Razprave in gradivo, Ljubljana, March 1986, No.18 Vera Glavinié UDC 376.744(497.1):82 Pula, Yugoslavia L'ENSEIGNEMENT DE LA LITTERATURE DANS LES ECOLES DES TERRITOIRES BI- ET PLURICULTURELS: ANALYSE D'UN PLAN ET PROGRAMME D'ENSEIGNEMENT La réalité spécifique de la Yougoslavie où vivent non seulement six peuples, mais encore neuf nationalités et d'autres groupes ethniques, impose à ce pays un problème de la plus grande importance: celui du maintien et de la tutelle des nationalités et des groupes ethniques ou, mieux, celui de leur enrichissement et de leur développement à tous les niveaux, dont aussi au niveau culturel/littéraire, sans lequel, comme chacun sait, tout peuple/toute nationalité disparaît de la face de la terre. A ce propos la Constitution yougoslave énonce des principes trés valables et démocratiques; toutefois la Constitution “n'est pas une valeur de par elle-même, elle est seulement l'instrument pour la réalisation des valeurs - finalités déterminées" (Mirié, 1985). Par conséquent, ce sont les républiques et les régions autonomes qui sont responsables de la mise en oeuvre des principes de la façon qu'elles considèrent la meilleure. Mon exposé se propose justement d'éclaircir comment dans une des républiques yougoslaves, la Croatie, et précisément dans le territoire de la Communauté des communes de Rijeka (Fiume), on réalise ces principes, c'est-à-dire comment, à travers l'enseignement de la littérature dans les écoles avec langue d'enseignement italienne, on sauvegarde et on donne de l'essor au groupe national italien, tel que groupe autochtone de la péninsule istriéene. Je dirai ache comment l'enseignement de la littérature italienne dans les écoles de la "majorité" contribue à développer chez les jeunes gens de langue non italienne de ce territoire-là la compréhension et le respect envers la littérature/culture des jeunes de leur âge avec qui ils vivent dans la même société. Avant d'entrer dans le sujet, je vais exposer très brièvement quelques-unes de mes réflexions sur la valeur de l'enseignement de la littérature. L'école est une institution sociale fondée sur deux moments qui sont indissolublement connexes: l'éducatif, qui tend au développement intégral de la personnalité des jeunes, et l'instructif, qui se propose de "transférer" dans les jeunes des notions et habilités nécessaires à leur inclusion dans le monde du travail. Par conséquent, chaque matière d'enseignement doit remplir une double fonction: éduquer et instruire. Logiquement, en parlant d'éducation et du développement de la personnalité des jeunes, les matières humanistiques l'emportent sur les autres, et entre elles la place principale revient de droit a la * Original: French 144 Razprave in gradivo, Ljubljana, March 1986, No.18 littérature. Entre les raisons de sa prééminence je mettrais en relief les suivantes: - moyennant la littérature on transmet aux jeunes gens les expériences des générations passées qui autrement resteraient ignorées; c'est pourquoi on leur couperait la possibilité de connaître ce qui s'est passé dans l'histoire de l'humanité; - grâce au dialogue que la littérature ouvre avec le passé, en offrant au lecteur la possibilité d'entrer dans la durée humaine du temps, les jeunes se forment une vision de la vie plus ouverte et constructive; -la littérature rend les jeunes sensibles dans leur être esthétique et éthique; -la littérature contribue à l'enrichissement et au soin de la langue, surtout aujourd'hui quand nous tous - et particulièrement les jeunes - nous sommes forcés de subir la pression harcelante des slogans publicitaires, dont le rôle déviant, avec l'avènement des communications de masse, l'aplatit et l'instrumente dans des buts politiques, sociaux et idéologiques. Ces quatre moments font de la littérature une des matières fondamentales, si non la matière fondamentale, pour l'influence qu'elle exerce sur la formation des jeunes. Dans un contexte bilingue (le même raisonnement vaut pour les territoires plurilingues) tel que l'istrien d'où je suis, l'école doit non seulement créer dans les jeunes des doubles capacités communicatives, c'est-à-dire la maîtrise des moyens expressifs soit en langue maternelle - le croatoserbe et/ou l'italien - soit dans la langue du milieu - l'italien et/ou