Mario Castellana Federigo Enriques et le nouveau statut épistémique de la certitude On peut dire avec des marges de sûreté que toute la contemporaineté dans son complexe est traversée par diverses modalités de la mise en oeuvre des nouvelles conditions de la certitude et sourtout de sa refondation; le cri de Nietzsche a été accuelli dans tous les secteurs de l 'humain et des parcours de la connaissance pour retracer ses nouveaux sens et rôle dépuis les bouleversements subits par les sciences sourtout dans le dix-neuvième siècle. Die frôblische Wissenschaft est le cri de libération des faux dogmatismes de la modern i té et de ses justifications philosophiques, qui ont converti en certitudes absolues des connaissances (scientifiques) partielles; cet ouvrage est le manifeste d 'une recherche orientée a refaire ab imis les sillons d 'un nouveau savoir, où joue un rôle considérable la dialectique entre certitude et incertitude1 . On doit reconstruire une nouvelle 'logique du sens' en termes deleuziens des divers niveaux de la cer t i tude dans sa tension essentielle avec les conditions opératives de la probabilité, du doute, de la pluralité, du désordre, des états chaotiques, de l'histoire pour l'irruption du temps: ces états de l 'être ont ruiné les certitudes une fois que les diverses sciences ont pénétré dans les niveaux toujours plus complexe du réel. Le dix-neuvième siècle est campé par une prise de conscience de l'historicité de la connaissance humaine et en particulier de la multeplicité des 'histoires'; l ' i r rupt ion de la dimension temporelle a impliqué non seulement les diverses stratégies cognitives mises en oeuvre pour pénétrer dans les niveaux du réel, mais les divers et mêmes réels qui selon Albert Einstein sont un 'programme'. Pour arriver à cette conception historique des connaissance et du réel, il fallait vivre les 'umilations gnoséologiques' en sens althusserien produites par les diverses sciences (biologie darwinienne, psychologie du profond freudienne), dont la portée révolutionnaire est avant tout dans l 'écroulement de toutes les certitudes gnosélogiques et non. En étendant la bien connue métaphore de Bourbaki à divers secteurs, on peut dire qu'avec Riemann, Boltzmann, Darwin, Freud commence toute la pathologie du savoir scientifique et de la vérité2: cette pathologie, que les épistémolgies tardives positivistes ont interprété comme moments de crise 1 Cf. Gilles Deleuze, Nietzsche, P.U.F., Paris 1965. 2 Cf. Nicholas Bourbaki, Eléments d'histoire des mathématiques, Hermann, Paris 1969, p. 27. Filozofskivestnik, XIX (2/1998), pp. 9-19. 9 Mario Castellana de la science en amorçant les diverses philosophies de la crisi jusqu 'aux premiers dix ans du vingtième siècle, s'est révelée au contraire comme une sève pour l'articulation des sciences qui ont donné aux certitudes du passé un nouveau sens cognitif en l'intérieur d 'une vision complète des théories. On peut dire qu'avec Federigo Enriques3 l'histoire des sciences devient un labora to i re où les cer t i tudes du passé o n t subi t u n processus d'historicisation croissante; mais il fallait une révolution épistémologique considérable pour comprendre dans sa totalité ce phénomène et Enriques, avant du néopositivisme, a fondé un nouveau savoir, appe lé 'cri t ica gnoseologica ' ou 'epis temología ' 4 p o u r c o m p r e n d r e les nouveautés scientifiques et sauvegarder sourtout l'objectivité des sciences au de là de la position conventionaliste de Duhem et de Poincaré. L'histoire des sciences, critiquement analysées, nous donne pour Enriques les instruments théoriques pour comprendre le vrai sens des géométries non-euclidiennes qui, avant tout, ont determiné la ruine définitive de l'intuition, de la causalité sur lesquelles la certitude avait mis solides racines. Le suivant développement de la logique mathématique, selon la vision an t ropologique de la co- nnaissance5, est survenu pour rétablir un nouveau ordre dans les certitudes et toutes le recherches en logique mathématique, avec leur riguer dû aux processus d'axiomatisation et de formalisation, ont elaboré des stratégies cognitives fondées sur la démonstration et la cohérence intérieure des théories malgré la présence des antinomies. Le nouveau savoir, l'épistémologie ou philosophie de la science, trouve son plafond sur la nécessité théorique de refonder la vérité sur des certitudes logiquement constituées; et