Filozofski vestnik | Letnik XXXI | Številka 2 | 2010 | 73-93 Gilles Ribault* L'autre dans I'ame Pour en finir avec I'idee d'une monadologie freudienne L'inconscient dont nous entretient la psychanalyse n'a rien de solitaire. Les desirs, les motions pulsionnelles, les identifications qui le composent engagent toujours un large eventail de personnes : les membres du cercle familial, au premier chef le pere et la mere, mais egalement les nourrices, les educateurs, les amis des parents, les amants, les maitresses, les rivaux, les superieurs hierar-chiques, les therapeutes... Tous ces interlocuteurs forment entre eux un reseau de destinataires au sein duquel la fantaisie du sujet trame clandestinement ses fictions. A lire ses comptes-rendus de cure ou ses analyses de reve, Freud n'a ja-mais apprehende la vie psychique autrement que comme un entrelacs de relations, faisant de l'existence subjective une experience eminemment frontaliere, un echange permanent avec l'exterieur. Quant au protocole therapeutique, construit autour du transfert au psychanalyste, il temoigne a lui seul de l'impor-tance cruciale, aux yeux de son inventeur, du lien a l'autre dans la constitution du Soi et, surtout, dans le jeu de ses possibles reconfigurations. Qu'en est-il toutefois de cette alterite au plan de la theorisation freudienne ? Les analyses metapsychologiques convoquent le plus souvent l'autre sur le mode de l'objet. Mais qu'est-ce qu'un objet ? Pourquoi la psyche l'investit-elle ? A quoi cela l'engage-t-elle ? Freud evite methodiquement la rencontre de ces questions 73 pourtant decisives. L'autre, sous sa plume, est omnipresent en tant qu'horizon concret de la vie psychique mais demeure bien peu explicite theoriquement. Les topiques ne lui assignent aucun lieu en dehors de celui, deja interiorise, de l'ins-tance du surmoi. Aussi peut-on suspecter la psychanalyse freudienne de recou-vrir par ses constructions metapsychologiques ce qu'elle decouvre et decrit avec finesse dans sa clinique, enfermant la vie subjective en une psychologie centree sur l'ego. De la relation a l'autre, Freud ne considererait finalement que ce que les processus d'introjection et d'identification en retiennent : un jeu d'investisse-ments de traces definissant une organisation libidinale interne. L'alterite serait * Universite Paris 7 ainsi integree a l'immanence d'une vie psychique pensee a la fagon d'une monade leibnizienne, substance « sans porte ni fenetre » deployant ses etats a par-tir d'elle-meme. L'automatisme aveugle de l'inconscient freudien rend-il l'ame prisonniere de sa subjectivite ? C'est bien la ce qu'estime par exemple J. La-planche qui reproche a Freud son idealisme philosophique reduisant l'autre a une « representation subjective d'un reel brut »'. Le vice originel de la psychanalyse serait ainsi d'etre incapable de rendre raison de la transcendance de l'au-tre dans l'experience de soi2. On trouve egalement cette lignes d'argumentations, sur un plan proprement philosophique, sous la plume de V. Descombes qui s'en prend, au-dela de Freud, a tous les philosophes d'ascendance cartesienne qualifies pour l'occasion de « mentalistes » : « une philosophie mentale est une pensee qui assure d'abord l'autonomie du mental en le detachant du monde exterieur, pour se poser ensuite le probleme inextricable de l'interaction entre le mental et le physique »3. Chez les commentateurs anglo-saxons la theorie freu-dienne est apprehendee comme fondee sur le modele d'un systeme pulsionnel autonome et regule par le principe de plaisir. De sorte que pour des auteurs comme J. R. Greenberg et S. A. Mitchell par exemple, elle ne rend absolument pas compte du fait de la relation a l'autre : « Object relations had to be accounted for ; their origins, significance, and fate were by no means automatically provided for and encompassed within the earlier drive theory »4. La psychanalyse freudienne elude-t-elle vraiment la dimension de l'autre dont la pregnance est pourtant incontestable aussi bien dans sa pratique clinique que dans le protocole therapeutique qui la sous-tend ? Nous voudrions montrer, dans cet article, que si, en effet, la psyche se construit pour Freud en prelevant sur autrui des determinations qu'elle fait sienne, elle n'annule pas pour autant, par ce travail d'assimilation, sa relation a l'autre. Nous mettrons pour cela en evi-74 dence la nature relationnelle de la pulsion, trop souvent assimilee a une entite 1 J. Laplanche, Le primat de l'autre, Paris, Flammarion, 1992, p. xxv. 2 C'est egalement ce que laisse entendre le Dictionnaire de la psychanalyse (Paris, Fayard, 2000, pp. 552-553) d'E. Roudinesco et M. Plon : « Pour Freud, aucune conceptualisation de la relation n'existe en tant que telle, et la question de la relation du sujet a l'objet est pensee sous la cate-gorie des stades au sens evolutionniste et biologique du terme ». 3 V. Descombes, La denree mentale, Paris, Minuit, 1995, p. 23. 4 Selon ces auteurs, il faudrait attendre les travaux de H. S. Sullivan et W. R. D. Fairbairn pour que la theorie analytique se donne enfin les bases adequates faisant sa place a la question de l'autre. J. R. Greenberg and S. A. Mitchell, Object Relations in Psychoanalytic Theory, Harvard University Press, 2000, p. 3. endogene de nature organique. Puis nous tenterons de refuter I'idee d'un temps anobjectal de la vie sexuelle a laquelle conduit, pour certains commentateurs, I'idee freudienne d'une libido originairement narcissique. Nous tacherons ega-lement d'etablir que la regulation psychique par le principe de plaisir ne revient pas davantage a envisager l'ame infantile comme une entite close, decision qui rendrait totalement inintelligible la possibilite pour la vie psychique de prendre acte de la realite. Enfin, en guise de conclusion, nous essayerons d'esquisser un des enjeux philosophiques de la reconnaissance psychanalytique d'un primat de l'autre dans la vie psychique. Position de la problematique de la comprehension On oublie trop souvent de rappeler le contexte de la psychologie dans le cadre du-quel s'elaborerent les premieres intuitions freudiennes. Ainsi n'a-t-on pas accorde toute l'attention requise a l'idee, developpee dans l'Esquisse d'une psychologie scientifique, d'une relation originelle entre l'enfant et son entourage : la mere ou, plus largement, le Nebenmensch. Cet echange n'est pas de nature symbolique et ne releve encore d'aucune elaboration pulsionnelle. Il s'agit d'une sorte d'interaction automatique apparentee a l'activite reflexe. L'enfant y repete des reactions mo-trices en reponse a un jeu de signes ou de mimiques maternelles. Il se cree ainsi entre les deux protagonistes un jeu de miroir qui eleve l'ame infantile au-dessus des exigences encore mal coordonnees de sa physiologie. Cette analyse des premieres interactions de l'enfant avec son entourage ne provient d'aucune clinique du nourrisson. Freud reconnait lui-meme sa dette vis-a-vis d'une psychologie en pleine expansion a l'heure ou il ecrit : « Il est interessant de voir a quel point la lit-terature se tourne maintenant vers la psychologie de l'enfant. Aujourd'hui j'ai encore regu un livre de ce genre de James Mark Baldwin. C'est ainsi que l'on reste toujours un enfant de son epoque, meme pour ces choses que l'on considere 75 comme les plus personnelles »5. Darwin lui-meme, dans ses carnets (Carnet M), avait apporte une importante contribution a ce mouvement en publiant en 1877 une Esquisse biographique d'un petit enfant a partir de l'observation minutieuse des premieres annees de son fils aine. Le principal heritier des notes de Darwin, G. J. Romanes, publiera a son tour en 1888, Mental evolution in man qui, selon F. Sul- 5 Il s'agit de l'ouvrage intitule Mental Development on the Child and the Race, publie en 1895. D'autres auteurs comme le psychologue anglais J. Sully ou en Allemagne le psychophysiolo-giste W. Preyer ont largement contribue a cette nouvelle psychologie de l'enfant. Cf. S. Freud, Lettre a Fliess du 5 novembre 1897, LWF pp. 350-351. 