(EUYRES DE MONSIEUR DE MONTESQUIEU. TOME PREMIER, CONTENA NT L’eloge de M. de Montesquieu, et l’analyse de l’esprit des loix, par M. d’ Alembert. * Le discours de M. de Montesquieu, LORS DE SA RECEPTION A l’aCADEMIE FRANQOISE. LES XXI PREMIERS LIVRES DE L’ESPRIT DES LOIX. t ./!S£ : ' " : ■ LiVVCE'H VBI3LI0THE Prolem fine malre creatam. Ovid. (EUVRES DE MONSIEUR DE MONTESQUIEU. ^ ION, revue , corngee Louisiana ibLu'h'l Krtlane Cara mame HeroiuriS yds tong a icr r *Elath ^^MzdiruL, VT anarit EfiYPT ThA.es ’Tropic] uc S.Doii) mo'vie auron Isles | Afatu//jr ‘ s Antilles Canes ‘ [ ar’icrL Ian. ot irobanc icm. Muidti rnec ’Bo me o' Loan 1 Java Lima, Monomotapa Tt'opiquy Nouvel. Hole, Carte liinjtMr.aencey du 'OLM* Livre intitule DELE SPRIT DESLOIX. ir fe JV^Rot ert deVktigo n(by iLLojf.ord-diRot ScaiySS 'SzrPPX.T 2 MENT pour la Carte duLivre intitule DE L'ESPRrTDES LOIX. 1 / ' Jar lc Sr Robert AeVaug oniy, (rcoo. orj. Jit Roi, Jr JlM^Pot 'onoisr> Due Jr Borraine rt Jr Bar, rtJr {JraJ.R^Jrs /znej> I /va A.iW'.iUjA Aa/va/va aa A^/;\ju\^sjr./sj$is. Y^r^r^\rzrsyx^r^'rirtf^vv^'r^r'4r\frFX/Tir- D £ M. BE MONTESQUIEU. V portantes, que fauteur approfondit, en paroiflant glif- Fer fur elles. Dans cette efpece de tableau mouvant, Usbek expofe fur-tout, avec autant de legbrete que d’b- nergie, ce qui a le plus frappe parmi nous fes yeux pbnb- trans; notre habitude de traiter lerieufement les chofes les plus futiles, & de tourner les plus importantes en plaifanterie; nos converfations fi bruyantes & fi frivo- les; notre ennui dans le fein du plaifir mbme; nos prb- juges & nos actions en contradiftion continuelle avec nos lumieres; tant d’amour pour la gloire, joint a tanc de refpeft pour l’idole de la faveur; nos courtifans fi tampans & fi vains; notre politefie extbrieure, & notre mdpris reel pour les etrangers, ou notre predileftion affedtee poureux; la bifarrerie de nos gouts, qui n’a rien au-ddfus d’elle, que J’empreflement de toute l’Europe k les adopter; notre dbdain barbare pour deux des pins refpedtables occupations d’un citoyen, le commerce & la magillrature; nos difputes lirteraires fi vives & fi inu¬ tiles; notre fureur d'ecrire avant que de penfer, & de juger avant que de connoitre. A cette peinture vive, mais fans fiel, il oppofe, dans l’apologue desTroglodi- tes, le tableau d’un peuple vertueux, devenu Cage par le malheur: morceau digne du portique. Ailleurs, il mon- tre la philol'ophie long-temps etouffee, reparoillant tout- k-coup, regagnant, par fes progrbs, le temps qu’elle a perdu; penetrant jufques chez les Ruffes a la voix d’urt gdnie qui 1’appelle; tatidis que, cheZ d’autres peuples de i’Europe , la luperffition, femblable a une atmof- phere bpaifie, empeche la lumiere qui les environrte de toutes parts d’arriver jufqu’a eux, Enfin, par les prin- cipes qu’il btablit fur la nature des gouvernemens an- ciens & modernes, il prefente le germe de ces iddes lumineufes, developpees depuis par Fauteur darts fon grand ouvrage. Ces differens fujets, prives aujourd’hm des grades de la nouveaute qu’ils avoient dans la naiffancs des lettres a ij vj t L O G E Perfanes, y conferveront toujours le mdrite du carac- tere original qu’on a feu leur donner : merite d’autant plus reel, qu’il vient ici du genie feul de 1’ecrivain, & non du voile etranger dont ii s’eft couverc; car Usbek a pris, durant fon fejour enFrance, non-feulement une connoiftance fi parfaite de nos moeurs, mais une fi forte teinture de nos manieres meme, que fon ftyle fait fou- . vent oublier fon pays. Ce leger d6faut de vraifemblance peut n’etre pas fans deflein & fans adreffe : en relevant nos ridicules & nos vices, il a voulu fans dome aulfi ren- dre juftice anosavantages. II a fenti toute la fadeur d’un eloge direft; & il nous a plus finement louds, en pre- nant fi fouvent notre ton pour medire plus agreable- ment de nous. Malgre le fucces de cet ouvrage, monfieur de Mon- tefquieu ne s’en dtoit point declare ouvertement 1’au- teur. Peut-etre croyoic-il echapper plus aifement par ce moyen a Ja fatyre litteraire, qui epargne plus volon- tiers les ecrits anonymes, parce que e’eft toujours la perfonne, & non l’ouvrage, qui eft le but de fes traits. Peut-etre craignoit-il d’etre attaqud fur le prdtendu con- trafte des lettres Perfanes avec l’aufteritd de fa place; efpece de reproche, difoit-il, que les critiques ne man- quent jamais, parce qu’il ne demande aucun effort d’ef- prit. Mais fon fecret dtoit decouvert, & deja le public le montroit a 1’academie Francoife. L’evenement fit voir combien le filence de monfieur de Monte/quieu avoit dte fage. Usbek s’exprime quelquefois afiez librement, non fur le fond du chriftianifme, mais fur des matieres que trop de perfonnes afferent de confondre avec le chriftianifme meme; furl’efprit de perfecution dont tan* de chretiens ont dte animes; fur les ufurpations tempo- relles de la puiflance ecclefiaftique; fur la multiplication exceffive des monafteres, qui enleve des fujets a l’etat, fans donner a dieu des adorateurs; fur quelques opinions qu’on a vainement rente d’eriger en dogmes; fur nos de M. de Montesquieu. vij difputes de religion, toujours violences, & fouvent fu- nelles. S’il paroit toucher ailleurs a des queftions plus dedicates, & qui intereflent de plus pres la religion chrd- tienne, fes reflexions, apprdciees avec jultice, font en effet tres-favorables k la revelation; puifqu’il fe borne a montrer combien la raifon humaine, abandonnde a elle-meme, eftpeu eclairee fur ces objets. Enfin, parmi les veritables lettres de monfieur de Montefquieu, l’im- primeur dtranger en avoit inferd quelques-unes d’une au¬ tre main : & il eut fallu du moins, avant que de con- damner l’auteur, demeler ce qui lui appartenoit en pro- pre. Sans dgard a ces confiderations, d’un cote la haine fous le nom de zele, de l’autre le zele fans difcernement ou fans lumieres, fe fouleverent & fe reunirent contre les lettres Perfanes . Des delateurs, efpece d’honimes dangereufe & lacbe, que meme dans un gouvernement fage on a quelquefois le malheur d’dcouter , alarme- rent, par un extrait infidele, la pietd du miniflere. M. de Montefquieu, par le confeil de fes amis, foutenu de la voix publique, s’etant prefente pour la place de- l’acaddmie Franqoife, vacante par la mort de monfieur de Sacy, le miniftre Qi) dcrivit a cette compagnie que fa majefte ne donneroit jamais fon agrement a l’auteur des lettres Perfanes : qu’il n’avoit point lu ce livre; mais que des perfonnes en qui il avoit confiance lui en avoient fait connoitre le poifon & le danger. M. de Montefquieu fentit le coup qu’une pareille accufation pouvoit porter a fa perfonne, a fa famille, a la tran- quillitd de fa vie. Il n’attaehoit pas aflez de prix aux honneurs litteraires, ni pour les rechercher avec avi- dite , ni pour affefler de les dedaigner quand ils fe prdfentoient a lui, ni enfin pour en regarder la Ample privation comme un malheur : mais l’exclufion perpe- tuelle? & fur-tout les motifs de l’exclufion, lui paroif- a iij (i) M. le Cardinal Df. Fleur. y. vii] jfe 1 O G E foient une injure, 11 vit le miniftre, lui declare que, par des raifons particulieres, il n’avouoic point les lec¬ tures Perfanes; mais qu’il etoit encore plus dloigne de defavouer un ouvrage dont il croyoit n avoir point k rougir; & qu’il devoit etre jugd d’apres une ledlure, & non fur une delation : le miniftre prit enfin le parti par ou il auroit du commencer, il lut le livre, aima f’auteur, & apprit a mieux placer fa confiance. L’aca- demie Franqoife ne fut point privee d’un de fes plus beaux ornemens; & la France eut le bonheur de con- ferver un fujet que la fuperftition ou la calomnie etoient pretes a lui faire perdre : car monfieur de Montefquieu avoir declare au gouvernement, qu’apres l’efpece d’ou- trage qu’on alloit lui faire, il iroit chercher, chez les Grangers qui lui tendoient les bras, la surete, le repos, & peut-etre les recompenfes qu’il auroit du efpdrer dans fon pays. La nation eut deplore cette perte, & la honte en fut pourtant rerombee fur elle. Feu monfieur le marechal d’Eftrees, alors diredeur de l’academie Francoife, fe conduifit dans cette cir- conftance en courtifan vertyeux, & d’une ame vrai¬ ment elevee ; il ne craignit, ni d’abufer de fon credit, ni de le compromettre; il foutint fon ami, & juftifia Socrate. Ce trait de courage, fi precieux aux lettres, fi digne d’avoir aujourd’hui des imitateurs, & fi hono¬ rable a la memoire de monfieur le mardchal d’Eftrees, jp’auroit pas du etre oublid dans fon dloge, M. de Montefquieu fut recu le 24 janvier 1728. Son difcours eft un des meilleurs qu’on ait prononcds dans une pareille occafion : le merite en eft d’autant plus grand, que les recipiendaires, genes julqu’alors par ces formules &ces eloges d’ufage auxquels une efpece de prefcription les aflujettit, n’avoient encore ofe fran- qhir ce cercle pour trailer d’autres fujets, ou n’avoient point penfe du moins a les y renfermer. Dans cet dtat mejne de contrainte, il eut i’avancage de reuflir. En- d e M. d e Montesquieu. ix tre plufieurs traits dont brille fon difcours *, on recon- noitroit l’ecrivain qui penfe au leul portrait du cardinal de Richelieu, qui apprit a la France le fecret de fes forces, & 1 a I'Efpagne celui de fa foiblejje; qui ota h. VAlien-.agne fes chaines , & lui en donna de nouvelles. II fauc admirer M. de Montefquieu d’avoir fgu vaincre Ja difficult^ de fon fujet, & pardonner a ceux qui n’onc pas eu le m6me fucces. Le nouvel academicien droit d’autant plus digne de ce titre, qu’il avoit, peu de temps auparavant, renonce a tout autre travail, pour fe livrer entierement a fon genie & h fon gout. Quelque importante que fut la place qu’il occupoit, avec quelques lumieres & quel¬ que integrity qu’il en eut rempli les devoirs, il fentoic qu’il y avoir des objets plus dignes d’occuperfes talens; qu’un citoyen eft redevable a fa nation & a l’humanite de tout le bien qu’il peut leur faire; & qu’il leroit plus utile a l’un& a l’autre, en les eclairant par fes ecrits, qu’il ne pouvoit 1’etre en difcutant quelques contefta- tions particulieres dans l’obfcurite. Toutes ces reflexions le determinerent a vendre fa charge. 11 cefla d’etre ma- giftrat, & ne fut plus qu’homme de lettres. Mais, pour fe rendve udle par fes ouvrages aux dif- fcrentes nations, il etoit necefiaire qu’il les connut. Ce fut dans cette vue qu’il entreprit de voyager. Son but etoit d’examinerpar-tout le phyfique &lemoral; d’etu- dier les lo ix & la conftitudon de chaque pays; de vifi- ter les Javans, les dcrivains, les artiftes cdlebres; de chercher fur-tout ces hommes rares & finguliers done le commerce fupplde quelquefois a plufleurs annees d’ob- fervations & de fejour. Monfieur de Montefquieu eut pu dire, comme D£mocrite : „ Je n’ai rien oubli£ pour m m’inftruire : j’ai quitte mon pays, & parcouru l’uni- « vers pour mieux connoitre la varied : j’ai vu tous les « (*) On le trouvera k la fin de cet doge. a iv % t L O G E *> perfonnages ill aft res de mon temps. “ Mais il y eut cette difference entre le Democrite Francois, & celui d’Abdere, que le premier voyageoic pour inftruire les hommes, & le fecond pour s’en moquer. II alia d’abord a Vienne, ou il vie fouvent le ceiebre prince Eugene. Ce heros ft funefte a la France (h la- quelle il auroit pu etre fi utile), apres avoir balance la fortune de Louis XIV, & hutnilie la fierte Ottomane» vivoic fans fafte durant la paix, aimant & culdvant les lettresdans une cour ou elles font peu enhonneur (&), & donnant a fes maitres i’exemple de les proteger. M. de Montefquieu crut entrevoir, dans fes difeours, quel- ques relies d’intdret pour fon ancienne patrie. Le prince Eugene (s) en lailfoit voir fur-tout, autant que le peut faire un ennerni, fur les fuites funeftes de cette divifion inteftine qui trouble depuis ft long-temps l’eglife de France : l’homme d’etat en prdvoyoit la duree & les effets, & les predit au philofophe. M. de Montefquieu partit de Vienne pour voir la Hongrie, contree opulence & fertile, habitee par une nation fiere & genereufe, le fleau de fes tyrans, & I’appui de fes fouverains. Comme peu de perfonnes connoiftent bien ce pays, il a dcrit avec foin cette par- tie de fes voyages. (3) Quelques Ailemands ont pris, tres-mal-a-propos, ces pa¬ roles pour une injure. L’avnour des homines eft un devoir dans les princes; l’amour des lettres eft un godt qu’il leur eft per- rnis de ne pas avoir. Note de tf - cP Alembert. (s) Le prince Eugene lui deuianda un jour en quel etat t'toient les affaires de la confu¬ tation en France. Monfieur de Montefquieu lui l'epondit que le miniftere prenoit des mefures pour dteindre peu-a-peu le jan- fdnifme; & que, dans quelques annees, il n’en feroit plus queft- tion. Vous n’en fortirez jamais, dit le prince : „ le feu roi s’eft “ IaifTe engager dans une affaire « dont fon arriere petit-fds ne « verra pas la fin. “ Eloge ma- mtferit de M. re Montes¬ quieu , par M. de Secon- dat fon fils. de M. de Montesquieu. xj D’Allemagne, il pafla en Italie. II vit a Venife le fa- meux Law, a qui il ne reftoit, de fa grandeur paflee, que des projets heureufeinent deftines a mourir dans fa tete, & un diamant qu’il engageoit pour jouer aux jeux de hafard. Un jour la' converfation rouloit fur le fa- meux fyfteme que Law avoit invente; epoque de tanc de malheurs & de fortunes, & fur-tout d’une deprava¬ tion remarquable dans nos rnoeurs. Comme le parle- ment de Paris, depofitaire immediat des loix dans les temps de minoritd, avoit fait eprouver au miniitre Ecof- fois quelque refiftance dans cette occafion, M. deMon- tefquieu lui demanda pourquoi on n’avoit pas eifaye de vaincre cette refinance par un rnoyen prefque toujours infaillible en Angleterre, par le grand mobile des ac¬ tions des hommes, en un mot, par 1’argent. Ce ne font pas , reponditLaw, des gdnies aujji ardens & aujfi gi- nireux que mes compatriotes; mais ils font beaucoup plus incorruptibles. Nous ajouterons, fans aucun prdjugd de vanitd na- tionale , qu’un corps libre pour quelques inftans doit mieux refifter a la corruption, que celui qui reft tou¬ jours : le premier, en vendant fa libertd, la perd •, le lecond nefait, pour ainii dire, quelapreter, &l’exerce laeme en Pengageant. Ainfi les circonftances & la nature du gouvernement font les vices & les vertus des nations. Un autre perfonnage non moins fameux, que mom- fieur de Montefquieu vit encore plus fouvent a Venife, fut le comte de Bonneval. Cet homme, fi connu par fes aventures qui n’etoient pas encore a leur terme, & flatte de converfer avec un juge digne de l’entendre, lui faifoit avec plaifir le ddtail fingulier de fa vie, le recit des aftions militaires ou il s’etoit trouve, le por¬ trait des generaux & des miniftres qu’il avoit connus. M. de Montefquieu fe rappelloit fouvent ces converfa- tions, & en raconcoit differens traits a fes amis. Il alia, de Venife, a Rome. Dans cette ancienne ca- xij fe t O G E pitale da monde, qui reft encore a certains egards, il s’appliqua fur-tout k examiner ce qui la diftingue au- jourd’hui le plus; les ouvrages des Raphael, des Ti¬ tian, &des Michel-Ange. II n’avoit point fait une etude particuliere des beaux arts; mais l’expreftion, dont bril- lent les chefs-d’ceuvre en ce genre, faifit infailliblement tout homme de genie. Accoutume a etudier la nature, il la recorinoit quand elle eft imitee, comme un por¬ trait reflemblant frappe tous ceux k qui l’original elt familier. Malheur aux productions de l’art dont route la beaute n’eft que pour les arciftes! Apres avoir parcouru l’ltalie, monfieur de Montef- quieu vint en Suifte. Il examina foigneufement les vaf- tes pays arrofes par le Rhin. Et il ne lui refta plus rien k voir en Allemagne; car Frederic ne regnoit pas en¬ core. Il s’arreta enfuite quelque temps dans les Pro- vinces-Unies, monument admirable de ce que peutl’in- duftriebumaine, animee parl’amourdelalibertd. Enffn il, fe rendit en Angleterre, ou il demeura deux ans. Digne de voir & d’entretenir les plus grands homines, il n’eut a regretter que de n’avoir pas fait plutot ce voyage. Locke & Newton etoient morts. Mais il eut fouvenc l’honneur de faire fa cour a leur proteftrice, la celebre reine d’Angleterre, qui cultivoit la philofophie fur le trdne, & qui gouta, comme elle le devoir, monfieur ds Montefquieu. Il ne fut pas moins accueilli par la nation qui n’avoit pas befoin, fur cela, de prendre le ton de fes maitres. Il forma a Londres des liaifons in¬ times avec des hommes exerces a mdditer, & k fe prd- parer aux grandes chofes par des Ctudes profondes. II s’inftruilic avec eux de la nature du gouvernement, & parvint a le bien connoitre. Nous parlous ici d’apres les tdmoignages publics que lui en ont rendu les Anglois eux-memes, f] jaloux de nos avantages, & ft peu dif- pofes a reconnoitre en nous aucune fuperiorite. Commeiln’avoic rien examine, ni avec la prevention d e M, d e Montesquieu. -xijj d’un enthoufiafte, ni avec l’aufteritd d’un cynique; il n’avoit remporte de fes voyages, ni un dcdain outra- geant pour les etrangers, ni un mepris encore plus dc- place pour Ton propre pays. 11 refultoit, de fes obfer- vations, que l’Allemagne etoit faite pour y voyager, 1’Italie pour y fejoumer, l’Angleterre pour y penfer, & la France pour y vivre. De retour enfin dans fa patrie, M. de Montefquieu fe retira pendant deux ans a fa terre de la Brede. 11 y jouit en paix de cette folitude que le fpectacle & !e tumulte du monde fert a rendre plus agreable : il ve- cut avec lui-mdme, apres en etre forti long-temps: &, ce qui nous interefle le plus, il mit la derniere main a fon ouvrage fur la caufe de la grandeur & de la de¬ cadence des Remains, qui parut en 1734. Les empires, ainfi que les homines, doivent croitre, deperir & s’dteindre. Mais cette revolution neceflaire a fouvenc des caufes cachees, que la nuit des temps nous derobe, & que le myltere ou leur petitefle apparente a meme quelquefois voilees aux yeux des contempo- rains. Rien ne reffemble plus, fur ce point, a l’hiftoire moderne, que l’hiftoire ancienne. Celle des Romains merite neanmoins, a cet egard, quelque exception. Elle prefente une politique raifonnee, un fyfteme fuivi d’ag- grandiflement, qui ne permet pas d’attribuer la fortune de ce peuple a des rdlorts obicurs & fubalternes. Les caufes de la grandeur Romaine fe trouvent done dans rhilloire ; & c’efl au philofophe ^ les y decouvrir. D’ailleurs, il n’en eft pas des fyftemes dans cette etude,, comme dans celle de la phyfique. Ceux-ci font pref- que toujours precipites, parce qu’une obfervation nou- velle & imprevue peut les renverfer en un inftant; au contraire, quand on recueille avec foin les faits que nous tranfmet rhiitoire ancienne d’un pays, fi on ne raffemble pas toujours tous les matdriaux qu’on peut defirer, on ne fgaurait du. moins efperer d’en avoir un jour davan- XIV & L O G E tage. L'etude rdfldchie de l’hiftoire, 6 tude fi importante & fi difficile, confide a combiner, de lamanierelaplus parfaite, ces tnateriaux defectueux : tel feroit le merite d’un architefte, qui, fur des ruines fcavantes, trace- roit, de la maniere la plus vraifemblable, le plan d’un edifice antique; enfuppleant, parleg£nie, &pard’heu- reufes conjectures, a des relies informes & tronques. C’efl: fous ce point de vue qu’il faut envifager 1’ou- vrage deM.de Montefquieu. II trouve les caufes de la grandeur des Romains dans l’amour de la liberte, du travail , & de la patrie, qu’on leur infpiroit desl’en- fance; dans ces diffentions inteftines, qui donnoient du reffort aux efprits, & quicelfoient tout-a-coup a la vue de Fennemi; dans cette confiance apres le malheur, qui ne defefperoit jamais de la republique; dans le prin- cipe ou ils furent toujours de ne faire jamais la paix qu’apres des vidloires; dans i’honneur du triomphe, fu- jet d’emulation pour les generaux; dans la protedion qu’ils accordoient aux peuples rdvoltes contre leurs rois; dans l’excellente politique de laifier aux vaincus leurs dieux & leurs coutumes; dans celle de n’avoir jamais deux puifians ennemis fur les bras, & de tout fouffrir de l’un, jufqu’a ce qu’ils euflent aneanti l’autre. II trouve les caufes de leur decadence dans l’aggrandif- fement meme de l’etat, qui changea en guerres civiles les tumultes populates; dansles guerreseloigndes, qui, forcant les citoyens a une trop longue abfence, leur faifoit perdre infenliblement l’efprit rdpublicain; dans le droit de bourgeoifie accordd a tant de nations, & qui ne fit plus, du peuple Romain, qu’une efpece de monftre a plufieurs tetes; dans la corruption introduce par le luxe de l’Afie; dans les profcriptions de Sylla, qui avilirent l’efprit de la nation, & la prdparerent a 1’efclavage; dans la ndceffite ou les Romains fe trou- verent de fouffrir des maitres; lorfque leur liberte leur fuc de venue a charge; dans l’obligadon ou ils furent de de M. de Montesquieu. xv changer de maximes, en changeant de gouvernernent; dans cetce fuite de monftresqui regnerenc, prefquefans interruption, depuis Tibere jufqu’a Nerva, & depuis Commode jufqu’a Conftantin; enfin, dans la tranflation & le partage de l’empire, qui perit d’abord en Occi¬ dent par la puifiance des Barbares, & qui, apres avoir langui plufieurs fiecles en Orient fous des empereurs imbecilles ouferoces, s’an£antitinfenfiblement, comme ces fleuves qui difparoiflent dans des fables. Un alfez petit volume a fuffi a monfieur de Montef- quieu, pour developper un tableau fi intereflant & fi vafte. Comme l’auteur ne s’appefantit point fur les de¬ tails, & ne faifit que les branches fecondes de fon fujet, il a feu renfermer en tres-peu d’efpace un grand nom- bre d’objets diftindement appergus, & rapidement pr£- fentds, fans fatigue pour le ledeur. En laiflant beau- coup voir, il Jaifle encore plus a penfer : & il auroic pu intituler fon livre, hiftoire Romaine , a I’ufage des hommes edit at & des philofophes. Quelque reputation que monfieur de Montelquieu fe fut acquife par ce dernier ouvrage, & par ceux qui l’avoient prdeedd, il n’avoit fait que fe frayer le chemin a une plus grande entreprife, a celle qui doit immorta- lil'er fon nom, & le rendre refpe&able aux fiecles fu- turs. 11 en avoit des long-temps forme le deflein : il en medita pendant vingt ans 1’execution; ou, pour parler plus exademenc, toute fa vie en a.voit et£ la meditation continuelle. D’abord il s’etoit fait, en quelque fagon, dtranger dans fon propre pays, afin de le mieux con- noitre. 11 avoit enfuite parcouru toute l’Europe, & profondement etudie les differens peuples qui 1’habi- rent. L’ifle fameufe, qui fe glorifie tant de fes loix, & qui en prqfite fi mal, avoit etd pour lui, dans ce long voyage, ce que 1’ille de Crete fut autrefois pour Ly- curgue, une ecole oil il avoit feu s’inftruire fans tout approuver. Enfin, il avoit, fi on peut parler ainli, in- XV) E L O G E terrogl & juge Jes nations & les hommes cdlebfes qut n’exiftentplus aujourd’hui que dans les annales du monde. Ce fut ainfi qu’il s’eleva par degres au plus beau titre qu’un fage puilTe mdriter, celui de legiflateur des nations. S’il etoic anim6 par 1’importance de la matiere, il dtoit effrayd en meme temps par fon etendue : il l’aban- donna, & y revint & plufieurs reprifes. Il fentit plus d’une fois, comrae il 1’avoue lui-meme, toniber les mains paternelles. Encourage enfin par fes amis, il ra- mafia toutes fes forces, & donna YEfprit des loix. Dans cet important ouvrage, monfieur de Montef- quieu, fans s’appefantir, a l’exemple de ceux qui font prdcedd, fur des difcuffions metaphyfiques relatives a l’homme fuppofe dans un £tat d’abftradtion; fans fe borner, comme d’autres, a confid£rer certains peuples dans quelques relations ou circonftances parriculieres, envifage les habitans de 1’univers dans i’etat reel ou ils font, & dans tous les rapports qu’ils peuvent avoir en- tre eux. La plupart des autres dcrivains en ce genre font prefque toujours, ou de fimples moralifles, ou de fimples jurifconfultes , ou m§me quelquefois de fim- ples theologiens. Pour lui, l’homme de tous les pays & de toutes les nations, il s’occupe moins de ce que le devoir exige de nous, que des moyens par lefquels on peut nous obliger de le remplir; de la perfection mdtaphyfique des loix, que de celle dont la nature humaine les rend fufceptibles; des loix qu’on a faites, que de celles qu’on a du faire; des loix d’un peuple particular, que de celles de tous les peuples. Ainfi, en fe comparant lui-meme a ceux qui ont couru avanc lui cette grande & noble carriere, il a pu dire, comme le Correge, quand il eut vu les ouvrages de fes rivaux, Et moi auffi , js fuis peintre (c). (e ) On trouvera, a la fuite de cet dioge, l’anslyfe de tMjprit des loix, par le meme auteur. - , de M. de Montesquieu. xvij Rernpli & penetre de fon objet, J’auteur de 1’efpric des loix y embraffe un A grand nombre de matieres, & les traite avec tant de brievet£ & de profondeur, qu’une lediure aflidue & m6ditee peut feule faire femir le merite de ce livre. Elle fervira fur-tout, nous ofons le dire, & faire difparoitre le pretendu ddfaut de m£- thode, dont quelques lefteurs ont accufe M. de Mon- tefquieu ; avantage qu’ils n’auroient pas du le taxer leg£rement d’avoir neglige dans une matiere philofo- phique, & dans un ouvrage de vingt annees. 11 faut diflinguer le defordre reel de celui qui n’eft qu’appa- rent. Le defordre eft r£el, quand l’analogie & la fuite des idees n’efl: point obfervee; quand les conclu'fions font erigees en principes, ou les precedent; quand le le&eur, apres des detours fans nombre, fe retrouve au point d’ou il efl parti. Le ddfordre n’eft qu’appa- rent, quand 1’auteur, mettant a leur veritable place les idees dont il fait ufage, laifle a fuppleer aux lecfeurs les idees interm£diaires. Et c’efl ainfi que M. de Mon- tefquieu a cru pouvoir & devoir en ufer dans un livre deftine a des hommes qui penfent, dont le gdnie doit fuppleer a des omiffions volontaires & raifonnees. L’ordre, qui fe fait appercevoir dans les grandes parties de l’efprit des loix, ne regne pas moins dans les details : nous croyons que, plus on approfondira l’ouvrage, plus on en fera convaincu. Fidele a fes di- vifions generales, 1’auteur rapporte a chacune les ob- jets qui lui appartiennent exclufivement; &, ^ l’egard de ceux qui, par differentes branches, appartiennent a plufieurs divifions a la fois, il a place fous chaque di- vifion la branche qui lui appartient en propre. Par-l-k on appercoit aifement, & fans confufion, l’influence que les differentes parties du fujet ont les unes fur les autres; comme, dans un arbre ou fyfteme bien en- tendu des connoiflances humaines, on peut voir le rapport mutuel des fciences & des arts. Cette compa- xviij £ L O G £ raifon d’ailleurs eft d’autant plus jufte, qu’il en eft da plan qu’on peut fe faire dans l’examen philofophique des loix, comme de l’ordre qu’on peut obferver dans un arbre encyclopedique des fciences : il y reftera tou- jours de l’arbitraire; & tout ce qu’on peut exiger de l’auteur, c’eft qu’il luive, fans detour & fans ecart, le fyftdme qu’il s’eft une fois forme. Nous dirons de l’obfcurite, que Ton peut fe per- mettre dans un tel ouvrage, la meme cbofe que du de- faut d’ordre. Ce qui feroit obfcur pour les ledteurs vulgai- res ne l’eft pas pour ceux que i’auteur a eus en vue. D’ailleurs, Tobfcurite volontaire n’en eft pas une. M. de Montefquieu ayant a prefenter quelquefois des veri- tes importantes, dont Tenoned abfolu & diredl auroit pu bleffer fans fruit, a eu la prudence de les envelop- per; &, par cet innocent artifice, les a voilees a ceux a qui elles feroient nuifibles, fans qu’elles fuflent per- dues pour les fages. Parmi les ouvrages qui lui ont fourni des fecours, & quelquefois des vues pour le fien, on voit qu’il a fur-tout profite des deux hiftoriens qui ont penfe le plus, Tacite & Plutarque : mais, quoiqu’un philofophe • qui a fait ces deux lectures foit difpenfe de beaucoup d’autres, il n’avoit pas cru devoir, en ce genre, rien negliger ni dedaigner de ce qui pouvoit etre utile a fon objet. La ledture que fuppofe 1’efprit des loix eft im- menfe; & l’ufage raifonne que Tauteur a fait de cette multitude prodigieufe de materiaux , paroitra encore plus furprenant, quand on fcaura qu’il etoit prefque entierement prive de la vue, & oblige d’avoir recours a des yeux dtrangers. Cette vafte ledture contribue non feulement a Tudlite, mais a 1’agrement de Touvrage. Sans deroger a la majefte de fon fujet, M. de Montef¬ quieu fcait en tempdrer Taufteritd, & procurer aux lec- teurs des momens de repos, foit par des faits finguliers & peu connus, foit par desallufionsdedicates, foit par ces XIX de M. de Montesquieu. ces coups de pinceau energiques & brilians, qui ,pei- gnent d’un feul traic les peuples & les hommes. Enfin, car nous ne voulons pas jouer ici le role des commenrareurs d’Homere, il y a fans doute des fauces -dans J’Efpric des loix, comrae il y en a dans cquc ou- vrage de genie, done Fauteur a le premier oie fe frayer des routes nouveiles. M. de Montefquieu a et6 parmi nous, pour l’etude des loix, ce que Defcartes a ec£ pour la philofophie : il eclaire fouvent, & fe trompe quelquefois ; & en fe trompant meme, il inftruit ceux qui fcavent lire. Cette nouveHe edition montrera, par les additions & corrections qu’il y a faites, que, s’il eft combe de temps en temps, il a feu le reconnoitre &. fe.relever. Par-la, il acquerra du moins le droit k un nouvel examen, dans les endroics oil il n’aura pas ete de Favis de fes cenfeurs. Peut-ecre meme ce qu’il aura jugd le plus digne de correction leur a-t-il abfo- Iument echappb, rant l’envie de nuire eft ordinaire- •ment aveugle. Mais ce qui eft k la portCe de tout le monde dans FEfprit des loix, ce qui doit rendre Fauteur cher a rou¬ tes les nations, ce qui ferviroit meme a couvrir des fau- tes plus grandes que les ftennes , e’eft l’efprit de ci- toyen qui Fa dicte. L’amour du bien public, le defir de voir les hommes heureux, s’y montrent de routes parts; &, n’eut-il que ce mdrite ft rare & fi precieux, il feroit digne, par cec endroit feul, d’etre la ledture des peuples & des rois. Nous voyons deja, par une heureufe experience, que les fruits de cet ouvrage ne fe bornent pas , dans fes lecteurs, a des fentimens fteriles. Quoique M. de Montefquieu ait peu furvecu a la publication de FEfprit des loix, il a eu la fatisfac- tion d’entrevoir les effets qu’ii commence a produire parmi nous; l’amo'ur naturel des Francois.pour leur patrie, tournC vers fon veritable objet; ce gout pour le commerce, pour l’agricukure, & pour les arcs utj- Tome I, k XX £ 1 O G E les, qui fe rdpand infenfiblement dans notre nation; cetce lumiere generate fur les principes du gouverne- ment, qui rend les peuples plus attaches a ce qu’ils doivent aimer. Ceux qui ont fi indecemment attaque cet ouvrage, lui doivent peut-etre plus qu’ils ne s’ima' ginent. L’ingratitude, au refte, eft le moindre repro- che qu’on ait a leur faire. Ce n’eft pas fans regret & fans honte pour notre fiecle, que nous allons les de- voiler; mais cette hiftoire importe trop a la gloire de Ms de Montefquieu, & a l’avantage dela philofophie, pour dtre paflhe fous filence. Puifle l’opprobre, qui couvre enfin fes ennemis, leur devenir falutaire! A peine l’Efprit des loix parut-il, qu’ilfut recherche avec empreftemcnt, fur la reputation de l’auteur: mais, quoique M. de Montefquieu eut ecrit pour le bien du peuple , il ne devoir pas avoir le peuple pour juge : la profondeur de l’objet dtoit une fuite de fon impor¬ tance nreme. Cependant les traits qui etoient repandus dans l’ouvrage, & qui auroient etc ddplaces s’ils n’d- toient pas nes du fond du fujet, perfuaderent a trop de perfonnes qu’il dtoic ecrit pour elles. On cherchoic un livre agreable; & on ne trouvoit qu’un livre utile, dont on ne pouvoit d’ailleurs, fans quelque attention, faifir fenfemble & les details. On traita legerement l’Efprit des loix; le titre menie fut un fujet de plaifan- terie (4); enfin, l’un des plus beaux monumens littd- raires qui foient-fortis de notre nation, fut regarde d’abord par elle avec aflez d’indiffdrence. II fallut que les vdritables juges eulfent eu le temps de lire : bien- tdt ils ramenerent la multitude, toujours prompte h changer d’avis. La gartie du public qui enfeigne difta h la partie qui dcoute ce qu’elle devoir penfer & dire; & le fuffrage des hommes eclaires, joint aux echos (4) M. p£ Montesquieu , difoit-on, devoir intituler fgp Mvre-: Dk t’ESPiur svk les- isoix, d e M. d e Montesquieu. xxj qui le repeterent, ne forma plus qu’une voix dans route l’Europe. Ce fut alors que les ennemis publics & fecrets des lettres & de la philofophie (car elles en ont de ces deux efpeces) rdunirent leurs traits centre 1’ouvrage. De-ia, cette foule de brochures qui lui furent lanc^es de toutes parts, & que nous ne tirerons pas de l’oubli ou elles font ddja plongdes. Si leurs auteurs n’avoient pris de bonnes mefures pour etre inconnus a la poil6- rite, elle croiroit que l’Efprit des loix a etd dcrit au milieu d’un peuple de barbares. M. de Montefquieu mdprifa fans peine les critiques tenebreufes de ces auteurs fans talent, qui, (bit par une jaloufie qu’ils n’ont pas droit d’avoir, foit pour fa- tisfaire la malignite du public qui aime la fa tyre & la meprife, outragent ce qu’ils ne peuvent atteindre, plus odieux par le mal qu’ils veulent faire, que redou- rables par celui qu’ils font, ne reuffiffent pas meme dans un genre d’ecrire que fa facilite & fon objet ren- dent dgalement vil. II mettoit les ouvrages de cette efpece fur la meme ligne que ces nouvelles hebdoma- daires de l’Europe, dont les dloges font fans autorite & les traits fans effet, que des lecleurs oififs parcou- rent fans y ajouter foi, & dans lefquelles les fouverains font infultes fans le fcavoir, ou fans daigner s’en verb ger. 11 ne fut pas auffi indifferent fur les principes d’ir- religion qu’on 1’accufa d’avoir femds dans l’Efprit des loix. En meprifant de pareils reproches, il auroit crii les meriter; & 1 ’importance de l’objet lui ferma les yeux fur la valeur de fes adverfaires. Ces hommes dga- lement depourvus de zele, & dgalement empreffes d’en faire paroitre; dgalement effray^s de la lumiere que les lettres repandent, non au prejudice de la religion , mais a leur defavantage, avoient pris differences for¬ mes pour lui porter atteinte. Les uns, par un drata- gerae aulfi puerile que pufiilanime, s’etoient dcric k xxij £ L O G E eux-memes; les autres, apres 1’avoir ddchire fous It mafque de fanonyme, s’dtoient enfuite dechires entre eux a fon occafion. M. de Montefquieu, quoiqhe ja- ioux de les confondre , ne jugea pas a propos de per- dre un temps precieux k les combattre les uns apres les autres : il fe contenta de faire un exemple fur ce- lui quiss’etoit le plus fignale par les • exees. l’auteur d’une feuille anonyme & periodi- que, qui croit avoir fuccdde a Pafeal, parce qu’il a fuccede a fes opinions; panegyrifle d’ouvrages que per- fonne ne lit, & apologise de miracles que l’aucorite fdculiere a fait cefler des qu’elle l’a voulu; qui appelle impiete & fcandale le' peu d’interetque les gens de let- tres prennent a fes querelles; & s’efi aiiene, par une adrelfe digue de lui, la partie de la nation qu’il avoit le plus d’interet de manager. Les- coups de ce redouta- ble athlete furent dignes des vues qui l’inipirerent: il accufa M. de Montefquieu de fpinofifme & de deifrhe {deux imputations incompatibles) d avoir fuivi le fyf- teme de Pope (dont il n’y avoio pas un mot dans 1’ou- vrage); d’avoir cite Plutarque, qui n’eft pas un auteur chreden ^ de n’avoir point parld du peebe originel & de la grace. Il pr£tendit enfin que l’Efprit des loix £toit une production de la conftitution unigenitus ; idee qu’on nous foupconnera peut-etre de preter par deri- fion au critique.. Ceux qui ont connu M» de Montef- quieu, l’ouvrage de Cldment XI & le lien, peuvenc juger, par cette acculadon, de toutes les autres. Le malheur de cet ecrivain dut bien le decourager : il vouloit perdre un (age par 1’endroit le plus fenfible & tout ci coyen, il ne fit que lui procurer une nouvelle gloire, conime homme de lettres : la difenfe de VEf- prit des ’loix parut. Cet ouvrage, par la moderation, la vCrite, la finefie de plaifanterie qui y regnent, doit etre regardd coniine un modele en ce genre. M. de Moncefquieu, charge par fon adverfaire•cfimputacious d e M. r> e Montesquieu, xxiij arroces, pouvoit le rendre odieux fans peine; il fit mieux, il le rendit ridicule. S’il fauc tenir compte l’aggrefleur d’un bien qu’il a fait fans le vouloir, nous lui devons une eternelle reconnoiflance de nous avoir procure ce chef-d’oeuvre. Mais, ce qui ajoute encore au merite de ce morcean precieux, celt que l’auteur s’y eft peint lui-meme fans y penfer : ceux qui font connu croient l’entendre; & la polterite s’aflurera, en lifant fa defenfe , que fa converfation n’etoit pas infe- rieure a fes ecrits; eloge que bien peu de grands hom¬ ines ont merite. Une autre circonftance lui allure pleinement l’avan- tage dans cette difpute. Le critique, qui, pour preuve de fon attachement a la religion, en dechire les minif* tres, accufoit hautement le clerge de France, & fur- tout la faculte de theologie , d’indifference pour la caufe de dieu, en ce qu’ils ne profcrivoient pas au- thentiquement un ft pernicieux ouvrage. La faculte dtoit en droit de meprifer le reproche d’un ecrivain fans aveu : mais il s’agifloit de la religion; une delica- telTe louable lui a fait prendre le parti d’examiner l’Ef- prit des loix. Quoiqu’elle s’en occupe depuis plufieurs annees , elle n’a rien prononce jufqu’ici ; & , fut-il echappe a M. de Montefquieu quelques inadvertences legeres, prefque inevitables dans une carriere ft vafte, l’atrentipn longue & fcrupuleufe qu’elles auroient de- rnandee de la part du corps le plus eclaire de i’egiife, prouveroit au moins combien elles feroient excufables. Mais ce corps, plein de prudence, ne precipitera rien dans une ft importante matiere. Il connoit les bornes de la raifon & de la foi : il lcait que l’ouvrage d’un homme de lettres ne doit point etre examind comme celui d’un theologien; que les mauvaifes confequences auxquelles une propofition peut donner lieu par des interpretations odieufes, ne rendent point blamable la propofition en elle-meme; que d’ailleurs nous vivons xxiv i l O G E dans un fiecle malheureux, ou Jes intdrets de la reli¬ gion one befoin d’etre manages; & qu’on peuc lux nuire aupres des fimples, en repandant mal-h-propos, fur des genies du premier ordre, le foupcon d’incre- dulite; qu’enfin, malgre cette accufation injufte, M. de Montefquieu futtoujours eftime, recherche &accueilli par tout ceque l’eglifea de plus refpedable & de plus grand. Eut-il conferve aupres des gens de bien la con- fideration dont il jouilToit, s’ils l’euffent regarde comme un ecrivain dangereux? Pendant que des infedes le tourmentoient dans fon propre pays, 1 ’Angleterre elevoit un monument a fa gloire. En 1752, M. Daflier, edebre par les mddail- les qu’il a frappees a 1’honneur de plufieurs hommes il- luftres, vint de Londres a Paris pour frapper la fienne. M. de la Tour, cet artifte fi fuperieur par fon talent, & fi eflimable par fon definterefiement & 1’elevation de fon