pourtant, toute l'histoire de l 'épistémologie contemporaine dans ses diverses variables est une réponse à ce besoin de nouvelles conditions de certitude. Une histoire critique du coté antro- pologique de l'épistémologie contemporaine nous aide à trouver un rôle et un sens divers de la certitude dans le développement de la science du vingtième siècle, qui nous oblige à vivre dans l 'incertitude permanente sur le plan cognitif pour trouver dans le même temps une pluralité de certitudes partielles et particulières, mais indispensables. Le système de la science contemporaine se caractérise sourtout pour cette 'tension essentielle', en termes kuhniens, entre la 'raison épistémique' qui vise à la reconstitution 3 Federigo Enriques (1871-1946) a travaillé dans la géométrie algébrique et a publié ouvrages de caractère épistémologique et sur l'histoire des sciences: I Problemi délia scienza (1906), Scienza e Razionalismo (1912), Per la storia de la logique (1922). Il a fondé la revue 'Scientia' en 1907 et en France a dirigé des collections d'historié des sciences. 4 Federigo Enriques, IProblemi délia scienza, Zanichelli, Bologna 1906, p. V. 5 Cf. Yehuda Elkana, Antropología délia conoscenza, trad.it., Laterza, Bari 1989. 10 Federigo Enriques et le nouveau statut épistémique de la certitude des certitudes sur le plan logique et la 'raison savante' qui mire à pénétrer dans les divers niveaux du réel; celui-ci, interrogé dans sa profondeur avec beaucoup de stratégies, eructe sans cesse des nouveautés conceptuelles qui renversent nos certitudes et nos perspectives sur le monde et sur la vie. Et l 'épistémologie contemporaine, du conventionalisme au mou- vement néopositiviste, de la philosophie de la science néorationaliste italo- francophone1 ' aux plus récentes épistémologies historiques anglo-saxones en passant pour l'épistémologie des systèmes de von Bertalanffy7, enregistre nombreuses Wenden dans le sens schlickien awenues dans la pensée scientifique et dans l ' interprétat ion philosophique; on peut lire toute l'épistémologie contemporaine comme un parcours de recherche orienté à reconstituer les divers plans de la certitude à l'intérieur des renversements scientifiques. Sourtout le mouvement du néopositivisme logique, malgré quelques différentations à son intérieur, peut être interprété comme le triomphe de la 'raison épistémique' dans le sens d'Elkana pour l'importance accordée au contexte de la justification8; Reichenbach et Carnap sourtout utilisent le parcours logique et syntaxique pour refonder la certitude du savoir entier en réduisant la variété cognitive des diverses sciences à l'unité de leur mé thode avec l'analyse du langage scientifique. 'L'unité de la Science' est l 'objectif primaire de chaque épistémologie; c'est le choix stratégique de chaque parcours épistémique pour redonner un rôle et un sens appropriés à la certitude dans le système de la science. Mais les parcours, pour arriver à comprendre cette nouvelle situation cognitive de la certitude, sont divers: en effet, réduire le besoin de certitude au plan explicatif des sciences et à leur méthode logico-linguistique fait oublier leur dimension culturelle, leur dimension historique. Pour Enriques il faut rechercher, comme le néopositivistes, l 'unité de la science mais non plus sur le plan du contexte de lajustification, mais sur le plan de la logique de la découverte qui por te à son histoire; l 'un i té de la science est fonc t ionnel le à la reconstitution de la certitude, c'est le plafond pour redonner à la science ou mieux à l 'image de la science son propre rôle, à rétablir les frontières de la connaissance scientifique. r' Il y a une récente littérature sur cet courant de l'épistémologie italo-francophone, appelée ainsi en des congrès internationaux (Várese 1985,Jablonna 1987, Paris 1987). Cf. nos travaux »Introduzione« à Federigo Enriques, Il razionalismo sperimentale, Milella, Lecce 1975 et Aile origini délia 'nuova epistemologíaIl Congrès Descartes del 1937, Il Protagora, Lecce 1992; Lech Witkoski, »The philosphy of Science in Italy and the critical rationalism in Europe« en AA.W., La scienza fra filosofía e storia in Italia nel Novecento, Istituto Poligrafico dello Stato, Roma 1987, pp. 385-421. 7 Cf. E. Agassi, (Eds), I sistemi fra scienza e filosofía, S.E.I., Torino, 1978. 