le croatoserbe - mais aussi doit-elle les adresser à la connaissance des biens culturels du peuple/de la nationalité avec qui il/elle vit pour que dans les contacts sociaux quotidiens puisse circuler réellement un esprit de compréhension réciproque. Et cela on le réalise justement avec l'enseignement de la littérature. Le problème de l'enseignement est en principe, dans chaque état, de compétence des ministères de l'instruction publique, ainsi que un unique plan et programme d'étude est valable pour toutes les écoles d'un état. Ce n'est pas le cas de la Yougoslavie: le devoir de rédiger les plans et les programmes est déféré à chaque république (Bosnie et Herzégovine, Croatie, Macédoine, Monténégro, Serbie et Slovénie) et aux deux régions autonomes (Kosovo et Voivodina). Ce qui implique l'existence d'un éventail bigarré de plans et programmes au niveau fédéral. Sur le plan de l'enseignement de la littérature, les choses se compliquent davantage du moment qu'il n'existe pas une littérature yougoslave, mais diverses littératures, autant qu'il y a des peuples et des nationalités/groupes nationaux.* Donc les plans et les programmes pour la langue maternelle et la littérature des groupes nationaux (qui devient langue et littérature du milieu social pour les écoles de la “majorité") se fondent seulement en principe sur les mêmes critères tout en permettant des * La question exige une analyse détaillée. Elle pourrait être sujet de débat dans un des prochains congrès. 145 Razpr i Prave in gradivo, Ljubljana, March 1986, No.18 Pour j Littératures, COnCerne l'enseignement de la langue et de la (Piume) 1 e italienne dans le territoire de l'Istrie et de Rijeka one le plus récent (mai 1985) est Le plan et les Pour l'organisation du travail éducatif et instructif en langue italienne, la culture, approuvé par le Comité pour l'instruction, la culture physique et technique de la RS de Croatie. Le document embrasse deux degrés scolaires: l'école primaire (elle comprend huit ans d'étude) et la moyenne orientée (qui dure tout au plus quatre ans), et deux langues d'enseignement: l'italienne et la croato-serbe. Nous arrêterons maintenant notre attention sur les écoles avec langue d'enseignement italienne et nous tâcherons de mettre en évidence les finalités et les devoirs qui différencient, en l'enrichissant, l'enseignement de la littérature dans ces écoles de celui des écoles situées en territoires uniculturels. Nous prendrons en examen aussi les contenus à travers lesquels on réalise les finalités et les devoirs. La spécificité des fins de l'enseignement de la littératures aux élèves qui appartiennent au groupe national italien consiste en deux moments essentiels, comme il résulte du Plan (p. 2 et p. 3): a) dans le fait que les élèves "apprennent et assimilent la culture artistique nationale, celle de tous les peuples et nationalités de la Yougoslavie et celle des autres peuples;" et b) dans le fait qu' "avec la connaissance du patrimoine artistique on crée la conscience de la fonction de l'art dans le ralliement entre Les peuples et leurs cultures nationales, dans le domaine yougoslave et dans le domaine mondial." Entre les différents devoirs fixés par le Plan (p.2 et p.3), deux concernent la littérature: a) l'un exige des contenus littéraires "le développement des sentiments de fraternité, unité et égalité des peuples et des nationalités de la RSFJ;" et b) l'autre tend “au développement de l'orgueil de'appartenance au groupe national italien de la RSFJ en stimulant la créativité littéraire en langue italienne et en dialecte local." Si l'on considère que nous sommes en train de parler d'un Pays où le pluriculturalisme est une condition historique, où les peuples et les nationalités jouissent les mêmes droits et où la cu rupeAElERerature est garantie, la spécificité exprimée par les Fab et les devoirs que la littérature doit dégager dans une Sane qui est instituée et en vigueur pour les jeunes gens d'un Deis witn foots ~ ici l'italien - n'est pas seulement nécessaire, Hiecévetuee (er de se impératif catégorique. Les professeurs de investis, c'est angue) des écoles pour les nationalitiés sont souvent n'est pas ee. de le dire, d'une véritable mission (qui sont eux qui achentncee” dans sa juste mesure), parce que ce formation