la mort de Hen- ,, ri IV. etoit le coup d’un infenle , qui avoir perdu „ l'efprit. On fe trotnpe , ce fut une affaire de parti ,, projettde & rne'ditee a Naples en r«o8, Sc malheureu- ,, fcrtient executee en France enidro. Un reftedela Ligue ,, y entra; Jcs fugitils Franfois le conyurent avec le I’. ,, Alagona (Jeluite) oncle du Due de Lertnes, &lepro- ,, polerent a Naples en i^og. au Capitaine La Garde. Il ,, y connuc aldis Ravaillac , qui revinr en France pout cette horrible execution ”. On fait qu’auili-tot apres ce patricide le Farlemcnt condamna !e Livre de Bellarmin de la PuiJJdnce da Pape, comma pouvant donnet lieu a de fembiables crimes : on auroit du condamner aulfi le Livre de Mariana de Rege &■' Regis Injlitutione, imprime in 4. a Tolcde en 1599. eu 1 ‘on permet au Chapitre pag. de cette Edrijon de tuer les. ce qui a ere corrige dans l’Edition du rneme Livte publiee a Mayence in 8. en rdoj. On vottpar Je memoire de la Dcmoiielle Decoman, que jcs Jefuites futent inftmits de tost Dissertat. de l’homicide. 171 France, finon ces cruelles opinions ? Quel intd- rit les Minillres des Rois, que les Feupies regar- dent toujours comme les auteurs de leurs miferes, n’ont-ils pas d’en arreter le cours? Que n’ont-ils point a craindre de cette doftrine des Jdfuites ? Leur vie ne depend plus des Loix & des Princes ; eiie eft entre les mains de quelque ddvot meur- trier,qui aura appris des Jdfuites quele comman- dement de Dieu ne defend autre chofe finon de tuer fans caufe Idgitime, & que chacun peut dif- cerner. par la lumiere naturelle, s’il y a oil s’il n’y a pas une caufe legitime de tuer. Apres cela Montalte n’avoit-il pas raifon d’ap. pr£hender pour fa vie, comme il le marque dans fa 7. Lettre avec tant d’efprit,& de ne fe pas fier a I’humanitd de Caramuel, qui n’dpargnoit la vie des Janfdniftes , que parce qu’il fuppofoit qu’ils ne pouvoient nuire a la reputation des Jdfuites ? En effet.il s’en faut beaucoup que tous lesjdfui- tes tombent d’accord de cette fuppofition. 11s ne fe plaindroient pas fi hautement des railleries de Montalte, s’ils croyoient qu’elles ne fiffentaucun tort a leur reputation. II feroit done permis a tout Jdfuite,felon leur doftrine, de prendre des mefu- res pour fe ddfaire de Montalte & de leurs autres ennemis; puifqu’il eft permis de tuer , non feu- lement pourconferver la reputation detpidtequ’on s’eft acquife , mais aiall pour conferver cede de Savans, tout !e complot. Ertfin l’on fait que le V. Guignart Je- fuite fut pendu , parce qu’on avoir trcuv.e dans fes pa- piers des proportions qu ii avouoit etre de lui, par JeP- queiles des l'an 1594. ii approuvoitl’execution de ce par¬ ricide fur ie Roi Henri IV. Tous les Jefuites memes furent alors bannis du Royaurr.e, comme auteurs du par¬ ricide attente fur ce grand Prince , qui les reconnoifloit pour Ces ennemis Secrets, & par conlequent les plus dan¬ ger eux, 172 Note sur la XIV. Lettre. Savans, comme dit le P. Lamy. C’eft pourquoi Montalte & fes amis ayant fait defcendre honteu- fement ies Jdfuites de ce premier rang qu’ils fe vantoient de tenir dans les Sciences, & la Soci&£ n’ayant gueres d’autre moyen de recouvrer cette gloire, que d’exterminer tous ceux qui y font ob- ftacie , il n’y a point de doute qu’elle ne put ai¬ mer pour cela les meurtriers qui lui font d^vouez. Ainfl fes adverfaires doivent regarder comme un grand bienfait, de ce qu’elle s’eft contentde juf- qu’ici de demander leur fang dans les Sermons & les Ecrits de fes Auteurs, & qu’elle ne l’ait point encore fait rdpandre par fes fatellites. 11 eft Evident que toutes ces confluences fui- vent ndceffairement de ce feul principe des Jdfui- tes que nous avons rapport^ : Que c'eft par la lu¬ rid ere de la raifon qke nous devons difccrner quand ce que Dieu a defendu ge'neralemcnt , eft permis ou defenda. C’eft pourquoi fi nous voulons £viter ces opi¬ nions abominables, nous tirerons des Commande- mens de Dieu la connoiflance du Eien & du Mai; nous apprendrons de la Tradition, quel eft !e fens des Commandemens. Ainfi, lorfque nous verrons qu’unechofe eft ddfendue g^ndralementpar laLoi de Dieu, & que l’Ecriture & la Tradition n’y met- tent aucune exception, nous regarderons comme coupables d’un tres-grand crime, ceux qui 6feront en mettre de nouvelles , tirees de la raifon ou du caprice de l’homme. Dissert, de l’ homicide. 173 §. I V. Conferences qni fuivent naturelkncnt de cette regie. Premiere Consequence. L A premiere confluence eft, que tout ce que les Jdfuites peuvent aildguer pour prouver qu’il eft permis de tuer pour d^fendre fon hon- neur ou fon bien, eft vilib!einent foux & infou- tenable. Ils n’apportent aucune autorit6 de I’Eeri- ture ou des Peres, fur laquelle ces exceptions foient appuy&s, & ils avouent qu’ils ne les tirent que de la raifon. Des-la ils font condamnables , fans qn’il foit ndceftaire d’entrer dans un autre exa- men. Car il fuftit que leur opinion foit nouvel- le, & fondle feulement fur la raifon, pour la re* jetter comme faufle. II. Consequence. I L s’enfuit en fecond lieu que l’Apologifte des Cafuiftes eft ridicule, de demander qu’on lui montre un coinmandement particulier & an texte expres, qui ddfende de tuer pour l’honneur. Car quandon apporte uneLoi gdrdrale, on n’eft point oblige d’en apporter de fp6ciales contre les ex¬ ceptions particulieres; puifqu’elles font rdput£es toutes comprifes dans la Loi gdndrale , des-la qu’elles n’ont point dtd exceptdes exprefftinenc par le L^giflateur. Il fuffit doncaceluiquifoutient qu’il n’eft pas permis de tuer pour d^fendre fon hon- 174 Note sur la XIV. Lettre.’ honneur, d’apporter ce commandment gdndra!, Votis 7i" tue'rez point. Mais c’eft A ceiui qui pre¬ tend que ceux qui tuent pour ddfendre leur hon¬ neur , ne font point compris dans cette loi, si prouver cette (Exception. Que les Jefuites faf- fent done voir par i’Ecriture , par les Peres, par les Conciles, qu’il eft permis de tuer ceiui dont on a requ un fouflet. Autrement iis demeurerent manifeitement convaincus d’avoir corrompu la loi de Dieu. III. CO K SEQUENCE. I L s’enfuit en troifieme lieu , qu’il eft inutile pour appuyer ces exceptions, d’apporter l’ex- ample des Princes, qui font punir de mort les criminels, ou des foldats qui dans une guerre Idgitime tuent les ennemis de l’Etat. Car on n’approuve ces exceptions que parce qu’elles font appuydes fur 1’autoritd de PEcriture & de la Tra¬ dition. Ce n'efi pas en vain , dit l’Apotre, (i) que ie Prince ports I epee. Car il e(i le mitliftre tie Dieu pour executor Ja vengeance , en pimijfant ceiui qui fait le mal. L’exception des foldats eft aulfi dvidente dans l’Ecriture , puifque St. Jean ne condamne point leur profeflion; & dans la Tra¬ dition, puifqu’on voit que les Peres ne Pont ja¬ mais interdite a tous les Cbrdtiens. „ Mais, dit i’Apologifte (i), vous ne prouvez „ point qu’i! foit fait aucune mention de cette „ exception avant Nod, ou meme avant Moife. „ 11 faut done que vous condamniez de pdchd „ toutes les Rdpubliques & Souverains, qui du- „ rant Dissert, de l’Homicide. 175 rant ces tems-la ont puni de mort les malfai- „ teurs. Ce qui elt dvidemment contraire h la i, raifon. Foible & frirole argument. Car prdmierement combien y avoit-il de chofes que les anciens Pa- triarches tenoient par tradition, & qu’on ne trou» ve point exprimdes dans la loi. Le Cardinal du Perron prouve, par exemple , que l’immortali- ttS de l’ame n’ell point marqude expreffiment dans la loi, & qu’ainfi cette vdritd n’dtoit con- nue que par tradition. On ne peut nier qu’il n’y eut de meme beaucoup d’autres traditions qu’on avoit reques d’Adam & de Nod, & qui n’avoient point d’autre origine que la rdvdla- tion de Dieu. Or ii je difois que celle- ci eft de ce nombre, que pourroit ldpondre 1 ’Apo* logifte ? Mais je veux agir avec lui de meilleure foi. J’avoue que ce prdcepte, Finis ne tuerez point , ell un prdcepte de la loi naturelle. Mais je prdtens que cette exception , qui permet aux Rdpubliques de punir de mort les criminels , ell aulfi de la loi naturelle; parce que fans cela la Socidtd Humaine ne pourroit pas fub- fifter. Ainfi cette loi & cette exception ont eu lieu avant le ddluge, & depuis ie ddluge jufqu’d la loi de Moife. II elt vrai ndantnoins que durant tout ce tems-la l’une & I’autre a dtd fort peu connue des hommes, finon de ceux qui l’auoient apprife par la tradition , ou il qui Dieu 1 ’avoit rdvdlde. Dieu en donnant fa Loi, a renouvelld ce prdcepte, & en merne terns cette exception. Car comme il a ddfen- du de tuer par ce grdcepte , Vans ne tue'rez point , il a aufli ordonnd de punir de mort de certains crimes. S’il n’eftt pas fait l’un & l’au- tre , & qu’il eitt tellement ddfendu de tuer, qu’il 176 Note sur la XIV. Lettre. qu’il n’eiit pas en meme terns permis expref- fdment de punir !es criminels par autorite pu- blique ; on auroit lieu de douter fi cela eft permis on non , quoique cela le flit par ie droit nature!. Mais conime il s’enfuivroit de-la de grands inconvdniens, Dieu a voulu autorifei cette exception par une Tradition conftante, & meme par les Saintes Ecritnres, a£n qu’il r,e reflit aucun lieu d’en douter. II dtoit done de la fagefle de Dieu de ne point ftparer la loi de l’exception. Ainfi il ne faut pas s’dtonner que ceux qui fuppofent le contraire, tirent d’u- ne fuppoiltion ridicule des confdquences encore plus ridicules. SECTION SECONDE. On rdfute par les Peres & par les Conciles la dodtrine des Jdfuites fur l’Homicide, §• I- Que la doBrme des Jdfuites eft condamtiee par m confentemcnt unanime des Peres. I Lfuffiroit, conime nous venons de Ie voir, pour convaincre les [dfuites que leur opi¬ nion ell tout-A-fait tdmdraire , d’avoir montrd qu’elle n’eft appuyde fur aucune autoritd des Pe¬ res. Ainfi on n’auroit pas droit de nous deman- der apres cela, que nous prouvions par des paf- fsges pofitifs que les Peres & les Conciles ont enfeignd le contraire; e’eft-a-dire qu’il n’eft pas permis de tuer pour ddfendre fon honneur. de¬ pendant, pour fatisfaire pleinement les Jdfuites, je Dissert. De i’Homicide. 177 je veux bien montrer ici I’un & 1’autre en peu de mots. Je commence par les Peres. Mais I'Apologifte des J Suites nous en dpargne la peine. Car il avoue que plulieurs Peres, & ““plulieurs mdme d’entre les Thdologiens moder- nes, ont cru qu’il n’eft pas ptrmis de tuer pour fauver fa vie. 11 cite St. Cyprien /■ 1. epifi. r. Laftance Div. Inflit. 1.6 c. zo. St. Cyrille /. xi. in Joan c. 12. St. Auguftfn l. 1. de Lib. Mb. cap, 5. Gerlon Trad, de Eucbarifi. & Augultin d’An- cone de Poteftate Ecch 9. 51 art. 3. 11 auroit pix encore ajouter St. Auguftin dans fa Lettre a Pu- blicola, & dans fon Ouvrage contre Faufte /, 22. cap. 70. St. Ambroife Offic. 1 . 3 cap. 4. Primafius Epijl. ad Rom. cap. iz. it. Bafiie Epifi. can. 55. les Canons d’lfaac Eveque de Langres c. 13. St. Hil- debert Eveque du Mans dans fa Lettre a Ives de Chartres > & enfin St. Berdard de Praccpto & Dip pcnf. cap. 7. Or qui peut douter que tons ces P&res , qui ont cru qu’il n’dioit pas permis de tuer, meme pour ddfendre fa vie , n'ayent dtd tres-dloignez de croire qu’il fut permis de tuer pour defendre fon honneur ? En effet il ell certain qu’ils ont enfeignd que cela n’dtoit nuilement permis, com- me les J6fuites le reconnoiffent eux-mdmes. 11 doit done demeurer pour conllant, que le fenti- ment des Peres eft, qu’il n’eft pas permis de tuer pour defendre l’honneur. „ Mais , dit I’Apologifte , le commun des ,, Thdoiogiens ,& St. Thomas meme ,ne fuivent >, pas en cela les fentimens des Peres quant k „ la ddfenfe de tuer pour la vie ; pourquoi ne „ me fera-t-il pas auffi permis de ne les pas » fuivre fur la ddfenfe de tuer pour 1’honneur? a, L’honneur n’eft-il pas plus pr&ieux que la „ vie ? Voili le grand & prefque i’unique ar¬ icine III, M 5, gu» 178 Note sur ia XIV. Lettre. gument que l’ilpologifte des Jdfuites (i - ), & apres lui celui des Cafuiftes (a), rebattent jufqu’a laffer les lefteurs. Mais il eft aifd de rdpondre & cette difficult^. II fuffit de remarquer deux chofes. La prdmiere que quelque jugement que i’on porte de l’opinion des Thdoiogiens , qui croient qu’il eft permis de tuer pour ddfendre fa vie, on n’en peut con- ciure qu’on puifle fans crime abandonner le fen- dment unanime des Peres. Car ces Thdologiens, bien loin d’avouer que les Peres leur foient op- pofez, tachent au contraire de les amener a leur opinion: ou s’ils avouent que que!ques-uns n’ont pas cru qu’il fut permis de tuer pour defendre fa vie , ils prdtendent que d’autres Pont cru , & qu’ainfi la tradition fur ce point n’eft pas conftan- te. Or ils font voir par plufieurs paffages des Pa¬ pes, & ineme des Conciles, qu’en ces cas un Tbdologien peut fans tdmdritd fuivre une opinion qui eft approuvde par quelques Peres,quoiqu’elle foit condamnde par d’autres. De plus ce n’eft pas fans fondement que ces Thdologiens nient qu’on doive comprendre les affaflins & les voleurs,dans cette ddfenfe gdndra- le de tuer par autoritd privee, que font la plu- part des Peres qu’on leur objefte: puifque non feulement les Magiftrats & les Loix permettent qu’on tue ces fortes de gens, mais qu’elles l’ap- prouvent meme en quelque maniere, quoiqu’el- ies ne l’ordonnent pas. II feinble done qu’on a une autoritd legitime de tuer ceux contre lefquels les loix arment chaque particulier comrne contre des ennemis publics. Or ft cela eft vrai, comme ces Thdologiens le prdt 0 ) P. 24s. (2) P. 88, Dissert, de eTIomicide. 179 prdtendent, on ne peut accufer Jeur opinion de tdmdritd: & ies Jdfuites n’en peuvent conclure que par une confluence tres-faufte, qu’ii eft per¬ mis de s’dloigner de la do&rine des Peres qui dd- fendent de tuer pour l’honneur. Car Jeur auto- ritd fur ce point n’eft ni douteufe, ni incertai- ne, ni partagde par les fentimens de quelques- uns d’entre eux qui ayent enfeignd le contraire. On ne fauroit trouver pendant 1’efpace de quinze fiecles, un feul Auteur Cathoiique auquel il foit venu dans l’elprit de dire qu’on puifle tuer un homme pour ddfendre fon honneur. Et on ne peut dire de meme que les Loix & les Magiftrats i’ayent jamais approuvd ou toldrd, puifque rou¬ tes les loix puniffent tres-fdverement ceux qui tuent pour une telle caufe. Mais ft au-contraire la prdtention de cesThdo- logiens eft mal fondde, & que ce foit une doc* trine certaine & appuyde fur une tradition con* ftante, qu’ii n’eft pas permis de tuer pour ddfen- dre fa vie, on peut d Ia-vdritd accufer de tdmd¬ ritd tous ceux qui fe font dloignez de cette doc¬ trine. Mais cela ne rend pas la caufe des Jdfuites meilleure. La tdmdritd (ies uns ne ditninue pas celle des autres , elle ne fait au-contraire que l’augmenter. Car il Ton peut accufer de tdmd¬ ritd ceux qui perniettent de tuer pour ddfendre fa vie, quoique les loix 1’approuvent tres-claire. ment ; combien font plus criminels ceux qui , contre toutes les loix, permettent de tuer pour ddfendre fon honneur? La feconde chofe qu’ii faut remarquer s c’eft qu’ii n’eft pas difficile de concilier la doctrine de St. Thomas & des Thdologiens,qui apres luifem* blent enfeigner qu’ii eft permis de tuer pour dd¬ fendre fa vie, avec la dottrine des Peres qui fern- blent nier abfolument que cela foit permis. En M % effet 130 Note sur la XIV. Lettre. effet on peut dire qu’iis font plut6t contraires dans la maniere de s’exprimer, que dans la chofe mdme. Car d’un cdtd !es Peres qui ne veulent pas que l’ontue, n’empechent pas abfoiument de fe dd- fendre. Au contraire St. Jdrdme veut que ce foit une a&ion de vertu que d’eftropier un voleur, afin de lui dter par-la !e pouvoir de voler. Et de 1’autre St. Thomas (i) ne permet pas non plus in- difFeremment de tuer pour ddfendre fa vie, mais feulement avec de grandes precautions. Car il enfeigne (r) prdmierement, qu’il n’eft pas permis d’avoir intention de tuer pour dviter foi-meme d’etre tud. II veut en fecond lieu (3), qu’en fe defendant on n’ufe que des moyens qui tendent non d donner la mort a celui qui nous attaque, mais a conferver notre propre vie. Enfin il n’excufe le meurtre de pdchd, que quand il eft involontaire, & qu’on le commet contre fon in¬ tention. Or on doit prendre tellement toutes ces con¬ ditions , qu’on ne les rdduife pas d des prdcifions mdtaphyfiques; mais qu’on les explique par le fens commun, & par les regies de la prudences & de la charitd. Si done un homme attaque par un voleur met I’dpde d la main pour le repoufler, qu’il le fafle de maniere qu’il tache plutdc de parer les coups qu’on lui porte que d’en porter lui-meme ; ou s’il en porte quelqu’un, qu’il dvite autant qu’il peut de ie tuer; on peut dire que s’il le tue mal- grd toutes ces precautions, c’elf involontairement & contre fon intention: & peut-etre que les Pe¬ res , ( l ) 2. 2. q . 44. a . 7. (z) In carp. ed I. (}) Ad 4. Dissert, de l’Homicide. 181 res, de meme que St. Thomas, n’auroient pas condamnd de pdchd cette aftion. Mais fi cet homme en fe defendant a d’abord intention de tuer ce voleur, s’il ttlche de Iui por¬ ter le coup dans la gorge, ou de Iui percer le cceur,comine parle Molina,on ne peut plus dire, s’il letue, que ce foit contre fon intention: car il avoit intention de lui porter un coup qu’il fa- voit bien etre mortel, & il vouloit & fouhaitoit que ce coup lui donn&t effcftivement la mort: non pas qu’il fouhaitit la mort de ce malheureux enelle-meme, mais parce qu’il fouhaitoit par-id fe garantir lui meme de la mort. Air.fi on ne peut pas dire felon St. Thomas, ni felon les autres Pd- res, que cet homme foit entierement exempt de pdchd, quoiqu’il foit beaucoup moins criminel, que ceux qui tuent pcftr ddfendre. leur bien ou leur honneur. Cette explication de la doftrine de St. Thomas, & de celle des Peres, dtablit une parfaite confor¬ mity dans toute la tradition, & elle dte aux Jd- fuites tout moyen d’autorifer leur doftrine meur- triere par celle de St.Thomas. Il permet de tuer, mais pour ddfendre fa vie, & pourvu qu’on n’ait point intention de tuer: & eux ils permettent non feulement de tuer un calomniateur, ou celui qui veut donner un foufflet, mais d’avoir meme intention de ie tuer. Car il eft impofiible que dans ces cas , on tue jamais contre fon intention: quand on tue, c’eft toujours de defiein prdmddi* td. Comment done fe pourroit-il faire qu’on fit tans crime pour ddfendre i’honneur, ce que dans les memes circonftances on ne pourroit pas faire fans pdchd, felon St. Thomas , meme pour fauver fa vieV !g2 Note sur ea XIV, Lettre, §. 11 . La mime DoSrine prouve'e par ks Candle*. L Es Canons des Conciles ne font pas voir moins ciairement l’efprit de l’Eglife fur les Homicides. 11s ne parlerstque de deux fortes d’ho- micides, les uns volontaires, & les autres invo- lontaires: & ils ordonnent dgalement des peines, quoique differentes , pour les uns & pour les autres. S’ils ne parlent pas expreiKment de ceux qui tuent pour ddfendre leur honneur , je ne crois pas que les jefuites faffent cette injure aux Pe¬ res, de pretendre qu’ils ont voulu les dpargner, eux qui ont ordonnd une penitence fi rigoureu- fe pour les homicides involontaires, ou parce qu’ils ont cm qu’ils n’arrivent prefque jamais que par negligence, ou parce qu’ils les ont con- fiderez, ainii que le retnarque le Concile de Wormes, comme une fuite de quelque pechd cachd, que Dieu punit en permettant qu’on tom- be dans ce malheur. Je demande done aux Jdfuites en quel rang ils veulent qu’on mette ceux qui tuent pour dd- fendre leur honneur. Ce n’eft pas fans-doute au rang de ceux qui tuent involontairement r car oil trouvera-t-on des homicides volontaires, fi ceux-la ne le font pas ? II faut done les re- garder rorntne des homicides volontaires , &. reconnoitre par confequent qu’ils font compris dans tous les Canons qui ont dtd faits contre ces fortes de crimes, comme font ie Canon 21. du Concile d’Ancyre, !e 56. de l’Epitre Canonique de St. Bafile , le 5. de St. Grdgoire de NylTe dans fa Eettre a Ldtoius , le 31, du Concile d’Epd- Dissert, de l’homicide. 183 d'Epdne de l’an 517, le28. du IV. Concile d’Or- ieans de l’an 541, le 78 ch. de la Colleftion de St, Martin de Brague, le 9, Canon du Concile de Rheims de l’an 630, le 23. de la Lettre du Pape Zacharie de l’an 747 a Pdpin,& ley.Cha- pitre du Traitd des Remedes des Pdchds par le venerable Bede,& encore le 22. Canon du Con¬ cile de Mayence , qui rapporte plufieurs autres Canons de l’Eglife, le 54. 55. 56. 57. 58. &S9- du Concile de Nantes de Pan 900. Tous ces Canons dtabliffent fans diflinction des peines tres-rigoureufes pour les homicides volontaires: & jamais il n’eft venu dans 1’efprit des Peres qui ont fait ces Loix, d’en excepter ceuxqui tuentun calomniateur,ou celui qui veut donner un foufflet. Cela dtoit rdfervd d la nour velle Thdologie des Jdfuites, qui en les exemp- tant du crime, les exempte auffi de la peine qui leur eft due. 5- HI. 2Y oifieme preuve tirie de la patience qui eft com• mandee aux Chretiens. O N peut ajouter aux preuves que nous ve- nons de rapporter, tous les paftages de l’E- criture & des Peres qui nous commandent de fouftrir les injures, ou qui ddfendent de fe ven- ger. Car il eft certain que les Peres ont ap- pelld vengeance, ce que les Jefuites appellent une jufte defenfe. On n’avoit point encore in¬ vent^ de leur terns cette fcience admirable dont nous fommes redevables aux Cafuiftes, & qui apprend i enfoncer le fer dans le ccuur de fon ennemi fans aucun ddfir de vengeance. On par- loit alors plus {implement, & on n’avoit pas M 4 aflez i$4 Note sur ia XIV. Lettue. affez de fubtilite pour donner un autre nom que celui de vengeance , a Tact on d’un homme qui tue celui dont il a requ un fouffltt. I.es Peres ayant done condamnd la vengeance, ont condamnd en meme terns les meurtres que les Jdfuites tkhent de jullifier: mais ils les ont con- damnez encore plus clairement, iorfqu’ils ont en- feigne qu’on doit aumoins obferver dans la pre¬ paration du cceur le prtopte de Jesus - Christ, qui nous ordonne de prdfenter l’autre jouei celui qui nous donne unfoufflet, & tous les autres prd- ceptes de la Patience Chrdtienne. Dira-t-on qu’ils fuppofoient que cette patience & cette difpofi* tion intdrieure pouvoit fubfifter avec les meur¬ tres qu’on fait pour ddfendre fon honneur ? Les Jdfuites ne peuvent faire d’autre rdponfe; inais il fuffit pour les confondre, de les renvoyer a [’ex¬ plication que St. Auguftin donne enplufieurs en- droits & furtout dans fa s- Lettre, a la maxime que je viens de rapporter. „ Qui peut, dit-il, ignorer, je dis meme par- ,, mi ceux qui ne font point profeffion de la re- ,, ligion de Jesus-Christ , combien on lit tous „ les jours dans nos Eglifes de prdeeptes qui ,, tendent h unir les cceurs, & qui n’ont point „ dtd puifez dans les raifonnemens des Hommes, ,, mais qui font tirez de la Parole deDieumdme? „ C’eft a quoi tendent particulierement ceux que „ nos ennemis aiment mieux ddcrier.que des’en „ inftruire: Qae quand on a dtd frappd fur une „ joue, il fauttendre l’autre: Que quand on vent „ nous oter notre robe, il faut encore donner le „ manteau: Et que fi quelqu’un nous veut forcer „ de faire miile pas aveclui,il en faut faire deux ,, milie. Car I’unique but de ces prdeeptes eit „ que les mdebans foient vaincus parlesbons,ou „ plut6t que ce qu’il y a de mauvais dans les md- „ ebans foit vaincu & ddtruit par le bien. Dissert, de l’homicide. 185 Mais comment doit-on pratiquer tous ces prd- ceptes ? C’eft ce qu’il explique par ies paroles fuivantes. „ II faut done, ajoute-t-il, que 1 ’hom- „ me jufte & qui fait profeffion de pidtd , foit „ prdt de fouffrir avec patience la malice des tnd- „ chans, dans le ddfir de les voir devenir bons , „ & augmenter par-la le nombre des gens de j, bien. Car s’il imitoit leur malice , il angmen- ]t teroit lui-meme celui des mdchans. Mais enfin „ ces prdceptes de Jesus-Christ regardent plu- M t 6 t la preparation du cceur, que ce qui fe paf- 3, fe au-dehors, & ne vont qu’a nous faire con- „ ferver au-dedans la patience & la charitd.nous „ laiffant au furplus la libertd de faire au dehors „ ce qui paroitra le plus utile pour ceux dont ,, nous devons ddfirer le bien. C’eft ce que Je- „ sus-Chrsit meme,ce parfaitmodeie de patien- „ ce & de douceur, nous a fait voir clairement „ par fon exemple, lorfqu’ayant ete frappd fur la „ joue, il fe contents de dire feulement : Sij'ai 3, mal parte, faites-le voir ; mais fi j'ai bien parte, „ pourquoi me frappez vous ? ,, Et un peu apres; C’eft done , dit-il, dans la 3, difpofition du cceur qu’il faut toujours accom- „ plir ces prdeeptes de patience : en forte que la „ volontd ne fe ddparte jamais de ces fentimens „ de charitd , qui font qu’on ne veut point ren- „ dre le mal pour le mal. Mais cela n’empeche 3, pas qu’on ne fade fouffrir aux mdchans bien 33 des chofes qui leur ddplaifent, & qu’on ne les 3, puniiTe par une fevdritd charitable, qui regar- „ de ce qui leur eft utile, plutfit que ce qui leur ,1 feroit agrdable . St. Auguftin nous marque dans ce paflage quel¬ le doit etre notre difpofition intdrieure , & quel¬ le doit etre notre conduite extdrieure al’dgarddu Prochain. „ Il faut, dit-il, conferver au dedans ,3 la patience 6c la charitd, & faire au-dehors ce M J » i86 Note sur la XIV. Lettre. „ qui paroitra le plus utile pour ceux dont not* „ devons ddfirer le bien. Que les Jdfuites nous difent maintenant, fi c’eft le plus utile pour un homme, que de le tuer particulierement dans le terns qu’il commet un crime. Qu’ils nous diient, fi c’eft le plus utile pour un homme que de i’en- foyer furement en enfer. S’ils fentent bien eux- memes qu’on ne pent fans folie avoir une telle penfee, qu’ils reconnoiffent done auili que leur dc&rine, qui permet de tuer pour une calomnie ou pour un affront, ru'ine non feulement le pre- cepte du Dialogue , mais gdndralement tous les prSceptes de la patience que nous pref ait. S’Evangile; puifque nous les devons obfer- ver au-moins dans la preparation du cceur. Or cette preparation du cceur demande que Ton aime int^rieurement fes ennemis, & que Ton faf- fe a 1’extdrieur ce qui ell le plus utile , non a nous, mais a notre ennemi , a qui mis devons, die St. Auguftin, vouloir du bien. Ce qui fait voir, en paifant.aveccombien peu de fondement 1’ApoIogifte des Cafuiftes oppofe a 1'autoritd de St. Auguftin celle de St.Jdrdme, qui dans fon Commentaire fur le r. Chap, de Sopho- nie permet d’eftropier les voleurs. Si quclqu'un , dit-il , ote la force d un voleur , ou a un pirate , & qu’il les efiropie , Pettit ou il les re'duit leur devient utile. Car n’eft-il pas Evident que cela ne fut ja¬ mais oppofe a la doftrine de St. Auguftin ? Ce Pere, ni aucun ThSologien, n’a jamais nid qu’il ne fflt permis d’eftropier un voleur. Cela peut fitre utile au voleur, & perfonne ne doute qu’on ne le puifle faire par un mouvement de charitd, Mais parce qu’il'ne peut jamais iui dtre utile de perdre la vie, quand un homme inftruit des maxi- nies de 1’Evangile eft attaqife par ce voleur, ce qu’il doit faire , e’eft d’apporter en fe defendant toutes Dissertat. de l’homicide. 187 toutes les precautions qui lui font poffibles, pour ne lui point 6ter la .vie, fans laqueile il ne peut plus lui procurer aucun bien. Cela n’empeche pas, comme je 1’ai remarqud des voleurs publics, qu’il n’y ait des raifons par- ticulieres qui font que ceux qui tuent certains voleurs, font ou exempts de faute, ou beaucoup moms coupables. Car bien loin qu’ils violent les Loix en les tuant, ils ne font au - contraire que ce qu’elles leur permettent, & meme ce qu’elles femblent leur confeiller de faire : & s’ils ne font pas du bien a ces malheureux en les tuant, il eft certain qu’ils en font & la Rdpublique. Mais on ne peut pas fe couvrir du meme pretexte pour tuer des calomniateurs, ou ceux dont on reqoit quelque injure : puifque non feulement les Loix ne le permettent pas , mais qu’elles le ddfendent meme tres-etroitement, & que rien ne feroitplus pernicieux a la Socidtd Civile que cette licence. C’eft pourquoi les Jdfuites eux-memes, frappez de cette derniere raifon, n’6fent le plus fouvent con¬ feiller dans la pratique les meurtres qu’ils foutieU' pent gtre perjnis dans la fpdculation. SEC- 188 Note sur la XIV. Le,ttre. SECTION TROI3IEME. Refutation des kaisons des Jesuites, J. I. Refutation de cette raifon, quieftprefque 1’unique fondement de leur opinion. L’honneur eft plus cber que la vie. II eft done permis de xuer pour de• fendre Ibomcur ,comme pour defendre la vie. "VJ Ous avons fjit voir ci-deffus qu’on nedevroit iN pas meme Pouter les J£fuites, bien loin d’etre obligez de les r£futer , quand ils apporte- roient les raifons les plus plaufibles en apparence pour appuyer leur opinion, des-ld qu’elle eft fon¬ dle fur une exception d’un precepte general, qui eft nouvelle & inconnue a tous les Siecles paffez. Mais ce qui acheve de les confondre , e’eft que fi rinhamanitd de leur opinion excite contre eiix 1’indignatlon du public , l’extravagance des rai¬ fons fur iefqueiles ils l’dtabiiflent , ne doit pas moins exciter la raillerie ou la compaffion detout le monde. Qu’on examine leursLivres tant qu’on voudrn, on trouvera que ce dogme ddteftable, qui permet a un Chretien de rdpandre pour une injure le fang de fon frere , eft uniquement appuyd fur ce pi- toyable raifonnement. L'honneur eft plus cber que la vie. Or il efl permis de tucr un homme pour defen¬ dre fit vie. Done il eft aufti permis de le tuer pour defendre fon hemeur. Ce cruel fophifme fuffit aux Jt5fukes pour rendre une infinite de perfonnes les mdheureufes vi&imes, non feulement de lamort, n^ais epeore de l’enfer; pour violer un comman- demejit Dissert, de l’Homicide. 189 dement de Dieu tres- Evident , pour fouler aux pieds l’autorite de tous ies Peres & de la Tradi¬ tion , & pour dtouffer enfin les fentimens les plus vifs de la nature. Mais peut-etre que ce raifonnement eft tres- fort & tres-folide? J1 s’en faut bien : rien n’eft plus foible, plus vain, plus frivole. Car prd- mierement, qui ne voit pas qu’il eft ridicule d’af- foiblir des principes qui font tres*clairs & tres- certains, par des raifons qui font douteufes & incertaines ; au lieu qu’on doit confirmer les chofes douteufes & incertaines, par ceiles qui font certaines & dvidentes ? C’eft un principe certain & Evident, qu'il n’eft pas permis de tuer pour ddfendre fon honneur , puifqu’il ne s’eft trouve perfonne pendant quinze cens ans qui en ait doutd: ce qui fuffit pour dire qu’un Dogme Thdologique eft certain & Evident. Au contrai- re beaucoup de grands hommes, ou plutdt tous ies plus grands hommes ont doutd qu’il fut per¬ mis de tuer pour fauver fa vie , & i’Egiife n’a point condamnd expreffdment Ieur fentiment : ce qui eft une raifon fuftifante pour regarder le fentiment oppofd comme douteux. La preten¬ tion des Jdfuites eft done tout-a-fait ridicule. Us veulent renverfer un point tres-conftant dans la Difcipline Chrdtienne, par un principe qui bien loin d’etre certain , eft tres - incertain , & approche plus de la fauifetd que de la vdritd. C’eft pourquoi ft ces deux chofes dtoient par- faitement dgaies , en forte que tout ce qui eft permis pour ddfendre la vie , le flit aiilfi pour ddfendre l’honneur, en raifonnant jufte on en concluroit plutdt qu’il n’eft pas meme permis de tuer pour fauver fa vie. Car cette dgalitd par- faite entre la vie & 1’honneur dtant une fois pofde , le raifonnement fuivant eft incompara- bleuient plus fort & plus conforme au bon fens que 190 Note sur la XIV. Lettre. que celui que les Jdfuites nous objectent. Ce qui n’eft pas permis pour ddfendre l’honneur, n’eft pas non plus permis pour defendre la vie. Or il n’eft pas permis de tuer pour ddfendre fon honneur. Done il n’eft pas permis de tuer pour ddfendre fa vie. Mais il n’eft pas necefiaire d’avoir recours i ces fubtiiitez. Car le raifonnement des Jdfuites eft un fophifme , & il n’eft appuyd que fur ie mauvais fens qu’ils donnect a cette maxime commune , One I'honntur eft plus cher que la vie. On peut regarder l’honneur en deux manieres, ou par rapport a celui qui le reqoit, ou par rapport aux autres. Cette maxime eft fauffe,fi on confldere l’honneur de la premiere maniere, e’eft-d-dire comme un bien particulier a celai qui eft honord, fans aucun rapport a 1’utilitd des autres; puifque loin que ce bien foit plus prd- cieux que la vie, il n’y a rien au contraire qui foit plus mdprifable qu’un bien qui ddpend du jugement des autres, & qui ne ddpend point de la perfonne qui le poflede. Auffi la recherche d’un tel bien , quand on le ddfire pour lui-meme, eft une veritable ambi¬ tion; & la complaifance qu’on y prend quand on l’a acquis, eft une pure vankd. C’eft pourquoi ce Stoicien dont parle Cicdron , avoit grande raifon de foutenir, Que la gloire n’avoit rien qui pfet faire faire d un homme fage la moindre demarche pour I'acquerir. Mais pour l’amour de la vie > il eft naturel & Idgitime, quand il eft refferrd dans les bornes que Dieu lui a preferites. Car e'eft la nature me me 8 s turn Vopinion, dit St. Auguftin, qui nous infpire cette horreur que nous avons tons de la mort. C’eft Dieu qui uniitant l’ame avec le corps, a donnd a Ta¬ me l’inciination qu’elle reflent pour fon corps: inclination ft forte, que les ames mdmes bien- heureufes Dissert, de l’Homicide. 19 i beureufes croient qu’il manque quelque chqfe a leur feiicit£ , jufqu’a ce qu’elies foient rdur.ies aux corps qu’elJes ont animez. II ell done faux que l’honneur confiddrd par rapport a nous, foit plus cher & plus prdeieux que !a vie. Maisli on le con fid ere par rapport aux autres, cette maxime , que l’honneur eft plus cher que 3 a vie, a un fens tres-vdritable, mais tres-eloipnd du deflein des Jdfuites, e’efta-dire, qu’il faut cans quelques rencontres perdre plutdt la vie que de rien faire contre fon honneur. Ainfi un Pretre s’expofera plutdt 41 a nrort,que de donner lieu a perfonne de le foupqonner de quelque crime. Et un Homme d’Epde mourra plutdt que de quiter Vehement fon polle, ou que de prendre honteu- fement la fuite. Voila quel eft le foin que nous devons avoir de notre honneur & de notre rdpu- tation, & celui auquel les Peres nous exhortent, & que les Conciles nous preferivent , & entre autres le IV. Concile de Tolede tenu 1 ’an 633. (t), celui d’Aix la Chapelle de l’an 8id. (1) , le VI. de Paris de l’an 829. (3) Yves de Chartres, qui n’a fait que fuivre l’efprit & la doftrine decesConciles, s’explique ainfi fur ce fujet dans fa Lettre 240. A Geofroi. ,, Ceux, ,, dit-il 3 qui font profeflion d’une pif'td fincere, „ doivent dtre remplis d’une charitd ft abondam- „ te, qu’ils s’appliquent autant a procurer le fa- a, lut de ieur prochain que le leur propre. 11 feut j, qu’ils recherchent principalementcesdeux cho- „ fes, une confcience pure,& une bonne rdputa- >, tion: une confcience pure par rapport 4 eux- memes, & une bonne reputation par rapport 4 „ kur fi) Cap. 21. (-) L. J. cap. ill , (3) Cap. 20. ip2 Note sur ea XIV. Lettre. leur prochain. Car celui qui neglige fa r£pu- 5 , tation.eil un cruel qui donne, autant qu’il eft „ en lui-meme, la mort 4 fon prochain. Or ceux „ qui veulent conferver leur reputation .doivent „ non feulement ne rien faire que de bien , tnais „ dviter encore tout ce qui pourroit etre inter. „ prdtd en mal avec quelque fondement. St. Paul, „ apres s’etre examine fur ces deux chofes, di- „ foit avec confiance, (i) Pour moi je me mils „ fort peu en peine d'etre juge par vous, ou per ,, quelque homme que ce foil. Et je ne me cmdar/i’ „ ne pas aujfi , car ma conference ne me reprocht ,, rien. Quoique nous foyons extremement £• „ loignez de la faintetd de ce grand Ap6tre , „ nous devons ndanmoins, avec le fecours de la „ grace du Seigneur, avoir foin de conferver a- ,, vec une bonne confidence une reputation en- „ tiere ; de peur que nous ne foyons un fujet ,, de chute & de fcandale a ceux de nos fre* „ res qui font foibles ou peu £clairez, & qu’ain- „ ti nous ne les perdions, comme dit l’Ap6tre, „ en fuivant raeme les lumieres de notre con- „ fcience. C’efl: ce qui arrive ordinairemem, j, quand en pr^fence de ces perfonnes curieu- ,, fes , qui s’drigent en cenfeurs de notre con- ,, duite, pendant qu’ils negligent de corriger la „ leur, nous faifons avec fimpiicitd quelques-unes ,, de ces aftions qui peuvent (igalement etre „ exp!iqu£es en bien & en rnal: car ils les exa- „ minent 4 la rigueur , & en tirent des confiS- „ quences qui quelquefois font juftes, mais qui „ quelquefois auffi les jettent dans l’erreur. C’eft j, pourquoi, pour manager la foiblefie de nos „ freres, nous ne devons rien faire devanr les „ foibles, dont ils puiffent s’autorifer pour juf- j, tifier (i) i Car. c. 4. v, ], Dissert, de l’homicide. 