8 Elkana, op. cit., cap.I. 11 Mario Castellana Il faut fonder pour Enriques la cert i tude de la science comme di- mension cognitive, sa rationalité dans ses changements de sens sur la multiplicité des structures conceptuelles, sur la pluralité des méthodes mises en oeuvre. Il faut adjoindre, à la reconstruction puremen t logique des produits finis de la science, la conscience épistémologique de l'historicité des connaissance; pour cela, Enriques a été selon Gaston Bachelard le premier philosophe de la science du vingtième siècle qui a compris le sens théorétique de ce bouleversement dans le système de la science. Et pourtant dans son oeuvre »c'est là un renversement de la perspective épisté- mologique«9 , où la 'cri t ique gnoséologique ' est accompagnée par la recherche historique des changements scientifiques. Les parcours vers la nouvelle image de la certitude trouvent leur f ondemen t dans la vision historique des sciences caractérisées par leur continue refonte des principes et des théories par exténsion et corréction des méthodes. Enriques trouve dans son travail de ma théma t i c i en les clefs h e r m é n e u t i q u e s p o u r comprendre l'historicité intrinsèque de la connaissance scientifique; on doit dire que seulement imaginer l'historicité de la pensée mathématique dans le premières années du vingtième siècle c'était une hérésie théorique et cela a été cause de l'émargination de la pensée philosophique d'Enriques10 qui ante litteram a avancé des critiques au néopositivisme logique comme dépuis Popper et ses élèves. Les succès de la logique mathématique de Frege à Hilbert e Russell et sajustification dans le cadre du néopositivisme logique ont determiné l'émargination d'autres philosophies de la science présentes sourtout en France11, qui ont de toute façon enrichi le patr imoine épi- stémologique contemporain d'autres points de vue12. Nous pouvons dire que dans la première moitié du vingtième siècle, au de là du néopositivisme logique, s'est développé un autre courant de philosophie de la science, l'épistémologie historique néorationaliste, dont le premier représentant a été Enriques pour Jean Piaget pour avoir construit »un'épistémologie intérieure aux sciences comme telles«13. I Problemi délia Scienza est un ouvrage écrit non dépuis le réel travail scientifique, mais élaboré ,J Gaston Bachelard, Le nouvel esprit scientifique, P.U.F., Paris, 1934, p. 52. 10 Cf. Lech Witkoski, op. cit. et »11 caso Enriques«, en Annali délia Facoltà di Lettere e Filosofïa deU'Università diPerugia, vol. XXIII, (1985-86), pp. 101-126. 11 Dépuis Poincaré, en France, A. Rey, L. Brunschvicg, G. Bachelard, J. Cavaillès, A. Lautman et en Suisse F. Gonseth ont élaboré un 'épistémologie néorationaliste historique et tous ces auteurs reconnaissent leur dette envers l 'oeuvre d'Enriques. 12 Cf. nos travaux cités. 13 Jean Piaget, Introduction à l'épistémologie génétique. 1) La pensée mathématique PU.F., Paris 1950, cap. I et Psychologie et Epistémologie, Gauthier, Paris 1970, p. 167. 12 Federigo Enriques et le nouveau statut épistémique de la certitude pendant son activité de mathématicien (géométrie algébrique, 1891-1906): l'idée-guide a été l'exigence de fonder un nouveau savoir, l'épistémologie, divers des classiques théories de la connaissance tradionnelles et de l'activité scientifique tout court, pour comprendre les valeurs cognitives et objectives des sciences, les fondements et les méthodes des disciplines mathématiques dépuis les climats conventionalistes. Ce nouveau savoir, au de là des résultats scientifiques, doit faire attention à »la critica dei modi di svolgimento e del contenuto delle teorie esaminate sotto l'aspetto gnoseologico«14. Enriques, avant Popper, adresse les recherches épistémologiques envers la problématique de la 'croissance de la science' et dans sa pensée il y a toujours une étroite trame entre analyse historique, théorique et pratique scientifique; on peut dresser une liste de nouvelles cathégories par lui avancées pour comprendre la situation de la science contemporaine. Ces cathégories modifient radicalement le concept de certitude et son sens: corréction, approximation, rectification, dynamique des sciences, primat théorique de l'erreur, primat du théorique, psychologie de la découverte et du savant, modal i tés de changement des pr incipes scientifiques, rationalisme expérimental l r ' , constructivisme épistémologique, a priori historiques. Ces cathégories, qui aujourd'hui font partie intégrante de notre patrimoine