RECHERCHES SUR E T X*J£S CjBCXIWOXSo Par Mr. de P*-**. TOME II. li. A BERLIN, Chez G. T. DECKER, Imprimeur du Roi. M. DCC. LXXIII. RECHERCHES PHILOSOPHIQUES sur LES EGYPTIENS E T LES CHINOIS. TOME IL A 2 J A^67C 8/%/*^ZG^^$^^+%++$$%%2$$+^/0*^^ 43802851^^857681954410003^2673094897092552^64^943^ B+///++/:./.^^6517.2++.^^+/:.+/+:/.//+:/../.1/.64/:/+/+/+.^:::^^+++++.:/+:/+^^^^//:2+:++^:..22:+..::+/+:..B 9999 03 SECTION VI. Confédérations fur l'état de VArchiieclure chez les Égyptiens £5? les Chinois. O us ne confidérons ici les principaux Ouvrages élevés par les Chinois & les Egyptiens, que pour faire fentir que le génie de ces deux peuples a effentielle-ment différé. Car nous ne prétendons pas parler de 1'Architeclure comme en parleroit un Architecte , qui voudrait toujours infifler fur les règles & les principes : c'eft là le devoir de TArtifte : mais ce n'eft pas celui du Philofophe. Après avoir examiné quelques monuments en général, nous décrirons avec plus de détail la grande muraille qui a fermé l'Egypte du côté de l'Orient : & pour qu'on ne foit point tenté de croire, qu'il y a quelque rapport entre ce rempart & celui de la Chine, nous en indiquerons A 3 6 Recherches philofophlques un nombre étonnant d'autres fur la furface de l'ancien Continent, & dont quelques uns ont été d'une telle étendue, que fi on les eût conftruits fur une môme ligne, ils auroïent pu couper à peu près tout notre hémifphere en deux : c'eft à dire que, fi cette chaîne de murailles eût commencé fous le premier Méridien en fu'vant toujours 13 direction de l'Equateur, elfe feroit venue aboutir prefqu'aux extrémités de l'A fie. Et il eft remarquable que ce foit principalement contre les Tar-tares & les Arabes qu'on a tâché de fortifier ainfi tant de régions dans trois différentes parties de notre Globe; car en Amérique on n'a point découvert la moindre apparence de quelque retranchement de cette efpece. Un Chinois, qui entreprendrait aujourd'hui le voyage de l'Egypte, feroit bien furprs en voyant les Obélifques d'Alexandrie & de la Matsrée , & encore plus furpris en confidérant cette fuite de Pyramides rangées â l'Occident du Nil depuis Hatiara fufqu'à Gizeh. Car, loin qu'on trouve des Pyramides & des Obélifques à la Chine, on n'y a pas môme ouï parler de quelque monument femblable. L'Empereur Kien-long de la Dynaftie Daj-dnin, qui vit encore dans l'inftant que j'écris , peut avoir dans fes appartements quelques tablesux moins mal faits que ceux qu'on y a vus jufqu'en 1730. Mais ce Prince n'a pas dans toutes fes maifons une belle colomne de marbre ou d'albâtre. Ses prédéceffeurs depuis Yao , s'il eft vrai qu'Ile ait exifté , n'ont employé dans leurs Palais, dans leurs Pagodes, dans leurs Tombeaux, fur les Egyptiens les Chinois. 7 que des colomnes de bois fans aucune proportion déterminée. De-là il réfulte déjà que le caractère de l'Architecture Chinoife eft diamétralement oppofé au génie de l'Architecture Egyptienne, qui tendoit «à rendre indestructible , & pour ainfi dire immortel, tout ce que les Chinois rendent extrê-memen: fragile, & encore extrêmement inflammable à caufe du vernis, dont ils recouvrent leurs colomnes, & de cette pâte de chaux , de fi la lie & de papier mâché dont ils remplilTent les cavités du bois, Iorfqu'il s'en trouve fur le corps du fufl, ou fur les parties apparentes de l'entablement. Le feu ayant gagné quelques quartiers de Kantin y on tenta inutilement de l'éteindre : il ne fut pas pofiible de fauver une maifon, & trois jours qprès l'incendie on ne voyoit plus dans tout ce lieu défolé la moindre ruine d'habitation : tandis que la ville de Thebes, qui a été brûlée, facca-gée tant de fois depuis Cambyfe, offre encore des veftîges confidérables, qu'on fait avoir occupé longtemps M. M. Pococke & Norden , qui en ont donné des defïïns & des-"deferiptions : cependant il s'en faut de beaucoup qu'ils ayent tout décrit & tout defïïné. On efl perfuadé que les ruines du grand Temple de Thébes dureront encore plus longtemps que des Palais bâtis de nos jours en Europe , & furtout que la Coupole de Saint Pierre, qui ne paroît plus pouvoir réfîfter longtemps. Quand on connoît la vanité des Chinois , & leur peu de fcrupule fur les menfonges hiftoii- A4 8 Recherches philofophiqucs ques, alors il faut apprécier à fa jufte valeur tout ce qu'ils rapportent des édifices merveilleux, conftruits par leurs premieis Empereurs. Quelques-unes de ces fabriques n'ont jamais exifié, comme le prétendu château de l'Impératrice Ta-li'u, dont la description purement fabukufe ou romanelquc, a été faite par des Ecrivains quin'a-voient aucune idée de l'Architecture. Car il ne faut avoir aucune idée de toutes ces chofes, pour ofer dire que ce Palais étoit bâti de marbre rouge, tirant fur la couleur de rofe; que le joui y entroit comme dans un appartement de la maifon d'or de Néron, qu'il avoit des portes de jafpe, & qu'il s'élevoit à deux-mille pieds dans l'air. Quelques autres conitruftions, comme le Tombeau de Schi-chuandi, ont été de fimples ouvrages de boiferie. Et le Lecteur jugera dans Pinftant combien on a grolfiérement exagéré à l'occafion de ce Tombeau dont il ne refte pas môme de ruine. On ne peut que rire de la Simplicité ou de la folie des Chinois, qui montrent, dans la Province de Chsn-fi, la fépulture de Fo-hl; & là deflus le Tere du Halde obferve férieufement que, fi ce monument eft authentique , il faut le regarder pour le plus ancien de tous ceux qu'on connoît fur la furface de notre Continent. (*) Mais cette fépulture de Fo-hi n'entre pas en comparaison avec le Pic Adam, dans Pifle de Ceylon, où l'on fait voir les traces de Piromi , le pretnier des (*) Dcfcriptlon de la Chine. Tom. 1, pas. 22?. fur les Egyptiens & les Chinois. çj mortels. On conçoit bien que ces puériles Traditions ne peuvent avoir cours que chez des nations peu éclairées, & où la Critique Historique elt entièrement inconnue; de forte que des ignorants s'y repailTent les uns les autres avec des fables. Comme les Lettrés favent que leur pays a été peuplé par des colonies venues des hauteurs de la Tartarie , ils ont fuppofé que leur prétendu Fondateur Fo-hi devoit avoir été enterré à peu près fous le trente-cinquième degré de latitude Nord, & le cent à vingt deuxième de longitude ; ce qui correfpond allez bien à la fituation de la ville de Kong-tchang dans la Province du Cken-Ji. Les Chinois n'ont jamais connu la méthode de bien bâtir en pierres un édifice de'deux ou trois étages. Et ils ne veulent pas môme l'entreprendre avec leurs charpentes; tellement que chez eux les villes occupent toutes trois ou quatre fois plus de terrain que cela ne feroit convenable, dans un pays comme le leur , où le fort de la culture eft dans le voifinage des villes. M. le Poivre dit qu'on y ménage le terrein , lorfqu'il s'agit de faire une maifon de plaifance; & que les grands chemins n'y font que des fentiers.. i*) Mais convenons que cet Ecrivain a porté l'en» thoufiafme en faveur des Chinois trèô-loin. La maifon de plaifance, que fit faire par caprice , & fans aucun hefoin l'Empereur Can ht, oc-cupoit plus de place que toute la ville de Dijon; (*) Voyage d'un Pfcbfppkf, fo Recherches philofopklques & on fait que le chemin, qui conduit à Pékin, * cent 6c vingt pieds de large. Et ce n'eft, par conféquent, point un fentier. Dans les Provinces Méridionales où l'on n'employé ni voiture, ni chevaux, ni aucune bote de fomme ou de trait; parce que tout le commerce s'y fait par les canaux , les grandes routes n'ont pas befoin d'être fi fpacieufes ,• mais on verra bientôt que le commerce intérieur ne s'y eft pas toujours fait par les canaux. Quelques Voyageurs penfent, que Tes Chinois n'ont jamais voulu fe réfoudre à bâtir des maifons de pluficurs étages ; parce qu'ils craignent les tremblements de terre, qui font néanmoins beaucoup plus rares chez eux que dans les ifles du Japon & les Modiques, où ils paroifTent être périodiques. Mais ce qu'il y a de bien certain, c'eft que les maifons Chinoifes quelque balles qu'elles foient, ne réfiftent point contre les moindres fe-coufles, qui y rafent quelquefois des villes entières, comme fi un violent tourbillon ou un ouragan y eût pafie. On vit ce fpeftacle en xyro à Junny, & dans quelques autres bourgades des environs, où il ne refta point une habitation fur pied (•) Sous le règne à"rong-fcheng , pere de l'Empereur actuel, il y eut plus de quarante-mille per-fonnes écrafées à Pékin ; & cela dans des logis fi bas & fi petits, qu'ils ne paroifïbient être que des cafés ou des chaumières. Il y a fûrement une (*) Anttrmony Journal. T. l.pag. 17^. &/uiv. fur les Egyptiens Us Chinois. 11 méthode pour bâtir de façon que les tremblements de terre ne fauroient nuire beaucoup; mais cette méthode eft inconnue aux Chinois, qui ne donnent pas alTez de folidité aux fondements, ni affez d'épaiiTeur aux murailles; & d'ailleurs ils ne les lient point entr'elles avec des poutres & des ancres. Ainfi il ne faut pas s'étonner de ce que leurs bâtiments , malgré leur peu d'élévation, s'écroulent encore plus aifément, que s'ils étoient de deux ou trois étages. Un jour le clocher de Nankin fuccomba fous le feul poids de la cloche. L'Architecture eft à la Chine comme tous les autres Arts, réduite en routine, & non en règles. Ce n'eft point un Palmier , qui y a fervi de modèle aux colomnes ; mais c'eft le tronc d'un arbre connu fous le nom de Nan-mou; & dont il a été impofïïble jufqu'à préfent de déterminer le caractère : cependant je Soupçonne qu'il appartient au genre des Melefes ou au genre des Sapins. Après avoir trouvé le modèle ou l'idée de la co-lomne, on croiroit qu'ils en ont fixé aufïï les proportions ; & voilà néanmoins ce qu'ils n'ont point fait fuivant des principes invariables. M. Chambers, qui n'a mefuré que quelques parties & quelques membres d'une Pagode de Canton , dit qu'ils donnent depuis huit jufqu'à douze diamètres à la hauteur du fuft. (*) Mais (*) DeJJlns des édifices, meubles, habits, machines & uficnfiles des Chinois &c. Il fe peut que M. Chambers a même mefuré dans une Pagode, qu'on prétend avoir été cy-devnnt une égüfe des Jéluitcs. D'ailleurs il n'a pas eu connoiflance d'un fait que fe rapporterai dans la fuite. A 6 11 Recherches philofopbiques cela n'eft point généralement vrai : ils n'eftiment réellement une colomne, qu'à mefure qu'elle eft groffe & d'une feule pièce; & c'eft en cela qu'ils font confîfter une efpece de luxe ou de magnificence. Or, comme il eft difficile de trouver des arbres qui ayent toutes ces qualités, ils fe voyent réduits , au moins dans les édifices privés, à fe fervir de troncs de douze ou treize pieds de haut depuis la naifTance des racines, jufqu'à l'endroit où il faut les étêter : parce que la diminution y devient trop fenfible. Le Nan-mou refte, comme toutes les autres efpeces de Sapins, longtemps fur pied avant que .de gagner en circonférence , parce qu'il gagne d'abord en hauteur: ainfi ce doit être la difficulté de trouver le bois propre à faire de grofies co-lomnes, qui a déterminé les Chinois à les préférer à toutes les autres. Celles d'une Pagode, qui a exifté près de Nankin , avoient à peu prés quatorze pieds de circonférence :• celles du nouveau Palais de Pékin , tel qu'on l'a reconftruk depuis le dernier incendie furvenu fous Can-hï , n'ont que fept pieds de circonférence. Il eft étonnant qu'avec de telles idées Ie& Chi-nois n'ayent jamais pu fe réfoudre à travailler en pierre ou en marbre ; & cela dans un pays tout rempli de carrières. Si leurs édifices nous choquent encore plus que ceux des Perfans & des Turcs, c'eft qu'il n'y a pas de fymmécrie dans le tout, ni de proportion dans les parties. Ils font les Frifes deux ou trois fois plus hautes qu'elles ne devraient l'être; & cela pour fe procurer fur les Egyptiens & les Chinois. 13 beaucoup de champ où ils puifTent étaler des ornements & des entrelas fi bizarres, qu'on ne fau-roic les décrire, ni les définir. Il paroît que chez les Egyptiens cette partie étoit principalement deflinée à contenir des représentations d'animaux facrés; 6c voilà pourquoi les Grecs l'ont nommée le Zophore, en quoi nous avons eu tort de ne pas les imiter : car ce mot de Frife eft un terme barbare, dont on ne devroit point fe fervir. Quant à l'emblème du Dragon, il n'y a point de place, qui lui foit particulièrement confacrée dans la décoration des Palais & des Pagodes : on le met par tout, & jufques fur la crête & les angles du toit , où il produit un effet plus révoltant qu'on ne poufroit le dire ; & je ne conçois point quel plaifir on a trouvé en multipliant ainfi les copies d'un monftre fi hideux , qui ref-femble tantôt à un lézard Iguan , & tantôt à un crapaud allé avec une queue d'Eiéphant. Qu'on l'ait confervé dans les bannières & les livrées, parce que c'eft la principale pièce des anciennes armoiries, cela eft en quelque forte fondé fur l'immutabilité des coutumes de l'Orient -, mais l'emploi , qu'on en a fait comme ornement d'At-chiteéture, n'eft point plus raifonnable que l'invention de ces Artiftes François, qui avoient Sculpté des têtes de coqs, & des fleurs de lis dans les chapiteaux d'Ordre Corinthien , pour faire la plus froide illufion qu'on puiife imaginer, au nom & à f emblème de leur nation. Tels font les édifices de la Chine : les maîtref-fes murailles n'y portent rien : le toit & le corn- 14 Recherches pbilofophiques b!e repofent immédiatement fur la charpente, c'eft à dire fur les colomnes de bois. Pour ne point réformer cette pratique vicieufe, & qui ne contribue nullement, comme on l'a cru , à garantir leurs villes de l'incendie , ils ont inventé de doubles toits, qui débordent les uns fur les autres; car ils ont fouvent befoin d'un toit féparé pour couvrir les murailles. De tout ce qu'ils négligent fe plus dans une con-ftruction, c'eft la folidité , fans laquelle il n'y a point de beauté réelle en Architecture : les maifons bâties le long de la rivière de Canton, ont des fondemens; parce qu'il feroit impoflîble de s'en palfer à caufe de l'eau : mais dans l'intérieur des Provinces on voit des villes entières où les maifons manquent de fondements. Il y exifte des Tours dont la première affile de briques n'eft pas à vingt quatre pouces de profondeur fous le rez de chauffée, auflî ne durent elles point longtemps; & le P. Trigault dit qu'il eft rare qu'elles refient fur pied pendant un fiecle. (*) Mais il faut excepter de cette regie le Van-ly-czin ou la grande Muraille, qui a été élevée par plufieurs Rois absolument indépendants des Empereurs de la Chine; & qui avoient intérêt à mettre cet ouvrage en état de réfifter aux efforts de l'ennemi ; fans quoi il eût été abfurde de l'entreprendre. Encore les parties, qui ne portent pas fur le roc vif, ou qu'on n'a pas eu fans cefTe foin d'entretenir, fe font-elles trèsdégradées. t raro uri''u* factili tctaum ferunt. Exped. apud Sin, Lib. 1, Cap. 4. ' fur les Egyptiens & les Chinois, 15 Ce qu'il y a de Singulier, c'eft que la groffeur des colomnes , dont les Chinois ornent quelquefois leurs bâtiments par une pure oftentation , ne contribue en rien à la Solidité, parce que leurs bafes ne font point bien affurées , ni enfoncées en terre. Ces prétendues bafes ne font que des pierres carrées, qu'on range fur le pavé , & où il y a une petite excavation dans laquelle on faic entrer le pied djs colomnes, qui n'ont aucun renflement , & qui paroiffent unies à la partie qu'on pourroit nommer parmi eux l'Architrave: car ils n'ont jamais fait ufage de chapiteaux , ni de rien de femblable. Et cette particularité prouve, comme mille autres, que leur manière de bâtir s'éloigne extrêmement de la manière des Egyptiens, dont l'imagination avoit beaucoup travaillé fur les chapiteaux ; & il ne faut pas croire qu'ils fe foient contentés de la feule forme que décrit Ath.'née, comme la plus généralement employée. (*) Car on en a encore découvert neuf ou dix autres ef-peces dans les ruines du Delta tk dans celles de la Thébaïde : auïîi de quelque côté qu'on confi-dere une Pagode de la Chine, n'y trouve t onpas la moindre reflemblarice avec un temple de l'Egypte : on n'y trouve ni l'enfilade des Sphinx, ni les murs inclinés, ni des combles en terra(fes,nï des Obélifques, ni des cryptes, ni aucune apparence de Souterrain. J'ai toujours Soupçonné qu'on s'eft mépris beau-coup Sur l'objet qui a Servi de modèle aux premiers H Lit. V. Cap. 6. i6 Recherches philofophiques bâtiments des Egyptiens; mais à la Chine il n'eft prefque pas pofEble de s'y méprendre. On y a contrefait une Tente; & cela eft très conforme à tout ce qu'on peut favoir de plus vrai fur l'état primitif des Chinois, qui ont été, comme tous les Tartares, des Nomades ou des Scénites : c'eft à dire qu'ils ont campé avec leurs troupeaux avant que d'avoir des villes. Et c'eft là fans doute l'origine de cette Singulière conftruétion de leurs logis, qui reftent fur pied , lors même qu'on en ren-verfe les murailles ; parce qu'elles enveloppent feulement la charpente fans porter le toit; comme fi l'on y avoit d'abord commencé par faire autour des tentes une enceinte de maçonnerie pour renfermer le bétail ; & tel a dû être en effet lèpre-mier pas de la vie paftorale & ambulante vers la vie fédentaire. Quand on confidere en général une ville Chi-noife , on voit que ce n'eft proprement qu'un camp à demeure, dont il n'eft gueres pofHble de rien appercevoir dans le lointain , finon le circuit des remparts, qui font beaucoup plus hauts que les maifons d'un feul étage. Auflî trouvé je que M. de Bougainville , en parlant de l'établif-fement des Chinois près de Batavia, nomme toujours leur quartier, le camp des Chinois. (*) Un Hiftorien ou plutôt un Fabulifte de la Chine, appelle le Lopi, dit que les premières habitations de fon pays reffembioient à des nids d'oi-feaux. Mais c'eft là une expreffion Orientale & (*) Voyage autour du Monde. Tom. 11. pag. 116. fur les Egyptiens les Chinois. 17 fort figurée , qu'on ne doit pas prendre à la lettre : car nous ne faurions fuppofer que les anciens Chinois ayent vécu fur les arbres, comme ces Sauvages de l'Amérique Méridionale , qui étoient fi botes & fipareffeux, qu'ils ne donnoient aucun écoulement aux eaux des rivières , qui en Eté fe débordent entre les Tropiques ; de forte qu'il ne leur reftoit de refuge que fur les arbres , où ils paffbient une partie de l'année , comme les finges & les Sapajous , en mangeant les fruits qu'ils trouvoient fur les branches. Il eft croyable que par ces nids d'oifeaux , le Lofi a voulu défigner des tentes rondes, baffes & faites comme des ruches, dont fe fervent les Tar-tares qui campent dans le Chamo ou d'autres clé-ferts fabloneux, où l'on ne faurcit affluer- les piquets pour garantir les tentes ordinaires , telles que celles dont les Cninois font maintenant ufa-ge-à la guerre , & qu'on fait ne différer prefqu'en rien de celles qu'on employé dans les armées de l'Europe. ( * ) j'ignore comment M. l'Abbé Barthélémy a pu dire que les édifices , qu'on voit repréfentés fur la célèbre Mofaïque de Paieftrine, reffemblent à des maifons Chinoifes. Ce favant homme doit avoir éprouvé de fingulieres illufions en examinant ce monument, & on fe contentera de rapporter ici un feul fait, qui fera bien juger de tous ceux qu'on ne rapporte pas : il affureque dans des barques, qui marchent fur le Nil , on diftingue C] Art militaire des Chinois, pag, 376, 18 Recherches philofuphîques des perfonnages, dont le bonnet rond & pointu refîemble aux bonnets que portent aujourd'hui les Chinois ; Ci delà il conclud que les Chinois font originaires de l'Egypte. (*) Mais comment eft-il pofïïble qu'il ne fe foit pas apperçu que cette coëiFure n'eft en ufage à la Chine que depuis l'an 1644 V C'eft véritablement le chapeau Tartare , dont le peuple dût fe couvrir, lorSqu'il reçut ordre de fes vainqueurs de couper fa longue chevelure : car quand il portoit encore fa longue chevelure, il ne portoit point le chapeau Tartare. Ainfi toutes les prétendues conformités entre l'habillement des Egyptiens & l'habillement des Chinois, s'évanouïiTent comme des chimères, que plus de réflexions & de recherches eufTent fait éviter. Nous avons vu à peu près toutes les copies gravées, qui exiftentde la Mofaïque de Paleftrine ; fit furtout celle que M. l'Abbé Barthélémy a fait inférer lui-môme dans les Mémoires de l'Académie des Inscriptions ; or il ne paroît point que les barques du Nil, fur lesquelles cet Auteur a encore beaucoup infifté , reflemblent plus à des barques Ch-noifes qu'à des gondoles de Venife. Les vaifîeaux de toutes les nations depuis les chaloupes des Eskimaux & les canots des Hurons, jufqu'aux galères de la Méditerranée , Se refïbmblcnt par leur forme primitive : «5c on nous croira aifément, fi nous f*] Explication de la Mofaïjue de Paleftrine. Les anciens Egyptiens fc coupoient \a cheveux : 'es Chinois au contraire ne les coupoient jamais , tk on a vu leur opiniâtreté a cet egard, lors de la conquête des Tartares. fur les Egyptiens & les Chinois. 19 difons que ce n'eft pas fur de tels rapports qu'il faut fonder l'hiftoire d'une colonie envoyée de l'Afrique aux extrémités de l'Afie. Quoique les Chinois entendent depuis très-longtemps l'art de faire des voûtes, ils ne l'ont cependant point toujours mis en ufage dans la construction des ponts. Celui, qu'on voit en un endroit de la Province de Junnan , ne confîfte qu'en des piliers drelTés d'efpace en efpace , entre lefquels on a tendu des chaînes de fer où l'on paffe en frémiffant. Des ouvriers tant foit peu habiles n'auroient jamais pu fe réfoudre à exécuter un ouvrage de cette nature : car indépendamment de tous les autres inconvéniens, & de tous les autres dangers , la rouille occalionnée par les brouillards de la rivière, doit attaquer les chaînons, éc les brifer au moment cù l'on s'y attendront le moins, pour peu qu'on ceifât d'y veiller. Ce n'eft point fans furprife qu'on voit dans les Lettres du Pere Parrenin , qu'il oppofe ce prétendu pont de fer à toutes les grandes constructions de l'Egypte, jugement qu'on ne peut attribuer qu'à la prédilection que les Ecrivains de fon Ordre ont témoignée en faveur des Chinois; ce qui nous a mis dans une continuelle défiance en lifant leurs Relations. On rencontre à la Chine beaucoup d'autres ponts où l'on a également employé une méthode très éloignée de la pratique des voûtes : c'eft à dire qu'on y a couché des pierres plattes fur des piles plantées fort près les unes des autres ; ce que des voyageurs igno- 20 Recherches pbiîofophiques rans ont regardé comme une beauté ; tandis que fans cette précaution , les pierres de traverfe , quelqu'épaiiïeur qu'on leur eût donnée , fe feraient rompues dans leur milieu. Qjant au fameux pont volant, dont on a tant parlé en Europe , & dont on a gravé tant de fois la figure , il faut enfin dire ici qu'il n'a jamais exifté comme il eft décrit dans te? livres. L'Auteur, auquel on doit une continuation de l'H ftoire ds M. Rollin , femble infinuer que c'eft le Pere Kircher, qui a pris la liberté d'inventer le pont volant dans un Ouvrage imprimé à Amfterdam, fous le titre de Chine HUiJlrèe. Ce Pere Kircher, qu'on accufe de tant de chofes , avoit fans doute des vifions étranges , & beaucoup d'audace pour les faire valoir ; mais il faut ici lut rendre juftice , puis qu'il ne parle que d'après l'Atlas de Martini, comme a fait aufli le Compilateur anonyme des merveilles de l'Art & de la Nature (.*) Au refte celui, qui a inventé le pont volant, n'avoit pas le fens commun ; & je ne fuis que médiocrement furpris de ce qu'un habile Architecte François, nommé BofFrand ,qui en a examiné les dimenfions, ait déclaré qu'elles étoient chimériques dans tous leurs points : car elles le font indubitablement , 6: on s'apperçoit au premier coup d'oeil, qu'on n'a pu faire un tel pont ni par le moyen d'un arc Romain, ni par le moyen d'un arc Gothique, qui eft néanmoins (*) Artificia hominum & Miranda Natura in iinû. F"C. 638. fur lés Egyptiens & les Chinois. zï le plus communément, employé à la Chine. Ce qui peut avoir donné lieu à toutes ces fables ab-furdes, par lefquelles nos voyageurs d'Europe n'ont que trop bien fervi la vanité des Chinois, c'eft qu'un torrent ou quelque rivière fort rapide , comme elles le font fou vent dans ce pays hé-riffé de tant de montagnes , s'eft probablement ouvert un pafHige fous des rochers, dont le pied portoit fur une couche terreufe , & en aura exca-vé les bords , phénomène qui n'eft point fans exemple dans les Alpes. Enfin tous lesponts,que les Chinois ont conftruits, font des ouvrages bizarres : à quand il s'y trouve des arcades ; elles manquent ordinairement de force ou dans la cime ou dans la moitié fupérieure de l'arc : aufïï le Pere du Plaide obferve-t-il que, s'il y pafloit des voitures chargées, elles ne réfifteroient point à la pouffée , & s'écrouleroient fous le poids. Mais comme ces ponts forment un angle très-aigu vers leur milieu , des voitures ne fauroient y palier ; car on y monte & on en defeend par des marches ou des efcaliers. Quand on demande aux Chinois pourquoi ils donnent tant d'élévation aux arches du milieu , alors ils difent que cela doit être ainfi ; pour que les barques puifTentpaf-fer fans baiffer leurs mâts, mais au lieu de faire des ponts fi périlleux, il vaudroit mieux forcer les barques à bailler les mâts ; ce qui n'eft point une manœuvre difficile fur les petites rivières. Une obfervation de la dernière importance, & qui doit nous détromper à jamais fur tout ce que les Hiftoriens Chinois rapportent de l'état florif» it Recherches phihfophîques fant de leur pays Tous les anciens Empereurs , c'eft celle qui concerne le Canal Royal ou 1T«-ho . Ouvrage vraiment digne d'admiration, & où l'on a employé des Architectes très verfés, tant dans la pratique du nivellement, que dans lacon-ftru&ion des éclufes, dont le mécanifme & le ;eu font aufli (impies que l'effet en' eft étonnant. Comme c'eft par ce Canal que le fait prefque tout le commerce intérieur, & comme c'eft encore par cette voie que les provinces Méridionales communiquent avec celle de Pctckeli & celle de Kiang-nan, fans courir les dangers de la Mer, il n'eft pas poffible que le commerce intérieur ait "été dans une grande sftivité avant qu'on eût ouvert cette route. Et les Lecteurs, qui ont quelque pénétration, concevront tout ceci, fans qu'il foït néceffaire d'infîfter davantage à cet égard. Mais il ne faut point s'imaginer maintenant que le Canal Royal ait été fait par les Chinois : leurs Architectes n'ont pas été en état de l'entreprendre, & bien moins de l'exécuter. Ce font les Tartares Mongols, qui ont creufé ce lit im-menfe, par lequel des fleuves coulent dans des lacs, & des lacs dans des fleuves, fans que les uns tarîfTent, & fans que les autres débordent. On peut naviguer ainli pendant plus de fîx cens lieues: op peut aller ainfi d'une extrémité de l'Empire à l'autre en bateau. Le Conquérant Kcubiai, dont jamais le nom ne mourra, étoit un Prince très-inftruit, & qui ai-moit tous les Arts : il appella à la Chine beaucoup de Savants ; triais fur tout des Aftronomes, fur les Egyptiens £? les Chinois. 23 des Géographes & des Architectes Perfans, Arabes & Lamas. II chargea les Aftronomes de dref-fer un calendrier, & envoya les Géographes vers le Nord jufqu'au cinquante cinquième degré, & jufqii'au Seizième vers le Sud, pour faire des ob-fervations, & prendre la hauteur de toutes les places de la Chine, de la Corée, de la Tartarie &. du Tunquin. Quant aux Architectes, il les employa à faire le grand Canal vers l'an 1280 après notre ére. Et depuis cette époque très-récente, comme on voit, la Chine a changé de face. La Mer cngloutiffoit les trois quarts des barques, qui vouloient parer le Cap de Li-ampo pour fe rendre dans les eaux du Golfe de Nankin : les Mongols effrayés à l'af-pect de tant de défaftres & de naufrages, eurent enfin cornpafiion des Chinois , qui naviguoient fi mal fur l'Océan , & qui manquoient d'induftrie pour fe frayer une route au travers du Continent. Aujourd'hui il ne périt point une barque môme dans le pafïage des éclufes, que les Tartares Man-dhuis ont foin d'entretenir, & il fe peut que, fi les Mandhuis n'étoient point furvenus, les Chinois auroient encore laiffé tomber cet ouvrage , déjà fort dégradé en 1640, abfolument en ruines: ce qui les eût replongés dans l'état où ils ont dû fe trouver avant le treizième lîécle. II faut obferver encore, que toutes les rigoles pour l'arrofement des terres, & les canaux de traverfe, qui communiquent à préfent en très grand nombre avec Yyh-Iio, ont été également creufég s 4 Recherches phihfophiques par les foins du Tartare Koublai Kan. (*) Ce Prince ouvrit auffi la Chine Méridionale aux commerçants étrangers ; & ce fut fous fon régne qu'on y vit pour la première fois des navires du Malabar, de Sumatra, de Ceylon; ce qui remit un peu les Provinces exténuées par les rapines des Généraux & des Officiers Chinois, qui exigeoient de plus fortes contributions clans leur propre pays, qu'on n'en demanderoit dans un pays conquis. Enfin pillant leurs alliés, & pillés à leur tour par les ennemis devant lefquels ils fuyoient, il ne leur re-itoit plus ni honte, ni honneur. Koublai, pour prévenir ce brigandage , augmenta la folde des Généraux & des Officiers, qui fous l'ancienne forme de Gouvernement avoient été mal payés, & ils ne méritoient pas de l'être mieux. Il faut convenir apiès tout cela, que c'eft une ingratitude monftrueufe de la part des Chinois d'avoir voulu noircir la mémoire de ce Prince , auquel ils ont reproché comme un crime , la confiance qu'il met-toit dans des hommes venus de l'Occident, c'eft •adiré les Géographes & les Architectes, étrangers qu'il appliqua à des travaux dignes des plus grands Monarques de la Terre : ils lui ont reproché encore (*) M. Boyfol dit, dans fon Abrégé A'iemand de l'Hi-ftoire unwerfele.f jm. IX. Pag. 393. que KouHai-Kan fit encore faire a la Chine plufieuci autres Canaux, afin d'ouvrir une communication entre des rivières navigables; & voila ce que beaucoup d'autres Auteurs difent tout de mène. Q"3",1 a m01 ' riol,te qu'il y ait quelque Canal con-fidérabTe dans toute Péiéndue de ta Chine . qui ne foit un ouvraçe fuit par les Mongols ou depuis l'époque de leur sonquete. fur les Egyptiens &f lei Chinois. if core d'avoir aimé les femmes & le Dalai Lama; comme fi tous les Empereurs de la Chine n'avoient point eu avant lui des ferrails remplis de trois ou quatre-cents concubines, gardées par douze ou treize mille châtrés. Quant au Dalai Lama, il étoit le Pontife légitime de la Religion que Koublai-Kan profelToit: car au milieu de fa gloire & dans le long cours de fes profpérir.és il n'oublia point que les grands & les petits font également environnés de la main du Tout PuifTant. Et s'il refta inébranlablemeut attaché au culte de fes ancêtres, au moins ne per-fécuta t il jamais, dans tous les pays qu'il avoit conquis, un feul homme à caufe de quelques futiles opinions : bien différent en cela d'Alexandre, qui tourmenta fans ceffe les Mages de la Perfe, qui ne purent fouftraire entièrement au fanatif-me de ce Macédonien les livres facrés du Zend* Les Arabes, qui voyagèrent à la Chine au huitième fiécle, difent qu'ils trouvèrent ce pays fournis à des Eunuques, 6: peuplé encore , en quelques endroits. d'Antropophages. (*) Là deffus on a beaucoup raifonné , & on s'eft -même permis de révoquer le rapport de ces Arabes en doute : mais le Gouvernement des Eunuques eft un fait indubitable , & il eft indubitable encore que ces voyageurs n'ont pu de leur temps voir la Chine comme on la voit aujourd'hui ; puifque ce n'efl qu'au règne de Koublai-Kan, Fondateur de la vingtième Dynaftie, qu'il faut rapporter l'époque de la révolution arrivée dans le commerce & l'agriculture. (^Ancienne Relation des Indes & de la Chine, fublic's par l'Abbé Rcnaudot, pag, jj, & 132, Terne II B 26" Recherches pbihfop biques Ce fut aufll alors que l'Aftronomie s'y montra pour la première fois , quoiqu'en dife le Pere Gaubil ; mais les connoiûanccs apportées par les Arabes , les Perfans & les Savants de Balk & de Samarcand, qui fuivoient les Mongols, fe perdirent une féconde fois à l'extinction de la vingtième Dynaftie. Nous en avons une preuve, & même une démonflration dans l'Edit du premier Empereur Tartare Mandhuis: cet Edit publié en 1650, dit que depuis l'expulfion des Mongols, les Chinois n'avoient pas été en état de faire un feul Almanach exact, que d'année en année l'erreur avoit augmenté, & qu'enfin c'étoit là un opprobre pour les vaincus & les vainqueurs, qu'il fal-loit faire cefTer en abandonnant le prétendu Tribunal des Mathématiques aux Européens, qui en font encore en pofTeffion aujourd'hui ; & fi on les en chailbit, le Calendrier de l'année prochaine pécheroit grofllérement ; car fi les Chinois ne changent point de langue & d'écriture, je les tiens incapables de faire des progrès dans quelque feien-ce que ce foit. Cependant leurs Hiftoriens voudraient bien nous faire accroire , qu'on voit encore dans leurs pays des Obfervatoires confirmes depuis trois-mille ans ; mais nous ofons dire qu'il n'exifle point dans toute la Chine un feul monument authentique & avéré, qui approche feulement d'une telle antiquité. Le feul Obfervatoire qu'on y ait trouvé, eft celui de Pékin , ville bâtie en 1267 de notre ére par Konblai-Kan. ( * ) (*) La partie de Pékin qu'on nomme la Ville Chinoifc n'a é'.é bauç qu en 16.H. fur les Egyptiens & les Chinois, 17 D'où il féfuke que l'éreftion de cet Obferva-toire eft poftérieure à la conquête des Tarta-res Mongols, qui, comme on vient de le voir, changèrent toute la face de l'Empire. Quant aux instruments découverts fur une montagne près de Nankin, ils avoienc été fabriqués en 1349 5 &par conféquent toujours après l'époque de la conquête des Mongols. Voici une obfervation décifive fur toutes ces chofes. • La latitude de Pékin eft de 30 degrés, 55 minutes & 15 fécondes de plus qu'on ne l'indique dans la Carte de Mr. d'Anville : la latitude de Nankin eft de 32 degrés, 4 minutes & 3 fécondes. Cependant les cadrans & les autres in-itruments trouvés à Nankin & à Pékin , avoient été faits pour fervir un peu au delà du 36iém.e degré ; de forte qu'il n'a jamais été poflible aux Chinois de faire une feule obfervation jufte ni dans l'une, ni dans l'autre de ces villes-là. Après avoir réfléchi à cette Singularité , dont jamais perfonne n'a pu deviner la caufe , je me fuis enfin apperçu que ces instruments avoient été copiés fur ceux, dont on fe fervoit dans les écoles de Balk, ville Située à peu près à trente minutes au delà du 36iéme degré (*) , dans l'ancienne Baéhiane , où les Sciences commencèrent à être cultivées par les Grecs, qui ayant d'abord obtenu le gouvernement de cette Province fous [*] r^,a»s îa grande Carte de l'Afie par M. d'Anville Balk eu placé un peu plus vers le Nord : cependant un Arabe, nommé Ebn-Said, n'en adonné la hauteur que iur le pied de 35 degrés 54 minutes. B 2 «S Recherches philofopbiques les fuccefleurs d'Alexandre, s'y rendirent indépendants , & formèrent un Empire étendu jufqu'aux Indes. (*) Ces inftruments faits pour la latitude de Balk ont été portés à la Chine du temps des Mongols. Et telle eft l'origine de l'erreur la plus abfurde dont on ait jamais ouï parler parmi aucun peuple du Monde ; c'eft à dire qu'à l'arrivée des Jéfuites, les Chinois foutenoient que toutes les villes de la Chine étoient fituées fous le trente fixiéme degré, comme le Pere Kircher en convient lui-même. (**) Et quant à la longitude , dit-il , ils n'en avoient point la moindre idée. Enfin ils étoient aufH peu verfés dans l'Hiftoire de la Terre qu'ils faifoient carrée, que dans l'Hiftoire du Ciel où ils fuppofoient les planètes auiîi élevées que les étoiles. J'avoue qu'il eft arrivé aux Romains de fe Servir pendant quelque temps d'un cadran folaire , fait pour la latitude de Catane, fans s'en apper-cevoir : mais il n'y avoit alors que 304 ans que la ville de Rome exiftoit. Or 304 ans ne fuffifent point pour qu'un peuple , quel qu'il foit, puilTe acquérir les premières notions de l'Aftronomie ; mais lorfque les Chinois tombèrent dans cet aby-me d'erreurs, ils étoient formés en corps de nation depuis plus de trois mille ans, à ce que prétendent leurs Annales vjridiques. Quant à l'Obfervatoire de la Province de Ho-nan , je croi qu'on peut très bien le placer avec (*) Voyez Bayer Hifloria Rc;ni Gracorum BaSlriani , gi un Mémoire de Mr. de Guignes fur ce fujet. (**]C HUN A ILLUSTRAT A, folio loz. Amj% 1667, fur les Egyptiens les Chinois. Z9 le chimérique Palais de l'Impératrice Ta-Kiâf au nombre des constructions qui n'ont jamais été : aufli ne connoiflbns nous d'autre garant de ce fait que Philippe Martini, qui dit que, dans la ville de Teng-fong-hien, on voit une prodigieufe règle d'airain dreffée perpendiculairement fur un plan de même inétal, & enfuite une Tour bâtie depuis près de trois mille ans, où le prétendu Astronome Chinois Tcheoit - Kong obfervoit les mouvements du ciel. Cette prodigieufe règle & cette plaque de cuivre ont été changées parle Pere du Plaide en un (impie instrument, & M. Boyfen en parlant de la ville de Teng-fong-hhn, ne fait plus-mention que de la Tour ; tellement que tout cet Obfervatoire a difparu à quelques pierres près , qui doivent être celles d une Tour. Mais fi des Savants d'Europe lé tranfportoient fur les lieux, ils n'y trouveroient peut-être pas môme ces pierres en queftion , non plus que mille autres fingu-larités dont le Pere Martini a embelli les descriptions qu'il donne dans fon Atlas, où les noms des villes font fi mal orthographies , qu'on a fou-vent de la peine à les retrouver dans les appellations actuelles. Enfin c'eit moins un Atlas, qu'un recueil, de bruits populaires. S'il y avoit à la Chine des monuments d'une haute antiquité, ce fero:ent indubitablement les Tombeaux des Empereurs ; mais comme ces ouvrages ont été bâtis en bois, le temps & l'humidité lesont détruits ou les incendies les ont dévorés , parce qu'ils fe trouvent ordinairement enveloppés d'épaifles forêts de Cyprès ou de cette efpece de Sapin, que M. Osbeck apoelle Ab'm B 3 20 Recherches pbilofybiques S'menfis, & où le peuple au moindre mécontentement contre la Dynaftie régnante, jette lefeu. D'ailleurs lorfque les voleurs deviennent puif-fants, & qu'üs fe répandent dans les cantons où l'on rencontre les Tombeaux de quelque famille Impériale , ils commencent par les piller, ce en enlèvent jufqu'au toit. L'Hiftoire de la Chine fait fouvent mention de ce brigandage , qu'on ne fau-roit prévenir ; parce qu'il n'eft point poflîble de pratiquer des Mïao dans l'enceinte des villes, ce qui changeroit bientôt ces villes-là en descéme-tieres. Car les Princes, les Gouverneurs & les grands Mandarins veulent que leur fépulture foie ombragée par des arbres plantés en quinconce à de grandes diftances, entêtement ridicule, qui y abforbe beaucoup de terrain propre à la culture. Làdeûus il faut citer une loi Egyptienne, que Platon nous a confervée : il étoit défendu en Egypte d'enterrer un homme par tout où un arbre pouvoir croître. Et nous favons à n'en pas douter que les Pharaons jufqu'à la Dynaftie des Saïtes fe font conformés eux mêmes à ce règlement fi fage : car ni dans les environs des Pyramides , ni dans les environs des fépultures Royales de la Thébaïde , un arbre ne fauroic croître, & bien moins du feigle ou du froment. Ce n'eft pas uniquement à cet égard que ces deux peuples different entr'eux ; car dans tout le re-fte de leurs cérémonies & de leurs ufages funéraires il n'exifte aucune analogie, ni aucun rapport. On pourroit témoigner ici quelque envie de connoître le genre d'Architecture & le goût des or;:emens employés dans la conftruction des Tom- fur les Egyptiens les Chinois» 31 beaux des Empereurs de la Chine ; maismalheu-reufenent ce qu'on en lit dans les Relations des JéfuLes, eft un amas de fictions , & comme il faut prouver les qualifications par les chofes, nom donnerons ici maigre nous la defcription du pré.endu Tombeau de l'Empereur Schi-chuan-di , en nous fervant des propres expreffions du Pere du Halde. Ce Prince, dit-il, choifit pour fa fépulture le Mont Ly. Bn bas il fit crenfer , pour ainfi dire , jufquat* centre de la Terre, t.n haut il fit élever un Maufolée, qui pouvoit jaffer pour une montagne : il étoit haut de cinq-cen.s pieds, c?* a voit de circuit au moins une demi-lieu. Au dedans éloit un vafte tombeau de pierre, tu'on pouvoit fe promener auffi à [on aife que dans les flus grandes faies. Au milieu étoit un riche cercueil. Toi\t autour étoient des lampes cj? des flambeaux crtM&enus de graiffe humaine. Dans la capacité de c tombeau étoit d'un coté un étang de vif-argent fur lequel étoient répandus des oifeaux d'or & d'argent ; de l'autre côté un appareil complet de meubles ijr l'armes. Ctà o1 là mille bijoux des plus précieux. Son feulement on y avait dépenfé des fommes immenfts ; mais il en avoit coûté la vie a bien des hommes. Outre les gens du Palais , qu ony avoit fait mourir \on comptait par dix-mille les ouvriers, qu'on y avoit euerres tout vivants...... On vit tout a coup les peuples-, qui ne pouvaient plus fupporter le joug , courir aux armes. Harig-Si rafa ces vafics enceintes : il y rcfloï encore le cercueil ,lorf'ju un bercer, dit-on, cherchant au milieu de ces mafures une brebis égarée, y laiffa tmber du feu qui confuma tout. { *) [»] Defcfp. de la Chine. T. II. pag. P46. • fi 4 3^ Recherches pbilofopbiquts II ne faut point foumettre à une critique fédère une telle defeription; puisqu'elle révoltera af-fez par elle même tous ceux qui la liront. Car enfin , ces lampes entretenues de graille humaine , & ces canards d'or qui nagent fur du Mercure, & cela dans un tombeau, font des prodiges fi puérils, que nos plus méprifables Auteurs de Romans ne les imagineraient point en écrivant des contes de Fées. Et le Pere du Halde eût pu exagérer fur la Chine ou d'uje manière plus ingénlcufe, ou d'une façon moin; gro{fiere. On entrevoit feulement au travers te ce nuage de fables , deux faits qui font vrais. D'abord il efl queftion d'un Tombeai de bois, que l'incendie a eonfumé : enfuite il eft queftion encore de quelques malheureux égorgés dans ce Tombeau là. L'Empereur Schi-chuan-di, iflu d'une farr. Ile Chi-noife du izin , haïlToit mortellement les Tartares, & leur lit de temps en temps la guerre : tinfi ce n'eft point des Tartares , qu'il emprunta 'ufage d'immoler des victimes humaines ; mais il :rouva cet ufage fubfiftant à la Chine , où il a 'ubfiité jufqu'à nos jours. Et nous doutons extrêmement qu'il foit aboli. Ce qui nous a fait naître de grands & de trilles doutes à cet égard, c'eft qui les Jé-fuites difent que l'Empereur Can-ki fit une lot, par laquelle on défendoit de facrifier de' efclaves à la mort des Princes du fang : & dans an temps poftérieur à cette prétendue loi on étnngla encore des femmes aux obfeques du Prince Ta-vang, le propre frère de l'Empereur Can-h'u Cette exécution eft fi récente, que des perfonnts aftuel- fur les Egyptiens S les Chinois. 33 lement vivantes à Pékin peuvent en avoir été témoins. Si les Chinois perfiftent dans l'infanticide avec cette férocité brutale , dont on a tant parlé , il n'eft pas absolument étonnant de les voir perfifler dans l'immolation des viftimes humaines : car n'étant pas éclairés par les lumières de la Philofo-phic , il leur eft pour le moins aulïï difficile de faire des progrès dans la Morale que dans les Arts & les Sciences. Aux obfeques des particuliers on jette dans le feu des ftatues de carton, qui repré-fentent des fervantes & des valets : or on peut préfumer, que la cérémonie d'exécuter ainfi des. domeftiques en effigie , a été imaginée par les pauvres, qui n'avoient point d'efclaves pour les pendre ou les brûler à leur enterrement : car on conçoit bien qu'il n'y a jamais eu à la Chine que les Empereurs & les Princes, qui ayent pu offrir de tels facriiiees. Mr. le Gentil dit à cette occafïon. dans fon Voyage autour dit Monde, qu'il y a un grand mélange de coutumes Indiennes parmi tout ce qui s'obferve dans les funérailles des Chinois ; ce qui n'eft point étonnant ; puifque leur religion n'eft qu'un cahos de pratiques dont les unes viennent des Indiens & les autres des Scythes, qui enter-roient toujours, dit Hérodote, quelques cfclaves & quelques concubines avec le cadavre de leur Souverain , ce qui eft fort conforme à ces horreurs qui fe parlèrent fous Can - ht aux obfeques de Ta-vang à Pékin. La paffion des Chinois pour le nombre neuf doit auilî être comptée parmi les fuperftitions qui leur, [ont communes avec les Tartans. On voit dans B 3 34 Recherches pbiïufopbîques leur pays beaucoup de clochers ou de Tours à neuf étages, bizarrerie "qui n'a d'autre fondement que leur penchant pour ce nombre myftérieux, fuivant lequel on fait aufli la plus humiliante révérence qu'on ait pu innginer, lorsqu'on fe préfente devant les Empereurs de la Chine, qui veulent qu'on fe courbe neuf fois jufqu'à terre devant leur trône ; & on voit par ITiiftoirè de Gtn-gh-Kan, que ce cérémonial, digne des plus u<é-prifables efclaves, étoit aufli établi à la Cour de ce Prince. (*) Parmi toutes ces Tours à neuf étages il n'y en a pas à la Chine qui foie de Porcelaine, comme des exagérateurs l'ont débité dans leurs Relations, fans qu'on puiffe môme favoir fur quoi une telle fable eft fondée. Il s'agit d'un clocher qu'on rencontre aux environs de Nankin, & où les Tar-tares Otft fait employer des briques d'une Ifgjlfe aflez bonne , & fur 'tfquelles on a imprimé des figures au moyen d'urf moule Le Pere du Halde , après avoir donné une efpece de defcriprîon de ce bâtiment , qu'il t'che d'embellir tant qu'il peut, en empruntant le ftyle romanefque du P. le Crm-te, finit enfin par ces termes. Vcilk , dit-il, ce que les Chinois appellent la Tour de Porcelaine; ey que quelques buropeens nommeroient ptutètrt la Tour de brique. (**) Oui fans doute, car il n'y a pas une feule pièce de Porcelaine, ni rien de femhlable. Du refte cette Tour fe fait diftinguer fingulié-rement par un degré de folidité, qu'on n'eft point (*) fetit de la Croix Hifi. de Gertgis-Kan. pag. 79. [**] Dtfiript. de la Chine. Tom. //. pag. m. fur les Egyptiens £? les Chinois. 3 f accoutumé de voir dans les conitructions de ce pays. Aufli n'eftce proprement pas un ouvrage Chinois; mais un mouvement érigé par les Mongols Tous Koublai-Kan , comme un trophée pour perpétuer la mémoire de fa conquête. Et voilà pourquoi les Mandhuis l'ont refpccté : tandis que beaucoup d'autres mauvais bâtiments, qui fe trou-voient dans ie voi fi nage de Nankin, fuient pillés, faccagés ou brûlés, lors de la prife de cette ville , où l'on ne put faire obferver parmi des troupes victorieufes une difeipline aufli févere , que les Mandhuis eux mêmes l'euflènt fouhaité. Les Chinois prétendent qu'on porta l'excès jufqu'au point de rafer les fépultures Impériales qui étoient dans ces environs : il eft vrai qu'on y voyoit jadis de prodigieux efpaces plantés de Cyprès autour de quelques édifices de bois. Mais ce n'eft point un grand malheur, que ces forêts facrées & auffi inutiles aux Dieux qu'aux hommes, ayenc été réduites en cendres; de forte qu'on peut actuellement y labourer la terre. NieuhofF, qui paf-fa quelque temps après à Nankin, dit que la tranquillité étoit déjà rétablie dans cette ville : ainil il faut regarder comme une fable ce que rapporte le Pere le Comte, qui prétend que les Tartares y mirent toutes les jemmes Chinoifes dans des facs, fans diftinétion d'âge ou de rang , & les vendirent au plus offrant. Il ajoute même que ceux, qui avoient acheté des perfonnes décrépites, les jetterent dans la rivière : ce fait ne paroît avoir d'autre fondement que la coutume où font les Tartares , lorfqu'ils gagnent une bataille, de couper les oreilles aux morts, & d'en remplir neuf facs B 6 %6 Recherches phihfophiques comme ils l'ont fait Couvent en Pologne, & comme ils le firent encore en Bohême en 1242 > aPr" avoir vaincu le Duc Henri de Lignitz. Et l'Empereur de la Chine ayant défait en 1696 quelques corps d'hleuths & de Calmoukay il ordonna de couper leurs longs cheveux trelTés, dont on remplit également neuf facs. La Tour de brique à neuf étages , dont on vient de parler, eft garni au dehors, cornue plu-fieurs autres, de quelques rangs de fonnailies, qui étant agitées par le vent font un bruit très défa-gréable. Là deffus on a prétendu que cette forte de carillon avoit beaucoup de rapport avec celle d'un monument Etrufque , qu'on place près de Clufium; & les Etrufques, ajoute-t-on , étoient dans une liaifon intime avec les Egyptiens, dont ils copioient fans ccfTe les ouvrages. Mais il fuf-fira d'obferver que Pline donne afTez ouvertement à entendre que ce monument de Clufium n'avoit jamais exifté : fans qu'on puiffe favoir aujourd'hui fi Varron avoit lui môme pris plaifir à l'imaginer, ou Ci ce qu'il en rapporte, étoit extrait de quelque Roman obfcur & décrié. (*) Quant à cette correfpondancc étroite entre les Etrufques & les Egyptiens, elle ne paroit fondée que fur un paf-fage mal compris de Strabon , & les opinions de quelques Italiens modernes comme Buonarotti ; car l'Abbé Winckelman n'a pu découvrir entre les monuments de ces peuples aucune refTemblance ; ce qui n'eft point furprenant; puifqu'il y a bien (*) Pline femMe infinucr que la defcn'ptîon du monument de Clufium étoit tirwe de ce ram« de fables qu'il appelle fibula, ttrujcx. fur les Egyptiens £? les Chinois, 37 de l'apparence qu'ils fe connoiiïbieiit suffi peu les uns les autres que les Lappons connoidcnt les Espagnols. Les Chinois font fi perfuadés qu'on ne peut rien voir de plus grand , ni de plus magnifique en Architecture que leurs Tours à neuf étages, qu'ils en font des modèles en bois hauts de deux pieds , qu'ils recouvrent enfuite de laines de nacre de perles , & qu'ils tâchent de vendre ainfi aux marchands d'Europe , fans jamais oublier d'y mettre de petites ftatues , que les Millionnaires nomment des idoles, & que nous nommerons, d'un terme moins dur des magots; quoiqu'elles repré-fentent fûrement des Génies tutelaires & des Divinités locales : car ces clochers, fur lefquels les voyageurs ont propofé tant de conjectures, ne font en quelque forte que des Pagodes, ou en font partie. C'eft aufli de là qu'on donne l'allarme pendant les incendies , & qu'on marque les veilles & les heures indiquées par les cîepfydres ou les fa-bliers, qui n'approchent pas à beaucoup près de la juftefle; & avant l'an 1560 il n'y avoit point, dans toute la Chine, un feul bon cadran folaire, ni un feul Lettré inftruit des premiers éléments de la Gnomoniqus , ni capable enfin, dit le Pere Greflon, de calculer l'ombre méridienne d'un ftyle. Quant aux Pai-leou, que les relations défîgnent ordinairement fous le nom d'Arcs de Triomphe, on n'en connoît pas dont l'Architecture approche feulement de ce que nous appelions le nouveau Gothique, & la plupart ne méritent pas, de Pareu même du P. le Comte, qu'on s'arrête pour 3 S Recherches phifofophlques les confidérer. (*) Cependant la paffion d'en ériger eft très grande ; & les moindres villes en font conliruire de bois, qu'on feroit beaucoup mieux d'employer à bâtir des maifons pour ces miférables Troglodytes de la Chine, dont je parlerai dans I'inftant. Au refte il faut obferver que ce goût ne fut jamais celui des Egyptiens ; puisqu'on n'a pas trouvé dans toute l'Egypte le moindre vertige d'un Arc de Triomphe, élevé avant la conquête des Grecs ou plutôt avant celle des Romains : car ce qu'on voit dans les environs cVEnfené OU d'AnùnoopoYu , eft un 0uvr2ge de l'Empereur Hadrien, & il me paroît que ce n'eft proprement qu'un portique. Parmi les Pai-'eou de la Chine, on n'en diftïn-gue pas dont la ftructure & les caractères remontent à une haute antiquité, & il faut à cette occasion obferver que le P. du Halde regarde Pinf-cription de la Colonne d'airain érigée, félon lui, vers l'an cinquante après notre ére, comme une des plus anciennes de tout l'Empire; (**) mais cette Colonne, qui doit exifter fur les frontières du Tunquin, eft un monument très-fufpeft, qu'aucun Voyageur n'a jamais vu : car on prétend que les Tunquinois l'ont caché fous un prodigieux monceau de pierres, où il doit, par conféquent, être fort difficile de l'appercevoir. D'ailleurs quand on a égard à cette longue fuite de Siècles , dont nous parlent les finceres chroniqueurs de la Chine , il faut avouer qu'une infeription , qui ne (*) Nouveaux Mémoires fur la Chine. Tom. I. Let, lu, (**} DtfaigU dt la Chine. Tom. I. pag, 70. fur les Egyptiens les Chinois. 39 remontèrent qu'à l'an cinquante, feroit une chofe très moderne. Jl nous a été impoflible de favoir fi fon remarque réellement, comme on le dit, des caractères fur quelques pans de la grande Muraille ou du' Van-ly-czin , & s'ils n'y ont point été ajoutés pendant les reftaurations faites à ce rempart, il eft fur , qu'il faut les rapporter à une époque antérieure à l'érection de la Colonne d'airain. L'intérieur des maifons Chinoifes eft ÎPune grande fimplicité, de môme que dans tous les autres Etats defiotiques de l'Aile, où la mifere du peuple & fa défiance continuelle s'oppofent à l'acquilition d'un grand nombre de meubles : on y enterroit plutôt l'argent que de le foumettre à de tels hazards ; & on tâche d'y faire fervir les mêmes ufienfiles à différents ufages. Cependant ni en Turquie, ni en Perfe, on ne rencontre pas dans les campagnes des familles auffi misérables , auffi dénuées de toutes les commodités de la vie, qu'on en voit en différents endroits de la Chine. Car fans parler de celles qui, dans les Provinces Méridionales, Habilitent uniquement de la pêche, 6c qui vivent fur des barques, où les pères & les enfants manquent d'habits, il y en a d'autres auxquelles de fimples trous creufés en terre fervent d'habitation. A trente lys de Ho-Ion, après avoir traverfé la bourgade de Tchan-ngan\ dit le Pere Fontaney , oh voit des familles entières de Chinois qui demeurent dans des grot-tesj car la Chine, ajoute t il , a auffi fes Troglodytes. (*) En effet on en rencontre encore [*] Journal d'un voyage depuis Pékin jufqu'à Kiangtcheou, 40 Recherches pbilafopbiques en grand nombre au delà de la ville de Ping-tengy qui ont fait des cavernes larges de dix à douze pieds, & longues de vingt. Dans de tels trous on compte quelquefois plus d'un ménage. II eft croyable que ces Troglodytes, défefpé-rés de temps en temps par la rnifere, s'aiTocient aux voleurs, & à ces bandes d'hommes, qui à la fuite de quelques troupeaux errent dans l'intérieur'des Provinces où il n'y a pas de culture, & où il ne fauroit y en avoir. On peut rendre cela fenfible par l'exemple môme d'une contrée de l'Europe, c'eft-à dire par l'exemple de l'Efpa-gne, où des Nomades conduifent leurs troupeaux depuis Lérida en Catalogne jufqu'aux plaines de l'Andaloufie , fans trouver la moindre barrière dans tout ce prodigieux diftricf. : or il eft aifé de concevoir qu'en un pays régulièrement cultivé on ne laifîeroit nulle-part pafièr ces Nomades , qui ne fauroient faire paître leur béta:l que fur des landes ou des champs abandonnés, aufquels personne ne s'intérefle , & dont on ne foucie pas même de fixer les limites. Il n'eft pas rare de trouver dans les immenfes folitudes de la Chine & même dans celles de la Tartarie, des Temples & des Bonzeries où quelques moines ont fait des logements commodes , des jardins & des bofquets admirables, qu'ils ar-rofent par les eaux qu'on force de defcendre des montagnes en forme de cafcades. Ces Hermites, qui ne valent pas mieux que ceux de l'Europe, ne dormiroient point une nuit à leur aife, fi ies brigands de la Chine avoient moins de religion ; mais ils lefpeclent ces pagodes, ou ne les pillent fur les Egyptiens &? lès Chinois. 