76 loway, fut attentivement lu et annote par Freud au debut des annees 18906. L'auteur de L'origine des especes insiste sur l'existence de relations precoces entre l'enfant dans ses premiers mois et ses proches. Plus particulierement, il decrit avec precision le babillage infantile, le role des expressions du visage et des gestes dans la maniere dont le bebe se fait comprendre par l'autre avant meme de pouvoir re-courir a des mots. Darwin observe l'apparition tres precoce de cris qui ne semblent pas fixes naturellement : « J'ai constate ce fait chez mon enfant a l'age de quatorze semaineS et plus tot, je crois, chez un autre. [...]. A l'age de quarante six jours, il commenga a faire de petits bruits denues de sens comme pour s'amuser, et il sut bientot les varier. [...]. Je crus reconnaitre a la meme epoque [...] qu'il commengait a imiter les sons »7. La gestuelle semblait elle aussi relever d'une sorte de langage offrant ses moments de bonheur : « il posait lentement l'index d'une de ses mains sur la paume de l'autre, lorsqu'on lui repetait une petite chanson d'enfant. C'etait une chose amusante de voir son air de satisfaction toutes les fois qu'il venait d'ac-complir quelque exploit de ce genre »8. Qu'une activite de ce genre puisse se produire si tot, dans la vie infantile, la neurophysiologie de la seconde moitie du XlXeme siecle permettait de le penser grace a l'importance croissante qu'elle reconnut a l'automatisme psychique dont les bases neurologiques n'ont cesse d'etre mises en evidence9. A la char- 6 Nous reprenons ici les conclusions de F. Sulloway dans son Freud, biologiste de I'esprit, Paris, Fayard, 1998, p. 234. 7 Ch. Darwin, L'expression des emotions chez I'homme et les animaux, Paris, Rivages poche / Petite bibliotheque, p. 216. 8 Ibid., p. 213. C'est nous qui soulignons. La question du role des premiers echanges entre la mere et l'enfant dans le devenir psychique n'a pas ete exploree par les premieres generations de psy-chanalystes. Elle sera lentement redecouverte par des praticiens, dans les annees 1960. Ainsi, Rene A. Spitz, examine-t-il dans De la naissance a la parole le « phenomene de reciprocite entre la mere et l'enfant » qu'il designe par le terme de « dialogue » (Paris, Presses Universitaires de France, 1993, p. 33). B. Bettelheim, dans La Forteresse vide, prefere parler de « mutualite » pour nommer cet echange originaire qui sort le nourrisson du « solipsisme » et le fait « participer a l'experience de l'autre » (Paris, Gallimard, 1998, p. 43). Plus recemment, les travaux de M. Dornes (Die emotionale Welt des Kindes: Fisher 2000 ; Psychanalyse et psychologie du premier age, Paris, Presses Universitaires de France, 2002) temoigne d'un regain d'interet pour la psychologie du nourrisson au sein meme des investigations d'ordre psychanalytique. 9 L'ouvrage de Marcel Gauchet L'inconscient cerebral (Paris, Seuil, 1992) presente clairement les grandes lignes de cette nouvelle physiologie nerveuse issue de la theorie reflexe du milieu du XlXeme siecle. C'est la theorie de M. Hall et J. Müller (1833) qui conduisit a faire du mode de fonctionnement spinal un modele applicable au fonctionnement cerebral lui-meme. Ainsi, en 1840, le physiologiste anglais T. Laycock, maitre du celebre neurologue J. H. Jackson, est-il niere de ce contexte scientifique et de la perspective darwinienne attentive aux rapports entre le vivant et son milieu, Freud, a la fois neurologue et darwinien, fut en mesure d'elaborer un modele de la vie psychique ou l'emprise des echanges precoces est determinante en vertu d'une activite psychique primaire, aveugle, qui doit tout a sa base physiologique. Le cadre general de l'Es-quisse d'une psychologic scientifique, essai publie de maniere posthume en 1895, a ete ainsi fourni par le contexte dans lequel Freud regut sa formation in-tellectuelle et scientifique. Des cette epoque, celui-ci se representait l'äme comme un appareil ouvert sur le Nebenmensch comme en temoignent ses analyses de l'experience de comprehension. La notion de « comprehension » est rarement mise en avant par les commenta-teurs. Son usage explicite est, il est vrai, tres circonscrit. C'est essentiellement dans l'Esquisse que Freud exploite ouvertement la famille lexicale du verbe « comprendre » (verstehen) pour qualifier l'echange qui se noue des les premiers mois de la vie entre l'enfant et la personne qui vient a son secours. La comprehension est a la fois un vecu relationnel et une experience proprement intellec-tuelle : elle est l'exercice primaire d'une « pensee » (Denke). Freud distingue, au sein de l'activite pensante originelle, d'un cote un processus associatif domine par l'attraction primaire des traces perceptives investies libidinalement (pensee dite « reproductrice » (reproduzierende)) ; d'un autre cote, la veritable activite de pensee qui ne vise pas a « reproduire » des scenes desirees mais seulement a « reconnaitre » quelque chose. Le moteur de la recherche n'est pas ici, comme dans la « pensee reproductrice », la poussee primaire directe vers l'econduction de l'excitation, c'est-a-dire le plaisir, mais un dynamisme visant la reconnaissance de ce qui est pergu en tant que tel. Quand les donnees perceptives ne recouvrent pas les representations du souhait, ecrit Freud, elles « eveillent l'interet» et sus-citent deux actes de pensee complementaires : le travail de rememoration et l'acte 77 de jugement auquel il prepare. Il s'agit toujours, pour la pensee « sans but », soit de se laisser porter par les evocations de ce qui dans le pergu est deja connu, soit de signifier la part entre ce qui dans l'objet est connu et ce qui ne amene a soutenir que le cerveau est soumis aux lois de l'action reflexe. L'ascendance de ces travaux sur ceux des psychologues de l'epoque est significative comme en temoigne, en France, la these de P. Janet, publiee en 1889, intitulee : L'automatisme psychologique (Sous-titre : Essai de Psychologie experimentale sur les formes inferieures de l'activite humaine). On trouve l'em-preinte de cette reflexologie conquerante jusque dans la litterature, chez un Valery, dans L'idee fixe par exemple. 