épistémologique, sont devenues instruments herméneutique de la pensée en général pour comprendre notre situation cognitive et non. On peut considérer IProblemi délia Scienza le premier ouvrage du vingtième siècle qui, en plus de la fondat ion du savoir épistémologique comme savoir autonome avant du néopositivisme logique, a abordé organiquement le sens de la certitude dans les systèmes de la science contemporaine, sous l'aspect cognitif dépuis les premiers bouleversements scientifiques. Toute la première partie de cet ouvrage est une réflexion théorétique de longue haleine sur la certitude et sur son rôle dans la connaissance scientifique et humaine en général; contre les philosophies de la crise, pour Enriques il faut trouver nouveaux fondements, appropriées catégories pour sauvegarder le certain, le vrai implicite dans toutes les sciences. Il faut un nouveau »Risorgimento filosofico delle scienze«16 en mesure d'établir et de comprendre les données irréversibles des connaissances et leur certitude. Au de là des résultats de la logique mathémat ique, il y a le parcours historique qui donne aux connaissances scientifiques leur propre identité et établit dans les divers contextes leur sens objectif. Ce parcours prévilégie l 'étude de l'origine des idées, de la génèse des concepts mathématiques et 14 Enriques, op. cit., p. 47. 15 Cf. notre »Introduzione« à Enriques, Il razionalismo sperimentale. 10 Enriques, op. cit. p.368. 13 Mario Castellana physiques; l 'épistémologie d 'Enriques est épistémologie de la physique mathématique où c'est très important analyser la naissance des grands concepts dans leur articulation théorique et expérimental. Si la logique mathématique de Frege à Hilbert et Russell a été le fondement des réflexions philosophiques du néopositivisme logique, Enriques place son pensée sur les oeuvres scientifiques et philosophiques de Riemann, Helmholtz et Klein qui, en suivant Kant, ont toujours relié mathématique et physique pour donner certitude et objectivité aux contenus des géométries non-euclidiennes et pour comprendre le devenir cognitif de la connaissance en général17. Dans la recherche de la génèse des grands concepts scientifiques, Enriques trouve leur propre certitude, et leur vérité dans la structure même des idées qui vont former le 'troisième monde ' de Popper, au de là de la psychologie de chaque savant. L'histoire de l ' e f for t humain envers la certitude est caractérisé non seulement par des connaissances personnelles, mais aussi par l'histoire des idées où, par exemple, les grands concepts scientifiques (force, masse, courbe, surface, probabilité, etc.), acquièrent leur pariculière objectivité. Enriques fonde la certitude des systèmes de pensée sur leur histoire: les sciences sont histoire, sont historiques dans leur même constitution. Les idées scientifiques trouvent leur certitude non plus dans le milieu de la psychologie individuelle du chercheur, mais dans le concept même, dans sa structure; ses processus d'objectivation sont les situations particulières où la certitude se manifeste carrément. Il n'y a plus science et histoire des sciences, savoirs reliés mais divers, mais un savoir qui est ensemble science et histoire. Sourtout dans les ouvrages de sa maturité18, cette vision unitaire de la science comme histoire est analysée en rapport au problème de la certitude, non seulement problème éminnement épistémique; la certitude trouve sa raison d ' ê t r e dans sa na ture h is tor ique. Enr iques , p o u r dépasser le psychologisme, pose le problème de la certitude en termes d'objectivité et non plus en termes d'ontologie à travers les processus d'objectivation qui sont la ressource fondant la science elle-même; dans la construction et la corréction des principes la certitude trouve sa spécificité cognitive comme dialectique entre erreurs et vérités, passé et présent. Si pour le néopositivistes 17 Nous avons démontré qu'Enriques donne forme organique à l'épistémologie implicite dans les travaux de Riemann; cf. notre »Enriques interprete di Riemann: geometrie e filosofía«, en AA.W., Il núcleo filosofico delta scienza, Congedo, Galatina, 1991, pp. 249-272. 18 Cf. Federigo Enriques, Il significato délia storia delpensiero scientifico, Zanichelli, Bologna 1936 et La teoría délia conoscenza scientifica da Kant ai nostri giorni, Zanichelli, Bologna 1938. 