41 qu'à la dernière extrémité. D'ailleurs il fe peut que ces Bonzes folitaires s'entendent avec les voleurs , & recèlent de temps en temps leurs captures. On voit encore ici la connexion qu'il y a entre ces monafteres bâtis dans des déferts ; & ceux qu'on rencontre en des lieux femblables du Portugal & de l'Efpagne. Enfin, malheur aux pays où il y a des Nomades & des Hermites. Ce n'eft qu'aux environs de quelques villes principales de la Chine qu'on découvre par cy par là des bourgades dont les maifons font couvertes de tuiles. Car à mefure qu'on avance dans le centre du pays on n'apperçoit plus que des chaumières de terre battue avec des toits de joncs ; & dans beaucoup de villes du fécond ordre les murs des logis ne font auffi que d'argille. Comme on n'y a jamais pu réuffir dans aucune opération de la verrerie, il n'y exifte aucune apparence de vitrage même dans les Palais. La fale, où l'Empereur Can-h\ donna audience à un Am-bafTadeur de Ruffie, n'avoit, dit Brandt, que de mauvais chaffis de papier. (*) Car la verrerie établie par ce Prince, n'étoit pas alors, & n'eft pas encore en état de couler des glaces. Dans que'ques Provinces on employé aux fenêtres des tafetas cirés, des coquilles & même des lames de nacre de perle, comme l'on en voit auffi dans (*) Bcfchrcib. eincr çroffcn Çfïitiefifçkcn lleifc. S. 192. 'Brandt dit aufli que cette Sale n'nvoit ni lambris, m plat» ♦ end . de forte qu'on en vovoit le toit par dedans , comme dans beaucoup d'autres bâtiments Chinois, qui ont eu une tente ■pour modt'le. Il faut obferver encore que les colonnes n en font pas toujours rondes; mais coupées Couvent à cinq ou iept faces. 42 Recherches pbikfopbiques la Cathédrale de Uoa ; mais cette matière étant encore moins diaphane que la corne & la pierre fpéculaire des Anciens, dont on trouve quelques relies dans des églifes d'Italie, elle tranfmet aufli moins de jour, & éclaire très-mal les appartements. Il eft fingulier de voir les Architectes de la Chine élever des rochers artificiels dans ce qu'ils appellent des jardins. Et cnfuite ils oient demander aux Européens , fi nous avons des ouvriers qui pourroient en cela les égaler. Mais on devrait leur répondre , que pour mettre au hazard des pierres les ur.es fur les autres, il ne faut avoir ni génie, ni art, ni indi.ftrie, ni goût, ni enfin aucune notion du beau oc de l'utile. Aufli feroit-on infiniment mieux de fermer, dans ces endroits, du riz ou du froment, pour rendre moins funeûes les famines qui défolent. fi fouvent la Chine. On afiure que ce pays a bien deux m: lie montagnes ; ainfi c'eft une fureur de vouloir encore en augmenter le nombre, en tendant de plus en plus inégal ce qu'on devroit tScher d'applanir. On eft afTcz généralement prévenu, fans qu'il foit befoin d'infifter beaucoup à cet égard, que ni le quartier Chinois, ni le quartier Tartare de Pékin n'ont des Temples, dont la ftructure ou la magnificence fe faiTe diftinguer des édifices publics des autres villes. L'Empereur, qui peut feul offrir des facrifices folemnels aux Génies du Ciel, de la Terre, des Montagnes, des Vallées & des Rivières, r.e les offre jamais que fous des tentes; & non ailleurs. Cette coutume, qu'on doit regarder comme très ancienne, eft auffi très conforme fur les Egyptiens & les Chinois. 43 à ce que nous avons déjà obfervé par rapport à l'état primitif des Chinois dans la vie paftorale, & lorfqu'ils campoient encore à la manière des Tartares. Ces tentes deftinées aux facrütces, fc dreirent pendant les jours de fête dans le Tien-tang & le Ti-tang : après la cérémonie on les abat, & on les conferve avec les vafes facrés, les uftenfiles & les tablettes dans deux édifices particuliers : celui, qu'on a confacré au Génie du Ciel, eft rond; quoique le Ciel ne foit pas rond: celui, qu'on a confacré au Génie de la Terre, eft carré, fuivant l'admirable Cofmographie des llan-li & des profonds Lettrés de la Chine , qui Ont déterminé que notre Monde étoit un cube , & non pas un globe ; et il a fallu à toute force que les Architectes fe foient fournis, comme ils ont pu à cette décifion. M. Chambers, qui igno-roit ces particularités, fe trompe beaucoup, lorf-qu'il compare des pavillons Chinois'aux Temples monopteres des Anciens. Ces fortes de compa-raifons font fi outrées, qu'on pourroic par ce moyen découvrir toute l'Architecture Grecque dans les Palais de Pékin, tel qu'Isbrants Ides nous le dépeint. D'ailleurs M. Chambers ne pa-roît point avoir eu connoiffance d'un fait qui concerne les Pagodes de Fo , qu'on voit à la Chine : un voyageur nous a affuré que leur plan & leur difpofition intérieure font prefqu'en tout point conformes au plan & à la difpofition des Pagodes qu'on rencontre en différents endroits de Plndoftan. Ainfi on ne peut prefquc pas douter que cette manière'de bâtir n'ait été inconnue aux Chinois avant Pétabliflement du culte de Fo, dont 44 Recherches phihfophiques l'époque ne remonte point à notre ére vulgaire: car quand même on admettroit que laokhm avoit fait un voyage aux Indes, comme on le dit avec beaucoup de vrai-femblance , il eft certain , qu il n'établit point la véritable religion des Indiens à la Chine. Quant à l'état de l'Architefture chez les Egyptiens , c'eft un fuiet innnenfe ; mais nous avons tâché de renfermer dans quelques pages ce qu'il y a de plus intéreiTant A favoir. Chez ce peuple on bâtiffint toujours : un grrmd ouvrage en produisit un autre encore plus grand : fi la fortune eût écarté de delTus fa tête le joug des Perfans & celui des Grecs, on l'auroit vu rafer les montagnes de la Thébaïde, plutôt que de refter à ne rieti faire. Tous les Obélifques fe rcffemblent tellement , que, quand il n'y a point de caractères, il eft allez difficile de les dflinguer les uns des autres : il paroît donc qu'on auroit dû une fois fe hfTer d'élever des monuments fi fembla-bles : cependant on ne s'en laffa jamais: les derniers Rois comme Amafrs & Nectanebe, en fat-foient tailler tout comme on en tailloit plusieurs milliers d'années avant leur naiiTance. Je perfe que M. le Roi s'efl trompé, lorfqu'il a prétendu que la Calant rujhque avoit fervi chez les Egyptiens , comme Vitruve «dit qu'elle fervit chez les Grecs ; c"e(t-à dire de modèle aux plus fuperbes édifices, que les hommes ayent conflruits fur la fuiface de la Terre. (*) Tout (*) Ruines des plus beaux monuments de la Grèce. T. lt Nouvelle tdit. fur les Egyptiens &? les Chinois. 4f démontre que les Egyptiens, avant que d'être réunis en corps de nation , vivoient comme des rroglodites dans les creux des rochers de l'Ethiopie. De forte que c'eft bien plutôt une grotte qui a ferv, de modèle aux premiers eflais de leurs Architectes, qu'une cabane. Les Sauvages de la Grèce au contraire durent fe construire des huttes à caufe de la diverfité du climat & du fol, qui ont en tout ceci une grande influence : aufli n'y eut-il jamais aucun rapport entre les combles des Temples de la Grèce & les combles des , Temples de l'Egypte , qui étant entièrement plats n'avoient point été, par conféquent, copiés d'après le toit de la Cabane rujlique de Vitruve. Le Pharaon Amafis. fît venir des environs d'E-léphantine un grand morceau de rocher intérieurement creux, qu'on plaça dans la ville de Sais devant le portique du Temple de Minerve. Les Grecs, qui compofoient les mots comme ils vou-loient, ont appelle cette pierre vuide, une Chambre monolithe ; mais quelque nom qu'on puifle lui donner, il eft manifefteque l'idée en avoit été prife d'une grotte, Quand on réfléchit aux excavations prodigieufes que les Egyptiens ne ceflbient de fane dans leurs montagnes, & à la pafllon finguliere de leurs Prêtres pour les fouterrains où ils confumoîent une moitié de leur vie, alors on ne doute pas que ce penchant ne leur fût refté de leur ancienne manière de vivre en Troglodytes. De là provient le cara&ere imprimé à tous leurs édifices, dont quelques-uns paroiffentêtre des rochers factices, où des murailles dont Fépaifleui excède 4<î Recherches philofipbi(fies vingt quatre pieds , & où des colonnes dont la circonférence excède trente pieds, ne font point absolument rares. S'il y a quelque chofe qu'on puitTe comparer à ce que ce peuple Singulier a conftruit fur la terre, ce font précisément les travaux qu'il a faits fous terre. Quelques Auteurs de l'Antiquité ont très bien fil qu'à cent & Soixante pieds fous le fondement des Pyramides il exi-ftoit des appartements, qui communiquoient les uns avec les autres par des rameaux, qu'Ammien Mar-cellin a nommés d'un terme Grec des Synngcs. (*) II n'y a maintenant qu'un feul de ces conduits qu'on connoiffe ; c'eft celui qui perce le pied de la plus Septentrionale de toutes les Pyramides ; & qui fe comble d'année en année par le fable qui y découle ou par les débris qu'on y jette : cependant Profper Alpin allure que de fon temps, c'eft à dire vers l'an 1585, un homme y étant defeendu avec une bouiTole , il parvint jufqu'à l'endroit où ce chemin couvert fe partage en deux branches, dont l'une court vers le Sud, & dont l'autre fe rapproche du romb de l'Eft ; ce que les voyageurs , qui font furvenus long • temps après, comme Mailiet, Grèves ,'Phévenot, Vans-leb & le Pere Sicard , n'ont plus été en état d'obferver ; car je ne parle point ici de Belon , dont la négligence à décrire ce monument, eft telle qu'il ne vaut pas la peine de lire ce qu'il en dit. (+*) (*) Lib. XXII. .[**] 11 fait à la pag. aaS. de fes Obfcnaûnr.s, la caif-fe de la grande L''ynmiide une f01s plus" lonsue qu'eue ne .l'eft. fur les Egyptiens S les Chinois. 47 Hérodote a indubitablement fu qu'en defcèndarjt fous terre, on pouvoit enfuite remonterdans les chambres de la Pyramide du Labyrinthe : or comme cela eft exactement de même dans celle de Memphis, dont on connoit aujourd'hui la difpofition intérieure, il eft aifé de fe perfuader que cette conftruétion a été propre à tous les monuments de cette forme : c'eft à dire qu'ils dévoient avoir des fouterrains où l'on parvenoit par des routes cachées, telles que celle qu'on a découverte fous le trentième degré de latitude, & qu'on a prife fi mal à propos depuis le temps de Pline pour un puits ; quoiqu'il foit impoflible que l'eau puiiTe y entrer : elle n'entre point môme dans les Catacombes de Sakara , fituées en un terrain encore bien moins élevé ; car toutes ces excavations font pratiquées dans des couches de pierres calcaires qui ne tranfmettent pas la moindre humidité. Un Serapeum ou une Chapelle de Sérapîs, dont la position eft indiquée par Strabon au milieu des fables mouvants à l'Occident de Memphis , paroît avoir été le véritable endroit, qui renfermoït les bouches des canaux ou des galeries par Iefquelles on alloit jufqu'aux fondements des Pyramydes de G'zeh. Quant aux cryptes & aux grottes de I'Heptano-mide & de la Thébaïde, on connoît celles d'A-lyi, celles d'Hipponon, qui pouvoïent bien contenir mille chevaux : on connoît celles de speos Ar-tetnidos, celles d''Hieracon, de Sêïinon , çYAntceo-polis, de SUfili ; on connoît les Syringes ou les allées Souterraines, indiquées par Paufanias dansles 4.8 Recherches phihfophiqites environs de la fhtue vocale. [ * ] Enfin les Voyageurs en découvrent tous les jours ; car on n'en a pas découvert jufqu'à préfent la centième partie. Non qu'il faille absolument admettre la tradition , qui a eu cours dans l'Antiquité au fujet du terrain où étoit fituée la ville de Thebes & qu'on fuppofoit avoir été tellement excavé dans toute fon étendue, que les rameaux des cryptes pafibient fous le lit du Nil. ( ** Ce qui peut avoir accrédité ce bruit ; c'eft qu'on voit effectivement fur les deux bords de ce fleuve beaucoup de grottes comme entre koma & Habott ,oi\Voxi veut que les premiers Rois de l'Egypte ayent logé avant la fondation de Thebes. En allant de Koma vers le Nord Ouëft on trouve les excavations nommées par les Arabes Bi-ban-el Moluk, fur la deftination defquelles il n'y a jamais eu de doute, ni parmi les Anciens, ni parmi les Modernes : ce font les tombeaux des premières Dynafties ou des premières familles Royales ; & ceux, qui placent les corps des anciens Pharaons dans des Pyramides, font tombés, comme l'on voit, en une erreur très-grave. Car à Biban - et Aloiuk on ne découvre pas une feule pierre qui approche de la figure pyramidale : ce qui nous confirme de plus en plus dans l'idée qu'on n'a jamais renfermé aucune momie en quelque chambre des Pyramides de Monp-U, mais bien à plufieurs pieds de profondeur fous les fondemens (*) Lji. I. in Attic. Cap. XL1I. {**) if Un, Hifi, iV«, Lik, 36. Cap, XIV, fur les Egyptiens & les Chinois, dements de ces édifices, dont la forme n'avoit dans !a religion Egyptienne, aucun rapport avec celle des tombeaux. Quelques-unes des grottes , dont on a parlé jufqu'à préfent , ont fervi à contenir des cadavres embaumés, qu'on y drefToit fur les pieds pour ménager la place. Et cette règle paroît avoir été alTez généralement obfervée , hormis à l'égard des Rois, dont on couchoit le corps dans des Sarcophages ; car il ne faut pas prendre à la rigueur , comme on l'a fait , unpafTage de Si-lius Jtalicus, qui d'ailleurs ne concerne pas l'attitude qu'on donnoitaux momies dans les caveaux, mais celle où on les plaçoit dans les maifons ; quoiqu'on puifTe douter que jamais les Egyptiens ayent mis les morts autour de la table où man-geoient les vivants, comme ce mauvais Poëce l'inflnue. ( * ) Mais il y a eu en Egypte d'autres Souterrains, qui n'étoient pas des fépulchres, ni rien d'approchant, comme l'antre de Diane ou le Speos .-1r-tcmidot , qu'on retrouve aujourd'hui à Béni-Ha-fa», & dont les figures & les ornemens n'ont pas été exécutés par des fculptcurs Grecs. II eft fur que cet antre a été un Temple de Diane ou de Bubafte , & on en rencontre de femblables creu-fés dans le roc au centre de l'Ethiopie , où fuivant la relation de Bermudcz , il doit exifter, C*) ----- - Mjgyppa tellus. Condit odorato pofl funus flantia buflo Corpora; & àmcnfis exfaniiucm , haud fevarat umlram Lib. XIII. (**) Alvarez RERUM ^THIOPICAR. Cap. 44.,, yji Tome IL C ƒo Recherches pbilofipbtqucs tout comme en Egypte, un nombre prodigieux d'excavations très-profondes, dont quelques unes fervoient aux Prêtres à faire des fa:rificcs ou des initiations, & au fond defqueiles ils fe retiroient même pour étudier. (*) On nous parle d'un certain Pancrate , qui n'étoit pas forti de ces fom-bres demeures en vingt quatre ans. Et on a toujours foupçonné avec beaucoup de vrai femblar.-ce, qu'Orphée, Eumolpe & Pythngore y avoient également été admis. Quand on confidere cette manière de méditer fous terre , alors on n'eft point étonné que les Prêtres en ayent contracté l'habitude de cacher fous un voile prefque impénétrable tout ce qu'ils favoient & tout ce qu'ils croyoient favoir. Ce qui fait que, dans beaucoup de circonftances, il eft auffi difficile de déterminer jufqu'où s'éten-doit leur érudition, que de favoir jufqu'oh s'éten-doit leur ignorance. Et voila pourquoi on a porté des jugements fi oppofés touchant les bornes de leur Philofophie, que les uns renferment dans un cercle très-étroit, & que les autres portent à l'infini. Mais ce qu'il y a ici de vraiment intéref-fant à obferver , c'eft que cette coutume des Prêtres de fe retirer dans des fouterraîns, a donné lieu aux Myfteres de l'Antiquité, dont fans cela il n'eût jamais été queftion dans Ie monde. On voit que par tout où on reçut les Myfteres de (*) Propheter Azgystiorum non ptrmittunt ut mctalli artifices , fcuhtorcfvic Dcos rcprxfentcnt, ne à receptd abcant forma fcd ilhiduni iràlgô , dum in Tcmpiorum atria acetvi- trum ibidumqùe roflra fculpi curant, fubeuntes interca faera fubterr*nta qux projundit ULorum myfïtriis vclamtnto funt. Synciius. pas. 73. fur ks Egyptiens o les Chinois. f i I Egypte, on fuivoit auffi l'ufage de les célébrer dans des grottes ou des Souterrains; & ce ne fut que longtemps après, & lorfque cette inftitution avoit été fort altérée, qu'on fit a cet égard des changements. L'Evoque Warburton a rempli toute l'Europe de fes erreurs touchant le prétendu fe-cret., qu'on révéloit aux perfonnes initiées en Egypte ; parce qu'il a pris pour une pièce authentique , la lettre écrite par Alexandre à fa mere ; tandis qu'elle a été manifeftement fuppofée par quelques Chrétiens. C'eft la fraude pieufe la plus groffiere, dont j'aye jamais ouï parler; & M. Silhouette qui a traduit des fragments de Warbuton, suroît dû s'appercevoir qu'il eft ridicule de mettre en Egypte un Grand ■ Prêtre, nommé Léon : car jamais, avant la conquête d'Alexandre, aucun Prêtre Egyptien ne fe nomma Léon: c'eft comme fi l'on difoit, qu'il y a eu un Empereur de la Chine, qui s'appelloit Charles • Martel. (*) J'infifte-rois ici davantage fur la fuppofition de cette Lettre; fi elle n'étoit aujourd'hui reconnue pour apocryphe par tous les véritables Savants. D'ailleurs comment eût-on pu révéler que les Dieux de l'Egypte avoient été des hommes ? puifqu'on fait maintenant à n'en plus douter, que jamais les Egyptiens n'adorèrent des hommes déifiés ; & qu'il* avoient pour cette efpece de cujte une horreur inconcevable. Les Myfteres paroifient avoir été dans leur ori- (*) DijJ'ertations fur Vunion de la Religion, de la Mo-raie & de la Politique. T. 1. pag. T.YJ. M. Silhouette cite cette Lettre d'Alexandre pour réfuter l'Abbé Pluche, qt»l croyait que les Myfteres étoient relatifs à l'Agriculture. C 2 f 2 Recherches philofophiques gine une inftruction fecrette, qu'on ne donr.oît qu'aux Prêtres , qui avant leur confécration ef-fuyoient une terreur panique ; & ce n'étoit que par des routes ténébreufes qu'on les conduifoit entm dans un endroit fort éclairé; ce qui fit naître l'idée de copier les phénomènes de la foudre ce du tonnerre, dont j'ai tant parlé dans le premier volume de ces Recherches. Tous les prêtres de l'Egypte , fans en excepter un feul , dévoient être initiés, comme Diodore le dit, à ce qu'on appel, loit les Alyjieres du Dieu Pan ; de forte qu'il n'y en avoit pas qui n'eût efiuyé la terreur panique dans l'ohfcurité des fouterrains. (*) Ce goût pour les Myfteres & les énigmes paf-fa au peuple , & fit une partie de fon caractère. Je ne nie point que les dépurés des Provinces ou des Nomes, n'ayent pu de temps en temps traiter , dans leur afiëmblée , des affaires de la dernière importance , & qu'il convenoit de tenir très fecrettes ; mais il faut avouer auffi , qu'il n'a pu tomber que dans l'efprit des Egyptiens , de faire aflembler ces députés en un Labyrinthe , oùavantque de parvenir aux fales, il falloit traver-fer des allées auffi obfcures que des caveaux, comme Pline s'en explique en termes non équi- (*) 11 n y a pas (1 apparence que les Egyptiens ayent admis aux grands Myfteres des perfonnes qui n'étoient point rie l'Ordre:iacerdotal, fi l'on en excepte peut-être l'ytha-£,ore. Quant aux petits Myfteres, on y admit avec le temps rous ceux qui te prcfentoient, hormis les criminels publics. Les vagahojids , qu'on prenoit pour des urètres Egyptiens dans la Grcce & l'Italie, fe faifoient payer fort cher pour leurs initiations ou leurs Myfteres, que les Bohémiens iQuuient aulli, ahn de gagner de l'argent. fur les Egyptiens & les Chinois. ƒ3 voques : majore autan in parte, dit Ü , iranfttus eft per tenebras. ( * ) Les Chinois n'ont pas, dans leur langue, de mot pour exprimer un Labyrinthe , comme ils n ont pas, dans tout leur pays, un feul édifice, qui approche de cette forme. J'ofe môme mettre en fait qu'il feroit aujourd'hui impoffible de leur en donner une idée, foit par Fe moyen d'un plan . foit par le moyen d'une description. Car les Savants de l'Europe ne fauroient fe flatter d'avoir acquis des notions bien claires fur le Labyrinthe , donf il doit certainement exifter des ruïnes très-confi-dérables ; mais les Voyageurs ne les cherchent point où elles font, & s'égarent tous en allant trop à l'Ouëft. O.i pardonne volontiers à un homme tel que Paul Lucas , qui ne favoît pas écrire. & à M. Fourmont fon rédacteur, d'avoir pris les 111:1-fures du Château de Caron pour les débris du Labyrinthe ; mais que le P. Sicard & M. Pococko foient auffi tombés dans cette erreur, c'eft ce qui a lieu de nous furprendre. Ce prétendu Château de Caron , dont nous avons vu différents plans, femble avoir été une Chapelle de Sérapis , qui n'a ni Pyramide, ni aucune apparence de Dédale, ni môme cent pieds de long ; tandis que Strabon af-fure que ceux, qui montoient fur la terrafie du Labyrinthe , voyoient autour d'eux comme une campagne couverte de pierres taillées, & terminée par un édifice de figure pyramidale. On conçoit par-là combien d'obfbcles & de difficultés on rencontre en étudiant les monuments (*) Lib. 36. C*P. XIII. 54 Recherches pbilofopbîquei d'une contrée, fur laquelle les Modernes confèrent avec les Anciens à nous donner fans celfü des :.otions fauffes. Pour ce qui eft des Anciens, il paroît aiîtz probable, que ce qui les a le plus trompés, c'eft qu'ils étoient à la diferétion d'une efpcce d'hommes , qu'on nommoit les Interprètes, dont le College avoit été établi fous Pfam-métique, & qu'on pcurrolt prefque comparer à ceux qu'on nomme à Rome des Ciceroni. Les Phi-lofophes , qui vouloient véritablement s'inftruire en Egypte, étoient contraints d'y féjourner pendant plufieurs années, comme Pythagore, Eudo-xe & Platon; mais les Voyageurs, qui ne faifoient qu'aller & venir comme Hérodote , fans favoir un mot de la Ungue du pays, ne pouvoient s'a-drelfer qu'aux interprètes , qui connoiiîant le penchant des Grecs pour le merveilleux , les amu-foient comme des enfants, en leur faifant des contes aufli indignes de lamajefté de l'Hiftoire, qu'op-pofés aux lumières du fens commun. C'eft vraisemblablement d'eux que vient la tradition encore adoptée de «os jours touchant les Pyramides , qu'on prétend avoir été élevées malgré les Prêtres de l'Egypte, & en dépit de toutes leurs protestations contre de tels Ouvrages : tandis qu'on ■voit très clairement , que ce font furtout les Prêtres qui ont prélidé à ces conftructions » & qui les ont orientés exactement , foit par l'ombre d'un ftyle, foit par l'obfervation d'une étoile au pafla-ge du Méridien. Et ils n'ont jamais déclaré quel pouvoit avoir été en cela leur but, & probablement pas même à Thaïes , fur lequel Pline ce Plutaraue rapportent un fait trop faux 6c trop- fur les Egyptiens 3 les Chinois. ff choquant pour, que je puifTe ici le pafler lous fl-fence : iis veulent que ce Grec ait enfeigné aux Egyptiens à mefurer la hauteur des Pyramides par le moyen de l'ombre; ce qui ne peut fe faire en aucun temps de la manière dont Pline & Plutar-que fe le font imaginés. [*] Thaïes, en arrivant de Milet à Iléliopolis, étoit d'une ignorance profonde, & ne favoit abfolument rien ni en Mathématiques, ni en Aftronomie : le peu qu'il a fu depuis , il l'avoit appris des Prêtres de l'Egypte , dont il fut l'écolier pendant plufleurs années. Il ne faut donc pas dire, qu'un tel homme ait été en état de rien enfeigner à fes maîtres ; & nous devons croiie pour fon honneur, que ce n'eft pas lui, qui a débité cette fable; fans quoi fon ingratitude ne pourroit que nous révolter. Ceux, qui prétendent qu'on a orienté les Pyramides pour fe procurer une Méridienne inébranlable- . afin de s'appercevoir un jour fi les pôles du Monde changent ou ne changent point , n'y avoient pas réfléchi, & ne favoient eux-mêmes ce qu'ils difoient. Car en ce cas une feule Pyramide eut fuflï, & on n'en aurok pas hérilTé toute la côte de la Libye, depuis Mtmphis jufqu'au Labyrinthe. Il n'eft point vrai non plus qu'elles ayent fervi de Gnomons, opinion foutenue très-mal à propos par quelques Ecrivains Modernes ; car pour Po^t mefurer la hauteur d'une Pyramide par fon ombre ; i! faut ayant tout mefurer un côté de la baie , & en Lonnoitre le milieu. ()r, comme Pline & Plntafque ne dirent p"s commença par cette opération, ou fent bien que ce qu'us en rapportent, eft une fable. C i * f6 Recherches philofophiques les Anciens, ils n'ont eu garde de rien pen fer, ni de rien écrire de femblable ; puifqu'ils naroilfent avoir eu quelque connoiflance du phénomène de la confomption de l'ombre. 11 eft vrai que Solin, Ammien Marcellin & Cafliodore s'expriment là-dellus d'une manière extrêmement impropre & tout ce qu'on peut conclure de leurs cxprefîîons, c'eft que, fuivant eux, les Pyramides ne jettent jamais de l'ombre en aucune faifon de l'année, ni en aucun inftant du jour; & cela arrive, fclon Marcellin, par un mécanifme de leur conftruction, mecanicà ratione. Mais avouons que cet homme a dit là quelque chofe qui choque toutes les loix de la Nature. (*) Voici en peu de mots de quoi il eft queftion. La plus grande des Pyramides fituée fous le vingt-neuvième degré, cinquante minutes & quelques fécondes de latitude Nord, commence vers l'Equinoxe du Printemps à ne plus jetter d'ombre à midi hors de fon plan ; & on peut alors fe promener autour de cet immenfe monceau de pierres , qui s'élève à plus de cinq cents pieds, fans perdre le Soleil de vue. Les Architectes ont pref-fenti cet effet , qui réfulte nécefTairement de la figure pyramidale & de la largeur de la bafe ; ce (*) Solin. Pohhijl. Cap. XLll. Am. Marcel. M. Lib. XXII. fub fin.....Cajfiodor. Variarum. Lib. Vil. M Comme Solin eft le premier qui paroit avoir répandu cette erreur, nous citerons ici (es propres termes : Pyramides turres fupt in ALgyyto fafiigiatm ultra ccljhu-dincm omnem, qu* fietl manu pojjir, ttaqttê menfuram um-brarum egreUx , nullas habent umbras. Cela neft tout au plus vrai qu'a midi au jour du folftice déte, ti entre les deux cquinoxes. fur les Egyptiens & les Chinois, fj' qui fait que l'ombre méridienne fe réfléchit pendant la moitié de l'année fur la face Septentrionale , & ne parvient point à terre , ou au plan de l'Horizon. Si l'on vouloit faire un mauvais cadran folaire, il feroit impoffible d'en faire un plus mauvais que celui de la grande Pyramide ; puifqu'on ne fauroit trouver môme par ce moyen le jour du Solftice d'été : car alors l'ombre remonte tellement qu'on a peine à l'appercevoir , lorfqu'on eft placé au pied de la ftee Septentrionale. Cependant le célèbre Chronologifte de Vigno-les a cru que les Prêtres trouvoient les Equinoxes à l'aide de leurs Pyramides ; ( * ) ce qu'il n'eût jamais cru , s'il avoit eu des plans exacts de ces monuments, & fur tout de bonnes Cartes de l'Egypte telles que celles dont nous nous fommes fervis. Il faut favoir que les Egyptiens n'avoient pas déterminé le rapport qu'il doit y avoir entre la largeur de la bafe , & la hauteur perpendiculaire d'une Pyramide quelconque : or , comme ils onc extrêmement varié à cet égard , il eft clair qu'ils n'ont jamais penfé à chercher par cette méthode les jours équinoxiaux , qu'ils trouvoient, fuivant (*)£>« ANNISjEGYPTIÀC. in Mifccll.EcroLbicnî Tom. IV. C'eft par hazard que In grande Pyramide commence vers l'Equ'moxe à confumer fon ombre a midi; puifqu'il y en a d'autres oui commencent plutôt. Pour ce qui eft de trouver par ce moyen les Solftices, nous dirons que la plus grande ombre méridienne de In Pyramide de Qiteb & de toutes les autres indique le folftice d'hyver ; mais il eût été fort difficile de trouver celui d'été. D'ailleurs il y a une tres-grande pénombre qui eût rendu toutes ces obl'erva-tiouî extrêmement vicieufes. c s jTcî Recherches pèilofipbiquci Macrobe, par de (impies flyles, & même, comme on l'a pi étendu , par leurs horloges d'eau. Voici donc un fait dont M. de Vignoles n'a pas eu la moindre connoilXmce : la Pyramide , cp.ie Les A-rabcs nomment il Harem cl Khècr ci Koubù , a une- bafe beaucoup rlus large , eu égard à fa hauteur , que la grande Pyramide de Mtmphit ; ainfî il eft certain qu'elles commencé & commence encore long temps avant l'autre à confumer fa propre ombre à midi , & n'indique en aucune manière que ce foit les Equinoxes. On pourroit d'ailleurs demander comment s'y prenoient les Prétres attachés au College do Thebes ; puifqu'on fait qu'il n'a jamais exiftë de Pyramide dans la Thébaïde , quoiqu en dife Abulféda. Cependant ce College étoit le plus célèbre de tous par fes connoifl'ances Agronomiques, comme il étoit auffl, le premier par l'époque de fa fondation. Ne prêtons donc pas aux Egyptiens des vues. quMs n'ont point eues : car s'ils avoient eu de telles vues , il faudroit avouer aufli que le fens commun leur a manqué ; puifqu'un firnple ftyle donne fur toutes ces ebofes des indications mille fois plus précifes qu'une mafle qui s'obfdurcit elle-même. Les Pyramides ont été , tout comme les Obélifques , des monuments érigés en l'honneur de l'Etre qui éclaire cet Univers ; & voilà ce qui a déterminé les Prêtres à les orienter. 11 eût été très-aifé de pratiquer dans la capacité de ces édifices un grand nombre de fales fdpulchrales pour y dé-pofer les corps de toutes les perfonnes de la fi-mille Royale ; & c'eit ce qu'oa. n'a uéamuoiu» pa& fur les Egyptiens & les Chinois, ƒ9 fait : puifqu'on n'y a découvert que deux aparte-nïents & une feule caille , que, malgré l'autorité de Strabon, beaucoup de Voyageurs éclairés comme M. Shaw , ne prennent pas pour un Sarcophage où il y ait jamais eu un cadavre humain ; & en effet cela n'eft pas môme probable. On a bazardé à l'occafion de cette caille mille conjectures : cependant je ne connois point d'Ecrivain., qui aie deviné que ce pourroit être là ce qu'on nommoit parmi les Egyptiens le Tomieatkd'ofiris, comme il y en avoit beaucoup dans leur pays; & la fuperftition coniiftoit à faire tomber tout autour de ces monuments les rayons du Soleil , de façon qu'il n'y eût pas d'ombre fur la terre à midi pendant une moitié de.l'année tout au moins: jar ce phénomène duroit plus longtemps par rapport aux Pyramides Méridionales d'illahon à Hana-ra vers l'extrémité de la plaine connue fous le nom de Cochome, & que je regarde comme les plus anciennes ; puifqu'elles. font fans comparai-fon plus endommagées que celles de Memphis , qu'on croit pouvoir fubfifter encore pendant cinq-mille ans ù en juger par la dégradation , qui y eft arrivée depuis le fiécle d'Hérodote jufqu'à nos jours : cet Hiftorien allure que de fon temps on y voyoit beaucoup de figures & de carafteres fur les faces extérieures , qu'on n'y retrouve plus. Ceft faute d'y avoir réfléchi, que M. Nordcn dit , dans fon Voyage de Nubie , que ces diff-ces doivent avoir été confiants avant l'invention des caractères Hiéroglyphiques , ce qui choque toutes les notions de l'Hiftoire. Et il feroit à fouhaiter que la plupart des Voyageurs fiflènt C 6 6o Recherches philofophiqites avant leur déparc ou tout au moins après leur retour, de meilleures études. Une obligation réelle qu'on a aux Prêtres de l'ancienne Egypte , c'eft d'avoir orienté les Pyramides avec beaucoup d'exactitude ; car par là nous ("avons que les pôles du Monde n'ont point changé : & inutilement chercheroit-on fur toute la furfice de notre globe quelqu'autre moyen pour s'en affurer : il n'en exifte nulle part, & furtout point dans la Chaldée ; pays fur lequel on s'eft formé des idées très faufles. S'il y avoit eu dans la Chaldée des conftruftions aufli folides que celles de l'Egypte, il en refteroit des ruines prodigieu-fes : mais comme on y a bâti avec des briques & du bitume, toutes les parties les plus élevées ont dû fuccefllvement s'écrouler, & ce n'eft qu'à quelques pieds au deffus des fondements où l'humidité a confervé la force & la ténacité du bitume, qu'on découvre encore quelques reftes de maçonnerie, comme en un endroit qu'on prend pour l'emplacement du Temple de Belus; mais ce font là des chofes qui ne méritent point qu'on en parle. D'ailleurs dans quel cabinet de l'Europe a ton jamais poflédé des ftatues ou des monuments Chaldaïques ? tandis que tous les cabinets de l'Europe font plus ou moins fournis d'antiques Egyptiens. Je place au nombre des plus fortes exagérations de Ctéfias & de Dîodore de Sicile* rObéiifque qu'ils attribuent à Sémiramis, & que perfonne n'a jamais vu ; (*i pendant que tout le (*) JacWbn preuve, dans fes AmiqùUù Chronolo&qas, que cet Cpéiiuiue n'a poiais exiiléja Ikbylune. fur les Egyptiens £;? les Chinois. 61 monde connoît les Obélifques de l'Egypte , & il doit en avoir exifté plus de quatre vingt de la première grandeur , dont l'érection n'étoic pas une chofe aufli difficile qu'on fe l'imagine, chez un peuple , qui à force de tranfportcr de telles aiguilles , avoit acquis beaucoup d'expérience. Fontana, qui manquoit d'expérience; puifqu'il opéroit fur des tels blocs pour la première fois , y employa beaucoup plus de force qu'il n'en aVoit befoin ; car il attacha à l'Obélifque du Vatican fîx-cents hommes & cent-quarante chevaux : la réfiliance des cables & des cabeflans étant connue , on a évalué que cette puiflance eût élevé l'aiguille , quand même fon poids eût excédé de cinq cents dix mille livres fon poids réel , y com-prife l'armure. (*) Or les Egyptiens n'ayant pas aflis ces monuments fur des bafes aufli hautes que celles'qu'on leur a données fort mal à propos à Rome, ils ont pu avec quatre-cents hommes & quatre vingt chevaux lever quelque Obélifque que ce foit, en fuppofant même qu'ils ne fe foient fervis que de cabeflans. Il ne faut point croire ce que difent quelques Auteurs, d'un Pharaon qui y employa vingt mille hommes, & iît attacher fon propre fils au fommet de la pierre pour engager les ouvriers à être fur leurs gardes, abfurdité qui ne mérite point qu'on la réfute. Ce qu'il y a de bien plus important à favoir, c'eft qu'on fe trompe généralement aujourd'hui au fujet des Obélifques, qu'on dit avoir fervi en Egypte de Gnomons. Il fufïit d'examiner attenti- Zfifiola de Obtlifco Rom» iç86. ( s Recherches phUofophîques vement leur pofition & leur forme, pour s'appsr-csvoir qu'on n'y a jamais penfé : les Egyptiens élevoient toujours deux de ces aiguilles l'une à côté de l'autre, à l'entrée des Temples; & lorf-qu'il y avoit trois grandes portes , on y plaçoit jufqu'à fix Obélifques. Tout cela fe voit encore de nos jours dans les ruines du Temple de Phy-lé, dans celui de Thebes & à l'entrée de ce qu'on prend pour le Tombeau d'Oùmendué, mot vifible-ment COmpOfé de Minera à. d'ofiris. Par là on peut déjà s appercevoir qu'il n'eft point du tout queftion de Gnomons, qu'il feroit abfufde de pofer fi près les uns des autres que-leur ombre fe confondit. D'ailleurs la partie fu-périeure de ces aiguilies, qu'on nomme le Pira-ntidium ne fauroit donner*aucune indication pré-cife , hormis qu'on n'y ajoute un globe , comme l'on fit à Rome fous Augufte & fous Conftance. Ht voilà cependant ce que les Egyptiens n'ont jamais fait; puifqu'aucun Auteur de l'Antiquité n'en a parlé, & on voit par les tableaux tirés des ruines cV HercuUtnum , & beaucoup mieux encore par la Mofaïque de Paleftrine, que les O'.iélifques y font toujours repréfentés fans globe. Auïïi n'a-t on pas trouvé dans ta tête de ces monuments la moindre excavation pour y inférer le ftyle ou la harre. Et quand un Romain nommé Maxime, qui étoit Préfet de l'Egypte, voulbt mettre un globe fur FObélifque d'Alexandrie , il en fit tronquer le fommet ou la pointe; ce que tes véritables Egyptiens enflent envifagé comme un facrilege. Ainfi les membres de l'Académie des Infcriptùms de Paris étoient fort mal informés, lorfqu'ils, il- fur les Egyptiens & les Chinois. e>3 rent leur rapport à l'Académie des Sciences, qui vouloit être inftruiie exactement fur l'antiquité des globes fupportés par les Obélifques. (*) Nous répétons encore une fois que ce n'a jamais été l'ufage des Egyptiens. 11 elt manifefte qu'on a abufé d'un paffage d'Ap-pion le Grammairien , qui prétendoit que Moïfe avoit placé des btémlfpheres concaves fur des colonnes au heu d'employer des Obélifques ; mais il parloit de ces choies-là d'une manière qui prouve qu'il ne favoit point ce qu'il vouloit dire; & le Juif Jofeph encore plus mauvais raifouneur & plus ignorant Phyficlen qu'Appion , le réfute par des arguments pitoyables. Vitruve , Cléomede , Macröbe & Martien Capelle décrivent les horloges folaires, équinoxiaux, dont on fe fervoit en Egypte, & par le moyen defquels Eratofthene mefura , ou vérifia la mefure de la Terre. (**) Ces horloges étoient réellement ces hémifphere s concaves du milieu defquels s'élevoit un ftyle perpendiculaire ;. mais le comble du ridicule feroit de vouloir avec Appioiv, qu'on eût placé ces cadrans fur des Obélifques ou de hautes colonnes, où il eût fallu enfuite monter avec des échelles pour obferver h déclÎDàifoa de l'ombre. Quoique les Prêtres de l'Egypte employaient très fouvent ces inftrumens, ils faifoient néanmoins plus de cas de leurs hydrofeopes ou des horloges d'eau; & leur ellime étoit fondée fur le befoin qu'ils en avoient 6âf Recherches pbilufopbiques pendant la nuit pour les obfervations Agronomiques : non que j'aye jamais pu me perfuader que la précifion de ces horloges ait été aufli grande qu'Orus Apollon le donne à entendre , en difant qu'elles fe vuidoient exactement en un jour équi-noxial. ( * ) II ne nous z pas été pofïîbfe de voir ni des Sabliers, ni des Clepfydres faites à la Chine ; mais nousfavons fans en avoir vues, qu'elles ne re-préfentent point un finge qui urine , forme bizarre que les Prêtres de l'Egypte avoient jugé à propos de donner à leurs horloges, d'ailleurs autrement graduées & divifées que celles de la Chine. Car douze heures Egyptiennes ne valent que iix heures Chinoifes. (**) Et cette différence eft plus eflentielle qu'on ne feroit d'abord porté à le croire : enfin elle eft aufli eflentielle que celle qui concerne la divifion des lignes du Zodiaque chez ces deux peuples, qui n'ont prefque rien de commun que ce que le hazard a pu produire. Ce n'eft point ici le lieu de dire ce qu'il faut raisonnablement penfer des Infcriptions gravées fur quelques Obélifques : on fait que le P. Kircher a fait tous fes efforts pour perfuader qu'elles ne renferment point des faits hiftoriques, ou la narration de quelque événement. Mais le P. Kircher a ignoré que ces Infcriptions font des chofes très indifférentes par rapport à ce qui devoit conftituer un Obélifque proprement dit ; (*) Voycx le IÇ. Chap. du premier Livre des Hicroçty-phijuis d Orus. [**} Voyei Bayer deHORIS 5INICIS , Se Ulug-Beig de EPOCHIS CELEBR. puifqu'on en connoît jufqu'à trois de la première grandeur , qui étoient purs ; c'eft à dire fans aucune apparence de caractères fur les quatre faces. Cependant nous favons indubitablement qu'un de ces Obélifques purs a été dreffé pendant plu-fieurs fiécles devant le Temple du Soleil ; fans qu'on puifîe accufer les Prêtres & les Sculpteurs d'avoir été trop ignorants pour y graver des caractères Hiéroglyphiques , comme Hardouin l'in-finue fi ridiculement au fujet d'une de ces aiguilles muettes, & taillée par ordre du Pharaon Nectanebe. (.*) Comme un Arabe nommé Abentphi , & beaucoup d'autres Ecrivains, qui n'étoient point Arabes, ont confondu les Obélifques, avec les prétendues Colonnes Hermétiques, il convient de faire ceiTer la confufion, & de fixer les idées & les termes. (**) car enfin, ces chofes n'avoient aucun rapport entr'elles. Manéthon , pour compofer l'Hiftoire de l'Egypte , avoit confulté les Stéles d'Hcrmïs dreiïés dans les Syringes ou les allées fouterraines ;(***) mais on ne trouve nulle-part qu'il ait confulté les Infcriptions gravées fur les Obélifques. Il ne faut d'ailleurs pas prendre en un fens rigoureux ce mot de Stéles ou de Colonnes Hermétiques : c'étoient tout au plus des Cippes, & plus fouvent encore des tables de pierre, ce que les Alchymiftes Arabes ont bien fu, en nommant la plaque d'Eme- [*] In Piin. Lib. 36. Cap. XIV. (**) AbentphiapudKirch. in Obélifco Pamphileo paç. Syrtcel. in Chron. pas. 40. 6*6* Recherches pbilûfophiqùes raude , dont nous avons parié dans la feflion précédente , la Table Smaragd'mt, comme on dit ies Tables du Décalogue. Les Ecrivains de l'Antiquité, es. Manéthon lui-même , no'.:s apprennent que les Stéles Hermétiques étoient renfermés dans la partie la plus fe-crette des Temples, dans YAdytum, & même au fond des caveaux où les Prêtres fe retiroientpour étudier. [*] Parla on voit qu'ils différoient infiniment des Obélifques , expofés aux yeux de tout le monde à l'entrée des principaux édifices publics ; & fur des monuments ainfi expofés , & Significatifs par leur figure , les Infcriptions n'étoient point ef-fentielles ; taudis que les Infcriptions feules con-ftituoient les Stéles Hermétiques. M. Jablonski , dont l'autorité fera à jamais d'un grand poids dans toutes ces matières , a prouvé par d'invincibles arguments, que leThotli, le Mercure Trimégifle, Y Hermès àc^ Egyptiens, eft un pur fpeftre Mythologique ; c'eft à dire un perfonnage qui n'a jamais exifté. (**) Cependant fa diftinckion, qu'il fait entre l'ancien Hermès ci le nouveau, n'eft pas encore telle qu'elle devroit l'être. Tout le temps pendant lequel les Prêtres ne graverent leurs Hiéroglyphes que fur des pierres, eft le temps du premier Hermès : les fié-cles poftérieurs, pendant lefquels ils fe fervirent de livres compofés de feuilles de papyrus , car ils n'ofoient toucher des livres de parchemin , appartiennent au fécond Hermès; ces hommes li [*] Apatelefmat. Lib. V.. Virf. z. & 3. Edit Gro;u)vii. (**] faâUhcQS ,£<,}f. LU. V. Cj:-. >. psrloient toujours allégoriquement , & ils ont trompé tous nos Chronologiftes modernes. C'eit avec un plaifir mêlé de compaffion, qu'on lit les diiputes élevées entre ces prétendus calculateurs fur le temps où vivoit Hermès : c'eit. comme fi l'on difputoit fur le temps où vivoit la Fée Mor-gane. On peut croire que Pline s'eft trompé, lorf-qu'il a prétendu que le premier de tous les Obélifques , que les Egyptiens ayent drefTé , eft celui qu'on voyoit à Héliopolis, c'eft à dire plus de cent & foixante lieues de l'endroit oùNon l'a-voit taillé. Il a embraflé cette erreur, parce que les Grecs ont auffi quelquefois employé ce terme à'Hiliopolit pour défigner la ville de Thebes, où il paroît qu'on a érigé les premiers Obélifques devant les portes du Temple de Jupiter Ammon , qu'on n'avoit pas négligé d'orner ; afin de donner du luftre à l'ancienne Capitale de l'Egypte , dont quelques Géographes modernes ont voulu fixer l'étendue fur des indications peu certaines. Mais M. d'Anville , qui a porté le circuit de Thebes à neuf lieues, femble avoir ou-trepaffé toutes les bornes , & même celles de la probabilité. Les Jéfuites, qu'on fart avoir exagéré groffiérement tout ce qui concerne la Chine, ne font l'enceinte de Pékin que de fix lieues, qui fe réduiroient à moins de deux ; fi les maifons de Pékin étoient de trois étages:mais comme ce ne font que des cbétifs rez de chauffée , ils occupent beaucoup plus de terrain que le* villes régulièrement bâties en Europe. Cependant on peut en moins de curare heures faire coirj- 68 Recherches pbilofophiques modement à cheval le tour de cette efpece de Camp Chinois, que le feu pourroit confumer en un jour, fans qu'il en refiât le moindre veflige; tandis que le Pere Bofcowich foupçonne qu'après la. deftruclion de Conflantinople , il refiera au moins quelques ruines de fes Mofquées 6; de fes Sefefieins. [ * ] Les maifons de Thebes étoient , au rapport de Diodore , de quatre à cinq étages ; & fi avec cela on portoit fon circuit à neuf lieues , il en réfulteroit le plus prodigieux amas d'habitations qu'on eût jamais vu fur la Terre , fans môme excepter Babylone , où beaucoup de maifons ne pa-roifïem avoir été que des rez de chauffée. Il faut d.flinguer la véritable enceinte de Thebes , d'avec les habitations éparpillées en longueur fur les deux bords du Nil , & tour le merveilleux difparoîtra : Dydime, qui doit avoir eu connoif-fance d'une mefure prife à la rigueur , n'évalue la fuperficie de Thebes qu'à trois mille fept cents arures, & je fuis certain que c'eft plutôt accorder trop, que trop peu: de forte que nous trouvons ici une ville fans comparaifon plus petite que Paris. La manière, dont les Anciens ont varié en fe contredifant les uns les autres, prouve qu'ils n'étoient point d'accord fur le terme où Thebes commençoit & fur le terme où elle fi-nifïbit ; mais proprement parlant, toutes les habitations, qui fe trouvoient fur la rive Lybique n'appartenoient point à la ville. (**) (*) Journal d'un Voyage de Conjlantinofle en Pologne. Pag. p. (**) Il n'y a pas deux Auteurs anciens qui s'accordent fur les Egyptiens les Chinois. 69 Quant à Memphis, on fait fon enceinte de trois lieues, & il ne faut pas douter qu'on y ait compris de grands étangs absolument comblés de nos jours, un parc ou une quantité de bofquets d'Acacia , de Palmiers , de Sycomores ; & enfuite tout le Palais royal des Pharaons, qu'on fait avoir été étendu en longueur d'une extrémité de la ville à l'autre ; parce que c'étoit probablement un amas de différents logements où il y avoit des écuries, un ferrail & des chapelles. Au relie , Memphis ne s'aggrandit & ne fe peupla qu'à mefure que Thebes devint déferte ; car il ne faut point croire que ces deux villes ayent été très floriiTantes à la fois, ce que la population de l'Egypte ne permettoit point ; & fi on lit, dans l'Ouvrage de M. d'Origny , que vingt-mille villes ont pu y exifter fans faire aucun tort aux terres labourables ( * ) nous dirons que de tellesaf-fertions for.t des rêves, qui refTemblent à ceux que ce même homme a eus fur l'ifle Eléphanti-ne, dont l'étendue lui paroifloic être prodigieufe ; & nous avons déjà eu foin d'avertir que cette iiie n'eft qu'un point de terre dans le Nil. L'aggrandiflement de Ptolémaïs & d'Alexandrie fit tomber Memphis à fon tour, & la même révolution arriva lorfqu'on bâtit le Caire, fur le- fur la grandeur de Thebes ; & on ne fauroit combiner la rr.efure indiquée par Dydime, ni avec celle de Caton cité par Etienne de By7,ance, ni avec ce'le de Diodore, ni avec celle de Strabon, ni avec celle d'Euitathe , qui (ont tous en contradiction les uns avec les autres. On doit aufli avoir beaucoup exagéré la grandeur lYAraris, lituée dans la Baflé-Eyypte. C) Voyez Vggyptt ancienne. Tom. I. Chap.U. jö Recherches pbibfopbiqutf quel les voyageurs modernes fe font autant trompés , que les anciens fe trompoicnt touchant la prétendue grandeur de Thebes. On peut être certain que l'enceinte du Caire , n'eft pas à beaucoup près de trois lieues de 25000 toifes chacune. On tâchera de tenir un milieu entre la trop grande élévation que Diodore donne aux maifons de l'ancienne Egypte & l'état où les réduit M. Pococke, qui prétend que ce n'étoient que des tentes. Suivant cette bizarrre idée touteur.e ville Egyptienne n'eût confifté qu'en un Temple, & en une affemblée de gents qui campoient autour de ce Temple. Mais M. Pococke eft le feul qui ait jamais imaginé de faire camper les Egyptiens, fans s'appercevoir qu'ils avoient pour ce genre de vie une horrible averlion ; au point qu'ils ne permirent pas même aux Juifs de camper en Egypte , & il feroit à fouhaiter que les Turcs eulfent obfervé la même conduite à l'égard des Arabes Bédouins, aufquels ils ont permis de vivre fous des tentes ; ce qui a entraîné la ruïne de différentes Provinces. C'eft une maxime qu'il ne faut jamais permettre dans quelque pays que ce foit, que des familles entières entreprennent de camper. S'il convient de mettre, comme nous l'avons dit, des bornes à la trop vafte étendue de Thebes , il eft également nécefTaire de fe défabufer fur le nombre des Temples de l'ancienne Egypte, qui n'a point été aufli grand que quelques Auteurs l'ont dit, avant qu'on en eût exactement reconnu les ruines. L'opinion la plus générale eft que le tronc d'un Palmier a fervi de modèle aux colonnes de tous ces édifices : mais fi cela étoit vrai , ces colonnes fe refTembleroient plus ou moins entre elles ; tandis qu'il n'y a rien de plus varié. C'eft ce qu'on obferve aufïï par rapport aux chapiteaux : ceux, qui repréfcntent une cloche renverfée , ont été adoptés dans l'ordre Corinthien ; & on nomme encore aujourd'hui le corps du chapiteau Corinthien Campant. A in fi l'avan-ture du panier trouvé par Callimaque, & aucour duquel étöit crû de FAcbante, eft une fable puérile , inventée par les Grecs, qui ont voulu nous perfuader, qu'ils n'nvcient rien emprunté de l'Egypte ; tandis que l'on voh manifeftement le contraire. Les Grecs ont encore voulu nous faire accroire que les Triglyphes employés dans le Dorique, repréfentent les extrémités des poutres, qui repofent fur l'architrave ; ce qui n'eft point vrai à beaucoup près. Les triglyphes font de purs ornements de caprice , imaginés par les Sculpteurs ou les Architectes de l'Egypte , qui ne bà-tiffoient jamais en bois, & les Grecs n'ont ajouté à ces ornements que les Gouttes, qui n'y étoient pas fort néceffaires. Ce qu'il y a de fingulier, c'eft qu'on n'a point retrouvé jufqu'à préfent , dans les ruines de l'Egypte , des colonnes dont les vertebres foient alternativement de marbre blanc & de marbre noir : cependant on aiTure que les Egyptiens eftimoient beaucoup cette bigarrure , qui a dû produire un mauvais effet ; mais fouvenons-nous toujours que les yeux des Orientaux ne font point faits comme les nôtres. Je n'ai découvert dans les Auteurs qu'une feule 71 Recher chcs philofopbiques conftruction où l'on eût effectivement pris le tronc du Palmier ,pour modèle des colonnes , afin de Satisfaire le goût du Pharaon Amafis, qui fit travailler d'une manière prodigieufe dans la ville de Sais. Et cela quelques années avant la chute de la Monarchie Egyptienne ; d'où l'on peut juger que la paflion de bâtir ne fe ralentit jamais dans cette contrée, où la chaleur & la fertilité portent naturellement les hommes à la parede. Ariftote a bien Soupçonné que les Prêtres ne vouloient point que le peuple reftàt oifif:[*] mais indépendamment de tous les autres motifs purement politiques, les Prêtres paroiffent avoir été perfuadés que l'action & le mouvement étoient très propres à entretenir la fanté d'un peuple fu-jet à la lèpre ; & pour empêcher les corvées de devenir infupportables, ils avoient inftitué beaucoup de jours de fête ou de repos. Sous un climat aufli ardent que le leur, ce tempérament n'é-toit point mauvais ; mais il ne vaudroit rien dans nos climats froids, où les forces s'épuiSent beaucoup moins en un temps égal. S'il eft vrai que tous les Colleges de l'Egypte ayent témoigné du mécontement au Sujet de la conduite du Rot Chiops , ce n'eft Sûrement point parce qu'il fai-foit travailler à une Pyramide -, mais parce qu'il faifoit travailler pendant les jours de fête; quoique le récit d'Hérodote à cet égard foit une pure fiction , qui choque toutes les idées que nous avons du Gouvernement de l'Egypte, bien moins defpo- (*) Arifiot. de REPUBLIC. Lib. V. Cap. 2. defpotiquequelesEcrivains modernes le prétendent. Il eft ridicule fur tout de leur entendre dire que dans un pays de liberté comme l'Angleterre, on ne s'avife-roit pas d'élever des Pyramides. Tandisqu'on a calculé qu'en Angleterre la culture des campagnes exige neuffoisplus de travail qu'en Egypte; & files An-glois vouloient donner une lifte exacte de tous ceux qui périflént en nier pendant le cours d'une année, foit par le naufrage, foit par d'autres accidents, on verroit que leur Marine abforbe plus d'hommes dans le €ours d'un an que la conftruction de toutes les Pyramides n'en a puabforberen un long laps de fiecles. Il ne faut donc pas comparer en-tr'elles des chofes, qui ne font nullement comparables : comme l'Agriculture n'occupoit point allez les Egyptiens, Se comme la Marine & le Commerce extérieur ne les occupoient pas du tout, il falloit les appliquer à d'autres travaux. Quand on reflet* chit à l'état floriiTant de leur pays fous les Pharaons, & à l'état miférable 8c malheureux où il fut réduit fous ksEmpereurs Chrétiens depuis Conf-tantin, & enfuite fous les Turcs, alors on fe per-fuade aifément que l'ancienne forme du Gouvernement n'étoit pas aufli inauvaife que de petits ef-prits le di ent. On a fans doute beaucoup exagéré un événement qui s'il étoit arrivé comme on le décrit, eût encore été un événement très-imprévu. On veut que le Pharaon Necco, en faiiant creufer un foflé de com nmnication entre le Nil 8c le Golfe Arabique, per dit cent 8c vingr-milie hommes. D'abord il n'eft point croyable que cent 8c vingt-mille hommes ayent pu périr en travaillant à un foflé que Ptnu Tome II. jj h 1 to1^ inée Philadelphe fit faire dans un autre endroit, fans qu'il lui tn ait coûté un ouvrier. Voici ce qui a pu donner lieu à tous ces bruits populaires. Les Prêtres de l'Egypte défapprouvoient hautement le projet de faire communiquer la Mer Ronge avec le Nil : ilsavoient me me publié un oracle pour détourner le Pharaon Hecco de fon entreprife; car avant une conuoilfance bien exacte du local, ils fa-voient d'avance qu'un tel foflene ferviroit jamais à rien. Or, voila ce que l'événement?, prouvé; puif-que Ptolémée ne put.réulïir à établir un Port pour le Commerce des Indes ôc de la Côte d'Afrique , dans l'endroit où fon Canal fe dechargeoit dans le Golfe Arabique. 11 fallut établir ce Port beaucoup plus au Sud ; ce qui rendoit tous les travaux faits fur l'Iûhme de Suez, inutiles : car qu'il m e foit permis de dire que Strabon doit s'être bien trompé, s'il a cru qu'on pouvoit naviguer fur ce foflé avec de gros vaiffeaux très-chargés; puifque Cléopatre n'y put même faire paflër de petites galères, en un inf-tant de crife où il s'agiffoit de fa vie & de fon Empire. On avoit fait accroire de nos jours aux Turcs, que s'ils vouloient s'enrichir prodigieufement & tout à coup, il n'y avoit qu'à r'ouvrir l'ancienne communication entre le Nil & la Porte du Suez.. Mais l'homme, que la Porte envoya fur les lieux pour y examiner les chofes, déconfeilla cet abfubde projet au Sultan. En effet, fi un Prince tel que Ptolémée, qui avoit entre fes mains unebranchedu Commerce des Indes, ne put tirer aucun avantage fenlible de ce Canal, qu'en feroient les T urcs ? qui n'ont que fur les Egyptiens les Chinois. 