78 l'est pas10. Le jugement consiste a discerner, dans un complexe perceptif ou dans n'importe quel sujet, ce qui est reconnaissable. Qu'est-ce qui pousse le psychisme a reconnaitre et a juger ? Quel est le ressort de cette « pensee sans but », de cette « pensee reconnaissante » qu'est la « comprehension » (« Verständigung » : LWF, p. 626 ou encore p. 671) ? Quand l'en-fant pergoit un proche, son attention se porte prioritairement sur ce qui chez cette personne evoque son propre corps et surtout ses propres mouvements : « Les complexes de perception qui emanent alors de cet etre-humain-proche (Nebenmensch) seront en partie nouveaux et non comparables, comme ses traits, par exemple, dans le champ visuel ; d'autres perceptions visuelles, par exem-ple les mouvements de ses mains, au contraire, recouperont dans le sujet le souvenir de ses propres impressions visuelles tout a fait semblables, venant de son propre corps, auxquelles sont associes les souvenirs de mouvements vecus dont il a lui-meme fait l'experience. D'autres perceptions de l'objet encore, par exemple quand il crie, reveilleront le souvenir de ses propres cris^ » (LWF, p. 639). Freud suppose ainsi, entre l'enfant et la mere, une communication precoce batie sur ce qui, dans le champ perceptif, est capable d'etre reproduit par la psyche in-fantile11. Mais le caractere general de ses analyses permet d'aller plus loin que la simple description psychologique a laquelle s'en tenait C. Darwin. Dans ses premiers mois, le sujet infantile ne connaitrait ses propres gestes qu'a travers ceux que lui renvoie immediatement l'autre et qui ne correspondent pas a la realite objective de sa propre gestuelle. Les sensations kinesthesiques infantiles anime-raient ainsi originairement des images de l'autre creant l'illusion speculaire d'habiter son corps. En repondant a l'autre, autrement dit en le « comprenant », 10 Freud decrit ainsi les deux possibilites : « ou bien le courant se dirige sur les souvenirs reveilles et met en marche un travail de rememoration sans but, qui est donc mis en mouvement par les differences et non par les ressemblances ; ou bien ce courant demeure dans les consti-tuants nouvellement surgis et forme alors un travail de jugement egalement sans but » (LWF, p. 639). 11 Cette mimetique primitive entre la mere et l'enfant est bien celle que C. Darwin avait decrite dans sa publication de 1877 : « En resume, un petit enfant fait comprendre ses besoins d'abord par ses cris instinctifs, qui, au bout d'un certain temps, sont modifies en partie involontairement, en partie, je crois, volontairement comme moyen de communication, par l'expression inconsciente de ses traits, par des gestes et par des differences d'intonation bien marquees, enfin par des mots vagues inventes par lui-meme, puis par d'autres plus precis, imites de ceux qu'il entend ; et ces derniers, il les acquiert avec une vitesse merveilleuse » (L'expression des emotions chez I'homme et les ani-maux, p. 218). I'enfant abolirait toute distinction avec son interlocuteur. La reponse annulerait ce qui de l'autre, est autre : ce qu'il croit faire est ce que fait l'autre dont I'image est devenue la conscience de son propre mouvement. Pour l'enfant, l'autre compris est le moi et le moi est cet autre. La relation de comprehension correspondrait a une sorte de stade du miroir primaire, bien anterieur a celui dont parlera J. Lacan12. A cette epoque, le moi ne se soutient d'aucune image de son propre corps ; il est une structure psychique qui ne s'actualise que dans l'echange avec l'autre. Du trauma comme incomprehension Cette description a gros traits de l'experience relationnelle originaire entre l'enfant et son entourage nous donne le cadre de la theorie psychopathologique freu-dienne. L'enfant s'efforce, avons-nous dit, de repeter, pour les « comprendre », les expressions, les sons, les gestes qu'on lui propose. En revanche, les impasses de cette relation, ses suspensions, ses effractions correspondent a ce que Freud designe sous le terme de « trauma »13. Ces experiences qui viennent rompre pro-visoirement l'experience de comprehension laissent derriere elles des vestiges qui sont a la source des pulsions, de l'amour et plus generalement, des liens premiers a l'autre : « Chez un etre humain, les souvenirs d'enfance incomprehensi-bles et les fantaisies edifiees sur eux font constamment ressortir ce qu'il y a de plus important dans son developpement animique » (SEL p. 117). Les traces de ces incomprehensions fondatrices sont ce qui met l'äme en mouvement : « ce qui est ainsi reste incompris, cela revient ; cela n'a pas de repos, tel un esprit non absous, jusqu'a ce que cela ait accede a la solution et a l'absolution » (APG p. 108). L'experience traumatique, on sait que Freud l'a tres tot exprimee en 12 L'epreuve du miroir lacanienne correspondrait au moment ou l'enfant, sous le regard de la mere, s'emanciperait des images maternelles de la comprehension originelle pour endosser celle, visuelle, de son propre corps reflete. Dans ce moment de reconnaissance, l'enfant s'en-gagerait sur la voie d'une identification a sa propre image : ce n'est plus sa mere, mais son propre reflet qui repond desormais aux mouvements de son corps. Le moi psychique donne ainsi naissance a un moi corporel propre, le moi « enveloppe » dont parlera Freud en 1923 (LMC, p. 270). Pour le stade du miroir lacanien, voir Ecrits (Paris, Seuil, 1966). 13 L'acception du terme de « trauma » dans l'ffiuvre freudienne est assez complexe et instable. Il est neanmoins possible, comme nous allons le voir, d'en formuler le noyau de signification. En ce qui concerne l'evolution generale du sens de ce terme a l'epoque ou ecrit Freud, on pourra se reporter a l'ouvrage collectif, realise sous la direction de M. S. Micale et P. Lerner : Traumatic pasts. History, psychiatry and trauma in the modern age (1870-1930), Cambridge, Cambridge University Press. 2001. 79 termes de « seduction ». Mais c'est seulement dans les mois qui suivirent la redaction de l'Esquisse qu'il congut cette seduction comme un vecu d'incompre-hension. Des 1892, le trauma suppose a l'origine des troubles nevrotiques etait pense comme un attentat sexuel, un acte pervers exerce en general par un adulte sur un enfant. Ce dernier subissait des gestes qui, par definition, l'affectait dans sa chair meme. A l'automne 1895, dans la correspondance avec W. Fliess, Freud en vient a considerer que le vecu corporel de l'enfant ne revet un caractere trauma-tique que dans la mesure ou il vient suspendre la relation de comprehension. La reside la dimension « passive » du trauma primaire : le corps est touche et, aucun echange n'accompagnant l'acte, rien ne rendant celui-ci comprehensible, le contact s'apparente a une pure passivation. D'un coup, dans l'effroi, le proche de-vient lointain, inaccessible : l'autre devient tout entier une masse opaque. Il fait surgir dans le moi la « chose » (das Ding) c'est-a-dire ce qui correspondait dans l'Esquisse a la part incomprehensible de la perception de l'autre. Freud decouvre en elaborant la notion de trauma primaire, a l'automne 1895, l'idee d'un acte de la Chose : celle-ci n'est plus simplement un laisser-pour-compte, l'opacite residuelle du travail de comprehension ; elle peut se manifester en tant que telle, en intro-duisant au sein du vecu infantile sa propre opacite. Contrairement a la « chose en soi » kantienne qui ne se manifeste jamais qu'a travers l'appropriation phenome-nale que notre sensibilite en effectue, la Chose freudienne, elle, peut faire irruption dans le vecu sans rien perdre