193 j, tifier leur mauvaife conduite , ou pour ren* „ dre fufpette la fimplicitd de nos intentions. _ Voila, felon ies Peres , comment on doit de- fendre fon honneur & conferver fa reputation s non en coinmettant des crimes, mais en dvitant tout ce gui peut donner aux autres le tnoindre foupgon que nous en foyons coupables. Que il en obfervant toutes ces regies , noils ne pou- vonS encore nous rnettre a couvert de la mddi- fance , Ies Saints ne nous excitent pas a nous venger par la mort de ceux qui nous calomnient, ou a Ies calomnier a notre tour , mais ils nous rappellent ati tdmoignage que nous rend notre confcience. „ ]e m’dtonne , dit St. Grdgoire dans une de „ fes Lettres (x), que les difcours des hommes „ vous attriiient ainfi , comme s’il ne falloit pas » toujours rentrer en nous-memes , lorfque les » bommes nous louent ou qu’ils nous bliment, „ & examiner fi leurs jugemens s’accordent avec „ le tdmoignage de notre confcience. Leurs ,i louanges nous doivent caufer une extreme dou- „ leur, £3 nous voyons que nous ne les xndri- » tons pas; & leurs mddifances une extreme joie, „ lorfque nous ne nous fentons pas coupables de „ ce qu’ils nous impofent. Car de quelle utilitd ,i nous font leurs louanges, 11 notre confcience ii nous accufe? Et quelfujet pouvoiis-nous avoir » de nous attrifter, lorfqu’en mSme terns que » tout le monde nous condamne , notre confcien- ,1 ce nous rend en fecret le tdmoignage que nous 11 fommes innocens. St. Paul ne dit-il pas: No- >1 tre ghire eft le tdmoignage de notre confcience ? Et >> Job: J’tfi un temoin dans le del ? Si done nous ,, avons un tdmoin dans le ciel, & un tdmoin au- , „ dedans ( 1 ) L , 1 Efift , 4j. Toms HI, N 394 Note sur la XIV. Lettre. „ dedans de nous-memes, pourquoi nous mettre ,, en peine de ce que difent les infenfez ? Que „ font-ils autre chofe par leurs calomnies, finon „ de foufler fur la poufEere & de s’en remplirles „ yeux, en forte que plus ils multiplienc leurs „ caloranies , moins ils font en dtat de connoi- „ tre la v^ritd ? I! faut n^anmoins tkher de les „ ramener. II faut les avertir doucement&cher- „ cher tous les moyens de les appaifer, nous „ fouvenant que c’ett de ces fortes de gens dont „ la vdrite meme a dit, Mais de pcur que nous m „ ks fcandalizions ”. Quoi, dira-t-on ? N’eft-il done pas permis de d£fendre fon honneur par aucun moyen ? II eft permis fans dome de le d^fendre, pourvu quece ne foit pas la vengeance qui nous y porte , mais la gloire de Dieu & l’utilitd de nos freres. Mais il n’eit jamais permis de d^fendrefon honneur par un crime, & par confequent ni par l’adultere, ni par l’homicide , ni par le parjure , ni par la ca- lomnie, ni par quelque autre moyen que ce foit, quand il elt ddfendu par les Loix divines & hu- maines. 5. II. Oil \'on marque en paffant la conduitc qu'un The'olo » gien pieux & prudent doit garden dans la decifton des Faints de Morale. A Pres tout ce que je viens de dire, s’il fe trou- ve quelqu’un qui ne foit pas fatisfait de mes re'ponfes, qu’il conclue de ce doute , qu’il n’eft pas permis de tuer, meme pour defendre fa vie , plutdt que de s’imaginer qu’il foit permis de tuer pour defendre fon honneur. Car un prudent Theo¬ logies Dissert, de l’Homicibe. rgf iogien doit avoir pour regie , de prdferer ce qui eft certain a ce qui ne i’eft pas , & de ne point abandonner ce qui a dtd approuvd par toute i’An- tiquitd, parce qu’ii y trouve de I’obfcuritd. Mais il doit fur toutes chofes prendre extrdmement garde de fe laifler furprendre par ces fophifmes qui conduifent dans l’erreur peu a peu & fans qu’on s’en apperqoive. Car il en ell des extrd- mitez du vice & de la vertu, comme des extrd- mitez du jour & de la nuit. 11 eft difficile de diftinguer ft le terns qui eft entre la nuit & le jour appartient & l’un ou & l’autre , quoiqu’il foil tres-certain d’un cotd que midi appartient an jour, 8t de l'autre que minuit appartient a la nuit. De meme dans la Morale, ce qui tient comme le milieu dans les vices & dans les vertus, eft prefque toujours certain; & a proportion qu’on s’en iftoigne, on a plus de peine a diftinguer ce qui eft bon d’avec ce qui eft mauvais. C’eft ce que nous voyons dans la matidre md- me de l’homicide que nous traitons. Car il eft conftant d’un cdtd, qu’ii eft permis de faire mou- rir par autoritd publique les criminels : & de l’autre qu'il n’eft point permis de tuer un hom- me pour ddfendre 1’honneur , ni un voleur qui s’enfuit apres avoir void. Mais entre ces deux points qui font certains,il y a plufieurs opinions, les unes plus douteufes que les autres, ou pour parler comme les Cafuiftes, plus ou moins pro¬ bables, a mefure qu’elles s’approchent ou qu’el. les s’dloignent davantage de ces deux points. Que doit faire un Thdo'ogien prudent a qui on propofe toutes ces opinions difFdrentes ? Il eft clair qu’ii doit tellement les examiner, qu’ii n’a- bandonne jamais ces deux points fixes & incon- teftables, & que ce foit par-la qu’ii juge de la vd- titd ou de la fauffetd de ces opinions. Les 196 Note sue la XIV. Lettre. Les J£fuite? ont juftement fait tout le contra- re. Le ddfir de flatter les paflions des hommes leur a faitavancer piufieurs opinions incertaines, tju’ils ont prifes enfuite pour des principes fur Jefqueis ils en ont appuyd d’autres encore plus incertaines. Et peu a peu s’£Ioignant toujours davantage des vdritables principes , ils en font enfin venus a attaquer des Dogmes dont on n’a- voit jamais doutd dans l’Eglife : tel eft celui-ci qu’il n’ett pas permis de tuer des calomniateurs, des mduifans, des infolens , de faux tdmoins & de mauvais Juges. S’ils continuent ainfi, ou que l’Eglife ne s’oppofe pas a leurs entreprifes, ils rendront bien tdt incertains tous les points de Morale, & il n’y aura plus rien de fixe & d’ar- Ainfi nous verrons fuccdder a la Morale de J. C. une Philofophie femblable a Tancien Pyrrhonifme ; & au lieu des maximes cer.taines de la vdritd, nous n’aurons plus qu’un amas con- fus d’opinions bizarres & t^mdraires. §. III. FauJJe apparence de douceur dont les Jefuites couvrew leur opinion. Q Ui auroit cru que les Jefuites eufient 6fd don-, ner leur opinion, toute cruelle qu’elie eft, pour une opinion pleine de douceur? C’eft ce- pendant ce que leur Apologifte dfe faire. Car que n’dfe-t-il pas ? 11 dfe appeller l’opinion de Montalte une opinion favorable aux voleurs & aux infolens, & cruelle aux innocens II fou- tient que cede des JtSfuites au contraire eft la protefftrice de I’honneur & de l’innocence. „ Quand, dit-il, les Cafuiftes difent qu’il eft » per- Dissert, de e’Homicide. 197 pertnis de tuer pour d£fendre Je Wen & l’hon- „ neur, a qui donnent-ils ce drou ? Aux gens 3 , de bieri , aux innocens.. Et contre qui le ,, donnent-ils?-Contre des hommes qui ne vi- ,, vent que de leurs propres crimes, & qui ne ,, fublillent que par le malheur d’autrui. . . „ Mais vous, dit-il a Montane, qui avitz pris 3, avec tous ies Thdologiens le parti des inno- ,, cens contre Ies affaffins, vous Ies quittz tous 3 , hardiment pour plaider la caufe du mauvais „ larron, appuyer l'infoient contre Ies perfonnes „ d’honneur, le voieur contre les riches, & le „ brigand contre les tnarchands. Quoi done! feroit-il bien poffible que Mon- talte , qui exhorte a foufFrir les injures avec pa¬ tience, qui (Moigne les hommes du ineurtre, op- primSt n^anmoins 1’innocence & favoris&t le cri¬ me? Non.ce reproche ne tombe pas fur Montal- te, mais il attaque ouvertement l’Apfitre. Car n’eltce pas l’accufer d’avoir doting, au lieu d’un pr^cepte d’humanitd & de douceur, un prdcepte de cruautd, lorfqu’il dit: (1) Ne vous vcngcz point vous-memes, mes tres-chers freres, mais donnez lieu d la colerc ? Que dis-je! n’eft ce pas accufer Jesus-Christ m£me de favorifer le crime & d’opprimer l’innocence , lorfqu’il commande & celui qui a re^u un fouflet fur une joue, de prd- fenter encore l’autre ? Mais les fentimens des Peres font bien oppofez a ceux des Cafuilles. Loin de regarder comme les protefteurs & les amis des gens de bien ceux qui les portent a fe venger des injures qu’on leur fait, ils les regar- dent au contraire comme leurs plus cruels enne- mis. St. Auguflin va plus loin. Exciter un hom- me a la vengeance, e’eft, felon lui, faire a fon ^gard ( l ) Rom . t , 12 , v . 1 9 . N 3 19S Note sur ea XIV. Lettre. £gard l’office du d£mon. „ Avez-vous un enne- ,, mi , dit ce Saint Dotteur ? (i)- psnfez que „ vous en avez deux en fa perfonne contre lef- „ quels vous devez combattre ; Fun qui eit vifi- „ bie, & i’autre qui eft cachd ; c’eft-a-dire i’hom- „ me que vous voyez, & le ddmon que vous ne „ voyez pas, & qui vous attaque par cet hom- „ roe vifible. Cet homme que vous voyez eft „ felon la nature humaine, la meme chofe que s, voustmais felon la foi & la charitd chrdtienne, „ il n’eft pas encore ce que vous etes , mais il ,, pourra le devenir. Ainfi puifqu’il y a deux 3 , ennemis en lui , ayez foin de les diftinguer. „ Vous appercevez Fun par les yeux du corps, ,, comprenez l’autre par l’efprit. Aimez le pr6- ,, mier, ddfiez-vous du fecond. Chacun vous veut „ 6ter ce qui vous donne de Favantage >fur lui, 3 , Le premier voit que vous le furp.affez en richef- „ fes,il ddfire de vous rendre pauvre. Il voit que 3 , vous le furpaffezen honneur, il tache de vous ,, abaiffer. 11 voit que vous le furpaffez en force , il ,, veut vous rendre foible. Ainfi fon but n’eft que „ devous 6ter, ou au moins d’affoiblir ce qui vous „ releve au-deffus de lui. Il en eft de meme de I’autre ennemi qui eft invilible. It ne cherche „ qu’a ru'iner en vous ce qui vous rend fup£rieur „ d lui. C’eft quelque fdlicite paffagere qui vous ,, rend lup^rieur a un autre homme, c’eft Famour 3 , de vos ennemis qui vous rend fup£rieur au d£- 5 , mon. Ainfi comtne 1’homme fouhaite avec paf- ,, fiorr de vous d£pouiIIer de ce bonheur qui vous „ met au-deffus de lui, le ddmon veut de meme ,, vous ravir la charity qui vous fait triompher de „ lui. Travaillez done & garder toujours dans vo- „ tre cceur I’amour de votre ennemi, puifque cet „ amour (l) In P/al, 54 . Dissert, de l’Ho micide. 193 s, amour feul vous rend victorieux du d£mon. Que ,, 1’homme fade delate*. fa colere au- dehors tant „ qu’ii voudra, qu’il vous raviffe par fa violence ce „ qu’il lui plaira: fl vous ne eeffez point d’aimer „ celui qui vous fait une guerre ouverce, vous „ avez remportd la viftoir*- furcet autre ennemi, „ qui vous en fait une fecrette. Lesgens de bien,pour lefqueis lesjefuites fei- gnentd’avoir tant de tendrcfle, ont done moins a craindre un voleur qui eft pret k les ddpoUiller, un infoient qui attaque leur honneur, ou un md- difantqui ddchire leur reputation, que ce Jdfuite qui prenant les intdrets du diabie , leur donne des confeils qu’iis ne peuvent fuivre fans faire mou- rir leur ame. Ainfi ce e’eft pas aflez de reprocher aux Jdfuites la cruautd qu’iis veulent que les bons exercent envers les mechans, puifqu’ils font in- comparabiement plus cruels envers les bons. Car qui doute que ce ne foit une cruautd plus grande, de ravir 4 un homme de bien fon innocence, que de priver un fcdldrat de la vie? Voila done en quoi confide la douceur des Jdfuites, a faire per- dre aux bons la vie del’ame,&adter aux mdchans celle du corps; a prdcipiter les'uns dans les fup- plices eternels qu’iis mdritoient,& a les faire rnd- riter aux autres; a mettre ceux-la en Ehfer, & 4 fermer a ceux.ci la porte du Ciel. 2oo Note suit la XIV. Lettre. $■ I V. Que run rieft plus foible que Its homes que ks Jefui- tes , apres avoir aboli k Commandement de Dieu , meitent cveiquefois d leurs Maxi¬ ms , pour arreter la licence des Mew - tres qdelles auturtfent. L Es Jdfuites, apres avoir mine la Loi de Dieu qui ddfend le meurtre , & rompu cette bar- riere facrde qui s’oppofoit aux emportemens des hommes, one dtd contraints eux-metnes de met 4 tre quelques homes a cette licence qui fuitde leurs maxitnes fur le meurtre, de peur que les Peuples ne fe port&ffent a des exces qui d£peupleroient les Etats & deshonoreroient leur Socidtd. La doctrine des Cafuiltes qui permet le duel, & qui eft fi odieufe en France , eft par exempie une fuite ndeeffaire de ce principe fondamental, qu'il efi permis denier pour defendrefon honneur. Aufii les Cafuiltes Grangers qui n’ont point 6 td arretez par la crainte des Loix, qui punilTent ft ffverement ce crime en France, ont foutenu hardiment qu’il eft permis d’accepter & rnerne d'ofFrir le duel pour d($fendre fon honneur. Caramuel cite beaucoup de Cafuiftes pour ce fentiment dans fa Thitologie Fondamentale, (i) oil il rapporte cet endroit de Carafa Sup^rieur des Clercs Rdguiiers. ( 2 ) ,, 11 „ eft probable, dit cet Auteur, que li un Soldat 3 , a TArm<5e,ou un Homme de quality a laCour, „ eft en danger de perdre fon emploi, fa dignity 3 , ou la favour de fon Prince ou de fon Gdndral, par le foup$on qu’on aura qu’il eft un l&che, s’il „ n’ac- (0 P- S4«. (}) Ex trail. 4 . fell, 0 , Refp. n, 16, p. 347 . Dissikt. de l’iiomicide. 201 „ n’accepte les ddfis qu’on peut quelquefois lui „ faire ;il eft probable, dis-je,que quelquesDoc- „ teurs n’ofent pas condamner qu’il Jes accepte, „ feulement dans le defiein de fe ddfendre. II faut „ dire la mSme chofe fi celui quil’appelleau Com- „ bat y ajoutedefrdquensreproches& des injures, „ & qu’il ne puiffe autrement fe ddlivrer de l’im- „ portunitd de cet homme, & du deshonneur au- „ quel il s’expoferoit s’il ne fe battoit avec lui. „ C’eit l’opinion expreffe de Layman Jet 9 . 3. trail. ,, 3. cap. 3. mm. 4. qui cite Navarre cap. 15. n. 3. „ & 4. pour la prdmierepartiede cette conclufion. „ Celt aufli celle deCarafa,qui en cela eft confor- „ me aLeflius de ! Jfufi. 9 f Jfur.lib. 2. cap. t).num. 83 > „ & 84. iHuttado ile Spe& Charit.vol. 2. difp. 170. „ JeB. 13. §. ic6. & a Filiutius tom. 2. trait. 29. cap, „ 8- §. 6 . qu&ro mm. 45. On peut voir dans ce paffage combien il y a de Jdfuites qui s’accordent tous a foutenir cette opinion, & que Caramuel & Carafa mettent de ce nombre Layman, que l’Apologifte (1) tache cn vain de ddfendre; puifqu’il eft certain que ce Cafuifte approuve ouvertement le fendment de Navarre, comme on le peut voir dans le paffage entier que les Curez de Paris ont rapportd. Cependant quoique les Jdfuitesde France foient en gdndral dans ce fendment, qu’il ejl permis de, tuer pour defendre fin bonneur , ndanmoins ils fou- tiennent ordinairement dans leurs Livres que le duel n’eft pas permis; mais ils le foutiennent par des raifons qu’ils fauront bien ddtruire eux-me- mes, quand ils le croiront ndceffaire. Ils difent premierement que le due! eft un pdch6 en France, a caufe des ordonnances qui le ddfen- dent fous des peines tres-rigoureufes, & qui dans la (lj Ixpoji, 11, N 5 202 Note sue la XIV. Lettre^ la confcience obligent fous pe|ne de pdchd mortel Cela pourroit arrdter des gens qui feroient auiE perfuadtz que je le fuis,que ces Inix irnpofentvd- fitablement eette obligation :mais les Cafuiftes,en fuivant ies principes des Jdfuites, n’auront pas de peine a fe ddbaraffer quand ils voudront de cet- te raifon, & a la renverfer par cette ddcillon rap. portde par Efcobar: (t) ,, Une loi pdnale dans „ une matiere grave oblige, dit-il , & n’oblige „ pas en confcience.Ellen’obiigepas,ajoute-t-il; „ parce que dansle douteondoitfuivrei’interprd- „ tation la plus favorable, & que la loi doit s’en- ,, teudre de lamoindre peine. Si un Ldgiflateur, „ qui peut obliger a la peine temporelle & deer- „ nelle, fait feuiement mention deia peine tempo- >, relle, ii femble n’avoir pas eu intention d’obli- ,, ger d la peine dternelle, cap. in poems 94. de re- „ gul juris in 6. Et felon la loi cum Pr&torf. de jud. ,, cap nonne, de prafump. celui qui de deux chofes „ proposes n’en affirme qu’une, eft cenfd nier „ 1’autre. Ainfi Rdgirtaldus tom. 2. lib 15. cap. 6. ,, fed. 5. mm. 50. Villalobos tom, 1 trail. 2. dub. 21. „ num. 2. Navarre cap. 23 nuni 55. Valentia tom. „ 2. dif. 7. q. q. pun. 6. Filiutius tom. 1. trail. 21. „ q. \2.num. 420. ont appelld cette opinion proba- „ ble. J’y fouicris auffi, & je ne puis m’empecher „ en l’approuvant d’admirer que Sotus de Juft. lib. ,, 1. q. 6. a 5. l’ait appellde une erreur dupeuple, „ qui s’imagihe fauflement qu’il eft permis a cha- 5 , cun de tranfgreffer la loi, en fe foiimettant d la ,, peine qui y eft portde. Car peut-on traiter ain- ,, ft d’erreur une opinion fuivie par des Dofteurs „ trds-habiles, & que ceux memes qui font d’un „ fentiment contraire, avouent ndanmoins etre „ probable. A cet- ( 1 ) L. S.ficl. 2 . preb, 27 . Dissert, sur l’homicide. 203 A cette dtkifion ils ajouteront encore cette au¬ tre du mdme Auteur. „ Une loi, ditil, qui dd- „ fend quelque chofe fous peine de more, de „ retranchement d’un membre, de prifon perpd- „ tuelle, ou de confifcation de tous les biens, „ ou d’un partie confiddrable, oblige & n’obli- „ ge pas fous peine de pdchd mortel... Elle n’o- „ blige pas. Car encore qu’il y ait pdchd mortel j, 4 s’expofer au danger de perdre la vie, ou de „ fouffrir quelque grand dommage , parce qu’alors ,, on viole le 5. prdcepte du Ddcalogue, on ne „ peut pas dire ndanmoins la meme chofe de „ celui qui tranfgreffe une loi qui porte la peine de mort; parce qu’en la tranfgreffant , il ne „ s’expofe pas 4 un femblable danger: car il peut » ufer d’une telle precaution, qu’il ne fe mettra ,, point dans un pdril probable de perdre la vie , „ ou de fouffrir un dommage confiddrable. C’eft „ le fentiment de Rdginaldus lorn, 1. 1 . 15. cop. 6 . » /eff. 5. mm. 50. de Navarre, man. c. 23,>*,55. & „ 56. de Philiare de Offic. Sacerd. tom. 1. p. 2. /. 3. j, cap. 2, dijt. 4. & de plufieurs autres. C’eft pour- 13 quoi.en fuivant cette opinionque j’approuve, » je crois que de ce qu’une loi impofe la peine j, demort, de retraneber un membre , de pri- » fon perpdtuelle, des galeres ou de confifcation „ des biens, on n’en peut pas tirer un argument )> fuffifant pour montrer dans le doute, qu’eile 1, oblige fous peine de pdchd mortel, fi d’ailleurs „ on n’a des preuves certaines que le Ldgiflateur it a eu intention que cette loi pdnale obligelt 3, ceuxqui y font affujettis, non feulement a la j, peine qui y eft exprimde , mais encore a Celle j> de fe rendre coupabie d’un pdchd mortel en la }> violant. On peut voir par-14 combien il eft facile aux J^luites de iendie inutiles & d’dluder ces ordon- nan 204 Note sur la XIV. Lettre. nances des Rois, quand il leur plaira de permeti tre les duels. C’eft done en vain qu’ils Ies oppo- fent, pour emp£cher qu’on ne tire cette conftquen- ce de ieurs maximes. Us difent en lecond lieu que cette loi du Prin¬ ce fait qu’il n’y a plus de ndceflltd d’accepter un due; , parce qa’on peut fans iachet6 refufer ce que le Prince interdit , & obdir fans fe desho* norer a fes ordonnances. J’approuverois volontiers cette raifon, fi elle &oit apporr^e par d'autres que par des Jdfuites. Mats quand on la compare avec Ieurs maximes, il n’y a rien de plus frivole & qui m^rite davan- tage d’etre msSprifd. Car il eft vrai qu’en refufant un duel on ne perd point ce veritable honneur, qui coniifte a obdir a la loi de Dieu & a celle des Princes; mais il eft faux qu’on ne perde point cet honneur vain , que les J^fuites ont en vue de conferver. Car fi on le perd, felon eux, lors- qu’on fouffre qtdon nous donne impuniment un foufflet, ou qu’on nous arrache une pomme, s’ils veulent parler confdquemment, ils ne peu- vent s’etnpScher d’avouer qir’on ne le perde auf- fi en refufant un duel, s’il s’agit fur-tout de per- fonnes de qualitd. C’eft done encore une fois inu- tilement que les Jdfuites pretendent par cette raifon arreter la fureur des duels. Si tous les pr£- ceptes qui font contenus dans 1’Evangile , fi l’exemple d’un Dieu qui nait dans une dtabie , & qui meurt fur une croix, ne font pas aflez forts pour perfuader aux homines qu’il n’y a point de honte a un Chrdtien de fouffrir un foufflet; comment les loix des Princes de la ter- re pourroient-elles convaincre un hommed’dp^e, qu’il n’y a point de honte a refufer un duel, qu’il ne fe deshonore point par-li devant ces homines furieux & infenfez, tels que font cer- Dissert, de l’Homicide. 205 tainement tous ceux qui regardent ces combats comme des combats glorieux: ce qui comprend prefque tout ce qu’il y a de gens de qualitd, qui n’ont pas une autre idee du duel. On peut voir par-14 que quand on a une fois pofd en gdndral de mauvais principes dans la Mo¬ rale , c’eft inutilement qu’on veut les refirain- dre par des correctifs & des exceptions arbitrai- res. Les hotnmes prdvenus du principe fe mec- tent peu en peine de ces vaines reftriftions , & en tirent toutes les confluences que la raifon leur fait voir qu’on en peut tirer. Ainfi quoique Leffius n’approuve que dans la fpdculation qu’on tue un calomniateur, ou un homme qui par un gefte ou par une parole de mdpris nous fait un affront , & qu’il l’improuve dans la pratique a caufe des inconvdniens qui en peuvent naltre, il ne rdmddie point du tout par cette exception a la malignitd du principe qu’il dtablit. Car comme il eft clair qu’on peuten tuafit ce calomniateur facilement dviter lesinconvdniens qu’il crait, des gens inftruits dans fon dcole prendront de lui ce principe qu’il eft permis dans la fpdculation de le tuer, & en concluront avec Efcobar qu’ils le peuvent tuer dans la pratique. Cette conclufion eft 11 naturelle, que ft Efcobar a parld un peu plus durement que Leffius, on ne peut nier qu’il n’ait atilfi parle plus confdquem- ment a fes principes, QUIN- so6 XV. Lett. Sentim. des JesI QUINZIEME LETTRE (i) E C R I T E AUX RR. PERES JESUITES. Que les Jefuites Stent la Calomnie dn nornbrt des crimes , & qu'ils ne font point de fcrupule de s'en fervir pour decrier leurs Ennemis, Du 25. Novembre, i< 5 y< 5 . Mes Reverends Peres, P Uifque vos Impoftures croiffent tous les jours, & que vous-vous en fervezpour outrager fi cruellement toutes les perfon- ne de pietd qui font contraires k vos reurs, je me fens oblige pour leur intdrdt & pour celui de l’Eglife, de decouvrir uti myftere de votre conduite, que j’ai pro* mis il y a longtems, afin qu’011 puiffe re¬ connoitre par vos propres maximes, quel¬ le foi Ton doit ajouter a vos accufations & a vos injures. Je fai que ceux qui ne vous connoiffent pas aflez , ont peine & fe determiner fur ce fujet ; parce qu’ils fe trouvent dans la ndceffitd, ou de croire les crimes incroya- bles dont vous accufez vos ennemis, ou de (1) Mu Arnauld travaillaii cette Lente avec Mi.Pafca), StR LA CaLOMNIE. 2C/ de vous tenir pour des impofteurs , ce qui leur paroft aufli incroyable. Quoi , difent-ils , fi ces chofes-ii n’etoient, des Religieux les pubiieroient-ils , & vou- droient-iis reponcer & leur confcience, & fe damner par ces calomnies ? Voila la manidre dont ils raifonnent: & ainfi les preuves vifibles par lefquelles on rui'ne vos faufletez, rencontrant 1’opinion qu’ils ont de votre fincerice , leur efprit derneure en fufpens entre l’dvidence de la vericd qu’ils ne peuvent dementir , & le devoir de la chavite qu’ils apprdhendent de blef- fer. De forte que comme la feule chofe qui les empdche de rejetter vos medifau¬ ces, eft 1’eftime qu’ils ont de vous; ft on leur fait entendre que vous n’avez pas de la calomnie, l’idbe qu’ils s’imaginent que vous en avez , & que vous croyez pou- voir faire votre falut en calomniant vos ennemis ; il eft fans doute que le poids de la veritb les ddterminera incontinent k ne plus croire vos impoftures, Ce fera done, mes Peres , le fujet de cette Let- tre. Je ne ferai pas voir feulement que vos Ecrits font rernplis de calomnies ,je veux paffer plus avant. On peut bien dire des chofes faufles en les croyant veritables, mais la qualitd de menteur enferifie l’inten- tion de mentir. Je ferai done voir, mes Peres, que votre intention eft de mentir & de calomnier: dt que e’eft avec con- noiflance dt avec deflein , que vous im« pofez 2og XV. Lett. Sentim. tjes Jes. pofez a vos ennemis des crimes dont vous iavez qu’ils font innocens; parce que vous croyez le pouvoir faire fans decheoir de l’etat de grace. Et quoique vous fachiez aufii-bien que moi ce point de votre Mo¬ rale , je ne IaifTerai pas de vous le dire, mes Peres ; afin que perfonne n’en puiffe douter, en voyantqueje m’adreile a vous, pour vous le foutenir it vous-mdrnes, fans que vous puiffiez avoir Faifurancedelenier, qu’en confirmant par ce defaveu mdme le reproche que je vous en fais. Car c’eft une dodtrine fi commune dans vos Ecoles, que vous l’avez foutenue non feulement dans vos Livres , mais encore dans vos Thefes publiques, ce qtii eft la dernidre hardielfe: comme entr’autres dans vos Thefes de Lou¬ vain de Fannee 1645. en ces termes. Ce n’eft qu’un picbe veniel de calomnier & d’im- pofer de faux crimes, pohr miner de crean- ce ceux qui parlent mal de nous. Quidni non nifi veniale fit , detrahentis autorita- temmagnam, tibi noxiam , falfo crimine elidere ? Et cette dodtrine eft fi conftante parmi vous, que quiconque l’dfe attaquer, vous le traitez d’ignorant & de tdmdraire. C’eft ce qu’a dprouvd aepuis peu le P. Quiroga Capucin Allemand, Iorfqu’il vou- lut s’y oppofer. Car vocre Pdre Dicaftil- lus Fentreprit incontinent, & il parle de cette dilpute en ces termes , de Juft. 1 . 2. tr. 2. difp. 12. n. 404. Un certain Religieux grave, pieds nuds, & encapucbonne, cucullatus gymnopoda, que je ne nomme point s eut la SuR LA CaLOMNIE. iO eft probable. II 1’approuve meme dans la pratique, quand on s’en fert devant les Juges. I) a feulement de la peine d 1’approuver g6n6ra- lement & dans toute occafion, a caufe des in- convdniens qui en peuvent naitre. Avant que d’entrer dans l’examen de la rdpon- fe del’Apologifte des Jdfuites, je commence par rdfuter celui des Cafuiftes, comme celui qui en- feigne plus manifeftement 1’erreur. Or cela eft d’autant plus facile,qu’il n’y a qu’a appliquer a la matiere dont il s’agit ici les principes que j’al dtablis plus haut. Car les J^fuites fuivent tou- jours leurs maximes. Ce qui leur a fait rui'ner , comme on a fait voir dans la Lettre pr^cddente, le commandement de Dieu qui defend I’Homici- de, leur fait ruiner ici celui qui ddfend la Calom- nie. Les moyens dont je me fuis fervi pour combattre la premiere erreur, combattent done egalement la feconde. L’aqtoritd de l’Ecriture ne la condamne pas moins clairement. Rien n’eft plus Evident que ce commandement du Dtkalogue , Vous ne porter rez point de faux tdmoigr.age. Rien n’eft plus for-, mel que cec oracle de St. Paul, Les medtfans n'en- treront point dans le Royaume de Dieu. Les Peres nrennent fimplement & gdneralement ces loix de Dieu, qui font fimples & generates. Ils impofenc pour toutes fortes de caloinnies fans diftindtion. les peines les plus grieves, & qu’ils n’ont coutu- me d’impofer que pour les plus grands p^chez. ,, Nous ordotinons, dit le {. Concile d’Arles (r) , s qup ceux qui accufent fauffement leurs freres, „ foient privez de la communion jufqu’a la fin „ de leur vie. » Le (V Eh, P 4 S32 I. Note sur la XV. Lettre. „ Le IV. de Carthage veut (i) queTEveque „ excoramunie ceux qui accufent leurs freres; & 5 , que s’iis fe corrigent, il leur accorde la com* j, munion, tnais qu’il ne les admette point dans „ le Clergd. Le II. Concile d’Arles renouveile le Canon du premier: „ Que ceux, dit-il (a), qui feront ,, convaincus d’avoir impofd faufTement des cri- „ roes a leurs freres, foient privez de la commu. nion jufqu’a la mort, comme le grand Synode „ l’a ddja ordonnd. Le Concile d’Epdne dit (3) „ que Ton doit juger un Clerc coupable d’un crime capital, , r lorfqu’il a etd convaincu d’avoir portd un faux 3 , tdmoignage. Le I. Concile de Macon ne s’exprime pas moins fortement (4). „ A l’dgard , dit-il, de „ ceux qui feront convaincus d’avoir accufd ,3 faufTement des perfonnes innocentes , foit 3, devant le Prince, foit devant les Juges, fi „ c’eft un Eccldfiaftique dlevd dans que’que di- „ gnite , qu’il foit ddpofd: fi c’eft un La'ique, 3, qu’il foit prive de la communion jufqu’a ce 3 , qu’il ait rdpard le mal qu’il a fait, par une pd- „ nitence publique & une fatisfaftion proportion- „ nde a fon crime. Or il eft Evident qu’on doit „ entendre par ces perfonnes innocentes, ceux 3, qui ne font point coupabies des crimes qu’on „ leur impofe Le Pape Adrien ordonne ($) ,, que celui qui s, aura rdpandu des Libelies, ou public des chofes ■ „ in- O) C. SS. (2) C. 24. (i) c. . 3 . (4) C. 18. (s) Capitulo so. De la calomnie. '{, injurieufes contre la reputation d’un autre , ,, foit fouettd au cas qu’on le ddcouvre, & qu’il- i, ne puifie prouver ce qu’il a avance; & que le „ premier entre les mains dequi cesLi belies tom- ,, beront, foit obligd de les ddchirer, s’il ne ,, veut encouiir la meme peine que s’il en dtoit „ i’Auteur. Si quelqu’un, dit encore le meme „ Pape , (i) impofe de faux crimes a un Eve- „ que, a un Pretre, on a un Diacre, & qu’il ne „ puifle les prouver, qu’on lui refufe la commu- „ nion, meme A la mort. Si on trouve quel- ,, qn’un, dit-il encore, (2) qui life des Libelles „ diffamatoirts, ou qui chante des Chanfons con- „ tre la reputation d’autrui, qu’il foit excommu- S, nid. Enfin le II. Concile de Douzy, tenu en 874. condamne de meme les calomniateurs fans aucu- ne diftinti’on. „ Les Loix Impdriales, dit-il (3), ,, que 1’Egiife emploie conjointernent avec (es j> Canons pour gouverner les fideies, ordonnent „ que les calomniateurs , c’elt a-dire ceux qui „ par de faux rapports contre des perfonnes in- „ nocentes, ont ia harditfle de prdvenir les Prin- „ ces contre elles, foient envoyez en exil, com- » me des gens qui paria fe font rendus infames. „ I) n’y a point de raifon, dilent-elies encore, j, de diffdrer ie chatiment d’un caiomniateur re- 3, connu pour tel. Car nous ne pouvons foufrir 3, qu’on examine de nouveau des accufations qui „ n’ont pu fe foutenir dans un premier examen, n ni qu’on donne ainfi l’allarme a 1’innocencepar ,, des calomnies qui n’ont aucun fondement. „ Et ailleurs: Que celui qui produira devant ie » Juge (1) c. a. (2) Cap. 63 . (37 Can, i, P 5 §34 I- Note stm la XV. Lettre. „ Juge une Piece, foie obligd a en prouver la ,, vdritd. Gar e’eft une regie dtablie dans toutes „ fortes de caufes, que celui qui fe fert d’une „ Piece la garantiiie ; que s’il n’en peut prouver ,, la vdritd , qu’il foit anetd comme coupable „ d’une tauffetd. Contre toutes ces autoritez, les Jdfuites s’dle- vent dans le feiz eme ftecle, qui fans aucun td- moignage & fans aucune preuve de ia tradition entreprennent de reftraindre l’dtendue de-ce prd* cepte, par une exception nouvelle & inconnue jufqu’a eux. Ils dfent enl'eigner que ce n’elt qu’un pdchd vdniel de repouffer la calomnie par la ca- lomnie. Si on leur demande oil ils ont pris cette exception , qui eft le Pere qui l’a avanede le prdmier, ou qui Pa autorifde? Ils n’en citent au¬ cun. Ils n’apportent pour appuyer cette opinion qu’une feule raifon, nous en ferons bien tdt voir la fauifetd. Mais fans l’entendre & fans l’exami- ner, qui peut hdfiter a les condasnner par avance <3e tdrndritd , d’erreur, & nieme d’hdrdiie? Car la Difcipline de l’Eglife &toute la Religion Chrdden- ne eft entierement ddtruite, s’il eft permis d’in- vencer apres feize fiecles des exceptions incon- nues a toute PAntiquitd contre des loix gdndra- le?, & des commandemens de Dieu ies plus ex-j pres- Geux done qui font afftz hardis pour le fai- ie,ne mdritent pas meme qu’on lesdcoute.Leur entreprife porte d’elie-mdme un caraclere dvident de fautTetd. Ainfi fi dans la fuite j’examine cette miferable raifon, fur iaouelie j’ai dit que ies Jd- fuites dtablilfent. leur opinion, ce n’eft pas qu’ils ayent aucun droit de l’exiger, mais e’eft qu’il eft utile aux le&eurs d’dcre inftruits de la foiblefle & de 1'indignitd des chicanes dont ces Cafuiftes fe fervent pour diuder & rendre inutile en partie an comniandement de Dieu. s. n. De la calomnie. 23 s §. II. 0» refute U raifon par hi quelle les Jefuites pretenders prouver que la Calomnie n'efi pas un crime. L ’Apologifte des Cafuiftes touche cette raifon lorfqu’ii dit a Montalte ( 1 ) : Vous deviez > Mr. le Secretaire , demontrer qidun calomniateur a droit & efi rnaitre de fa reputation, quoiqu'il nine telle d’autrui. Les autres dtendent davantage ce moyen. Mais tout ce qu’ils difent revient a la mSme chofe, & fe peut rdduire a ce raifonne- ment. II n’y a point d’injuftice a calomnier ce- lui qui n’a point de droit fur fa reputation. Or un calomniateur n’a plus de droit fur fa reputa¬ tion. Done on ne cotnmet point d’injuftice en le calomniant. Et par confdquent cette calomnie n’eft qu’un pdchd vdniel. Car fi elle n’eft pas in- jufte , elle n’eft mauvaife que parce qu’eile eft faufle. Or le menfonge qui ne renferme point d’injuftice, n’eft qu'un pdchd v^niel. Done la ca¬ lomnie dans ce cas n’eft qu’un pdche vdniel. Avant que d’aller plus loin,& que je ddcouvre les autres illufions de ce raifonnement, je dis d’abord que la feconde propofition, qui en fait tout le fondement, eft manifeflement faufle. II eft faux, dis je, qu’un calomniateur, ou un hosn- me qui eft coupable de quelque autre crime, n’ait pas droit de ne point pafler pour un adultere , ft vgritablement il n’eft pas adultere. 11 eft faux qu’on puifle iui 6ter la reputation d’etre chafte , s’il eft chafte , quelque crime qu’il ait commis d’ailleurs. La raifon en eft claire. Car n’dtant point (t) Pag. ns, sgtj I. Note sur la XV. Lettre. point coupable d’adultere devant Dieu, & la ve¬ rity meme lui rendant ce t^moignage, on ne peut fans injuftice lui faire perdre devant les Hom¬ ines ce qu’il n’a point perdu devant Dieu. II m&ite done de pafler pour un calomniateur,, parce qu’il 1’eft effectivement: mais il ne milrite point de pafler pour un adultere , puifqu’il ne i’eft pas- Car tout jugement que la v^rit^ con- damne eft injufte, la juftice & la v^ritd n’^tant qu’une meme chofe. C’eft pourquoi celui qui re- pouffe une calomnie par une autre calomnie, fe venge d’un crime par un autre crime, & il n’elt pas moins coupable que celui qui fe vengeroit d’un adultere en commettant lui-meme un adul¬ tere. Il eft vrai que le crime de celui qui calom¬ nie le premier un homme de bien, peut etre plus grand a caufe des circonftances. Mais celui qui calomnie ce calomniateur , n’en eft pas moins calomniateur lui-mSme. En un mot tous ceux qui impofent a un autre un crime dont il eft in¬ nocent, fe rendent proprement coupables du cri¬ me de calomnie. Ce qui fait voir avec combien de raifon & de juftice la Faculty de Thtologie de Louvain a condatnnd cette propofition des Jefuites. (a) II efi probable que celui qui accufe fauffement une perfon• ne de quelque crime pour defendre fon innocence & fon bonneur , ne peebe point morteliement. Et fi cela n'efi pas probable, d peine trouvera-t on une opinion proba¬ ble dans toute la Theologie. Censure: Cette propo¬ rtion id a pas feulement la moindre ombre de probabi- lite , mais elk efi plutot le comble de la temerite, don - pant une ample licence aux calomniateurs. Dire que cette opinion n’a pas la moindre om¬ bre de probability, comme le dit cette Cenfure, c’eft (r) Cenfure de 1CJ7. De la calomnie. 