'f. VOYAGE I) 2 FK J N C r. D'ESPAr-NE, CE POKTUCALs ET D'lTALlL, TOME PRLMIER, ■ . ,1 ,i.TKD TT-r • y/ L ■ VOYAGE DE F RA N C E> Ü'ESPAGNE, DE PORTUGAL, ET D'ITALIE, PAR M. s*'* Vu 12 Atril 1725 ,au 6 FeVrier 1730, TOME PREMIER, i LTC EAli, BW^^TfVi'HEKj A P AR I Si Chez Merlin ^ Libralie, l ue de la Harpe , a Saint Jofeph. M. DCC. LXX. /Ivec Approbation & Privilege du RoU A - I -v.- er •if " • ', 4- ) O' h A; M0NSE1GNEÜR eHAUVELIN> GARDE DES SCEAUX^ DE FRANCE» Mihistrš et Särexaiäe d'Etat. .. - / T.,:. L ; .h ■ -"r ö -[, . ■ , M. iVlONSEIGNEUR; ■"i j; -j c'u:. ^ ' pr , a »J Je ne me fiatte pas que la relation de mon voyage,d'Italie , d Ef-pagne & de Portugal foit; d'igne d'etre pr^fent^e a Votre'G^^apt: aü) ijeur; la litertŽ que j'ofe prerij (jjg n'eft point uti efFee^de ma prd« iomption. La reconnoiffance I'd-' xigeVmon dfiVQu njel'ordonne; je Texdcute par inclination. J'ef-pere' (^e ce que votre examen pouyjpit d(Sfap,rouver, fera juftifiiž par mon refpeÖ:, par mon z^Je & par votre bontd. Ceux qui ont donn^ des relations au public, les ont fouvent ^gay^es pat des traits fatyriques , parmi ces traits , il y en a tou-jours la mpiti4 ,dc faux; mais 1? plupart des Auteurs ont cela de" coiiimun avec les Poetes, qu'ils pi^y^rent la reputation d'hömme d'efprit, k cBle d^Konime vdridi- eft I'Auteur. Ce bon Pete raconte ^t^rnellement; il entreprendaffea a iij ynj louvent rhlftoire des villes, ra-rement il la finit: il a prefque tpujours copid de tres - mauvais Auteurs i fi au refte il a le ddfaut d'endormlrjddfaut affez ordinaire, il a un talent qui lui eft pardcu-lier i c'eft de riveiller de terns en terns par des traits aflez grotef-ques; fa relapon eft faite ä la hate, & c'eft ICjTOOins qu'on en puifle dire.„ .' _ ^^ n J j-j ^ . J.. - .1 II y a.uri ou de TEmpereur qui en pofTede la plus belle partie. Le grand Due de Tofcane a de beaux Etats; ceux du Due de Savoye , aujourd'liuL Roi de Sardaigne, quoique molns confiderables par eux-memes, le font n^anmoins davantage par leur fituation ä I'entree de ritalle, & par la fige adminlftratlon du Due regnant. * II s'eft forme plufieurs Rcpu-bllques , mais la plus ancienne & la plus puiffante eft celle de Venife. * La plus grande panic de cecte relation d'l-talie a ki faite avant Tabdication du Roi Viftor Amidce. A ij w Les iBt^rets de toutes ces puIlfanGes font en meme tems unis & parages; leur plus grand interet eft d'avoir un Prince qui habite fes Etats; toutes doi-vent fe reunlr pour s'oppofer aux en-ireprifes de I'Empereur, de la France ou de TETpagne : d'un autre cote, !a crainte qu'elles ont reciproquement les unes des autrcs. Tambicion que chacune a de s'agrandir, rendent leurs interets op-pofe's,& les engage a cherclier un appui etranger qu'elles achetent prefque tou-jours aux depens de leur liberte , & ce n'eft pas la une fpeculation politique Sc cliimerique, c'eft un fait. Plufieura Princes d'italic ont ete fouvent dans la neceJfite d'admettre dans Jeurs Places des garnifonsFran^oifesou Efpagnolles» & alors ils n'e'toient veritablement Princes que fous le bon ptaifir du Roi de France , ou du Roi d'Efpagne. Les revolutions arrivees en Italle femblent avoir influe fur le cara^lefe de*: Italiens. A la valeur , a la droiture, ä I'auftere vertu des anciens Romains, ont fuccede la fouplefle,la dirtimulaiion , I'amour des voluptes & du repos; Us ont conferve cet efpric Inquiet & fac-tieux qui a plufieurs fois reduit la Re-publlqiie Romaine ä des extremltes plus fdcheufes que ne I'avoient fait les guerres etrangeres. Le terns des Conclaves e(l toujours ä Rome un terns de troubles & de fedicions. Je regarde les faflions qui ont dechire I'ltalie , & par-TicuUerement dans les fiecles qui ont fuivl ce'.ui de Charlemagne , comme la caufe de ce qu'elle eft aujourd'hui beau-coup mouis peuplee quelle ne I'dtoit autrefois; les payfans qui n'etoient pas en furete dans leurs campagnes, fe re-tirerenc dans les vllles; les terres cefTe-rent d'etre cultlvees, les eaux croupi-rent, les betes venitneufes fe multiplie- Aiij rent, I'air s'Infe(Sa ; celul de la camjjEH gne de Rome, & de plulieurs endroits du Royaume de Naples eft tres-dange-reux dans certains terns de Tannee, Du terns de Pline & de Denis d'Hali-carnalle, I'air etoit tres-bon : ce que ces deux grands Auteuis ont dlt.aete re-pc'te par la plupart de ces perfonnes dont la forte imagination fait de grands voyages, fans fortir du cabinet: I'auto-lire de Pline & de Denis prouve que de leur tems, I'air ecoit bon en Italie; il feroit ridicule de vouloir s'en fervir pour prouver qu'il ait toujours continue de l'etre. Les Italiens ont ete de tout tems attaches aux fuperftitlons. Numa fe l'er-vit de la crainte qu'infpire la religion pour moderer fon peuple. Les Tofcans avant )es Romains avoient des Dieux & Uli culte. On voit encore dans les cabinets des curieux, des vafes quifervaient leurs facrifices. On pretend que les Romains n'ont ete que leurs Dlfciples. A la religion idolatre des anciens Romains a fuccede la veritable religion ; ä leurs ceremonies ont fuccede des ceremonies routes faintes & toutes myfti-ques. Rome, le centre de l*ldolätrie eft devenue le centre de la vraie foi; quelques pratiques de devotion , quoiqu'in-troduites pour une bonne fois , ont de-genere en abus; les heretiques qui ont voyage fe font appliques folgneufement ä lesremarquer; leurs rapports font fou-vent outres, ils cenfurent beaucoup la magnificence & la ilcheflfe des Eglifes, mais ils oublient que Dieu avoit autrefois dans Jerufalem tin Temple revetu. de lames d'or; ils n'ont pas fi grand tort de blämer certains abus de pelerinages qui fervent beaucoup inoins a fatisfaire la devotion que le Ubertinage. L'Inquiütion a lieu dans prefque toutc A iv I'ltalle; excepte dans le Royanme (Je Naples, oil eile ne fut regue que pour uti iiecle, avec la liberte de la difconti-nuer au bout de ce terme, & de fait eile a eu lieu depuis 1(^00, jufqu'en 1700. A Venife I'Inquifition depend prefque autant du Gouvernement que desTribu-naux feculiers. L'lnquificion en Italie eft dependante des Evcques i eile tolere les Juifs, & dans ces deux points elle dlffere de celle d'Efpagne & de celle de Portugal qui font d'ailleurs bcaucoup plus rigoureufes. Les Heretiques n'ont point manque de relever tous les abus qui fe font glifTes dans ce genre de Tribunal. Celle de Venife efl: la feule qui en foit exempte, &Je n'oublierai pas d'en parier dans Particle de cette Republique. La nobleffe la plus diftinguee prend volontiers le parti de I'Eglife ;les Eccle-fiaftiques pofTedent en Italie de tres-grands biens ^ de trb grands honneurs ^ »5 äe tr£s-grandes dignites. Lcs Seigneurs Romains, mais encore plus les Seigneurs NapoUtains, ne fongent qu'a fe traiiquil-lifer & a jouir des dellces de la vie. Les Italiens font magnifiques dans leurs equipages & dans tout leur excerieur, mais fort economes dans les de'penfes domef-tiques; ils ont I'efprit fin, delie, delicat; leurs con^pllmens font plus fpirituels que finceres; ceux qui s'appliquent aux fgiences y reufliffent parfaitement : ils ne font point aufTi jaloux qu'on le fait accroire en France. On voit les Dames, on leur parle : il eft vrai route fois que les Italiens n'aiment pas qu'un F!-an9ois vienne dans leur pays pour afFefter d'y paroitve le galant de routes les Dames; lis donnent chež eux de tres-belles afTembl^es qu'on appelle couver-fationsj ou Ton joue & oü Ton fert des rafraichiffemens; car ce n'eft point leur coutume de fe donner a manger. Les tlo) Dames font dans prefque tous les en-droits habillees ä la Fran^oife ; elies ont la converfation extremement legere & badine. Ces afTemblees font tres-magnifiques & tres-brillantes: toute la. BoblefTe s'y i-aflemble, & I'on verra communement dans une affemblee fot-Xante Dames tr^s-richement parees. La compagnie fe tietit dans une enfilade de dix ou douze pieces. Leurs Palais ( c'eft ainfi qu'on appelle en Italie , ce qui cn France s'appelle Hotels) font tr^s-grands, d'line belle architefture . ornes de peintures ; mais d'ailleurs lis n'ont point routes ces commodites &: routes ces aifances dont on fait grand cas a Paris. II y a de certaines villes oii la nobleffe loue trois ou quaere falles au rez-de-chaulTee , & s'y raflemble fur le foir; c'eft un rendcz-vous ge'ne'ral , on y joue & on y prend des rafraichifle-JUens: il n'y a que les nobles qui y (it5 fo'ient admis, & un Gentllhomme Stranger qui y a ete piefente une fols par ■un Geiitilhomme du pays, y peut re* tourner tatit qu'il lui plaiva; les Offi-ciers de !a Marine ä Toulon ont faic un etablilfement a-peii-pies dans c© gout- Quoique I'ltalien folt trfes-glorleux, qu'il affede meme de la gravite , cher-diant par la ä donner de la majefte ä fes ačlions , il n'y a cepcndant point de nation qui foit fi polie ä I'egard des etrangers; ils ont une infinite de belles ofFres ^ de paroles honnetes, de termes perfuaiits j de reparties fpii-ltuelles, tk lis font vifs a procurer tout ce qui peut dependre d'eux pour fatisfalre la curio-fne des etrangers : on auroit apres cela bien tort de ne pas avoir a fon tour iin peu de complaifance , & de ne pas louer ce qu'iis vantent; car rien ne les JSiQitifie davantage que de s'entendie ( 12) dire par un Fran9ois qu'une c^iofe dont ilsauront parle avec des termes »utr6. eft une cliofe fort ordinaire: tout le monde a de I'amour propre,mais rien de (i aife, & qui fe paidonne moins en Italic , que de choquer Tamour propre. C'eft-lä ce qui produit dans les Italiens, lorfqu'ils fe croyent ofFenfe's, cet amour & ce plaifir de la vengeance qu'on les accufc de porter plus loin qu'aucune autre nation , & de facisfairc aux depens de leur honneur & de leur reiigion: rimmunite des Eglifes qui afTure au crime I'lmpu-nice, &; le psu de feverite des Loix & des Magiftrats, font deux abus qui re-gnent dans touce I'ltalie , qui y rendenC les atTaffinats plus fiequens que dans Ics autres pays , mais non pas ä beaucoup prb aucant que la plupart du monde fc I'imagine. LTtalien fe porte volontiers aux ex-tremites du vies & de la veitu, non par inftinfl:, par caprice, ou par im brufque mouvement de la nature , mais avec confideration & reflexion : il eft attenrif, conlidere, prevoyant dans fes confeils, dans le malntien des affaires, jufques dans fes debauches: 11 efl: defiant & habile pour lire dans les penfees , les decouvvir, les iniaginer fur les plus foibles indices ; il eft capable d'une baf-feffe , lorfqu'il croit qu'elle peut fervir ä (on elevation; il raifonnevolontiers» & feultment des affaires politiques , iV met pourtaot un peu de myflere & imite en cela Corneille T;icife ; les Italiens le regardent comme le plus parfait des politiques ; ils en ont fait de grands com^ irentaires, ils ont pictetidu reduire I'art de la politique en rc>;les , & tircr ces regies des ouvraj^es de Tacite. Les Italiens ont fait long-tems tout le commerce de I'Europe. La Rcpubli-que deVenife, cclle de Genes »autre- (H) fols Celle de Pife, & les Medicls Solvent leur elevation au commerce. Au-jourd'hui le principal commerce de l'I-talie confiile dans les foies: leurs fabri-ques font fuperieures ä celies de France* L'Icalien moderne eft plus propre aux affaires politiques & au commerce ^ qu'aux armes , il eil en ccla bien different des anclens Italiens. II eft, die un Auteur.plus Cafanicr qua foldat, plus amoureux du rcpos que de I'honneurj de fa maifon que du camp. La langue Italienne eft bätarde de Fancienne langue Latine , que les Gots, les Huns , les Vandales & les Lombards ont extremement defiguree : elle a plu-Jieurs dialedes, mais la plus polie eft Celle de Tofcane , en forte que, quot-* que chaque pays & prefque chaque vills ait fon jargon particulier , les honnetes gens neanmoins ne parlent gueres que le Tofcan, H a aufli diffcrentes proiion-^ c'ations; celle des Tofcans cfl'cxcrinitfj rnent dure : eile eft ciree du fond du go-liet; la plus parfaite eft la prononcia-; tion des Romains. Les Italiens font fort eloquens, mais d'ailleurs trop abondans en paroles fu-perftües: ils ne viennent ä leur but que par une infinite de detours : ils ont des expreflions n-aturellemcnt energiqucs» des fa^ons de parier enjouees.pour ne pas dire enfancines: ils fe fervent dans Icurs ^loges de termes ampoules & hyperbo-liques. Quelques etrangers qui font du fejour parmieux, s'accoutument infen-liblement ä ce langage, cela etant jointaleurs premiers prejug^ en faveut du pays , dont ils ont prefque toujours entendu parier avec eloges , il arrive quelquefois qu'ils font de grands recits de fort pecltes chofes. Les Italiens ont pour la poeüa urk gout qui leur eft fin^ulier. Les poelies de Pctraque Uil acquirent durant fa vle i ne valent rieti, Temporte beaucoup fur lo nombre de celles qui mcritcnt le nom de plaifantes. Leur Mufique eft cl'une execution tržs-difBcile : la plus grande pai'tie d'usi Opera fe recite d'un ton qui cfl: entre le cluun & !e ton re-citatif; de rems en tems il y des ef-peccs de Cuntates oü les roulemeiis aboiident, mais tons ces aivs saccor-dent peu avec les paroles: ils ciiavment roreillo , mais ils n'intereHent jamais le ccE;ur: l'aiv eft fouvent aufli gai que les paroles en font trifles; la muniere ds rcciter des clianteurs eft d'une indifference afTex naturelle a des gens qui fe font rcndas Incapables de fcntimens , en achcrant une belle voix aux dcpens de rhumanite'. Jc finis cet article en remarquant que les ftaüens ont une maniere dc compter les heures difFereiite de la nötre; f' cip) comptent vingt-quatre heures de fuitc. Sc commencent la premiere minure de leur jour au coucher du foleil, & ils continuent ainfi le compte de leuts heures egales jufqu'a l'autre foleil. Cette nianiere de compter eft fort incommode, & oblige da regier les horloges chaque jour. Bij C 20) ^ ' ^gjg ' ■ --^^ DEPART DE PARIS. Entree en Lalie par la Sai'oyc de In Principaute dc Picmom, Je partis de Paris avec mon pere le 22 Avil! 172p, dansune clialfe Itallenne. Nous primes la route de Lyon par la Bourgogne. Quand on a pafTe Fontai-nebleaii, les chemins font mauvais , lea poftes mal fervieš, & je ne confeillerois point cette route ä quelqu'un qui feroit prefTe d'aller & Lyon. Je confiderai en pafTant le nouveau chemin de Jurift: c'efl un ouvrage bien digne de la curiofite des etrangers, ces fortes d'ouvragss leur font conce-voiv de regime pour le gouvernement. Le pent efl: d'unc ftruttuse /inguÜeret il eft d'une feule arche ; mais a(in qu'il refiftilt inieux ä la pouJE'e des teries» on a double cette arche, enforte qu'll s'en trouve deux I'une fur I'auti'ei Sc plufieurš jiutics paviilleles. Cette ftruc-tuie efl: auin difficile a bien expUquec qu'elle eft belle , &: qu'elle fui'prend quand on la voir. En ti:avalllatit a la montagfie , on a tlecouvcrt des fources, & on s'en tft fevvi pour faire deux: belles fontaincs au milieu de ce pont, Le Marquis de Bvancas eft Seigneur liaut jufticier de Jurift; men pere I'c-toit avant lui , c'eft affurement une des plus agrcables mailons qui foient aux environs de Paris. Je ne m'anctai point a Fontainebleau, que i'avois deja vu plulieurs fois. Le Cardinal Bentivoglio en talc joliment le portrait dans une de fes letties. » Fon-35 rainebleau , dit-il, eft une grande mai» fon digne d'un grand Roi. Ce font, ä 33 proprement parier, plufieurs maifoiis •) ajoutee^ ks unes aux autrcs en diffe- (±2) »rens tems & fans ordre: cllesformenc sj un tont vafte & confus , mais cette » confufion mcme eft plelne de gran» deur & de majefte.,.. La maifbn eft •» ficuee au milieu d'une foret remplie 33 de cerfs, & parce que c'eft Ja chalFe » que les Rois de Fiance aiment davan-» tage , cetendroic.qui eut etc pen de « chofe, eft devetiu conlidc'rable, il y » a de beaux jaidins, & outre la prin-» cipale Fontaine,qui adonne le nom ä » cette inaifon , il y en a plufieurs au» tres tres-belles, qui necontribuenc pas is pen ä augmenter les agremens de cecce >5 maifon Royale. Je ne reftai ä Sens qu'autant de temS qu'il en fallut pour confiderer la Ca-thedrale. C'eft un grand bätiment d'uiie arcliitecflure gothique: jenelul ai point eroQve aifez de beaixtes pour m'engagef ä en particularifer les defauts. La vue de Ja villc de Sens n'a point correfpondu (23) a ridee que je m'en etols form^e , en lifatit dans I'hiftoire les aäions & les entreprifes des anciens Senonois. Je paffai a Auxerre fans m'y aneter. Le village de Saint - Seine eft a douza poftes d'Auxerre: la rivleie de Seine prend fa fource dans quelques boss en-tre Chanceaux & Saint-Seine , & ne paffe point du tout dans ce deniier village. Quelques Geographes ,dont I'ima-gination eft quelquefois trop fertile pour le malheur de la verite ^ difent que la fource de la Seine eft une fontaine qui donne dans la cuifine d'un aubergifte de Saini-Seine. Une particularite de cette nature eft ordinairement regardee com-Hie une preuve de veiice: rien nean-moins de fi policivement faux que cfi qu ont avance ces Geographes. Avant que d'arriver a Dijon, je n'ai trouve qu'un pays fort inegal . fort pauvre, bien different de ce que jc Biv (24) m'ctois figure. La bonne Uourgogne ne commence qu'apres qu'on a paffe Dijon : certe viile eft fort conlide'ra-ble. Elle čtoit autrefois la capirale des Etats des Dues de Bourgogne, qui ont ete long-tems les rivaux des Rois de France. A leur confeil a faccede !e Parlement qui y fut etabli par Louis XI. L'hiftoire de ce Parlement a ete faite par Pierre Palliot Auteur exaft & laborieux : les principales Eglifes de Dijon, les hopiraux memes one leur liiftoire particuliere. Cette ville a ete decrite dans un volume in-oBavo qui a pour tltre^ Defcription de la Ville dq Dijon , par Evrard Bredin ^ Geometre & Peintre. Je ne fis, ä