Vladimir Pogačnik Ljubljana CDU 804.0-22 LES RESSOURCES ET LES BLOCAGES DE LA FÉMINISATION DES NOMS EN FRANÇAIS Le choix de féminiser les noms de métiers, titres, grades et fonctions1 est un mouvement socialement justifié et qui n'est pas sans avoir de conséquences linguistiques. Seuls, de nos jours, les conservateurs semblent s'y opposer en avançant la plupart du temps des arguments de faible pertinence et parfois saugrenus. Il est vrai aussi que bon nombre de femmes s'accrochent au masculin pour y gagner en prestige. Grâce à la contribution des auteurs du Guide d'aide à la féminisation on ne saurait plus hésiter à favoriser la levée de l'occultation du «sexe» dans le langage. Le groupe a réussi à ce que l'opinion publique admette cette devise qu'Annie Becquer, «l'auteure» en tête du générique nous a recommandée dans son mot de dédicace: «// faut rendre à César ce qui est à César et à Cléopâtre ce qui est à Cléopâtre.» Le phénomène est loin d'être limité à la langue française: les journaux italiens, entre autres, ne cessent de jongler avec «il ministro» et «la ministra» en parlant de leurs femmes distinguées, pour ne citer que cet exemple. Les nouvelles démocraties ouvrent de manière souvent plus généreuse la voie aux appellations féminines, qui sont sans doute plus fréquentes dans ces sociétés et moins tributaires de la pression de la norme (dans les langues slaves par exemple). Il faut dire d'ailleurs que la Suisse, le Québec et la Belgique devancent la France en féminisant plus et depuis plus longtemps: les formes féminines semblent d'ailleurs bien fonctionner dans la pratique langagière de ces pays. Le premier ministre français a tenu à promouvoir la féminisation en un premier lieu dans les cas où le féminin est d'usage fréquent (circulaire du 6 mars 1998) et dernièrement dans la préface à l'ouvrage mentionné ci-dessus. Avec cet élargissement du débat, la féminisation cesse d'être une question idéologique, elle a quitté le domaine symbolique pour se trouver à l'heure actuelle en pleine gestation linguistique. Le Guide est à la fois une réflexion linguistique qui réussit à mettre en évidence la complexité de la question de façon cohérente et un vaste répertoire de termes masculins / féminins dont la nomenclature dépasse 2000 entrées. L'aspect théorique de la question est exposé essentiellement dans le chapitre qui parle des «difficultés». Si la féminisation pose peu de problèmes sur le plan morphologique, des blocages existent, ' Cf. Un ouvrage exhaustif à ce sujet est paru récemment: A. Becquer, B. Cerquiglini et al. (1999): Femme, j'écris ton nom...Guide d'aide à la féminisation des noms de métiers, titres, grades et fonctions. 145 relatifs à «l'homonymie», «l'euphonie», aux notions de «neutre» et de «générique» et au sentiment de «dévalorisation» liée à certains morphèmes dérivationnels. Dire que balayeuse représente un homonyme gênant pour deux sémèmes différents (métier de femme et outil mécanique) est un argument affaibli par le fait que le métier existait avant la machine. Il est très curieux que l'ambiguïté correspondante pour les noms masculins ne semble pas poser de problème: le cas du néologisme lecteur (de cassettes) par exemple. Sans parler du «dernier mot» qui échoit au contexte; car c'est ce dernier qui garantit la levée de toute ambiguïté de ce type. Quant aux noms désignant les femmes dans leur statut conjugal et professionnel (