ame, avoit ardemment defird de dormer un 1 ufire a fon pinceau, en tranlinettant a la pofierite le portrait de 1 ’auteur de l’Efprit des loix; il ne vouloit que la fo- tisfaftion de lepeindre; & il meritoit, comme Appelle, que cet honneur lui fut referve : mais M. de Montef¬ quieu, d’autant plus avare du temps de M. de la Tour que celui-ci en etoit plus prodigue, fe refufa contain¬ ment & poliment a fes preflantes follicitations. M. Daf- fier effuya d’aborddes difficultes femblables.,, Croyez- »> vous, dit-il enfin a M. de Montefquieu, qu’il n’y aic » pas autant d’orgueil a refufermapropoiition, qu’a i’ac- » cepter? “ Defarmd par cette plaifanterie, il laiffa faire a M. Daflier tout ce qu’ilvoulut. L’auteur de l’Efprit des loix jouifloit enfin paifible- ment de fa gloire, lorfqu’il tomba malade au commen¬ cement de fdvrier. Sa fante, naturellement delicate, comtnencoit a s’alterer depuis long-temps, par 1’effec lent & prefque infaillible des etudes profondes; par les chagrins qu’on avoit cherche a lui fufcicer fur fon ou- BE M. DE MO'NTESQUIEU. XXrr vrage; enfin, par le genre de vie qu’on le forcoit de mener a Paris, & qu’il fentoic Ini etre funefte. Mais l’emprelTement avec lequel on recherchoic fa fociete gtoit crop vif, pour n’etre pas quelquefois indifcret; on vouioic, fans s’en appercevoir, jouir de lui aux de¬ pens de lui-meme. A peine la nouvelle du danger ou il etoit fe fuc-elle repandue, qu’elle devinc l’objet des converfarions & de l’inquietude publique. Sa maifon ne defemplifloit point de perlonnes de tout rang qui venoient s’informer de fon dtat; les unes par un inte- ret veritable, les autres pour s’en donner l’apparence, ou pour fuivre la foule. Sa Majeftd, penetree de !a perte que fon royaume alloit faire, en demanda plufieurs fois des nouvelles; temoignage de bonte & de juilice, qui n’honore pas moins le monarque que le fujet. La fin de M. de Montefquieu ne fut point indigne de fa vie. Accable de douleurs cruelles , eloigne d’une famille a qui il etoit cher, & qui n’a pas eu la confolation de lui fermer les yeux, entoure de quelques amis, & d’un plus grand nombre de fpeftateurs, il conferva, jufqu’au dernier moment, la paix & 1 ’egalite de foname. Enfin, apres avoir fatisfait avec decence a tous fes devoirs, plein de confiance en l’etre dternel auquel il alloit fe rejoindre , il mourut avec la tranquillite d’un homme de bien , qui n’avoit jamais confacre fes talens qu’d l’avantage de la vertu & de l’humanite. La France & l’Europe le perdirent le io fevrier 1755, a Page de foixante-fix ans revolus. Toutes les nouvelles publlques ont annonce cet eve- nement comme une calamite. On pourroit appliquer & M. de Montefquieu ce qui a dte dit autrefois d’un il- luftre Romain ; que perfonne, en apprenant fa rnort , n’etj temoigna de joie; que perfonne meme ne l’oublia des qu’il ne fut plus. Les etrangers s’empreflerent de faire eclater leurs regrets; & milord Chellcrlield, qu’il fuffit de nommer, fit imprimer, dans un des papiers b iv xxv] £, l O G E publics de Londres, un article en fon honneur, article digne de Pun & de Pautre; c’eft le portrait d’Anaxa- gore , tracd par Pericles (d). L’academie royale des fciences & des belles-lettres de Prude, quoiqu’on n’y foit point dans Pillage de prononcer Peloge des aflocies Strangers, a cru devoir lui faire cet honneur, qu’elle n’a fait encore qu’a Pilluflrejean Bernoulli. M. de Mau- (d) Void cet doge en Atf- glois, tel qu’on le lit dans ia gazette appellee evening pofis, ou pofte du fair : On the i o' H of this month, died at Paris , universally and fince- rely regretted , Charles Secon- dat , baron of Montefquku, and prefident a mortier of the par¬ liament of Bourdeaux. His vir¬ tues did honour to human natu¬ re , his writings jtiftice: A\ friend to kind, he ajferted their un doubted and inalienable rights with freedom , even in his man own country , vvhofe prejudices in matters of religion aird go¬ vernment he had long lamen¬ ted , and endeavoured ( not wi¬ thout fome fuccesf) to remove. He wel knew , and jufily admi¬ red the happy conftitution of this country , where fix' d and known laws equally refrain mo¬ narchy from tyranny, and li¬ berty from licentibufnesf. His works will illuftrate bis name , and furvive him , as long as right reafon, moral obligation-, and the true fpirit of laws, shall be underfieod, refpecled and maintained. C’est-jvdire : Le 10 de fevrier, eft mort -1 Pa¬ ris, univerfellement & fincere- ment regvettd, Charles de Se- condat, baron de Montefquieu, prefident a mortier au parlement de Bordeaux. Ses vertus ont fait honneur il la nature humai- ne ; fes ecrits lui out rendu & fait rendre pirate. Ami de l’humanite, ii en foutient avec force & avec veritd les droits indubitables & inalienables. II 1’ofe fur-tout dans fon propre pays, dont les prejugts en m a- tiere de -religion & de gouver- nemettt ont excite pendant long- temps fes gemiffemens. II entre- prend de les detruire; & fes ef¬ forts ont eu quelques fucces, (// faut fe rcjfouvenir que e'eft un Angloh qui parle. ) II connoif- foit parfaitement bien, &admi- roitavecjuftice, 1’heureux gou- vemement de ce pays, dont les loix, fixes & connues, font un frein contre la monarchic qui tendroit & la tyrannie, & contre la liberte qui degenereroit en li¬ cence. SesOuvragesrendrontfon nom celebre, & lui (urvivront atifli long-temps que la droite raifon, les obligations morales, & le vrai efprit des loix, feront entendns, refpefles & confer- ves. Note de M. d’ Alembert. p e M. d e Montesquieu, xxvij pertuis , tout malade qu’il etoir, a rendu lui-meme a fon ami ce dernier devoir, & n’a voulu fe repofer fur perfonne d’un Coin fi cher & fi trifle. A rant de fuffra- ges eclatans en faveur de M. de Montefquieu, nous croyons pouvoir joindre, fans indifcretion, ies eloges que Jui a donnds, en prefence de l’un de nous, le mo- narque merae auquel cette academie celebre doit fon luftre, prince fait pour fentir les pertes de la philofo- phie, & pour l’en confoler. Le 17 fevrier , l’academie Francoife lui fit, felon l’ufage, un fervice folemnel, auquel, malgre la rigueur de la faifon , prefque tous les gens de lettres de ce corps, qui n’etoient point abfens de Paris, fe firent un devoir d’affifter. On auroit du, dans cette trifle cere- monie, placer FEfprit des loix fur fon cercueil, comme on expofa autrefois, vis-a-vis le cercueil de Raphael, fon dernier tableau de la transfiguration. Cet appareil Ample & touchant eut ete une belle oiaifon funebre. Jufqu’ici nous n’avons confidere M. de Montefquieu que comme ecrivain & philofophe : ce feroit lui dero- ber la moitie de fa gloire , que de pafler fous filence fes agremens & fes qualites perfonnelles. II etoit, dans le commerce, d’une douceur & d’une gaiete toujours egales. Sa converfation etoit legere, agreable & inftructive, par le grand nombre d’horn- mes & de peuples qu’il avoit connus. Elle etoit cou- pee, comme fon ftyle, plqine de fel & de faillies, fans amertume & fans fatvre. Perfonne ne racontoit plus’vi- vement , plus promptement , avec plus de grace & moins d’appret. II Icavoic que la fin d’une hiftoire plai- lante en efl toujours Je but; il fe hacoic done d’y arri- ver, & produifoic 1’efFet fans 1’avoir promis. Ses frequentes diflraftions ne le rendoient que plus aimable; il en fortoit toujours par quelque trait inat- tendu, qui reveilloit la converfation languiflante : d’aii- leurs, elles n’etoient jamais ni jouees, ni choquantes, xxviij t. I O G E ni importunes. Ce feu de fon efpric, le grand nombre d’iddes dont il etoit plein, les faifoient naitre; mais il n’y tomboit jamais au milieu d’un entretien int^reflant ou ferieux : le defir de plaire a ceux avec qui il fe trou- voit, le rendoit alors k eux fans affe£tation& fans efforr. Les agrdmens de fon commerce tenoient, non-feule- ment a fon caradlere & a fon efprit, mais a l’elpece de re¬ gime qu’il obfervoit dans l’etude. Quoique capable d’une meditation profonde & long-temps foutenue, ii n’epuifoic jamais fes forces; il quittoit touiours le travail, avant que d’en relTentir la moindre impreflion de fatigue (e). Il etoit fenfible a la gloire; mais il ne vouloit y par- venir qu’en la meritant. Jamais il n’a cherche a augmen- ter la fienne par ces manoeuvres fourdes, par ces voies obfcures & honteufes, qui deshonorenc la perfonne, fans ajouter au nom de l’auteur. Digne de routes les didindfr'ons & de routes les recorn- penfes, il nedemandoit rien, & nes’econnoirpoinc d’etre oublie : mais il a ofe, meme dans des circonllancesd£Ii- cates, proteger a la cour des hommes de lettres perfecu- tes, celebres & malheureux, & leur a obtenu des graces. Quoiqu’il vecut avec les grands, foit par neceflit6, foit par convenance, foit par gout, leur fociete n’^toic pas neceffaire a fon bonheur. Il fuyoit, des qu’il le pou- (e) L’auteur de la feuille ano- nyme & periodique, dont nous avons parte ci-deffus, pretend trouver une contradi&ion ma- nifefte, entre ce que nous di- fons ici, & ce que nous avons dit'un pen plus haut, que la (ante de M. de Montefquieu s’d-~ toit altbrde par Xeffet lent & pref/jue infaillible desttudes pro- fondes. Mais pourquoi, en rap- prochant les deux endroits, a- t-il fupprimd les mots, lent & prefquc infaillible, qu’il avoit fous les yeux ? C’eft evidein- ment parce qu’il a fenti qu’un effet lent n’eft pas moins reel, pour n’etre pas reflenti fur le champ; & que, par confequent, ces mots detruilbient l’apparence de la contradiction qu’on pre- tendoit t’aire remarquer. Telle eft la bonne foi de cet auteur dans des bagatelles, & i plus forte raifon dans des matieres plus ferieufes. Note tiriedeTa- vertiffement du jtxieme volume de. Pencyclopidie. BE M. DE MON TESQUIEU. XX lx yoit, a fa terre; il y recrouvoit, avec joie, fa philofo- phie, fes livres, & le repos. Entoure de gens de la campagne dans fes heures de loifir, apres avoir etudie rhomme dans le commerce du monde & dans l’biftoire des nations, il l’dtudioit encore dans ces ames fimples que la nacure feule a inftruites, & y trouvoit a appren- dre : il converfoit gaiement avec eux; il leur cherchoit de 1 ’efpric, comme Socrate; il paroiffoic fe plaire autant dans leur entretien que dans les focietes les plus brillati- tes, fur-tout quand il terminoit leurs differends, & fou- lageoit leurs peines par fes bienfaits. Rien n’honore plus fa memoire que l’economie avec laquelle il vivoit, & qu’on a ofe trouver exceflive, dans un monde avare & faftueux, peu fait pour en pdnetrer les motifs, & encore moins pour les fentir. Bienfaifant, & par confequent jufte, M. de Monrefquieu ne vouloit rien prendre fur fa famille , ni des fecours qu’il donnoit aux malheureux, ni des depenfes confi- ddrables auxquelles fes longs voyages, la foiblefle de fa vue, & 1’imprelfion de fes ouvrages, l’avoient oblige, Il a tranfmis a fes enfans, fans diminution ni augmen¬ tation , l’heritage qu’il avoit recu de fes peres; il n’y a rien ajoute que la gloire de fon nom & l’exemple de fa vie. Il avoit epoufe, en 1715, demoifelle Jeanne de Lar¬ tigue, fille de Pierre de Lartigue, lieutenant-colonel au regiment de Maulevrier : il en a eu deux filles, & un fils qui, par fon caraclere, fes mceurs & fes ouvrages, s’eft montre digne d’un tel pere. Ceux qui aiment la vdrite & la patrie ne feront pas faches de trouver ici quelques-unes de les maximes : il penfoit, Que ehaque portion de l’etat doit etre egalement foumife aux loix; mais que les privileges de ehaque portion de l’etat doivent etre refpeftes, lorfque leurs effets n’ont rien de contraire au droit naturel , qui oblige tous les citoyens a concourir dgalement au bien XXX £ L O G E public : que la pofleffion ancienne etoic, en ce genre, le premier des titres, & le plus inviolable des droits, qu’il etoic toujours injufte, & quelquefois dangereux de vouloir dbranler: Que les magiftrats , dans quelque circonftance & pour quelque grand interer de corps que ce puifledtre, ne doivent jamais etre que magiftrats, fans parti & fans paflion, comme les loix, qui abfolvent & punillent fans aimer ni hair. II difoit, enfin, h l’occafion des difputes eccl&iafti- ques qui one tant occupe les empereurs & les chrdtiens Grecs, que les querelles theologiques , lorfqu’elles celTent d’etre renfermees dans les ecoles, deshonorent infailliblement une nation aux yeux des autres: en ef- fet, le tnepris rheme des fages pour ces querelles ne la ju (title pas ; parce que les fages failant par-tout le moins de bruit & le plus petit nombre, ce n’eft jamais fur eux qu’une nation eft jugde (6). L’importance des ouvrages dont nous avons eu & parler dans cet dloge, nous en a fait paller fous filence de moins confiderables, qui fervoient a l’auteur comme de delaflement, & qui auroient fuffi pour l’eloge d’un autre. Le plus remarquable eft le Temple de Guide, qui fuivit d’alTez pres les Lettres Perfanes. M. de Montefquieu, apres avoir dte, dans celles-ci, Horace, Theophrafte & Lucien, fut Ovide & Anacreon dans ce nouvel eflai. Ce n’eft plus l’amour defpotique de rOrient qu’il fe propofe de peindre; e’eft la delicatefle & la nai’vetd de Famour • paftoral, tel qu’il eft dans une ante neuve que le commerce des hommes n’a point encore corrompue. L’auteur , craignant peuc* (6) II difoit qu’il y avoit tres- en auroit fait une refutation fui : peu de chofes vraies dans le li- vie, s’il ne lui avoit fallu le relire vre de l’abbe du Bos fur rit a- une troifieme ou une qtiatrieme blijjement de la monarchie Fran- fois; ce qu’il regardoit comme foije dans'ks Gaules, .& qu’il le plus grand des fupplices. de M. de Montesquieu. xxxj etre qu’un tableau fi Stranger a nos mceurs ne pardt trop languiflant & crop uniformed a cherchd a 1’ani- hier par les peintures les plus riantes. II rranlporte le leftetir dans des lieux enchants, dont, fi la veritd, le fpechcle interefie peu l’amant heureux, mais dont la defcription flatte encore rimaginadon, quand les defirs font latisfaits. Emporte par fon fujet, il a repandu, dans fa profe, ceftyle amnie, figure & podique, dont le roman de Telemaque a fourni parmi nous le pre¬ mier modele. Nous ignorons pourquoi quelques cen- feurs du Temple de Guide ont dit, a cette occafion, qu’il auroit eu befoin d’etre en vers. Le ftyle pod-ti- que, It on entend, comme on le doit, par ce mot, un ftyle plein de chaleur & d’iniages, n’a pas befoin, pour etre agreable, de la marche uniforme & cadencee de la verfifieadon : mais, fi on ne fait confifter ce ftyle que dans une diction chargde d’dpithetes oifives, dans les peintures froides & triviales des ailes & du carquois de l’Amour, & de femblables objets, la ver- fification n’ajoutera prefque aucun merite fi ces orne- mens ufes : on y cherchera toujours en vain fame & la vie. Quo! qu’il en foit, le Temple de Guide dtant une efpece de poeme en profe , c’eft fi nos ecrivains les plus celebres en ce genre a fixer le rang qu’il doit oc- cuper : il merite de pareils juges. Nous croyons, du moins, que les peintures de cet ouvrage fouciendroient avec fucees une des principales epreuves des defcrip- tions poetiques, celle de les reprelenter fur la toile. Mais ce qu’on doit fur-tout remarquer dans le Temple de Gnide, c’eft qu’Anacrdon meme y efi toujours ob- fervateur & philofophe. Dans le quacrieme chant, il paroit decrire les mceurs des Sibarites, & on s’apper- qoit aifement que ces mceurs font les notres. La pre¬ face porte fur-tout l’empreince de l’auteur.des Lettres Perfanes. En prdfentanc le Temple de Gnide comme la traduction d’un manuferit Grec, plaifanterie defi- XXXlj £LOGE DE M. DE MONTESQUIEU. guree depuis par tanc de rnauvais copiftes, il en prend occafion de peindre, d’un trait de plume, l’ineptie des critiques, & le pedantifme des tradudleurs, & finit par ces paroles dignes d’etre rapportdes:,, Si les gens graves. » deiiroient de moi quelque ouvrage moins frivole, je fuis » en etat de les fatisfaire. II y a trente ans que je travaille » a un livre de douze pages, qui doit contenir tout ce w que nous fcavons fur la metaphyfique, la politique & la » morale, & tout ce que de tres-grands auteurs ont oublie » dans les volumes qu’ils ont donnes fur ces fciences-la. “ Nous regardons comme une des plus honorables rd- compenfes de notre travail , l’interet particulier que M. de Montefquieu prenoit a I’encyciopedie, donttou- tes les reflources ont dte jufqu’a prefent dans le cou¬ rage & l’emulation de fes auteurs. Tous les gens de lettres, felon lui, devoient s’emprefler de concourir ii l’execution de cette entreprife utile, II en a donn£ 1’exemple, avec monfieur de Voltaire, & plufieurs au- tres ecrivains celebres. Peut-etre les traverfes que cec ouvrage a effuy^es, & qui lui rappelloient les fiennes propres, l’interelfoient-elles en notre faveur, Peut-etre etoit-il fenfible, fans s’en appercevoir, a la juftice que nous avions ofe lui rendre dans le premier volume de l’encyclopddie , lorfque perfonne n’ofoit encore elever fa voix pour le defendre. II nous dellinoit un article fur le Gout , qui a etd trouvd imparfaitdans fespapiers: nous le donnerons en cet etat au public , & nous le traiterons avec le meme refpeftque 1’antiquite tdmoigna autrefois pour les dernieres paroles deSdneque. Lamort l’a empeche d’etendre plus loin fes bienfaitsanotre dgard; &, en joignant nos propres regrets a ceux de l’Europe entiere, nous pourrions ecrire fur fon tombeau : Finis vit^ ejus nobis luctuosus , PATR1M TRISTIS , EXTRANEIS ETIAM IGNOTISQUE NON SINE CURA FUIT. Tacit, in Agrieol. c. 43 - XXX1JJ ANALYSE D E L’ESPRIT DES LOIX, Par M. d’Alembert, Pour fervir de fuite a PEloge de M. de Montesouieu. , II 5 Chap. XXI. De la clemence du prince , ibid. 1T 1 ■ — ....— L I VR E VII y Confluences des differens principes des trois gouver¬ nemens, par rapport aux loix lomptuaires, au luxe, & a la condition des femmes. Chap. I. Du luxe, x x -j Chap. II. Des loix fomptuaires , dans la demo¬ cratic > 119 Tome I. C Ixviij Chap. Ill, Chap. IV, Chap. V, Chap. VI. ChaP. VII. Chap. VIII. Chap. IX. 0 . ? •!'.«. ,\Y\~ s. ' Chap. X. Chap, XI. Chap. XII. Chap. XIII. Chap. XIV. Chap. XV. Chap. XVI. Chap. XVII, T A B L E Des loix fomptuaires , dans I’mJIocra• tie , 120 Des Loix fompmaire-s , dans les monar¬ chies , HI Dans quels cas les loix fomptuaires font utiles dans unt mdnarchie , 123 Du luxe,a la Chine, 124 Dai ale conflquenceduluxeala Chine, 12 De la continence publique, 126 De la condition des femmes , dans les divers gouvernemens , w Du- tribunal domefiique , che { les Ro¬ maics , 128 Comment les inflitutions changerent d Rome avec le gouvernement, 129 De la tutelle des femmes, che £ les Do¬ mains , 13 x Des peines itablies par les empereurs cone tre les debauches des femmes , ibid. Lpix- fomptuaires che% les Romains, 133 Des dots & des avantages nuptiaux , dans k$ diverfes cdnfiitutions , 134 Belle coutilme des Samnius , 135 De I'adminijlration des femmes , 136 -g .—.. , . -—ft. L I V R E VIII. De !a corruption desprincipes des trois gouvernemens. Chap. I. Chap. It. Chap. ill. Chap. IV, Chap. V, Idee generate de ce livre , 137 De la corruption du principe de la de- a. mocratie, ibid. De Cefprit d'egalite extreme, 140 . Caufe particuliere de la corruption du peuple , ibid. De la corruption du principe de farif- tocratie, 14 1 DES LIVRES ET CHAPITRES. lxix Chap. VI. De la corruption du principe de la mo¬ narchic , 142 Continuation du mi me fujet * 144 Danger de la corruption du principe dtt gouvernement monarchiquc , 145 Combien la nobleffe efi portee a defen - dre le tront, ■ ibid. De la corruption du. principe du gou¬ vernement defpotique, 146 Effets naturels de la bonti & de la cor¬ ruption des principes, ibid. Continuation du mime fujet, 148 Effet du ferment eke £ un peuple ver- tueux s 149 Comment le plus petit changement dans la conflitution entraine la ruine des principes , i^o Moyens tres-ejfcaces pour la conferva- lion des trois principes , 151 Proprietes difiinclives de la republique, 152 Proprietes diftinclives de la monarchic, 1 j Chap. XVIII. Qiie Id monarchic d’Efpagne etoit dans un cas pariicuU.tr , I <54 Chap. XIX. Proprietes dijUnciives du gouvernement defpotique , ibid. CHAP. XX. Confequence des chapitresprecldens', CHAP; XXI. De V empire de la Chine , ibid. L I FR E IX. Chap. VII. Chap. VIII. Chap. IX. Chap. X. Chap. XI. Chap. XII. Chap. XIII. Chap. XIV. Chap. XV. Chap. XVI. Chap. XVII. Des lolx, dans le rapport qu’elles ont avec la force defenfive. Chap. I. Comment les republiques pourvoient d leur furete , 159 Chap. II. Que la conflitution federative doit etre. compofee d’etats de mime nature , fur- tout d’etats republicains , 161 « ij Ixx Chap. 111. Chap. IV. Chap. V. Chap. VI. Chap. VII. Chap. VUL Chap. IX. Chap. X. TABLE Autres chofes requifes dans la.*republic que federative, 161 Cornmentles etats defpotiqu.es pourvoient a leur furete , i6i Comment la monarchic pourvoit a fa furete , 163 De la force defenfive des etats , en ge¬ neral , , 164 Reflexions, 165 Cas ou la force defenfive dun etat efl inferieure -a fa force oflenjive , 166 De la force relative des etats, ibid. De la foibleffe des etats voiflns, 167 L I VR E X. Des 1 oix, dans Ic rapport qu’elles ont avec la force offenfive. Chap. I. Chap. II. Chap. III. Chap. IV. Chap. V. Chap. VI. Chap. VII. Chap. VIII. Chap. IX. Chap. X. Chap. XL Chap. XII. Chap. XIII. Chap. XlV. Chap. XV. De la force ofl'enfive , 168 De la guerre , ibid. Du droit de conquete , 169 Quelques avantages du peupleconquis , 171 Gel ON , roi de Syracufe , 175 D'une repUllique qui conquiert, 174 Continuation du mime fujet , 175 Continuation du mime fujei, 176 D’une monarchic qui conquiert autour delk, ibid. D'une monarchic qui conquiert une au¬ tre monarchic , 177 Des tnceurs du peuple vaincu , 178 D'une loi de Cyrus , ibid. Charles XII , 179 Alexandre , 181 Nouveaux tnoyens de conferver la con - quite > . DES LIVRES ET CHAPITRES. lxxj CHAP. XVI. D'un etat defpotique qui conquiert , 186 Chap. XVII. Continuation du memo fujet , ibid. L I V R E XI. dans Ion Des loix qui forment la liberte politique rapport avec la conilitution. Idee generate , 188 Diverfes Jignijications donnees au mot de liberte , * ibid. Ce que cefi que la liberte , 18^ Continuation du mime fujet , 190 De Cobjet des etats divers , ibid. De la conftitution d' Angltterre , 191 Des monarchies que nous connoiffons, 204 Pourquoi les anciens navoient pas lino idee bien claire de la monarchic, ibid. Maniere de penfer cTArifiote , 206 Maniere de penfer des autres .politic ques , . ibid* Des rois des temps, heroiques , che? les Grecs , 207 Du gouvernement des■ rois de Rome, & comment les trois pouvoirs y furent difiribues , 208 Chap. 1/ Chap. II. Chap. III. Chap. IV. Chap. V. Chap. VI. Chap. VII. Chap. VIII. Chap. IX. Chap. X. Chap. XI. Chap. XII. Chap, Chap. XIII. XIV. Chap. XV. Chap. XVI. Chap. XVII. Reflexions generales fur that de Rome , apr'es Cexpulflon des rois , no Comment la distribution des trois pou¬ voirs commenga a changer, apres lex- pulfion des rois , - / • Comment , dans l'etat floriffant de la. republique, Rome perdit tout-a-coup fa liberte , 214 De la puijfance legiflative , dans la re¬ publique Romaine , 216 De la puijfance executrice , dans la, mime republique , • 117 « Xj Ixxij T A B L E Chap. XVIII. De la puiffance de juger, dans le gou- vernement de Rome , 2.19 CHAP. XIX. Du gouvernement des provinces romai- nes , 226 Chap. XX. Fin de ce livre , 229 LIVRE XII. Des loix qui forment la liberte politique , cbns fon rapport avec le citoyen. Chap. I. Ci-iap. II. Chap. III. Chap. IV. Chap. V. Chap. VI. Chap. VII. Chap. VIII. Chap. IX. Chap. X. Chap. XI. Chap. XII. Chap. XIII. Chap. XIV. Chap. XV. Chap. XVL Chap. XVII. Chap. XVIII. Idee de ce livre , 230 De la liberte dll citoyen , 231 Continuation du mime fujet , 232 Que la liberte efi favorifee par la nature des peines , & leur proportion , ibid. De certaines accufations qui ont parti- culierement befoin de moderation & de prudence , 23 3 Du crime contre nature, 237 Du crime de lefe-majefte , 238 De la mauvaife application du nom de crime defacrilege& de lefe-majefte, 239 Continuation du mime J'ujet , 241 Continuation du mime fujet , 242 Des penfees, ibid. Des paroles indiferetes , 243 Des ecrits , 243 Violation de la pudeur, dans la pu- hition des crimes , 246 De 1 affranchiffement de lcfclave , pour accufer le maitre , 247 Calomnie dans le crime de lefe-majefle, ibid. De la revelation des confpirations , 24S Combien il eft dangereux , dans les re¬ pub liques, de trop punir le crime de lefe-majefte, M9) DES LIVjK.ES ET jCHAPITRES. lxxiif CHAP. XIX. Comment on fufpend Cufagt de la li~ bcrte , dans la republique , 151 CHAP. XX. Des loix favorabhs d la lib.erte du ci+ toyen , dans la republique , 252. Chap. XXI. De la cruaute des loix envers Its debi •» . teurs , dans la republique , ibid. Chap. XXII. Des chofes qui attaquent la liberte , dans la monarchic , 2 5 f Chap. XXIII. Des efpions, dans la monarchic, ibid. Chap. XXIV. Des lcttrts anonymes , 256 Chap. XXV. De la manieK . de gouverner , dans la monarchic, 257 CHAP. XXVI. Que , dans La monarchic , le prince doit etre acce(jiblt, 2^ ■Chap. XXVII. Des moeurs du monarqut,. ibid. Chap. XXVIII. Des egards que Us monarqms doivent a leurs fujets , 259 Chap. XXIX. Des loix civiles , propres a mettre un peu de liberte dans le gouvernement defpotique, 260 CHAP. XXX. Continuation du mime fujet , 261 LITRE XIII. Des rapports que la levee des tributs & la grandeur des revenus publics ont avec la libertS. Chap. I. Chap. II. Chap. III. Chap. IV. Chap. V. Chap. VI. Chap, VII. Des revenus de Cetat> 2 6$ Que deft mal raifonner, de dire que let grandeur des tributs foie bonne par elle-merne, j.64 Des tributs, dans Its pays ou une par * tie du peuple eft efclave de la glebe ,2 6 $ D'une republique, en caspareil, ibid. D'une mcaarchie, en cas pareil, ibid. D'un etat defpotique, en cas pareil , 266 Des tributs, dans Us pays ou Cefclay age de la glebe deft point etabLi 267' e iy Ixxiv Chap. VIII. Chap. IX. Chap. X. Chap. XI. Chap. XII. Chap. XIII. Chap. XIV. Chap. XV. Chap. XVI. Chap. XVII. Chap. XVIII. Chap. XIX. Chap. XX. TABLE Comment on conferve I'lllujlon , D'une mauvaife forte cTimpot , 270 Que la grandeur des tributs depend de la nature du gouvernernent , ibid. Des peines fifcales, 271 Rapport de la grandeur des tributs avec la liberte, 272 Dans quels gouvernemens les tributs font fufceptibles d'augmentation , 275' Que la nature des tributs eft relative aic gouvernernent, 274 Abus de la liberte , 27^ Des conquetes des mahomctans , 276 De taugmentation des troupes , ibid. De la remife des tributs , 278 Qu eft-ce qui eft plus convenable au prince & au peuple, de la ferme , ou de la regie des tributs ? 279 Des traitans , 281 L I VR E XIV Des loix, dans le rapport qu’elles ont avec la nature du climat. Chap. I. Chap. II. Chap. III. Chap. IV. Chap. V. Chap. VI. Idee generate , 282 Combien les hommes font different dans les divers climats , ibid. Contradictions dans les caracleres de cer¬ tains peuples du midi , 2H6 Caufe de Cimmutabilite de la religion , des mceurs, des manieres , des loix dans les pays d!Orient, 287 Que les mauvais legiftateurs font ceux qui ont favorife les vices du climat , & les bonsfont ceux qui s’y font oppofes, 288 De la culture des terns dans Us climats chauds , 289. DES LIVR.ES ET CHAPITR.ES. ixxv CHAP. VII. Du monachifmt, 189 Chap. VIII. Bonne coutumt de la Chine , 2.90 CHAP. IX. Moyens cPencourager Pinduflrie , ibid. CHAP. X. Des loix qui ont rapport a la fobriete des peuples , 291 CHAP. XI. Des loix qui ont du rapport aux ma¬ ladies du climat , 295 CHAP. XII. Des loix contrt ceux qui fe tuent eux- memes , 295 Chap. XIII. Effets qui refultent du dimat d'Angle- terre, 296 CHAP. XIV. Autres effets du climat , 297 CHAP. XV. De la differente confiance que les loix ont dans le peuple , felon les cli- mats , 298 L 1VR E XV Comment les loix de Pefclavage civil ont du rapport avec la nature du climat. CHAP. I. De I'efclavage civil, 300 CHAP. II. Origine du droit de Pefclavage , cb.e\ les jurifconfultes Romains , 301 CHAP. III. Autre origine du droit de Pefclavage, 303 CHAP. IV. Autre origine du droit de Pefclavage, ibid. CHAP. V. De Pefclavage des Negres, 304 Chap. VI. Veritable origine du droit de Pefclava- P e > . 3 °? Chap. VII. Autre origine de Pefclavage, 306 Chap. VHf. Inutilite de Pefclavage parmi nous , 307 CHAP. IX. Des nations che{ lefquelles la liberte ci¬ vile eft generalemsnt etablie , 308 CHAP. X. Diverfes efpeces d'eflavage, 309 CHAP. XI. Ce que les loix doivent Jaire par rap¬ port a Pefclavage , 310 CHAP. XII, Abus de Pefclavage, ibid. Ixxvj TABLE " CHAP. XIII. Danger du grand nombre <£efclaves, 311 CHAP. XIV. Des efclaves armes, 312 CHAP. XV. Continuation du rneme fujet , 313 Chap. XVI. Precautions a prendre dans le gouver- nement modere , 314 CHAP. XVII. Reglemens a faire entre le maure & les efclaves , 316 CHAP. XVIII. Des affranchiffemens , 31 & Chap. XIX. Des ajfranchis & des eunuques. 320 L I VR E XVI. Comment les loix de 1’efclavage domeflique ont du rapport avec la nature du climat. Chap. I. Chap. II. Chap. III. Chap. IV. Chap. V. Chap. VI. Chap. VII. Chap. VIII. Chap. IX. Chaja % Chap. XI. Chap. XII. Chaia XIII. Ciiap. xiy. De la fervitude domeflique , 322 Que , dans les pays du midi , il y a, dans Les deux fexes , une inegalite naturelle, ibid. Que la pluralite des femmes depend beau- coup de leur entretien , 324 De la polygamie. Ses diverfes circonf- tances, 323 Raifon dime loi du Malabar , 326 De la polygamie en elle-mime , ibid. De Cegalite du traitement , dans le cas de la pluralite des femmes , 3 28 De la feparation des femmes d''avec les hpmmes, ibid.. Liaifon du gouvtrnement domeflique avec le politique, 329 Principe de la morale de 1 Orient , 330 De la fervitude domeflique , indepen- dante de la polygamie, 332 De la pudeur naturelle , 333 De la jaloufie , ibid. Du gouverntment de la maifon , en Orient , 3 34 DES LIVRES ET CI-IAPITRES. ixxvij CH AP. XV. Du divorce & dt La repudiation, 334 CHAP. XVI. Dt La repudiation & du divorce , che% les Romains , 336 L IVR E XVII. Comment les loix de la fervitude politique one du rapport avec la nature du climat. Chap. I. Chap. II. Chap. III. Chap. IV. Chap. V. Chap. VI. Chap. VII. Chap. VIII. De La fervitude politique , 339 Difference des peuples , par rapport au courage, ibid. Du dim at de [Afie, 340 Confluence de ceci, 343 Que , quand Les peuples du Nord de l A fie & ceux du Nord de [Europe ont conquis, Les ejfets de la conquete netoient pas les memes , 344 Nouvelle caufe phyfique de la fervitude de [Afie , & de La liberte de CEu¬ rope , 346 De L'Afrique & de tAmerique , 347 De la capitalt de £Empire , ibid. L IVR E XVIII. Des loix, dans le rapport qu’elles ont avec la nature du terrein.. CHAP. I. Comment la nature du terrein influe fur les, loix , * 348 CHAP. II. Continuation du mime fujtt , 349 Chap. III.. Quels font les pays les plus cultives ,3^0 Chap. IV. Nouveaux effets de la fertilite & de la fierilite du pays , 354 Chap. V. Chap. VI. Chap. VII. Chap. VHf. Chap. IX. Chap. X. Chap. XI. Chap. XII. Chap. XIII. Chap. XIV. Chap. XV. Chap. XVI. Chap. XVII. Chap. XVIII. Chap. XIX. Chap. XX. Chap. XXL Chap. XXII. Chap. XXIII. Chap. XXIV. Chap. XXV. Chap. XXVI. Chap. XXV II. Chap. XXVili Chap. XXIX. TABLE Des ptuples des ifles , 2^1 Des pays formes par tinduflrie des hom¬ mes y 332 Des ouvrages des hommes , 353 Rapport general des loix , ibid. Du terrein de CAmerique , 334 Du nombre des hommes , dans le rap¬ port avec la manure dont ils fe pro- curent la fubfftance , ibid. Des peuples fauvages , & des peuples barb ares , 333 Du droit des gens , che £ les peuples qui ne cultivent point les terns , 356 Des loix civiles , che? les peuples qui ne cultivent point les terns , ibid. De tetat politique des peuples qui ne cul¬ tivent point les terns , 3 57 Des peuples qui connoijfent tufage de la monnoie , ibid. Des loix civiles , cheq les peuples qui ne connoijfent point tufage de la mon¬ noie , 358 Des loix politiques , cheq les peuples qui dont point tufage de la monnoie , 359 Force de la fuperflition , ibid. De la liberte des Arabes , & de la fer- vitude des Tar tares , 360 Du droit des gens des Tartares , 361 Loi civile des Tartares , 3 6 z D'une loi civile (tun peuple Germain , 363 De la Ion true chevelure des rois Francs . 369 Des manages des rois Francs , 370 Child eric, ibid. De la majorite des rois Francs, 37£ Continuation du merrie fujeu, 373- .De l'adoption, che { les Germains, 374 Efprit fanguinairt des rois Francs, ibid. DES LIVRES ET GHAPITRES. Ixxix Chap. XXX. , Des affernblces de La. nation, chei les Francs , A 375 Chap. XXXI. Dc I autorite du clergedans la pre¬ miere race , 376 LI VR E XIX. Des loix, dans le rapport qu’elles one avec les prin- cipes qui forment l’efprit general, les mceurs & les manieres d’une nation. Chap. I. Chap. II. Chap. III. Chap. IV. Chap. V. Chap. VI. Chap. VII. Chap. VIII. Chap. IX. Chap. X. Chap. XI. Chap. XII. Chap. XIII. Chap. XIV. Chap. XV. Chap. XVI, Du fujet de ce livre, 378 Combien , pour les meilUurts loix , U eft ntctffaire que les efprits foient prepa¬ res , ibid. De la tyrannie , 379 Ce que deft, que Cefprit general , 380 Combien ilfatit etre attend} a nepoint chart, ger Cefprit general dune nation, 381 . Qiiil nt . faut pas lout corriger , ibid. Des Athenitns &• des Lacedemoniens , 382. Effets de Bitumeur fociable , ibid* Delavanite&dePorgucildes nations, 383 Du caractere des Efpagnols , 6- de celui des Chinois , 38^ Reflexion, 38? Des manieres & des mceurs, dans that defpodque, 386 Des manieresche^ les Chinois , 387 Quels font les moyens naturels de chan¬ ger les mceurs & les manieres dune nation , ibid. Influence du gouvernement domeftique fur le politique , 389 Comment quelques legflateurs ont con- fondu les principes qui gowyernent les homines, . . ibid. lxxx TABLE CHAP. XVII. Propriete particuHere au gouvtrnemem de la Chine. Chap. XVIII. Chap. XIX. 39 1 Chap. XX. Chap. XXI. Chap. XXII. Chap. XXIII. Chap. XXIV. Chap. XXV. Chap. XXVI. Chap. XXVII. Confequence du chapitre precedent , 39Z Comment s'efifaite cette union de la re¬ ligion , des loix , des mxurs & des manieres , che { Its Chinois , 393 Explication dun paradoxe fur les Chi- nois , 394 Comment les loix doivent etre relatives aux mxurs & aux manieres , 395 Continuation du nleme fujet, 396 Comment les loix fuivent les mxurs, ibid. Continuation du mime fujet, 397 Continuation du mime fujet, 398 Continuation du mithe J'ujet -, 399 Comment les loix peuvent contribuer d former les mxurs , les manieres & le caraclere d’une nation , ibid. L I VR E XX. Des loix , dans le rapport qu’elles ont avec le com¬ merce, confidere dans la nature & fes diitinctions. Chap. I. Du commerce , 410 Chap. II. De Cefprit du commerce, - 411 Chap. III. De la paiivrete des ptuples , 412 Chap. IV. Du commerce dans les divers gouverne- niens, ibid. Chap, v. Des peuples qui ont fait le commerce deconomic , 414 Chap. VI. Quelques effets d'ttnt grande navigation , 4*5 CHAP. VII. Efprit de V Angleterre , fur le commer¬ ce , 416 Chap. VIII. Comment on a gent quelquefois le com¬ merce d economic, ibid, DES LIVRES ET CHAPITRES. Ixxxj Chap. IX. De texclufion , tn fait dc commerce, 417 Chap. X. , Etablijfement propre au commerce d'eco- nomie , 418 Chap. XI. Continuation du mane fujet, 419 Chap. XII. De la hberte du commerce, ibid. Chap. XIII. Ce qui detruit cette hberte, 420 Chap. XIV. Des loix du commerce qui emportent la confifcation des marchandifes , 42 r Chap. XV. De la contrainte par corps , ibid. Chap. XVI. Belle lot, 421 Chap. XVII. Lot de Rhodes , Chap. XVIII. Des juges pour le commerce , Chap. XIX. Que le prince ne doit point faire It commerce, 424 Chap. XX. Continuation du meme fujet , 41 3 Chap. XXI. Du commerce dt la noblejfe, dans la monarchic, ibid. Chap. XXII. Reflexion particuliere, 426 Chap. XXIII. A quelles nations il efl defavantageux de faire le commerce , 427 A 2 ) ibid. LITRE XXL Des loix, dans le rapport qu’elles one avec ie com¬ merce , confidere dans les revolutions qu’il a etfes dans le monde. Chap. I. Chap. II. Chap. HI* Chap. IV. Chap. V. Chap. VI. Chap. VII. Qttelques confederations generates , 430 Des ptuples dAfrique , 4; t Que les befoins des peuples du Midi font dijferens de ceux des peuples du Nord, ibid. Principale difference du commerce des an- cicns , d'avec celui daujourdhui, 432 Autres differences, 435 Du commerce des anciens , 434 Du commerce des Grecs , 440 Ixxxij TABLE Chap. VIII. Chaf. IX. Chap. X. Chap. XI. Chap. XII. Chap. XIII. Chap. XIV. Chap. XV. Chap. XVI. Chap. XVII. Chap. XVIII. Chap. XIX. Chap. XX. Chap. XXI. Chap. XXII. Chap. XXIII. DES LIVRES ET CHAPITRES. 