23^7 ^eft dire qu’elle eft une erreur tres. confid&able & tres-pernicieufe. Elle auro/t pu meme la qua¬ lifier d’hdrdfie, puifqu’elle eft dvidemment con- traire d l’Ecriture Sainte & a la Tradition dans un point tres-important. 11 eft vrai que ce point appartient plutdt aux Mceurs qu’d la Foi. Mais nous ne fommes pas moins obligez de croire de foi divine les prdceptes qui regardent les Mceurs, & qui ont dtd rdvelez de Dieu, que nous fam¬ ines obligez de croire les dogmes fpeculatifs de la Religion. „ Deux chofes, dit excellemment „ Pierre le Chantre (i), font ndceflaires pour le „ falut;la voie de la Foi, & la lumiere desMoeurs. ,, Si done nous appellons hdrddque celui qui „ s’dcarte un peu de la foi, ft nous le reprenons „ durement en lui difant qu’il n’eft pas dans la ,, voie , mais hors la voie, pourquoi ne repren- 3) drons-nous pas de meme celui qui s’dioigne un j, peu de la lumiere des prdeeptes qui font la „ regie de nos mcEurs? Pourquoi ne lui repro- „ cherons-nous pas qu’il n’eft plus dans la lumie- ,, re, mais dans les tdnebres? Pourquoi ne di- „ rons-nous pas d celui qui pafle les bornes de la ,, fobridtd qu’il n’eft plus fobre, mais intempd* 3, rant? La Foi dtant fondle fur des myfteres,& ,, l’Ecriture nous les propofant fous des paroles ,, obfeures, tout le monde convient qu’il feroit „ facile de s’dgarer en developpant ces obfcuri- „ tez, ft on fe donnoit la iibertd de les expli- j, quer autrement que les Saints les ont expli- „ quez, en ajoutant, en diminuant, en adou- „ ciflant ce qui paroitroit trop dur a la raifon. ,, Mais pourquoi re garderons-nous pas la meme „ conduite a 1’dgard de la lumiere & de la regie „ de nos mceurs, puisqu’elle eft dgaiement nd- „ ceffaire ft) Verbi abbreviate cap, 80, 238 I. Note sur la XV. Lettre. ,i ceffaire pour le faiut; & que de plus eile nous ,, a dtd donnde fous des paroles claires & eviden- „ tes? Pourquoi pourrons-nous fans Comber dans „ une erreur coniiddrable, l’expiiquer felon nos „ propres penfdes, 1 ’adoucir, 1 ’obfcurcir, ou l’al* „ tdrer de quelque autre maniere que ce foit? St. Thomas enfeigne encore plus clairement (i) que c’eft etre vdritablementhdrdtique, que de nier qu’une chofe qui eft contre un commande- ment de Dieu foit pdchd. „ Dire, ce font fes „ tennes, que ceux qui fe font obl/gez par voeu „ ou par ferment a entrer eri Religion, ne font „ point obligez d’y entrer, c’eft une hdrdfie ma- s , nifefte. Car quiconque 6 fe foutenir que ce „ qui eft contre un commandement de Dieu n’eft ,, pas pdchd, doit etre regardd comme bdrdtique. „ C’eft pourquoi on regarderoit comme herdtique „ quiconque nidroit que la Ample fornication fftt ,, un pdchd, parce qu’elle eft fuivant la doficrine „ des Saints contre ce prdcepte , Vous ne com- ,, mcttrez point d'adultere Ce qui confirme ce que nous avons dtabli ailleurs, que c’eft une hd- rdfie de s’dloigner du commun fentiment des Peres, dans l’explication d’un commandement de Dieu. (t) Quodl. 3 . art. 12 . §. lit De la. calomnie. 239 §i 111 . Exmen des deux argumens de fdpologlfie des Cii . fuijles. Refutation du premier, pur lequel il tdcbe iPeloigner des Jefuites le fouppon qu'ils mettent en pratique , lews maximes fur la Calomnie, C Ette doctrine des Jdfuites fur la calomnie eft dtablie par tant de preuves tirdes de leurs principaux Auteurs , que leur Apologifte, & celui des Cafuittes, n’ont rien eu a oppofer contre un fait fi conitant. Le dernier a feulement penfd a empecher qu’elle ne fit tort aux Jdfuites. II a bien compris qu’il feroit difficile qu’on ne foup- $onnat des Dodteurs & des Dafenfeurs fi zelez de £1 calomnie , de s’en fervir quelquefois, ou au moins de ne la pas dviter avec autant de foin que le refte des fideles. II a done tAchd d’eloigner d’eux ce foupgon. Et pour ceia II fait deux rar- fonnemens: dont 1’un , felon lui, juftifie invin« ciblement les jdfuites de ce crime, & 1'autre prouve qu’on doit plutfit en accufer leurs adver- faires. „ Void le premier. Tous les Thdologiens (1) de la Socidtd enfeignent qu’il faudroit plutdt „ laifler pdrir tout le monde, que de commettre ,, un pdchd vdniel. Or, felon eux , la calom- „ nie eft au moins un pdchd vdniel. Done les „ Jdfuites ne croient pas qu’on peut s’en fervir. ,, Done ils ne s’en fervent pas, & n’inventent pas 3, des mddifances en tout ce qu’ils reprochent „ aux Janteniftes. Je crains fort que ceux qui connoiffent les Jd- fuites 0 ) P . 130, 240 I. Note sur la XV. Lettre^ fuires, ne faffent pas grand fond fur ce Syllogif- me; mais avouons-Iui que les J^fuites travaillent a dviter meme les pdchez vdniels. Au moins eft- il certain qu’ils ne les dvitent pas avec le meme foin que les pdchtz moitels. II n’y a pas d’apparence qu’ils dvitent, par exemple, une parole inutile, un ris immoddrd, comme ils font un aduitere ou un parjure. Car qui eft-ce qui n’dprouve pas combien la penfde que nous avons qu’une faute n’eft que vdnielle , diminue l’attention que l’efprit devroit avoir a l’dviter? Lots done qu’on voit les J£fuites mettre la ca- lomnie & la mddifance au rarg des paroles inutiles, ce n’eft point faire un jugement t£m& raire , que de les foupgonner de ne pas faire plus de fcrupule de calomnier, qu’on a coutu- me d’erj faire de dire des paroles inutiles. Mais la conjecture & le foupgon n’ont point de lieu en cette occafion. Leurs calomnies & leurs mddifances font evidentes. Elies fautent aux yeux, & font fenfibles & tout le monde. II s’agit feulement de favoir quelle en eft la cau- fe ; s’ils calomnient edntre leur confcience, ou non. Montalte a cru que c’dtoit le dernier. Voyant que leurs Auteurs 6toient la calomnie du nombre des crimes, il a regardd celles qu’iis publient contre leurs adverfaires , comme une luite de cette maxime; & il a mieux aimd dire qu’ils calomnient, parce qu’ils croient faufle- ment pouvoir le faire , que non pas qu’ils le faffent contre leur confcience. On voit affez qu’il ne pouvoit juger d’eux plus favorablement; puifqu’i! eft conftant que le pdchd eft plus grand quand on agit contre fa confcience, que quand on agit fur un faux principe dont on eft prd> venu. Mais d’ailleurs il dtoit difficile qu’il en jugeat au- De la calomnie. 241 autrement. La facility avec laquelle on voit que les Jefuites repandent its calomnies, marque af- fez qu’ils agilfent par perfuaiion & non pas con- tre leur confidence. Un ne fait point fi fouvent* ni fi facilement, ce que 1’on fait contre fa con- fcience. II faut done que les Jdfuites croient pouvoir calomnier en furetd. En effet fi la crainte de commettre un pdeh^ vdniel pouvoit aridter quelques confciences ti- jnordes, ils ne manquent pas de moyens pour lever ce fcrupule , & pour exempter la calomnie de peche m^me veniel. Rien de plus facile felon leurs principes. Car on ne peche point felon eux contre la juflice, en repouilant la calomnie par la calomnie; on peche feuiemeni contre la vdritd, ce qui n’eft qu’un peche veniel. Si done on peut faire en forte qu’on ne peche pas mSme contre la vdritd, on pourra calomnier fans au- cune crainte d’offenfer Dieu. Or rien , comrne ]e le viens de dire, n’eft pius facile dans leur Morale. II ne faut pour cela qu’avoir recours A leur dodirine des reftridbons mentales. ils enfei- gnent qu’on peut s’en fervir dans toutes les ren- eontres ou la juflice n’eft point intdreffee. Elle n’eft point intdrefKe ici. 11 ett done permis de s’en fervir. Ainfi fi les Jdfuites croient par exempie qn’u- ne femme nuit A leur SocidtS, & qu’il leur eft utile que fa reputation foit ildtrie, ils peuvenc fans aucun fcrupule publier qu’elle eft une adul- tere. Cette calomnie ne blefle ni la vdrite ni la juftice. Elle ne blefle point la juflice, parce qu’ils repouffent la calomnie par la calomnie. El¬ le ne blefle point non plus la vdritd, parce que par une reftridtion mentale ils entendront, non pas qu’elle eft proprement coupable du crime d’aduitere, mais feulement qu’elle en eft eoupa- Tome lit. Q bW 242. I. Note sur la XV. Lettre.’ ble improprenient; foit parce qu’elle porte eS ellq la concupifcence qui eft la fource de l’adut> tere; foit dans le fens que l’Apotre St Jaque dit, que celui qui aime le monde eft un adultere. Voild comme une probability vient au fecours d’une autre, & lui donne fa derniere perfeftion, C’eft ce que j’avois ecrit d’abord fur des con* jeftures feulement, & en envifageant les conte- quences que l’on pouvoit tirer des principes des Jdfuites. Mais je me fuis apperqu depuis, que la peine de chercher des conjedlures & des confr quences pour combattre ces Peres dtoit fort inutile ; puisque l’on a Tambourin a la main qui nous difpenfe de ce travail, en affranchiifant la calomnie de l’injuitice & meme du menfonge, lorsqu’elle eft employee a nous ddfendre d’une autre calomnie ou d’une injure. On n’a qu’d l’entendre parler I. 9. c. 2. 2. n. 4 „ Si „ vous ne pouvez pas vous ddfendre autrement „ d’un tdmoin injufte, vous elt-il permis de lui „ impofer autant de faux crimes qu’il eft ndcef- ,, faire pour juftifier votre innocence ? Je fais „ d cette queftion deux rdponfes; dont l’une „ me paroit aflez probable , l’autre aflez incer* j, taine. „ 11 eft probable felon moi, que fi vous le fai- „ tes vous ne pdchez pas centre la juftice, & „ qu’ainfi vous n’etes pas obligd a reftitution. La „ raifon eft que l’Obligation de ddfendre la vie, „ exclut l’injuftice de toutes les adlions que vous „ faites dans la ndcelCtd de vous ddfendre. „ L'incertain, felon moi, eft fi cela fe peut fai- „ re licitement fan's aucun pdchd. Le Cardi- „ nal de Lugo parle ainfi: II eft certain que cela „ n’eft pas permis.... C’eft fon opinion ; mais ,, comme I’on fait confifter tout le pdchd dans le v menfonge & le parjure, la difficult^ fuivante „ de* TaMBOURIN DE LA CALOK^iE. 243 j, demeure. Si le menfonge dtoit feul & non ac- „ compagnd du ferment, ce ne feroit pas un pd- 11 chd mortel : car encore que ce menfonge i, eut pour objet un mal confiddrable que l’on I „ feroit au prochain, cependant pouvant Iui j j, faire cemal avec juftice, il ne feroit pas rdpu- „ td pour grief 2. Quand le ferment meme fe- I, roit ajoutd, il ne tiendroit qu’a moi,ou a ceux 1, qui connoitroient mon innocence, de 1’dluder „ par l’dquivoque, & ainii d'dviter le parjure ou » le menfonge, moyennant quoi les Dodteurs i, commundment,'ni de Lugo lui-meme, ne font ,1 plus de cette opinion. Que Ton 6te done cec ii inconvenient, & ils ceffent d’dtre contraires a » cette doctrine. Or qu’il me foit permis d’ufer 13 d’un ferment Equivoque dans une procedure 1, de jullice, fi elle n’eft pas Idgitime, e’eft ce 1, qu’enfeigne Caftropalao & d’autres. t. 3. difp. 5* du Serment. p. 7. mem. 1. Et par confdquent >, la meme chofe doit etre permife dans une juf-. 11 tice reglde.oii le tdmoin produit eft injulte. 11 II femble done que celui qui dans le cas marqud ii impoferoit de faux crimes A un tdmoin faux ou 11 dldgitime, le pourroit faire fans pdeber mortel- ii lement, Je ddclare ndanmoins que cela eft: si encore incertain. Car enfin s’il dtoit queftion 11 de prouver que le faux tdmoin eft un Sodomi- 11 te, un Excommunid , un Hdrddque? Ce faux >i tdmoin n’a qu’A fe l’imputer, dira quelqu’uii. ii J’entens bien, mais je ne me rens pas encore 11 pour cela. Car s’il falloit, par exemple, con- 11 trefaire des Ecritures Publiques , pourroit-on » induire A cela un Notaire A qui mon innocence i> feroit connue? Pourquoi non, direz vous? ce » n ’ e ft pas lA manquer de fiddlitd envers la Rd- ii publique, mais lui dtre au contraire tres.fide- » le, en prenant ainii la ddfenfe des memo res 244 I* Note sur la XV. Lettre. „ innocens de cette Rdpublique. Mais fi on „ ouvre cette porte , que deviendront !es Tri- ,, bunaux de Juflice ? Que l’on ne produife, r£- ,, pondrez-vous, que de vrais tdmoins, comme „ les Loix Saintes i’ordonnent. Car en repouf. ,, fant par telle voie que ce puifie dtre les faux „ tdmoins, on n’dbranle point les Tribunaux, ,, rnais on les afferent. J’entens bien encore „ cette raifon; mais comme elie ne lailTe pas de „ me paroitre dure, je fuis bien aife de remet- „ tre a un autre terns la decifion de cette diffi- „ cukd. Tambourin ne femble peut-etre pas parler at fez affirmativement, pour pouvoir par un difcours fi vacillant dormer de la probability 4 cette opi¬ nion. Mais i! n’y a que ceux qui ne font pas aceou- tumez au langage Cafuillique , qui peuvent avoir cette penfde. On n’a qu’a s’en rapportera Tambou¬ rin lui-meme. Car cet Auteur n’exige pas qu’une opinion foit certainement probable, afin qu’elle foit fure en confcience; il fufiit qu’elle foit tant foit peu probablement probable. Or c’elt ce qu’on ne peut refufer 4 une opinion dont il avoue qu’il i ne peut ddmontrer ia fauffetd, & dont les raifons lui paroilfent fi confiddrables, que ne pouvant les rdfoudre fur le champ, il remet cet ouvrage i un autre terns. Nous ddcidons , dit Caramuel dans fa Thdol. Fondatn. 45 x que toute a&ion hu- rnaine ell perrnife, qui ne contredit pas dvidemment «ne loi qui oblige dvidemment, Or la feule hdfi- ration de Tambourin fait voir que celui qui par un ferment equivoque impofe de faux crimes a un temoin faux ou illdgitime , contre l’injure du- que! il doit fe ddfendre; qui pour la merne fin fuborne des tdmoins & un Notaire, & contrefait des adbes publics, ne leur paroit pas cboquer evidemment aucun prdcepte. Car 11 cela lui pa- De la Calomnie. 245 roiffoit, il n’auroit garde d’hdfiter. Done des- ii feulement qu’il ne ddciare pas ouvtrtement cette opinion improbable, ii fait entendre qu’elle eft probable, & par confdquent fare. • J. I V. Refutation du fecond argument , m I'm fait voir que les JeJuitcs tie fe dement pas feulement la liierte tie calommtr cetix qui imputent a lew Societe des cri¬ mes dont elle n'ejl point coupable , tnais qu'ils ca- lomnient ceux-memes qui lui en reproebent de veri- tables . » T E fecond argument de l’Apologifte eft tel „ (1). Les Jdfuites exemptent la calomnie ,, depdchdmortel, mais feulement quand on en ,, ufe contre un calomniateur. Or eft-il que, de » l’aveu meme de leurs adverfaires, les Jdfuites » ne regardentles calomnies qu’ils rdpandent Gen¬ ii tre les Janfdniftes, que comme des pdchds ve- » niels. Done les Jdfuites ne calomnient » point: ous’jls calomnient, il faut que lesjan- j, fdniftes avouent qu’ils font eux-memes des ca- ,, lomniateurs ”, L’Apologifte n’auroit pas dft difllmuler que Montaite avoit prdvenu & ruind par avarce cette objeftion par cette remarque. „ L’amour-pro- » pre, dit-il, nous perfuade toujours affez que » e’eft avec injuilice qu’on nous attaque , & k >, vous principalement, mes P^ies, que la vani- ,, t6 aveugle de telle forte, que vous voulez fai- » re croire en tous vos Ecrits, que e’ert bieffer »> i’honneur de l’Eglife que de bieffer celui de „ votre Socidtd fO P . 130. & 131, A.fin Q 3 24 S I. Note sur la XV. Lettre, Afin done que les Jdfuites croient avoir droit de calojnnier leurs adverfaires en furetd de con- fcience, ii n'eft pas ndeeffaire que ces adverfaires foient en effet des calomniateurs. II fufEtqueles Jdfuites s’imaginent qu’ils le font, ou (implement qu’ils font injuftes, de publier des chofes qui font defavantageufes a la Socidtd , quand meme ils ce diroient rien que de veritable. Or qui peutdou- ter que l’atnour aveugle dont ils font pleins pour eux-mdmes , ne leur perfuade tres-aifdment l’une ou l’autre de ces deux chofes. Si l’on dit qu’ils ne connoiiTent point la vraie Thdologie , quelque veritable que cela foit, ne s’imaginent-ils pas auffi-t6t qu’on les calomnie, parce qu’ils croient qu’on n’a pas une idde aiTea avantageufe de leur habiletd ? Si Ton dit qu’ils corroropent Ids moeurs des Chretiens, ne fe plai- gnent*ils pas de meme qu’on les calomnie , par¬ ce qu’ils regardent les opinions les plus abiurdes coniine de faintes maximes ? Enfin a l’dgard me- me des reproches, qu’ils reconnoiiTent Stre bien fondez,ne lescroient-ils pas finon faux, au moins injuftes, parce qu’ils prdtendent qu’on a tort de idpandre dans le public des choies qui peuvert ternir la gloire de leur Socidtd, ce qui fuffit pour leur donner droit de les nier fans pdchd , & d’ac- cufer de menfonge ceux qui les publient ? Avffi ils ne diflimulent point qu’ils ont ce droit, & i'» yeulent bien que tout le monde le fache. „ Plu- „ fieurs Thdologiens & Canoniftes, dit ingdnfi- 3 , merit l’Apologifte des Cafuiftes (i), enfeignent „ qu’un homme a qui on reproche une chofe in- „ juftement, peut foutenir a celui qui fait cere- ,, proche qu’il en a menti, & qu’il elt un im- „ pudent (0 F. - as. De ia Calomnie. 247 „ pudent calomniateur, quoique le crime ait etd „ coinmis Celt pourquoi on ne doit plus s’dtonner que l’Apologifte des Jdfuites accufe Moncalte dans toutes les pages de fon Ecrit de calomnie , de mauvaife foi , de menfonge. II n’eli pas fi dd- pourvu de bon fens,qu’ii n’ait bien vu que Mon- taite rapporte la doctrine des -Cafuiltes avec une entiere exactitude : aufli l’Apologilte des Cafuif- tes qui a dcrit depuis , a pris le parti d’avouer limplement.prefque par-tout, que les Cafuiltes en- feignent effedtivement ce que Montalte leur attri- bue. Mais ces injures , cette frdquente rdpdti- tion d’impolture n’dtoit pas inutile pour dtourdir les ignorans. C’en dtoit aflez pour l’obliger a fe contrefairqjjour un terns, a crier centre Montal¬ te, & a l’accufer mille fois d'impofiure , malgrd fon innocencee’en dtoit, dis - je , aflez pour qu’ii eut droit de faire tout cela fans fcrupule & fans aucun remords de confcience , fuivant la maxime des Jdfuites que je viens de rapporter. On peut, difent-ils, soutenir & celui qui nous fait un heproche veritable mais injuste , qu’iL en a MENTI, ET gu’lL EST ON IMPUDENT CALOMNIA¬ TEUR. C’eft ainii que la calomnie & le menfonge leur fourniflent des armes pour fe ddfendre , & pour fe venger tout a la fois de leurs ennemis : e’eft- a-dire qu’ils nient hardiment les crimes les mieux prouvez, & dont ils reconnoiflent eux-memes la vdritd ; qu’ils en prennent lujet d’accufer de ca¬ lomnie ceux qui 6 fent les leur reprocher ; qu’ils leur impofent d’autres crimes inventez a plailir, & rdpandent contre eux une infinite de calom- nies. Quelle eft l’innocence qui ne fera pas oppri- mde par les calomnks de tant de bouches mddi- Q 4 fantes ? 248 II* Note sur la XV.' Lettre, fantes?ou qui.intimidde par Ie danger de i’etre, n’aimera pas mieux laiffer les Jdfuites en repos, que d’attaquer inutilement des ennemis qu’elie ne peut efpdrer de vaincre ? Celt ce qui fait que quoiqu'il y ait beaucoup de gens qui connoiftent & qui ddteftent en fecret les deregiemens de la Socidtd, ii y en a tres-peu ndanmoins qui 6fent Clever leur voix & fe commettre avec un Corps fi puiffant. Et je regarde comtne une providen¬ ce particuliere de Dieu, que cette Socidtd, deve- nue en ce Siecle plus infolente par fon grand cre¬ dit, ait attaqud iniuftement, comme elle a fait, des gens uniquement attachez a la vdritd, & qui ne craignant & n’efpdrant rien des hommes, ont expofd fes reiachemens aux yeux detoute laTer- re. LaPofteritd, plus Equitable que notre Siecle, reconnoitra peut-£tre un jour combien on leur eft redevabie. NOTE II, Mauvaifefoi de P Apologi/le fur les exemples que Memalte rapporte des calumnies des fefuttes. I Lne fera pas inutile d’examiner id ceque I’A- pologifte rdpond a un de ces exemples. C’eft ceiui du P. Pintereau & do P. Cauffin, qui nient Pun & I’aUtre qu’on trouve dans Bauny ce qui y eft ndanmoins , de l’aveu meroe de PApologifte. Car rien ne fait mieux connoitre le gtnie de la Socidtd que cette reponfe. On a pu voir, par les paroles du P. Cauflin & du P Pintereau que Montalte a rapportdes, avec quelle hardiefle ils aiTurent qu’on ne trouve pas ftarrs Bauny le moindie veft.-ge de cette opinmn ; MaUVAISE Foi DE l’AfOLOGISTE. 24 P Qu’il eft permis de recbercher direftement, primo et per se , me occafion procbaine de pecker pour le bien fpirituei ou temporel de nous , ou de notre procbain. Cependant il elt certain qu’on trouve dans Bauny cette opinion en propres termes, dans 1’endroit citd par Montalte. II elt vrai qu’elle eft tirde de Bailie Ponce. Mais Bauny I’a approuvd en ces ■termes: 'Jefoufcris , dit-il , volontiers d lopinion de Bafile Ponce. AuUi I’Apologiite tombe-t il d’ac- cord que Bauny eft du meme fentiment queBaiila Ponce. Comment s’y prendra-t-ii done pour juf. tifier le P. Cauilin & le P. Pintereau d’un men- fonge manifefte & d’une horrible calomnie?Que peut il dire A ces expreflions ernportdes du P. Pintereau? (i) I! faudroit, dit-il, etre bien per- „ du de confcience pour enfeigner une ft ddtef- „ table do&rine ; mais il faut Stre pire qu’un ,, ddmon pour l’impofer t comme fait Arnauld, „ A la perfonne du Pere Bauny. Lefteur , vo- ,, yez s’il vous plait i’endroit , non feulement „ ou vous adrefte la marge qu’il vous cite , „ mais encore tout le Livre du Pere, vous n’y „ trouverez ni marque , ni veftige de cette ca- „ lomnie , & vous ddcouvrirez le contraire en „ plus de cent endroits. Arnauld. Dieu n’a pas „ encore abandonnd fon Eglife julqu’A ce point, „ que de lui donner pour Dofteurs des Maitres „ d’une il mauvaife doftrine, nonplus que pour „ Evangel ill e le plus infame fycophante de la „ Terre Comment juftifier un bomme qui parle fi im- pudemment contre la vdritd? Ce pas eft diffici¬ le , il faut pour s’en tirer toute I’adreffe d’un Jdfuite. Ecoutons done PApoIogifte. Cette nccu. - fation, (l) du P. Pinter. I. part. p. 24. Qs 250 II. Note sur la XV. Lettre. fation, dit-il (i), efi me faujjcte palpable. Ces pi- roles , primo & per fe , ne font point (hi Fere Bun¬ ny. C’eft deja-la une pure chicane. Car elles font de Bafile, dont vous avouez que Bauny ap- prouve le fentiment. Voyons la fuite. „ Cette „ ddcifion , ajoute-t-il , peut fouffrir deux fens „ bien contraires. Le premier, que I’on peut s’ex- ,. pofer a une occafion de pdcher pour des rai- „ fons importantes a la converfion des pdcheurs, „ pourvu qu’on efpere avec le fecours du ciel de „ furmonter le p6ril, & qu’on y foit bien rdfo- „ lu; & c’eft le fentiment du P. Bauny .... Le „ fecond, qu’on peut s’expofer tdm&airement a 3 , ces occafions , & meme les rechercher formel- „ letnent pour de legeres confiddrations: &dece „ fens il n’y en a aucun veftige dans le Livre du ,, P. Bauny, & il ne lui peut etre imputd que par ,, l’organe du demon, comme dit le P. Cauffin. Mais c’eft dtre le plus ridicule de tous les hom¬ ines que de parler de la forte. Il ne s’agit pas ici de favoir en quel fens Bauny a pris ces paroles, mais feulement fi elles fe trouvent dans Bauny , & s’il les approuve. L’Auteur de la Morale des Jefuifes avoit dit (implement, que felon la doSrme de Bauny il efi permis de rechercher direclement, pri¬ me & per fe, les occafions prochaines de pecker &c. Iln’avoit donnd aucun fens a ces paroles, que ce- lui qu’elles prdfentent d’elles-memes a l’efprit. Que difent la-delfus le P. Pintereau & le P. Caus- finV Avouent -ils que cette opinion eft de Bauny dans un fens, & qu’elle n’en eft pas dans un au¬ tre ? Nullement. Ils ailment tous deux abfolu- ment & fans diftinction, qu’on ne trouve dans Bau¬ ny aucun veftige de ce fentiment. Vous venez douze ans apres, vous dites, pour couvrir leur men- (i) Rfp. a la jj, Zch, Mauvaise Foi de l’-Apologiste. 251 menfonge , qu’ils ont nid que cette opinion fut dans Bauny, parce que ce Cafuille ne la foutient que dans un bon fens. Ne voyez - vous pas que Tdquivoque dont vous fuppofez qu’ils fe font fer- vis, eft encore plus honteufe que leur inenfonge ineme? Voila done quelle eft la ilncdritd des Jdfuites, Quand on leur reproche queiques paiTages dvir demment mauvais de leurs Auteurs, s’ils peuvent inventer un fens qu’ils s’imaginent que ces Auteurs n’ont point eu, ils font abftradtion de leurs paro¬ les & de tout autre fens; & avec cette reftriction mentale ils crient a l’impofture, ils jurent hardi* ment & avec imprecation qu’on ne trouve dans tous leurs Ecrits aucune marque ni aucun veftige des paiTages qu’on leur reproche ; ils accufent ceux qui prdtendent les y avoir trouvez , d’etre les plus inf times fycopbantes de la Terre, les organes du demon, & pires que le demon meme. ]e fai cependant bon grda I’Apologifte, denous avoir ddcouvert ce merveilleux ufage des reftric- tions mentales. II eft aifd de comprendre main- tenant dans quel fens il impute tant d’impoftures d Montalte. 11 n’a eu qu’a feindre fur chacun des paiTages qu’il examinoit, un fens abfurde , & le leur appliquer intdrieurement , pour avoir droit enfuite de fe plaindre qu’on attribuoit aux Jtfui- tes des fentimens qu’ils n’avoient point. Mais (i cela fuffit pour aflurer la confcience des Jdfuites, cela ne fuffit pas pour appaifer l’indignation du Public. Et queiques raifonnemens que faife TA- pologifte , le P. Cauffin & le P. Pintereau n’en pafferont pas moins pour convaincus d’un men- fonge manifefte , puifqu’ils ont foutenu Tun & l’autre, qu’on ne trouve dans Bauny aucun vefti¬ ge d’une opinion qui y eft en termes formels. L’Apologiite juftifie done tres-mal ces deux Pe¬ res 251 II. Note sur la XV. Lettre. res, da menfonge que Montalte leur reprocbei Mais il juftifie encore plus mal le Pere Bauny.de l’erreur qu’on lui attribue. II enfeigne apres Ba. file Ponce, qu’il efi permis de rechercber me occtijim prochaine de pecher pour quelque bien fpirituel ou tem¬ pore/ de nous ou de notre prochain. Or qu’eft-ce, felon Bauny, qu’une occafion prochaine ? II la ddfinit ainfl lui-meme, (i) „ C’eft, dit-il, tout „ ce qui eft tel de fa nature qu’il fait fouvent tom- „ ber dans le pdchS mortel les perfonnes d’une „ pareille condition , & dont on eft aflurd par ,, 1’expSrience qu’il produit ordinairement le me- ,, me effet dans celles dont il eft queftion Cela eft net. Cepsndant, pour ne pas laifler le moin- dre doute, Bauny & les Cafuiftes, dont il fuit le fentiment, mettent la chofe dans un exemple qui la rend encore plus fenfible. Us demandent: „ S’il eft permis a chacun d’aller en des Jieuxpu- „ blics pour convertir des femmes perdues, en- „ core qu’il foil vraifemblable qu’on y peche.ra, „ pour avoir ddj£ experiments fouvent qu’on eft „ accoutumS de fe laifler after su pSchS, par les „ carefles de ces feintnes. Voila , felon Bauny & felon Bafile , ce que c’eft qu’une occaflon prochaine: c’eft cette occur fion qu’ils difent qu’on peut rechercher dire&e- ment : c’eft fur cela que 1’Apologifte a & les dS- fcndre : c’eft , dis-j'e, cette opinion qu’il fontient netre point rejette'e dansl'Ecolc, & fur laqueUe Mon« take n'a pu fans ignorance quereller le P. Bauny. Voyons done quelles preuves il apporte pour l’ex- cufer, & pour en diminuer Phorreur. „ Cela , dit-il ( 2 ) , a StS pratiquS par plufleurs „ Saints, comme par Judith , qui s’expofa ainfi „ qu’on (1) Theol. Mor. tr. 4 . de pxr.it, q, 14 . p, 54 , ( 2 ) Impofl. 9. MaUVALSE Foi de l’.Afologiste. 253 i, qu’on fait pour fauver les habitans de Bdthulie; ,, par St. Ambroife, qui ailoit dans Les mauvais >, lieux pour en retirer les femmes debauchees... », Et fi ces exemples ne fatisfont pas le Janfdnif- s, te, il peut confulter le Sieur d’Andilly, & lua >, demanderii dans la vie des SS. Peres des D£- j, ferts, il n’a pas aniplement ddcrit l’aftion d’un s, Solitaire qui fe jetta dans un lieu de ddbauche *, fous un habit ddguifd pour en retirer fa niece,- A-t-on jamais vu une pareille impudence f Quoi! St. Ambroife a pratique ce que vos Cafuifies en- feignent etre permis ? C’eft-a-dire qu’il n’a point fait de difficult^ d’aller dans des lieux publics, quoi- qu’il eftt fouvent experiments qu’il dtoit accoutu- de fe laifler aller au pdchd par les careffes des femmes qu’il y trouvoit? Car voila dequoi il s’a- git. Ne rougiffez-vous point deparler d’unemanie* re fi indigne d’un fi grand Saint? Rougiffez au moins de votre ignorance, qui vous etnpeche de voir que ces fortes d’occafions Stoient des occa¬ fions tres-Sloigndes pour St. Ambroife, pour Ju¬ dith , & pour ce Solitaire ; ou plutfit qu’elies n’S- toient point proprement des occafions de pScher pour eux, parce que Dieu leur avoir donnS le don de la ehaftetd, & qu’ils dtoient conduits en cela par un mouvement particulier de fon efprit, de forte que ce n’Stoit point tSmdrairement qu’ils s’expofoient a ces fortes de dangers. Mais vos Cafuifies permettent la m§me choie a ceux 4 qui ces occafions font vdritablement des occafions prochaines de richer, pour avoir ddjj experiments fouvent qu’ils ont accoutumd de fe laiffer aller au pdcbd par les careffes deces femmes. Eft-ce done 14 juftifier vos Confreres des menfon- ges qu’on leur reproche, que d’en faire de nou- veaux, & d’y ajouter la fourberie & I’impidtS? Le P. Cauffin & le P. Pintereau ont fait un men* fonge. 254 ill- Note sur la XV. Lettre. Tonge, quand ils ont dit que cette opinion n’eft point dans ie P. Bauny; & vous, en difant qu’elle y eft dans un bons fens, vous ajoutez au menfon- ge la mauvaife foi & l’impiete. NOTE III. De h delicateffe des Jefiiites, qui fe plaignent qu'n les a traitez trap durement, parce que MonlaU te dit qu’ils mentent impudemmnt . O N peut appliquer ce que je viens de dire tou ; chant le premier paflage de Bauny aufecond paflage de cet Auteur, fur leque! le P; Brifacier & le P Pintereau font oppofez l’un i Pautre, comme on le peut voir dans la Lettre de Montalte. C?r c’eft preeminent par la m£me Equivoque que l’A* pologifte (Ache, mais en vain , de les concilier. Quant aux plaintes qu’il fait contre Montalte, qu’il accufe de n’avoir pas traic£ les jefuites avec la moderation & I’honnetete ordinaire & fa na¬ tion, & d’avoir fui jufqu’en Allcmagne pour appren- ire d leur dire des injures, parce qu’il leur dit avec le P. Valdrien , Vous Mentez jmpudemment, mentiris mpudentifjime ; que peut-on penfer d’une deiicatefle ft ddraifonnable, finon que les jefuites ont perdu toute honte?Quoi! pendant qu’ils pu« blient tout ce qu’il leur plait contre des Theolo- giens Catholiques, qu’ils les chargent d’injures, les accufent d’h^riille, & meme d’atheiftne, qu’ils leur impofent fans Fondement les erreurs les plus ddteftables, qu’ils inventent tous les jours de nou- veaux crimes contre eux pour fietrir leur reputa¬ tion , on fera oblige de refuter exaiftement des calomnies ft abfurdes & ft cruelles, ou de les fouf- ftir fans 6fer rien dire ? Les jefuites mettroat done Df.licatesse des Jesuites. 255 fes gens de bien a toute heure dans ia ndceflitd de confondre par des volumes entiers Jes calomnies horribles qu’ils publient contre eux , quelque dloigndes qu’elles foient du bon fens? Mais a quoi fert de leur rdpondre, puifqu’ils recommencent a la prdmiere occafion, & qu’ils rdpetent avec la meme hardieffe les impoftures qu’on a millefois ddtruites? A quoi a fervi d’a- voir rdfutd tant de fois, par d’excellens Ouvrages, leurs calomnies fur 1’ancienne loi, fur la grace ndceflitante, fur la decadence de i’Eglife, iur le Concile deTrente, fur i’bomicide de foi-mdme , fur (’obligation- de fuivre fon mouvement intd- tieur? L’Apologifte ne les rdpete pas moins pour cela. Ce n’eft done pas-la comme il s’y faut prendre, pour faire taire des gens de ce caractere. Le meilleur moyen & le plus court eft celui du P. Valdrien, qui rdpond a tout par ces deux mots, Vous mentez impudemment. C’eft ainfi que je rdfuterai toutes les calomnies que l’Apologifte des Cafuiftes repand fi libdralement dans fon Apolo- gie. £n effec eiies font fi horribles, fi imperti- nentes, & fi abfurdes, qu’on ne les peut rdfuter autrement. ]e prie feulementle Lecteu.r de jetter les yeux fur le Catalogue que j’en ai fait» & il verra que jamais homme n’a dcrit avec plus d’em* pertement & de mauvaife foi. Catalogue des calomnies de V Jlpologifle des Cafuiftes. i> TL dit page 5 . que fes adverfaires enfeignent j> * que pour mdriter, il n’eft pas ndeeflaire que si l’homme foie fibre & exemt de contrainte. » Pag- 7- Qu’une de leurs maximes eft,que leg j> Julies doivent en toutes chpfes fuivre les inf- „ tinSs 256 III. Note sur la XV. Lettre. „ tinfts & les mouvemens de la grace interne qui ,, leur fert de loi,fans avoir dgard aux loixextd- rieures, quoique ces mouvemens les contrarient. ,, Pag. 8 Que felon eux les mouvemens de la ,, concupifcence nous font imputez apdchd,quoi. j, qu’ils previerment notre iibertd. „ Pag. 13, Que Mr. Arnauld a deffein d’abro- „ ger la Confeflion Auriculaire. „ Pag 16. Qu’il nkprife les Bulks des Papes, „ & reclame bonteufement un Concile plus g£- „ ndra! que celui de Trente. ,, Pag. 28- Qu’unedes induflries de fes adver- ,, faires ell d’ordonver aux p6cheurs qui s’adref- „ fent a eux, de faire des aum6nes, afin d’en ,, faire un fond contre l’Eglife, & peut-dtre con- „ tre le repos public. ,, Pag. 38. Que leur Secretaire avoue qu’il eft „ entierement ignorant en Theologie. „ Pag- 39 - Qu’ils pourfuivent a dire qu’on peut ,, tenir les cinq propofitions, quoique le Pape les „ declare hdrdriques ,, Pag. 47 Q ue l’Abbd de St. Cyran fe propo- „ fe, comme ayant commiflion de Dieu pour re- ,j dreffer les fautes de toute l’Eglife. „ Pag. 48. Que fes Difciples empScbent leurs ,j Serviteurs de fe confeiTer quand ils y font obli- „ gez, & d’entendre la' Meffe les jours de fetes.^ „ Pag- 57 Que leur maniere d’agir donnea „ plufteurs de violens foupqons que l’efprit de ,, Judas ne poflede leur caba/e, & qu’ils ne pren* „ nen' le prerexte des Pativres pour remplir la » calTette du Sieur N- jj Pag. 73. Que plufieurs conjefturent avec de n grandes probabilitez, qu’ils prdtendent exter- ,, mine- le Sacrement de I’Autel & eeluide laPd- tj nitence. >> Pag. 73, Qu’il parolt affez vifiblement dans » »> l es Calomnies de l’-Apologiste. 257 „ les Livres de leurs principaux Auteurs, qu’ils „ fe propofent pour but d’andantir Je facrifice de „ la Meffe & de I’Euchariftie. „ Pag. 74. Qu’il eft a craindre que ces Rifor- „ mateurs n’ayent deifein, comme autrefois Lu- „ ther & Calvin, d'Ater le cdlibat des Prekres. „ Pag. 76. Que leur adreife pour avoir de¬ ss quoi fournir aux frais de la Se£le,ett plus rafi- ,, nde & plus connue que n’a eld telle de >» Calvin. En mon particular, ajoute-t-il, j’en » ai appris des fouplefles qui me furprennent. . . >, Je ne vepxpas, pourfuit-il, raconter en detail » les bons tours que les Janfdniftes ont faits pour „ duper les perfonnes de qualitd & pour difpo- }> Cer de leurs bourfes. Je dirai feulement qu’i >, entendre parler quelques-uns de ceux qui one » paiK par les mains de leur grand Dire&eur qui i, fait rant le defintdreffd, il eft merveilleufement » habile en Part d’amaifer des aum6nes. Et ceux- » la meme croient que ft l’argent & la bonne »< there manquoient tant foit peu a ce Prddica- >, teur Apoftolique & Direfteur des ames choifies, i> il donneroic bien-t6t un avertiffement h fon » auditoire, pared A celui que donna le Miniftre ii de Montreal au fien. Cet homme voulant pa- 11 roltre deiintdreiR & contrefaire l’Homme A- ii poftolique, fit mine quelque terns de ne pas 11 precher pour la retribution. Le peuple fe 11 contestant de loner fa vertu, ne fe mit pas en 11 peine de lui donner la rdcompenfe accoutu- i) mde: de quoi ce Prddicateur fe lafla bien-tdt, n & dit publiquement en chaire : Mejfieurs ,-il j ,1 a qffez long terns que je fouffre: fi je ne fuis paje ■1 de mes appoinlemcns, ne penfez p a * qw je retourne >• ici /nire la BSte. >» ^ a g- 80. Nous favons, dit il, que les Jan- ■> Unifies fe nent des Vceux de Religion. Tome III. & n Pag' 258 HI. Note sur la. XV. Lettre. • „ Pag. 89. Qu’ils font bons amis de Theodore ,i de Beze. „ Pag. 123. Qu’ils attaquent tous les Jurifcon- ,i fuites avec les Canoniltes, & mdprifent l’Lcole „ de St. Thomas & celle de Scot. „ Pag. 131. Qu’iis laiflent en apparence a No- ", tre-Dame le nom & la qualitd de Mere de ,, Dieu, mais a cela pres qu’iis la ddpouillent de „ routes les prerogatives que la SainieTrinitd iui „ a donnees, d’Avocate, d’Afyle, & de M6dia- 5, trice des pdcheurs. „ Pag. 132. Quel ch&iiment, dit-il, ne mdri- „ tent point les JanKniftes & leur Secretaire, qui „ dans leur neuvieme Lettre ont compote unLi- „ belle diffamatoire contre la Mere de Dieu? „ Quelle peine peut expier le crime des Librai- „ res qui impriment des biafphemes contre la ,, Reine du Cie! ? Et quelle excufe peuvent avoir ,, ceux des habitans de Paris qui ont entendu „ publier par les rues ces impidtez, qui les ont ,, lues dans leurs maifons, & qui ont pris plaifir ,, A ces bouffonneries ? Les Hiftoriens nous ap- „ prennent que Dieu a fouvent vengd le des- „ honneur qu’on faifoic H fa Mere, par des chAti- ,, mensextraordinaires: lesLettres nous donnent „ fujet d’en apprdhender de pareils... Paris ref- ,, fent ddja de grandes maladies , qui peut-eire ,, ne font que des difpofitions a de plus dange- ,, reufes. Le vrai moyen de les prdvenir, c’ett „ de demander pardon a JaVierge dudesbonneur ,, qu’elle a re?u de ces Letties, lui promettant „ de diffiper Port Royal, & d’exterminer le Jan- „ fdnifme:& pour cet impieSecretaire, il devroit ,> craindre ce qu’autrefois on pratiquoit a Lyon „ envers ceux qui avoient compote de ntechantes „ pieces: on les conduif'oit fur le Pont, & on „ les prdcipitoic dans ie Rhone: Va mundo a fm - (tula: 99 CaEOMNIES DE l’ApoLOGISTE. 