14 Federigo Enriques et le nouveau statut épistémique de la certitude le contexte de lajustification c'est le pilier fondant la certitude et sa stabilité, pour Enriques la conscience épistémique de sa historicité et de ses divers processus d'objectivation porte à son autofondation toujours sur le point d 'être construite dans les systèmes de la science. Sont en effet les processus d'approximation qui elaborent les sillons incertains où les connaissances scientifiques s'installent pour être dépuis bouleversées: »la scienza, écrit Enriques, è un processo di approssimazioni successive illimitatamente proseguibile«19. Avec l ' introduction de cette catégorie de l'approximation, réprise par Bachelard20, Enriques donne une considérable valeur épistémique à des critères pour replacer la certitude dans l'objectivité scientifique; avec ces critères historiques, (corréction, exténsion, approximation), il déplace le problème de la certitude du niveau de l'ontologie (encore présente en partie en P o p p e r p o u r l ' i dée de vraisemblance) au niveau des processus d'objectivation qui construisent ils-mêmes les diverses situations cognitives de la certitude. Pour dépasser le psychologisme, il faut fonder les processus d'objectivité dans l ' immanence des opérations qui assurent la constitution de la certitude; les critères d'objectivité assurent le fondement historique des sciences dans leurs actes cognitifs et constitutifs et dans le statut de connaissance qu'elles se donnent. Avec termes bachelardiens, on peut dire qu 'Enr iques propose des critères pour reconsti tuer le New Deal de la certitude, avec sa vision historique de la pensés scientifique, contre les t r ad i t ionne l l e s Erkenntnistheorien dépourvues d ' u n ins t rument her- méneutique comme la 'critique des principes' qui opère sans cesse dans les sillons de la science contemporaine. La 'méthode de corréction progressive' nourri t les parcours de la certitude d'aptitudines épistémiques qui conduisent à rendre historiques non seulement les théories et les concepts scientifiques, mais même leurs contenus; l'analyse des contenus des théories réalise concrètement l'idée que l'histoire des sciences est partie elle-même de la science effective. Le travail scientifique réel, la pratique des sciences (par exemple, un théorème et sa démontration) exigent le juste placement des »idee ispiratrici«21 qui ont determiné un théorème et le sens de chaque démontration; les contenus des sciences, analysés avec des instruments herméneutiques dérivés par elles- mêmes, donnen t aux critères épistémiques leur validité cognitive et leur substance heuristique. La certitude trouve son placement dans la corréction progressive des principes et des fondements; les continues 'crises des Federigo Enriques, Scienza eRazionalismo, Zanichelli, Bologna, 1912, pp. 114-115. 20 Cf. Gaston Bachelard, Essai sur la connaissance approchée, Vrin, Paris 1928. 21 Enriques, Il significato délia storia delpensiero scientifico, op. cit., p.8. 15 Mario Castellana fondements ' pour Enriques sont la vie, la sève des sciences où les contenus se modifient en fonction des nouvelles certitudes acquisées. Les systèmes de connaissance, de pensée, grâce à la 'cri t ique des pr incipes ' mise en oeuvre avec conscience heur i s t ique sour tou t par R iemann , poursu ivent à r e n d r e ce r t a ines les conna i s sances en les incorporant dans une structure conceptuelle qui donne leur propre sens opératif; l'unité entre connaissance et expérience, entre vérité e son histoire, entre cri t ique et corréction, trouve sa raison d ' ê t r e dans les cri tères épistémiques qui pénétrent dans les divers niveaux du réel, fournisseurs des contenus. Les contenus se déployent dans la succession des théories qui gardent leurs certitudes merci aux processus d'objectivation; sève des processus d'objectivation c'est la considération stratégique de l 'erreur qui pour Enriques pousse les vérités partielles à déplacer les certitudes. La recherche des erreurs fonde la rationalité du savoir, dont le devenir est proportionné aux efforts de traduire les certitudes acquisées en erreurs; dans ce procès d'objectivation de nouvelles certitudes, il y a une »dialettica di scienza e antiscienza«22, garantie du étroit lien entre travail scientifique et son histoire, entre épistémologie et histoire des sciences. Les erreurs sont le f ondemen t des processus d 'approximat ion qui r e n d e n t chaque co- nnaissance inachevée, dont