7 ƒ douze ou treize mauvais vaifîéaux, qui ne fortent jamais du Golfe Arabique ; & qui viennent chercher les marchandifes des Indes à Gidd'àh , où les Européens en apportent annuellement pour quinze ou feize millions de livres. Quand on compte ce que les Turcs perdent parles naufrages en retournant de Gidda à Suez, alors on voir qu'ils feroient mieux d'aller débarquer leurs cargaisons à Bérénice ; & de prendre enfuite le chemin de terre, comme on lé faifoit fous les Ptolémées. Mais il y a actuellement dans la Thébaïde deux tribus de voleurs ou d'Arabes Bédouins, connus fous le nom de Beni-Wajjel & ÜArahdé, qui raçonneroient vraisemblablement les Caravanes. Comme les Turcs ont très-mal gouverné les pays qui leur font fournis, ils méritent qu'on les vole comme ils ont volé & opprimé les autres. Quant au fameux Lac Méris, on ne peut juger de fa véritable fituation qu'en jettant un coup d'œil fur la carte, qui accompagne ces Recherches; & où on le verra placé au Nord de la ville des Crocodiles, ou de ce qu'on nomme aujourd'hui la Province de Beium. Le Pere Sicard eft tombé dans une erreur fort grave, lorfqu'il a reculé le Méris trop au Sud, en le convertiflant en un long Canal, parallèle au lit du Nil, tk dont nous avons également indiqué la trace. C'eft avec furprife qu'on a vu M. d'Anville adopter cet arrangement inconnu à des Géographes tels que Strabon & Ptolémée, & inconnu encore à des Hiltoriens tels qu'Hérodote & Diodore, qui dit poiitivement que le Méris étoit à peu de diftance j& Recherches phtiojopliiqws de h ville des Crocodiles, (*) Et ce paffage qui contribue à en fixer la iituation, doit avoir échappé à M. d'Anville. (•*) D'un autre côté les habitants du pays affûtèrent à Hérodote que ce Lac communiquoit avec la Syrte d'Afrique par un conduit fouterrain, dirigé vers l'Occident, &c qui pafîoit derrière la montagne de Memphis. Or il n'y a pas d'autre grand dépôt d'eau en Egypte , qui eût pu avoir un conduit, qu'on fuppolbit palier derrière la montagne de Memphis, que le lac qu'on connoît aujourd'hui au Nord de la province de Fiium. Et on peut être certain que c'fftlà le véritable Méris, comme Strabon&z Ptolémée n'en ont point douté un infiant. Ainfi il y a une fiuffe indication dans la Carte de l'Egypte de M. d'Anville ; 8c cette erreur fe trouve reproduite dans fa grande Carte d'Afie ; parce qu'il l accordé trop de confiance aux Mémoires du Pere Sicard , qu'une mort prématurée avoit empêché de lire les Auteurs anciens avec affez. d'attention. 11 faut obferver que c'eft par une fuite de ces combinaifons mal liées entre elles, qu'on voit auffi paraître dans la Carte de M. d'Anville deux Labyrinthes en Egypte; quoique toute l'Antiquité n'en ait connu qu'un feul; oc c'eft vraiment ici qu'il ne falîoit pas multiplier les êtres fans néceffité. (*) Bibliot. Lib. II. (*) Ce Géographe veut prouver, dans fes Memoires fur VEgypte ancienne & moderne pag. 151 , qu'Hérodote & Diodore en parlant du lac Méris, ont pris la mefure de fur-face pour la niefiire de circuit : niais c'eft la une erreur où vin enfant de_ dix ans ne tomheroit> pas. Les Grecs n'éteient point fi imbéciles; mais iis «oient exügcrateurs. fur les Egyptiens 6? les Chinois. 77 Le Lac Méris a de nos jours onze lieues & demie de long, Se trois lieues dans fa plus grande largeur; ce qui forme un efpaceaflez étendu pour que ceux, qui ne le mefurent qu'à l'oeil, puiflent fe tromper confidérablement, félon la pofition où ils fe trouvent. Quand on le regarde d'Orient en Occident, il paroît plus grand qu'il ne l'efl : quand on le regarde du Sud au Nord, il paroît plus petit qu'il ne l'eft. Comme aucun Naturalifle n'a eu occalion de l'obferver, on ne fait point s'il s'eft formé par les eaux du Nil, qui s'y déchargent, ou li c'eft un veftige de la Mer Méditerranée, comme l'a cru le Géographe Strabon, qui peut avoir raifon en un certain fens : car je foupçonne que les Egyptiens ont creufé dans cet endroit pour déflécher la Province de Feinm ou le Nome Arlinoïte, qui paroît avoir été anciennement un marais tout comme le Delta. Quand ils eurent mis ce canton à fec, on y fit venir de l'eau douce, en ouvrant un Canal qui femble avoir eu fept rameaux ou feptembouchures, par lefquelles il fe déchargeoit dans le lac Méris, comme le Nil dans la Méditerranée. ( *) Après ces éclairciiïements, on conçoit que les Egyptiens ont pu foutenir que ce lac même étoit un ouvrage de leurs mains, ou un effet de leur in-dullrie. Et en faveur d'un travail fi mile on leur pardonne la fuperftition touchant le rapport qui devoit exifter entre le nombre des embouchures & le nombre des Planettes. mil*L Ij2,i/ep* em,1oucluires que doit avoir eu le Canal ou'on\emSf?e^aa-nSJe lac !l y en a c'^re fa sroStte1 quand le Nil fe ("borde'* D 3 Quant au conduit fouterrain, par lequel Hérodote dit que le Méris communiquoit avec la Syrte , nous n'en avons aucune connoilTance : mais comme ce Grec n'entendoit pas la langue Egyptienne 6c que les interprètes lui expliquotent peut-être mal les choies, il fe peut qu'il eft queftion d'une trace connue fous le nom de Fleuve fans eau, & que quelques Voyageurs ne regardent pas comme un ouvrage fait de main d'hommes. Ce que Jei Cartes Françoifes nomment le Bathen, & les Cartes Allemandes le Gara, eft le veftiged'un grand canal ou d'un ancien lit du Nil ; & c'eft cette lagune qui a induit le Pere Sicard en erreur. Les Architectes de l'Egypte étoient infiniment plus habiles lorfqu'il s'agifibit de conduire les eaux &c de creufer des fofles, que quand il falloit élever un bâtiment fuperbe &c régulier. Le grand Temple à'Héiiopolis, où l'un n'avoit épargné ni le travail, ni la dépenle, n'etoit néanmoins qu'une fabrique vraiment barbare, fans goût & fans élégance ; comme Strabonle dit de la manière la plus politive. 11 en eft de l'Architecture comme de la Peinture, de la Statuaire §é de la Mufique : jamais les Orientaux n'ont pu, malgré leurs efforts, porter cet Ait au dernier degré de fa perfection ; parce que leur efprit eft trop déréglé , ou ce qui eft la même choie, trop ennemi des règles. On fait que le Comte de Caylus a mis en fait que les Architectes de l'Egypte ignoroient la pratique de conftruire des voûtes ; ce que M. Goguet a voulu dé • montrer jufqu'à l'évidence en faifant graver tout exprès les eftampes qu'on peut voir dans fon livre fur l'origine des fciences & des Arts. Mais Corneille de Brayn , qui à la faveur de quelques flambeaux, étoit parvenu à delTmer une vue de l'obfcuregalerie de la grande Pyramide, a prétendu que cette galerie étoit voûtée. (*) Pline en dit tout autant de quel-qufsappartemeutsinférieurs du Labyrinthe : M. Thé-venot en dit encore tout autant de quelques caves à Momies. Et enfin M. Pocock a découvert un arc Egyptien dans la Province de Femm. Ainfi M. Go-guet & le Comte de Caylus ne paroiflent point avoir bien examiné toutes ces chofes. 11 fe peut que la difficulté de fe procurer le bois néceflaire pour les é-chaffaudages & les ceintres a empêché les Architectes de l'Egypte de voûter les grands Temples , ou bien cette manière de bâtir ne leur a pas paru aflez lolide fuivant leurs idées d'indeftruétibilité. La di-fette du bois eft, comme on fait, extrême dans cette contrée : or, en couchant des pierres plattes fur les têtes des colonnes, jls n'avoient befoin que de quelques échaffauds :. mais s'ils avoient voulu voûter ce prodigieux Temple de Thebes, ils auroient eu befoin d'une forêt. Les Egyptitus paroiflent être le premier de tous les peuples, qui ait cru qu'on pouvoit fortifier un pays comme on fortifie des citadelles : car il faut regarder le grand rempart de l'Egypte comme beaucoup plus ancien que le rempart de la Médie , dont nous indiquerons la pofition dans l'inftant. Séioftris, dont on fait fi mal à propos un Con- f ) Reircn door klein Jfîj. Fol. 195. Ce voyageur appelle le haut de cette galerie gewelf, terme dont il nefè leroit ïamais fervx, s'il n'eût été periuadé que c'écoit une une D ± quérant, tâcha de mettre un peu fon Royaume en état de défenfe en élevant une muraille, qui alloit par une ligne oblique depuis \\ ville du foleil "nuée hors du Delta, jufqu'à Pélufe, par un trajet de quinze-cents ftades de la petite mefure, & quicant évalués comme ils doivent l'être, font précisément trente lieues de 15CO toiles chacune. Ce prétendu Héros vouloit principalement empccherles Pafteur» de l'Arabe de rentrer en Egypte, d'où on les avoit chaffés; parce que leurs excès y étoient parvenus à un degré infoutenable; & ce qu'il y a de lingulier, c'eft que les Arabes bédouins, qui campent aujourd'hui infolemment fur les ruines d'Alexandrie, ont confervé parmi eux la tradition de cette longue muraille , laquelle renfermoit tous les défauts imaginables , car elle aboutifloit, comme on vient de le dire, à Pélufe. (*) Ainfi il ne s'agiflbit que de s'emparer de cette ville pour rendre inutiles tous les travaux de Séfoftris, qu'on laid oit à fa gauche ; & on re-montoit enluite le Nil fans obftacle, comme le fit Cambyft;, & comme le fit encore Alexandre. Ce grand mur de l'Egypte a difparu fans qu'on fâche comment ; mai? il y a de l'apparence qu'on le rafa lors de la conquête des Perfans; car il n'exiftoit déjà plus fous Artaxerxe hdnimtn , c'eft à dire en un temps où les Egyptiens, foutenus par les troupes auxiliaires de Lacédémone & d'Athene?, firent un (*) Diolor. Bibl. Lib. I. Cap. p. Il eût été plus courr pour bien fermer L'Egyp ? , de bâtir une muraille depuis l'é-ittfe jufqu'à la ville des Héros; Jk i'avois d'abord cru que le texte de Diodore avoit été altéré, & qu'il falloit y lire llcavyTTn^tr au lieu uHAMtfjriAir , nuis d'autres confi-àetations ne permettent point d'adopter cette leçon. fur les Egyptiens £s? Je s Chinois. Si dernier effort pour brifer leurs chaînes, qu'ils ne briferent point. Alors le Pharaon Neétanebe retrancha de nouveau par des murailles tout le bord du Nil le long du bras Pélufiaque ; & Chabrias,qui commandent fous lui les Grecs, couvrit une féconde fois les avenues de Pélufe d'un boulevard qu'on nommoit le Charax Chabrlm. (*) Mais il ne relie non plus de veflige de ces ouvrages que de ceux de Séfoftris : on ne les retrouve que dans l'Hiftoire & dans la Carte qu'on a dreffée, afin d'en donner au Lecteur une notion précife. Mr. de Maillet prétend qu'on découvre dans l'Heptanomide quelques pans d'une autre rempart confinait par les Egyptiens, & qui doit avoir eu plus de vingt-quatre pieds d epaifîeur; (**) mais l'exi-ftence en a été inconnue à tous les auteurs de l'Antiquité , & elle me paroît très-fufpeéte ; à moins qu'on n'ait voulu couvrir par ce retranchement ce qu'on nomme aujourd'hui la plaine de YAraba , & où il peut réellement y avoir eu des terres cultivées dans l'efpace qu'on a ponctué fur la Carte aux environs d'Alabaftrotipolis ; &c où l'on voit auffi une gorge entre des montagnes, qu'il impor-toit peut-être de boucher. Comme on a foutenu que cette idée de fermer fon pays par des murailles, met une grande conformité entre les Egyptiens & les Chinois, il faut démontrer ici que cette idée eft venue à toutes les anciennes nations policées, qui ont eu dans leur voifin2ge des Barbares ou des Nomades, qui ne Liï*\~Cor' Nep°S vit' Chabrix......Strabo Gtograph* {**) Dcfciiption âi FEgypte pag. 321, D S 8 2 Recherches pbilofophiqacs cultivant pas la terre , font le fléau de tous ceux qui la cultivent. Car la vie paftoraîe que des Hiito-riens, qui n'etoient point Philofophes, ont cru être le véritable état de l'innocence , excite tellement au brigandage, qu'il n'y a prefque pas de différence entre le terme de Nomade & le terme de Voleur; parce que dans cette vie pailorale le droit des gens pèche fingulierement. Un grand mur affez, bien imaginé fi l'on n'en confidére que la pofition , eft celui qui fermoit la vallée entre le Liban & 1'Anti-Liban pour arrêter les Arabes Scénites. Cet ouvrage avoit été prodi-gieufement fortifié; mais il n'exifloit déjà plus au temps de Pline , qui en parle comme d'un monument dont on confervoit feulement la mémoire , mais on peut en voir une defeription plus détaillée dans Diodore de Sicile. (*) On fera furpris que des Juifs ayent auffi entrepris de bâtir une muraille longue de cent & cinquante flades, & déployée depuis la ville de Jappé jufqu'à la ville d'Antipatris : (**) ce rampart fut comme tous les autres, d'abord renverfé; & les Juifs, qui pretendoient le défendre contre Antiochus , s'y laifferent battre de la manière la plus infame. En allant de Jappé toujours le long des Côtes de la Méditerranée, on rencontroit le grand Mur qui environnoit toute la Province de Pamphylie ck une partie de la Pifidie. Des Voyageurs faifant vers la fin du dix-feptiéme liecle , le trajet d'Anthalie à Smyrr.e , découvrirent les débris de cet immenfe (*) Plin. Lib. V. Cap. zo...... Diodor. Lib. XIV. Cap. ai. (**) Ufe'ph. Ant. Judai. Lib. XIU. Cap. 23. fur les Egyptiens & les Chinois. ,83 boulevard , (*) dont aucun Auteur ancien n'a parlé; tellement qu'on ne fait ni par qui, ni quand il a été confinait; mais il n'y a pas de doute qu'il n'ait été deftiné à défendre la Pamphilie contre les habitants de l'Ifaurie , qu'il a toujours été difficile d'accoutumer au repos : leurs montagnes étoient fort arides; & ils les cultivoient mal, aimant mieux entreprendre des courfes par-tout où il y avoit queL. que efpoir de pouvoir piller. On les appelloit les voleurs par excellence; parce qu'ils faifoient encore mieux ce métier que les Juifs & les Arabes; & pref-qu'aufïi bien que les Algériens font la piraterie. Les Romains les châtièrent plus d'une fois; mais ils redevinrent formidables fous le règne de Valens & fous celui de fes fuccefïeurs ; de forte que fans entrer dans plus de détails à cet égard, on peut regarder le rempart de la Pamphylie comme un ouvrage du Bas-Empire, & nous en indiquerons d'autres , qui remontent à la même époque. En paffant delà dans le centre de l'Aile, on trou-voit la grande Muraille de la Médie, allongée à peu près du Tigre à l'Euphrate. Xénophon , le feul Hiftorien qui ait parlé de cet ouvrage comme l'ayant vu, au moins dans fa partie Orientale, en fixe la longueur à vingt Parfangues , (+*) mefuré qu'on ne peut guère accorder avec celle de Lucius Ampélius. (***) Mais ce qu'il y a d'impardonnable (*) Spon Mifccll. erudit Antlquitat. Scclio. VI, in Folio. (**) Expedit. des Dix-mille. Liv. z. De Mirahilihus. Cap. IX. Les trente milles Romains cm Ampehus donne à la muraille de la Médie ne & fcï}J% Parftnp«. Ainli il faut corriger fon texte nlV MTK'''/' c'aif011t les m parfangues de Xé-nopnon a trente toifes près D 6 §4 Recherches phllofopJnqaes dans Ampélius, c'eft d'avoir placé ce rempart au nombre des Merveilles du monde : il étoit élevé, à la vérité, de cent pieds Grecs, & enavoit au moins vingt d'épailleur. Et malgré tout cela ce n'étoit pas une Merveille du Monde : comme on l'avoit cimenté avec du bitume , on pouvoit auffi par le moyeu du bitume l'entamer, en y appliquant des gâteaux allumés , pour calciner les endroits, qu'on le propofoit d'ouvrir. Artaxorxe, dans la vue de prévenir de tels accidents, avoit fait tirer en avant de larges foliés, dans lefquels le Tigre dérivoit ; tellement que pour protéger un ouvrage très-foi-ble, il en avoit entrepris un autre, qui n'étoit pas plus fort. On voit clairement que ces prodigieufes fortifications, dont il n'eft refté aucune ruine fur la face de la Terre, avoient été faites dans le deffein d'af-furer Babylone 8c la partie Méridionale de la Baby-lonie contre les invafions d'un peuple, qui habitoit les confins de l'Arménie, 8c de la Méfopotamie; 8c ce peuple ne peut jamais avoir été fort nombreux : car il occupoit des montagnes auffi ftériles que celles de l'Ilàurie, & je croi que les Satchlis, qu'on trouve vers le Senjar, en l'ont un relie. Comme c'étoit la folie des Grecs <5c des Romains d'attribuer à Sémiramis toutes les conftrudlions, qu'ils rcncontroient au-dela de l'Euphrate, ils n'ont pas manqué de lui attribuer auffi le Mur de la Médie. Mais fi cela étoit bien vrai, il s'enfuivroit que les AiTyriens, qui trembloient alors devant une petite nation fauvage, n'étoient point en état de faire trembler à leur tour l'Allé en la couvrant d'armées innombrables. Mais fouvenons-nous toujours, que fur les Egyptiens & les Chinois. Sf cette Hiftoire des A(Tyriens & de Sémirarais n'a pas été écrite par des Philofoph.es. Avant que de parvenir au Van-ly de la Chine, on trouvoit jadis à l'Orient de la Mer Cafpienne deux Murs, qui ont fait partie de la chaîne de retranchements, dont a environné prefque toute cette prodigieufe portion du Globe, que nous appelions la Tartarie , comme les Anciens l'appelloient la Scythie ; Se quoique cette dénomination foit fort impropre, il n'eft guère poffible d'en trouver une plus commode pour défigner une foule de nations prefque toutes Nomades & ambulantes. Parmi les déferts de l'Hyrcanie , qui font fablon-neux, il y a un canton privilégié d'un» extrême beauté, & qu'on connoît dans la Géographie fous le nom de Margiane : Alexandre en fut li charmé, qu'il refoiut d'y fonder une ville; mais ce projet qui n'eut pas li-i'u de fon vivant , fut repris par Antiochus fils de Séleucus Nicator,qui s'apperçut bien que toutes les terres, qu'on y défricheroit, fe-roient ravagées par les Scythes, fi on ne les arrêtoit d'une manière ou d'une autre : là-deffus il fe détermina à envelopper toute la Margiane d'une muraille de quinze-cents ftades , qu'on ne fauroit évaluer à moins de quarante-cinq lieues; &c'étoit, par conséquent, un ouvrage qui n'a point dû échapper à nos recherches. (*) Quand on fait que Cette ville fondée par Antiochus, a été depuis pillée, faccagée & brûlée plus d'une fois par les Tartares, alors il eft fuperflu d'obferver que ce boulevard de la Margiane rentre dans Ie cis de tous les autres par fon inutilité la plus complVtte. {*) Strabo Gcograph, lib. XI. ~ I Sous le quarante-deuxième degré de latitude Nord a exifté le grand Mur de Yllak, déployé depuis le mont ShabaUg jufqu'à l'extrémité de la vallée à'Als-hash, diftancequi peut être de vingt grandes lieues. Pour peu qu'on ait quelque notion du local, il eft aifé de voir que cet ouvrage avoit été entrepris contre les voleurs de Turkeflan, dans la vue d'allurer la ville de Toncat & fes environs , qui, lorfqu'ils étoient cultivés au quatorzième lîecle, formoient un grand jardin, entrecoupé de mille canaux. La Nature , dit Abulféda , n'eft nulle part au Monde plus belle que dans cet endroit tout couvert de ver-dureté fleurs & de fruits. (*) Mais le voiiinage des Tartares errants a dû diminuer beaucoup ces agréments de Toncat, dont les environs font prefque convertis aujourd'hui en un défert. Quelques autres villes confidérables de la Manar-al-ennar , comme Samarcand & Bochara; ont eu aufli d'im-menfes enceintes murées , qui enveloppoient tout leur territoire & tous leurs champs labourés à plu-fieurs lieues à la ronde : car c'eft principalement les champs labourés, qu'il importoit d'y préferver contre des peuples palleurs , qui croyent avoir le droit de fourager par-tout : ôc cette prétention eft fondée fur leurs maximes, fuivant lesquelles ils ne reconnoiliént pas la propriété qui réfulte de la pof-fefflon des terres. La chute d- l'Empire de Ta-merland, qui fe plaifolt beaucoup à Samarcand , a entraîné la deftruction rotai, ae ces belles Provinces fituces au-delà de l'Oxus ou du Gihon. Des (*) I.ocorum omnium qua D eus creavit, amotnijlîmus, dit le Traducteur a'Abultéda. Dcfcript. Chomf. & Alawaral-nahrx pas- JI« 8c qui ouvrirent bientôtzuttile Macron teichos, que les Turcs ne trouvèrent plus en venant affliger Conftantinople. Telle étoit déjà des le commencement du fixieme Siècle la fituation de cet Empire d'Orient, quipaf-fa, pour ainfi dire, par tous les degrés defoiblefie, téphorc Lib. XXXIX, Cap. 1-5. Tome LI. E t>8 Recherches philosophiques gc jamais un Etat ne fut plus régulièrement détruit. On y perdit d'abord lesfciences, enfuite les arts, enfuite 1a difeipline militaire, enfin tout ce qu'on appelle la force & tout ce qu'on appelle la puiiTance-Mais ce qui ne cefîa jamais dans ces temps malheureux ce furent les impôts énormes & les dilputesde religion, qui contribuèrent beaucoup à jetter toutes les parties du Gouvernement dans un défordre dont il n'y a pas d'exemple. En vain fouhaiteroit-on de pouvoir donner quelques éclairciffeinents fur un quatrième macronteichos y plus grand encore que celui d'Anaftafe, & dont on trouve des vetliges dans la Bulgarie , aux environs d'une ville connue fous le nom de Dryfîa. Tout ce qu'on peuten dire, c'eft que la conftruétion décelé l'ouvrage d'un Empereur Grec, qui oppoia. encore inutilement cette digue aux inondations des Barbares. Il ne faut pas s'étonner au refte que nous loyons aujourd'hui fi peu inftruits fur un monument caché dans une région prefque fauvage ; car nous n'en fa-vons pas davantage fur la muraille du Valais dont il exifte de grands reftes entre le Rhône & le Burg-berg : on ignore fi elle a été élevée à l'imitation du rempart que fit faire Céfar pour arrêter les SuifTes, qu'il n'arrêta cependant point, ou fi elle eft antérieure aux temps mêmes de Céfar; ce que je nefau-rois me perfuader. 11 règne aufli beaucoup de confufion dans tout ce qu'on a écrit touchant les ouvrages entrepris & exécutés par des Empereurs Romains dans la Grande-Bretagne; & les Auteurs mêmes de ce pays font difficiles à concilier ; mais on tâchera d'applanir toutes ces difficultés en quelques mots, Agricola, fur les Egyptiens les Chinois. s>P qui connoiffoit bien la Bretagne , étoit d'avis que pour s'y maintenir il falloit conferver le détroit entre la rivière de Clyd & le Firth of Forth. Cependant Hadrien, au lieu de choiîir ce terrain large feulement de 32 milles, en choifit un autre, large de 80, Se il faut obferver que fur les voies militaires de cette Ifle, le mille eft évalué à 420 pied* plus que fur les voies du Continent. Cela engagea alors les Romains à faire un ■valium ou un rempart de pieux & de gazons une fois plus long qu'il n'au-roit dû l'être. Ce rempart de l'Empereur Hadrien ne réfuta pas : l'Empereur Antonin Pie en fit faire un autre, qui fut encore bientôt renverfé : l'Empereur Sévère en fit faire un troifieme, qui fut encore renverfé. Enfin fous Valentinien III, Aé'tius fe mit dans l'efprit que tous ces ouvrages avoient péché par leur conftruélion, de forte qu'il fit élever en Angleterre une véritable muraille , épaiff'e, de vingt pieds ;mais ce qui prouve qu'Actius s'é-toit prodigieufement trompé, c'eft que fon rempart réfifta moins que les autres : car il n'étoit achevé que depuis cinq ans, lorfqu'on le força à Gramf-dyck, & enfuite on le força par-tour. Buchanan alfure que ce ne fut que de fon temps qu'on en retrouva les ruines, qui ont au moins fervi à quelque chofe , puisqu'elles ont fervi à bâtir des maifons. (*) On voit par ces faits & par d'autres circonstances qui y ont rapport, que c'eft au règne d'Hadrien qu'il faut faire remonter l'origine de la puifiance des. Barbares. La manière, dont on fe fortifioit contre E z jco Recherches pBifofophiques eux, leur apprit le fecret de leurs forces; car plus les Romains retranchèrent les limites de l'Empire, & plus la difeipline militaire dégéneroit parmi eux ; 8e je croi qu'elle a dégénéré dans tous les pays, qu'on a tâché de fermer par des murailles, fans même excepter la Chine. On ne fut pas en état, comme nous l'avons fait voir, de défendre un feul de tous les remparts de là Bretagne , qu'Agricola avoit fu tenir fous le joug par la feule difpofition de fes pofles Se de fes cantonnements. Aurefte,tout ceci n'eft pas comparable à ce que les Romains ont fait dans la Haute Allemagne, où ils avoient une efpece de Van-ly , rempli d'autant de défauts que celui de la Chine, & auffi difficile à défendre que celui de la Chine. Une Carte de la Germanie ancienne, dreffée par Mr. d'Anville, le fait commencer vis-à-vis d'Ober-Wefel , y représente de grands interftices, Se en affigne la principale- force dans l'endroit où étoient les travaux de Valentinien fur le Bas-Necker. Mais cet arrangement n'eft point tel qu'on puifïe l'adopter : car ii s'agit certainement d'une ligne non interrompue , 8c également fortifiée dans toute fon étendue. Mr. Hanfelmann , qui a très-bien décrit ce monument dans un Ouvrage Allemand , dit que la tradition confiante du pays en rapporte l'origine au règne d'Hadrien , 5c la continuation aux Empereurs fuivantî. En effet la dernière branche, qui alloit vers le Danube, y avoit été ajoutée par Probus; 5c les médailles de ce Prince, qu'on y a décou vertes, en font foi. {*) (*) Voye* Dxdcrlein Vorflcllr.n? des alten Rxmifchcn Valu tttld Landivikr,.111. Abùh. On peut conîuker auifi Ce rempart s'élevoit fur la rive du Rhin vis à-vis de Bingen , où les Romains ont eu dès le temps d'Augufte un camp retranché : dc-li il s'étendoit dans la Comté de Solms, où il formait un grand coude pour pouvoir fe replier fur le Mein. Enfuite il s'enfonçoit dans la forêt d'Otton ou l'Odenwald, traverfoit la Comté de Holach, touchoit au Nec-ker, s'élevoit delà jufqu'à Hall en Souabe, 8e ve-noit par Eicftadt Se"Weiffenbourg fe terminer à Pfeuning dans le territoire de Ratisbonne. De forte qu'il n'exiftoit point de paflage entre le Rhin 6c le Danube , toute cette imrhenfe éttndue de pays ayant été fermée par la même barrière : il paroît par les ruines qu'on en déterre, que des Citadelles entières y avoient été enclavées, 6c qu'on en avoit fortement muré toutes les Tours. La caufe des finuofités que décrivoit cet ouvrage nous eft bien connue : les Romains étoient alliés de la manière la plus étroite avec quelques Nations Tranfrhénanes, comme les Mattiaques, de façon qu'ils furent obligés d'envelopper aufli le territoire de ces alliés-là : mais quand même on eût conduit ce rempart par le chemin le plus court , 8c avec toute la régularité poffible, il n'en auroit point été pour cela plus propre à remplir l'objet qu'on fe propofoit, 8c qui étoit de contenir les Cattes, 8c toutes les peuplades Germaniques, qu'on nommoit ambulantes; c'eft-à-dire celles, qui n'ayant pas de patrie, en cherchoient toujours une dans le mon- l'Ouvrage de; M.Hanfelmann, dont le but eft de rechercher Allemagne om;uns om pénétré dans la Souabe & la Haute E 3 ioi Recherches philofophiques de entier, qui marchoient avec leurs troupeaux comme les Tartares 8c fe battoient comme eux , en paiîant avec une facilité étonnante de l'état de berger à l'état de foldat. Il y a eu dès la plus haute antiquité , dans la Germanie, de ces Hordes plus inquiètes que les autres, 8e qui erroient toujours ou qui fe tranfplantoient fouvent. Les peuplades Sédentaires ne trouvèrent d'abord contre ces affauts imprévus d'autre remède que de faire autour d'elles une vafte folitude : 8c cette méthode encore adoptée du temps de Jules-Céfar, eût à jamais en* tretenu la barbarie. Mais depuis , les Germains î'étant procuré de meilleurs inftruments de fer pour abattre le bois 8c creufer la terre , fe fortifièrent les uns contre les autres par des ouvrages qu'ils appelloient Landwehr, 8c dont ils paroiflent avoir pris l'idée dans la Gaule où on en découvre les premières traces, quoiqu'en général ce foit là la pratique de toutes les nations qui veulent quitter la vie fauvage ou la vie paftorale , pour entreprendre de cultiver régulièrement la terre dans des contrées où leurs voifins ne la cultivent pas encore. 11 fuffira ici d'avoir indiqué un rempart ou un valium Romanum , allongé depuis Vid'm jufqu'au petit Waradht, 8c quelques autres ouvrages dans le même goût , mais conftruits par les Goths : car de tous les Barbares, qui parurent alors , les Goths inclinoient le plus à fe policer. Ce qui dans le Nord de l'Europe mérite quelque confidération , c'eft le Danewerk élevé par les Normans, lorsqu'ils commencèrent à fe faire connoître fous le nom de Danois. Pour n'être pas inquiétés dans la Juthie par les Saxons, ils tâchèrent de la fermer en la cou- fur les Egyptiens les Chinois, i o g vrani d'une terra fie conduite jufqu'aubordde la Mer Baltque, & c'eft fur cette digue même que Wal-dennr le Grand fit depuis bâtir une muraille , qui eft moins ruinée de nos jours que l'on auroit dû s'y attendrf. Telb eft l'hiftoire des plus grands & des plus inutiles ovvrages, que les hommes ayent élevés fur la furfaë de l'ancien Continent. Fin de la féconde Partie* IL 4 \ \ .RECHERCHES PHILOSOPHIQUES SUR. LES E GYPTIENS E T LES CHINOIS. TROISIEME PARTIE. SECTION VII. De la Religion des Egyptiens. TiA Religion de l'ancienne Egypte efl véritablement un abyme, qu'on a vu engloutir plus d'une fois ceux, qui ont prétendu en fonder la profondeur. Il ne faut pas entreprendre d'expliquer par un feul fyftême mille fuperftitions différentes, dont quelques-unes fout même inexplicables dans tous les fyflêmes. Van Dale a pu croire que les animaux facrés avoient été inftitués en Egypte pour y rendre dey oracles : cependant , fi on en excepte un paffage affez obfcur d'Elien par rapport aux Crocodiles, û eft certain que nous ne connoifïons pofitivement que les oracles rendus fur toutes fortes de fujets par le Bœuf Apis, dont la premièreinftitution paroîï avoir été uniquement relative au débordement du Nil, que , par une inquiétude finguliere, les Egyptiens ont toujours voulu Ôc veulent encore aujourd'hui connoître d'avance; quoique cela foit humainement impoffible , ôc les animaux n'en fa vent pas plus là-deffus que les hommes. Car que les Crocodiles dépofent conftamment leurs œufs dans des endroits où l'inondation ne peut atteindre, c'eft une opinion populaire, qui paroît avoir été en vogue dans quelques villes fituées fur des canaux du NiL Les NaturaMes croyent-que l'Hippopotame donna ' i o 8 Recherches. phihfipkiques à cet égard des indications plus certaines;, puifquc les gens du pays doivent avoir obfervé que, quand il fort fréquemment du fleuve , cela annonce que les eaux parviendront à la hauteur requife pour ar-rofer toutes les terres : mais les Coptes n'employent de nos jours aucun animal dans la cérémonie par jaquelle ils prennent les pronoflics fur l'état futur du débordement; tk. cependant cette cérémonie, pendant laquelle les Turcs mêmes affilient à h Melfe , eft de l'aveu de tous les voyageurs auftî fu-perftirieufe que les moyens qu'on avoit jadis imaginés pour interrogtr le bœuf Apis , auquel on orfroit a manger ; 5c quand il ne mangeoit pas, l'augure n'étoit pas moins funefte que celui des poulets facrés, que les Romains confultoient fur les grandes affaires d'Etat, comme ils confultoient les Corneilles fur les petites. Si Juvenal eût eu alfez de jugement pour bien réfléchir à tout ceci , il n'auroit jamais écrit fa Satire contre les Egyptiens. Car qu'on interroge fur l'avenir un Poulet ou un Veau, cela revient tellement au même, qu'il eft impoflible d'y découvrir la moindre différence. Il paroît, par tout ce que j'ai recueilli dans cette feétion, touchant le culte des Scarabées, qu'ils fer-voient également aux augures; 8c il faut bien croire que des infeétes de celte efpece n'étoient pas moins inftruits des événements futurs que les prê-trefîes de Delphes, lont Platon ne parle jamais qu'avec le plus profond refpeft ; parce qu'il étoit convaincu qu'un peuple civilifé ne fauroit avoir une Religion raifonnable, 8c ce fentiment Temble avoir été répandu parmi tous les Légiilateurs de l'Antiquité. On verra dans l'inftant, qu'une opinion fur Tes Egyptiens les Chinois. iop fi hune & fi bizarre n'a été fondée que fur le prétendu danger que ces Légiflateurs trouvoient à faire des innovations dansles pratiques religieufes, qui leur venoient des Sauvages ou des premiers habitants de la contrée, que Platon nomme les indigènes. Quant aux Egyptiens, la plupart de leurs pratiques religieufes venoient des Sauvages de l'Ethiopie , comme Diodore le dit de la manière la plus pofitive, & c'eft là un fait, dont on ne peut point même raisonnablement douter. Cependant il n'eft tombé jufqu'à préfent dans l'eiprit de perfonne de chercher en Ethiopie l'origine d'un culte qui venoit réellement des Ethiopiens. M.Jablonski eût été fort capable d'entreprendre à ce fujet des recherches, dont le réi'ulrat auroit été plus fatisfaifant que les conjectures, auxquelles il s'eft livré, ck que les contradictions qu'il n'a pu éviter. A l'article du Phtha il dépeint les Egyptiens comme des Athées , dont le fyftcme refièmbloit tellement à celui de Spinofa qu'il n'eft pas pofiible , dit-il, de s'y tromper, pour peu qu'on ait de pénétration. A l'article du Cneph ou du Cnuphis il change , comme par preftige, ces mêmes Egyptiens en des Déiftes, qui admettaient un Etre intelligent, dif-tincl de la matière , & Souverain de la Nature, M. Jablonski , qui ne manquoit ni d'efprit , ni fur-tcut d'érudition , eût fûrement raifonné d'une manière plus conféquente , s'il n'avoit pas entretenu une liaifon fi étroite avec la Croze, qui de l'aveu même de celui qui a compofé fon éloge , P étoit fur la fin de fes jours qu'un vifionnaire- , HO Recherches philofophiques auquel il ne reftoit aucune apparence du peu de jugement avec lequel il étoit né. Cet homme, qu'on fait avoir été Moine dans i'a jeuneiTe , fe flattoit d'avoir une merveilleufe pénétration pour découvrir par-tout l'Athéifme, 8e même dans de pitoyables vers Latins, compofés par un fou, nommé Jordan le Brun, qui fut brûlé vif par quelques fcé-lérats d'Italie. C'eft une fureur , ou pour fe fervir d'un terme moins dur , c'eft une imbécillité d'accufer d'Athéif-rae des nations entières, qui n'ont peut-être jamais produit que quelques mauvais Métaphyficiens, qui à force de fubtilités s'étoient perdus dans un nuage d'idées, Se qui enfin ont dit des chofes obfcures ou abfurdes, dans lefquelles on reconnoît plutôt des raifonneurs impertinents que des Athées, qui fe feroient appliqués de bonne foi 8c méthodique- • ment à réfoudre toutes les objections qu'on peut leur faire : car ceux, qui foutiennent des fyftêmes fans connoître les objections qu'on peut leur faire, font des infenfés, qui feroient beaucoup mieux de fe contenir dans les bornes du doute. Il feroit à fouhaiter,je l'avoue, que nous eaf-fions plus d'éclairciiîements fur les Ethiopiens qu'on n'en trouve dans les Hiftoriens 6c les Géographes de l'Antiquité.Cependant le peu de notions, qu'on a recueillies fur ce peuple , fufrit pour expliquer plufieurs difficultés, 8c pour rendre les ténèbre3 moins épaifles. D'abord nous voyons que les Ethiopiens ont toujours entretenu par rapport aux affaires de la Religion un commerce très-étroit avec les Egyp-$ens : il» Yenoient même une fo* par an cher- fur les Egyptiens & les Chinois. i 11 cher la châffe de Jupiter Amrnon à Thebes, & la portaient vers les limites de l'Ethiopie où l'ori célebroit une fête, qui a fûrement donné lieu à la tradition finguliere de l'Hélïotrapcze ou de la Table du Soleil où les Dieux venoient manger. Quand Homère .aiîure dans l'Iliade, (*) que Jupiter alloit de temps en temps en Ethiopie pour y affilier à un grand feftin, cela prouve bien que ce Poë'te avoit ouï parler vaguement de la proceffion qui partoit tous les ans de Thebes ou de la grande Diofpolis, où l'on portoit réellement la Itatue de Jupiter vers l'Ethiopie, comme on le fait par Dio-dore & par Euflathe. ['**] Au refte, c'eft reculer la Table dit Soleil trop vers le Sud, que de la placer dans le Méroé, comme a fait Hérodote , ou au-delà comme a fait Solin» Car on dit que cette proceffion n'employoit que douze jours pour aller & pour revenir en fuivant un chemin différent de celui qui côtoyoit le Nil à l'Orient. On ne peut en fix jours aller par quelque chemin que ce foit de Thebes dans le Méroé , où il exiftoit d'ailleurs auffi un Temple de Jupiter Ammon ; (***) & ce fait contribue encore à prouver que la Religion des Ethiopiens & des Egyptiens n'étoit dans fon origine qu'un feul & même culte; mais qui efîuya, chez le dernier de ces peuples , quelques changements en un long laps de fie-cles. La plus importante de ces ' révolutions eft celle qui concerne l'immolation des viétimes hu- n Lib. i. (**) Diod. Lib. J!.......Eujîat. in lliai, mgg, 32S; {***) Pliu, Lib. YL tap. XXIX, 111 Recherches çfoîofophiques naines; Héliodore, qui étoit un grand admirateur des Ethiopiens, avoue néanmoins qu'ils facrifioient des garçons au Soleil, & des filles à la Lune; (*) ce que la colonie qu'ils envoyèrent en Egypte ne manqua pas d'imiter, en tuant des étrangers ou des hommes roux fur les tombeaux d'Ofiris , ou des pierres confacrées au Soleil, & en égorgeant vraiiémblablement des femmes à l'honneur de la Lune, dans une bourgade que les Grecs ont nommée la ville d'Ilithyie , bc dont on retrouve des vertiges fur la rive droite du Nil, dans un endroit appelle el-Kab, qui n'eft véritablement éloigné des limites de l'Ethiopie que de 24 lieues. Ces atrocités, qu'on n'emprunta pas des Arabes Pafteurs, comme M. Jablonski fe l'eft fauflément perfuadé, furent abolies fous le règne du Pharaon Amolis : tandis que le fameux aéte pour brûler vifs tous les hérétiques n'a été aboli en Angleterre que fous le règne de Charles fécond. Depuis Amolis, on ne trouve plus-aucune trace de quelque crime Semblable dans l'Hiftoire de l'Egypte; mais bien dans celle de l'Ethiopie , où l'on ne put parvenir fitôt à réformer la Religion ; parce que les loix civiles n'y avoient pas tant de force fur un peuple qui fe difperfoit aifément, foit pour aller à la charte , foit pour aller avec fes troupeaux chercher des pâturages dans un pays où ils font rares» (*) Aîthiop. Lib. X. Héüodore dit que les Ethiopiens ne facrinoient que des étrangers qu'ils avoient fait pnfon-niers à la guerre ; 8c quoique les Gymnofophifies réprouvaient ces facrihees, le peuple y perfiftoit malgré eux. Les Grecs fe font imaginé que les Egyptiens inimoloient des hommes roux dans la ville d'Ilithyie ou de Diane ; mais il eft beaucoup plus probable, dis-'ie_, qu'ils y inimoloient des femmes. fur les Egyptiens ö* les Chinois. 115 Les premiers Gymnofophiftes de l'Ethiopie ne :paroiiïent avoir été que des Prêtres errants, qu'on peut comparer à ces hommes qu'on rencontre aujourd'hui en Afrique fous le nom de Mar ah ut, mot, qui étant traduit littéralement, lignifie enfant du rofeau ardent : foit parce que ces Charlatans brû-]mt quelquefois leurs victimes avec des rofeaux, foit parce qu'ils fe vantent de favoir cracher du feu ; ce qu'ils font en tenant des étoupes allumées fous leur robe, comme on en vit un exemple en 1731 ; îmis ce tour eft fi grolïïer qu'il n'y a que des Nègres, qui y puiiîent être trompés. On conçoit que, quand un peuple n'a encore que des facrificateurs ambulants, il doit néceffairement s'introduire chez lui des fuperftitions très-variées, & qui foüvent fe contredifent les unes les autres ; parce que les opinions ne font pas réduites en un corps de doctrine, Se chaque Jongleur tâche de faire valoir les fiennes. Le Comte de Boulainvilliers dit que c'eft principalement parmi une nation commeles ArabesPafteurs, que l'idée d'un Dieu Créateur a dû fe confer ver longtemps dans toute fa pureté. (*) Mais le Comte de Boulainvilliers ne connoiflbit pas du tout les anciens Arabes, fur lefquels Sales nous a procuré des éclair-ci ffements, qui démontrent que les notions de la Divinité étoient extrêmement altérées parmi eux > & cela arrive chez tous les peuples errants où chaque tribu &même chaque famille multiplie le nombre des Fétiches & des Manitoux, dont les animaux facrés de l'Egypte & de la Grèce font des relies : caron pourroit prouver, fi la chofe en valoit la (*) Vie de Mahomet, pag. 147. 114 Recherches phihjophîqnes peine, que les anciens Grecs ont aufli été fingu-liérement attachés au culte des bêtes, & j'ai compté jufqu'à douze ou treize efpeces di-fferentes qu'ils révéraient , fans y comprendre la Belette de la Boétie. Il eft bien certain que l'efpritdeî Gymnofophiftes ne commença à fe développer que quand ils furent réunis en un corps fédentaire, ou un college, qui avoit fes principales habitations dans la péninfuledu Méroé : alors ils s'appliquèrent à l'étude, & mirent quelque ordre dans les Hiéroglyphes Ethiopiques, fur lefquels le Philofophe Démocrite avoit écrit un Traité particulier, qui, par les plus grands malheurs, s'eft entièrement perdu. (*) Je fuisaufli éloigné qu'on peut l'être, d'ajouter la moindre foi à des éloges aufli outrés que k font ceux que le Romancier Philoftrate prodigue aux Gymnofophiftes : (**) mais malgré cela il eft poflible qu'en travaillant à rédiger leurs Hiéroglyphes, ils ont inventé l'Alphabet fyllabique, dont on fe fert encore de nos jours dans la Nubie Se l'Abyfiinle, & où il n'a fûrement pas été apporté d'ailleurs. {***) Cette découverte étoit d'autant plus intéreflante que fans cela on n'eût pu parvenir à l'invention de l'Alphabet littéral , qui paroît être due aux Egyptiens ; & c'eft une véritable folie de la part de {*] Apud La'crtium. Lib. IX. (**) In rit. Apollon. Lib. VI. Cap. 6. Héliodore obferve, Lib. IV, que les Ethiopiens avoient deux caractères différents : le premier conlifoit en Héruglyphes , fur lefquels ceux de l'Egypte ont été copiés ; le fécond étoit, comme nous le fuppofons, un Alphabet fyllabique. fur les Egyptiens Î3 les Chinois. 11 y Platon d'aceufer les Prêtres de l'Egypte d'avoir fait un tort irréparable aux feiences en inventant Pé-criture ; ce qui, fuivant lui, a prodigieufement affaibli , dans l'homme , la faculté mémorative, & Jules-Céfar femble avoir voulu appuyer ce préjuge en parlant des Druides, qui n'apprirent jamais par cœur que des abfurdités. Quoiqu'on rencontre dans Diodore & dans Stra-bon quelques pafîages relatifs aux opinions,qu'avoient les Gymnofophiftes touchant la Divinité, il faut convenir qu'il régne beaucoup d'obfcuritédans cespafîa-ges-là , qui ne paroi (Tent être fondés que fur des rapports de quelques marchands Grecs, qui versie temps de Ptolémée Philadelphe commencèrent à pénétrer fort avant dans le cœur de l'Afrique. Tout ce qu'on peut dire avec certitude, c'eft qu'ils recon-noillbierul'exiftenced'un Dieu Créateur, incompréhensible par fa nature; mais fenfible dans fes ouvrages , qui leur paroiiToient tous également animés par fon efprit. De cette doétrine découla le culte fymbolique, qui eft comme approprié au génie des Africains, dont l'imagination ardente devoit être fixée par des objets fenfibles ou des Fétiches, & dont l'inquiétude fur l'avenir devoit être calmée d'une façon ou d'une autre par les augures, qu'ils tiroient de ces Fétiches mêmes. Chez les Grecs & les Romains l'ufage de conful-ter à chaque inftant les Oracles n'étoit qu'une mau-Yaife habitude; mais chez les Africains ce femble être un befoin phyfique, qui tient aux climats chauds, où l'eiprit du petit peuple eft extrêmement foi-ble & impatient. On a pu remarquer en Europe même, que les femmes font bien plus avides de con- ii6 Recherches pbilofophiques noitre l'avenir que les hommes: tandis que le Philo-fophe, qui fe repofe fur la propre prudence, ne s'm-quiete pas du tout des événements futurs: il corrige la fortune, ou la fupporte. Il y a des raifons très-naturelles qui nous expliquent pourquoi les Oracles ont cefTé dans quelques endroits de l'ancienne Europe &c de l'Alie; mais ils ne ceffentpas, &ne ceiferont jamais en Afrique:on en connoît aujourd'hui deux à la côte Occidentale, qui font aufli fameux qu'a pu l'être celui dè^Delphes. C'eit par une ignorance prefqu'impardonnable de l'Hiftoire moderne que Van Dale 5c Fontendle accordèrent à leurs propres adverfaires que les Oracles fe font réellement tûs : ce qui eft une faufTeté démontrée par les Relations de quelques Voyageurs, qui vivent encore furtout par ce-le de Rcerner. Quand Pline tk Solin difent que des peuplades Ethiopiennes avoient élu pour leur Roi un Chien, cela ne fignifie tk ne peut f.gniùcr autre chofe , fi-non qu'elles rendoient un culte à cet animal, comme on en a vu enfuite tant d'exemples chez les Egyptiens leurs dépendants. Les Anciens connoif-foient mieux que nous l'intérieur de l'Afrique ; mais en revanche nous en connoiflons mieux qu'eux les côtes , où l'on n'a gueres trouvé de nations qui ne révérafient les Serpents. Celui, qui eft révéré parmi les Nègres du Royaume de Jndl;ac , ne paroît avoir aucune qualité malfailànte , tk il paffe même pour dévorer de petites couleuvres noirâtres qui font venimeufes : mais chez d'autres Nègres on a converti en Fétiches de véritables Vipères , dont la piquure entraîne prefque toujours la mort. fur les Egyptiens les Chinois. 117 En général le culte rendu aux Serpents eft fondé fur la crainte que les hommes ont naturellement pour ces reptiles : ils ont tâché de calmer ceux qui ont du venin en leur offrant des facrificcs ; 8c ceux , qui font fans venin , leur ont paru-mériter une diftinétion particuliere , comme fi un génie ami de l'humanité eût eu foin de les défarmer en leur laiiïant leur forme ; & c'eft principalement de cette efpece qu'on s'eft fervi pour en tirer des pro-noftics : on auguvoit bien des Serpents Iliaques, lorfqu'ils goûtoient l'offrande , & fe traînoient lentement autour de l'autel. Mais il faut obferver que quelques-uns de ces animaux s'attachent, comme le Chien , aux peifonnes qui les nourriflent & on leur enfcigne différents tours qu'ils n'oublient jamais ; de forte qu'on peut dire avec quelque certitude que les Serpents Iliaques avoient été dreffés , 8c obéifioient à la voix ou aux geftes des Miniftres. C'eft par une Couleuvre , qui n'étoit pas veni-meufe , qu'on repréfentoit le Cneph ou la Bonté divine , comme on repréfentoit la force 8c la puif-fance par une Vipère , dont les Prêtres de l'Ethiopie portoient, ainli que ceux de l'Egypte, la figure entortillée autour de leurs bonnets de cérémonie ; 8e nous avons déjà eû occafion de faire obferver au Lecteur, que le diadème des Pharaons étoit auffi orné de cet emblème. (*) Ce n'eft pas feulement dans quelques villes parti- (*) Sacerdotes Mthiopum & J£qyptiorutn gtrunt pihe* Qbloœoi m vçnicc nmbilicum habentcs, & ferpcntibus quos A)Mes appellant, circumvolutos, DiocL Lib. MI. • 118 Recherches pkilofiphiquts culieres de la Thébaïde 8c du Delta , qu'on ren-doit un culte aux Serpents ; car Elien allure qu'on en nouirifl'oit dans tous les temples de l'Egypte en général : ( * ) ce que je fuis très-porté à croire ; puifque c'eft là une des plus anciennes Se peut-être la première fuperftition des habitants de l'Afrique , où l'on alloit chercher les plus groflés Couleuvres qu'on pût trouver pour les mettre dans les temples de Sérapjs , 8c on en a vu que des Ethiopiens avoient apportés à Alexandrie , qui étoient longs de vingt-cinq à vingt-fix pieds ; quoiqu'on en con-noille maintenant dans le Sénégal , qui ont plus du double de cette dimenfion. On ne fauroit , faute de mémoites , entrer dans plus de détails fur la doctrine particuliere du college des Gymnofophiftes du Méroé , qui finit delà manière la plus funefte , pour s'être conftamment op-pofé aux progrès du Defpotifme , cette ancienne maladie des Souverains , dont quelques-uns font comme les infenfés qui défirent ce qu'ils ne con-noifient pas. On dit qu'un Tyran nommé Erga-mene , qui doit avoir été contemporain de Ptolémée Philadelphe , 6c Grec d'origine , fit mafla-crer en un jour tous les Gymnofophiftes ;Tce qui jetta cette partie de l'Ethiopie dans une défolation dont elle ne s'eft plus relevée : on voit feulement les ruines d'Axum , de Pfelches , de Napatha , & on a prétendu il y a quelques années , que cet endroit, qui étoit déjà dévafté du temps de Pline, avoit été choili par les Juifs pour y former un Etat indépendant de la domination des Turcs 8c (*) Di Nat. Animal, lib. X. Cap. 31. fur les Egyptiens & les Chinois, i rp ■des Ahyffins ; mais cette nouvelle ne s'eft point confirmée , tk nous regardons les Juifs comme in_ capables non feulement d'exécuter de tels projets-, mais même d'y penfer : car ils ne connoilfent d'autre HéroïiVne que l'ufure. Au refte, il eft croyable que les Philofophes de l'Ethiopie enveloppoient leurs connoilfances fous des allégories, tout comme ceux de l'Egypte. Et là-deflus doit être fondée la fable qu'on trouve dans Plutarque, au fujet de quelques villes &rde quelques villages iitués aux environs de l'ifle Eléphantw ne, que le Pharaon Amafis avoit promis de ceder au Roi d'Ethiopie, s'il pouvoit faire réfoudre par fes Gymnofophiftes les énigmes qu'on leur propo-feroit; & les Ethiopiens hazarderent aufli , dit-il, aux mêmes conditions quelques-unes de leurs bourgades. Mais quoiqu'on hfe des contes allez fembla-bles dans l'exagérateur Jofephe, tk dans la vie d'E-fope, compofée par un fou, nommé Planude, ilne faut pas croire que les Souverains de l'antiquité fe foient joués ainfî de leurs Etats, ni furtout en Egypte , pays trop petit pour être démembré au fujet d'une énigme bien expliquée , & cela par d'aufii bons voiiins que l'ctoient les Ethiopiens, qui ne firent jamais des canaux pour détourner ou pour fai-gner le Nil, ce qu'on ne croit pas être absolument impoflible; mais j'en parlerai plus au long dans la Seétion qui concerne le Gouvernement. Après tout ce qu'on vient de dire il feroit inutile de réfuter cent fyftêmes propofés depuis lfocrate jufqu'à nos jours fur l'origine du culte des animaux; puifqu'on voit clairement que les Egyptiens n'en étoient pas les inventeurs; mais qu'ils l'avoient ap- 123 Recherches philofoplaques porté avec eux de l'Ethiopie, où il paroît avoir commencé ; comme on l'a obfervé, par les ferpents tk ce petit bœuf qu'on croit être le Bubalot des Naturalises : cet animal, qui eft comme le nain de de Ion efpece, porte des cornes qui imitent .celles de la Lune, tk l'efpric des Africains a ibuve-nt cté frappé par des fimilitudes beaucoup moins fenfibles* Au refte la colonie, qui vint prendre pofleffion de la vallée du Bas-Nil, loin de renoncer à ces pratiques fuperftitieufes, s'y attacha de plus en plus opiniâtrement , dès qu'elle eût remarqué que de certains animaux , comme les chats, les belettes, les ichneumons,les éperviers, les vautours, les chouettes, les cicognes tk les ibis, font d'une utilité fi décidée qu'il eft néceffaire de les mettre fous la protection particuliere des loix , dans un pays , qui fans eux ne feroit pas abfolument habitable. Les Turcs, qui ne croyent point être idolâtres, ne permettent à qui que ce foit de tuer des ibis, que les Grecs ôc les Romains épargnèrent tout de même. De quelque religion que puiflent être ceux, qui dans h fuite des fiecles envahiront cette contrée, on les verra toujours refpeéter des animaux , qui ont étéfurnom-més avec raifon les purificateurs de l'Egypte. • Mais ce qui a toujours paru inconcevable aux Anciens tk aux Modernes •, c'eft le culte que quelques villes rendoient aux Crocodiles. Cicéron eft le feul qui ait cru que l'utilité, qu'on retiroit de ces lézards, avoit porté de certains Egyptiens à les révérer: (*) mais fi ( ) Voffimâc Ichnejimonum utilitate, de Croeodilorum , dt Felium dicere ; Jed nolo cjfc longus. Cicero ce . Nat. Dêo-Tum. Lib, I.' L pp. 36. fur les Egyptiens 6? les Chinois. iz\ mais il eût été extrêmement embarraiTé de nous expliquer en quoi confîftoit réellement cet avantage, que des Naturaliftes bien plus habiles dans l'hiftoire des animaux, que ne l'étcit Cicéron , n'ont jamais pu entrevoir. Ce ne fut qu'en 1770, lorfque je m'appliquai plus particulièrement à connoître la Topographie de l'Egypte, que je découvris que les trois principales villes , qui ont nourri des Crocodiles , comme Coptos, Arfinoé & Crocodilopolis féconde , étoient fituées fort -loin du Nil fur des canaux dans lefquels ce fleuve dérive. Ainfi pour peu qu'on eût eu la négligence de Iaiffer boucher les foliés, ces animaux qui ne marchent pas fort avant dans les terres , n'auroient pu venir ni à Crocodilopolis féconde, ni à Arfinoé, ni à Coptos, où on les regardoit comme le fymbole de l'eau propre à boire , & propre à féconder les campagnes, ainfi qu'on le fait par Elien, & fur-tout par un paflage d'Eufebe. (*) Le Gouvernement pouvoit être bien affuré qu'aufïï longtemps que ce culte feroit en vogue, les fuperftitieux ne manqueraient pas d'entretenir les canaux avec la dernière exactitude. D'un autre côté on fe repofoit fur les Oxyrinchites pour l'entretien du grand canal connu aujourd'hui fous le nom de Kalitz il Menhi, fans quoi le poiflbn, qu'ils révéraient fous le nom à'Oxynnchits n'eue pu arriver chez eux. (*) fer hominum Crocodilo impofitam navem ingrédient ton; navemque fîgnijicarc motum in humido , Crocodilumve-ro aquam potui aptam. Eufeb, Prspar. Evan. Lib. IJL Cap. XI. Tome II F Il efi; vrai qu'on connoît encore deux autres villes qui nourriiïbient des Crocodiles, comme Crocodilopolis troifieme & Ombos. Quand il s'agit de fixer la pofition incertaine d'Ombos , M. d'Anville héfite ; mais il faut la mettre plus avant dans les terres vers le pied de la Côte Arabique : car nous lavons que les habitants de cette ville avoient creufé de grands foiî*és pour arrofer leurs campagnes, & c'eft dans ces foiTés-mômes qu'ils donnoient à manger à leurs lézards. (*) Après tout cela on conçoit pourquoi ceux, qui habitoient le Nome Arfinoïce ou la Province de Feïum, firent voir à Strabon un Crocodile, qu'ils nommoient le Suchii ou le Jufte, & qu'ils ornoient de braflfelets & d'oreillettes d'or : car eu égard ■à leur fituation , cet animal étoit pour eux l'emblème , non pas du Typhon comme on l'a dit ; .mais de l'eau amenée par des dérivations, dont toute l'exiftence de cette Province dépend; puif-qu'il ne feroit pas poffible d'y vivre pendant fix mois, fi on laiflbit boucher les canaux du côté çYillahon. Et on peut croire que les Arfinoïtes tiroient de leurs Crocodiles facrés de certains augures fur l'état futur du débordement du Nil , auquel Us s'intéreffoient encore plus vivement que les villes fituées au bord de ce fleuve. Nous avons déjà tenté d'expliquer, dans un autre endroit de cet Ouvrage, quel peut avoir (*) Etian. de Nat. Animal. Lib. X.Cap. n. Quant à la fituation de Crocodilopolis troifieme on ne la connoît point ; mais 4e cas des autres villes , qui ont porté de tels noms, prouve qu'il ne faut pas la placer au bord du Nil. fur les Egyptiens & les Chinois. 