25p >, dalis : melius eft ut fufpendatur mola ajinaria collo „ cjus, & demergatur in pro fun Jam mans, „ Pag. 138. Je rapporterois id, die-il» des cas „ particuiiers de leur hypocrifie,fi toutlemonde , j ne connoiflbit leur artifice a furprendre le peuple. ,, Pag. i4y. Si nous n’avioos pour vous plus „ de direction & de charitd que vous n’en avez „ pour les Cafuiites, vous iavez bien qu’il ne „ nous feroit pas mal-aifd de tirer un ridtau qui ,, ddcouvriroit bien des chofes. (11 s’agic dans „ cet endroit de la charted) „ Pag. 152 Les Janfdniftes enfeignent que „ e’eit pdchd mortel d’entendre la Meife en pd- „ che mortel. ,, Pag. 171. Le Secretaire a donnd un juite fu* „ jet de croire qu’il n’eft pas fi chaite qu’dtoit Jo- „ feph, & que s’il n’avoit dtd ddpouilld d’une „ autre fagon que ce Patriarche, peut-etre qu’il j, n’auroit pas tant fait d’inveftives contre les „ Cafuiites, de ce qu’ils n’obligent pas les fem- „ mes a reitituer k ceux qu’eiles ont ddvalifd par „ leurs cajolleries. ,, Pag. 179. Lorfque la Bulle d’Innocent X. „ contre vos cinq propofitions fut regue en Fran- „ ce par l’autoritd du Roi, ce coup auquel vous „ n’aviez pu parer, humilia fi fort votre fiertd, „ que de peur de vous voir abandonnez des per- „ fonnes de condition qui n’avoier.t pas cru que „ votre doftrine fut herdtique, vous employees m toutes les foumiffions dont les perfonnes vain- „ cues ont accoutumd de fe fervir. Vos confddd- „ rez, qui ont ddbitd vos Lettres avec tant d’ar- „ deur par la France, couroient pour-Iors par les „ maifons des Grands, & le ventre contre terre ,, prioient qu’on efit dgard a leur rdputation. Us ,, ne demandoient qu’un peu de terns pour fe dd- „ faire de cette pernicieufe doctrine, qui depuis R i „ tant 2 6 o III. Note sur la. XV. Lettre. „ tant d’anndes avoit piis racine dans leuts ef- » P tits - „ Pag. 185. Ce qui a donnd en partie occafion „ i nos Seigneurs les Pr^lats d’exiger cette pro- „ feffion de foi, & de s’affurer de la doftiine de „ ceux a qui on confie les Morrafteres de Filles; ,, c’eft qu’iis prdvoyoient que le Diable feroit ,, avec le terns plus de ddgats dans ces maifons ,, par ces auftdritez afleftdes, que Luther n’en a „ fait par (es debauches fcandaleufes. Quand cet „ Apoftat ddbaucha une Religieufe, il fut long- „ terns fans l’6fer epoufer, parce que tout le mon- „ de, & m§me le Due de Saxe fon protedleur, „ improuverent cette action facrilege. Mais le „ Diable fe prepare maintenant 4 faire un ravage „ bien plus horrible. Car fi on le laifloit faire ce ,, qu’il pretend, il changeroit en peu de terns un ,, Monaftere de Vierges chaftes en un Serrail de „ Filles impures, fans que perfonne s’en apper^ut „ & fans qu’on y put rdm£dier. Voil 4 une petite partie des calomnies honteu- fes & indignes.dont cette Apologie d&eftable eft remplie. J’efpere que les Jdfuites en auront hon- te eux-memes, fi jamais ils ont quelque inter¬ vale de bon fens. Montalte m’apprend a imiter le P. Valdrien, & a ne les point rifuter amre- ment,qu’en declarant a la face de route la terre a cet Auteur impertinent, & a tous les Jdfuites, qu’iis Mextent IMPUDEM&IENt. Us ne peuvent s’dchapper apres cette declaration: il faut qu’iis patient pour des calomniateurs, s’ils ne prouvent routes ces calomnies, & s’ils ne tirent entin ce rideau, qu’iis nous menacent tant de tirer. Oui, tries Peres, quitez cette moderation af- feftde, dont vous couvrez votre foiblefle & vos mddifances. Tous vos adverfaires le veulent bien. 11s ne fe plaindront point que vous publiyez Jeurs d£- Calomnies de l’Apologiste. 2 6 l ddreglemens fi vous en connoiflez. PrSchez fur les toits ces tnifteres d’iniquitd. fi n’y en a pas un, qui non feulement ne vous le permette, mais mdme qui ne vous le demande avec inltan- ce. Et je vous r£p£te encore ici ce que Moncalte vous die en un endroit:, „ II n’y a plus moyen „ de reculer, mes Rdvdrends Peres:Ne point r6- „ pondre dans cetfe occafion, e’eft avouer que ,, vous etes coupab'es, & pailer pour descalom- ,, niateurs convaincus. Tous jufqu’aux plus grof- „ fiers reconnoitront que fi vous vous taifez, vo- „ tre patience ne fera pas un effet de votre dou- „ ceur, mais du trouble de votre confcience. Au relte , mes Peres, ne croyez pas que ce foit le d£fir de ddfendre la reputation des perfon- nes que vous avez ddertees, qui m’oblige a vous parler ainli. J’ai un autre motif plus preifant. Je vois avec douleur le danger auquel tous ex- pofez le falut d’une infinite de perfonnesfimples, qui vous croient trop legerement, & qui fe dam- nent malheureufement en rdpdtant fur votre pa¬ role les calomnies que vous leur ddbitez. Or je crois que le meiileur moyen de les tirer de i’er- reur oil elles font, eft de leur faire connoifre par cette declaration publique , que vous £tes manifeftement convaincus de tnenfonge. Enfin , mes Peres, peut Stre ne le croirez- vous pas; e’eft votre propre falut que j’ai prin- cipalement en vue. Vous ne pouvez rentrer dans la voie du falut, fi vous ne vous retrattez pu- bliquement. Et rien n’eft plus capable de vous y engager, que de vous mettre , comme ie fais, dans la neceflitd d’avouer ce que tout le monde reconnoitra malgrd vous , quand mSme vous ne l’avou^riez pas. 2 62 SEIZIEME LETTRE (1). AUX REVERENDS PERES JESUITES. CalompAes horribles des Jtfuites contre depieux Ecclejiajtiques de famtes Religieuj'es. Du 4. Decembre Mes Reverends Peres, Oici la fuite de vos calomnies, ob je repondrai d’abord & celles qui reftent de vos /Ivertiffemens. Mais comme tous vos autres Livres en font egalement rem- plis , ils me fourniront afi'ez de madere pour vous entretenir fur ce fujet autant que je le jugerai nbcefl’aire. Je vous di- rai done en un mot fur cette fable que vous avez femee dans tous vos Ecrits con¬ tre Mr. d’lpre, que vous abufez malicieu- lenient de quelques paroles ambigues d’u* ne de fes (2) Lettres, qui etant capables d’un bon fens doivent dtre prifes en bon¬ ne part , felon l’elprit de l’Eglife , & ne (t) Le plan & les materiaux de cette Lettre ont ete' fournis par Mr. Nicole. (z) Ces Lettres de Janfe'mus, Eveque d’lpres , furetit d’abord imprimees par les jeinites, qui en ont encote les Originaux, qui lent ont ete remis, quand on ane- ta Mr. de S. Cyxan; 8c depisis ce temi-la le P. Gerberon les a fait reimprimei dans les Pais-Bas, aves des Notas ties- cur ieules. peu- Cal. des Jes. contre Port-Rot. i6% peuvenc dtre prilcs autrement que felon l’elprit de votre Societe. Car pourquoi voulez-vousqa’endifanc a fon ami: Nevous inettez point tant en peine de votre neveu, je lui fournirai ce que ejt necejfaire de 1 ’argent qui eft entre mes mains, il ait voulu dire par- la qu’ii prenoit cec argent pour ne le point rendre , & non pas qu’ii 1’avanqoit feule- ment pour le remplacer ? Mais ne faut-il pas que vous foyez bien imprudens , d’a- voir fourni vous-memes la conviction de votre menfonge par Ies autres Lettres de Mr. d’lpre que vous avez imprimdes , qui mavquent viliblement quece n’etoit en effet que des avances , qu’ii devoit remplacer. C’eft ce qui paroit dans celle que vous rap- portez du 30. Juillet 1619. en ces terines qui vous confondent : Nevous fouciezpas des avances, il ne lui manquera rien tant qu'il jera ici. Et par celle du 6 . Janvier K 520 . ofi il die; Nous avez trap de hate ; (ft quand il feroit quejlion de rendre compte, le peu de credit que j'ai ici me feroit trouver de I’argent au hejoin. Vous dtes done des impofteurs, mes Pe¬ res , auftl bien fur ce fujet que fur votre con- te ridicule du tronc de St. Merri. Car quel avantage pouvez vous tirer de l’accufation qu’un de vos bons amis fufeita a cet Eccle- uaftique que vous voulez dechirer? Doit* on conclure qu’un homme eftcoupable, E arce qu’ii eft accufb ? Non, mes Peres. >es gensde pibte comme lui pourront tou- jours dtre accufez, tant qu’iiy auraaumon- R 4 de z6\ XVI. Lett. Calomn. des Jes. de des calomniateurs comme vous. Ce n’eft done pas par l’accufacion , mais par l’arrdt qu’il en faut juger. Or 1’arrdt qui en fat rendu Ie 23 ,Fevrier 1 6 j 6 . le juflifie pleinement. Outre que celui qai s’dtoit en¬ gage tdmdrairement dans cette injufte pro¬ cedure, fut defavoue par fes colldgues, & force lui-mdme it la retra&er. Et quant a ce que vous dices aumdme lieu de ce fameux DireSteur , qui fe fit riche en un moment de neuf cens mille livres , il fuffit de vous ren- voyer a Mrs. les Curez de St. Roch, &de St. Paul , qui rendront temoignage d tout Paris de (bn parfait defintbreffement dans eette affaire , & de votre malice inexcuia- ble dans cette impofture. En voila affez pour des fauffetez fi vaines. Ce ne font-la que les coups d’effai de vos Novices, & non pas les coups d’importan- ce de vos grands Profes. J’y viens done, xnes Peres ;je viens a cette calomnie, 1’une des plus noires qui foient forties de votre efpric, Je parle de cette audace infuppor- table avec laquelle vous avez 6f6 imputer ik de faintes Religieufes, & a leurs Direc- teurs, de nepas croire leMyftere de la Trans- JubJlantiation , ni la Prefence Reelle de Jefus- Chrifl dans I’EucbariJUe. Voila, mes Pe¬ res, une impofture digne de vous. Voilk un crime que Dieu feul eft capable de pu- nir, comme vous feuls dtes capables de le commettre. II faut dtre aufti humble que ces humbles calomnibes , pour le fouflrir avec patience; &ilfauc btre auffi mechant que Contre Port-Royal. 265 que de fi mdchans calomniateurs, pour le croire. Je n’entreprens done pas de lesen juftifier; elles n’en font point fuipe&es. Si elles avoient befoin de dbfenfeurs , elles en auroient de meilleurs que moi. Ce que j’en dirai ici,ne fera pas pourmontrerleur innocence, mais pour montrer votre ma¬ lice. ]e veux feulement vous enfaire hor- reur & vous-mdmes , & faire entendre ft tout le monde, qu’apres cela il n’y a rien dont vous ne foyez capables. Vous ne manquerez pas ndanmoins de dire que je fuis de Port-Royal; car e’eft la prdmiere chofe que vous dites a quicon- que combat vos exces; comme fi on ne trouvoit qu’a Port-Royal des gens qui eftf- fent aflez de zele pour ddfendre contre vous la puretb de la Morale Chrbtienne. Je fai, mes Peres, le mbrite de ces pieux Solitaires qui s’y etoient retirez, & com- bien i’Eglile eft redevable a leurs Ouvra- ges fi bdifians & fi folides. Je fai combien ils ont de pidtd & de lumieres. Car encore que je n’aye jamais eu d’btablifiement avec eux, comme vous le voulez faire croire, fans que vous faebiez qui je fuis , je ne laifle pas d’en connoitre quelques-uns, & d’honorer la vertu de tous. Mais Dieun’a pas renferme dans ce nombre feul, tous ceux qu’il veut oppofer ft vos defordres. J’efpe- re avec fon fecours, mes Peres, de vousr le faire fentir; &s’ilme fait la grace deme foutenir dans le deflein qu’il me donne, d’emplover pour lui tout ce que j’ai requ E j de $.66 XVI. Lett. Calomn. des Jes. de lui: je vous parlerai de telle forte, que je vous ferai peut-dtre regretter de n’avoir pas affaire & un homme de Port-Royal. Et pour vous le tdmoigner, mes Pdres , c’ell qu’au heu que ceux que vous outragez par cette infigne calomnie,fe contentent d’of- frir k Dieu leurs gemiffemens pour vous en obtenir le pardon, je me fens oblige, moi qui n’ai point de part k cette injure, de vous faire rougir a la face de toute l’Eglife , pour vous procurer cette confu- fion falutaire dont parle l’Ecriture , qui eft prefque 1’unique remede d’un endur- cilfement tel que le vdtre : Imple facies eorum ignominid, queerent nomen tuum, Domine. II faut arrdter cette infolence, qui n’d- pargne point les lieux les plus faints. Car qui pourra etre en furete apres une ca* lomnie de cette nature ? Quoi , mes Pe¬ res , afficher vous-memos dans Paris un Livre fi fcandaleux avec le nom de votre Pere Meinier a la tdte, & fous cet infa¬ me titre : Le Port - Royal £? Geneve d'in - telligence centre le tres-Jaint Sacrement de I'Autel, oh vous accufez de cette apofta- fie, non feulement Mr. l’Abbd de St. Cy- ran, & Mr. Arnauld ; mais aulfi la Mere Agnbs fa foeur , & toutes les Religieufes de ce Monaftbre , dont vous dites pag. 96. Ojte leur foi eft auffi fufpeSte touebant VEuchariftie que celle de Mr. Arnauld , le- quel vous foutenez pag. 4. dtre effective- ment Calvmiftel Je demande lii-deffusatout CoNTRE PORT-ROYAE^ le monde , s’il y dans l’Eglife des perfon- nes fur qui vous puiffiez faire tomber un fi abominable reproche avec moins de vrai- femblance? Car dites-moi, mes Pdres. Si ces Religieufes & leurs Diredleurs etoient d'intelligence avec Geneve centre le tres-faint Sacrement de I'Autel , ce qui eft horrible k penfer , pourquoi auroient-elles pris pour le principal objet de leur piete ce Sacre¬ ment qu’elles auroient en abomination ? Pourquoi auroient-elles joint a leur regie l’inftitution du St. Sacrement ? Pourquoi auroient-elles pris l’habit du St. Sacrement, pris le nom de filies du St. Sacrement, ap- pelld leur Eglife l’Kglife du St. Sacre¬ ment? Pourquoi auroient-elles demandb& obtenu de Rome la confirmation de cette inftitution , & le pouvoir de dire tous les Jeudis l’Office du St. Sacrement, oh la foi de i’Eglife eft fi parfaitement exprimee, fi elles avoient conjure avec Geneve d’abolir cette foi de l’Eglife? Pourquoi feferoient- eiles obligees par une devotion particulie- re, approuvbe auffi par le Pape , d’avoir fans-cefle, nuit & jour, des Religieufes en prefence de cette fainte hoftie, pour rdpa- rer, par leurs adorations perpdtuelles envers ce lacrifice perpetuel, l’impibtd de l’herd- fie qui l’a voulu aneantir ? Dites-moi done, mes Pdres , fi vous le pouvez , pourquoi de tous les Myfieres de notre Religion el¬ les auroient laiifd ceux qu’elles croient, pour choifir celui qu’elles ne croiroient pas? Et pourquoi diesfeferoientddvoubes d’uue 268 XVL Lett. Calomn. des Jes. d’une maniere fi pleine ci l’utilitb que vous en efperiez: de forte qu’en penfant bviter le vice de la mbdifance, vous en avez perdu le fruit: tant le mal eft contrai- re a foi-meme, & tant il s’embarraffe & fe detruit par fa propre malice. Vous CoNVAINCU DE C/iLOMNIE. 293 Vous calomnieriez done plus utilemeut pour vous, en faifant profeffion de dire avec Sc. Paul, que les fimples mbdifans, vialedici, font indignes de voir Dieu;puis- qu’au raoins vos mddifances en feroienc plutdc crues, quoiqu’a-la-vbrite vous-vous condamneriez vous-mbmes. Maisen difant, comme vous faites, que la calomnie con- tre vos ennemis n’eft pas un crime, vos mbdifances ne feront point crues, & vous ne laifferez pas de vous damner. Car il eft certain, mes Peres, & que vos Auteurs graves n’anbantiront pas la juftice deDieu, & que vous ne pouviez donner une preuve plus certaine que vous n’btes pas dans la verite, qu’en rec-ourant au menfonge. Si la vbritb btoit pour vous , elle combattroic pour vous: elle vaincroit pour vous: & quelques ennemis que vous euffiez, la veri¬ te vous en delivreroit , felon fa promeffe. Vousn’avez recours au meufonge que pour foutenirles erreurs dont vous flattezles pb* cheurs du monde, & pour appuyer les ca- lomnies dont vous opprimez les perfonnes de piece qui s’y oppofent. La veritb btant contraire h vos fins , il a falu mettre zotre confiance au menfonge, comme dit un Pro- phete. Vous avez dit : Les malbeurs qui ajfligent les homines ne viendront pas jufques a nous: car nous avons efpere au menfonge , <3 le menfonge nous protegera. Mais que leur rbpond le Prophete? D'autant, dit-il, que vous avez mis votre efperance en la ca- lomnie au tumults , fperaflis in calumnia r r > 1 J & £94 XVI. Lett. Le P. Brisacier. & in tumultu, cette iniquite, & votre ru'ine J'era femblable a celle d’une haute muraille qui tombe (Tune chute imprevue; & d celle d’un vaijfeau de terre, qu’on brife e? qu’on ecrafe en toutes Jes parties, par un effort Ji puiffant £? Ji univerjel, qu'il n'en rejtera pas un tefi avec lequel on puijfe puifer un peu d’eau, ou porter an peu de feu: parce que , comme die un autre Prophete, ww avert affligele cceur dujujle, que je n'ai point afflige moi-meme ; £? vous avez fiatte & for life la malice des Jmpies. je retirerai done mon peuple de vos mains, & je ferai connoitre que je fids leur Seigneur & le votre. Oui, , mes Peres , il faut efperer que ft vous ne changez d’efprit, Dieu retirera de vos mains ceux que vous trompez depuis il longtems, foie en les laiflant dans leurs defordres par votre mauvaife conduite, foit en les empoifonnant par vos medifan- ces. Il fera concevoir aux uns que les jfauffes regies de vos Cafuiftes ne les met- tront point a couvert de fa colere; & il imprimera dans 1’efprit des autres la jufte crainte de fe perdre en vous ecoutant, & en ajoutant foi a vos impoftures; comme vous-vous perdez vous-memes en les in* ventant, & en les femant dans le monde. Car il ne s’y faut pas tromper; on nc fe raoque point de Dieu, & on ne viole point impunement le commandement qu’il nous 8 fait dans l’Evangile, de ne point con- damner notre prochain, fans dtre bien af* fare qu’il eft coupable, Et ainfi quelque pro- CONVAINCU DE CALOMNIE. 295 profeffion de pi£td que faffent ceux qui fe rendent faciies a recevoir vos menfonges, & fous quelque pretexte de devotion qu’ils le faffent, ils doivent apprehended d’etre ex- clus du Royaume de Dieu pour ce feul crime, d’avotr impute d’auffi grands crimes que 1 ’herefie & le fchifme a des Pretres Catho* liques & a de Saintes Religieufes, fans au- tres preuves que des impoilures auffi grof- fieres que les votres. Le Demon, dit Mr. de(r) Geneve, eji fur la langue de celui qui medit, & dans I'oreille de celui qui re¬ route. Et la medijance , dit St, Bernard, Cant. 24 ejt un poijon qui eieint lei cb&rite en Vun & en I’autre. De forte qu'une fettle calomnie -petit ilre mortelle a une infinite, d'mie-s , puif- qu'elletue non\feulment ceux qui la publient, mais encore tons ceux qui ne la rejetient pas. Mes Reverends Peres,mes ne fai fi vous avez bien Lettres n’avoient pas ac- choi.fi , & ft le monde ne Cputume de fe fume de fi dira p 3 s que vqus avez eu pres, ni d'etre ft etendues. pe«r des Benedi&ins. Le peu de terns que j'ai Je vier.s d?apprenclre que eu, a ete caufe de run & celui que tout le monde fai- de i’autre* Je n'ai fait ceile foit Auteur de vos Apofa* ci plus longue, que pares gbs ? les defavoue r & fe far que je n*ai pas eu le. loifir che quon les luj attrihue. U de la faire plus courte, La a raifon , Qf fat tort de raifon qui m*a oblige de me I'en avoir Joupponne. Car hater, vous eft mieux con- quelque ajfurance qui on rri en nue qu’a moi. Vos Repon- eZt donr.ee , fe devais penf&r fes vqus Jteufftftoiqnt fnal, qdH aveit tr-op de jugement Vous avez bien fait de chan- p^r , ^’Es ddfirs d’une ame enivrde de l’amour de „ Dieu, & transform^ en Jdfus-Chrift,ne „ femblent contenir rien de trop , fi l’on entend „ bien le langage de l’amour , & que Ton confi- „ dere quelles penfdes doit avoir celle qui for rant » heu- Du ClIAPEEET DU Sr. Sackement. 305 3 , heureufement d’elle-mSme, nage dans 1’abime „ de laDivinird. A Louvain le 16. Juillet 1633. Omme l’amour agit avec libertd, il parle „ auffi aveclibertd. II necraint point d’o- „ mettre des chofes dont 1’expreilion fembleroit „ ndceffaire aux homines,parce qu’ii ne parle pas „ tant de la bouche que du tceur, & qu’dtant af- „ furd de la puretd de fes fentimens , il fait que j, Dieu qui 1’aime pdnetre toutes fes penfdes, „ 6c fupplde par la pldnitudede fa connoiflance a „ I’imperfettion de fes difcours & aubdgayement „ de falangue. Ainfi il retranche tout ce qui peut 3 , arrdter l’ardeur defesmouvemens.&l’empecher a, de fe rdpandre tout a la fois dans le iein de 3, Dieu. Il ne fe met point en peine d’examiner 3, fcrupuleufetnent ce que fignifient les termes , ,, lorfqu’ils n’a point d craindre la calomnie, & „ qu’ii peut fans l’entremife des paroles fe faire „ entendre de celui qu’ii aime & dont il eft mu- „ tuellement aimd. C’eft ce que fait voir excellem- „ ment cette DefenJ'e ou Paraphrafe du Cbapckt Se¬ tt crct , fuivant laquelle on peut dire avecvdritd, „ que les ddfirs ardens de cette ame religieufe ne ,, contiennent rien qui ne foit conforme d la Foi „ Catholique. A Louvain le 23. Juillet 1633. Les Adverfaires de ce Cbapckt voyant que les Dotteurs dtoient ainfi partagez , & que les uns 1’approuvoient pendant que les autres le condam- noient, ils n’oferent le ddfdrer d laFacultddePa¬ ris. Us crurent que la Cour de Rome leur feroitplus favorable. Ils l’y envoyerent, dans I’efpdrance qu’ii y feroit cenfurd. Mais le Pape par un decret plein de fageffe ne le jugea digne d’aucune cenfure , & ordonna feulement qu’ii feroit fupprimd, de peur Approbation de Janfenius. Tome JII. V qu’ii %c6 II. Note sur la XVI. Lettre, qu’il ne ffn un fujetde fcandale aux Simples & aux lgnorans (i). Pendant que cela fe paffoit a Rome , la que- relle s’dchaufFa k Paris. Mr. l’Abbd de St. Cyran , auill celebre par la baine implacable que les }&- fuites ont eue pour lui , que par fa pidtd & fa profonde Erudition , dtoit alors dans cette ville. La retraite dans laquelle il vivoit, & fon appli¬ cation a I’dtude, avoit empechd qu’il ne fftt in- formd plutot de cette conteftation. II y avoit d£- ja quatre ou cinq ans que le Chapdet dtoit fait, & il ne l’avoit point encore vu. II n’avoit jamais vu non plus la Religieufe qui l’avoit compofd, & ne lui avoit jamais parld. Mais un Pr£lat qu’on avoit enveloppd dans cette difpute, voulut favoir fon fentiment. Cet Abbd examina le Chapdet. Il reconnut l’injuftice de la cenfure des huit Doc- teurs qu’on avoit imprimde. Il en fut indignd, & il prit la rdfolution de ddfendre l’innocenee de PAuteur , quoiqu’il ne le connut point du tout. Il rdfuta done cette cenfure. Il repondit au Li- belle que le P.Binet Jdfuite avoit publid contre ce Chapekt. Il detruifit les accufations de ce Pe- re , & dclaircit ce qu’il y avoit d’obfcur dans les paroles de cette Religieufe , avec tant de lumie- re (i) En effet ce Chapdet eft un Ectit ft intelligible & ft peu important, que fi on ne craignoit de blefler le refpedt du a ces grands homines qui n’ont pas cru devoir le meprifer, on di- loit qu’il ne meritoit ni d’etre attaque ni d’etre de- fendu. Ce qu’on peut dire plus certainement, e’eft que ft Mr. I’Abbe de St. Cyran avoit eu a le de'fendre en ce tems-ci, & Mr. Nicole a parler de cette Difenfe tel¬ le que nous l’avons » le pre'mier auroit evite quel- que expreffion trop favora¬ ble a la nouvelle Spirituali¬ ty que l’on vient d’achever de profcrire T & le fecond n’auroit jamais ainli loue fans referve un Ouvrage dont on pourroit abufet : e’eft ce que l’on fait deK r » Nicole metne. Du Chapelet du St. Sacrement. jo7 re & de nettetd, qu’il fembloit avoir entierement defarmd ceux qui l’avoienc condamnde. Cette ddn fenfe du Cbapelet , qui eft une Piece admirable, dgalement remplie de fcience & de pidtd , rouie toute fur ce fondement folide. „ Pour bien com- t , prendre, dit-il, cette dodtrine, il faut fuppoftr „ que laFilleayantdefleind’exalter Jesus-Chkiit „ par-deffus les creatures,eiieleregarde toujours j, felon la Divinitd, & felon ce qu’il eft non dans „ les abaiifemens oil il s’eft rdduit volontairemenc s, pour nous , mais dans fon etre propre & fon „ Eminence divine. Etqu’au-contraireelle regarde les homines, non dans la condition beureufe ., oil il les avoit mis par la prdmiere creation* „ mais dans la mifere & la bafteffe oil ils font tom- ,, bez par le pdchd : ce qu’elie fait pour donner „ gioire A Dieu dans fa propre grandeur, & dans j, celledu ndant & de l’indignitd furquoi il aver- „ fa tant de graces &op£rdtant demerveilles; & j, relever autant Jf.sos-Christ par lui-meme, qu’il ,, s’eft hurnilfa pour nous dans le St. Sacrement* 3, lui rendant par fa charitd comme le contre- „ echange de la iienne. C’eft ainli que cet illuftre Thdologien inter- prete dans un fens Catholique .tout ce qui avoit choqud ces huit Dodieurs dans ce Cbapelet. Son explication parut tellement hors d’atteinte a tout le monde, qu’un Auteur qui entreprit de la rd- futer par une mauvaife rdponfe , qu’il intitula Examen de la doftr'me du Cbapelet Secret du tres-Saint Sacrement, fut contraint d’avouer que le fens que Mr. de St. Cyran donnoit aux expreffions de cette Fiile, dcoit Catholique & tres-Orthodoxe. Ft il fut r£duit a dire feulement que ce fens n’dtoit point le fensnaturel du Cbapelet , mais une glofe & un fens fared. Mr. de St. Cyran ru'ina par un fecond Ecrit routes ces chicanes; & il le lit avec tan* V a de 308 II. Note sur la XVI. Lettre. de clart£ , qu’on peut dire qu’il n’a pas laifK la moindre ombre de difficult^ fur cette matiere. Les Livres qui ont t$t£ faits fur cette difpute font tres-rares,& j’ai eu beaucoup de peine a lestrou- ver. Ii n’y en a pas n^ansnoins qui m&itent davantage d’etre rdimprimez. Car encore quej’aye toujours admire l’elevation d’efprit de cet illuftre Abb6, jamais ii ne m’a paru ft grand que dans ces Emits, par la maniere dont il dgmele toutes lesdifficultezde cette matiere. II n’eft pas croya- ble avec quelle lumiere ii en difljpe les obfcu- ritez , avec quelle force il renverfe fon adverfai- re , avec quelle foliditd il repond a toutes fes objeftions. J’ai cru que cette Hiftoire rte feroit pas inutile a mes compatriotes. Elle empechera qu’ils ne foient trompez par les calomnies des J^fuites, & leur fera connoitre la fauffetd des trois impoftu- res qu’ils avancent fur ce Chapdet. La premiere , quand ils afferent, tant6t que Mr. de St. Cyran en eff Auteur, & tantdt que ce fut par fon confeil que la Reiigieufe Ie compofa : au lieu qu’il eft certain, comme je I’airapportd,que cela eft : rrivd quatre ou cinq ans avant qu’il eut connu ni vu cette Reiigieufe , & qu’il eut feule-; ment entendu parler de cet Ecrit. La feconde , ouand ils prdtendent que cet Ecrit renferme des fens impies & blafphdmatoi- res, quoiqu’il ne foit pas moins certain que ces fens font tout-a-fait dloignez des penfdes qu’a eu cette Fille, comme on I’a prouve fort au long dans les deux Livres dont j’ai parld. La troifieme enfin, quand ils attribuent par la plus grande injuftice du monde ces fens impies, qu’ils s’imaginent trouver dans le C hapekt, 3 ceux qui ia ddfendent. Car enfin quel qu’ait 6 t 6 le fens de la Reiigieufe qui l’a compofd, il eft tout- Miracles faits a P. R. 309 tout-i-fait d&aifonnable d’attribuer ces fens im- pies k ceux qui Jes ddteftent A ia face de toute Ja terre, & qui nient feulement qu’ils foient ren- fermez dans un Ecrit qu’ils croient devoir inter¬ preter d’une maniere plus favorable. NOTE III. Recit abre'ge ics Miracles faits par la S.iintc Epir.c dans leMonafiere des Religieufes de Port-Royal de Pans. I Ln’yarien de plus eloquent dans toute cet- te Lettre de Montalte, que cet endroic. » Cruels & lAches perfecuteurs, faut-il done que i, les Cloitres les plus retirez ne loient pas des j, allies contre vos calomnies! Pendant que ces 1 , faintes Vierges adorent nuit & jour Jesus- j, Christ au St. Sacrement felon leur inftitu- j, tion, vous ne celfez jour & nuit de publier >, qu’elles ne croient pas qu’il foit ni dans l’Eu» j, chariltie ni meme A la droite de fon Pere, & „ vous les retranchez publiquement de l’Egli- >, fe, pendant qu’elles prient en fecret pour 1 1 vous & pour toute I’Eglifg. Vous calomniez „ celles qui n’pnt point d’oreilles pour vous en- i, tendre, ni de bouche pour vous r^pondre, j. Mais Jesus-Christ en qui elles font cachees, s, pour ne paroitre qu’un jour avec lui, vous 11 iicoutg & rdpond pour elles. On entend au- „ jourd’hui cette voix fainte & terrible, qui dton- „ ne la Nature & qui confole l’Eglife. Et je „ crains, mes Peres, que ceux qui endurciffent „ leurs cteurs,& qui refufent avec opiniatret£ de j, l’ouir quand il parle en Dieu , ne foient forcez V 3 „ de '310 III. Note sur la XVI. Lettre. „ de l’ouir avec effroi, quand il leur parlera en „ Juge. Pour faire comprendre toute la beauti & la force de ces paroles, a ceux de ma nation qui ne font pas inftruits de ce qui s’eft palK en Fran¬ ce, il eft ndceflaire d’expliquer ici ce que c’eft que cette voix fainte & terrible qui etonne la Nature, & qui confole l’Eglife. C’eft ce que je vas faire en peu de mots, en rapportant les mi¬ racles £clatans qu’ii a plft a Dieu d’opdrer depuis quelques anndes en faveur d’un Monaftere inno¬ cent & opprim6 cruellement par les calomnies des J^fuites. Mon deffein eft auifi d’en rendre la v£ritd tellement publique par l’impreffion qui fe fera de ces Notes, que les Jtffuites qui font r£pandus par-tout, & qui fement leurs calomnies par-tout, trouvent aufll par-tout des perfonnes qui foient en dtat de s’oppofer a ieursimpoftures. Il y a Iong-tems que les Jdfuites perffcutent par toutes fortes de moyens le Monaftere de Port-Royal. Leur haine contre cette Maifon vient de diffdrentes caufes; mats les principsles font que la Mere Ang£lique & la Mere Agnes, foeursdeMr. Arnauld, Font gouvernde long-terns; que quatre autres de fes fceurs, fa mere & fix de fes nieces lilies du c^lebre Mr. d’Andilli fon fre- re, y ont pris le voile; enfin que Mr. Arnauld lui-mfime y a exero£ long-terns les fon&ions de Pretre & de ConfeiTeur, ayant trouvd dans ce lieu une retraite tres-propre 5 fes dtudes. Les Jdfuites ne ceffoient done depuis plufieurs ann&s de chercher de nouveaux moyens pour perdre une Maifon qu’ils avoient tant de raifons de hair. Peu s’en fallut qu’ils ne vinffent a bout de lent deffein en 1656, (1) par la tempete qu’ils excite- rent (?) Ce deffein de la deftru&ion de Port-Royal, fi lonj- Miracles faits a P. R. 31 i rent alors contre ce Monafiere. Comme la cu¬ pidity & la haine ne connoiflent point debornes, tous les maux qu’ils lui avoient ddja fait fouffrir, ne fervoient qu’d animer davantage Jeur pailion. Leur principal deffein dtoit d’en faire fortir un grand nombre de Penfionnaires qu’on y dievoit, parmi lefquelles il y en avoit plufieurs d’une naiflance diftingude. On voyoit done 1’orage s’augmenter de jour en j'our, on n’entendoit que menaces d’une ruine prochaine. Les Religieufes en cet dtat, pres de fe voir enlever par la malignity de leurs ennemis leurs cheres Eleves , & n’ayant aucune efpdrance du c<5td des Hommes , ne perdirent point la ferme confiance qu’elles a- voient en Dieu. Elies ne furent point confon- dues dans leur attente. Dieu,qui fe plait quel- quefois a fecourir d’une maniere route extraor¬ dinaire fes Serviteurs accablez fous 1’injuftice des hommes, donna a cette Maifon affligde une marque admirable de fa protection. Elies avoient parmi leurs Penfionnaires une jeune Demoifelle, nommy Margudrite ( 2 ) Pd- rier, longtems medite par les Jefuites, s’eft enfln execute Fan 1709. vers la fin du Regne du feu Roi Louis XIV. 11s furent aidezdans cette louable entreprife, de la foi- blcfie du Cardinal de Noailles, & de l’avidite de Mr. !e Norraand, qui peu fatisfait de fa qualite de Chanoi- ne de St. Honote Sc d’Official de Paris, voulut encore gouter de l’Epifcopat, qu’il a favours longtems. En- fin Mr. Pollet, comme un pre'tcndu Elie, y employa tout le zele qu’infpiroit l’ancienne Loi. Ce fut un Miflion- naite Deilrufteur & Guettier, au lieu que les autres font des Milfionnaites Refotmateurs 8c Conciliateurs. (a) Cette Demoifelle etoit Niece de Mr. pafcal: Je l’ai vue 8c conr.ue a Paris il y a plus de 32. ans: EUe e'roit encore pleine d’une tendre reconnoiflance pour le miracle qui s’etoit opeie fur e!le. 312 III. Note stir la XVI. Lettre. rier, qui depuis trois ans & demi dtoit darge- reufement malade d’une asgylops ou Mule la- cryoiale. Les plus farueux Chirurgiens de Pa¬ ris avoienc inutilement empioyd tout leur art pour la gudrir. La maiignitd du mal 1’empor- toic fur l’habiletd des Mddecins. La matiere fa- nieufe avoit ddja carid l’os du nez , & le pus qui fortoit de fon mil s’dtoit percS un pafiage au travers du palais : en forte qu’une partie ddcouloit fur le vifage, & l’autre partie fe dd- chargeoit dans la gorge. Cette Fille dtoit de- venue par li fi affreufe, qu’elle faifoit horreur i tout le monde ; & l’infedtion de fon mal dtoit fi grande, que les moms ddlicats avoient bien de la peine a la fupporter. Les Chirurgiens dtoient done pres d’y appliquer les derniers re¬ medies , & on dtoit rdfolu d’y mettre le feu. On avoit ddja mandd fon Pere pour etre prd- fent a ce trifle fpeftacle, lorfque Dleu par un prodige furprenant ddlivra tout d’un coup cette jeune Fiile de cette maladie,& toute fa famille de la crainte oil elle dtoit de la perdre. II y a a Paris un excellent Pretre nommd Mr. de la Poterie , dgalement illuftre par fa naiflance & par fa pidtd. La vdndration fingu- Here qu’il a pour les Reliques des Saints , i’a portd a en amaffer un fi grand nombre des plus approuvdes dans fa Chapelle , qu’il n’y a point de Farticulier dans toute l’Europe qui en ait autant que lui. I! avoit eu depuis psu wne dpine de la couronne de Notre Seigneur. Piufieurs Monafteres de Filles de Paris avoient obtenu de lui qu’il la leur envoys, pour l’bo- norer & lui rendre leurs refpedls. Les Reli- gieufes de Pon-Roya! l’ayant appris , & dtant touchdes des mdmes fentimens de pidtd , Is prierent de leur faire la meme grace: ce qa’il Miracles faits a P. R. 313 Ieur accorda. Elies requrent cette prdcieufe re- lique le Vendredi 24. Mars de Pannde 1656. EU les l’expoferent aufli t6t a la vdndration de touts leur Maifon, & les Religieufes allerent routes la baifer chacune en fon rang. Mademoifelle Pd- rier s’dtant approchde a fori tour, la Religieufe qui en avoit foin jetta par hazard les yeux fur elfe, & l’ayant trouvde plus horrible & plus ddfi- gurde qu’a l’ordinaire, elle fe fentit touchde de compaflion, & lui dit de faire toucher fon ceil a la Sainte Epine. Cette Fille obdit fans fonger a autre chofe qu’a faire ce qu’on lui difoit. Mais ce qui paroit incroyable, dans ce moment md- me elle fut entierement guerie. Le trou que cet ulcere avoit fait a fon palais, fut aufli-t6t re- fermd : l’os qui dtoit carid , fut rdtabli en fon premier dtat: enfin il ne reila pas la moindre marque d’un mal qui dtoit fi affreux. On fit venir peu de terns apres les Mddecins & les Chi- rurgiens qui l’avoient vue pendant fa maladie. A peine cfoyoient-ils ce qu’ils voyoient, a peine pouvoient-ils reconnoitre la Malade d’avec. les autres Penfionnaires: tant la gudrifon dtoit par- faite & entiere! Les Mddecins & les Chirurgiens touchez d’u- ne fi grande merveille, que les Religieufes te- noient fecrette, fe crurent obiigez de la divul- guer. Le bruit s’en rdpandit auffi-t6t dans tout Paris , & on vit tout le monde accourir en foule 1 ce Monafiere pour y honorer cette Sainte Epine. J’dtois pour-lors & Paris: & comme je m’appliquois queiquefois aux Mathd- matiques pour me ddlafler d’autres dtudes plus fdrieufes, j'avois fait une grande liaifon avec Mr. Pafcal , dont tous les Mathdmaticiens de l’Europe connoiifent l’habiletd en ce genre de fcience. 