proprement parier, que donner un coup d'ccil a la ville de Dijon J elle eft bien bätie ; les rues font belles, il y a en face de I'llotel de Ville un« place formec en detni-cercle avec des (20 arcades. On a mis au milieu de cetca place la figure cqueftre de Loais XIV, en bronze. Cette place m'a paru un pea trop petite. Toutes ks Eglifcs en general font belles. Ls po-tail de St. Michel eft un des plus beaux qu'i! y ait en faic d'archlteduic gotbique. II y a dans les Eglites des amels . des (Utues , des mau-foles qui font d'un gout favt lep;er, & qui meritent d'etie confidcres. lis fonr faits d'une pieire qui fe trouve dans le pays : elle eft d'un grain tres fin qui diifere tres-peu de celui dii maibre;)e remarquai dans TEglife de Notre- Dame des colonnes de pierre d'une feul piece; il y en avoir quelque-unes qui avoient environ vingt pieds deliauteur,& qui n'avoient gueres qu'un demi - pied de diam^cie: elles rendent un ion clair & lefonnant. Les ouvriers, ä qui I'uiage apprend a juger plus fainement des cho-fes de leur metier que la fpeculadont (26) croyent que ces pierres one ete fondues; & que le fecret en a etc perdu, ainfi que Tont ete plufieurs autres qui font d'une grande beaute, de peu d'utilite Si: ordinalrement d'une grande depenfe. II y a derriere I'Abbaye de Saint Benigne un ancien batimene d'une conf-truÄion fort bizarre. Ceft une efpece de rotonde compofee de trois vouces I'unefur I'autre, mais peu elevees, fou-tenues par des colonnes done le fuft eft d'une pierre tres-dure. L'archiredure en eft groffiere. On ne parle de Tufage de cc batimene que fur des conjeftures. J'allai voir la Chartreufe qui eft a deux pas de la ville ; c'cft une des plus riches, &c qui ufe lemleux dc fes rcve-nus; elle fait de grandes aumones, & donne des fommes confiderables aux hopitaux. Je vis dans une efpece de chappelle ä cote de la facriftie une fculp-ture en bois de I'ancicn gout, mais (27) d'une deHcatefTe etonnante: le maitre-autel eft couronne d'un ouvrage en pierre d'archireäure gothlque : on con-■?oit a peine a la vue de ces ouvrages comment !e cifeau de Touvi-ier pou-voic etre ii tid^e j lorfqu'on paffe de la facriftic dans le choeur , on voit en face \in tableau qui eft une defcente de Croix, iL ma paru etre d'une excellente main , ce qui m'atttacha le plus, & ce qui merite d'etre confidere, ce font deux tomheaux de marbre qui font an milieu du cbceur. L'uneft du Due Philippe k Ilardij & I'autre da Due fon fils Jean (ans pcur, & de Marguerite de Baviere fa femme, Icurs figures font dc marbre blanc^ elles font ctendues fur une longue table de matbre noir. Ces figures, quoiquc faites dans un fic-cle ignorant & grollicr ont des graces: les veisies font bien marquees . & le maibre vers les joues a uu petit coloris (28) qui exprlmc b'len la nature ait tour de ces tombeaux regne une fuice de petites figures de marbre blaiic d'un pied & demi de hauteur, qui reprc-fente le convoi de ces Princes. II y a des attitudes affez fingulieres. Ces deux tombeaux ont des infcriptions en ca-radcres gorhiques. Le pays que nous avons rencontn? en fortant de Dijon eft trcs riebe en vi-gnobles. La Bourgogne a des forges , des pämrages &c des bois propres pour la cliarpente & pour la conftrutlion , mais fa richeffe & fon principal commerce confiflen: dans les vins. La petite ville de Nuits n'efl prefqu'habitce qua par des tonneliers; je defcendis a Beauna pour y voir I'hopltal: c'eft la feule cliofe qui merite d'y etre vue, je ne m'arretai point ä Ciialon, Toui-nus eft une petite viile afTcz commer^ante , fitue'e dans un territoire tres-fertile. Je parcourusla viile de Macon,oii je ne remarquai liende! fingulier. J'allai de cette derniere ville k Lyon , fans m'aneter en aucun endroit. Je rendis en arrivant a M. Dugan, alorsPrevot des Marchands, une lettre de recommandation de TAbbe de Clie-vrleres; le Mandeur de la ville vint de fa part pourm'accompagner, & me faife voir ce qu'il y a de plus remarquable. La Cathedrale eft eftimee une des Egli-fes des mleux conftruites qu'it y ait dans le Royaume. Au cote droic du chceur eft Thorloge : c'eft une curioft-te dans ce genre , 11 s'en trouve d'exac-tes defcriptions dans plutieurs Üvres. L'hlftoire Ecclefiaftique de Lyon a 6ic faite par piulieurs Auteurs. Le rite de fon Egllfe a beaucoup de difference d'avec les rites des autres Eglifes; il eft augufte , rempll de dignite: mals ce qui diftingue le plus cetre Eglife de la plu-part des autres. c'cft la nobleffe de fon C30) chapitre, & le rang que donne ä fort Arclieveque la primatie des Gaules. Les Jefuites one un tres bcau college ä Lyon : de leur bibliocheqae .qui n'eft pas moiiis confiderabSe par le iiombre & le choix des livres que par la beaute du vaiileau, on voit les Alpes coujours couvertes de neiges ; ils ont un cabinet de raedailles & d'autres antiques recueil-lies par le Pere de la Chaize. Le Pere Culonia me les moncra ; 11 me lit re-marquer les plus rares, m'expliqua quel-ques-unes des plus difficiles. Ce Pere eft tres verfe dans 1 etude des antiquites : il a donne au public Celles de la ville de Lyon. Le Pere Meiietrier de la mcme Compagnie a laifle plufieurs ouvrages fur le meme fujer. Elles ont etc Tobjet des reclierches de Spon , & le fujet d'un de fes livres : elles peuvenc occu-per Sc facisfaiie la cuiiofitc d'un voy»: geur. Lyon a plufieurs places publlques i rnais il y en a deux qui font plus be\le3 que les autres. Celle do Louis le Grand &c celle des Teireaux ^ celle de Louis le Grand, lorfqu'elle portoic autrefois le nom de Bellecour , etoit beaucoup plus vafte , inais on I'a dimuiu^ pour la rendie plus reguliere. La ftatue Equef-tre de Louis le Grand , qui eft au milieu de cettc place, a etc fondue a Paris fur le modde de Coizevoz , & les deux figures de marbre reprefentant le Rhone &; la Saonc, qui font pofees fur le pied d'eftal, ont ete aufli faites a Paris par Couftou I'alne: le nom de ces grands Maitres marque afTez que ce doivent etre de belles pieces. La place des Terreaux eft embellie d'une tres-belle fontainc: I'Hotel de Ville en occjupe un des cotes; la facade en eft reguliere & d'un bon gout, le -veftibule eft fpacieux I'efca-Her eft hardi, & les falles font gratides. (32) On lit fur d'ancieiines tables d'aifain la liararffue que I'Empeieur Claude pronon^a'pour obtenir du Senat en fa-veur dts Lyonnois le droit de Bour-geoifie i oniaine. C'tft iion-feuiement une des plus belles antiquites, mais une dc Celles qui fe I'oient le mieux confer-vees. Je vis dans une des falbs de I'llo-tel de Vtlle le plan des grands bäti-mens qui fervent de magazins pour les bleds. M. le Prevot des Marchands que j'y renconrrai me parla beaucoup des avantages de ce Tage etablifl'ement. II y a divers Tribunaux qui ont chacun Jeur falie ä part, oil ils exercent leuc Jurifdičtion- Le plus remarquLibie eft celui de la confervation. Cette Jurif-didtlon ne fut d'abord e'tablie que pour connoicre des debars, queflions & proces qui s,'elevoient entre les marchands frequentant les foires dc Lyon , au fujet des mai'chaiidires lautres fairs de foirc» niais o 9) mais depuis I'Edlt de Louis XIV, da mais da Juillec l (idp , !a confervation dsLyon connoit privativetnenr a tons au-tves Juges, de coutes les affaires da commerce de cette ville , meme hors des foires, meine en matiere criminelle. Le commerce veut une jnftice prompte Sc fommaire ; c'eft le motif de I'etablifTe-ment de cette JurifdičVion. Si on veut fe mettre au fait des privileges de la ville de Lyon, il fauc lire le recueil qui en a ete imprime en un volume ire-quarto, & les commentaires de Claude de Rubys, impnmes en un volume in-foLio. Le genie des Lyonnols naturellement porces au commerce, a de tout tems profite des avancages de rheureufe fi-tuation de leur ville- Quoique Ton re-cueille tres-peu dc foies dans le Lyon-: nois , Lyon eft cepcnlam una Ville du monde , oi ü fe fait ua plus grand com-, Tome J. C 04) merce de cette riche marcliandife; eile fei't d'entrepot ä routes les foies man-geres" qui entreat en France, c'eft de cette ville que Paris ^ Tours 6č les au-tres villes ou il y a des maniifačlures de' folries, doivent les tirer, ou du moins par ou Ton eft oblige de les faire paffer, apres qu'eües font entrees dans le Royaume , foit par Marfeille , lorf-qu'eües viennent par mer, foit par Is Pont de Beauvoifin lorfqu'elles vlen-nent par terre. Le phis grand rtegocc dc Lynn confrfle en la fabrique des draps d'cfr & d'argent j de toutes fortes d'etoffes de foie 8c de For trair'Sc Hk'i J'entrai dans cesdiffifrenTes n^anufacture?» &ce n'elt pas urte'dtjs'nibindresciiriofites clela villc deLy6n. Le-s 'Ijyorniois n'ont nullemcnt Talr d(fbominiri3 : tons ceux qui cnr fait de® 'I'elaii'oiis" font dit.'mTiis ce n'eft poii^^ 'one' preuvü: 'la pliijratt 'oRc copie C30 premier qui I'aura dit, je crols les Lyoir-nois fort habiles & foi t fubiiles dans le commerce, je n'en juge point pour les avoir frequent« ; je n'ai point fejournc a Lyon alTtz long-tems pour me met-tre ä portee de les connoitre , mais je les crois tels, parcc qu'ils doivent Tetre pour negocier avec le Genevois, le Provcii9al & ritalien. Le Pont de Bcauvoifin eft le dernier Bourgde France du cote de la Savoye, il eft ficue fur la riviere de Guieres, qui le fepare en deux parties. I'une appar» tient aux Fran9ois & I'autre aux Savoyards. II y a deux Douanes. I'unc pour la fortie de France, & I'autre pour I'entree de la Savoye. Aux Echelles , qui eft ä une pofte & demie du Pont de Beauvoilin, je pris fur la droite le chemin de la grande Chartreufe qui eft lituce dans les mon-tagiies du Dauphine. Les cloitres de Cij cette Cbartreiife font vaftes, PEglife efb propre J il y a des ornemens fort beaux: ces Peres re^oivent deleur mieux ceux que la curlo^ite ou !a devotion engage de vifiter leur fameux hermitage. On voit dans une gallerle le plan de loutes !es Chartreufesdu monde.La prairie ou fe trouve fituee la grande Char-treufe, n eft acceflible que par une on-verture que la nature a faire dans ceS monragnes, entre lefqiielles il coule un torrent; cette prairie a un peu plus d'une demi lieue de long, & n'a de largeu^ qu'environ trois cents pas. Le chemiit qui y conduit efl: pratique le long deS montagnes: il efl: fort etroit, &; Ton nß peut y aller qu'ä cheval, la liauteur du prccipicc , le bruit que fait le torrent qui coiile corstre des ruchers, les mo"' lagnes elles-nitmes.qui ne fen; la plupa''^ que des rochers, tous ces objets oil'' quelque chofe d'eftrayant. (37) II y a dans ces montagnes diverfeS fortes de fabriques: il y a des forges, un martinet & plufieuvs fcies toutes ces machines vont pac le itioyen du torrent. J'allai voir le martinet & une fcle. Le martinet eft une machine pour re-dui'e les lingoes de fer en barres j on met le lingot dans la forge , & lorf-qu'il eft entierement rouge, on le met fur une enclume ou repond un fort marteau qui fvappe d'une terrible force. Un homme tient le lingot avec des pin-ces J & lui fait recevoir ä propos les coups du martinet qui Tallonge & le re'duit en barre. Lorfqu'elle eft d'une longueur raifonnable , un autre homme met emre cette barre & le martinet un cifeau , 8c au troifieme ou quatrieme coup, la barre eft coupce. La fcLc eft compofde de deux mou-vemens, I'un de la fcie de haut en bas, & I'autre de Tarbre que I'on veut re- Ciij C5S duire en planches. I! s'avance infenfi-blemenc a mefure que la fcie travalHe. Ce mouvement efl pi-odiiit par une groffe vis dc bois plus longue que la planche : cette vis tounie par le moyen d'une roue que Teau fait aller, en tour-nant elle avance & entraine I'arbre avec eile. Pour arriver a Augout.petic village a une pofte & demic de» Echellesj on pafle par un chemin qu'on a pratique en coupanc un rocher. C'eft un ouvra-ge du regne du Due Charles Emmanuel II. comme I'apprend unc iiif-cripdon gravce Cur le rocher. Ce chemin eft parfaitement bien reprt'fente dans le Theatre des Etats de Savoye, imprinie parEtaeuen deux tomes grand in-folio, Comme ce livre ne contienc pas feulenient une defcription Gcogra-phlque , niais qu'il rcnfcrme encore Is plan des villes & des plus belles mai- C 39) fons ^ on ne doit point ncgllger tie la voir , lorfqu'on eft arrive aTunn.Rien ne fixe plus refpvit, & ns contiibue davantage ä confetver la memoire des chofes que I'on a vues. II y a une potte d'Augout a Cham-bevy : cette vllle eft la Capitale du Duche de Savoye: ellc n'cft remarqua-ble par aucuiie lingularite. Le nombre des Magiftracs qui compofent le Parle-mem ou Senat eft fort petit, la plupart font Piemontols, & ce font ceux que le Due affečlionne davantage. La ja-loufie que cette preference a produita dans les uns, a rendu Ics autres I'objet de leur haine; ces fentimens pourrcient älterer le refped & I'amour que les Savoyards ont natucellement pour leur Souverain. Des ditTerens paffages pour entreren Italie , celui de la Savoye eft le plus frc-qucnte. Toutes Ics marchandifes qu'on Civ (4°) tire du Pi^mont, ou qu'on y eiivoj'C,' pafient par la Savoye, & conime la France tire beaucoup plus du Piemont qu'elle n'y envoye , particulierement des foies qui font necefTaires pour les ma-nufačtures de Lyon , on ne voit gucsrcs dans la Savoye d'autre argent que !'ar-gcnt de France. Ajoutex encore I'ar-gent que rous ces miferables Savoyards qui viennent en France envoyent dans leur pay?. La Savoye eft par elle-meme un pays tr6s-paiivre, les impoficions y font ires fortes, & prefque tout I'argent qui cn provient eft porte ä Turin & ne revient gucres en Savoye. Les im-pots font de mčme genre qu'en France; on paye la taille, la gabelle, les entrees &autres diolts, exceptce la capitation qui n'eut lieu que durant la guerre. Le Due I'abolit lorfque la paix fut faite , ainfi qu'il I'avoit promis. Ce Prince s'cft acquis par cette exsftitude 1» (41) corfiance de fes fujets, car \\ n eft point d'ailleurstropi-eligieuxobfervateur de fa parole. II Ta ete, parce que la bonne foi s'allioit avec fes inteiets , le credit ct.int preferable a I'argent; un trefor eft bien-lot epui(e, la confiance au contraire eft fcconde en reffources. On doit cout facrifier pour la maimenir, ou pour la retablir. loifqu elle eft perdue; mais les Minlfties n'agiflent point toujours con-fcquemment aux pvincipes dont ils le-connoifTenr I'cvidence. Alojitmelian cfl ä unepoüe de Cliam-beryil n'y lelle rien des anciennes fortlfitation , La Savoye , depuis la def^ truöion du iort de Mon.tmčiian , n'a d'autre dcfenfe que I'es montagncs qui en rendepc 1 actcs difficile , & fa pau-vrete qui la n.et ä couverr de I'annbi-ticn. C'tfl: particuiieiemenr dans le Con.te de Müurienne, que tes chcmins lont les plus difFigiles; ils font rudts & (42) dangeretrsc; ils s'echappent entre les montagnes fur les bords des precipices ; en quelques endi'oits ils font tailles dans le roc. Les ^boulemens des neiges , quelquefois de rocliers entiers qui fe detachent, & les torrens qui entraiiieiit avec eux , travaillent concinueÜernenc ä detruire ics chemins: les Communaute's qui font chargc^s du füiii de les enrre-lenir, ne les reparent jamais au-delä ds ce que la necedice l'exige. On palTe & repalfe pluiieurs fois fur des ponts de bois for: ctroits la riviere d'Aar qui coule entre ces jjrontagnes. De Saint Jean de Maurienne a Saint Michel il y a une pofle & deniie, & de Saint Michel ä Saint Andre j une autre pofte & dcmie; je fus furpris par lanuit & oblige de coucher a ini-chemin de Saint Michel a Saint Andre, dans una trcs niifcrable auberge. Je ne mc ferois point imagiiic d'y trouver une machine (45) aiTez curieufe: je parle d'an tournc-broche qui ecoic d'une conftrudion par-ticuliere : un voyageur ne doit n^n negUger, je Texatiiinai, & l'invention m'en p,irut ingenieiife. Le tuyau de la cheminee etoit afl'ez etroit pour que Femree en fut occupee pau une raue qui avolt environ deux picds de dia-metre: eile etoit faire ea forme d'even-tail j c'eH-a, dire qii'elle etoit compofc« de feize rayons d'uiie forme platte , pofes obliquement, & plus lavges vers la circonferenca que vers le centre. L'a-gitatlon de 1'alr produiie par le feu fai-foit tourner cette roue. Dans toutes !es machines i] n'y a de difHcilc a produiro que le premier mouveineiit. Le premier de Mai je pafTai le Mont Cenis. Ceft la plus haute des montagnes que I'on paife dans le trajet des Alpes, eile a plus d'une lieue dc moniee , äc autaiu de defccnce. Sur fon fommet eft (W Une plalne de deux lieues avec un grand lac:cette plaine n'eft-elle mcme qu'une vallee par rapport aux autres monta-gnes dont e!!e eft entouree, eile etoit toute couverte de neiges; dans les mois de Juiilet & d'Aout que la neige eft fondue , les Communautes voifines y menent paitre ieur berail , & y font d'excellens frotnages. Versle milieu de la plaine eft un höpital oil 11 y a ds quoi loger cinq ou fix pelei ins : un Pre-ire I'ha.bite & en deffert la Chapelle: plus loin, eft une grande croix qui fert de limires ä la Savoye & au Plemont. A Lambourg , village au pied du MonC Cenis J on demonta la thaifc on la mit fur des mulcts qui la rranfporcerent jufqu'a la Novalefe ^ au-dcla du Mont-Cenisa I'entr^e du Pas de Suze. Je paP lal cette montagne porte dans un petit fauteuil attache ä un brancard. Le Syndic de Laoabourg a qui I'on s'sdrelfi;. (40 me fit trouver les mulcts & les porteurs dont j'avois befoin, au prLx fixe pat I'ordonnance du Due de Savoye. 