la cer t i tude se révèle dans les s t ructures conceptuelles construites par restructuration et exténsion des connaissances du passé; les erreurs, considérés toujours marginaux et comme des écarts, deviennent des moments décisifs pour leur rôle heuristique dans le dé- veloppement des théories où il sont l 'âme de la découverte, en déterminant l 'approche d'invention et les nouveautés conceptuelles. La recherche des erreurs est pourtant un instrument stratégique dans le travail scientifique pour faire emerger des données écartées qui peuvent acquérir un nouveau sens dans un autre système de pensée, dans un 'autre organisation théorique en déplaçant les certitudes connues. Pourtant, les théories scientifiques constituent des systèmes de connaissance toujours en transformation et dans la dialectique entre certitudes et erreurs, Enriques fonde la rationalité du savoir scientifique et sa propre dimension historique. Le mathématicien et philosophe de la science italien nous a donné un des p remie rs essais d ' e n g a g e m e n t t h é o r i q u e adréssé à c o m p r e n d r e organiquement le nouveau rôle de la certitude dans les systèmes des sciences contemporaines, avec l'analyse des erreurs considérés une sève pour la connaissance humaine et pour la reconstitution des niveaux de certitude: »la storia del pensiero scientifico si fonda su un passato di errori«23. Dans 22 Enriques, Scienza e Razionalismo, op. cit., p. 116. 23 Ibid., p.117. 16 Federigo Enriques et le nouveau statut épistémique de la certitude cette dialectique entre certitudes et erreurs, le même concept d'objectivité scientifique résulte réduit et dans le même temps enrichi de nouvelles articulations intérieures; l'objectivité, résultat des processus d'approximation et d ' ex t ens ion , on la se construi t progressivement et en par t icul ier l 'obiectivité scient i f ique est pour Enriques le résultat historique des mécanismes cognitifs élaborés pour saisir les caractères hétérogènes et à plusieures dimensions des divers niveaux des objets. Cette concept ion constructiviste de l'objectivité scientifique était incompatible avec la tradition positiviste et le même mouvement con- ventionaliste; et pour cela Enriques repropose un nouveau rationalisme, un rationalisme critique et historique: »il razionalismo sperimentale è una rettifïca essenziale del razionalismo scientifico«24. Ce rationalisme c'est le cadre philosophique pour redéterminer les conditions opératives de la certitude dans les stratégies mises en oeuvre par la science contemporaine; il est le résultat du dialogue continu entre raison avec ses certitudes et l 'expérience avec ses erreurs, entre théories et réel, dont les principes sont définis dans la la restructuration des systèmes de pensée. Enriques a été un des premiers philosophes de la science du vingtième siècle qui, grâce à le renversement épistémologique opéré, a compris l ' importance du 'fait scientifique' au de là des données, du théorique dans la const ruct ion des objets de la science; ce théorique, construit pro- gressivement, avec ses bagages de certitudes, devient un a priori qui à son tour adresse les recherches a posteriori dans les processus d'objectivation de nouvelles certitudes: »la realtà non è un puro dato, ma qualcosa di costruito, mercé l'attività razionale coordinatrice«25. Les changements scientifiques sont dûs aux condit ions applicatives de la raison qui incorpore en ses fondements le principe de transformation des certitudes en théorique et des erreurs en moyens heuristiques pour arriver à nouvelles vérités; les certitudes deviennent des »apriori cognitivi« qui portent à construire d'autres systèmes de pensée et »altri sistemi ontologici sono stati costruiti, e si costruiscono tutti i giorni, circoscritti nel campo di un ordine di cognizione«20. Enriques reconnaît le rôle particulier des certitudes dans la constitution des systèmes ontologiques (aujourd 'hui 'métaphysiques cognitives), qui deviennent a priori, cadres de pensée, des themata dans le sens de Holton et forment le théor ique où le 'fait scientif ique ' acquiert son p ropre sens. Mais les certitudes, les a priori théoriques, peuvent souvent être d'obstacle à la recherche , deviennent en termes bachelardiens des 'obstacles épisté- 24 Ibid., p. 114. 25 Ibid., p. 24. 2r' Enriques, I Problemi délia scienza, op. cit., p. 29. 