11 dtoit onde de cette Demoifelle, & V 5 temoin 314 III. Note sur la XVI. Lettre. tdrnoin irreprochable de ce miracle. J’allai comme les autres a Port-Royal, & je demandai d voir cette Fille; dtant bien aife, fi je m’en dtois rapportd pour fa maladie au tdmoignage de Mr. Pafcal , qui dtoit un homme digne de toute crdance , tk a celui des Mddecins & des Chirurgiens , de ne m’en rapporter qu’a moi- meme pour fa gudrifon. Enfin pour ne laiiTer aucun lieu au doute, l’autoritd de l’Eglife ache- va de confirmer ce miracle. II fut examind avec toute l’exaflitude poflible par les Grands Vicaires de Mr. l’Archeveque de Paris, afiif- tez de plufieurs Docteurs de Sorbonne. Ils ddclarerent par leur fentence du 22 Octobre 1656 , de l’avis de ces Do&eurs , que cette gudrifon dtoit tresj - certainement furnaturel- le , & un miracle de la toute - puiffance de Dieu. Tout le monde jugea aufli - t6t que Dieu avoit voulu faire connoitre par ce prodige , Pinjuftice des caiomnies que les Jdfuites rdpan- doient corstre ce Monaftere. Car il n’dtoit pas vraifemblable que Dieu choisit particulierement pour etendre fes bdnddiftions , un lieu oil les Jdfuites publioient qu’on jettoit les fondemens d’une nouveiie hdrdfie. Ainfi malgrd ces Peres, la violence de la teinpdte qui dtoit prdte a tom- her fur cette Maifon , fe calina un peu. Tout Paris y alia en foule , & y va encore , a ce que j’entens dire , tous les Vendredis en ddvotion a ce Monaftere, qui eft fitud a l’extrdmitd d’un des Pauxbourgs de la Ville. Les Jdfuites fi- rent tous Ieurs efforts pour ddtourner le peu- ple de cette ddvotion. Ils ne gagnerent rien. Elle augmenta de jour en jour, Dieu faifant connoitre combien die Iui dtoit agrdable par de nouveaux miracles & de nouvelles gudri- Miracles faits a P. R. 315 foils qu’il y opdroit. I.e favant Auteur qui a fait un excellent Ecrit fur ce miracle , en rap- porte plulieurs. Et depuis que je fuis forti de cette Ville , j’ai appris qu’il s’en eft fait enco¬ re beaucoup d’autres. Et j’en apprens tous les jours de nouveaux , entre lefquels il y en a deux furtout qui font remarquables : dont l’un apres un foigneux examen fut ddclard auten- tique le 14. D^cembre 1656. par 1’Eglife de Sens , & l’autre par celle de Paris le 29. Aout J<5j7. Mais ce qu’il faut encore plus remarquer,' c’eft que ces derniers miracles font arrivez de¬ puis la difpute qui s’etoic dlevde au fujet des miracles prScddens , depuis la Conftitution d’A- lexandre VJI. & enfi'n depuis que plufieurs Au¬ teurs avoient publie hautement par itoute la France, que la foi des Religieufes de Port-Royal dtoit juftifide par ces miracles, & les calomnies des JtSfuttes diitruites par l’autoritd de Dieu mi¬ me. Car voila quels furent d’abord les fenti- mens de prefque toute la France ,. & particulie- rement de tout Paris. En vain les Jdfuites s’ef- forcerent de perfuader que Dieu permettoit quelquefois que les Hdrdtiques fiifent des mira¬ cles. Les feules Iumieres de la pidtd chrdtien- ne imprimdes dans le cceur de tous les Fideles.ne permettoient pas de croire que Dieu voulilc rdcompenfer par des gudrifons miraculeufes la piiti des peuples qui venoient vifiter cette Egli- fe, ft leur devotion dtoit auill aveugle & auflG pernicieufe que les Jdfuites le vouloient faire croire; & ce qui eft encore plus confiderable, que Dieu meme autorisat par de nouveaux & de continued miracles des perfonnes qui, felon eux, en abufoient publiquement pojr donner du credit a leurs erreurs. Les 316 III. Note sur la XVI. Lettre. Les Jefuites trouverent encore en cela bien moins de crtance parmi les plus habiles Thtolo- giens, qui foutinrent tous, comme un fentiment conftant & indubitable, que Dieu (i) „ ne fait „ jamais des osuvres miraculeufes qui font vifi- „ biement au»dela de toutes les forces de la ,, nature, & qui ne peuvent etre attributes qu’a „ un coup extraordinaire de fa puiffance infinie, ,, en des terns & en des circonftances qui puif- „ fent porter les hommes , qui en jugent rai- „ fonnablement , a entrer , ou a fe confirmer „ dans l’erreur ”. C’eft pourquoi ils furent in-' dignez de voir que les Jtfuites s’abandonnoient tellement a leurs inimitiez particulieres contre une Maifon qu’ils ha'ilToient , que pour la pri- ver de l’avantage qu’elle pouvoit tirer des mi¬ racles que Dieu y optroit, ils otoient a 1’E- glife meme un de fes plus glorieux caratteres, & prenoient en cela le parti du fchifme & de i’htrtfie. Voila ce que j’ai cru devoir rapporter ici pour la confolation des gens de bien, touchant les miracles finguliers dont Dieu a voulu honorer de nos jours fon Eglife & ce Monaftere. En quoi je n’avance rien dont je n’aye eu foin de m’informer avec la derniere exa&itude. Je n’ai pas jugt que je duffe taire de fi grandes chofes, pour ne point blefler la fauffe dtlicatefle de cer* taines gens, que le feul nom de miracle choque. Je veux bien les avertir ici,qu’au lieu de blamer la crtdulitt des autres, ils devroienc quiter eux- memes cet tloignement qu’ils ont a croire les miracles les plus certains: tloignement qui vient plunk d’une vaine oftentation d’efprit fort, que de (i) Rf'p. a un Ecrit fur le fujet des miracles fails a /> fi, de l'an 1 5 s 6, pag. y. Miracles faits a P. R. grjr de la folidit£ de leur jugement. Car recevoir aveugldment tous les rdcits fabuleux de miracles, & rejetter avec opini&tretd ceux qui font confir- mez par des tdmoins furs & dignes de foi, ce font a la vdritd deux ddfauts oppofez, mais qui font dgalement grands. L’un eft une preuve de ldgeretd, & 1’autre une marque d’impidtd, J’ai tachd d’dviter le premier, & je ne me fuis pas rendu imprudemment & de fimples bruits. C’eft aux letteurs a ^viter le dernier, & a prendre gar¬ de de douter de la toute puiffance de Dieu, de s’imaginer que fon bras foit racourci dans ces derniers terns, & de vouloir mefurer fa force some divine far la foibleffe de l’Homme, 3 r 3 DIX-SEPTIEME LETTRE (1). E C R I T E AU R. P. ANNAT JESUITS, On fait voir en levant V iquivoqua du fens de JanJenius , qu’il n'y a aucune berefie dans I'Eglife. On montre par le confente- ment unanime de tous les Tbeologiens, 6? principalement des Jefuites, que VAutoritl des Papes & des Conciles Oecwneniques n’ejl point infaillible dans les queftions de Fait. Du 23. Janvier, 1657. Mes Reverends Peres, Otre procddd m’avoit fait croire que vous ddfiriez que nous demeuraffions en repos de pare & d’autre, & je m’y etois difpofd. Mais vous avez depuis produit tant d’Ecrits en peu de terns, qu’il paroit bien qu’une paix n’efl gudres affurde, quand elle depend du filence des Jefuites. Je ne fai li cette rupture vous fera fort avanta- geufe; mais pour moi, je ne fuis pas fache qu’elle me donne le moyen de detruire ce reproche ordinaire d’hdrelie , dont vous remplifiez tous vos Livres. II (’> Ce fat Mr. Nicole qui fournit la maeicre de cett* teure. Montalte accuse’ d’Heresie. 319 II eft terns que j’arrdte une fois pour tou- tes cette hardiefle que. vous prenez de me traiter d’herecique, qui s’augmente tons les jours. Vous le faites dans ce Livre que vous venez de publier } d’une maniere qui ne fe peut plus fouffrir, & qui me rendroit enfin fufpeft , ft je ne vous y r^pondois comme le merite un reproche de cette na¬ ture. J’avois meprifd cette injure dans les Ecrits de vos Confreres, auffi-bien qu’une infinite d’autres qu’ils y mdlent indifterem- ment. Ma quinzieme Lettre y avoit affez rGpondu : mais vous en parlez maintenanc d’un autre air, vous en faites ferieufement le capital de votre dbfenfe , c’eft prefque la feule chofe que vous y employez. Car vous dices, que pour toute reponfe d mes quinze Lettres , il fujfit de dire quinze fois que je fids beretiqlie-, qu’etant declare tel, je ne merite aucune creance. Enfin vous ne mettez pas mon apoftafie en queftion , & vous la fuppofez comme un principe fer¬ ine , fur lequel vous bdtiffez hardiment. C’eft done tout de bon , mon Pere , que vous me traitez d’hdrdtique ; & c’eft auffi tout de bon que je vous y vas rbpondre. Vous favez bien , mon Pere, que cette accufation eft fi importance, que c’eft une tdmdritd infupportable de l’avancer , fi on n’a pas dequoi la prouver. Je vous deman- de quelles preuves vous en avez ? Quand m’a-t-on vu k Charenton ? Quandai-je man- qud & la Mefle , & aux devoirs des Chr6~ tiens a leur Paroiffe ? Quand ai-je fait quel- que 320 XVII. L E T T R E. que adtion d’union avec les Heretiques, ou de fchifme avec 1’Eglife? Quel Concileai. je contredit? Quelle Conltjtution de Pape ai-je violee? 11 r'aut repondre, mon Pere, ou. . . . . Vous m’entendez bien. Et que rdpondez-vous ? je prie tout le monde de l’obferver. Vous fuppofez premierement, que celui qui ecrit les Lettres , eft de Port- Royal. Vous dites enfuite , que le Port- Royal eft declare heretique : d’ob vous con- cluez , que celui qui ecrit les Lettres eft de¬ clare beretique. Ce n’eft done pas fur moi, mon Pere, que tombe le fort de cette ac- eufation, mais fur le Port-Royal ; & vous nem’en chargez, que parce que vous fup¬ pofez que j’en fuis. Ainfi jg n’aurai pas grand peine a m’en defendre ; puifque je ii'ai qu’a vous dire que je n’en fuis pas , & k vous renvoyer & mes Lettres, oh j’aidit que je fuis feul, & en propres termes, q ue je ne Juis point de Port-Royal , comme j’ai fait dans la feizieme qui a precede votre Livre. Prouvez done d’une autre manidrequeje fuis hdrdtique,ou tout le monde reconnoi- tra votre impuifianee. Prouvez par mes Ecritsqueje ne reqois pas la Conftitution. Ils ne font pas en grand nombre : il n’y a que feize Lettres d examiner, ohje vous ddfie, & vous & toute la Terre, d’en pro- duire la- moindre marque. Mais je vous y ferai bien voir le contraire. Gar quand j’ai dit par exemple, dans la quatorzibme, Qu’en tuant felon vos maxims fes freres en peebi mortel , Montalte Justifie’, 321 mortel , on damne ceux pour qui Jefns-Cbrijb ejt mort , n’ai-je pas vifiblement reconnu qae Jdfus-Chrifteft more pour ces damnez, & qu’ainfi il eft faux qu’il ne foit mort que pour les feuls predeftinez , ce qui eft condam- nd dans la cinquidme Propofition ? II eft done fllr , mon Pere , que je n’ai rien die pour l'outenir ces propofitions iriipies,que je ddtefte de tout mou cceur. Et quand le Port-Royal les tiendroit , je vous declare que vous n’en pouvez rien conclure contre moi, parce que graces a Dieu je n’ai d’at- tache fur la Terre qu’a la feule Eglife Ca- tholique, Apoftolique & Rdmaine , dans la- quelle je veux vivre & rnourir , Sc dans la communion avec le Pape l'on Souverain Chef, hors de laquelle je fuis perfuade qu’il n’y a point de falut. Que ferez-vous & line perfonne qui parle de cette forte , & par oil m’attaquerez- vous; puifque ni mes difeours, ni mes d- crits ne donnent aiicun prdtexte a vos ac- cufations d’hdrdfie, & que je trouvemafu- retd concre vos menaces dans l’obfcuritd qiii me couvre? Vous-vous fentez frappez par une main invifible, qui rend vos dgare- mens vifibles a toute la Terre; Sc vous ef- fayez envain de m’attaquer, en la perfonne de ceux auxquels vous me croyez uni. Je ne vous crains ni pour moi,ni pouraucun autre, n’etant attachd ni & quelque Commu- nautd, ni k quelque Particulier que ce foit. Tout le erddit que vous pouvez avoir, eft inutile & mon egard. Je n’efpere rien du Toms HI. X Monde, 322 XVII. L E T T R E Monde, je n’en apprehende rien, je n’en. veux rien ; je n’ai befoin, par la grace de Dieu,ni du bien , ni de l’autorite de per- Tonne. Ainfi, mon Pere, j’bchappe & tou- tes vos prifes. Vous ne me fauriez pren¬ dre de quelque cote que vous le tentiez. Vous pouvez bien toucher le Port-Royal, mais non pas moi. On a bien deloge des gens de Sorbonne, mais cela ne me delo¬ ge pas de chez moi. Vous pouvez bien preparer des violences contre des Prdtres & des Dodteurs, mais non pas contre moi, qui n’ai point ces qualitez. Et ainii peut- dtre n’efttes-vous jamais affaire h une per- ionne qui fftt fi hors de vos atteintes , & fi propre a combattre vos erreurs , btant fibre, fans engagement,fans attachement, fans liaifon , fans relation , fans affaires ; affez inftruit de vos maximes, & bien rd- folu de les pouffer autant que je croirai que Dieu m’y engagera , fans qu’aucune confi- deration humaine puiffe arrdter ni ralen- tir mes pourfuites. A quoi vous fert-il done, mon Pdre,lorf- que vous ne pouvez rien contre moi, de publier tant de calomnies contre des perr Tonnes qui ne font point melbes dans nos diiferends , cornme font tous vos Peres ? Vous n’echapperez pas par ces fuites. Vous fentirez la force de la vdritd que je vous oppofe. Je vous dis que vous andantiffez la Morale Chrdtienne en la fdparanc de l’a- mour de Dieu, dont vous difpenfez les homines; & vous me pariez de la mort da P.Mef' Montalte JustifieV 323 P. Mefter , que je n’ai vu de ma vie. Je vous dis que vos Auteurs permettent de tuer pour une pomme , quand il eft hon- teux de ia laiffer perdre: & vous me dices qu’on a ouvert un tronc d St. Merry. Que voulez-vous direde mdme, de me prendre tous les jours & parcie fur le Livre de la Sain- te Virginite ( 1 ) , fait par un Fere de l’Ora- toire que je ne vis jamais , non plus que fon Livre? Je vous admire, mon P6re,de confiderer ainfi tous ceux qui vous font: contraires comme une feule perfonne, Vo- tre haine les embraffe tous enfemble & en forme, comme un corps de reprouvez, done vous voulez que chacun reponde pour tous les autres. II y a bien de la difference entre les Jdfuites, & ceux qui les combattent. Vous compofez veritablement un corps uni fous un leul chef ; & vos regies , comme je l’ai fait voir, vous ddfendent de rien im- primer fans l’aveu de vos Supdrieurs, qui font rendus refponfables des erreurs de tous les particuliers , fans qu’ils puijjent s’ex- (1) Ce Livre delaSainte VirgnitS eft une Traduction que lePere Seguenet, Pietre de l'Oratoire, avoir fait d’un Livre de St. Auguftui. Jufques-la il n’y avoit rien a re- prendre: mais ce Pere y joignit quelques remarques bl- zarres & lingulieres, qui ont merite une jufte Cenfute. Lt comme ce Livre venoit d’un Pere de l’Oratoire, dont Ia Congregation a toujours ete attachee a la Doctrine de St. Auguttin, on voulut, mais a tort, en faire retom- ber le blame fur ce qu’on appelloit communement Jan- fetyfles. 324 - XVII. Lett. Phantome s’exciifer en difant, qu'ils n'ont pas remartjul les erreurs qui y font enfeignees , parce qu'ils doivent remarquer , felon vos Ordonnances, & felon les Lettres de vos Gbneraux A* quaviva, Vitellefchi, &c. C’eft done a- vec raifon qu’on vous reproche les ega- remens de vos Confreres, qui fe trouvenc dans leurs Ouvrages approuvez par vos Supdrieurs, & par les Theologiens de vo- tre Compagnie. Mais quant 4moi, mon Pere, il en faut juger autrement. Je n’ai pas fouferit le Livre de la Sainle VirginitL On ouvriroit tous les troncs de Paris, fans que j’en fftffe moins Catholique. Et en* fin je vous declare hautement & nette* ment , que perfonne ne rdpond de mes Lettres que moi, & que je ne rdponds de rien que de mes Lettres. Je pourrois en demeurer-14, mon Pere, fans parler de ees autres perfonnes que vous traitez d’hdretiques , pour me com- prendre dans cette accufation. Mais com- me j’en fuis l’occafion, je me trouve en* gagd en quelque forte a me fervir de cet* te mdme occafion pour en tirer trois a- vantages. Car e’en eft un bien confiddra- ble, de faire paroitre I’innocence de tant de perfonnes calomnides. C’en eft un autre, & bien propre & mon fujet, de montrqr toujours les artifices de votre politique dans cette accufation. Mais celui que j’efb'me le plus, eft que j’apprendrai par* 14 4 tout le monde la fauffetd de ce bruit icandaleux que vous femez de tous cd- cez, d’one nouvelle Heresie. 325 tez , Que I'Eglife eft divifee par me non* velle berefie. Et comme vous accufez une infinite de perfonnes , en ]eur faifant ac- croire que les points far lefqueJs vous ef- fayez d’exciter un fi grand orage font eft fentiels a la Foi, je trouve d’une extreme importance de dbtruire ces faufles impreft lions, & d’expliquer ici nettement en quoi ils confident, pour montrer qu’en effet il n’y a point d’hbrbtiques dans I’Eglife. Car n’eft-il pas vrai que fi l’on demande en quoi confide l’hbrbfie de ceux que vous appellez Janfbnides, on rdpondra inconti¬ nent que c’eft en ce que ces gens-la difent: Qiie les eommandemens de Dieu font impojjl- btes: Qu’on ne peut rififter d la grace , £? qu'on n’a pas la liberte de fairs le bien & le mal: Que Jifus-Cbrift n’eft pas mart pour tons les hommes , mais feulement pour les predeftinez : & enftn, qu’ils foutiennent les cinq Propofi- tions condamnees par le Pape. Ne faites- vous pas entendre que c’eft pour ce fujet que vous perfbcutez vosadverfaires?N’ed- ce pas ce que vous dites dans vos Livres, dans vos Entretiens, dans vos Catbchismes, comme vous fftes encore les Fdtesde Noel & St. Louis, en demandant & une de vos pe- tites Bergeres: Pour qui eft venu Jifus-Cbrift , ma Fille ? Pour tons les homines , mon Pere. Et quoi , ma Fille, vous n’etes done pas de ces nouveaux beretiques, qui difent qu’il n'eft ve¬ nu que pour les predeftinez ? Les enfans vous croient la-deflus, & plufieurs autres aufli; car vous les entretenez de ces m£mes fa- X 3 bles 326 XVII. Lett. Phantome bles dans vos Sermons, comme votre Pere Crafiet k Orleans, qui en a ete interdit. Et je vous avoue que je vous ai cru aufli au¬ trefois. Vous m’aviez donnd cette meme idde de toutes ces perfonnes-la. De forte que lorfque vous les prelfiez fur ces propo- lidons, j’obfervois avec attention quelle feroit leur rdponfe; & j’etois fort difpofd k ne les voir jamais, s’ils n’efiilent declard qu’ils y renonqoient comme & des impie* tez vifibles. Mais ils le firent bien haute- ment. Car (i) Mr. de Sainte-Beuve, Profef- feur du Roi en Sorbonne, cenfura dans fes Ecrits publics ces cinq Propofidons long- tems avant le Pape, & ces Dodbeurs firent paroitre plufieurs Ecrits, & entr’autres ce- lui de la Grace (2) ViStorieufe , qu’ils pro- dui- CO Mr. Jaqdes de Sainte-Beuve , l’un des plus liabiles Theologiens de fon Siecle, eroit Profeifeur de Sorbonne an terns de la Cenfure de Mr. Arnauld ; mais il aima mieux quiter fa chairc, que de condamner cen¬ tre les regies un DocTeur fon confrere , dont la Doctri¬ ne etoit tres Orthodoxe, II fe donna depuis fa retraite aux Confultations, & nous avons delui trois Volumes de Refolutions de Cas de Confcience, remplis d’une con- noiffance exafte de la Morale & de la Do&rine des Te¬ res de l’Eglife & des Conciles. Il eft mort en 1677, Sc Tut inhume dans l’Eglife des Grands Auguftins a Paris. SonTraite de la Grace,quoique feulement en manufcrit, a toujours ete en grande eftixne parmi les Theologiens les plus exadts. (2) Cet Ouvtage de la Grace Viflorieufe de 7 . C. cu Me¬ lina & in Difcipies cenvaimus de I’erreur des Pelagier.s iy des Se'mipelagiexs par leSr. DE BONHEuin 4to. Patis 1 6s 1 , eft un Ouvrage du celebre Mr. de la Lane, tres-connu dans route la Diiputede la matiere de la Grace; fuxtout pour avoir drd depute a Rome par les Evequcs, pour J Sefendte la Do&rine de St. Auguftin, d’cne nouvelle Heresie. 32 7 duifirent en mdme terns, ofj i)s rejectenc ces propofitions, & comme heretiques, & comme dtrangeres. Car ils difent dans la Preface , Qiie ce font des propofitions hereti¬ ques & Lutuiriennes , fabriquees & forgies d plaifir , qui ne fe trouvent ni dans Janfi- nius, ni dans fes defenfeurs , ce font leurs termes. 11s fe plaigoent de ce qu’on les leur attribue, & vous adreflent pourcela ces pa. roles de St. Profper, le premier Difciple de St. Auguftin leur Maitre, a qui lesSdmipbla- giens de France en imputferent de pareilles pour le rendre odieux. II y a , dit ce Saint, des perfonnes qui ont une paffion fi aveugle de nous decrier , qu’ils en ont pris un moyen qui mine leur propre reputation. Car ils ont fa- hrique a.deffein de certaines Propofitions plei' nes d’impiitez 6? de blafphemes, qu’ils envoient de tons cotez , pour faire croire que nous les foutcnons au mime fens qu’ils ont exprime par Leur Ecrit. Mats on verra par cette reponfe , £f notre innocence , fcf la malice de ceux qui nous ont impute ces impietez, dont ils font les uniques inventeurs. En veritb, mon Pere, lorfque jeles ouis parler de la forte avanc la Conftitution ; quand je vis qu’ils la requrent enfuite avec tout ce qui fe peut de refpedt; qu’ils offri- rent de la foufcrire ; & que Mr. Arnauld eut declare tout cela , plus fortement que je ne le puis rapporter , dans toute la fe- conde Lettre, i’eMe crupbcher de douter de leur foi. Et en effet ceux qui avoienc voulu refufer l’abfolution a leurs amis avanc X 4 la 328 XVII. Lett. Dispute sur la Lettre de Mr. Arnauld, ont ddclard der puis, qu’apres qu’il avoit ii nettement con- damne ces erreurs qu’on lui imputoit, il n’y avoit aucune raifon de le retrancher ni lui, ni fes amis de FEglife. Mais vousn’en avez pas ufe de mdme. Ec c’eft fur quoi je commengai a me defier que vous agiffiez avec pafilon. Car au lieu que vqus les aviez menacez de leur faire figner cette Conftitution, quand vous penfiez qu’ils y rbfilteroienc; lorfique vous vices qu’ils s’y portoient d’eux-md* mdrnes, vous n’en parldtes plus. Ec quoi- qu’ils femblat que vous dftfliez apres cela dcre facisfaicde leur conduite , vous ne laif- filces pas de les craicer encore d’hbrbciques: parce , difiez-vous , que leur cceur dementoit leur main , & qu'ils etoient Catboliques exte- rieurement,&htretiques interieurement , com- me vous-mdme i’avez die dans vocre Rdp. & quelques demandes, pag. 27. & 47. Que ce proeddd me paruc dtrange, mon Pere. Car de qui n’en peut-on pas dire au- tanc? Ec quel trouble n’exciteroit-on point par ce prdtexte ? Si Von ref ufe , die Sc. Grd- goire Pape, de croire. la Confejjion de Foi de ceux qui la donnent conforme aux fentimens de VEglife , on remet en doute la Foi de toutes les perfonnes Catboliques. Je craignis done mon Pere , que votre deffein ne fdt de ren - dre ces perfonnes beretiques , fans qu'ils le fuffent , comme parle le mdme Pape fur une difpute pareille de fon terns: Parce , dit-i!, que ce n'efi pas s’oppofer aux berefies , mais LE SENS DE JANSENIUS. 329 c’eft faire me berefie, que de refujer de croire ceux qui par leur confej/ion temoignent d'etre dans la veritable Foi: Hoc non eft haerefim purgare , fed facere. Mais je connus en veritd , qu’il n’y avoit point en effet d’hd- rdtique dans l’Eglife , quand je vis qu’ils s’dtoient fi bien juftifiez de toutes ces hd- refies, que vous ne pfites plus les accufer d’aucune erreur contre la Foi; & que vous ffttes rdduit & les entreprendre feulement fur des queftions de fait touchant Janfd- nius, qui ne pouvoient dtre matiere d’hd- refie. Car vous les voulfites obliger & re¬ connoitre que ces propofitions etoient dans Janfenius, mot a mot, toutes, & en propres termes, comme vous 1’dcrivites encore vous memes : Singulares , individuce, Mo¬ dern verbis apud Janfenum contents: , dans vos Cavill. p. 39. Dds-lors votre difpute commenqa a me devenir indifferente. Quand je croyois que vous difputiez de la vdritd ou de la faufietd des Propofitions, je vous dcoutois avec attention, car cela touchoit la Foi: mais quand je vis que vous ne difputiez plus que pour favoir fi elles dtoient mot d mot dans Janfdnius ou non , comme la Religion n’y dtoit plus intdreflTde ,jenem’y jntdreffai plus aufli. Ce n’eft pas qu’il n’y efit bien de 1’apparence que vous difiez vrai: car de dire que des paroles font mot d mot dans un Auteur, c’eft 2i quoi Ton ne peut fe mdprendre. Aufli je ne m’dtonne pas que tant de perfonnes, & en France X j & i 33° XVII. Lett. Dispute sur & a Rome, ayent cru fur une expreffion fi peu fufpedte, que Janfdnius les avoitenfei- gndes en effet. Et c’efi: pourquoi je ne fus pas peu furpris d’apprendre que ce mdme point de fait, que vous aviez propofe com« me fi certain & fi important, dtoit faux, & qu’on ddfia de citer les pages de Janfe- nius ofi vous aviez trouvd ces Propofi- tions mot a mot , fans que vous l’ayez jamais pu faire, Je rapporte toute cette fuite; parce qu’il me femble que cela ddcouvre arfez l’efprit de votre Societd en toute cette affaire, & qu’on admirera de voir que malgrd tout ce que je viens de dire, vous n’ayez pas ceffd de publier qu’ils dtoient toujours hdrdti- ques. Mais vous avez feulement changd leur hdrdfie felon le terns. Car a mefure qu’ils fe juftifioient de l’une , vos Peres en fubftituoient une autre , afin qu’ils n’en fuffent jamais exempts. Ainfi en 1653. leur herefie dtoit fur la qualite des Propo- fitions, Enfuite elle fut le mot a mot. De- puis vous la mites dans le coeur. Mais au» jourd’hui on ne parle plus de tout cela; & l’on veut qu’ils foient herdtiques, s’ils ne fignent que le fens de la doctrine de Janfe- nius fe trouve dans le fens de ces cinq Propo- fitions. Voil^ le fujet de votre difpute prdfente. II ne vous fuffit pas qu’ils condamnent les cinq Propoficions, & encore tout ce qu’il y auroit dans Janfdnius qui pourroit y lire conforme, & contraire a St. Auguftin; car LE SENS DE JaNSENIUS. 33c car ils font tout cela. De forte qu’il n’eft pas queftion de favoir par exeinple, fi Je- sus-Christ n'eji viort que pour les predef- tinez, ils condamnent cela aufll-bien que vous.-mais fi Janlenius eft de ce fentiment- la, ou non. Et c’eft fur quoi je vous de¬ clare plus que jamais que votre difpute me touche peu, comme eile touche peu 1’E- glife. Car encore que je ne fois pas Doc- teur, non plus que vous, mon Pere, je vois bien neanmoins qu’il n’y va point de la Foi; puifqu’il n’eft queftion que de fa¬ voir quel eft le fens de Janfenius. S’ils croyoient que fa doftrine fut conforme au fens propre & litteral de ces Propofi- tions, ils la condamneroient; & ils ne re* fufent de le faire,que parce au’fis font per- fuadez qu’elle en eft bien diffdrente: ainfi quand ils l’entendroient mal,ils neferoient pas heredques ; puifqu’ils ne l’entendent qu’en un feus Catholique. Et pour expliquer cela par un exemple, je prendrai la diverfite de fentimens qui fut entre St. Bafile & St. Athanafe touchant les Ecrits de St. Denis d’Alexandrie, dans lefquels St. Bafile croyant trouver le fens d’Arius contre l’dgalitd du Pere & du Fils, files condamna comme hdretiques: mais St. Athanafe au contraire y croyant trou¬ ver le veritable fens de l’Eglile , il les foudnt comme Catholiques. Penfez-vous done,mon Pdre, que St. Bafile,qui tenoit ces Ecrits pour Ariens, efit droit de traiter St. Athanafe d’herdtique, parce qu’il les 33^ XVII. Lett. Dispute &c. dbfendoit ? Et quel fujet en eftt-il eu, puifque ce n’etoit pas l’Arianifme qu’il d6- fendoit, mais la vericb de la Foi qu’il pen* foit y dtre? Si ces deux Saints ffiifent con- venus du veritable fens de ces Ecrits, & qu’ils y eftffent tous deux reconnu cette hdrefie, fans-doute Sc. Atbanafe n’efit pu les approuver fans hdrbfie: mais comme its dtoient en differend touchant ce fens, St. At’nanafe btoitCatholique en les foutenant, quand mdme il les eftt mal entendus;.puif¬ que ce n’efit dtd qu’une erreur de Fait, & qu’il ne ddfendoit dans cette dodtrine que la Foi Catholique qu’il y fuppofoit. Je vous en dis de mdme, mon Pere. Si vous conveniez du fens de Janfdnius, & que vos Adverfaires fflffent d’aecord avec vous , qu’il tient par exemple qu’on ne peut rejijler a la grace, ceux qui refufe- roient de le condamner feroient hbrdti* ques. Mais lorsque vous difputez de fon fens, & qu’ils croient que felon fa dodlrine on peut rtfijler a la grace, vous n’avez au- cun fujet de les traiter d’hdrdtiques, quel- que hbrdfie que vous lui attribuyez vous- mdmes ; puifqu’ils condamnent le fens que vous y fuppofez, & que vous n’dferiez condamner le fens qu’ils y fuppofent. Si vous voulez done les convaincre, montrez que le fens qu’ils actribuent & Janfdnius eft herdtique; car alors ils le feront eux-md- ines. Mais comment le pourriez-vous faire? puifqu’il eft conftant, felon votre pro- E’EgLISE FAILLIBEE DANS EES FaITS. 33g' propre aveu, que celui qu’iJs Jui donnenc n’eft point condamnb. Pour vous le montrerclairemenc, jepren* drai pour principe ce que vous reconnoit fez vous-mdmes, que la doctrine de la grace efficace n’a point ete condamnee , £? que le Fape n'yapoint touche par faConJlitution.Et en effet quand il voulut juger des cinq Pro- pofitions, le point de la grace efficace fuc mis a couvert de toute cenfure. Ceil ce qui paroit parfaitement par les avis (1) des Confulteurs, auxquels le Pape les donna a examiner. J’ai ces avis entre mes mains s auffi bien que plulieurs perfonnes dans Pa¬ ris, & entr’autres Mr. l’Evdque (2) de Montpelier, qui les apporta de Rome. On y voit que leurs opinions furent parta- gdes, que les principaux d’entr’eux, com- me le Mattre du Sacrd Palais, le Commil- faire du Saint Office, le General des Au- guftins, & d’autres, croyant que ces pro- fitions pouvoient dtre prifes au fens de la grace efficace, furent d’avis qu’eiles ne de- (J) Ces Avis ou Voia Confulttrum ont ete imprimesplu- fieurs fois , mais fur-tout a la fin du Journal de Air. de Saint Amour , Livre elfentiel pour connoitre routes (es intrigues dont on s’eft fervi dans la condamnation de Janlenius. Nous en avons deja parle dans une Note lur 1'Avertiflement de Mile, de Joncourt. (t) L'EvSque de Montpellier .] Ce fut Franfois Du Bos¬ quet , qui d’Eveque de Lodere fut fair en if.jj Eveque de Montpellier, 8c mourut en 16 - 1 . C’etoit un des plus favans Eveques de fon terns dans la Science qui convient le plus a un Eveque, c’eft-a-dire dans les Marieres EccU- ftaftiques, 334 XVII. Lett. l’Eglise devoient point etre cenfurees: au lieu que les autres demeurant d’accord qu’elles n’eftffent pas du dtre condamnees ft elles eftftent eu ce fens, eftimdrent qu’elles le devoient dtre; parce que, felon ce qu’ils declarent, leu r fens propre & naturel en dtoit tres-eloigne. Et c’eft pourquoi le Pape les condamna, 6 c touc le monde s’eft rendu a fon jugement. II eft done fur, mon Pdre, que la grace efficace n’a point etd condamnee. Auffi eft-elle ft puiffamment foutenue par St. Auguftin, par St. Thomas & route fon Ecole, par tant de Papes & de Conciles, & par toute la Tradition , que ce feroic une impiete de la taxer d’hbrelie. Or tous ceux que vous traitez d’bdretiques, ddcla- rent qu’ils ne trouvent autre chofe dans janfdnius, que cette do&rine de la grace efficace. Et c’eft la feule chofe qu’ils ont foutenue dans Rome. Vous-mdme 1’avez reconnu Cavill. p. 35 . oh vous avez declare qu’en parlant devant le Pape , Us ne dirent aucun mot des Propofitions , Ne verbum quidem, C3 5 qu’ils employerent tout le terns a purler de la grace efficace. Et ainfi , foit qu’ils fe trompent ou non dans cette fup- pofition, il eft au moins fans doute que le fens qu’ils fuppofent n’eft point hiretique, & que par confdquent ils ne le font point. Car pour dire la chofe en deux mots, ou Janfenius n’a enfeigne que la grace effica¬ ce , & en ce cas il n’a point d’erreurs: ou il a enfeignd autre chofe, & en ce cas il Faillible dans ies Faxts. 