11 faut quaire porteurs pour cliaque perfonne, afin qu'ils puifTent fe relayec &: fe foti-tenir , au cas qu'ils fiflent de faux pas, ce qui n'arrive gueres. II eft etonnanc de voir avec quelle legcrete , quelle adreOe & quelle furetc ces gens portent les paifans par des endroits aftVeux, » lis font falts, dit le Cardinal Beiuivo-glio , pour les montagnes, & les mon-» tagnes font faites pour eux. Ceux qui fe font porter Sc qui font un peu timides, marchent ä pied dans les endroits les plus perllleux , & ils font bien : car fi Ton remuoit. on courroit rifque de fe faire renverfer dans quel-que precipice; parljint fur le paffage de ce Mont avecle Gouverneur deSuze, vieux militaire, il me die qu'un homme fage qui en connoitroit tout le danger fe- roit bien de fe faire bander les yeu*. Ii y a ä la Novatefe des Douanniers, i!s n'oferenr fe difpenfi-T d'examiner, mais leur examen fut prompt: ce qu« j'attribue ä cet air afFure que Ton a j quand on n'a rien qui foit füjet aux droits de la Doiianne. Dt; la Novalefe ä Suze il n'y a qu'une pofte. Gerte viüe cft defendue par un nouveau fort que vicnt d'y faire conf-trulre le Diic de Savoye, & qui s'ap-peÜe le forc de la Brunette: it eft bäti fur une elevation. Je m'approchai des palifTades pour le conftdcrer. Sa conf-truftion eft irreguliere: I'on s'eft ac-commod^ le micux qu'on a pu ä la dif-portion du rerrcin. Ce font plufcurs ordres differens dc fortifications qui for-ment un tout d'une force fupei ieure ä toutes les aiitres places qui font ou qui ont ctc dans ces fvontiercs. La plus grande partie des fofles eft taille'e dans C47) ^ le roc, !e glacis eft mine Sc contremlnf?. Ce fort eft foutenu par deux autres. Tun qui fert de citadelle a la vllle de Suze J & I'autre qui s'appelle la redouts du Catinat. II ne me fut pas poflible de pouvoir entrer dans le tore de la Brunette, le Gouverneur de Suze me refufa avec toute I'honnctete poflible, me difant qu'il n'en etoic point le maitre, ce que je crois facilement ^ car il ne laifie u fes Miniftres & ä fes Officiers que Taiuorlte qui ell: de neceflite abfolue pout le fer-vice : il nc leur laifle faire que ce qu'il ne peut pas faire lui-meme. J'appils 'du Gouverneur que le Roi ou le Due, (je me fers indifferemment de I'un on de I'autre de ces deux termes ) avoit projette de faire batir une nouvelle vllle de Suze au-defTous de ces rrois forts, parce que la fituation ou eile fe trouve eft crop expofee,-il me dit que !e fort de la Brunette ecoit pourvu de Cafe- C4S) mattes ä I'epreuve de la bombe, eilet y font abfolument neceiTaires : 1 ettet (Is la bombe feroit terrible diins vm terrein pierreux. Comme le fort de la ßrunstte eft fitue au milieu des monta-gnes, il eti efl: comnr.aiide de routes parts. On travailloit alotsä couper cclle qui efl: la plus proc'ie & qui pouvoit lui ttre le plus picjudiciable : les autrcs trop efcarpees ou trop tlolgne'es ne peu-vent lui nuire que dlfficilen ent. Le che m in au fovcir du Sure eft en-tre les montagnes dans uiie nes-riche vallče : tile annonce au voyageur la fcrtiiite du Picmont. On ne quitte ce5 monragnes que lorfqu'on eit arrive ä Rivoli. C'eft une maifon royale ou le Roi ne va que pour prendre le divef tliTement de la clialTe. Le cliemin de Kivoli a Turin eft tres beau , il eft fii'^ au cordeau, & plante d'arbres dts deiiX cotes. Rien de fi uche & de Ii beau qt^® 13 C4P) la pblne ou efl fitue Turin, rien de Ii charmant que les environs de cecce \ille. Turin eft bien fortifie : les courtincs font defendues par de bonnes demi-Iu-nes avec des retrancbemens , les portes de la ville font bien decorees, les rues font larges, droites, tirees au cordeau; les raaifons font d'une hauteur egale ; c'eft en un mot de tames les villes que j'ai vues , cclle qui previent davantage par le premier coup d'ceil. Les tnalfons du cote de la porte de Milan n'e'toient point encore reduites ä cette belle unt-formite, mais du terns que j'etois ä Turin , le Koi donna ordre de les alligner. La Ville a achete fuivant reftlmation des Experts les maifons de ceux qui ne font pas en etat de faire cette depenfe : il n'y a point dans teure I'Europe une rue li belle que la rue du P6, elle eft longue. large accompagnce dehautes Tome /. D arcades qui forment un beau portiquej la place de Saint Chailes eft un quarrt long, entOLiie de portlques j au lieu des pilüers qui foiitlennent ordinairement les arcades, ce foiic de doubles colonnes qui donnent aux bacimens de cette place plus de grace & de legerere. On a fait dans la place qui eft devant le Palais du Jloi un efcalier pour condulre aux ap-parcemens de feue Madame Royale.C'efl: le plus beau que j'ai vu dans nion voyage. La facade exterieure de cet efcalier rellemble ä celle d'un Palais , Tar-chitedure en eft d'un trcs-bon gout, celle du Palais du Rol n'eft pas aflez diP tinguee : 11 n'y a de remarquable qu'une gallerie oii 11 y a d'excellens tableaux. Le jardin eft agitable & aufTi bien dif-tiibad que le permet fa fituation fur Is rempart. Attenant le Palais eft la Cfia-pelle du Saint Suaire: elle eft revetue d'un mürbre noir qui n'eft ni beau p' iln: rarchitečiare en eft belle, mais bizarre & trop compofee. La fece da Saint Suaire fe fait le 4 Mai; il y eut ce jour la des illuminations: on decouvre quelquefois cetre precieufe relique , mais tres rarement. Les Eglifes de cette viUe font en general allez petites 5 mais elles font propres, riches d'un gout moderne. La citadelle eft un penragone regulier. La courting eft defendue par une demi lune retranchee , le baftion eft enveloppe par une contrc garde. Get ouvrage , qii'on met au nombre des ou-vrages exterieurs, a un avantage qui lui eft particulier. II n'a precifement de largeur que celle qui eft nece0aire poury placer du canon, & pour refif-ter au canon , en forte que les ennemis qui ne s'en emparenc gueres, que lorf-qu ils I'oat ä moitie d^truit, ne peuvent s'y loger, II y a dans cette citadelle des Dij f;2) caf'emates ou fouterrains ä l'epreuve de k bombe, qui peuvent conteiiir dix mllle liommes, Ces cafemates font mU nees & contieminees , & il y a pluHeurs de ces mines qui s'ctendent ä une lieue dans Id campagne, i! y a dans ces cafemates de diftance cn diftance des por-tcs de fer eii forme de ciape, pour en boucher la communication, & d'autres ouvertures pour y jetrer du goudion & des matieres combuftlbles, en forte que I'on y peut defendre le terrain pied ä pied, Au milieu de cette ciradelle eft un puits pour abreuver les chevaux, qui n'a point cte rfpare depuis qu'il fut pi ef-que ruinc par une bombe qui y romba dans le dernier (icge. Les chevanx def-' cendoient; dans ce puits , & en re'mon-toient par doux differentes voutei. faircs en forme fpirale. Si qui fe retournoietic Tune au defHis de Taurre, L'efcalier du' chateau d^ Chambord efl: fait dc cette meme maaiiere. (S3) La vüle de Turin & fa banileue ne font point (ujcts a la talile, fes fiefs ne le fotn point non plus. On diflingue deux fortes dc biens, des fiefs des ill-lodiaux : les fiefs ne tombent jamais eti qucnouille ^ & au defaut de nriäles , le Roi en eft le legitime lie'ritler. Les al-lodiaux font fujets a lataille, mais les filles en heritent. J'appris tout ce detail du Comre de laTrinite, un des riches Seigneurs de Turin ; toute la nobieffe , & prefque tout le people parlenc Fian-^ois.La nobleiTe tache d'imiter !es Francois , foit dans la languc is: les habits , foit ineme dans la fa^oii de vi vre: mais pe« parvienrien: a avoir cet air bre, aife , ouvert ^ qui eft fi naturel aux ' Fran9ois. Leurs politelTes font exceili-ves ; leurs repas font des feftins, mais lis fe donnent rarement ä manger i le Comtc de la Trinite nous donna un diner e'galement dclicat Si abondant; U Dil] f;4) Comteffe de la Trinire, fes deux belles-fcEurs, le gi-and Veneur, & deux ou trois autres perfonnes de diftinction y dinerent le mcme jour: Ton chaiigea ä plufieurs füis de napes , & Ton fervir ä boire fur des foucoupes ou 11 y avoit plufieurs petites carafes remplies dc dif-fereiites fortes de vins. J'eus encore I'honneur de diner cliez le Comte de Provane avec le Marquis de la TroufTe; j'avois des lettres de recommatidation pour ces deux Meflieurs, & pour le Comte de la Trinity. J'en avols plufieurs poiirMonfieurBlondel.charge des affiiireS duRoi; 11 foutient fon caradere avec di-gnite , il ma paru qu'il ctoic fort confld^-x6, aime, efliimc 6dqu'il mcricoitdel etre. La Cour de Turin n'efl: pas , dit-on > fi brillante qu'elle dtolt autrefois. L® Roi a ece fort galant dans fa jeune/fö' aujourd'hui qu'il a foixante-quatre ans. il a pris le parti de la devötion , & c'eft agir en homme fage & prudent qui n® (rn veut jamais que ce qu'il peut. *Le Prince & la Princeffe de Piemont font d'une devotion exemplaire ; 11 y a cbez la Princeffe un cercle ; mais tome cette Cour n'eft point anim^e. Le Prince a beaucoup de vertu : le Roi ne s'embar-i-afTeroic peut-etre pas qu'il en eiit tanCj & qu il cut plus de genie pour les affai-faires, J'eus Thonneur d'en kre interroge: il etoit alle fe promcner au jarditi du Valentin , & en fortoit lorfquc jy entrois avec Monfieur Blondel. Le Prince appella Monfieuv Blonde-!, Sc puis s'a-van^a vers mon pere 8c vers moi: il nous demanda ü nous ferions un long fejouraTurin , ou nous alllons , & plu-fieurs autres femblables queftions. Il * » Le Prince Ac Pi^motit eft devcnu Roi par » rabdicacion de Viäor Airidee II. il tegnclbiis u le nom de ChitlcsEniraaiiuel III. Div imite en ce point la cunofite du Rdi for) pere. Les environs de Turin font parfenrtes d'une infinicE de calfines ; c'eft ainfi qu'on appelle des inaifons qui fervent cgalement aux plaiHrs & ä la recolte, ä I'agreable 8d a I'utile. Pour bien conii-derer la ville & fes environs , il faut paffer le Po & aller aux Capncins ou a Su-pergue. Comnie !a montagne fur laquelle eft le couvent des Capucins comniande la ville, & qu'il n'y a point d'endrolt plus propre pour drefier une batterie de canons, cette montagne eft minee & contre-minee, Supergueeft lenom d'une montagne plus eloignee & plus elevce, oCi le Roi fait bätir uneEglife. On dit que c'eft en execution d'un voeu qu'il fic en i']o6. lorfque les Fran9ois aflie-gcoient Turin. Ii s'aboucha au fommet de cette montagne avcc le Prince Eugene, & confideratit le camp & les atca- (y?) ^ , qucs ties Francois, 11 prlt la refolution de les forcer dans leurs lignes, Jc fit alors vccu de bacil- une Eglife rur le meine fommet dc la montagne oü il fe trou-voir. On travailie a cecte EgÜfe, a un b-dtimcnt pour de3 Clianoines, & ä un autre pour lui-memc , loiTqu'il voudia y faire des exercices de devotion, Ii y a deja quatorze a quinze ans que Ton a comment, & il meparuiqu'onnepour-roit de quelques annees y celcbrer les Saints Myftcres. L'Eglife conüfte dans un dome accompagne de deux tours ex-pencagones; le döme & les tours font ornes en dehors de colonnes Si pilaftres d'ordre Corinthien , le portique n'etoit point encore acheve: il eft dctadie du dome & forme une efpece de pei iftyle: fa fa9ade prefente quatre colonnes d'ordre corinthien , St dans les cotes il y en a deux femblables. Huit magnifiques colonnes de marbre d'une grandeur äc (iS) lä'une beaute Hngulieres foutiennent la voute du dorne. A diaque pillier du dorne entre les colonnes de marbre, font des portes qui fervent d'entree ä quatre petites chapelles menagees avec beaucoup d'art, & au-defliis font quatre tribunes. La fymetrie eft parfaicemenc obfervee. Le dome eft fans peinture , mass il n'en eft que plus noble , le fond eft du marbre, &c le deffein eft une mo-faique avec des guirlandes entrelafle'es dans fes differens compartimens. Au-defTous de I'Eglife eft une chapelle fou-terralne I'on dit que le Koi a defTeiti de faire tranfporter les corps de fes an-cetres. Je me fuis un peu dtendu fur la dcfcription de cette Eglifc , parce que je crois qu'aucun voyageur n'en a encore parle. Le Roi a plufieurs maifons aux envl' rons de Turin. Le Valentin eft a deu:?^ pas de la ville fur les boids du Pö. C'eft (f9) dans les avenues de ceue maifon Royal« que fe fait le cours. La Vigne-Madame. nom d'une autre maifon, cft un endroic fort agreable: les appartemens en font gais, il y a quelques bons tableaux: les jardins en font bien entretenus & men-tent de l'etre. Moni-Cia'ire eft pea de chofe . depuis qje les Francois en firent dans Id derniere guerre leur hopital. Millefleurs etoi: autrefois une maifon de plaifance, c'efl: aujourd'hui una manufacture de tabac; 11 y a quaere ou cinq cents ouvriers pour preparer le tabac qui fe recueille aux environs de cette maifon. La quaiite du tabac eft bonne , mais il eft un peu trop fort. Lc Koi a fait venir des Aliemans pour le inetcre dans fon point de perfection. Le labac commun coute dix fols la livre. & ie plus parfait quarante fols. Le magazin eft bien fourni & dans un tres-bel ordre.La veneiie eft un endroit ou leKoi C^o) fe plait beaucoup , & oii 11 pafTe la plus grande partie de I'annee. Le batiment n'efl pas encore fini: la chapelle efl: lui beau dome. Aux quarre pilliers qui fou-tiennent le dome font les ftatues des quarre Peres de I'Eglife: ce font de beaux morceaux de fculpture. Les jaidins font vaftes &: bien diftribucs: il y a quelques eaux plarres, une belle ferre & de belles ecuries. A rni-cliemin de Turin a la Venerle efl: Notrc-Dame des Bois^ couvent de Gapuciiis, ou le Marechal de Marfin tue devant Turin eft enterre. Voici fon Epitaphe. Fekdinando de Marsin, Frandx Marefccdlo , Supremi gallix ordinis equhis lorquaio, Valenciarum guhernatori, Quo in, loco, 7". Sepremfrit Anno Domini ijo6. Inier fuorum cladsm Ec fugam j Vičioriam, exercitum , vitam arr.ifa 1 jEternum in hoc tumuh Monumentum. C J'ai rapportc cecceEpitaphe que j'al co-pleetrcs-exaäenient,p;irce que plufieuis perfonnes, metric quelques Italiens, les uns par cneur, les autres par Impoflure, afTurent avec autant d'opiniätrete que de fauffetej qu'il y aviBoiiatn^ cxerci-tum , viiam honorem amißt. Le cliemin de Turin a la Vcnerle eft plante de muriers: le Roi en a fait planter beaucoup. Autrefois il ne fortoit du Pigment que pour douze ä quinze cents mlUe livres de foie, & ačiuellement il en fort pour fix a fept millions, outre toute celle qui fe manufafture dans le pays en grande quantitc par tous les privileges qui ont etc accordes aux manu-faduuieis Strangers, ä condition de former des apientifs du pays : les foies qui vont dans le pays ctraiiger doivenr ctre en organfins , c'eft-a-dire , preparces pour ctre mifes en ccuvre; & le Roi a cxclu de fes Etats les etotfes etrangeres (62} par les imp^ts exceflifs qu'll a ^rablls fiir leiir entree : il a une trb-grandc attention pour I'agiiculture : c'eft qu'cn eP-fet i'agriculrure eft la bafe du commerce; car en general il ne I'^auroit etre avama-geuXj qu'autant qu'il fe fait avec les denrees du pays, II a fait deiruire les rizieres qui čtoienr du cAte de Verceil, parce que la principale richefTe d'un Etat coniifte dans les hommeS, & qu'il exhale de ces l izieres un air tres - mau-vais. Je fus ä la V tide (ie cette relation a ^r^ fair, fe comporw fortßvercnient dlegard du Roi Je Sardaigne. 11 a tou jours regne entre Ics Dues de Savoy c &ceux dc Tofcnnc, une Ivaine produite par I'enTie cjui jialt entre deux Princesd'une piiifTance a peu-pres cgale I & qui donnc iieii autant a J'lin tju'i I'autre de pretendre a la ptecminence, Cette hai-jie des Souvcrains a pafle i leurs fujets , qui ont con^a reciproqucmeiit du mepris les uns pour les autrcs, & ce motif eft peut-ctre cauie en panic de !a trop grandc fcverite avec latjuclfc le Pape qui eft FloroitiD fe comporte avec Ic Roi de Sardaijjnc. ir '(69) dite; I! veut que toutes les affaires vlen-nenc devant lui, il encre dans un detail univerfel; tout s'adminiftre par regie & pafTe par fes mains, & comme il voit tout^ 11 ne foufFie point d'abus.Il a fait venir des ouvriers de tous les pays etrangers; 11 leur accorde des privileges ä condition de prendre des apren-tifs du pays. Ii a change le fond du ca-I'adere Piemontols. Ce peuple, autrefois erinemi du travail & du commerce, s'applique aujouid'hui al'un & ä I'autre. Lorfqiie ce Princc eft a fe promener ä la Venericj s'il rencontre uii payfan, il parle avec lui d'agriculture. Lorfqu'll achete un paire de bas,ll veut que cefoit I'ouvrier qui la lui apporte, & il raifon-ne avec lui du detail de fon negoce. En-fin il s'lnftriiit de tout, & fe met aurant qu'il lui eft pofFible a portee de juger da tout. Ce Prince a beaucoup de penetration, Eiij ho) d'ačtlvlte, Sc meme de vivacite ; il eft, prefque toujours a la eampagne, ou U cbalTe & fe piomene beaucoiip , loifque la goute ne Ten empeche point 5 il en foufFie, mVc-on die, les doiileurs avec beaucoup d'impatience : il ne prend pour la conduite de fes aflaires confeil de perfonne , enforte que quelquefois 11 fe hate trop, comme dans le nouveau Code qu'il a fait, qu'il a dejaete oblige de coiriger, & qui n'eft pas encore dans fa perfedion. C'eft un defTein bieti faga que celui qu'il a de ne vouloir qu'une loi dans fes Etats. II tient rigoureufe-jnent la main a ce que les Juges ne faf-fent pas trainer Ics proems. Les charges des Senateurs etoient autrefois venales, elles ne le font plus aujourd'hui, non plus que les charges roilicaires , c'eft lo Roi qui les donne, Quoique la puifTance du Roi de Sar-{laigne ne foit pas fort confiderable, ü ' Xixs Rapporte nžanmoins un grand poids au parti qu'il embraflfe. Jamais piincipäuf^ ne fut mieux places pour fe faire con. fiderer par fa (ituation entre deux grandes puiflances jaloufes Tune de I'autre , avec lefquelles it y a tout ä efpetftr. & tout ä craindre. Les Souverains de cet Etat fe fontvus plufieurs fois ä la veille den etre de'pouilles par les Francois. Ceiui qui regne aujourd'hui a etudie fes interets, & les a fuivls plus conftamment qu'aucun autre de fes pt^deCelTeurs. H nefe dcclare ni en faveur de TEmpereur, ni en faveur de la France ; il fe deter-niinera felon les occurrences & le bieti ^e fes affaires, qui font le feul but de fes