de son absoluite : quand la Chose apparait, plus rien ne se tient, tout s'effondre dans le vide de l'effraction traumatique. Quel est alors le statut de la trace de l'incomprehension traumatique ? Elle peut etre corporelle mais, Freud elargissant tres vite sa conception du trauma, elle pourra aussi consister en n'importe quel vecu sensible, verbal par exemple si c'est un mot qui vient briser le lien de comprehension. Le trauma precipite la trace en provo-80 quant l'investissement de tel ou tel fragment du vecu de passivation. Un element perceptif se trouve ainsi scinde, isole et forme une sorte de « corps etranger » qui, dans sa reactivation, actualise une attente en direction de l'autre14. Cette revivis-cence represente en effet la repetition de la reaction de defense primaire dont il est le vestige. Meme si le reveil des investissements traumatiques ne constitue pas en lui-meme un trauma, il revet toutefois pour le moi la tonalite du « desaide » 14 La theorie du signifiant enigmatique de J. Laplanche repere clairement le statut particulier de la trace traumatique dans le texte freudien. Mais elle n'en identifie pas la nature singuliere dans la mesure ou elle inscrit le sujet infantile et l'evenement de sa seduction dans un ordre d'emblee sym-bolique, pretant ainsi a Freud des presupposes trop lacaniens pour etre veritablement les siens. (Hilflosigskeit) c'est-a-dire du sentiment de detresse que provoque la suspension de la comprehension. Il s'agit a la fois de I'evenement interne d'une tension qui sur-git en un lieu precis du corps et d'une attente de comprehension tournee vers l'au-tre. C'est cet horizon d'attente que Freud observe regulierement chez les hyste-riques, en particulier chez Elisabeth v. R [...] quand elle est la proie de ses douleurs : « puisqu'elle accordait assez d'importance a ses douleurs, son attention la tournait vers quelque chose d'autre dont les douleurs n'etaient qu'un phenomene d'accompagnement, probablement vers des pensees et des impressions en rapport avec les douleurs » (EH p. 156. C'est nous qui soulignons). Peut-on expliciter le sens de l'attente attachee a la trace traumatique ? On pour-rait dire que ce vers quoi l'äme traumatisee est toute entiere tendue est une initiative de l'autre par laquelle l'element incompris cesserait enfin de l'etre. Or la trace d'une passivation ne peut etre comprise que par un acte dont elle puisse etre elle-meme la trace, autrement dit par la repetition de la seduction elle-meme. Ainsi, d'une fagon paradoxale, ce que le trauma laisse derriere lui, si l'äme infantile pouvait le subjectiver par le biais de representations, serait l'attente de sa reproduction15. Mais dans son occurrence premiere, l'empreinte traumatique s'exprime sous la forme d'une attente aveugle qui ne sait pas ce qu'elle veut re-cevoir de ses interlocuteurs actuels et qui s'adresse en verite a la Chose c'est-a-dire a la face cachee de l'autre comprehensible. La desirance originaire, au lieu de la trace traumatique, n'est pas une conscience d'absence, ce qui supposerait une elaboration symbolique qu'on ne saurait preter a la vie psychique precoce. Cette attente est a concevoir comme une intentionnalite vague qui, en l'absence de tout accomplissement, reste vide et totalement ignorante de ce vers quoi elle tend. C'est une poussee sans but ni objet par laquelle le Soi, souffrant d'une comprehension suspendue, attend de l'autre actuel qu'il y remedie16. La trace traumatique represente donc un foyer dynamique : elle est la source de toute la vie 81 15 Dans une lettre a Abraham du 5 juillet 1907, Freud souscrit, a quelques reserves pres, a l'idee de son correspondant selon laquelle certains enfants nevroses peuvent aller au-devant de la repetition de l'attentat sexuel (Les Traumatismes sexuels comme forme d'activite sexuelle infantile, O.C. Tome I). L'idee sera reprise quelques annees plus tard par S. Ferenczi dans un article de 1916 (Deux types de nevroses de guerre: Psychanalyse II) oü il introduira le terme de « traumatophilie » (p. 251). 16 Cette tension aveugle, elaboree erotiquement mais non articulee a un quelconque but pul-sionnel, est souvent designee par Freud par le terme allemand de « Sehnsucht», tres prise par les romantiques et difficile a traduire comme le soulignent les traducteurs des Presses Universitaires de France. (Traduire Freud, p. 96). Il s'agit d'un desir ardent ou fervent, d'une aspiration sans objet nettement assigne mais tournee vers l'autre. pulsionnelle future. Dans le cadre de la theorie du trauma primaire, la vocation du souhait (Wunsch) ou de la pulsion n'est pas tant d'obtenir la repetition hal-lucinatoire d'une perception d'objet que d'elaborer dans l'echange avec l'autre des actes derivatifs par lesquels se canalise une tension17. La revolution theorique qu'accomplit discretement Freud, a l'automne 1895, en inscrivant le vecu traumatique precoce dans le plan des echanges premiers entre la mere et l'enfant, represente une innovation d'importance : les fondements de la vie psychique ne sont plus tant energetiques comme ils l'etaient encore dans l'Esquisse, que semiotiques et relationnels. Le paradigme de la comprehension permet a Freud de faire se rejoindre la question de l'autre et celle du trauma. Sont ainsi jetees les bases d'une conception de la pulsion qui fera de celle-ci non pas un evenement interne mais une irreductible attente en direction de l'autre. Que la vie sexuelle est toujours tournee vers I'autre Venons-en au deuxieme point de notre discussion. La cloture solipsiste du sujet freudien n'est-elle pas attestee par l'idee, introduite dans le courant des annees 1910, d'un narcissisme autoerotique originel qui serait le point de depart du de-veloppement libidinal ? Dans les premieres pages de son ouvrage, Vie et mort en psychanalyse, J. Laplanche juge avec severite l'impasse a laquelle conduirait cette hypothese : « Si la notion d'auto-erotisme va remplir une fonction extre-mement importante dans la pensee de Freud, elle va, en meme temps, mener a une grande aberration de la pensee psychanalytique et peut-etre, a une certaine aberration de la pensee freudienne elle-meme concernant l'objet et l'absence primitive d'objet. Il va s'agir, dans cette perspective, de faire sortir l'objet comme ex nihilo, par un coup de baguette magique, d'un etat initial considere comme 82 absolument 'anobjectal' ».18 L'objection parait forte : si le moi est le premier objet de la libido, comment cessera-t-il de l'etre ? Comment pourra-t-il depasser 17 Des Uinterpretation du reve, le processus primaire de l'appareil psychique n'est pas oriente vers l'hallucination mais plus exactement vers la reproduction, par nature impossible, de certains vecus de perception. La regression hallucinatoire souvent mentionnee par Freud n'est en realite qu'un effet particulier de cette impasse psychique. 18 J. Laplanche, Vie et mort en psychanalyse, Paris, Flammarion. 