335 t’a point de dtfenfeurs. Toute la quefhon eft done de favoir ft Janfdnius a enfeignd en effet autre chofe que la grace efficace; & ft l’on trouve que oui , vous aurez la gloire de l’avoir mieux entendu, mais ils n’auront point le malheur d’avoirerrd dans la Foi. II faut done louer Dieu , mon Pere, de ce qu’il n’y a point en effet d’h^rdfie dans l’Eglife; puifqu’il nes’agiten cela que d’un point de Fait, qui n’en peut former. Car l’Eglife ddcide les points de Foi avec une autoritd divine, & elle retranche de fon corps tous ceux qui refufent de les rece- voir. Mais elle n’en ufe pas de mdme pour les chofes de Fait. Et la raifon en eft que notre falut eft attachd & la Foi qui nous a dt6 rdvdlde , & qui fe coni'erve dans l’E- glife par la Tradition; mais qu’il ne ddpend point des autres faits particuliers qui n’ont point dte rdvelez de Dieu. Ainfi on eft o- bligd de croire que les commandemens de Dieu ne font pas impoflibles, mais on n’eft pas obligd de favoir ce que Janfenius a en- feignd fur ce fujet. C’eft pourquoi Dieu conduit l’Eglife dans la determination des points de la Foi, par l’affiftance de fon Efprit qui ne peut errer; au lieu que dans les chofes de Fait, il la laifle agir par les fens & par la raifon, qui en font naturelle- ment les juges. Car il n’y a que Dieu qui ait pu inftruire l’Eglife de la Foi: mais il n’y a qu’& lire Janfdnius, pour favoir ft des propolitions font dans fon Livre. Et de-lh vienc gg(5 XVII. Lett. Jesuites vient qae c’eft une hdrefie de refifter aux ddcifions de la Foi ; parce que c’eft oppo* fer Ton efpric propre a 1’Efpric de Dieu. Mais ce n’eft pas une herdlle, quoique ce puiffe dcre une temdritd , que de ne pas croire certains faits pardculiers; parce que ce n’eft qu’oppofer la raifon qui peut dtre claire, & une autoritd qui eft grande, mais qui eli cela n’eft pas infaillible. C’eft ce que tous le Theologiens recon* noifTent, comme il paroit par cette maxi* me du Cardinal Bellarmin de votre Socie¬ ty. Les Conciles Generaux c? Ugitimes ne pcuvent erreren definiffant les dogmes de Foi, mais ils peuvent errer en des questions de Fait. Et ailleurs : Le Pape comme Pape , & mime d la the d’iin Concile Univer/el, peut errer dans les controverfes pariicuUeres de Fait , qui dependent principalement de l’information &? du temoignage des bommes. Et le Cardinal Baronius de mcme: 11 faui fefoumettre en- iicrement aux decifions des ConcileS dans les points de Foi: mais pour ce qui concerhe les perfonnes & leurs ecrits , les cenfures qui en ont ete faites, ne fetrouventpas avoir etegar- dies avec tant de rigueur, parce qu'il n’y a perfonne a qui il nepuijje arriver d'y etre trom- pe. C’eft auffi pour cette raifon que Mr. I’Archevdque de Touloufe (i) a tird cette regie fi) C’fft de Mr. de Marca, dont Mr. Pafcal vent id parler. On fair que cet illuftre Prelatfut Archeveque de ‘Touloufe avant que de venir au Siege de Palis, dont me. me la mort l'empecha de piendie poffeflion, ContrairEs aux Concii.es. 337 regie des Lettres de deux grands Papes, Sc. Leon & Pdlage II. Que le propre objet des Conciles eft la Foi , que tout ce qui s'y re- /but hors de la Foi , pent etre revu 6? examine de nouveau : au lieu qu'on ne doit plus exa¬ miner ce qui a ete decide en mattere de Foi; parce que , comme dit Tertullien , la regie de la Foi eft J'eule immobile & ir retract able. Del& vient qu’au lieu qu’on n’a jamais vu les Conciles Generaux &ldgitimes contrai- res les uns aux autres dans les points de Foi \parce que, comme dit Mr. de Toulou- fe , il n'eft pas feulement permit d’examiner de nouveau ce qui a eti deja decide en matiere de Foi: on a vuquelquefoiscesmdmesCon¬ ciles oppofez fur des point de Fait, oil il s’agifloic de 1’intelligence du fens d’un Au¬ teur; parce que , comme dit encoreMr.de Touloufe apres les Papes qu’il cite , toutce qui fe rejout dans les Conciles hors de la Foi , pent etre revu £? examine de nouveau. Celt ainfi que le IV. & le V. Concile paroifient contraires l’un & 1’autre ,en 1’interprdtacion des mdmes Auteurs: & la mdme chofe ar- riva entre deux Papes furjwie propofidon de certains Moines de Scychie. Car apr£s que le Pape Hormifdas 1’eut condamodeen 1’entendant en un mauvais fens , le Pape Jean II. fon fuccefleur,rexaminant de nou¬ veau , & l’entendant en un bon fens, Tap- prouva, & la declara Catholique. Diriez- vous pour cela qu’un de ces Papes fftt hdrd- tique ? Et ne faut-il done pas avouer que pourvu que l’on condamne le fens h£rdci- Tome 111, Y que 338 XVIL Lett. Jesuites que qu’un Pape auroit fuppofe dans un E* eric, on n’eft pas hdrdtique pour ne pas | condamner cec Ecrit, en le prenant en un fens qu’il eft certain que le Pape n’a pas condamnd ; puifqu’autrement l’un de ces deux Papes feroic tombd dans l’erreur. J’ai voulu, mon Pere, vous accoutumer a ces contrarietez , qui arrivent entre les Catholiques fur des queftions de Fait tou- chant l’intelligencedu fens d’un Auteur, en vous montrant fur cela un Pere de l’Eglife contre un autre, un Pape contre un Pape, & un Concile contre un Concile, pour vous mener de-la a d’autres examples d’une pa* reille oppofition, mais plus d'ifproportion- nee. Car vous y verrez des Conciles &des Papes d’un cdtb, & des Jefuites de l’autre, qui s’oppoferont a leurs decifions touchant le fens d’un Auteur , fans que vous accu- fiez vos Confreres,je ne dis pas d’herdfie, mais non pas mdme de temerite. Vous favez bien, mon Pere, que les E* crits d’Origene furent condamnez par plu- fieurs Conciles & par plufieurs Papes, & mdme par le V. Concile General, comme contenans des herefies, & entr’autres celle de la reconciliation des Demons au jour duiu - gement. Croyez-vous fur cela qu’il loit d’une neceffite abfolue pour dtre Catholi- que, de confeffer qu’Origbne a tenu en effet ces erreurs , & qu’il ne fuffife pas de les condamner fans les lui attribuer ? Si cela dtoit, que deviendroit votre P. Hallorx , qui a foutenu la purete de la foi d’Origd- ne, CONTRAIRES AUX CoNCli.ES. 339 Be, auffi-bieD que plufieurs autres Catho- liques , qui ont entrepris la meme chole, comme Pic de la Mirande , & Genebrard Dodteur de Sorbonne? Ec n’eft-il pas cer¬ tain encore que ce mdme V. Concile Ge¬ neral condamna les Ecrits de Thbodoret Contre St. Cyrille, comme impies., contraires d la vraie Foi , 6? contefiant I’birefie Neftorien- tie? Ec cependantle P. Sirroond Jbluite n’a pas laiffe de le dbfendre , & de dire dans la Vie de ce Pere, que ces memos Ecrits font exemts de cette herefie Nejlorienne. Vous voyez donc,mon Pere, quequand l’Eglife condamne des Ecrits , elle y Hippo- fe une erreur qu’elle y condamne; & alors il eft de foi que cette erreur eft condam- nee ; mais qu’il n’eft pas de foi que ces E- crits contiennent en effet Perreur que 1’E- glife y fuppofe. Je crois que cela eft afiez prouve; & ainfi je finirai ces exemples par celui du Pape Honorius , dont l’hil- toire eft ft connue. On fait qu’au commen¬ cement du VII. Sihcle l’Eglife etant trou¬ ble par l’herbfie des Monothelites, ce Pa¬ pe pour terminer ce diffbrend fit un Decree qui fembloit favorifer ces Hbrbtiques, de¬ forte que plufieurs en furent fcandalifez. Cela fe pafla neanmoins avec peu de bruit fous fon Pontificat: mais cinquante ans a- prbs 1’Eglife btant afiTemblbe dans le VI. Concile Gbnbral,ob le Pape Agathon prb- ildoit par fes Legats, ce Decret y fut db- ferb; & aprhs avoir btb lu & examinb, il fat condamne comme contenant l’herbfie Y 2 ' des 340 XVII. Lett. Jesuites des Monothdlites, & brfile en cette quail* td en pleineafiemblde avec les autresEcrits de ces Herdtiques. Et cette ddcifion fut reque avec tant de refpedt & d’uniformitd dans toute l’Eglife, qu’elle fut confirmee enfuite par deux autres Conciles Gdnd- raux, & mdme par les Papes Ldon II. & Adrien II. qui vi-voit deux cens ans apres, fans que peri’onne ait trouble ce confente- ment ft univerfel & fi paifible durant fept ou huit fiecles. Cependant quelques Au¬ teurs de ces derniers terns, & entr’autres le Cardinal Bellarmin , n’ont pas cru fe rendre herdtiques, pour avoir foutenu con- tre tant de Papes & de Conciles, que les Ecrits d’Honorius font exempts de l’er- reur qu’ils avoient declard y etre: Farce f dit-il, que des Conciles Generciux pouvanZ errer dans les queftions de fait , on pent dire en toute ajjurance que le VI. Concile s’ejl trompS en ce fait-Id ; & que n'ay ant pas Men entendu le Jens des Lettres d’Honorius , il a mis a tort ce Pape au nombre dss Heretiques. Remarquez done bien, mon Pdre, que ee n’eft pas dtre hdrdtique, de dire que le Pape Honorius ne 1’etoit pas , encore que plufieurs Papes & plufieurs Conciles 1’etif- fent ddclard, & mdme aprds I’avoir’ exa- mind. Je viens done maintenant a notre queftion, &jevous permets de faire vo- tre caufe auffi bonne que vous le pourrez. Que direz-vous, mon Pdre, pour rendre vos adverfaires hdrdtiques ? Qiie le Pape Innocent X. a declare que I’errsur des cinq Propo - CoNTRAIRES AUX CoNCILES. 541 Propofitions eft dans Janfenius ? Je vous laifle dire tout cela. Qu’en concluez- vous ? Que c'eft etre bemique, de ne pas re¬ connoitre que I’erreur des cinq Propojitions ejl dans Janfenius ? Que vous en femble-t- il, mon Pere? N’elt-ce done pas ici une queftion de Faic de raeme nature que Jes precedences ? Le Pape a declare que I’er¬ reur des cinq Propositions eft dans janfe¬ nius , de mdme que fes prdddeeffeurs a- voient declare que 1’erreur des Neftoriens & des Monothdlites dtoit dans les Ecrit-s de Thdodoret & d’Honorius. Sur quoi vos Peres ont eerie , qu’ils condamnenc bien ces hdrdfies, mais qu’ils ne demeu- rent pas d’accord que ces Auteurs les ayent tenues: de mdme que vos adverfai- res difent aujourd’hui qu’ils condamnent bien ces cinq Propofitions, mais qu’ils ne font pas d’accord que janfenius les aic enfeignees. En vdritd , mon Pere , ces cas-Ia font bien femblables; & s’il s’y trou* ve quelque difference, il eft aifd de voir combien elle eft k l’avantage de la quef- tion prdfente, par la comparaifon de plu- iieurs circonftances particulieres qui font vifibles d’elles-memes, & que je ne m’ar- rete pas k rapporter. D’011 vient done, mon Pere, que dans une m£me caufe , vos Peres font Catholiques, & vos Adver- faires Hdrdtiques ? Et par quelle dtrange exception les privez-vous d’une libertd , que vous donnez & tout le refte des Fi- deles ? $ 4-2 XVII. Lett. Politique Que direz-vous fur cela , mon Pere? Que le Pape a confirm d fa CojiJlitution par un Bref ? Je vous repondrai que deux Conciles Ge^draux & deux Papes ont con- firme !a condamuation des Lettres d’Ho- norms. Mais quel fond pretendez-vous faire fur les paroles de ce Bref, par lef- quelles le Pape declare, qu’il a condamni Iv doctrine de Janfe'nius dans les cinq Pro- pofitions ? Qu’eft-ce que cela ajoute a la Conftitudon , & que s’enfuit-il ae-la? Si- non que comme le VI. Concile condamca la dottrine d’Honorius,parce qu’il croyoit qu’elle etoit la mdme que celle des Mo» nothdlites; de meme le Pape a dit,qu’il a condamne la doftrine de Janfdnius dans ces cinq Propofitions , parce qu’il a fup- pofd qu’elle etoit la mdme que ces cinq Propofitions. Ec comment ne l’e&t-il pas cru? Votre Societe ne publie autre cho- fe; & vous-rndme , mon Pere , qui avez dit qu’elles y font mot d mot , vous dtie? a Rome au terns de la Cenfure ; car je vous rencontre par-tout. Se fut-il defid de la fincdritd ou de la fuffifance de tant de Religieux graves ? Et comment n’eut- il pas cru que la dodtrine de Janfdnius d- toit la meme que celle des cinq Propofi¬ tions, dans 1’alTurance que vous lui aviez donnde qu’elles dtoient mot d mot de cet Auteur ? II eft done vifible , mon Pere , que s’il fe trouve que Janfdnius ne les ait pas tenues, i! ne faudra pas dire, com- me vos Peres ont fait dans leurs exem- Des Jesuites. 343 pies, que le Pape s’eft trompe en ce poinc deFait, ce qu’il eft toujours facheux de pu* blier: mais il ne faudra que direquevous avez trompd le Pape ; ce qui n’apporte plus de fcandale , tant on vous connoit maintenant. Ainfi, mon Pbre,toute cette matiereeft bien dloignee de pouvoir former une herd- fie. Mais comme vous vouiez en faire une a quelque prix que ce foit, vous a- vez effayd de ddtourner la queftion du point de Fait,pour la rnettre en un point de Foi; & c’eftce que vous faites en cet¬ te forte. Le Pape, dites vous, declare qu'il a condamne la doctrine de Janfenius dans ces cinq Propofitions : Done il eft de Foi que la doctrine de Janfenius touchant ces cinq Pro • pfitions eft heretique , quelle qu'elle foit. Voila, mon Pere , un point de Foi bien dtrange, qu’une do&rineeft hdrdtique quel¬ le qu’elle puift'e etre. Et quoi ! ft felon Janfdnius on peut refifler d la grace inti- rieure , & s’il eft faux felon lui que Je- fus-Chrift ne foit mart que pour les feuls predeftinez , cela fera-t-il aufii condamne, parce que e’eft fa dodlrine ? Sera-t-il vrai dans la Conftitution du Pape , que Von a la liberti de faire le bien & le mal ; & cela lera-t-il faux dans Janfenius? Et par quel¬ le fatalite fera-t-il ft malheureux , que la vdrite devienne herefie dans fon Livre ? Ne faut-il done pas confefler qu’il n’eft hdrdtique, qu’au cas qu’il foit conform^ & ces erreurs condamndes? puifque la Conf- Y 4 cittt- 344 XVII. Lett. Politique titution du Pape eft la regie k laquelle on doit appliquer Janfenius, pour juger de ce qu’il eft felon le rapport qu’il y aura; & qu’ainfi on rdfoudra cette queftion,/a- voir Ji fa doStrine eft beretique , par cette autre queftion de Fait ,/avoir Ji elle eft con- forme au fens naturei de ces Propofitions ; d- tant impoflible qu’elle ne foit Hdretique ,fi elle y eft conforme ; & qu’elle ne foit Catholique, ft elle y eft contraire. Car enfin , puifque felon le Pape & les Eve- ques , les Propofitions font condamnees en tear fens propre & naturei , il eft impolfi- ble qu’elles foient condamnees au fens de Janfdnius , finon au cas que le fens de Janfdnius foit ie mdme que le fens propre & naturei de ces Propofitions, ce qui eft un point de Fait. La queftion demeure done toujours dans ee point de Fait, fans qu’on puifte en au- cune forte Pen tirer pour la mettre dans le Droit. Et ainfi on n’en peut faire une matiere d’herdfie; mais vous en pourriez bien faire un prdtexte de (i) perfection, s’il (t) C’eft ce qui eft arrive depuis. Car les Jefuites n’ont pas difeontinue de perie'euter tous les Ecclefiafti- ques, aui vouloient mettre dans leur fignature quelque diftindtion entre la condamnation des cinq Propofitions qui regarde la Foi , 8c [’attribution de ces memes Pro¬ pofitions a Janfe'nius, qui eft un fait qui n’interefle eit rien le fond de la do&rine, fur-tout quand on a foinde s’expliquer, St de dire que ton condainne lefdites Propo¬ fitions pat-tout ou elles fe rencontrent, fe trouvaflent- elles dans Janfenius lui-meme : mais qu’on n’ofe par dslicatefie les attribuer a ce; Eveque , a moins gu’on Des Jesuites. 345 s’il n’y avoit fujet d’efpdrer qu’il ne fe trouvera point de perfonnes qui entrent aflez dans vos intdrdts pour fuivre un procddd fi injufte , & qui veuillent con- traindre de figner, comme vous le'fou- haitez , que l'on condamne ces Propojitions au fens de JanJenius , Ians expliquer ce que c’eft que ce fens de Janfdnius. Peu de gens font difpofez it figner une Confeifion de Foi en blanc. Or e’en feroic figner une en blanc, qu’on rempliroit enfuite de tout ce qu’il vous plaJroit; puifqu’il vous feroit fibre d’interprdter k votre grd, ce que c’eft que ce fens de Janfdnius qu’on n’auroit pas expliqud. Qu’on l’explique done auparavant , autrement vous nous feriez encore ici un pouvoir prochain , abfirabendo ab omni fenfu. Vous favez que cela ne reuflit pas dans le monde. On y bait l’ambiguitd , & fur-tout en matiere de Foi , oh il eft bien jufte d’entendre pour le moins ce que 1’on condamne. Et comment fe pourroit-il faire que des Dofteurs , qui font perfuadez que Janfe- nius n’a point d’autre fens que celui de la grace efficace , confentiflent & declarer qu’ils condamnent fa doftrine fans l’ex- pliquer; puifque dans la creance qu’ils en ont ne les' montre dans fon Livre, pour ne pas taxer incon- fiderement d’herefie un Eveque, qui, de l’aveu meme des Jefuites , eft mort dans le fein de l’Eglife Catholi- que, avec une parfaite fouraiffion a fes ordres Si a ies, de'cifions, y s |46 XVII. Lett. Politique one, & done on ne Ies retire point, ee ne feroit autre chofe que condamner la grace efficace, qu’on ne peut condamner fans crime ? Ne feroit-ce done pas une derange tyrannie de la mettre dans cette malheureufe ndeeffite , ou de fe rendre coupables devant Dieu s’ils fignoient cet¬ te condamnation contre leur confcience, ou d’dtre traitez d’heretiques s’ils refu- foient de le faire? Mais tout cela fe conduit avec myfte- re. Toutes vos demarches font politi- ques. II faut que j’explique pourquoi vous n’expliquez pas ce fens de Janfenius. Je n’dcris que pour decouvrir vos defteins, & pour les rendre inutiles en les decouvrant. Je dois done apprendre a ceux qui Tigno- rent, que votreprincipal interet oanscette difpute etant .de relever la grace fuffifante de votre Molina , vous ne le pouvez faire fans rui'oer la grace efficace qui y eft tout oppofee. Mais comme vous voyez celie- ci aujourd’hui autorifde a Rome, & par- mi tous les Savans de I’Eglil’e, ne la pou* vant combattre en elle-mdme, vous-vous dtes avifez de Pattaquer fans qu’on s’en apperqoive , fous le norn de la dodrine de Janfenius fansTexpiiquer; & que pour yrluflir, vous aycz fait entendre que fa dodtrine n’eft point ceile de la grace effi¬ cace , afin qu’on croie pouvoir condamner Pune fans l’autre. De-la vient que vous effayez aujourd’hui de leperfuader a ceux qui n’ont aucune connoifiance de 'cet Au¬ teur. Des Jesuites. 347 teur. Et c’eft ce que vous faites encore vous-mdme, mon Pere, dans vos Cavill. p. 23. par ce fin raifonnement. Le Pape, a condamne la doctrine de Janfenius. Or le Pape n’a pas condamne la doEtrine de la gra¬ ce efficace. Done la doEtrine de la grace effi- cace eft differente de celle de Janftnius. Si cette preuve dtoit concluante, on montre- roitde mdme qu’Honorius, & tous ceux qui le foutiennent , font herdtiques en cette forte. Le VI. Concile a condamnd la dodtrine d’Honorius. Or le Concile n’a pas condamnd la dodtrine de l’Eglife. Done la dodtrine d’Honorius eft differente de celle de l’Eglife. Done tous ceux qui le defendent font heretiques. II eft viii- ble que cela ne conclut rien; puifque le Pape n’a condamnd que la dodtrine des cinq Propofitions, qu’on lui a fait enten¬ dre dtre celle de Janfenius. Mais il n’impcrte ; car vous ne voulez pas vous fervir longtems de ce raifonne» ment. II durera afiez, tout foible qu’il eft, pour le befoin que vous en avez. II ne vous eft neceffaire, que pour faire qua ceux qui ne veulent pas condamner la grace efficace , condamnent Janfbnius fans fcrupule. Quand cela fera fait, on ou- blidra bientdt votre argument, & Ies fi- gnatures demeurant en temoignage dter- nel de la condamnation de Janfdnius, vous prendrez l’occafion d’attaquer diredtemenc Ja grace efficace, par cet autre raifonne- ipent bien plus folide, que vous forme- 343 XVII. Lett. Politique rez en fon terns. La doctrine de Janfenius, direz-vous, a ete condamnee par les foufcrip- iions univerj'elles de toute I'Eglife. Or cette doitrine eft manifeftement celle de la grace eft ftcace , & vous prouverez cela bien faci- Jement. Done la doitrine de la grace efficace eft condamnee par I'aveu mime de fes Defen * Jews. Voila pourquoi vous propofez de ligner cette condamnation d’une doitrine fans 1’expliquer. Voil& l’avantage que vous prbtendez tirer de ces foulcriptions. Mais li vos adverfaires y refiftent, vous tendez un autre pibge & leur refus. Car ayant joint adroitement la queftion de Foi a celle de Fait, fans vouloir permettre qu’ils l’en fbparent, ni qu’ils fignent 1’u- ne fans 1’autre, comme ils ne pourront fouferire les deux enfemble , vous irez publier par-tout qu’ils ont refufd les deux enfemble. Et ainfi, quoiqu’ils ne refu- fent en efFet que de reconnoitre queJan* lenius ait tenu ces Propofitions qu’ils con- damnent, ce qui ne peut faire d’hdrbfie , vous direz hardiment qu’ils ont refufd de condamner les Propofitions en elles-md- ines, & que c’eft-la leur hdrefie. Voil& le fruit que vous tireriez de leur refus, qui ne vous feroit pas moins utile que celui que vous tireriez de leur con- fentement. De forte que fi on exige ces fignatures, ils tomberont toujours dans vos embuches, foit qu’ils fignent, ou qu’ils ne fignent pas; & vous aurez votre compte de Des Jesuites^ 349 part ou d’autre: tant vous avez eu d’adrefi- fe k mettre les chol'es en etat de vous dtre toujours avantageufes j quelque pentequ’el- les puiifent prendre. Queje vous connois bien, mon Pdre;& que j’ai de douleur de voir que Dieu vous abandonne, jufqu’a vous faire rduffirfiheu- reufement dans une conduite fi malheureu- felVotre bonheur eft digne de compaffion, & ne peut dtre envid que par ceux qui ignorent quel eft le veritable bonheur. C’eft dtre charitable, que de traverfer celui que vous recherchez en toute cette conduite; puifque vous ne l’appuyez que fur le men- fonge , & que vous ne tendez qu’it faire eroire l’une de ces deux faufietez: ou que l’Eglife a condamnd la grace efficace : ou que ceux qui la ddfendent , foutienneht les cinq erreurs condamnees. 11 faut done apprendre k tout le mon- de, & que la grace efficace n’eft pas con- damnde par votre propre aveu , & que perfonnene foutient ces erreurs: afinqu’on fache que ceux qui refuferoient de figner ce que vous voudriez qu’on exigeat d’eux, ne le refufent qu’ii caufe de la queftion de Fait; & qu’dtant prdts k figner celle de Foi,ils ne fauroient dtre hdrdtiques pares refus; puifqu’enfin il eft bien de Foi que ces Propofitions font hdrdtiques , mate' qu’il ne fera jamais de Foi qu’elles foienc de Janfenius. Ils font fans erreur , cela- fuffit. Peut dtre interpretent-ils Janfenius 4 trop favorablement ; mais peut-dtre ne l’in- XVII. Lett. Pol. des JeS. l’interpretez-vous pas aftez favorablexnent. je n’entre pas !&■dedans, je fai au moins que felon vos maximes, vous croyez pou- voir fans crime publier qu’il eft heredque contre votre propre connoilfance; au lieu que felon les leurs, ils ne pourroient fans crime dire qu’il eft Cacholique, s’ils n’en etoient perfuadez. Ils font done plus fin. ceres que vous , mon Pere: ils ont plus examine Janfenius que vous : ils ne font pas moins intelligens que vous: ils ne font done pas moins croyables que vous. Mais quoiqu’il en foie de ce point de Fait , ils font certainement Catholiques ; puifqu’il n’eft pas neceffaire pour l’ecre, de dire qu’un autre ne l’eft pas; & que fans char* ger perfonne d’erreur, e’eft aflez de s’efi decharger foi-meme; l£t- 3 3 * LETTRE A U R. P. ANNATj Confefieuj du Roi (O Sur Jon Ecrit qui a pour titre La Bonne Foi des Janfdniftes, &c. Mon Reverends Peres, J ’Ai lu tout ce que vous dites dans votre Ecrit, qui a pour titre la Bonne For Janseniste , &c. J’y ai remarqud que vous traitez vos Adverfaires, c’eiM-dire Meflleurs de Port-Royal, d’herdtiques , d’une manidre fi ferine , & fi conftante, qu’il femble qu’il n’eft plus permis d’en douter; & que vous faites un bouclier de cette accufation, pour repoufier les atta- ques de l’Auteur des Lettres au Pro¬ vincial, que vous fuppofez dtre une per- fonne ( i) Cette Lettre manque dans les Editions ordinaires des Lettres Provinciac.es. Jene l’ai trouvee que dans les deux Editions de ce Livre donnees par les Elzeviers D fous le nom de Cologne chez Pierre de la Valine er. 11557; ear il y en a deux de cette ffleme annee, qui renfer- ment quelques differences legeres. On voit bien qu'el- le n’eft pas de Mr. Pafcal , rnais par la maniere 'de rai- fonner je la crois de Mr. Nicole. Elle a cette juftefle & cette precifion qui convenoit a cet Auteur. Quoique cette Lettre {bit ecrite avant la XVII. Lettte Provincia™ le, nous ne laiflons pas de la placer ici, pour fuivre esi e«la les Eilitigns clt la ValUe, d'o’u elle eft tiree. 352 XVII. Lett, au P. Annat fonne de P. R. Je ne ne fai s’il en eft otf non, mon R. P. & j’aime fcnieux croire qu’il n’en eft pas fur fa parole , que de croire qu’il en eft fur la vdtre; puifque vous n’en donnez aucune preuve. Pour moije ne fuis certainement ni Habitant, ni Secretaire de P. R. mais je ne puis m’empdcher de vous propofer quelques diffieultez fur cette qualitd que vous leur donnez, auxquelles, ft vous me fatisfaites nettement & fans equivoque, je me range- rai de votre c6td, & je croirai qu’ils font hdretiques. Vous favez, mon R. P. que de dire A des gens qu’ils font hdretiques, c’eft une accufation vague, & qui pafle plutot pour une injure que la paffion infpire, que pour uneverite, ft I’on ne montre en'quoi & comment ils font herdtiques. II faut alld- guer les Propofitions Hdretiques qu’ils dd- fendent, & les Livres dans lefquels ils les defendent & les foutiennent comme des Vdritez Orthodoxes. Je vous demande done en prdmier lieu, inon R. P. en quoi Meflieurs de P. R. font herdtiques? Eft-ce parce qu’ils ne reqoi- Vent pas la Conftitution du Pape Innocent X. & qu’ils ne condamnent pas les cinq Propofitions qu’il a condamndes? Si cela eft, je les dens pour hdrdtiques. Mais, non R. P. comment puis-je croire cela •d’eux? puifqu’ils difent &. dcrivent claire- tnent qu’ilsreqoivent cette Conftitution,& sur sa Bonne For ±»es Jans. 35^ qu’ils condamnent ce que le Pape a con- damnd? Direz-vous qu’ils la reqoivent exterieu- rement, mais que dans leur cceur ils n’y croient pas ? Je vous prie, mon R. P. ne faites point la guerre & leurs penfees, con- tentez-vous de la faire a leurs paroles & a leurs Series: car cette faqon d’agir eft in- jufte, & marque une animofitd etrange & qui n’eft point Chretienne: & fi on la fouf- fre, il n’y aura perfonne qu’on ne puifle faire hdrdtique , & mdme Mahometan ft l’on veut, en difant qu’on ne croic dans le cceur aucun des Myfteres de la Religion Chretienne.- En quoi font-ils done hdrdtiques? Eft- ce parce qu’ils ne veulent pas reconnoitre que ces cinq Propofitions foient dans le Livre de Janfdnius? Mais je vous fou- tiens, monR. P. que ce ne fut & ne fera jamais matiere d’hdrdfie, de favoir fi des Propofitions condamndes font dans un Li¬ vre ou non. Par exemple , quiconque die que l’Attrition , telle que 1’a ddcrite le fia¬ cre Concile de Trente , eft mauvaife, & qu’el- le eft peche, il eft heretique: mais fi quel- qu’un doutoit que cette Propofition con- damnde fut dans Luther ou Calvin , il ne feroit pas pour cela hdrdtique. De mdme celui qui foutiendroit toranle Catholiques les Cinq Propofitions condamndes par le Pape , feroit hdrdtique: mais qu’elles foient dans Janfenius ou non, ce n’eft point ma¬ ture de Foi ,• quoiqu’il ne faille pas pour Tome III. Z cela 354 Lettke ait P. Ann at celafe divifer,ni faire fchifme. Ajoutons,mon R.P. que vosAdverfaires ont declare qu’ils ne fe mettoient pas en peine fi ces Propo¬ rtions btoient oa n’dtoient pas dans Janft- Mius, & qu’en quelques Livres qu’elles foient, its les condamnent. Oh eft done leur hd- refie, pour dire & rbpeter avec tant de har- dieffe qu’ils font hbrbtiques ? Ne me rbpondez pas, je vous prie, que ]e Pape & les Evdques difent qu’elles font dans janfenius , e’eft hbrefie de lenier. Car je mainuens que ce peut bien dtrepdchb de le nier, ft Ton n’eft allure du contraire. Je dis plus, ce feroit fchifme de fe divifer d’a- vec eux pour ce fujet, mais ce ne peut ja¬ mais dtre herbfie. Que ft quelqu’un qui a des yeux pour lire , ne les y a point trou- vees, il peut dire je ne les y ai pas lues, fans que pour cela on puifle l’appeller he- retique. Que direz^ous done, mon R, P. pour prouver que vos Adverfaires font hereti- ques? Vous direz fans-doute que Mr. Ar- nauld,en fa 2. Lettre, a renouvelleunedes Cinq Propofidons. Mais qui le dit ? Quel- ques Dofteurs de la Faculte divifez fur ce- ]a d’aVec leurs Freres. Et fur quoi fe font- oils fondez pour le dire ? Non pas fur fes paroles, car elles font de St. Ghryfofiome ,, & de St. Augufiin; mais fur un fens qu’ils prbtendent avoir btb dans l’efprit de Mr, Arnauld, & que Mr. Armuld nie avoir ja¬ mais eu. Or je crois que la charitb oblige soutle monde a croire unPrdtre&unDoc- tear 9 sur sa Bonne Foi des Jans. 355 teur, qui rend raifon de ce qui eft cachd dans fon efprit, & qui n’eft connu que de Dieu. Mais d’ailleurs, men R. P. Ia Facul- te , non pas divifee, mais unie, a li fou- vent condamne vos Auteurs , & mdme votre Societd route entiere , que vousavez trop d’intbrdt de ne pas vouloir qu’on re¬ garde comme hdretiques tous ceux qu’el- le condamne. Je ne trouve done point enquoi & com¬ ment ces perfonnes que vous appellez Jan- fenijtes, font hdretiques. (Dependant, mon R. P. ft dire a ion Frere qu’it eft/ou, e’eft fe rendre cpupable de la gchcone du feu, felon le temoignage de JeSus'Christ dans fon Evangile ; lui dire iiins preuve & fans raifon qu’il e& berMque , eft bien un plus grand crime, & qui mbrite de plus grands ch&timens. Tqutes ces accufations d’hd» rbfie qui ne vous content rien qu’a les avan- cer hardimenc, ne font bonnes qu’a faire peur aux Ignorans, & & dtonner des Fem¬ mes; mais fachez que des Homines d’efprit veuleet (avoir oil eft cette herefk. Quoi, mon R. P. Teffius (era mis a convert quand if aura pour Auteur & pour Garand de ce , qu’il die , Victoria & Navarre , & Mr. Ar- nauld ne le fera pas quand il parlera com- ■me ont parle St. AuguJUn , Si. Cbryfojlome , St. Hilaire, St. Thomas & toute fon Eco- le? Et depuis quel terns VAntiquitd eft-elle devenue criminelle V Quand la Foi de nos Peres a-t-elle change? Fousfaites .toutee que vous pouvez pour '/■ 2 mon- 35'6 Lettre au P. Annat inontrer que Meffieurs de P. R. ont le ca- ra&ere l’efpric des Herbtiques : mais avanc que d’en venir-la, il faudroit avoir montre qu’ils le font , & c’eft: ce que vous ne pouvezfaire: &je veux falre voir clai- xementqu’ils E’en ont ni la forme ni la marque. Quand l’Eglife a combattu les Ariens , elle les a accufez de nier la confubftantia- 35te du Fils avec le Pere Eternel. Les A- riens ont-ils renoncb a cette Propofition ? Ont-ils declard qu’ils admettoient l’bgalite & la confubftantialite entre le Pere “& le Fils? Jamais ils ne l’ont fait, & c’eft pour- quoi ils dtoient heretiques. Vous accufez vos Adverfaires de dir e que lespreceptesfont impoffibles. Ils nient qu’ils l’ayent dit. Ils avouent que c’eft herefie de le dire. Ils fouriennent que, ni avant ni apres laConft titution du Pape , ils ne Font point dit. Ils declarent avec vous heretiques,ceux quile difent, Ils ne font done point hbrdtiques. Quand les SS. Pbres ont ddclarb Nefio- rius hdrbtique, parce qu’il nioit l’Union Hy- poftatique du Verbe avec l’Humanitd Sain- te, & qu’il mettoit deux Perfonnes en Je- sus-Christ , les N eftpriens de ce tems-la , & ceux qui ont continub depuis dans l’O- xient, ont-ils renonce & ce dont on les ac* cufoit? N’ont-ils pas dit, il eft vrai que nous admettons deux Perfonnes en Jesus- Chrit , mais nous foutenons que ce n’eft point hdrdfie ? Voila leur langage, & c’eft pourquoi ils etoient heretiques, & le font encore, sur sa Bonne Foi des Jans. 25 ? encore. Mais quand vous dices que Mes¬ sieurs de Port-Royal foutiennent que Yon n$ rejijle point d la grace interieure , ils le nient ? & confeflant avec vous que c’eft: une hdre- fie , ils en ddceftent la Propofition : tout au-contraire des autres, qui admettent la Propofition , & nient que ce (bit herefie. Ils ne font done pas heretiques. Quand les Peres ontcondamnd Eutyches , parce qu’il ne cruyoit qu’une Nature en Je¬ sus Christ, a-t-il dit que non, & qu’il en croyoit deux?S’il l’avoit dit, il n’auroit pas et6 condamnd: mais il difoit qu’il n’y avoit qu’une Nature, & prdtendoit que de ledire ce n’ecoic point herdfie , & c’eft pourquoj il dtoit hdretique. Quand vous dices que Meflieurs de Port-Royal tiennent, que Je- fus-CbriJl n'ejl pas mart pour tout le monde , ou pour tous les bommes, qu’il n’a repan- du Jon fang que pour le falut des Prtdejlinez> que repondent-ils V Difent-ils qu’il eftvrai qu’jls font de ce lentiment ? Tout au con- traire, ne ddclarent-ils pas qu’ils dennent pe fentiment pour herddque, qu’ils ne 1’ont jamais dit & ne le diront jamais ? Et ils ddclarent qu’ils croient au-contraire qu’il eft faux que Jesus-Christ n’ait repandu fon fang que pour le falut des Predeftinez, qu’il l’a auili rdpandu pour les Reprouvez , qui rdfiftent & fa grace. Et enfin ils croient qu’il eft mort pour tous les Hommes,com- me St. Augujlin l’a cru , comme St. Tho¬ mas l’a enfeignd , & comme le Concile de Trente l’a denni. Cela, mon R. P. ne vaut- 7, n il 358 Lettre au P. Annat il pas pour ie moins autant , que de difs qu’on le crok comme les Jefuitesle croient, & comme Molina l’explique ? Ils ne font done pas hdretiques. Quand on a foutenu contre les Monotbi• lites deux Volontez & deux Operations en Jesos-Chrit, CytUs d’Alexandrie, & Ser¬ gius de Conftantinople , & les autres ont- ils dit qu’on ieur impofoit? Ont-ils decla¬ re qu’ils admettoient deux Volontez & deux Operations en Notre Seigneur Jesus- Christ? Non, iis nel’ont pas fait, c’efl: pourquoi ils dtoient hdretiques. Quand vous oppofez a Meffieurs de Port-Royal qu’en cet etat de la nature corrompue ils rh’excliisnt. & he rejettent aucune necejjit6 de Taction meritoire ou demeritoire , Jifion la ne- teffite de contrainte , ils le nient, & enfei- gnent au-contraire que nous avons toujours en cette vie, dans toutes les actions par let quelles nous meritons & demeritons, Tin- difference d’agir ou de ne pas agir, m£me avec la grace efRcaCe , qui ne nous ndeef- lite pas, quoiqu’elle nous faffe infallible- ment faire le bien , comme l’enfeignent tous les TbomiJles. 11s be font done pas hd- retiques. Enfin, mon R P. quand l’Eglife arepris Luther & Calvin de ce qu’ils nioient nos Sacremens , & de ce qu’ils ne croyoient pas la Transfubdantiation, & n’obeiiroienc pas au Pape , ces Herefiarques auxquels vous comparez fi fouvent vos Adverfaires, fe font- ils plaints de ce qu’on leur impofoit sur sa Bonne Foi des Jans. 359 ce qu’ils ne diloient pas VN’onc ils pas fou- tenu, & ne foutiennencils pas encore ces Propofitions? Etc’eft pourquoi ils font he- reciques. Quand vous dices & Meffieurs de Port Royal , qu’ils ne reconnoijjent pas le Pape , qu’ils ne regoivent pas le Concile de Trente &c. Ils fe fervent comme ils doi- vent du mentiris impudentissime , c’eft- a dire que vous en avez menti , mon JR. P. Car dans les matures de cette impor¬ tance il eftpermis,& mdmeneceffaire, de donner un dementi. Ils ne font done pas hbrbtiques: ou s’ils le font, ils n’en ont ni le gbnie, ni le carattere. Nous n'en avons point encore vu de cette forte dans 1’Egli- fe; & il eft piusaifo de montrer dans leurs Adverfaires la marque & l’efprit de calom- niateurs & d’impofteurs , qu’en eux le ca? rabtere d’hbrbtiques. Je trouve bien, mon R. P. que les Hb- rbtiques ont fouvenc impofb aux Cacho- liques des hbrefies. Les Pelagiens ont die que St Augufiin nioic le Franc Arbitre: les Eutychiens ont dit que les Catholiques nioienc l’Union Subftandelle de Dieu & de l’Homme en Jesus Christ : les ilfo- notheMtes accufoient les Catholiques de mettre une divifion & une concrariecb entre la Volontb Divine & I’Humaine de Jesus-Christ: les Iconoclafies ont dit, que nous adorions les Images du Culte qui n’eft dft qu’aDieu feul: les Lutberiens & les Calvinijles nous appellent Papoldtres , Z 4 df 360 Lettre au P. Annat & difent que le Pape eft I’JntecbriJi. Nous difons que toutes ces propofitions font herddques, & nous les dbteftons en mdme terns , & c’eft pourquoi nous ne fommes pas hercdques. Ainfi je crains, mon jR. P, que Ton ne dife que vous avez plutot le caraftere des Heretiques , que ceux que vous accufez d’herbfie. Car .les Propofitions Moliniennes qu’ils vous objedlent vous les avouez , mais vous cites que ce ne font pas des here- fies. Cedes que vous leur obje&ez il les rejettent, difant que ce font des he- idfies , & par-E ils font comme ont tou- jours fait les Catholiques; & vous, mon .Reverend Pere , vous faites comme one •toujours fait les Hbrdtiques. Mais quand vous vous fervez de leur pietb fit de leur zele pour la Morale Chretienne , comme d’une marque de leur hdrbfie, c’eft le dernier de vos exces. Si vous aviez demontre qu’ils font hereti¬ ques , il vous feroit permis d’appeller tout cela hypocrifie & diflimulatibn : mais qu’un des moyens dont vousvous lefvez pour montrer qu’ils font herddques, ce foit leur piete & leur zdle pour la Dif- •cipline de l’Eglife & pour la Do&rine des SS POres, c’eft mon R. P. ce qui ne fe peut fouffrir, auffi nous nous donnerons bien de garde de vous fuivre en cela. Cependant, h vous entendre parler, il femble que e’en eft fait, ils font hereti- quesj sp. sa Bonne Foi des Jans^ 361 ques, il n’en faut non plus douter que de Luther & de Calvin. Mais , mon R. P. permettez-moi dans une affaire de cette importance de fufpendre mon jugement, pu mdme de n’en rien croire, jufqu’d ee que je les voie revoltez contre le Pape, & ioutenir les Propofitions qu’il a con- damndes , & les foutenir dans leurs pro- pres termes, ainfi qu’elles ont dtd con- damnees. Car dites-moi , mon R. P. II ces Meffieurs ne font point herdtiques, comme je le crois certainement, me jufti- fierez-vous devant Dieu fi je les crois heretiques ? Et tous ceux qui fur votre parole les croienr heretiques, & le difent par-tout , feront-ils excufez au Tribunal du Souverain Juge, quand ils diront qu’ils l’ont lu dans vos Ecrits? Voilii, mon R. P. tout ce que j’avois ^ vous dire; car pour le detail des falfifica- tions prdtendues, je vous laifle a l’Auteur des Lettres. II a ddj& fort mal-mene vos Confreres, qui lui avoient fait de fembla- ble reproches ; & i! ne vous dpargnera pas, fi ce n’efl qu’apres tout il feroit bien inutile de vous repondre; puifque vous ne dites rien de confiddrable, que ce que vos Confreres ont dit , a quoi cet Auteur a tres-admirablement bien repondu. Car le Livre que vous produifez aujourd’hui eft un vieil Ecrit, que vous dites vous-mdme avoir fait il y a quatre mois ; aufli vous n’y dites pas une feule parole de la 10, 11. Z j 12. '352 Lettre au P. Annat &c. 12. 13 14. & 15. qui ont toutes paru avant voire Ecrit; & neanmoins vous promettez dans le titre , de convciincre de maumife foi les Lettres ecrites depuis Pdques. Que diroit-il done, mon R. P. k un Livre rem- pli d’impoftures jufques au titre ? Ce 15. Janvier 1657= DIX, 3^3 DIX-HUITIEME LETTRE (i) ECRITE AU R. P. ANN AT JESUITE. On fait voir encore plus invinciblement , par la reponfe mime du P. Annat , qu’il n’y a au- cune berifie dans I’Eglife: Qiie tout le mon- de condamne la doSlrine que lesjefuitesren-y ferment dans le fens de Janfenius s &? qu’ain• Ji tons les Fideles font dans les mimes fenti- mens fur la matiere des Cinq Propojitions. On marque la difference qu’il y a entre les difputes de Droit & celles de Fait , & on montre que dans les quejlions de Fait on doit plus s'en rapporter d ce qu’on voit, qu'd aucune autorite bumaine. Du 24. Mars, 1657. Mon Reverend Pere, I L y a longtems que vous travaillez [a trouver quelque erreur dans vos Adver- faires; mais je m’aflure que vous avoudrez & la fin qu’il n’y a peut-dtre rien de fi diffi¬ cile, que de rendre hdretiques ceux qui ne (1) La matiere de cette Lettie fut tiojiKe'e a ML cal pm Mr. Nicole. ■'*}()4 XVIIL Lett. Il n’y a point ne le font pas, & qui ne fuyent rien tant que de 1’ecre. J’ai faic voir dans ma der- niere Lettre, combien vous leur aviez im- putd d’hdrdfies l’une apr&s 1’autre, manque d’en trouver une que vous ayez pu long- terns maintenir ; de forte qu’il ne vous etoit plus reftd que de les en accufer, fur ce qu’ils refulbient de condamner le fens de Janfdnius, que vous vouliez qu’ils con- damnaftent fans qu’on l’expiiquar. C’ecoit bien manquer d’herefies a leur reprocher, que d’en dtre rdduits-li. Car qui a jamais out parler d’une hdrdfie que Ton ne puiffe exprimer ? Auffi on vous a facilement repondu , en vous reprdfentant que fi janfdnius n’a point d’erreurs , if n’eft pas jufte de le condamner ; & que s’il en a, Vous deviez les declarer, afin que l’on flit au-moins ce que c’eft que l’on condamne. Vous ne 1’aviez neanmoins jamais voulu faire , mais vous aviez efiayd de fortifier votre prdtention par des Decrets qui ne faifoient rien pbur vous'; puifqu’on n’y ex- plique en aucune forte le fens de Janfdnius, qu’on dit avoir etd condamnd dans ces cinq Propofitions. Or ce n’etoit pas-lit le moyen ide terniiner vos difputes. Si vous conve- niez de part & d’autre du veritable fens de Janfenius, & que vous ne fuffiez en diffd- rend que de favoir fi ce fens eft hdrdtique ou non ; aiors les jugemens qui ddclare- roient que ce fens eft hdrdtique , touche- roient ce qui feroit veritablement enquef- t'ion. Mais la grande difpute etant de fa¬ voir B’HERESIE DANS l’EgEISE. 