123 été l'objet du culte rendu à l'oignon marin par les Pélufiotes & les habitants de Cafium , dont quelques-uns étoient atteints d'une maladie du genre de la Tympanite, & d'un tranfport au cerveau, ou de la Tythomanie, terme qui défigne une in-difpofition Egyptienne ; & il eft étonnant que Saint Jérôme ne fe foit pas apperçu que ce gonflement des inteftins , dont il parle lui môme , étoit précifément l'origine du mal qui tourmen-toit ces miférables, qu'il tâche de tourner en ridicule par des expreflîons que nous ne nous permettrons point de traduire en François. (*) Mais on ne voit pas qu'il y ait quelque ombre de ridicule dans une difpofition naturelle, occa-iïonnée par les brouillards du Lac Sirbon, qu'on a dit être auffi pernicieux que ceux du Lac Af-phaltite ou de la Mer Morte, & furtout pendant les grandes chaleurs de l'été. M. Pococke , qui alla voir cette Mer Morte au mois d'Avril, fe trouva quelques jours après attaqué d'une foi-blefïe d'eftomac, & de vertiges, que les gens du pays attribuèrent au pouvoir des vapeurs, contre lefquelles il ne s'étoit pas affez précautionné. Car quand les Arabes paiTent feulement aux environs de cette immenfe cloaque, dont l'eau fupporte le corps de ceux qui s'y plongent, ils fe couvrent la bouche, & ne refpirent que par les narines. Parmi les fuperflitions Egyptiennes il y en a quelques unes dont on ne découvre d'abord nj la (*) Tactam de formidolofo & horribili Cepc, & crtpirti vtr.trïs inflati qui ~P.dufi.aca RcHrîo cfi. In Ifai. Lib, XJJ. Cap. XXXXVI. * F z ï 24 Recherches pbihfophiques caufe prochaine , ni la caufe éloignée. Telle eft , par exemple, la dévotion envers les Mufaraignes, qu'on révéroit dans la ville à'Athribis ,& qu'après leur mort on embaumoit pour les porter à Buto où étoit leur fépulture ; quoiqu'il y eût plus de dix-neuf lieues de diftance de Buto à Athribit. Comme dans ce petit animal les yeux font prefque auffi cachés que dans la Taupe , Plutarque prétend que les Egyptiens le fuppofoient entièrement aveugle , & lui trouvoient quelque rapport avec PafFoibliflement de la lumière dans la Lune qui décroît, & avec YAthor ou cet attribut de la Divinité qu'on avoit perfonnifié fous ce nom là, & qui n'étoit autre chofe que l'incom-préhcnfibilité de Dieu, comparée aux plus épaif-fes ténèbres de la nuit & du cahos. Mais avant qu'on ait pu parvenir à des fimilitudes fi forcées, fi compliquées enfin, il faut bien qu'on ait reconnu dans la Mufaraigne quelque autre propriété beaucoup plus naturelle. Et j'ai toujours foup-çonné que les Egyptiens rangeoient cet animal, tout comme les Naturaliftes Grecs, dans laclaffe des Belettes, (*) qu'on ne tuoit non plus que les Ichneumons, que nous favons avoir été con-facrés à l'Hercule Egyptien, qui ne fut jamais qu'une feule & même Divinité avec Hercule de Thébes en Béotie. Mais comme, dans la Béotic, on ne trouve point d'Ichneumons , les Thébains avoient cru pouvoir, fans aucune difficulté , les (*) Les Grecs nommoient la Mufaraigne Souris-Belette ; parce qu'ils la croyoient compofée de ces deux efpeccs. Et «lie rcllemble beaucoup | 1» Belette, & point ùu tout a une araifinévi fur les Egyptiens les Chinois. 125 remplacer par les Belettes, auxquelles ils rendaient; un culte religieux. Et quoiqu'ils foient Grecs de nation, dit Elien, ils ne méritent pas moins d'être à jamais l'objet de la rifée à caufe d'une dévotion fi impertinente. (*) Mais la guerre, que ces animaux font fans ceiTe aux Rats & aux Souris, avoit porté les Egyptiens à les mettre fous la protection des loix. Et il leur a fuffi de trouver dans la Mufaraigne quelque chofe qui reiTem-blât tant foit peu à la Belette , pour imaginer enfuite toute la doctrine fymboliquè, dont on vient de parler. Au refte, il eft certain que quelques animaux facrés n'avoient que des propriétés énigmatiques & augurales , fans qu'on puifté leur en découvrir d'autres de quelque côté qu'on les confidere , comme le Scarabée, qu'on avoit dédié au Soleil» Mais il ne faut cependant pas croire qu/il foie* réellement queftion d'un auffi vilain infecte que celui dont parle Pline. Après avoir réfléchi à la defeription , qu'en donne Orus Apollon, qui le repréfente comme rayonnant de cet éclat qu'ont les yeux des chats dans les ténèbres, je me fuis apperçu que les Egyptiens avoient pris pour le fymbole du Soleil le grand Scarabée doré , que quelques uns appellent Cantharide; & qu'on voit communément dans les jardins, où il dévore les fourmis, & chaile les vers. Cet infe&e eft comme couvert d'une lame d'or ; & quand la lumière tombe directement fur les étuis de fes allés, il (*) Thcbani, quamvis nadonc Gmci , rifu futlt obruendi^ qui mujtellam, ut audio, religiofè colunt. De Nat. Animal. Lib. XII, Cap. 5. F 3 125 Recherches phllofophiques paroît un peu rayonner ; ce que le Traducteur Latin d'Orus a rendu par les termes de radiis in-fipiita, à peu près comme le porte le texte. Les autres Scarabées facrés de l'Egypte ont été le Monocéros, qui n'a qu'une corne au haut de fon corfct, & le Cerf ou le Taureau volant qui en a deux, qu'il ferre comme des tenailles. Toutes les fuperftitions relatives à ces trois différentes efpeces d'infectes doivent être regardées comme fort anciennes ; & il fe peut qu'elles éto ent répandues parmi les Ethiopiens & les autres habitants de l'Afrique avant môme que l'Egypte ait été peuplée. (*) On en trouve des tra-ces non feulement dans le Grillon facré de l'ille de Madagafcar ; mais jufque p3rmi les Hotten-tots, qui comme on l'obferve dans l'Hiftoire générale des Voyages, regardent avec vénération les perfonnes, fur lefquelles le Scarabée marqué de tâches d'or , ou le Taureau volant du Cap vient à fe repofer ; parce que c'eft à leurs yeux un pronoftic très heureux. Mais ce qui peut nous étonner divantage c'eft que des préjugés fembla-bles fe foient introduits en Europe au fujet du Scarabée, que le vulgaire nomme ridiculement Mouche dit Seigneur. Il n'eft pas croyable, ni même poffible que cette fuperftition ait été puiféa dans les écrits de St. Ambroife, puifque le peuple ne lit jamais les écrits de St. Ambroife; & il ignore profondément que cet Auteur a comparé plufieurs fois le Chrift ou le Meflie à un Scara- (*) On voit déjà des Scarabées fculptés en pierres dans les fépultures Royales de Btban-cl-Sloluk. Et j'ai dit que ces fépultures font plus anciennes que les Pyramydes. fur les Egyptiens & les Chinois, nj bée , fans qu'on ait pu jufqu'à préfentdevinerfur quoi une fi étrange comparaifon eft fondée. Il y a aufi une infinité d'endroits en Europe où le chart du Grillon eft reçu comme un augure favorable , & on s'y opiniâcre finguliérement à conférer des infectes dont le bruit aigu & monotone eft infupportable , lorfqu'ils fe multiplient jufqu'à un certain point dans les foyers. Mais quelle que foit h dévotion de certains Européens envers les Grllons , elle n'égale point celle des Africains , qui en font commerce, & les gens riches s'y croiroient férieufement brouillés avec le Ciel, s'ils l'en polTédoient des effains entiers, qu'on renfeme dans des fours conftruits tout exprès. Il faut établir comme une maxime, que Pefpïit du petit peuple peut être fortement frappé par de petites chofes; & il n'y a que quelques années que des payfans François commencèrent à rendre uneefpece de culte religieux aux Chryfalides de la clenille, qui vit fur la grande Ortie , parce qu'il: croyoient y voir des traces manifeftes de la Divinité, & M. Des Landes aiTure que les Curés môme en avoient orné les autels, comme on ks orne en Efpagne de Cigales renfermées dans de petites cages, & de moineaux de Canaries, qui chantent pendant la Méfie. (*) Si fous nos climats tempérés l'imagination de l'homme a pu s'égarer jufqu'à ce point , y a-til quelqu'un parmi nous, qui foit furpris de ce que les Africains, dont l'efprit eft exalté par le feu {*) Recueil de différents Traités de Phyfi]uc pas. «6. Voyez suffi Bareju Lettres fur VEfpagne. F* de l'athmofphere, ayent découvert de la EfTern-blance entre les cornes de la Lune & les cornes du Bœuf nain, qu'on nomme Bubalos ; ente le Scarabée, qu'on nomme Taureau volant, 'x le Taureau Zodiacal? Dans des Monuments rapportés par Moniau-con ex le Comte de Caylus, on voit des femmes Egyptiennes, qui paroiflent donner à manger à des Scarabées fur des tables ou des autels : or je m'imagine que cela nous repréfente la viritable manière de tirer des augures de cette fore d'infectes, qu'on obfervoit à peu près cornue les Romains obfervoient les poulets , lorfquïs fai-foient ce que Cicéron appelle dans le feconi livre de la Divination, le triptidium & le ttrr\pa-num. Au refte quelque bizarres que foient ces pratiques , elles n'approchent pas à beaucoup prjs de ia manière dont les Chinois ont confulté la Tortue, qui a été un de leurs plus grands Ora;Ies; & cette fuperftition ne leur eft fûrement pis venue de l'Egypte : car jamais il n'a été queftion de Tortue parmi les animaux facrés , dont on a fouvent tâché de connoître toutes les efpîces ; mais jufqu'à préfent il n'en a point paru l'énu-mération complette ; & les recherches te M. Blanchard , inférées dans le n euviéme volume des Mémoires de l'Académie des lnfcrip:ions, .n'offrent qu'un effai très - imparfait, & où il n'y a rien de fuivi. Cependant pour qu'on facle une fois à quoi s'en tenir, nous indiquerons ic à peu près tout ce qu'on trouve à cet égard dins les Auteurs de l'Antiquité , & après avoir fut connoître les objets du culte fymbolique, or tâche- fur les Egyptiens £ƒ tes Chinois: i 29 ya de développer les véritables fcntiments des Egyptiens fur l'eflence de la Divinité. On foupçonne que, dans une bourgade fîtuée à. la pointe feptentrionale du lac Maréotis on nour-riiîbit un Bœuf facré comme dans beaucoup d'autres villes de l'Egypte, dont nous ne connoiiTons pofîtivement aujourd'hui qu'Hermonthis , Pïélio-polis & Memphis, où la réputation duBœufApis éclipfa celle de tous fes rivaux, dès que la Cour des Rois y fut transférée de Thébes. D'ailleurs les Egyptiens avoient pour les environs de Memphis une vénération aufli particuliere que pour les environs d'Abydus. Les Savants n'ont pu tomber d'accord entr'eux fur le terme qu'on fixoit à la vie du Bœuf Api;. Plutarque prétend qu'on le noyoit dès qu'il avoit atteint vingt-cinq ans : & c'étoit aufli là, fuivant lui, le nombre des caractères de l'Alphabet Egyptien. Cependant M. Büttner, qui par l'étude des bandelettes des Momies a retrouvé cet Alphabet, croit qu'il n'étoit compofé que de vingt deux, lettres. Il y a bien de l'apparence qu'on fe dé-faifoit de Y Apis dès qu'il perdoit l'appétit, & que fa vigueur cédoit au poids de l'âge : car dans cet état, il ne pouvoit gueies donner des augures favorables au peuple-, qui n'exigeoit rien autre chofe. Et on préfume aifément que les Pullami attachés aux Légions Romaines, ne laiflbientpas non plus vivre les poulets facrés au - delà d'un certain terme marqué par les règles de l'Aruf-picine. Les Egyptiens tiroient aufli des prono-ftics de la voix des enfants, qui chantaient , & qui jouoient dans la proceïîion du Bœuf Apis, i jo Recherches philofophiques ou à la Porte de fon étable. Et M. Jablonskiob-fervc que l'Oracle des Juifs, connu fous le nom de B.u-kol ou fille de la voix, paroît avoir été ab-folument le même que celui que donnoient les enfants de l'Egypte , où l'on étoit devin avant que d'être homme. Plufieurs villes de cette finguliere contrée en-tretenoient des Vaches facrées, comme Momem-phis, Chufe & Aphroditopolis : mais la fépulture commune de ces animaux étoit à Atharbéchis, où l'on apportoit leurs os en bateau ; & on en agif-foit à peu près de môme par rapport aux Chats, qu'il n'étoit permis de tuer nulle-part ; maison venoit les enterrer à Bubafte. L'Ours avoit aufli une fépulture vrai-femblablement à Paprémis , ville dédiée au Typhon ou au mauvais Principe , qu'on tàchoit d'y calmer en rendant un culte à l'Hippopotame , le véritable fymbole de l'efprit Typhonique : cet animal, loin de venir aujourd'hui jufqu'à la hauteur du vieux Caire , ne def-cend pas même au deflbus des Cataratles du Nil , & c'eft par hazard qu'on en a vu un, qui s'étant égaré fuivit ce fleuve jufqu'à fon embouchure , & fe laiiTa prendre à Damiette. Il faut que dans l'Antiquité les Hippopotames ayent été beaucoup plus nombreux ; & que leur race fe foit éclaircie d'âge en âge , comme celle des Tigres & des Lions : on foupçonne quelque chofe de fembla-ble par rapport aux Crocodiles du Nil , car il eft trèscertain qu'ils ne fe montrent jamais de nos jours dans des endroits où le Naturalifte Séne- fur les Egyptiens S les Chinois. 131 que dit qu'on en voyoit des troupes entières de fon temps. ( *) 11 femble que les Egyptiens avoient voulu faire de leur pays une immenfe ménagerie, où Tonne comptoit cependant pas autant d'efpeces différentes que Cicéron l'infinue. D'abord les bêtes de fomme, comme le Dromadaire , le Chameau & l'Eléphant en avoient été exclues : on en avoit exclu aufli les Solipedes ; le Cheval n'ayant jamais été admis au nombre des Fétiches , & bien moins l'Ane , pour lequel la répugnance des Egyptiens étoit extrême ; ce qu'on a toujours attribué à la nuance de fon poil , qui efl ordinairement roufïe dans ce pays-là , où tous les animaux roux étoient foupçonnés de porter en eux Je germe d'une maladie ; & enfin les Egyptiens ne pou-voient fe mettre dans l'efprit que cette couleur fût la marque d'une bonne conflitution. Quoique leurs Naturaliftes ayent été à ce fujet tournés en ridicule, & même par M. de Montefquieu , il eft fur que leur obfervation s'eft de plus en plus vérifiée par rapport aux Bœufs & aux Vaches. Ce qu'il y a de fingulier , c'eft que les mêmes animaux étoient ordinairement confacrés dans deux villes différentes : il y avoit deux villes pour les Lions ; deux pour les Chiens, deux pour la Brebis ou le Bélier ; & deux enfin où" l'on nourrifibit des Loups. Elien prétend même que les habitants de la grande Préfecture Lycopolitaine (*) Nat. QtutJL Lib. IV. Cap. 2. Il Faut cependant fup-pofer que Séueq^e a été bien inftruit. F 6 i$z Recherches philofiphiques avoient eu foin d'arracher dans toute l'étendue de ce diftriét une plante du genre des Aconits ; & qu'on connoît fous le nom vulgaire c\t:trangh-lonp ; de peur qu'il n'en arrivât quelque accident funefte par rapport à ce qui faifoit l'objet de leur vénération. Mais ce conte elt plus ridicule qu'on ne pourroit te dire ; puifque les Lycopolitains ne laiiToient pas courir les Loups en liberté dans leurs provinces , où ces animaux étoient d'ailleurs très - petits, & à peu près de la taille du Chien domeftique , dont des momies bien con-fervées ont fait connoître le caractère , fort différent de celui qu'indique Hérodote. La Belette étoit révérée principalement dans la Thébaïde , l'ichneumon ou le Rat de Pharaon dans les villes d'Hercule, dont quelque Géographes en comptent trois, la Mufaraigne à Athri-bis &à Buto, la Chèvre fauvage ou la Dorca-de à Coptos, le Bouc domeftique à Mendès , à. Thmuis, & probablement aufli à Panopolis. La Loutre paroît avoir été privilégiée dans toute la contrée; quoiqu'on n'en ait nourri nulle part d'apprivoifées. Les deux villes de Mercure entre-tenoient des finges Cynocéphales ou des Papions, qu'on alloit chercher en Ethiopie ; ainfi que le Singe-Cébus, qu'on voyoit à Babylone d'Egypte fîtuée à deux lieues au-deffous de Memphis. Epiphane parle d'une chapelle où l'on nourrif-foit des Corbeaux; (*) mais on ne fait ce que fe peut avoir été qu'un tombeau, qu'on montrait dans les environs du lac Méris, & où devoit être (*) In Aikoi, Tom. IL §. 102. fur les Egyptiens cf les Chinois, i cnfevelie une Corneille, qui , fuivant la tradition du pays, avoit porté les lettres d'un ancien Roi d'Egypte, où l'on ne connut jamais que la Pofte aux Pigeons, qui eft d'une inftitution dont l'époque fe perd dans la nuit des fiéoles ; car il en eft déjà parlé comme d'une chofe fort commune dans les Poéfies d'Anacréon , qui envoyoit par ce moyen des billets, dignes fans doute d'être portés par les oifeaux chéris de Vénus. (*) Au réf. te , il convient d'avertir ici, que ce qu'on trouve dans l'Ouvrage de M. de Mailler touchant la Pofte aux Pigeons, eft copié ou extrait de quelques Auteurs Arabes, qui ont maniréftementexagéré, & dont le témoignage n'eft d'ailleurs d'aucune autorité par rapport aux temps reculés, dont nous nous occupons. On lit dans Diodore de Sicile que le gouvernement de l'Egypte envoyoit partout des lettres pour annoncer les différents degrés de la crue du Nil, qu'on ne peut bien obferver que dans des Nilométres, dont on en comptoit trois ou quatre dans toute l'étendue du pays , qui étoit alors rempli , comme on a déjà eu occafion de l'obferver, d'un prodigieux nombre de Colombiers, auxquels on avoit principalement recours dans les temps de pefte : ainfi il n'eft pas étonnant qu'il foit venu dans l'idée des Egyptiens d'employer ces oifeaux pour porter promptement des avis : d'ailleurs dans cette contrée les Pigeons ne peuvent prefque s'égarer; car à mefure qu'ils s'élèvent en l'air, ils ne voyentplus autour d'eux que la mer & d'immenfes efpaces fahlonneux, fijt lefquels ils ne s'abattent point. (») ÖDfTrX ' " " Deux villes connues fous le nom d'IIiéracon-polis, nourrifloient des Eperviers d'une efpece différence de celle qui étoit confacrée dans le Temple de Philé, où on l'apportoit de l'Ethiopie, & qu'aucun Naturalifte ne peut déterminer. L'Aigle étoit révéré dans la Thébaïde , la Chouette à Sais. Le Vautour , l'Ibis, la Tadorne , la Cigogne & la Hupe l'étoient partout ; quoique l'on ne trouve pas qu'on leur eût dédié des Temples particuliers: tandis qu'Arnobe allure qu'on rencontrait des chapelles confinâtes tout exprés pour les Scarabées. (*) La Perche, ou ce poillon qu'on nomme la Variole, étoit dans une grande vénération à Lato-polis; la Carpe à Lépidotum ville de la Thébaïde ; le Brochet à Oxirinchus ; le Phagre ou le Spa-re rougeâtre à Sytme : & le Méotis dans l'iile Eléphantine; mais nous ne connoifïbns pas le caractère de ce poiiïbn, non plus que celui du Phy-fa , qui femble aufli avoir exercé la fuperftition. Au refle, les Grecs ont été dans l'erreur, lorf-qu'ils onc mis l'Anguille parmi les poi(Tons facrés ; parce que les Egyptiens n'en mangeoient point : car tous les animaux , dont il leur étoit défendu de fe nourrir par les loix du régime diététique, ne doivent pas être comptés au nombre des Fétiches ; mais on y comptera fans doute les Serpents, aufquels on rendoit un culte à Mételis dans la Baffe Egypte, & vrai femblablement auffi à Té-renuthis, quoique d'ailleurs tous les Temples de ce pays ayent contenu différentes efpeces de rep- (*) Arnob. advtrfus Gent, Lib, 1, pag, ij, fur les Egyptiens £? les Chinois. 13'f tiles , dont le plus remarquable eft la Couleuvre cornue, qu'on révéroit en quelques endroits de la Thébaïdè, & fuivant toutes les apparences, dans rifle Eléphantine & une petite ville connue fous le nom de Cnupbis, qu'on rencontrait au delà du vingt cinquième degré. L'Hiftoire des plantes facrées chez les Egyptiens a toujours été extrêmement obfcure , & tout ce qu'on fait , c'eft que ce peuple a témoigné beaucoup de vénération pour la Nymphée, le Pavot, l'OIyra, le Papyrus, l'Oignon marin, l'Ab-fynthe de Tapofiris, à laquelle Veiling joint la Moutarde fauvage; enfin, le Perfea, différentes efpeces de Palmiers , & l'Acacia : cet arbre peut avoir donné lieu à ce qu'on lit dans l'Hiftoire de Barlaam, au fujet d'un culte que les Egyptiens Tendoient aux épines ; (*) quoique tout ce prétendu culte fe foit vraifemblablement borné à porter quelques branches d'Acacia dans les pro-cefiions, où l'on portoit auffi les prémices des fruits & des pains : mais on ne voyoit rien de tout cela dans l'intérieur des Temples où il étoit rare de rencontrer des ftatues de figures humaines : on n'y trouvait que quelques animaux , des vafes toujours remplis d'eau du Nil , & des lampes qu'on ne laiffoit jamais éteindre. Rien n'eft plus connu que la lumière perpétuelle du Temple de ii coluerunt cattum , & canem, &• lupum, & Jimtam, & draconcm, & afpidem. Aid ccpns , & allia, & Ipinas. Ad calcern Oper. Damai", pag. 67. De tout cela îlnya rien de plus avéré que le culte rendu à l'Oknpv» maan dans la ville de Pélufe. que la Notice de PEmlirl défigne par un animal fingu'ier, pris par Pancirolè pour un lymbok- relatif aux Empereurs Romains. i\6 Recherches philofopbiquet Jupiter Ammon , par le moyen de laquelle on avoit môme tenté de mefurer la durée de quelques révolutions céleftes ; mais de tels eflais , comme les Anciens s'en font apperçus eux-mêmes, ne pouvoient abfolument aboutir à rien. Telle eft rénumération des Fétiches , dans lefquels les Egyptiens cherchaient toutes fortes de rapports avec les étoiles, la Lune, le Soleil et les attributs de la Divinité. Et ces objets en général conftituoient le culte fymbolique, qu'on a confondu avec l'Idolâtrie, par une erreur égale à celle où l'on eft tombé par rapport aux Indiens, qui ont conftamment paffe pour Idolâtres, auffi. longtemps qu'ils n'ont été connus que par les Relations des Millionnaires & des Voyageurs; mas depuis qu'on a traduit leurs propres livres, on y a découvert précifément le contraire. Au sefte nous ne prétendons pas parler ici de la populace des Indes , qui s'égare auffi loin que la populace de l'Europe , & il exifte une grande diftance entre fon culte & la Religion naturelle. Mais fi jamais des fanatiques furent punis par le fanatifme même, ce font fans doute ces Indous, qui fe fou-mettent au régime le plus dur & aux pénitences les plus effrayantes : cependant la plus effrayante de toutes eft, de leur propre aveu, celle qui les fait aller en pèlerinage à la Pagode du Grand-Lama, où ils ne peuvent arriver qu'en traverfant pendant treize ou quatorze mois des déferts affreux , remplis de bêtes féroces & de Tartares. Les plus dévots pouiTent néanmoins leur route jufqu'cn Sibérie ; afin de vifiter encore des K&-jutins ou des Evêques particuliers; de forte qu*o* fur les Egyptiens £f les Chinois. 137 rencontre de ces Indiens qui font venus à pied en portant de l'eau & des provifîons fur leur dos depuis Calécut jufqu'à Sélingînskoi vers le cinquantième degré de latitude Nord. Et fi l'on ne nous fournit point de nouvelles lumières fur le motif de ces pèlerinages vraiment prodigieux , je ferai toujours porté à croire que la Religion de l'Indouftan dérive de la Religion Lamique. Quoique tous les climats chauds entraînent le cœur de l'homme vers la fuperftition , il femble que celui de l'Egypte y incite encore davantage que les autres. Car on ne trouve pas que les Prêtres ayent pu avoir quelque intérêt pour aigrir de plus en plus le génie pervers des fanatiques; puifque ces Prêtres jouiflôient d'un revenu fixe en fonds de terre, qu'on abandonnoit à des fermiers pour un prix fort modique, & qui par là-même a pu fe foutenir toujours fur un pied égal. Do cette fomme ils étoient obligés de déduire ce que coûtoient les victimes & l'entretien des Temples: car ils dévoient faire tous les facrifices à leurs fraix. Et il ne faut point les comparer à d'infâmes vagabonds, qui empruntoient leur nom & leur caractère en Italie , & qui gueufoient dans les rues de Rome depuis la féconde heure du jour jufqu'à la huitième, lorsqu'ils revenoient fermer le Temple d'iûs ; ce qu'on n'eût pas fouffert en Egypte de la part du dernier des hommes, &bien moins de la part d'un Prêtre : puifque la loi n'y toléroit aucun mendiant. Quand l'Ordre fa'cerdotal jouît d'un revenu fixe, & quand il ne permet la mendicité à aucun de fes membres, alors il eft fûrement inté- 138 Recherches philofophiques reifé à maintenir l'ancienne Religion quelle qu'elle foit : mais il ne peut gueres être intérefTé alors à introduire de nouvelles fuperftitions, qui doivent même lui parbître plus dangereufes qu'utiles. On a toujours regardé comme un défaut effen-tiel dans la conftitution politique de l'Egypte , le parcage des terres, dont Diodore prétend que la claûe facerdotale pofTédoit la troifieme partie : ce qui eût été un objet de plus de 650 lieues carrées. Et comme on affure que l'Ordre militaire en poftedoit autant, & le Souverain autant , il fe trouveroit que le peuple n'y avoit rien. Ce-pendant cela n'eft point vrai ; puifque les Con-quérans qu'on a nommé les Rois Bergers, forcèrent le peuple en Egypte à fe défaire de fes terres , qui lui furent enfuite reftituées : ce qui prouve qu'il en avoit avant les Rois Bergers, & qu'il en eut encore après leur expulfion. On ne fauroit faire aucun fond fur le rapport d'Hérodote & de Diodore lorfqu'il s'agit des véritables principes du Gouvernement de l'Egypte, dont la conftitution avoit été altérée longtemps auparavant ; & dès le régne de Séthon , qui fema tant de confufion autour du Trône , qu'après fa mort on ne put trouver de milieu entre l'extrême liberté & l'extrême fervitude. Comme les Etats Monarchiques brillent ordinairement fous les premiers Defpotes qui les envahiiTent , pour tomber enfuite dans une éternelle obfcurité, l'Egypte brilla aufli quelques inftants avant fa chute. M. Schegel, connu par le favant Commentaire qu'd a fait fur l'ouvrage de l'Abbé Banier, fuppo- fur les Egyptiens S Us Chinois. 139 fe que chaque Prêtre Egyptien ne poiTédoit que douze arures de terre , qui ne font pas à beaucoup près douze arpents de France. (*; Où en feroit réduit un Chef de Moines, ou un Evêque, qui devroit maintenant fubfifter du produit de douze arpents? loin d'avoir alors le moyen d'aller en voiture, il n'auroit pas le moyen d'aller à pied. On connoît des Auteurs, comme Piérius , qui ont Soupçonné qu'en Egypte il étoit défendu à la Gaffe facerdotale d'entretenir des chevaux, & il fe peut que la loi de Moïfe eft relative à cette difpofition particuliere ; quoique beaucoup de Savants s'imaginent qu'elle n'eft relative qu'au climat de la Paleftine, qui ne fut jamais favorable â cette efpece de quadrupèdes. Au refte , comme on vouloit charger un peuple berger en un peuple cultivateur, la défenfe . qu'on lui fit de nourrir des chevaux, étoit très-fage, & il feroit difficile de trouver un autre moyen que celui-là pour réformer les mœurs des Arabes bédouins, qui fe fervent de leurs juments de bonne race comme les Algériens de leurs navires. Il faut avouer qu'on ne voit point clair dans la divifion des terres de l'ancienne Egypte. Car quand on fait chaque portion facerdotale de douze arures, on tombe dans le même inconvénient où eft tombé Hérodote au fujet des portions militaires, de forte que, fuivant lui . la paye du Général n'étoit pas plus forte que celle du Soldat; ce que perfonne n'a jamais cru & ne croira H T,omj 1L P"S- 29 Ob. XIII. de la Traduction Allemande de l'ouvrage de l'Abbé Uanier. 140 Recherches philofophiqucs jamais. Le Souverain ou l'Etat devoit payer en argent ou en denrées ceux d'entre les Prêtres qu'on députoit à Thebes pour y rendre gratuitement la juftice en dernier reflbrt ; d'où on peut inférer que le produit de leurs terres n'étoit pas fort confidérable ; & furtout lorfqu'on réfléchit qu'ils dévoient tous être mariés ; fans quoi il ne paroit pas qu'ils ayent pu s'acquitter d'aucune fonction publique. Et c'eft en cela qu'on voit au moins quelque ombre de ce qu'on a affecté d'ap-pcller la fagefle dès Egyptiens, dont les Prêtres étoient d'ailleurs chargés des Magiftratures, de la confervation des loix, des archives, du dépôt de l'Hiftoire , ds l'éducation publique, de la compo-iition du Calendrier, des Obfervations Aftrono-miques, de l'arpentage des terres, du mefurage du Nil, & enfin de tout ce qui concernoit la Médecine, la falubrité de l'air, & les embaumements ; de forte qu'en y comprenant leurs femmes & leurs enfants, ils compofoient peut être la feptiéme ou la huitième partie de Ta nation. On fe forme donc fur ce corps des idées fauffes & ridicules , lorfqu'on le compare au Clergé de quelque pays de l'Europe que ce foit, où fept ou huit Couvent3 de Moines ont plus de revenus que tout l'Ordre facerdotal de l'Egypte; quoiqu'il fut d'ailleurs accablé de travail & foudivifé en différentes clafles qui avoient leurs occupations particulières. La première de toutes les clafles comprenoit les Prophètes , qu'on fait avoir préfidé dans les tribunaux, où ils décidoient les procès fans parler , en tournant l'image de la Vérité vers l'une ou l'autre partie ; & fi on peut regarder comme exacte fur les Egyptiens £? les Chinois. 141 la représentation d'un magnifique monument de la Thébaïde, inférée dansles Voyages de M. Pococke , il eft fur que le Juge tenoit cette image fufpendue à une efpece de Sceptre, & non attachée à fon cou comme on le croit vulgairement. Il faut obferver ici que les anciens Grecs étoient déjà tombés dans de grandes erreurs par rapport à la lignification de ce terme de Prophete , quoique ce foit un terme Grec ; & Platon a tâché de redrefter là-delTus leurs idées. Ceux-là, dit-il, font vraiment ignorans, qui s'imaginent que le Prophete foit celui qui prédit l'avenir; ce qu'on n'attribue, ajoute t-il, qu'au Mantis, & le Mantis eft: toujours un fou, ou un furieux, ou un maniaque. De tout cela il fuit nécefiairement, comme Platon Pobferve, que le Prophete n'étoit que l'Interprète de la prédiction qu'il n'avoit point faite, & qu'il ne pouvoit faire lui même ; parce qu'il devoit être dans fon bon fens, qu'on regardoit comme incompatible avec l'efprit prophétique. Ainfi ces miférabjes, qu'on a qualifiés par le terme de Mantis, n'étaient que les instruments de la fuperftition, de même que les Pythies de Delphes ; puifque tout dépendoit de ceux qui inter-prétoient l'oracle : & fi nous lifons que des Pythies s'étoient laiiTées corrompre à prix d'argent pour donner des réponfes favorables à quelqueg villes au détriment de quelques autres , il faut qu'elles feules n'ayent pas été corrompues, mais toute la troupe des Sycophantes attachés au Temple de Delphes. Quant aux Egyptiens , Clement d'Alexandrie ' indique plus positivement quelles étoient les fon- fiions de leurs Prophètes: ils dévoient êtrever-fés dans la jurifprudence, & connoître exactement le recueil des loix divines & humaines, inférées dans les dix premiers livres canoniques , qui contenoient tout ce qu'on fuppofoit être relatif à la Religion : aufli ces Prophètes ne paf-foient ils pas ppur être favants dans les Sciences .purement prophanes , en comparaifon des Hiérogrammatiftes ou des Scribes facrés , qui s'ap-pliquoient plus à la Phyfique & à l'Hiftoire-, ce qui leur attiroit beaucoup de confidération : & on leur accordoit môme le rang fur les Aftrono-mes et les Géomètres ou les Arpédonaptes, qui étoient néanmoins aufli compris dans la première clafles, de môme que les Hiéroftoliftes. (*) * Enfuite venoient les Comaftes, qui préfidoîent aux repas facrés; les Zacores, les Néocores & les Paftophores, qui veilloient à l'entretien des Temples & ornoient les autels; les Chantres, les Spragiftes, les Médecins, les Embaumeurs & les Interprètes, qui paroiflent avoir été les feuls qui fufTent un peu parler la langue Grecque : car les autres Prêtres ne favoient vrai fernblablement que l'Egyptien , qui différoit peu de l'Ethiopien. Et on voit qu'au temps de la conquête des Rois Bergers, on dut fe fervir de truchements à l'égard de ceux qui parloient l'Arabe & le Phénicien ; & cette obfervation , indépendamment de (*) Quelques prflages d'AuIu-gelle & de Macrobe, qui attribuent aux Egyptiens (ie grande1; connoiffances dans l'A-natomie , ont fait croire qu'on facroit chez eux les Prêtres du premier ordre, en leur frottant du baume ou du myron fur le doigt qui touche le petit dans la mjin gauche à caufe d'une veine qu'on croyoit y venir du cœur. fur les Egyptiens les Chinois. 143 cent autres, prouve quelle eft: Terreur de ceux qui s'imaginent que l'Egypte a été peuplée par des Arabes , qui avoient franchi le détroit de Bal-el-Mand-eb , dont la largeur efl: à peu de fept lieues : car en ce cas la langue Egyptienne n'eût été qu'un dialecte de l'Arabe; ce qui n'eft aiïu-rément point. Quanta ces prétendus Aloines, qu'on croit avoir vécu en Egypte plufieurs fiecles avant le Chriftianifme ,& môme avant Tinvafion de Cam-byfe, & qu'on défigne par les termes de Sanfts & de Retnobotes, nous ofons garantir qu'il n'en a jamais été queftion. Aufli l'exiftence de ces frelons a-t-elle été inconnue à tous les Auteurs Grecs, qui ont écrit fur l'Egypte, où Ton n'eût pas fouftert une efpece d'hommes, qui ne pouvant être comptée ni parmi le Clergé, ni parmi les Soldats, ni parmi le Peuple , eût été plus à charge à l'Etat que tous les animaux facrés enfemble. C'eft dans les temps de confufion , qu'amena le defpotifme des Empereurs Romains, qu'on vit l'Egypte dévorée par des légions de Cénobites; & cette playe là valut bien toutes celles dont nous parlent les Juifs. (*) Quoique M. de Schmidt ait publié fur le fa-cerdoce des Egyptiens une diflërtation très approfondie, il faut cependant remarquer qu'il lui tft échappé une particularité allez eflentielle fur {*) Les premiers Moines Chrétiens de l'Egypte furent appelles dans la langue de ce pays Sarabait, ce qui, fuivant l'interprétation de îiochart , défigne des gens rebelles aux loix , ou rebelles au Magiftrat. Le terme àoRemobotcs , peut être corrompu celui de Renoues, qui paroît auffi indiauer des lucheux. H 61 144 Recherches philofcphïques ce qui formoit un des carsiteres extérieurs des Prêtres. Ils portoient, ainfi que les Rois d'Egypte , un feeptre fait exactement comme une charrue : (*; & il paroît que cette coutume avoit été prife des anciens Gymnofopbîfles de l'Ethiopie, qui aiïuroient que les premières graines alimentaires avoient été trouvées près des cataractes du Nil ; & on croit réellement avoir découvert qu'il naît dans ces environs une efpcce d'Epeau-tre fauvage. Les Savants ont vu cent fois fur les monuments, & même entre les mains des Momies le feeptre aratriforme des Rois et des Prêtres de l'Egypte , fans le recounoître : M. Cleyton en a fait un infiniment purement ridicule, (,**) & le Pere Kircher, le plus malheureux des hommes dans fes conjectures fur les Hiéroglyphes, en a fait un Alpha ; parce que la charrue Thébainc, telle qu'on la trouve deffinée dans le Voyage de Nordcn, relTemble tant foit peu à un A , qui d'ailleurs n'étoit pas la première lettre du caractère Egyptien, qu'on fait avoir commencé par le Jhoth, en l'honneur du Génie qui préfidoit aux Sciences. Au refle, on aime infiniment mieux ces feep-tres faits en forme de charrue que les grands ongles des Lettrés Chinois; & il feroit remarquable qu'on eût emprunté de cet inflrument le premier caractère de la Royauté & du Sacerdoce , fi l'on (*) Saccriotcs Aïgyptiorum & AEthiopum serunt fetptrurn. in formant aratri facturn : quo Regcs etiam utuntur. Diod. Sicul. Lib. IV. (**) Voyez Journal from grand Cairo Writunt by thtPn^ fetto of fur Us Egyptiens &f les Chinois. 145-î'on ne favoit que les Egyptiens, qui reipeéloient I beaucoup l'agriculture , faifoient de leurs Dieux mcmes des cultivateurs & des laboureurs dans le %le allégorique, qui a été la fource d'un prodigieux amas de fables, où l'on voit Ofiris fabriquer la première charue, & ouvrir le premier fiilon. Primus aratra manu folertï fecit Ojîrîs, Et temram ftrro follicitavit humum. T 1 B 01 le Lib. I. On comptoit dans l'ancienne Egypte quatre Cho* niathim ou quatre Colleges célèbres; celui de Thebes où Pythagore avoit étudié; celui de Memphis où l'on fuppofe qu'avoient été inftruits Orphée, Thaïes tk Démocrite; celui d'Héliopolis où avoient féjourné Platon tk Eudoxe; enfin, celui de Sais ou fe rendit le Légiflateur Solon, qui comptoit probablement pouvoir y découvrir des mémoires particuliers touchant la ville d'Athènes, qui paifoit chez les Grecs pour une Colonie fondée par les Saïtes, dont le college étoit le dernier dans l'ordre des temps auffi n'avoit-il pas le droit de députer au grand confeil de la nation , comme les trois autres, qui députoient dix de leurs membres à Thebes ; ce qui formoit le tribunal des Trente, pré-fidé par un Prophete, que les Hiftoriens défignent par le terme d'Archidicaftes. On ne fait pas trop bien à quoi tons les Grecs, qui alloienten Egypte, palToient leur temps; mais Platon paroît y avoir commercé ; & je croi que le commerce même l'occupoit infiniment plus que l'étude des Sciences tk de l'Hiftoire des Egyp- lomt II. G 146 Recherches phiîofipki\ufs tiens, fur lefquels il ne nous a procuré prefqu'nu-cune lumière; & cela après un féjour de treize ans à Héliopolis ck à Memphis : car on trouve qu'il s'étoit arrêté dans ces deux villes. Cependant ce font ces continuels voyages des Phlîofophes & des Poètes Grecs en Egypte, qui ont le plus contribué à illuflrer cette région , que fans eux & fans les Juifs, nous connoitrions à peine : car tous fes monuments font muets , & il n'eft point relié dans le monde un feul volume de la Bibliothèque de Thtbes. Il faut regarder comme une fable ce que dit Eu-febe d'un collège de Prêtres, qu'on avoit établi a Alexandrie ; & qui étoit, fuivant lui, compofé uniquement d'Hermaphrodites : (*) tandis qu'il n'y a pas d'apparence que ceux qui naiffoient avec quelque défaut notable, ayent pu feulement être con-facrés en Egypte; puifque les animaux mêmes, auxquels on remarquent la moindre difformité, ne 1er-v oient pas aux facrifices, ni au culte fymbolique. Comme Eufcbe prétendoit louer Confiant in , il met hardiment au nombre de fes plus belles actions, l'ordre qu'il donna d'égorger fans miféricorde tous ces .prétendus Hermaphrodites d'Alexandrie. Mais fi .cela étoit vrai, un tel alTafiinat nous révolterait in--finiment de la part d'un Prince qui devoit être fatigué d'en commettre. 11 eût été à la fois abfurde tk cruel de faire mourir des filles , parce qu'elles étoient mal configurées par un écart de la Nature qui n'eft point rare en Egypte : auffi les auties m h vit. Confiant. Lib. IV. Cap. XXV. Les Grecs d'Alexandrie avoient un culte fort diiTe'rent de l'ancienne Religion de l'Egypte, far les Egyptiens & les Chinois. 147 Ecrivains Eccléfiaftiques ne parlent-ils pas de ce prétendu meurtre; tk il paroît que Conftantin ne fit que changer 1 endroit où l'on gardoit le Kilomètre portatif ou la perche propre à mefurer les crues du Nil; ce qui aigrit beaucoup le peuple contre lui, parce qu'on s'apperçut qu'il ngifl'oit.parill» fiigation dans de petites chofes ; car que l'on con_ fervat cette perche dans le temple de Sérapis, ou en une chapelle de Chrétiens , cela ne changeoit rien au degré de l'inondation : mais cela choquoit feulement les anciens ufagts, que quelques peuples comptent parmi leurs richefTc-s. On a toujours cru que de tous les Auteurs mo_ dernes Conring eft celui qui a montré le plus de '/.ele à combattre le phantôme delafagefledes Egyptiens, dont il réduit toute la prétendue Philofophie en un vain amas d'opinions groflitres ; &: enfuite il aceufe jufqu'à leurs Médecins d'avoir entretenu un commerce regulier avec les Démons, 8c de n'avoir fu en même-temps guérir aucune maladie. (*) D ou l'on peut juger que Conring n'étoit pas le plus grand Philofophe de fon fiécle, & en écrivant de fi palpables abfurdités il a fait plus de tort à fon propre jugement , qu'à la réputation des Egyptiens , qui n'ont fûremtnt pas prévu qu'un jour ils feroient accules d Athéiline : cependant , dit-on, il faut qu'ils ayent été Athées; puisqu'ils donnoient deux fexes à chaque Elément, tk que leur maxime étoit que Dieu eft tout. Mais ils n'ont jamais prétendu que les Eléments peuvent produire par leur feule (*) De Hermeticâ Medicina. Cap. X. & XI. G % 148 Recherches pliilofiphiques force ou par leur feule pui fiance ; & il n'y a qu'a lire attentivement làdellus le Naturalise Séneque pour s'appercevoir que cette diliinétion n'étoit qu'une manière de parler dans la Phyiîque populaire , pour mettre quelque différence fenfible entre le Feu & la Lumière; entre la Terre végétale & les fub-llances du règne Minéral , qui ne peuvent nourrir des végétaux ; entre l'air tranquille tk l'air agité; entre l'eau pure tk l'eau marine. (*) Cette diftinétion, qui peut paroître aujourd'hui extrêmement ridicule , ne l'étoit point dans ces temps reculés, lorfque la Phyfique faifoit lés premiers efforts pour fortir du berceau , comme un enfant, qui commence à marcher; & les Egyptiens croyoient avoir beaucoup fait en établiflant qu'il n'y a dans la Nature que quatre fubftances élémentaires. Et à cet égard leurs idées, qui font encore adoptées aujourd'hui, ont été plus jufles que celles des Chinois , qui en portant le nombre des Eléments jufqu'à cinq Hing, en ont exclu l'Air ; & enfuite leur imagination s'eft tellement échauffée, qu'ils ont prétendu que ces cinq Hing ou ces cinq Eléments font animés par cinq Génies, qui produi-fent néceflairement les uns après les autres une Dynaftie d'Empereurs Chinois. Et delà provient, dit Vifdelou, cette formule fi commune dans leurs li- (*) Azgyptii quatuor Elemtnta fecere : deinde ex fingulis bina , marcm &• faminam, Aerem marem judicant, etttavcn-tus eft. : faminam , qua nebulofus & iners. Aquam viriltm vocant : mare : muliebrem, omnem aliam. lgnem voeant mafeulum, qua ardet jlamma, & fxminam qualucctinnaxiut tactu. Terram fortiorem, marem vocant, faxa eautcfque : famina nomen alignant huic tracîabilL ad culturam,' Sen" "Nat. Quœft, Lib. III. Cap. XIV. fur les Egyptiens & les Chinois. 149 vres : telle Dyna/iie a régné par la vertu du bois : telle autre a régné par la vertu du métal, de la terre , du feu , de l'eau. La couleur jaune feroit croire que les Tartares font actuellement cenfés régner par la vertu de la terre ; mais Vifdelou allure que leur Dynaftie eft regardée comme une production du génie de l'eau; (*) d'où l'on peut inférer que les Chinois font les plus grands Métaphy ficiens du monde. Quant à l'axiome que Dieu eft tout, il ne lignifie rien, dès qu'il eft dépouillé de l'interprétation, car comme on peut l'entendre en différents fens, tout dépend de la manière dont on l'explique. Et c'eft mal à propos fans doute qu'on a tant infifté fur ce prétendu axiome , lorfqu'il a été queftion d'aceufer les Egyptiens d'Athéifme. Il fera à jamais furprenant que les efforts, qu'a fait Cudworth pour les juftifier, ayent été inutiles : & une Caufe, qui n'étoit pas abfolument difficile à défendre, eft devenue entre fes mains une Caufe défefpérée; parce qu'il a accordé trop de confiance à des ouvrages apocryphes, connus fous le nom de Livres Hermétiques, <\m font des productions ténébreufes & mé-prifables, forgées par quelques Chrétiens : enfuite il a voulu fe prévaloir de l'autorité de Jamblique : mais quand même Jamblique n'eût point été un fou 8c un rêveur , il feroit toujours vrai qu'il n'a voit aucune connoilîance de la doctrine des Egyptiens touchant l'eflence de la Divinité ; puifqu'il place oftris au nombre des trois premiers Dieux, (*) Voyez Notice de PY-king : pag. M. A la fuite du Chou-king m ito. Paris 1770. G3 7fO Recherches philùjbphiqnes comme Cudworth en eft convenu lui-même. (*) Et c'ell en quoi conlifte précifément l'erreur, qui a énervé la force de tomes les autres preuves dont il a fait enfuite ufage : car a fins. loin d'avoir été dans le premier ordre des Dieux, n'étoit pas même dans le fécond. Quant aux arguments de Warhurton , voici fur quoi ils l'ont principalement fondés. Comme fon opinion eft qu'on annonçoit l'unité de Dieu dans la célébration des Myfteres , qui avoient été originairement inlhtués en Egypte, il en réfulte, par une conféquence néceffaire, que les Egyptiens n'é-toient point dts Athées ; fans quoi ils fe feroient bien gardés d'annoncer l'imité de Dieu dansles Myfteres, qui devinrent enfuite une branche de finances pour la République d'Athénei ; car il falloit payer fort cher pour y être admis; & Apulée dit de Lucius, qu'à force de fe faire initier, il s'étoit tellement appauvri, qu'il ne lui reftoit plus qu'une robe, que les Prétres de Rome lut confeilloier.t encore de vendre pour fe faire recevoir de nouveau. (**) Tout ceci démontre que l'Ouvrage d'Apulée, que Warhurton a cru être une excellente apologie des Myfteres, en eft au contraire une cruelle fatire, où (*) Cudworth. 9ftt intdltc. Cap. V. S. iS......... Jambl. de M.fl. ^Egyptiorum. 5foptiques droit on après cela nous perfuader, qu'un homme tel qu'Hérodote n'a pu fe tromper en écrivant fur les dogmes des Egyptiens? lui, qui n'enten-doit pas leur langue , & qui s'étoit abandonné aux Interprètes , qu'on fait lui avoir conté fur le feul article des Pyramides des choies que les enfants mêmes ne croyent plus. II eft fur que ceux, qui adoptent ftrictement le fyftûme de la Tranfmigration des ames, comme les Thibétains & les Indous, ne fe foucient pas du tout de conferver les corps morts : ils les brûlent d'abord, ou les laiffent corrompre en terre : tandis que les Ethiopiens & les Egyptiens faifoient tout ce qu'on peut humainement faire pour les conferver. Et voilà pourquoi ils avoient la Mer en horreur: car ceux, qui s'y noyoient, ne pouvoient être embaumés fans un extrême hazard , fur lequel on ne comptoit pas. Cependant comme ils naviguoient fans cclTe fur le Nil, on avoit établi des Prêtres particuliers, qui dévoient repêcher les cadavres, & les changer en momies aux frais du Public. Ainfi on rifquoit prodigieufe-ment en naviguant fur l'Océan. Cette opinion étoit très bonne auffi longtemps qu'on n'avoit point de Marine, & qu'on ne vouloit pas en avoir; mais lorfque d'autres temps amenèrent d'autres circonftances, cette opinion ne valut plus rien , & il fallut bien la mitiger tout comme chez les Grecs & les Romains, qui avoient été afTez in-confidérés pour l'adopter. Une prière qu'on récitoit pour quelques morts en Egypte, & que Porphyre a confervée, ( * ) (*) Di Abfiùun, ab animal. fur les Egyptiens & les Chinois. 171 prouve, félon nous, de la manière la plus claire qu'on n'y adhéroit pas du tout à la Métempfyco-fe , ni à celle qu'on nomme fatale ou phyfique , & qui exclud les peines & les récompenfes, ni à celle qu'on nomme morale ou réelle , & qui n'ex-clud ni les unes, ni les autres. Plutarque fait af-fez entendre qu'on fe trompe, lorfqu'on croit que les ames humaines pafTbient dans le corps des animaux facrés. Et en effet les Egyptiens, auxquels on prête cette opinion , n'en avoient jamais ouï parler, non plus que les Juifs n'avoient entendu parler de l'adoration du Cochon & de l'Ane, que des Ecrivains de l'Antiquité leur ont imputée. Si les Egyptiens, dis je, eulTent penfé fur toutes ces chofes comme, les Bramines, on ne les au-roit pas vu manger la chair des animaux, & offrir en victimes des Bœufs , des veaux , des Chèvres , des Brebis, & une infinité d'autres efpeces animales , que les Bramines n'oferoient jamais manger, & bien moins tuer fous peine d'être châtiés dans l'autre Monde ; (*) & couverts dans celui-ci de toute l'ignominie qu'on rcferva pour les Voultchis & les Patiah, deux fortes d'hommes fort remarquables ; ce fur lefquels on devroit nous procurer de nouveaux éclairciffements , car j'ai déjà eu occafion d'obferver qu'il s'eft glifTé des fables dans ce qu'en rapportent les Voyageurs, qui de-vroient témoigner moins d'aigreur envers ceux qui examinent leurs Relations à l'aide de la fainfe ^IX °n Peut voir dan» Holwell. Partie féconde, chantre iy , quel enorme châtiment eft réfervé aux Braminwauî tuent des animaux, 4"* II 1 ij i Recherches philosophiques critique; car cela eft abfolument néccffaire pour empêcher qu'on ne rempIifTe encore l'Europe de men forges auffi greffiers que ceux, qui concer-noient les Géants de la Magellanique. Au refte, c'eft fans fondement qu'on pourroit fuppofer que ces Poulichit & ces Patiah repréfentent aux Indes deux tribus Egyptiennes : celle qu'Hérodote nomme la cafte des bateliers , & celle qui gardoic les animaux immondes comme les Cochons. D'un autre côté les Indiens different extrêmement des Egyptiens, eh ce qu'ils ne font pas circoncis; & en ce qu'ils admettent un Enfer dans la partie la plus baffe de VOndirab; & en ce qu'ils admettent encore des châtiments éternels pour de certains crimes comme le Suicide & la Bcftia-lité. (*) Les Egyptiens rejettoient abfolument l'éternité des peines, & ne croyoient qu'au Purgatoire, appelle en leur langue Amentkh ; mais de cet endroit aucun chemin ne conduifoit directement au Ciel, & tous ceux qui entroient dans \Atncntlùt , (*) Comme le Suicide eft, fuivant les Indiens, un crime inexpiable, parce qu'il interrompt le cours des transmigrations, on ne conçoit point de quelle manière ils combinent cette opinion avec la mort volontaire des femmes, qui le brûlent elles-mêmes. Cependant c'eft un fuicide auffi réel que celui de Calanus et de quelques autres Bramines dont parlent les Anciens. Je ne connois pas la doctrine des Egyptiens fur le fuicide , & on ne peut favoir fi elle étoit conforme à celle des Grecs, que ie foupçonne d'avoir imaginé une cérémonie aufli bizarre que l'ofeillation pour aider t'ame de ceux, qui fe peridôient eux-mêmes, à paffer le Styx. Cette ofcillatio» conlilfoit à fufpendre de petites figures a des cor 'es , & à les balancer longtemps dans l'air : cela tenoit lieu de funérailles &. de fépulture, que la Religion ou les Loix tefu-îçient à ceux qui s'étoient défaits eux-mèiiies. O turas hominum ! fur les Egyptiens les Chinois. 173 dévoient un jour reffufciter, & ranimer.le môme corps ou la môme matière qu'ils avoient animée la première fois. Suivant la Théologie Egyptienne, les Philofo-phes & ceux qui avoient embraffé la vertu la plus rigide , étoient les feuls dont l'ame alloit directement habiter avec les Dieux , fans paffer par le Purgatoire , & fans jamais être fujette à la réfürreélion ; & il faut obferver que ce n'eft qu'en ce point-là que leurs dogmes fe rapprochent tant foit peu de la croyance des Indous. Dans les cérémonies funéraires de l'Egypte on faifoit au nom de quelques morts une confeffion publique, par laquelle on déclaroit, qu'ils avoient conftamment honoré leurs parens, qu'ils avoient fuivi la Religion de l'Etat, que leur cœur ne fut jamais fouillé par le crime , ni leurs mains teintes de fang humain au milieu de la paix , qu'ils avoient confervé religieufement & reftitué de môme les dépôts qui leur étoient confiés, & qu'enfin pendant tout le cours de leur vie, ils n'avoient fait tort à perfonne. II eft manifefte que toutes ces conditions étoient abfolument indifpenfabies à ceux qui efpéroient de pouvoir échapper à Y Amen th es ou au Purgatoire. Et il me paroît que cette doéfr.ine fur les devoirs de l'homme & du citoyen eft un extrait de celle qu'on lifoit dans les petits Myfteres, où on la voyoit probablement gravée fur deux tables de pierre : car les Grecs nous difent de la manie-re la plus pofitive, qu'on apportoit en préfence des initiés deux tables de pierre; & cette circonf-tance explique une infinité de difficultés. H 3 Nous forâmes iciH.ftoriens : nous rendons compte des opinions, fans vouloir précifément indiquer ce qu'elles contenoient de bizarre ou d'inutile : car il étoit inutile fans doute de faire revenir une féconde fois les ames de Y si menthe s fur la Terre ; & par là on eût ôté la finguliere diftinction entre ceux qui dévoient reffufciter , & ceux qui ne ref-fufeitoient pas. Cependant tout le monde fe fai-foit embaumer par précaution ; & Pîutarque dit qu'il y avoit.aufli en Egypte deux endroits cù l'on cherchoit à fe faire enterrer préférablement à d'autres , comme les environs de Memphis, & les environs d'Abydus. Mais nous avons déjà remarqué que les Momies très commîmes dans le voifinage de Memphis, font au contraire très rares vers Ma-'-funé, ce qui fignifie ville enftvelie, foit qu'on ne puifie plus pénétrer dans les fouterrains à caufe d'une montagne de ruïnes qui les couvre, foit que le nombre des perfonnes, qui y ont fait porter leur corps, n'ait pas été aufli confidérable qu'on fe l'imagine. C'eft proprement à el-Berbi que doit avoir exifté le fameux Temple d'Abydus ; maison en a enlevé jufqu'aux bafes des colonnes: car les Turcs & les Arabes feient ces colonnes pour en faire des pierres de moulins, & voilà jufqu'où s'étend leur paffion pour les antiquités. M. Niebuhr, qui avoit été envoyé par le feu Roi de Danemark en Arabie , croit avoir découvert un troifieme c.'metiere Egyptien , fur une montagne, qui eft éloignée de dix-neuf grandes lieues de l'endroit , où l'on pafte aujourd'hui la Mer Rouge à pied fans avoir, pendant le reflux , de l'eau jufqu'à la moitié de la jambe. fur lés Egyptiens & les Chinois, vjf 11 eft fort remarquable qu'on découvre des Monuments Egyptiens fi avant dans l'Arabie pé-tiée, & il feroit encore bien plus remarquable, sïl étoit vrai comme ce Voyageur le prétend , qu'il a exifté dans ces environs* toute une ville Egyptienne , qui y poiTédoit des terres bien cultivées ;(*) quoiqu'aucun Géographe, ni aucun Hiftorien n'en ait parlé. Les habitants d'Héroon-polis ou de la ville des Héros ont pu porter quelques-unes de leurs Momies à deux lieues au-delà de ce que nous appelions la Montagne taillée ou le Gebel-el-Mokateb mais on n'a jamais ouï dire que les Egyptiens fe foient fervis de pierres fé-pulchrales, que M. Niebuhr nomme Leicbenfteitur & dont on ne voit pas la moindre trace dans les champs Elifées ou le grand cémetiere, qui eft entre Sacckara & Bufiris ; & fur lequel l'imagination des Grecs s'eft étrangement exercée. Le Gocyte , ce fleuve 11 redoutable, n'eft qu'un chétif petit canal ; qui dérive du Nil ; & le Lethé eft un autre canal encore plus petit que le Cocyte. Si les Egyptiens choififfoient volontiers ce.t endroit pour leur fépulture, c'eft qu'ils aimoient d'être enterrés dans le voifinage des Pyramides , qui auroient pu réellement embellir les deferiptious que les Mythologift.es Grecs ont faites de ce cémetiere ; & il eft difficile de favoir pourquoi ils n'ont jamais parlé de ces Monuments, qui étoient (*) Soyitlcfçhon gehauene Stclne kannen ihren Urfprung nicht von herumflreifenden Familien gehabt hahen ; fondent muilen nothwendig von den Linwohncrn einer grojfen Siadt k'.rruhren. Vnd wenn in diefer ieire wiiflen Cegend eins. grvjle Atadt g eft and en hat, fo mufs fie überhaupt auch bejfot angebauit gtwejen feyn. Bel, vonArabien. S. 402. EL 4. ij6 Recherches pbilofüpbiqües 'des objets d'une tout autre importance quedéu: folTés. Cependant quand on eft au milieu dei champs Elifées on voit d'un côté les grandes Pyramides ce de l'autre les petites ; mais il ne fart pas inférer qu'elles n'étoient point encore bâties du temps d'Orphée ou d'Homère, parce que n. l'un ni l'autre n'en a dit un mot. On n'a pu découvrir que les Egyptiens ayent eu des livres qu'ils attribuoient à des Auteurs in'f-pirés ; mais les grands Colleges faifoient paroître fous le nom de Thoth ou de Hermès, tous les ouvrages qui concernoient la Religion : car aucun Prêtre, ni aucun particulier n'écrivoit en fon propre nom fur de telles matières. Au refte ,1e peuple regardoit comme facrés tous les livres relatifs à la Jurifprudence , à l'Hiftoire & «à l'Aftro-logie ; éc furtout lorfqu'ils avoient été rédigés ou calculés par des Pharaons mêmes : mais les Traités d'Aftrolog'e ne paroiflbient pas fous le nom de Thoth ; & on n'y nommoit les Auteurs comme Suchls , Péto/iris, ou Nicepfos, ( * ) le grand promoteur Je cette fuperftition , qu'on ne pourra jamais déraciner de l'efprit des Orientaux.. E: nou? venons de voir Kérim Kan conquérir la Per-fe, & être accompagné dans toutes fes expéditions par des Aftrologues , précifément comme Alexandre, qui prit des Aftrologues en Egypte, (*) Quelques Savants modernes ' ont regarde* Néccpfos comme l'inventeur de l'Aftrologie iudiciaire : parce que St. Paulin a dit de lui, Qjtique NLagOs docuit myfleria varia Ncceifos. Apud AiifoD. XIX. Epirt. Mais l'autorité de St. Paulin n'eft ici d'aucun poids, & 'Aftrologie judiciaire eft une falie beaucoup plus ancienne. fur les Egyptiens Us Chinois. 