de ceg Jeunes et guident plus que les autres la apprennent aux 6128 unes-là. 11 n'est pas suffisant qu'ils en territoire unilinguer qu'on apprend dans les écoles installées 146 Razprave in gradivo, Ljubljana, March 1986, No.18 - comment, à travers la littérature, peuvent-ils se réaliser dans leur totalité; - comment la littérature est une façon de connaissance du réel; - comment l'objectivation littéraire est conclue seulement pour son auteur, tandis que pour le lecteur elle est seulement le point de départ vers de nouvelles expériences. Il ne suffit pas enseigner les susdites et d'autres valeurs intrinséques de la littérature; il faut encore et surtout que les professeurs cherchent à former l'identité culturelle des jeunes, en développant leur conscience d'appartenance à une nationalité qui, bien que minoritaire, possède sa littérature/culture. Le moment de l'exiguité numérique ne doit pas créer chez les jeunes qui appartiennent à la nationalité des inhibitions aprioristiques à leur développement culturel authentique; au contraire, elle doit les pousser à la créativité dans la conscience que seulement si l'on possède une littèrature/culture, grande ou petite qu'elle soit, une nationalité/un peuple peut se maintenir et prospérer. Quand cette conscience les rendra co-responsables de l'accroissement culturel de leur nationalité, ils seront prêts pour une vie démocratique en commun, ressentie comme respect de l'autre peuple qui vit sur le même bout de terre et qui possède sa propre culture spécifique. Les contenus littéraires du Programme concourent à rejoindre ces finalités et ces principes. "Grâce à leurs caractéristiques thématiques, idéales, éthiques et éducatives" ces contenus “assûrent le développement d'une noblesse de sentiments, du sens de solidarité et de respect réciproque, de la fraternité et de l'unité entre les peuples et les nationalités de la RFSJ, du respect envers les conquêtes culturelles d'avant-garde du peuple italien" (Le Plan, p.19) Dans les citations nous remarquons quelques expressions sur lesquelles il convient d'arrêter notre attention: “sens de solidarité humaine - fraternité entre peuples/nationalités de la Yougoslavie - conquêtes culturel - les [...] du peuple italien." Traduites en contenus, ces expressions nous disent que dans les programmes des études des écoles en langue d'enseignement italienne il faut placer des auteurs de diverse “appartenance”: italiens, yougoslaves (représentant les diverses littératures des peuples et des nationalités) et étrangers, sans oublier, naturellement, les écrivains du groupe national italien. Leur choix doit se tenir au principe de la validité esthétique de leurs oeuvres, car le seul usage de la langue nationale (ici l'italienne) ou de ses dialectes ne rend pas nécessairement un texte une oeuvre littéraire. Ce n'est pas difficile de vérifier ce que je viens de dire. En faisant l'analyse d'un programme quelconque du Plan on peut constater que le choix des contenus est fait justement nus Prenons par exemple le programme de sixième classe a 1 ere primaire: sur vingt-neuf auteurs choisis à représenter les min an lyrique et narratif dix-sept sont italiens, six ae erctucae as groupe national italien, six représentent ee es at trois peuples/nationalités yougoslaves de langue non italienn sont étrangers, 147 Razprave in gradivo, Ljubljana, March 1986, No.18 Il va sans dire qu'un tel enseignement de la littérature, où le choix des ouevres ne se borne pas seulement a la création nationale - italienne et du groupe ethnique - ni à celle du pays d'apparentance, il tend à la réalisation de ces buts principaux: - faire entendre aux jeunes que la vie littéraire du groupe national d'appartenance est l'élément fondamental du développement du groupe même, de son accroissement culturel; - faire comprendre aux jeunes gens l'importance des auteurs qui ont exercé un rôle historique dans la vie de la littérature nationale, sans pour cela les transformer en mythes; -les rendre conscients du danger qui menace chaque littérature nationale qui vit fermée en enclos culturels autarchiques. Seulement l'échange vif des oevres d'une littérature nationale à l'autre fait devenir certaines oeuvres d'une littérature nationale facteurs de développement d'une autre. Et