defTeins, fans fe foucierdes träit^s faits avec I'uneou I autre de ces deuxpuiflan-ces. Cc Prince travaille continudlement ä asgrandlr^a arrondir fes Etats. H a achete pour un million deptftoles de rEmpefeur plufieurs fiefs dans le Milanois, furquoi Eiv ('72 5 Je refloarqueral ki que l^Empereur lui doit des fomnies fort confiderables, Sc qu'il auroit bien fouhaice qu'on les eut prifes en cottipenfacion ; mais auffi-tot qii'il en voulut parier , on liii fit entendre qu'il n'^toitpas poffible de conclure aucun marche , & il a piefere de payer comptant, Ce Prince parolt atijourd'hui n'avoir lien a demcler avec les puürances quien-vironnenc fes Etats; les SiiifTes font de paifibles voifins qui ne lui ferant point de chicanne ; ils fe font boinds,8c pourvy qu'il n entreprenne rien fur eux, ils n^ fongeront point ä le troubler dans fes Etats. La ville de Geneve ne fe fie point ä kil dcpuis I'efcalade fameiife par h;-quelle-.Charles Emmanuel s'efFor^a de la fuL-pt'cndre; mais outre qu'ellc n'eft pas afTez puiiTante pour fe mefurer a.lui , eile fera bien contente qu'il la laiiTe jouir ^ie ce qu'elle ^ d'un autre cote. H i 73) ne rattaqucroit point impuneixient ^ Sc les SuifTes , furtout les cantons Protef-tans , vietidrolent bi^ii-tot an fecours de leur alliee, A I'egard de la Republique de Genes J on a vu fouvenr des demelcs entre elle & les Dues de Savoye, mais les mauvais fucccs qu'on: cu les inva-fions projettecs , dcvroient inrplirer aux parries une fincere mclination pour la paix. La limatioii du, JVIarquiiat d'One-glia Ics met en etat de fe niiire I'un ä I'autre, On foup^onne quo le Due da Savoye foutlcnt les revoltes de I'lfle de Corfe j le titre de Roi de Cliypr^ fera toujours imc pomme dc difcordc encre les Venltiens la malfotj de Savoye ; lis fe craignent reciproquement» £c fans s'aimei' , ils vivent eii, bonne Intelligence, Je ne parle point de la mai-fon de Savoye , de fes titres, ni dc fes alliances, cette ma,tlere a cte ,bien trai-tee. Sc je-no fergis plus uue lelatioii ^Uiiis üne hlftoii-e, (74) Au fortlr de Turin le pays efl: tr&s-riche & parfaitemetit cultivc. On donne de l'eau aux prairies aucant & fi fou-vent que l'on veut^ 3c Ton y fauche le foin quatre fols Tan. Les payfans paroif-fent aifös; les bouviers meme font biert vetus; Iis attelent leurs boeufs de ma-niere qu'ils tirent du haut de l'echine, ß; leur tete eft attachee avec des cour-roies ä I'excremite du timon qui fe rer leve en demi-cercle; ils ont des couver-tures pour les garantir du froid pendant Vhiver, & des mouches pendant l'ete. l.es faifons font exceffives. L'hiver eft tres-froid, & l'ete eft trfes-chaud; letems pafTe dans un infiiant d'une extremite i Tautre, La grelc eft le fieau du Piemonf. C'eft le voifinage des montagnes ton^-jours couvertes de neiges qui cau(i> toutes ces variations. De Turin ä Milan il y a une journtfa pat la pofte, Ii faut paffet plufigurs ri^ (15) Vieres, les unes a gue, & les autres fur des bateaux qui n'ont de largeur que Celle qui eft precißment neceflaire pour le paffage d'une chaife. On palTe par Chivas & Verceil ^ ä un quart de lieue de cetre derniere ville commence le Milanois, Chivas eft une place fortlfiM, les courtines fontiongueSj les flancspetits, & les demi - lunes ne couvrent qu'uno partie de la courtine. Ce n'efl point une place de refiftancei elle pourroir tout an plus arreter quelques jours; quand on a pafle Cilian qui eft a trois Heues de Chivas, on trouve une plaine de bruye-res. Le Rci pour engager le payfan ä la defricher Ta exempte de taille. Cette campagne eft aride ; lorfqu'on approche de Verceil, le pays eft coupe par une: infinite de canaux qui arrofent les terres, & qui font aller des moulins dont plu-fieurs ont trois roues, enforte qu'il y a irois meules qui travaillenta la fois. f75) Vereeil ctolt autrefois tres-bieti for-tifiee. Cette place a ete demantelee : U y a dans la ville un afkz bel hopltal, mais ce qu'il y a de plus fingulier ä voir, c'eft la cliapelle du bienheureux Ame-dee ä la Cathedrale. & la ftatue d'uiie .Vierge dans la meme Eglife. Cette ftatue efi: bien faite, elle eft de tnarbre blanc & a une joue d'un noir meuitri; on prd^ tend que c'eft I'eifet d'un miracle . Sc qu'elie n'eft ainfi que depuis' qu'dle a re^u un foufflet de la main d'un Juif, .Verceil a ete autrefois beaucoup plu? coii(iderable qu'il ne I'eft aujourd'luii, II y avoit aux environs de cette ville des mines d'or: Pline en parle; Jes Romains avoient porte une lol par laquelle il n'e-f toit permis d'employer au travail de ces mines qu un certain nombre d'hommes, CP m ^ " - ^ DU DUCHt DE MILAN, TJ äjOrsqu'on quitte le Pičmont & que 1'on entre dans le Milanoisj on trouve les campagnes femees de ris. Cette plante fe piait dans les Ueux bas & mareca-geux ; eile vient le pied dans I'eau , en-forte que la campagne eft coupee pac Une infinite de canaux pour diftribuer I'eau de routes parts. Les plans ou Ton feme le ris font difpofes comme ceux des mavais falans. Lorfque le terns de le moiffonner approche ^ on csiTe de lui donner de i'eau , & on laifle fe'cher la terre, afin que le ris vienne ä fa matu-rite. L'humidite, & plus encore !es betes venimeufes qu'elle y engendre & qui meureiit lorfqu il n'y a plus d'eau , pro-duifent un air trcs-mauvais ^ & qui rend Dialades ceux qui y travaillent. (78) La premiere ville du Milanois eft No-varre, place fortifiee & muiiie fuffi-famment d'artillene. II y avoit une gar-nifon de quinze cens Allemans. II regne au tour du remparc un ouvrage in-fericur qui fe pourroit comparer, ou k lafaufTe braye , ©u au chemin desronds. Cet ouvrage n'efl: plus d'ufage dans les fortifications modernes , parce qu'il eft enfile par le canon; La gradation des ouvrages ne m'a pas paru bien obfervee; le rempart eft trop eleve^ & donne confe'quemment grande prife au canon. Les fofTes font rempUs d'eau. On va de Novarre ä Bufaloze par line plaine inculte qui termine la forec du Tefin , & Ton pafTe les difterens bras de cette riviere fur des bateaux. De Bufa!oz.e , c'eft le plus beau pays du rionde ; c'eft la que commence le riche Alilanois. On voir de magnifiques prai-riesj niais beaucoup plus de vaftes cam- pagnes qui en meme tems jJrodulfent du froment, & fonr plantees de muriers ou d'arbres fruiticrs, 5;: de vignes, dont le fep s'eleve le long des arbres, & done les branches paiFent de I'un ä I'aiitre en formant des gutrlandes. Ce pays eft fi beau que j'aprcliende que ccux qui ne I'auront point vu ne me foupfonncnt peut-eti'e d'avoir fait unc dcfcrlpcicp exag^ree* La ville dc Milan a une enceinte de mauvaifes muraiiles indignes du nom de fortifications. La cicadelle eft forte; die eft reguliere , compofče de fix baf-tions avec leurs deml-lunes. Le dedans eft occupe par un vleux chateau qui etoit le Palais des anciens Dues de Milan, II ne fait, ä men avis, qu'erabar-laiTer & rendre la chute des bombes plus dangereufe. Ce Palais eft encoure da füffes pleins d'eau que fournic une fource qui eft dans le cl'.uteau meiDc ; ellc y fail: moudre pUifieurs moulins. (So) On s'etonne mal-a-propos que Milan qui eft uiic grande , belle & riche ville foit bätie dans une plaine, fans mer SC fans riviere, & qu'elle fe foit toujourS confervee dans un etat florilTant, mal-gre les guerres & les autres malheurs qu'elle a elTuyes plufieurs fois. La premiere caufe de fa richeffe eft celle de fon terroir. Deux canaux qui viennent I'un de I'Adda , Tautre du Tefin lui tien-nent lieu de riviere. Le canal de I'Adda commence a Trezzo, fa longueur entiefe elt d'environ huit lieues. Le pays eft de-licieujc ä droite & ä gauche, & le canal eft fouvent accompagne de jolies maifons, de vergers & de jardins. Com-me le cours de I'Adda eft fouvent fore penchant Sc fort preclpite, il arrive qu'ä Vaprio vis-a-vis de Canonica le lit du canal remonte celui de la riviere de vingt-cinq a trente pieds; le coup d'oeil en eft afTez extraordinaire , parce que dans tJans cet endroit, le canal eft a c6t^ de cannes, de tabatie-jres, de boucles, de boutons, &c. Ii fe fait encore dans cette ville une grande quantite d'etoffes & de galons: la con-fommation que fait la noblefTe qui affečie de paroitre avec magnificence , foutient toutes ces fabriques, I! y a fous I'Hoce!. Sponfamus te mare noftriim in fignuni » veri 5c perpetui dominie » Les epou-; ( (134) failles de la mer ainfi achev^es , le Dogfe va entendre une MelTe folemnelle ä Saint Nicolas du Lido. Il etoic fous un dais ayant ä cote de lui le Nonce & rAmbafTadeur de TEmpereur. Le Pa-triai'clie etoit vis-Wis du Doge fous un autre dais. Apres la MefTe on retourna au Palais avec !a ni6me pompe qu'on en ecoit parti: la fete fc termina par un feftin fplendide que le Doge donne aiix Senateuis qui I'ont accompagne. Ce fut le Pape Alexandre III qui inf-titua cetre ct'remonie fur la fin du trei-^.ieme {iecle, pour marquer ä la Re-publique la reconnoifTance des ferviceš <3u'eile lui avoir rendus dans le difFd-rend qu'il eut avec I'Emperenr Frede'ric EarberoufTe, Les Venitiens long-tems auparavant avoic acquis par le droit des armes la domination du golfe Adria-tjque, Le mcme jour de rAflenfion apr^s ihidl, on va fe promener ä Muranj Cefl: une des plus grandes & des plus agre'ables ifles des Lagunes, ä deux ou trois mille de Venife. Cette Ifle eft rra-Veifee d'un canal plus grand que les autres canaux de !a meme ifle, & c'efl fur ce canal que les gotidoles fe pro-menent. La plupart font rempHes de mafques : les gondoliers s'excitent & E"'efForcent. ä qui Ira le plus vlte. Les gondoles foni: par elles-mcmes fort legeres , & les gondoliers font d'une adref-fe extreme , ils font debout & rarement en regardant Tendroit ou ils vont. Tou-tes les gondoles font nolres, exceptc Celles des Ambafladeurs qui font do-rces & magnifiques: la gondole d'un noble Venitien ne peuc etre ornde d'aucune fculpture. Au milieu de la gondole eft une petite chambre cou-verte d'un drap noir, il y a des glaces aux deux cot^s, On peut aife'ment liv hsö) eenir dans une gondole fix perfoonesJ La gauche efi; la place d'honneur, & la raifon qu'on en allegue efl que celui. qui eft ä droite ne voit pas le gondolier de devant , auquel par confe-quent il ne peur pas commander avec autant de facilite. C'eft ä Muratt que Ton fait ces glaces fi vancees, & plu-fieurs autres ouvrages de crlftal. On les fait avec des cailloux que l'on ramafTe dans la riviere du Tefin , & avec des cendres d'herbes qui croiffenr en quelques endroits d'Efpagne. Malamoc efl: une autre ifle fameufe a douze mille de Venift;. C'eft dans le port de Malamoc que fe tiennent la plupart des vaifTeaux mai'chatids, & tous ceux qui fe difpo-fent ä partir. J'y vis le Saint Gaetan. im des plus beaux vaiiTeaux de la Re-; publii^ue. I II ne faut point s'imagliier qii'an puifTe acquenr äVenife laconnoiflaacc du gouvernement de cette fageUepubllque; fionne i'apoint auparavantetudiee dans les hiftorieiis de cetCe Republique , Sc dans le livre qui a ete fait fur cette rnatiere par M, Amelot de la HoufTaye. On I'accufe d'avoir dcrit avec aigreur, mais on ne laccufe point d'avoir manque ä la verite; & c'eft en effet celui qui eft le plus exad, a/ant loue ce qui me'ritoit de I'etre, & ayanc blame avec une liberte egale ce qui etoit blamable. Ce que Ton doit confide'ier d abord, c'eft I'union & la dependance lecipro-que de tons les parties qui forment le corps de cette Republique. Les trols confeils les plus conüderables font le grand Confeil, le College & le Senat. Le grand Confeil coniprend toutc la nobiefTe; prefque tout s'y decide a la pluralite des voix: c'eft au grand Confeil que fe fait 1 eleiftion du Doge d'une maniere qui tient du hazard & duciioix. 03S) Lc College efi; compofe des prlncIpauTC Membres de l'Etat: il diftrlbue les affaires aux autres Confeils , donne audience aux AmbafTadeurs des Princes, aux Deputes des villes, aux Generaux d'armee, & aux autres Officiers. C'efl; dans le Senat que fe puifent tous les confeils de la paix & de la guerre , & I'equilibre qui conferve la juftefle & rharmonie de toutes les parties de l'Etat. C'efl: le College qui convoque le Senat, mais par une mutuelle depeti-dance . le Colle'ge obeit au Senat: l'ua propofe & l'autre difpofe. Ladignite duDogen'eft qu'une noble fervitude, car il ne peut rien faire fans le „ Senat, & il eft toujours accompagne de fix Confeillers qui Tobfervent con-tinuellement. Le Doge fe peut definir un Afteur revetu des ornemens Du-caux , pour reprefenter le premier Ma-giftrat de la Republique en general. Le confell des dix eft une Inquifitlort d'Etat. C'eft un tribunal d'une grande rigueur & d'une grande autorite , car il peut depofer & emprifonner, & ju-ger ä niort tous les Magiftrats , & le Doge meme. II retient les nobles dans le devoir par Taprehenfion du chäti-ment, & !e people dans le refpečl parle bon exemple & la moderation de ceux qui le gouvernent,C'eft avec raifon qu'on le regarde conime le foutlent des loix, le ncEux de la concorde, le fondement de I'Egalite, lefvein du commandement ^ le jufte temperament de routes leS parties de I'Etat, Rien ne fait paroure davanrage I'excellence du gouvernement Vdnitien que d'avoir donne aux nobles pour Juge le plus fevere de tous les Tribunaux, afin que la crainte fer-vit de contre-polds a leur puiffance , & que ceux qui eulTent plus d'autorit^, euffent aufli plus de fujetion, fe voyanc CI40) expofds plus que les particüllers ä la rigueur des loix. Ce Confeil panche li fort ä la feverite , que les moindres fau-tes en raatiere d'Eta: y font irremlfli-bles, & que les feules apparences y font reputees pour des crimes; c'eft pour-quoi des qu'on f^ait que quelquun eft prls J on le met plutot au rang des morts qu'en celui des coupables, II a un nom-bre infini d'efpions, & Ton ne f^au-rolt etre trop referve dans uti pays ou tout fait peur & ou tout eft fufpecS, I'entretien , le filence, la compagnie & m^rne la folitude. La cl^raence & la mifericorde font des vertus inconnues ä ce Confeil, la jaloufie y eft incurable, la de'fiance y eft ^ternelle , les grands fervices y font odieux, & la grande reputation y eft dangereufe. La rigueur eft fi exceflive , qu il n'y a gueres da families nobles qui n'en produifenc des «xemples domeftiques, & q^ui n'ayetit des patentes de fa fev^rlte ecrites en carafteres de fang & U Ton ne voit pas fouvent des nobles executes, ce n'efl pas que ce Tribunal foit devenu plus humain, mais c'eft qu'il fe fert de voies plus affurees & plus cacliees, pour ne pas decrMter la nobleiTe aupres du peuple, qui croiroit etre gouverne par des fcel^rats, s'il voyoit trop fouvent pendre ou decapiter fes maitres pout qui Ton veut qu'il ait de la vene'ration, Le Confeil des dix pourroit fe rendre maitre de TEtat, fi ce n'etoic point una dignite annuelle. ainfi que I'cft celle de Senateur , & de tous ks autres MagiP trats ,*exceptc celle du Doge , & celle de Procureur de Saint Marc. Autant I'Inquifition de I'Etat eft rl-goureufe, autant I'lnquifition Eccle-iiaftique I'eft peu. Lss Vcnitiens ont prls de Ii juftes mefures qu'elle n'a jamais prcjudicie aux intdrets de I'Etat, ni 142 ) Contfebalance la puilTance da la Re-pubüque. L'examen de cette Inqulfi-tion fera connoitre que ce genre de Tribunal peut n'etre point vicieux, lorfqu'on previent les abus qui ront fi fore dcciedite , & parciculieiement dans I'efprit des Frangois qui nen peuvenc pas menie foufFiii- le nom. Les Papes ne purent jamais obligee les Veiiiciens ä recevoir I'lnquifition, comme Tavoient faic les principales vüles d'ltalie. Venife refufa long-tems de la recevoir, & ne la re9ut enfin qu'aprb une deliberation du grand Confeil, & a de certaines condirions qui fiirent inferces dans la Bulle donnee pour ce fujec par Nicolas IV, date's du 23 Aout i^S^). C'eft le Pape qui envoye les Inqui-ficeurs, mais ils ne font point re9us qu'tis n'ayent obtenu du Senat des let-ti-es Patentes adrelTe'es aux Magillrats fr43 5 Ju Heu ou lis vonr. II y a toujours des Magiflrats qui afTiflcnt ä toutes lenra piocedures, & a toures leurs delibcia-tlons ; & dans la ville de Venife il y a trois Senateurs nommes ä cet efFec, &C qui doivent rendre compte de tout au Senat. Les Inqulfireurs ne pcuvcnt point ou'ir un temoin , clter , ni interroger un accufe fans la participation & I'affiftan-ce de ces trois nobles, ce qui eft fait a leur iuf^u , etant nui par lul-nieme; c'efl; pourquol le GrefHer eciit cette formule au comrnencement de tous les ades, cum afjlßentia prefentia illuß> trijfimommts' excellemißimorum domino-itimiV^^^+Cesafliftansont le pouvoirdo fufpendre les deliberations des Inquifi-teurs, & d empecher l'ex^cution de ieurs Sentences, non-feulement quand dies font contraires aux loix & aux coutumes du pays ^ mais encore lorf-qu'cllcs fe trouvent oppofees aux inf-^ (144 trUf^Hons fecrettes que le Senat leur a donnees, & qu'elles ne s'accordent pas avec les maximes particulieres du gou-vernemenr. Si un des airiftans a quel-qu'afFaire avec !a Cour de Rome, foil int&et rend fa fidclite fufpede ä la Re-publique^ qui en msc un autre en fa place. II ne fe publie aucune BuIIe qu'elle n'ait ete prefentee au College , & {ignee par deux Theologiens qui examinent fi eile condent quelqu'abus, ou quel-que nouveaute prejudiciable. Les Juifs Hi les Grecs ne font point jufticiables de rioquifition. Elle ne juge ni la bigamie , ni I'adukere, ni les ufuriers, ni Jes bouchers ou aubergiftcs qui vendenE de la viande en careme, les Magiftrats etant fuffifans pouL* chatier ce gens la, lorfque les EcclefiaiUques portent leurs plaintcs contre eux. II n'efl: pas pennis aux Inquificeurs de faire aucun nionl- toire (nn toire contre les Commuiiautes , nI con-tre les Magiftrats pour ce qui regard® I'adminiftration