177 ainfi qu'on prend des pilotes pour fe conduire fur des parages inconnus , & fi l'on en croit Quinte Curce, ils lui rendirent de-grands fer vices à Poccafion d'une éclipfe de Lune , qui eft très-célebre dans l'Hiftoire ancienne ; mais le récit d'Arien diffère à cet égard beaucoup de celui de Quinte.Curce. (*) Nous connoifïbns par Clément d'Alexandrie le fujet de quarante-deux livres Hermétiques, adoptés par les grands Colleges. On ne regrette pas la perte du premier volume ; parce qu'il ne ren-fermoi't que les Pfeaumes des Egyptiens ; mais on regrette beaucoup le fécond , qui preferivoie aux Rois la manière dont ils doivent fe conduire , & dont nous aurons encore occafion de parler ailleurs. Il feroit à fouhaiter qu'on nous eût au moins confervé un extrait du huitième 6x du neuvième Tomes de cette collection ,où l'on traitoit de la Cofmographie & enfuite de la Géographie , que quelques Auteurs ont regardée comme la feience favorite des Egyptiens. Cependant il eft bien certain que leurs lumières ont dû être à cet égard très-bornées. Et le tout fe réduifoit, comme on l'a dit, à quelques pratiques de Géométrie pour lever des Plans ou des Cartes, ce que les Chinois n'ont jamais fu , & on ne pouvoit , avant l'arrivée des Millionnaires, donner le nom de Carte à des morceaux de papier chargés de quelques caractères mis au Nord ou au Sud d'une rivière , & où l'on ne ( * ) Curt. Lib. IV. Cap. 10.....Arrian. Lib. 111. pas. 170. H 5 178 Recherches philvf/pbiques reconnoiffoit ni le local, ni les diftances, ni le» politions relatives des endroits, qui étoient également au Midi, ou également au Septentrion : & l'Empereur Kan - fti dut employer des Européens pour avoir de fon pays une Carte qu'on fait être encore très éloignée de la perfection ; puifque la latitude même de Fékin y eft fautive, & la longitude de cette ville peut être regardée comme incertaine; hormis qu'on n'ait fait depuis l'an 1730 de nouvelles Obfervations, dont je n'ai point de connoiffance. S'il étoit parvenu jufqu'à nous quelque Traité de Cofmogonie écrit par de véritables Egyptiens, on pourroit parler avec quelque précifiOn fur cette matière , qu'on a voulu inutilement éclaircir à l'aide de plufieurs ouvrages fuppofés , comme les Hymnes d'Orphée, la Théogonie d'Héfiode & les fragments de Sanchoniathon , par lefquels Philon a tâché d'illuftrer fa ville de Byblos en particulier & toute la Phénicie en général, fans fe foucter de l'Hiftoire qu'il ignoroit, ni de la vérité qu'il n'avoit pas à cœur. Le plus habile de tous ces fauffaires ou de ces Pfeudonymes pourroit bien être celui qui a forgé les Hymnes d'Orphée , où l'on croit au moins reconnoître quelques foibles traces de la doctrine de l'Egypte , (.*) que les Grecs & fur-tout Platon ont iînguliere-ment défigurée ; foit parce qu'ils n'entendoient pas bien la langue de ce pays , foit parce qu'ils la [*1 Le dialogue entre Dieu & la Nuit, qu'on attribue à Orphée, eft au moins dans le ftyle Oriental : on en trouve un autre dans les livres des Indiens entre Dieu & la Raifon humaine, qui eft beaucoup plus cenfé. fur les Egyptiens S Us Chinois. ïjy traduifoient mal & par des termes qui n'étoient rien moins que fynonimes , à peu près comme cela eft arrivé encore au commencement de ce fiécle par rapport aux Chinois; & on fait combien on a difputé fur la lignification de deux mots » Tien & Chang-ti: On vit alors une chofe allez remarquable : on vit un Tartare , qui voulut mettre d'accord tous les Théologiens , en déclarant malgré la décifion du Pape, que les Chinois ne. font point idolâtres.. Mais on peut bien s'imaginer, que ce Tartare eût été à fon tour très em-barraffé, fi on l'avoit contraint d'expliquer d'une manière claire & intelligible ce que c'eft qu'un Idolâtre : car il n'y a point d'apparence qu'il eût raifonné fur tout cela avec autant de fubtilité que quelques illuftres Ecrivains Juifs , qui , comme Abravanel, ont décidé qu'il y a dix efpeces d'I-dolatrie, ni plus, ni moins; mais ils ont fans doute oublié la onzième, qui confifte à faire l'ufure & à rogner les monnoyes ; car fi les avares ne font point idolâtres, perfonne ne l'eft. Il ne faut pas croire, quoiqu'on en ait pu dire , que jamais les Egyptiens fe foient fervis du. terme de Typhon pour défigner ce mauvais Génie, qu'ils appelloient en leur'langue tantôt Seih tantôt Baby ou Papy t & qui ne fauroit avoir aucun rapport avec le Grigry des Nègres. Mais, en examinant plufieurs fables, qui concernent le Typhon qu'on difoit être toujours allié avec une Heine Ethiopienne , nommée Azo, je ne doute plus que ce fantôme mythologique ne vienne des anciens Sauvages de l'Ethiopie, qui avoient probablement inventé quelque inftrument fort grof» i8o Recherches phihfjph'iques fier & fort bruyant pour chafTer le Baby : carorj a découvert dans la Sibérie, le long des Côtes de l'Afrique & dans le Nouveau Monde jufqu'à l'oppofite de la Terre du feu, une infinité de nations qui emplnyent des crécelles, des fonnail-les , des tambours ou des coni'ges rempiies de cailloux, pour éloigner les Efprits mal faifants , dont les fauvages fe croyent fouvent affiégés pendant la nuit, & dès qu'il leur furvient quelque indifpofition , ils doivent être exorcifés par les Jongleurs ; ce qui ne fe fait jamais fans un bruit épouvantable, dont le malade efl: d'abord étourdi. Comme les Egyptiens ont témoigné, on ne dira point de la confiance, mais de l'opiniâtreté à retenir leurs anciennes coutumes religieufes, on peut être à peu près certain que l'inftrumer.t dont fe fervoient les Ethiopiens pour écarter le Baby, a été le Siftre, qu'on voyoitparoîtredans toutes les cérémonies où chaque affiliant en portoit un à la main. Et Bechart a môme prouvé que dans des fiecles très-éloignés toute l'Egypte a été furnommée la Terre des Sift<-es, qui, comme nous Pavons dit, n'étoient point des infrruments de Muiique , que les ■ célèbres Muficiens d'Alexandrie, dont parle Ammien , (*) ayent jamais pu employer dans leur concert. Au temps de PIu-tarque le petit peuple de l'Egypte croyoit encore que le bruit du Siflre fait fuir le Typhon, (**) (*} Ne mine quidem in eadem urbe DcBrinx varia fient. Non ayud cos exaruit Mujica , nec Haimonia conticuit. Lib. 2î. [**] Typhonem clangott fjïrorum pelli yojjc crcd.lant. De Iful. & Olirid. fur les Egyptiens S Us Chinois. 1S1 dont la puiflan.ee diminua cependant à mefure que la raifon, fit des progrès, comme cela arrive dans tous les pays du Monde : car ce n'eft que chez des nations enfevelies dans la barbarie , ou dans la vie fauvage , que les mauvais Génies font formidables. Au refte , il eft prouvé par des monuments qu'on voyoit dans les villes dApollon & de Mercure , que les Egyptiens ont fournis le pouvoir du Typhon au pouvoir de l'Etre fuprême. Et les fables facerdotales nous représentent ce moudre comme noyé dans le lac Sirbon , où on le précipita dès qu'il fut touché de la foudre. 11 faut obferver encore qu'on lui a toujours attribué pjus d'influence dans les effets naturels que dans les affections de l'ame humaine : c'étoit lui, qui déchaînoit les vents btûlants , qu'on fait être dans ce pays extrêmement nulfibles : c'étoit lui, qui produifoit les fécherelfes extraordinaires, & enveloppoit les environs de Pélufe de brouillards étouffants : c'étoit lui enfin , qui régnoit fur la Méditerranée où il excitoit ces trombes qui portent encore fon nom aujourd'hui parmi les Marins. De tout ceci on pourroit conclure que les anciens Egyptiens ont été beaucoup plus embarraf-fés d'expliquer l'origine du mal phyfîque que l'origine du mal moral. Il eft aifé d'admettre que des êtres, qu'on fup.pofe nés libres, ne doivent chercher qu'en eux mêmes la fource des vices & des vertus : cette opinion eft à la portée du peuple ; mais les fecouffes de la Nature, que les hommes ne peuvent ni produire, ni arrêter, & qui ren-verfent également l'innocent & le coupable, dif. feront à fes yeux beaucoup du mal phyfique, que produit le défordre des paflîons. Après tout cela il eft prefqu'incroyable que dans un livre intitulé Obfervations critiques fur les anciens Peuples, M. Fonrmont ait voulu démontrer férieufement que le Typhon des Egyptiens a été le Patriarche Jacob des Juifs. (*) Cette chimère vaut elle feule toutes les chimères de Huet, du Pere Kircher & de Warhurton. Des fables allégoriques, confervées dans Plutarque, pourroient faire croire que les Egyptiens regardoient les-Hébreux comme une race méchante & Typhoni-que ; mais ces allégories n'ont eu cours vrai fem«-blablement que parmi le petit peuple , & ne pa-roiifent point être extraites des livres des Prêtres , où, fuivant Jofeph , on ne difoit autre chofe, finon que les Juifs avoient été réunis dans Avaris, qu'on appelloit auflT la ville de Typhon, dont la fituation eft un point qui intéreiTe la Géographie, & qui intéreffe encore bien davantage l'Hiftoire : cependant perfonne jufqu'à préfent n'en a pu indiquer l'emplacement. M ais , fuivant nous , Avaris eft la môme ville que Séthron, dont le diftrifl formoit la petite Terre de Cofcn : car jamais les Juifs n'ont occupé la grande, plus méridionale de quarante-fix lieues, k qui appar-tenoit à une ville nommée Heracleopolis magna. La petite terre de Gofe*n au contraireappartenoit à Heracleopolis parva ou Séthron dans le Delta. (**) [*1 Tom. 1. Lib. IL Ch Les Prêtres tle l'Egypte n'inferoient point dans les Mémoires hiftoriquesle véritable nom des Ufurpateurs de leur pays : mais ils les déugnoient allégoriquement par des iymboles odieux» Carnbyie etoit appelle' le poignard , Ucbus fur les Egyptiens & les Chinois. 18 5. La victoire mythologique, que les Dieux avoient remportée fur le Typhon, peut en un certain fens avoir du rapport à l'expulfion des Rois bergers, & en un autre au defféchcment de la Baffe Egypte par le moyen des canaux, avant l'ouverture defquels cette partie n'étoit point habitable, & il a dû s'en élever des brouillards extrêmement pernicieux. Indépendamment des autres caufes, auf-quelles nous avons déjà rapporté l'origine de la pelle en Egypte, il faut obferver que les deux chaînes de montagnes, qui bordent cette contrée depuis les Cataractes jufqu'à la hauteur du Caire, en forment une vallée longue , profonde & étroite où l'air ne pouvant circuler comme en un pays de plaine, efl par là même plus fujette à s'altérer. Et cette vallée fait d'ailleurs trois ou quatre coudes ; de forte que le vent ne peut la parcourir en ligne droite. C'eft ainfi que l'irrégularité des rues de Conftantinople & leur peu de largeur y entretiennent fouvent l'épidémie; parce que le courant d'air manque de force dans ces détours étroits pour entraîner le principe de la contagion. Les Anciens ont cru qu'en Egypte le» vent ne pouvoit même fe faire fentir affez à la fuperfi-cie de la terre , pour produire une agitation con-fidérable dans les eaux du Nil; mais ils auroient dû fe contenter de dire que les navires, qui veu- Ancr' lo premier des Rois bergers le Typhon ou Sctlu Ainfi Séthron, où les Rois bergers réGcloient, fe nommoit dans les livres facerdotaux la ville de Typhon , quoique fon véritable nom ethnique fût Gofcn ou la petite Cite d'Hercule. Ce font les bergers qui l'appelloient Avaris ou Aba-rts.jx. après leur expulhon on continua à l'appeller Séthron eu lyphor.opolis; car ces termes (ont fynonymes j#4 ' Recherches phi'ofophiques lent remonter ce fleuve à la voile, font furprfs de calmes frequents. Au refte , il eft certain , comme Ariftote le prétend , qu'anciennement le Nil n'a voit qu'une feule embouchure naturelle : (*) toutes les autres ont été faites de mains d'hommes ; & ce n'eft point fans afFoftation qu'on a porté le nombre de ces bouches jufqu'à fept pour les égaler aux planètes : mais jamais les Egyptiens ne confacrerent la bouche Tanitique au Typhon , comme on a pu le croire jufqu'à préfent : la prétendue horreur, qu'ils avoient pour la Tanitique, provenoit uniquement de ce que les Ufurpateurs, qu'on nomme les Rois bergers y habitoient: & cet endroit a toujours été fort expofé aux in-curfions des Arabes pafteurs : on y trouve môme encore de nos jours une Horde de Bédouins , qui font paître leurs beftiaux jufque dans ce diftrïft, qu'on a appelle la petite terre de Gofen. Comme notre but n'a été que de faire fentir en quoi la Religion de l'ancienne Egypte diffé-roit eifentiellement de la Religion de la Chine, on nous difpenfera d'entrer dans de longues dif-cuifions furies Panégyres ou les Fûtes , dont le nombre n'a point été auffi prodigieux qu'il paroît d'abord l'être : car toutes les Provinces ne cé-lébroient point ces folemnités à la fois, & il y en a plufieurs, qu'on regarde comme différentes : (*)_ METEOR. Lib I. Cap. 2. Ariftote croyoit que la feule bouche naturelle du Nil eft la Canopique : mais djms les temps les plus reculés ce fleuve fe déchatgeoit à la pointe ciu Delta à peu près à trente lieues plus au Sud que n't'toit litué Canopc, ce que fio-fpeftion du terrain rend fenfible. fur les Egyptiens les Chinois. iSf quoiqu'elles aycnt peut-être été au fond les mêmes. La Fête des bâtons , qu'on avoit fixée à l'équinoxe d'Automne, eft probablement la même qu'on céiébroit'à Paprémis dans le Delta, où les dévots fe livroient une efpece de combat avec des perches ou des bâtons, dont Hérodote dit avoir été témoin, ce on lui affura qu'il n'y avoit jamais perfonne de tué. Ainfi cette folie , quelque grande, quelque repréhenfible qu'elle ait été, ne doit cependant point être mife en parallèle avec les combats des Gladiateurs en Italie. La Fête, qu'on célébroit au lever de la Canicule, ne femble pas avoir différé- de la Fête des lampes qui concernoit la ville- de Saïs. Enfin ce que les Grecs ont nommé les Niha , & les Romains les jours de la naifîance d'Apis, coincidoient avec la Fête qu'on folemnifbit au folfticcd'Eté, comme Héliodore s'en explique pofitivement. C'eft: alors que toute l'Egypte offroit le plus beau fpe-ctacle qu'on pût y voir pendant le cours de l'année : c'eft alors que des hommes naturellement fom-bres & rêveurs faifoient au moins de grands efforts pour furmonter leur mélancolie. Mr. Nie-buhr dit avoir obfervé que les Egyptiens modernes ne font jamais véritablement joyeux , lors même qu'ils tâchent de l'être; & je croi qu'il en étoit à peu près ainfi dans l'antiquité: quoique les Prêtres n'euffent rien négligé pour rendre leurs Théophanies, leurs Panégyres & leurs Pompes très divertiftantes , & c'eft ce qu'Ovide nomme les délices du Nil. Les anciens Médecins , qui ordonnoient à de certains malades de faire le voyage d'Alexandrie pour fe guérir, n'efpéroient iS6 Recherches pbilofophiqties fiirernent point tant de la bonté de l'air, que delà diverfité des objets finguliers & des fpeftacles que l'Egypte ofFroit fouvent, & où la débauche la plus groffiere n'étoit que trop mêlée. Cependant on doutera toujours, quoiqu'en ait dit Ju-venal , (*) que les indigènes du pays ayent con-ftamment porté la diflblution au même point où la portèrent les Grecs de Canope; car il ne paroît pas qu'il y ait eu dans le monde entier un endroit comparable à Canope. Quant à Alexandrie Polybe affuroit que de fon temps on n'y trouvoit pas d'autres d'honnêtes gens que les Egyptiens' indigènes, qui formoient à peine la troifieme partie des habitants : tout le refte étoit un mélange de Grecs , de Juifs, & d'hommes ramaffés dans la boue des différentes contrées de l'Europe & de l'Afie. Outre le Sahath, que les Egyptiens paroiflent avoir obfervé fort régulièrement, ils avoient une Fête fixe à chaque nouvelle Lune : une au fol-ftice d'Eté, une au folftice d'Hiver, une troifieme à l'équinoxe du Printemps, & une quatrième à l'équinoxe d'Automne. Toutes leurs autres Fêtes, hormis celle qui répondoit au lever de la Canicule , étoient mobiles & les Prêtres feuls fa-voient dans quel ordre elles dévoient s'arranger ; ce que les particuliers ne pouvoient même prévoir : car cela dépendoit de différentes cornbinai-fons fouvent arbitraires : ils transferoient, comme (*) . . . . Horrida fane ASgyptUSiJid luxuriâ, quantum ipfc notaviy Barkam jamofo non ttdli turba Canopo. fur les Egyptiens &? les Chinois. 187 ils vouloient, les Fêtes qui coincidoient dans des Néomenies ou dans les jours équinoxiaux & folilitiaux. Aucun Savant moderne n'a pu expliquer pourquoi ces Prêtres de l'Egypte retinrent avec tant d'opiniâtreté l'ufnge de l'année vague dans les affaires de Religion. Ils exigeoient un ferment horrible de tous les Rois au moment de leur inauguration , par lequel ces Princes promettoient & juroient de ne pas abolir l'année vague, qui étoit trop courte de cinq heures, quarante-huit minutes & trente-fept fécondes , faute d'un jour intercalé en quatre ans. (*) Les Juifs , les plus mauvais Agronomes qui aygnt jamais exifté, fi l'on en excepte peut être les Chinois, tenoient de temps en temps un con-feil fecret, pour favoir s'ils aiouteroient à leur année lunaire un mois, ou s'ils ne Pajouteroiens point. Or dans ce Confeil ils n'admettoient ni le Roi, ni le Grand Prêtre ; parce que le Grand-Prêtre avoit intérêt qu'on n'intercalât pas : le Roi au contraire avoit intérêt qu'on intercalât. Ainfi le fuffrage ou la voix délibérative de l'un & de l'autre étoit néceffairement fufpefte (**) Là-deffus je me fuis imaginé que le Souverain étoit à peu près dans le même cas en Egypte , {*) Les Prêtres de l'Egypte n'inrercaloient un jour que dans la quatrième année fixe ou (acrée. (**) Voyez Mof. Maimonid. de confecratione Kalendar. Cf rationc inicrcalendi. Les Rois de Judée pou voient, dans de certaines circon-Itances , avoir intérêt que l'année fût de treize mois : mais :l ne ialloit pas faire dépendre tout cela de la volonté des hommes. & les Prêtres fe fouveiîoient fort bien de ce qui étoit arrivé lorfqu'on ajouta cinq jours à l'année; car alors les Pharaons déclarèrent qu'ils choifif-foient un de ces cinq jours pour fe repofer, & ils ne vaquoient à aucune affaire , dit Piutarque. D'un autre côté, l'Ordre facerdotal prétendoit conferver le droit de drefler le Calendrier; ce que lui feul pouvoit faire auffi longtemps que l'année vague fubfiitoit, & il n'en réfultoit d'ailleurs aucun défordre dans la vie civile: car tout ce qui avoit du rapport à l'Agriculture ce au débordement du Nil, étoit fort exactement réglé par des Fêtes immobiles, qui indîquoient au peuple les nouvelles lunes, les équinoxes & les fol-ftices. Enfin c'eft de l'Egypte que la Grèce & l'Italie avoient reçu les deux feuls Calendriers fup-portables dont on* y ait fait ufage. Lucain dit que Céfar, après avoir foupé avec Ciéopatre, fe vanta que l'année Julienne ne le cédjroit en rien aux faites d'Eudoxe : Nec meus hudoxi vir.cctur faftibits annus. Mais il n'y a pas d'apparence qu'un homme, qui avoit foupé avec Ciéopatre, ait parlé de toutes ces chofes ; 6c d'ailleurs Eudoxe avoit étudié chez les Egyptiens, ce Céfar employa un Egyp-tien même : ainfi il ne pouvoit fe vanter tout au plus que de fa bonne volonté. Je terminerai cet Article par quelques confi-dérations fur le prétendu zele ù faire des Profé-lytcs, qu'on attribue aux Egyptiens , parce qu'on trouve dans différentes contrées une infinité de Temples où le fer vice divin fe faifoit précifément . fur les Egyptiens £? les Chinois. i8p fuivant les rits Iliaques par des prêtres rafés, vêtus de lin, & dont la probité étoit très fufpe-éte. Mais jamais les véritables Egyptiens ne fe foucierent de faire des Profélytes ; & ce font des Grecs Afiatiques , qui ont porté le culte d'Ifis dans les ifles de l'Arehipélague , à Corinthe, àTithorée, & dans prefque toutes les villes d'Italie , où l'on recevoit les Néophytes fans les fou-mettre à la circoncilion, qu'on regardoit en Egypte comme une opération indifpenfable. Quelques Temples d'Ifis, tels que celui de Bologne, peuvent a voir jouï ds revenus fixes, parce qu'ils étoient fondés par des familles Romaines, ou par de riches affranchis; mais la plupart des autres n'étoient deffervis que par des Prêtres mendiants, qui heur-toient aux portes avec leurs filtres, ce ils faifoient croire au vulgaire qu'il n'y avoit point de différence entré commettre un énorme facrilege, & leur refufer l'aumône. (*) Ce mal vint bientôt à fon comble, fans que la police, qui vouloit l'arrêter au moins à Rome & en Italie, ait pu y réuf-iir; parce que le Sénat & les Empereurs employèrent d'aufli mauvais moyens pour extirper les Ifia-ques, que pour extirper les Juifs & les Aflrologues. Au refte , nous ne voulons pas nier abfolument que fous le régne des Ptoîémées il ne fe foit mêlé de temps en temps parmi ces vagabonds, & même parmi les Galles de vrais Egyptiens, que la pauvreté perfécutoit chez eux , & qui étoient des gens de la lie du peuple, dont toutes les efpè-rances fefondoient fur la crédulité & la fuperftition. (*) Ecquis ita efl audax , ut Ùtninc cogat abire Jaclantem Phariâ tlnnula (îftra manu ? Ûv ID. de Pont. I. SECTION VIII. De la Religion des Chinois. (-> Eux, qui ont tenté de mettre de Tordre dans ce nombre prodigieux de Religions, qu'on fait avoir régné dans le Monde depuis fon origine jufqu'au temps de l'Empereur Augufte, croyent qu'on peut les réduire en trois claffes : c'eft à dire le Barbarifme, le Scythifme & l'Hellénifme. Je n'examinerai point fi cette diftinction a été bien ou mal faite, & fi ce cercle a affez de circonférence pour embrafîer toutes les efpeces & toutes les variétés : mais on a certainement dû établir une claflë particuliere où l'on pût rapporter le culte , que les colonies Scythes ou Tartares in-troduifirent dans tant de contrées fauvages ; & on ne fauroit plus douter aujourd'hui que la Religion des anciens Chinois n'ait été une branche du Scythifme , qui étoit approprié au caractère d'un peuple groffier , inquiet, ambulant ou nomade ; mais qui ne convenoit gueres à une fociété paifible & bien policée. Aufli jamais les Tartares n'ont ils confervé leur Religion, lors même qu'ils ont fu conferver leurs conquêtes ou leurs établif-fements ; & c'eft par cette même raifon que la Chide a adopté le culte Indien; quoique ce pays fituéaux extrémités de notre Continent, ce corn- fur les Egyptiens cjf les Chinois, ici me féparé du refte du Monde, auroit dû retenir , à ce qu'il femble , beaucoup mieux qu'aucun autre , fes inftitutions nationales ; mais elles man-quoient de force. J'entrerai d'abord dans quelques difcufïïons fur le plus ancien Monument des Chinois , qui eft indubitablement la table de YT-K'mg, dans laquelle M. de Leibnitz a cru voir les éléments de l'Arithmétique binaire ; mais la conjecture de ce grand homme eft beaucoup trop ingénieufe. Et il y a lieu d'être furpris de ce que lui , qui con-noilToit l'Hiftoire des anciens Germains, n'ait pas trouvé aufli chez eux une efpece $r-King , qui n'eft aflurément autre chofe que la Table des forts ; & je croi que, dans l'Antiquité , prefque tous les Scythes ont fait ufage de cette divination. LT- King des Chinois renferme foixante-quatre marques , compofées de lignes droites , dont les unes font brifées & les autres entières. Or celui, qui confulté le fort , prend en main quarante - neuf baguettes, & les jette à terre au hazard : alors on obferve en quoi leur pofition fortuite corrcfpond aux marques de YY-Ktng ; & on en augure bien ou mal, fuivant de certains points dont on eft d'accord, & c'eft Confucius , qui a prefcrit le plus de règles pour ce genre de fortilege, ce qui a fait un tort infini à fa réputation aux yeux de tous les\é itables Philofonhes, & même de ceux qui peuvent lire fans préjugés & fans prévention l'Hiftoire de la Chine. Que les anciens Germains ayent eu des baguettes, qu'ils jettoient tout comme les Chinois les jettent encore aujourd'hui ; c'eft un fait, dont ipa Recherches phikfophJques nous fommes bien exactement inftruits par Taci-te ; (*) & j'ai déjà eu occafion de démontrer ailleurs, que c'eft là l'origine des premiers Buch-ftabin, terme qu'on a confervé jufqu'à nos jours; quoiqu'il lignifie maintenant des chofes très-différentes. La manière, dont d'autres nations Scychfques, fixées dans le Nord de l'Europe ont jette les Runes, n'a différé en rien de la pratique décrite dans le quatrième livre d'Hérodote , (**) qui dit que les Scythes n'avoient de fon temps d'autre divination que celle qu'on employé dans la plupart des Pagodes de fa Chine , où le prototype de la Rabdomancie eft attaché contre un mur. (***) Ceux, qui veulent interroger le fort, opèrent comme on vient de Je dire, & on obferve en quoi leur jet s'accorde avec les traits de YY-King, où il n'eft, par conféqnent, non plus queftion de l'Arithmétique binaire que de l'Algèbre ; & le terme {*) Tacite dit que chez les Germnir.s, qui étoient Scythes d'origine , le prototype de la Rabdomancie ou ÏY-King le trouvoit gravé fur les baguettes : mais cela revient au mime , & on verra que les Chinois fe fervent auffi quelquefois de baguettes inferites. (**) Il eft vrai qu'Hérodote dit, qu'il y avoit auffi dans la Scythie c'es Hermaphrodites, qui employoient à la divination des feuilles d'arbres. Mais je devrois faire une d.if-fertarion tout exprès, fi ie voutots ici expliquer ce que c'étoit que ces H?nrtaphro'ites d'Hérodote , ÖC Cette divination par les feuilles, qui ne femble pas avoir été inconnue auu Chinois. On peut confulter encore fur la Rabdomancie des Scythes & des Medcs. Dio Lib. I. Tertix Compofi-tonis. (***) Dans quelques Pagodes ces baguettes font plat-tes, longues d'un-demi pied , & chargées de caraflercs ; rnais on en trouve d'autres , dont on pétrè voir la De-feription dans Menduza. hijloria ddla China. Lib. 1J, Cap. LV. fur les Egyptiens & les Chinois. 193 terme de Grimoire eût été ici appliqué beaucoup pins heuicufement par M. de Leibnitz, qui étoit en conefpondance . comme on fait, avec les Jé-fuites de Paris, tk fur-tout avec le P. Bouvet : cependant ces Religieux lui ont laiffé ignorer, que les Chinois n'employent leur X-King qu'à des ior-tileges très-repréhenfïbles ; Se fi ce Philofophe eût été inftruit de toutes les circonfiances , comme on l'eft maintenant en Europe, il eût d'abord changé d'idée : car jamais homme ne fut plus éloigné que lui de chercher la réalité dans de vaines fuperflitions. Et lorfqu'il entreprit de juftifier les Chinois fur quelques imputations qu'on leur faifoit alors, il avoua ingénuement qu'on ne peut trouver dans leurs livres, qu'ils ayent eu de véritables notions fur la Création du Monde; (*) ce qui affaiblit leur DéïT-me. Car ceux-là font encore éloignés d'être Deïf-tes, qui ne reconnoiflent pas dans l'Eternel le fa-bricateur libre de l'Univers, & le maître de la Nature comme parle Newton. Lorfque le Pere Merfenne fit imprimer , qu'il connoifi'oit jufqu'à douze Athées en une maifon de Paris, tk que le nombre total montoit à foixante-mille dans cette ville, la Police vint arrêter les exemplaires de fon Ouvrage : on y inféra des cartons, & cette calomnie groffiere, hav.ardée par un Moine mendiant , oui vivoit aux dépens du public, fut rayée. Mais on n'ufa pas de cette précaution à l'égard du Traité de Longobardi, autre Moine, qui . (*) Voyez le Recueil de fes lettres, & les Notes qu'il a faites fur les Traités de Longobardi & d'Antoine de ote. Marie. Tome II. I IP4 Recherche* philo fephiques n'aceufoit point d'ArJléifûie cinquante ou foixantç mille hommes, mais tous les Lettres de la Chine en général. D'abord une imputation de cette nature ne put jamais provenir d'un principe de charité; car elle eft pour cela trop atroce, 6k plus elle eft atroce, plus elle devroit être démontrée clairement : cependant rien au Monde n'a moins été démontré.-Ces prétendus Lettrés font des perfonnages dont l'ignorance eft très-profonde: ils difputentfou-vent fans fe comprendre les uns les autres; 6k comme ils ne fauroient plus alors fe fervir de leur langue , ils ont recours à leur éventail avec lequel ils tracent le caractère des mots dont ils veulent indiquer le fens. Enfin jamais idiome ne fut moins propre à difeuter des fujets de Métaphyfique que le Chinois, appelle par les voifins-mêmes de la Chine la langue de ionfujion: parce que les obfcurités 6k ks équivoques y font très-fréquentes. Toutes les règles de Grammaire 6k de Syntaxe, qu'on a inventées pour rendre les autres langues diftinctes, claires, 6k intelligibles , font inconnues dans celle-ci, qui n'a d'ailleurs que trois temps, 6k quinze ou feiie cents mots radicaux , parmi lefquels on n'en trouve aucun qui foit fynonyme de celui de Dieu , ni aucun qui fuit fynonyme de celui de Création ou Créateur : plus on y employé de circonlocutions, plus on s'y embrouille. Si donc qmlques Lettrés de ce pays font tombés dans des erreurs fur l'eftence de la Divinité, il ne s'enfuit nullement qu'ils foient Athées ; puifque leur fuperftition même dépofe du contraire. Tout ceci s'explique de la manière la plus claire , lorf-qu'on fe donne la peine de réfléchir à un paflage , que nous avons extrait de l'Ouvrage du Pere du tfalde. fur les Egyptiens 13 les Chinois. lof i, Les plus habiles Docteurs de la Chine, dit-il * a un peu de Morale près, ignorent ordinaire- ment les autres parties de la Philofophie. Us i, ne favent ce que c'eft que; raifonner avec que1-„ que juftefle fur les effets de la Nature qu'ils „ fe mettent peu en peine de connoître, fur famé, fur le premier Etre qui n'occupe gueres leur ,„ attention, fur l'état d'une autre vie, fur la né-„ ceflité d'une Religion. Il n'y a pourtant point de Nation qui donne plus de temps à l'étude : mais „ leur jeunefTe fe paffe à apprendre à lire, & le „ refte de leur vie à remplir les devoirs de leurs charges, ou à compofer des Difcours Académi-„ ques. C'eft cette ignorance groffiere de h Na-,, ture , qui fait qu'un grand nombre attribue pref-„ que toujours fes effets les plus communs à quel-,, que mauvais Génie ". (*) N'eft-ce point réellement une injuftice de vouloir que de tels hommes parlent oc écrivent en Philoibphes ou en Métaphysiciens ? Et ne recon-noit-on pas ici beaucoup mieux des fuperftitieux que des Athées ? Au refte, lorfqu'on a prétendu qu'on ne trouvoit aucune idée de la Création de l'Univers dans les livres Chinois, cela ne peut s'entendre tout au plus que de ceux qui ont été com> pofés avant le treizième fiecle : car fous la Dynaftie des Mogols, on vit paroître quelques Auteurs, tels que Hou-p'mg , qui parlèrent de l'origine du Monde à peu près comme en parlent les Maho-métans. Après \'r~K'mg eu la Table des forts, quelques- (*} Difciiption de la Chine. Tom. III, pag. 46. I X tç6 Recherches phiîofophiques uns font fuivre immédiatement dans l'ordre des livres canoniques le Chou-King, qui n'tft pas un Ouvrage original, complet 6c iuivi ; mais un recueil imparfait de quelques traits d'Hiftoire, de quelques lieux communs de Morale , Se de différentes fu-perftitions. On ne connoît pas le véritable compilateur de cette pièce, qui mcriteroit bien mieux le nom de rapfodie , que ne l'ont mérité l'Iliade Se l'Odylfée ; mais on voit clairement qu'il vivoit dans des temps très-poftérieurs aux événements dont il parle. On dit même que le Chou-King n'a été rédigé que dans le fiecle où écrivoit Hérodote, Se il fera toujours impoffible de favoir ce que le rédacteur y a ajouté de fon chef, 5c ce qu'il en a retranché. Comme enfuite ce livre fut brûlé Se rétabli, il ne peut manquer d'être fufpeét, à plufieurs égards , aux yeux des plus habiles Critiques de l'Europe. Cependant on y reconnoît des traces d'antiquité, Se les Chinois paroiiïtnt avoir été alors, comme les autres Scythes, très-fujets à s'enyvrer dans les Provinces Septentrionales, qui font les premières où ils ayent formé des e-tabliflements : car on leur fait de fréquentes remontrances fur le danger du Sampfu ; dont les buveurs fe blafent « parce que c'eft une efpece d'eau de vie tirée du riz, du millet, du froment, Se même comme on le prétend, du bled Sarrafin, que nous croyons être inconnu dans ce pays où la graine doit en avoir été apportée d'ailleurs , Se il y a des Voyageurs qui regardent aufli la vigne comme étrangère à la Chine où, fuivant eux , elle n'exiftoit pas encore du temps de Confucius -, mais cela eft incertain , Se tout ce qu'on fait, c'eft qu'anciennement comme fur les Egyptiens & les Chinois, ip/ aujourd'hui les Chinois n'exprimoient aucune liqueur du raifin; mais leur première méthode pour tirer du riz une boiffon fpiritueufe , femble avoir été la même que celle qu'employent les Tartares pour diftiller le lait de jument. 11 n'eft point encore parlé dans le Chou-King, de l'ufage du Thé, 8c nous ignorons comment on y rémédioit alors à la niauvaife qualité des taux; que les anciens Troglodytes corrigeoient par l'infulion du Palinrus , que je foupçonne être l'arbre le plus propre à rendre potables les fources ameres de l'Arabie 6c des côtes de fon Golfe; 8c il fe peut même que fes propriétés l'emportent fur celles du Théier. li feroit très-difficile de donner au Leéteur une idée de la manière bizarre dont on a traité, dans le Chou-King, quelques objets relatifs à la Phyfique. On y voit non feulement paroître les cinq Elemens Chinois ; mait le compilateur prétend encore que chacun de ces Eléments a un goût particulier : de forte que , félon lui , tout ce qui brûle eft amer : tout ce qui fe feme 6c fe recueille, ajoute-t-il, efl doux: 8c c'eft dommage que pour le prouver, il n'ait point cité la moutarde ou la coloquinte. Nous ne favons pas comment on a voulu trouver dans de fi profondes abfurdités quelque rapport avec le-Traité d'Ocellus Lucanus; car ce font là des mystères qu'il nous a été impoftible de dévoiler. D'ailleurs Ocellus étoit un homme qui rajfonnoit fortin-coniequemment, comme on le voit par les deux arguments qu'il employé, lorfqu'il s'agit de prouver l'éternité du Monde, fyftéme qu'il n'avoit pas imaginé; mais perfonne ne i'a plus mal défendu que lui. La Phyfique 8c l'Hiftoire Naturelle font les deux points contre lefquels les livres canoniques des anciens peuples de l'Aiie ont le plus groftiérement péché; mais ce qu'on lit dans le Chou-King fur les fortileges eft diamétralement oppofé à la faine rai-ion , 8c nous nous contenterons d'en citer ici un paffage. Si les Grands , les Minijhcs ejr le Peuple difent d'une manière , CT que vous [oyez, d'un avis contraire , mais conforme aux indices de la Tortue dont les Ruiïes exigèrent un tribut en pelleteries fous le Czar Baftle Ivanowitz apportoient toujours ces peaux diftri-buées en neuf paquets. Et en examinant des Infcriptions trouvées en Lapponie , je me fuis aufli d'abord apperçu que ce nombre myftique y domine ; ce qui n'eft point furprenant , fi les Lappons defeendent des Kaimouks ou des Huns, comme on a voulu le démontrer de nos jours par l'analogie dur' langage. ( *) Dans ce qu'on nomme aujourd'hui Tanciennî Religion de la Chine il n'exifte plus ni Prêtres, ni Clergé, fi l'on en excepte la perfonne du Prince, qui a réuni en lui tonte l'autorité du Sacerdoce 8c de l'Empire. Ceux qui forment le Tribunal des Rits, ne font ni facrés ni même capables d'offrir les grands facrifkes : l'Empereur leur fait donner, quand il veut, une bnftonnade comme à des efcla-'ves,ou les renvoyé chez eux, alors ils rentrent dans la foule 8c la clatTe des hommes ordinaires. Lorf-que les Eunuques gouvernoienr PEmpire, le Tribunal des Rits n'étoit suffi rempli que de châtrés. A la Chine le Defpotifme a renverfé le Sacerdoce , 8c l'a comme foulé aux pieds : car il eft bien. $.*) Ces Caraftcres trouvés en Lapponie font tracés de la forte : 111 X X X 111. ti H H X X X. Cette formule elt répétée plufieurs fois Hans différents endroits. & donne toujours deux fois neuf ou dix-huit. Vovez Knud Lcems Broftffbrs dtr Layrifchen Sprachc , N'ach/lchfcn v.on den Lapjua. L'as, lit- i«'^v- J7-?l- fur les Egyptiens & les Chinois. 203 certain que jadis les Chinois ont eu des Prêtres, ainli que toutes les autres Nations Scythes. Nous ne nions pas que les Kans n'ayent toujours eu droit de foire eux-mêmes de certains facrifices, ck d'immoler de certaines victimes : on pourrait même croire que c'eit en cette qualité qu'ils fe font fait appelle! Fils du Ciel; tk il n'y a qu'une fi m pie différence de dialede entre le titre de Tan-fou , qu'on a donné aux Princes des Kalmouks ou des Huns, 6c celui de Tien-tfe, qu'on donne aux Empereurs de la Chine: mais toutes les affaires de Religion n'ont pas été de la compétence des Kans : auffi voyons-nous que les Mongols 8c les Mandhuis ont laiffé fubfifler jufqu'à un certain point l'autorité des Kur tuktus, qui fuivent les grandes Hordes, où on les trouve campés à peu de diftance de la tente du Prince , ou bien ils réfident à la Cour même, comme le Ktttttktus de Pékin où la religion du Grand Lama domine; parce qu'elle eft fuivie par les Tartares qui ont conquis la Chine en 1644. Mais plufieurs fiecles avant l'époque de cette conquête, l'extinction totale de l'ancien Sacerdoce Chinois avoit fait confier au Magiltrat l'inftruction publique, ufage que quelques Ecrivains modernes ne fauroient affez louer; mais comme ce pays eft plein de fectes, les Magii'lrats de toutes fes Provinces n'ont point une Religion uniforme , tk quoiqu'ils prêchent fur les mêmes fujets, leurs opinions particulières peuvent aifément prédominer, dès qu'ils fe fentent quelque tele foit pour, foit contre l'es opinions des fectaires de Fo tk de Lao-Kium. 11 eft ridicule de croire que de petits Mandarins ne fe laiffent point entraîner par les réductions des Bonzes, qui ont tant de fois I 6 204 Recherches philofophiqnes entraîné toute la Cour au point que l'on a vu l'Empereur Kao-tfou defcendre de,fon trône, & fe taire novice dans une Bonzerie. S'il exilloit un pays où le culte fût uniforme , alors la meilleure méthode pour donner à l'inftrudtion publique toute la force qu'elle peut humainement avoir, ce feroit delà faire faire alternativement par le Magiftrat & le Clergé, fuivant des formulaires invariables & approuvés par l'Etat. Alors on ne fe plaindroit plus fi amèrement de la foule des mauvais Prédicateurs; car ils feraient tous également bons. On trouve qu'il y a eu jadis à la Chine un Grand-Prctre nommé le Tai-che-ling, dont le pouvoir a diminué à mefure que la puiflance du Prince a augmenté. Cette révolution Ôc beaucoup d'autres énervèrent enfin tellement la Religion nationale, dont les dogmes étoient d'ailleurs mal liés entre eux, qu'il fallut avoir recours à une Religion étrangère; & on adopta celle des Indes. Maismalheureufement elle n'étoit plus dans fa pureté primitive, & c'eft lo ou Bttdha, qui avoit furtout travaillé à la corrompre, en y introduifant la doctrine du repos & de la méditation d'où naquit le Monachifme, ou plutôt ce fléau, dont je parlerai plus amplement dans l'inftant. Les Chinois auroient beaucoup mieux fait de conferver dans toute fon étendue l'ancien Miniftere de leur Taï-che-ling, que de s'abandonner aux Bonzes, nation parefleufe & avide, qui ne tient par aucun lien à la conftitution de l'Etat : foit qu'elle mendie, foit qu'elle pofiéde des terres, la fuperftition lui eft également nécelTaire : c'eft par-là qu'elle acquiert : c'eft par-là qu'elle conferve. Il étoit d'autant moins fur les Egyptiens & les Chinois, löf expédient de fouffrir des Religieux adonnés au Fo-hifme, que la Chine avoit déjà alors d'autres Moines, qui fuivoient l'ancienne fecte des immortels, dont il eft parlé dans Hérodote tk dans Platon qui en avoit eu connoifîance, parce que de fon temps elle étoit répandue au Nord delà Grèce, tk dès-lors les Getes l'avoient portée dans la Valachie & la Moldavie. Il n'eft point abfolument étonnant que les Chinois n'ayent pu imaginer eux-mêmes une Religion convenable au génie tk aux mœurs d'un peuple civi-lifé : maison s'étonne de ce qu'en choififïant parmi les Religions étrangères ils ayent fait un fi mauvais choix. (*) Dans les temps dont il s'agit, le culte des Parfis étoit préférable au Fobifme; & furtout pour un peuple pauvre comme celui de la Chine ; car les Parfis n'avoient point alors de Moines, & leurs dogmes étoient précifément faits pour encourager l'Agriculture : auffi les Princes de l'A fie, qui les ont reçus dans leurs Etats, ne s'en font-ils point repentis; & il feroit àfouhaiter qu'on pût dire cela en Europe des Juifs, qui auroient d'autant plus befoin d'être réformés qu'ils ne veulent pasfe réformer eux-mêmes, tk ils font l'ufure comme au temps deMoï-fe. Au refte quelque corrompu que fût le culte des Indes, lorfqu'on l'apporta à la Chine , il y reftoît encore quelques inftitutions fort propres à corriger la férocité naturelle d'un peuple Scythe : carie Novateur Budha n'avoit point diminué cette horreur . ^ ), Quelques Hifloriens difent que l'Empereur Mine-ti intfoduîfit la Religion Indienne à la Chine à l'occahon d'une des hbles ÊrofTe"6 prophétie de Confucius » ,nai* ce font la 20(5 Recherches philo foplùqttes pour I'effufion du lang humain, qui caraétérifa toujours les dogmes des Lndous, qui ont par-la racheté différentes fuperftitions, qu'on leur pardonne ou que l'on ne leur objecte pas. Les Bonzes vouloient même abolir à la Chine le fupplice de mort; mais ce fuppîice ne fauroit être aboli dans un Etat defpoti-que où rien n'eft plus variable que la volonté des Princes qui fe fuccédent toujours fur un tiônechan-cellant. L'avis des Bonzes, loin d'avoir préva'u à l'égard des coupables, n'a pas même été adopté à l'égard de leur; familles innocentes, que le Gouvernement de la Chine traîne toujours fur Péchaffaud , fi l'on en excepte les femmes; qu'on vend comme efclavcs,. fuivant la maxime des Scythes dont parle Hérodote; (*) & ce font des colonies Scy.biques, qui ont répandu cette coutmne en Ruffie, où. elle a fubiifté jufqu'à nos jours. L'ancienne Religion de la Chine confiftoif princi-cipalement dans des facrifices qu'on offroit fur des montagnes, où les Empereurs fe rendoient avec le Grand-Prêne» & ils y im mol oient vrai-femblablç-ment l'un tk l'autre des victimes. On montre dan* la Province de Chan-tong une monDgne appellée Tiù-chan, que quelques Chinois regardent comme la plus haute de leur piys ; or on fait & par la Tradition & par l'Hiftoire, que c'eft fur fon fom-met que l'on a longtemps facrifié. Mais les Inicrip-fions, qui doivent y exifter, paroiflent fort fufpec-tes ; quoiqu'il ne foit pasiropoflible qu'on y rencort- (*) Qjios morte Rex affteit , eon.rr ne libéras quidem re* finquit ; l-d tmivcrfos marcs iruerficit, fxminis nil hzfij^. liercd. Lib. IV, fur les Egyptiens & les- Chinois. 207 tre quelques monuments comme fur plufieurs hauteur du Noid de l'Europe , où les Scandinaviens ont entaffé des pierres prodigieufes , quelquefois chargées de Runes tk les caractères de la Lapponie,, dont on vient de parler, étoient taillés dans des poteaux plantés fur la crête d'un rocher très-élevé, ow des débris d'oflement confufément épars prouvent que les Lappons ont fait des immolations plufieurs années de fuite, tk cette particularité n'affoi-blit aiTurément point le fentiment de ceux qui regardent ces peuples comme une filiation des Huns;, puifqu'on connoît , dans la Province du Chen-fi; ta montagne où les Huns eux-mêmes ont facrifiê. Enfin on trouve dans la Tartane tk une partie delà Sibérie des élévations femblables fur lesquelles les Voyageurs ont encore vu de nos jours pratiquer des cérémonies religieufes; tk cette coutume doit avoir été prefque générale parmi la plupart des Scythes , dont les Chinois defcendt-nt indubitablement & le nom de leur Grand-Prêtre paroît avoir été relatif à des facrifices offerts dans des lieux élevés. Mais la difficulté eft de favoir à quelles efpe-ces de Divinités on. les adrefluit : car la Théologie Chinoife a rempli le Ciel & la Terre d'une innombrable foule de Génies , parmi lefquels ceux des Montagnes ou les Oréadcs occupent un rnn* très-diftingué, tk on leur témoigne encore aujourd'hui des honneurs divins dans toute retendue de l'Empire où les Pagodes les plus celebres font lituées fur les plus hautes montagnes. ( * ) Des hommes, qui n'avoient ni villes ni forte- 2o8 Recherches phibfophiques reffes, & qui étoient fouvent en guerre, comme les Sauvages des pays froids y font pielque toujours, ont pu trouver fur les hauteurs une retraite après avoir été battus dans les plaines: il efl donc allez naturel qu'on ait choifi ces afyles pour y remercier le Ciel ou pour l'implorer de plus près; 6e infenhblement on aura fixé fur les Montagnes des Divinités locales pour leur offrir le fang des victimes, qu'on avoit d'abord offert au Ciel vifible : car l'invention des Génies ou des fantômes qu'on appelle ainfi , paroît poflérieure au culte des Affres 6c du Firmament. Lorfque le Pere le Comte foutient dans fes Mémoires, que les Chinois ont honoré le Créateur dans le plus ancien Temple de l'Univers; auffi-tôt la Sorbonne allarmée mal à propos condamna cette propofition. (*) Cependant on ne voit pas en quoi une telle propofition a pu être de la compétence de la Sorbonne ; vu qu'il s'agit ici d'un fimple fait hiftorique, qui n'intérefïe en quelque manière que ce foit la Religion qu'on profcfle en France. 11 falloir; laifier juger de toutes ces chofes des Hiftoriens 6c desPhilofophes, 6c alors on fe feroit apperçu clairement , que le fait hazardé par le Pere le Comte eff une fable & non une hérefie. Dans les fiecles les plus reculés les Chinois n'avoient pas même des Temples , puifqu'ils facrifioient fur les montagnes comme les autres Scythes Afiatiques : 8c fi Mr. de Leibnitz n'a pu découvrir aucune trace de la création du Monde dans leurs livres écrits long-temps (*) Ccnfura Facultatis^ Theol. l'arif. lata in propopiiones txcerptas ex libris , Memoires fur la Chine , Hiftoire de i'Edit de l'Empereur Canghi, Se Lettres fur les Cérémonies Chinoifes, fur les Egyptiens £s? les Chinois. 20p après qu'ils furent policés, il eft aifé de s'imaginer quelles ont dû être leurs idées, lorfqu'ils étoient encore barbares. Et leur barbarie paroît avoir été très-grande jufques vers l'an nzi avant notre Ere: car on dit qu'alors un Conquérant nommé Voh~ vang, vint avec deux ou trois mille hommes s'emparer de la Chine où il ht quelques loix, & où il tâcha de fixer les habitants , qui inclinoient encore vers la vie ambulante ; puisqu'ils transferoient fouvent leurs bourgades, qui n'étoient que des affem-blages de cabanes portatives tk des tentes. Alors toutes les connoilTances hiftoriques confiftoient en quelques traditions fur les fuccefleurs de l'ancien Kan Fo-bi, que fa mere conçut miraculeufement : car il n'eut point de pere à ce que difent les My-thoîogiftes de la Chine , qui doivent avoir copié cette fable fur celle qui a eu cours parmi les Scythes , qu'on fait auffi avoir rapporté leur origine à une fille, qui accoucha par prodige d'un enfant appelle Scytha fuivant Diodore de Sicile : car Hérodote prétend qu'elle n'étoit pas v ierge, tk lui fup-pofe un commerce avec Hercule, dont il "n'eft jamais queftion dans les fables Scythiques. Au refte, Hérodote tk Diodore s'accordent fur la figure mon-ftrueufe de cette femme ( dont les Scythes fe croyoient iflus : fon corps depuis le bas de la poitrine reffembloit à celui d'un ferpent; & voilà ce que les Chinois difent de lo-hi même. (*) [*] Le Pere de Prémarc, qui a fait, comme on fait, beaucoup de recherches fur la mythologie Chinoife, dit qu un Auteur nommé Vtn-tfi prétend que Fo-hi avoit le corps d'un ferpent. Çhiant à fon pere , ajoute-t-il, Us Chinois difent qu'il n'en eut point, & que fa mere le conçut far miracle. Difcours Préliminaire du Chou-King pag. 107, t îo Recherches phiïofophiques La finguliere analogie , qui exifte entre ces traditions populaires, prouve qu'elles ont été puifées dans une fource commune : & ii à cela on ajoute la conformité entre l'emblème du Dragon , que les Scythes & les Chinois ont porté dans leurs drapeaux , on fe convaincra de plus en plus que ces deux nations fortoient d'une même tige : car les premiers drapeaux des Empereurs delà Chine étoient attachés comme des voiles de navires à leurs chars, & s'enfloient lorfque le vent les faiiifloit , ainfi que les enfeignes Scythiques , décrites par Arrien. (*) On aflure que le plus ancien lîmulacre religieux, que les Chinois ayent fabriqué , a été un Trépied; ou pour parler d'une manière plus intelligible , un grand vafe à trois (apports , gai ni de deux an fes , tel que ceux dont il tlt parlé dans Homère 8c dans des vers attribués fans raifon à Héfîode. Mais nous ne favons pas comment oh a pu trouver du rapport entre ce Trépied de la Chine & celui de Delphes ; hormis qu'on n'adopte la tradition qui a eu beaucoup de vogue dans l'Antiquité , 8c qui attribuait la fondation du Temple de Delphes à des Scythes furnommés Hyperboréens ; parce qu'ils habitoient au Nord des Monts de la Thrace, dans (*) On s'eft contenté d'indiquer ce paflàge d?Arrien dans la Préface ; mais ici nous en inférerons la traduction Latine. Signa Scytica font Draconcs convenienti longhudint pn-dtnus excaaiu. tiunt auttm ex panais inter fe canfn-t,.t, dn-zrf-colonbus , capke, reliquoque eorpore omrii ad çaudam nique fimill fèrpenfbus : in fpecitm maxime f'ormi-dabiUm, quantum potefl, injlruélo. Vtuntur autem bis fo-phijmat'bus ; quando quieti fiant equi , nil amplius quant p anno s v lit as dtverjt-eolores adinferiora dépendîmes : quando vero currunt, in flati turge fleurit in tantum ut ipfas quoque Serasfpteie référant. TÀCÏI. pag. So. fur les Egyptiens £s? les Chinois. z\ v lefquels les Grecs Méridionaux plaçoient la fource du vent appelle Borée : de forte qu'à leur égard toutes les peuplades répandues au-delà de la Thra-ce , étoient Hy perboréennes. Mais on en imagina enfuite d'autres vers les Alpes 8c même vers lesPyré-nées, 8c ce font celles-là qui doivent avoir facrifté des Anes, 8c porté dans la Grèce les premiers plants d'Oliviers, qui n'y venoient pas des environs de Sais dans le Delta , mais quand même les Scythes auroient fondé le Temple de Delphes, que Pau-fanias dit avoir été dans fon origine , une chéiive Cabane ; il elt certain que le culte y fut enfuite très-alteré 8c mêlé des pratiques Egyptiennes, comme nous le voyons par le Loup , qui y étoit confacré à Apollon piécifcmcnt comme dans la grande Préfecture Lyccpolitainc de la Thébaïde. Au refte , les anciens Chinois ne fe contentèrent pas d'avoir un vafe myflérieux ; car ils en firent encore huit autre:. Et ce lont là les Talismans x auxquels on attacha les deftinées de l'Empire , partagé alors en neuf Provinces, dont chacune étoit, par conféqnent , fous la protection d'un de ces Chaudrons à trois pieds. Cette fuperftition bizarre ne peut avoir fa fource que dans les facrifices où l'on aura d'abord em-r ployé des Trépieds pour y cuire les victimes , Se on faic que les Scythes les cuifoient dans des efpe-ces de marabouts , qui., à leur grandeur près, ref-fembloient aux cratères de Lesbos; enfuiie on aura révéré les vafes mêmes, fous prétexte que les Génies où les Manitous s'y logeoient pour goûter la viande qui leur étoit deftinée , 8c les Chinois leur ont offert comme tous les Tartares de la chair de Cheval. Leurs autres viétimes confident en Chiens, en Cochons, en Foules , en Brebis & en Bœufs : mais ces facrifices cruels- tk fanglants n'ont pu avoir lieu brique les Empereurs ont exactement fuivi la Religion des Indes , qui ne permet en aucun cas le brmicide. (*) Et ce n'eft que depuis l'etabliffe-ment de cette Religion qu'on a quelquefois défendu de tufr des Chameaux , des Vaches tk des Chevaux : cependant le peuple les mange lorsqu'ils meurent de vieillefie , & lors même qu'ils meurent de maladie , comme on le voit tous les jours à Pékin & à Canton ; fans que la police fe mette en peine de faire celler des abus , d'où il peut fouvent ré-fulter une indifpolition épidémique. 11 paroît que c'eft l'extrême mifere , qui y a fait furmonter cette averfion que l'homme a naturellement pour une nourriture de cette efpece ; 8c tandis que la famine enlevé fouvent une partie de la populace dans les villes de la Chine , les Mandarins lervent fur leurs tables des nids cVoifeaux , des nerfs ou des tendons de Cerfs , des nageoires de Requins, des pieds d'Ours , des Swalofs , des Chair pignons des Moluques , & enfin tout ce qu'ils ont pu imaginer de plus cher 8c de plus exquis à leur goût. Après qu'on eut confacré les neuf Trépieds my-ftérieux dont on vient de faire mention , un Prince connu fous le nom de Vou-yé érigea encore à la (*) Sous le reçue de l'Empereur Kao-tfu on n'immola aucune victime pendant les grands facrifices , & ce Prince ordonna de (ubftiuier des figures de pâte aux animaux. Mais cet ufaee plus utile à la Chine qu'aux Indes-mèmes , a depuis été aboli, ôc les bouchers ont reparu dans les facrifices. fur les Egyptiens fj? les Chinois. 215 Chine un autre iimulacre , qui repréfentoit le Génie du Ciel fous une forme humaine , comme l'af-fure le Pere Amiot dans un mémoire envoyé à M. de Guignes. ( * ) Mais ce fait nous paroît peu probable ; parce que ce n'étoit point la coutume des anciens Scythes d'employer des ftatues dans le culte religieux. Et ce qui augmente à cet égard beaucoup nos foupçons , ce font les circonflances bigarres , que le Pere Amiot rapporte au fujet de ce fimulacre ou de cet automate Chinois , qu'on fai-lbit , félon lui , jouer aux échecs ou aux dames contre les Courtifans difgraciés ; 8c quand ils ne gagnoient point la partie , on les maffacroit dans l'inftant ; ce qui arrivoit , dit-il , prefque toujours. Cette fable ridicule Se grofliere cache vrai-fembla-blement une coutume , qui peut être la même que celle dont il eft queftion dans Hérodote, au fujet des Scythes aceufés d'avoir fait un faux ferment en jurant par le trône du Roi. Soit pour les convaincre, foit pour les abfoudre on faiibit jouer entre eux les Augures à une efpece de divination ou de jeu de hazard , 8c ceux qui perdoient , étoient mis inhumainement à mort, hormis qu'ils ne fuffent tous d'accord à déclarer que l'aceufé avoit fait le faux ferment qu'on lui imputoit. Au refte , il eft aifé d'entrevoir dans cet ufage l'immolation des victimes humaines qu'on offrait fous prétexte de prolonger la vie des Rois malades , 8c telle eft l'origine de ces dévouements dont on cite tant d'exemples dans l'Hiftoire Chinoife , qui eft éelaircie en (*) Il eft inféré dans les Obfervations furie Chou-Pae. 346. 