1970, pp. 33-34. C'est nous qui sou-lignonsOn retrouve formulee l'aporie, mais sur un mode non reflechi, dans le Dictionnaire freudien (Paris, Presses Universitaires de France, 2008, p. 1194) de C. Le Guen : apres avoir perdu l'objet exterieur des pulsions d'auto-conservation, « la pulsion sexuelle devient alors autoerotique ». l'amour qu'il se porte a lui-meme en aimant des objets etrangers ? Il reste toute-fois a verifier si Freud a bel et bien congu les debuts de la vie sexuelle comme un face a face narcissique du moi avec lui-meme. Qu'est-ce que le narcissisme ? C'est entre 1910 et 1915 que la notion apparait au sein de la doctrine freudienne. L'article de 1914, Pour introduire le narcissisme, elargit son champ conceptuel au-dela de la pathologie et en fait une organisation specifique, etroitement liee a l'au-toerotisme, un stade par lequel tout homme serait passe et auquel il pourrait encore etre reconduit en certaines circonstances. Cette configuration represente un retournement essentiel pour une vie psychique fondamentalement tournee vers l'autre : avec elle, en effet, la tension libidinale renonce a attendre quelque chose de cet autre et trouve l'issue de se resoudre par une action directe sur le corps meme du sujet. Dans Pulsions et destins des pulsions, Freud fait coincider le nar-cissisme, c'est-a-dire le moi pris comme objet d'amour, avec la phase auto-ero-tique de la sexualite infantile, les deux formant un « stade purement narcissique » (M p. 183) : « Le moi se trouve originellement, au tout debut de la vie d'ame, in-vesti pulsionnellement et en partie capable de satisfaire ses pulsions sur lui-meme. Nous appelons cet etat celui du narcissisme et cette possibilite de satisfaction la possibilite auto-erotique »19. Ainsi, contrairement a ce que Freud soutenait en 1905 dans les Trois essais, si l'enfant suce son pouce ou sa tetine, ce n'est pas pour la seule raison qu'il repeterait le plaisir erogene labial que lui aurait procure la tetee. L'operation est en realite plus complexe : la decouverte de l'autoerotisme engage une structure psychique determinee. Le moi infantile se clive en un moi aime, le corps propre, et en un moi aimant, un tenant lieu de l'autre. L'enfant qui sugote se donne le sein. Il est d'une certaine maniere a la fois, le sein maternel et sa propre bouche. Ainsi se fonde le clivage autoerotique entre le moi-autre-actif et le moi-ero- 83 gene-passif. La relation entre ces deux instances est une relation d'amour que le moi se porte a lui-meme et non plus un simple raccourci pour obtenir du plaisir. L'acte pulsionnel autoerotique supplee a la passivation par l'autre qui ne vient pas. L'onanisme mime une auto-passivation par nature impossible. Cette dualite interieure permettant au moi de s'investir lui-meme, dans son corps ou en des traces psychiques issues de l'autre, est a l'ffiuvre dans les operations de defense primaire decrites en 1915 dans les premieres pages de la Metapsychologie: le « ren- 19 Ibid., p. 181-182. 84 versement dans le contraire » (transformation des buts actifs ou passifs) et le « re-tournement sur la personne propre » (changement d'objet). Ces processus sont, en effet, rendus possibles par la dialectique narcissique : « Le destin des pulsions que sont le retournement sur le moi propre et le renversement de l'activite en passivite sont dependants de l'organisation narcissique du moi et portent en eux le sceau de cette phase » (M p. 179). L'identification procede egalement de cette structure clivee. En quel sens la libido du moi est-elle originaire ? Mais venons-en au nreud du probleme. Le modele du narcissisme primaire ne se contente pas de postuler l'existence d'une organisation psychique dedoublee par laquelle le moi interiorise un pan de la relation a l'autre. Il enveloppe une deuxieme hypothese qui concentre, a vrai dire, toute la difficulte. Dans l'espace psychique ou le moi se rapporte a lui-meme en quete d'une auto-passivation ero-tique, s'actualiserait la libido originaire: « Au debut du developpement individuel, toute la libido (toute la tendance erotique, toute la capacite d'amour) est atta-chee a la personne propre, investissant, comme nous le disons, le moi propre » (UDP p. 45). La est l'aporie que nous annoncions : si la sexualite est originellement narcissique, comment peut-elle cesser de l'etre ? Freud parait lui-meme peu convaincu quand il tente de s'expliquer : « d'ou provient donc en fin de compte dans la vie d'ame cette obligation de sortir des frontieres du narcissisme et d'in-vestir la libido sur des objets ? La reponse conforme a notre cheminement de pensee pourrait etre que cette obligation apparait lorsque l'investissement du moi en libido a depasse une certaine mesure. on doit se mettre a aimer pour ne pas tomber malade et l'on doit tomber malade lorsqu'on ne peut aimer par suite de re-fusement » (PIN p. 229). Mais en admettant que le narcissisme rende malade, hy-pocondriaque par exemple, pourquoi la psyche voudrait-elle guerir ? Confronte au probleme de la perte de l'objet lors du rebroussement autoerotique de la vie sexuelle infantile, Freud, dans les Trois Essais, affirme clairement que le lien a l'autre n'est jamais perdu. La permanence de ce dernier est d'ailleurs la condition sans laquelle la sortie de l'autoerotisme et l'unification de la vie sexuelle a l'age pubere demeureraient impossibles : « Mais de cette relation sexuelle, la premiere et la plus importante de toutes [l'allaitement], subsiste, meme apres la separation de l'activite sexuelle d'avec l'ingestion de nourriture, une part importante qui aide a preparer le choix d'objet, donc a reinstaurer le bonheur perdu. Tout au long de la periode de latence, l'enfant apprend a aimer d'autres personnes qui lui apportent de I'aide dans son desaide et satisfont ses besoins, et cela tout a fait sur le modele et dans la continuation de son rapport de nourrisson a sa nourrice » (TE p. 161). La sexualite infantile ne se detache done pas completement de l'autre en s'engageant sur la voie auto-erotique. Le probleme se circonscrirait alors a la periode des ecrits metapsychologiques de 1915, quand Freud semble faire de la libido narcissique la premiere etape de la vie sexuelle infantile. L'objet n'est plus a retrouver apres avoir ete perdu, il est desor-mais tout simplement a trouver pour la premiere fois. Mais le temps zero de la vie sexuelle est-il vraiment anobjectal ? Les analyses de Pulsions et destins des pulsions ainsi que les textes de cette periode revelent au contraire que Freud reconnait a present a toutes les pulsions sexuelles infantiles un objet et renonce a l'idee d'une sexualite purement erogene. Ainsi la pulsion orale devient-elle « sadique ». Les premieres pulsions sexuelles n'ont certes pas d'objet propre mais empruntent leur debouche objectal aux pulsions de conservation : en ce qui concerne l'activite orale, « l'activite sexuelle n'y est pas encore separee de l'ingestion de nourriture, les opposes ne sont pas encore differencies en elle. L'objet de l'une de ces activites est aussi celui de l'autre, le but sexuel consiste en l'incorporation de l'objet » (TE p. 134)2". La vie erotique est donc bien originellement tournee vers l'objet. Certes le destin de cet etayage objectal des premieres pulsions sexuelles sur les pulsions vitales est d'etre en partie perdu avec l'avenement du narcissisme primaire et de ses implications autoerotiques. Mais en partie seulement : seule « une part des pulsions sexuelles est, comme nous savons, capable de cette satisfaction auto-erotique » (M p. 182. Note. C'est nous qui soulignons). La sexualite infantile ne se reduit donc a aucun moment a la libido du moi. Freud demeure fidele a l'ar-gument des Trois Essais selon lequel l'organisation narcissique ne serait jamais depassee s'il n'existait pas a cote d'elle une libido a caractere objectal : « Les pul- 85 sions sexuelles exigeant d'emblee un objet, et les besoins des pulsions du moi impossibles a jamais satisfaire auto-erotiquement perturbent naturellement cet etat [narcissisme originaire] et preparent les progres » (M p. 182). La premiere sexualite infantile ne doit donc pas etre assimilee a la libido du moi21. La theorie freudienne 20 L'objectalite precoce des premieres motions sexuelles est egalement affirmee dans ce passage : « elles interviennent, dans une grande mesure, en vicariance les unes a la place des autres et peu-vent aisement changer d'objets » (Ibid., c'est nous qui soulignons). 