445 apres 447 452 456 461 D'Alexandre. Sa conquetc , Du commerce des rois Grecs Alexandre , Du tour de PAfrique , Carthage & Marfeille, Ifle de Delos. Mithridate , Du genie des Romains pour la marine , 463 Du genie des Romains pour le com¬ merce , 464 Commerce des Romains avec les Bar~ hares , 465 Du commerce des Romains avec PA- rabie & les lndes , 466 Du commerce , apres la definition des Romains en Occident , 470 Riglernent particular , 471 Du commerce , depuis taffoiblijjement des Romains en Orient, 472 Comment le commerce fe fit jour en Eu¬ rope , a travers la barharie , ibid. Decouverte de deux nouveaux mondes : etat de PEurope a cet egard , Ajf Des richejfes que PEfpagrie tira de PA- merique , 479 Prohlettle, 4^4 Fin de la table des livres & chapitres du premier volume. (EUVRES RE PRE M IE R. rapport qu'elles ont avec les divers $tres> L E S L o IX, dans 3a fignification la plus efendue, font Jes rapports neceffaires qui derivent de la nature des cho* fes; &, dans ce fens, tous les etres ont leurs loix i Tome I, A 2 D E l'e s P R I T DES L 0 I X, la diyinite (a) a fes loix, le monde materiel a fes loix, les intelligences fuperieures a l’homme ont leurs loix, les betes ont leurs loix, 1’homme a fes loix. Ceux qui ont dit qnune fatalite aveugle a produit tous les ejfets qut nous voyons dans le monde , ont dit une grande ablurelite; car quelle plus grande abfurdite qu’une fatalite aveugle qui auroit produit des etres intelligens? II y a done une raifon primitive; Ik les loix font les rapports qui fe trouvent entre elle & les differens dtres, & les rapports de ces divers dtres entre eux. Dieu a du rapport avec l’univers , comme createur & comme confervateur; les loix felon lefquelles il a cree, font celles felon lefquelles il conferve : il agit fe¬ lon ces regies, parce qu’il les connoit; il les connoit, parce qu’il les a faites ; il les a faites , parce qu’elles ont du rapport avec fa fageffe & fa guidance. Comme nous voyons que le monde, forme par le mouvement de la matiere, & prive d’intelligence , fub- fifte toujours, il faut que fes mouvements aient des loix invariables; &, fi i’on pouvoit imaginer un autre monde que celui-ci, il auroit des regies conftantes , ou il feroit detruit. Ainfi la creation, qui paroit etre un acte arbitraire , fuppofe des regies auffi invariables que la fatalite des athees. Il feroit abfurde de dire que le createur, fans ces regies , pourroit gouverner le monde , puifque le monde ne fubfifteroit pas fans elles. Ces regies font un rapport conftamment etabli. En¬ tre un corps mu & un autre corps mu, c’eft fuivant les rapports de la made & de la vitefle que tous les mouvements font requs, augmentes, diminues, perdus; chaque diverlite eft uniformite, chaque changement eft conflance. Les etres particuliers intelligens peuvent avoir des loix qu’ils ont faites; mais ils en ont auffi qu’ils n’ont pas (a) La lot, dit Plutarque, eft la reine de tous mortels & tm- wort els. Au traite, Qu'il eft requis qu'uii prince fait [guv ant. L i r r e I , Chap it re I. 3 faites. Avant qu’il y eut des etres intelligens, ils etoient poffibles; ils avoient done des rapports poffibles , & par confequent des loix poffibles. Avant qu’il y eut des loix faites, il y avoit des rapports de juffice poffibles. Dire qu’il n’y a rien de jufte ni d’injufte que ce qu’or- donnent ou defendant les loix pofitives , e’eft dire, qu’avant qu’on eut trace de cercle, tous les rayons n’e- toient pas egaux. Il faut done avouer des rapports d’equite anterieurs a la loi pofitive qui les etablit : comme , par exemple, que, fuppofe qu’il y eut des focietes d’hoinmes, il fe- roit jufte de fe conformer a leurs loix, que s’il y avoit des etres intelligens qui euffent requ quelque bienfait d’un autre etre, ils devroient en avoir de la reconnoif- fance; que ft un etre intelligent avoit cree un etre in¬ telligent, le cre'e devroit refter dans la dependance qu’il a eue de foil origine; qu’un etre intelligent qui a fait du mal a un etre intelligent, merite de recevoir le meme mal; & ainfi du refte. Mais il s’en faut bien que Ie monde intelligent foit auffi bien gouverne que le monde phyfique. Car, quoi- que celui-la ait auffi des loix qui par leur nature font invariables , il ne les fuit pas conftamment comme le monde phyfique fuit les fiennes. La raifon en eft, que les etres particuliers intelligens font bornes par leur na¬ ture , & par confequent fujets a l’erreur; Ik , d’un autre cote, il eft de leur nature qu’ils agiffent par eux-memes. Ils ne fuivent done pas conftamment leurs loix primiti¬ ves; & celles meines qu’ils fe donnent, ils ne les fui¬ vent pas toujours. On ne fqait ft les betes font gouvernees par les loix ge¬ nerates du mouvement, ou par une motion particuliere. Quoi qu’il en foit, elles n’ont point avec Dieu de rapport plus intime que le refte du monde materiel; & le fentiment ne leur fert que dans le rapport qu’elles ont entr’elles, on avec d’autres etres particuliers, ouavec elles-memes. Par l’attrait du plaifir, elles confervent leur dtre par* ticulier; & par le meme attrait, elles confervent l^ur elpece. Elles ont.des loix naturelles, parce qu’elles £onr A ij 4 D E l' e sprit d e S t 0 I X, unies par le fentiment; dies n’ont point des loix po- fitives, parce qu’elles ne font point unies par la con- noiftance. Elies ne fuivent pourtant pas invariablement leurs ioix naturelles : les plantes, en qui nous ne re- marguons ni connoiffance, ni fentiment, les fuivent mieux. Les betes n’ont point les fupremes avantages que nous avons; dies en ont que nous navons pas. Elies n’ont point nos efperauces, rnais dies n’ont pas nos crain- tes; dies fubiffent comine nous la mort, mats c’eft fans la connoitre ; la plupart mdme fe confervent mieux que nous, St ne font pas un aufli mauvais ufage de leurs paflions. L’homme , comme etre phyfique , eft, ainfi que les autres corps, gouverne par des loix invariables: comme etre intelligent, il viole fans celle les loix que Dieu a etablies, Sc change celles qu’il etablit lui-meme. II faut qu’il fe conduife; & cependant il eft un etre borne; il eft fujet a l’ignorance & a 1’erreur, comme toutes les intelligences finies; les foibles connoiftances qu’il a, il les perd encore : comme creature lenfible, il devient fujet a mille paffions. Un tel etre pouvoit a tous les inf tans oublier fon createur •, Dieu 1’a rappelle a lui pair les loix de la religion : un tel etre pouvoit a tous les inftans s’oublier lui-meme; les philofophes l’ont averti par les loix de la morale. Fait pour vivre dans la fo- ciete , il y pouvoit oublier les autres; les legiflateurs 1’ont rendu a fes devoirs par les loix politiques & civiles. ■C '— . - - . .. L '~ .. a. CHAPITRE II. Des loix de la nature . A^VANt toutes ces loix, font celles de la nature; ainfi nominees, parce qu’elles derivent uniquement de la conftitution de notre dtre. Pour les connoitre bien, ili&ut conliderer un hoinme avant retabliftement des fo- L 1 y R E I , C II A P I T R E II. 5 cietes. Les loix de la nature feront celles qu’il reCevroit dans un etat pared. Cette loi qui, en imprimant dans nous-memes l’i- dee d’un createur, nous porte vers lui , eft Ja pre¬ miere des loix naturelles , par ion importance, & non pas dans l’ordre de ces loix. L’homme dans l’etat de nature auroit plutot la faculte de copnoitre , qu’il n’au- roit des connoiflances. 11 eft clair que fes premieres idees ne feroient point des idees fpeculatives : il fongeroit a la confervation de fon etre, avant de chercher l’ori- gine de fon dtre. Un homme pared ne fentiroit d’a¬ bord que fa foiblefle; fa timidite feroit extreme : & ft i’on avoit la-deffus befoin de 1’experience , l’on a trouve dans les forets des hojnmes fauvages (a); tout les fait trembler , tout les fait fuir. Dans cet etat, chacun fe Cent inferieur; a peine cha- cun fe fent-il egal. On ne chercheroit done point a s’attaquer, & la paix feroit la premiere loi naturelle. Le deftr que Hobbes donne d’abord aux hommes , de fe fu bjttguer les uns les autres, n’eft pas raifonnable. L’idee de l’empire & de la domination eft ft compo- fee , & depend de tant d’autres idees, que ce ne feroit pas cede qu il auroit d’abord. Hobbes demande pourquoi , ji les hommes ne fortt pas naturdltment en etat de guerre , ils vont toujours ar- mes ? & pourquoi ils ont des clefs pour fermer leurs mai- fons ? Mais on ne fent pas que l’on attribue aux hom¬ ines, avant l’etabliftement des focietes, ce qui ne peut Ieur arriver qu’apres cet etabliffement, qui leur fait trou- ver des motifs pour s’attaquet & pour fe defendre. Au fentiment de fa foibleffe , l’homme joindroit le fentiment de fes betbins. Ainfi une antre loi naturelle feroit celle qui lui infpireroit de chercher a fe nourrir. J’ai dit que la crainte porteroit les hommes a fe fuir: mais les marques d’une crainte reciproque les engage- fa) Temoin le fauvage qui flit trouve dans les forets de Ha- Hover, & que Ton vie en Angleterre fous le regne de Georges /. A iij 6 De l'e SPRIT I) e s LOIX, roient bientot a s’approcher. D’ailleurs, ils y feroient portes par Je plaifir qu’un animal Tent a 1’approche d’un animal de /’on efpece. De plus, ce charme que les deux /exes s’infpirent par leur difference , augmenteroit ce plai/ir; & la priere naturelle qu’ils fe font toujours l’un a 1’autre, feroit une troifieme loi. Outre le fentiment que les homines ont d’abord, ils parviennent encore a avoir des connoiflances; ainfi ils ont un fecond lien que les autres animaux n’ont pas. Ils ont done un nouveau motif de s’unir; &t le defir de vivre en fociete eft une quatrieme loi naturelle. ■g ■ - - - ---. „ . - CHAPITRE III. Des loix pofitives. Sl-ToT que les hommes font en fociete , ils perdent le /entiment de leur foible/Te; 1 egalite qui etoit en- tr’eux cede, & 1’etat de guerre commence. Chaque fociete particuliere vient a fentir fa force ; ce qui produit un etat de guerre de nation a nation. Les particuliers dans chaque fociete commencent a fen¬ tir leur force , ils cherchent a tourner en leur t'aveur les principaux avantages de cette fociete, ce qui fait eri- tr’eux un etat de guerre. Ces deux fortes d’etat de guerre font etablir les loix parmi les homines. Confideres comme habitans d’une ft grande pianette, qu’il eft neceffaire qu’il y ait diffe- rens peuples, ils ont des loix dans le rapport que ces peuples ont entr’eux; & e’eft le droit des gens. Confideres comme vivant dans une fociete qui doit etre maintenue, ils ont des loix dans le rapport qu’ont ceux qui gouvernent avec ceux qui font gouvernes; & e’eft le DROIT POLITIQUE. Ils en ont encore dans le rapport que tous les citoyens ont entr’eux ; & e’eft le droit civil. Le droit des gens eft naturellement fonde fur ce prin- L i v u e /, Chapitre III. 7 cipe , que les diverfes nations doivent fe faire dans la paix le plus de bien , St dans la guerre le morns de mal qu’il eft pofiible , fans mure a leurs veritables interets. L’objet de la guerre , c’eft la vicftoire; celui de la viftoire, la conqudte ; celui de la conqudte, la con- fervation. De ce principe &t du precedent doivent de- river toutes les loix qui forment le droit des gens. Toutes les nations ont un droit des gens; St les Iro¬ quois memes , qui mangent leurs prifonniers, en ont un. Us envoient &t reqoivent des ambaffades; ils con- noiflent des droits de la guerre St de la paix : le mal eft que ce droit des gens n’eft pas fonde fur les vrais principes. Outre le droit des gens qui regarde toutes les focie- tes, il y a un droit politique pour chacune. Une lo- ciete ne fauroit fubfifter fans un gouvernement. La reu¬ nion de toutes les forces particulieres , dit tres-bien Gra- vina, forme ce qu’on appelle Let AT POLITIQUE. La force generale peut etre placee entre les mains d 'un feul , ou entre les mains de plufieurs. Quelques-uns ont penle que la nature ayant etabli le pouvoir pater- nel, le gouvernement d’un feul etoit le plus conforms a la nature. Mais l’exemple du pouvoir paternelne prouve rien. Car li le pouvoir du pere a du rapport au gou¬ vernement d’un feul, aprbs la mort du pere , le pou¬ voir des freres, ou aprbs la mort des freres, celui des coufins-germains, ont du rapport au gouvernement de plufieurs. La puiflance politique comprend neceffaire- naent l’union de plufieurs families. II vaut mieux dire que le gouvernement le plus con- forme a la nature, eft celui dont la dilpofition parti- culiere fe rapporte mieux a la dilpofition du peuple pour lequel il eft etabli. Les forces particulieres ne peuvent fe reunir, fans que toutes les volontes fe reuniflent. La reunion de ces yolontes , dit encore tres-bien Gravina, efi ce quon ap¬ pelle , Vetat civil. La loi , en general, eft la raifon humaine , en tant A iv 8 D E l'e SPRIT D E S L 0 I X, qu’elle gouverne tous les peuples de la terre; & les loix politiques& civiles dechaque nation, ne doivent dtreque les cas particuliers ou s’applique cette raifon humaine. Elies doivent dtre tellement propres au peuple pour lequel elles font faites, que c’eft un tres-grand hafard fi cedes dune nation p.euvent convenir a une autre, II faut qu’elles fe rapportent a la nature & au prin- cipe du gouvernement qui eft etabli, ou qu’on veut eta- blir; foit qu’elles le forment, comme fonr les loix po- litiques; foit qu’elles le maintiennent, comme font les loix civiles. Elies doivent dtre relatives au phyjique du pays, au climat glace, brulant ou tempere; a la qualite du ter- rein, a fa fituation, a fa grandeur; au genre de vie des peuples, laboureurs, chafleurs, ou pafteurs : elles doi¬ vent fe rapporter au degre de liberte, que la conftitu- tion peut fouffrir; a la religion des habitans, a leurs inclinations, a leurs richeffes, a leur nombre, a leur commerce , a leurs mceurs , a leurs manieres. Enfin , elles ont des rapports entr’elles; elles en ont avec leur origine, avec 1’objet du legillateur, avec l’ordre des cho- fes fur lefquelles elles font etablies. C’eft dans toutes ces vues qu’il faut les confiderer. C’eft ce que j’entreprends de faire dans cet ouvrage. 3’examinerai tous ces rapports : ils forment tous enfern- ble ce que l’on appelle 1’esprit des loix. Je n’ai point fepare les loix politiques des civiles : car comme je ne traite point des loix, mais de l’efprit des loix; & que cet efprit confifte dans les divers rapports que les loix peuvent avoir avec diverfes chofes; j’ai du moins fuivre l’ordre naturel des loix, que celui de ces rapports & de ces chofes. J’examinerai d’abord les rapports que les loix ont avec la nature & avec le principe de chaque gouvernement; & comme ce principe a fur les loix une fupreme in¬ fluence , je m’attacherai a le bien connoitre ; & fi je puis une fois I’etablir , on en verra couler les loix com¬ me de leur fource. Je paflerai enfuite aux autres rap¬ ports , qui femblent etre plus particuliers. L l r R E II, Cu A PITRE I. 9 LIVRE II. JDes loix qui derivent direciement de la nature du gouvernement. CHAPITRE PREMIER. De la nature des trois divers gouvernemens. X L y a trois efpeces de gouvernemens; le REP UE Ll- CAIN, le MONARCHIQUE, & le DESPOTI- QU£. Four en decouvrir la nature, il fuffit de l’idee qu’en ont les hommes les moins in/lruits. Je (uppofe trois definitions, ou plutot trois fairs : Pun que le gou¬ vernement republicain eft celui ou. le peuple en corps , cufeulement une partie du peuple , a la J'ouveraine puif- fance ; le monarchique , celui oil un feul gouverne , mais par des Loix fixes & etablies : au lieu que , dans le defi- potiaue , un feul , fans loi & fans regie , entraine tout par fa volonte & par fes caprices. Voila ce que j’appelle la nature de chaque gouver¬ nement. 11 faut voir quelles font les loix qui (invent di- re&ement de cette nature, & qui par confequent font les premieres loix fondamentales. <1 , - — _ - y. CHAPITRE II. Du gouvernement republicain , <2? des Loix relatives a la ddmocratie. XjORSQUE, dans la republique, le peuple en corps a la fouveraine puiffance, c’eA une democratic. Lorfque lo T> B l'e SPRIT EES LO/X> la fouveraine puifiance eft entre les mains d’une par- tie du peuple, cela s’appelle une ariflocratie. Le peuple , dans la democratic , eft a certains egards le monarque; a certains autres, il eft le fujet. II ne peut dtre monarque que par fes fuffrages, qui font fes volontes. La volonte du fouverain eft le fou- verain lui-meme. Les loix qui etabliffent le droit de fuf- frage, font done fondamentales dans ce gouvernemenr. En effet, il eft auffi important d’y regler comment, par qui, a qui, fur quoi, les fuffrages doivent etre don- nes, qu’il l’eft dans une monarchic de favoir quel eft le monarque , & de quelle maniere il doit gouverner. Libanius ( s’ils venoient a la perdre, ils feroient un des peuples les plus efclaves de la terre. M. Law, par une ignorance egale de la conftitution republicaine & de la monarchique , fut un des plus grands promoteurs du defpotifme que Ton eut encore vu en Europe. Outre les changemens qu’il fit fi bruf- ques, fi inufites, fi inouis, il vouloit oter les rangs in- termediaires , 6c aneantir les corps politiques : il dif- folvoit ( CHAPITRE III. Du principe de la democratic. Il ne faut pas beau coup de probite, pour qu’un gou¬ vernement monarchique , ou un gouvernement defpo- tique, fe maintiennent ou fe foutiennent. La force des loix dans 1’un , le bras du prince toujours leve dans l’autre , reglent ou contiennent tout. Mais, dans un etat popuJaire , il faut un reffort de plus , qui eft la vertu. Ce que je dis eft confirme par le corps entier de l’hiftoire, Ik eft tres-conforme a la nature des chofes. Car il eft clair que , dans une monarchic , oil celui qui fait executer les loix fe juge au-deffus des loix, a befoin de moins de vertu que dans un gouvernement populaire , ou celui qui fait executer les loix, fent qu’il y eft foumis lui-mdme, & qu’il en portera le poids. Il eft clair encore que le inonarque qui, par mau- vais confeil ou par negligence, cefle de faire executer les loix, peut aifement reparer le mal; il n’a qua chan¬ ger de confeil, ou fe corriger de cette negligence meme. Mais lorfque , dans un gouvernement populaire, les loix ont cefle d’etre executees, comme cela ne peut venir que de la corruption de la repnblique, I ’etat eft deja perdu. Ce fur un affez beau fpe&acle dans le fiecle paffe , de voir les efforts impuiftans des Anglois pour etablir parmi eux la democratic. Comme ceux qui avoient part aux affaires n’avoient point de vertu, que leur ambition B iv 24 De l'e sprit des loix, etoit irritee par le fuccCs de celui qui avoit Ie plus ofe ( CHAPITRE II. De Veducation dans les monarchies. C^e n’eft point dans les maifons publiques 011 Ton inf- truit 1’enfance, que l’on reqoit dans les monarchies la principale education ; e’eft lorfque l’on entre dans le monde, que l’education , en quelque fa^on, commence. La eft i’ecole de ce que l’on appelle honneur, ce maitre univerfel qui doit par-tout nous conduire. C’eft la que 1’on Yoit , & que Ton entend toujours C ij 3 6 Be l'e sprit t> e s loix, dire trois chofes: qu 'il faut mettre dans Us vtrtus , unt certaine nobkjfe ; dans les moeurs , unt certaine fran- chife; dans Us mani&res , une certaine polite ffe. Les vertus qu’on nous y montre, font toujours moins ce que Ton doit aux autres, que ce que Ton fe doit a foi-meme : elles ne font pas tant ce qui nous appelle vers nos concitoyens, que ce qui nous en diftingue. On n’y juge pas les aftions des hommes corame bon¬ nes , mais comme belles; corame juftes, mais corame grandes ; comme raifonnables, mais comme extraor- dinaires. Des que l’honneur y peut trouver quelque chofe de noble; il eft ou le juge qui les rend legitimes , ou le fophifte qui les juftifie. Il permet la galanterie , lorfqu’elle eft unie a 1’idee des fentimens du cceur, ou a l’idee de conquete : 8c c’eft la vraie raifon pour laquelle les moeurs ne font ja¬ mais ft pures dans les monarchies, que dans les gou- verneinens republicains. Il permet la rufe, lorfqu’elle eft jointe a l’idee de la grandeur de l’efprit, ou de la grandeur des affaires ; comme dans la politique, dont les finefies ne l’offen- fent pas. Il ne defend Tadulation que lorfqu’elle eft fepatee de l’idee d’une grande fortune, 8c n’eft jointe qu’au fen- timent de fa propre bafleffe. A l’egard des moeurs, j’ai dit que l’education des mo¬ narchies doit y mettre une certaine franchife. On y veut done de la verite dans les difeours. Mais eft-ce par amour pour elle ? point du tout. On la veut, parce qu’un homme qui eft accoutume a la dire, paroit etre hardi 8c libre. En effet, un tel homme femble ne de- pendre que des chofes , 8c non pas de la maniere dont un autre les recoit. C’eft ce qui fait qu’autant qu’on y recommande cette efpece de franchife , autant on y meprife celle du peu- ple , qui n’a que la verite 8c la ftmplicite pour objet. Enfin, 1’education dans les monarchies exige, dans les manieres, une certaine politeffe. Les hommes, nes L i v r e IV , Chapitre IL 37 pour vivre enfemble, font nes aufli pour fe plaire; & ce- lui qui n’obferveroit pas les bienfeances, choquant tous ceux avec qui il vivroit, fe decrediteroit au point qu’il deviendroit incapable de faire aucun bien. Mais ce n’eft pas d’une fource fi pure que la, poli- teffe a coutume de tirer fon origine. Elle nait de l’en- vie de fe diftinguer. C’eft par orgueil que nous fam¬ ines polis,: nous nous fentons flattes d’avoir des ma- nieres qui prouvent que nous ne fommes pas dans la baffeffe, Sc que nous n’avons pas vecu avec cette forte de gens que l’on a abandonnes dans tous les ages. Dans les monarchies , la politeffe eft naturaltfee a la cour. Un homme exceffivement grand, rend tous les autres petits. De-la, les dgards que Ton doit a tout le monde : de-la nait la politeffe, qui flatte autant ceux qui font polis, que ceux a 1’e'gard de qui ils le font; parce qu’elle fait comprendre qu’on eft de la cour, ou qu’on eft digne d’en dtre. L’air de la cour conlifte a quitter fa grandeur propre pour une grandeur empruntee. Celle-ci flatte plus un courtilan que la fienne meme. Elle donne une certain e modeftie fuperbe qui fe repand au loin; mais dont l’or- gueil diminue infenfiblement, a proportion de la dis¬ tance ou l’on eft de la fource de cette grandeur. On trouve, a la cour, une delicateffe de gout en routes chofes, qui vient d’un ufage continuel des fu- perfluites d’une grande fortune; de la variete, &C fur- tout de la laflitude des plaifirs; de la multiplicite, de la confufion meme des fantaifies, qui, lorfqu’elies font agreables, y font toujours reques. C’eft fur toutes ces chofes que l’education fe porte, pour faire ce qu’on appelle l’honn^te homme, qui a tou¬ tes les qualites & toutes les vertus que l’on demande dans ce gouvernement. La l’honneur, fe melant par-tout, entre dans toutes les faqons de penfer & toutes les manieres de fentir, 6c dirige m£me les principes. Cet honneur bizarre fait que les vertus ne font que ce qu’il veut, Sc corame il les veut : il met, de fan C iij 3 ^ Be l'esprit des loix , chef, des regies a tout ce qui nous eft prefcrit : 11 etend ou il, borne nos devoirs a {a fantaifie , foit qu’ils aient leur fource dans la religion, dans la politique , ou dans la morale. II n’y a rien, dans la monarchic, que les loix, la religion & l’honneur prelcrivent tant que I’obeiflance aux volontes du prince : mais cet honneur nous didle que le prince ne doit jamais nous prefcrire une acftion qui nous deshonore, parce qu’elle nous rendroit inca- pables de le fervir. Crillon refufa d’affaftiner le due de Guife; mais il of- frit a Henri III de fe battre contre lui. A pres la faint Barthelemi , Charles IX ayant ecrit a tous les gou- verneurs de faire maffacrer les huguenots , le vicomte Done , qui commandoit dans Bayonne, ecrivit au roi: » (^) Sire, je n’ai trouve, parmi les habitans & les » gens de guerre, que de bons citoyens, de braves* fol- i> dats , & pas un bourreau ; ainft , eux & moi , fup- » plions votre majefte d’employer nos bras & nos vies a » chofes faifables. « Ce grand & gene'reux courage regar- doit une lachete comme une chofe impoffible. Il n’y a rien que l’honneur preferive plus a la noblefte , que de fervir le prince a la guerre : en effet, e’eft la profeffion diftinguee ; parce que fes hafards, fes fucces &c fes malheurs memes, conduifent a la grandeur. Mais, en impofant cette loi, l’honneur veut en dtre Tarbitre; &, s’il fe trouve choque, il exige ou permet qu’on fe retire chez foi. Il veut qu’on puifle indifferemment afpirer aux em- plois, ou les refufer; il tient cette liberte au-deflus de la fortune meme. L’honneur a done fes regies fupremes; & l’education eft obligee de s’y conformer (h). Les principals font, qu’il nous eft bien permis de faire cas de notre fortune; («)Voyezrhift.ded’Aubignd, neur eft un prdjugd , que la re- (i b~) On die ici ce qui eft, & ligion travaille tantdt a detruire, non pas ce qui doit toe: 1’hon- tantbt a regler. Livre IF, Chapitre II. 39 mais qu’il nous eft fouverainement defendu d’en faire aucun de notre vie. La ieconde eft que, lorfque nous avons ete une fois pla¬ ces dans un rang, nous ne devons rien faire ni fouffrir qui faffe voir que nous nous tenons inferieurs a ce rang meme. La troifieme , que les chofes que l’honneur defend font plus rigoureufement defendues, lorfque les loix ne ■concourent point a les profcrire; Sc que celles qu’il exige font plus fortement exigees, lorfque les loix ne les de- mandent pas. CHAPITRE III. Pe Veducation dans le gouvernement defpotique. Comme 1’e'ducation dans les monarchies ne travaille qu’a elever le cceur, elle ne cherche qu’a labbaiffer dans Jes e'tats delpotiques. II taut qu’elle y foit fervile. Ce fera un bien, meme dans le commandement, de l’avoir eue telle; perfonne n’y etant tyran, fans etre en meme temps efclave. L’extreme obeiffance fuppofe de l’ignorance dans ce- lui qui obeit; elle en fuppofe meme dans celui qui com- mande : il n’a point a deliberer, a dputer, ni a raifon- ner; il n’a qu’a vouloir. Dans les etats defpotiques, chaque maifon eft un em¬ pire fepare. L’education qui confifte principalement a vivre avec les autres, y eft done tres-bornee : elle fe reduit a mettre la crainte dans le cceur, Sc a donner a l’efprit la connoiflance de quelques principes de reli¬ gion fort fimples. Le fcavoir y fera dangereux, 1 ’emu- lation funefte; St, pour les vertus, Ariftote ne peut croire qu’il y en ait quelqu’une de propre aux efclaves ; ce qui borneroit bien l’education dans ce gouvernement. (<0 Politiq. liv. 1 . 40 De l'e sprit des loix, L’education y eft done, en quelaue facon, nulle. II faut oter tout, afin de donner qiielque chofe; & com* mencer par faire un mauvais fujet, pour faire un bon efcl ave. Eh! pourquoi l’education s’attacheroit-elle a y former un bon citoyen qui prit part au malheur public? Vil ai- moit l’erat, il feroit tente de relacher les reftbm du gou- vernement : s’il ne reufiiffoit pas, il fe perdroit; s’il reuf- fiffoit, il courroit rifque de fe perdre , lui, le prince , & l’empire. C H A P I T R E IV. Difference des effets de l'education ctiez les anciens & parmi nous. T j a plupart des peuples anciens vivoient dans des gou- vernemens qui ont la vertu pour principe; &, lorf- qu’elle y etoit dans fa force , on y faifoit des chofes que nous ne voyons plus aujourd’hui, & qui etonnent nos petites ames. Leur education avoit un autre avantage fur la notteelle n’etoif jamais dementiel Epaminondas , la derniere an- nee de fa vie, difoit, ecoutoit, voybit, faifoit les mo¬ nies chofes que dans l’age ou il avoit commence d’etre inftruit. Aujourd’hui, nous recevons trois educations diffe- rentes ou contraires; celle de nos peres, celle de nos maitres, celle du monde. Ce qu’on nous dit dans la derniere, renvgrfe toutes les idees des prerpieres. Cela vient, en quelque partie , du contrafte qu’il y a parmi nous entre les engagemens de la religion & ceux du monde; chofe que les anciens ne connoiffoient pas. Litre IF , Chahtre V. 41 « =-— -.- CHAPITRE V. Be Education dans le gouvernement ripublicaln. ’e s t dans le gouvernement republicain que 1’on a bei'oin de toute la puifiance de l’education. La crainte des gouvernemens defpotiques nait d’elle-meme parmi les menaces & les chatimens; l’honneur des monarchies eft favorife par les paffions, & les favorife a fon tour: mais la vertu politique eft un renoncement a foi-me- me, qui eft toujours une chofe tres-penible. On peut definir cette vertu , l’amour des loix & de la patrie. Cet amour, demandant une preference con- tinuelle de 1’interdt public au Ren propre, donne tou- tes les vertus particulieres : elles ne font que cette pre¬ ference. Cet amour eft fingulierement affetfte aux democra- ties. Dans elles feules, le gouvernement eft confie a chaque citoyen. Or, le gouvernement eft comme rou¬ tes les chofes du monde ; pour le gonferver, il faut l’aimer. On n’a jamais oui dire que les rois n’aimaffent pas la monarchic , & que les defpotes haiffent le defpotifme. Tout depend done d’etablir, dans la republique, cet amour; & e’eft a l’infpirer, que l’education doit drre attentive. Mais, pour que les enfans puiffent 1’avoir, il y a un moyen fur; e’eft que les peres l’aient eux- memes. On eft ordinairement le maitre de donner a fes en^- fans fes connoiftances ; on I’eft encore plus de ieur don¬ ner fes paffions. Si cela n’arrive pas, e’eft que ce qui a ete fait dans la maifon paternelle eft detruit par les impreffions du dehors. Ce n’eft point le peuple naiftant qui degenere; il ne fe perd que lorfque les homines fairs font deja corrosnpus. 4 - Be l’e sprit des loix , -n _ : - ■■ ■—- 7w CHAPITRE VI. Be quelques inflitutions des Grecs. JLjES anciens Grecs, penetres de la neceffite que les peuples, qui vivoient fous un gouvernement populaire, fuffent eleves a la vertu, firent, pour l’infpirer, des ins¬ titutions fingulieres. Quand vous voyez, dans la vie de Lycurgue , les loix qu’il donna aux Lacedemoniens, vous voyez lire l’hiftoire des Sevarambes. Les loix de Crete etoient l’original de celles de Lacedemone; & cedes de Platon en etoient la correction. Je prie qu’on fade un peu d’attention a 1’etendue de genie qu’il fallut a ces legiftateurs, pour voir qu’en cho- quant tous les ufa'ges requs, en confondant toutes les vertus, ils montreroient a 1’univers Ieur lagefte. Lycur- > gue, mdlant le'larcin avec 1’e/prit de juftice, le plus dur efclavage avec l’extrdme liberte , les fentimens les plus atroces avec la plus grande moderation, donna de la ftabilite a fa ville. II fembla lui oter toutes les ref- fources, les arts, le commerce, l’argent, les murail- les : on y a de l’ambition , fans efperance d’etre mieux : on y a les fentimens naturels; & on n’y eft ni enfant, ni mari, ni pere : la pudeur meme eft 6tee a la chaft tete. C’eft par ces chemins que Sparte eft menee a la grandeur & a la gloire ; mais avec une telle infailli- bilite de fes inftitutions, qu’on n’obtenoit rien contre elle en gagnant des batailies, ft on ne parvenoit a lui 6ter fa police (/z). La Crete & la Laconie furent gouvernees par ces loix. Lacedemone ce'da la derniere aux Macedoniens, («) Philopcemen contfaignit les Lacedemoniens d’abandonner la maniere de nourrir leurs enfans, fcachant bien que, fans cela, ils auroient toujours une ame grande, & le coeur haut. Plutarq* vie de Pbilopxmen, Voyez Tite Live , liv. xxxvrn. Lii're IV, Chapitre VI. 43 St la Crete ( b ) fat la derniere proie des Romains. Les Samnites eurent ces memes inftitutions , & elles farent pour ces Romains le fajet de vingt-quatre triomphes (c). Cet extraordinaire que Ton voyoit dans les inftitu- tions de la Grece, nous l’avons vu dans la lie & la cor¬ ruption de nos temps modernes (d). Un legiflateur hon- nete-homme a forme un peuple , oil la probite paroit aufti naturelle que la bravoure chez les Spartiates. M. Pen eft un veritable Lycurgue. : &, quoique le premier ait eu la palx pour objet, comme l’autre a eu la guerre , ils fe reffemblent dans la voie finguliere , ou ils ont mis leur peuple, dans 1’afcendant qu’ils ont eu far des homines libres , dans les prejuges qu’ils ont vaincus, dans les paffions qu’ils ont foumifes. Le Paraguay peut nous fournir un autre exemple. On a voulu en faire un crime a la fociete, qui regarde le plaifir de commander comme le feul bien de la vie : mais il fera toujours beau de gouverner les homines , en les rendant plus henreux ( e). II ell heureux pour elle d’avoir ete la premiere qui ait montre, dans ces contrees, l’idee de la religion jointe a celle de l’humanite. En reparant les devaftations des Efpagnols, elle a commence a guerir une des grandes plaies qu’ait encore recues le genre humain. Un ientiment exquis qua cette fociete pour tout ce qu’elle appelle honneur, fon zele pour une religion qui humilie bien plus ceux qui l’ecoutent que ceux qui la prechent, Iui ont fait entreprendre de grandes choles; & elle y a reufli. Elle a retire des bois des peuples difperfes ; elle leur a donne une fabliftance afturee; elle les a vetus : 6 c, quand elle n’auroit fait par-la (&) Elle defendit pendant (d~) InfeceRomuli. Ciceron. trois ans fes loix & fa liberte. ( e ) Les Indiens du Para- Voyezlesliv. xcvrn, xcix & c. guay ne dependent point d’un de Tite Live , dans l’epitome feigneur particulier, nc paient de Florus. Elle fit plus de re- qu’un cinquienie des tributs, & fifvance que les plus grands rois, ont des armes a feu pour fe de- ( c ~) Florus , liv. I. fendre. 44 &E l'e SPRIT DES LOIX , qu’augmenter 1 ’induftrie parmi les homines, elle auroit beaucoup fait. Ceux qui voudront faire des inftitutions pareilles, eta- bliront la communaute de biens de la repubiique de Pla¬ ton , ce rdpeft qu’il demandoit pour les dieux, cette leparation cl’avec les etrangers pour la confervation des mceurs, & la cite faifant le commerce & non pas les citoyens : ils donneront nos arts fans notre luxe, &c nos befoins fans nos delirs. Ils profcriront l’argent, dont l’effet eft de groffir la fortune des homines au-dela des bornes que la nature y avoit mifes, d’apprendre a conferver inutilement ce qu’on avoit amafie de meme, de multiplier a 1’infini des defirs, & de fuppleer a la nature, qui nous avoit donne des moyens tres-bornes d’irriter nos paffions, & de nous corrompre les uns les autres. » Les Epidamnitns (/) fentant leurs moeurs fe cor- » rompre par leur communication avec les barbares, elu- » rent un magiftrat pour faire tous les marches au nora » de la cite & pour la cite. « Pour lors, le commerce ne corrompt pas la conftitution, & la conftitution ne prive pas la fociete des avantages du commerce. (/) Plutarque, Demande des chafes Grecqties. - ■ ■■ •■■u.sn ■! . ■ a. ■" CHAPITRE VII. En quel cas ces inftitutions JinguUeres peuvent fare, bonnes. CEs fortes d’inftitutions peuvent convenir dans les republiques, parce que la vertu politique en eft le prim cipe : mais, pour porter a 1’honneur dans les monar¬ chies , ou pour infpirer de la crainte dans les etats def- potiques, il ne faut pas tant de foins. Elies ne peuvent d’ailleurs avoir lieu que dans un pe- L I t'R E IV i Cha I'lTRE VII. 45 tit etat («), ou Ton peut donner une education ge¬ nerate , & elever tout un peuple comme une famille. Les loix de Minos , de Lyxurnit & de Platon, fup- pofent une attention finguliere de tous les citoyens les uns fur les autres. On ne peut fe promettre cela dans la confufion, dans les negligences, dans letendue des affaires d’un grand peuple. 11 faut, comme on I’a dit, bannir l’argent dans ces inftitutions. Mais, dans les grandes focietes, le nom- bre , la variete , l’embarras, l’importance des affaires , la facilite des achats, la lenteur des echanges, deman- dent une mefure commune. Pour porter par-tout fa puif- fance, ou la defendre par-tout, il faut avoir ce a quoi les hornmes ont attache par-tout la puiffance. (a) Comme dcoient les villes de la Grece. CHAPITRE VIII. Explication d'un paradoxe des ancient , par rapport aux mceurs. OLYBE , le judicieux Polybe, nous dit que la mu- ffque etoit neceffaire pour adoucir les moeurs des Ar¬ cades , qui habitoient un pays oil l’air eft trifte & froid; que ceux de Cynete, qui negligerent la mufique, fur- pafferent en cruaute tous les Grecs, & qu’il n’y a point de ville ou 1 ’on ait vu tant de crimes. Platon ne crainr point de dire que Ton ne peut faire de changement dans la mufique, qui n’en foit un dans la conftitution de 1’e- tat. Arifiote , qui femble n’avoir fait fa politique que pour oppofer fes fentimens a ceux de Platon, ell pourtanr d’accord avec lui touchant la puiflance de la mufique fur les moeurs. Theophrafie, Plutarque (a), Strabon (£), (a) Vie de Ptlopidai. (l) Liv. I. 4 6 De l' E S P R I T DE S LOIX, tous les anciens ont penfe de meme, Ce n’eft point une opinion jet tee Ians reflexion ; c’eft un des principes de leur politique (c ). C’eft tynfi qu’ils donnoient des loix, c’eft ainii qu’ils vouloient qu’on gouvernat les cites. Je crois que je pourrois expliquer ceci. II faut fe inettre dans l’efprit que, dans les villes Grecques, fur- tout celles qui avoient pour principal objet la guerre, tous les travaux & routes les profeftions qui pouvoient conduire a gagner de l’argent, etoient regardes comme indignes d’un homtne libre. » La plupart des arts, dit » Xenophon (J) , corroinpent le corps de ceux qui les » exercent; ils obligent de s’affeoir a l’ombre, ou pres ,> du feu : on n’a de temps ni pour fes amis, ni pour » la republique. « Ce ne fut que dans la corruption de quelques democraties, que les artifans parvinrent a etre citoyens. C’eft ce qu ’Ariftote. (a) nous apprend; & il foutient qu’une bonne republique ne leur donnera jamais le droit de cite (f). L ’agriculture etoit encore une pro- feffion fervile, & ordinairement c’etoit quelque peuple vaincu qui l’exerqoit ; les llotes, chez les Lacedemo- niens ; ies Perieciens , chez les Cretois; les Peneftes , chez les Theffaliens ; d’autres (g) peuples efclaves , dans d’autres republiques. (jc) Platon, liv. IV des loix dit, que les prdfeftures de la mufique & de la gymnaflique font les plus importans emplois de la cite ; &, dans fa republi¬ que , liv. Iil, Damon vous dira , dit-il, quels font les fons capa- bles de fairs naitre la baffeffe tie 1'ame, Pinfolence, 2? les ver- tus contraires. d') Liv. V. Dits memorables. e) Politiq. liv. Ill, chap.iv. /) Diophante , dit Ariflo- te, polit. ch. vi, itablit autre¬ fois , a Athenes, que les arti¬ fans feroient efcla ves du public. (g) KvSPi Platon & Ariftote veulent-ils que les efclaves cui- tivent les terres, loix, liv. VII; polit. liv. VII, chap. x. II eft vrai que fagriculture n’etoit pas par-tout exercee par des efcla¬ ves : au contraire, comme dit Ariftote, les meilleures republi¬ ques etoient celles oil les ci¬ toyens s’y attachoient. Mais cela n’arriva que par la- corruption des anciens gouvernemens, de- venus democvatiques; car, dans les premiers temps, les villes de Grece vivoient dans l’arifto- cratie. Livke II, Ch apitre VIII. 47 Enfin, tout has commerce (k) etoit infame chez les Grecs. II auroit fallu qu’un citoyen eut rendu des fer- vices a un efclave, a un locataire, a un etranger : cette idee choquoit l’efprit de la liberte Grecque ; auffi Pla~ ton (i) veut-il, dans fes loix, qu’on punifle un citoyen qui feroit le commerce. On etoit done fort embarraffe dans les republiques Grecques. On ne vouloit pas que les citoyens travail- laffent au commerce, a l’agriculture, ni aux arts; on ne vouloit pas non plus qu’ils fiiffent oififs (k ). I!s trouvoient une occupation dans les exercices qui depen- doient de la gymnaftique, & dans ceux qui avoient du rapport a la guerre (/). L’inftitution ne leur en don- noit point d’autres. II faut done regarder les Grecs comme une fociete d’athletes Sc de combattans. Or, ces exercices, fi propres a faire des gens durs fau- vages (r/z), avoient be/oin d etre temperes par d’autres qui puifent adoucir les moeurs. La mufique qui tient a I’elprit par les organes du corps, etoit tres-propre a cela. C’ed un milieu entre les exercices du corps qui ren- dent les hommes durs , Sc les fciences de /peculation qui les rendent fauvages. On ne peut pas dire que la mufique infpirat la vertu ; cela feroit inconcevable : mais elle empechoit l’effet de la ferocite de l’inftitution , Sc faifoit que l’ame avoit, dansFeducation, une part quelle n’y auroit point eue. Je fuppofe qu’il y ait parmi nous une fociete de gens fi paffionnes pour la chaffe, qu’ils s’en occupaffent uni- quement; il ell: sur qu’ils en contrafteroient une cer- taine rudelfe. Si ces memes gens venoient a prendre en¬ core du gout pour la mufique , on trouveroit bientot de Ch') Cauponatio. (®0 Arijlote dit que les en- (i ) Lib. II. fans des Laceddmoniens, qui (£) Arijlote, politiq. lib. X. commemjoientces exercices des Ars corporum exercen- fftge ie plus tendre, en con- dsrum , gymnaftica; varies cer- tradioient trop de ferocite. Polit. taminibus terendorum,padotri- liv. VIII, chap. ir. bica. Arid, polit. lib. VIII, cb.m. 4 § Be l' esprit d e s l o i x, la difference dans leurs manieres & dans leurs mceursi Enfin , les exercices des Grecs n’excitoient en eux qu’uii genre de pa/lions, la rudeffe, la colere , la cruaute. La rnufique les excite toutes; & peut faire fentir a Fame la douceur, la pitie, la tendreffe, le doux plaifir. Nos auteurs de morale, qui, parmi nous, profcrivent fi fort les theatres, nous font affez fentir le pouvoir que la mu- fique a fur nos ames. Si, a la fociete dont j’ai parle, on ne donnoit que des tambours & des airs de trompette, n’eft-il pas vrai que l’on parviendroit moins a fon but, que fi l’on don¬ noit une rnufique tendre ? Les anciens avoient done rai- fon , lorfque , dans certaines circonftances, ils prefe- roient, pour les moeurs, un mode a un autre. Mais, dira-t-on, pourquoi choifir la rnufique par pre¬ ference ? C’eft que, de tous les plaifirs des fens, il n’y en a aucun qui corrompe moins Fame. Nous rougiffons de lire, dans Plutarque (n) , que les Thebains, pour adoucir les mceurs de leurs jeunes gens, etablirent, par les loix, un amour qui devroit etre pro/crit par toutes les nations du monde. (?z) Vie de Pelapidas. LI- L i v R e V, Chapitre I. 49 L I V R E V. Of/e lesloix que le legiflateur donne doivent etre' relatives au principe du gouvernement. - , » CHAPITRE PREMIER. Idee de ce livre. 