114 Recherches pBIofoplüqutS différentes parties par nos Recherches fur les mœurs Scythiques. Ce n'eft proprement que parmi les Iffedons , dont les uns habitoient iu Sud de l'Oxus, tk les autres dans l'Igour , qu'on trouve les facrifices annuels en l'honneur des Ancêtres , & les oftVndes faites aux Morts , ainfi que cela fe pratique de tout temps chez les Chinois , qui paroiflent avoir eu des Miao , c'eft-à-dire des endroits où ils nour-rillent les ames , avant que d'avoir eu des Temples ; 6c on fait que cette fuperftition a fait un point effcntiel de leur culte tk de leurs rits. Aujourd'hui les Tartares Mandhuis ont très-fagement aboli le grand deuil : (*) il duroit trois ans , pendant lefquels un fils devoit tous les jours porter un petit plat de riz ou de viande aux mânes de fon Pere ; les affaires publiques lui étoient alors généralement interdites , 6c s'il perdoit en même temps fa mere , fon deuil duroit fix ans : s'il perdoit encore un enfant unique ou un frère ainé , il paffbit la meilleure partie de fa vie dans les apparences de la trifteffe 6c une inaction réelle. Jamais ufage ne fut plus nuifible à la fociété , ni plus gênant pour l'homme focial , ni plus inutile aux Morts. Aufli ces cérémonies lugubres 8c accablantes ont-elles beaucoup influé fur le caractère des Chinois , qui ont dû avoir malgré eux recours aux farceurs 6c aux baladins pour être de temps en Les Tartares ont réduit le grand deuil à cent ïours ; mais ils font tombés de leur côté dans un autre excès en raifant des dépenfes prodigieufes aux funcrrù'lcs, où ils boivent fC mangent comme tous les Scythes, mais plus part ^.uiiére-ment comme les G êtes 6c les Iffedons. fur les Egyptiens 13 Us Chinois, u ƒ temps diftraits : car il en elt des indilpoiitions morales comme des indifpoiïtions phy tiques : les contraires s'y guérifltnt par les contraires. Ce fwgu-lier befoin a infenliblement rempli tout l'Empire d'une innombrable foule de gens, qu'on a eu toit de nommer des Comédiens ; puifque ce font des ■bouffons grofliers , dont le jeu n'eit foutenable aux yeux 8c aux oreilles que de ceux qui ont efiuyé un deuil de fix ans. Tout ce que des Jélùites exa-gérateurs avoient écrit de la perfection 8c de la régularité du Théâtre Chinois , a été hautement contredit par les Voyageurs modernes , qui, comme Osbeck 8c Tonen , ne font point le moindre cas de ces farces : :aufii M. de Bougainville , qui en vit quelques-unes à Batavia , fouhaita-t-il d'abord de n'en jamais plus revoir de femblables. i*') Cet Ecrivain judicieux paroît avoir bien obfervé que les Chinois ne fauroitnt fe palier des bouffone-rics de leurs Salt-inbanques , 8c ce befoin a eu , comme on vient de le dire , fa fource dans l'ex-ceflîve durée de leurs rits attriftants , qui , à la vérité , n'ont point été les mêmes dans tous les iie-' des : on y a fait de temps en temps des changements effentiels : mais plutôt pour les outrer que (*) « Indépendamment des grandes pièces, qui fe repré-fentent fur un théâtre, chaque carrefour, dans le quartier Chinois, a fes trétezux, fur lefquels on joue tous les foirs dej petites pièces & des pantomimes. Du puin & des Jpeclacles demandent le peuple Romain : il faut aux Chinois du Commerce 6c des farces. Dieu me garde de la déclamation de leurs acteurs & actrices qu'accompagnent ordinairement quelques inltruments. C'eft la charge du récitatif obligé & rklicuîe"01*' qU6 'eUrS 6eftcS qui f°ient eilCüre PW» Vvyaee autour du Monde, Tom, 11, pas, 3,34. pour les adoucir ; car telle eft la marche ordinaire de la fupertlition. On ne faif'oit point jadis des offrandes à de petites7 tablettes où le nom des Morts fut écrit ; mais on prenoit un enfant, qui buvoit 8c mangeoit au nom même des mânes, 8c il finilîoit par s'écrier Pao, c'eft à dire,/*; fuis rajfafié. Là-deftus le facri-ficateur répondoit, buvez. & mangez, encore. (*) Il eft impoflîble de favoir comment on a voulu trouver entre cet enfant Chinois, employé dans les funérailles, un rapport très-marqué avec la coutume des Egyptiens , qui , à l'ifîue de leurs repas d'allegreffe 8c de joye , faifoient voir aux conviés la repréfentation d'un Mort ; 8c on leur difoit -.buvez 8c réjoui (fez-vous : car tels vous deviendrez. Maxime qu'un ancien Poète a renfermé dans un vers que tout le monde fait par cœur. Aucun homme judicieux ne fauroit découvrir la moindre analogie entre ces deux, ufages ; puifqu'à la Chine il s'agiffoit d'une cérémonie funèbre , d'un facrifice 8c d'un enterrement. En Egypte au contraire il s'agiffoit d'une fête , ou d'un grand repas que des Amis fe donnoient les uns aux autres dans la feule vue de fe divertir , comme nous le favons par Hérodote 8c par Plutarque , qui ne difent point, 8c qui n'ont pas même penfé à dire que cette fête fe célébroit en préfence des Momies ou des corps embaumés des Ancêtres, qu'on met-toit (*) Le Pere du Halde rapporte cet ufage dans fa Def-criptioTifè la Chine Tom. II. pag. MSf» & il i,e prévoyoit vrai-fcmblabiemcnt point que l'on s'aviferoit d'y trouver du rapport avec l'ufoge des Egyptiens. fur les Egypliens les Chinois. 217 toit d'abord dans des Caveaux ; hormis qu'il n'y eut quelque empêchement de la part des loix , ou de la part des créanciers ; mais dans l'un & l'autre cas c'étoit une efpece d'infamie de ne pouvoir enterrer fes parents. D'ailleurs il n'y a pas , comme on voit , la plus foible reifemblance entre une petite ftatue de bois , longue tout au plus de deux coudées, qui repréfentoit un Mort , 8c entre des enfants Chinois bien portants , qui bûvoient & mangeoient au nom de leur pere ou de leur mere , lorfqu'on les portoit au tombeau. Ainfi toutes les conformités qu'on a voulu découvrir ici font de la même efpece que celles, que Mr. Huet a vues entre Moïfe & Adonis ; Mu Fourmont entre Typhon 8c Jacob ; 8c Croëfe entre les perfonnages de l'Ecriture 8c les Héros d'Ho-' mere. Il eft félon lui prouvé par mille circonfhn-ces, qu'Ulyfl'e chez la Nymphe Calyplo, eft: Loth avec fes filles. Ce qu'on a dit jufqu'à préfent de la Religion des Chinois fuffiroit pour démontrer qu'elle diffère dans tous fes points de la Religion des Egyptiens : il exifte même une oppofition fi feniible entre les rits de ces peuples , qu'il faudrait être aveugle pour ne s'en point appercevoir, ou finguliérement opiniâtre pour n'en pas convenir. On n'a jamais ouvert à la Chine aucun cadavre humain dans l'idée de le convertir en momie ; 8c toutes les pratiques relatives à l'art de l'embaumeur y ont toujours été 8c y font encore abfolument inconnues. On obfer-ve la même différence entre les dogmes fur l'état futur de famé : car loin que les Chinois ayent oui Tome II. \{ 2i 3 Recherches philofiphiques parler de X AmtntWès des Egyptiens, on ne trouve, dans leurs anciens Kings ou dans leurs livres canoniques., aucune notion d'un Purgatoire ou dun Paradis. Et.voilà pourquoi tant de Savants d'Europe & tant de Millionnaires ont conftamment ibutenu que ce peuple ne croit point l'immortalité de l'ame. Mais en ce cas les offrandes, qu'il fait aux Morts, renfermeroitnt en elles mêmes la plus grande contradiction dont l'efprit humain foit capable. S'il fuppofoit une deftruction totale des facultés fpiri-tuelles , l'ufage où il a toujours été de préfenter des viandes aux Morts , feroit, dis je , une cérémonie fans but, fans objet & enfin une preuve ma-nifefte de délire. Mais la vérité eft , que les Chinois ont des idées fi bizarres fur toutes ces chofes, qu'ils ne peuvent naturellement admettre des endroits oii les âmes foient en captivité : car ils croyent qu'elles deviennent Kuei-chin ou Manitous , qu'elles voltigent, & confervent jufqu'à un certain point la liberté d'aller & de venir. (*) On peut répandre quelque lumière fur ceci, en rapportant une fentence prononcée à la Chine contre deux Jéfuites, coupables d'avoir prêché les do. gmes de la Religion Catholique malgré l'Edit qui Je leur défendoit. Ces Bonzes, y eft-il dit, ayant (*) On ne parle pas ici du peuple delà Chine, qui fuit la Religion des Indes, & qui croit à la tranfmigration de* Ames , le fyfteme le plus généralement adopté. On ne fauroit dire que l'ancienne doctrine des Chinois, dans laauelle les aines font fuppofées devenir Manitous ou Kuei-chin , exclut] entièrement les peines Se les récempen-fes : car ces Manitous peuvent être tranquiles ouperlécutés par les mauvais Génies, qu'on appelle en Chinois d'un terme qui a quelque rr.. port avec celui de Dc'mans. fur les Egyptiens & les Chinois, aijj débité une dotlrine , qui contient divers points fur la vie , la mort, le Paradis, fbnfer, W d'autres faujfetés de cette nature , ils ont trompé plufteurs perfonnes par cette dotlrine. Conformément aux loix de l'Empire ces Bonzes ont mérité la mort. Là-def-fus le grand Tribunal des crimes marqua fur la ftn-tence, qu'ils Cotent étranglés. (*) Ceux qui rendirent cet arrêt fanguinaire, étoient, comme on le voit, des hommes qui n'avoient aucune expérience des affaires de ce monde. Car le Marquis Beccaria obfervc fort bien dans fon Traité des Délits tk des Peines, qu'il ne faut jamais punir par des châtiments douloureux tk corporels le Fa ■ natifme : ce crime, qui fe fonde fur l'orgueil, ti-reroit de la douleur même fon aliment & fa gloire* L'infamie & le ridicule, font, fuivant lui, les feules peines qu'il faut employer contre les fanatiques. Mais il y en a une troifieme beaucoup plus efficace , & qui confiile à les renfermer. Tout ce que l'on peut conclure de la fentence Chinoife, que nous venons de citer, c'eff que ceux qui la prononcèrent, regardoient comme une chimère les endroits où l'on voudroit renfermer les ames, foit pour les punir, foit pour les récompen-fer; mais ils n'expliquent en aucune manière leurs propres opinions qui ne font ni des plus fublimes ni des plus raifonnables. Ils fuppofent les ames humaines compofées de deux fubfhnces : celle par laquelle nous fentons, defeend, félon eux , à la mort, en terre : celle, £t'T7rf?ntence cft extraite des Lettres édifiantesRe~ K i ma Recherches philofophi que s par laquelle nous penfons , remonte au Ciel ou dans la moyenne région de l'air. Or ils s'imaginent que ces deux fubftances font tellement émues, 8c tellement ébranlées par la piété 8c la dévotion de ceux qui font des facrifices aux morts, qu'enfin elles fe réunifient pour venir goûter les offrandes qui leur font dellinées, 8c que les affiliants finiffent par manger eux-mêmes , précifément comme les Lappons, qui dévoroient la chair des victimes, ÖC offraient enfuite les os aux Dieux. Ce fyftême fingulier ne peut fe combiner en aucune manière avec la doctrine d'un Enfer ou d'un Paradis, d'où les ames ne s'échapperoient pas fi ai-fément à l'afpect d'un plat chargé de riz ou de viande, que des fuperftitieux iroient leur préfen.wr. Et on voit maintenant quel eft le véritable fens de l'arrêt prononcé contre les deux Millionnaires, arrêt qui ne prouve aflurément point que les Chinois nient l'immortalité de l'ame , de la manière dont on l'a foutenu jufqu'à préfent en Europe. Les Lettrés eux-mêmes fe donnent mille peines pour faire defcendre fur une table l'efprit de Confucius, dont l'hiftoire eft peu connue, 8c plufieurs Savants la regardent comme un Roman ou un amas de fables Chinoifes, aufquelles d'imbéciles Millionnaires ont joint les leurs. Le Pere Martini dit férieufement qu'on annonça un jour à ce prétendu Philofophe» que des chaffeurs avoient tué un animal fingulier, qui reflembloit un peu à un Agneau : là-deffus il fe mit à pleurer amèrement, 8c s'écria au fort de fa douleur qu'enfin il voyoit bien que fa doctrine ne feroit point de longue durée. Cet Agneau du Pere Martini eft un monftre forti. fur les Egyptiens &? les Chinois. 2,2,1 comme on le fait, de l'imagination des Jéfuites : mais les propres difciples de Confucius doivent avoir attelle que l'ombre d'un homme nommé Tcheou-Kong, mort depuis fix-cents ans, apparoifïoit toutes les nuits à leur maître, dont l'efprit étoit d'ailleurs imbu de différentes fuperflitions fur les fortileges on la divination par les baguettes , comme on le voit par les interprétations qu'il a données de la Table de Yr-king, tk ce livre eft le moins fufpect de tous ceux qu'on lui attribue. Il faut ici rapporter avec le plus de clarté qu'il eft poffible, les expreftions de Mr. Vifdelou; parce qu'elles font de la dernière importance tk abiolu-ment décifives. Non feulement , dit-il , Confucius approuve les Sorts; mais il enfeigne encore en termes formels l'art de les déduire. Et certainement cet art ne Je déduit que de ce que Confucius en a dit dans fon Commentaire fur l'Y-King. De plus Tço-Kieou-mivg, difeiph de Confucius , dont il avoit écrit les leçons dans fes Commentaires fur les Annales canoniques, y a inféré tant d'exemples de ces forts, que cela va ju/qu'au dégoût, il faut cadrer fi jufîe les événements aux prédirions , que, fi ce qu'il en dit étoit vrai, ce feroient autant de miracles. D'ailleurs tous les ï'hilofophej Chinois jufqu'à ceux d'aujourd'hui ufent de ces forts, V même la plupart afjurent hardiment que par leur moyen il n'y a rien qu'ils ne puijfent prédire. Enfiy tous tiennent pour le Livre des forts. (*) M. Vifdelou , qui vient de nous procurer ces éclairciffements, étoit bien plus veifé dans la langue (*) Notice de l'Y-KING pag. 410. K 3 tk la littérature Chinoife que le Pere Gaubil, qui n'a pu traduire le Chou-King en François qu'à l'aide d'une traduction iTartare ; tandis que M. Vifdelou l'expliquoit à livre ouvert : aufli lui donna-t-on un Certificat Impérial, par lequel on le reconnoît pour un Savant très-inflruit. (*J Ainfi fon témoignage eft ici d'un grand poids; mais ce ne peut être que pour fe conformer au ftyle ordinaire des Relations, qu'il donne le nom de Philofopbes aux Lettrés Chinois , qui corrompus par la doctrine de Confucius, fe mêlent de prophetifer au moyen de la Rabdomancie : car cela décelé une fuperllition fi grofliere, une foiblefle fi grande tk une ignorance fi formelle, que de tels hommes ne peuvent trouver d'exeufe aux yeux même de ceux qui ont porté la prévention en faveur de la Chine extrêmement loin. Mr. de Guignes, après avoir rapporté un paf-fage d'Lufebe touchant les peuples de la Sérique, dit que l'éloge, qu'on y donne à ces peuples, eft exagéré ; comme nous exagérons aâfuei'icment, ajoute-t-il, ceux que nous donnons aux Chinois. Mais en vérité je ne vois point fur quoi cet u "âge de mentir tk d'exagérer fans ceffe peut être fondé : par-là on perd un temps irréparable, oc on dérobe encore celui du Lecteur, qui croit s'être inftruit ; tandis qu'on l'a rendu beaucoup plus ignorant qu'il ne l'étoit, en (*) Ce Certificat Impérial donné à Mr. Vifdelou, étoit line pièce de (afin, fur I; quelle on lifoit : Nous reconnoif-fons que cet homme venu d'Europe, efl flus haut en lumière ç>* en feience dans nos caracleres Chinois, que ne U for.tles nuées au-defus de noi têtes, & qu'il efl plus profond en pénétration & en connutffance , que les atymes Jur lef iticls nous marchons. Ce mouvais jargon ne fignifie autre choie , finon que le porteur de la patente favoit lire öc parler le. Chinois. fur les Egyptiens & les Chinois. 222 l'induifant en erreur par des fables hiftoriques, qui Hf valent quelquefois pas les rêves d'un homme dort paifiblement. Quant à moi je ne me réfute point de citer des faits, & d'en indiquer les conféquences; parce que cette méthode fnffit pour d:fiiper toutes les exagérations qu'on a répandues en Europe au fujet des'Chinois depuis Marc Paul juf-cu'au Pere Bouvet , qui a fait le panégyrique de lEmpereur Cang-hi dans le flyle des Légendaires, k à peu près comme Martini a fait le panégyrique Je Confucius , qui répétoit fans celte , dit-il, que t'tft dans l'Occident qu'en trouve, le Saint, (*) Et fi l'on en croit quelques Hilloriens, qui écrivent comme des enfantsces paroles ont. entraîné de fingulieres conféquences : car fuivant eux, on s'en eC" prévalu pour introduire à la Chine la Religion, des Indes. Mais ceux, qui ont beaucoup mieux approfondi les chofes, fefont apperçus que c'a été une efpece de néceiiité de donner à ce pays un cuhe étranger, mieux lié que ne l'étoient les pratiques des anciens Sauvages de la Scythie. Au refte il n'eft" pas aifé de juftifier ceux d'entre les Millionnaires> qui ont déshonoré & leur jugement & leur propre miniftere, en foutenant que Confucius a prophétifé la venue du Meflie au moyen de la Table des forts 8c des baguettes magiques. (**) (*) Martini Hifi. Sincnfis. Lib. IV. pas. 194. , H court jun livre intitulé Kia-yù : c'eit une efpece de Vie de Confucius , que les Lettrés eux-mêmes méprifent comme un Roman : cependant il feroit à fouhaiter qu'on en donnât une tradu&ion pour voir fi ce n'eft point dans ce Roman que les Millionnaires ont puifé les prodiges qu'ils reportent au fujet de Confucius On vtit bien que le tere Couplet a voulu défigne» K. 4 En iuppofant pour un inftant, que ce Chinois lit réellement répété les paroles qu'on lui attribue ,akrs on ne peut en trouver le véritable fens que dansL-s entretiens qu'il avoit eus, à ce qu'on dit,avec K'mm, qui voyagea , fuivant toutes les apparences, aux Indes &'au Thibct , où il doit avoir vu k Grand-Lama : car ce que nous appelions aujourd'hui la feéie de Lao-Kium, n'eft *.itre chofe que le culte Lamique un peu défiguré, ou bien la ftcfe des immortels, dont il eft fait mention dans plu-fleurs Auteurs Grecs, qui nous apprennent que dd leur temps, on voyoit déjà parmi les Thraccs & les Scythes des Ordres monaftiques ou des Congrégations religieufes , formées par des Célibataires, qui ne difteroient en rien des Bonzes qui fui-vent la Règle de Lao-Kium, tk qu'on nomme ordinairement Tao-jfé, c'eft à dire les immortels. Ainfi le prétendu Saint , que Confucius croyoit être dansl'Occident, eft quelque célèbre Faquir dej Indes, ou bien le grand-Lama lui-même : car je ne penfe pas qu'il ait voulu déiignc-r quelqu'un de ces perfonnages qu'on nomme en Europe les Philofo-phes Scythes , comme Zamolxis, Zeutas, Abaris ^ Diceneus cr Toxaris : car Anacharfts paroît avoir vécu un peu plus tard , s'il eft vrai qu'il ait été contemporain de Solon, tk de Confucius même, dont les principales maximes ont certainement quelque le Mette .lorfqu a la pag. -S de fon livre fur les feiences des Chinois , il tait dire à Confucius les paroles fuivantes : Eïpcaandum tfiàuoàd reniât ejufmodt vir fitmmi JkaSus ; ac tum demum jyerari potefl ut adeo cxccllcns virtus Mo du-ce ne magiftro in aaultt prodeat. De te'.les abfurdités ne méritent pas d'être réfutées férieu-iemçnt. fur les Egyptiens 13 ks Chinois. 21 f rapport avec celles qu'on prête à Anacharfis dans Je recueil qu'en a fait Stanley. (*) Les autres Phi-lofophes de la Scythie nous font peu connus : on entrevoit feulement qu'ils ont enfeigné la Morale & la culture de quelques graines alimentaires qui étoient fauvages dans leur pays ; & nous favoris qu'il en croît naturellement plufieurs de cette efpece entre le quarantième 8c le cinquante-deuxième degré de latitude Nord dans notre ancien Continent. Au tefte , l'origine de l'Agriculture étoit chez les Scythes enveloppée de différentes fables, 8c ceux, qui habitoient vers le Boriflhene, fe contenaient de dire qu'un jour il tomba du Ciel une charrue d'or dans leur contrée : cette fiction n'a pas befoin d'être interprétée, 8c elle efl bien plus ingénieufe que cette grande chaîne d'or des Mythologifles Grecs. •' On croit avoir découvert que le nom de Confucius n'eft devenu fort célèbre à la Chine que plus de douze cents ans après l'époque où l'on fixe fa naifiance. Ce ne fut que dans le huitième fiecle de notre Ere vulgaire , que l'empereur Hiven-tfong lui fit donner le titre de Roi des Lettrés, titre vain & ampoulé , qui lui fut été fous la dynaftie de Ming. (**) Là-defîus on s'imagineroitnaturellement (*) Hifi. Philof. part. I. pag. 88. Anacharfis recomman-coit la modération & un certain milieu entre les extrêmes, ce qui revient au milieu parfait de Confucius ; mais les nommes ont dit cela dans tous les pays. Au refte je doute que les maximes, qui courent fous le nom d'Anacharfis. loient de lui. ' (**Vr£et-itre fut ôté à Confucius vers Tan 1384, &oueI-ques Hiiloriens croyent qu'il n'a été appelle pour la première tvis Kot des Lettres qu'en l'an 9J2 par .'Empereur fai-tfotj, K S zi6 Recherches phiïofopliiqutf que l'Empereur Hiven-tfong étoit un Prince inftruit 8c équitable, qui prétendoit honorer le mérite 8c encourager la vertu. Mais au contraire c'étoit un meurtrier fouillé du fang de fes propres enfants : un homme vil tk méprifahle r adonné aux luper-ftitions des Tao-jfé, tk gouverné par les Eunuques qui remplirent tout l'Empire de brigands , qu'on fait y avoir commis des excès horribles. On peut croire que c'eft vers ces temps de trou- " bles 8c de fanatifme, que le culte religieux de Confucius fut mis en vogue dans quelques Provinces ; tandis qu'on n'en avoit pas même oui parler dans d'autres: au moins les Arabes, qui voyagèrent alors à la Chine, n'en paroiflent point avoir eu beaucoup de connoiffance. Ils difent politivement que les Chinois ne s'appliquoient point encore aux fciences , tk qu'ils étoient très-inférieurs aux Indiens : (*) ce qui eft encore vrai actuellement; au * moins par rapport à l'Aflronomie, puifque les Bramines ont de nos jours déterminé avec jufteffe le temps où Vénus devoit parler fur le difque du Soleil ; ce qu'aucun Lettré Chinois n'a été en état de faire. Nous pouvons maintenant démontrer jufqu'à l'évidence, que les Arabes ont eu raifon de dire, que les lettres n'étoient point encore de leur temps cultivées à la Chine : puifque ce pays n'a commencé à avoir des Ecoles publiques que vers Van 1384 après notre Ere, 8c on fait qu'elles furent bâties (*)-Anciennes Relations des Indes & de la Chine publiées far M. Renaudot. fur les Egyptiens i3 h s Chinois, zzy par l'Empereur Taejf», fondateur de la dynaflie des Ming. Cet avanturier né dans la boue, qui avoit été cuifinièi ou valet dans un Couvent de Moines, enfuite voleur , enfuite chef de brigands, finit par devenir un des plus grands Princes que la Chine ait eus. Mais les Colleges, qu'il éleva , tombèrent bientôt en ruines, & on diflipa d'une majuere ou d'une autre les revenus qui y étoient attachés; comme nous l'apprend un Auteur Chinois, qui écrivoitfous la dynaflie aétudle des Tartares Mandhuis : après avoir rapporté différentes caufes de cette honteufe décadence, il ajoute que lesfages régiemens de l'Empereur T.aeffu, pour établir des Ecoles, foit a la campagne , foit dans les villes, étoient. tres-négligés, Sz le Pere Trigault nous allure qu'il n'en exilloit plus aucune de fon temps. (*) On peut prouver encore la nouveauté du culte religieux qu'on rend à Confucius, par les cérémonies qu'on y obferve, par la forme des vafes facrés qu'on y employé ,.& par les ornements dont on charge le tabernacle ik l'autel. Tout cela a été copié fur le rituel des Pagodes Indiennes, & les pratiques des Bónzes de Fo, fi l'on en excepte la feule immolation des victimes que les Lettrés eux-mêmes y ont introduite ainfi (*) Expedit. apud Sinas. Lib. 1. pag.X^. Voyez Nimhcj algcmeene Befchryving van't Ryk Sina. Fol. n. Comme par le défaut d'Ecoles publiques on doit prendre un m:ntre qui vienne inftruire à la maifon, l'Auteur Chinois , que nous avons cité, obferve fort bien que les pauvres lont hors d'état de fupporter une telle dépenfe : ainfi I ignorance fe perpétue parmi leurs enfants, & les familles riches lont par-là toujours dans les emplois qui exicent un., certaine connoiffance des carafteres & dos livres canonise" C'ttil une tm-mauyaife coutume. wwqi16s* que la puérile coutume d'éprouver ces victimes avec du vin chaud. . . 11 feroit réellement inutile de rechercher ici fi les Jéfuites ont approuvé à la Chine les facrifices folemnels, qu'on fait à Confucius pendant les Equi-noxes : car il eft bien certain qu'ils les ont hautement condamnés en Europe. Et la raiibn qu'ils en alléguoient , c'eft qu'on y obferve une affinité fi marquée avec les fuperftitions Indiennes, qu'on ne peut les tolérer, dit le Pere le Co.mte, fans fcan-dale, tk fans crainte de fubverfion. (*) De ceci il fuit néceflairement qu'avant l'établi dement de la Rcbgion des Indes à la Chine, le culte de Confucius n'étoit point ce qu'il eft de nos jours: auffi n'en trouve-t-on pas la moindre trace dans les fiecles antérieurs à notre Ere. On veut même que l'Empereur Schi-chuandi ait fait jetter au feu tous les ouvrages de cet homme, qui avoit écrit ou gravé avec un clou fur des planches enfilées dans des cordes ; tk ces planches auroient pu faire la charge de deux ou trois chariots, fi elles avoient contenu toutes les œuvres qui courent maintenant fous le nom de Confucius; mais on ne fauroit même prouver par aucun monument qu'il foit Auteur du Tchun-tfieou ou du Printemps tk de l'Automne, le plus intérefïant tk le plus court des livres qu'on lui attribue, tk qu'on place même au nombre dzsKings, fans favoir précifément par qui cette Chronique a été fabriquée. (**) (*) Les Jéfuftcs condamnoient les facrifices folemnels; qu'on fait a Confucius, ïkils approuvoient les facrifices moins fo-l-îmnejs. Voyez Rcjponfum Epifcopi Beritenfis ad Cardina-l:m Marcfcottum &c. (**) Quelques Lettrés de la Chine ne comptent cette Chronique au nombre des livres canoniques j mais les petits fragments de VYe-king, fur les Egyptiens £2? les Chinois. 119 Nous avons déjà obferve, que l'incendie deslivres allumé par Schi-chuandi, eft non-feulement un fait très fufpeéi aux yeux de quelques Critiques, mais les motifs mêmes, qu'on prête à ce barbare, font inconcevables. On prétend qu'il fut bleiTé par les éloges qu'on prodiguoit à des Empereurs morts depuis mille ans. Or c'eft comme fi l'on difoit, que le Roi d'Eipagne a été très-choqué de ce que des fous de la Ca-ftille ont fait le panégyrique de Tubalcain, qui paffa le détroit de Gibraltar fur Ton enclume- 8c régna glorieufement fur toutes les contrées qui font au-delà des Pyrénées; de forte qu'on place fon nom à la tête de tous les Catalogues des Rois d'Efpagne. D'autres veulent que Schi-chuandi ait fait détruire les ouvrages de Confucius; parce qu'il les croyoit favorables au Gouvernement féodal, qui eft le pire de tous après le Gouvernement arbitraire. Mais je doute qu'on connoiiïe dans le monde entier, des ouvrages plus favorables au Defpotifme, que ceux qui ont paru fous le nom de ce Chinois, qui exige une foumiiïion aveugle aux caprices du Prince; 8c il ne'condamne ni le pouvoir paternel dégénéré en tyrannie, ni la fervitude réelle, ni laiervitude perfonnclle , ni l'ufage de vendre fes propres enfants, ni la polygamie, ni la clôture des femmes. Ainfi loin d'avoir eu des idées juftes furies principes de la Morale , il n'en avoit pas même fur les principes du Droit Naturel ; ou bien ceux, qui ont forgé des livres fous fon nom, étoient des miférablcs compilateurs, qui ont inféré , ainfi que Thoma-fius l'obferve, des traits fi bizarres qu'on eft pref- 230 Recherches phiîofophiques que contraint de rire en.les lifant; (*) 8c les lieux: communs de Morale, qui n'y font point épargnés,, n'exigeoient aucune étendue de génie : car a font, des chofes qu'on a ouï dire mille fois dans tous les pays de l'ancien Continent, fi l'on en excepte quelques petits peuples à demi fauvages , qui fe conduifent par l'inflinél; plus que par les maximes. Mais la Morale des Chinois eft purement fpéculati-ve ; comme on le voit par l'excefïive mauvaife foi r. qui régne dans leur commerce; au point qu'on n'o-feroit confier des monnoyes d'or 8c d'argent à des voleurs , qui fallifient jufqu'à la monnoye de cuivre. Lorfqu'on difputoit en Europe fur les cérémonies-de la Chine, avec cette fureur atroce qu'on appelle la haine Théologique 6c qui métamorphofe les hommes en Tigres, on foutint que les Lettrés de ce pays étoient Athées dans la théorie, Öc Idolâtres dans la pratique , fans s'appercevoir que c'eft là une contradiction fi grande , que l'cfprit humain , malgré tous fes écarts, n'en paroît pas fufceptible. Les Lettrés ne croyent certainement point que l'ame de Confucius foit la Divinité même : ainfi les jours de jeûne qu'ils obfervent , les victimes qu'ils immolent , 8c toutes les ridicules pratiques qu'ils ont empruntées des Bonzes de Fo* prouvent évidemment leur fuperftition, 8c non pas leur idolâtrie. De véritables Philofophes tâcheroient d'honorer (*) Penfées fur les livres nouveaux, à l'an 16S9. f'a£,6ço, & fuivuTUes, . fur les Egyptiens & les Chinois. 231 la mémoire de Confucius, en fe rendant de plus en plus vertueux , tk non en répandant le fang des animaux. Le grand Newton, qui ne pouvoit voir, tuer ni un poulet , ni un agneau r fe feroit bien ga,rdé d'aiîifter aux facrifices folemnels qu'on fait au printemps tk à l'automne, puisqu'ils font toujours enianglanrés ; & la fuperftition caractérife également les cérémonies moins folemnelles, qui reviennent à peu près deux fois en un mois lunaire ; on y prédit l'avenir , & en un mot il eft impoüible d'y découvrir quelque ombre de Phi-lofophie. Si des hommes entreprenoient en France de révérer lïnguliérement la mémoire de Defcartes, tk s'ils introduifoient dans cette efpece de culte les pratiques monachales des Carmes tk des Minimes, alors on ne les regarderoit point comme des h-ges, mais comme des imbéciles, dignes du dernier mépris. Cependant il tft indubitable, comme en vient de le voir, que les Lettrés de la Chine ont copié leurs cérémonies fur celles des Moines, tk ils jeûnent même comme eux , lorfqu'il s'agit de fe préparer, aux facrifices. Mr. Jackfon, après avoir recherché pourquoi il n'y a pas à la Chine des Initiations ou des Myfteres comme chez les Egyptiens, les Grecs tk h s Romains, dit que les Chinois n'ayant jamais dei-fié aucun homme t ils n'ont pas eu befoin de Myfteres : (*) car il s'eft imaginé qu'on n'y révé-loit autre chofe, finon que tous les Dieux du Pa-ganifme avoient été de fimples Mortels. Mais cette (,*) Antiquités Chronologiques, à l'article de la Chine* 232 Recherches philofophiqttes fuppofition étant faufle comme elle l'eft, & vaine comme elle l'eft, la raifon alléguée par Mr. Jack-ion , s'évanouît, tk fi elle pouvoit prouver quelque chofe, elle pronveroit précifément contre lui. Qu'on life attentivement le Panthéon de Mr. Ja-blonski , dont les recherches ont été portées aufli loin qu'elles ont pu humainement l'être , tk ou verra que jamais les Egyptiens n'ont rendu à aucun homme mort ou vivant des honneurs aufli fufpects que ceux que les Chinois rendent à Fo & à Confucius. Ainfi il s'enfuivroit qu'à la Chine on a *êu plus befoin qu'ailleurs de Myfteres, pour y préferver l'efprit humain de l'abyme où l'apparence du culte public pouvoit l'entraîner, tk où il l'a entraîné en effet, fi l'on en croyoit les Relations de quelques Millionnaires , tk le célèbre Décret que le Cardinal de Tournon publia à Nankin. (*) Mais il ne faut raifonner ici, ni fuivant les idées des Miiïionnaires, ni fuivant les idées du Cardinal de Tournon; tk iPfaffira d'obfervcr, que, fi l'on n'a point découvert parmi les Chinois la moindre trace, la moindre apparence de réletes ou d'initiations, c'eft une preuve de plus qu'ils n'ont jamais eu quelque communication avec les Egyptiens, qui, de l'aveu même de Warhurton , en font les inventeurs. (*) C'eft le troifieme article de ce Décret, qui condamne comme une Idolâtrie détert :ble le culte que les Lettrés rendent à Confucius. Mais fi des Chinois venoient en Italie , en Efpagne & en Portugal, 8t qu'on les obligeât à prononcer fur les apparences, il eft croyable qu'ils feroient un Décret dans le goût de celui que publia le Cardinal de Tournon en 1707, fur les Egyptiens cj? les Chinois. 2. 5 5 Quoique lo ou Budha ait prêché , comme on fait, une double doctrine, nous ne trouvons cependant pas que les B01vz.es de la Chine s'en foient prévalus pour établir des Myfteres : car ils fuivent prefque généralement aujourd'hui le culte extérieur ou fymbolique ; 8c ce n'eft que parmi les Faquirs des Indes qu'on rencontre quelque fectateur de la doctrine interne, dans laquelle des Voyageurs Se des Millionnaires peu inftruits ont cru voir tous les principes de Spinofa. Mais jamais un fyftême ne fut plus oppofé à l'Athéifme que le fyftême de Budha % tk fi ce n'étoit là un fait univerfellemcnt reconnu de nos jours, on pourrçit le démontrer jufqu'à l'évidence. Cet Indien, qui corrompit les anciens dogmes de fon pays, étoit un fanatique auftere : il outra tout, tk rendit la vertu ridicule : non feulement il exigeoit l'anéantiffement des pallions, maisl'a-néantifïement même des fens, Se ordonna à fesdif-ciples les plus parfaits de ne s'occuper que de la Divinité , de mettre leur ame dans un repos inaltérable tk d'appliquer leur efprit à de continuelles médi-ditations. Le vain prétexte de parvenir à cet état de tran-quilitè, qui n'eft point l'état de l'homme, ni même celui de la bête remplit enfin la Chine d'une incroyable multitude de Moines, dont les plus fourbes tk les plus intrigants fe procurèrent des établiffements fixes dam les meilleures provinces ; tk dont les autres fe mirent à errer, à mendier tk à voler le peuple. Dès que cet abus devint général, on en porta des plaintes jufqu'au trône de l'Empereur ; mais c'étoit un Prince né avec les fentiments les plus bas, 8c dont la foi-bleffe d'efprit tenoit de la démence : au lieu de fou. 2:4 Recherches philofophiques lager fes fujets 8c d'arrêter le mal dans fon principe,, il favorifa publiquement les Religieux & les Bon-zefles del'inftitut de Fo, qui dès le co mmencement du quatrième fiecle crut pouvoir tenir tête à l'inftitut de Lao-Kium, tk cet efprit de rivalité fut une fource de'forfaits, dont nous ne connoiflbns que la moindre-partie. On s'attaqua de part tk d'autre par des intrigues, par des injures, par des libelles ; tk on prétend même que les Moines de Fo ont fait écrire en leur nom plus de cinq-mille volumes, foit pourjuf-tifier leur règle & leur doétrine, foit pour répandre des calomnies contre leurs adverfaires, foit pour fe défendre de celles qu'on devoit avoir répandues contre eux. Mais ils ont toujours repréfenté au Gouvernement, que l'Empire manquant de Prêtres, le peuple ne pouvoit fè pafter de Moines, tk que ce n'eft que dans leurs Pagodes qu'on exerce l'hof-pitalité, vertu que l'état pitoyable des auberges Chi-noifes rendoit néceflaire : ils difent que les Voyageurs peuvent fe f.atter d'être reçr.s à toute heure dans leurs Monafteres, que les Envoyés tk lesAm-baSfadeurs même y logent; parce qu'on ne peut leur indiquer des endroits plus commodes, vû que les Cong-quan ou les hôtels publics n'exiftent pas dans toutes les villes, ou y tombent fouvent en ruïnes. Il eft vrai que les auberges font fans comparaifon plus délabrées tk plus miférables à la Chine qu'en Portugal Se en Efpagne; (*) mais les Bonzes ont (*) » Quelques-unes de ces hôtelleries Chinoifes paroif-lent mieux accommodées que les autres ; mais elles ne laif-« fent point d'être très-pauvres. Ce font pour la plupart m quatre murailles de terre battue Se fans enduit, qui por- fur les Egyptiens les Chinois. 13 f tort de vouloir juftifier un grand abus par un autre encore plus grand ;.8c fi l'on croit les Jéfnites il n'y a pas de fureté à palier la nuit dans les Bonzeries. Cependant on voit par les Relations que ces Mif-fionnaires mêmes y ont très-fouvent logé ; 8c le nombre de ceux,. qu'on doit y avoir volés & afiaf» fines, ne nous eft point connu. Ce qui augmenta non feulement le crédit, mais auffi les poffeffions des Moines de Fo, ce fut d'abord un édit de l'Empereur Ventï fécond du nom ; qui fe déclara leur protecteur; 8c enfuite la coupable démarche de l'Empereur Kao-tjou , qui fe fauv,\ un jour de fon palais,, 8c bientôt on apprit qu'il s'étoit retiré dans une Bonzerie du fécond ordre ou un hermitage : là il s'étoit fait rafer , avoit pris l'habit, 8c embraffé enfin la règle de Fo. On re-conduifit cet imbécile à la Cour; mais on ne put jamais le guérir de fa folie. Comme les Provinces du Nord de la Chine obéif-foient alors à des Princes particuliers, les Moines, qui s'y étoient répandus eurent plus de peine à s'y maintenir que ceux qui avoient choifi les Provinces du Sud , où la fertilité du terrain , le peu de be-foins phyfiques, 8c un fanatifme plus exalté, met-toient mieux le peuple en état de les nourrir 8c de les habiller que dans les parties Septentrionales , où » tent un toit dont on compte les chevrons ; encore eft-. » on heureux quand on ne voit pas le jour à travers : fou-» vent les (ailes ne font point pavées & font remplies r'e 1» trous. Du H aide Defcription de la Chine Tom. 17 » pag. 62. Telles font les meilleures Auberges de la Chine : car les autres quon voit dans le centre des Provinces, font fi mi. ie.rab.les quon ne peut les comparer à rien. 2 25 Recherches philofophiques l'on prit tout à coup la réfolution de brûler leurs Couvents, dont quelques-uns, comme celui qu'on nommoit Yong-eheng ou la Paix perpétuelle, renfer-moient jufqu'à mille fainéantsobicurs. Enfin ,toutes ces Bonzeries furent réduites en cendres dès l'an 557 après notre Ere ; mais on ne prit aucune meiure pour en prévenir la reconftruétion, qu'on fait avoir eu lieu depuis. Soixante-neuf ans après que les Moines eurent efi'uyé cet orage dans les Provinces du Nord , il s'en éleva un autre à la Cour même del'Empereur 2*<ïo-ri, qui par le mauvais état de la population , ne put plus recruter fes armées. Les Bonzes de Lao-kium , qui dirigeoient ce Prince, crurent que cette occaiion étoit très-favorable pour perdre les Bonzes de Fo; & ils confeillerent à Yao-ti d'enlever dans les Couvents cent-mille hommes Se de les forcer à fe marier malgré leur vœu de chafteté. Cet avis fut tellement goûté, qu'on rendit le 16 de May en 6z6 un Edit, qui réduffoit prefque à rien le nombre des Pagodes Se des Monalleres appelles en Chinois Son. Mais comme la fourberie des Moines de Lao-Kium avoit dicté cet Edit, une autre fourberie plus grande des Moines de Fo le fit révoquer quarante-deux jours après la publication , à la honte du Prince qui l'avoit figné & à la honte du Miniltre qui l'a-voit écrit. Le foible Empereur Yao-ti fut remplacé fur le trône par Tai-tfong , qui loin de diminuer le nombre des Bonzes 6k des Bonzefles , reçut encore dans fes Etats des Religieux étrangers , que quelques Auteurs difent avoir été des Neftoriens, dont l'établifiemtnt dans la Province du Chen-fi fit ceffer fur les Egyptiens Cv3 les Chinois. 237 pour quelque temps h haine & la jaloufie qui avoit régné jufqu'alors entre les Ordres monafti-ques de la Chine , Se ils fe réunirent dans la vue d'exterminer à leur tour ces prétendus Neftoriens, qui eurent une violente perfécution à effuyer : on raia leurs Pagodes , & on févit cruellement contre leurs adhérants jufqu'au règne de l'Empereur Hiven-tfor/g , qui attaqué dans le centre de fes Etats par des troupes de voleurs, & fur les limites, par des armées' de Tartares, protégea toutes les fectes , & mit encore celle de Confucius en vogue. Il n'y a eu , comme l'on voit, jufqu'à préfent, ni plan ni règle dans la conduite des Chinois quivou-loient fe délivrer des Bonzes : on ne les réformoit pas, mais on les attaquoit tout à coup comme on attaque des ennemis ; enfuite on les favorifoit : on leur prenoit beaucoup : on leur rendoit davantage, & enfin on pafToit fans cefTe d'une extrémité à l'autre avec une inconftance dont il n'y a pas d'exemple , finon dans les faits mêmes que nous allons rapporter. Comme la police étoit extrêmement négligé* alors dans toute l'étendue de l'Empire, il s'y glifla encore un nouvel Ordre de Seng ou de Moines étrangers, que quelques-uns prennent pour des Lamas ck les autres pour des Manichéens, qui s'étoient formés en congrégation. (*) Au refle ce vil ra- (^Le Pere Pons dit, dans le XXVI. Recueil des Lettres édifiantes , qu'il y a aux Indes des Solitaires ou des Moines, qu'on nomme Mo uni, & il paroît qu'on a confondu ce mot avec celui de Mani, dont on fe fert quelquefois en Afie pour défisner les Manichéens. 2 2.S' Recherches philofophiqucs mas d'hommes fut aufli compris dans la fameufe profcription de l'Empereur Wou-tfong. Quand on fait que ce Prince avoit placé toute fa confiance dans les Moines de Lao-Kium , qui fous ion nom gouvernoient la Chine , alors on n'eft point furpris de ce que ces Sectaires avares 8c fanatiques ayent profité de cet inftant de faveur pour perdre leurs rivaux , qui dévoient enfin être exterminés jusqu'au dernier. v Tchao-Kouey, qui étoit un Prélat ou un Chef de l'inftitut de Lao-Kium , promit à l'hmpereur de lui donner le breuvage de l'immortalité , s'il vouloit ligner un Edit contre les Moines de Fo ou deC/u'-Kia. Là-deffus ce Prince prit le breuvage de l'immortalité , tk figna l'Edit le 7. d'Aouft de l'an 84-. On y ordonnoit d'abord la deftruétion de quatre- mille-fix-cents Monafteres du premier ordre , 8c qui renfermoient deux-cents-foixante-mille Religieux ce Religieufes, que le Magiftrat devoit refti-tuer à l'Etat , 8c foumettre à l'impôt de la capi-tation , auquel ils s'étoient frauduleufement fou-ftraits , ce qui avoit beaucoup appefanti le joug du peuple. On ordonnoit en fécond lieu la deftruétion de quarante-mille Monafteres d'un rang inférieur , qui pofledoient cent 8c cinquante-mille efclaves , 8c à peu près un million de Tchmg de terres non contribuables , que l'Empereur confif-quoit 8c réuniflbit à fon domaine , fans examiner comment ces fonds avoient été acquis : car on les fuppofoit tous ufurpés ou poffédés de mauvaife foi. (*) [*■) S'il y a de l'exagération dans le nombre des Monif» fur les Egyptiens les Chinois. 239 L'inïlitut de Fo étoit par ces difpofitions tellement anéanti , que les fectaires de Lao-Kium en triomphoient tk cluntoient des cantiques dalle-greiîe pour remercier le Ciel d'une faveur fi fig-nalée. Cependant des intrigants de Cour , des femmes tk des eunuques rirent modifier la rigueur de l'Edit Impérial fept ou huit jours après quon l'eût publié ; öc l'Empereur confentit à lailTer dans fes Etats quatre ou cinq-cents Moines de Fo : tous •ceux , qui excédoient ce nombre , furent ignomi-nieufement traînés hors des Couvents , qu'on rafa jufqu'aux fondements , tk on en prit les cloches pour les convertir en monnoye , qui étoit aufli rare que la milère étoit commune : car la Chine n'olfroit alors que l'ombre d'un Empire , & on pouvoit l'appeller le pays des abus. La réforme ii defirée s'exécutoit avec fuccès, lorfque l'Empe-pereur Wou-tfong , fous le nom duquel on l'avoit commencée , expira vrai-femblablement par les fuites du breuvage de l'immortalité , qu'il avoit eu l'inexcufable foibleife de prendre. Suen-tfong , qui le fui vit fur le Trône, eut des idées entièrement oppofées à celles de fon préde-ceffeur , & protégea les Moines de Ho contre les Moines de Lao-Kium ; de forte qu'un Ordre , qui paroiffoit prefque détruit, fe releva tout à coup , & redevint plus infolent ck plus pernicieux à l'Etat , qu'il ne l'avoit jamais été. Le Prélat Tchao-Kouey , l'auteur de la révolu- teres, qui doivent avoir exifté alors à la Chine, cette exagération ne vient point des Traducteurs ; puifque le texte Chinois tut quatre çuan de fou , ce qui fait quarante-mille Couvents du fécond ordre. hle 240 Recherches philosophiques tion , fut pendu ou étranglé fans aucune formalité , & l'Empereur faifit cette occaiion pour faire étrangler encore neuf ou dix autres feétateurs de Lao-Kium. En 847 , c'tft-à-dire deux ans après qu'on eut pris la réfolution de foulager le peuple en le déchargeant d'un grand nombre de Bonzes , parut l'Edit contradictoire , qui mainrenoit les Bonzes, & qui ordonnoit encore la reconitruétion de leurs Couvents & de leurs Pagodes abattues fous le règne précédent. Alors l'Empereur enjoignit aux Tribunaux de donner une permillion d'embrailer la règle de Fo ou de Che-Kia aux perfonnes de l'un ot de l'autre fexe, qui viendroient fe préfenter pour l'obtenir. Telle a été la conduite iinguliere , bizarre , inconcevable du Gouvernement de la Chine , qui eit de nos jours aufli affligée par ce fléau qu'elle l'ait jamais été ; & on ne peut rien elperer de l'avenir , fi les Lettrés ne s'appliquent aux Sciences réelles avec plus d'ardeur ou plus de fuccès qu'ils ne l'ont fait jufques à préfent. Car enfin , ce n'eft qu'en répandant la lumière de la Philofo-phie qu'on diminue les ténèbres de la fupeiftition , & il eit .contradictoire de vouloir détruire les Bonzes , tandis que la iuperftition domine. Mais ces hommes , qui ont échappé à tant de tempêtes & furvêcu à leur deftruétion même , difparoî-troient infenfiblement , fi l'on entreprenoit de cultiver les Sciences. Tout ceci eft fi vrai , qu'un Prince du Japon ayant appelle chez lui des Savants, & ouvert les écoles , on vit des troupes entières de Moines déferter les Etats où ils commençoient à fur les Egyptiens £? les Chinois. 241 à mourir de faim; parce que le peuple commençoit à ouvrir les yeux. Cependant il y a au Japon des Religieux, dont l'inftitution eft fans contredit plus fenfée que celle des Bonzes Chinois : car dans l'Ordre des Fekis on ne reçoit que les aveugles, & nous avons déjà obferve que la cécité eft une maladie commune au Japon & à la Chine où ces malheureux mendient , difent la bonne avanture, & vivent enfin dans la proftitution & l'ignominie. 11 eft vrai que les Empereurs Tartares n'ont cefte depuis plus d'un fiécle d'encourager les Sciences; mais jufqu'à prêtent les progrès font encore imperceptibles : & fi les Chinois fe dépouilloient de cette vanité nationale qu'ils n'ont point droit d'avoir, ils adopteroient fans balancer l'écriture & la langue Mandhuife; ce qui leur feroit d'autant plus aifé, que beaucoup de Lettrés la favent déjà, & il exifte une lof fort rigoureufe par laquelle tous les Tartares qui époufent des Chinoi-fes & tous les Chinois qui époufent des femmes Tartares, doivent la faire apprendre à leurs enfants. (*) Cette langue a un avantage infini fur le Chinois, dans lequel on ne fauroit écrire avec pré-cifion fur les Sciences réelles ; parce qu'il n'y a ni (*) Plufieurs Savants fie l'Europe ont foutenu que les Chinois ne fanroierit fe fervir d'un caraftere alphabétique quel qu'il_ foit, pour écrire une langue chantante comme la leur ; mais fî cela eft vrai, c'eft une raifon de plus, quide-vroit leur faire adopter la langue Tartare, qu'on peut écrire avec nos; Lettres. La prononciation de Pr n'eft pas un ob-fiacleinvincible, & (i les Chinois vouloient s'y exercer, ils pourroienr prononcer l'r. Au refte l'opération eue l'Empereur■ Alcrt-long a fait faire de nos jours fur les carac-nfeieufe irtareS ^ n°° leLllement inuti!e » mais même per-Tome II t 242 Recherches phibfophtques déclinaifons, ni conjugaifons, ni particules copu-latives pour enchaîner les période?. Il eit très fur qu'un homme appliqué aux études fera plus de progrès en trois ans au moyen du caractère & de l'idiome Tartare , qu'il ne pourroit en faire en quinze au moyen du caractère & de l'idiome Chinois : la feule connoillance des lettres ou des lignes confirmé tout le temps de la j'euneffe, & ufe toutes les forces de la mémoire r aufli les Lettrés, qui ont appris jufqu'à dix mille lignes, font-ils comme imbécilles & ftupéfaits dès qu'ils avancent en âge; & ils demandent fans celle aux Mif-fionnaires d'Europe des recettes pour fortifier la mémoire; mais le feul remède , qu'on puifTe leur confeil'er, c'eft de quitter leur caractère pour prendre celui des Tartares. C m ring a mis en fait, que c'eft par la même raifonqne les Hiéroglyphes ont, fuivant lui, arrêté la marche des Sciences en Egypte. ( *) Mais cet homme raifonnoit fur des chofes qu'il ignoroit : car fans remonter ici à des époques plus reculées que celles dont nous avons befoin , il eft certain qu'au temps de Moïfe les Egyptiens employoient Ie caractère- alphabétique, tout comme nous l'employons aujourd'hui, et ce n'eft que pour de certaines matières qu'on con-ferva les Hiéroglyphes dont le nombre paroît avoir été très-borné : puifqu'on voit les mêmes figures revenir dans prefque tous les monuments. Ainfi Conring a êu grand tort de comparer un peuple , tel que les Egyptiens, qui fe fervoient de l'Alphabet, à un autre peuple, tel que les X*) Cap. XV. paS. 171. de MEDIC. HERM. fur les Egyptiens & Us Chinois. 243 Chinois, qui ne s'en font jamais fervis, & qui n'ont jamais eu la moindre connoiflance des vingt-deux caractères retrouvés de nos jours à l'aide des langes des Momies. M. de Guignes n'a pas lui-même connu ces caractères; de forte qu'il faut envifager comme un llmple jeu d'imagination tout ce qu'il a écrit fur cette matière : car il n'y a pas plus de réalité en cela que dans le Voyage des Chinois qu'il faifoit aller en Amérique par la route du Kamfchatka > comme Bergerac alloit à la Lune par la route de Québec. Après cette digrefîlon, il convient d'examiner ce que les Bonzes de la Chine difent pour prouver qu'ils font utiles à l'Etat. D'abord l'Hofpitalité, qu'ils exercent , efl: un abus qu'on feroit cefler fl l'on vouloit améliorer la police, & mettre les Auberges en état de loger indiflrinctemet les voyageurs de quelque rang ou de quelque condition qu'ils foient. Onditque c'eft par l'invafîon des Tartares que beaucoup de Cong quan ou d'hôtels publics font tombés en ruïnes; mais on ne voit point que les Tartares fe foient amufés à ren ver fer ou à piller des édifices dégarnis de toute efpece de meubles, & où l'on ne peut loger que quand on eft muni d'une patente ou d'un ordre de la Cour ; de forte que les voyageurs ordinaires n'ofent même y entrer. Quant au défaut de Prêtres ou de Sacrificateurs, dont on ne peut fe paiTer dans la Religion Indienne, que tout le peuple de la Chine a embraf-fée, c'eft réellement un grand inconvénient ; mais fi l'Empereur prenoit la quatrième partie des Terres poffédées par les Bonzeries, il entretiendroic 244 Recherches ph il of optiques aifément un nombre fuffifant de Sacrificateurs, qu'on pourroit encore charger du foin des éco-les'publiques, fi l'on s'avifoit d'en bâtir; car il eft inouï que les Bonzes ayent enfeigné h Jeu-netTe dans quelque Province de l'Empire que ce foit , & leur ignorance efl telle qu'ils en font réellement incapables : ainfi de quelque côté qu'on confidere ces hommes, ils ne méritent aucune indulgence. Quant aux Moines de Lao-Kium , on afTure qu'ils fondent leurs prétentions fur je ne fiai quel droit, qu'ils veulent avoir d'afllfter en qualité de Muficiens aux grands facrifices offerts pendant les Equinoxes & les Solftices par l'Empereur ou par celui qu'il députe , lorfqu'il eft malade, mineur ou abfcnt. Si tout cela eft vrai, les Moines de La$-Kium tiennent au moins par quelque côté à l'ancienne Religion de la Chine; mais le fervice, qu'ils rendent en exécutant une Mufiquc déteftable pendant les facrifices, ne fauroit contrebalancer le tort qu'ils ont fait & qu'ils font encore en trompant tant de malheureux, & même en les empoifcn-nant par le breuvage de l'immortalité, dont ils difent avoir la recette; ce qui leur attire autant de vénération que les Légendes qu'ils ont répandues au fujet de Lao-Kium, qui defeendoit, à ce qu'ils prétendent , de la famille Impériale des Tcheou : de forte que, fuivant cette Généalog'e, la famille Impériale àe&Tang feroit iflue de Lao-Kium ; mais à nos yeux c'eft un homme obfcur , & les Hiftoriens ne conviennent pas entre eux du fur les Egyptiens £? les Chinois. ?4j temps où il vivoit. (*) La plupart le font contemporain de Confucius , ce qui nous a paru le plus probable ; & les Prélats de fon Ordre difent que depuis fa mort leur fucceiTion n"a pas été interrompue : aufli s'eftiment ils bien plus nobles que ceux qu'on croit être de la famille de Confucius , qui n'ell devenue illuftre que dans des temps fort poftericurs. Il me paroit même que cette prétendue famille de Confucius eft auffi une efpece d'Ordre monaftique ou de Congrégation religieufe ; ce qu'on auroit pu favoir au jufte fî l'on avoit fait les recherches convenables à Kio-fou dans la Province de Cimn-tong. Cet endroit, qu'on auroit tant d'intérêt à connoître, n'eft point connu : au moins nous a t il été impcflible de trouver à cet égard des éciairciff:mens frtitfai-fants. Aucun homme judicieux ne croira aifément qu'une même famille a conftamment habité une même bourgade pendant plus de deux mille deux-cents ans , & cela maigre toutes les épouvantables révolutions que la Chine a ofiuyées par les guerres civiles, par les invafîons, par les fecouf-fes irrégulieres du Defpotifme, par la famine, les révoltes & le brigandage. Les voleurs feufs doivent avoir faccagé toutes les habitations en un certain laps de temps : les unes plutôt, les autres plus tard; & nous doutons qu'on pui fie citer une ville de la Chine, qui n'ait été emportée par les voleurs , qu'on fait avoir quelquefois verfé plus de fang que les ennemis mêmes : à la prife (*) Quelques Hiitoriens prétendent que Lao-kiun vivoit 5?£Jt°not« Er.Xtiafti°n d£ hDy»M*^ Kfc. en L 3 de Canton ils égorgèrent bien cent-mille hommes; & on fait ce qu'ils ont fait à la prife de Pékin. Il n'eft donc gueres croyable que la famille de Confucius ait pu réfifter continuellement dans la bourgade de Kio-fou ; mais fi c'eft, comme je le foupçonne, un Ordre monaftique , alors ce fait change entièrement de n3turc , & ne fuppofe aucune fuite de filiations qui fe foient fuccédées ré guliérement. Ce qui m'a pour ainfi dire confirmé dans cette opinion , c'eft le titre de Saint, que les Chinois donnent aufli à Confucius, & le culte religieux qu'ils lui rendent ; car tout cela fuppofe que leurs idées different extrêmement de celle? que nous attachons au terme de rhihfophe , qui n'a pas de fynonyme en leur langue. D'un autre côté ils veulent que cet homme ait fut plufieurs changements dans la Religion , & défendu d'enfermer de petites ftatues dans les tombeaux; mais il auroit beaucoup mieux fervi fa nation , s'il eût aboli l'ufage de mettre des perles dans la bouche des Morts, &: de les enterrer d'une manière ruïnei:fe Comme les grands facrifices des Chinois or,t été depuis longtemps fixés aux Equinoxes ci aux Soi-ftices, on a cité cette coutume comme une preuve de leur habileté dans l'Aftronomie dès les fie des les plus reculés, & à cela on ajoute le premier chapitre du livre canonique que nous ap pelions le Chsu-Krag, dans lequel on voit qu'île connoiflbit avec précifion la durée de l'année fo-laire, & la méthode de la plus exafte intercala tion , à ce que dit le Pere Gaubil. (*) Cepen- (*) Le l'ère Gaubil dit, dans le troifieme Volume des O'efirvétions aÇlronumlquts, que le premier chapitre du fur les Egyptiens & les Chinois. 247 dent au lieu d'employer cette forme de Calendrier , il défendit au peuple de s'en fervir, &in-ftiua l'année lunaire : mais le premier Chapitre di Chou - King eft une pièce fuppofée dans des temps très poftéricurs , & qui ne peut rien prou-\er en faveur d'Yao. Les livres canoniques des Chinois font trop délabrés & dans un état trop pitoyable pour qu'on y ajoute une foi abfolue : d'ailleurs le Chou-King doit avoir été compilé par Confucius, qui vivoit plus de dix-fept-cens ans après Yao, ce cette compilation n'eft encore qu'un fragment, auquel il manque quarante-un chapitres. Mais indépendamment de toutes ces confédérations il elt impoffible qu'en un temps où de) leur propre aveu les Chinois étoient encore barbares, ils ayent mieux fu l'Aftronomie qu'ils ne la favent de nos jours, puifqu'ils font obligés d'employer encore à Pékin des Savants d'Allemagne pour dreher l'Almanach de l'Empire. Et croit-on donc que s'ils avoient parmi eux des hommes habiles, ils appelleraient de trois-mille lieues loin des étrangers pour prévenir une con-fufion dont il y a tant d'exemples? C'eft comme fi l'Académie des Sciences de Paris faifoit venir des Talapoins du Japon pour compofer le livre Chnu-King a été écrit fous le régne môme iïYao vers l'an 2256 avant notre Ere ou dans un temps qui en étoit fort peu éloigné, fi l'on en excepte le premier paragraphe, qu'il avoue être faux & fuppofe clans des fiecles trés-poflérieurs. Mais il eft réellement ablurde de vouloir que ceux, qui" ont [uppôfé ce paragraphe, n'ayent pu luppofer auffi le chapitre, &. c,]a paroit être arrivé après notre Ere vuleaî- a£m* retUtUa' comn*ccord. (*) On prétend que Confucius fut un jour prié d'expliquer fon fenf.ment fur la Divinité; mais il s'en exeufa, retourna chez lui, & écrivit, à ce que dit le Pere Couplet, les paroles fuivantes dans fon Commentaire fur \'Y-King. Le grand Comble a engendré deux qualités ; U parfait cjr l'imparfait. Ces deux qualités ont engendré quatre images : ces quatre images ont produit les huit figures de ïo-hi, c'ejl-à-dire toutes ckofes. Qui oferoit aujourd'hui foutenir parmi nous (*) Voici comme le Pere Mrtini entr'autres s'explique îà-deffus. De fuinmo ac primo rerum aucloit mirtim apud omnes Sinas Jüenüum x quinptintameppiofa Lin^uH ni llQWin qui-dem Deus ham\ nuit §in, Lib, 1, fur les Egyptiens & les Chinois. 