passons aux écoles de la "majorité," en langue d'enseignement croatoserbe, dans lesquelles on a introduit l'italien comme langue du milieu. Dans les territoires bi- et plurilingues, l'enseignement de la littérature "minoritaire" est très important pour la formation de la tournure d'esprit des jeunes qui appartiennent à la "majorité." Dans notre territoire, à travers l'étude des oeuvres littéraires en langue italienne et en particulier des auteurs du groupe national italien, ces jeunes se rendent compte que tout près à la leur existe une autre culture, riche de sa spécificité, une culture qu'il faut connaître pour pouvoir l'estimer et l'apprécier. Si'il est vrai - et il est vrai - qu'on étudie la littérature aussi pour intervenir dans la réalité dans le but de l'améliorer, la connaissance de la littérature de notre voisin qui parle la langue de son milieu social, peut contribuer davantage à une meilleure et plus humaine vie en commun. Cela se réalise, néamoins, seulement dans le cas où cette littérature nationale est entendue comme ressource, comme facteur d'enrichissement du patrimoine culturel global, créé par les valeurs spécifiques des littératures de tous les peuples et les nationalités yougoslaves. Le Programme d'enseignment de l'italien 2 (comme nous l'appelons en Istrie) dans les écoles en langue croatoserbe, comme il est naturel, est consacré pour la plupart à l'étude de la langue, dont le but est d'habiliter les élèves "à la communication plurilingistique dans tous les domaines de leur communauté sociale” (Le Plan, p.31). Il est bien qu'il soit comme ga. Mais l'étude de la littérature n'est pas pour cela négligée. Entre les devoirs que l'étude de l'italien 2 se pose il y a celui qui prévoit de "faire connaître aux élèves certains aspects [...] du patrimoine culturel [...] du groupe national italien" (p. 31). Les contenus sont énumérées seulement pour les écoles moyennes orientées et ils concernent une vingtaine d'auteurs, à côté desquels on prévoit "la connaissance de la culture et de la littérature des members de la nationalité italienne" (Le Plan, p-35). Ce n'est pas peu de chose si l'on tend à un enseignement qui soit surtout qualitatif, si l'on n'aspire pas à faire de 148 Razprave in gradivo, Ljubljana, March 1986, No.18 l'école une mine de données et de faits qu'on oublie avec la même vitesse qu'on les a mémorisés, mais au contraire un lieu où l'élève est habitué à apprendre à lire le texte artistique. Pour les élèves de l'école primaire on propose globalement la réalisation des contenus “du patrimoine culturel [...] de la nationalité" qui “comprend les valeurs crées sur le sol de la RS de Croatie et de la RSFY et aussi les valeurs principaux du patrimoine culturel au sens large que les appartenants au groupe national soignent" (Le Plan, p.33). Cela signifie qu'il faut présenter aux plus jeunes élèves des textes littéraires - de brèves poésies et morceaux de narration - qui peuvent être expliqués d'une façon simple, en soulignant leurs valeurs esthétiques. En conformité avec ce que j'ai dit jusqu'ici, il me semble qu'on puisse conclure ainsi: l'enseignement de la littérature dans les écoles sur les territoires bi- et plurilingues doit être estimé dans l'espace pluridimensionnel de la vie sociale. La fonction de cet enseignement réside dans le fait qu'à travers l'étude des oeuvres littéraires dans les langues "minoritaires" (dans notre cas l'italienne), on élève les jeunes gens au niveau transulturel en les préparant ainsi à la vie en commun de peuple et de nationalité de langue et de cultures diverses. Textes consultes AA. VV., 1984, Kako predavati knjiéevnost, Beograd AA. VV., 1984, Verso una educazione interlingistica e transculturale, Marzoratti, Milano Corsine, G., 1974, L'istituziéne letteraria, Liguori, Napoli Markovié, V.E., 1978, Prilog epistemologiji knjizevnosti, Prosveta, Beograd Mirié, J., 1985, Sistem i kriza, CKD, Zagreb Plan i programi za organiziranje odgojno-obrazovnog rada na italijanskom jeziku (Le plan et les programmes), 1985, Vjesnik Republickog komiteta za prosvjetu SR Hrvatske, br. 5-6, Zagreb Ricciardi, G., 1974, Lineamenti di una sociologia della produzione artistica e letteraria, Liguori, Napoli Sreb, Z., 1976, Studij knjifevnosti, Skolska knjiga, Zagreb. 149