1^0 US venons de voir que les loix de l’education doivent etre relatives au principe de chaque gouverne¬ ment. Cedes que le legiftateur donne a toute la fociete font de mane. Ce rapport des loix avec ce principe tend tous les reflorts du gouvernement, & ce prin¬ cipe en recoit a Ton tour une nouvelle force. C’eft ainfi que, dans les mouvemens phyfiques, l’aftion eft tou- jours fuivie d’une reaction. Nous allons examiner ce rapport dans chaque gou- vemement; & nous commencerons par l’etat republi- cain, qui a la vertu pour principe. , f —— -- . .. . •—_rr— *, CHAPITRE II. Ce que cejl que la vertu dans fit at politique. La vertu, dans une republique, eft une chofe tres-fimple : c’eft l’amour de la republique; c’eft un fentiment, & non une fuite de connoiftances : le der¬ nier homme de l’etat peut avoir ce fentiment, comme le premier. Quand le peuple a une fois de bonnes maxi- mes, il s’y tient plus long-temps, que ce qu’on appelle Tome I. D 50 D e l’esprit des l o i x, les honndtes gens. II eft rare que la corruption com¬ mence par lui. Souvent il a tire, de la mediocrite de les lumieres, un attachement plus fort pour ce qui eft etabli. L’amour de la patrie conduit a la bonte des moeurs, & la bonte des moeurs mene a I’amour de la patrie. Moins nous pouvons fatisfaire nos paflions particulie- res , plus nous nous livrons aux generates. Pourquoi les moines aiment-ils tant leur ordre ? c’eft juftement par l’endroit qui fait qu’il leur eft infupportable. Leur regie les prive de toutes les chofes fur lefquelles les paflions ordinaires s’appuient : refte done cette paf- fion pour la regie meme qui les affligent. Plus elle eft auftere , e’eft-a-dire , plus elle retranche de leurs penchans, plus elle donne de force a ceux qu’elle leur laifle. .■■ - -i i i —w i - j .. i CHAPITRE III. Ce que c’eft que Vamour de 'la rcpublique dans lit democratic. Xj’AMOUR de la republique, dans une democratic, eft celui de la democratic; l’amour de la democratic eft celui de l’egalite. L’amour de la democratic eft encore l’amour de la frugalite. Chacun devant y avoir le meme bonheur & les mdines avantages, y doit gouter les mdmes plaifirs , &t former les memes efperances; chofe qu’on ne peut attendre que de la frugalite generale. L’amour de legalite, dans une democratic, borne l’afnbition au feul defir, au feul bonheur de rendre a fa patrie de plus grands fervices que les autres citoyens. Us ne peuvent pas lui rendre tous des fervices egaux ; mais ils doivent tous egalement lui en rendre. En naif- lant, on contrafte envers elle une dette immenfe, dont on ne peut jamais s’acquitter. Litre V, Chapitre III. 51 Ainli les diftinffions y naiffent du principe de l’ega- lite, lors meme qu’elle paroit otee par des fervices heu- reux, ou par des talens fuperieurs. L’amour de la fr.ugalite borne le defir rf avoir a l’at- tention que demande le neceflaire pour fa famille, Sc meme le fuperflu pour fa patrie. Les richefles donnent une puilTance dont un citoyen ne peut pas ufer pour lui; car il ne feroit pas egal. Elies procurent des deli— ces dont il ne doit pas jouir non plus, parce qu’elles choqueroient l’egalite tout de meme. Audi les bonnes democraties, en etabliffant la fruga¬ lity domeftique, ont-elles ouvert la porte aux depenfes publiques, comme on fit a Athenes St a Rome. Pour lots, la magnificence St la profufion naiffoient du fond de la frugalite mdme : &, comme la religion demande qu’on ait les mains pures pour faire des offrandes aux dieux, les loix vouloient des moeurs frugales, pour que l’oh put donner a fa patrie. Le bon fens St le bonlieur des particuliers confident beaucoup dans la mediocrite de leurs talens St de leurs fortunes. Une republique ou les loix auront forme beau- cotip de gens mediocres, compofee de gens fages, fe gouvernera fagementcompofee de gens heureux , elle fera tres-beureufe. CHAPITRE IV. Comment on infpire l'amour de fegalitd & de la frugality. X-/AMOUR de Yegalitfi St celui de la frugalite , font extremement excites par l’egalite St la frugalite memes, quand on vit dans une fociete ou les loix ont etabli l’une St l’autre. Dans les monarchies 81 les etats defpotiques, per- fonne n’afpire a l’egalite; cela ne vjent pas mdme dans l’idee : chacun y tend a la fuperiorite. Les gens des con-* Dij 52 D E l'E S P E I T I) Z S L 0 I X, ditions les plus bafles ne defirent d’en fortir, que pour ctre les inaifies des autres. II en eft de meme de la frugalite. Pour l’aimer, 11 faut en jouir. Ce ne feront point ceux qui font cor- roinpus par les delices qui aimeront la vie frugale; St, ft cela avoit ete naturel St ordinaire, Alcibiade n’au- roit pas fait l’admiration de l’univers. Ce ne feront pas non plus ceux qui envient, ou qui admirent le luxe des autres, qui aimeront la frugalite : des gens qui n’ont devant les yeux que des homines riches, ou des homines miferables comme eux, deteftent leur mi- fere , fans aimer ou connoitre ce qui fait le terme de la mifere. C’efl; done une maxime tres-vraie que, pour que l’on aime Pegalite St la frugalite dans une republique, il faut que les loix les y aient etablies. ■g--- —---- . ■ .- .. . i ■ - - % CPIAPITRE V. Comment'les loix dtablijfent TegaliM, dans la demo¬ cratic. U E L Q U E S legiflateurs anciens, comme Lycurguc St Romulus , partagerent egalement les terres. Cela ne pouvoit avoir lieu que dans la fondation dune repu¬ blique nouvelle; ou bien lorfque l’ancienne etoit ft cor- rompue , St les efprits dans une telle dilpofition , que les pauvres fe croyoient obliges de chercher, & les riches obliges de louffrir un pareil remede. Si, lorfque le legiflateur fait un pareil partage, il ne donne pas des loix pour le maintenir, il ne fait qu’une conftitution paftagere : l’inegalite entrera par le. cote que les loix n’auront pas defendu, St la republique fera perdue. Il faut done que Ton regie, dans cet objet, les dots des femmes, les donations, les fucceflions, les tefta- inens; enfin, toutes les manieres de contra&er. Car, s’il etoit permis de donner fon bien a qui on voudroir, L i v r e V , Chapitre V. 53 & cornme on voudroit, chaque volonte particuliere troubleroit la difpolition de la loi fondamentale. Solon , qui permettoit a Athenes de laifter fon blen a qui on vouloit par teftament, pourvu qu’on n’eut point d’enfans (a), contredifoit les loix anciennes, qui or- donnoient que les biens reftaffent dans la famille du teftateur (£). II contredifoit les fiennes propres; car, en fiippriiriant les dettes, il avoit cherthe l’egalite. C’etoit une bonne loi, pour la democratic, que celle qui defendoit d’avoir deux heredites (c). Elle prenoit fon origine du partage egal des terres &c des portions donnees a chaque citoyen. La loi n’avoit pas voulu qu’un feul homme eut plufieurs portions. La loi, qui ordonnoit que le plus proche parent epou- fat l’heritiere, nai/Toit d’une fource pareille. Elle eft donnee chez les Juif's apres un pared partage. Platon (<•/), qui fonde fes loix fur ce partage, la donne de m£me ; 8c c’etoit une loi Athenienne. II y avoit a Athenes une foi, dont je ne fqache pas que per/bnne ait connu l’elprit. II etoit perrnis d’epoufer la fceur confanguine, & non pas fa fceur uterine (e). Cet ufage tiroit fon origine des republiques, dont l’ef- prit etoit de ne pas mettre fur la meme tete deux por¬ tions de fonds de terre , &t par confequent deux he¬ redites. Quand un homme epoufoit fa foeur du cote du pere , il ne pouvoit avoir qu’une heredite , qui etoit celle de fon pere : mais, quand il epoufoit fa foeur ute¬ rine, il pouvoit arriver que le pere de cette fceur, n’ayant pas d’enfans males , lui laiffat fa fucceffion; & que , («) Plutarque , vie de So¬ lon. m ibid. fc) Philolaiis de Corinthe dtablit, & Athenes, que le nom- bre des portions de terre, & celui des heredites, feroit tou- jours le mfime. Ariftote, polit. liv. II, chap. xit. (d~) Rdpublique, liv. VIII. Qe) CorneliusNepos, inpr CHAPITRE VII. Autres moyens de favorifer le principe de la demo¬ cratic. O N ne peut pas etablir un partage egal des terres dans toutes les democraties. II y a des circonftances oil un tel arrangement feroit impraticable, dangereux, & cho- queroit mdme la conftitution. On n’eft pas toujours oblige de prendre les voies extremes. Si Ton voit, dans une democratic, que ce partage, qui doit maintenir ies inoeurs, n’y convienne pas, il faut avoir recours a d’au- rres moyens. Si l’on etablir un corps fixe qui foit par lui-meme la regie des mceurs; un fenat ou l’age, la vertu, la gra- vite, les fervices donnent entree; les fenateurs, ex- poles a la vue du peuple corame les fimulacres des dieux, infpireront des fentimens qui feront portes dans le fein de toutes les families. II faut fur-tout que ce fenat s’attache aux inftitutions anciennes, & faffe en forte que le peuple & les ma- giftrats ne s’en departent jamais. II y a beaucoup a gagner, en fait de moeurs, a gar- der les coutumes anciennes. Comme les peuples cor- rompus font raremenr de grandes chofes ; qu’ils n’ont gueres etabli de locietes, fonde de villes, donne de loix ; & qu’au contraire ceux qui avoient des mceurs fimples & aufteres ont fait la plupart des etabliffemens; rappelier les hommes aux maximes anciennes, c’eft or- dinairement les ramener a la vertu. De plus : s’il y a eu quelque revolution , & que Ton ait donne a l’etat une forme nouvelle , cela n’a gueres pu fe faire qu’avec des peines & des travaux in¬ finis , & rarement avec 1’oilivete & des moeurs corrom- pues. Ceux memes qui ont fait la revolution ont voulu la faire gouter i 6c ils n’ont gueres pu y reuflir que par L i r r e V , C h a p i t iu VII. 59 de bonnes loix. Les inftitutions anciennes font done ordinairement des correftions; Seles nouvelles, des abus. Dans le cours dun long gouvernement, on va au mal par une pente infenfible , 8c on ne remonte au bien que par un effort. On a doute fi les membres du fenat dont nous par- ions doivent dtre a vie, ou choifis pour un temps. Sans doute qu’ils doivent etre choifis pour la vie, comme cela fe pratiquoit a Rome ( a ), a Lacedemone (£) 8c a Athenes meme. Car il ne faut pas confondre ce qu’on appelloit le fenat a Athenes, qui etoit un corps qui chan- geoit tous les trois mois, avec l’areopage, dont les mem¬ bres etoient etablis pour la vie, comme des modeles perpetuels. Maxime generate : Dans un fenat fait pour etre la regie , &c, pour ainfi dire, le depot des mceurs, les fe- nateurs doivent etre elus pour la vie : Dans un fenat fait pour preparer les affaires, les fenateurs peuvent changer. L’efprit, dit Ariflote, vieillit comme le corps. Cette reflexion n’efl bonne qu’a 1’egard d’un magiftrat unique, 6 c ne peut etre appliquee a une affemblee de fenateurs. Outre l’areopage, il y avoit a Athenes des gardiens des mceurs, 8c des gardiens des loix (c}. A Lacede¬ mone , tous les vieillards etoient cenfeurs. A Rome , deux magiftrats particuliers avoient la cenfure. Comme le fenat veille fur le peuple , il faut que des cenfeurs aient les yeux fur le peuple 8c fur le fenat. Il faut qu’ils retabliffent, clans la republique, tout ce qui a ete cor- roinpu; qu’ils notent la tiedeur, jugent les negligences, 6 c corrigenc les fautes, comme les loix puniffent les crimes. («) Les magiftrats y dtoient geajfentpas, meme il la fin de la annuels, & les fenateurs pour vie : & , en les itablijfant juges la vie. du courage des jeuties gens, ila (h) Lycurgue , dit Xenophon, rendu la vieillefe de ceux-laplus de republ. Lacced. vouhtt qu'on honorable que la force deceux-ci. Hut les fenateursparmi les vieil- (V) L’are'opage lui - meme lards, pour ipiiils ne fe H&gli- etoi: foumis a la cenfure. <5o I) E l' e s P R 1 T DES LOIX, La loi Romaine, qui vouloit gue l’accufation de Pa- dultere fut publique, etoit admirable pour maintenir la purete des mceurs : elle intimidoit les femmes; elle in- timidoit auffi ceux qui devoient veiller fur elles. Rien ne maintient plus les mceurs, qu’une extreme fubordination des je tines gens envers les vieillards. Les uns & les autres feront contenus; ceux-la par le re/peft qu’ils aurcint pour les vieillards; & ceux-ci par le ref- pedt qu’ils auront pour eux-memes. Rien ne donne plus de force aux loix, que la fubor¬ dination extreme des citoyens aux magiftrats.» La grande difference que Lycurguc a mife entre Lacedemone & les autres cites, die Xenophon (d) , confifte en ce qu’il a fur-tout fait que les citoyens obeiffent aux loix : ils cou- rent, lorfque le magiftrat les appelle. Mais, a Athe- nes, un homme riche feroit au defefpoir que l’on crut qu’il dependit du magiftrat. « L’autorite paterneile eft encore tres-utile pour main¬ tenir les mceurs. Nous avons de;a dir que, dans une repu- blique, il n’y a pas une force ft reprimante , que dans les autres gouvernemens. II faut done que les loix cherchent a y fuppleer : elles le font par l’autorite paterneile. A Rome, les peres avoient droit de vie & de mort fur leurs enfans (e). A Lacedemone, chaque pere avoir droit de corriger l’enfant d’un autre. La puiffance paterneile fe perdit a Rome avec la re- publique. Dans les monarchies, ou l’on n’a que faire de moeurs ft pures, on veut que chacun vive fous la puiffance des magiftrats. Les loix de Rome , qui avoient accoutume les jeu¬ nes gens a la dependance, etablirent une longue mino- OO Rdpublique de Lacede- grande corruption. Aulus Ful- mone. vim s’etoit mis en chemin pour ( e ) On pent voir, dans l’hif- aller trouver Catilina; fon pere toire Romaine', avec quel avan- le rappella, & le fit mourir. Sal- rage pour la republique on fe lufte, de hello Catil. Plufieurs fervit de cetre puiffance. Je ne autres citoyens firent de meme. parlcrai que du temps de la plus Dion, liv. xxxvii. L i v re V , Chamtre VII. 6 r rite. Peut-etre avons-nous eu tort de prendre cet ufage : dans une monarchic, on n’a pas befoin de tant de con- trainte. Cette meme fubordination, dans la republique, y pourroit demander que le pere reftat, pendant fa vie, le maitre des biens de fes enfans, comme il fut regie a Rome. Mais cela n’eft pas de l’efprit de la monarchic. . - _ __ C II A P I T R E VIII. Comment les loix doivent fe rapporter au principe ait gouvernement , dans Fariftocratie. Si, dans l’ariftocratie, le peuple eft vertueux, on y jouira a pen pres du bonheur du gouvernement popu- laire, & 1’e'tat deviendra puiftant. Mats, comme il eft rare que , la ou les fortunes des homines font inega- les, il y ait beaucoup de vertu, il faut que les loix rendent a donner, autant qu’elles peuvent, un efprit de moderation, & cherchent a retablir cette egalite que la conftitution de l’etat ote neceffairement. L’efprit de moderation eft ce qu’on appelle la vertu dans 1’aTiftocratie; il y ticnt la place de l’efprit d’ega- lite dans l’etat populaire. Si le fafte & la fplendeur qui environnent les rois font une partie de leur puiflance, la modeftie 8c la fim- plicite des manieres font la force des nobles ariftocra- tiques (a). Quand ils n’affeftent aucune diftinftion, quand ils fe confondent avec le peuple, quand ils font vetus comme lui, quand ils lui font partager tous leurs plaifirs, il oublie fa foiblefle. («) Dc nos jours, les Venitiens, qui, ii bien des egards, fe font conduits tres-fagement, deciderent, fur une difpute entre un noble Veuitien & un gentilhomme de Terre-ferme, pour une pre- feance dans une eglife, que, hors de Venife, un noble Venitiea n’avoit point de preeminence fur un autre citoyen. 62 D E ^ESPRIT n E S L 0 I X, Chaque gouvernement a fa nature & fon principe. II ne faut done pas que l’ariftocratie prenne la nature fee le principe de la monarchie; ce qui arriveroit, ft les nobles avoient quelques prerogatives perfonnelles Sc particulieres, diftin&es de cedes de leur corps. Les pri¬ vileges doivent etre pour le fenat, Sc le Ample refpeft pour les fenateurs. II y a deux fources principales de defordres dans les etats ariftocratiques : I’indgalite extreme entre ceux qui gouvernent Sc ceux qui font gouvernes; Sc la meme ine¬ galite entre les differens membres du corps qui gouverne. De ces deux inegalites, refultent des haines Sc des ja- loufies que les loix doivent prevenir ou arreter. La premiere inegalite fe trouve principalement lorf- que les privileges des principaux ne font honorables que parce qu’iis font honteux au peuple. Telle fut a Rome la loi qui defendoit aux patriciens de s’unir par mariage aux plebeiens (b) ; ce qui n’avoit d’autre effet que de rendre d’un cote les patriciens plus fuperbes, & de 1’au¬ tre plus odieux. II faut voir les avantages qu’en tirerent les tribuns dans leurs harangues. Cette inegalite fe trouvera encore , fi la condition des citoyens eft differente par rapport aux fubfides; ce qui arrive de quatre manieres : lorfque les nobles fe donnent le privilege de n’en point payer; lorfqu’ils font des fraudes pour s’en exempter (c); lorfqu’ils les appel- lent a eux, fous pretexte de retributions ou d’appoin- temens pour les emplois qu’iis exercent; enfin, quand ils rendent le peuple tributaire, Sc fe partagent les impots qu’iis levent fur eux. Ce dernier cas eft rare; une arifto- cratie, en cas pareii, eft le plus dur de tous les gou- vernemens. Pendant que Rome inclina vers l’ariftocratie, elle evita tres-bien ces inconveniens. Les magiftrats ne tiroient (b) Elle futmife, par les dd- (c) Coinme dans quelques ceravirs, dans les deux dernie- ariftocraties de nos jours. Rien res tables. Voyez Denys d'Ha- n’affoiblit tant l’etat. licarnajje , liv. X. L I V RE F, Chapitke VIII. 63 jamais d’appointemens de leur magiftrature. Les prin- cipaux de la republique furent taxes comme les autres; ils le furent meme plus, &£ quelquefois ils le furent feuls. Enfin, bien loin de fe partager les revenus de l’etat, tout ce qu’ils purent tirer du trefor public, tout ce que la fortune leur envoya de richeffes, ils le di(- tribuerent au peuple, pour fe faire pardonner leurs hon- neurs ( d ). . C’eft une maxime fondamentale, qu’autant que les diftributions faites au peuple ont de pernicieux effets dans la democratic, autant en ont-elles de bons dans le gouvernement ariftocratique. Les premieres font per- dre l’efprit de citoyen, les autres y ramenent. Si l’on ne diftribue point les revenus au peuple, il faut lui faire voir qu’ils /ont bien adminiftres : les lui montrer , c’eft, en quelque maniere, l’en faire jouir. Cette chaine d’orquel’on tendoita Venife, les richeffes que l’on p ortoit a Rome dans les triomphes, les tre- fors que 1 on gardoit dans le temple de Saturne, eroient ve'ritablement les richefles du peuple. II eft fur-tout effentiel, dans 1’ariftocratie, que les nobles ne levent pas les tributs. Le premier ordre de l’etat ne s’en meloit point a Rome : on en chargea le fecond ; &c cela meme eut, dans la fuite, de grands inconveniens. Dans une ariftocratie ou les nobles le- veroient les tributs, tous les particulars feroient a la difcretion des gens d’affaires; il n’y auroit point de tri¬ bunal fuperieur qui les corrigeat. Ceux d’entre eux pre- pofes pour oter les abus , aimeroient mieux jouir des abus. Les nobles feroient comme les princes des etats defpotiques, qui confifquent les biens de qui il leur plait. Bientot les profits qu’on y feroit, feroient regardes comme un patrimoine, que l’avarice etendroit a fa fan- taifie. On feroit tomber les fermes; on re'duiroit a rien les revenus publics. C’eft par-la que quelques e'tats, fans W Voyez, dans Sfradon, liv. XIV, comment les Rhodiens fe conduifirent a cet egard. 64 D E l? E SPRIT I) E S L 0 I X, avoir requ d’echec qu’on puifte remarquer, tombent dans une foibJefle dont ies voifins font furpris, & qui etonne les citoyens memes. Ii faut que les loix leur defendent aufli le commerce: des marchands ft accredits feroient routes fortes de mo¬ nopoles. Le commerce eft la profeffion des gens egaux: &, parmi les etats defpotiques, les plus miferables font ceux on le prince eft marchand. Les loix de Venife (e) defendent aux nobles le com¬ merce, qui pourroit leur donner, meme innocemment, des richefles exorbitantes. Les loix doivent employer les moyens les plus effi- caces pour que les nobles rendent juftice au peuple. Si elles n’ont point etabli un tribun, il faut qu’elles foient un tribun elles-memes. Toute forte d’afyle contre l’execution des loix perd l’ariftocratie; & la tyrannic en eft tout pr£s. Elles doivent mortifier, dans tous les temps, l’or- gueil de la domination. II faut qu’il y ait, pour un temps ou pour toujours, un magiftrat qui fade trembler les no¬ bles; comme les ephores a Lacedemone, & les inqui- fiteurs d’etat a Venife; magiftratures qui ne font fou- mifes a aucunes formalites. Ce gouverneinent a befoin de refforts bien violens. Une bouche de pierre (/) s’ouvre a tout delateur a Venife; vous diriez que c’eft celle de la tyrannie. Ces magiftratures tyranniques, dans l’ariftocratie, ont du rapport a la cenfure de la democratic, qui, par fa nature , n’eft pas moins independante. En eftet, les cen fours ne doivent point etre recherches fur les cho- fes qu’ils ont Elites pendant leur cenfure; il faut leur donner de la confiance, jamais du decouragement. Les Ro- (c) Amelot de la Houffaye, de quarante muids. Tite Live, du gouvernement de Venife , Uv. XXI. partie III. La loi Claudia de- (/) Les delateurs y jettent fendoit aux fenatenrs d’avoir en leurs billets. *er aucun vaifleau qui tint plus LirRE F, Ch a PITRE VI ft. 65 Romains etoient admirables; on pouvoit faire rendre a tous les magiftrats (g) raifon de leur conduite, ex- cepte aux cenfeurs ( h ). Deux chofes font pernicieufes dans l’ariftocratie 1& pauvrete extreme des nobles, & leurs richeffes exorbi- tantes. Pour prevenir leur pauvrete, il faut fur-tout les dbliger de bonne heure a payer leurs dettes. Pour ttlo- derer leurs richeffes, il faut des difpofitions fages & in- fenfibles; non pas des confifcations, des loix agraires , des abolitions de dettes, qui font des maux infinis. Les loix doivent oter le droit d’aineffe entre les no* hies ( i ) ; afin que, par le partage continuel des fuc- ceflions , les fortunes fe remettent toujours dans 1 e- galite. Il ne faut point de fubftitutions, de retraits lignagers * de majorats, d’adoptions. Tous les moyens inventes pour perpetuer 1 a grandeur des families dans leS etats monarchiques, ne Icauroient etre d’ufage dans l’arifto¬ cratie ( k). Quand les loix ont egalife les families, il leur refte a maintenir l’union entre elles. Les differends des no¬ bles doivent €tre promptement decides; fans cela, les conteftations entre les perfonnes deviennent des con- teftations entre les families. Des arbitres peuvent ter¬ miner les proces, ou les empecher de naitre. Enfin , il ne faut point que les loix favorifent les dif- tin&ions que la vanite met entre les families, fous pre- texte qu’elles font plus nobles ou plus anciennes; cela doit dtre mis au rang des petiteffes des particuliers. (g) Voyez Tite Liv. /. XLIX. tons les magiftrats, ne rendoient Un cenfeur ne pouvoit pas meme point compte eux-meimes< etre trouble par un cenfeur: cha- (*) Cela eft ainfi etabli 4 \ T e~ ,cun faifoit fa note, fans prendre nife. Amelot de la Houtfaye , 1’avis de fon collegue; &, quand Pag. 30 & 31. on fit autrement, la cenfurefut, Qk) Il femble tjue I'objet de pour ainfi dire, renverfee. qtiefques ariftocraties foit moins _(/5) A Athenes, les logifieS , de maintenir 1’dtat, que ce qu’el- qui faifoient rendre compte a les appellentleur nobleffe. Tome I, E 66 De i’ ESPRIT DES LOIX, On n’a qu’a jerter les yeux fur Lacedemone ; on verra comment les ephores fqurent mortifier les foibleffes des rois, cedes des grands, & celles du people. CHAPITRE X. De la promptitude de l'execution , dans la monarchic. L E gouvernement monarchique a un grand avantage fur le republicain : les affaires etant menees par un feul, il y a plus de promptitude dans l’execution. Mais, comme cette promptitude pourroit degenerer en rapidite , les loix y mettront une certaine lenteur. Elies ne doivent pas feulement favorifer la nature de chaque conftitution, mais encore remedier aux abus qui pourroient refulter de cette mdme nature. Le cardinal de Richelieu Qa) veut que l’on evite, dans les monarchies, les epines des compagnies, qui forment des difficultes fur toht. Quand cet homme n’auroit pas eu le defpotifme dans le coeur, il 1’auroit eu dans la tete. ) Teftament politique. Eij 68 Be l'esprit des loix , Les corps qui ont le depot des loix n’obeiflent jamais mieux que quand i!s vont a pas tardifs, & qu’ils appor- tent, dans les affaires du prince , cette reflexion qu on ne peut gueres attendre du defaut de lumieres de la cour fur les loix de l’etat, ni de la precipitation de les con¬ fers (£). Que feroit devenue la plus belle monarchic du monde, fi les magiftrats, par leurs lenteurs, par leurs plaintes, par leurs prieres, n’avoient arrete le cours des vertus mdmes de fes rois, lorfque fes monarques, ne conftil- tant que leur grande ame, auroient voulu recompenfer fans mefure des fervices rendus avec un courage & une fidelite auffi fans mefure ? ( [b ) Barbaris cunclatio fervilis; ftatim exequi regium videtur. Tacite, annul, liv. V. ■ c—— ^y... - A CHAPITRE XL Be V'excellence du gouvernement monarchique. I_j E gouvernement monarchique a un grand avantage fur le defpotique. Comme ii eft de fa nature qu’il y ait, fous le prince, plufieurs ordres qui tiennent a la conf- titution, 1 etat eft plus fixe , la conftitution plus ine- branlable , la perfonne de ceux qui gouvement plus affuree. Ciceron (a) croit que retabliflement des tribuns de Rome fut le falut de la republique. » En effet, dit-il , » la force du peuple qui n’a point de chef eft plus ter- » rible. Un chef fent que l’affaire roule fur lui, il y penfe : » mais le peuple, dans fon impetuofite, ne connoit point » le peril oil il fe jette. « On peut appliquer cette re¬ flexion a un etat defpotique, qui eft un peuple fans tri— («) Livre III des loix. L 1 V RE F, Chapitre XI. 69 buns; & a une monarchic, ou le peuple a , en quel- que faqon, des tribuns. En eftet, on voit par-tout que, dans les mouve- mens du gouvernement defpotique , le peuple, mene par lui-meme, porte toujoursles chofes auffi loin qu’el- les peuvent aller; tous les defordres qu’il commet font extremes : au lieu que , dans les monarchies, les cho¬ res font tres-rarement portees a l’exces. Les chefs crai- gnent pour eux-memes; ils ont peur d’etre abandon- nes; les puiffances intermediaires dependantes (ne veulent pas que le peuple prenne trop le deffus. 11 eft rare que les ordres de l’etat foient entierement corrom- pus. Le prince dent a ces ordres; & les feditieux , qui n’ont ni la volonte ni l’efperance de renverfer l’etat, ne peuvent ni ne veulent renverfer le prince. Dans ces circonftances, les gens qui ont de la fa- geffe & de l’aurorite s’entremettent; on prend des tem- peramens, on s’arrange, on fe corrige, les loix repren- nent leur vigueur, & fe font ecouter. Aufli routes nos hiftoires font-elles pleines de guerres civiles fans revolutions; celles des etats defpotiques font pleines de revolutions fans guerres civiles. Ceux qui ont ecrit l’hiftoire des guerres civiles de quel- ques etats , ceux m£mes qui les ont fomentees, prou- vent affez combien 1’autorite que les princes laiflent a de certains ordres pour leur fervlce, leur doit dtre peu fufpefte; puifque, dans l’egarement meme , ils ne fou- piroient qu’apres les loix & leur devoir, & retardoient la fougue & l’impetuofite des factieux plus qu’ils ne pou- voient la fervir (c). Le cardinal de Richelieu, penfant peut-etre qu’il avoit trop avili les ordres de l’etat, a recours, pour le fou- tenir, aux vertus du prince & de fes miniftres (d) ; & il exige d’eux tant de chofes, qu’en verite il n’y a qu’un ange qui puiffe avoir rant detention, tant de lu- Voyez ci-deflus la pre- fr) Memoiresdu cardinal de miere note du livre. II, chapi- Retz, & au'tres hiftoires. tre iv. (d) Teftament politique. E iij I) E 1? E SPRIT n £ S L 0 I X, mieres, tant de fermete, rant de connoiffances; & on peut a peine fe flatter que, d’ici a la dilfolution des mo¬ narchies , il puifle y avoir un prince & des miniftres pareils. Comme les peuples qui vivent fous une bonne police font plus heureux que ceux qui, fans regie & fans chefs, errent dans les forets; auffi les monarques, qui vivent fous les loix fondamentales de leur etat, font-ils plus heureux que les princes defpotiques, qui n’ont rien qui puiffe regler le coeur de leurs peuples, ni le leur. ... . .. ...- . . ■ . . - . CHAPITRE XII. Continuation du mime, fit jet. C^u’on n’aille point chercher de la magnanimite dans les etats defpotiques; le prince n’y donneroit point une grandeur qu’ii n’a pas lui-meme : chez lui il n’y a pas de gloire. C’efl dans les monarchies que Ton verra autour du prince les fujets recevoir fes rayons; c’eft la que cha- cun tenant, pour ainfi dire, un plus grand efpace, peut exercer ces vertus qui donnent a Tame, non pas de Findependance, mais de la grandeur. CHAPITRE XIII. Idee du defpotifine. Qpakd les fauvages de la Louifiane veulent avoir du fruit, ils coupent farbre au pied , & c'ueilient le fruit (a). Voila le gouvernement clefpotique. (<0 Legres ddifiantes, recueil II, page 315. L 1 V R E V , C HA PIT RE XIV. 7 * =»■ CHAPITRE XIV. Comment les loix font relatives au principe du gou- vernement defpotique. JLiE gouvernevnent defpotique a pour principe la crainte: mais, a des peuples timides, ignorans, abbattus, il ne faut pas beaucoup de loix. Tout y doit rouler fur deux ou trois idees : il n’en faut done pas de nouvelles. Quand vous inftruifez une bete, vous vous donnez bien de garde de lui faire chan¬ ger de maitre , de leqons & d’allure; vous frappez fon cerveau par deux ou trois mouvemens, & pas davantage. Lorfque le prince eft enferme, il ne peut fortir du fejour de la volupte, fans defoler tous ceux qui l’y re- tiennenr. 11s ne peuvent fouffrir que fa perfonne & fon pouvoir paffent en d’autres mains. Il fait done rarement la guerre en perfonne, & il n’ofe gueres la faire par fes lieutenans. Un prince pared, accoutume, dans fon palais, a ne trouver aucune refiftance, s’indigne de cede qu’on lui fait les armes a la main : il eft done ordinairement con¬ duit par la colere ou par la vengeance. D’ailleu'rs, il ne peut avoir d’idee de la vraie gloire. Les guerres doi- vent done s’y faire dans toute leur fureur naturelle, &c le droit des gens y avoir moins detendue qu’aiileurs. Un tel prince a tant de defauts, qu’il faudroit crain- dre d’expofer au grand jour fa ftupidite naturelle. Il eft cache, &C l’on ignore l’etat ou il fe trouve. Par bonheur, les hoinmes font tels dans ce pays, qu’ils n’ont befoin que d’un nom qui les gouverne. Charles XII etant a Bender, trouvant quelque refif¬ tance dans le fenat de Suede , ecrivit qu’il leur enverroit une de fes bottes pour commander. Cette botte auroit commande comme un roi defpotique. Si le prince eft prifonnier, il eft cenfe etre mort, E iv yz Be l’e sprit d e s loix, & un autre monte fur le trone. Les traites que fait le prifonnier font nuls; fon fucceffeur ne les ratifieroit pas, En effet, comme il eft les loix, l’etat & le prince, & que, ft-tdt qu’il n’eft plus le prince, il n’eft rien; s’il n’etoit pas cenfe mort, l’etat feroit detruit. Une des chofes qui determinate plus les Turcs a faire leur paix feparee avec Pierre I , fut que les Mofcovi- tes dirent au vizir qu’en Suede on avoit mis un autre roi fur le trone (a). La confervation de letat n’eft que la confervation du prince, ou plutot du palais oil il eft enferme. Tout ce qui ne menace pas dire&ement ce palais ou la vilie capitale, ne fait point d’impreffion fur des efprits igno- rans, orgueilleux & prevenus: &, quant a l’enchainetnent des evenemens, ils ne peuvent le fuivre, le prevoir, y penfer meme. La politique , fes refforts & fes loix y doivent etre tres-bornes ; & le gouvernement poli¬ tique y eft aufti fimple que le gouvernement civil (£), Tout fe reduit a concilier le gouvernement politique; & civil avec le gouvernement domeftique, les officiers de letat avec ceux du ferrail, Un pared etat fera dans la meilleure fttuation, lorf- qu’ii pourra fe regarder comme feul dans le monde ; qu’il fera environne de deferts, St fepare des peuples qu’il appelleta barbares. Ne pouvant compter fur la mi- lice, il fera bon qu’il detruife une partie de lui-meme. Comme le principe da gouvernement defpotique eft la crainte, le but en eft la tranquiilite : mais ce n’eft point line paix, e’eft le filence de ces villes que l’ennemi eft prdt d’occuper. La force n’etant pas; dans l’etat, mais dans l’armeq qui l’a fonde, il faudroit, pour defendre l’etat, confer- ver cette armee : mais elle eft formidable au prince. Comment done concilier la furete de l’etat avec la fu- rete de la perfonne ? (n') Suite de Pufendorff , (i') Selon M. Chardin , il filftoire univerfelle , au traite n’y a point de confeil d’dtat en de la Suede, chap, x, Perfe, L I V RE V , Ch a PITRE XIV. 73 Voyez, je vous prie, avec quelle induftrie le gou- vernement Mofcovite cherche a l'ortir du defpotifme , qui lui eft plus pefant qu’aux peuples memes. On a caffe les grands corps de troupes , on a diminue les peines des crimes, on a erabli des tribunaux, on a commence a connoitre les loix, on a inftruit les peuples. Mais il y a des caufes particulieres, qui le rameneront peut- etre au malheur qu’il vouloit fuir. Dans ces etats , la religion a plus d’influence que dans aucun autre; elle eft une crainte ajoutee a la crainte. Dans les empires Mahometans, c’eft de la religion que les peuples tirent, en partie, le refpeft etonnant qu ils ont pour leur prince. C’eft la religion qui corrige un peu la conftitution Tur- que. Les fujets, qui ne font pas.attaches a la gloire Sc a la grandeur de letar par honneur, le font par la force & par le principe de la religion. De tous les gouvernemens defpotiques , il n’y en a point qui s’accable plus lui-meme, que celui oil le prince ie declare proprietaire de tous les fonds de terre, Sc l’he ritier de tous fes fujets : il en refulte toujours l’aban- don de la culture des terres. Et, ft d’ailleurs le prince eft marchand , toute efpece d’induftrie eft ruinee. Dans ces etats, on ne repare, on n’ameliore rien (c). On ne batit de maifons que pour la vie; on ne fait point de foffes, on ne plante point d’arbres; on tire tout de la terre , on ne lui rend rien; tout eft en fri- che, tout eft defert. Lenlez-vous que les loix qui otent la propriete des fonds de terre & la fucceffion des biens , diminueront 1 ’avarice Sc la cupidite des grands ? Non : elles irrite- ront cette cupidite Sc cette avarice. On fera porte a faire mille vexations, parce qu’on ne croira avoir en propre que Tor ou largent que l’on pourra voler ou cachet. Pour que tout ne foit pas perdu * il eft bon que l’a- vidite du prince foit moderee par quelque coutume. (c) Voyez Ricaut, etat de l’empire Ottoman, page 196. $74 Db l'esprit des loix, Ainfi, en Turquie, le prince fe contente ordinairement de prendre trois pour cent fur les fucceflions (d) des gens du peuple. Mais, comme le grand-feigneur donne la plupart des terres a fa milice, 6c en difpofe a fa fan- taifie; comme il fe faifit de toutes les fucceflions des officiers de l’empire ; comme , lorfqu’un homme meurt fans enfans males , le grand-feigneur a la propriete, & que les filles n’ont que i’ufufruit, il arrive que la plupart des biens de l’etat font poffedes d’une maniere precaire. Par la loi de Bantam (e), le roi prend la fuccef- fion , meme la femme , les enfans & la maifon. On eft oblige, pour eluder la plus cruelle difpofition de cette loi, de marier les enfans a huit, neuf ou dix ans , &c quelquefois plus jeunes, afin qu’ils ne fe trouvent pas faire une malheureufe partie de la fucceffion du pere. Dans les etats oil il n’y a point de loi fondamentale, la fucceflion a l’empire ne fqauroit etre fixe. La cou- ronne y eft elective par le prince, dans fa famille, on hors de la famille. En vain feroit-il etabli que l’aine fuc- cederoit; le prince en pourroit toujours choiftr un au¬ tre. Le fuccefleur eft declare par le prince Iui-meme , ou par fes miniftres, ou par une guerre civile. Ainfi cet etat a une raifon de diffolution de plus qu’une mo- narchie. Chaque prince de la famille royale ayant une egale capacite pour dtre elu , il arrive que celui qui monte fur le trone fait d’abord etrangler fes freres, comme en Turquie; ou les fait aveugler , comme en Perfe; ou les rend fous, comme chez le Mogol : ou , fi l’on ne prend point ces precautions, comme a Maroc , cha¬ que vacance de trone eft fuivie d’une affreufe guerre civile. (d') Voyez, fur les fuccef- ont fervi a retabliflement de la fions des Turcs, Lacedimone compagnie des Indes, tome pre- ancienne & moderne. Voyez mier. La loi de Pigu eft moins auffi Ricant, de l’empire Otto- cruelle ; fi l’on a des enfans, le man. roi ne fuccede qu’au deux tiers, (e) Recueil des voyages qui Ibid, tome III,page i. Livre F. Chapitre XIV. 75 Par les conftitutions de Mofcovie (/)> le czar peut choilir qui il veut pour Ton fuccefleur, fo it dans la fa- mille, foit hors de fa famille. Un tel etabliffement de fucceffion caufe mille revolutions, & rend le trone auffi chancelant que la fucceffion eft arbitraire. L’ordre de fucceffion etant une des chofes qu’il importe le plus au people de Iqavoir, le meilleur eft celui qui frappe le plus les yeux, comme la naiffance Sc un certain ordre de naiffance. Une telle difpofition arrdte les brigues , etouffe I’ambition; on ne captive plus l’efprit d’un prince foible , Sc Ton ne fait point parler les mourans. Lorfque la fucceffion eft etablie par une loi fonda- mentale, un feul prince eft le fuccefleur, Sc fes freres n’ont aucun droit reel ou apparent de lui difputer la cou- ronne. On ne peut prefumer ni faire valoir une volonte particuliere du pere. II n’eft done pas plus queftion d’ar- reter ou de faire mourir le frere du roi, que quelque autre fujet que ce foit. Mais, dans les etats defpotiques, oil les freres du prince font e'galetnent fes efclaves & fes rivaux, la pru¬ dence veut que Ton s’affure de leurs perfonnes ; fur- tout dans les pays Mahometans, ou la religion regarde la vicloire ou le fucces comme un jugement de dieu; de forte que perfonne n’y eft fouverain de droit, mais feulement de fait. L’ambition eft bien plus irritee dans des etats ou des princes du fang voient que, s’ils ne montent pas liar le trone, ils feront enfermes ou mis a mort, que parmi nous oil les princes du fang jouiffent d’une condition qui, fi elle n’eft pas ft fatisfaifante pour l’ambition, l’eft peut-dtre plus pour les defirs moderns. Les princes des etats defpotiques ont toujours abufe du mariage. Ils prennent ordinairement plufieurs fem¬ mes , fur-tout dans la partie du monde ou le defpo- tifine eft, pour ainfi dire, naturahfe, qui eft l’Afie. Ils en ont tant d’enfans, qu’ils ne peuvent gueres avoir d’affedlion pour eux, ni ceux-ci pour leurs freres. CO Voyez les difFerentes conftitutions, fur-tout celle de 1722. 