2ff qu'il y ait en cela quelque trace de fens commun ? Et il feroit inutile d'objefter que d'autres Philo-fophes de L'Antiquité ont quelquefois écrit d'une manière aufli peu raifonnable ; puifque ces Philo-fophes-là ne prétendoient point faire des Traités de Sortilège ou de Rabdomancie, tel que celui où Confucius doit avoir inféré les paroles qu'on vient de rapporter, & qui font relatives au jeu des baguettes magiques. Or dans le jeu des baguettes magiques il n'y a pas de fens commun. Si quelque chofe avoit pu précipiter de certains Lettrés dans le Fatalifme-, ce feroit précisément la doctrine infenfée de Confucius fur la puillance des forts ; & il eft fur qu'on en connoît quelques-uns parmi eux, qui ont déjà ha-zardé de monftrueufes chimères fur la révolution des cinq Eléments Chinois , qui produifent né-ceiTairement & tour à tour une nouvelle famille Impériale ou une nouvelle dynaftie. Quand , par exemple, une famille Impériale eft produite par la force de l'eau ou du Génie qui y préfide, alors elle ne peut donner, fuivant eux, que vingt Empereurs, dont toutes les actions font néceflaires & fatales : car fl leurs actions étoient libres, difent ils , nous ne pourrions point les prédire au moyen de la Table des forts commentée par le grand Confucius. Quoique M. de Visdeîou attribue cette doctrine aux Lettrés en général, il faut fuppofer que ce ne font que les plus imbécilles d'entr'eux, qui ont débité de telles abfurdités, où vrai-fembîa-blement ils ne comprennent rien eux-mêmes. Car il en eft de la Chine comme du refte du Mond» 2ƒ6 Recherches phibfophlques où les hommes embrouillent fouvent leurs propres idées, de façon qu'ils ne fauroient expliquer clairement ce qu'ils croyent & ce qu'ils ne croyent pas. Auffi, quand nous avons parlé de la'Religion de la Chine, n'avons-nous rendu compte que des Opinions générales, & non des Opinions particulières; puifqu'il feroit peut être fort difficile de trouver deux ou trois cents Lettrés qui penfent précifément de la môme manière; & encore trois cents autres qui penfent conframment de môme fans varier du matin au foir ; & encore trois-cents autres qui comprennent dillinctement ce qu'ils penfent. Ceux qui font l'ame humaine double, ce qui revient à Yhomo duplex de quelques Métaphyfîciens de l'Europe , peuvent être comptés dans la clafTe de ceux qui ne fe comprennent pas eux-mêmes. Le Pere Longobardi dit, .dans fon fameux Traité, que des Lettrés de la Chine lui avoient déclaré fans détour, fans dégui-fement, qu'ils étoient de vrais Athées. (*) Mais ces Lettrés avoient peut-être bu comme Hebbes, dont l'Athéifme fe diffipoit fouvent avec L'i-vrefle. La paffion, qu'ont les Chinois pour le fovtile-ge, prouve qu'ils font fuperftitieux ; msis cela ne prouve point qu'ils foient fstaliîtes. Outre la divination par les baguettes, ils en ont une autre , qui fe pratique au moyen d'une plante nommée Chi, dont on partage les feuilles afin d'en tirer les fibres ou les nervures, qu'on place enfuite au {*) Traité fur quelques points de la Religion des Chinois, Section XVI. fur ks Egyptiens & les Chinois, zfj hazard peur voir en quoi leur po fit ion s'accorde avec les traits de Yr-King. Cette efpece de divination ne me paroît prefque différer en rien de celle dont ufoient encore quelques Devins de la Scythie lorfqu'ils entortilloient entre leurs doigts des feuilles de Saule, & non de Tilleul , comme le dit Valla dans fa verfion Latine d'Hérodote , qui a eu fur les Scythes Afiatiqucs des Mémoires particuliers , dont la vérité fe confirme de plus en plus ; & il étoit mieux inftruic touchant ces peuples éloignés qu'on ne feroit porté à le croire, fi l'on n'cbfervoit le même phénomène dans la Géographie de Ptolémée, donc l'exactitude à indiquer quelques pofitions de la Sérique ou de l'I-gour eft étonnante, quoique ce fût le terme du Monde connu des Grecs & des Romains, aufqueîs la Chine & les Chinois étoient ce que font à notre égard les habitants des Terres Aultrales, c'efl à dire qu'ils en ignoroient jufqu'au nom. II fuffit de réfléchir à la route finguliere que les Marchands avoient trouvée pour faire pafier les denrées des Indes dans la Colchide, pour concevoir comment Hérodote qui avoit voyagé dans la Colchide, a pu être inftruit avec quelque précifion. C'eft un fentiment aifez généralement reçu qre des Sectaires, qu'on croit avoir été des Nefforiens, allèrent au feptieme fiecle prêcher le Chriflianif-me à la Chine , où ils furent d'abord protégés, enfuite perfécutés & enfin maffacrés : car ils avoient contre eux les Difciples de Laokium, les Bonzes .& l'Impératrice ; de forte que cette prédication ne fervit qu'à faire répandre du fang, & il ne reftoit plus aucun Chrétien à la Chine lors 258 Recherches phihfopbiques de la conquête des Tartares Mongols, qui favori teren t inddlinctemc-nt tous les étrangers dont l'induftrie pouvoit leur être utile, fans fe Soucier de la Religion qu'ils profefloient. Koublai-Kan fixa même des familles Chrétiennes à Pékin que le Patriarche de Bagdad d'un côté, & le Pape de l'autre érigèrent en Archevêché. Mais Koublai-Kdn eut foin auffi d'ériger un Tribunal nommé Tçoum-fouffe, dont les deux Métropolitains dévoient dépendre. Lorfque les Chinois expulferent les Tartares Mongols, les Chrétiens elTuyerent encore une perfécution violente , qui les anéantit totalement : les plus fenfés fe Sauvèrent en Tartarîe, quelques uns embrafièrent la Religion des Bonzes, à les autres furent maflacrés. En 159: on ne trouvoit dans toute la Chine aucune trace de Chriftianifme, &'quelques Millionnaires recommencèrent alors à le prêcher : mais fi on en excepte un fort petit nombre de Néophytes qui oc-cupoient de grands emplois, ou qui poffédoient de grandes richefïes, tous les autres convertis n'ont jamais été que des personnes de la lie du peuple, dont les femmes mêmes fortoient & allouent à l'églife ; ce qui choqua tellement les honnêtes gens, qu'on regarda les Millionnaires comme des corrupteurs. Pour calmer à cet égard tous les Soupçons des Chinois, quelques Jéfuites s'aviSerent de bltir des églifes féparées où les femmes feules pouvoient entrer. (*) Mais ce prétendu remède aigrit prodigieufement le mal, & le Gouverneur de Ham-tbeou fut fi irrité en appre- (*) Gobicrt fflfiokt H la Chint pa$. 24. fur les Egyptiens &f Us Chinois. nant que des perfonnes du fexe fe renferinoient dans une églife avec deux ou trois hommes, qu'il fit rafer ce temple jufqu'aux fondements, fans attendre les ordres de fa Cour : car on fait qu'à la Chine les Gouverneurs agiflent d'une manière prefque defpotique dans leurs départements refpectifs, & cela elt (i vrai, que les Chrétiens étoient quelquefois violemment perfécutés dans quelques Provinces, & fortement protégés dans d'autres. Mais , malgré cette protection , on trou-voit un obftacle infurinontable aux progrès de leur doctrine dans la poligamie; car les Mifiion-naires exigeoient la répudiation, èc ne vouloient laiiTer aux Néophytes qu'une époufe : mais ils n'ont jamais infilté fur raffranchiiTement des efclaves; quoique la fervitude perfonnelle foit pltn contraire encore au Droit de la Nature que la pluralité des femmes, qui n'eft même qu'une con-féquence prefque néceflaire de l'efclavage dans les pays chauds. Là deftus on difoit que les premiers Chrétiens n'avoient jamais exigé de tels facrifices, 6c que différentes Communautés religieufes de l'Europe ont pofledé des efclaves pendant pluïïeûrs fiecles de fuite. Mais c'étoit là un horrible abus, dont il ne faut jamais fe prévaloir : car ce qui choque le Droit Naturel, choque à plus forte raifon la Morale. Un Chinois ne pouvoit répudier les femmes qu'il avoit époufées fuivant les loix, & dont il avoit des enfants, fans leur faire une injuftîce; mais il pouvoit à chaque inftant affranchir fes efclaves. Ainfi la conduite des Millionnaires n'étoit qu'une perpétuelle contradiction. D'un autre côté le Gouvernement de 2rjo Recherches philofophiques Ia Chine ne fut jamais quelles Religions il devoit permettre , ni quelles Religions il devoit exclure. On a reçu dans ce pays des Juifs , des Mahométans, des Lamas, des Parfis, des Manis, des Marrha, des Si Iipan, des Yeli-Kaoven, (*) des Arméniens , des Bramines, des Nüftoriens, • des Chrétiens Grecs , qui avoient une églife à Pékin, & enfin des Catholiques; mais ceux ci ont eu eux feuls plus de perfécutions à eiTuyer que tous les autres enfemble, & on a fini par les exterminer. Le feul Empereur Kan-hi donna trois édits contradictoires ; il défendit d'abord de prêcher : enfuite il le permit & le défendit encore, fans jamais avoir fu en quoi la Religion Catholique confiftoit; & c'eit un fait, que les Millionnaires n'ont point ofé lui montrer la Bible ni les Evangiles. On allure même , & je fuis très porté à le croire, qu'en 1692 ce Prince ne favoit point que les Européens ont conquis l'Amérique, les côtes de l'Afrique, les ifles Moluques & tant d'endroits de la Terre d'Afie. Qu'on s'imagine des hommes tels que les Tartares Mandhuis, qui viennent tout-à coup s'emparer delà Chine fans avoir aucune notion de l'Hiftoire, ni de la Géographie , & alors on ne fera pas étonné de ce que l'Empereur Kan-hi ait pu ignorer quelle avoit été la conduite des Chrétiens en Amérique. Et c'eft parce qu'il igno-rôit tout cela que le Mémoire offert à la Cour de Pékin , en 1717, fit fur l'efprit des Tartares uneim-preffion ineffaçable. On y repréfentoit les ebre- en On ne connoît pas bien la Religion des Marrha & ries Si-lîpan; mais c'eft peut-être à tort qu'on les prend pour des Chrétiens. fur les Egyptiens lés Chinois. i6\ tiens comme une troupe de conjurés qui alloient envahir l'Empire ainfi qu'ils avoient envahi le Nouveau Monde. Ce projet n'étoit point réel ; mais il parut très poiïïble aux Tartares, qui n'avoient point eux mêmes quatre vingt mille hommes de troupes effectives , lorfqu'ils entrèrent dans Pékin : ils furent à la vérité favorifés par les Eunuques du Palais ; mais la prife de Pékin n'étoit rien ; puifqu'il leur reftoit à conquérir toutes les Provinces Méridionales, & ils en firent la conquête très • rapidement. Il n'y a point dans l'intérieur de la Chine une feule ville qui • pourrait réfifter pendant trois jours fi on l'aiïîé-geoit dans les formes, & l'Amiral Anfon a prétendu qu'un vaiifeau de foixante canons pourroit couler à fond toute une flotte Chinoife. Par-là on voit que celui qui avpit allarmé la Cour de Pékin au fujet des Néophytes & des Millionnaires , connoiffoit bien la foibleffe de fon propre pays, qui n'a échappé à la fureur de nos brigands d'Europe, que par fon extrême éloigne-ment ; & cet obitacle même difparoîtroit , fi l'on pouvoit découvrir un paffage par le Nord-Oueft. Les princes qui ont fuccedé à Kan-hi loin de tolérer le Chriftianifme, n'ont cefTé juf. qu'en 1766 de gêner de plus en plus les Euro*-péens & de prendre de plus en plus des précautions à leur égard ; mais ils auroient rendu, fans le vouloir, un très-grand Service à l'Europe,s'ils avoient entièrement fermé leur port de Canton aux vaiffeaux de cinq Nations qui y trafiquent. Je finis ici cette fection , dans laquelle on a vu que jamais deux peuples n'eurent moins de reffem- s<5i Recherches pbibfopbiques blance encr'eux par rapport à tout ce qui concer-ne la Religion, que les Egyptiens & les Chinois, fi l'on en excepte l'immolation des victimes : mais l'immolation des victimes eft un ufage, que les Voyageurs modernes ont trouvé répandu dans toutes les contrées où ils ont pénétré, hormis aux Lides «x. au Thibet où le cas particulier de la transmigration des ames a dérogé à la règle générale. Les Savants n'ont jamais bien fu comment tant de nations de l'ancien & du nouveau Continent ont pu fe rencontrer dans une bizarrerie aufli oppo-• fée aux notions du fens commun que l'eft celle d'égorger des animaux pour honorer les Dieux. Quelques uns croyent que l'immolation a commencé par les prifonniers faits à la guerre ; mais il eft manifefte que les premiers peuples ont imaginé dans la Nature des Génies qui venoient goûter le fang, la chair, les entrailles ou la fumée des victimes qu'on brûloit : & comme tous les premiers peuples ont été chafleurs & enfuite bergers , -il eft naturel qu'ils ayent plutôt nourri les Dieux avec de la chair qu'avec des fruits fauvages, que les Manitous pouvoient aller chercher eux mêmes fur les arbres. Ceux, qui quittèrent la vie nomadique ou paftorale pour fe faire laboureurs, commencèrent bientôt par offrir les prémices de leurs champs, & par nourrir aufli les Dieux avec des grains. Alors l'immolation des victimes auroit dû cefler : mais elle ne cefla point, & j'en ai dit la raifon , qui confifte uniquement dans l'opiniâtreté avec laquelle les premières nations civilifées retinrent les pratiques religieufes de la vie fauvage. Voilà pourquoi on a trouvé à la Chine tant fur les Egyptiens & les Chinois. 203 d'ufages imagines par les Scythes, & en Egypte tant rTufages imaginés par les Ethiopiens. «■_■ 111^1_1 m 1..JL.L______l.i . i. 1 1.1 il m.....■ uni"vwmmmmmwm SECTION IX. Du Gouvernement de l'Egypte. Omnia poft obitum fingit majora vetuftas. T 1 Es Anciens, qui parloient avec tant d'éloges des loix & de la police de l'Egypte, étoient dans une continuelle illufion, dont l'origine eft très-ai-fée à découvrir ; puifque nous voyons clairement que les Auteurs Grecs ont confondu les loix , qu'on obfervoit en Egypte , avec celles qu'on n'y obfeivoit pas , & qui n'exiftoient que dans les livres. On avoit anciennement inféré dans le fécond volume de la collection Hermétique une infinité de maximes très Sages, fuivant lesquelles un Pharaon devoit fe conduire pour régner avec douceur, & mériter les applaudiflements du peuple. Mais il s'en faut de beaucoup que tous les Pharaons ayent voulu s'acquitter des devoirs qu'on leur avoit preferits dès la naiftance de la Monarchie : car il 3 paru parmi eux des Princes fainéants, voluptueux, imbécilles, & enfin des Tyrans déte-ftables, qui n'obfervoient que de vaines cérémonies & fouloient réellement l'équité aux pieds. C'eft ainfi que tous ces mauvais Rois de la Judée faifoient avec beaucoup d'exactitude les ablutions légales, & ne mangeoient jamais à leur table det 254 Recherches phiJüfophiqucs viandes prohibées par le régime Mofaïque ; mais le peuple n'en étoit pas moins écrafé par les exactions & le brigandage des impôts. C'eft aufli une erreur de croire que le Droit Romain ait été originairement puifé dans la Ju-rifprudence de l'Egypte , comme Ammien Marcellin l'inilnue : car il eft fort aifé de s'apperce-voir, que les Déccmvirs rejetteront à Rome la feule loi Egyptienne , qui auroit pu convenir à une République : je parle de la conftitution relative aux débiteurs, fur la perfonne defquels un créancier ne pouvoit exercer la moindre violence : cette loi étoit fage & modérée ; mais celle des Décemvirs étoit barbare & atroce. Enfin, on ne trouvoit dans les Douze Tables, qui font le fondement du Droit Romain, aucune trace de la Jurifprudence de l'Egypte, que Solon lui-même ne connoiflbit que vaguement ; puifqu'il réforma la ville d'Athènes. & abrogaquelques règlements de Dracon avant que de partir pour Saïs, où il paroît avoir commercé. Quelques loix Egyptiennes n'ont pas befoin d'être analyfées : car leur (Implicite eft telle, que toutes les interprétations deviennent inutiles ; mais il n'en eft pas ainfi de la loi qui concernoit les voleurs, & qu'on fait être fi compliquée qu'aucun Philofophe n'a pu en concevoir le fens, ni en découvrir le but : parce que l'Hiftorien Diodore & l'ancien Jurifconfuite Arifton le contredi-fent dans l'expofition qu'ils en ont faite. Suivant Diodore , les voleurs de l'Egypte dévoient fe faire inferire, & quand on reciamoit la chofe volée , iis la reftituoient à la quatrième partie fur les Egyptiens les Chinois. i6f partie près, que le Légiflateur leur adjugeoit, foit pour les recovnpenfer de leur adreife, foit pour punir la négligence de ceux qui s'étoient laides voler. Diodore , en parlant de la forte , auroit dû s'ap-percevoir que cette prétendue loi laiifoit fabfiftec beaucoup de cas particuliers, qui doivent être né-celfairement décidés par une autre, dont il ne fait pas la moindre mention. Je me fouviens d'avoir lu, dit Aulu-Gelle , dans un Ouvrage du 'Jurifconfulte Arifton , que chez lis Egyptiens, qui ont témoigné tant de fagacité en étudiant la Nature; cy tant-de pénétration - en inventant les Arts , tous les vols étoient licites cr impunis. (*) Il fuffit de réfléchir à des inftitutions fi bizarres, pour fe convaincre qu'elles n'ont pu fubfifter dans une même fociété; mais bien entre des peuples differents; & les Auteurs , qui en ont parlé étoient apurement mal inftruits ; puisqu'ils ne font d'accord ni entre eux, ni avec eux-mêmes. Ce qu'on a pris pour une loi Egyptienne n'eft qu'un concordat ou un traité fait avec les Arabes, aufquels on ne pouvoit défendre le vol & le brigandage, qu'ils font par bel'oin , & qu'ils font encore par le défaut de leur Droit public; de forte qu'on ra-chetoit d'entre leurs mains les effets qui ne leur étoient quelquefois d'aucune utilité, comme cela fe pra- (*) ld etiam memini legere me in libro Arifionis Jurecon-Jiilti haud '•juaqtiam indoeîi viri , arud veteres jBgYpiîoé quod genus hominum confiât & in Artihus reperiendis Tolerte'ç extatjfi, & ,n cog'nitïone rerum ihddgâhiâ Cagàces. fi-n\ <3k*ijj^ Udla & impunita' NÜCT- ATT- Lib. xf tome U\ j^r 2 r5 f5 Recherches philofophiques tique encore de nos jours. Les Bédouins revendent fort fouvent pour la centième partie de la valeur, des perles & des pierreries dont ils s'tmparent en dépouillant une Caravane ; oc ils feroient heureux de pouvoir toujours avoir la quatrième partie en argent des denrées qu'ils volent en nature, fous de vains prétextes, qu'un Voyageur moderne a eu grand tort de vouloir juftifier, en fou-tenant que les déferts de l'Arabie pétrée appartiennent de droit aux Bédouins; comme fi nous ne Savions pas qu'ils commettent de tels forfaits très-loin de leurs déferts, ck fur des territoires dont ils n'ont jamais été réellement en pofTefiion , tk où ils ne peuvent , par conféquent, exiger aucun tribut des palTants. Sous lès Rois palpeurs les Arabes fe répandirent par troupes dans toute l'Egypte , Se il étoit abfolument nécefïaire de convenir avec eux de quelque manière que ce fût, par rapport aux captures qu'ils faifoient de temps en temps. Et je croi qu'on ra-chetoit également les larcins d'entre les mains des Juifs : car il feroit bien furprenant que des hommes tels que les Juifs, n'euffent volé qu'une feule fois en Egypte ; tk fur-tout lorsqu'ils y furent publiquement protégés fous le règne des Ulùrpateurs, qui favorifoient les bergers, 6c qui opprimoient les laboureurs , afin de choquer toutes, les inllituiions du peuple conquis. On conçoit maintenant à peu près ce que'Diodore de Sicile a voulu dire : on n'inferivoit pas le nom des voleurs dans un regiflre; mais on s'adref-foit à Y Emit, ou au Scheic des Arabes, qui connoif-foit lui-même fes fujets, & il leur faifoit rendre ce fur les Egyptiens & les Chinois. i6j qu'ils avoient pris, au moyen de la compenfation qui étoit ftipulée. {*) Nous ne lavons pas fi fous la domination des Per-fans, lorfqu'il fe forma une République entière de voleurs dans un endroit du Delta,on obferva à leur égard la même conduite qu'on avoit tenue avec les Bédouins; mais cela eft très-probable, tk il fau-droit bien fe réfoudre à un tel facrifice par-tout où des brigands feroient parvenus à fe fortifier au point qu'on ne pût ni les expulfer, ni les détruire; Or les marais, qu'ils avoient occupés près de la bouche Héracléotique, étoient impraticables, & jamais les Perfans tk les Grecs ne furent en état de les en chaflèr : car les barques, qui leur fervoient de maifons, alloient à la moindre allarme fe cacher très-loin dans les joncs. L'extrême rigueur des loix à l'égard de ceur, qui fubiiftoient en Egypte par des moyens mal-honnêtes, prouve qu'on y étoit fort éloigné de tolérer le vol ou la mendicité parmi les Indigènes, qui n'étoient ni des Arabes, ni des Juifs; tk le fens commun a fnffi pour apprendre aux hommes que, dans une fociété bien policée, il ne faut jamais permettre que des fujets robufles embrafïent la vie des mendiants, que Platon craignoit tellement dans une République , qu'il employé jufqu'au miniftere de trois Magiftrats différents pour les éloigner d'abord {*) Si l'efptit de la loi Egyptienne eût été tel que Dio-*e,/e ''e^ imaginée on auroit dû faire encore, comme je l'ai (ht , des règlements particuliers par rapport à ceux qui voloient fans s'être fait inferire , & par rapport à ceux qui qucjqu infcrits, ne retutuoient point exactement ce au'ik avoient pris. - 2ó*S Recherches philofophiques des marchés,enfuite des villes, Se enfin du territoire de l'Etat. (*) Si ce Philofophe pouvoit reffufciter & voir tous ces Ordres monaftiqucs, qui ne vivent que d'aumônes, il croiroit qu'il eft furvenuun affoi-blilîement dans l'efprit humain. Les Auteurs Grecs ont prétendu qu'il y a eu en Egypte cinq ou llx Légiflateurs différents, parmi lefquels ils comptent même Ama/is, dont le règne précéda de quelques années la chute de la. Monarchie; mais il paroît que toutes les loix générales étoient beaucoup plus anciennes que les Grecs ne l'ont cru ; ôc ce qu'ils en difent ne peut provenir que de la rigueur plus ou moins grande avec la- ' quelle on les a obfervées fous de certains Princes, dont le nom n'eft pas exactement connu. Le Pharaon Bccchoris, cîont Diodore a fait un Légiflateur très-célebre, ne fe trouve pas dans Hérodote, qui n'avoit pas même oui parler de ce Prince. Par-là il eit arrivé que nous ne lavons point dans quel ordre chronologique les loix de l'Egypte doivent être rangées, öc cependant cela eft d'une grande importance pour voir le véritable développement de la légiflation ; quoique Nicolaï n'y paroiffe avoir eu aucun égard, non plus que Cafal. (**) On veut, par exemple, que Sabaccon ait aboli, dans tous les cas, la peine de mort, fous prétexte qu'il fuftifoit d'appliquer les coupables aux travaux {*) De Ltgibus Dial. XI. {**) On a de Nicola'i un Traité intitulé de AEgyptlorum jynedris & Legibus infignioribus ; mais il y régne beaucoup de confufion. Et cet homme n'a bien approfondi l'efprit d'aucune, loi : auffi ton ouvrage eft-il encore moins connu que celui de Cafal, qui rapporte au moins quelques monuments finguuers. fur les Egyptiens cjj5 les Chinois. i6p publics, ce qui rendoit leur Supplice moins dur, mais plus long ; moins frappant, mais plus utile. Cependant long-temps après, c'eft-à-dire fous le règne à'Amafis, on employa la peine de mort contre ceux, qui ne fubfiftant ni de leurs revenus ni de leur travail , vivoient de cette efpece d'induflrie qui eft commune aux mendiants & aux fripons. Si tout cela étoit vrai, il faudroit convenir qu'il y a eu une variation étrange dans la Jurilprudence de l'Egypte, tk qu'elle n'a jamais été fixée par des décrets immuables. Mais on fe trompe , lorfqu'on prête à Sabateon un caractère doux tk généreux : c'étoit de l'aveu de tous les Hiftoriens un ufurpa-teur; tk s'il n'eft pas abiolument vrai qu'il ait fait brûler vif le Pharaon Bocchoris, au moins tua-t-il Necco le pere de Pfammitique; tk il eût fait mourir pfammétique lui-même , s'il ne s'étoit fauve en Syrie. Tant de forfaits tk de violences prouvent allez que ce Sabaccon n'étoit point l'homme le plus modéré de fon fiécle ; aufli ne penfa-t-il jamais, comme Strabon l'infmue, à condamner les coupables aux travaux publics : il leur faifoit couper le nez, & les challbit de l'Egypte, de forte que c'eft fous fon règne que doit avoir été formé l'établifiè-ment de Rhinocolure ou des hommes au nez tronqué ; quoique j'aye toujours pris ce fait pour une fable : tk le terme de Rhinocolure paroît avoir été appliqué à un enfoncement de la Côte, qu'on peut voir fur la Carte, tk où quelque promontoire s'étoit vraifemblablement éboulé ; car les Orientaux comme les Arabes appellent en Géographie Ras ou Nez ce que nous appelions d'après les Italiens un Cap. Au refte , ceux qui ont loué cette PrincetTe , qui ne fit fous fon règne mourir aucun coupable, ôc qui en mutila un nombre prodigieux, loueront peut-être aufli Sabaccon. Mais c'étoit, comme nous l'avons dit, un Ufurpateur d'un génie féroce, qui ne ut qu'une feule bonne action , en abdiquant la couronne, & en retournant en Ethiopie d'où il étoit venu. Cependant ce n'eft pas lui , qui inventa les mutilations : car les loix du pays les avoient pref-crites depuis long-temps pour différentes efpeces de délits. Et on croit avoir reconnu en cela une fingu-liere conformité entre les Egyptiens & les Chinois; mais l'amputation des jambes jufqu'à 1 inflexion du genou, fupplice jadis très-ufité à la Chine, n'a pas même été connue en Egypte , où l'on coupoit d'autres membres, comme la langue, les mains, le ntz, & fuivant quelques Auteurs, les parties mêmes de la génération. Là-dclïus on ne répétera pas tout ce qui a été dit pour démontrer jufqu'à l'évidence r que telle n'a jamais été l'origine des Eunuques du Palais : car cette efpece d'efdavage a commencé par les enfants avant qu'ils fuficiit en état de mérittr de fi grands châtiments. Phifieurs peuples de l'Europe, de l'Afrique & de l'Aiie, ont fait ufage de mutilations plus ou moins difficiles à cacher, plus ou moins difficiles à guérir, pour punir de certains crimes , qui, fuivant leur manière de penfer, n'étoient pas des crimes capitaux. Ainfi on ne fauroit à cet égard découvrir aucun rapport entre les Egyptiens & les Chinois, qui dès l'origine de leur Empire ont permis aux coupables de fe racheter dans de certains cas à prix d'argent, 8c ce premier abus en a introduit un autre , fur les Egyptiens & les Chinois. 271 c'eft à dire qu'à h Chine on trouve des hommes aflez avares ou aflez pauvres pour porter la cangue & recevoir une baftonnade à la place du criminel, qui les paye pour cela. Le juge veut faire une exécution , tk il lui faut un patient : or il prend celui qui fe préfente. On n'a jamais pu en Egypte fe racheter à prix d'argent d'une peine infliéiive, décernée parla loi, & bien moins fubiiituer fous la main de l'exécuteur des miférables à d'autres, par une fraude fi finguliere que les Chinois font peut-être les feuls hommes au monde, qui vendent 8c qui achètent des fupplices. D'où il réfulte, comme l'obferve M. Salmon , qu'on pervertit quelquefois chez eux les premières notions de la juftice en laif-lant fubfifter toutes les formalités. (*) Quand on voir au temps du Bas-Empire les amendas pécuniaires , infligées dans tant de cas qu'on ne fauroit les compter, alors on fe perfuade fans peine que cela défigne un mauvais Gouvernement, comme les compofuions à prix d'argent, fi fréquentes dans les Codes des Barbares , défignent une mauvaife Jurifprudence. Les Egyptiens n'ont fait ufage des amendes pécuniaire? que dans une feule circonftan-ce; c'eft à dire par rapport à ceux qui tuoient in-confidérement des animaux facrés, que la loi avoit pris fous fa protection : mais c'étoit dans tous les cas un crime capital de tuer des Ibis oc des Vautours, qu'on fait être aufîi privilégiés à Londres > ( ) Etal ire'fent de la Chine. Tuk. I. pftg. 150. Le I ere le Comte dit qu'on trouve dans tous les Tribunaux des hommes qivi fe louent pour recevoir le châtiment rompu" C0l,Pable« Le Juge doit être avant tout cor- 6c dont l'Egypte retiroit plus d'avantages que des autres oifeaux 8c des autres quadrupèdes enlemble. Si quelques nations, comme les Thraces tk les anciens Grecs, n'euffent inflige des peines femblables aux meurtriers des Cigognes tk des Bœufs, la conduite des Egyptiens ftroit fans exemple. Et malgré l'autorité des exemples on ne peut entièrement l'ex-eufer. Lorfqu'il s'agit d'un abus très-leger en apparence , mais qui intéreiTe plus ou moins le bien public; alors le Légiflateur a mille moyens pour punir le coupable, fans recourir à des Supplices ou à des peines arbitraires : ainfi la loi de Tofcane qui ré-fervoit des peines arbitraires pour ceux, qui tail-Ibient leurs propres abeilles avec le fouffre , ne va-loit rien ; tk l'expérience a prouvé qu'on n'a pu par-là arrêter les progrès d'une méthode pernicieufe dans tous les pays. Nous parlons ici de l'abus que le propriétaire peut faire de la chofe même qu'il pofiède , ou chaque particulier de la chofe publique ; car nous ne prétendons pas parler de ces loix vraiment atroces, qui fubfiftent dans tant d'endroits de l'Europe par rapport à la chaffe, tk où la mort d'un chevreuil entraine la mort d'un homme 6c l'infamie d'une famille : cette barbarie vient d'un peuple,qui vivoit jadis en grande partie de gibier ; 6c qui auroit dû réformer fa jurifprudcnce , lorfqu'il commença à cultiver régulièrement ia terre. Quoique les Egyptiens euffent des loix extrêmement féveres contre tous les crimes de faux, quoiqu'ils euffent imaginé au fond du Purgatoire ou de leur Amentlies, autant de différents Génies vengeurs , qu'il y a de différentes efpeces de délits fur fur les Egyptiens fj? les Chinois. 273 la Terre , (*) ils ont été accules de commercer d'une manière très-frauduleufe : mais cette imputation ne leur a jamais été faite que par les Grecs mille fois plus décriés encore, 8c dont la mauvaife foi a donné lieu à un proverbe , qui ne finira plus parmi lès hommes. Il a été un temps, dit Strabon, où l'Egypte s'o-piniàtroit à ne point ouvrir fes ports aux navires de la Grèce tk de la Thrace : & c'eft alors, ajou-te-t-il, que les Grecs remplirent le monde de calomnies contre le Gouvernement des Pharaons, qui contents des productions de leur terre, ne vouloient ni prendre, ni donner. Mais Platon, qui avoit vraisemblablement commercé lui-même en Egypte , fait d'abord fentir qu'il eft nécetïaire qu'un peuple foit inftruit dans l'Arithmétique, 6c enfuite, après quelques lieux communs,il iniinue adroitement que les Phéniciens 8c les Egyptiens avoient abufé des connoiffances qu'ils pofLdoient dans l'art de calculer tk de mefurer. Indépendamment de cette fub-tilité de pratique, on croit avoir obferve que plusieurs peuples de l'Afîe méridionale tk de l'Afrique ont un extrême penchant pour l'ufure , les contrats équivoques , les monopoles 8c cette efpece de fourberie, qui caraéierife en Europe les Juifs , qu'on fait avoir donné une grande exteniion aux préceptes du Dtutéronome , qui, dans bien des cas, eft plus conforme à l'ancien Droit Nomadique qu'à la J urifprudence de l'Egypte , à laquelle Moïfe ne s'af- \r), J fe peut que c'eft là l'origine de cette grande tli yerhte de tourments qu'on employoït dans'l'Enfer dés Grecs Si dans «lui des Romains, 1:74 Recherches philofopbiques fpjettit pas toujours ; parce qu'il dût refpeéter de certains ufages déjà établis parmi les Hébreux avant qu'ils fuflent réduits à la condition des Hélotes ; 6c ces ufages étoient à peu près les mêmes que ceux des Arabes, qui ont toujours été fameux à caufe du vice de leurs loix, 6c à caufe de la Singularité de leurs crimes, dont quelques-uns .comme le Sco-pelifme , pourroient faire déferter toute une Province. (*) On avoit bien imaginé en Egypte des règlements pour réprimer l'ufure 6c arrêter la pourfuite violente dts ufuriers; mais la grandeur du mal fe voit par le remède même. Chez les peuples qui commercent beaucoup avec eux-mcmes&trcs-peuaveclesétran-gers,les marchands ne peuvent faire que de petits profits fur les denrées; 6c voila pourquoi ils cherchent à en faire de gros fur l'argent; ce qui introduit nécedairement i'urure, 6c cette ufure augmen-teroit encore en cas que l'argent ne fût pas mon-noyé : or on verra dans l'inllant qu'il n'étoit point monnoyé chez les Egyptiens, qui dans l'Antiquité ne firent qu'un grand commerce intérieur : ils n'avoient pas un feul navire fur la Mer, 6c le Nil étoit couvert d'une multitude innombrable débarques, dont quelques-unes n'étoient faites que de terre cuite : car comme le défaut du bois y a toujours été extrême, on y avoit eu recours à une induffrie qui l'eft aufli. ( **) (*) Le crime du Scopclifme conhfte à mettre quelques pierres au milieu d'un champ, pour annoncer que le premier oui entreprendra de le labourer , fera poignardé. Il efl dit dans le Digefle que ce crime eft particulier aux Arabes, & il réfulte de leur mauvais Droit Civil fur le meurtre Scies vengeurs du fang. I**) Ces nacelles étoient la plus petite efpece des phafe- far les Egyptiens 13 les Chinois. 27j» Nous ne favons pas quelles furent les révolutions que ce commerce eiTuya de temps en temps : mais l'Agriculture paroît toujours avoir été très-floriiîan-te. Dans ce pays les terres n'exigent prefque d'autre dépenfe que celle de la femence, & quelques fortes de grains comme le Dourra ou le Millet s'y multiplient extrêmement, & à peu près comme l'Or/n-li/Js en Ethiopie : le labour efl partout fort aifé, de même que l'arrolage, Iorfqu'on employé de bon-rus machines telles que les roues à chapelets, que Diodore parolt avoir confondues avec la vis d'Ar-chimede , qui alla , dit-il, enfeigner cette découverte aux Egyptiens, qu'on fait avoir arrofé leurs champs uneinfinité de fiecles avant lanaiflance d'Ar-chimede, dont la vis eft une chofe inconnue aujourd'hui depuis le Caire jufqu'à la Cataraéte du Nil. De tout ceci il réfulte que les cultivateurs de l'Egypte ont pu stflta aifément fe remettre, lorfqu'ils avoient elTuyé quelque perfécution fous des Tyrans, qui commencèrent par haïr les loix, Se enfuite les hommes. Dans nos- climats, au contraire, les laboureurs doivent faire bien plus de dépenfes : il leur faut plus d'inftruments, plus de bras, plus de bétail ; de forte que quand ils font à demi ruinés par les impôts, ils ne peuvent plus fe remettre par les récoltes : car il efl phyfiquement démontré, que les terres rapportent toujours moins à mefure que la pauvreté du cultivateur augmente : les labours réi- Us, nommés en Egyptien barri : elles alloient à la voile & a la rame. Parvula ûàdibus folitum dore vdla phafdis, ■* WWiba* pitlx remis incumberc tefbt. JU VENAL. M 6 téré9 coûtent beaucoup, de menie que les engrais; mais ces articles fi importants relativement à notre Agriculture ne fe comptent prefque point en Egypte. Et voila pourquoi cette contrée a réiillé {'lus longtemps que les autres contreleGouvernement deftvuc-tif des Turcs ; tk voila encore pourquoi il feroit pofti-ble de la rétablir dans le laps d'un fiecfe tandis que la Grèce ne fauroit être rétablie en trois-cents ans. Quoique nous n'ayons que des notions très-con-fufes fur l'ancien partage des terres de l'Egypte, nous favöns cependant avec quelque certitude que les portions militaires, dont quelques-unes étoient de il arures plus petites que l'arpent de France, paffoient des pères aux fils, 8c non pas des pores aux filles. Delà il s'enfuit'que les Grecs n'ont fueequ'ils difoient lorsqu'ils ont prétendu que, fuivant la Ju-rifprudence des Egyptiens, on obligeoit, dans tous Jescas,les filles à nourrir leurs parents âgés ou infirmes; tandis qu'on en difpenfoit les garçons. Une s'agiffoit pas du tout de l'obligation de nourrir les parents, mais du devoir de les foigner. Et il eft naturel que le Légiflateur eût choifi les filles, puifque les frères pouvoient être abfents pendant plufieurs mois de fuite dans les familles militaires 8c facerdo-tales. Les foldats dévoient faire alternativement une année de fervice à la garde extérieure du Palais, 8c alors ils n'étoient point chez eux : les Prêtres al-ioient de temps en temps à Thebes pour les affaires de Juftice, ou bien les fonctions de leur mi-nifiere les empêchoient de veiller à tout ce qui fe paffoit dans le fein de leur famille. 11 ne s'agit point de répéter ici ce qui a été dit en particulier de la condition des femmes de l'Egypte, ni des loix re- fur les Egyptiens 13 les Chims. 277 Iftives à la polygamie & aux degrés qui empê-choient le mariage : car on a fulhTamment prouvé que l'union du frère 8e de la fœur n'a eu lieu que depuis la mort d'Alexandre : aufli tous les Auteurs, qui en parlent, comme Diodore, Philon, Séneque 6: Paufanias , font-ils des Auteurs , pour ainfi dire, nouveaux en comp.iraifon des anciens Egyptiens. Au relie, Philon eft le feul qui prétende, que ces fortes de mariages pouvoient fe contracter même entre le frère & la fœur jumelle. (*) Par là on voit que ce Juif s'eft imaginé que les Jumeaux font dans un degré de parenté plus étroit que les frères 8c les fœurs nés fucceflivement : mais c'eft une pure chimère de fa part, 6c il eût été ab-furde de permettre à tous les Grecs d'Alexandrie l'union au premier degré dans la ligne collatérale, hormis au jumeau avec la jumelle, qui n'ont rien qui les diftingue des autres enfants d'un même pere 8c d'une même mere; linon que l'un eft quelquefois plus foible que l'autre : 8c encore cela n'arrive-t-il pas toujours, parce que la Nature ne connoît point à cet égard de règle. Cependant fi la dégénération réfultoit des accouplements incef-tueux ; ce feroit furtout entre les jumeaux 8c les jumelles que cet effet devroit être fenfible quoique les animaux fur lefquels on a fait des expériences, foient rarement dans le cas d'en produire. Au refte; les Auteurs de l'Antiquité n'auroient (*) De fpeg. Leg. 0. 7. 5>elclen a cru que le mariage entre le frère & la feeur avoit commencé feulement en Egvpte au temps des Perfaris -mais:cefr une erreur. L'inceftede Cambyfe ne concernoir pas les lojx des Egyptiens. Et Séneque fait aflez entendre me «■cil dans Alexandrie feule qu'on époufoit fa fetur. 2,78 Recherchés •phiîofopliiqites point donné des éloges outrés aux Législateurs de de l'Egypte, s'ils avoient pu voir les défauts de leur propre Légillation. Je parle ici del'efclavageperfon-nel, qui exige néceffairement tant de mauvaises, loix, que les bonnes mêmes en font corrompues : car enfin une telle injuftice ne peut être Soutenue que par plusieurs autres. Il faut établir comme une éternelle vérité 8e un principe immuable, que l'ef-clavage eft contraire au Droit naturel, 8c juger en-fuite les Législateurs qui l'ont autorifé 8c affermi parles mêmes fanerions, dont ils auroient dû fe prévaloir pour l'abolir. On avoit ôté à tous les Egyptiens le pouvoir de tuer leurs efclaves : or il ne s'agiffoit que de tirer quelquesconféquences decette loi même pour ouvrir les yeux; 8c pour fortir de l'étrange contradiction où l'on étoit tombé. Comme la liberté 6c la vie font réellement inséparables , le maître confervoit toujours le droit de mort, que la loi ne lui ôtoit qu'en apparence. Le nombre de ceux, qui poignardent ou égorgent Subitement leurs efclaves , a été àms tous les fiecles très-petit : le nombre de ceux , qui les font mourir lentement à force de travail, a été danstous les fiecles très-grand. Après cela on conçoit que celui, qui eft maître de la liberté, eft auffi maître de la vie : le Législateur ne peut lui défendre qu'une certaine manière de tuer Pefclave, 8c il conserve milie manières de le faire périr. Et voila en quoi confiite la contradiction. Dans prefque tous les cas relatifs à l'ingénuité y le Droit Egyptien étoit oppofé au Droit Romain, dont on connoît l'axiome abominable fur lesenfants qui Suivent la condition du ventre; mais ils ne la fur fa Egyptiens Cv les Chinois. 270 fnivoient point en Egyppte,8c on en trouve la raiion dans la polygamie : car partout où elle eft établie, les enfants doivent fuivre la condition du" pere ; 8c jamais celle de la mere. Aucun peuple n'eut fui la Servitude des maximes plusdéfefpcrantes que les Romains , comme on Je voit par le Sénatus-confulte Claudien, qui réduifoit en un état aufli cruel que la mort la femme convaincue d'avoir entretenu un commerce avec l'un ou l'autre de fes efclaves : car ce commerce lui faifoit perdre la liberté, & cette perte équivaloit à celle de la vie. Nous voyons diftinétement qu'il y a eu jadis en bgypte différentes efpeces de fervitude ; puisqu'on y trouve des efclaves, qui fervoient dans les maifons, 8c d'autres qui n'y fervoient pas, 8c qu'on comparera , fi l'on veut , à des ferfs attachés aux travaux , ou à ces hommes dont je parlerai dans l'inifant. Comme c'étoient pour la plupart des étrangers qu'on avoit pris ou achetés, il falioitbien les faire habiter à part auffi long-temps qu'ils per-fifloient dans leur propre Religion , qui les ren-doit impurs : 8c voilà pourquoi on ne pouvoit les admettre dans l'intérieur des maifons pour le fervice domeflique ; car ils y enflent tout fouillé. Cette inllitution étoit par fa nature très-vicieufe , 8c il a fallu faire encore bien des mauvaifes loix pour prévenir les révoltes parmi es efclaves, qui n'étant pas continuellement fous les yeux des maîtres, pou-voient d'autant plus aifément confpirer. Et il eft croyable que c'eft là la fource de tous ces règlements extraordinaires pour prévenir le meurtre , tk on voit par l'aétion même de Moï'fe , que ces règlements n'étoient pas faits fans raifon , quoiqu'aucun peuple de la Terre n'en ait eu de femblables. Ailleurs c'eft une lâcheté de ne point aller au fecours d'un homme tombé entre les mains des aflaflins : en Egypte c'étoit un crime capital. (*) Mais il faut dire auffi que cette loi pouvoit être fi aifément éludée , qu'on a dû la regarder comme non exiften-te: car rien n'étoit plus aifé que d'alléguer mille prétextes pour prouver l'impoffibilité de fecourir un malheureux déjà furpris par des brigands. Auffi le Légiflateur avoit-il fenti la plupart de ces inconvénients ; 8c il vouloit tout au moins qu'on vînt aceufer les aggrefièurs fous peine de jeûner trois jours en prifon 8c de recevoir un certain nombre de coups ; mais il paroît que cette loi fut abrogée jous les Ptolémées , qui confièrent la réduétion de eur Code à Démérrius de Phalere, qu'on fait avoir travaillé pour des monftres. On obferve ordinairement comme une chofe bizarre; que les Egyptiens ayent eu des Médecins particuliers pour différentes maladies , 8c même pour les maladies des dents , aufquelles ils étoient fujets , parce qu'ils mâchoient les cannes à fucre vertes : tandis qu'il n'y avoit point dans tout leur pays un feul Avocat, quoiqu'ils plaidaffent par écrit, à ce que difent les Grecs. Mais fi cela eft vrai , il faut nécessairement que les Prêtres, qu'on trou-voit dans toutes les villes , ayent dreffé les requêtes & les répliques pour ceux qui ne pouvoient point les rédiger ; quoiqu'il paroiffe en général (*) Hélioflore paroît infirmer que cette loi fubfifioit auffi chez les Ethiopiens, Se qu'elle conçernoit même les enfants qu'on trouvait expofés, fur les Egyptiens 13 les Chinois. 281 que les Egyptiens favoient pour la plupart lire & écrire. (*) Quand on n'adopte point la mauvaife coutume de citer une foule d'Auteurs dans un Mémoire Juridique , ni d'y recourir à des raisonnements captieux, alors on peut'expédier de tels écrits fort promtement , Se il n'étoit point permis aux Egyptiens d'en faire paroître plus de quatre dans le cours d'un procès. Les juges de leur côté ne confultoient qu'un recueil de dix volumes, dontils frvoient même la plus grande partie par cœur. ( **) Les cas extraordinaires , qui n'étoient point énoncés dans ce Code , fe décidoient à la pluralité des voix : & il confie par le monument encore exiflant de nos jours dans la Thébaïde , que le nombre des juges étoit impair : ainfi le Préfident ne tournoit l'image de la vérité d'un côté ou de l'autre, que quand les voix étoient également partagées ; car il feroit abfurde qu'il eût décidé en faveur de ceux qui n'avoient pas obtenu cette égalité , puifqu'on feroit par là retombé dans l'arbitraire d'où l'on vouloit fortir. La pluralité des fuffrages entraînoit né-ceffairement l'image de la vérité dans tous les cas ; & par-là on terminoit l'aélion , où nous ne voyons (*) On voit que, fuivant les loix de l'Egypte, c'étoit un grand avantage {de favoir lire &; écrire : suffi les artifnns mêmes raKbîent-ils inftruire leurs enfants. Les Loix Judaïques fuppofcnt également un ufage très-fréquent de l'écriture , tant par rapport aux généalogies des Tribus, que par rapport aux contrats , libelles de répudiation ecc Mais les Juifs négligèrent beaucoup l'éducation , 8t je çroi que dans les petites villes de la Judée les Schotcrim étoient les feuls qui fanent lire & écrire. m 1 •) Diodore ne parle que de huit volumes, aufquels les piges avoient recours dans les procès, mais il s'agit manî- éuldîer?1 Kl dCS r°i>hetes~devoient 282 Recherches philo fophiques jamais donner des coups de bâton aux plaideurs, fuivant la méthode des Chinois , qui étouffent plus de procès qu'ils n'en décident ; parce que leur Gouvernement eft defpotique , & celui des Egyptiens étoit monarchique , comme on pourra, dans Pinflant , le démontrer jufqu'à l'évidence. Il paroît qu'on decidoit auflî chez les Egyptiens de ctrtains cas par le ferment , & il efl remarquable qu'on ne trouve point un feul mot , dans leur Hiftoire , qui pourroit faire croire qu'ils ayent employé la Queftion. Ce ne fut que fous la domination des Grecs tk des Romains qu'on apprit par expérience , que h Queftion même étoit inutile pour arracher la vérité de leur bouche : car quand ils vouloient être opiniâtres , ils l'étoient à l'excès-Ainfi la Torture , qui eft une inllitution abominable chez tous les peuples où l'on en fait ufage, eût été encore plus mauvaife en Egypte qu'ailleurs. Des hommes, dont le tempérament eft mclancho-lique tk fombre , perdent la fenfibilité lotfque la douleur paffe un certain degté : ils fouffrent toujours moins îi mefure que la convulfion augmente, & c'eft peut-être par une raifon phyftque que les Egyptiens ne croyoient pas à l'Enfer ; mais feulement au Purgatoire. Comme on déedoit chez eux de certains cas par le ferment , il falloit bien punir févérement le parjure : auffi étoit-ce un crime capital de même que le meurtre , fi l'on en excepte celui du pere qui tooit fon fils , dont il devoit tenir le corps entre fes bras pendant trois jours en préfence du peuple ; tandis que le parricide au contraire étoit puni par le plus cruel de tous les fupplices dont on ait jamais fait ufage fur les Egyptiens Cv les Chinois. 283 dans ce pays. ( * ) Mais c'eft encore fans raifon qu'on a voulu trouver ici quelque conformité avec la coutume des Chinois ; puifque la plupart des nations de l'Antiquité ont regardé le parricide comme un des plus grands délits; tk il faut plaindre fincérement ceux , qui ont été aflez. barbares, aifex injuftes pour châtier des crimes imaginaires tels que l'Héréfie tk le Sortilège , par des peines mille fois plus cruelles , que celles qu'ils réfervoient au citoien dénaturé , qui avoit plongé un poignard dans le cœur de lés parents. D'un autre côté les Egyptiens ont eu tort fans doute de ne laitier fub-Cfter aucun rapport entre la manière dont ils ven-geoient le meurtre du fils , tk entre la manière dont ils vengeoient le meurtre du pere. Quand la Nature a mis une relation manifefte d'une chofe à une autre , il ne faut pas que le Légiflateur entreprenne de l'ôter. Au refte on doit avouer que les Egyptiens ont eu des notions un peu moins défe-clueufes fur le pouvoir paternel que les Grecs, que les Romains , tk fur tout que les Chinois, qui paroiflent avoir été tk qui font peut-être encore dans l'affreuié idée , qu'on ne doit point regarder les en-, fants comme des hommes , lorfqu'ils n'ont pas encore reçu l'a mammelle ; & j'ai lu dans l'Ouvrage d'un Jurifconfulte , que cette opinion a régné éga-lument parmi les anciens Romains ; (**) j'en ai (*) Ce fupplice confiftoit à percer le corps du coupable avec des rofeaux , & à le brûler dans des épines ; ce qui n'a aucun rappport avec le fupplice des Chinois , qui découpent un homme en dix-mille morceaux , & qu'on ne croit ^u'rd^huf" Cn Uk'6e tlanS l'Ant'1mté comme il l'eft au- fil***r*00?* dc Partus txpofiùont & necc apud Vtn tcrcs, Liber jingularis. a 84 Recherches philofophiques cherché la caufe , 8c je l'ai trouvée. L'infanticide pouvoit être commis par le pere feul , fuivant le décret de Romulus ; 8c il pouvoit être commis par le confentement du pere 8c de la mere. Or » c'eft de-là que provient la barbare diftinction entre les enfants qui avoient déjà tetté , 8c ceux qui ne l'avoient point encore fait. Lorfque la mere don-inoit une fois le fein , elle étoit cenfée vouloir conferver fon fruit ; de forte que l'infanticide ne fe commettoit point alors du confentement des deux parties. Ceux , qui ont une fi mauvaife Morale, ont nécefïairement encore une plus mauvaife Phy-fique , 8c le préjugé fe fera établi que les enfants ne commencent à devenir hommes qu'en commençant à tetter. Le refpeét, que les Egyptiens avoient pour les vieillards, leur a été commun avec les plus anciens peuples du Monde. : car ce refpeét eft le feul, qu'on connoifJe dans la vie fauvage, 8c c'eft du crédit des vieillards dans la vie fauvage, qu'eft né le Gouvernement civil, 8c non pas de l'autorité paternelle, qui n'a jamais pu s'étendre que fur une famille, 8c non fur une fociété. La Royauté tft née du pouvoir des Caciques ou des Capitaines, que les vieillards avoient choifis pour commander la peuplade dans des expéditions lointaines on eux-mêmes ne pou-voient fe trouver. Je croi avoir vu tout cela clairement , lorfque j'étudiai les Relations de l'Amérique, où l'origine des fociétés n'eft point fi obfcure , parce qu'elle n'eft point fi éloignée. Comme prefque tous les anciens peuples de notre Continent ont donné beaucoup trop d'extenfion aux bornes du pouvoir paternel , il s'enfuit que , fi le fur les Egyptiens 13 les Chinois. 28 f Gouvernement eût été fondé fur l'autorité des pères, & non fur celle des vieillards, il en eût réfulté un véritable defpotifme dans l'Etat comme dans chaque famille. Cependant cela n'eft arrivé nulle-part, & lorfque les Chinois prétendent que cela eft arrivé chez eux, il eft facile de s'appercevoir qu'ils font dans une erreur groftiere. Quand il y avoit à la Chine cent Se vingt Rois ou de grands Caciques, aucun n'ofa fe nommer le Pere ejr la Mere de l'Etat : mais quand les Empereurs à force de conquêtes Se d'in-juftices eurent fait difparoître les Rois, alors ils prirent tous les titres qu'ils crurent leur convenir. Ainfi le cas des Chinois eft le même que celui des Romains: quand ils eurent des Pères de la Patrie, ils n'eurent plus de liberté. Qu'on recherche tant qu'on voudra, dans les Dictionnaires Se les langues de toutes les nations du Monde, on ne trouvera pas que jamais le terme de Roi ait eu quelque cholé de commun avec le terme de Pere , linon dans un fens figuré. Le Gouvernement de l'ancienne Egypte étoit véritablement Monarchique parla forme de fa conftitution; puifqu'on y avoit fixé des bornes au pouvoir du Souverain, réglé l'ordre de la fucceflion dans la famille Royale, & confié l'adminiftration de la Juf-tice à un corps particulier, dont le crédit pouvoit contrebalancer l'autorité des Pharaons, qui n'eurent jamais le droit de juger ou de prononcer dans une Caufe civile. Les Juges faifoient même à leur in-ftallation un ferment horrible, par lequel ilspromet-toient de ne pas obéir au Roi en cas qu'il leur ordonnât de porter une fentence injuft..-. Outre le College des Trente qui réiidoient continuellement à 2ö'ó" Recherches philosophiques Thebes, outre les Magiltrats particuliers des villes qui prononçoient dans de certains cas, {*) les Provinces envoyoient de temps en temps des Députés, qui fe réunifîoient dans le Labyrinthe où l'on difeu-toit des affaires d'Etat, qu'on croit avoir été relatives aux finances : car Diodore affure que les Rois d'Egypte ne pouvoient taxer arbitrairement leurs fujets, comme cela eit établi, ajoute-il, dans de certains Etats où l'on ne connoifloit point de plus grand fléau : enfuite il iniluue que la Clafle Sacerdotale avoit l'infpection fur les finances; ce qui fuppofe que les Provinces dévoient auffi donner leur contentement aux nouveaux impôts. Maintenant nous voyons qu'on a été dans l'erreur en foutenant que les Anciens n'ont eu aucune idée d'un véritable gouvernement Monarchique. Si M. de Montefquieu n'en a pas trouvé des traces chez eux, c'eft qu'il ne les a point cherchées où elles étoient : ils s'arrête à confidérer quelques Etats de l'ancienne Grèce où les Rois prononçoient eux-même dansles Caufes civiles ; mais cet ufage, qui choque les principes de la Monarchie, n'eut jamais lieu en Egypte. Je parle de ce qu'ont fait les Princes : je ne parle pas de ce qu'ont fait les Tyrans. C'étoit une loi fondamentale dans ce pays que la (*) Dans l'Antiquité, dit Or Us Apollon, les Magiffiats de l'Egypte jugeoient, & voyoient, aioute-t-il, le Roi nu: Rcgem nudumjbeSktbrit. Il eft difficile de favoir ce que cela lignifie , & ie doute que Mr. de Pauw, Chanoine d'Utrecht ait bien compris tout le contenu du 39. Chapitre des Hié-eoglypWques, fur lefquels il a donné des Nores. Quand le Roi fe rendoit dans une afïèmhlée de juges, il devoit dépo-fer fon manteau ou l'habit de cieffus nommé Calafiris , vraisemblablement pour témoigne- qu'il ne jugeoit pas lui-même. fur les Egyptiens fj? les Chinois, ^87 Royauté tk le Pontificat font incompatibles. Le Souverain n'y pouvoit être Grand-Prêtre , ni le Grand-Prêtre Souverain. (*) Quand on connoit l'efprit fervile des natons qui habitent fous des climats ardents : quand on connoît ce ouelrs hommes y ofent, nti Zacororum decem. Svnf V.» PROYEDEN, pag. 94. ' - ' te 2p2 Recherches philofophiques fion , où différents Candidats s'.irrogeoient la pluralité des voix : car il ne s'agit point ici, comme on l'a prétendu, d'une irruption de la part de l'ennemi, qui fit mourir en moins de trois mois tous les Gouverneurs de l'Egypte, qui ne furent jamais au nombre de 70 ; puiiqu'on voit par la confhu-élion du Labyrinthe , où dévoient s'allembler les députés des Préfectures , qu'avant la domination des Perfans l'Egypte n'étoit diviiée qu'en vingt-fept Nomes. (*) • Dans les temps les plus reculés on confacroit les Rois à Thebes; tk enfuite cette Singuliere cérémonie fe fit à Memphis, où le Prince portoit le joug du Bœuf Apis, tk un feeptre fait comme la charrue Thébaine, dont on fe fert encore aujourd'hui pour labourer dans le Saïd & une partie de l'Arabie, fuivant la figure qu'en a publiée depuis peu Mr. Nieubuhr. (**) Dans cet équipage on condui-foit le nouveau Roi par un quartier de la ville; tk delà il étoit introduit dans Yatlyton, endroit qu'on doit regarder ici comme un Souterrain*: Se je ne fai par quelle bizarre idée le P. Martin a fuppofe qu'il s'agiffoit de la ville à'Abydns , qui étoit éloignée de quatre-vingt 6c trois lieues de Memphis. 