21 C'est sur la base de l'experience clinique mais egalement d'une lecture attentive des textes freu-diens que M. Balint a tres tot conteste l'idee, vite repandue dans les milieux psychanalytiques, du narcissisme n'a jamais envisage la sexualite infantile comme denuee de tout debouche exterieur. Si la sexualite etait en ses debuts entierement auto-ero-tique, elle le resterait pour toujours. J. Laplanche aurait alors raison de parler de la « fable auto-erotique » de Freud et de voir dans le narcissisme qui l'epaule « une des notions les plus trompeuses » du freudisme22. L'idee freudienne d'une libido narcissique primaire ne signifie pas que toute la vie sexuelle derive de cette origine. Une fois ecarte ce malentendu, on peut s'interroger pour finir sur l'insistance de Freud a parler d'une libido narcissique originaire. Pourquoi avoir pris ainsi le risque d'occulter la sexualite infantile objectale pre-narcissique ? C'est que pour le Freud de 1915, la libido ne s'affirme vraiment en tant que tel, dans son autonomie, qu'a partir du moment ou elle se dote d'un objet propre et qu'elle s'af-franchit de l'etayage sur une objectalite d'emprunt. Or avant d'introjecter ses objets, la dynamique libidinale trouve bel et bien son premier objet dans le moi sur lequel se retourne la sexualite autoerotique. Dans cette perspective, on com-prend qu'une sexualite encore mal degagee des fonctions d'autoconservation puisse ne pas representer pour Freud un fait libidinal acheve. La libido narcis-sique serait bien alors la premiere manifestation d'une sexualite douee d'un but et d'un objet propre. Le rapport a la realite : une nouvelle aporie ? Terminons notre investigation par l'examen d'un troisieme et dernier point : celui de l'acces de la psyche a la realite. Si Freud avait effectivement reduit la vie psy-chique a un jeu d'investissements internes regule par la seule recherche de plai-sir, il se serait confronte a une grave objection : comment l'appareil psychique 86 peut-il prendre en consideration le monde exterieur si son premier motif d'ac-tion est l'econduction de l'excitation ? L'hypothese meme du principe de plai- selon laquelle la sexualite infantile serait pour Freud originairement anobjectale. Voir Remarques critiques concernant la theorie des organisations pregenitales de la libido (chap. IV) dans Amour primaire et technique psychanalytique (Paris, Payot, 2001). La voie exploree par les tenants de la theorie de l'attachement (en particulier J. Bowlby, Attachement etperte, Paris, Presses Universi-taires de France, 1978.) rend egalement justice a l'idee freudienne d'un lien precoce a l'autre. En revanche, la conception organique et inneiste de la nature de ce lien tourne le dos a la perspective « accidentaliste » (traumatique) de la psychanalyse freudienne. 22 J. Laplanche, Vie et mort en psychanalyse, p. 110. sir recelerait une contradiction enfermant la psyche en un solipsisme halluci-natoire indepassable. Le probleme est aborde pour la premiere fois par Freud en 1895, dans la discussion du « signe de realite ». Il s'agit, dans l'Esquisse^, de repondre en meme temps a deux questions differentes : 1) comment la psyche parvient-elle a faire la part en-tre la pensee et la realite ? 2) pourquoi l'accomplissement de souhait ne se realise-t-il pas toujours sur le mode hallucinatoire ? L'idee premiere de Freud est que, dans le cas de l'hallucination, le dispositif permettant la reconnaissance du reel se trouverait force par la pression d'une exigence libidinale particulierement intense. Mais cette explication manque de clarte et ses faiblesses laissent dans l'obscurite l'avenement des processus de pensee secondaires, en prise sur la realite, que L'in-terpretation du reve nomme le « penser » (IR p. 621). Elle est abandonnee explici-tement dans la fameuse lettre du 21 septembre 1897 ou Freud renonce a « ses neu-rotica ». Doit-on en conclure qu'a partir de cette periode, il n'existe plus, dans la theorie freudienne, de moyen de comprendre comment, au sein de son develop-pement, l'ame infantile parvient a rencontrer le reel ? C'est ce qu'estime J. La-planche qui presente ainsi la gageure freudienne apres l'automne 1897 : il s'agit de « reconstruire l'evolution du psychisme humain a partir d'une sorte d'etat premier hypothetique, ou l'organisme formerait une unite fermee par rapport a l'entourage »23. Le Vocabulaire de psychanalyse impute de son cote a Freud l'erreur d'avoir cherche un critere psychologique de realite la ou opererait, en fait, un dis-positif inconscient, etroitement lie a la resolution de conflits libidinaux : « La signification d'un principe de realite capable de modifier le cours du desir sexuel peut difficilement se saisir hors de (la) reference a la dialectique de l'ffidipe et aux identifications correlatives de celui-ci »24. Pour J. Laplanche, c'est le deploiement de la vie libidinale, en particulier dans son moment ffidipien, qui est en mesure de pro-mouvoir l'acces a la realite. Ce qui revient a retrouver la perspective aporetique de 87 l'Esquisse ou Freud demandait a un processus de developpement endogene d'ins-tituer lui-meme le critere de reconnaissance du reel. Mais peut-on subordonner aux 23 J. Laplanche, Vie et mort en psychanalyse, p. 111. Le Vocabulaire de psychanalyse, publie trois ans plus tot, soutenait une position plus juste : « On a souvent attribuer a Freud, pour la critiquer, l'idee que l'etre humain aurait a sortir d'un hypothetique etat ou il realiserait une sorte de systeme clos voue au seul plaisir narcissique pour acceder, on ne sait par quelle voie, a la realite. Une telle representation est dementie par plus d'une formulation freudienne : il existe des l'origine, au moins dans certains secteurs, notamment celui de la perception, un acces au reel » (Paris, Presses Universitaires de France, 1967, p. 337). 