17 Mario Castellana mologiques' et en termes de Holton des antithemata\ pour cela il faut les rectifier et donner à la certitude une dimension historique pour comprendre la nécessi té de ses res t ruc tura t ions . Grâce aux cer t i tudes , les fai ts scientifiques sont imprégnés par le théorique et par le rationnel qui dans la construction des concepts trouvent les raisons du dépassement des connaissances, des cadres élaborés précédemment . Le fait scientifique, l'objet scientifique, est le résultat d 'une »concettualizzazione progressiva«27, où les certitudes sont soumises elles-mêmes aux processus de rectification grâce à l ' ensemble des fac teurs t h é o r i q u e s e t e x p é r i m e n t a u x qui interviennent dans la pratique de la science. En analysant la pensée philosophique et scientifique de Riemann, Enriques élabore ces catégories (approssimazioni successive, concet- tualizzazioni progressive), qui lui servent pour donner un rôle divers à la certitude dans le champ cognitif; il n'y a pas disparition de la certitude, mais sa transformation dans des 'aprioricognitifs' qui, codifiés dans le théorique en peu indistinct, adressent les recherches scientifiques et non. La certitude, ramenée ajustes proportions par les changements scientifiques et délivrée de fausses apodicticités, acquiert sa propre dimension dans les rapports avec l'exactitude, dans les rapports modifiés entre le possible et le réel, entre l'evidence intuitive et la véridicité. Enriques accepte l'analyse riemannienne des nouveaux rapports, intervenus avec les géométries non-euclidiennes, entre 'certi tude' (Gexuifheit) et 'exactitude' (Genavigkeit)28, rapports qui renversent le plan du théorique: le théor ique c'est non plus la simple systématisation des données coordonnées, mais le moment créatif de la pensée où la certitude devient un instrument heuristique pour arriver avec des processus d'abstraction toujours plus généralisés à la véridicité et à l 'exactitude. Certitude, véridicité, exactitude p r ennen t leur dimension historique dans le procès d'objectivation qui les délivrent de la portée ontologique de la vérité, sur laquelle a trouvé son fondement la gnoséologie t radi t ionnel le . La pensée sc ient i f ique c o n t e m p o r a i n e , à pa r t i r des géométries non-euclidiennes, a construit nouveaux parcours de la certitude, toujours en ballottage avec la véridicité et l 'exactitude: Enriques nous enseigne que certitude, véridicité et exact i tude doivent être toujours construites, vérifiées, codifiées et decodifiées dans les changements de la pensée scientifique. En particulier, l'histoire de la pensée scientifique est l'histoire privilégiée de ces parcours de la certitude, qui passe à travers les 'concettualizzazioni progressive'; c'est son histoire qui lui donne une valeur cognitive, c'est la conscience épistémique de son rôle qui lui assigne une 27 Ibid.,pA2. 28 Ibid., pp. 161-162. 18 Federigo Enriques et le nouveau statut épistémique de la certitude place dans la contemporaineté. Dans l'histoire des ses vicissitudes cognitives au l ' intérieur des systèmes de pensée, elle trouve sa propre rationalité, rationalité historique avant tout. Dans l ' introduction à un ouvrage scientifique, Enriques expose avec riguer et avec une profonde conscience épistémologique le rôle de l'histoire dans la science, dont les certitudes sont liées aux procès de critique et de corréction: »Da questo punto di vista acquistano spéciale interesse gli errori storici, i paradossi, i sofismi, che spesso hanno segnato la via delle più importanti scoperte... Una visione dinamica délia scienza porta naturalmente sul terreno délia storia. Una taie storia diviene parte intégrante délia scienza«29. Dans les systèmes de la science contemporaine, en suivant Enriques, on peut dire que la certitude reste un objectif cognitif de toutes les stratégies élaborées pour pénétrer dans les niveaux du réel; mais la garantie de ses parcours de recherche est dans son histoire comme partie intégrante de la science elle- même. Enriques, mathématicien et philosophe de la science, a travaillé à un parcours de recherche orienté à la refonte, à la refondation du nouveau statut épistémique de la certitude, pour sauvegarder ensemble la dimension cognitive et la réalité historique des contenus des théories scientifiques. 211 Federigo Enriques, Lezioni sulla teoría algébrica delle equazioni e delle funzioni algebriche, Zanichelli, Bologna 1915, pp. X-XI. 19