de la jufllce , mais ils peuvent taii e leurs remontrances auSenat pai" le moyen des afliftans. Le (bin des bonnes mceurs n'appaitient poin: aux InquUitCLirs, mais aux Magiftrats. Comme les Inquiüteurs ont tentc fouvent d'inferer de nouveaux ordres dans l'Edlt de juflice qu'ils ont accou-tiime de pubÜer ä leur entree , !a Re-publique a fagemenr limite la forme & la teneur ordinaire de cet Edit a fix Chcts auxquels les Inquifiteurs ne peuvent plus rien ajouter, Le [■■remicv eft contre ceux qui font heietiques, ou qui eti coiinoiifant quelques-uns , ne les deiion-gent pas. Le fecond contre ceux qui tiennent des conferences j ou des af-femblces an prejudice de la veritable religion. Le ti'oilieme contre ceux qui celebrenc Ja Mcfle, ou qui confclTent Jortie, L K- C14^) les pt'nitens fans etre Pretres. Le qua* trieme contre les blafplicmateurs qu! donnenc quelques foup^ons de leur creance : car fi le blafpheme ne donne point d'indice d'herefie, la punicion en appartient aux Magiftrats. Le cinquie-me contre ceux qui empechent ou troii-blent I'office de rinqulfition , ou qui cn ofFenfent les mmiftres, & qui mena-cent ou maltraitent les delateurs pout railon du faint office , car d'ailleurs les Ecclefiaftiques qui font offenfes doivent implorer I'autorite dii Magiftrat qui leur fera bonne juftice. Le Hxieme eft contre ceux qui tiennent, Impriment, ou font Imprimei des livres hcrctiques: car quand il ell queftion de dcfendfe quelque Hvre qui ne traite point de la foi, le Se'nat le fait examiner, 5d le livre eft defend«, c'eft fous le nam & I'autorite du Magiflrat politique, fans que les Inquiuteurs y ayent aucinn« part. (147) Les Venitiens oiu toiijours foutenu avec force I'independance de Itjur gou-vernemenr. La Rcpubüque täciie d'en-tretenir touw forte de bonne con'ef-pondance avec le Pape : eile le refpefle, eile le levere , mais poiirvu qu'il n'exige rien que de jufte, & qu'il fe tienne dans les bornes de fa puiffance fansen~ treprendi e fur la fienne, cau aucrement il n'y renconire plus que de la contradiction & de la refiftance. Le dilFcrend de Paul V. avec la RcpubÜque en ef?" üne prelive ; ce Pape vouloic fouf!:raiie ^es Ecclcfiaftiques a la jiirifdiftlon des feculiers ^ & faire revoquer deiix de-crcts du Senat: l'un qui defendoit de bätir des Egli(es fans fa permiHlon , & Tautre qui defendoit l'alicnation des t>iens feculieis aux Ecclcfiaflriques. La ^onduite qu'obferva la Kepublique dans cedlff^rend fuc egalcmenc forte & fage , ^ il fat termine a fon honneur & a fa Kij Fatisfaclion, le Pape s'etant enfiii r^-duit ä exiger feulement qu'oii fauvat les apparences daiis 1'acconimodement qui fuc menage par les Miniftres duRoi de France. C'eft par un principe de politique mais qui eft blamable , que les Veni-tlens tolerent le libertinage des Eccle-Haftiques & des Moines qui, felon le bon inot d'uii Nonce, auroient grand befoin que I'on racourdt leur capuchon , par ce moyen la Republique fe met en £cat de ne pas craindre les eft'ets que produlfent ailleurs les cenfures & les excommunications des Papes, car ceS Moines fe foucient peu de defobe'ir au Pape & ä leur General ^ & ils oppofent ä leurs menaces les bonnes graces S^ la protečtion de la Republique. II en eft du Patriarche comme du Doge , il re^oit de grands honneurs » mais il a peu d'autoritc. tr'E^^ife Je (149) Saint Marc n'eft point de fa jurifdldion dependant immediate me nt du Doge « & fon antorite eft fi fort foumife ä Celle du Senat, qu'il n'en a qu'autant que le Sdnat lui en communique. Les Ecdefiaftiques lui obafTent beaucoup moins qu'au Confeil des dix. Dans le tems de l'interdit de Venife par Paul :V. Le grand Vicaire de l'Eveque^de Padoue euc la hardieflTe de dire au Pode ftat qu il feroit ce que le Saint Ef-prit lui infpirerolt, mais il plla auditor que lePodeftat lui eut dit que lememe Saint Efprit avoit deja infpire au Confeil des dix de faire pendre tous les defobeiflTans. Ii n'y a pas d'Etat dans le monde chretien qui ait autant de foini que celui de Venife pour enspedier que les gens d'Egllfe n'ayent entree dans les Confells , car non-feulement les Ecclefiaftiques en font exclus , mais encore la faraille d'un Cardinal eft Kiij C£;o) obligee da s'en abfenter routes les fcis qu'il s'agit d'une affaire qui regarde la Coui' dc Rome. La puifTance des Venitiens n'eft plus que I'ombre de ce qu'elle fut autrefois. Depuis la ligue de Cambray oil ilseu-lent ä foutenir toutes les forces de rEurope, leur Etat a toujours efe en de'clinanc, Les diffe'rentes guerres qu'il a fallii foutenir, ont epuife la Re'publi-que: .eile a etabli des Monts en diffe-reiis terns. C'efi: une exprefTion dont on fe fert par toute I'ltaiie, & c'eftconime fi Ton dlfoit que To:! a cree des rentes. L'argent eft tres - rare, I'Etat s'actaclio a foutenir fon crtMit, & cefl: tout cc qu'il peut taire J le commerce dimiiuie tons les joLirs. Les Venitiens, tant qu'on a cru la route de I'Orient impraticablo par I'Ocean, font reftes prefque feub les rnaitres des čpiceries , des drogues & des autres precieufes marchandifes qui en vietinenc & qu'ils tlroleiit de pla-fieurs ports & vUles d'Egypte & de la Syrie ou ellcs etoient tranfpoitees. Les Portugals ayant double le Cap de Bonne-Efpemnce fur la fin du qulnzlecna fiecle , firent palTer ä Lisbonne la plus grande partie de ce ric!:e commerce , dont cent ans'apres i!s furent eux-me-mes depouilles a leur tour par les Hol-landois qui les fournifTeni: aux Venitieiis memes & aux autres nations de I'Eu-lope. Venife denuee des relTources de fon plus grand commerce & des fends inepuifables que les marchands etoient en etat de fournir au trcfor de la Re-publique , borne toute fon ambltioa ä. vivre doucenient & en bonne paixavec toute ia Eerre. EHe tache de conferver toujours autant qu'il lui eft pofTibie, ies apparencesde fanaiicienne grandeur: Elle a des AmbalTadeurs dans toutes les CourSj & c'eft lui faire plaifir que da Kiv (Tj-a) lulen envoyer reciproquement. Comma ks AmbalTades de cecte Re'pubiique font ruineufes, & que les pai ticuliers ne font plus auffi riclie qu'ils etolenc autrefois; la Republiqce fetrouve quel-quefols embarrafTe'e pour troiiver des fujers qui foutiennent !a magnifique re-prefentarion que fes AmbafTadeurs ont coutume de faire. Donat qui a ete Am-balTadeur a Vienne s'eft ruine j & voici ce qui lui arriva du terns quo j'etois ä Venife. On I'avoit nomme pour aller Bayle ä Conftantinople; ce mot qui eft Lombard , (ignifie Juge Conful . audi en fair-il routes Ics fončUons, & quoi-r]u'tl ait de grands iiit^rets politiqacs ä mcnager avec !a Porte, ceiix du ne-goce ne iui font pas moins recomman-ties, le commerce du Levant etant le 1'cul confidcrable que faflent les Veni-tiens: le Bayle prenj de grands droits fur tous les vaiiTeaux qui portent le pa» (in) villon de Saint Marc, enforce que l'Am-bafiiide de Conftantinople efl: regardee comme un dedommagement que le Senat donne aux nobles qui ont pafTe par les aurres Ambairades. Donat avoit fait des dettes ä Vienne , & rAmbafTadaur de l'Empereur a Venife avoic pns avec lui des arrangemens pour le payemenc des creanciers. Donat avoit toujours manque ä fes paroles : ayant ete nomine Bayle. il s'embarqua fur le vaiflTeati qui le devoir tranfporter, & qui n'at-tendoic pour pai cir que les hautes ma-xe'es. J'allai a bord de ce vaifTeau: il s'appelle le Saint Gaetan, il eft de foi-xante- dix ä quatre-vingt pieces de canon ; c'cft le plus beau vaifleaii de la Republique , il dtoic au port de Mala-moc. Le Gouverneur , c'cft aiiifi qu'on appelle Ic Capitaine, etoit un jeune noble de la famille de Sagredo: 11 me fiC prefenter du cbocolat & des rafrai- chijTemens, Je lui dcmandai fi le Bavle eroic ä bord, il me die qu'oui , mais qu'il etoit incommode , il y avoic un fentinellc , aind que c'eft leur ufage , ä la poi te de fa chambre. Je f lorfque j'y pafTai , ]e Cardinal Spinola , Prelat d'une re-prefentation avaniageufe, qui a beau-coup d'efprii; & qui parle affez bien Fran5ois. J'eus Thonneur de lui parier, il me reconduifit jufqu'a la feconde falle oü il me laifTa avec deux de fes Offi-ciers qui etoient des Ecclefiaftiques, & qui m'accompagnerent jufqu'a l'efcaüer. La ville par un privilege qui lui eft par-ticulier envoys un AmbafTadeur ä Rome qui y refidej & eile y eft traitee plutoc comme foeur que comme fujette. Elle s'eft foumife volontairement a I'Eglife ^ mais en s'y donnant, elle fe rcferva de certains privileges dont elle joule tran- f 17») quillement. La plus grande parne (Ju gouvernement , la magiftrature & ce qui appartlent ii la jurifdiöiorj civile eft demeure tout cntier ä rErar. Le Pape ne peut confifquer les biens d'au-cun fujet de I'Etat dc Bologne , pour quelque crime que ce foir. II y a un Senat compofc; de ce qu'il y a de plus diftingue dans la nobteffe c'efl: lui qui entretient 1'AmbafTadeur qui eft ä Rome, & lorfque le Legat ne fe comporte point coramc il le doit, cet AmbafTadeur s'en plaint au Pape , au iiom du Senat & de la vlile , & quelquefois fur fes platntes, les Legats ont ete rappelcs. Le commerce de Boiogne confifte principalement en feie : eile eft d'une ties-belle qualite. II y a un canal qui par le moyen du Rheno va joiiidre le Po , ce qui augmente confiderablcment le commerce de cette vllle. La plus grande partie du clianvre qui s'cmploye C172) dans I'Arfenal de Venife , eft tire dii Boulonois. Les faucifTons font en grande reputation , & quoiqiie ce foic une minutie.il s'en fait une tres-graiide coiifommation. II y a beaucoup de noblefTe dans Iiologne. LesBolono'isaiment les fcien-ces, font agreables dans leurs difcours: on peut frequenter & voir les,Dames , & cecte ville m'a paru une des vilies d'ltalie , non-feulement des plus riches, mais une de celles oil il y ait le moins ä craindre de la rigueur ,,de I'injuftice, ou dc I'inconftance du gouvernemenc, oi'l ia noblelTe pvotite le plus fagement dq tous fes avantages, ou die s'amufe le phis noblement & le phis utilement. L'etabiiffement de I'infticut des fcien-ces & des arts etabli a Bologne en 1712 till ua monument qui eternifera I'amour de fes citoyens pour les fciences, Le Palais qui ftrt a cet iiiAitut ^fi; un dgs i:x73> plus beaux qu'il y ait dans fa vltle; if eft rempli d'une infinite de cliofes rares, foit antiques ou modernes, naturelles ou artificielles, & toutes ces pieces font dillribuees felon les facultes auxquelles elles appartiennent, hiftoire natureile, phyfique, aichitečiure militaire , pein-ture , fculpturc , &c. toutes ces fciences ont chacune leurs profeneurs, deforte, dit un f^avant ^ » qu'habitant toutes » enlemble dans ce Palais comme dans le lieu de leur confederation , elles » ont neanmoiins chaeune leurs depar-»• temens d'ou elles fe donnent la main pour former cette belle harmonic qui " eft entr'elles Long-tems avant retablifTement de I'inftitut des fctences Čc des arts , il y avoit ä Bologde une Academie etablie par un nombre de gens choifis , que Tamour de la ve'rite avoit ralTembies pour en faire la recherche, foit par la /174) fp^culation , folt par la pratique : eile fe nommoit TAcaclemie des Philofo-phes inquiets, rerme qui ne doit point dans cette occafion fe prendre en mau-vaife part, mals dans un fens favorable qui fignifie I'adion de ces Philofophes toujoursattentifs ä rechercher la verite , & a ne fe donner aucun repos qu'ils ne I'eufTcnt trouvees. Cette Academic a ete leunie ä I'inftitut: elle s'appelle ä prefent dcademie. du nouvel inßitut des fciences. 11 paroit par ce nom, qui eft fimple & fans afiFeftation, que tes Italiens commencent a revenir de leuran-cienne coutume, de prendre en ces oc-cafions des noms bizarres & myfterieus:. Car outre I'Academie degCinquieti dont je viens do parier, il y en avoit uneautre ä Bologne appellee degVOtioß par antiphrafe ,pour marquer qii'ils n'etoieni: jamais moins oilifs que lorfqu'ils le pa-loiiToient le plus, D'autres Academi- ciens fe font appellcs ä Rome Hkjjjo-'hßi, Lined Fantaßici; a Parme Inomi-nati, ä Milan Mafcoßi, ä Naples Ar-denti, a Verone Filamonici, ä Vicciice Olinipici, &plufieLivs autres villes, beau-coup moins confiderables , avoient leurs Academiciens dont les noms n'ctoient pas moins etrangcs. La cclebre Acad^-mie de Floiencc s'eft diftinguee fousle nom d'ella Cmfca, qui fignifie du fon & tout ce qui refte de la farine lorf-qu'elle eft blutee , poui- marquer le foin qu'elle prend ä epurer la langue Tof-cane. Le Didionnaire d'ella Crufca» P'ocaholario degU Acadmici d'ella Cruf-ca a donne beaucoup de reputation a cette Acade'mie. L'Academie des Pelntres qui s'etolt autrefois formee dans Bologne avoit parue d'aboid fous le nom de I'Acade-mia degli defiderofi ; i caufe du grand defir que ceux qui la conipofoicnt sVöietit d'apprendre les ctiofes regardant la peinture. Cette Academie s'e-tant rendue celebre par ie merite d'An-nibal , Auguflin & Louis Carache , eile ne fut plus connue que fous !e nom de TAcademie des Caraclies. Augufiin e«t un fils qui s'appeila Antoine Carache , & qui fut auHTi un habile Pi.'incre. De I'ecole des Caraches fonirent le TDominicain , le Guide , Lanfranc, I'Al-bane j Ie Guercliin & plufieurs autres qui, comme ceuxqueje viens de nom-ir.er, ont ete fort habiles, & dont I'on voit ä Bologne plufieurs ouvrages. Je vais marquer ici leurs differences manie-res de peindre: ces remarques ne font point etrangeres ä cette relation & des digrefTions de cette nature font inflruc-tives S: agreables. Auguftin & Anni-bat etoieiit freres . Louis ecoit leuc coufin. lis fe font tous les trois diflin- gues par uti grand gout dans le deiTein, & (17") & cjuöiqiie leur maniere foit affez femblable , on remarq.ie neanmriina une diflcvence qui venoit de !a diver-fire de leur temperament. Louis avoic moiiis de feu , plus d'onäion, Auguftin pits degentilleffe & delegeretc: mais I uti & l'autie nes'ctoient rendus liabilesqii'en täclianr d'imiter Annibdl Carache.CeluU ci avoit plus de fitirte & de lingularite dans fes p en fees, plus de profondeur dans le deffeln, plus de vivacite dans les expielTions!, & plus de fcrmete dans I'execution. II avoit d'abord commence ä former fa maniere tn itiiiran- la douceur & la puree du pinceau du Cor-rege, 11 comprit enf.iitc la force & la diftributitjii des couleurs du lorfqii'i! fm a Rome, i) pafJii de I'imita-tion de la naruie & des couleurs, a la beaute & a la periedion de I'Art, dont il cnsK^ut le-- plus nobles ideas ,en voyant les ft^tues Grecques, qu'il i'unpi ima tel-Totne I, M (178) lementdans I'efprlc, qu'II les aegalceS; principalerrent dans ces belles figures de blanc & de noir qui font ä Rome dans la gallcrie Farnefe ; deforte qu'il acquit ä Rome une maniere beaucoup plus correčte , Sc un defFein beaucoup plus grand qu'il n'avoit auparavant. Antoine Carache fon neveu & fon eleve travailla avec tant de fuccb qu'on croit qu'il I'eut au moins dgale,s'il euc vecu plus long terns. C'efl: le jugement que Ton fait d'Antoine, fur le peu dc tableaux que Ton voit de fa main ä Rome, pu il mourut ä Tage de trente-cinq ans. Le Domintquin a donne ä fes figures des expreflions fortes & naturelles , eiiforte que c'eft un des Pein-tresquiontle mieux polTe'del'art de toucher I'efprit , 8c d'emouvoir les paffions, il a en cela furpaffe fes maitres. Le tableau de Saint Jerome de la Charite ä Rome eft un ouvrage qui le met au- (I7P) deffus de tons les aiitres eleves des Ca-racIies.Le Guide s'attacha a une maniere de peiiidre plus foible & plus delicate: i[ a plus de niollefTe & plus de isngeur , que de vigueur & de fermete: 11 a cher-che a faiie pai oitre dans fes ouvrages de la douceur. On eüc dit que la beaute 8c la grace fembloient ctre au bout de fes doigtSj lorfqu'il travailloic, & qu'elles en parro'ienc pour fe repofer fur les figures qu'il animolt parfon pinceau ; Seen effet on y voir je ne r9ais quoi de noble & de grac'teux qui flatte les fens , mais qui ne peiietre point dans I'ame pour y ^mouvoir les paflions, Lanfvanc fuivit une maniere oppofee diametralemenc a celle du Guide, il a quelque chofe de fort & de terrible: Tun a la beaute , & I'autre la force. C'eft dans les grandes chofes & dans les grandes diflances que Is coloris de lan franc paroic avec plus d'elFec. It avolt, dic-on, en vue d'imiter Mij (i8o) le Correge, mais dans cette occaflon 1'aft n'a pu triomplier du nature! violent & de la forte imagination qui ca-rafterifoient fes ouvrages. L'Albane fe plaifoit a peindre des fiijets agreables & diveitiflans: il excelloit ä rep re fen ter des amours qui joiient & qui volent : il a peint plufieurs Venus accompagnees des Graces & de Nimplies, & c'eO; particu-lierement dans ces fortes de fujets qu'on voit la beaute de fon genie ; il fe fervolt utilement & ingenieufcment des lumic-res qu'il avoit re9ues dts Beiles Lettres, pour enrichir les inventions & les fičlions de la Poefie. On lui reproclie feu!e-nient de n'avoir point affez varie fes figures, & de leur avoir donne prefque toujuurs le meme air & la meme ref-femblance: ce qui vienc de ce qu'il fe fervoit toujoiirs des memes modeles. II avoit epoufe une femme qui lui apporta pour dot une grande beautg & beau- CJ80 coup de complaifancc: il l'a representee fonvent fous ia figure de Venus, & dans Ja fuire, eile Uli fournit un iiombre afTez gl and de petics Amours fi b-aux & fi bien faits, que ce Peintre trouvolt chez lul les originaux de tout ce qu'il a peint de plus agreable & de plusgra-cieux. La nature (euls gulda le Guer-chin & fort genie lul fournic ce qu'ii a fait de plus beau. On conpoit dans fes ouvrages le gout & ie caračtere des Ca-raches. La maniere de peindre du Guide & ceile de I'AIbane lui parurent trop foibles : il prefera de donner a fes ta-blcEux plus de force & plus de fierte: il etoit inventif, & il deflinoit avec une facilite raerveilleufe. L'Academie de Mufique qui efV ä Bo-logne s'efl: mife fous la protečiion de Saint Antoine de Padone. C'eflTufage en Italic que toute focicte de quelque nature qu'elle foit, fe choifir un Patron, Miij CJ82) & tous les ans eile en celebre la fete. A mon retour de Rome , allant de Florence ä Modene & a Parme, jü p. fiai une feconde tois par Bologne, & je ni'y trouvai lorfque cctte Academie cele-brolt !a fere de fon Patron. On chanta k MefTe & les Vepres en Mufiq Je : il y avoit environ cent inrtrumens : plus habiles Muficiens dltalie (e font un plaifir de s'y t ouyjfr, tant poui ho-norer cette Academic , que pour fe faire honneur ä eux - memes. Je n'ax jamais rien enteiidti de fi beaa , foit pour les ChcEurs , foit pour les vo!x i'eules, Leur MuCiquc d'Eglife approchc beau-coiip plus de la Mulique Fi an(joife que leur Mufique d'Opcra, & Ii je n'avois &ntendu que cclle des Opera, je ferois foTti d'ltalie avec mauvaife opinion de la Mufique Italienne; ce que j'ai en-tendu a Rome dans la Chapelle du Pape . n approchqit point de ce que j'ai ^luendu ^ Bologno. Ci83) Quand on va deßologne ä Lorette ; on laifTij I'Apennin fur la droits; avant que d'arriver a Lorette, on palTe par Ancone.LcsendroitsIes plus remarqua-bles ds cetce route font Imiriola , Faen-2a OÜ I'on fair de la fayance fort belle, Ü; ceft du nom de cette ville que le mot de fayance tive Ton etlmologie : Forii, Cefena & Rimini ou il y a quelques refles d'a#viquitc's remarquables ; Rimini etoit autrefois un poit de mer i la vlile eft a^luellenient eloignee de la mer d'un quart de lieue : on pafTe en-fuite par Pezaro qui eft dans le Düthe d'Urbin: cette petite ville allež jolis efl: iituee fur les bords de la mer j & fuffifamment fortifit'e pour etre ä I'abri (d'une defcente de corfairea. Sčtiigaglla , q-i eft fur la meme cote, eft mieux tbrtifice. J'y mangeai du poifTon d'une gr indc del catelle. Tout ce pays depuis Boiogi.e Cil fertile en grains, en vins , Miv Cig4) & en fruits. Ptzaro efl renommc pnur les figues que I'on fuic fechcr , & done j] fe fait un commercc afTez confidcra-ble dans cette vil'e, II fe tient ä Seiii" gagüa tous les ans au niois d'Aoiic une foirc fameufe par te grar.d concouvs de rnarJiands qui y viennent de tou es les parties de ITtalle , & de quelques ;mtres Etats voifin«. Ancone efi cloignfc de Scnigai^lia d'environ huit lieues. Le porr d'Anconij cfl adez grand, mais il n'efl: pas rrop füi- : quoique cette ville foit ä portee par fa litiiation d'avoir co refpondance avec rEfclavonie ^ ia Grece & la Dai-matie, ncanmoins le commerce qt)i Ia rendoit autrefois fi florifTanre, eft pref-qu'entlerement aneanti : il fe r^dui-prefque tout ä l\chat de quelques bleds, jorique le Pape en permer Ia (urrie. Les Negocians ont une bourfe qui eft allcz bdle, & qui a vue fur le port, L'and- ft8r) <]inre la p!us confidei jb'e de ceUe viüe ; efl: un Are tnomplial d'un marbie b!dr,c. trčs fill: l'aichitcäure en eft fimple & dyftituee de tout ovnement, niais eile «fl: admirable par fa belle & jufte proportion. II eft bati pres le Alole qui s'avance environ deux cens pas dans la mer. C'etoit autrefois le plus beau port qu'euffcnt les Romains , & le ),lusma^-nifique qui eut jamais etc : tl etoit conf-truit de marbre, & le Mole qui avan-9Qit bsaucoup plus dans la mor , rcn-doit ce port tres fiir. I! no refte plus rien de toute cetfe magnificence. Les fonificatio IS de la ville & du «.häteau n'oi t rien de lingiiiicr. A cinq lieues d Ancone eft la petite vliie de Lorette, tics retiommee par !es pclerlnages qui s'y font dc couccs les parties du monde: elle a ece fortifi^e pour la mettre ä couvert des defcenres des corfaires: elle eft fituee fur une (iS^) coltine ä deux pecites lieues de la mcr. I-ie pays qui l'environne eft fertile , en-forte que !a fitiiation de cette viHe & la VLie dont on y jouit, font egalement agreables. [1 n'y a de confiderable ä Lo-re:cc que TEglife & le Palais, Le refte de la vil!e condfte en liotelleries & en boutiques de marchands qui veiident des chapelets , des medaiiles & autres chofes propres ä flitisfaire la devotion des pelei'ins. Tisrfellin a fait Thiftoirö de la maifon ou naqiiit la Vierge, & qui fut tranfportee ä Lorette par les Anges : i! rspporte les informations qui furent fait ?s par des perfotines envoyees ä Nazareth pour s'aniirer de la verite ^u fait. » lis mefurerent, dit-il ^ les 5, fondemens de la maifon oii eroit ne« 31 la Vierge ^ & trouverent qu'ils repon-doient a la petite maifon qui fe coii' ,, ferve Ji Lorette ^ ou eile fubfifte de-„ puis plufieurs fie'des fans aucim foii' (iSy) dement. » TI rapporte plufieurs mira-clcs. Tous les Princes Ca:holiques de l'Europe y ont envoye de riches pre-fem-. Apres de femblables exemples , Ton eft adez autoriTe pour fe mettra au-de(I(js des calomnies des herenques, & de certains catholiques Pirrhoniens, Quoique I hiftoire de Turfellin foltbien dcrite , el e n'a pas neanmoins fa-tisfait tous Ics f^avans, mais dans ce ficcle la plüpart du monde fait confiftec l'efprit & la fcicnce ä douter ; je trouve que bieti au contraire le dorne eft plus Touvent uno preuve d'ignorance que de fcience, L'on doute parce que Ton ne f9ait pas : des connoifrances acquifes par ur> long travail, epur^es par un exa-jnen critique, font rares. & neanmolns ne'cellaires pour pouvolr fe fixer. La fainte maifon eft un perlt butiment de pierres & de briques afTcz mal ran-fic'es, qui parte environ trente - deux (i8g) pleds de long Sc treize de large. Cette fainte maifon eft au milieu d'une grande Eglife fous un dome. On a eleve tout au tour ä un demi pied des muraiiles une enceinte fur laqiielle on voit touc ce que la fculpture, I'architefture , & le defTein one de plus excellent, (.'eft un ordre Corinthicn ; les bas reliefs & les tableaux qui font entre les colon-lies., repre:enteiu rhlftoire de laVierge : ils font d'un travail parfair; ce qu 11 y avoit de plus exceüens ouvrieis dans le feizieme fic'cle y ont employe tout leur arr. L'Eglife qui renferme la faince maifon , eft pavce d'un marbre blanc & rouge : elle eft d'unc arcliitečiure bieii enrenduc, la facade eft toute dc marbre: au delTuB du portail on voit une belle ftatue de Notie-Dame de la mai« du cclebre Lombard, Au dedans de la fainte maifon on 3 conftruit un aucel fur Uquel on celebre (1^9) la MeiTe des la pointe da jour. Der-rlere onvoit la chemlnee : au-defTus eft dans une niche la figure deNotre-Ca-me, devant laquelle biulent une infinite de lampes: je ne parle point de cellcs qui fcnt d'argent; j'en ai compte dtx-huit qui etoienc d'or. Cette Notre-Danie peut avoir environ quatre pieds dc haut ; on dit qu'elle eft de bois de Cedre, mais il eft allez difficile d'en parier jufte, car on ne voit que le vi-fage que la fumee des lampes a extrc-mement noirci; le refte du corps eft cache par une robe ccuverte de pierreries. La couronne de la Vierge & cel!e de I'enfant Jefus font d'or & enrichies de trb-belles pierreries : ce fuin des pre-fens de Louis XMI. Il y a dans cette fainte maifon & dans fan rrefor une infinite d'autres riclieftes lingulieres dont la deftripiton re ieroit point ii.i a ili gracieule , que ces choles iont admua- ( ipo) btes quand on les voir. TurfelHn en a faic renumeracion a la fin de fon hiftoire de Lorette. II y a au-devant de I'Egllfe une belle place ÜU eit ta ftarue de Sixre Quinr en bronze une belle fontaine. Le Palais du Gouverneur donne for certe place. IIy deux chofes que 'es e: rangers ont (oin de voir.c'efl: la cave & !'tipo!hicairerie» La cave eft afitz giande & allez bien ineuble'e: Lestonneaux y font beaucoLip plus hauts que longs , le vin n'eft pas mauvais. Un vu ageur Anglois a die <]u on voyoit ä I'apoihicalrt-ne despots ii bien peints, qu'ils rendoieiii: les nie-decines agr^ables. Je ne pretens poinc examuier fi c'eft poufTer trop loin les cifers de t'imaginatlon. Ce font des pots de fayance que I'on dit avoii' ete peints pai Kaphacl, & les cuvieux les eftiment beaucoup. La plupart des Rijets font profanes, & rives des nietamorphofcs d Ovide: il y en a quatre neanmoins (Ipo fur lefquels font depeints les quatre Evangeliftes , & ce lone ceux dont le travail paroic le plus acbcve, Pour aller de Lorette a Rome, il faut travelfer l-Apennin, mals cette tra-Verfe eft bieii diiferente de celle des Alpes: le cliemiii eft ä la vcrite quel-quefois fur les bords du precipice . mais bcaucoup plus rarement, & ies monra-gnes ne font point ä beaucoup prcs auili rudes. La nature du pays eft beaucoup irieilieure ^ il y a des vallees d'une ri-cheiTe infinie : quelques uncs reflemblenc a des forets d'oliviers, & tout ce pays, le boil, le mediocre & le mauvais, ( car il eft mele,) eft egalemen: bien cultlve. Les endrnits les plus remarquables de cette route font Foligni, Spolettc , Terni, Narni & Otnocli. La plupart de ces villes lent bien litučes, & leur . territoire eft fertile. La vallee dc Spo- Cipa) lette, eft un des plui rlclies &.' des plus beaux endtotes que i'ai viis dar.slecourS de mon voyage. On voir a Spo'ette iin pont (ur leq.,el oaffe un aqucduc. II tft remarqLi.:bte pai fj liaiiteiTi*: fa firufture eft go'hique. Toycs les reia'ioiE par-lent du cabiner que I'oti vo t ä Spo-lerte che2 M. Liiprini. Je nouvai uni homme que la vieillcde & la mifere avoieni rendu mclancholique; il e oit ineuble & habille pauvremenr. Teures les curiafices de fort cabinet fe rermi-nenc aujo id'lnu ä quelques me'dail-ks & q-jtlques pierres rares : il ii'en a aucune de pris , & il fouliaite-Toic ncanmoins trouver quslqu'un qui vou!ut acheter un peu chcrement ce qui lui refte. Quand on a pafTe Otiicoll, on tarde peud'entrer dans la campagne de Rome* On voit dans quelques endroits le pa"^® de la Via Flaminia, qui i'eft parfaire- me lit ( ^93 ) ment bien conferve. Les Romains conP truifoieiit leurs chemins avec des pierre9 foi t grandes, fort pefantes, quoi-qu'elles fulTeiu d'uiie figure irreguliere, elles ecoient ties - etroltement unies t mais comme ces pierres n'onc pu con-ferver cette liaifoii exafte des unesavec les autres, ces clipmins font devenus d'un cabotage qui diminue beaucoup le plaifir de voit ces beaux debris de la grandeur des Romains. On voit dans la campagne unc quantite de ruines j de temples & dc maifons ^ mais il n'y a rien dc confiderable parmi ces maziireSi Toiite la campagne aux environs de Sporne eft inculte & deferte , ce qui en rend I'air tr^s-mauvais. On pafTe le Ti-bre fur le Ponte Mole qui eft ä une dc-nii-licue de Rome , ce bout de cbemiu eft borde de jardins & de maifons de plaifance que I'on appelle du nom de Villes ou vignes. 'Jome I, N (ip4) La vlHe de Kome renrerme tant de bcautes de difftVens getires, qu'üidinai-rement Terpi it en eft frappe , & qu'il s'y forme iincalTOS cfidees.Prefque tous ceux qui eil ODC fait la defeription n'ont point fuivi d'autre ordre que celui desdiflerens quartiers decette vil'e.CtJS relation font la plupart ecrltes d'une maiiiere feche S£ entiuyeufe •• elles ne font utiles que pour les voyageurs qui one bcfoin d'etre gui. des. Je ne m'arreterai point ä faire lo denoimbrement des quartiers de la ville , des Palais, des Eglifes, de tous les tableaux ; une pareille fulte de noms n'eft point une leiClure agrcable , mais je m'at-tacherai ä rendre fenfible autaiit que je pourrai rimprcfiiou que fit fur mon ef-pric la vue dc ia ville de Rome, celle des antiquites, & des autres beautcs qu'tlle rcnfermc. Rome ell: entouree de mauvaifes mu-jcailles qui fureiu baties cn P'l'^ C'p;) Bclifaire . General des armees de TEm-pereur Juftinien. Le dcrriere de Saint Pierre & du Vatican eft fortifie k< la moderne. Le chateau Saint Ange qui etoii: autrefois le lombeau d'Adrien , eft aufli forrific ä la moderne: c'eft ä proprement parier la citadelle de Rome. L'enceinte que renferment les murailles eft vafte, enforce qu'it n'y en a gucres qu'un tiers d'habit^. le refte eft laboure ou plante de vignes. Les anciens Romains habitotent particulierement les colines , parcc qu'ils y dtoient ä cou-vert des inondations du Tibre qui etoienc afTcz frcquentes: la partie la plus balTc de la ville qui s'appeJloit le Champ de MarSj etoit dans ces anciens terns Ic quartier le molns liabitc , & c'eft aujourd'hui cclui qui I'eft le plus, mais ii faut remarquer que les debordeaiens & les deftruäions de la vilic one con-fiderablement haufTc ce terrain. Nij Prefque tons ceux quiont eteaRomej choqucs des defcriptions exagerees que les Poctes ontfaites du Tibrc.difent que ce fleuve ii'efl qu'un ruifleau bourbeux , mais lis ont donne dans I'extrcmite contraire, Le Tlbre porte des batteaux can-fiderables j fes eaux font troubles, foil cours eft rapide, & fon lit eft profond, Les pones ne fgauroient ctre conftruics trop folidement, fouvent il les a ren-verfcs, il efl: fujet ä des debordemers qui provlennent de la fonte desneiges dans les montagnes ou il prend fa four-ce J ou d'un vent du inidi qui regne quelquefols vers fon cmbouchure, & qui retarde le cours de fes eaux. La partie de la ville d'en de^-a eft celle qui efl la plus graiide & la plus habitee. L'autre partie eft neaiiraolns fort con-fidc'rable , & paniculierement pares qu'elle renferme le chäteau Saint Ange, le Vatican & TEglife' de Saint Pierre i /CiP7) ces deüX parties ont communication i'iine avec l'autre paf !e moyen du ponc Saint Ange. Ce poiit cfl d'uiie beÜe conftručlion. Clement IX le fit repa-rer & orner de d ix flatues d'Anges de marbre blanc, plus grandes que le na-turel, qui portent les inftriimens de la Paffion de Norre Seigneur. Elles furcnt taille'es pat les meiüeurs ouvricrs qui fufTent alors. On diftingue parnii toutes les autres, la ftatue de l'Ange qui ports le titre de la Croix : c'eft un ouvrage du Cavalier Bernin. L'entrce de la vil!e de Rome par la porte du Peuple flatte agreablemetu les yeux: cette porte a etc bätiq par Vignole fur le deOein de Michel-Ange; eile eft foutenuc par quatre colonnes de marbre dorique , entre lefquelles il y a deux niches oi^i font: les ftatues de Saint Pierre & de Saint Paul. La facade interieure de cetre porte e(t aufli d'ordrc do- Nii] (198) riquc: eile donne fur une place trian-gulairc , dont la baze fait iace a )a po!Tc. A cette ba/e viennsnr fe terminer les trois plus belles rues de Rome-Un obeljfque qui eft au milieu de cetrs placc (err de point de vue ä ces truis, rues. Deux Eglifes qui one un portail d'une belle arcliiccfture & tout-a-lait femblable , formcnt unc tres-belle'ptr-fpečiive. Attenaiit cette place eft una autre Eglife du nom de Sainte Maiie du Peuple . reniarquable par foil ar-chitetäure, fes chapelles , fes peintuies. Sc par deux combt-aux ornes de ftarues de la main de Sanfovino j fameux ar-chitefte & fculpteur. Un obclifqiie eft une efpece de py-ramlde ä quarre faces , qutlquefois cou-vertc de caračieres hierogIyphiq;.es & myfterieux. Celui qui eft ä la porte du Peuple a quatre - vingt - huir pieds de haur, il eft d'une feule picce d'une efpece frpp) de mai bremoiichete qui eftauflidur que Jeporphire , & que Ton appelle granite. Ce n'eft point le feu! qui foit ä Rome; On en voit d'autres dans la placeNavone, ■dans celle du Vatican en face de I'E-glife de Saint Jean de Latran, & pro-che celle de Sainte Marie Majeure. Celui qui eft ä Saint Jean de Latran eft le plus contiderable; 11 a cent douza pieds de haut, Tous ces obclifques ont čce tranfportes d'Egypte a Rome ; i! y en avoit autrefois unau milieu du Champ de Mars qui marquoit !es heures par le moyen de I'ombre du foleii , & des nombrcs graves fur le pave qui I'tnvi-fonnoit. Ces obelifques tranfportes ä grands frais d'Egypte ä Rome prouvent, a U honte de ce fiecle , que Ton etoit autrefois beaucoup plus curieux de I'or-nement des villes. Le nombre infini des aqueducs que les anciens Romains Niv (200) avoient fairs pour conduiie I'eau dans leiir ville, eft encore une preuve de !a mcme ve'rite. J'ai compte dans des dif-fertations faites fur ce fujet , vlngc four-ces diffe'renres done les eaux etoienc. conduices a Rome au moyen des aque- on doit pafler ä cclui des ouvrages nno-derncs. Le plus parfait eft I'Eglife Saiiit Pjerre. Devatit cette Eglife ^^ *ine double colonade ä quarre rangs; qui forme une place dont un obellfque eft le centre; ä cote de l'obeüfque fonr deux fontaines tout-a-fait femblables qui jettent deux grolTes gerbes d'eau; ces deux colonades forment de part $c d'autre un triple portique qui conduit ä I'Eglife de Saint Pierre. Sur I'archi-trave regne une longue baluftrade de pierre, furmontee d'un grand nombre de ftatues. Les colonnes font trop pres les unes des autres, ce qui donne ä cet edifice un air maflif. Le portail dc I'Eglife eft d'un feul ordre d'architec-ture, d ordre Corinchien. II eft fur-monte d'uiie tribune, & il eft termini par una baluftrade fur laquelle il y a les ftatues de Notre Seigneur & des douze Apotres, trois fois plus grandes que le nacurel, Ce portail , quoique beau , ne repond point a la dignlte du refte de I'edifice. Le veftibule eft large ("2245 & rpacieux; a fes deux extrcmites fönt deux flatues equeftres; ä droite eft cel!e de TEmpereur Conftantin, & a gauche celle de Charlemagne; elles font de mar-bre. Ce portique a quarante pieds de long & plus de deux cens de large. L'Eglife n'eft proprement qu'une nef longue de yyi pieds, large de 84., traverfee par une autre en forme de croix Latine, longue de 410 pleds S£ large de 70; la hauteur jufqu'aux vou-tes efl: de J37 pieds; le diamettre du dome eft de i^i pieds; fa hauteur juf-qu'a la pointe dc la croix eft de 408 pieds; les plüers qui le fouciennentont de diametre 62, pieds, Le Cavalier Fontana, ce fameux Architečle qui a