11 faut (*) C'eft ainfi qu'on trouve ce nombre dans tous les exemplaires de Strabon; quoique, fuivant moi, il n'y ait eu que douze grands Nomes Si douze petits. {**) Scholiaftes Gcrman. in Arat. p. 120. Le Scboliafte d'Aristophane fur la Comédie des Oifeaux, dit que le Sceptre des Rois d'Egypte portoit à fon Commet la figure d'une Cicogne & de l'autre côté vers la poignée une 'figure d'Hippopotzme. Mais il y avoit différentes efpe-ces de Sceptres, a en juger par tout ce que les Anciens en difent : cependant celui, qui repréfentoit une charrue, étoit le plus commun, & leçRois le portoient ainfi que les prêtres de l'Egypte & de l'Ethiopie. fur les Egyptiens (3 les Chinois. 203 que cet homme fe foit imaginé qu'il en étoit de l'Egypte comme de fon pays où les Rois vont de Paris à Rheims pour fe faire facrer. Lorfqu'on avoit élu un Prince parmi les Candidats de la clalfe militaire, il pafîoit dès l'infhnt de fon inauguration dans la claffe facerdotale; ce qui exigeoit quelques cérémonies particulières, 6e vraisemblablement auffi quelques ferments. Au rtfle les rhaiaons ne pouvoient, en aucun cas, fe difpcnfer de jurer, comme on l'a dit, fur le Calendrier. Ils promettoient de ne pas faire intercaler un jour dans l'année vague, ce qui l'eût rendu fixe, ni d'y faire intercaler un mois, ce qui l'eût rendu lunaire 6c vi-cieufe. Or à cet égard ils ont tenu leur parole plus religieufement que par rapport à d'autres points bien plus iméreffnnts. Comme ceux, qui parvenoient au Trône par la voix des foldats 6c des prêtres, ne donnoient jamais à la nouvelle Dynaflie le nom de leur famille, mais le nom de la vdle où ils étoient nés; il n'eft pas étonnant de voir dans l'Hiftoire une Dynaftie fin-guliere de Pharaons Eiéphantins ; puifque cela ne provient que de l'élection où les Suffrages s'étoient réunis en faveur d'un Candidat originaire d'Elé-phantine. Ce fait eft très-naturel, ëc cependant les Chronologiftes n'ont pas voulu le comprendre ; de forte qu'ils ont été obligés d'imaginer, dans cet iflot qu'on nomme Eléphantine, un Royaume particulier, qui eût eu moins d'étendue qu'en a fouvent en Europe une maifon de campagne avec fes jardins 6c fes bofquets. La vallée de l'Egypte fe rétrécit extrêmement au-dela de la ville à'Omlcs : ainfi quand on accorderoit encore à ce prétendu Royau- 294 Recherches phllofoplaques me les terres qui font fur les bords du Nil, cela n'eût jamais pu former un Etat indépendant ou des Rois d'Ethiopie , ou des Princes qui rélidoient à Thebes. Aucun Auteur avant le Chevalier Marsham, n'a-voit dit qu'il y a eu jadis plufieuis Royaumes à la ibis en Egypte; Se je fuis fâché que le Chevalier Marsham n'eût point reçu du Ciel autant de génie & de jugement, qu'il avoit acquis d'érudition par Vétude. 11 a été perfécuté par des fanatiques comme un incrédule, 8c jamais homme ne le fut moins, puifqu'il a cru que la Monarchie de l'Egypte avoit commencé en l'année qui fuivit immédiatement le Déluge univerfel; ce qui fuppofe, Comme on voit, un défaut manifefte de jugement, & une crédulité lans bornes. Tout ce qu'il ajoute au fujet de Cham, qui fut, fuivant lui, le premier Roi des Egyptiens, n'eft qu'un amas de chimères plus dignes d'un Rabbin que d'un Chronologifte Anglois. On n'avoit jamais dans la haute Antiquité oui parler ni de Charn, ni de Meftra'im en Egypte, pays qui a pris fon nom du terme Kypt, comme cela efl hors de doute, & de Hoorn a même cru que cette appellation lui étoit commune avec une partie de l'Ethiopie. (*) Il ne faut jamais faire ufage , dans l'Hiftoire, des traditions Rabbiniques, dont malheureufement trop d'Ecrivains fe font occupés ; ce qui a retardé au- (*) Bochart a dît bien des injures à de Hoorn au fujet des Ethiopiens; mais cela n'étoit point néceffaire. Quoique les Grecs ay Se foumifïoit encore annuellement au Serrail cinq-cents enfants châtrés, tandis que toute l'Egypte > Barca , Cyrene Se un autre canton de l'Afrique ne payoient enfemble que fept-cents Talents. Là-dedans on ne comprenoit , à la vérité , point les livraifons en grains qu'il faîloit faire à cent Se vingt-mille Perfans , ni l'argent qui provenoit de la pêche du lac Méris; mais cet article ne peut avoir été aufli confidérable que les Grecs fe le font imaginés , & ce qu'ils en difent eft puérile. Au refte ce tribut de l'Egypte étoit très-modique en com-paraifon de ce qu'il auroit dû être , fi les Pharaons euffent eu des revenus énormes.- car Darius avoit Fûrement mis un rapport quelconque entre les impofiuons tk les revenus des contrées refpectives* Ceux , qui ont écrit jufques à préfent fur l'Hi- 3 o S Recherches philofophiques floire de l'Egypte , prétendent qu'elle fut prodii gteufement enrichie par les dépouilles, que Séfo-ftris avoit rapportées de fon expédition , pendant laquelle il rançonna tout le Monde habitable. Mais ce font les Interprètes , qui en montrant aux étrangers les Temples tk les Monuments de l'Egypte , leur ont débité ces fables , qui allèrent en croif-fant de bouche en bouche. Diodore dit que, quand Se fort ris vouloit fe promener dans les rues de fa capitale , il faifoit atteler à fon char les députés des Rois de la Terre ; tk Lucain dit déjà qu'il y atteloit les Rois mêmes. Voilà comme les hélions fe répandent , tk comme on exagère enfuite ce qu'on a rêvé. Ce font réellement les trois premiers Ptolémées , qui ont enrichi l'Egypte en y fixant le centre du plus grand commerce qu'on ait fait alors dans l'ancien Continent. Et c'eft parce que ce commerce étoit fur tout fondé fur un luxe deitructif , que quelques habiles politiques de Rome fuppoferent l'Oracle Sybillin qui intrigua tant le Sénat, & par lequel il étoit défendu aux Romains de porter leurs armes en Egypte ; car cet Oracle étoit fuppofe , ainfi qu'un autre fur le même fujet , qu'on pré-tendoit avoir été découvert à Memphis. ( * ) Mais Augufte , qui fe moquoit des Sybilles tk des prophéties, crut qu'ayant l'occaiion d'envahirl'E- (*) Haud equiiêm immtritb Cumanee carminé vatis Cautum, ne Nili Pelujia tangeret arva Hefperius miles. Ces vers de la Pharfale font une par.iphrafe des quatre mots fuivants, qu'on difoit être extraits des livres Sybillins. MILES ROMANE, /EGYPTUM CAVE. fur les Egyptiens fcp les Chinois. 30.0 gypte il ne devoit point en. retarder la conquête d'un inilant. Et depuis cette célèbre; époque les Romains dégénérèrent deplus en plus, comme les politiques l'avoient prévu. Quoiqu'une loi Egyptienne rapportée par Diodore , ait fait croire à plufieurs Savants qu'on fe fer voit jadis dans cette contrée d'une monnoye d'or tk d'argent , il faut remarquer ici , que rien au monde n'eft moins vrai ; puisqu'on y coupoit 6 pefoit le métal , ainli que nous le voyons pratiquer par ceux qui dévoient payer aux Temples les vœux qu'ils avoient faits pour la fanté de leurs enfants. La première monnoye, qu'on ait eue en Egypte, 7 avoit été frappée par Aryanàts fous la domination des Perfans, qui ne mirent point un grand nombre de ces efpeces dans le commerce, ainli que Sper'ing l'a fort bien remarqué. (* ) Et il paroît même que celles, qu'ils y avoient mifes, fuient infenfïblement retirées par le moyen du tribut annuel : car les Arabes, qui cherchent parmi les ruines de l'Egypte, & qui font même paffer beaucoup de fable mouvant par des efpexes de tamis, n'en ont jamais découvert une feule pièce. On fait que toutes les médailles, qui leur font tombées entre les mains, ne remontent pas au-delà du fiecle d'Alexandre; foit qu'elles ayent été frappées à la Cour même des Ptolémées, foit qu'elles appartiennent à des villes Egyptiennes, qui (. ) De Nummis non eufis. ' Sterling «lit que de fon temps la fabrique des faux Sicles etoit dans le Holitein , Öt il eft furprenant qu'on ne fe foit avoient acquis le droit d'en fabriquer fous la domination Grecque, comme Pélufe, Memphis, Aby-dus, Thébes, Hermopolis tkh grande cité d'Hercule. (*) Parmi les différentes nations, aufqoelles les Anciens tk les Modernes ont attribué l'invention de la monnoye , on n'a même jamais penfé à nommer les Egyptiens, tk Pollux, qui entre là-deifus dans de grands détails, ne fait point la moindre mention d'eux. Il n'y a pas de doute que le Comte de Cay-]us ne fe foit trom pé, lorfqu'il a cru que de petites feuilles d'or pliifé avoient fervi en Egypte de monnoye courante. (**) Ces fortes de bradtéades, dont il eft ici queftion, font toujours tirées du corps ou de la bouche de quelque Momie ; tellement qu'on doit les envifager comme des amulettes, des philaéleres oude fimples repréfentations de feuilles dePerfea. La loi défen-doit aux marchands Egyptiens de marquer fur les lingots .un faux titre & un faux poids; irais il étoit libre à tout le monde de fe fervir d'une balance, comme on le faifoit auffi dans les payements par Si-cles, lorfqu'on les foupçonnoit d'être trop legers. Si les Egyptiens avoient eu de petites feuilles de métal, comme le Comte de Caylus fa imaginéi ils ne fe feroient point fervis de la balance pour s'acquitter des vœux par lefquels ils promettoient de donner une certaine quantité d'argent qu'on devoit (*) Vaillant Hifi. Ptolcm. ad fidcm numifmatum accom-modata. 104.' (**) Recueil d'Antiquités. T. 11. pas- iS. fur les Egyptiens (3 les Chinois. 3 1 ; ptfer. Enfin il en étoit d'eux comme des Hébreux, chez lefquels aucun Sicle ne fut monnoye jufqu'î. la conllruction du fécond Temple. Et ces peuple* ont eu trop de liaifons entr'tüx , pour que l'un eût ignoré l'ufage de la monnoye, tandis que l'autre fauroit connu- On s'imagine d'abord que tout ceci nous fait découvrir un rapport frappant avec les Chinois. Et c'eft précifémtnt le contraire : car les Hiftoriens de la Chine font remonter l'ufage de la monnoye dans leur pays à des époques très-rtculées, & qu'on a même voulu conftater en fabriquant df fauifes médailles. L'opinion la plus généralement eçue eft que iching-tang , que quelques-uns font monter fur le Trône en l'an 1558 avant notre Ere .fit fondre des pièces de monnoye pour les mettre dans le commerce des Provinces qui lui étoient fojmifes. Mais depuis les Chinois ont eu des efpeces d'or & d'argent, qu'on a dû retirer d'entre leurs nains; parce qu'ils les falûfioient avec tant d'adrefie,qu'il n'étoit point pofîible de les reconnoître : cepeidant il s'en faut de beaucoup que la méthode, dont on fe fert actuellement, ait fait ceffer tous les abis; puii'qu'aux fauflés monnoyes on a fubftitué les tàif-fes balances. Et tous les marchands ont acquis uie grande fubtilité de pratique dans la manière de pe. fer à peu près comme les Juifs tk les Egyptiens; ca, cette fourberie doit néceflairement s'introduire chez les peuples où l'or tk l'argent ne font point monnoyes. Quant à la nature du métal, on ne peut l'eflayer qu'avec des pierres de touche, qui n'indiquent jamais le titre avec la dernière préciiion aux yeux de ceux-mêmes qui fe croyent les plus habi- les; tk à cet égard les plus habiles font fans contredit ies Juifs. Telle eft la différence qu'il y a entre les Egyptiens tk les Chinois: les premiers ont manqué de pénétration en n'inventant point de monnoye: les autres ont manqué de probité en rendant l'ufage de la monnoye impraticable. Les efpeces d'or Se d'argent, que les Grecs mirent dans le commerce de l'Egypte, y relièrent toujours, & on ne fut jamais obligé de es retirer , comme on a dû les retirer à la Chine. Au refte, ce font les Pyramides, les Obélifques, les Temples & les exagérations d'Homère, qui ont fait ctoire à tant d'Auteurs, que les anciens Pharaons rtoientdes Princes immenfement riches; mais la macère de tous ces Ouvrages ne leur avoit rien coûté, & leurs revenus étoient plus fuffifants pour paye' les ouvriers, qui jadis ne gagnoient pas dans les piys chauds la dixième partie de ce qu'ils gag-nen aujourd'hui en Europe. Ordinairement le prix de la main d'oeuvre fe règle fur deux chofes : il fe rede fur les dépenfes que doit faire l'ouvrier pour a^oirfon neceffairephyfique, 8c enfuite fur les dépends qu'il doit faire pour avoir le necefîaire phyiique bafladeur à Lisbonne pour prier le Roi de Portugal de lui faire paflfer un certain nombre de pionniers d'Europe & des Architectes , qu'il vouloit employer à détourner le Nil au point qu'il ne devoit plus venir d'eau en Egypte. Ce Monarque afluroit qu'un de fes prédécefleurs , que Ludol-phe nomme Lalibala, avoit déjà tenté ce projet en ouvrant un canal à l'oppolite de Suakcm : & de Suakem au N;l il y a trente à quarante lieues fuivant les Relations des Portugais, qui ne furent point en état d'achever ce prétendu canal, & je (ai qu'ils n'ont pas même remué un pouce de terre au delà des Cataraftes. Il ne fut plus parlé de cette entreprife fatale jufqu'en 1700, torque l>-kiïmanout, foi difant Roi d'AbyüInie, menaça le furies Egyptiens les Chinois. 325 Pacha, qui réfide au Caire, de détruire l'Egypte de fond en comble par l'épuifement du Nil. (*) Il étoit aifé à cet Abyffin de menacer delà forte Un Turc ; mais il lui eût été très-diilicile d'en venir à l'exécution. Ce n'eft pas à l'oppofite de Suakem, comme les Portugais l'ont cru ; mais plus vers le Sud fous le dix huitième degré, que le terrain s'incline continuellement jul'qu'au rivage de la Mer Rouge , & c'eft-là , qu'on pourroit amener les eaux de ÏAftaborat ou du Tacaze qui fe décharge maintenant dans le Nil, & le Nil môme pourroit être forcé au point qu'il couleroit vers l'Orient, comme il coule vers le Nord ; mais il faudroit pour cela faire des ouvrages vraiment prodigieux qui na rapporteroient jamais ce que leur coiiftruftion auroit coûté, & ce que coûteroit encore leur entretien : car les peuples de l'Ethiopie n'auroient rien gagné en ahymant totalement l'Egypte, & s'ds ne vouloient avoir qu'une communication avec le Golfe Arabique, il fuifitoit de rouvrir le canal qu'avoient fait jadis les déferteurs, & qui efl à préfent à fec, puifque cette dérivation ne percî: point fur la carte de Mr. Nieburh, & elle n'eft placée qu'idéalement fur la Carte de M. d'Anville. On a très rarement vu l'Ethiopie & l'Egypte Tous une même domination : mais fi ces deux contrées obéiffoient à la fois à un feul Prince , on pourroit par le moyen des digues & éclufes fournir tous les ans au Nil la quantité d'eau dont il a précifément befoin pour bien arrofer toutes (*) Yoy. Continuation du Voyait dt Loio. 32fj Recherches philofopbiquts les terres depuis Syéne jufqu'à la Méditerranée; de forte qu'on ne craindroit plus ni les débordements trop foibles, ni les débordements trop forts. Il fe perd dans les fables de l'Abylfinie beaucoup d'eau pluviatile, qu'il fuffiroit de raf-fembler dans des réfervoirs d'où on la laiiTeroit écouler à volonté , fuivant le befoin que L'Egypte pourroit en avoir. On croit à la vérité , que ces Ouvrages ont été entrepris par les Anciens; parce qu'on trouve fort avant en Afrique des rivières qui communiquent les unes avec les autres par des canaux lefquels paroiflent abfolument faits de main d'hommes : mais on ne fauroit dire que jamais les Egyptiens ayent penfé à ce projet , dont ils ne foupçonnoient peut-être pa9 même la poflibilité. Les Prêtres ont fu à peu près tout ce qu'on peut favoir fur les caufes du débordement du Nil ; ils les expliquèrent d'une manière aflez fatisfaifante à Eudoxe ; (*) mais quant à la fource de ce fleuve, ou ils la recu-loient trop vers le Sud, ou ils croyoient que cette fource, proprement parlant, n'exifte point; ce qui efl: l'opinion la plus probable : car il s'agit, fuivant toutes les apparences, d'une infinité de petits ruiueaux , qui fe ralTemblent dans les vallées quelques jours après que les pluies ont commencé à tomber dans la Zone Torride ; & Ta fource du Nil peut fe trouver tantôt dans une vallée tantôt dans une autre, fuivant que lèvent chafle les nuages, ou fuivant qu'ils s'arrêtent au fommet des montagnes : tellement que le NU (*j Plutaïqttfl in l'Ucitis l'IuL/uph. Lit, 1F. Cap, i, fur les Egyptiens £? les Chinois. 317 vient quelquefois de plus près, & quelquefois de plus loin ; mais il ne peut en aucun cas venir des hauteurs qui font dans l'hémifphere auftral, comme les Prêtres paroiflent l'avoir cru. Ce que nous avons dit jufqu'à préfentdu Gouvernement de l'ancienne Egypte , peut fuffire pour en donner une idée alTez précife ; mais il faudroit s'engager dans beaucoup de difeuflions, fi l'on vouloit 'également indiquer quelle a été la politique de ce Gouvernement à l'égard des peuples dont il avoit ou à craindre ou à efperer. En général, les Egyptiens ne paroifTent pas avoir entendu cette partie : ce fut, par exemple , une faute énorme du Pharaon Amafis, de n'avoir pas fait fecrettement d'alliance avec les Arabes, lorfque la puifTance de Cyrus commença à faire trembler l'Afîe; puifque les Anciens eux mêmes onl obferve que, fi les Egyptiens euffent été étroitement unis avec les Arabes, jamais Cambyfe n'auroit pu pénétrer jufqu'à l'ifthme de Suez. Une faute plus énorme du Pharaon Pfammétique fut de confier la défenfe de l'Egypte à des troupes étrangères, & d'y introduire différentes colonies formées de la lie des nations : on pouvoit ouvrir ce pays fur la Méditerranée aux navires de la Grèce : mais il ne falloit point admettre les Grecs mêmes dans différents cantons du Delta. Les Egyptiens avoient déjà chez eux trop de peuplades étrangères, qu'ils laiffoient vivre en corps & fuivant leurs loix nationales; ce qu'il ne faut jamais permettre. Une de ces peuplades formée uniquement de Phéniciens occupoit un grand qunnier de Memphis ; on trou voit mi corps d'Arabe'* fi- 328 Recherches phïïofipMques dentaires à Coptos, fans parler des Bédouins , dont on ne put point toujours arrêter les cour-fes, comme on le voit par le contrnét qu'on avoit fait avec eux, & par la grande muraille de Sé-foltris, laquelle ne fervit jamais à rien. Les Arabes fédentaires de Coptos faifoient une efpece de trafic, & envoyoient quelques denrées jufqu'A cette ville qu'on appelloit VArabie Hcurctife , qui n'a fûrement été qu'une ville & non une contrée , comme l'Auteur du Périple de la Mer Erythrée le dit d'une façon pofuive. Ainfi, quand les Ptolémées firent eux mômes directement le commerce des Indes , il n'y eut plus d'Arabie Heureufe; & l'endroit, qu'on avoit défigne fous ce nom, fut rafé totalement par les Romains. D'un autre côté, les Ethiopiens avoient un Etabliflement dans la haute Egypte : les Africains Occidentaux, que je crois avoir formé la Tribu déteftée, vivoient en troupes vers Racotis & fur le terrain qu'on prit pour bâtir Alexandrie : les Juifs avoient été fixés aux environs de la petite cité d'Hercule, que nous avons prife pour Avaris, que quelques Savants veulent chercher dans l'Arabie pétrée vers l'endioit où l'on découvre beaucoup de Monuments Egyptiens. (*) Je ne parle- (*) Ils prétendent qu1* Avaris foit la même ville , que Ptolémée , Etienne & le catalogue des Evêchez placent en Arabie fous le nom iïAvara, & qui efl appe'lée Avatka dans la Notice de l'Empire de l'édition de Basle de 1552» où le texte eft plus correifl, qu'en aucune autre. Mais ce fentiment ne peut être fondé que fur une reffemblance de nom. U a été démontré par plus de vingt exemples , que le- Juif Jofépné a commis des fautes énormes qui font relatives à la Géographie de l'Egypte : or je croi qu'il a confondu le canal pubaftiquë avec là bouche Taniticue, & que cette confufion a empêché de retrouver Avaris dans Séthron. fur les Egyptiens les Chinois. 329 rai point de l'Eubliflernent des Babyloniens, au-deflbus de Memphis; puifqu'il ne fut, félon toutes les apparences, formé qu'après Pinvafion de Cambyfe. Et ceux, qu'on a pris pour dts Babyloniens, étoient plutôt des Perfans, qui avoient dans cet endroit Je feul Pyrée qu'on ait jamais vu en Egypte. Les Anciens ont encore fait mention d'une troupe de Troyens fugitifs , que les Egyptiens reçurent également chez eux, & qu'ils fixèrent dans le voifinage des grandes carrières i l'Orient du Nil. Mais je ne puis m'empêcher de regarder comme une fable tout ce qu'on dit de ces prétendus Troyens, & il s'agît ici de quelque autre Nation, dont l'Hiftoire eft fi confufe que je n'entreprendrai point de i'éclaircir. Outre ces étrangers, dont on vient de faire mention, on trouvoit en Egypte des Cariens & des Ioniens qui polTéderent d'abord vers ie bras Pélufiaque des terres abandonnées vrai femblable-ment par les Calafncs & les Hermotybes; mais depuis on les mit en garnifon dans la Capitale même, d'où ils ne fortirent.plus que pour aller combattre Cambyfe, qui difperfa cette Milice, que les Pharaons avoient employée dans beaucoup d'expéditions, & il eft croyable qu'ils employèrent également les Phéniciens qui demeuraient à Memphis, lorfiju'ils voulurent avoir une Marine, dont l'établifiement ne remonte point au delà du règne de Pfammétique, que quelques ChronoIogift.es font monter fur le trône en l'an &73 avant l'Ere vulgaire. 33° R echcrches phlhfophiques SECTION X. Confulèrations fur le Gouvernement des Chinois. t>ömme les Scythes ont été de tout temps inquiets, ennemis de la paix; les premiers chefs, que les vieillards avoient choifis pour conduire les peuplades, les entraînèrent d'une expédition en une autre. On avoit toujours la guerre, & il fallut, par conféquent, auffi. avoir toujours-des Caciques ou des Capitaines, qui parvinrent bientôt à l'indépendance ; ils tranfmirent l'autorité à leurs enfants, ou fe nommèrent des fuccelTcurs fans confulter la Horde. Voilà pourquoi on n'a jamais vu les Chinois en corps élire un Empereur, lors même que la famille Impériale s'eft éteinte dans la branche mafeuline : voila encore pourquoi aucun Légiflateur de la Chine n'a eu aflez de pouvoir pour régler l'ordre de la fucceffion dans la Maifon régnante. Et cependant c'eft par-là qu'il falloit commencer pour arrêter les premiers progrès du Defpotifme, qui alla toujours en augmentant jufqu'au règne de Si homme digne dé mort, on préfente l'information au Roi , n qui décide de la vie de ce Criminel. C'eft là une couui-i> me confiante," Defcription du Gouvernement de Pcrj-, Otap. XV11. fur les Egyptiens les Chinois. 343 fi^nt point de force fans la volonté du Prince, qui fuppofe d'ailleurs qu'un homme lui appartient conv-nat unefclave appartient à fon maître. Et il eft contre l'cffencedela fervitude qu'un maître puiffe être privé di la pollcüion de fes efclaves fans en être inftruit. Les Rits & la Religion ont eu, comme on peut bien le penfer,une très-grande influence furie Dioit Civil des Chinois. Les facrifices qu'on y fait aux Mânes des ancêtres, font caufe qu'un pere ne peut ''nflituer fa fille unique, héritière univerfelle. Une telle difpofition feroit par fa nature nulle : car c'eft un axiome que la femme ne facrifie point : ainfi la fille ne pouvant offrir les viandes aux Mânes , il faut que le teftateur confie ce foin à un autre. Lorfqu'il y a des enfants mâles, les filles.ne peuvent abfolument rien hériter : car les frères partagent entre eux à portions égales ; Se la loi ne les oblige à autre chofe finon à nourrir leurs fœurs jufqu'à ce qu'elles fe marient, 6c elles fe marient toujours fans dot. Ce fort principalement les femmes qui ont été maltraitées dans ce pays, où le Légifhteur a pluscher-claé à affurer leur efclavage qu'à afliirer leur vie. 11 y a parmi les Chinois différentes efpeccs de Servitudes, fans parler de celle qui réfulte de la polygamie k de la clôture. Comne les Tartares étoient efclaves immédiats de leur*Kan avant que d'avoir conquis la Chine, ils font retés ce qu'ils étoient; après la conquête, & leur fervitude n'eft point fondée comme on pourvoit le croire, fur l'obligation que leur impofentles terres qu'ils tiennent de la libéralité du Prince : car ils peuvent les vendre entre eux, 6c n'ont plus aucun drtit aux fonds aliénés, honnis qu'ils n'ayent P 4 344' Recherches philofophiqties été acquis par ries Chinois, auxquels on les reprenj quand on veut, lorfqu'on reflitue le prix de Pacha ; fans quoi le peuple conquis eût infenfiblement retiré tous les fonds d'entre les mains du peuple conquérant. Enfin la conduite que les Tartares ont tenue à la Chine, eft quelque chofe de réellement furprenant : ils ont fait par une efpece de prudence ce que les plus grands politiques auroient à peine ofé entreprendre par artifice. Quand Alexandre obligea les Macédoniens à prendrel'habillement desPer-fans, il n'y entendoit rien : quand les Mongolscor-ferverent leur habillement & laifierent celui des Chinois tel qu'il étoit, ils y entendoient encore inoins. On reconnoilîait un Mongol parmi mille Chinois. LeS Tartares Mandhuis font les feuls qui ayent fait ce qu'il failoit faire. 11 y a dans ce pays des efclaves nés 8c il y en a d'autres, qui, quoique libres par la naiffance,ont été vendus de gré ou de force, 8c dont la poftérité refte dans la condition fervile. On s'y joue Tellement de la liberté, qu'un homme peut s'y vendre encore. Les Chinois ne connoifient pas comité les Grecs 8c les Egyptiens cette efpece d'efclavag*, que je nommerois volontiers Hilotijme, 8c où tou'e une nation en corps fert une autre nation. Cepencant le cas eût pu exifter à la Chine par rapport auxMon-gols, li au lieu de les daller on eût eu la force de U-s réduire en fervitude; mais il eft arrivé par des cau-fes difficiles à concevoir, que les Mongols fent redevenus puiffants à la Chine , quoiqu'ils n'y iomi-nent point : 8c leur nombre s'accroît de jeur en jour de même que celui des Mahométans, qui ont parmi eux des efclaves d'une efpece particiliere, fur les Egyptiens £5? les Chinois. ?4f laquelle choque moins le Droit naturel que toute s les autres : ils élèvent plufieurs enfants que les Chinois jettent à la voirie, tk ces enfants fervent en-fuite les Mahométans, dont le joug eft fort doux. La propriété des Chinois feroit à l'abri de beaucoup d'inconvients, fi elle étoit à l'abri des confiscations, lefquelles tombent néanmoins rarement fur les gens de la campagne, qui ont autant de vertus que la populace des villes en a peu: on ne peut leur reprocher ni la mauvaife foi, ni la fourberie, ni le meurtre des enfants, ni la débauche la plus groffie-re : car rien n'égale leur retenue, leur fobriété, tk leur ardeur pour le travail. Mais s'ils font moins expofés aux confifcations, ils le font en revanche davantage aux corvées, qu'on exige avec beaucoup de rigueur comme dans les autres parties de l'Afîe. J'ai lu un Edit de l'Empereur Suen-ti, gar lequel il difpenfe des corvées ceux d'entre les payfans qui viennent de perdre leur pere ou leur mere : car il faut lailler à ces malheureux, dit-il, quelque temps pour qu'ils regagnent ce que leur a coûté l'enterrement. Et voilà un bien petit remède pour un fi grand mal. La plupart des cultivateurs Chinois n'ont y comme on fait, ni chevaux, ni bœufs; & ils travaillent à force de bras les terres qu'ils ont louées des grands propriétaires. (*) Or les corvées font pour de telles gens accablantes par deux raifons •. on y perd d'abord, commele dit l'Empereur *i, un temps précieux : enfuite on excédeles travailleurs, qui ne peuvent fe faire aider par des bêtes» J'obfervai, dit Nieuhof, dans le trajet de Canton à (v) Eckerbcrg Bericht von der Chimf.fchtn Landwirthfchafi\ 34r5 Recherches philofophiques Pékin, qu'on forçoit fouvent à coups de bâtons lei payfans Chinois de tirer la barque, qui portoit l'Am-baffadeur Hollandois; quoique ce Seigneur fuppliàt fans cefle les conducteurs d'en agir avec plus de modération envers les laboureurs, qui forment, làns contredit, le corps le plus refpeétable de l'Empire; ck il eft trifte qu'on ne puiffe mettre leurs habitations, lorfquelles font fort éloignées des groffes villes, plus en fureté contre les voleurs Se les vagabonds. A mefuré qu'on avance dans le centre des Provinces , les terres deviennent toujours plus incultes 6c les villages plus rares; de forte qu'il n'y a pas la moitié du terrain mife en valeur à beaucoup près, lorfqu'on y comprend les prodigieux cantons qu'occupent les Sauvages tels que les Mïaojjé. Cependant pour qu'un pays puiffe fe glorifier d'avoir une culture floriflante, il faut que les terres, qui rapportent , foient aux terres qui ne rapportent rien , comme 50 font à 3. Et fi l'on en croit les Anglois, ils font parvenus à établir cette proportion chez eux, 11 ne faut point juger de toutes les Provinces de la Chine par celle de Che-Kiang & de Nan-Kin t ru'on regarde ordinairement comme un terrein abandonné par la Mer ou une alluvion du Fleuve Jaune , qui avoit jadis, à ce qu'on prétend , fa principale embouchure dans le^Golfe de Pet-cheli à cinq degrés plus au Nord qu'il ne fe décharge de nos jours. Le P. Gaubil a parlé affez au long de ce changement dans fon Hiftoire dos Mongols, fans vouloir convenir que l'Empereur Yu n'a pu conduire le Fleuve Jaune comme on conduit un ruif-feau, tk cela plus de zzoo ans avant notre Ere de forte que je regarde comme une fable groûitre fur les Egyptiens & les Chinois. 347 tout ce qu'on en dit dans le Chou-King. Quand on jette un coup d'oeil fur la Carte , alors il femble effectivement que l'extrême irrégularité dans lecours de ce fleuve, provient des digues qu'on lui a opposes, 6c qu'il aura rompues pendant une inondation. Si les Chinois ne prennent des mefures plus efficaces que celles, dont ils fe font fcrvis jufqu'à prélent, le Fleuve Jaune leur occafionnera encore bien des embarras : les courbes , qu'il décrit, font trop coniidérables, ôc s'il eft vrai qu'il fe foit déchargé originairement dans le Golfe de Pct-cheli, il fera de continuels efforts pour y revenir. Comme les Chinois ont un penchant ou plutôt une paflion ardente pour le commerce, l'Empereur Ven-ti voulut attacher quelque confidération à la qualité des cultivateurs pour les retenir dans les campagnes & les prcferver de cet efprit de trafic 6c de fourberie, qui, comme un mal contagieux, infecta de plus en plus la nation depuis que le Gouvernement devint vraiment delpotique fous Schi-chuandi. Mais cette confidération, que l'Empereur Ven-ti imagina alors en labourant lui-même la terre, comme l'avoient fait avant lui d'autres Monarques aux Indes, ne pouvoit en aucun cas contrebalancer un fléau tel que celui des impofitions arbitraires ce des corvées. Qu'on ôte à l'Agriculture les entraves, que la Tyrannie lui a données; ôc alors elle n'exigera point des récompenfes, ni des honneurs : eîle ira par fa propre force Ôc fe récompenfera elle-même. Au refte, ce qui a le plus retenu les payfans de h Chine dans leurs campagnes , c'eft qu'ils favent bien que les vexations qu'ils efluyent, n'égalent P 6 348 Recherches phlhfophiques fouvent point celles qu'on réferve aux marchands-: mais ceux-ci vont toujours contre le torrent, tk les obftacles les encouragent. Il en eft d'eux comme des Juifs, qui vivent dans les Etats de l'Afîe : les avanies continuelles font un aiguillon de plus qui les pouffe dans le négoce : il femble à chaque inf-tant qu'ils devroient y renoncer, & ils n'y renoncent jamais , parce qu'ils achètent à la Cour des proteérions : tk les grandes injuftices qu'ils éprouvent , font réparées par les occafions qu'on leur fournit de faire des gains illicites. Pour expliquer tout ceci, il faut que je cite un paflage du Journal de M. de Lange, Agent delà Cour de Petersbourg à Pékin. Les Seigneurs de la Chine, dit-il, chicanent trop les marchands, cr leur prennent leurs marchandtfes fous toutes Jortes de prétextes, fans qu'ils en puiffenr jamais efpérer le payement. C efi pourquoi tous les marchands cr autres gens de quelque profeffwn lucrative a- Pékin, font accoutumés de fe choijir des Protecteurs p-armiles Princes du fangzs? les autres Grands Seigneurs ou Siinifresde la Cour, es* par cet expédient, moyennant une bonne fomme d'argent qu'il leur en coûte annuellement à proportion de ce qu'iù peuvent gagner , ils trouvent moyen de fe mettre h ïabri des txtorfons des Mandarins es1 quelquefois même des fimples foldats : car a moins de quelque protection puiffante un marchand efl un homme perdu a la Chine tr fur-tout a Pékin ou chacun croit avoir un droit incontejlable déformer des prétentions fur un homme qui vit de trafic. Si quelqu'un étoit ajfez mal avifé pour vouloir tenter d'en obtenir une jufis réparation par la. voie de la Jufiice , il tomberoit de mal en pi fur les Egyptiens t$ les Chinois. 340 Car les Mandarins , apr"cs en avoir tiré tout ce qu'ils auraient pu, ne manquer oient point à la vérité d'or-donner que les effetst quon auroit pris injujiement, feroient rapportés au College; mais il faudrait qu'il fût bien habile pour les faire enfuite revenir de là. (*) Par la combinaifon déroutes cescaufes & de beaucoup d'autres il elt arrivé que les négociants riches ou médiocrement à leur aife font en fort petit nombre, eu égard à cette foule de boutiquiers du dernier ordre & de colporteurs, qui s'entaflent dans les principales villes de l'Empire , ou qui courent les foires. Quant au commerce extérieur, on ne croit pas qu'il monte annuellement à cinq millions d'onces d'argent , tk dans le cours actuel de Pékin , l'once de ce métal s'évalue à 7 livres 10 fols de France. Plufieurs Ecrivains ont parlé desrevenus de l'Empereur de la Chine ; mais d'une manière fi vague qu'on ne doit y faire aucun fonds. M. Salmon ne croit point que tous les revenus de ce Prince foient de vingt-deux millions de livres Sterling; mais on peut douter qu'il entre dans le Tréfor Impérial quinze millions de livres Sterling en argent réel : car il ne s'agit point ici des denrées qu'on fournit' en nature, tk qui fe laiffent encore évaluer jufqu'à un certain point; mais perfonne n'eft en état d'évaluer les confifeations , qui forment un objet de la dernière importance pour les Princes avares. 11 faut obferver que dans tous les Etats defpoti- {*) Pjg. xu> & 217. 2j-o Recherches philofophiques quesles revenus des Souverains font beaucoup moindres qu'on feroit porté à le croire, lorfqu'on confi-dere l'immenfe étendue des contrées. Le Sultan ne tiroit pas à beaucoup près vingt millions d'écus d'Allemagne de tous les pays de l'Europe, de l'Afîe & de l'Afrique , qui lui obéilfoient avant la dernière guerre. Et les revenus du Grand-Mogol , fi prodigieufement exagérés dans quelques Relations, n'ont pu monter au delà de 185 millions de roupies Sicca, tk la Sicca roupie ne vaut point encore précisément trois livres de France. Sous le Gouvernement Chinois, les Eunuques avoient introduit tant de défordre dans les finances de l'Empire, qu'on n'a pu jufqu'à préfent débrouiller cet affreux cahos. Les Tartares trouvèrent la plupart des Provinces obérées tk redevables au Tré-for de Sommes fi fortes qu'elles ne font point encore payées, 6c les Tartares ne penfent plus à les exiger. Les Eunuques ne revoient qu'aux impôts : enfuite ils manquoient de moyens pour les lever : quand le peuple fe plaignoit de la ferme du fel, on aboliiïoit l'impôt fur le fel, ôc on en mettoitun fur le fer. Voici le tableau de toutes ces déprédations inconcevables, tel qu'on le trouve dans un Auteur Chinois nommé Cbe-Kiai, dont nous emprunterons les termes pour en conferver l'énergie. „ Sous la Dynaftie préfente, dit-il, ce ne font „ qu'impôts, douanes ôc défenfes. Cela eft exceftif. „ Il y en a fur les montagnes ôc dans les vallées : „ fur les rivières ôc fur les mers : fur le fel ôç fur le - fer : fur le vin ôc fur le thé : fur les toiles ôr fur „ les Soieries : Sur les paflages Ôc fur les marchés ; i3 fur les ruiffeaux ôc fur les ponts. Sur tout cela fur les Egyptiens &? les Chinois. 3 ƒ 1 », & fur bien d'autres chofes je vois par tout dé-fenfes faites. (*) L'Empereur ne recevoit pas la millième partie de ces impôts, que les Eunuques donnoient à ternie ; enfuite ils partageoient avec les fermiers, 8c pour pallier le défaut de la recette ils déclaroient les Provinces redevables degrofles fommes, qu'on avoit exigées au-delà du Tribut ordinaire. Ce manege parut horrible aux Tartares , qui n'avoient point encore perdu, comme le dit le P. Amiot, leur bonne foi naturelle ; & ils mirent en régie les falmes 8c les douanes, hormis celle de Canton , qui eil aufïi décriée en Allé que le font les douanes Portugaifes 8c Efpagnoks en Europe. Il s'étoit gliffé, outre tout cela , un abus dans la perception des taxes affrétées fur les terres, ce cet abus étoit fi fenfible que l'Empereur Cang-hi ne manqua point d'y remédier. Dans les Républiques 8c les Gouvernements modérés , ceux qui louent des fonds pour les faire valoir , peuvent fans inconvénients être chargés de payer la taille ; mais dans les Etats defpotiques le propriétaire doit abfolument payer lui-même, fans quoi les cultivateurs font vexés de deux manières , 8e par le propriétaire 8e par le Souverain. Or cela étoit établi ainfi à la Chine lors de l'arrivée des Tartares, qui ordonnèrent que dorénavant les fermiers ne payeroient plus les tailles , qu'on exigea du poffe fleur. Comme la plupart des revenus des Empereurs de (*) Voyez Recueil impérial contenant 1er Edit s & montrâmes &c. traduit du Chinois par U P, Beryittu 3)2 Recherches philofophiques la Chine confiftent en livraisons de riz , de blé, de foie crue ou ceuvrée , de foin , de paille, de tabac, de thé , d'eau de vie , il faut bien qu'ils payent à leur tour leurs Officiers en denrées, qu'ils ne peuvent revendre qu'en perdant ; ôc c'eft de là que proviennent ces continuelles malverfations dont on les accufe. L'argent eft toujours fort rare par-tout où les Souverains ne reçoivent pas leurs revenus en argent, tellement que la difette y irrite l'avarice : tandis que d'un autre côté l'efclavage fomente le luxe : les hommes veulent y paroître grands à mefuré qu'on les a rendus petits , oc ils font prefque anéantis fous le pouvoir arbitraire ; de forte qu'il leur faut des habits brodés. La Capitation eft un impôt fr naturel dans les pays delà fervitude , que les Chinois , qui ont murmuré fur tous les autres , ont fupporté celui-là aflez patiemment ; mais les extraits de leurs regiftres de la Capitation , tels qu'ils ont paru en Europe, font faux & controuvés, ce que nous avons prouvé jufqu'à l'évidence dans le fécond article de cet Ouvrage , & on ne répétera pas ici tout ce qui a été dit touchant l'état de la population de ce pays ; puif-qu'il eft certain qu'on ne peut fans exagération la porter à quatre-vingt-millions d'ames. Les Tartares ne trouvèrent dans tout l'Empire que onze-millions-cinquante-deux-mille- huit'cents-foixante-douze familles. Ainfi , pour trouver à peu près le total des habitants, il fuffit de quintupler le total des familles, qui ne donne point à beaucoup près cinquante-fix millions d'ames. Eu égard à la prodigieufe étendue de la Chine , cette population eft fans compa-raifon plus foible que celle de l'Allemagne , ôc elle fur les Egyptiens fex Chinois. 3 5*3 le feroit encore bien davantage fans le climat favorable des Provinces du Sud , qui de l'aveu des Mif-fionnaires renferment bien plus de monde que les Provinces du Nord. Comme les inftitutions politiques de cet Empire n'ont point la moindre analogie avec le Gouvernement de l'ancienne Egypte, on n'y a jamais vu ni familles facerdotales ni familles miliwires. Les foldats Chinois, au contraire desCalafires & des Hermotybes , font le commerce, exercent des métiers, ou cultivent des terres, ainfi que cela s'eft pratiqué de tout temps, c'eft-à-dire bien des fiecles avant que les Tartares eulfent afiigné des fonds aux huit bannières des Mandhuis. Si l'on en croit le P. Amiot , la folde de chaque fantaffin coûte maintenant à l'Empereur Kien-long trente livres de France par mois , dont il paye une moitié en argent, & l'autre moitié en riz : la folde du cavalier eft de quarante-cinq livres par mois, dont il en reçoit vingt-deux & demi en argent.(*). Généralement parlant , l'entretien des Troupes coûte toujours plus dans les Etats delpotiques que dans les fctats modérés : cependant on peut douter que l'on paye fur ce pied-là toute la Milice Chinoife , que nous pouvons divifer en cinq claffes différentes: la première comprend la Cavalerie , qui ne fe fert d'aucune arme à feu : car les Tartares , qui entendent peut-être mieux cette partie de la Tactique que toutes les autres, ont jugé que les arcs font beaucoup meilleurs que les moufquetons, que leurs efeadrons ne peuvent employer dans les attaques; (*) Art Militaire des Chinois. Pag. 30. 3 f4 Recherches phlhfophiques tandis qu'ils tirent au galop avec l'arc , comme les Parthes tk toutes les peuplades Scythiques : là féconde divifion comprend les Canonniers tk les Arque-buiiers ■. la troifieme eft formée par les Piquiers : la quatrième par les Fantafïins qui fe fervent de l'arc : enfin viennent ceux qui ne font armés que du bouclier tk du fabre. Les exercices de toutes ces Troupes fi différentes par l'armure, relfemblent à un jeu théâtral ou à un ballet figuré dans les eftampes enluminées qu'on trouve à la fuite de Y Art Militaire des Chinois, Le plus plaifant de ces jeux eft , fans contredit, celui que font les Fantafïins armés de fabres tk de boucliers , fous lefquels ils fe cachent de façon que les boucliers imitent par leur pofition la forme d'une fieur appellée en Chinois Mei-Hoa ; tk pour exécu-cuter cette manœuvre , il faut que cinq hommes fe couchent les uns furies autres à terre. Enfuite ces bouffons contrefont les Lit ou les Loung , c'eft-à-dire les Dragons Scythiques, dont toutes les enfei-gnes font chargées : après qu'ils ont été Dragons , ils deviennent Tigres , tk fortent cinq à cinq de defi'ous leurs boucliers, comme des Tigres fortent d'une forêt pour faifir leur proie. Mais ce qui fur-paffe tout, c'eft une manœuvre beaucoup plus forte que celles dont j'ai parlé , tk où il s'agit d'imiter la projcclion de la Lune qui fert de bouclier aux mon-tagnes, ou comme on parle en Chinois , Yen yue pai-chan tchen, (*) Dans une évolution générale, D Lib. cit. p. 348. Je croi mie les Dragons des enfeignes Scythiques ont donné occafion d'appeller Dragons ceux qui fervent à pied tk à cheval, et on dit qu'Alexandre empauua ce nom des Perfans. fur les Egyptiens & h s Chinois, jjrjr ©0 les cinq corps de la Milice font employés, on contrefait les quatre coins de la Terre , qu'on fuppofe carrée , & la rondeur du Ciel en mêlant t 11e-ment la Cavalerie avec les gens à pied qu'on n'y conçoit abfolument rien , & je croique le P. Amiot n'y a rien compris lui-même : car il y a bien de l'apparence que le» eflampes , qu'il a envoyées de Pékin à Paris, & qui ne méritoient point d'étregra-vées, ne repréfentent pour la plupart que des manœuvres idéales ou des divertiffements Militaires. On n'a pu favoir quel efi le nombre-des Troupes que les Tartares entretiennent depuis l'époque de leurs conquêtes : mais ce nombre ne feroit point fort confidérable , fi on en croyoit l'Empereur Kic»long, qui a prétendu qu'un feul Tartare Mandhuis peut commodément défaire dix hommes , bien entendu que ce foient dix Chinois, & fur-tout lorf-qu'ils fe cachent fous leurs boucliers pour imiter la fleur de Mei Hoa ou la projection de la Lune. L'Empereur Kien-long ne peut ignorer que la facilité avec laquelle fes ancêtres s'emparèrent de la Chine, provenoit du défordre prefqu'incroyable où les Eunuques du Palais avoie'nt plongé cette contrée ; 5c enfuite du trille état où les Chinois avoient laifle réduire leur Milice nationale : le P. Tri-gault , qui la vit avant l'entrée des Tartares à Pékin , dit que cette Milice comprenoit le plus vil ramas d'hommes, dont on eût ouï parler de longtemps en Afie : les uns étoient efclaves de l'Empereur : les autres étoient efclaves des particuliers, 5c ils s'acquittoient tous des fonctions les plus infâmes : eux ou leurs pères avoient été vendus & réduits en fervitude à caufe de quelque crime : on les 3frî Recherches phiîofophiques appelloit des foldats; mais c'étoient des brigands. (*) Tous les Magiftrats de la Chine font divifés en neuf ordres, fuhordonnés les uns aux autres ; mais on ne peut alléguer aucun motif raifonnable de cette inftitution , qui n'eft fondce que fur l'entêtement fuperftitieux des Chinois en faveur du nombre neuf. On a quelquefois parlé en Europe avec admiration de tous ces prodigieux examens, qu'on fait ef-fuyer aux Candidats avant que de les admettre à la charge de Mandarin ; mais il fufht de réfléchir à la nature des caractères Chinois pour concevoir quelle a été l'origine de cet ufage. En Europe on peut en moins d'une demi-heure fe convaincre fi un homme fait lire tk écrire. Mais à la Chine au contraire cela exige de longues perquiiitions : car un Lettré, qui devroit connoître dix-milli caractères , n'en connoîtra fouvent que trois-mille. U faut donc le Soumettre à bien des épreuves pour favoir jufqu'à quel point il fait lire, jufqu'à quel point il fait écrire, tk jufqu'à quel point il peut compofer en écrivant : ce qui eft très-difficile, lorfqu'on veut compofer avec clarté, ce que peu de Lettrés, lavent de l'aveu des Millionnaires. Les moindres Négociants de Canton ont ordinairement une petite provifion de caractères qu'ils connoiffent par cœur, tk qui leur fuffifent pour les affaires mercantilles, mais au-delà ces Négociants ne Savent ni lire, ni écrire. On a (*) Nulla gens . 2. I un, jj 3f8 Recherches phihfophiques nes du corps humain, & qui air la moindre notion de 1'Anatomie. L'Ouvrage de Dionis n'a été traduit qu'en langue Tartare; car tous les Millionnaires enfemble ne purent le traduire en Chinois, & ce livre très-mediocre, très-peu eitimé en Europe, ne fuffit point pour former un Anatomifte. Enfin les Chinois ont negligé les Sciences réelles au-delà de ce qu'on peut le croire, ôc leur police par rapport aux Médecins eft diamétralement oppofée à celle des Egyptiens, qui ont été accufés d'un excès contraire : car, fuivant quelques Grecs, ils punif-foient de mort ceux qui s'écartoient, dans le traitement des maladies, de la règle prefcrite par les livres Hermétiques. J'ai dit que, dans les épidémies qui proviennent d'une caufe qui eft toujours la même, ôc qui produifent des fymptômes toujours fembla-bles, les Egyptiens ont eu raifon de prefcrire des règles aux Médecins. Il n'y a point de malade qui ne préférât d'être traité arbitrairement par un Doéteur habile, plutôt que d'être traité fuivant le formulaire .Egyptien : mais quand un Médecin eft ignorant, alors il n'y a point de malade qui ne préférât le formulaire Egyptien, dont nous parlons'd'ailleurs en aveugles :'car il faudroit l'avoir vu pour en juger : on croit feulement favoir par un paffage d'Ifo-crate tk de quelques autres Auteurs de l'Antiquité, que les Médecins de l'Egypte n'ofoient employer des remèdes plus violents, que ceux qu'ils trouvoient indiqués dans leur Pharmacopée. Quanta la peine de mort, dont parlent les Grecs, elle peut réellement avoir concerné les Oculiltes tk les Dentiftes ou Es Chirurgiens, qui donnoient, à l'infu du Médecin, des drogufes, 6c outrepaffoient mal à propos fut les Egyptiens & les Chinois. 35*9 les bornes de leur Ait : car les Egyptiens avoitnt des loix féveres contre le meurtre; 8c qu'un malheureux foit affafiiné fur fon lit, ou fur un grand chemin, celarevenoit, félon eux, à peu près au même. Parmi ces hommes, que les Relations appellent les Lettrés de la Chine, il n'y a point de Jurif-conlhltes, quife chargent de la conduite d'un procès: car les Parties doivent paroître elles-mêmes devant le Juge comme en Turquie 6c dans tout l'Orient. On s'eft faufTement imaginé en Europe que les Chinois entendoient bien la pratique du Druit Civil. Non feulement ils ne l'entendent point du tout, mais ils n'en ont aucune notion , comme on peut le démontrer évidemment par le témoignage même des Millionnaires, qui ont le plus exalté ces Asiatiques. D'abord il n'y a pas d'appel d'une fentence quelconque; ce qui choque, comme on le voit, la plus faine pratique du Droit Civil ; mais cela eft en revanche conforme aux inftitutions d'un Etat defpotique. „ Si le pouvoir du Magiftrat Chinois, dit le P. ,, du Halde, eft aftraint par les Loix dans les affai-„ rescriminelles, il eft comme ablolu dans les ma-„ tieres civiles, puifque toutes les conteftations, qui „ regardent purement les biens des particuliers, font „ jugées par les Grands Officiers des Provinces, „ fans appel aux Cours fouveraines de Pékin, auf-„ quelles cependant les particuliers, dans les gran-„ des affaires , peuvent porter leurs phintes. (*) Autre choie eft de fe plaindre : autre chofe eft d'appeller. On peut fe plaindre par-tout, 6c même à Tunis 6c à Maroc; mais on n'y fauroit faire d'appel non plus qu'à la Chine dans les matières civi- {*) Dcfc. de la Ckim, Tomt I. pas. 7. .$6o Recherches philosophiques les, où il fe commet fans comparaifon plus d'inju-ilices que dans les matières criminelles : le Juge eft rarement corrompu, lorfqu'il s'agit d'un forfait éclatant qui tend à troubler la tranquillité publique ; mais il peut être corrompu de mille manières dans les aétions d'intérêt. L'ufage d'interdire la voie d'appel aux plaideurs, eft d'autant plus mauvais à la Chine, que la procédure y pèche contre toutes les règles de la Jurifprudence. Et pour le prouver il fuffit de rapporter encore un paffage extrait de l'Ouvrage du P. du Halde. ,, Quoique le Gouverneur de la Province, dit-il, „ ait fous lui quatre Grands Officiers, & que les „ Mandarins des Juftices fubalternes ayent toujours ,, un & quelquefois deux AflèfTeurs, les affaires tou- tefois ne font point ordinairement jugées a la plu-„ ralité des voix. Chaque Magiftrat, grand ou pe-, tit,a fon Tribunal ou fon Yamen, ôc dès qu'il s'eft s> fait introduire par les Parties, après quelques pro-„ cédures en petit nombre, drefTées par les Gref- fiers, les Huiffiers Ôc autres gens de Pratique, il ,, prononce tel arrêt qu'il lui plaît. Quelquefois après avoir jugé les deux Parties, il fait encore donner la baftonnade à celui qui a perdu fon 4, procès, (f) Or voilà précifément la méthode des Turcs, fans .qu'on pui lie y découvrir la moindre différence. Un ,feul homme y juge ôc y décide en une heure plus de Caufes, que le Tribunal des Trente n'eut pas pu en décider à Thebes en un mois. Quant à la détefta- ble jl -,.. S.................... '-~i- (*) Loco citât. fur les Egyptiens & les Chinois. 36*1 ble coutume de ne point recueillir les Suffrages, 8c de battre enfuite les plaideurs, elle n'a pu être imaginée que dans des Etats defpotiques, tk elle ne peut fubfifter que dans les Etats defpotiques. On gouverne les efclaves par le baron tk les hommes par la loi. L'orgueil des Chinois provient de leur ignorance & de leur fervitude : car on a trouvé en A fie des peuples auffi orgueilleux qu'eux; quoiqu'ils ne fuf-fent pas plus libres qu'eux. Leur attachement pour leurs Rits provient de l'éducation qu'ils reçoivent. Leur attachement pour le pays où ils font nés, réfulte du culte des Ancêtres, dont ils vifitent fouvent les tombeaux : ils ne croyent donc pas qu'il faille beaucoup s'éloigner des tombeaux de fes Ancêtres. L'amour de la Patrie ne peut exifler dans un Empire fi étendu : on n'aime pas ce qu'on ne connoît point. Lorfque de certains peuples de l'Antiquité n'eurent pour tout domaine qu'une ville, & quelques campagnes autour des remparts, l'amour de la patrie fut parmi eux extrême : ils aimoient ce qu'ils connoifl'oient tk ce qu'ils poffédoient. Un Chinois, né à Pékin, ne comprend point la langue que parle un Chinois né à Canton ; & comment des hommes, qui ne fauroient fe comprendre entre eux , pourroient-ils fe croire compatriotes ? Cette- diversité de dialectes peut être utile au Defpote feul : car elle empêche quelquefois les Provinces de confpirer entr'elles fubitement. Il n'y a d'ailleurs à la Chine non plus que dans les autres Etats abfolus de l'Afîe, aucune efpece de Pofte à l'ufage des particuliers : cette continuelle correfpondance allarmeroit trop le Gouvernement : 6c il paroit par les Relations, qui1 Tcme 11, O 3(Si ' Recherches phlhfophiques TEmpereur doit fouvent faire efcorter fes propres couriers par des foldats. fi Après cela on. ne. voit rien de plus merveilleux dans la légiilation de la Chine, que dans celle des autres Empiresde l'Orient : ils fubiiftent-, parce qu'il feroit bien furprenant, qu'il manquât un Ufurpateur, lorfqu'il y manque un Souverain. Depuis Cyrus jufqu'à Ktrïm-Kan la Perfe a été un Empire, & le fera encore long-temps, hormis qu'il ne Survienne quelque révoluiionphyfique à laquelle on. ne doit point s'attendre. Une Dynaflie Chinoife eft-elle précipitée du Tlô-ne, aufii-tôt il fe préfente un homme pour y mon*-*er : on ne donne pas au peuple le temps de fe re-connoitre? : les Provinces, ne font point encore informées, tk cet homme eit déjà fur le Trône : fouvent on ne fait point d'où il eft venu : fouvent on ne fait pas qui il eft : on n'apprend tout cela que quand fa puiifance s'eft affermie. Un cordonnier s'elt fait Empereur à la Chine-, un cuilinier de Moines s'y eft fait Empereur, 'tk nulle part, fi nous en exceptons la Dynaftie des Mongols aux Indes, il n'y a-eu tant de Souverains détrônés, égorgés ôc empoifonnés, qu'à la Chine, fans parler de celui qui fe pen dit.-à. l'arrivée-des Tartare?. Si l'on avoir pu dans ce pays régler Tordre de la fuccefîion parmi les descendants, de l'Empereur» on. y auroit prévenu des malheurs épouvantables; mais» cela .eft moralement im poffblo. Le Souverain ne veut y Souffrir aucun frein, Ôc pour régler l'ordre de la; fuccefîion if faudroitlui en. donner-un. Les Mandhuis n'ont point à cet égard de meilleures inftitutions. politiques que les. Chinois., mêmes.. ^Empereur. fur les Egyptiens £j? les Chinois. 30*3 Cang-hi fe joua du fort de fes enfants : quand on. les avoit empoifonnés, la Gazette Chinoife annon-nonçoit qu'ils étoient morts d'aploplexie ; 8e par des intrigues du Serrail, qui ne font pas bien dévoilées, Yong-Tcheng parvint au Trône ; quoique tous les Aftrologues de l'Empire enflent parié le contraire. On ne peut jamais écrire l'Hiftoire des Empiresdef-potiqr.es d'une manière fatisfaifante 8c inftruétive : car c'eft dans un lieu auffi impénétrable que le Serrail , que les grandes affaires fe décident pardescau-fes, qu'on auroit honte de conter, quand même on en feroit bien informé. Les Chinois font affez fous pour croire, qu'il y avoir jadis dans le Serrail de leurs Empereurs une femme, qu'on chargeoit d'écrire l'Hiftoire de ce qui s'y pafloit pour en faire part aux Annalifles de l'Empire : mais jamais per-fonne n'a eu une feule feuille de ces Mémoires, auf-qucls on ne prêteroit d'ailleurs aucune foi, & ils n'en mériteroient aucune, non plus que la Gazette de la Cour, quia fouvent annoncé des victoires, à l'occafion defque.les les Empereurs, dit le Pere Amiot, ont bien voulu recevoir les compliments des grands Colleges; tandis que ces Princes fa voient à n'en pas douter que leur armée avoit été défaite; ce que le peuple ck les grands Colleges ignoraient : car il eft défendu fous peine de mort à tous les Soldats & à tous les Officiers d'écrire. Le Général y ment & l'armée s'y taît. J'avois entrepris cet Ouvrage pour faire voir, que jamais deux peuples n'ont eu moins de conformité entre eux que les Egyptiens 8c Ls Chinois, & je croi l'avoir démontré jufqu'à l'évidence; de forte que je termine ici mes Recherches. Ein du Jçme Jtcondt *