26 D E l' e sprit d e S t 0 I X, La familie regnante reffemble a letat : elle eft trop foible, & fon chef eft trop fort; elle paroit etendue, & elie fe re'duit a rien. Artaxerxes (g~) fit mount tous fes enfans, pour avoir conjure contre lui. II n’eft pas vrai/emblable que cinquante enfans conlpirent contre leur pere; & encore moiiis qu’ils confpirent, parce qu’il n’a pas voulu ceder (a concubine a fon fils aine. II eft plus Ample de croire qu’il y a la quelque intrigue de ces fer- rails d’orient; de ces lieux oil l’artifice, la mechancete, la rufe regnent dans le filence, & fe couvrent dune epaifle nuit; ou un vieux prince, devenu tous les jours plus imbecille, eft le premier prifonnier du palais. Apres tout ce que nous venons de dire, il femble- roit que la nature humaine fe fouleveroit fans ceffe con¬ tre le gouvernement defpotique. Mais, malgre l’amour des hommes pour la liberte, malgre leur haine contre la violence, la plupart des peuples y font foumis. Cela eft aife a comprendre. Pour former un gouvernement modere, il faut combiner les puiftan ces, les regler, les temperer, les faire agir; donner, pour ainfi dire, un left a l’une, pour la mettre en etat de refifter a une autre. C’eft un chef-d’oeuvre de legiflation, que le ha- fard fait rarement, & que rarement on laiffe faire a la prudence. Un gouvernement defpotique, au contraire, faute, pour ainfi dire, aux yeux; il eft uniforme par- tout : comme il ne faut que des paffions pour l’etablir, tout le monde eft bon pour cela. (g~) Voyez Juflin. - r — '■ ■ ■ - . . H ■ ■ ■ I i i.i-i i CHAPITRE XV. Continuation du memo fujet. Dans les clitnats cbauds, oil regne ordinairement le defpoiifme, les paflions fe font plutot fentir, & dies L i v re V , Chapitue XV. 77 font aufli plutot amorties ( a ) ; l’efprit y eft plus avance ; les perils de la diflipation des biens y font moins grands; il y a moins de facilite de fe diftinguer, moins de com¬ merce entre les jeunes gens renfermes dans la maifon; on s’y marie de meilleure heure. On y peut done etre majeur plutot que dans nos climats d’Europe. En Tur- quie, la majorite commence a quinze ans (£). La ceflion de biens n’y peut avoir lieu. Dans un gou- vernement ou perfonne n’a de fortune affuree, on prete plus a la perfonne qa’aux biens. Elle entre naturellement dans les gouvememens mo¬ derns (c)> & fur-tout dans les republiques; a caufe de la plus grande confiance que l’on doit avoir dans la pro¬ bite des citoyens, & de la douceur que doit inlpirer une forme de gouvernement que chacun femble s’etre donnee lui-meme. Si, dans la republique Romaine, les legillateurs avoient etabli la cell ion de biens ( rent rien ; ceux a qui on donne un peu defirent bien- tot un peu plus, & enfuite beaucoup. D’ailleurs, il eft plus aife de convaincre celui qui, ne devant rien pren¬ dre , prend quelque chofe, que celui qui prend plus, lorfqu’il devroit prendre moins; & qui trouve toujours, pour cela, des pretextes, des excufes , des caufes 8c des mfons plaulibles. Cb~) Livre XII desloix. Qd) Munufcula. CO Leg. 6 , §. 2, dig. ad leg. Jul. repet. < . —- . ■ -- -s ■ - ■ — —a . CHAPITRE XVIII. Des recompenfes que le fouverain donne. Dans les gouvernemens defpotiques, ou, comme nous avons dit, on n’eft determine a agir que par I’ef- perance des commodites de la vie, le prince qui re- compenfe n’a que de l’argent a donner. Dans urie mo¬ narchic , ou 1’honneur regne feul, le prince ne recom- penferoit que par des diftinftions, ft les diflinctions que l’honneur etablit n’etoient jointes a un luxe qui donne neceffairement des befoins: le prince y recompenfe done par des honneurs qui menent a la fortune. Mais, dans Tome I, F 82 De l’esprit des loix , une republique, ou la vertu regne, motif qui fe fuffi* a lui-meme, & qui exclut tous les autres, 1’etat ne re- compenfe que par des temoignages de cette vertu. C’eft une regie generate, que les grandes recompen¬ ses , dans une monarchic & clans une republique , font un figne de leur decadence; parce qu’elles prouvent que leurs principes font corrompus; que , d’un cote , 1’idee de l’honneur n’y a plus taut de force; que , de l’au- tre , la qualite de citoyen s’eft affoiblie. Les plus mauvais empereurs Romains ont ete ceux qui ont le plus donne; par exemple, Caligula , Claude , Neron , Othon , Vitellius , Commode , Heliogabale , Sc Caracalla. Les meilleurs , comme Augufie , Vtfpafien , Antonin Pie , Marc Aurele , & Pertinax , ont ete eco- nomes. Sous les bons empereurs, l’etat reprenoit fes prin¬ cipes : le trefor de i’honneur fuppleoit aux autres trefors. <5- r - . —. -=rrs= tjU^g^ ^ . .=.■_ j. CHAPITRE XIX. Nouvelles confluences des principes des trots gou- vernemens. JE ne puis me refoudre a finir ce livre, fans faire encore quelques applications-de mes trois principes. Premiere question. Les loix doivent-elies forcer un citoyen a accepter les emplois publics ? Je dis qu’elles le doivent dans le gouvernement republicain , & non pas dans le monarchique. Dans le premier, les magiftratures font des temoignages de vertu, des de¬ pots que la patrie confie a un citoyen, qui ne doit vi- vre , agir & penfer que pour elle : il ne peut done pas les refufer (a). Dans le fecond, les magiftratures font (a) Platon , dans fa republique, liv. VIII, met ces refus an sombre des marques de la corruption de !a republique. Dans fes loix, liv. VI, il veut qu’on les punitle par une amende. A Ve- vife, on les punit par Fex.il. L i r r e F, Chafitre XIX. 83 des temoignages d’honneur : or, telle eft la bizarrerie de l’honneur, qu’il fe plait a n’en accepter aucua que quand il veut, & de la maniere qu'il veut. Le feu roi de Sardaigne (6) puniffoit ceux qui re- fufoient les dignites &t les emplois de fon etat. II fui- voir, fans le Iqavoir , des idees republicaines. Sa ma¬ niere de gouverner d’ailleurs prouve affez que ce n’etoit pas la fon intention. Seconde question. Eftce une bonne maxi- me, qu’un citoyen puiffe etre oblige d’accepter, dans l’armee , une place inferieure a celle qu’il a occupee } On voyoit louvent, chez les Romains, le capitaine fer- vir, l’annee d’aprds, fous fon lieutenant (c). C’eft que, dans les republiques, la vertu demande qu’on faffe a l’etat tin facrifice continuel de foi-meme & de fes re¬ pugnances. Mais, dans les monarchies, l’honneur, vrai ou faux, ne peur fouffrir ce qu’il appelle fe degrader. Dans les gouvernemens delpotiques, oil l’on abufe egalemenr de i’honneur, des poftes'& des rangs, on fait indifferemment d’un prince un goujat, & d’un gou- jat un prince. Troisieme question. Mettra-t-on fur une meme tete les emplois civils & militaires ? II faut les unir dans la republique , St les feparer dans la monar¬ chic. Dans les republiques, il feroit bien dangereux de faire , de la profeffion des armes , un etat particuiier, diftingud de celui qui a les fon&ions civiles; &, dans les monarchies, il n’y auroit pas moins de peril a don- ner les deux foniftions a la meme perfonne. On ne prend les armes, dans la republique, qu’en qualiie de defenfeur des loix & de la patrie ; c’eft parce que l’on eft citoyen , qu’on fe fait, pour un temps, foldat. S’il y avoit deux etars diftingues, on feroit fen- (h) Viaor-Amedde. dit un centurion, que vous re- (V)Quelques centurions ayant gardiez comme honorables tons appelle au peuple, pour deman- les poftes ou vous dlfendrez la der l’emploi qu’ils avoient eu: ripublique. Tite Live, 1. XLII. Il eft jufte, mes compagnons, Fij 84 D e l'esprit d e s l o i x, tir a celui qui, fous les armes , fe croit citoyen, qu’il n’eft que foldat. Dans les monarchies, les gens de guerre n’ont pour objer que la gloire, ou du moins l’honneur ou la for¬ tune. On doit bien fe garder de donner les emplois ci- viis a des homines pareils : il faut, au contraire, qu’ils foient contenus par les magiftrats civils; & que les me- mes gens n’aient pas, en meme temps, la confiance du peuple, & la force pour en abufer (if), Voyez, dans une nation ou la republique fe cache fous la forme de la monarchie, combien Ton craint un etat particular de gens de guerre; & comment le guer- rier refte toujours citoyen, ou meme magiftrat; afin que ces qualites foient un gage pour la patrie, & qu’on ne l’oublie jamais. Cette divilion de magiftratures en civiles & militai- res, faite par les Romains apres la perte de la repu¬ blique , ne fiit pas une chofe arbitraire. Elle fut une luite du changement de la conftitution de Rome : elle etoit de la nature du gouvernement monarchique. Et ce qui ne fut que commence fous Augufle ( e ), les em- pereurs fuivans (/) furent obliges de l’achever, pour temperer le gouvernement militaire. Ainfi Procope, concurrent de Valens a l’empire, n’y entendoit rien, lorfque, donnant a Hormifdas, prince du fang royal de Perfe, la dignite de proconful (g ), il rendit a cette magiftrature le commandement des ar- mees qu’elle avoit autrefois; a moins qu’il n’eut des rai- fons particulieres. Un homme qui afpire a la fouverai- nete cherche moins ce qui eft utile a l’etat, que ce qui 1’eft a fa caufe. (d) Ne imperium ad opti¬ mal nobilium transferretur , fe- natum militia vetuit Gallie- nus ; etidm adire exercitum. Aurelius Victor, de viris illuf- iribus. (e) Augufte ota aux fena- teurs, proconfuis & gouver- neurs, le droit de porter les ar¬ mes. Dion , liv. XXXIII. (/) Conftantiri. Voyez Zo- zirne , liv. II. (g) Ammian Marceliin, ii- vre XXVI. More veterum & bella re&uro. L i r r e F, Chapit're XIX. S5 Quatrieme question. Convient-il que les charges foient venales? Elies ne doivent pas d’etre dans les etats defpotiques, oil il faut que les fujets foient pla¬ ces ou deplaces dans un inftant par le prince. Cette venalite eft bonne dans les etats monarchiques ; parce qu’elle fait faire, comme un metier de famille , ce qu’on ne voudroit pas entreprendre pour la vertu ; qu’elle deftine chacun a Ion devoir, &t rend les ordres de letat plus permanens. Suidas (/t) dit tres-bien qu’A- naftafe avoit fait de l’empire une efpece d’ariftocratie , en vendant toutes les magiftratures. Platon CO ne peut fouffrir cette venalite. » C’eft, « dit-il , comme ft, dans un navire, on faifoit quelqu’un « pilote ou matelot pour fon argent. Seroit-il poffible que « la regie fut mauvaife dans quelque autre emploi que ce « fut de la vie, & bonne feulement pour conduire une « republique ? « Mais Platon parle d’une republique fon- dee fur la vertu, & nous parlons d’une monarchic. Or, dans une monarchic, oil, quand les charges ne fe ven- droient pas par un reglement public, 1’indigence & l’a- vidite des courtifans les vendroient tout de mdme, le hafard donnera de meilleurs fujets que le choix du prince. Enfin , la maniere de s’avancer par les richefles inf- pire & entretient l’induftrie chofe dont cette et- pece de gouvernement a grand befo’in. CiNQUlEME QUESTION. Dans quel gouverne- ment faut-il des cenfeurs ? II en faut dans une repu¬ blique , oil le principe du gouvernement eft la vertu. Ce ne font pas feulement les crimes qui detruifent la vertu; mais encore les negligences, les fautes, une cer- taine tiedeur dans l’amour de la patrie, des exemples dangereux, des lemences de corruption; ce qui ne cho- que point les loix, mais les elude; ce qui ne les detruit pas, mais les affoiblit : tout cela doit etre corrige par les cenfeurs. OO Fragmens tires des am- (/) RepuW. liv. VIII. baffades de Conftantin Porphy- ParelTe de i’Efpagne; on rogenete. y donne tous les emplois. F iij 86 T> e l’zspr/t des loix, On eft etonne de la punition de cet ardopagite qui avoir tue un moineau qui, pourfuivi par un epervier, s’etoit refugie dans Ton fein. On eft furpris que l’areo- page ait fait mourir un enfant qui avoit creve les yeux a /on oi/eau. Qu’on fafle attention qu’il ne s’agit point la d’une condamnation pour crime, mais d’un jugement de mceurs dans une republique fondee fur les moeurs. Dans les monarchies, il ne faut point de cenfeurs: elles font fondees fur l’honneur; & la nature de l’hon- neur eft d’avoir pour cenfeur tout l’univers. Tout hom- me qui y manque eft foumis aux reproches de ceux mo¬ nies qui n’en ont point. La, les cenfeurs feroient gates par ceux memes qu’ils devroient corriger. Ils ne feroient pas bons contre la corruption d’une monarchic; mais la corruption d’une monarchic feroit trop forte contre eux. On fent bien qu’il ne faut point de cenfeurs dans les gouverneinens defpotiques. L’exemple de la Chine fem- ble deroger a cette regie : mais nous verrons, dans la fuite de cet ouvrage, les raifons ftngulieres de cet eta- hliflement. L 1 V R E VI , Chapitue'I. . $7 L I V R E VI. Confluences des principes des divers gouver- nemens , par rapport a la fimplictte des lo'tx chiles & criminelles , la forme des jugemens, & Petabhfement des-peines. ^ - -— . - .» CHAPITRE PREMIER. De la fimplicitd des loix chiles , dans les divers gou- vernemens. J—/E gouvernement monarchique ne domporte pas des loix auffi ffinples que le delpotique. II y faut des tfibu- naux. Ces tribunaux donnent des decifions. Elies doi- verrt dtre confervees; elles doivent dtre apprife's, pour que l’on y juge au’]ourd’hui comme l’on y jugea hier, & que la propriete St la vie des citoyens y foient af- furees Sc fixes comme la conftitution meme de l’etat. Dans une monarchie, Fadminiflration d’une juftice qui ne decide pas feulement de la vie & des biens, mais auffi de l’hoiineur, demande des recherches fern- puleufes. La delicateffe du juge augmente, a mefure qu’il a un plus grand depot, 8c qu’il prononce fur de plus grands interdts. II ne faut done pas dtre etonne de trouver, dans les loix de ces etats, tant de regies, de reftriftions, d’ex- tenfions, qui multiplient les cas particuliers, & feiri- blent faire un art de la raifon mdme. La difference de rang, d’origine, de condition, qui eft^ etablie dans le gouvernement monarchique , en- traine fouvent des diftindtions dans la nature des biens; 8c des loix relatives a la conftitution de cet etat, peu- F iy 88 De l' ESPRIT DES t 0 I X, vent augmenter le nombre de ces diftinCtions. Ainfi ^ parini nous, les biens font propres, acquits, ou con- quets; dotaux, paraphernaux; paternels, & maternels; meubles de plufieurs efpeces ; libres , fubftitues ; du lignage, ou non; nobles, en franc-alleu, ou roturiers; rentes foncieres, ou conftituees a prix d’argent. Cha- que forte de biens eft foumife a des regies particulie- res; il faut les fuivre , pour en difpofer : ce qui ote encore de la fimplicite. Dans nos gouvernemens, les fiefs font devenus here- ditaires. II a fallu que la noblefle eut une certaine con- fiftance, afin que le proprietaire du fief fut en etat de fervir le prince. Cela a du produire bien des varietes: par exemple, il y a des pays ou Ton n’a pu partager les fiefs entre les freres; dans d’autres, les cadets ont pu avoir leur fubfiftance avec plus d’etendue. Le monarque, qui connoit chacune de fes provinces, peut etablir diverfes loix, ou fouffrir differentes cou- tumes. Mais le de/pote ne connoit rien , & ne peut avoir d’attention fur rien ; il Iui faut une allure gene¬ ral e ; il gouverne par une volcnte rigide, qui eft par- tout la mdme; tout s’applanit fous fes pieds. A mefure que les jugemens des tribunaux fe multi- plient dans les monarchies, la jurifprudence fe charge de decifions, qui quelquefois fe contredifent; ou parce que les juges, qui fe fuccedent, penfent differemment; ou parce que les affaires font tantot bien, tantot mal defendues; ou enfin par une infinite d’abus qui fe glif- fent dans tout ce qui paffe par la main des hommes. C’eft un mal neceffaire , que le legiflateur corrige de temps en temps comrne contraire meine a I’e/prit des gouvernemens moderns. Car, quand on eft oblige de recourir aux tribunaux, il faut que cela vienne de la nature de la conftitution, & non pas des contradictions & de l’incertitude des loix. Dans les gouvernemens ou il y a neceffairement des diftinftions dans les perfonnes , il faut qu’il y ait des privileges. Cela diminue encore la fimplicite, & fait mille exceptions. L I V R E VI , Ciiapitre I. 89 Un des privileges le moins a charge a la fociete, & fur-tout a celui qui le donne, c’eft de plaider de- vant un tribunal, plutot que devant un autre. Voila de nouvelles affaires; c’eft-a-dire, celles oil il s’agit de fcavoir devant quel tribunal il faut plaider. Les peuples des etats defpotiques font dans un cas bien different. Je ne fcais fur quoi , dans ces pays , le legiflateur pourroit ftatuer, ou le magiftrat juger. Il fuit, de ce que les terres appartiennent au prince , qu’il n'y a prefque point de loix civiles fur la propriete des terres. Il iuit, du droit que le fouverain a de fucce- der, qu’il n’y en a pas non plus fur les fucceffions. Le negoce exclufif qu’il fait dans quelques pays, rend inutiles routes fortes de loix fur le commerce. Les ma¬ nages que l’on y contrade avec des filles efclaves , font qu’il n’y a gueres de loix civiles fur les dots Sc fur les avantages des femmes. Il refulte encore de cette prodigieufe multitude d’efclaves, qu’il n’y a prefque point de gens qui aient une volonte propre , Sc qui, par consequent, doivent repondre de leur conduite devant un juge. La plupart des adions morales, qui ne font que les volontes du pere, du mari, du maitre , fe re- glent par eux, &c non par les magiftrats. J’oubliois de dire que ce que nous appellons l’hon- neur etant a peine connu dans ces etats, toutes les affaires qui regardent cet honneur, qui eft un ft grand chapitre parmi nous, n’y ont point de lieu. Le def- potifme fe fuffit a lui-meme ; tout eft vuide autour cle Iui. Auffi, lorfque les.voyageurs nous decrivent les pays ou il regne, rarement nous parlent-ils de loix ci¬ viles (a). Au Mazulipatan , on n’a pu decouvrir qu’il y eut de loi Cicrite. Voyez le recueildes voyages qui ont fervi ci rttabliffement de la compagnie des Indes, tome IF , partie premiere , page 39 r. Les Indiens ne fe reglent, dans les jugemens, que fur de certaines coutumes. Le Vedan , & autres livres pareils, ne contiennent point de loix civiles, mais des preceptes religieux. Voyez lettres edi- fiantes, quatorzieme recueil. 5)0 De D £ SPRIT DES LOIX, Toutes les occafions de difpute & de proces y font done otees. C’eft ce qui fait, en partie, qu’on y mal- traite fi fort les plaideurs : l’injuftice de leur demande paroit a decouvert, n’etant pas cachee, palliee, ou pro¬ tegee par une infinite de loix. ■a- . . r-,1- - - - , > CHAPITRE II. De la (implicit i dec loix criminelles , dam les divers gouvern&nens. O N entend dire fans ceffe qu’il faudroit que la jus¬ tice fut rendue par-tout comme en Turquie. II n’y aura done que les plus ignorans de tous les peuples qui au- ront vu clair dans la chofe du monde qu’il importe le plus aux hommes de fqavoir ? Si vous examinez les formalites de la juftice, par rapport a la peine qu’a un citoyen de fe faire rendre fon bien , oil a obtenir fatisfa&ion de quelque outrage, vous en trouverez fans doute trop. Si vous les regar- dez dans le rapport qu’elles ont avec la liberte & la furete des citoyens, vous en trouverez fouvent trop peu; & vous verrez que les peines , les depenfes, les lon¬ gueurs , les dangers memes de la juftice , font le prix que chaque citoyen donne pour fa liberre. En Turquie, ou l’on fait tres-peu d’attention a la for¬ tune , a la vie , a l’honneur des fujets, on termine promptement, d’une faqon ou d’une autre, toutes les difputes. La maniere de les finir eft indiffereme, pourvu qu’on finiffe. Le bacha, d’abord eclairci, fait diftribuer, a fa fantaifie , des coups de baton fur la plante des pieds des plaideurs, & les renvoie chez eux. Et il feroit bien dangereux que Ton y eut les paf- fions des plaideurs : elies fuppofent un defir ardent de fe faire rendre juftice, une haine, une a&ion dans 1’ef- prit, une conftance a pourfuivre. Tout cela doit dtre evite dans un gouvemement oil il ne faut avoir d’autre L IV 1 IE VI, Chapitre II. 91 fentiment que la crainte, & oil tout mene tout a coup, & fans qu’on le puiffe prevoir, a des revolutions. Cha- cun doit connoitre qu’il ne faut point que le magiftrat entende parler de lui, &£. qu’il ne tient la iurete que de fon aneantiffement. Mais, dans les etats moderns, ou la tdte du moin- dre citoyen eft confidetable , on ne lui ote fon hon- neur & fes biens qu’apres un long examen : on ne le prive de la vie que lorfque la patrie elle-meme l’atta- que; & elle ne l’attaque qu’en lui laiffant tous les moyens poffibles de la defendre. Auffi , lorfqu’un homme fe rend plus abfolu ( a ) , fonge-t-il d’abord a limplifier les loix. On commence , dans cet etat, a etre plus frappe des inconveniens par- ticuliers que de la liberte des fujets, dont on ne fe fou- cie point du tout. On voit que, dans les republiques, il faut pour le moins autant de formal ites que dans les monarchies. Dans 1 ’un & dans l’autre gouvernement, elles augmen¬ ted en raifon du cas que Ton y fait de l’honneur, de 3 a fortune y de la vie, de la liberte des citoyens. Les homines font tous egaux dans le gouvernement republicain; ils font egaux dans le gouvernement def- potique : dans le premier, c’eft parce qu’ils font tout; dans le fecond, c’eft parce qu’ils ne font rien. (#) Cefar, Cromwel, & tant d’autres. ■6 - ■ --^- .. .- CHAPITRE III. Dans quels gouvernemens , & dans quels cas on dolt juger felon un texts precis de la lot. Plus le gouvernement approche de la republique, plus la maniere de juger devient fixe; & cetoit un vice de la republique de Lacedemone , que les iphores 92 De l'espuit d e s loix , jugeaffent arbitraireinent, fans qu’il y eut des loix pour les diriger. A Rome, les premiers confuis jugerent comme les ephores : on en fentit les inconveniens , St l’on fit des loix precifes. Dans les etats defpotiques, il n’y a point de loix: le juge eft lui-meme fa regie. Dans les etats monar- chiques, il y a une loi; St, la oil elle eft precife, le'juge la fuit; la ou elle ne l’eft pas, il en cherche l’efprit. Dans le gouvernement republican! , il eft de la nature de la conftitution , que les juges (invent la lettre de la loi. Il n’y a point de citoyen contre qui on puiffe interpreter une loi, quand il s’agit de fes biens, de fon honneur, ou de fa vie. A Rome, les juges prononqoient feulement que l’ac> cufe etoit coupable d’un certain crime; St la peine fe trouvoit dans la loi, comme on le voit dans di¬ verts loix qui furent faites. De meme , en Angle- terre , les jures decident ft l’accu(e eft coupable ou non du fait qui a ete porte devant eux; &, s’il eft declare coupable, le juge prononce la peine que la loi inflige pour ce fait : St, pour cela, il ne lui faut que des yeux. • 8 -- -- : — ~2 = S1ZJ. - * CHAPITRE IV. De la maniere de former les jugemens. De-la, fuivent les differentes manieres de former les jugemens. Dans les monarchies, les juges prennent la maniere des arbitres ; ils deliberent enfemble , ils fe communiquent leurs penfees, ils fe concilient; on mo- difie fon avis, pour le rendre conforme a celui d’un autre; les avis les moins nombreux font rappelles aux deux plus grands. Cela n’eft point de la nature de la republique. A Rome, St dans les villes Grecques, les juges ne fe communiquoient point : chacun donnoit fon avis d’uns de ces trois manieres : J'abfous ; je con- Lr v re VI , Chapitre IV. 93 damne ; il ne me parott pas (a) : c’eft que Ie peuple jugeoit, ou etoit cenfe ]uger. Mais Ie peuple n’eft pas 3urifconfulte; toutes ces modifications & teinperamens des arbitres ne font pas pour lui; il faut lui prefenter un feul objet, un fait, & un feul fait; & qu il n’ait qua voir s’il doit condamner , abfoudre , ou remettre le jugement. Les Romains, a l’exemple des Grecs, introduifirent des formules d’a&ions (£), & etablirent la neceflite de diriger chaque affaire par l’aftion qui lui etoit propre. Cela etoit neceffaire dans leur maniere de juger: il fal- loit fixer l’etat de la queftion, pour que le peuple l’eut toujours devant les yeux. Autrement, dans le cours d’une grande affaire, cet etat de la queftion change- roit continuellement, & on ne le reconnoitroit plus. De-la , il fuivoit que les juges, chez les Romains , n’accordoient que la demande precife, fans rien augmen- ter, diminuer, ni modifier. Mais les preteurs imagine- rent d’autres formules d’a&ions, qu’on appella de bonne foi (c), ou la maniere de prononcer etoit plus dans la difpofition du juge. Ceci etoit plus coriforme a l’ef- prit de la monarchie. Auffi les jurifconfultes Franqois difent-ils : En France (dj toutes les actions font de bonne foi. (o') Non liquet. (c) Dans lefquelles on met- (h) Quas attiones ne popu- toit ces mots: Ex bond fide, lus, proiit vellet, inftitueret, (V) On y condamne auxdd- certas folemnefque effe volue- pens celui-la meme a qui on de- runt. Leg. 2 , §. 6 . dig. de rnande plus qu’il ne doit, s’il n’a orig. jur. offert & configne ce qu’il doit. 94 D E l'e S P R 1 T 1) E S L 0 I ,Y, C H A P I T R E Y. Dans quels gouvernemens le fouverain petit it re juge. M ACHIAVEL ( a ) attribue la perte de la liberte de Florence a ce que le peuple ne jugeoit pas en corps, comme a Rome , des crimes de leie-majefte commis contre lui. 11 y avoir, pour cela , huit juges etablis : Mais, dit Machiavel, pen font corrompus par peu. J’a- dopterois bien la maxime de ce grand homme : mais, comme dans ces cas, Tinteret politique force, pour ainfi dire , I’interdt civil (car c’eft toujours un inconvenient, que le peuple juge lui-meme fes offenfes); il faur, pour y remedier, que les loix pourvoient, autant qu’il eft en elies, a la lurete des particulars. Dans cette idee, les legiftateurs de Rome firent deux chofes : ils perinirent aux accufes de s’exiler Qb) avant le jugement (c); St ils voulurent que les biens des con- damnes fuffent confacres, pour que ie peuple n’en eut pas la confifcation. On verra , dans le livre XI, les autres limitations que Ton mit a la puiffance que le peu¬ ple avoit de juger. Solon fqut bien prevenir Tabus que le peuple pour- roit faire de fa puiffance dans le jugement des crimes: il voulut que l’areopage revit Taffaire; que, s’il croyoit 1’accufe injuftement abfous ( il i’accufat de nouveau devant le peuple ; que, s’il le croyoit injuftement con- damne (e), il arrctat l’execution, & lui fit rejuger l’af* Qa) Difcoursfur la premiere decade de Tite Liv. liv. I, ch.vu. (£) Cela eft bien explique dans 1 ’oraifon de Ciceron pro Ccecinnd , a la fin. (r) C’etoit une loi d’Athe- nes, comme il paroit par De- mofthene. Socrate refufa de s’en fervir. ( d ) D&nofthene, fur la cou- ronne, page 494, edition de Francfort, de fan 1604. (V) Voyez Philoftrate , vie des fophiftes, liv. 1, vie d’iEfcbiiies. L iv re VI , Chapitre V. 95 faire : loi admirable, qui foumettoit le peuple a la cen- fure de la magiftrature qu’il refpedloit le plus, & a la fienne merne! II fera bon de mettre quelque lenteur dans des af¬ faires pareilles, fur-tout du moment que l’accufe fera pri- fonnier; afin que le peuple puiffe fe calmer, & juger de fang froid. Dans les etats defpotiques, le prince peut juger lui- meme. II ne le peut dans les monarchies; la confti- tution feroit detruite : les pouvoirs intermediates depen- dans , aneantis, on verroit ceffer toutes les formalites des jugemens; la crainte s’empareroit de tous les ef- prits ; on verroit la paleur fur tous les vifages; plus de confiance , plus d’honneur , plus d’amour, plus de fu- rete, plus de monarchic. Voici d’autres reflexions. Dans les etats monarchi- ques, le prince eft la partie qui pourfuit les accufes r & les fait punir ou abloudre : s'il jugeoit lui-meme, il feroit le juge & la partie. Dans ces m£mes etats, le prince a fouvent les con- flfcations : s’il jugeoit les crimes, il feroit encore le juge & la partie. De plus : il perdroit le plus bel attribut de fa fouve- rainete, qui eft celui de faire grace (/). Il feroit in- fenfe qu’il fit & defit fes jugemens : il ne voudroit pas etre en contradi&ion avec lui-meme. Outre que cela confondroit toutes les idees, on ne fcauroit ft un horntne feroit abfous, ou s’il recevroit fa grace. Lorlque Louis XIII voulut etre juge dans le proces du due de la Valette (g), & qu’il appella, pour cela, dans fon cabinet quelques officiers du parlement & quel- ques confeillers d’etat; le roi les ayant force's d’opiner (/) Platon ne penfe pas que les rois, qui font, dit-il , pre- tres, puiflent alfifter au juge- ment ou l’on condamne a la mort, ^ l’exil, a la prifon. (iT) Voyez la relation du pro¬ ems fait a M.le due d ela Palette. Elle eft imprimee dans les me- moires de Montrefor , tome II, page 62 . 96 Be Be sprit des l o i x, fur le decret de prife de corps, Ie prefident de Bellevre dit : » Qu’il voyoit , dans cette affaire , urie chofe » etrange; un prince opiner au proces d’un de fes fujets: » Que les rois ne s’etoient referve que les graces, Sc qu’ils » renvoyoient les condamnations vers leurs officiers. Et » votre majefte voudroit bien voir fur la fellete un hom- » me devant elle, qui, par fon jugement, iroit dans une » heure a la mort! Que la face du prince, qui porte les » graces, ne peut foutenir cela; que fa vue feule levoit » les interdits des eglifes; qu’on ne devoit fortir que con- » tent de devant le prince. « Lorfqu’on jugea le fonds, le mdme prefident dit, dans fon avis : » Cela eft un » jugement fans exemple, voire contre tous les exem- » pies du pafie jufqu’a huy, qu’un roi de France ait con- » damne en qualite de juge, par fon avis, un gentilhomme » a mort (^). << Les jugemens rendus par le prince feroient une fource intariffable d’injuftices & d’abus; les courtifans extor- queroienr, par ieur importunite, fes jugemens. Quel- ques empereurs Romains eurent la fureur de juger; nuls regnes n’etonnerent plus l’univers par leurs injuftices. » Claude , dit Taciie (i) , ayant attire a lui le juge- » ment des affaires Sc les fonftions des magiftrats, donna » occafion a toutes fortes de rapines. « Auffi Neron par- venant a l’empire apres Claude , voulant fe concilier les efprits, declara-t-il : » Qu’il fe garderoit bien d’etre » le juge de toutes les affaires; pour que les accufateurs » Sc les accufes, dans les murs d’un palais , ne fuffent pas g » expofes a l’inique pouvoir de quelques affranchis ( k ). « Sous le regne d’Arcadius, dit Zo^ime (/), » la na* » tion des calomniateurs fe repandit, entoura la cour, » Sc I’infefta. Lorfqu’un homme etoit mort, on fuppofoit » qu’il n’avoit point laiffe cl’enfans Qn) ; on donnoit fes biens C/O Cela fut cliange dans (f) Ibid, livreXIII. la fuite. Voyez la meme rela- (/) Hift. livre V. tion. (») Meme defordre fou sTbit- ( i ), Annal. livre XI. tfefe le jeune. L i v r e VI * Chapitue V. 97 biens par un refcript. Car, comme le prince etoit etran- « gement ftupide, &; l’imperatrice entreprenante a 1’ex- « ces, elle fervoit 1’infatiable avarice de fes domeftiques « & de fes confidentes; de forte que, pour les gens mo- « deres, il n’y avoit rien de plus defirable que la morr. « » II y avoit autrefois, dit Procope (re), fort peu « de gens a la cour : mats , fous Jujlinien , comme les « juges n’avoient plus la liberte de rendre juftice, leurs <« ttifeunaux etoient deferts, tandis que le palais du prince « retentiffoit des clameurs des parties qui y follicitoient « leurs affaires. « Tout le rnonde fqait comment on y vendoit les jugemens, & meme les loix. Les loix font les yeux du prince; il voit par elles ce qu’il ne pourroit pas voir Ians elles. Veut-il faire la fonftion des tribunaux ? il travaille non pas pour lui, mais pour fes fedufteurs centre lui. (n) Hiftoirc fee rette. < .- , -= a*!S|S3eaaSa - . ' ■ -■ CH A. PITRE YI. Que , dans la monarchic , les minijlres ne doivent pas juger. CI/EST encore un grand inconvenient, dans la mo¬ narchic , que les miniftres du prince jugent eux-mdmes les affaires contentieufes. Nous voyons encore aujour- d’hui des etats ou il y a des juges fans nombre, pour decider les affaires fifeales; & ou les miniftres, qui le croiroit! veulent encore les juger. Les reflexions vien- nent en foule : je ne ferai que celle-ci. Il y a , par la nature des chofes , une efpece de contradiction entre le confeil du monarque & fes tri¬ bunaux. Le confeil des rois doit etre compofe de p^ de perfonnes; & les tribunaux de judicature en de- mandent beaucoup. La raifon en eft que, dans le pre- Tome I. G 9o De l'e sprit des to IX, mier, on doit prendre les affaires avec une certaine paffion, &lesfuivre de meme; ce qu’on ne peut gueres efperer que de quatre ou cinq homines qui en font leur affaire. II faut, au contraire, des tribunaux de judi¬ cature de fang-froid, & a qui toutes les affaires foient, en quelque faqon , indifferentes. CHAPITRE YXI. Du magijlrat unique. N tel magiftrat ne peut avoir lieu que dans le gou- vernement defpotique. On voit, dans l’hiftoire Ro- xnaine, a quel point un juge unique peut abufer de fon pouvoir. Comment Appi us , fur fon tribunal, n’auroit- il pas ineprife les Ioix, puifqu’il viola meme celle qu’il avoit faite ( a ) ? The Live nous apprend l’inique dis¬ tinction du decemvir. II avoit apofte un hoinme qui reclamoit, devant lui, Virginie comme fon efclave ; les parens de Virginie lui demanderent, qu’en vertu de fa loi, on la leur remit jufqu’au jugement definitif. II declara que fa loi n’avoit ete faite qu’en faveur du pere; & que, Virginius etant abfent, elle ne pouvoit avoir duplication (£). (a) Voyezlaloi II, §. 24, ff. ' fet , locum injuria ctfe ram. de orig. jur. Tite Live, decade premiere , O) Quidpater puella abef- livre III. Livre FI, Chapitre VIII. 99 C . T"---. ---- CHAPITRE VIII. Des accufations , dans les divers gouvernemens. _A. ROME ( a) , il etoit permis a un citoyen d’en accufer un autre. Cela etoit etabli felon l’eiprit de la republique, oil chaque citoyen doit avoir, pour le bien public, un zele fans bornes; oil chaque citoyen eft cenfe tenir tous les droits de la patrie dans fes mains. On fuivit, fous les empereurs , les maximes de la republi¬ que ; Sc d’abord on vit paroitre un genre d’hommes fu- neftes, une troupe de delateurs. Quiconque avoit bien des vices & bien des talens, un ame bien baffe & une efprit ambitieux, cherchoit un criminel, dont la con- damnation put plaire au prince : c’etoit la voie pour alter aux honneurs St a la fortune (I), chofe que nous ne voyons point parmi nous. Nous avons aujourd’hui une loi admirable; c’eftcelle qui veut que le prince, etabli pour faire executer les loix, prepofe un officier, dans chaque tribunal, pour pourfuivre en fon nom tous les crimes : de forte que la fonftion des delateurs eft inconnue parmi nous. Et, ft ce vengeur public etoit foupqonne d’abufer de fon mi- niftere, on l’obligeroit de nommer fon denonciateur. Dans les loix de Platon ( c) , ceux qui negligent d’a- vertir les magiftrats, ou de leur donner du fecours, doi- vent ctre punis. Cela ne conviendroit point aujourd’hui. La partie publique veille pour les citoyens; elle agit, Sc ils font tranquilles. (a ) Et dans bien d’autres rdcompenfes accordees a ces de- citds. lateurs. (£) Voyez, dans Tacite , les (c) Livre IX. G ij too De De sprit DES L0 1X, ■t •r-m -..