conduit pref-que tous les ouvrages du Poatificat de Sixte-Qulut, a donnedans fon livre ii" titule Temphim Vaticanum ^ les dimeti' tions de I'Egllfe de Saint Pierre. longueur entiere de tout I'edifke, / compi'i^ (aar) compris t'epalfTeur des murs & de pieds. II y a de chaque cot^ deux ailes paralleles ä la grande nef, la lavgeur entiere de tome l'Eglife eft de 284. pieds, Ii y a üu tnili-eu des piliers qui foutiennent la nef, une niche, & de chaque cote . un püaftre canel^ avec un chapiteau d'ordre compoflte. Le pave eft un riche compartinient de marbrcs precieux. L'Eglife eft route revetue de marbre. On renouveile aducllement tous les beaux tableaux qui font dans les diff(žrentes chapelles , parce qu'ils commengoient ä fe gacer par rhumi-dite infeparable d'un aufli grand Tem« pie pavd & revetu de marbre. On en fait des copies en mofa'ique , & qui imiteiu n parfaitemenc le pinceau, que je n'apper^us la diffe'rence de quatre ou cinq tableaux de cette maniere qui font deja places, que lorfqu'on me la fit re-piarquer. Je. fus proche de l'Eglife dans Tome L un endroit ou 1'on travallle ä ces tableaux , le fond eft une pierre dure ^ en-duite d'une efpece de monier fur lequel on arrange de peücs morceauxd'emailqui ont plus d'un demi-pouce de longueur, mais dont la fuperficie qui paroit fur le tableau , n'a pas deux lignes en quarre; il y a de ces emaux de routes forces de couleurs, &: il y a dans chaque couleur, pour aller du clair ä I'obfcur.foixante nuances. La couleur eft iiicorporee dans Temail, cnforte qu'elle ne s'altere jamais: quand le tableau eft achevd, on le polit, 8c on y paffe un vernis. Les voüces de I'Eglife font ornees de ftucs dores. La Hue eft un compofe de marbre biert pile & de chaux. On en fait des orne-mens & des figures qui prennent une durete , Sc un poli ttžs-approchans du marbre. C'eft ä Michel-Ange que !'on eft re-devable de I'etat de perfečlion oü f« (227) trouve l'Eglife de Saint Pierre. Ce fut lui qui rečiifia tous les defTeius que Bra-mante Sclesautres arclücedlesqui vinrent apres, eii avolent faits. & qui par uns force d'efpriE iSc une grandeur de dellbia inconnue meine aux anciens, dit fans s'econner ä ceux qui louoient le bätl-jnent de la Roconde^ quit en voubic faire un de m^me giandeur, & encore plus admirable, ce qu'il executa en bä-tifTant le dome de Saint Pierre > qui n'eft porte que fur quatre piliers a une hauteur prodigieufe , & dont le diame-tre n'ett pas moindre que celui de la Rotonde. Au pled des quatre grands pilaftres qui foutiennent le dome, il y a quatre ftacues 'de marbre blaiic plus grandes que le naturel. C eft le Cavalier Berniii qui a donne ie delTein de cec ornemenc, comme aufil des quatre balcons qui font 4u-deffus^ & da leurs degres praci^jues (22S) Sans l'^palfTeur des pllaftres, ce qui les affoiblit & ce qui fit ouvrir la voute du dorne , felon la predičlion de Michel-Ange qui avoir tant recommande que Ton ne touchäc point ä ces piliers. On a remedie ä cette faute le mieux qu'il a ete poflible. Ce beau feu qui ecliaufFe Tefprit des hommes fgavans, leur donne aufli quelquefois des penfees plus brillantes que judicieufes. Cette faute penfa couter la tete au Cavalier Bernin qui ]a racheta en faifant Clever Tob^lifque de la place Navonne; les auties belles chofes qu'il a faitesdepuis dans I'Eglife m^rne de Saint Pierre ont cxpie la faute qu'il fit en cette occafion. L'archicedture ne confifte pas en vains caprices, & en imaginations fantafti' ques, mais en folides raifonnemens, Sc veritables demonftrations. L'EgHfe dc Saint Pierre n'eft point un de ces bä-tlmens qui ne font que des amas confus (22S>} de corps & d'arriere corps que lies faiijc connoifTeurs eftiment merveilkux , oii les ornemcns, pour me fervlr des ter-mes d'un habile homtne, couvrent I'e-toffe ; on ne doit point ce batiment aux penfees bizarres d'un homme imagina-tlf, mais ä la raifonnable conduite d'un homme f^avant guide par les regies de la raifon & de I'art. On con^oit a b vue de ce Temple toute la beaute de ces ordres difFerens, de ces divifions fi juftes , de ces ornemens choifis qui em-bellißent Tarchiteifture , & qui ne fervent pas moins a la folidite qu'a la beaute. La convenance des parties > & lg rapport que les chofes doivenc avoir les unes avec les autres , & d'oü rčfulte cetcebienfe'ance utile quiproduicla vraie beaute ^ y font regulierement & foigneii-fement obfervw; Tceil ne rencontre rlea qui puiiTe I'ofFenfer , tout y eft difpofiS avec ijne intelligence capable d'attirec Plij -I . ^attention la plus forte, potir y faire conliderer la majefte & la toute-puif-fance de Dieu, felon le veritable efprit de la religion. Le grand autel, comme la partie la plus faince du Temple, & en meme tems la plus ornee, attire en entrant tons les regards : il eft direčlement fous le dome, Il eft couvert d'un baldaquin de bronze dore, furmontč d'unecroix, Quatre gtofTes colonnes torfes de meme jne'cail, ornees de feuillages & d'abeüles qui etoient les armes du Pape Urbain VIH , qui le fit faire , foutiennent le baldaquin. Quatre Anges ^galement de bronze dor^ , font pofes fur le haut de chaque colonnc: plufieurs petits cnfans fe jouentfur la corniche, enforte que cet ouvrage eft egalement leger SC majeftueux. Au fond de l'eglife eft un autel, & au-deffus de cet autel eft la chaire de Saint Pierre. Ceft une chaife (a; T) äe bols enchafTee dans une autre chalre de bronze dore , environnee de rayons & foutenue par !es quatre Doäeurs de l'Eglife aufli de bronze dore. & plus haucs que le nature! : i!s font debout fur de grands pieds deflaux de marbre, ornes des armes d'Alexandre VII, qui a fait faire cet admirable ouvrage. Au-de/Tus de la chaire, il y a une gloire d'Anges de bronze dord en plufieurs groupes & attitudes. Sc au milieu le Saint Efprit fousla forme d'ime colom-be, d'oü fortent divers rayons. A main droits de cette chaire eft le Maufoldc d'Urbain VIII, & ä gauche celui de Paul III, Tun & l'autre ornes de plu-iieurs ftatues: deux qui font a celuI d& Paul III, dont l'une repr^fente h Prudence , & l'autre la Religion, font tres-bien finies, & d'une beame merveil-leufe: cette derniere ftatue approchoit fi fort de la belle nature, que la bien- Piv feance a exige qu'on la couvrit avec un liabit de metail, parce que plafieurs perfonnes couroient le meme fort que Pygmalion , en devenant amoureux d'une ftatue. On volt encore plufieurs autres maufolees d'une fculpture & d'un deflein adrairabks. Celui de la Com-tefTe Malthilde eft de raarbre , orne de bas-reliefs tres-fiols, & au-defTus eft la flatue de cette PrincefTe taillee ea marbre: fon corps fut tranfporte dans TEgllfe Saint Pierre par ordre d'Ur-bain VIIIJ qui par reconnoilTance pour cette Princeffe qui a fait aux Papes donation de fes Etats J lui a donne una fiJpuUure dans la Bafilique du Prince des Ap<5tres. Le maufolee d'Alexandre iVII, eft dans un gout Hmple, niais tres noble, celui de Clement X, eft plus orn^; la ftacue de ce Pape eft en inarbrej ^d'un cote eft la fiddlite, Si de I'autre la force : deux enfans llennent un ecriteau. Au-defTus de la figure du Pape font deux Renommees. Je ne parlerai pas de plufieiirs autrcs tombeaux & de plufieurs autres ftatiies: j'ajouterai fculementqu'il y a trois mor-ceaux de fculpture qu'on ne doit pas oublier de remarquer. Le premier eft un tableau en bafle taille de marbre, ou Ton voit le Pape Saint Leon qui menace Attila de I'indignation de Saint Pierre: le fecond eft le tabernacle ou eft renferme le Saint Sacrement: il eft d'une pierre que Ton appelle Lapis Lazzuli. qui eft une pierre bleue, coupee par des Veines d'oraux cotds font deux Anges de bronze dord ä genoux". Le troHieme fe trouve dans la grande chapelie Iiors d'tiuvre qui fert de chceur aux Cha-noines : c eft un groupc de marbre taille par Michel-Angcj il reprefente une Notre ^ Dame de Pitie qui tient Notre Seigneur xnort fur fes genoux. On ne peut fe lafTer d'admirer le bel ord: e ^ la noble fimpllclte, la rkhe/Te & la perfeeaucoup inferleures aux maifons de campagne que Ton volt aux environs de Palis. Oil volt i Tivoli & Frefcati plufieurs viiles antiques qui font , comme (lit un vovageur, leurstitres de noblefre. Afiez pres de Tivoli font les ruines de la ville d'Adiien : ce.n'eft plus rieii au-jourd'liui: ctles fervent ä faire connoltre que c'etoit autrefois quelque cbofe de fort confidc'rablei la petite riviere de Tevcrone qui pafTe ä Tivoli y forme, en fe prcclpicant d'un locher cfcarpe , une trcs belle cafcade naturelle. Onvoic aiipres les rellies d't:n petit temple : plu-fieurs difent qu'il etoit dedic ä la Sybille Tibui dne. Car Tivoli eft I'ancien Tibur. C 24p) AfTez prcs de Tivoli ell; un endrolt qu'on appellc SuItafaiTe; c'efl: mie ef-pece de plains au n\il.leu de laquelle il y a un petit Inc qui u'a que quatre ou cinq cens pas de toiir , mais qui eft ex-tiememenc profond , & dont l'eau eft fouffree. Cette plaine efl: creufe en def-füus, ce qui fe reconnoit a iin ceitain brult foui'd quü font les chevaux eii marchaiit. Sur le lac il y a pluÜeurs Ifles flottantes. La plus grande peut avoir \lngt-cinq pas de long, & qutnze de large. Elles fe rangent du core 011 le Veüt les pouflTe; elles ont de la folidlre St de TepaifTeur. Les naturaliftes difent que ce lac etant produk par des four-ces d'eau fouffree , quelques parties de Kmon rnrefiees par le foufrc , s'e'levent, enforte que ces ifles etant compofees d'une terre poreufe & mclee da foufre» fe foutienntint fur l'eau & produlfent des joncs, alnfi que les auti es terresma-rccageufes. (2S0) Corame Je pafTai a Rome le mois de Juin , j'y vis les ceremonies qui s'y font a la fete dii Saint Sacrement, & ä cetlc de Saint Pierre. II n'y a pas de Cour Oil le ceremonial foit mieux regie, & mieux obferve qu'a Rome. Ainfi coutes CCS feres fe celebrent avec ordre, & d'aiSteurs il n'y a pas d'endroit oil I'ou faflc !e fervice diviii d'une maniere aufS grande, auffi augufte ^ auffi majeftueufe. Je ne feiai point Ic detail, ni la def-cription des proceffions que Ton fait ä la fere Dieu. La veille de Saint Pierre, le Cotinctable Colonne qui eft revetn pour dijux jours de la qualite d'AlU' bafTadeur extraordinaire de l'Empereur» fi?: rhommage au Pape du Royaume de Naples, & lui prefenta la haquem^e-c'etoit un vieux cheval blanc tres-riche' metu enliarnathc , le Pape re9iit I'hom' mage fous !e veflibule de I'Eglife ^^ Saint Pierrs; le Conn^table fut enfuice faire le cours; il etoit accompaghe da Cardinal Cienfuegos. charge des affaires de I'Empereur. lis avoienc chacim quinze cai'oflTes de fulte. Le Connetafcle Colon-•le fit tirer la veille & le jour de Saint I^ierro uti feu d'artifice , & donna des ^afraichilTemensdans fon Pdlals. Le Cardinal de Polignac ä qui Votre Grandeur itt'avoit recommande , rr'y nneiia, me pr^fenta au Prince Colonne qui nous fit Voir fa gallerie & nous en expliqua les tableaux. Le Cardinal de PüHgnac y loignit les reflexions: cette Eminence parle de tout avec connoilTance, en terries clioifis & propres de I'art; il fe pre-te avec une adrefie admirable a I'efprit de ccux qui Tecoutent: 11 f^ait en memö terns s'attirer leur refpeA , meriter leur eftime , & fe concilier leur affedion» J'eus cgaiement Thonneur de Taccom-Pagner lorfqu'il alia -voir la girandola & commc il e'toxt honnete liomme , il les pratiquoit; il eroit cxtremement humble & fevere älui-mcme ; il avolt plutot les allures d'un Moine qua ceiies d'u« Pape , il ne vouloit fe meler d'aucun« affaire ctrangere, rcfufanc fouvent de voir les de'peches qu'envoyoient Nonces, & dans fes exces de zele. '' les appelioic des faifeurs de gazettes. H' can) ne fe meloit que des aifäires Ecclefiaf-tiques, aimoit beaucoup ä faire les ceremonies de I'Egliie , a celebrer de grandes MefTes , & ä canonifer des SainTs;i! ^toit iiiratigab'e fur ces artilclss. QuoiqueronPontificatn'ait pas eted'une longue duree , il eft mort une grande panic des CardinauX;, il n'a jamais inan-que d'affifter ä leurs fcrvices , & comme on lui reprefentolt que les peines qii^il fe donnolr, pourroienc alterer fa fante, il repondir avec une grande ingenuity : yoglio gii frrvire tutti, je veux les fervic tous. Son ignorance fur !es chofes qu'il efb aflez inutile aux Moines de connoi-tre , alloit au point qu'il ne f^avoit poiiic le prix des monnoyes. Le Pere Feydeau General des Cannes, aujourd'hui Eve-que de Digne , cioit Ton intime ami; le Pape aimoit ä I'entretenir j its parloienc Moinericj & ce petit general des Car-Hies. ( je dis petit par rapport a fa h- gure) qm avoit un air de finipllcite » & ded^tacliement des chofes du monde, iTiais qui n'efl: ni (imple j ni ennemi des grandeurs du fiecle . ne fe prefToit pas beaucoup d'aUer ä for. Eveche de Di-gr.e , car il avoic en vuo d'etre Cardinal. Le Pape afredionnoitencore, mais d'une afFedion toute particuliere les JBtneventins. La Cardinal Cofcia , Komme aulli double que le Pape ^toit iim-p!e , aulTi apre pour le gain que le Pape fe foucioit peu d'argenc, aufli hardi faire des injuftices & ä fouler le peuple» que le Pape etoit fcrupuleux de faire la moindre chofe qu'eü: pü lui reprochef fa confcience, enfin , aufli hypocric® (que le Pape etoit vrai, a abufe beaucoup de la confiance & de Tignorance du Pape. Ii s'e'coit rendu maitre de foi^ efprit, c'etoit une efpece de char'me fi^ d'cnchantement que rien n'etoic cap«' ble de rompre. Cofci;» efi: fils d'un Sa- fn;) crlftain de ia Caihedrale de Be'neventf le|;Pape qui en čcoit Arclieveque avant que d'avoir ^ce eleve au Pontificat, voyant fon Eglife bien propre, le Sa-criftain lui prefenta fon iils, & lui dit que c'etoit cct enfant- qui en avoit le foin. Le Pape le prit džs lors en dfec-tion, & voila l'ürigine de la grandeur de Cofcla. Dutefns que j'etois a Rome, on difoit afTcz publiquement qu'il auroit de la peine apržs ia mort du Pape a cchapper a la fureur du peuple , ou a la juflice du nouveati pontificat. Les gens liabiles prevoyoienc des lors qu'il fe »nettroit fous la ptotečlion de I'Empe-reur , & qu'il Tobtiendroit facilementen facrifiant une partie de fes trefors. De-puis i'eleaion de Clement Xtl , il a mis fur la porte de fon Palais les armes de rEmpcreur,& les Cardinaux Allemans ont ece lui reiidre vllite , mats fa con-•iuite a paru deputs Ü odieutt aux All«- (2S6.) mans qu'üs en font reftes ä ces premieres demonftrations d'arnitie, L'oii doute qu'ils foutiennent leurs premieres demarches , & que I'Empereur veuille le prote-gev OQ le foufeaire au jiigement que pro-noncera !a Congregation ^tabüe au fujec des malverfations comciires fous le dernier Pontificat. Peus I'honneur de voir le Cardinal Corfini, aiijourd'hui Clement XII, a uns Vigne oii il alloit aiTez volontierspafTet les plus beaux jours de I'ete, j'allai apres midi trouver mon pere qui y avolt dine. Cs Cardinal me fit des reproches tr£s-gracieiix dc cc que je n'y dtois point auili venu diner. Quolque. dans un age forC avance, il promet pkifleiirs anne'es de Fouti'icat. II eft inthiimenc eftime ^ ainie. j! avoir qiiarantc tiii'le ecus mains de rente : Tccu Romain vaut de notre monnoye environ cinq livi'es do^-xe (bla: il failbit une trts-grandc repr^' fentatioii. fayyJ fentation. II aime la rnagnificehce < 11 aims aufli le jeUj inais on l'accüfer'oit avec injultice de chercher dans !e jeu ■d'autre plaiHr que le plailir du jeu ; car il joue tres-petit jeu , & il a donn^ des marques de liberalite qui ne laifTent point ■lieu de le foupgonner d'avarice ; 11 entre dans le detail de fes depenfes domeftl-ques , tout eft regie par une fage ceco-nomie, & on me dit qu'au bout de I'ati il faifoit diftribuer aux pauvres ce qui lui leftoit de fes revenus.Il aitne les Sciences & les beaux Arts , Sc i! tenoit fouveric dans fon Palais ä Kome des affefnblees de f^avans. On ne lui reprochoit point d'autre defaut que la grande ambition qu*il avolt d'etre Pape qu'il cachoit aü-tant qu'il pouvoit, mais qui etöit trop forte , pour qu'elle ne parftt point au dehors. Il paroit, depuis qu il eft Pape, qu'il affečiionne beaucoup fa famille: il fuit en cela le mauvdis exemple de la 7ome J. R plüpart de fes predece/Teurs; au refle on ne peut pas toujours juger des inclinations des Papes, par celles qu'ils avoient lorfqu'ils n'etoient que Cardi-naux. Un Cardinal qui pretend ä la Papaute fe tient fur fes gardes , pefe routes fes paroles, etudie touces fes demarches, deguife fes penfees, & comme il eft vi-fite , recherche, flatte. il tient aufli un llyle univerfel d'agremens, de complai-fances, de civilites, & d'honnetetesavec tout le monde; mais fouvent ä peine a-t-Il commence ä goüter ce que c'efl: que d'etre maitre, & de n'avoir que Dieu pour fupčrieur qu'il change de naturel, & penfe n'^tre plus obligd ä fuivre les maximes qu'il temoignoit auparavatit avoir profondement enracinees dans Ic fond de Tame, La connoiiTance des cabales & des intrigues qui fe pratiquent dans les conclaves ä r^lečiion du Pape, eft egale- ment curieufe & utile . & particuliere^ ment a ceux qui font ä Rome pom des affaires etrangeres ^ & qui bien fou-vent n'ont pas tout le fucc^s qu'ils fe promettent, faute de lumieres pour fc conduire dans una Cour fi delicate, & pour connoitre les g^nles & les intfi-icts differens de ceux qui la compofent. L'hiftoire des Conclaves par M. de Huiffen, homme habile, eft le meilleui: livre qu'il y ait fur cette matlerej mais comme c'eft une fcience du jour qui conlifte ä connoitre les Cardinaux vi-vans, r^tude de ce livre ne peut pas fuC-fire. Le Cardinal Corfini eft principa-lement redevable de foti ^l^vatio'n au Pontificat, ä la fadion Albane, & ä Celle de France. A l'entr^e du Conclave ce Cardinal r^unit les Cardinaux de Polignac & Annibal Alban! qui n'i-toient pas parfaltement