24 Op. cit., p. 338. puissantes motions de la libido la production de l'acces a la realite ? Cette conception, largement repandue dans la litterature analytique, ne sera pas celle que Freud developpera pour echapper aux faiblesses de ses premieres analyses25. L'avenement du principe de realite Des L'interpretation du reve, en effet, le critere de realite n'est plus engendre par un quelconque processus libidinal. Ce ne sont ni les pulsions, ni leur recusation qui permettent a la psyche de se rapporter a la realite : l'acces au reel est une institution originaire du moi. Les questions de l'instauration du critere de realite et du depassement du regime hallucinatoire se trouvent decouplees26. Qu'en est-il alors de l' « epreuve de realite » qui permet au sujet de faire la part entre ce qui releve du monde interieur et du monde exterieur ? Elle n'est plus liee a un quelconque « signe » ou « signal » mais procede directement du vecu moteur. Tout etre vivant fait originairement, dans l'echange avec son milieu, l'experience de la realite par l'action musculaire ou l'aptitude a ecarter la source de l'excita-tion : « D'une part, il [l'organisme] sentira des stimuli auxquels il peut se sous-traire par une action musculaire (fuite), ces stimuli il les met au compte d'un monde exterieur ; mais d'autre part aussi des stimuli contre lesquels une telle action demeure inutile » (M p. 167)27. Le reel est ce sur quoi on peut agir. Cette fonc-tion de discernement moteur est consideree comme « une des grandes institutions du moi » (CMD p. 258). Un tel critere permet de comprendre qu'aucun enfant, des qu'il dispose d'une motricite volontaire, n'ignore la difference entre la realite et la fiction. La psyche humaine est originairement ouverte sur le monde exterieur. Quand Freud fait l'hypothese speculative d'un systeme psychique clos, dans une note de son article de 1911, il prend bien soin, ce qui echappe a J. Laplanche, de preciser que dans cette fiction d'ecole, la realite du monde exterieure n'est pas nulle mais seulement annulee, « negligee » (vernachlässigt) (FDP p. 14)28. 25 On retrouve cette problematique non freudienne par exemple dans l'analyse winnicottienne de la position d'objet (Jeu et realite, Paris, Gallimard, 1975). 26 Ainsi, dans l'ouvrage sur les reves, la seconde question est developpee sans que soit men-tionnee la premiere (IR p. 620-621). 27 La position est la meme en 1930 (MC p. 252). 28 J. Laplanche exprime donc a son insu une these freudienne quand il affirme que, pour le systeme psychique, « le probleme de s'ouvrir au monde est un faux probleme » (Nouveaux fondements pour la psychanalyse, Paris, Presses Universitaires de France, 1987, p. 93). L'avenement de la pensee Mais ce reel qui s'impose a la conscience de l'enfant des que celui-ci est en etat d'agir sur lui et de decouvrir qu'il peut le transformer, comment peut-il contrain-dre le cours des pensees ? Comment peut-il se faire entendre aupres d'une äme vivant sous l'emprise de ses desirs ? C'est desormais l'insatisfaction durable de la pulsion qui conduit a la creation de processus secondaires dont l'existence a pour effet de renforcer le moi face aux revendications pulsionnelles. Le meca-nisme d'inhibition energetique, elabore dans l'Esquisse, est abandonne au profit d'un processus psychique de renoncement encore mal precise en 1900 (IR p. 621). Le propos est plus precis en 1911, quand Freud introduit pour la premiere fois l'expression « principe de realite » : « C'est seulement l'absence de la satisfaction attendue, la deception (Enttäuschung), qui eut pour consequence l'aban-don de cette tentative de satisfaction par voie hallucinatoire. A la place de celle-ci, l'appareil psychique dut se resoudre a representer l'etat des faits reels du monde exterieur et a tendre a la modification reelle. Par la etait introduit un nou-veau principe de l'activite animique ; ne fut plus represente ce qui etait agreable mais ce qui etait reel, meme si cela devait etre desagreable. Cette instauration du principe de realite » (FDP p. 14). Que le moteur de l'avenement des processus de pensee temporisateurs soit la recusation par la realite, c'est-a-dire la perte ou la deception, Freud le redira encore en 1925 en posant comme condition « pour la mise en place de l'examen de realite, que se soient perdus des objets qui autrefois avaient apporte une satisfaction reelle » (LN p. 169). Ce que promeut l'in-satisfaction, ce n'est pas le critere de realite en lui-meme mais seulement une mutation psychique qui engendre une gamme specifique d'inscriptions relati-vement autonomes au sein de laquelle le jeu des investissements se traduit par l'aptitude a penser ou a fantasmer sans halluciner et plus generalement a pren-dre en compte le monde exterieur. Ainsi Freud parvient-il a distinguer les questions, d'abord mal differenciees par l'Esquisse, de l'indice de realite et de l'avenement d'une pensee affranchie du raccourci hallucinatoire. L' « epreuve de realite » est l'experience motrice qui permet a la psyche de distinguer entre la realite et ce qui est desire. L'insatisfaction est ce qui permet a la pulsion d'echapper a son destin hallucinatoire et a donner naissance a un regime de pensee gouverne par le « principe de realite ». L' « examen de realite » est alors possible, tant qu'il n'est pas suspendu par une pression libidinale trop forte. Ce qui arrive dans le cas du reve ou la regression 90 onirique, investissant le systeme perceptif de l'interieur, provoque l'innervation motrice süffisante pour procurer le sentiment de realite (CMD p. 257-258). L'in-satisfaction pulsionnelle ne cree pas le rapport au reel mais ouvre la possibilite pour l'energie psychique d'investir le pergu pour lui-meme, autrement dit de le penser sur le mode de l'activite de « pensee reconnaissante » dont parlait I'Es-quisse. Ainsi le reel se manifeste-t-il par une sorte de presence quasi originaire, forte et evidente, posee en regard du sujet agissant. Les peripeties du devenir pulsionnel n'affectent la relation au reel et a l'autre actuel que dans le cadre de-finissant la perturbation psychotique. Epilogue : Freud et la modernite La relation desirante a l'autre telle que la pose le modele du trauma primaire, elabore a l'automne 1895, constitue le scheme a l'interieur duquel se developpe toute la theorie freudienne de la sexualite mais aussi, precisons-le pour finir, des pulsions en general. Heritiers l'un et l'autre de l'echange speculaire origi-nel, la Faim et l'Amour sont en effet, chacun a sa maniere, tournes vers l'autre : le besoin ne constitue pas en lui-meme un lien mais une simple relation a d'au-tres apprehendes comme des objets indetermines (moyens) ; de son cote, la sexualite se distingue en tant qu'impasse relationnelle sollicitant corporellement des objets determines (fins). Quelle que soit leur nature, les pulsions n'enferment donc jamais le Soi dans l'intimite d'une vie interieure. Les appetits ne sont pas tant des evenements subjectifs que ce qui, dans la subjectivite, appelle et reclame au contraire de s'en affranchir. Les pulsions reconduisent a la surface de l'ame c'est-a-dire a l'echange, au contact, a la rencontre^ Elles sont le rappel a l'autre salutaire qui libere d'une interiorite contenant toujours le risque narcis-sique de se suffire a elle-meme. Le traitement freudien de la question de l'autre, s'il n'est pas de nature philoso-phique, trouve toutefois a s'inscrire dans le champ de reflexion des philosophes. Le probleme de l'alterite s'est pose selon des modalites evidemment tres diffe-rentes selon les ecoles et les epoques. Ainsi les grands courants de l'Antiquite sont-ils demeures etrangers a toute forme de solipsisme. Ils ont egalement par-tage l'evidence que la relation aux autres est toujours l'accomplissement d'un