1 6 $ fyoir quel eft ce fens de Janfenius , les uns difant qu’ils n’y voient que le fens de St. Auguftin & de St. Thomas ; & les autres , qu’ils y en voient un qui efthbritique, & qu’ils n’expriment point; il eft clair qu’une Constitution qui ne dit pas un mottouchant ce difterend , & qui ne fait que condam* ner en gendral le fens de Janfbnius fansl’ex- pliquer , ne dbcide lien de ce qui eft en difpute. C’eft pourquoi l’on vous a dit cent fois que votre diffbrend n’etant que fur ce fait, vous ne le finiriez jamais qu’eri declarant ce que vous entendez par le fens de Jan- ienius. Mais comme vous-vous btiez tou- jours opini&trb a le refufer , je vous ai en- ■fin pouffe dans ma derniere Lettre,oii j’ai fait entendre que ce n’eft pas fans myfte- re que vous aviez entrepris de faire con- damner ce fens fans I’expliquer, & que vo¬ tre deffein dtoit de faire retomber un jour cette condamnation inddterminee fur la dodtrine de la grace efficace, en montrant que ce n’eft autre chofe que celle de Jan¬ fenius , ce qui ne vous feroit pas difficile. Cela vOus a mis dans la nbceffitb de rbpon- dre. Car ft vous-vous fuffiez encore obfti- nd aprds cela & ne point expliquer ce fens, il eut paru aux moins bclairez que vous n’en vouliez en effet qu’a la grace efficace; ce qui eut btb la derniere confufion pour vous, dans la vbneration qu’a l’Eglife pour une dodtrine ft fainte. Vous avez done btb oblige de vous de¬ clarer; 3 66 XVIII. Lett. Il n’y a point clarer ; & c’eft que vous venez de faire en rdpondant k ma Lettre , oil je vous avois reprdfentd , que fi Janfenius avoit fur ces cinq Propojitions quelque autre fens que celui de la grace efficace, il n’avoit point de defen- feurs; mais que s'il n’avoit point d’autre fens que celui de la grace efficace , il n avoit point d’srreurs. Vous n’avez pu defavouer cela, mon Pere; mais vous y faices une diftinc- tion en cette forte p. 21 . Il ne fuffit pas, dices-vous, pour juftifier Janfenius, de dire qu’il ne tient que la grace efficace ; parcequ’on la pent tenir en deux manieres : I’une bereti- que felon Calvin , qui confijie a dire que la volonU mue par la grace n’a pas le pouvovt d’y rejijler : Vautre orthodoxe felon les Tbo- mifles e? les Sorbonifles, qui eft fondee fur des principes etablis par les Conciles , qui efi que la grace efficace par elle - me me gouvernc la volonte de telle forte , qu’on a toujaurs le pouvoir d’y rejijler. On vous accorde tout cela, mon Pere, & vous finiffez en difant, Que Janfenius feroit catholique , s’il defendoit la grace efficace felon les Thomijles; mais qu'il eji beretique , parce qu'il cjl contraire aux Thomijles, & conforme a Calvin, qui nie le pouvoir de re - fijier a la grace. Je n’examine pas ici, mon Pere , ce point de Fait ; favoir, fi Janfenius eft en effet conforme & Calvin. 11 me fuffit que vous le prdtendiez, & que vous nous faffiez (avoir aujourd’hui, que par le fens de Janfdnius vous n’avez entendu autre chofe que celui de Calvin. N’&oic- ce D’hERESIE DANS L’.EgLISE. ce done que cela, mon Pbre, que vous vouliez dire? N’dtoit-ce que l’erreur de Calvin que vous vouliez faire condamner fous le nom du fens de Janfdnius V Que ne ]e dbclariez vous plutdt? Vous vous fuf- fiez epargnb bien de la peine. Car fans Bulles ni Brefs tout le monde edt condara« ne cette erreur avec vous. Que cet eclair- cilfement etoit ndeeffaire, & qu’il leve dc difficultez! Nous ne favions, mon Pdre, quelle erreur les Papes & les Evdques avoient voulu condamner fous le nom du fens de Janfenius. Toute l’Eglife en dtoit dans une peine extreme, & perfonne ne nous le vouloit expliquer. Vous le faites maintenant , mon Pere , vous que tout votre parti coniiddre comme le chef & le premier moteur de tous les confeils, & qui favez le fecret de toute cette condui- te. Vous nous l’avez done die, que ce fens de Janfdnius n’eft autre chofe que le fens de Calvin condamnd par le Concile. Voila bien des doutes refolus. Nous fa- vons maintenant que l’erreur qu’ils ont eu deifein de condamner fous ces termes v du fens de Janfenius, n’eft autre chofe que le lens de Calvin, & qu’ainfi nous demeu- rons dans l’obdi'flance it leurs Decrets, en condamnant avec eux ce fens dc Calvin qu’ils onr voulu condamner. Nous ne fommes plus dtonnez de voir que les Pa¬ pes, & quelquesEvdques, ayent dtefi zelez contre le fens de Janfenius, Comment ne Tauroient-ils pas dtd, mon Pere , ayanfi erdance 368 XVIII. Lett. Il n’y a point creance en ceux qui difent publiquemen't que ce lens eft le mdme que celui de Cal¬ vin? . Je vous declare done, mon Pere, que vous n’avez plus rien & reprendre en vos Adverfaires, parce qu’ils ddteftent allure¬ ment ce que vous ddteftez. Je fuis feule. ment dionne de voir que vous l’ignoriez, & que vous ayez ft peu de connoiffance de leurs fendmens fur ce fujec, qu’ils one tant de fois declare dans leurs Ouvrages. Je m’affure que fi vous en dtiez mieux in- formd, vous auriez du regret de ne vous dtre pas inftruit avec un efprit de paix d’une dodbinefi pure & fi chrddenne, que la palfion vous faic combattre fans la con- noitre. Vous verriez, mon Pere, que non feulement ils dennent qu’on rdfifte efFedti- vement it ces graces foibles, qu’on appelle excitantes, ou inefficaces, en n’executant pas le bien qu’elles nous infpirent; mais qu’ils font encore aufli fermes & foutenir contre Calvin le pouvoir que la volontd a de refifter mdme & la grace efficace & vic- torieufe, qu’a ddfendre contre Molina le pouvoir de cette grace fur la volonte, auffi jaloux de Tune de ces vdritez que de l’au» tre. Ils ne favent que trop que l’homme par fa propre nature a toujours le pouvoir de pbcher & de rdfifter & la grace, & que depuis fa corruption il porte un fond mal- heureux de concupifcence qui lui augmen- te infiniment ce pouvoir; mais que nean- moins, quand il plait it Dieu de le touches d’Heresie dans l’Egeise. 3 69 par fa mifericorde, il Jui fait faire ce qu’il veut, & en la maniere qu’il le veut, fans que cette infaillibilitd de Poperation de Dieu detruife en aucune forte la libertd na- curelle de l’homme, paries fecrettes & ad- mirablesmanieres dontDieu operecechan- gement, que St. Auguffin a fi excellem* ment expliqudes,& qui dilfipent toutesles contradictions imaginaires , que les enne- inis de la grace efficace fe figurent entre le pouvoir fouverain de la grace fur le li- bre arbitre , & la puiffance qu’a le libre arbitre de reiifter & la grace. Car felon ce grand Saint , que les Papes & PEglife one donnd pour regie en cette matiere , Dieu change le cceur de l’homme par une dou¬ ceur cdlefte qu’il y repand , qui furmon- tant la ddledtation de la chair , fait que Phomme fentant d’un c6td fa mortality & fon neant,& ddcouvrant de l’autre la gran¬ deur & Pdternitd de Dieu, congoit du de- godt pour les delices du pdchd qui le fe- parent du bien incorruptible. Trouvant lit plus grande joie dans le Dieu qui le charme, il s’y porte infailliblement de lui- mdrne, par un mouvement tout libre, tout volontaire, tout amoureux ; de forte que ce lui feroit une peine & un fupplice de s’en fdparer. Ce n’eft pas qu’il ne puifle toujours s’en eloigner, & qu’il ne s’en eloi- gn&t effedtivement s’il le vouloit. Mais comment le voudroit-il, puifque la volon- td ne fe porte jamais qu’a ce qui lui plait le plus ; & que rien ne lui plait tant alors Tome 111. A a que 37° XVIII. Lett. Jansenistes que ce bien unique, qui comprend en foi tous les autres biens P Quod enim amplihs nos ddectat , fecundiim id operemur necejfe eft , corame die St. Auguftin. C’eft ainfi que Dieu difpofe de la volon* td libre de l’homme fans lui impofer de nbceflitd ; & que le libre arbitre qui peut toujours refifter & la grace, mais qui ne le veut pas toujours, fe porte aufli librement qu’infailliblement k Dieu , lorfqu’il veut l’attirer par la douceur de fes infpirations efficaces. Ce font-la, mon Pere, les divins princi- pes de St. Auguftin & de St. Thomas, fe¬ lon lefquels il eft veritable que nous pou* vans refifter d la grace , contre l’opinion de Calvin,- & que nbanmoins , comme die le Pape ( i ) Cldment VIII, dans fon Ecrit a- drefle a la Congregation de Auxiliis, Dieu forme en nous le mouvement de notre volonte , & dij'pofe efficacement de notre cceur,par 1’em¬ pire (i) Clement VIII. fat non feulement un grand Pape, mais meme un grand The'ologien & un habile Cano- nifte. L’Ecrit que l’on en cite ici, fut fait par ce la- vant Pape,dans le terns de la difeuflion des fentimena des Jefuites , & de ceux des Thomiftes fur la Grace. C’eft ce qu'on appelle la Congregation de Auxiliis Divi- vs Gratis. Cet Ecrit a ete imprime' par Mr. de la La¬ ne, a la fin de I'EclairciJfement da fait & du fens de Janff- •nius t fous le nem de Denis Raymond in 4. 161S0. On l’avoit deja imprimd in 4. en i«jj II n’eft nullement fa¬ vorable aux fentimens des (dluites fur la Grace , & fe trouve encore dans I'lli/loria Congregationum de Auxiliis du Pere Hyacinthe Seriy , qui s’etoit dcguife d'abord foiw le norn du Sr. le Elanc, d’accord avec l es Tiiomistes. 3/1 pire que Sa Majcjle Supreme a fur les volon - tez des bommes , aujji ■ bien que fur le rejle des creatures qui font four le Clel, felon St. Augujiin. (J’eft encore felon ces principes que nous agiffons de nous-mdmes , ce qui fait que nous avons des mdrites qui font vdritable- ment ndtres, coDtre 1’erreur deCalvin;& que ndanmoins Dieu dtant le premier prin- cipe de nos aftions , & faifant en nous ce qui lui eft agreable , comme dit St. Paul, nos merites font des dons de Dieu , comme die le Concile de Trente; C’eft par-la qu’eft ddtruite Cette impietd de Luther, condamnde par le mdme Con¬ cile : Qiie nous ne coopirons en aucune forte a noire J'alut, non plus que des cbofes inani- mees : & c’eft par-li qu’eft encore ddtruite l’impidte de l’Ecole de Molina, qui neveut pas reconnoitre que c’eft la force de la grace meme, qui fait que nous cooperons avec elle dans l’ceuvre de notre falut : par oh il rui'ne ce principe de Foi dtabli par St. Paul, Que e'eft Dieu qui forme en nous 6? Id volonte & VaEtion. Et c’eft enfin par ce moyen que s’accor- dent tous ces paflages de l’Ecriture qui femblent les plus oppofez : Convertiffe z- vous d D leu: Seigneur , convertiffez-nous d vous. Rejette z vos iniquitez hors de nous. C'eft Dieu qui ote les iniquitez de fon peuple. Faites des oeuvres dignes de penitence. Sei¬ gneur , vous avezfait en nous toutes nos oeu¬ vres. Faites-vous un ernur nouveau £? un ef- A a 2 pfii 372 XVIII. Lett. Jansenistes prit nouveau. Je vous donnerai tin efprit nouveau, 6 ? je creerai en vous un cosur nou¬ veau , &c. L’unique moyen d’accorder ces’ contra- ri^tez apparentes, qui attribuenc nos bon¬ nes a&ions tantdt a Dieu, & tantdt a nous, eft de reconnoitre que, comrae dit St. Au- guftin, nos actions font not res a caufe du libre arbitre qui les produit ; &? qu’elles font aujfi de Dieu , a caufe de fa grace qui fait que no • tre arbitre les produit. £t que , comme il dit ailleurs , Dieu nous fait faire ce qu’il lui plait , en nous faifant vouloir ce que nous pourrions ne vouloir pas :aDeofa£lum ejl ut vellent , quod & nolle potuijjent. Ainfi, mon Pere , vos Adverfaires font parfaitement d’accord avec les nouveaux Thomiftes mdmes; puifque les Thomiftes tiennent comme eux, & le pouvoir de rd- fifter a la grace, & 1 ’infaillibilitd de l’effet de la grace, qu’ils font profeflion defoute- nir fi hautement, felon cette maxime capi¬ tate de leur dodtrine, qu’Alvarez (i), l’un des fi! Diego (on Didacus) Alvarez fur un des plus ce- lebres Theologiens de l’Ordre de St. Dominique: il vi- voit au XVI. & XVII. Siecle, & mourut en i S3;. On l’avoit fait venir d'Efpagne a Rome en 1596, pour y foutenir avec le P. Thomas Lemos les interets de la grace de J. C. eneivee Sc comme aneantie par le Jefui- te Molina. Il brilla beaucoup dans la fameufe Congre¬ gation de Auxiliis. Le Livre d’Alvarez , dont parle ici Mr. Pa pa 1’Empereur Heraclius , & le porta k perfecuter les Catholiques; & qu’enfin Ser¬ gius obtint d’Honorius ce Decret qui fut brule auVI. Concile,era faifant, dites-vous, le bon valet aupres de ce Pape. II eft done conftant par vous-m£me que ceux, mon Pere , qui en ufent ainfi aupres des Rois & des Papes, les engagent quelque- fois artificieufement a perfecuter ceux qui ddfendent la veritb de laFoi, en penfant perfdcuter des Hdrbfies. Et de*lavient que les Papes, qui n’ont rien tant en horreur que ces furprifes, ont fait d’une Lettred’A- lexandre III. une Loi Eccldfiaftique, infe- rde dans le DroitCanonique, pour permet* tre de fufpendre l’exbcution de leursBulles & de leurs Decrets, quand on croit qu’ils ont dtb trompez. Si quelquefois , dit ce Pa¬ pe k l’Archevdque de Ravennes , nous en- voyons d votre Fraternite des decrets qui cho- quent vos fentimens , ne vous en inquietezpas. Car ou vous les executerez avec reverence , on •vous nous manderez la raifon que vous croyez avoir de ne le pas faire; parce que nous trou- verons bon que vous n'executiez pas un decret , qu'on auroit tir& de nous par furprife £? par artifice, C’eft ainfi qu’agifl'ent les Papes Bb 2 qui 388 XVIII. Lett. Papes qui ne cherchent qu’d eclaircir les diffe- rends des Chrdtiens, & non pas a fuivre k paffion de ceux qui veulent y jetter le trouble. I!s n’ufent pas de domination , comme difent St. Pierre & St. Paul apres Jesus-Christ : mais l’efprit qui paroit en route leur conduite, eft celui de paix &de verite. Ce qui fait qu’ils mettent ordinai- rement dans leus Lettres cette claufe, qui eft foufentendue en toutes : Si ita eft : Si preces veritate nitantur: Si la cbofe ejt com - me on nous la fait entendre: Si les faits font vMtables. D’oh il fe voit, que puifque les Papes ne donnent de forces h leurs Bulles qu’d mefure qu’elles font appuydes fur des faits veritables , ce ne font pas les Bulles feules qui prouvent la veritd des faits;mais qu’au contraire , felon les Canoniftes md- mes , c’eft la verite des faits qui rend les Bulles recevables. D’ob apprendrons-nousdonc lavdritedes faits ? Ce fera des yeux , mon Pdre , qui en font les legitimes juges , comme la rai- fon l’eft des chofes naturelles & intelligi- bles , & laFoi des chofes furnaturelles & rdvdldes. Car puifque vous m’y obligez, mon Pere , je vous dirai que felon les fen- timens de deux des plus grands Dodteurs de I’Eglife, St. Auguftin & St. Thomas, ceS trois principes de nos connoiflances, les Sens, la Raifon, & la Foi, ont chacun leurs objets feparez , & leur certitude dans cette dtendue. Et comme Dieu a voulu fe fer- vir de Pentremife des fens pour donner en* SujETS A ETRE SURPRIS. Jgp trde k la Foi , Fides ex auditu ; tant s’en faut que la Foi dbtruife la certitude des fens, que ce feroit au-contraire detruire la Foi, que de vouloir revoquer en dou- te le rapport fid&le des fens C’eft pour- quoi St. Thomas remarque expreflement, que Dieu a voulu que les accidens lenfi- bles fubfiftaftent dans l’Euchariftie , a- fin que les fens , qui ne jugent que de ces accidens , ne fuifent pas trompez : Ut fenfus a deceptione reddantur immu¬ nes. Concluons done de-lit,que quelque Pro¬ portion qu’on nous prbfente a examiner, il en faut d’abord reconnoitre la nature , pour voir auquel de ces trois principes nous devons nous en rapporter. S’il s’agic d’une chofe furnaturelle, nous n’en juge- rons ni par les fens , ni par la raifon , mais par l’Ecriture & par les dbcifions de l’Eglife. S’il s’agit d’une Proportion non revdlde, & proportionnde a la raifon na- turelle, elle en fera le propre juge. Ec s’il s’agit enftn d’un point de Fait, nous en croirons les fens , auxquels il appar- dent naturellement d’en connoitre. Cette regie eft ft gdn^rale , que felon St. Auguftin & St. Thomas, quand l’Ecri¬ ture mgme nous prdfente quelque paffage, dont le premier fens litteral fe trouve con- traire & ce que les fens ou la raifon re- connoiffent avec certitude, il ne faut pas entreprendre de les defavouer en cette rencontre, pour les foumettre k l’autoritd Bb 3 de 390 XVIII. Lett. Papes de ce fens apparent de l’Ecriture ; mais il faut interpreter l’Ecriture , & y cher- cher un autre fens qui s’accorde avec cet- te verite fenfihle: parce que la parole de Dieu dtant infailiible dans les faits mo¬ nies, & le rapport des fens & de la rai- fon agiflans dans leur etendue, etant cer¬ tains auffi , il faut que ces deux vdritez s’accordent: & comme 1’Ecriture fe peut interpreter en differentes manieres , au lieu que le rapport des fens eft unique , on doit en ces matieres prendre pour la veritable interpretation de l’Ecriture, celle qui convient au rapport fidele des fens. 11 faut, dit St. Thomas i. p. q. 68. a. i. obferver deux cbofes felon St. Auguflin: I'une, que 1’Ecriture a toujours un fens veritable: l'autre, que comme elle peut recevoir plujieurs fens , quand on en trouve un que la raifon convainc certainement de fauffeti , il ne faut pas s’objliner a dire que e’en foit le fens na- turel, mais en cbercber un autre qui s’y ac- corde. C’eft ce qu’il explique par Pexemple du palfage de la Gendfe , oh il eft dcrit que Dieu crea deux grands luminaires , le foleil cf la lune , 6? au Jfi Its etoiles ; par ou l’Ecri- ture femble dire que la lune eft plus gran¬ de que routes les etoiles: mais parce qu’il eft conftant par des demonftrations indu- bitables que cela eft faux , on ne doit pas, dit ce Saint, s’opiniatrer £i ddfendre ce fens litteral, mais il faut en chercher un autre conforme & cette verite deFait; comme SUJETS A ETRE SURPRIS. 391 cottltne en difant que le mot de grand lumi¬ naire ne marque que la grandeur de la lumie- re de la lune d noire egard , & non pas la grandeur de Jon corps en lui-meme. Que £i Ton vouloit en uler aucrement, ce ne feroit pas rendre l’Ecriture venera¬ ble , mais ce feroit aucontraireTexpofer au mdpris des Infideles. Farce, commedit St. Auguftin , que quand Us auroient connu que nous crayons dans VEcriture des cbofes qu’ils favent certainement etre faujjes , ils fe riroient de notre credulitd dans les autres cbo¬ fes qui font plus cacbees , comme la refurrec * tion des marts , la me eternelle. Et ainft, ajoute St. Thomas , ce feroit leur rendre no¬ tre religion meprifable, & mime leur en fer- mer Ventree. Et ce feroit aufli, mon Pdre , le moyen d’en fermer l’entree aux Hdrddques, & de leur rendre l’autorite du Pape mdprifable, que de refufer de tenir pour Catholiques ceux qui ne croiroient pas que des paro¬ les font dans un Livre oh elles ne fe trou- vent point, parce qu’un Pape l’auroit de¬ clare par furprife. Car ce n’eft que l’exa- men d’un Livre qui peut faire favoir que des paroles y font. Les chofes de Fait ne fe prouvent que par les fens. Si ce que vous foutenez eft veritable, montrez-le; finon ne follicitez perfonne pour Je faire croire, ce feroit inutilement. Toutes les puiflances du monde ne peuvent par auto- ritd perfuader un point de Fait, non plus Bb 4 que 39a XVIII. Lett. Papes que le changer; car il n’y a rien qui puif- fe faire que ce qui eft ne foie pas. C’eft en vain par exemple que des Reli* gieux de Ratisbonne obtinrqnt du Pape St. Leon IX. un Decret folemnel, par le- quel il ddclara que le corps de St. Denys premier Evdque de Paris , qu’on tient commundment dtre 1’Areopagite, avoit dtd enleve de France & portd dans l’Eglife de leur Monaftere. Cela n’empdche pas que le corps de ce Saint n’ait toujours dtd & ne foit encore dans la cdlebre Abbaye qui porte fon nom, dans laquelle vous au> liez peine a faire recevoir cette Bulle, quoique ce Pape y temoigne avoir exami¬ ne ! a chofe avec toute la diligence poffible , diiigentiflime, avec le confeil de plujieurs EvSques £•? PrelatS: de forte qu’il oblige e- troitement tous les Francois, diftrifte prte- cip’-entes , de reconnoitre & de confejjer qu’ils n'ont plus ces fainter reliques. Et ndanrnoins les Franqois, qui favoient la faufletd de ce fait par leurs propres yeux, & qui ayant ouvert la chaffe y trouve- rent toutes ces reliques entieres, comme le tdmoignent lesHbftoriens de ce terns la, crurent alors, comme on i’a toujours cru depuis, le contraire de ce que ce St. Pape leur avoit enjoint de croire, fachant bien que mdme les Saints & les Prophetes font fujets a dtre furpris. Ce fut aufli en vain que vous obtintes eontre Galilde un Decret de Rome, qui con- SirjETS A ETRE SURPRIS. $9£ condatnnoit fon opinion touchant le mou- vemenc de la Terre. Ce ne fera pas cela qui prouvera qu’elle demeure en repos; & fi Ton avoir des obfervations conftantes qui prouvaflent que c’eft elle qui tourne, tous les hommes enfemble ne l’einpbche- roient pas de tourner, & ne s’empbcbe- roient pas de tourner aufti avec elle. Ne vous imaginez pas de mbme que les Let- .tres du Pape Zacharie pour l’excommuni- cation de St. Virgile, fur ce qu’il tenoit qu’il y avoit des Antipodes, ayent anbanti ce nouveau monde; & qu’encore qu’il eftt dbclare que cette opinion btoit une erreur bien dangereule, le Roi d’Efpagne ne fe foit pas bien trouve d’en avoir plutAt era Chriftofle Colomb qui en venoit, que le jugement de ce Pape qui n’y avoit pas etb; & que l’Eglife n’en ait pas requ un grand avantage, puifque cela a procure la con- noilTance de l’Evangile a tant de peuples qui fulTent pbris dans leur infidblitb. Vous voyez done, mon Pbre, quelle eft la nature des chofes de Fait, & par quels principes on en doit juger: d’oh i! eft aifb de conclure fur notre fujet, que ft les cinq propofitions ne font point de Janfenius, il eft impoftible qu’elles en ayent btb ex- traites, & que le feul rnoyen d’en juger, & d’en perfuader le monde, eft d’exami- ner ce Livre en une conference regibe, comme on vous le demande depuis ft. Jongtems. Jufques-1^ vous n’avez aucun droit d’appeller vos Adverfaires opini&tres; • v Bb j car 394- XVIII. Lett. Pates car ils feront fans blame fur ce point de Fait, commeils font fans erreurs fur les points de Foi; catholiques fur le Droit, raifonnables fur le Fait, & innocens en l’un & en l’autre. Qui nes’etonnera done, mon Pere, en voyant d’un cdtd une juftification fi plei- ne, de voir de 1’autre des accufations fi violentes? Qui penferoit qu’il n’eft quef- tion entre vous que d’un fait de nulle im¬ portance, qu’on veut faire croire fans le montrer? Et qui oferoit s’imaginer qu’on fit par toute l’Eglife tant de bruit pour rien , pro nihilo, mon Pere, comme le die St. Bernard? Mais e’eft cela mdme qui eft le principal artifice de votre conduite, de faire croire qu’il y va de tout en une affai¬ re qui n’eft de rien; & de donner & enten¬ dre aux perfonnes puiffantes qui vous €- coutent, qu’il s’agit dans vos difputes des erreurs les plus pernicieufes de Calvin, & des principes les plus importans de la Foi; afin que dans cette perfuafion ils emploient tout leur zele & toute leur autorite contre ceux que vous combat* tez , comme fi le falut de la Religion Catholique en ddpendoit : au lieu que s’ils venoient a connoitre qu’il n’eft quef- tion que de ce petit point de Fait, ils n’en leroient nullement touchez, & ils auroient au contraire bien du regret d’a* voir fait tant d’efforts, pour fuivre vos paffions particuli^res en une affaire qui n’eft d’aucune eonfdquence pour l’Eglife. SUJETS A ETRE SURPRTS. 395 Car enfin pour prendre les chofes au pis , quand mdme il feroit veritable que Janfdnius auroit tenu ces propofitions, quel malheur arriveroit-il de ce que quel- ques perfonnes en douteroient, pourvu qu’ils les deteftent, comme ils le font publiquement > N’eft-ce pas affez qu’elles foient condamndes par tout le monde fans exception , au fens mdme oil vous avez expliqud que vous voulez qu’on les condamne ? En feroient-elles plus cenfu- rdes, quand on diroit que Janfenius les a tenues P A quoi ferviroit done d’exiger cette reconnoiflance , finon a ddcrier un Dodteur & un Evdque,qui eft more dans la communion de l’Eglife ? Je ne vois pas que ce foit-]& un ft grand bien , qu’il faille l’acheter par tant de troubles. Quel interet y a l’Etac, le Pape, les Evdques, les Dodteurs, & toute l’Eglife ? Cela ne les touche en aucune forte, mon Pdre; & il n’y a que votre feule Socidte, qui re- cevroit vdritablement quelque plaifir de cette diffamation d’un Auteur qui vous a fait quelque tort. Cependant tout fe re- mue, parce que vous faites entendre que tout eft menacd. C’eft la caufe fecrete qui donne le branle ci tous ces grands mouve- mens, qui cefferoient auffi-t6t qu’on auroit fu le veritable etat de vos difputes. Et c’eft pourquoi, comme le repos de l’Egli- fe ddpend de cet dclairciffement, il dtojt d’une extreme importance de le donner; afin que tous vos ddguifemens dcant dd- cou- 596 XVIII. Lett. Papes Sujets &c. pouverts, il paroiffe a tout le monde que vos accufadons tout fans fondemenc, vos Adverfaires fans erreurs, & l’Egliie fans hereGe, Voil£, mon Pere , le bien que j’ai eu pour objet de procurer, qui me femble G confiderable pour touce la Religion, que j’ai de la peine & comprendre comment ceus k qui vous donnez tant de fujet de parler, peuvenc demeurer dans le Glence. Quand les injures que yous leur faites ne les toucheroient pas, cedes que l’Egli- fe fouffre devroient ce me femble les por¬ ter a s’en plaindre : outre que je douce que des EccieGaftiques puiflentabandonnerleur reputation & la calomnie, furtout en madere de Foi. Cependant ils vous laiffent dire tout ce qu’il vous plait; de forte que fans 1’occaGon que vous m’en avez donnde par hazard, peut-etre que rien ne fe feroit op- pofd aux impredions fcandaleufes que vous femez de tous cdtez. AinG leur patience m’etonne, & d’autant plus qu’elle ne peut m’ekre fufpe&e ni de timiditd ni d’impuif- fance, fachanc bien qu’ils ne manquenc ni de railons pour leur juijificacion, ni de zele pour la vdritd. Jeles vois ndanmoius il religieux fe taire, que je crains qu’il n’y ait en cela de l’exces. Pour moi, mon Pere , je ne crois pas le pouvoir faire. Laiflez l’Eglife en paix, & je vous y laif- ferai de bon cceur. Mais pendant que vous ne travaillerez qu’a y entretenir le trouble, ne doucez pas qu’il ne fe trouve De la Grace Efficace. 397 des enfans de paix , qui fe croiront obli- gez d’employer tous leurs efforts pour y conferver Ja tranquilicd. DIALOGUE D E GUILLAUME WENDROCK, Tour fervir d’eclaircijfement a la Aix-buitieme Lettre. P Uifque les Jdfuites n’ont 6f£ rien dire con- tre la dix-huicieme Lettre, parce qu’ils n’ont pu apparemment r&iftet a la' force de la v£rit 6 qui les mettoit hors d’etat d’y pouvoir r6pondre, je me trouve ainfi heureufement dechargd de la peine de les r^futer. Car quoique Montalte n’ait rien dit fur I’autoritd du Pape que ce qui eft conftant parmi tous les Catholiques, n6an- moins toutes fortes de queftiofis font odieufes par elles-mfimes, & on ne les doit agiter que lorfque la n^cefGtd y engage Je ne veux done point entrer ici dans la difpute du fait de Janfd- ftius, & je m’abftiens de fortifier, comme je le pourrois , par beaucoup d’exempies tirez de toutes fortes de Th^oiogiens Catholiques , Ce que Montalte dit pour montrer que les Papes fe font fouvent trompeZ fur des Faits Je crois feu- lement devoir ajouter a la fin de cet Ouvrage, une difpute que j’ai eue avec un favant homme, mais un peu trop portd pour les Moliniftes. Elle eft affez agr&ble par dle-meaie , & elle convient par- 3 98 Dialogue sur la XVIII. Lett. parfaitement au fujet de cette Lettre. Que d/s- je ! Ce fut cette Lettre meme qui y donna o'c- cafion. Je l’avois donnd a lire a cet ami , & comme en la lui redemandant je le priai a l’ordinaire de me dire ce qu’il penfoit de cet Ouvrage de Montalte. II eft plus heureux , me dit - il, 4 reprimer la t£m£ritd du P. Annat qu’a dtablir fon fentiment propre. Je fill’s un peu furpris, lui dis-je , du peu de cas que vous faites de cette Lettre , & j’en appelle a vous-meme. Dites-moi, je vous prie , ft , pour m’arreter 4 ce feul point, il y a rien de plus clair , de plus dl^gant, & de plus veritable que ce qu’il dit fur la grace efficace, qui fldchit & qui tour- ne la volont6 comme elle veut, fans lui dter le pouvoir de refufer fon confentement. SoufFrez , rdpondit-il , que je vous dife que c’eft cet endroit-la meme qui ne m’a pas para bien foutenu , ni digne de Montalte. Je fai que ce font-la les difcours impertinens des Tho- miftes, & je veux croire, puifque Montalte le veut, que c’eft aufli le fentiment de Janfdnius. Mais je ne faurois foufFrir que Montalte les imite. Il auroit dft laiffer aux Scolaftiques des pu&ilitez qui ne font pas moins dloigndes du caractere de fon efprit, qu’elles le font de la vdritd. Et ft vous voulez que je vous dife im¬ plement ce que j’en penfe , il m’a a la vdritd perfuadd qu’il eft Thomifte; mais il m’a aufli perfuadd en meme terns, qu’il n’eft pas incapa¬ ble de donner dans des bagatelles. Car je vous demande s’il y a rien de plus ridicule que ce pouvoir de rdfifter a la grace qui demeure toujours inutile & comme endormi, qui n’a jamais produit, & qui ne produira jamais aucun acte. On pent, dites-vous, rdfifter a la grace De la grace efficace. 399 efficace : cela eft fort bien. Mais comment: favez - vous gu’on peut r^fifter , puifque jamais perfonne n’y r£iifte aftueliemenc? S’il faut vous en croire, on ne pourra jamais convaincre les Charlatans qu’ils mentent, quand ils difent que leur remede fp^citique a la vertu de gudrir toutes fortes de maladies. Car ft on leur die qu’il n’en a jamais gu6ri aucune, ils n’ont qu’a r^pondre, comme les Thomiites, qu’il n’en a pas moins en foi le pouvoir de les gu&ir, mais un pouvoir qui n’eft jamais reduit en a£te. Pendant qu’il fe divertiffoit a railler ainfi Mon- talte, je l’icoutai fans l’interrompre pour lui laif- fer le plaifir de dire tout ce qu’il voudroit. Quand il eut ceiK de parler : ]e vous entretiendrai une autre fois, lui dis-je, de cede matiere, & peut- etre ferez-vous obligd de rabattre un peu des in- juftes preventions que vous avez contre cette opinion. II me fuffit que vous rangiez Montalte parmi les Thomiftes. II lui fera aife avec un tel fecours de foutenir fa caufe contre vous. Prenez garde feulement que vous ne fouteniez pas ft bien votre Molina contre lui. Cependant, puifque vous le reconnoiffez pour Thomifte , vous etes oblige d’avouer qu’il eft Catholique. J’en conviens, dic-il, Montalte eft Orthodoxe & Thomifte. Et li vous voulez bien me le per- mettre , j’ajouterai qu’il dit eidgamment des im¬ pertinences , mais que ce font toujours des im¬ pertinences. C’eft ce que nous examinerons, lui r6ponclis- je; mais prenez garde que ces railleries ne retom- bent fur vous. En attendant je vous prie de m’ac- corder une chofe qui n’eft pas fort difficile. Eh quoi , dit-il? il n’y a rien que je ne fois pret de vous accorder, pourvu que vous ne me deman- diez point que je me fafle Thomifte. Non , lui 4co Dialogue sur la XVIII. Lett. dis-je: c’eft une chofe toute differente que je vous demande. Je vous prie feulement de me faire la grace de vous envoler par cette fendtre, & de vous dlever en l’air. Eh, me dit-il, Stes-vous raifonnable de me faire une pareille demande ? Pourquoi, repartis- je , ne vous la ferois-je pas, puifque vous venez de me promettre que vous m’accorderiez tout ce qut Je vous demanderois ? II eft vrai, rfpondit- il, mais c’eft tout ce qui eft en mon pouvoir, & vous voyez bien que cela n’y eft pas. J’en tom- be d’accord, lui dis-je ; mais (I vo'us avez peur de voler ,& de vous voir dlevd dans les airs.au moins faites-moi le plaifir de vous jetter en bas par cetre meme fenetre. Allez, me ditil, vous promener avec vos demandes. Ne vous fkhez point, lui tepliquai-je, un peu de patience. Et que feroit-ce done, ft je vous demandois quel- que chofe de plus confiddrable ? Alors tout en co ! ere , a quo! tend , me demanda-t-il, tout ce badinage ? Vous le faurez bientot , lui dis-je : il tend a quelque chofe de tres fdrieux, & je vous prie de me repondre comme ft je vous parlois ferieufe- ment Je vous demande done encore une fois de Vous jetter par cerre fenetre. Vous ne fauriez rdppndre comme a 1’autre demande. que vous ne le pouvez pas. II eft certain, me dit-il , que je le puis, mais je ne le veux pas Vous avez rai- for>, lui dis-je, de ne le vouloir pas, & je Ms ravi de voir que vous ayez tant d’attention 4 vous conferver. Mais n’obtiendrai-je pas au-moins de vous , que vous-vous coupiez le nez, 16s mains, la langue, ouque vOus-vous arrachiez les yeux ? Car vous ne pouvez pas nier que vous ne puifliez faire tout cela. Je tombe d’accord, dit-il, que je le puis. Et bien, ajoutai-je, fi vous le pou- vez't De xa grace efficace. 401 vez, faites-le done. Je le puis, repartit-il, mais je ne le veux pas. Accordez-moi done, lui dis- je , de le vouloir. Je ne veux pas non plus le vouioir, rdpondit-il. Mais pourquoi, iniiitai-je „ ne voulez-vous pas faire cette experience de vo- tre Jiberc6 ? Car vous aurez parfaitement bien prouvd que vous le pouvez faire, quand vous i’au- rez fait. Vous-vous moquez de moi, repliqua-t- il , de me demander de telles experiences, je ne veux pas qu’ii m’en coute tant pour eprouver jna libertd. Je vois bien, lui dis-je, que vous Stes obftin£ a vouloir conferver vos yeux. Mais croyez-vous que je puiffe trouver quelqu’un dans cette ville qui veuille bien fe les arracher pour me faire plai- fir? Non certainement,me dit-il, vous n’en trou- verez aucun. Pas mdme dans toute 1’AlIemagne., ajoutai-je ? Vous n’en trouverez pas un , me r£-. pondit-il. Et bien n’en trouverai-je point dans tout le refte du monde ? Non, me dit-il, vous n’en trouverez point, a moinsquece ne foitdans les lieux oil Ton renferme les foux. A ce que je vois,lui dis-je, les hommes de ce terns - ci font bien peu obligeans , & ils aiment bien paffionndment leurs yeux. Mais comme vous avez beaucoup dtudid l’Antiquitd , peut- etre me pourrez-vous citer plufieurs exemples d’une telle complaifance. II eft vrai, me dit-il, qu’ii y a eu des gens qui fe les font arrachez par chagrin & par emportement, comme on le rap- porte d’Oedipe ; d’au'tres Pont fait pour s’appli- quer davantage a la Philofophie ,& c’efl ce qu’oii dit de Democrite ; mais je ne crois pas qu’ii s’en foit jamais trouvd,ni qu’i! s’en trouve jamais,qui le faffentpar complaifance & pourdivertir un ami. D’aiileurs il n’y a jamais eu perfonne aifez infen- fe pour faire une pareille demande , bien loin Tome III. Cc qu’ii 402 Dialogue sur la XVIII. Lett. qu’il fe foit jamais trouvd un homme affez fou pour 1’accorder. Et cependant, lui dis-je , il n’y a perfonne qui n’ait pu faire ce que perfonne n’a jamais fait & ne fera jamais. Et bien , me dit il , que s’enfuit-il de-la ? Ce qu’il s’enfuit, lui dis-je. Ne le voyez-vous pas? Vous mVvez accords en raillant, ce que vous ne m’auriez jamais accordd autrement, 6tant auili pr^venu que vous 1’etes. Que vous ai-je accor¬ ds, reprit-il? Un pouvoir, lui repondis-je , qui a toujodrs dtd, & qui fera jufqu’a la fin des Sie- cles fans aucun effet. Car tout le monde a le pouvoir de s’arracher les yeux , meme pour fe divertir. Il n’y a perfonne qui ne reconnoiffe qu’il le peut faire : & cependant il n’y a perfonne qui l’ait voulu, & perfonne ne le voudra jamais. J’ai done un pouvoir qui ne paffe jamais a fac¬ te , & une volontd a laquelle je ne rdfifte ja¬ mais. Mais comprenez - vous bien l’dtendue de ce pouvoir ? Car perfuaderez vous jamais a perfon¬ ne d’aller tout nud dans les rues fans ndceffitd? C’eft pourtant ce que tout le monde peut faire. Perfuaderez-vous & un Magiftrat d’aller au Palais habille en Comddien ? a un Pretre de paroitre en public fans chapeau ou fans bonnet quarr£? Et dites-moi, je vous prie , vous qui avez du bien, & qui, comme je lecrois, etes bien aifed’en avoir, fi quelqu’un vous prioit de vous reduire a la men- dicitd , le feriez vous ? Comment ne renvoyeriez- vous pas celui qui vous en feroit la propofi- tion ? Examinez done ce qui fe paffe dans la vie des homines , & vous verrez que nous fommes dd- terminez a prefque routes nos affions par un pan¬ chant infailiible , & qu’il y en a peu & l’dgard defquelles on demeure dans cette indifference va- ii*We De la grace effigace. 