bien enfemblei: depuis ils ont toujours demeurčs unis ^ Rii C2al\;cf que le Cardinal Pico , nn 'dfes plus 'digh«^ mtinbres du facr^ College Tavoit averti qu'll s'y oppofe^ roit en vain, & qu'il tie pourrolt pas rempecher. Le noiiveau Pape pour te-moigner fa reconnoiflTance au Cardinal Albani, neveu de Clement XI, a pris le nom de Clement XTI. Le Cardinal Annibal Albam a un frere qui s'appelle Alexandre Albani, tnais qui au lieu d'etre de fa faftion, etoit de celle de Savoye. C'eft ce Cardinal que le Roi de Sardaigne a clioifi pour protečleur des Eglifes de fes Etats: il paroit que le Pape ne fera pas trop favorable ä ce Souveratn, car il n'a pas voulu que le Cardinal Alexandre Albani mit fur fa porta les armes du Roi de Sardaigne, quoique l'ufage l'exige dun Cardinal protečteur, & il a nomme une Congregation de Cardinaux pour examiner les privileges qui lui ont ete accorde's par Benoit XIII. II a aufli nomme plufieurs Cardinaux pour examiner les malverfa- Riij (2^2) tlons qui ont ^te faites fous le dernier Pontificat. II paroit par Is caradere des Cardlnaux qui bnt ete nomtnes, que le Pape n'a point envie d'epargner les coupables. Le Cardinal Lorradini en eft un: c'eft un homme qui n'epargne perfonne lorfqu'il eft qucftion de dire la verit^: bonne tete , franc, oiivert, fin-cere , & de mcEurs irreprochables: il eft exad obfervateur de la juflice, &: ne fouffre point les chofes mal-faites. Ces qualit^s dans une Cour oü Ton dif-fimule beaucoup , font qu'on I'aprehen-de: c'eft peut-etre ce qui I'a empechc d'etre Pape; 11 a eu dans ce dernier Conclave trente-deux voixj il n*en fal-loit que trente-fix. Les politiques n'ont point encore decide la quelle de ces deux chofes eft la plus pernicieufe dans le gouvernement d'un Etat, ou d'une bonte trop grande, ou d'un vertu trop fevcre. Le Pape regne defpotiquement. SI le peuple a fes confervateurs qui rendenc la juftice dans le Capitole , c'eft une ap-parence de puifTance qn'on lul a laiffee pourle flatter en quelque chofe. CesMa-glftrats ne decident que de quelques pe-tits difFerends qui naifTent entre les Romains , le Pape decide felon fa volonte des affaires importantes. L'Etat Eccle-(iaftique efl: gouverne de teile forte , que le Pape fe decliarge de la plüpart des affaires fur les foins de fes neveux , ou de quelqu'autre perfonne ä qui il donne fa confiance. Les Cardinaux , qui femblent etre les membres iiaturels de cette tete , & qui devroient l'aider ä fou-tenlr le faix de fa monarchie ^ ne font prefquc plus que pour accroitre la ma-jefle du Saint Siege. La connoifTance des affaires leiir efl: prefqu'interdite, Sc ii le Pape les leur propofe quelquefois, c'efl plucot pour donner par leur ap- Riv (26^) probation de I'autorite ä ce qu'll fait, que pour le rdfoudre par leurs fuffrages. Le revenu du Pape eft de deux millions huit cent mille ecus Romains. La chambre Apoftolique doit au public foixante millions d'ecus ä deux & demi pour cent, enforte qu'il ne refte au Pape qvi'environ fept millions de livres argent de France. La plus grande partio de ce i-evenu confifle dans ce qu'on tire de la vlUe de Rome par douannes ^ gabelles : I'autre brauche des revenus du Pape, eft ce qu'il tire des pays strangers par fon parchemin , c'eft-a-dira par les bulles , les difpenfes, &c, Les Papes ont mille moyens d'avoiv de I'argent: dans des occafions prefTantes. & mille moyens de recompenfer & d'en-richir ceux qu'ils affeftionnent. Comms les Papes changent fouvent, & que tous pnt des inclinations differentes, on voit naitre ä Rome de notivelles families. de nouvclles noblefTes. des jaloufies, des faäions , de' cabile?, & tout ce que l'amblnonj Tavarice ik !e lüxeeta-lent dans les autres Coiirs, en'orte que ceiix qui la comporenr eranc partage's par les foins d i fplrituel & du tempo-rel, il ne faiit pas s'efonner fi !a vigueuc du 7ele apoftolique & de la difcipüne Kccle'fiaftique s'eft fi fort relachee. Les richefTes qui ont ete donnces ä I'Eglife pour la gloire de Dieu & pour Torne-inent dc cette Hia'archle qui compofe le corps myfiique de Jefus-Chriil, out fervi fouvent ä des efFots bien concrai-res a leur fin: les Miniftres pour fc preter aux de(irs immoderes de quelques Papes, & fouriiir ä l'exc^5 de Icur depenfe, ou pour fatisfaire leur propre avariccj ont employe pour recoa-vrer de Targent:, des moyens qui n'e-toient pas toujours legitimes. Le present que Leoa X tit i fa focur du pro- '(266) fit des indulgences qui fe preclioient au Duche de Saxe fuc le pretexte de I'a-poftafie de Luther Sc la matiere du fchifme d'Allemagne. Cette grande au-torite que les Papes refignent pour I'or-dinaire ä leurs neveux, & la puiflTance du Saint Siege dont ils leurs laifTent le plus fouvent la difpofition entiere 8c libre , n'eft pas toujours admitiiftreepac des mains pures. II eft mal-aife que le zele du bien general occupe entiere-ment ceux qui ne font perfonnes pu-bliqiies que par participation : il eft difficile qu'on oublie ce qu'on eft, pour n'avoir que les fentimens de ce qu'on n'eft pas: il eft prerqu'impofTible qu'on traiiilTe I'amour-propre , & qu'on fe ß-pare tout ä-fait de foi-meme: mals ce-pendant cette conduits des Papes qui donnent toute puilTance ä leurs neveuX» n'eft pas fi Strange qu'elle le paroft d'abord j car comme la plüpait desCai«; ( 2 ) dlnaux dependent de quelques puifTan-i ces, & que les auties ne font attaches qu'a leurs interets, ces dependances & CCS paflions aUerent les bonnes volon-tcs da Pape ä leur dgaid, lui rendent fufpeds tous Icurs offices, & font re-duire la refolution des affaires entre lul & fes parens^ ou quelque creature dont il aepioLivd lafiddite, & eftime la ca-pacite. 11 ya long-tems qu'on a dttque par-tout OH il y auroit des liommes , il y aurolc des paflions. II elt ceitain > dlt un des plus judl-deux Ecrlvalns du dernier fiecle, & dontj'employe les expreffions avec plai-Cr. » qu'il n'y a point dans le monde « de dignitd plus haute que celle du » Pape J nI que les Chretiens doiventre-« v6-er davantage. La qualite de chef de « TEglife & de Vicaire de Je'fus-Chrift, » merite bien une leconnolflance plus » qu'liumaine, & des honneurs plus x> releves que ceux qu'on rend aux Mo» narques; mais d'aucaiit que cette di» giiite qui ne regarde que lefprit, & les sj efperances de I'autre vie, s'eft trouvee » jointe avec le tems ä une puilTance w temporelle avec laquelle eile n'efl pas » incompatible , il eft audi arrive que » ceux qui en ont ece pourvus, fe font j3 jettes en d'autres intercts que ceux 55 de Dicu, & qu'ils ont mele le falut » des ames avec les pa/lions de la terre ; » & commeron voit fouvent que I'honi-me fe laiffe ravir aux objets des fens, a & que fouvent il n'agit que felon les faculces anlmales, bien qu'il en ait jj de fpirituelles &c de divines, de meine on a quelquefois vu les Papes oublier ies fondions de Chef des fidellcs, pour >' ne s'adonner qu'a celles de Princes 3> du monde. & placer au trone de la S5 Saintete I'ambition & I'avarice. Tout » ceU a fait mal penfer de h dignit* » de l'ordre ä plufieurs qui ne favoienf » pas le diftinguer de la perfonne, ni »> faire difference de ce qui etoic de Tinf-» titution de Dieu , d'avec ce qui pro» cedoit de la corruption de Thomme. » Iis one confondu la Cour de Rome » avec l'Eglife, bien que ce foit deux » chofes fort diverfes; ils ont appliqud »lies tachesde Tune, ä lautre qui n'en »3 a point du tout, & fe font revoltes » contre le Saint Siege. ä caufe qu'ils ne » pouvoient fouffrir les vices des Papes. Comme ceux qui font deves ä cette fupreme dignite qui les fepare du com-mun des hommes, ne laifTent pas d'etre hommes & d'en avoir les inclinations: il ne faut pas s'etonner s'ils font bien aifes de voir Prendre leur autorite, de voir qu'on les fait plus puilTans qu'üs ne penfoient I'etre, que la lumiere qui les environne eft plus grande, & envoye fes rayons plus loin qu'ils ne s'etoient imagines, 8c s'lls fe laiflent fl faclletnent perfuader une chofe qui eft fi conforme aux defirs de Phomme , & ä la plus violente de toutes les pafiions qui eft celle de dominer. Des qu'un Pape ou par fon propre mouvement, ou par les fug-geftions des flatteurs, s'eft attribue un droit qu'il n'avoic pas, il fe trouve des auteurs indifcretcment zcids qui alle-gueiic foil ačlion comme un titre legitime. Delä vient que quand cette ma-tierc entre dans les affaires que Ton traits avec les Papes, ou dans les n^goclations que leurs Miniftres conduifent, 11 faut marcher avec de grandes circonfpec-tlonsj avoir I'ccil ouvert ä toutes cho-fes, & paffer fur un pas fi gliffiint avec adreffe & legerere. La difpute de l'au-torite du Pape fera coujours fatale ä religion, & on ne peui I'agiter fans ou-^ vrir la porte au fchilme, C'eft dans ceS occaiions qu'^clace la prudence d'un grand Minlftre, lorfqu'il f9ait en mcmt terns contenter Rome, & fauvei* les Ii-bertds & les droits de la couronne, L'hlftolre fournit plufieurs exemples des injuftf^s cntrepriles des Papes, eile fournit aufli plufieuis exemples des Princes qui ont defenda leurs droits avec plus de violence ou moins de refped: qu'ils ne devoient, & qui par les extremity oi ils fe font jčttčs, ont rendu leur cau-fe odieufe, lorfque la moderation pou-voit la rendre legitime. La Cour de Rome eft une Cour de politiques ou chacun fait profefllonde tenir (es inclinations fi cach^es, qu'il foit impofilble de les decouvrir. Clia.-cun a fes vues, fes moyens pour reuffir: tous les Romains ont I'efprit fin, d^li^, d^licat, propre ä conduire une longue intrigue avec habilete. De-la on peut conclure avec quelle circoiifpeftion oq doit agir avec les Miniftres d'une telle (272) Cour. On (Joit done en trairant avec cux, netre jamais depourvu de cette defiance qui allure les affaires, qui detourne les pieges, qui defend des fuiprifes, Sd ne laifTe aux trompeurs que la volonre de trotnper. On doic ctre perfLiade que ce font gens qui apportetit de Tart en tout ce qu'ils font, & qui ne defcendent ä l'aöion que bieii prepare'sr quails (bnt ennemis de I'lmpe- tuolite, & que detoutes lei hiimeurs dont le corps eft conipofe, ils n'en eftiment aucune tant que le fiegmei ni de toutes Jes vertus qui entrcnt dans !es affaires aucune tant que la patience. On doit f^avoir qir'ils ne pevdent rien , & pro- litent de rout, qu'ils reculent qjeique- fois pour avaiicer davantage: que derniere diofe qu'ils dc'couvrenc, cfi leur prfcmiere ihtention : » ils tournent, dit ingenieu'emcnt Silhon , le dos oi « lis veulent aborder, comme font cetiJC „ qui f273) » qui naviguent, & bien que les llgnaj » droites faient les plus courtes , ils ai-ment mieux les obliques pour parve-»» nir a leur fin , & au but qu'ils fe pro» pofent, Ces reflexions fur la Cour de Rome font fuffifamment connoitre le carac-tere des Romains. Tous les errangers font re9us ä Rome, & Merits s'ils veu-lent au nombre des citoyens: ils peu-vent pretendre a routes fortes d'hon-neurs ^ c'eft I'endroit du monde ou let plus grandes fortunes font les plus communes. Plufieurs perfonnes ^ mais fur tout les dtrangers fe frayenc une voie aux honneurs par le moyen des fciences, en forte qu'il y a toujours ä Rome des f^a-vans du premier ordre. Je mets dans ce rang le Fere de Vitry Jefuite, grand Theologien & habile Antiquaire. Ce Pere eft mor t depuis mon depart d« Toms I, S (274) Rome; c'eft une veritable perte. Per-fonne au monde n'avoit mieux penetre le veritable efpric des ouvrages de Saint Augiiftin, & comme il etoit fage & modere dans fes fentimens , fes čcrits, s'il les a laifTes en ordre, feront fure-ment avantageux pour le retabliflement de la paix dans I'Eglife; j'ai ä ce Pere I'obligation de m'avoir fouvent accom-pagne; il fe faifoic un plaifir de m'ex-pliquer les anciens monumens; heureux de n'avoir point etc reduit a avoir re-cours a des gens qui font le me'tier de les expliquer aux etrangers, Sc qui I.eur apprennent autant de fauffetes que de vcrites, enfortc que I'on ne doit point etre furprisj fi routes les relations ne font point exa^es; le Fere de Vitry a volt un tres-beau cabinet dc medail-les , II en avoit vingt mille, äc quelques unes de celles qui manquent au cabins'^ du Roi. Si j'eufTe refte plus long-tenis a Rome, il s'etoic offert de m'en donner iine parfaite connoifTance; je les al confiderees plufieurs fois avec plalfir. Par les medailles on afTure des faitshif-toriques, elles apprennent quelquefois des lingularites qui font echappdes auj£ liiftoriens, & i'^tude qui en parott fe-che & defagteable, ne I'eft cependant point, puifque I'cn fait tous les jours de nouvelles decouvertes , & que rien n'efl plüS flatteur. II fauc pour les etudiec avec profit, f^avoir I'hiftoire . & avoir une teinture generale des Sciences & des Arts. » Une telle ^tude j dit un Au-»J teur Italien , reduit pour ainfi-dire I » dans un petit volume routes !es Scien-" ces& tous les livres; eile inftruitdans » un moment & par un coup d'oeif} 3> c'eft plutoc un divertiiTement qu'un^ » etude; c'eft un amufemenC inftrucäifj »les figures font ordinairement fi bietf w frappees,que I'cei! les voir avec plaiifirj' Sij »les infcrlptlons €clairent rcfprlt & fi-» xent la memoire j ce font des tableaux qui parlent aux yeux , qui dlfent beau-» coup en une parole, & qui inftrui-31 fent fur les faits les plus heroiques de • I'hiftoire Le Fere de Vltry me fit voir une longue gallerie qui eft au College Romain, eile eft remplie d'antiques, dc pierres, de mineraux, de curiofitfe ar-tificielles & naturelles. On y voit aufli beaucoup de ces lampes qui fe trouvent dans les anciens fepulcres, elle font pour Tordinaire de terre cuite ^ & quel-quefois avec des figures en relief qui ont donne lieu ä de f^avantes difTerta^ tions. Certains feux que Ton a vus afTez fouvenc a I'ouverture des fepulcres, ont fait croire que ces lampes avoient toujours brule; mais c'eft une erreur que d^truit une fimple rdflexion fur la nature du feu, car lexperienge apprend ( 277) qu'il ne peut fe nourrir fans le fecours de l'air, Ces lampes ctoient mifes dans les torn beaux par une pure cer^monie, ce que Ton prouve , parce qu'il s'en eft irouve de toutes folides fans conrrvite ni oriBce , mais qui avoient fediinent 'a figure exterieure d'une lampe. A I'e-gatd de ces feux que Ton a quelquefois vus ä I'ouverture des fcpulcres. ce n eft autre chofe que Teffet des lumieres que les antiquaiies portent eux-memes dans ces tombeaux, aux approches defqudks certaines macleres s'enflamment dans les concavitcs de la terre> & dans ces fortes d'occafions I'imagination apuic beaucoup a la rcalite, Le terns que Ton paiTe a Rome ä la confideration des antiqultes, des ftatues & des tableaux, amufe infiniment, mais lorfqu'on a tour vu, on s'y ennuye blen-tot, Les complimens des Romains, quoi-Sü'exceiljfs , iie m'ont point paru flat- C27S) tears. Les Romains paroifTent trop oc-cupes d'eux - memes; 1'on apper9oic toujours qu'ils ne fongent qu'ä. eux ; ils n'ont point I'art de diilimuler ce defaut, qai bannic la fincence de la conveufation, St ramitie du commerce de la vie; ils ne fongenc qu'a fe donner du repos, & a conferver leur fante. Us ne fontoc-cupes que de ffavoir oü Tair eft le meil-leur , & les Romains ont ete furpris de voir le feu Pape habiter le Vatican, parce que I'air y eft moins pur qu'aU Palais qui eft ä Monte Cavallo. On ne pcut s'imaginer jufqu'a quel point Us pouflent leurs fcrupules & leurs precautions; cela va au point de les empechei-de jouir aucant qu'ils fou-haiteroient des agremens de la vie, ü® ne foupent point, & its dorment re-gullerement tous les jours apres diner* Ces deux ufages font neceffaires dans un climat aufli chaud, mais dans 1® (279) terns des grandes chaleurs , un Romain n'oferoit dormir autre part que dans fa maifon, & precifeniint dans Tetidroit de fa maifon ou il a coutume de dormir. L'air de la campagiie de Rome juf-qu'a Viterbe eft fort dangcreux. On pretend que la plupait des infcriptions qui fe trouvent dans Viterbe, & que Ton veut faire pafier pour ancieniies, font des monumens fuppofes. Plus loin eft Monte Fiafcone ou il y a d'aifez bon viti mufcat. On fait un conte d'uii Prelat Allemand qui mourut pour en avoir trop bu. II envoyoic devant fon valet, & marquoit I'liotellerie oü etoit !e meilleur vin avec le mot eß. Ayant trouvc Ic vin de Monte Fiafcone de fon gout, il tripla Veß & le maitre en but tantqu'il tomba malade ^ & qu'il en mourut: fon valet lui fit cette epitaphe, „ eß ^ eß , eß, propter nimium It eß. Jo, de fue^ d. mens monuus eß.,, (ago) Les terres du Pape finilTent au petit village de Cen ti no. Cecte route n*a rien de remarquable: le pays que Ton tra-verfe efl: aHez mauvais en quelques en-droirs, i1 eft partout ma! peuple & mal cultive. Du terns des anciens Romains 51 n'etoit pas queftion de ce mauvais air qui regne dans la campagne de Rome pendant deux mois de I'ete, depuis la ml Juillet^ jufqu'a la mi-Septembre. La raifon de cette difFe'rence c'eft qu'aiitre-fois la campagne de Rome etoit peu-plce & mieux cultivee. On dit que I'ori a oficic aux Romains de lapeupler, Sc qu'ils Tont refufe. L'on ne peuc rai-fonner plus mal qu'ils ont fait dans cette occafion. Ii faut fgavolr que cette ef-pece dc defert qui environne Rome n'eft pas entierement inculfe , & qu'il f en a one partie qui produit des grains, ce font des Strangers qui viennent fairc la retoke pour gagnev quciqu'argent qu'ils C ) ^'ils remportenc chez eüx, Sc qui par confequent eft perdu pour I'fitat, lis font ä la fols un trh - grand nombre ; car comme le mauvais air en attaque toujours plufieurs, i)s font oblige de depecher leur befognc le plus promp-tement qu il eft poffible. Le labourage fe fait avec une grande negligeRce ^ en-forte que le terrain qui eft excellent,