—» CH APITRE IX. De la fever it e des peines , dans les divers gouvernemens. T i a feverite des peines convient mieux au gouverne- ment defpotique, dont le principe eft la terreur, qu’a la monarchic a la republique, qui ont pour reflort l’honneur & la vertu. Dans les etats moderes, l’amour de la patrie, la honte & la crainte du blame, font des motifs repriinans, qui peuvent arreter bien des crimes. La plus grande peine d’une mauvaife atftion fera d’en etre convaincu. Les loix civiles y corrigeront done plus aifement, & n’au- ront pas befoin de tant de force. Dans ces etats , un bon legiftateur s’attachera moins a punir les crimes, qu’a les prevenir; il s’appliquera plus a donner des mceurs, qu’a infliger des fupplices. C’eft une remarque perpetuelle des auteurs Chinois (a), que plus, dans leur empire, on voyoit augmenter les fupplices, plus la revolution etoit prochaine. C’eft qu’on augmentoit les fupplices, a mefure qu’on manquoit de moeuts. II feroit aife de prouver que, dans tous ou prelque tous les etats d’Europe, les peines ont diminue ou au- gmente , a mefure qu’on s’eft plus approche ou plus eloigne de la liberte. Dans les pays defpotiques, on eftfi malheureux, que l’on y craint plus la mort, qu’on ne regrette la vie; les fupplices y doivent done etre plus rigoureux. Dans les etats moderes, on craint plus de perdre la vie , qu’on ne redoute la mort en elle-meme; les fupplices qui otent {implement la vie y font done fuffifans. ( a ) Je ferai voir, dans la fuite, que la Chine , ii cet egard, ell dans le cas d’une republique, ou d’une monarchic. Livre VIi Chapitre IX. ior Les hommes extremement heureux , & les homines extremement malheureux , font egalement portes a la durete ; temoins les moines & les conquerans. II n’y a que la mediocrite & le melange de la bonne & de la mauvaife fortune, qui donnent de la douceur & de la pitie. Ce que Ton volt dans les hommes en particulier, fe trouve dans les dlverfes nations. Chez les peuples fau- vages, qui menent une vie tres-dure, St chez les peu¬ ples des gouvernemens defpotiques, ou il n’y a qu’uti homme exorbitamment favorife de la fortune , tandis que tout le refte en eft outrage, on eft egalement cruel. La douceur regne dans les gouvernemens moderes. Lorfque nous lifons, dans les hiftoires, les exeinples de la juftice atroce des fulrans, nous fentons, avec une efpece de douleur, les maux de la nature humaine. Dans les gouvernemens moderes, tout, pour un bon legiflateur, peut fervir a former des peines. N’eft-il pas bien extraordinaire qua Sparte , une des principales fut de ne pouvoir prdter fa femme a un autre, ni recevoir celle d’un autre; de n’etre jamais dans fa maifon qu’a- vec des vierges; en un mot, tout ce que la loi appelle une peine eft effe&ivement une peine. ■ ■■ .. CHAPITRE X. Des anciennes loix Frangoifes. Oest bien dans les anciennes loix Franqpifes que l’on trouve l’efprit de la monarchie. Dans les cas ou il s’agit de peines pecuniaires, les non-nobles font moins punis que les nobles ( a ). C’eft tout le contraire dans (') Voyez le confeil de Pierre Desfontaines, chap, xm, fur- tout Farticie 22. . - » CHAPITRE XI. One , lorfqu'un peuple eft vertueux , il faut pen de peines. If iE peuple Romain avoit de la probite. Cette pro¬ bite eut tant de force, que fouvent le legiflateur n’eut befoin que de lui montrer le bien , pour le lui faire fuivre. II fembloit, quau lieu d’ordonnances, il fuffi- foit de lui donner des confeils. Les peines des loix royales, & celles des loix des douze-tables, furent prefque toutes otees dans la repu- blique , foit par une fuite de la loi Valerienne ( a ) , foit par une confequence de la loi Porcie (&). On ne remarqua pas que la republique en fut plus mal reglee, & il n’en refulta aucune lefion de police. Cette loi Valerienne , qui defendoit aux magiftrats toute voie de fait contre un citoyen qui avoit appelle au peuple, n’infligeoit a celui qui y contreviendroit que la peine d'etre repute mechant (c). («) Elle fut faite par Valerius fedlionner les difpofitions. Dili- Publicola, bientot apres fexpul- geutius fandtum , dit Tite Live, fion des rois: elle fut renouvel- ibid. lee deux fois, toujours par des (£) Lex Porciapro tergo ci- magiftrats de la meme famille, vium lata. Elle fut faite en 454 comme le dit Tite Live , liv. X. de la fondation de Rome. Il n’dtoitpas queftion de lui don- (c) Nihil ultra qudmimprobe ner plus de force, mais d’en per- fat'tum adjecit. Tite Live, I> I V R E VI. C II A I> I T 11 E XII. 103 ■C . . .., - ■= * CHAPITRE XII. De la puijjance des peines. L’experience a fait remarquer que, dans les pays ou les peines font douces, l’efprit du citoyen en eft frappe, comme i\ l’eft ailleurs par les grandes. Quelque inconvenient fe fait-il fentir dans un etat ? un gouvernement violent veut foudain le corriger; &, au lieu de fonger a faire executer les anciennes loix, on etablit une peine cruelle qui arrete le mal fur le champ. Mais on ufe le reffort du gouvernement; l’ima- gination fe fait a cette grande peine, comme elle s’e- toit faite a la inoindre; &, comme on diininue la crainte pour celle-ci, Ton eft bientot force detablir l’au- tre dans tons les cas. Les vols fur les grands chemins etoient coinmuns dans quelques etats; on voulut les ar- rdter : on inventa le fupplice de la roue, qui les liif pendit pendant quelque temps. Depuis ce temps, on a vole, comme auparavant, fur les grands chemins. De nos jours, la defettion fut tres-frequente; on eta¬ blit la peine de mort contre les deferteurs, & la de- fertion n’eft pas diminuee. La raifon en eft bien natu- relle : un foldat, accoutume tous les jours a expofer fa vie, en meprife, ou fe flatte d’en meprifer le danger. II eft tous les jours accoutume a craindre la honte : il falloit done laifter une peine ( a ) qui faifoit porter une fletriflure pendant la vie. On a pretendu augmenter la peine, & on Pa reellement diminuee. II ne faut point mener les hommes par les voies ex¬ tremes ; on doit dtre menager des moyens que la na¬ ture nous donne pour les conduire. Qu’on examine la caufe de tous les relachemens; on verra qu’elle vient O) On fendoit le nez, on coupoit les oreilles. G iv 104 De l' esprit des loix , de l’impunite des crimes, & non pas de ia moderation des peines. Suivons la nature, qui a donne aux hommes la honte comme leur fleau; 8t que la plus grande partie de la peine loit l’infamie de la fouffrir. Que s’il fe trouve des pays ou la honte ne foit pas une fuite du fupplice, cela vient de la tyrannie, qui a inflige les memes peines aux fcelerats & aux gens de biens. Et fi vous en voyez d’autres ou les hommes ne font retenus que par des fupplices cruels, comptez encore que cela vient, en grande partie, de la violence du gouvernement, qui a employe ces fupplices pour des fautes legeres. Souvent un legiflateur, qui veut corriger un mal, ne fonge qu’a cette correftion ; fes yeux font ouverts fur cet objet, & fermes fur les inconveniens. Lorfque le mal eft une fois corrige, on ne voit plus que la du- rete du legiftateur : mais il refte un vice dans l’etat, que cette durete a produit; les efprits font corrompus , ils fe font accoutumes au delpotifme. Lyfandre (b) ayant remporte la viftoire fur les Athe- niens, on jugea les prifonniers; on accufa les Atheniens d’avoir precipite tous les captifs de deux galeres, & re- folu en pleine aflemblee de couper le poing aux prifon¬ niers qu’ils feroient. Ils furent tous egorges, excepte Ady- mante , qui s’etoit oppofe a ce decret. Lyfandre repro- cha a Philoclls , avant de le faire mourir, qu’il avoit deprave les efprits, & fait des lemons de cruaute a toute la Grece. » Les Argiens, dit Plutarque (c), ayant fait mourir » quinze cens de leurs citoyens, les Atheniens firent ap- » porter les facrifices d’expiation, afin qu’il plut aux dieux » de detourner, du coeur des Atheniens, une fi cruelle » penfee. « (/;) Xenophon , hid. liv. II. ( c ) CEuvres morales, de ceux qui manient les affaires cTetat. L 1 V R E VI , ChA PITRE XII. 105 II y a deux genres de corruption : l’un , lorfque le peuple n’obferve point les loix; l’autre, lorlqu’il eft cor- rompu par les loix : mal incurable, parce qu’il eft dans le remede inline. . ■■ ■ . - - =— CHAPITR-E XIII. ImpuijJ'ance des loix Japonoifes. Lies peines outrees peuvent corrompre le defpotifme merne. Jettons les yeux fur le Japon. On y punit de mort prefque tous les crimes (a) , parce que la defobeiflance a un li grand empereur que celui du Japon, eft un crime enorme. II n’eft pas quef- tion de corriger le coupable, mais de venger le prince. Ces idees font tirees de la fervitude; & viennent fur- rout de ce que l’empereur, etant proprietaire de tous les biens, prefque tous les crimes fe font dire&ement contre fes interets. On punit de mort les menfonges qui fe font devant les magiftrats (6); chofe contraire a la defenfe naturelle. Ce qui n’a point l’apparence d’un crime, eft la fe- verement puni : par exemple , un homrne qui hazarde de l’argent au jeu eft puni de mort. II eft vrai que le caraftere etonnant de ce peuple opiniatre, capricieux , determine, bizarre, & qui brave tous les perils & tous les malheurs, femble, a la pre¬ miere vue , abfoudre fes legiflateurs de l’atrocite de leurs loix. Mais, des gens qui naturellement meprifent la mort, & qui s’ouvrent le ventre pour la moindre fantailie, font-ils corriges ou arretes par la vue conti- nuelle des fupplices ? & ne s’y familiarifent-ils pas? C a ) Voyez Kempfer. compagnie des Indes, tom. Ill, (6) Recueil des voyages qui part. 2, pag. 428. cnt fervi a l’etabliflement de la io6 De Be sprit n e s l o i x, Les relations nous difent, au fujet de l’education des Japonois, qu’il faut traiter les enfans avec douceur , parce qu’ils s’obftinent contre les peines ; que les en¬ claves ne doivent point dtre trap rudement traites, parce qu’ils fe mettent d’abord en defenfe. Par l’efprit qui doit regner dans le gouvernement doineftique , n’au- roit-on pas pu juger de celui qu’on devoit porter dans le gouvernement politique &C civil? Un legiflateur fage auroit cherche a ramener les ef- prits par un jufte temperament des peines & des re- compenfes ; par des maximes de philofbphie , de mo¬ rale & de religion, afforties a ces caradleres; par la jufte application des regies de l’honneur; par le fup- plice de la honte; par la jouiftance d’un bonheur conf- tant, & d’une douce tranquillite. Et, s’il avoit craint que les efprits, accoutumes a n’etre arrdtes que par une peine cruelle, ne puftent plus l’etre par une plus douce, il auroit agi (c) d’une maniere fourde & infenfible; ii auroit, dans les cas particuliers les plus graciables', mo¬ dern la peine du crime, ju/qu’a ce qu’il eut pu parve- nir a la modifier dans tous les cas. Mais le defpotifine ne connoit point ces reftorts; il ne mene pas par ces voies. 11 peut abufer de lui; mais c’eft tout ce qu’il peut faire. Au lap on , il a fait un effort; ii eft devenu plus cruel que lui-mdme. Des ames par-tout effarouchees & rendues plus atro- ces, n’ont pu etre conduites que par une atrocite plus grande. Voila l’origine, voila Pefprit des loix du Japon. Mais elles ont eu plus de fureur que de force. Elies ont re'uffi a detruire le chriftianifme : mais des efforts fi inouis font une preuve de leur iinpuiffance. Elies ont voulu etablir une bonne police, & leur foiblefle a para en¬ core mieux. 11 faut lire la relation de l’entrevue de l’empereur & (r) Remarqnez bien ceci, comme une maxitne de pratique, dans les cas ou les efprits ont ete gates par des peines trop rigou- reufes, L I v RE VI , ChA PITRE XIII. 107 du deyro a Meaco ( d ). Le nombre de ceux qui y fu- rent etouffes, ou tues par des garnemens, fut incroya- ble : on enleva les jeunes filles 6>c les garqons ; on les retrouvoit tous les jours expofes dans des lieux publics, a des heures indues, tout nuds, coufus dans des facs de toile, afin qu’ils ne connuffent pas les lieux par oil ils avoient pafle; on vola tout ce qu’on voulut; on fendit le ventre a des chevaux, pour faire tomber ceux qui les montoient ; on renverfa des voitures pour de- pouiller les dames. Les Hollandois, a qui l’on dit qu’ils ne pouvoient paffer la nuit fur des echafauds, fans etre affaffines , en defcendirent, &c. Je pafierai vite fur un autre trait. L’evnpereur, adonne a des plaifirs infames , ne fe marioit point : il couroit rifque de mourir fans liicceffeur. Le deyro lui envoya deux filles tr es-belles : il en e'poufa une par refpeft, mais il n’eut aucun commerce avec elle. Sa nourrice fit chercher les plus belles femmes de 1’empire. Tout etoit inutile. La fille d’un armurier etonna fon gout (e) ; il fe de'termina, il en eut un fiis. Les dames de la cour, indignees de ce qu’il leur avoit prefere une perfonne d’une fi bafle naiffance , etoufFerent l’enfant. Ce crime fut cache a l’empereur; il auroit verfe un torrent de fang. L’atrocite des loix en empeche done rexecution. Lorfque la peine eft fans mefure , on eft fouvent oblige de lui preferer rimpunite. (d) Recueil des voyages qui compagnie des Indes, t. V,p. 2. out fervi a rdtabliffement de la (e) Ibid. IoS De L'e SPRIT I) E S LOIX, CHAPITRE XIV. De fefprit du fenat de Rome. Sous le Confulat d’Acilius Glabrio & de Pi Con, on fit la loi Acilia (a) pour arreter les brigues. Dion (7>) dit que le fenat engagea les confuls a la propofer , parce que le tribun C. Cornelius avoit refolu de faire eta- blir des peines terribles contre ce crime, a quoi le peu- pie etoit fort porte. Le fenat penfoit que des peines immoderees jetteroient bien la terreur dans les efprits; mais qu’elles auroient cet effet, qu’on ne trouveroit plus pert’onne pour accufer, ni pour condamner : au lieu qu’en propofant des peines modiques , on auroit des ju- ges & des accufateurs. («) Les coupables etoient nomraft S aucune magiftrature. coudamnes a uue amende ; ils Dion , liv. XXXVI. ne pouvoient plus etre admis (b') Ibid. dans l’ordre des fenateurs, & ■ — .. - - - — —rr; CHAPITRE XV. Des loix des Remains , a Tegard des peines. E me trouve fort dans mes maximes, lorfque j’ai pour moi les Romains; & je crois que les peines tiennent a la nature du gouvernement, lorfque je vois ce grand peuple changer, a cet egard , de loix civites, a mefure qu’il changeoit de loix politiques. Les loix royahs , faites pour un peuple compofe de fugitifs, d’efclaves & de brigands, furent tres-feveres. L’efprit de la republiaue auroit demande que les de- L I V RE VI , Chapitke XV. 109 cemvirs n’euffent pas mis ces loix dans leurs douze- tables: mais des gens qui afpiroient a la tyrannie n’a- voient garde de 1'uivre l’efprit de la republique. Tite Live (a) dit, fur le fupplice de Metius Suffetius, di&ateur d’Albe, qui fut condamne par Tullus Hofti- lius a etre tire par deux chariots, que ce fut le premier & le dernier fupplice ou Ton temoigna avoir perdu la me'moire de 1’humanite. II fe trompe : la loi des douze- fables eft pleine de difpofitions tres-cruelles (b). Celles qui decouvrent le mieux le deffein des decem¬ virs eft la peine capitale prononcee contre les auteurs des libeles & les poetes. Cela n’eft gueres du genie de la republique, ou le peuple aime a voir les grands hu¬ mifies. Mais des gens qui vouloient renverfer la liberte craignoient des ecrits qui pouvoient rappeller l’efprit de la liberte (c). Apres l’expullion des de'cemvirs, prefque routes les loix qui avoient fixe les peines furent otees. On ne les abrogea pas expreflement : mais la loi Porcia ayant de- fen du de mettre a mort un citoyen Romain, elles n’eu- rent plus d’application. Voila le temps auquel on peut rappeller ce que Tite Live (rf) dit des Romains, que jamais peuple n’a plus aime la moderation des peines. Que ft l’on ajoute a la douceur des peines le droit qu’avoit un accufe de fe retirer avant le jugement, on verra bien que les Romains avoient fuivi cet efprit que j’ai dit etre naturel a la republique. Sylla , qui confondit la tyrannie, l’anarchie & la li¬ berte, fit les loix Corneliennes. II fembla ne faire des reglemens que pour etablir des crimes. Ainfi, qualifiant une infinite d’aftions du nom de meurtre, il trouva par- tout des meurtriers; & par une pratique qui ne fut que CLiv. I. (t) Sylla anime dumimeef- ( b ) On y trouve le fupplice prit que les decemvirs, augmen- du feu; des peines prefque tou- ta , comme eux, les peines con- jours capitales, le vol puni de tre les derivains fatyriques. mort, &c. (d) Liv. I, IIO T) E l' ESPRIT 1) e s loix, trop fuivie, il tendit des pieges, fema des epines, ou- vrit des abymes fur le chemin de tous les citoyens. Prefque toutes les loix de Sylla ne portoient que Tin- terdiftion de 1’eau Sc du feu. Cefar y ajouta la confif- cation des biens (e); parce que les riches gardant dans l’exil leur patrimoine, ils etoient plus hardis a commet- tre des crimes. Les empereurs ayant etabli un gouvernement militaire, ils fentirent bientot qu’il n’etoit pas moins terrible con- tre eux que contre les fujets; ils chercherent a le tem- perer : ils crurent avoir befoin des dignites, & du ref- peft qu’on avoit pour elles. On s’approcha un peu de la monarchie, & Ton di- vifa les peines en trois claffes (/) : celles qui regar- doient les premieres perfonnes de 1’etat, ( g) , & qui etoient affez douces; celles qu’on infligeoit aux perfon¬ nes d’un rang (k) inferieur, & qui etoient plus fe- veres; enfin, celles qui ne concernoient que les condi¬ tions baffes (i), & qui furent les plus rigoureufes. Le feroce & infenfe Maximir, irrita, pour ain/i dire , le gouvernement militaire, qu’il auroit fallu adoucir. Le fenat apprenoit, dit Capitolin ( k ), que les uns avoient ete mis en croix, les autres expofes aux betes, ou en- fermes dans des peaux de betes recemment tuees, fans aucun egard pour les dignites. II fembloit vouloir exer- cer la difcipline militaire, fur le modele de laquelle il pretendoit regler les affaires civiles. On trouvera, dans les conjiderations fur la grandeur des Romains & leur decadence , comment Conffantin changea le defpotifme militaire en un delpotifme mi¬ litaire & civil, & s’approcha de la monarchie. On y (e) 1‘anas facinarum auxit , & un tres - grand nombre d’au- cum locupletes eb facilius fee- tres, au digefte & au code. lere fe obligarent, quod iritc- (/) Voyez la loi 3 , §. Le- gis, ad leg. Cornell, de Jicariis. gis , ad leg. Cornell, de Jicariis; (Je) Jul. Cap. Maximini duo. gris patrimoniis , exularent. Sudtone, in Julio Ccefare. LlVRE VI, Ch A PITRE XV. Ill peut fume les diverfes revolutions de cet erar, & voir comment on y paffa de la rigueur a l’indolence , & * de l’indolence a l’impunite. chapitre XVI. Be la jufte proportion des peines avec le crime. Il eft effentiel que les peines aient de l’harmonie en- tre elles; parce qu’il eft effentiel que l’.on evite plutot un grand crime qu’un moindre; ce qui attaque plus la fociete, que ce qui la choque moins. » Un impofteur (a), qui fe difoit Conflantin Du- « cas , fufcita un grand foulevement a Conftantinople. « II fut pris, & condamne au fouet : mais, ayant ac- « cufe des perfonnes confiderables, il fut condamne, com- « me caJomniateur, a etre brule. « Il eft ftngulier qu’on eut ainfi proportionne les peines entre le crime de lefe- majefte & celui de calomnie. Cela fait fouvenir d’un mot de Charles II, roi d’An- gleterre. 11 vit, en paffant, un homme au pilori. 11 de- manda pourquoi il etoit la. Sire, lui dit-on, cefl parct quit a fait des libeles contre vos miniflres. Le grand fot! oit le roi, que ne les ecrivoit-il contre moi ? on ne lui auroit rien fait. » Soixante-dix perfonnes confpirerent contre 1’empe- « reur Baffle (6) : il les fit fuftiger; on leur brtila les che- « veux & le poil. Un cerf l’ayant pris avec fon bois par « la ceinture, quelqu’un de fa fuite tira fon epee, coupa « fa ceinture, & le delivra :_il lui fit trancher la tdte ; « parce qu’il avoit, difoit-il, tire lepee contre lui. « Qui pourroit penfer que, fous le meme prince, on eut rendu ces deux jugemens } (a') Hift. deNicc'phore, pa- (l) Hill, de Nict'phore. triarche de Conftantinople. 11 2 D E l'E S P R 1 T 1) E S L 0 l A , C’eft un grand mal, parmi nous , de faire fubir la meme peine a celui qui vole fur un grand chemin, & a celui qui vole & affaffine. II eft viftble que, pour la furete publique, il faudroit mettre quelque difference dans la peine. A la Chine, les voleurs cruels font coupes en mor- ceaux (O t les autres non : cette difference fait que J’on y vole, mais que Ton n’y affaffine pas. En Mofcovie , ou la peine des voleurs ik celle des affaffins font les inemes, on affaffine (d) toujours. Les morts , y dit-on , ne racontent rien. Quand il n’y a point de difference dans la peine, il faut en mettre dans l’efperance de la grace. En An- gleterre, on n’affaffine point; parce que les voleurs peu- vent efperer d’etre tranfporte.s dans les colonies; non pas les affaffins. _ C’eft un grand reffort des gouvernemens moderes, que les lettres de grace. Ce pouvoir que le prince a de pardonner, execute avec fageffe, peut avoir d’ad- mirables effets. Le principe du gouverneinent defpoti- que, qui ne pardonne pas, & a qui on ne pardonne jamais, le prive de ces avantages. (e) Pere du Iialde, tom. I, (i) Etat prefent de la grande pag. 6. • Ruffle par Perry. ■e .. .........-r—- . , C H A P I T R E XVII. De la torture ou queflion centre les criminels. IP A r c E QUE les homines font mediansla loi eft obligee de les fuppofer meilleurs qu’ils ne font. Ainfi la depofition de deux temoins fuffit dans la punition de tous les crimes. La loi les croit , comme s’ils par- loient par la bouche de la verite. L’on juge aufli que tout enfant conqu pendant le mariage eft legitime : la Livrk Pi , Chapit RE XVII. 113 Ioi a confiance en la mere, comme fi elle etoit Ja pu- dicite meme. Mats la quefiion contre les criminels n’efl: pas dans un cas force comme ceux-ci. Nous voyons aujOurd’hui une nation (a) tres-bien policee Ja rejetter fans inconvenient. Elle n’eft done pas neceflaire par fa nature ( b ). Tant d’habiles gens Sc tant de beailx genies ont ecrit contre cette pratique, que je n’ofe parler apres eux. J’al- lois dire qu’elle pourroit convenir dans les gouverne- mens defpotiques, ou tout ce qui infpire la crainte entre plus dans les refforts du gouvernement: j’allois dire que les efclaves, chez les Grecs & chez les Romains. Mais j’entends la voix de la nature qui crie contre moi. a~) La nation Angloife. b) Les citoyens d’Athenes ne pouvoient etre mis & la quef- iion, QLyfias', or at. in Argo- rat), exceed dans le crime de Jefe-majefte. On donnoit la quef¬ iion trente jours apres la con- damnation. ( Cnrius Fortunatus , rethor.fchol. liv.Il. ) 11 n’y avoit pas de queftion preparatoire. Quant aux Romains, la loi 3 & 4 ad leg. Juliam majeft. fait voir que la naiilance, la dignite, la profedion de la milice, garan- tifloient de la quefiion, fi ce n’efi: dans le cas de crime de lefe-ma- jefte. Voyez les fages reftridtions que les loix des Wifigoths met- toient a cette pratique. _ . —— L ». CHAPITR.E XVIIL Des peines pecuniaires, & ties peines corporelles* INF o s peres les Germains n’admettoient gueres que des peines pecuniaires. Ces hommes guerriers Sc libres ef- timoient que leur fang ne devoit ctre verfe que les ar- mes a la main. Les Japonois ( I T It E XX. II 5 < rr — i—s: --- » CHAPITRE XX. De la punition des peres pour leurs enfans. O N punit a la Chine les peres pour les fautes de leurs enfans. C’etoit l’ufage du Perou (a). Ceci eft en¬ core tire des idees defpotjques. On a beau dire qu’on punit a la Chine les peres , pour n’avoir pas fait ufage de ce pouvoir paternel que la nature a etabli, & que les loix memes y ont au- gmente ; cela fuppofe toujours qu’il n’y a point d’hon- neur chez les Chinois. Parmi nous, les peres dont les enfans font condamnes au fupplice, & les enfans (£) dont les peres ont fubi le mdme fort, font auffi pu- nis par la honte, qu’ils le feroient a la Chine par la perte de la vie. («) Voyez Garcilafo , hif- (£) Au lieude lespunir , di- toire 'des guerres civiles des Ef- foit Platon, il faut les louer de pagnols. ne pas reffembler & leur pere . Liv. IX. des loix. ■ft . ..< . ■ ■ —-. 1 1 1 -'.'f . CHAPITRE XXL De la climence du prince. L A clemence eft la qualite diftinftive des monarques. - Dans la republique, ou l’on a pour principe la vertu , elle eft moins neceflaire. Dans letat defpotique, ou regne la crainte, elle eft moins en ufage; parce qu’il faut contenir les grands de l’etat par des exemples de feverite. Dans les monarchies, ou l’on eft gOuverne par l’honneur, qui fouvent exige ce que la loi defend, elle eft plus neceflaire. La difgrace y eft un Equivalent a Ii 6 De l'esprit des loix, la peine : les formalites memes des jugemens y font des punitions, C’eft la .que la honte vient de tous co¬ tes , pour former des genres particuliers de peines. Les grands y font ft fort punis par Ja diigrace, par la perte fouvent imaginaire de leur fortune, de leur credit, de leurs habitudes, de leurs plaifirs, que la ri- gueur, a leur egard, eft inutile : elle ne peut fervir qu’a orer aux fujets l’amour qu’ils ont pour la perfonne du prince, & le refpeft qu’ils doivent avoir pour les places. Comme 1’inftabilite des grands eft de la nature du gouvernement defpotique, leur furete entre dans la na¬ ture de la monarchic. Les monarques ont tant a gagner par la clemence, elle eft fuivie de tant d’amour, ils en tirent tant de gloire, que c’eft prefque toujours un bonheur pour eux d’avoir l’occafion de l’exercer; & on le peut prefque toujours dans nos contrees. On leur dilputera peut-etre quelque branche de l’au- torite , prefque jamais l’autorite entiere; & , ft quel- quefois ils combattent pour la couronne , i Is ne com- battent point pour la vie. Mais, dira-t-on, quand faut-il punir ? quand faut-il pardonner ? C’eft une chofe qui fe fait mieux fentir, qu’elle ne peut fe prefcrire. Quand la clemence a des dangers, ces dangers font tres-vifibles. On la diftingue aifement de cette foibleffe qui mene Ie prince au me- pris, &c a l’impuiflance meme de punir. L’empereur Maurice (a) prit la refolution de ne ver- fer jamais le fang de fes fujets. Anaflafe (£) ne punif- foit point les crimes, lfaac tAnge jura que, de fon re- gne, il ne feroit mourir perfonne. Les empereurs Grecs avoient oublie que ce n’etoit pas en vain qu’ils portoient 1 5 f r epee. (a') Evagre, hift. ( b) Fragm. de Suidas , dans Constant. Porphyrog. L IV RE VII , Chapitre I. II ? LIYRE VII. Confluences des dijferens principes des trots gouvernemens, par rapport aux loix fomp- tuaires , au luxe , & ala condition des femmes. ■g _. > CHAPITRE PREMIER. Du luxe. Le luxe eft toujours en proportion avec l’inegalite des fortunes. Si, dans un etat, les richefles font egalement partage'es, il n’y aura point tie luxe; car il n’eft fonde que fur les commodites qu’on fe donne par le travail des autres. Pour que les richefles reftent egalement partagees, il faut que la loi ne donne a chacun que le neceffaire phy- fique. Si l’on a au-dela, les uns depenferont, les au¬ tres acquerront, Sc l’inegalite s’etablira. Suppofant le neceffaire phyfique egal a une fomme donnee, le luxe de ceux qui n’auront que le neceffaire fera egal a {era; celui qui aura le double aura un luxe egal a un; celui qui aura le double du bien de ce der¬ nier aura un luxe egal a trois; quand on aura encore le double, on aura un luxe egal a fept : de forte que le bien du particular qui fuit, etant toujours fuppofe double de celui du precedent, le luxe croitra du dou¬ ble plus une unite, dans cette progreflion o, i, 3, 7, 15,31,63,127. Dans la republique de Flaton (a) f le luxe auroit Qa') Le premier cens droit le fort hereditaire en terre; & Platon ne vouloit pas qu’on put avoir, en autres effets, plus du triple du fort hereditaire. Voyez fes loix, liv. IV, H iij II8 D E L E S P A I T D E S L 0 I X, pu fe calculer au jufte. 11 y avbit quatre fortes de cens etabiis. Le premier etoit precifement le terme oil finif- foit la pauvrete; le fecond etoit double; ie troifieme, triple; le quatrieme, quadruple du premier. Dans le pre¬ mier cens, le luxe etoit egal a {ero; il etoit egal a un dans le fecond, a deux dans le troifieme, a trois dans le quatrieme; St il fuivoit ainli la proportion arithmetique. En confiderant le luxe des divers peuples, les uns a legard des autres, il eft, dans chaque etat, en rajfon compofee de l’inegalite des fortunes qui eft entre les citoyens, St de l’inegalite des richeffes des divers etats. EnPologne, par exemple, les fortunes font d’une ine- galite extreme; mais la pauvrete du total empdche qu’il .n’y ait autant de luxe, que dans un etat plus riche. Le luxe eft encore en proportion avec la grandeur des villes, St fur-tout de la capitale; en forte qu’il eft en raifon compofee des richeffes de l’etat, de l’inegalite des fortunes des particuliers, & du nombre d’hommes qu’on affemble dans de certains Iieux. Plus il y a d’hommes enfemble, plus iIs font vains, & fentent naitre en eux l’envie de fe fignaler par de petites chofes ( b ). S’ils font en ft grand nombre, que la plupart foient inconnus les uns aux autres, l’envie de fe diftinguer redouble, parce qu’il y a plus d’efpe- rance d’y reuffir. Le luxe donne cette efperance; cha- cun prend les marques de la condition qui precede la fienne. Mais, a force de vouloir fe diftinguer, tout de- vient egal, St on ne fe diftingue plus : comme tout le inonde veut fe faire regarder, on ne remarque perfonne. Il refulte de tout cela une incommodite generale. Ceux qui excellent dans une profeffion mettent a leur art le prix qu’ils veulent; les plus petits talens fuivent cet exem¬ ple ; il n’y a plus d’harmonie entre les befoins St les (_b') Dans une grande ville, dit l’auteur de la fable des abeilles, tom. I. pag. 133, on s’habille au-defTus de la qualite, pour toe ef- time plus qu’on n’eft par la multitude. Cell un plaifir pour un ef- prit foible, prefque auffi grand que celui de l’accompliflement de fes defirs. LlVKZ VII , Ch A PIT RE I. I 19 moyens. Lorfque je fuis force de plaider, il eft necef- faire que je puiffe payer un avocat; lorfque je fuis mi- lade, il faut que je puiffe avoir un medecin. Quelques gens ont penfe qu’en aflemblant rant de peuple dans une capitale, on diminuoit le commerce; parce que les hommes ne font plus a une certaine dis¬ tance les uns des autres. Je ne le crois pas; on a plus de defirs, plus de befoins, plus de fantaifies, quand on eft enfemble. CHAPITRE II. Des loix fomptuaires , dans let democratic. •FE viens de dire que, dans les republiques, ou les ri* chefles font egalement partagees, il ne peut point y avoir de luxe : &, comme on a vu au livre cinquieme (a) que cette egalite de diftribution faifoit l’excellence d’une republique, il fuit que, moins il y a de luxe dans une republique, plus elle eft parfaite. Il n’y en avoit point chez les premiers Romains, il n’y en avoit point chez les Lacedemoniens; &£, dans les republiques oil l’ega- lite n’eft pas tout-a-fait perdue, l’efprit de commerce, de travail & de vertu, fait que chacun y peut & que chacun y veut vivre de fon propre bien, & que, par conlequent, il y a peu de luxe. Les loix du nouveau partage des champs, deman- dees avec rant d’inftance dans quelques republiques, etoient falutaires par leur nature. Elies ne font dange- reufes que comme adlion fubite. En otant tout-a-coup les richeffes aux uns, & augmentant de meme celles des autres, elles font dans chaque famille une revolu¬ tion, & en doivent produire une generale dans l’etat. A mefure que le luxe s’etablit dans une republique , H iv (a) Chapitres III & IV. 120 D E L'ESPRIT 1) E S L 0 1 .X , l’efprit fe rourne vers l’interet particulier. A des gens a qui il ne faut rien que le neceffaire, il ne refte a de- firer que la gloire de la patrie St la fienne propre. Mais une ame corrompue par le luxe a bien d’autres defirs: bientot elle devient ennemie des loix qui la gdnent. Le luxe que la garnifon de Rfiege commenqa a connohre, fit qu’elle en egorgea les habitans. Sitoc que les Romains furent corrompus, leurs defirs devinrent immenfes. On en peut juger par le prix qu’ils mirent aux chofes. Une cruche de vin de Falerne (£) fe vendoit cent deniers Romains; un barril de chair fa- lee du Pont en coutoit quatre cens; un bon cuifinier, quatre talens; les jeunes garcons n’avoient point de prix. Quand , par une impetuofite (c) generale , tout Ie monde fe portoit a la volupte, que devenoit la vertu ? (Z>)Fragmentdui.3<55deDio- (c) Cum maximus omnium dote, rapporte par Confi. Porph. impetus ad luxuriant effet, ibid, extrait des vertus & des vices. < 5 =:,. v .—j z -', --.--—r-—.....-_ — -r.-z 'J. CHAPITRE III Des loix fomptuaires dans 1'ariflooratie. X-TaristOCRATIE mal conftituee a ce malheur que les nobles y ont les richeffes, Sc que cependant ils ne doivent pas depenfer; le luxe, contraire a l’ef- prit de moderationen doit dtre banni. Il n’y a done que des gens tres-pauvres qui ne peuvent pas recevoir, St des gens tres-riches qui ne peuvent pas depenfer. A Fenije, les loix forcent les nobles a la modeftie. Ils fe font tellement accoutumes a l’epargne, qu’il n’y a que les courtifanes qui puiflent leur faire donner de l’argent. On fe fert de cette voie pour entretenir Tin- duftrie : les femmes les plus meprifables y depenfent fans danger , pendant que leurs tributaires y menent la vie du monde la plus obfeure. Livrb VII , Chapitre III. Ill Les bonnes republiques Grecques avoient, a cet egard, des inftitutions admirables. Les riches employoient leur argent en fetes, en choeurs de mufique, en chariots, en chevaux pour la courfe, en magiftrature onereufe. Les richeffes y etoient auffi a charge que la pauvrete. d aus exquis, & aufres marchandifes Marca Hifp. pag. 1425). precieufes. 124 De De sprit DES to IX, che, plus fon luxe relatif l’enrichit; 8 c il faut bien fe garder d’y faire des loix fomptuaires relatives. Nous ex- pliquerons mieux ce.ci dans le livre fur le commerce (c). II n’eft ici queftion que du luxe abfolu. CO Voyez tom. II, liv. XX. chap. xx. CHAPITRE VI. Du luxe a la Chine . D ES raifons particulieres demandent des loix fomp- tuaires dans quelques etats. Le peuple , par la force du climat, peut devenir fi nombreux, & d’un autre cote les moyens de le faire lubfifter peuvent etre fi incer¬ tains , qu’il eft bon de lappliquer tout entier a la cul¬ ture des terres. Dans ces etats, le luxe eft dangereux , & les loix fomptuaires y doivent dtre rigoureufes. Ainfi, pour fqavoir s’il faut encourager le luxe ou le profcrire , on doit d’abord jetter les yeux fur le rapport qu’il y a entre le nombre du peuple , &£ la facilite de le faire vivre. En Angleterre , le fol produit beaucoup plus de grains qu’il ne faut pour nourrir ceux qui cultivent les terres , & ceux qui procurent les vetemens : il peut done y avoir des arts frivoles, & par confequent du luxe. En France, il croit aflez de bled pour la nour- riture des laboureurs , & de ceux qui font employes aux manufactures : de plus, le commerce avec les Gran¬ gers peut rendre, pour des chofes frivoles, tant de chofes neceffaires, qu’on n’y doit gueres craindre le luxe. A la Chine, au contraire, les femmes font fi fe- condes , & l’efpece humaine s’y multiplie a un tel point, que les terres, quelque cultivees qu’elles foient, fuffi- fent a peine pour la nourriture des habitans. Le luxe y eft done pernicieux, & I’efprit de travail Sc d’ec&= Livre VII , Chapitrb VI. 125 nomie y eft auffi requis que dans quelques republiques que ce foit (a). II faut quon s’attache aux arts neceflai- tes, &t qu’on fuie ceux de la volupte. Voila l’efprit des belles ordonnances des empereurs Chinois. » Nos anciens , dit un tmptnur de la famille « des Tang (b), tenoient pour maxime que, s’il y avoit « un homrne qui ne labourat point, une femme qui ne « s’occupat point a filer, quelqu’un fouffroit le froid ou « la faim dans l’empire... « Et, lur ce principe, il fit detruire une infinite de monafteres de bonzes. Le troifieme empereur de la vingt-unieme dynaftie (c), a qui on apporta des pierres precieufes trouvees dans une mine , la fit fermer; ne voulant pas fatiguer fon peuple a travailier pour une chofe qui ne pouvoit m le nourrir ni le vdtir. » Nptre luxe eft ft grand, dit Kiayvend (V), que le « peuple orne de broderies les fouliers des jeunes gar- « qons & des filies, qu’il eft oblige de vendre. « Tant d’hommes e'tant occupes a fa ire des habits pour un feul, le moyen qu’il n’y ait bien des gens qui manquent d’ha¬ bits ? 11 y a dix hommes qui mangent le revenu des terres, contre un laboureur : le moyen qu’il n’y ait pas bien des gens qui manquent d’alimens? («) Le luxe y a toujours (c) Hid. de la Chine, vingt- tke arretd. unieme dynaftie, dans l’ouvrage (£) Dans une ordonnance du P. du Halde, tom. I. rapportee par !e P. du Halde, (d) Dans un difcours rapporte tom. II, pag. 497. par le P. du Halde, t. II, p. 413. .u .— - -^ CHAPITRE VII. Fatale confluence du luxe ci la Chine . O N voit, dans 1’hiftoire de la Chine, qu’elle a eu vingt-deux dynafties qui fe font fuccedees ; c’eft-a-dire , qu’elle a eprouve vingt-deux revolutions generates , fans 12 6 De l'E SPRIT DBS L 0 I X , compter une infinite de particulieres. Les trois premie¬ res dynafties durerent afiez long-temps, parce qu’elles furent (agement gouvernees , & que l’empire etoit moins etendu qu’il ne le fut depuis. Mais on peut dire, en general, que toutes ces dynafties cominencerent affez hi en. La vertu , l’attention , la vigilance font neceffai- res a la Chine : elles y etoient dans le commencement des dynafties, 8c elles manquoient a la fin. En effet, il etoit naturel que des empereurs nourris dans les fa¬ tigues de la guerre , qui parvenoient a faire defcendre du trone une famille noyee dans les delices, confervaf- fent la vertu qu’ils avoient eprouvee ft utile, 8c crai- gniflent les voluptes qu’ils avoient vues ft funeftes. Mais, apres ces trois ou quatre premiers princes, la corrup¬ tion , le luxe, l’oifivete, les delices, s’emparent des fuc- cefleurs; ils s’enferment dans le palais; leur efprit s’af- foiblit, leur vie s’accourcit, la famille decline; lef grands s’elevent, les eunuques s’accreditent; on ne met fur le trone que des enfans; le palais devient ennemi de l’em- pire; un peuple oifif, qui 1’habite, ruine celui qui tra- vaille ; l’empereur eft tue ou de'truit par un ufurpateur, qui fonde une famille, dont le troifieme ou quatrieme- fucceffeur va, dans le meme palais, fe renfermer encore. ^ , ■ — i . . CHAPITRE VIII. De la continence publique. Il y a tant d’imperfeftions attachees a la perte de la vertu dans les femmes, toute leur ame en eft ft fort degradee, ce point principal ote en fait tomber tant d’au- tres, que l’on peut regarder, dans un etat populaire, l’ir.continence publique comme le dernier des malheurs, 8c la certitude d’un changement dans la conftitution. Auffi les bons legiflateurs y ont-ils exige des femmes une certaine gravite de moeurs. Ils ont profcrit de leurs republiques non-feu!ement le vice , mais l’apparence L 1 V R E VII , Chapitre VIII. 127 meme du vice. Ils ont banni jufqu’a ce commerce de galanterie qui produit l’oifivete, qui fait que les fem¬ mes corrompent avant meme d’etre corrompues, qui donne un prix a tous les riens, Sc rabailTe ce qui eft important, & qui fait que l’on ne fe conduit plus que fur les maximes du ridicule que les femmes entendent fi bien a etabiir. < - - - - -- a. CHAPITRE IX. De la condition des femmes , dans les divers gou- vernemens. T j fs femmes ont peu de retenue dans les monar¬ chies; parce que la diftindlion des rangs les appellant a la cour, elles y vont prendre cet efprit de liberte, qui eft, a peu pres, le feul qu’on y tolere. Chacun fe fert de leurs agremens Sc de leurs paftions, pour avan- cer fa fortune; 8c, comme leur foiblefle ne leur per- met pas l’orgueil, mais la vanite, le luxe y regne tou- jours avec elles. Dans les etats defpotiques, les femmes n’introduifent point le luxe; mais elles font elles-memes un objet du luxe. Elles doivent etre extremement efclaves. Chacun fuit l’efprit du gouvernement, Sc porte chez foi ce qu’il voit etabli ailleurs. Comme les loix y font feveres 8c executees fur le champ, on a peur que la liberte des femmes n’y fafle des affaires. Leurs brouilleries, leurs in- difcretions, leurs repugnances, leurs penchans, leurs ja- loufies, leurs piques, cet art qu’ont les petites ames d’in- terefler les grandes, n’y fcauroient etre fans confequence, De plus : comme , dans ces etats, les princes fe jouent de la nature humaine , ils ont plufieurs femmes; Sc mille confiderations les obligent de les renfermer. Dans les republiques, les femmes font libres par les loix, Sc captivees par les mceurs; le luxe en eft banni, Sc t avec lui, la corruption 8c les vices. 143 De l' E SPRIT I) e s loix, Dans les villes Grecques, ou l’on ne vivoit pas fouS cette religion qui etablit que, chez les hommes memes, la purete des moeurs eft une partie de la vertu dans les villes Grecques , oil un vice aveugle regnoit d’une maniere effrenee; oil l’amour n’avoit qu’une forme que l’on n’ole dire ; tandis que la feule amitie s etoit reti¬ ree dans les manages (a) ; la vertu , la fimplicite, la chaftete des femmes y etoient telles, qu’on n’a gueres jamais vu de peuple qui ait eu, a cet egard, line meil- ieure police (£). («) Quant au vraiamour , dit Plutarque , les femmes n'y ont aucune part. CEuvres mo¬ rales , traiti de 1'amour, p. 600. II parloit comme fon fiecle. Voyez Xenophon, au dialogue intitule, Hieron. ( h ) A Atbenes, il y avoir un magiftrat particulier, qui veil- loit fur la conduite des femmes* CHAPITRE X. jDu tribunal domefiique , chez les Remains . I_iES Romains n’avoient pas, comme les Grecs, des magiftrats particuliers qui euffent infpeftion fur la con¬ duite des femmes. Les cenfeurs n’avoient l’oeil fur elles que comme fur le refte de la republique. L’inftitutioit du tribunal domeftique (a') fupplea a la magiftrature eta* blie chez les Grecs (£). Le mari affembloit les parens de la femme, & la ju- geoit ■ C a ) Romulus inftitua ce tri¬ bunal , comme il paroit par De¬ nys cFHalicarnaJfe , livre II, pag. 96. (£) Voyez, dans Tite Live, liv. XXXIX, fufage que fou fit de ce tribunal, Idrs de la con¬ juration des bacchanales : on appella conjuration contre la rd- publique, des aflemblees oil 1’on corrompoit les moeurs des fem¬ mes & des jeunes gens. L I V R £ VII , C H A P I T K E X. lap geolt devant eux (c). Ce tribunal maintenoit les moeurs dans la republiqne. Mais ces memes maeurs maintenoiem ee tribunal. II devoit ]uger, non-feulement de la viola¬ tion des loix; mais aufft de la violation des inceurs. Of, pour juger de la violation des moeurs, il faut en avoir; Les peines de ce tribunal devoient etre arbitraires , 8 t letoient en effet : car tout ce qui regarde les moeurs, tout ce qui regarde les regies de la modeftie, ne peuc gueres dtre compris fous un code de loix. II eft aife de regler, par des loix * ce qu’on doit aux autres; il eft difficile d’y comprendre tout ce qu’on fe doit a foi-mdme, Le tribunal domeftique regardoit la conduite generate des femmes. Mais il y avoit un crime qui, outre l’ani- madverfion de ce tribunal, etoit encore foumis a une accufation publique : c’etoit l’adultere; foit que, dans une republique, une ft grande violation de moeurs in- tereflat le gouvernement; foit que le dereglement de la femme put faire foupqonner celui du mari; foit enfin que 1’on eraignit que les honnetes gens monies n’aimaf- fent mieux cacher ce crime que le punir, l’ignorer que le venger. (c) Il paroit, par Denys d'Halicarnajfe , liv.II, que, parl’inf- tkution de Romulus, le mari, dans les cas ordinaires, jugeoit feul devant les parens de la femme; & que, dans les grands crimes, il la jugeoit avec cinq d’entre eux. Auffi Ulpien, an titre 6, §.9, 12 & 13 , diftingue-t-il, dans les jugemens des mceurs, celles qu’il dppellfi graves, d’avee celles qui Fdtoient moms : Mores gravio- res, mores le-viores. CHAPITRE XI. Comment les inflitutions changerent a Rome avec k gouvernement. O Comme le tribunal domeftique fuppofok des moeurs * 1’accufation publique en fuppofok aufft; & cela ft que Tome I. 1 130 De 1'e sprit des loix, ces deux chofes tomberent avec les mceurs, 8c finirent avec la republique (a). L etabliffement des queftions perpetuelles, c’eft,-a-dire, du partage de la jurifdi&ion entre les preteurs, 6c la coutume qui s’introduifit de plus en plus que ces pre¬ teurs jugeaflent eux-memes (b) toutes les affaires, af- foiblirent l’ufage du tribunal domeftique : ce qui paroit par la furprife des hiftoriens, qui regardent comme des faits finguliers 6c comme un renouvellement de la pra¬ tique ancienne, les jugemens que Tibere fit rendre par ce tribunal. L’etabliflement de la monarchie 8c le changement des moeurs firent encore cefler l’accufation publique. On pou- voit craindre qu’un malhonndte homme, pique des me- pris d’une femme, indigne de fes refus, outre de fa vertu meme, ne format le deflein de la perdre. La loi Julie ordonna qu’on ne pourroit accufer une femme d’a- dultere, qu’apres avoir accufe fon mari de favorifer fes dereglemens; ce qui reftreignit beaucoup cette accufa- tion, & laneantit, pour ainfi dire CO* Sixte V feinbla vouloir renouveller l’accufation publi¬ que (d). Mais il ne faut qu’un peu de reflexion pour voir que cette loi, dans une monarchie telle que la fienne, etoit encore plus deplacee que dans toute autre. (a) Judicio de morihus Qquod anted quidem in antiquis legi- buspofitum erat, non autem fre- quentabatur ) penitus abolito. Leg. XI, §. 