403 riable & inconftante , ou dans cet dquilibre que vous fouhaitez. 11 n’y a perfonne qui palfe fa vie au lit fans dtre malade. II n’y a point d’Allemand qui s’habille parmi nous comme ies Turcs, ni de Turc qui chez eux s’habille en Allemand. II n’y a perfonne en AUemagne qui reqoive le monde fur des tapis comme on fait en Turquie. La cou- tume, la paffion , la crainte de palter pour ridi¬ cule , introduifent & dtablifTent une maniere fixe & invariable de faire la plus grande partie des chofes. Et 1’efprit s’y fait & s’y accoutume tene¬ ment, que quoiqu’il n’y ait perfonne qui ne puif- fe agir d’une diffdrente maniere, tous ndanmoins agiflent uniformement. Ne font-ce pas-la , je ne dis pas des images »' fnais autant d’exemples de la chofedont vous-vous moquiez tout prdfentement ? Car que fait la gra¬ ce efficace ? JElle fait que Dieu devient aimable a l’homme ; qu’il reconnoit que fa vie , fa lu- miere, fon repos, fes richeifes, fon falut confis- tent a s’attacher a lui; qu’il s’en rdjou'it; qu’il eft bien aife de ddpendre de lui ; & qu’il trouve au-contraire que le pdchd eft difforme , horrible, honteux , plein de miferes , & qu’avec tous fes faux attraits il n’a rien de comparable aux bienS kernels, en un mot qu’il 1’abhorre & le ddtefte comme le plus grand de tous les maux. Apres cela pourquoi vous dtonnez-vpus de cd qu’un homme qui eft dans cette difpofition , nd rdfifte point a la grace , quoiqu’il fente en lui- m§me qu’il a le pouvoir d’y rdfifter ? La cupidi- td, lacoutume, la raifon , peuvent ddterminet infailliblement la volontd & de certaines attions. Pourquoi la grace ne le pourra-t-elle pas faire de meme? Pourquoi craignez-vbus que ia libertd ne foit bleffde par ce panchant infaillible que la gra¬ ce donne a la volontd, vous qui ne craignez riert C c i pour 404 Dialogue sur la XVIII. Lett.' ' pour la libertd,en voyantla volontd fuivre tanf de panchans infaiilibles . qu’elle re$oit de la cupi¬ dity, de la coutume, de la raifon? Apiesque je lui eus parle ainfi : Eft-ce la, me dic-ii en fouriant , oil vous en voutez venir par tout cet artifice ? 11 ne fidloit point, rnon cher ami, vous y prendre de fi loin: il n’dtoit pasnd- ceffaire de chercher tant de detours, ni d’appor- ter tant d’exemples. Ce que vous dites efi tres- vrai. II y a une infinite de cbofes auxquelles la raifon, la coutume, & mdme la grace, puif- que vous le voulez , nous portent infaiilible- ment. Mais comme il n’y a point abfolument de contradiction qu’on s’dloigne de la raifon , de la coutume, & de la pofleffion; il n’y en a point non pius, qu’on rdfilte en effet d la grace mdme efficace.' Ainfi la difference qu’il y a en- tre vous & moi, c’eit que je fuis convaincu que quelque forte que foit la cupiditd ou la grace, il fe peut faire que la volontd y rdfifte effecti- i T ement fi elle le veut: & vous au- contraire , vous foiitenez avec vos Thomiftes qu’il y a con¬ tradiction qu’elle y rdfifte jamais. Je veux bierf admettre une infaillibiiitd morale, mais je rejette Pinfaillibilitd phyfique que vous admettez, com¬ me contraire a la liberfd. Non feulement la vo- ionte ppurroit, felon riioi , refufer fon confente- jiient d la grace, fi elle vouloit, mais elle peut encore le vouloir. Je puis me jetter par la fend- ite fi je !e veux, & je puis auffi le vouloir. Mais pour vous autres quand vous dites, Oue la volon- te peut rifificr a la grace fi elk le veut, vous paroif- fez dire quelque chofe , & vous ne dites rien en effet: car vous niez que perfonne puiffe vouloir y rdfiftef. Mais, cher ami, lui rdpondis-je, nous fommes ;prefque d’accord : & fi nous ne le fommes pas tout- De la grace efficace. 405 tout-a-fait, ce n’eftpas que nous foyons difftrens dans le fond: c’eff pluidt faute de nous bien en¬ tendre. Prentz garde feulement que vous ap- peliez moral, ce que j’appelle phyfique. Car que Voulez-vous que je comprenne, quand vous dices que vous pouvez vouloir, par exempie , vous arra- cher les yeux & vous jetter par la fenetre? Pour- quoi done ne voulez-vous point ce que vous pou¬ vez vouloir? C’elf fans-doute, parce que vous ne voulez pas vous fervir de ce pouvoir que vous avez. Vous pourriez abfolument le vouloir, j’en conviens: & quand vous dites que je lenie, vous ne comprenez pas bien mon fentiment. Mais par¬ ce que vous ne le voulez pas, vous n’avez garde d’avoir la volontd de le vouloir. Nous pouvor.s de meme toujours r^fifter a la grace efficace, & nous pouvons vouloiry rdfiiter, Mais parce que nous voulons y confentir par une volontd que Dieu nous infpire , nous rc-jettons bien loin la volontd d’y r^lifter. Car lavolontdde faire une chofe.exclud entierement la volontd de ne la pas faire. Celui qui veut vouloir, re veut pas ne point vouloir. Ceiui qui veut confentir d la grace , veut n’y point rdfilier : ce qu’il pour- roit faire s’il le vouloit. ' Ainfi il fe fait ici un cercle merveilleux - , & il en faut enfin venir a un vouloir dominant auquel tous les autres font foumis. Ce vouloir vien't de la cupiditd dans un homme qui n’a point ia grace, & il vient de la grace dans un homme qui a la grace efficace. Ainii tant que la grace eft plus forte que la cu¬ pidity , la volont6 ne lui refifte jamais a&uelle- inent. Or parce qu’elle ne lui r^fiite point, les Peres ont dit quelquefois qu’elle ne peut y r£fif- ter: ce qui ne fignifie pas qu’elle n’a pas en ef- fet le pouvoir d'y rafter, mais feulement que la Cc 3 vo- 406 Dialogue sun la XVIII. Lett. volont£ eft ferine & conftante a ne vouloir pas y redder. Car il n’y a point d’autre impuiffance dans la volont6, que cette r^folution de ne point vouloir. Or qui m’enipechera maintenant d’appel- ler infaiUibilite phyjlque , cet effet infaillible que pro- duitl'amour.quand il eft dominant dans le cceur? Je veux bien auill que vous l’appelliez moral , pourvu que vous ne lui fafliez rien perdre de fon infaillibilitd. Vous choifirez done quand il vous plaira pour railler, un autre fujet que ce pouvoir impuiffant & fans action, comme vous I’appellez; puifque vous voyez que la vie des homines eft tou- te pleine de ces fortes de pouvoirs. Mais cependant, me dit.il, il n’y a point de contradiction que je m’arrache les yeux, & il n’y en a point auffi que je me les veuille arracher. Que dis-je! Il s’eft trouvd des hommes , comme je le remarquois tant6t, qui fe les font arracbez Jes uns par defefpoir, & d’autres pour s’appliquer davantage a la Philofophie ? Pourquoi ne fe pour- roit-il pas faire qu’il s’en trouvAt auffi, qui euflent une telle envie d’exp&timenter leur liberty, qu’ils fe les arrachAflent ppur en faire i’dpreuve? N’a- vez-vous jamais lu que e’eft un ufage dans les In- des que les Philofophes fe brulent tout vifs, & que les femmes fe faflent confumer fur le meme bu- cher avec le corps de leurs maris ? Tout cela, lui dis-je, ne fert derien, & ne vous dCbarrafle point des difficultezquife trouvent dansvotreopinion. Car tous ces gens-laque vous me dites qui fe font arrachez les yeux, ou qui fe font brulez, Pont fait, ou accablez par quel¬ que calamity, ou fdduits par quelque erreur, ou enfin emportez par quelque paffion violente.Mais vous n’en trouverez aucun qui l’ait fait fans au- eun fujet, & cependant il n’y a perfonne qui ne le puiffe faire. Voila done toujours un pouvoir : ’ ' d’agir, De la grace efficace. 407 ffagir, qui n’a jamais fon effet. Et c’eft ce que vous ne voulez pas reconnoitre.- J’ai grand tort, r^pondit-il ; comme s’il dtoit dtonnant que ces fortes de pouvoirs.dont on ne penfe jamais a fe fervir , n ayeut jamais leur ef¬ fet. Car qui eft-ce qui penfe a s’arracherles yeux? Ainfi on peut dire que nous ne fommes pas me- me libres a 1'dgard de ces chofes ; puifque pour fitre libre, il faut qu’on ait la penfde de ne point faire la chofe qu’on fait II eft facbeux, lui dis-je un peu en colere, que vous ayez (i peu confultd le bon fens avant que de b&tir votre Syfteme. Car qu’y a-t-il de pius ri¬ dicule,que ce que vous voulez nousdonner -..oin- nie un dogme Thdologique, que nous ne fommes pas iibres , ft nous n’avons la penfee de ne point faire ce que nous faifons? J’en attefte ici votre conicience. Di- tes-moi, je vous prie, quand vous-vous Steslev6 aujourd’hui, avez-vous delibdrd ft vous pafleriez tout le jour au lit ? Quand vous-vous etes mis a table pour diner, vous eft il venu dans i’efprit d’en fortir fans manger ? Quand vous avez falud toutes les perfonnes de votre connoiflance que vous avez rencontrdes dans le chemin, avez vous penfd aleslaiiTer paffer fans lesfaluer? Quand vous leur avez fait des complimens, avez-vous fongd d leur dire des injures? Quand vous par ! ez, vous vient-il toujours en penfee de vous taire? Quand vous marchez, penfez-vous a ne point marcher? Quand vous payez vos dettes, avez vous la pen- fee de faire banqueroute ? Quand vous dites la vdritd , avez vous la penfde de mentir ? O que vous feriez a plaindre, ft vous £riez toujours oe- cupd de pentees auffi ddraifonnables! Faites maintenant (’application le tout ce que je viens de dire, aux extremes de pidtd par lef- quels nous m&itons le Ciel. Croyez - vous que Cc 4 408 Dialogue sur la XVIII. Lett. quand de pieux Religieux fe trouvent au Choeur aux heures marquees pour dire l’Office, ils ayent toujours la penfee de n’y point aller, & que fans cela leur afcion ne feroit point mdritoire? Croyez- vous que quand lesFideies viennent a l’Eglife les jours de fStes pour y entendre la Meffe, ils pen- lent toujours a violer ce prdcepte? Croyez-vous qu’ils ayent toujours envie de faire bonne chere quand ils jeunent? Si cela eft ainfi, rien n’eft plus pernicieux que de reprimer fes pafGons, & ie s’avancer dans la vertu: car rien ne contri* bue davantage a empecher ces fortes de penfdes, que quand nous accompliffons les devoirs les plus effentiels de la Religion. Et cependant vous dites que fans ces penfees nous ne faifons rien librement, ni qui foit agr£able a Dieu. Je m’appergois quedefigrandesabfurditez, non feulement vous font douter de votre fendment, mais vous en font mdme revenir tout-a-fait. Re- connoifTez done que la vo!ont£ conferve toujours fon pouvoir a 1’dgard des chofes auxquelles l’ef- prit ne penfe point, comme k Fdgard de cedes auxqueiles il penfe, & que la volontd rejettepour s’attacher a d’autres objets. ReconnoilTez, dis- je,que ce pouvoir qu’elie conferve toujours, quoi- que tres-reel, ne produit nt^anmoins aucun efFet, pendant qu’on a quelque affe&ion dominante qui emp6che la voiontd de s’en ftrvir, ou que l’on n’a pas la penfde qui feroit ntkeflaire a!in qu’ei/e s’en fervit. Ainfi parce qu’un homme fage regarde comme une foiie l’^preuve qu’ii feroit de fa li* bertd en s’arrachant les yeux,tam qu’il fera dans cette difpofition il ne la -fera jamais , & cepen¬ dant il peut toujours la faire. Mais fi cet homme changeoitde difpofition, e’eft-a-dire s’il devenott fou, & que la penfde de cette experience iui vine dans Pefprit, alors non feulement il la pourroic ■ faire a De la grace efficace. 403 faire, mais peut-etre mfime qu’il la feroit. Voila quel eft ce pouvoir de pdcher que nous admettons, & qui fubfifte avec la grace efficace. 11 n’arrive jamais qu’il ait fon effet tant que 1’im- preffion de la grace efficace fur notre volontd demeure la plus forte. Mais ft elie ceffe de l’e- tre, ce pouvoir peut alors avoir fon effet. C’eft pourquoi. quand ceux de votre patti difent que les Janfdnifies n’admettent un pouvoir de rdfifter que lorfque les difpofitions ndceffaires pour agir que la grace met dans le creur viennent a chan¬ ger, ils fe trotnpent s’ils veulent (implement par- ler du pouvoir. Car les Janfdnifies, comme les Thomiftes, foutiennent que ce pouvoir de rdfifter ou de pdcher, fubfifte non feuiement avec ces difpofitions ndceffaires pour agir , mais encore avec l’a&e meme: mais ils nient qu’il arrive ja¬ mais en effet que la voionfd rdfifte, tant que ces difpofitions produites par la grace ne font point changdes. Remarquez done, je vous prie, combien cet- te comparaifon que vous trouviez firidicule, vous a rapprochd de nous. Vous dices que vous ne vou- lez pas vous arracher les yeux : nous difons de meme qu’un homme qui a la grace efficace, ne veut pas y rdfifter. Vous dites que vous pouvez vous les arracher fi vous voulez : nous difons auifi qu’il peut rdfifter a la grace s’il le veut. Vous di> tes que vous pouvez vouloir vous arracher les yeux, mais que vous he voulez pas le vouloir: nous difons pareillement qu’il peut vouloir rdfifter d la grace,mais qu’il ne veut pas !e vouloir.Vous avouezque vous ne voudrez jamais vous arracher les yeux, a mains que vous ne changiez de dif- pofition : nous difons de mdme qu’il ne voudra jamais rdfifier a la grace , a moins que la difpofi- tion de fon ccsur ne vienne a changer. Cc 5 Nous 4io Dialogue sun la XVIII. Lett. Nous pouvons etre d’accord de deux manie- res, me dit ici mon ami; ou parce que je me fuis rapprochd de vous , ou parce que vous dtes revenu a nous. Vous croyez que c’eft moi qui me fuis rapprochd , & moi je penfe que c’eit vous qui ices revenu a notre fentiment; car il me femble que vous vous etes beaucoup relachd de la duretd de vos principes. Dices plutdt, lui repartis je , que vous commencez i comprendre cette matiere. Car je ne dis rien qu’on n’ait dit une infinitd de fois: mais je fuis furpris du peu de foin que ,vous avez vous autres de vous inftruire de nos fentimens. Mais qu’importe que ce foit moi qui me fuis rapprochd de vous, ou que ce foit vous qui vous dtes rapprochd de moi,pourvu que nousfoyons d’accord. Cependant, dit - il, il me refte encore une difficultd fur ce que vous venez de dire- Ou je ne comprenois rien du tout dans la Thdologie que vous appellez Auguftinienne, ou vous allez voir que vous-vous dcartez un peu en cela de vos principes. Ne dites.vous pas que la grace agit fur la volontd, de la meme maniere que la pafiion quand elle eft violente , & la coutume quand elle eft fortifide par une longue habitude; & que comme la paffion & la coutume laiflent & la volontd le pouvoir de leur rdiifter, quoiqu’el- les excluent l’une & l’autre la volontd de rdiifter en effet; la grace de mdme lui laiife aufli le pouvoir, & ne lui 6te que la volontd de rd- fifter. Oui , rdpondis ■ ie , mass avec de certaines prdcautions, dont je vous parlerai quand vous m’aurez propofd vos difficultez. Je vous dirai done en un mot, continua-t-il, qu’il eft vrai que Je vous ai accordd, & avec raifon , que je ne m’ar- De la grace epficace. 411 m’arracherai jamais les yeux tant que je ferai dans la difpofition oil je fuis prdfentement. Ee je vous accorde de meme qu’un avare ne jettera jamais de gayet£ de coeur fon argent dans la riviere. II faut pour que cela arrive, que 1’ef- prit change entierement de difpofition. Mais on peut remarquer dans toutes fortes de paflions, que quoiqu’on ne rdfifte jamais a Ja plus forte, il arrive fouvent ndanmoins que celie qui dans ce moment eft !a plus forte, devient la plus foi¬ ble le moment d’apres. II eft bien fiir par exem- ple qu’un avare ne manquera jamais d’accepter un gain qui fe prdfente a faire, furtout s'il eft honnfete & legitime , & qu’il ne coure aucun rifque en l’acceptant. Mais fi quelqu’un le me¬ nace de le tuer s’il l’accepte, il y a bien de I’ap- parence qu’alors il prdferera la confervation de fa vie au gain d’une petite lbmme d’argent. C’eft pourquoi on peut dire en gdndral qu’il n’y a point de palfion , quelque forte qu’elle foit, qu ! il n’en puifle naitre une plus forte, qui non feulement puifle I’emporter fur celie lii , mais m£me qui l’emporte effe&ivement. Je vous demande done s’il en eft de meme de votre grace efflcace & vifiorieufe, & ft vous croyez que cette grace , qui eft vi&orieufe dans le terns qu’elle n’a qu’une ldgere paflion k com- battre, peut Stre en effet vaincue a fon tour, ft la paflion devient plus forte & plus violente. Si vous rdpondez qu’oui avec nous, je crains fort que vous ne vous dcartiez beaucoup de Montalte & de vos Thomiftes. Je ne m’en dcarterai point, lui rdpondis je: mais la fubtilitd de votre objection m’oblige & vous ddcouvrir un fecret de la doftrine de St. Auguftin, que peu de gens connoiflent. On peut confiddrer la grace efficace en deux manieres; ou 412 Dialogue sur la XVIII. Lett. ou Kpar£ment & en elle-mSme ; ou conjoint^- tement avec ia volontd de Dieu, & par rapport a l’effet pour lequel il l’a donn6e. Si on la con- fidere en elle-meme, elle agit fur la volont£ de la meme maniere que la cupiditd : elle n’6te point le pouvoir de refifter , non plus que la cupiditd: elle opere certainement & in- failliblement fon effet, lorfque la cupiditd qu’elle combat eft moins forte qu’elle; de meme que 1a cupiditd le produit infaiiliblemenc, quand elle n’ed point combattue par une autre cupidit^ plus forte. Enfin, comma la cupidity qui dtoi£ victorieufe lorfqu’elle n’etoit combattue que par une autre cupidity plus foible, ceffe de i’etre des- que cel!e-ci devient a fon tour la plus forte; de jneme la grace qui etoit vidorieufe lorfque la cupidite qu’elle combattoit dtoit la moins forte , fera vaincue fi ia cupidity devient la plus forte. Ainfi il peut arriver qu’un homme furmonte - une tentation Mgere , & qu’il fuccombe a une plus forte , quoiqu’il ait la meme grace dans l’une que dans i’autre. Voila en quoi la grace convient avec la cupi- ditb; mais void en quoi elle en differe, & ce qui fait que la grace agit fur la volontd d’une maniere beaucoup plus efKcace & plus infailiible que la cupiditb. C’efl, comme 1’enfeignent fort bien les Thomiftes, qu’il ne faut pas confid^rer la grace toute feule, mais comme un inftrument dans la main de Dieu , & conjointement avec fa volonte efficace & toute - puiffante , qui ne peut jamais etre vaincue par la voiontsl humaine. j, Si nous ne croyons cette vdSrjte , dit St. Au- 3) gufiin (ij , i! faut que nous renoncions au s , premier article de notreFoi, par lequel nous 3 , faiibns profeffion de croire en Dieu tout- „ puiffant, (:} Er.ibir, c, a 5. N De la grace efficace. 413 ,1 puiffant. Car il n’eft appelld tout puiffant , 3) que parce qu’il peut tout ce qu’il veut , & ,, que la volontd d’aucune creature ne peut „ empficber 1’effet de la fienne qui eft toute- „ puiffante. Vous n’ignorez pas aufB le beau „ paffage de St. Thomas fur ce fujet. Cette „ preparation, dit-il (1) en parlant de la prd- „ paration A la grace fandlifiante , peut dtre ,, confiddr^e entant qu’elle vient de Dieu qui „ meut l’efprit de I’homme , & alors elle em- „ porte avec elie l’effet auquel Dieu l’a defti- „ nde, & elle l’emporte ndceffairement, non „ a la vdrittS d’une ndceffitd de contrainte , ,, mais d’une ndceffitd d’infaillibilitd, parce que „ la volontd de Dieu ne peut manquer d’avoic „ fon effet. C’eft pourquoi lorfque Dieu veut faire mifd- ricorde a un homme , il choifit des moyens pro- portionnez aux difficultez que cet homme a a furmonter. S’il veut convertir a lui un cceur domind par une paffion violente, il lui donnera une grace plus forte que cette paffion , & il empechera que cette paiiion fe fortifie. Ainfi la grace aura toujours 1’effet que Dieu s’eft propofd en la donnant, & il n’arrivera jamais que la volontd de la crdature empeche 1’accompliffement de la volontd toute-puiffante du Cr£ateur. C’eft ainfi que Dieu furmonte toute r£fifta'nce ; foit pofitivement, comme on parle dans PEcole , en infpirant pour lui un amour plus' fort que la concupifcence; foit ndgativement, en dloignant tout ce qui pourroit fervir a fortifier ou a exciter la concupifcence. De cette maniere , me dit mon ami, il fe pourroit done faire qu’une metne grace confidd- i44 (!) t. 2. qtuji, 112, art, ». 414 Dialogue sur la XVIIL Lett. lie comme ft5par£e de la volontd de Dieu, 6tant donn£e a des perfonnes qui font dans des difpo- lltions differentes, & dans un degr6 different de cupiditd , convertira les uns , & ne convertira pas les autres. Oui fans-doute, lui rdpondis-je ; & par-la on peut expliquer tres-naturellement ce palTage qui paroit difficile d bien des gens : Malheur a nous Corazyn , malheur d vous Bethfa'ida, ©V. Mais le terns ne nous permet pas de nous y arr&er prd- fentement. Je dis done qu’il n’y a nul inconve¬ nient qu’une meme grace agiffe diff'dremment fur des perfonnes difftremment difpotees. Mais je foutiens qu’il n’arrive jamais que la meme grace donn£e a deux perfonnes ^galement dif- potees, convertiffe 1’une & ne convertiffe pas l’autre: ce qui eft proprement l’erreur de vos Moliniftes. Je fuis content, me ditil, de votre explica¬ tion , & elle diminue beaucoup l'dloignement que j’avois pour votre opinion. II me retie ndanmoins encore une petite difficult^. S’il eft vrai, comme vous le dites , que cette grace viftorieufe, & qui I’emporte fur la cupiditd, op£re toujours 1’effet que Dieu veut qu’elie ait, & que fans cette grace on ne faffe jamais le bien; pourquoi dit-on qu’entre les Chrdtiens les uns font plus forts, & les autres plus foibles ? Car tous me paroiffent dgalement foibles : tous ont befoin pour faire le bien, que Dieu Ieur donnne une grace a&uelle efficace. Quand il la leur donne, ils font toujours le bien: quand il ne la leur donne pas, ils ne le font jamais. A quoi fert-il done de s’avancer dans la vertu, il Ton demeure toujours auffi foible ? Ou peut- on dire que 1’on y foit avaned , lorfqu’on a toujours befoin des mSmes fecours, avec lef- De la grace efficace. 415 quels ceux qui n’ont pas encore commence , feront le bien d’une maniere auffi infaillible que ceux qui ont fait le. plus de progres dans la vertu ? La difficult^ , lui dis-je , eft digne de vous,' & eile mdrite qu’on y fafle une attention par- ticuliere. Ndanmoins ce que nous venons de dire, a du vous faire appercevoir en partie com¬ ment on peut y rdpondre, quoique fon entiere folution d^pende encore d’autres principes. II eft certain prdmierement, que plus on eft avanc6 dans la vertu, moins la cupiditd eft forte. Une perfonne chafte n’dprouve pas les mfimes at- taques de la concupiscence , qu’dprouve une per¬ fonne qui ne l’eft pas. C’eft pourquoi, comme les tentations de celle-Ia font moins fortes, elle y rdfifte aufti plus facilement que celle-ci, & >es furmonte avec la meme grace avec laquelle l’au- tre y fuccombe. On peut apprendre de-lti quelle eft 1’impru- dence de ceux qui entretiennent leurs paflions & qui n’dvitent pas les occafions de pdcher. Car il y en a plufieurs a qui Dieu donne dans de cer¬ tains terns des graces qui n’ont point leur effet, parce qu’elles trouvent la cupiditd trop forte, & qui l’auroient eu pleinement, ft elles l’avoient trouvd plus foible. C’eft pourquoi nous devons tous veiller & travailler continuellement a repri- mer nos paflions, autant que nous le pouvons, afind’etre plusdifpofez A recevoir la grace,quand il plalra a Dieu de nous la donner. Et entre plu¬ fieurs autres confluences que Ton peut tirer de ces principes, il eft clair que perfonne ne peut fe plaindre que cette do&rine fur la grace porte au defefpoir & a la parefle. Car on a toujours k travailler. On doit toujours s’appliquer d domp-i ter fes paflions, finon pax le motif de la charit£, au 4 rtf Dialogue sur la XVIII. Lett.' au moins par ceiui de la crainte. Tates , fates; dit St. Auguftin, par la crainte de la peine, ce qttc vous ne pouvez encore faire par Pamour de la jufiice. Mais a quoi me ierviront, me dit-ii, ces ef¬ forts humains, puifque Dieu ne trouve rien d’a- grdable en nous que ce qu’il a opM lui-meme par Con efprit, comme vous nous le rfpftez fi fouvent?Ils vous ferviront,lui dis-je,&afin que vous foyez moins mauvais, & afin que la grace trouve moins de rdfiftance dans votre volont&, De plus, je vous prie de bien remarquer ceci. Quoique ces efforts humains qui naiffent de J’a- mour-propre foient effcftiveinent mauvais, en¬ core qu’ils le foient moins que les crimes dont ils nous d^tournent; n^anmoins ils reffemblent quel- quefois teilement aux aftes de la charity, que le plus fouvent on ne peut pas les diftinguer d’avec ces aftes. Car Dieu a vouiu que nous ignorions en cette vie fi fon amour habite en nous, & que Iors meme que nous croyons bien faire, nous ne puiifions difcernerfi c’eft la charit^,ou un amour fecret de nous rhymes, qui eft le principe de ces aftions. Comme done on ne peut pas diftinguer par- faitement les aftions qui viennent de l’efprit de Dieu d’avec celles qui viennent purement des ef¬ forts de l’homme , on a toujours 4 travailler, comme je le viens de dire. On doit toujours s’exercer dans lavertu, jeftner, prier,faire I’au- mdne, reprimer fes paffions, & vuider fon cceur, autant qu’on le peut , de toutes les affeftions humaines. Ceux qui vivent de la forte, ne font pas pour cela dans une affurance pleine & entie- re , parce qu’ils peuvent faire tout cela par un amour-propre; mais n^anmoins ils ont une jufte confiance & un grand fujet d’efpfrer d’etre vfri- tablement it Dieu, parce qu’il eft ties-rare que famous De la grace efficace. 417 l’amour propre contrefalle la charitd pendanttou- te la vie, & parce qu’au moins ils font alTurez d’e¬ tre dunotnbre de ceux parmilefquels il y en aura peu de reprouvez. Ceux au-contraire qui vivent felon le monde , ont tres-peu de fujet d’efpdrer, parce qu’ils font du nombre de ceux dont i’Ecri- ture & la Tradition unaoime des Peres nous aifu- rent qu’il y en aura tres - peu qui fe convertiront fincerement a lamort, Sc qui arriveront au falur. 11 eft done conftant qu’en ce fens les uns font plus forts que les autres , parce que les uns font moins foibles que les autres, & que la concupis¬ cence s’oppofe moins dans les uns que dans les au¬ tres & la Loi de l’efprit.. Mais il y a encore une autre raifon plus immediate, que je vous prie de bien pefer , felon laquelie il eft vrai de dire que les uns peuvent ce que les autres ne peuvent pas. C’eft qu’en effet la volontd des uns a plus de for¬ ce que celle des autres. Car quoiqu’il foit vrai que l’ordre que Dieu garde dans la difpenfation de Ces graces, ne d^pende que de fa volontd, & qu’ainfi il foit libre de les difpenfer comme il lux plait, & felon fes defleins impdn£trables , dont nous devons adorer la juftice fans vouloir les ap- profondir tdmdrairement, il garde ndanmoins un certain ordre dont il eft rare qu'il s’dloigne. Et voi- ci en quoi cet ordre confifte. C’eft que Dieu don- ne des graces actuelles plus ou moins fortes & pro¬ portion de la difpoficion habituelle ou eft I’ame. Il rdpand dans le cosur de ceux qui font parvenus & un degrd Eminent de faintetd, un amour beau- coup plus pur & plus ardent i il les unit a luid’une maniere bien plus particuliere ; en forte qu’ils ten- dent toujours vers les biens kernels,& m£prifent tellement tout ce qui pafle, qu’ils ne font ni dbran- lez par les plaiilrs du Siecle , ni effrayez par fes menaces. Telle dtoit la difpofition des Martyrs, Tom III. D d lorf-. 418 Dialogue sur la XVIII. Lett. lorfqu’ils confelToient avec joie J. C. au milieu des plus cruels fupplices. Telle a dtd encore de nos jours celie d’un grand nombre de faintes Vier- ges comme de Sainte Therele, qui auroit fouhaitS de foufFrir les plus horribles tourmens. Mais 4 proportion qu’une ame eft moins avan- cie dans la vertu , elle regoit auffi pour i’ordi- naire des graces moins abondantes; & ainfi elle fuccombe a des tentations , auxquelles ces ames fortes r^fifteroient fans aucune peine. C’eft pour- quoi on peut dire tr6s-proprement dans ce fens, qu’il y a des ames plus fortes les unes que les au- tres, & qu’il y en a qui peuvent ce quelesautres ne peuvent pas. Ce n’eft pas que tous ne puiflent en quelque maniere: car on doit reconnoitre dans tous ceux qui font juftifiezpar la grace fanflifiante, un pou- voir 61oignd, qui mSrne eft aid£ pour i’ordinaire par des fecours aftuels. Mais c’eft qu’il y en a quelques-uns qui peuvent d’une maniere particu- iiere , parce qu’4 proportion de la grace fanfcti- iiante qu’ils ont dans un degrd plus Eminent, ils regoivent ordinairement ces graces efficaces & actuelles par lefquelles on furmonte les plus gran- des tentations. Et d’autres au-contraire ayant un moindre degr<$ de fainted, regoivent aufla des gra¬ ces moins fortes, avec lefquelles ils furmontent 4 la v£rit6 de ldgeres tentations ; mais avec lef¬ quelles , felon le langage des Peres , ils ne peu¬ vent furmonter les grandes tentations. Voila le fondement de cette grande & impor- tante maxime de la Vie Chrdtienne , qui defend aux foibles qui ne font pas encore bien tnracinez dans la charite , de rien entreprendre au-deflus de leurs forces, ou de s’engager dans des emplois oil l’on eft expofd 4 de grandes tentations. C’eft ce que St. Grdgoire le Grand enfeigne dans beau- coup De EA GRACE EFFICACE. 4 ip coup d’endroits , & ce que J’on trouve dans Ies Litres de pidt6 qui font entre Jes mains de tout le monde. Voici comme en parle l’exceilent Au¬ teur de rimitation de J£fus , la gloire de notre Allemagne. „ Quelques, ( 1 ) imprudens, dit-il, „ fe font perdus par une chaleur de ddvotion* „ parce qu’ils ont voulu faire plus qu’ils ne pou- „ voient ; & fans confid^rer que ce qu’ils entre- „ prenoient n’dtoit pas proportion™* a leur foi- „ bleffe , ils ont plutdt fuivi leur propre fens que „ la lumiere de laraifon. Et pour avoir tropprd- „ fum£ , & avoir entrepris plus que Dieu n’exi- „ geoit d’eux.ils ont bientdt perdu la grace qu’ils „ avoient retire. Ils fe font trouvez pauvres & j, miterables,eux qui croyoient d£ja etre enlevez ,, jufques dans le Ciel. Ils ont dtd ainli humiliez, j, pour leur apprendre qu’ils n’avoient aucune for- „ ce pour soever & voler jufqu’a moi , mais „ qu’ils devoient fe mettre a l’abri fous l’ombre „ de mes ailes. J’ai dit que c’eft-Ia 1’ordre que Dieu garde d’or* dinaire dans la difpenfation de fes graces ; parce qu’il arrive que Dieu £leve quelquefois en tres- peu de terns de certaines ames au plus haut degr6 de la perfection, & qu’il donne a d’autres qui font peu avanc£es dans la vertu, une grace fi puiffante qu’elle fait furmonter des tentations qui paroiflent beaucoup au-defliis de leurs forces. Et au-con- traire il foufFre aufli quelquefois que les plus grands Saints fuccombent a des tentations tres - l(5geres , pour abbattre l’orgueil de l’homme, & lui appren¬ dre que cehi qui fe glorifie , ne fe doit glorifier que dans le Seigneur. Je vous ai dit quel eft mon fentiment & fur vos difficultez & fur toute cette matiere. Dites-moi, je (1) L, 3. eh. 7. Dd 2 420 Dialogue sur la XVIII. Lett.' je vous prie, toute difpute & part, ce que vous penfez prefentement de notre doctrine. Je vous le dirai une autre fois, me r6pondit-iI; car il ne fuffit pas pour juger de ces fortes de chofes, d’en avoir entendu parler en paflant, il faut Ies avoir examinees aloifir. Je veux bien cependant vous rendre ce tdmoignage que vous ne ddfendez pas mal une caufe , je ne dis pas mauvaife, (car je commence a me defier de nos principes,) mais au moins Equivoque ; & au-Iieu du compliment que je me pr<5parois a vous faire en vous addref- fant ces paroles de l'eftus rapport des dans les Ac- tes des Ap6tres: Vous etes infenfd , mon cher Wendrock , toutes vos fubtilitez vous ont fait perdre le jugement ; je vous dirai plutfit avec le Roi Agrippa: Il ne s’en faut gueres que vous ne me perfuadiez de me rendre Thomifte, ou, com- me Ton dit, Janfenifte. Ce n’dt pas-la , Jui dis- je , ce que je vous demande. Je ferai content pourvu que vous foyez toujours tres-attach£ a la Vdritd & a l’Eglife Catholique , que vous foyez Equitable envers tout le monde, & que vous ne vous jettiez point it l’aveugle dans toutes ces brouilleries. Affurez-vous, me rdpondit-il, que II vous ne fouhaittez quecela de moi,vousl’aves obtenu. TIN. TABLE L E TAB D E S MATIERES Contenues dans ce Troifieme Tome. Ssoiution. Bauny ne veut pas qu’on la refufe ni differe a ceux qui font dans des pechez d’habilude. Adam. Son peche a blefle la nature humaine dans 1’entendement & la volonte. i- &c. Sa foi fur l’Euchatiftie. 270. 285. Accufe d'avoir affifte a l’Alfemblee de Bourg-Fon- taine. 287. 11 de'fend le Chapelet lecret du Saint Sacre- ment. 30S. Sales (St. Franfois de) Quel nom on lui donne. 29 J. Note. Samaritain. Les SS. Peres en expliquent la patabo- lc de Je'lus-Chrift. 32. Sanchez (Thomas) Son fentiment fut la Simonie. 46. Seguenot (le P.) Sa hardiefle dans fa Traduftion d’un Livre de St. Auguftin. Note. Simonie. Maximes des Jefuites fur ce vice. 45. &c. «9. 8cc. 84 Sic. Selon eux on en peut excufer Simon le Magicien & Gie'zi. si. Sentiment d'Innocent III. 75. Les Decrees des Pontifes, des Pines & des Conci- les contre la Simonie, en comprennent toutes les efpe- ces. 87. V. Pierre le Chantre. Sorbonne. Le P. le Moyne dit qu’elle n’a point de jurisdiftion fur le Parnafte. 18. Elie produit au Parle- ment les Tliefes des Jefuites de Caen lur l’Homicide. 98. Elie eft partagee au fujet du Chapelet du St, Sacte- ment. 305. V, Valtntia. D E S MATIEB.ES. 2 T. T Ambouhin. Son fentiment lur la Calomnie. 242J &c. Tannerus. 11 teconiioit que St. Thomas eft contrai- te a fon opinion fur la Simonie. 47. Les Jelilites ta- chent en vain de le defendre. 47. &c. 70. See. Tertulien. V. Verite. Thomas (St.) Ses maximes lur l’Aumone. 45. Pour- quoi Dieu a laifle les hommes pendant quelque terns avec la leule Loi Naturelle. 161. S’il eft permis de tuex pour la defeule de la vie. 180. &c. II dit que c’ell etre heretique que de nier qu’une chofe qui eft contre un commandement de Dieu loitpeche. 238. V. Tannerus. V. V Alentia. Son fentiment lur la Simonie. 4 6. Sic. Condamne en Sorbonne. ji. valerien (le P.) Moyen dont il s’eft fervi pour re- pondre aux calomnies des Jefuites. 224. &c. Vasquez. Ses maximes lur l’Aumone. 37. &c. 60. &c. Des Jefuites lui attribuent un exces de feverite. 42. S’il eft plus fevere que Cajetan. Ibid . & 68. Il rend les biens de l’Eglile propres aux Ecclefiaftiques. 78. V. Du Val. Lejjius. niches. Vexite’. Elle eft digne de refpeft & de veneration, le menlonge de me'pris & de raillerie. 3. Selon Tertu¬ lien il appartient a la verite de le railler, 6. La verite triomphe toujours. j6. VitelEschi (le I.) Fait qui lui fait beaucoup d’hon- neur. in. Note. Voionte’. Sa corruption eft plus grande que les te* nebres de Fentendement n’ont ete epailfes. 160. La Gra¬ ce Efticace n’impofe pas de necelfite a la voionte. 36$^ See. lin it la Tabh da Tome Iff. ««».' £■•*£ * A!- 6 S .1. . ■- •"■> -.t i . 1 .v.-o’jc.'.' .'i >. . ^ua\ .-S ■ »•'« •: « an w,.,.'/ •(> i.s ?.i4 ! ■■ i - 1 •: .:;i , s < ‘ : . W? -■ J i,i ; < . ,v,i ;■ y- i!ttao':nji?.««i »';?■?* - ■ • i : ;;' ■, ,.ct V):5'K. : ./ ■ - V ' j ao\ ••• ’. ' ? •JtStiV ‘aMt VWE.-ir 'M-imn-w ».. , ... i '' ':-■■■ ■ ■■ ■ . : < . 4't Ml 'si . ; \.y Sii) . . <:•! .g ..i, '*> ‘. «\V«;y m fsp-'-i ... : ... .1 i -tf&? # r ■ ■!• ■ . ...» :*» . ’fils ■■ . .. • ■«£i sifi. ; ■. 40 ' *»'. & cvi I