mouvement de l'ame. Chez un Platon ou un Aristote, l'experience intersubjective s'actualise par nature dans la dynamique d'un desir ou d'une tendance. L'autre n'est jamais apprehende comme une simple realite exterieure. Les psychologies antiques, meme celle materialiste d'Epicure, interdisent la reduction du vecu d'al-terite a la perception actuelle de l'autre29. La psyche loge en son sein les dispositions qui font que les hommes ne se reconnaissent pas seulement mais s'aiment et se haissent, se lient et s'affrontent. Elle est toujours tournee vers autre chose qu'elle-meme, vers une alterite l'engageant originairement dans un espace d'echanges. Il n'est pas dans la nature de l'ame, chez les Grecs, de pouvoir s'ac-tualiser et s'accomplir en dehors d'une relation a d'autres ames. La psychologie n'etait pour eux qu'un chapitre de l'ethique. C'est cette intuition metaphysique que salue Freud quand il souligne, dans les Trois Essais, que les Anciens « mettaient l'accent sur la pulsion elle-meme alors que nous le plagons sur l'objet » (TE p. 56-57). La primaute grecque accordee au desir plutot qu'a ce qui en est l'objet est precisement l'evidence avec laquelle Freud tente de renouer : en l'ame freudienne, avons-nous dit, l'objet est second et entierement subordonne a un pulsionnel qui n'est lui-meme qu'une modalite de la relation originaire a l'autre. L'ambiguite ontologique du reel psychique, a la fois actuel et virtuel, trouve a se reformuler a travers la problematique psycha-nalytique de l'inconscient : les constructions inconscientes actuelles cherchent indefiniment a s'actualiser sur la scene des echanges conscients avec autrui. La notion de « pulsion », irreductible a une simple « poussee » et dont l'acte est tou-jours inaccompli en depit des formations refoulees qu'elle actualise, renoue ainsi avec la problematique aristotelicienne de la puissance. C'est avec Descartes et sa critique des « formes substantielles » d'Aristote que s'est obscurcie l'evidence du lien a l'autre. L'avenement d'une ontologie de l'acte a evince la metaphysique de la relation au profit de la consideration exclusive de ses termes : sujet / objet. Contentons-nous ici d'evoquer la maniere dont la trans-cendance de l'infini divin est elle-meme sacrifiee sur l'autel cartesien de l'im- 91 manence subjective : cet infini n'est plus autre chose, pour l'homme, que l'ac-tualite d'une de ses propres idees, idee au statut certes tres singulier puisqu'elle introduit en l'ame une alterite desormais intime. Cette interiorisation de l'alterite ne concerne pas seulement le rapport a Dieu : elle rend aporetique la question meme de l'existence d'autrui. On sait comment la perception des autres hommes, 29 Avec la theorie des simulacres et de leur accumulation mnesique, le monisme materialiste epi-curien n'efface pas la difference radicale entre le jeu des possibles inherent a l'ame desirante et le plan actuel des receptions sensorielles. chez Descartes, n'enseigne qu'une presence de corps, de simples « chapeaux » et « manteaux ». En reduisant l'ame a un jeu de forces, la modernite cartesienne a dissout l'axiome antique de la transcendance psychique vers l'autre30. Il re-viendra a Spinoza de realiser avec rigueur le projet, ouvert par l'actualisme car-tesien, d'une physicalisation de l'intersubjectivite. Et il faudra attendre les bril-lants efforts de la tradition phenomenologique pour que la question de l'alterite psychique soit assumee de nouveau au creur d'une problematique de l'ego, en particulier grace a la notion d' « intentionnalite » proposee pour la premiere fois par F. Brentano dont le jeune Freud a suivi les cours. Efforts qui achoppent pre-cisement sur la tache d'expliciter le sens de l'experience d'autrui. Peut-on en effet esperer pouvoir rendre compte de la relation a l'autre, a fortiori des actes qui l'instituent, en partant d'une subjectivite qui ne doit rien a cet autre ? Faute d'ad-mettre l'alienation originaire de la psyche, E. Husserl et ses heritiers ne par-viennent pas a regler phenomenologiquement le probleme de la constitution de l'intersubjectivite tel qu'il est pose pour la premiere fois dans la celebre cinquieme des Meditations cartesiennes31. La psychanalyse freudienne n'est pas une philosophie dissipant enfin les apories de la conception moderne de l'autre. Toutefois elle fait evenement dans la pensee occidentale en s'elaborant autour d'un paradigme psychique qui renverse trois siecles de recouvrement egologique de la question de l'autre. On ne saurait donc tenir la perspective freudienne pour un avatar de la modernite cartesienne comme le font des commentateurs comme M. Henry32 ou J. M. Vaysse33. Par ail-leurs, en ce qui concerne la pretendue ambiguite de cette pensee convoquant a la fois le plan physicaliste des causes et celui phenomenologique du sens, am-biguite denoncee en leur temps par L. Wittgenstein, J. P. Sartre ou P. Ricreur, nous avons tente de montrer que la voie qu'ouvre Freud subvertit bien plutot cette al-92 ternative en rehabilitant l'idee antique d'une ame par essence desirante parce que hantee par une alterite desormais rapportee a sa source relationnelle. 30 La monadologie leibnizienne n'echappe pas a ce constat en depit de ses nombreux compro-mis avec la pensee aristotelicienne. 31 Il nous parait toutefois reducteur d'affirmer comme le fait J. Laplanche que ce n'est « qu'avec Husserl et Merleau-Ponty que l'existence d'autrui ferait l'objet d'une reflexion independante » (Le primat de l'autre, p. XXIII). 32 M. Henry, Genealogie de la psychanalyse, Paris, Presses Universitaires de France, 1985. 33 J. M. Vaysse, L'inconscient des modernes. Essai sur l'origine metaphysique de la psychanalyse, Paris, Gallimard, 1999. Liste des abreviations des ouvrages de S. Freud O.C. : (Suvres completes, Paris, Presses Universitaires de France APG : Analyse de la phobie d'un gargon de cinq ans, O.C., IX, Paris, Presses Universitaires de France, 1998 APP : Au-dela du principe de plaisir, O.C., XV, Paris, Presses Universitaires de France, 1996 CMD : Complement metapsychologique a la doctrine du reve, O.C., XIII, Paris, Presses Universitaires de France, 1994 EH : Etudes sur l'hysterie, O.C., II, Paris, Presses Universitaires de France, 2009 FDP : Formulations sur les deuxprincipes de l'advenirpsychique, O.C., XI, Paris, Presses Universitaires de France, 1998. IR : L'interpretation du reve, O.C., IV, Paris, Presses Universitaires de France, 2003 LMC : Le moi et le ga, O.C., XVI, Paris, Presses Universitaires de France, 1991 LN : La negation, O.C., XVII, Presses Universitaires de France, 1992 LWF : S. Freud / W. Fliess : Lettres a Wilhelm Fliess, Paris, Presses Universitaires de France, 2006 M : Metapsychologie, O.C., XIII, Paris, Presses Universitaires de France, 1994 MC : Malaise dans la culture, O.C., XVIII, Paris, Presses Universitaires de France, 1994 PIN : Pour introduire le narcissisme, O.C., XII, Paris, Presses Universitaires de France, 2005 SEL : Un Souvenir d'enfance de Leonard de Vinci, O.C., X, Paris, Presses Universitaires de France, 1993 TE : Trois Essais sur la theorie sexuelle, O.C., VI, Paris, Presses Universitaires de France, 2006 UDP : Une difficulte de lapsychanalyse, O.C., XV, Paris, Presses Universitaires de France, 1996 93