2 cod. de repub. (b') Judicia extraordinarily. CO Conftantin l’ota entiere- ment. C'ejl une chofe indigne, difoit-il, que des manages tran- quilles foient troubles par Vali¬ date des Strangers. (O Sixte V ordonna qu’un mari qui n’iroit point fe plaindre lui des debauches de fa fem¬ me, feroitpuni de mort. Voyez Lett. LiPre VII , Chapitre XII. 131 C H A P I T R E XII. De la tutelle des femmes , ckez les Romains . Les inftitutions des Romains mettoient les femmes dans une perpetuelle tutelle, a moins qu’elles ne fuflTent fous l’autorite d’un mari (n). Cette tutelle etoit don* nee au plus ptoche des parens, par males; St il patoit, par une expreffion vulgaire (£) , qu’elles etoient tres- genees. Cela etoit bon pour la republique, Sc n’etok point neceffaire dans la monarchic (c). II paroit, par les divers codes des loix des barba- res , que les femmes, chez les premiers Germains , etoient aufli dans une perpetuelle tutelle (df Cet ufage pafla dans les monarchies qu’iis fonderent; mais il ne fubfifta pas. (#) Nlfi convenient in ma- tnes qui auroient eu trois enfanS num viri. feroient hors de cette tutelle. (£) Ni Jismihi patniusaro. (t/) Cette tutelle s’appelloit, fc) La loi papienne ordon- chez les Germains, mundebur* na, fous Augufte, que les fem- diutn, - ---Ti ' “ -:-en S> CHAPITRE XIII. Des peines etablies par les empereurs centre les de¬ bauches des femmes. L A loi Julie etablit une peine centre 1’adultere. Mais, bien loin que cette Jloi, & celles que Ton fit depuis la« deffus, fuffent une marque de la bonte des moeurs, elles furent, au contraire, une marque de leur depravation, Tout le fyfteme politique, a legard des femmes, I ij IJ2 D E l'e SPRIT I) E S L 0 I X, changea clans la monarchic. II ne tut plus queftion d’eta- blir chez elles la purete des moeurs, mais de punir leurs crimes. On ne faifoit de nouvelles loix, pour punir ces crimes, que parce qu’on ne puniftbit plus les violations, qui n’etoient point ces crimes. L’affreux debordement des moeurs obligeoit bien les empereurs de faire des loix, pour arreter, a un certain point, l’impudicite : mais leur intention ne tut pas de corriger les moeurs en general. Des faits pofitifs, rap- portes par les hiftoriens, prouvent plus cela que toures ces loix ne fqauroient prouver le contraire. On peut voir, dans Dion , la conduite d’Augufte a cet egard; & comment il eluda, & dans la preture & clans la cen- fure , les demandes qui lui furent faites (a). On trouve bien , clans les hiftoriens , des jugemens rigides rendus, fous Augufte & fous Tibere y centre l’impudicite de quelques dames Romaines : mais, en nous failant connoltre 1’elprit de ces regnes , ils nous font connoltre 1’elprit de ces jugemens. Augnfte & Tibere fongerent principalement a punir les debauches de leurs parens. Ils ne puniffoient point le dereglement des moeurs, mais un certain crime d’irn- piete ou de lefe-majefte (£) qu’ils avoient invente , utile pour le refpeft, utile pour leur vengeance. De-la vient que les auteurs Remains s’elevent ft fort contte cette tyrannie. (&i ) Comme on lui eut amend tin jeunehomme qui avoir epoufe une femme avec laquelle i! avoit eu aviparavant un mauvais com¬ merce, il hefita long-temps; n’e- fant ni approuver, ni ptinir ces chofes. Enfin, reprenant fes ef- prits, Les [editions out ete caufe de grands maux, dit-il; oublions- les. Dion, iiv. LIV. Les fena- teurs lui ayant demande des re- glemens fur ies moeurs des fem¬ mes, i! eluda cette demande, eu leur difant, qtiils corrigeajfent leurs femmes, comme il corri- geoit la jienne. Sur quoi iis le prierent de leur dire comment il en ufoit avec fa femme : quef- tion, ce me femble, fort indtf- erette. ( b ) Culpam inter viros & feeminas vulgatam gravi nomine Ufarum religionum appellan- do, cleiHentiam majorum fuaf- qtie ipfe leges egrediebatur. Ta- cite, anna!. Iiv. III. Livre VII , Chap it re XIII. 133 La peine de la loi JulU etoit legere (c). Les em- pereurs voulurent que, dans les jugemens, on augmen- tat la peine de la loi quils avoient faite. Cela fut le l'u’jet des invedtives des hiftoriens. Ils n’examinoient pas li les femmes meritoient d’etre punies, mais li Ton avoit viole la loi pour les punir. Une des principales tyrannies de Tibere (d) fat l’abu* qu’il fit des anciennes loix. Quand il voulut punir quel- que dame Romaine, au-dela de la peine portee par la loi Julie , il retablit contre elle le tribunal domeftique (e). Ces dilpofitions a l’egard des femmes ne regardoient que les families des fenateurs, & non pas cedes du peu- ple. On vouloit des pretextes aux accufations contre les gtands , & les deportemens des femmes en pouvoient fournir fans nombre. Enfin ce que j’ai dit, que la bonte des moetirs n’eft pas le principe du gouvernement d’un feul, ne fe ve- rifia jamais mieux que fous ces premiers erqpereurs; &, fi 1 ’on gn doutoit, on n’auroit qua lire Tacite, Sue tone , Juvenal, & Martial. (c) Cette loi eft rapporteeau ( e') Adulterii graviorem pce- digefte; mais on n’y a pas mis natn deprecatus , Ut , exeinph la peine. On juge qu’elle n’dtoit majorutn , proplnquis fhis ul- que la relegation, puifqne cells trii ducentejitnum lapidem re¬ dd l’incefte n’etoit que la depot- moveretur , fuaftt , Adultero tation. Leg. ji quit viduam , ff. Manlio Italia atque Africa iu- de quejl. terdiftum eft. Tacitc, armal. li- (dJProprium idTiberiofuit, vre II. feeler a nuper repertaprifeis ver¬ bis obtegere. Tacite. ji - - -- CHAPITRE XIV. , Loix fomptuaires chez les Remains. iNl ous avoirs parle de l’inconfinence pubfique; parce gu’elle eft jointe avec le luxe, qu’elle en eft tonjours I fij 134 De l'espiiit j) e s loix, fuivie, & qu’elle le fuit toujours. Si vous laiffez en li- berte les mouvemens du coeur, comment pourrez-vous gdner les foiblefl'es de I’efprit ? A Rome, outre les inftitutions generales, les cenfeurs firent faire, par les niagiftrats, plufieurs loix particulie- res, pour maintenir les femmes dans la frugalite. Les loix Fannienne , Lycinienne & Oppknne eurent cet ob- jet. II faut voir, dans The Live (a), comment le fe- nat fut agite, lorfqu’elles demanderent la revocation de la loi Oppienne. Valere Maxime met l’epoque du luxe, chez les Remains, a l’abrogation de cette loi. O) Decade IV, liv. IV. . -- —-y—— . . . -j. CHAPITRE XV. Des dots & des avantages mptiaux , dans les diver fes conjiitutions. T i e S dots doivent etre confiderables dans les monar¬ chies, afin que les maris puiffent foutenir leur rang Sc le luxe etabli. Elies doivent dtre mediocres dans les re- publiques, ou le luxe ne doit pas regner (a). Elies doi¬ vent etre a peu pres nulles dans les etats defpotiques, oil les femmes font, en quelque facon, efclaves. La communaute des biens introduite par les loix Fran- qoifes entre le mari Sc la femme, eft tres-convenable dans le gouvernement monarcbique; parce qu’elle inte- relTe les femmes aux affaires domeftiques, Sc les rap- pelle, comme malgre elles, au foin de leur maifon. Elle I’eft moins dans la republique, oil les femmes ont plus de vertu. Elle feroit abfurde dans les etats defpotiques, («) Marfeille fut la plus fage des republiques de fon temps, les dots ne pouvoient paffer cent ecus en argent, 6? cinq en ha¬ bits ; dit Straboti , liv, IV, L I V RE VII, C II A P I T R E XV. 135 ou prefque toujours les femmes font elles-memes une partie de la propriete du maitre. Comme les femmes, par leur etat, font affez portees au mariage, les gains que la loi leur donne fur les biens de leur mari font inutiles. Mais ils feroient tres-perni- cieux dans une republique, parce que leurs richeffes par- ticuiieres produifent le luxe. Dans lesetats defpotiques, les gains des noces doivent etre leur fubfiftance, &c rien de plus. ■c . — » CHAPITRE XVI. Belle coutume des Samnites. Les Samnites avoient une coutume qui, dans une petite republique, & fur-tout dans la fituation ou etoit la leur, devoir produire d’admirables effets. On affem- bloit tous les jeunes gens , & on les jugeoit. Celui qui etoit declare le meilleur de tous prenoit, pour fa femme, la fille qu’il vouloit : celui qui avoit les fuf- frages apres lui choififfoit encore; & ainfi de fuite (a). II etoit admirable de ne regarder entre les biens des garqons que les belles qualites, &£ les fervices rendus a la patrie. Celui qui etoit le plus riche de ces fortes de biens choififfoit une fille dans toute la nation. L’a- mour, la beaute, la chaftete , la vertu, la naiflance, les richefles iricmes, tout cela etoit, pour ainfi dire, la dot de la vertu. II feroit difficile d’imaginer une re- compenfe plus noble, plus grande, moins a charge a un petit etat, plus capable d’agir fur l’un & l’autre fexe. Les Samnites defcendoient des Lacedemoniens; & Platon, dont les inftitutions ne font que la perfection des loix de Lycurgue, donna a peu pres une pareille loi (b). («) Fragm. de Nicolas de (6) II leur permet meme de Damns , tird de Stobee , dans fe voir plus frequemment. le recueil de Conft. Porpliyr. I iv 13*5 D e l'e sprit d e s l o i x, r j’etois riche, j’etois oblige de faire ma cour aux calom- » niateurs, fqachant bien que jetois plus en etat de re- » cevoir du mal d’eux que de leur en faire : la republi- » que me demandoit toujours quelque nouvelle fomme: » je ne pouvois m’abfenter. Depuis que je fuis pauvre, •» j’ai acquis de I’autorite : perfonne ne me menace, je » menace les autres : je puis m’en aller, ou refter. Deja » les riches fe Ievent de leurs places, &me cedent le pas. » Je fuis un roi, jetois efclave : je payois un tribut a la » republique, aujourd’hui elle me nourrit : je ne crains » plus de perdre, j’efpere d’acquerir. <* Le peuple tombe dans ce malheur, lorfque ceux a qui il fe confie, voulant cachet leur propre corruption, cherchent a le corrompre. Pour qu’il ne voie pas leur ambition, ils ne lui patient que de fa grandeur; pour qu’il n’apperqoive pas leur avarice, ils flattent fans ceffe la fienne. La corruption augmentera parmi les corrupteurs, & elle augmentera parmi ceux qui font deja corrompus. Le peuple fe diftribuera tous les deniers publics; &, comme il aura joint a ) Ibid. ■z . . ——— -. . . a. CHAPITRE V. De la corruption du principe de Pariftocratie. L ’a R is T O c R A T I E fe corrompt, lorfque le pouvoir des nobles devient arbitraire : il ne peut plus y avoir de vertu dans ceux qui gouvernent, ni dans ceux qui font gouvernes. Quand les families regnantes obfervent les loix, c’eft une monarchic qui a pluueurs monarques, qui eft tres- bonne par fa nature; prelque tous ces monarques font lies par les loix. Mais, quand elles ne les obfervent pas, c’eft un etat defpotique qui a plufieurs defpotes. Dans ce cas, la republique ne fubfifte qu a l’egard des nobles, & entre eux feulement. Elle eft dans le corps qui gouverne, & l’etat defpotique eft dans le corps qui eft gouverne; ce qui fait les deux corps du monde les plus delunis. L’extreme corruption eft lorfque les nobles devien- nent hereditaires (a) : ils ne peuvent plus gueres avoir de moderation. S’ils font en petit nombre, leur pou- (a) L’ariftocratie fe change en oligarchic. 142 Be Bespr.it des loix , voir eft plus grand; mais leur furete diminue : s’ils font en plus grand nombre, leur pouvoir eft moindre, Sc leur furete plus grande : en lorte que le pouvoir va croif- fant, & la furete diminuant, jufqu’au defpote, fur la tete duquel eft: l’exces du pouvoir Sc du danger. Le grand nombre des nobles, dans l’ariftocratie heredi- taire, rendra done le gouvernement moins violent : mais, comme il y aura peu de vertu, on tombera dans un efprit de nonchalance, de pareffe , d’abandon , qui fera que l’etat n'aura plus de force ni de reffort (£). Une ariftocratie peut maintenir la force de fon prin- cipe , ft les loix font telles, qu’elles faffent plus fentir aux nobles les perils Sc les fatigues du commandement que fes delices ; Sc ft l’etat eft dans une telle fituation, qu’il ait quelque chofe a redouter; Sc que la furete vienne du dedans, Sc l’incertitude du dehors. Comme une certaine confiance fait la gloire & la furete d’une monarchie, il faut, au contraire, qu’une republique redoute quelque chofe (c). La crainte des Perfes maintint les loix chez les Grecs. Carthage & Rome s’intimiderent l’une l’autre, Sc s’affermirent. Chofe finguliere! plus ces etats ont de furete, plus , comme des eaux trop tranquiiies, ils font fujets a fe corrompre. (£) Fenife eft une des repu- vertuaAthenes.N’ayantplusd’e- bliques qui ale mieux corrige, mulation, ils de'penferent leurs par fes loix , les inconveniens revenus en fetes : Frequently de l’ariftocratie hereditaire. coenav.i qv.am caftra vifentes. ( c) Juftin attribue a la mort Pour lors, les Macedoniens for- d’Epaminondas fextinction de la tirent de fobfeurite: liv. VI. - = - 1 - . CHAPITRE VI. Be la corruption du principe de la monarchie. C omme les democraties fe perdent, lorfque le peu- ple depouille le fenat, les magiftrats Sc les juges, de L 1 V RE VIII, C H A P I T R E VI. 143 leurs fonftions; les monarchies fe corrompent, lorf- qu’on ote peu a peu les prerogatives cies corps , ou les privileges ties viiles. Dans le premier cas , on va au defpotifme de tous; dans l’autre, au defpotifme d’un feul. » Ce qui perdit les dynafties de Tfin & de Soiii, clit un autzur Ckinois , c’eft qu’au lieu de fe borner , comme les anciens , a une infpettion generale , feulc digne du fouverain, les princes voulurent gouverner tout immediatement par eux-memes ( ' i. C II A.;PoI T R E X. De la corruption du principe du gouvernement defpotique. UJ ■ T i t principe du gouvernement defpotique fe corrompt fans ceffe, parce qu’ii eft corrompu par fa nature. Les autres gouvernemens periffent, parce que des accidens particuliers en violent le principe : celui ci perit par fon vice interieur, lorfque quelques caufes accidentelles n’em- pdchent point fon principe de fe corrompre. II ne fe maintient done que quand des circonftances tirees du cli- mat, de la religion, de la fttuation, ou du ge'nie du peu- ple, le forcent a fuivre quelque ordre, & a fouffrir quel- que regie. Ces chofes forcent fa nature fans la changer : fa ferocite refte; elle eft, pour quelque temps, apprivoifee. fl — .— . . , JL ^ —. —- ■■ -- a- C H APITR E XI. Effets naturals de la bonte & de la corruption des principes. JLjORSQUE les principes du gouvernement font une fois corrompus, les meilleures loix deviennent mauvai- fes, Sc fe tournent contre l’etat : lorfque les. principes en font fains, les mauvaifes ont l’effet des bonnes; la force du principe entraine tout. Les Cretois, pour tenir les premiers magiftrats dans la dependance des loix , employoient un moyen bien fmgulier : e’etoit celui de YinfurreBion. Une partie des Livue VIII , Cha PITRE XI. 147 citoyens fe foulevoit (a) , mettoir en fuite les magtf* trats, & les obligeoit de rentrer dans la condition prb vee. Cela etoit cenfe fait en confequence de la loi. Une inftitution pareille, qtti etabliffoit la fedition pour em- pecher l’abus du pouvoir, fembloit devoir renverier quel* que republique que ce fut. EUe ne detruifit pas celle de Crete : void pourquoi (£). Lorfque les anciens vouloient parler d’un peuple qui avoit le plus grand amour pour la patrie, ils citoient les Cretois : La patrie , difoit Platon (c), nom fi ten* dre aux Cretois. Ils l’appelloient d’un nom qui exprime l’amour d’une mere pour fes enfans (c/). Or, l’amouf de la patrie corrige tout. Les loix de Pologne ont auffi leur infurreclion. Mais les inconveniens qui en rdfultent font bien voir que le feul peuple de Crete etoit en etat d’employer, avec fuc- eds, un pareil remede. Les exercices de la gymnaftique, etablis chez les Grecs, ne dependirent pas rnoins de la bonte du principe du gouvernement. » Ce furent les Lacedemoniens & les « Cretois, dit Platon (e) , qui ouvrirent ces acade'mies « fameufes qui leur firent tenir dans le monde un rang fi « diftingue. La pudeur s’allarma d’abord : mats elle ceda « a l’utilite publique. « Du temps de Platon, ces infti- tutions etoient admirables (/) ; elles fe rapportoient a (r>lequent peu de moderation dans les efprits : il y -a de ; trop grands depots a mettre en- tre les mains d’un citoygn; les interests fe particularifent: un homme fent d’abord qu’il peut etre heureux, grand, glorieux, fans fa patrie ; & bientpt, qu’il peut etre feul grand fur les ruines de la patrie. Dans une grande republique, le bien commun eft lacrifie a mille conliderations : il eft fubordonne a des exceptions : il depend des accidens. Dans une petite, le bien public eft mieux lenti, mieux connu, plus pres de chaque citoyen : les abus y font moins etendus, & par confequent moins proteges. Ce qui fit fubfifter ft long-temps Lacedemone, c’eft qu’apres toutes fes guerres, elle refta toujours avec fon territoire. Le feul but de Lacedemone etoit la liberte : le feul avantage de fa liberte, c’etoit la gloire. Ce fut l’efprit des republiques Grecques de fe con- tenter de leurs terres, comme de leurs loix. Athenes prit de l’ambition, & en donna a Lacedemone : mais ce fut plutot pour commander a des peupies fibres, que pour gouverner des efclaves; plutot pour etre a la tete de l’union, que pour la rompre. Tout fut perdu, lorf- qu’une monarchic s’eleva : gouvernement dont l’efprit eft plus tourne vers 1’aggrandiftement. Sans des circonftances particulieres (a), il eft diffi- (a) Comme quand un petit fouverain fe maintient entre deux grands dtats, par leur jaloufie mutuelle : mais il n’exille que pre- cairenjent. Livre VIII, Chapitre XVI. 153 cile que tout autre gouvernement que le republicain puiffe fubfifter dans une feule ville. Un prince d’un fi petit etat chercheroit naturellement a opprimer ; parce qu’il auroit une grande puiffance, &t peu de moyens pour en jouir, ou pour la faire refpefter : il fouleroit done beaucoup fes peuples. D’un autre cote , un tel prince feroit aifement opprime par une force etrangere , ou mdme par une force domeftique : lepeuple pourroit, a tous les inftans, s’aftembler & fe reunir contre lui. Or, quand un prince d’une ville eft chaffe de fa ville, le proces eft fini : s’il a plufieurs villes, le proces n’eft que commence. ^ m . .. . . ■ 1.1. . . ■ CHAPITRE XVII. Propriety diftin&ives de la monarchie. U„ etat monarchique doit dtre d’une grandeur me* diocre. S’il etoit petit, il fe formeroit en republique; s’il etoit fort etendu, les principaux de 1 ’etat, grands par eux-memes, n’etant point fous les yeux du prince, ayant leur cour hors de fa cour, affures d’ailleurs con¬ tre les executions promptes par les loix & par les moeurs, pourroient cefler d’obeir; ils ne caindroient pas une pu- nition trop lente & trop eloignee, Auffi Charlemagne eut-il a peine fonde fon empire, qu’il fallut le divifer; foit que les gouverneurs des pro¬ vinces n’obeiffent pas; foit que, pour les faire mieux obeir, il fut neceflaire de partager l’empire en plufieurs royaumes. Apres la mort d’Alexandre , fon empire , fut par- tage. Comment ces grands de Grece & de Mace¬ doine , libres , 011 du moins chefs des conquerans re- pandus dans cette vafte'conquete, auroient-ils pu obeir ? Apres la mort d’Attila, fon empire fut diffous : tant derois, qui n’etoient plus contenus, ne pouvoient point reprendre des chaines. 154 D B id E SPRIT I) E S L 0 I X, Le prompt etabliffement du pouvoir fans homes eft le remede qui, dans ces cas, pent prevenir la diffolu- tion : nouveau malheur apres celui de l’aggrandiffement! Les fleuves courent fe mdler dans la mer : les mo¬ narchies vont fe perdre dans le defpotifine. V --^-OT. ■■■« ! =: J'.'.'- - ■ —» CHAPITRE XVIII. Oue la monarcbie d'Efpagne it oil dam an cas particulier. Q u’on ne cite point l’exemple de l’Efpagne; elle prouve plutot ce que je dis. Pour garder l’Amerique, elle fit ce que le defpotifine mdme ne fait pas; elle en detruifit les habirans. II fallut, pour conferver fa co- lonie, qu’elle la tint dans la dependance de fa fubfif- tance meme. Elle eflaya le defpotifine dans les Pays-Bas; &, fitot qu’elle l’eut abandoned , fes embarras augmenterenr. D’un cote , les AVallons ne vouloient pas etre gouvernes par les Efpagnols; &, de 1’autre , les foldats Efpagnols ne vouloient pas obeir aux officiers "Wallons (a). Elle ne fe maintint dans l’ltalie, qua force de l’en- richir & de fe ruiner : car ceux qui auroient voulu fe defaire du roi d’Efpagne n’etoient pas, pour cela, d’hu- meur a renoncer a fon argent. Qa') Voyez l’hiftoire des Provinces-Unies, par M. le Clerc. —, . i ■ ■ — ■ ■ ■ i i h i i "M" . - I - CHAPITRE XIX. Propriitis difUnctives du gouvernement defpotique. XJn grand empire fuppofe une autorite defpotique dans celui qui gouverne. II faut que la promptitude des Livre VIII , Chapitiie XIX. 155 refolutions fupplee a la diftance des lieux ou elles font envoyees; que la crainte empdche la negligence du gouverneur ou du magiftrat eloigne; que la loi foit dans une feule tdte ; & quelle change fans cede, corrnne les accidens, qui fe multiplient toujours dans l’etat a proportion de fa grandeur. & . — ■ ■ ■ - -...... .. .- - ' CHAPITRjE XX. Confluence des chapitres precedent. Q u E fi la propriete naturelle des petits etats eft d’dtre gouvernes en repub!ique, celle des mediocres d’etre fou- mis a un monarque, celle des grands empires d’etre do- mines par un defpote; il fuit que, pour conferver les principes du gouvernement etabli, il fautmaintenir letat dans la grandeur qu’il avoit deja ; & que cet etat chan- gera d’efprit, a mefure qu’on retrecira, ou qu’on eten- dra fes limites. ■q ■ . - ---- - - ■■■■— > CHAPITRE XXI. De Vempire de la Chine. j^lVANT de finir ce livre, je repondrai a une ob¬ jection qu’on peut faire fur tout ce que j’ai dit jufqu’ici. Nos miflionnaires nous patient du -vafte empire de la Chine, comme d’un gouvernement admirable, qui mdle enfemble, dans fon principe, la crainte, l’hon- neur & la vertu. J’ai done pofe une diftinftion vaine, lorfque i’ai etabli les principes des trois gouvernemens. J’ignore ce que e’eft que cet lionneur dont on parle, chez des peuples a qui on ne fait rien faire qu’a coups de baton («). (a') C’eft le baton qui gouverne ia Chine, dit le P. du Halde. 156 D B l'E SPRIT DES LOIX, De plus : ii s’en faut beaucoup que nos commer- qans nous donnent l’idee de cette vertu done nous par- lent nos miifionnaires : on peut les confulter fur les bri¬ gandages des mandarins (£). Je prends encore a temoin le grand homme milord Anfon. D ailleurs, les lettres du P. Pannnin , fur le proces que 1 ’empereur fit faire a des princes du fang neophyte (c) qui lui avoient deplu, nous font voir un plan de tyran¬ nic conftamment f'uivi, St des injures faites a la natuie humaine avec regie, e’eft-a-dire, de fang-froid. Nous avons encore les lettres de M. de Mahan St du meme P. Parennin , fur le gouvernemenc de la Chine. Apres des queftions St des reponfes tres-fenfees, le mer* veilleux s’eft evanoui. Ne pourroit-il pas fe faire que les miffionnaires au- roient ete trompes par une apparence d’ordre; qu’ils au- roient ete frappes de cet exercice continuel de la vo- lonte d’un feul, par lequel ils font gouvernes eux-me- mes, & qu’ils aiment tant a trouver dans les cours des rois des Indes ? parce que, n’y allant que pour y faire de grands changemens, il leur eft plus aife de convain- cre les princes qu’ils peuvent tout faire, que de per^ fuader aux peuples qu’ils peuvent tout fouffrir (d). Enfin, il y a fouvent quelque chofe de vrai dans les erreurs mdmes. Des circonftances particulieres, St peut* dtre uniques, peuvent faire que le gouvernement de la Chine ne foit pas auffi corrompu qu’il devroit l’dtre. Des caufes, rirees la plupart du phyfique du climat, ont pu forcer les caufes morales dans ce pays, 8 e faire des efpeces de prodiges. Le climat de la Chine eft tel, qu’il favorife prodi- 09 Voyez, entre autres, la res fe fervirent de fautoritd de relation de Lange. Canhi pour faire taire les manda- (O De la famille de Sour- rins, qui difoient toujours que, niama , lettres edifiantes , re- pttr les loix du pays, un culte cueil XVIII. etranger ne pouvoit etre etabli (/) Voyez, dans le pere dn dans l’empire. Halde, comment les miffionnai- Lifre VIII , Ch-apitre XXI. 157 gieufement la propagation de l’efpece humaine. Les fem¬ mes y font d’une fecondite ft grande, que Ton ne voit rien de pareil fur la terre. La tyrannie la plus cruelie n’y arrdte point le progres de la propagation. Le prince n’y peut pas dire , conrme Pharaon , Opprimons-les avec fageffc. II feroit plutot reduit a former le fouhait de Ne- ron, que le genre humain n’eut qu’une tdte. Malgre la tyrannie, la Chine, par la force du climat, fe peu- plera toujours, & triomphera de la tyrannie. La Chine, comme tons les pays ou croit le riz (e) t eft fujette a des famines frequentes. Lorfque le peuple meurt de faim , il fe difperfe pour chercher de quoi vi- vre. Ii fe forme, de toutes parts, des bandes de trois, quatre ou cinq voleurs : la plupart font d’abord exter- mir.ees; d’autres fe groftifient, & font exterminees en¬ core. Mais, dans un Ii grand nombre de provinces, & fi eloignees, il peut arriver que quelque troupe faffe for¬ tune. Elle fe mainrient, fe fortifie, fe forme en corps d’armee, va droit a la capitale, & le chef monte fur le frone. Telle eft la nature de la chofe, que le mauvais gou- vernement y eft d’abord puni. Le defordre y nait fou- dain , parce que ce peuple prodigieux y manque de fub- iiftance. Ce qui fait que, dans d’autres pays, on revient 11 difficilement des abus, c’eft qu’ils n’y ont pas des ef- fets fenfibles; le prince n’y eft pas averti d’une ma- niere prompte & eclatante, comme il l’eft a la Chine. Il ne fentira point, comme nos princes, que, s’il gouverne mal, il fera moins heureux dans 1’autre vie, moins puiflant & moins riche dans celle-ci : il ft^aura que, ft fon gouvernement n’eft pas bon, il perdra 1’em- pire & la vie. Comme, malgre les expofitions d’enfans, le peuple augmente toujours a la Chine (/), il faut un travail infatigable pour faire produire aux terres de quoi le nour- (0 Voy. ci-deffous , 1 . XXIII , (/) Voyez le memoire d’un chap. xiv. Tfongtou, pour qu'on defrlche. Lettres edifiantes, recueil XXI. 158 De l'e-s-prit des loix , rir ; cela demande une grande attention de la part du gouvernement. II eft, a tous les inftans, intereffe a ce que tout le monde puifle travailler, fans crainte d’etre fruftre de fes peines. Ce doit moins etre un gouverne¬ ment civil, qu’un gouvernement domeftique. Voila ce qiii a produit les reglemens dont on park tant. On a voulu faire regner les loix avec le defpotif- me : mais ce qui eft joint avec le defpotifme n’a plus de force. En vain ce defpotifme, preffe par fes mal- heurs, a-t-il voulu s’enchainer; il s’arme de fes chaines, & devient plus terrible encore. La Chine eft done un etat defpotique, dont le prin- cipe eft la crainte. Peut-^tre que, dans les premieres dynafties, l’empire n’etant pas ft etendu, le gouverne¬ ment declinoit un peu de cet efprit. Mais aujourd’hui cela n’eft pas. L IV ft E IX, Chapitre I. 159 LIYRE IX. Des Imx, dans le rapport pi elks ont avec la force defenjrue. CHAPITRE PREMIER. Comment les ripubllques pourvoient a leur fur etc. Si une republique eft petite, elle eft detruite par une force etrangere : ft elle eft grande, elle fe detruit par un vice interieur. Ce double inconvenient infe&e egalement les demo- craties & les ariftocraties, foit qu’elles foient bonnes, foit qu’elles foient mauvaifes. Le mal eft dans la chofe m^me : il n’y a aucune forme qui puiffe y remedier. Ainfi il y a grande apparence que les homines auroient ete a la fin obliges de vivre toujours fous le gouverne- ment d’un feul, s’ils n’avoient imagine une maniere de conftitution qui a tous les avantgges interieurs du gou- vernement republicain, & la force exterieure du mo- narchique. Je parle de la republique federative. Cette forme de gouvernement eft une convention, par laquelle plufteurs corps politiques confentent a de- venir citoyens d’un etat plus grand qu'ils veulent for¬ mer. C’eft une fociete de focietes, qui en font une nou- velle, qui peut s’aggrandir par de nouveaux affocies qui fe font unis. Ce furent ces aflhciations qui firent fleurir ft long- terns le corps de la Grece. Par elles, les Romains attaquerent lunivers; &, par elles feules , ftunivers fe defendit contre eux : & , quand Rome fut parvenue au comble de fa grandeur, ce fut par des aftociations der- 160 D E C ESPRIT DES LOIX , riere le Danube & le Rhin , affociations que la frayeur avoit fait faire, que les barbares purent lui refifter. C’eft par-la que la Hollande ( ft / T D E S L 0 1 X) Cette loi eft tres-bonqe , & mthne neeeflaire, dans la republique federative. Elle manque dans la conftitution Germanique, oil elle previendroit les malheurs qui y peuvent arriver a tous les membres, par l’imprudence, 1’ambition, ou l’avarice d’un feul. Une republique qui s’eft unie par une confederation politique, s’eft donnee ennere, & n’a plus rien a donneV. 11 eft difficile que les etats qui s’aflhcient foient de meme grahdeui 1 , oe aient une puiffance egale. La re¬ publique des Lyciens (a') etoif une affociation de vingt- trois viHes : lei gfatidds' dvbi^nV rtois voix dans le con- fell cdmmun ; leS mddibcres, ‘deux ; les petites, une. La rdpubliqUe de Hbllande dft coinpolee de fept prq- vinces, grarides ou petites , qui dnt chaciifie fine'vciir. Les ville's de Lycie (i>) payoient les charges felon la proportion des fuffrages. Lds praVitites de Hollande ne peuvent fuivre tetre pfoportidn; il faut qu’elles fuivent celte de leiir puiflan'ce. En Lycie (c) , les juges & les magiftrats des viiles etoient elifs par le confeil coinmuri , & felon la pro¬ portion que nous avons dite. Dans la rdpltbliqiie de Hol¬ lande , ils ne font poirlt eius pa'r le confeil Coinmun , & chaque ville nomine fes mkgiftrats. S’ll falloit don- ner un mbdele d’qne belle republique federative, ]e pren- droiS la republique de Lycie. (w> Stfabbri , Iiv. XIV. (v) Strabort, liv. XIV. ( 6 ) Ibid. I T K E I V. r^3 partie du pays, ravagent les frontieres & Ies rendent defertes •, le corps de V empire devient inacceflible. II eft recu en geomettie que, plus les corps ont de- tendue , plus leur circonference eft relativerrient petite. Cette pratique , de devafter les frontieres, eft done plus tolerable dans leS grands etats que dans les mediocres. Cet etat fait, contre lui-meme, tout le mal que pouf- roit faire un cruel ennemi, mais un enneini qu’ort iie pourroit arreter. L’etat defpotique fe conferve par une autre forte de feparation , qui fe fait en mettant les provinces eloignees entre les mains d’un prince qul en foit feudataire. Le Mogol, la Perfe , les emperenrs de la Chine ant leurs feudataires& les Turcs fe font tres-bien trouves d’a- voir mis, entre leurs ennCmis & eux, les Tartaresj les Moldaves, les Vaiaques , & autrefois les> Tranfilvains. ; . .. .."V ; : /■- rrfc ■ - —. -v rT= = =g= t = 8- . : E- , ■"yi rust CHAP ITR Be'fV. ft U fb srasBfqir jrraftso 38 ,rn 3 n§iq Comment la monarchic* pourvoit'a fa furet£ r T , * JL_i A monarchic ne fe detruit..pas elle-bneme, coftime 1 ’etat defpotique : mais un etat d’vthe gfandeur medio - 1 ere pourroit dtre d’abord envahi, Elle a done des pla-i ces fortes qui defendent fes frontieres, & des armees pour defendre fes places fortes. Le plus petit terrein s’y dilpute avec arty avec courage, aifoe dpiniatrete. Les e'tats delpotiques font entre dux des invaiions; il n’y a que les monarchies qui faffent la guerre, Les places fortes appartiennent aux monarchies; les etats defpotiques craigndnt d’ert avoir. IIs n’ofent les con¬ fer a perfonne; car-perforine n’y aim'e letat & le prince. 164 D e V E S P R I 1 ' }) E S L 0 I X', ■q -. J ■ ■■■--- ... - a. C HA PI T RE VI. „ ■ j . . De la. forced fen five des it (its, en gineral. PO.l'R qu’un etat. foit dans fa force, il faut que .fa grandeur foit telle, qu’il y ait un rapport de la viteffe avec laquelie on peut executer contre lui quelque entre- prife, &ia promptitude qu’il peut employer pour la ren- dre vainej Comme celui qui attaque peut d’abord pa- roitre par-tout, il foot-que celui qui defend puiffe fe. montr.er par-tout 1 auffi j & , par confequent, que l’eten- due de Fetar foit mediocre, afin qu’elle foit proportlon- neeau degre de vireffe que la nature a donne aux hom¬ ines pour fe tranfporter d’un lieu a un autre. ’ ta France & t’Kfpagne' font precifeittent de la gran¬ deur requife. Les forces fe communiquent £ bien, qu’el- les fe portent d’abord la oii 1’on veut; les armees s’y joignent, & paffent rapidement d’une frontiere a I’au- tre; & i’on ny 'craint aucune des chofes qui ont befoi» d’un certain temps pour etre executees. t . En France, par un bonheur admirable, la capitale fe trpuye plus pre^.des .differentes frontieres, juftement a p^opoytipn deieur.fpitleffe^-ik le princpy voit mieux cha- que partie de fon pays ^a-mefure qu’elle eft plus expofee. Jdais, lorfqu’pn vffe etat, tel.que la Perfe, eft atta¬ que', if four piulieurs mois ppur que les troupes difperfees puiftent;js’aftemljier j & on ne. force pas leur march e pen- dfant tant He temps,, comme. on foit pendant quinze jours. Sid’annee qui eft for la frontiere eft battue, elle eft fu- remeh,t difperfee, parce que fes reunites ne font pas pro- chaines : 1’armee victorieufe, qui ne troupe pas de re- fiftance, s’avance a grandes journees, paroit Hevant la capitale, & en forme le liege, lorfqu’a peine les gou- neurs des provinces peuvent etre avertis d’envoyer du fecours. Ceux qui jugent la revolution prochaine la ha- tent , en n’obeiflant pas. Car des gens, fideles unique- L i v re IX, Chai'itre VI. 165 ment parce que la punition eft proche, ne le font plus des qu’elle eft eloignee; ils travaillent a leurs interests particuliers. L’empire fe dlffout, la capitale eft prife, &C le conquerant difpute les provinces avec les gouverneurs. La vraie puiffance d’un prince ne confifte pas tant dans la facilite qu’il y a a conquerir, que dans la difficulte qu’il y a a l’attaquer; &, ft j’ofe parler ainfi, dans l’im- mutabilite de fa condition. Mais Faggrandiffement des etats leur fait montrer de nouveaux cptes par ou on peut les prendre. Ainfi, comme les monarques doivent avoir de la fa- geffe pour augmenter leur puifiance, ils ne doivent pas avoir moins de prudence afin de la borner. En failant ceffer les inconveniens de la petiteffe, il faut qu’ils aient toujours l’oeil fur les inconveniens de la grandeur. ■g . ..-- r ' ..m: ■ ■■■■ = .- ■ CHAPITRE VII. Reflexions. ILiES ennemis d’un grand prince qui a fi long-temps regne Font mille fois accufe, plutot, ]e crois, fur leurs craintes que fur leurs raifons, d’avoir forme & conduit le pro]et de la monarchic univerfelle. S’il y avoit reuffi, rien n’auroit ete plus fatal a l’Europe , a fes anciens fujets, a lui, a fa famille. Le ciel, qui connoit les vrais avantages, l’a mieux fervi par des defaites, qu’il n’au¬ roit fait par des viftoires. Au lieu de le rendre le feul roi de FEurope , il le favorifa plus, en le rendant le plus puiffant de tous. Sa nation, qui, dans les pays etrangers, n’eft jamais touchee que de ce qu’elle a quitte ; qui, en partant de chez elle , regarde la gloire comme le fouverain Lien, &, dans les pays eloignes, comme un obftacle a fon retour; qui indifpofe par fes bonnes qualites me- mes, parce qu’elle paroit y joindre du mepris ; qui peut fupporter les bldTures, les perils & les fatigues, 1 66 D E i ’E SPRIT n E S L 0 I X, Sc non pas la perte de fes plailirs; qui n’aime rlers tant que fa gaiete, Sc fe confole de la perte d’une ba- taille lorfqu’eiie a chante le general, n’auroit jamais ete jufqu’au bout d’une entreprife qui ne peut manquer dans un pays fans manquer dans tous les autres, ni manquet un moment fans manquer pour toujours. CHAPITRE VIII. Cas oil la force defen five d'un etat eft infdrieure d fa force ojfenjive. C’etoit le mot du fire de Coucy au roi Charles V, que les Angiois ne font jamais fi foibles, ni fi aifes a vaincre que chez eux. « C’eft ce qu’on difoit des Ro- mnins; c’eft ce qu’eprouverent les Carthaginois; c’eft ce qui arrivera a toute puiftance qui a envoye au loin des armees, pour reunir, par la force de la clifcipline St du pouvoir militaire, ceux qui font divifos chez eux par les interdts politiques ou civils. L’etat fe trouve foi¬ ble , a caufe du mal qui refte toujours; & il a ete en¬ core affoibli par le remede. La maxime du fire de Coucy eft une exception a la regie generale, qui veut qu’on n’entreprenne point de guerres lointaines. Et cette exception confirme bien la regie, puifqu’elle n’a lieu que contre ceux qui ont eux- memes viole la regie. -—=T- ,.-- » CHAPITRE IX. Be la force relative des foots. TPO v t e grandeur, toute force, toute puiflance eft rela¬ tive. II faut bien prendre garde qu’en cherchant a augmen- ter la grandeur reelle, on ne diminue la grandeur relative. L i v r e IX, Chapitre IX. 1 6? Vers le milieu du regne de Louis XIV, la France fut au plus haut point de fa grandeur relative. L’Alle- magne n’avoir point encore les grands monarques qu’elle a eus depuis. L’italie etoit dans le me me cas. L’E- coffe & 1’Angleterre ne formoient point un corps de monarchic. L’Arragon n’en formoit pas un aveq^a Caf- tille ; les parties feparees de l’Efpagne en etoient affoi- blies, & l’affoibliffoient. La Mofcovie n’etoit pas plus connue en Europe que. la Crimee. decadence, on doit bien fe garder de hater fa ruine; parce qu’on eft, a cet egard, dans la fituation la plus heureufe ou Ton puiffe dtre; n’y ayant rien de ft com¬ mode pour un pripce , que d’dtre aupres d’un autre qui reqoit pour lui tous les coups & tous les outrages de la fortune. Et il eft rare que, par la conqudte d’un pa¬ red etat, on augmente autant en puiffance reelle, qu'qn a perdu en puiffance relative. :> c H A p I T R E X. De la folhkjje des tiats voifms . . L iv 168 Be l'e sprit des loix, L I V R E X. Des°loix, dans Je rapport qu’dles ont avec la force offenfive. ^ m , . . ■ ... . - . -- ■ i —. CHAP IT RE PREMIER. Be la force offenfive , I_j A force offenfive eft reglee par le droit des gens, qui eft la loi politique des nations confiderees dans le rapport qu’elles ont les unes avec les autres. r -•== j - ■ = .. —--ia C H A P I T R E II. Be la guerre. I_t A vie des etats eft comme celle des homines. Ceux-ci ont droit de tuer, dans le cas de la defenfe naturelle; ceux-la ont droit de faire la guerre pour leur propre confervation. Dans le cas de la defenfe naturelle, j’ai droit de tuer, parce que ma vie eft a moi, comme la vie de celui qui m’attaque eft a lui: de meme, un etat fait la guerre, parce que fa confervation eft jufte, comme toute au¬ tre confervation. Entre les citoyens, le droit de la defenfe naturelle n’emporte point avec lui la necefine de l’attaque. Au lieu d’attaquer, ils n’ont qu’a recourir aux tribunaux. Ils ne peuvent done exercer le droit de cette defen¬ fe , que dans les cas momentanes ou l’on feroit perdu fi Ton attendoir le fecours des loix. Mais, entre les L 1 V RE X, C II A P I T R E II. 169 focietes, le droit de la defenfe naturelle entraine quelque- fois la neceffite d’attaquer; lorfqu’un peuple voit qu’une plus longue paix en mettroit un autre en etat de le de- truire ; & que l’attaque eft , dans ce moment, le feul moyen d’empdcher cette deftruftion. II fiiit de-la que les petites focietes ont plus fouvent le droit de faire la guerre- que les grandes; parce qu’elles font plus fouvent dans le cas de craindre d’etre detruites. Le droit de la guerre derive done de la neceffite & du jufte rigide. Si ceux qui dirigent la confcience, ou les confeils des princes, ne fe tiennent pas la, tout eft perdu : &, lorfqu’on fe fondera fur des principes arbitraires de gloire , de bienfeance, d’utilite, des dots de fang inonderont la terre. Que l’on ne parle pas fur-tout de la gloire du prince: fa gloire feroit fon orgueil; e’eft une paffion, & non pas un droit legitime. II eft vrai que la reputation de fe puiftance pourroit augmenter les forces de fon etat; mais la reputation de fa juftice les augmenteroit tout de mdme. f ell:- .— . .. n. CHAPITRE III. Du droit de conquete. D U droit de la guerre, derive celui de conquete, qui en eft la confequence; il en doit done fuivre l’efprit. Lorfqu’un peuple eft conquis, le droit que le con- querant a fur lui, fuit quatre fortes de loix; la loi de la nature , qui fait que tout tend a la confervation des efpeces; la loi de la lumiere naturelle, qui veut que nous faffions a autrui ce que nous voudrions qu’on nous fit; la loi qui forme les focietes politiques, qui font telles, que la nature n’en a point borne la duree; enfin la loi tiree de la chofe meme. La conqudte eft une ac- quifition; l’efprit d’acquifition porte avec lui l’efprit de confervation & d’ufage, & non pas celui de deftruftion. 170 D E l' E S P R.1T ; D E S L 0 I X, Un e'tat qui en a conquis un autre le traite d’une cjes quatre manieres fuivantes : II continue a le gou- verner felon fes loix, & ne prend pour lui que l’exer- cice du gouvernement politique St civil; ou il lui donne un nouveau gouvernement politique & civil; ou il de- fruit la fo ciete , Sc la difper/e dans d’autres ; ou enrin, il extermine tous les citoyens. La premiere maniere eft conforme au droit des gens que nous fuivons aujourd’hui; la quatrieme eft plus con- forme au droit des gens des Romains : fur quoi je laifle a juger a quel point nous femmes devenus meiileurs. 11 faut rendre ici hommage a nos temps modernes, a la raifon prefente, a la religion d’aujourd’hui, a notre philofophie, a nos moeurs. Les auteurs de notre droit public , fondes fur les hif- toires anciennes, etant fortis des cas rigides, font tom- bes dans de grandes erreurs. Ils ont donne dans l’ar- bitraire; ils ont fuppofe, dans les conqueraqs, un droit, je ne Iqais quel, de tuer : ce qui leur a fait tirer des con- fequences terribles comme le principe; & etablir des maximes que les conquerans eux-memes, lorfqu’ils ont eu le moindre fens, n’ont jamais prifes. Il eft clair que, lorfque la conqu^te eft faite , le conquerant n’a plus le droit de tuer ; puifqu’il n’eft plus dans le cas de la defenfe naturelle, Sc de fa propre confervation. Ce qui les a fait penfer ainfi , e'eft qu’ils ont cru que le conquerant avoit droit de detruire la fociete : d’ou ils ont conclu qu’il avoit celui de detruire les hom¬ ines qui la compofent; ce qui eft une confluence fauft fement tiree d’un faux principe. Car, de ce que la fo¬ ci ete feroit aneantie, il ne s’enluivroit pas que les hom¬ ines qui la forment duffent auffi etre aneantis. La fo¬ ciete eft l’union des homines, & non pas les homines; le citoyen peut perir, Sc l’homme refter. Du droit de tuer dans la conqudte , les politiques ont tire le droit de reduire en fervitude : mais la con¬ fluence eft auffi mal fondee que le principe. On n’a droit de reduire en fervitude, que lorfqu’elle eft neceftaire pour la confervation de la conquete. L’ob- Liv re X , Qua pit,re III. 171 jet de la conqudte eft la confervation : la fervitude n’eft: jamais l’objet de la conquete; mais il peut arri- ver qu’etle foit un moyen neceffaire pour aller a la con¬ fervation. Dans ce cas, il eft contre la nature de la chofe que cetre fervitude foit eternelle. 11 faut que le people efe clave puilfe devenir fujet. L’efclavage, dans la con¬ quete , eft une chofe d’accident. Lorfqu’apres un cer¬ tain efpace de temps, toutes les parties de l’etat con¬ querant fe font liees avec celles de l’etat conquis, par des coutumes, des manages, des loix, des afiociations, & une certaine conformite d’efprit, la fervitude doit cefler : car les droits du conquerant ne font fondes que fur ce que ces chofes la ne font pas; & qu il y a un eloignement, entre les deux nations, tel que l’une ne peut pas prendre confiance en 1’autre. Ainfi, Ie conquerant, qui reduit le people en fervi¬ tude , doit toujours fe referver des moyens ( & ces moyen's font fans nombre ) pour 1’en faire f'ortir. Je ne dis point ici des chofes vagues. Nos peres, qui conquirent l’empire Romaip, en agirent ainfi. Les loix qu’ils firent dans le fc-u , dans I’aftion , dans l’impe- tuofite, dans l’orgueil de la viftoire, ils les adoucirent: leurs loix etoient dures, ils les rendirent impartiales. Les Bourguignons, les Goths & les Lombards vouloient tou¬ jours que les Romains fuffent le peuple vaincu ; les loix d’Euric, de Gondebaud & de Rotharis firent, du bar- bare & du Romain, des concitoyens fa'). Charlemagne, pour dompter les Saxons, leur ota l’in- genuite & la propriete des biens. Louis le debonnaire les affranchit (b) : il ne fit rieq de mieux dans tout fon regne. Le temps & la fervitude avoient adouci leurs moeurs; ils lui furent toujours fideles. («) Voyez le code des loix fb) Voyqz l’auteur incertain des barbares, & le liv. XXVIII, de la vie de Louis le debon- ci-defl'ous. naire, dans le recueil de Du- chefte, tome II, page 296. :> 172 D E l'e sprit d e S LOIX, < "!=J= CHAPITRE IV. Quelques avantages du peuple conquis. .A.U LIEU de tirer du droit de conqudte des confe- quences fi fatales, les politiques auroient mieux fait de parler des avantages que ce droit peut quelquefois ap- porter au people vaincu. Ils les auroient mieux fentis, fi notre droit des gens etoit exaftement fuivi, & s’il etoit etabli dans route la terre. Les etats que l’on conquiert ne font pas ordinaire- ment dans la force de leur inftitution : la corruption s’y eft introduite; les loix y ont ceffe d’etre executees; le gouvernement eft devenu opprefteur. Qui peut douter qu’un etat pareil ne gagnat, & ne tirat quelques avan¬ tages de la conqudte meme -, fi elle n’etoit pas deftruc- trice? Un gouvernement parvenu au point ou il nepeut plus fe reformer lui-mdme, que perdroit-il a etre re- fondu? Un conquerant qui entre chez un peuple ou, par mille rufes & mille artifices, le riche s’eft infenfiblement pratique une infinite de moyens d’ufurper; ou le malheu- reux qui gemit, voyant ce quil croyoit des abus devenir des loix, eft dans l’oppreflion, & croit avoir tort de la fentir : un conquerant, dis-je, peut derouter tout; & la tyrannie fourde eft la premiere chofe qui fouffre la violence. On a vu\, par exemple , des etats, opprimes par les rraitans, etre foulages par le conquerant qui n’avoit ni Jes engagemens, ni les befoins qu’avoit le prince legi¬ time. Les abus fe trouvoient corriges, fans m6me que le conquerant les corrigeat. Quelquefois la frugalite de la nation conquerante fa mife en etat de laiffer aux vaincus le neceffaire, qui leur etoit ote fous le prince legitime. Une conqudte peut detruire les prejuges nuifibles; & mettre, fi j’ofe parler ainfi, une nation fous un meil- leur genie. L i v re X , Chap it re IV. 173 Quel bien les Efpagnols ne pouvoient-ils pas faire aux Mexicains? Ils avoient aleur donner une religion douce; ils leur apporterent une fuperftition furieufe. Ils auroient pu rendre libres les efclaves; ils rendirent e/claves les homines libres. Us. pouvoient les eclairer fur Tabus des facrifices humains; au lieu de cela, ils les extermi- nerent. Je n’aurois jamais fini, li je voulois raconter ton's les biens qu’ils ne -firent pas, & tous les maux qu’ils brent. C’eft a un conquerant a reparer une partie des maux qu’il a faits. Je definis ainfi le droit de conqudte : un droit neceffaire, legitime , & malheureux, qui laiffe tou- jours a payer une dette immenfe, pour s’acquitter en- vers la nature humaine. ft ;^p I'jiik'f l > 'J‘l ..lupJtCu • f.r ; : » r I ■■■■ ■■ ..»”vrT-Tr^s = ss = sss & CHAPITRE V. -r ... ! Gelon , roi de Syracu/e. JLjE plus beau traite de paix dont l’hiftoire ait parley eft, je crois, celui que Gelon fit avec les Carthaginois. 11 voulut qu’ils aboliffent la coutume d’immoler leurs en- fans Qa), Ghofe admirable! Apres avoir defait trois cens mille Carthaginois, il exigeoit une condition qui n’e- toiGutile qu’a eux; ou plutbt, il ftipuloit pour le genre humain. , Les Badiriens faifoient manger leurs peres vieux a de grands chiens' t- Alexandre le leur defendit (b ); & ce fut un triomphe qu’il remporta fur la fuperftition. (a) Voyez le recueil deM.de (J’) Strabon, Jiv. IT. Barbeyrac, art. 112. 174 -0 E L ' E SPRIT DES L 0 I X, < -- — . . . -■ . , -v C H A P l T R E VL If une republique qui conquisrt. Il eft contre la nature de la chofe, que,, dans une conftitution federative, un etat confedere conquiere fur 1’autre, conime nous averts vu de nos purs chez les Suiffes (a). Dans les republiques federatives mixtes, ou raffociation eft entre des petites republiques & des pe- tites monarchies, cela choque moins. II eft encore contre la nature de la chofe, qu’une re'- publique democratique conquiere des villes qui ne fqau- roient entrer dans la fphere de la democratic. II faut que le peuple conquis puiffe jouir des privileges de la fouverainete, corame les Rortiains l’etablirent au com¬ mencement. On doit borne r la conqudte au nombre des citoyens que l’on ftxera pouf la democratic. Si une democratic conquiert un peuple pour le gotr- yerner comme fujet, elle expofera fa propre libertC; parce qu’elle confiera, une trop grande puiffance aux magiftrats qu’elle enverra dans 1’etat conquis. Dans quel danger n’eut pas ete la republique de Car¬ thage, fi Annibal avoit pris Rome ? Que n’eut-il pas fait dans fa ville apres la vidtoire * lui qui y caufa tant de revolutions apres fa defaite ( b ) ? Hannon n’aurok jamais pu perfuader au fertat de ne point envoyer de fecours a Annibal, s’il n’avoit fait par- ler que' fa jaloufie. Ce fenat, qu’Ariftote nogs dir avoir ete ft fage, (chofe que la profperite de cette republique nous prouve ft bien) ,* ne pouvoit etre determine que par des raifons ferifees. 11 auroit fallu etre trop ftupide pour ne pas voir qu’une armee, a trois cens lieues de-la, faifoit des pertes neceffaires, qui devoient etre reparees. a) Pour le Tockembourg. ' bj II dtoit & la tide d’une fa&ion. L / v r e X, CriAPiritE VI. 175 Le parti d’Hannon vouloit qu’on livrat Annibal (c) aux Romains. On ne pouvoit, pour lors, craindre les Romains; on craignoit done Annibal. On ne pouvoit croire, dit-on, les fucces d’Annibal: mais comment en douter? Les Carthaginois, repandus par toute la terre, ignoroient-ils ce qui fe paftoit en Italie ? C’eft parce qu’iis ne 1’ignoroient pas, qu’on ne vouloit pas envoyer de fecours a Annibal. Hannon devient plus fernie apres Trebles , apres Trafi- fnenes, apres Cannes : ce n’eft point fon incredulite qui augmente , c’eft fa Cra’mte. (_c~) Hannon vouloit.livrer Annibal aux Romains, comme Ca- ton vouloit qu'on livrAt Cdfar aux Gatilois. ■a . ■ r.-rni.: 3 <■■■ , on no'., n c ,■ "A ,: iLictna b c -.- ■ ■ " ■ ’■ ■■’ .—-v-_yi » CHAPITRE VII. • ano:.. r Continuation du mime fujet, .. IL y a encore un inconvenient aux conquetes faites par les democraties. Leur gouvernement eft toujours odieux aux etats affujettis. H eft monarchique par ia tiftion : mais, dans la, verite , il eft plus dur que le monarchique, comme l’experience de tous les temps & de tous les pays l’a fait voir. Les peuples conqtiis y font dans un etat trifte ; i!s ne joLiiffent ni des avantages de la republique, ni de ceux de la monarchic. Ce quej’ai die de l’etat populaire fe peut appliqtier a l’ariftocratie. 176 Be if e-s pr.it des loix, ■g . — ■ —.. - - -fr CHAPITRE VIII. Continuation du mime fujeU .AiNSI , quand une republique tient quelque peuple fous fa dependance, il faut qu elle cherche a reparer les inconveniens qui naiflent de la nature de la chofe, err lui dorinant un bon droit politique & de bonnes loix civiles. Une republique d’ltalie tenoit des infulaires fous fon obeiffance : mais fon droit politique & civil, a leur egard, etoit vicieux. On fe fouvient de cet acle (a) d’amniftie, qui porte qu’on ne les condamneroit plus a des peines afflictives fur la. confcitna informee du gouver- neur. On a vu fouvent des peuples demander des pri¬ vileges : ici ie fouverain accorde le droit de toutes les nations. __ .. . (a') Du i8,oftobre 1738,; itnprime & G£nes, chez Franchelli. Vietiamo til no fro gen'eral-'govirnatore in detta ifola dt conda- v.are in dvenire folamente ex informata confcientia perfona alcuna mazionale in pena ajflittiva.-Potra ben ji far ar reft are ed incar - •cerare .le per fane che glifaranno, fofpette; falvo di renderne pot a noffollecitamente. Article vr. « _JL._.. . i= » CHAPITRE IX. Dime monarchie qui'conquiert autour Stile*, , 5 i une monarchic peut agir long-temps avant que Fag- grandiffement l’ait affoiblie, elle deviendra redoutable; 6 fa force durera tout autant qu’elle fera preflee par les monarchies voifines. Elle ne doit done conquirir que pendant qu’elle refte dans L IV R E X , Chapitre XI. 177 dans les limites naturelles a Ton gouvernement. La pru¬ dence veut quelle s’arrSte, fitot qu’elle pafle ces limites. II faut, dans cette forte de conquete, laifter les cho- fes comme on les a trouvees;les riiemes tribunaux, les memes loix, les inemes coutumes, les mdmes privile¬ ges. Rien ne doit etre change que l’armee & le nom du fouverain. Lorfque la monarchie a etendu fes limites par la con¬ quete de quelques provinces voifines, 11 faut qu’elle les traite avec une grande douceur. Dans une monarchie qui a travaille long-temps a con- querir, les provinces de fon ancien domaine feront or- dinairement tres-foulees. Elies ont a fouffrir les nouveaux abus & les anciens; & fouvent une vafte capitale, qui engloutit tout, les a depeuplees. Or fi, apres avoir con- quis autour de ce domaine, on traitoit les peuples vain- cus comme on fait fes anciens fujets, letaf fefo'it perdu: ce que les provinces conquifes enverroient de tributs a Ja capitale ne leur reviendroit plus ; les frontieres ieroient ruinees, & par confequent plus foibles; les peuples en feroient mal affeftionnes; la fubli dance des armees, qui doivent y reder & agir, feroit plus precaire. Tel eft l’etat neceffaire d’une monarchie conquerante; un luxe affreux dans la capitale, la mifere dans les pro¬ vinces qui s’en eloignent, l’abondance aux extremites. II en eft comme de notre pianette : le feu eft au cen¬ tre ; la verdure a la furface ; une terre aride, froide & fieri le, entre les deux. C H A P I T R. E X. D 'une monarchie qui conquiert une autre monarchie. C^uelquefois une monarchie en conquiert une autre. Plus cel!e-ci feta petite, mieux on la contiendra par des fortereffes; plus elle fera grande, mieux on la confervera par des colonies. Tome I. M 178 D E l'E SPRIT I) e s LOIX, tf+u.m . ... . . . ■, CHAPITRE XI. Des mceurs du peuple vaincu. Dans ces conquetes, il ne fuffit pas de laifler a la nation vaincue fes loix : il eft peut-dtre plus neceftaire de lui laifier fes mceurs; parce qu’un peuple connoi't, aime & defend toujours plus fes moeurs que fes loix. Les Franqois ont ete chaffes neuf ,fois de l’ltalie, a caufe, difent les hiftoriens (a ), de leur infolence a Re¬ gard des femmes & des filles. C’eft trop, pour une na¬ tion , d’avoir a fouffrir la fierte du vainqueur, & en¬ core fon incontinence, & encore fon indifcretion, fans doute plus facheufe, parce qu’elle multiplie a l’infini les outrages. Ca) Parcourez fhiftoirc de 1’univers, par M. PufendorfF. «l- ■ ■ .. .-■ » CHAPITRE XII. D 'une lot de Cyrus. Je ne regarde pas comme une bonne loi celle que fit Cyrus, pour que les Lydiens ne puffent exercer que des profeffions viles, ou des profeffions infames. On va au plus prefle; on fonge aux revokes, & non pas aux in- vafions. Mais les invafions viendront bientot; les deux peuples s’uniffent, ils fe corrompent tous les deux. J’ai- merois mieux maintenirpar les loix la rudeffe du peu¬ ple vainqueur, qu’entretenir par elles la molleffe du peu¬ ple vaincu. Ariflodeme > tyran de Cumes (rf) , chercha a ener- («) Denys d’Halicarnaffe, liv. VII. LlV RE A', ClIAPITRE XII. 179 Ver le courage de la jeunefle. II voulut que les gar¬ dens laiffaffent croitre leurs eheveux, coirime les filles; qu’ils les ornaflent de fleurs, Sc portaflent des robes de differences couleurs jufqu’aux talons; que, lorfqu’ils al- loient chez leurs maitres de danfe & de mufique, des femmes leur portaflent des paraldls, des parfums & des eventails ; que , dans le bain , elles leur donnaflent des peignes & des miroirs. Cette education duroit juf- qu’a l’age de vingt ans. Cela ne peut convenir qu’a un petit tyran, qui expofe fa fouverainete pour defendre fa vie. 4 ^= ;==: -:-.. > ClIAPITRE XIII. Charles XII. C^E prince, qui ne fit ufage que de fes feules forces, de'termina fa chute, en formant des defleins qui ne pou- voient dtre executes que par une longue guerre; ce que fon royaume ne pouvoit foutenir. Ce n’etoit pas un etat qui fut dans la decadence, qu’il entreprit de renverfer, mais un empire naiffant. Les Mofcovites fe fervirent de la guerre qu’il leur fai- foit, comme d’une ecole. A chaque defaite, ils s’ap- prochoient de la vi&oire; &, perdant au-dehors, ils apprenoient a fe defendre au-dedans. Charles fe croyoit le maitre du monde dans les de- ferts de la Pologne, ou il erroit, & dans lefquels la Suede etoit comme repandue; pendant que fon princi¬ pal ennemi fe fortifioit contre lui, le ferroit, s’etablif- foit fur la mer Baltique , detruifoit ou prenoit la Livonie. La Suede reflembloit a un fleuve, dont on coupoit les eaux dans fa fource, pendant quon les detournoit dans fon cours. Ce ne fut point Pultova qui perdit Charles: s’il n’a- voit pas ete detruit dans ce lieu , il l’auroit ete dans un autre. Les accidens de la fortune fe reparent aif<£ M ij I So D E l'E SPRIT I) f. s t o IX , ment : on ne peut pas parer a des evenemens qui nai£ fent continuelleinent de la nature des chofes. Mais la nature ni la fortune ne furent jamais ft for¬ tes contre Iui que lui-mdme. II ne fe regloit point fur la di/pofition aftuelle des chofes, mais fur un certain modele qu’il avoit pris : encore le fuivit-il tres-mal. 11 netoit point Alexandre; mais il auroit ete le meiileur foldat d’Alexandre. Le projet d’Alexandre ne reuffit que parce qu’il e'toit fenfe. Les mauvais fucces des Perfes dans les invafions qu’ils firent de la Grece, les conqudfes d'Agefilas , 8c la retraite des dix milk, avoient fait connoitre au -jufte la fuperiorite des Grecs dans leur maniere de com- battre, & dans le genre de leurs armes; & l’on fqavoit bien que les Perfes etoient trop grands pour fe corriger. 11s ne pouvoient plus affoiblir la Grece par des divi— lions : elle etoit alors reunie fous un chef, qui ne pou- voit avoir de meiileur moyen pour lui cacher fa fervi- tude, que de leblouir par la dellrudiion de fes enne- mis eternels, & par 1’elperance de la conquSte de 1’Afie. Un empire cultive par la nation du monde la plus induflrieufe, & qui travailloit les terres par principe de religion, fertile & abondant en toutes chofes, donnoit a un ennemi toutes fortes de facilites pour y fubfifter. On pouvoit juger, par l’orgueil de ces rois, toujours vainement mortifies par leurs defaites, qu’ils precipite- roient leur chute, en donnant toujours des batailles; 8C que la flatterie ne permettroit jamais qu’ils pufifent dou¬ rer de leur grandeur. Et non-feulement le projet etoit fage, mais il fut fage- ment execute. Alexandre, dans la rapidite de fes ac¬ tions , dans le feu de fes paffions mernes, avoit , fi j’ofe me fervir de ce terme, une faillie de raifon qui le conduifoit; & que ceux qui ont voulu faire un ro¬ man de fon hiftoire, & qui avoient l'efprit plus gate que lui, n’ont pu nous derober. Parlons-en tout a notre aile. L i v r e X, Chapitre XIV. i Si '■C =^== . ■ ■. a ==aSs^gi^;fe - -r-T . 1^ = >, CHAPITRE XIV. Alexandre. Xl ne partit qu’apres avoir aflure la Macedoine con- tre les peuples barbares qui en etoient voifins, & acheve d’accabler les Grecs : il ne fe fervit de cet accablement que pour l’execution de fon entreprife : il rendit im- puiffante la jaloufie des Lacedemoniens : il attaqua les provinces maritimes : il fit fuivre a fon armee de terre les cotes de la mer, pour n’etre point fepare de fa fkme: il fe fervit admirablement bien de la difcipline comre le nombre : il ne manqua point de fubfiftance. Et, s’il eft vrai que la vidoire lui donna tout, il fit auffi tout pour fe procurer la vitftoire. Dans le commencement de fon entreprife, c’eft-a- dire, dans un temps oil un echeC pouvoit le renverfer, il mit peu de chofe au hafard : quand la fortune le mit au-deffus des evenemens, la temerite fut quelque- fois un de fes moyens. Lorfqu’avant fon depart, il mar- che contre l^s Triballiens & les Illyriens, vous voyez une guerre (a) comme celle que Cefar fit depuis dans les Gaules. Lorfqu’il eft de retour dans la Grece (b~), c’eft comme malgre lui qu’il prend & detruit Thebes: campe aupres de leur vilie, il attend que les Thebains veuil- lent faire la paix; ils precipitent eux-memes leur ruine. Lorfqu’il s’agit de combattre (c) les forces maritimes des Per fes, c’eft plutot Parmenion qui a de 1 audace; c’eft plutot Alexandre qui a de la fagefle. Son induftrie fut de feparer les Peries des cotes de la mer, & de les reduire a abandonner eux-memes leur marine, dans laquelle ils etoient fuperieurs. Tyr etoit, par principe, attachee aux Perfes, qui ne pouvoient fe pafter de fon (a ) Voyez Arrien, deexped. (p) Ibid, Alexand. fib, I, (c) Ibid , M iij iSs D e l'es prit d e s l o i Xf commerce & de fa marine; Alexandre la detruifit. II prit l’Egypte, que Darius avoir laiffee degarnie de troupes, pendant qu’il affembloit des armees innombrables dans un autre univers. Le paffage du Granique fit qvdAlexandre fe rendit mat- fre des colonies Grecques; la bataille d’lftus lui donna Tyr & 1’Egypte; la bataille d’Arbelles lui donna toute la terre. A pres la bataille d’lffus, il laiffe fuir Darius, & ne s'occupe qu’a affermir Sc a regler fes 'conqu^tes: apres la bataille d’Arbelles , il le fuit de fi pres ( d ), qu’il ne lui laiffe aucune rerraite dans fon empire. Darius, n’entre dans fes villes St dans fes provinces, que pour en fortir : les marches d’ Alexandre font fi rapides, que vous croyez voir l’empire de l’univers plutot le prix de la courfe, comme dans les jeux de la Grece, que le prix de la vi&oire. C’eft ainfi qu’il fir fes conquetes : voyons continent Il les conferva. II refifta a ceux qui vouloient qu’il traitat (e) les Grecs comme maitres, & les Perfes comme efclaves : il ne fongea qu’a unir les deux nations, & a faire perdre les diftin&ions du peuple conquerant St du peuple vaitlcu: il abandonna, apr£s la conquete, tous les prejuges qui lui avoient fervi a la faire : il prit les moeurs des Perfes, pour ne pas defoler les Perfes, en leur faifattt prendre les moeurs des Grecs; c’eft ce qui fit qu’il marqua tant de refpeft pour la femme St pour la mere de Darius, & qu’il montra tant de continence. Qu’eft-ce que ce conquerant, qui eft pleure de tous les peuples qu’il a fou- mis ? qu’eft-ce que cet ufurpateur, fur la mort duquel la famille qu’il a renverfee du trone verfe des larmes ? C’eft un trait de cette vie dont les hiftoriens ne nous di- fent pas que quelque autre conquerant puiffe'fe vanter. Rien n’affermit plus une conquete, que l’union qui (d} Ibid. lib. III. (e) C’£toit le confeil cFAriftote, Plutarque, oeuvres morales: de la fortune d’Alexandre. LlV RE X , C II A PITRE XIV. 183 fe fait des deux peuples par les manages. Alexandre prit des femmes de la nation qu’il avoit vaincue ; il voulut que ceux de fa cour (/) en priffent aulfi; le refte des Macedoniens fuivit cet exemple. Les Francs & les Bour- guignons (g) permirent ces manages : les Wifigoths ies defendirent (h ) en Efpagne, & enfuite ils les per¬ mirent : les Lombards ne les permirent pas feulement, mais mdme les favoriferent (i) : quand les Romains voulurent affoiblir la Macedoine, ils y etablirent qu’il ne pourroit fe faire d’union par mariages entre les peuples des provinces. Alexandre, qui cberchoit a unir les deux peuples, fon- gea a faire dans la Perfe un grand nombre de colonies Grecques : il batit une infinite de villes; & il cimenta fi bien toutes les parties de ce nouvel empire, qu’apres fa mort, dans !e trouble & la confufion des plus affreu- fes guerres civiles, apres que les Grecs fe furent, pour ainfi dire, aneantis eux-memes, aucune province de Perle ne fe re'volra. Pour ne point epuifer la Grece & la Macedoine, il envoya a Alexandrie une colonie de Juifs (k) : il ne lui importoit quelles moeurs euffent ces peuples, pourvu qu’ils lui fuffent fideles. Il ne laiffa pas feulement aux peuples vaincus leurs moeurs; il leur laiffa encore leurs loix civiles, & fou- vent m£me les rois & les gouverneurs qu’il avoit trou- ves. Il mettoit les Macedoniens (/) a la tdte des trou¬ pes, & les gens db pays a la tete du gouvemement; (/) Voyez Arrien, de expert. Alexand. lib. VII. (g) Voyez la loi des Bour- guignons, titre XII, art. 5. (b~) Voyez la loi des Wifi- goths, liv. Ill, tit. v, §. x, qui abroge la loi ancienne, qui avoit plus d’dgards, y eft-il dit , & la difference des nations, que des conditions. (1) Voyez 1 a loi des Lom¬ bards, liv. II, tit. VII, §. 1 & 2. (i) Les rois de Syrie, aban- donnant le plan des fondateurs de l’empire, voulurent obliger les Juifs ^ prendre les moeurs des Grecs; ce qui donna a leur etat de terribles fecouffes. (0 Voyez Arrien, de exped, Alexand. lib. III. & autres. M iv 184 I) E l' esprit des loix, aimant mieux courir le rifque de quelque infidelite par- ticuliere (ce qui Iui arriva quelquefois), que d’une re¬ voke gene'rale. II refpe&a le$ traditions anciennes, & tous Ies monumens de la gloire ou de la vanite des peu- ples. Les rois de Perfe avoient detruit les temples des Grecs, des Babyloniens & des Egyptiens; il les reta- b lit (m) : peu de nations fe foumirent a Iui, fur les au- tels defqnelles il ne fit des facrifices. II fembloit qu’il n’eut conquis, que pour dtre le monarque particulier de chaque nation, & le premier citoyen de chaque ville. Les Romains conquirent tout, pour tout detruire; il vou- lut tout conquerir, pour tout conferver : &, quelque pays qu’il parcourut, fes premieres idees, fes premiers deffeins furent toujours de faire quelque chofe qui put en augmenter la profperite & la puiffance. Il en trouva les premiers moyens dans la grandeur de fon genie; les feconds dans fa frugalite & fon economie particuliere («); les troifiemes dans fon immenfe prodigalite pour les gran- des chofes. Sa main fe fermoir pour les depenfes p ri- vees; elle s’ouvroit pour les depenfes publiques. Falloit- il regler fa maifon ? c’e'toit un Macedonien : falloir-il payer les dettes des foldats, faire part de fa conqudte aux Grecs, faire la fortune de chaque homme de fon armee ? il etoit Ahxcindu. Il fit deux mauvaifes actions; il brfila Perfepolis, Sc tua Clitus. Il les rendit celebres par fon repentir : de forte qu’on oublia fes aftions criminelles, pour fe fou- venir de fon refpedl pour la vertu; de forte qu’elles fu¬ rent confiderees plutot comme des malheurs, que com- me des chofes qui lui fuflent propres; de forte que la pofterite trouve la beaute de fon ante prefque a cote de fes emportemens & de fes foibleffes; de forte quid fallut le plaindre , & qu’il n’etoit plus poffible de le hair. Je vais le comparer a Cefar. Quand Cefar youlut imi- ») Ibid. «) Voyez Arrien , de exped. Alexand . lib. VII, Livuk X, Chap i the XIV. 185 ter les rois d’Afie, U defefpera les Romains pour une ehofe de pure oftentation; quand Alexandre voulut imi- ter les rois d’Afie, il fit une ehofe qui entroit dans le plan de fa conqudte, ■9 . . . = -—= ? . , ■ CHAPITRE XV. Nouveaux moyens de conferver la conquSte. JLj O RSQU’uN monarque conquiert un grand etat, il y a une pratique admirable, egalement propre a mor derer le defpotifine & a conferver la conquete : les con- querans de la Chine l’ont mife en ufage. Pour ne point defelperer le people vaincu, & ne point enorgueillir le vainqueur; pour empdehe'r que le gou- yernement ne devienne militaire, & pour contenir les deux peuples dans le devoir ; la famille Tartare, qui regne preientement a la Chine, a etabli que chaque corps de troupes , dans les provinces, feroit compole de moitie Chinois & moitie Tartares , afin que la ja- loufie entre les deux nations les contienne dans le de¬ voir. Les tribunaux font auffi moitie Chinois, moitie Tartares. Cela produit plulieurs bons effets. i Q . Les deux nations fe contiennent l’une l’autre. 2, 0 . Elies gar- dent toutes les deux la puiffance militaire & civile, St Pune n’efl: pas aneantie par l’autre. 3 0 . La nation con- querante peut fe repandre par-tout, fans s’affoiblir & fe perdre; elle devient capable de refifter aux guerres ci- viles & etrangeres. Infiitution fi fenfee, que c’efl: le defaut dune pareille qui a perdu prefque tous ceux qui pnt conquis fur la terre. x 86 D e l' esprit des loix , C PI A P I T R E XVI. D'un it at defpotique qui conquiert. JLj ORSQUE la conquete eft immenfe, elle fuppofe le defpotifme. Pour lors, l’armee repandue dans les provinces ne fuffit pas. II faut qu’il y ait toujours au- tour du prince un corps particulierement affide, toujours prdt a fondre fur la partie de 1’empire qui pourroit se- branler. Cette milice doit contenir les autres, & faire trembler tous ceux a qui on a ere oblige de laiffer quel- que autorite dans l’empire. II y a autour de l’empereur de la Chine un gros corps de Tartares toujours prdt pour le befoin. Chez le Mogol, chez les Turcs, au Japon, il y a un corps a la folde du prince, indepen- damment de ce qui eft entretenu du revenu des terres. Ces forces particulieres tiennent en relpecl les generates. ■a- . . . . . . ... - ■ . r-ra. CHAPITRE XVII. Continuation du mime fujet. INf OUS avons dit que ,les etats'que le monarque deft potique conquiert, doivent etre feudataires. Les hifto- riens s’epuifent en eloges fur la generofite des conque- rans qui ont rendu la couronne aux princes qu’ils avoient vaincus. Les Romains etoient done bien genereux , qui faifoient par-tout des rois, pour avoir des inftrumens de fervitude (*z). Une aftion pareille eft un a£te ne- ceftaire. Si le conquerant garde l’etat conquis, les gou- verneurs qu’il enverra ne fqauront contenir les fujets, («) Ut haberent inftrumenta fervitutis & reges. Livre X , Chap it re XVII. 187 ni lui-metne fes gouverneurs. II fera oblige de degar- nir de troupes fon ancien patrimoine, pour garantir le nouveau. Tous les malheurs ties deux etats feront coin- jnuns; la guerre civile de l’un fera la guerre civile de l’autre. Que li, au contraire, le conquerant rend le tfone au prince legitime, il aura un allie neceflaire , qui , avec les forces qui lui feront propres, augmen¬ ted les fiennes. Nous venons de voir Schah-Nadir con- querir les trefors du Mogol, & lui laiffer l’lndouftan. l3S De ff ESPRIT EES LOIXy L I V R E XI. Des loix qiiiforment la liberte politique , dans [on rapport avec la confutation. 4 . .. -. - ■ ■ - . . CHAPITKE PREMIER. Idee genirale. JE diftingue les loix qui forment la liberte politique dans fon rapport avec la conftitution , d’avec celles qui la forment dans fon rapport avec le citoyen. Les premieres foront le ft jet de ce livre-ci; je traiterai des fecondes dans le Iivre ftivanr. CHAPITRE II. Diverfes Significations donnees au mot de liberte. Il n’y a point de mot qui ait requ plus de differen- tes fignifications, & qui ait frappe les efprits de tanc de manieres, que celui de liberte. Les uns l’ont pris pour la facilite de depofer celui a qui ils avoient donne un pouvoir tyrannique; les autres, pour la faculte d’e- lire celui a qui ils devoient obeir; d’autres, pour le droit d’dtre armds, & de pouvoir exercer la violence; ceux-ci, pour le privilege de n’dtre gouvernes que par un homme de leur nation, ou par leurs propres loix (a). («) pat, dit Ciceron, copii tidit de Scevola, qui permet aux Grecs de terminer entre eux leurs differ ends , felon leurs loix, ce qui fait qu'ils fe regardent comae des peuples Hires. Litre XI , Chafitre II. 189 Certain peuple a long-temps pris la liberte, pour 1’ufage de porter une longue barbe (&). Ceux-ci out atta¬ che ce nom d une forme de gouvernement, & eti ont exclu les autres. Ceux qui avoient goute du gou* vernement republicain, l’ont mife dans ce gouverne- tnent; ceux qui avoient joui du gouvernement monar- chique, l’ont placee dans la monarchic (c). Enfin cha- cun a appelle liberte le gouvernement qui etoit con¬ forms a fes coutumes ou a fes inclinations. Et corame, dans une republique , on n’a pas toujours devant les yeux, & d’une inaniere li prefente, les inftrumens des rnaux dont on fe plaint, & que meme les loix paroif- fent y parler plus, & les executeurs de la loi y par- ler moins; on la place ordinairement dans les repu- bliques, & on l’a exclue des monarchies. Enfin, comme, dans les democraties, le peuple paroit a peu pres faire ce qu’il veut, on a mis la liberte dans ces fortes de gouvernemens ; & on a confondu le pouvoir du peu¬ ple, avec la liberte du peuple. (£) Les Mofcovites ne pou- (r) Les Cappadodens re- voient fouffrir que le czar Pierre fuferent l’etat republicain, que la leur fit couper. leur offrirent les Romains. . • - . . ■■ — . ■ « . CHAPITRE III. Ce que ceft que la libertL II eft vrai que, dans les democraties, le peuple pa¬ roit faire ce qu’il veut : mais la liberte politique ne con¬ fide point a faire ce que Ton veut. Dans un etat, c’eft- a-dire, dans une fociete ou il y a des loix, la liberte ne peut confifter qu’a pouvoir faire ce que 1’on doit vou- loir, & a n’dtre point contraint de faire ce que l’on ne doit pas vouloir. II faut fe mettre dans 1’efprit ce que c’eft que l’in- dependance, & ce que c’eft que la liberte. La liberte I()0 D E V E SPRIT DES LOIX, eft le droit de faire tout ce que les loix permettent j &, ft un citoyen pouvoit faire ce qu’elles defenders, ils n’auroient plus de liberte, parce que les autres au- roient tout de merae ce pouvoir. culte d’empccher. Livue XI, Chap itre VI. ecu Ce qui fut caufe que le gouvernement changea a Ro¬ me, c’eft que le fenat, qui avoit une partie de la puif- faxice executrice, & les magiftrats qui avoient l’autre, n’avoient pas, comme le peuple, la faculte d’empecher. Voici done la conftitution fondamentale du gouver¬ nement dont nous parlons. Le corps legiflatif y etant compofe de deux parties, 1’une enchainera l’autre par fa faculte mutuelle d’empdeher. Toutes les deux feront Jiees par la puiffance executrice, qui le fera elle-meme par la legiflative. Ces trois puiffances devroient former un repos ou une inaction. Mais, comme par le mouvement neceffaire des chofes, elle font contraintes d’aller, elles feront for- cees d’aller de concert. La puiffance executrice ne faifant partie de la legifla¬ tive que par fa faculte d’empdeher, elle ne fqauroit en- trer dans le debat des affaires. 11 n’eft pas meme necef¬ faire qu’elle propofe; parce que, pouvant toujours defap- prouver les refolutions, elle peut rejetter les decifions des proportions qu’elle auroit voulu qu’on n’eut pas faites. Dans quelques republiques anciennes, oil le peuple en corps avoit le debat des affaires, il etoit naturel que la puiffance executrice les propofat & les debattit avec lui; fans quoi, il y auroit eu, dans les refolutions, une confufion etrange. Si la puiffance executrice flatue fur la levee des de- niers publics, autrement que par fon confentement, il n’y aura plus de liberte; parce qu’elle dqviendra legif- iative, dans le point le plus important de la legiflation. Si la puiffance legiflative flatue, non pas d’annee en annee, mais pour toujours, fur la levee des deniers pu¬ blics, elle court rifque de perdre fa liberte, parce que la puiffance executrice ne dependra plus d’elle; &, quand on tient un pared droit pour toujours , il eff affez in¬ different qu’on le tienne de foi ou d’un autre. Il en eft de mdme, fi elle flatue, non pas d’anne'e en annee , mais pour toujours, fur les forces de terre & de mer qu’elle doit confier a la puiffance executrice. Pour que celui qui execute ne puiffe pas opprimer, 202 D E L'E SPRIT OKS L 0 1 X, il faut que les armees qu’on lui confie foient peuple, & aient le meme efprit que le peuple, coinme cela fut a Rome jufqu’au temps de Marius. Et, pour que cela foil ainfi, il n’y a que deux moyens : ou que ceux que Ton emploie clans l’armee aient affez de bien pour repondre de letir conduite aux autres citoyens, & qu’ils ne foient enroles que pour un an, coinme il it pratiquoit a Rome: ou, fi on a un corps de troupes permanent, & ou les foldars foient une des plus viles parties de la nation, il faut que la puiflance legiflative puiffe le caffer fitot qu’elle le defire; que les foldats habitent avec les citoyens; 6c qu’il n’y ait ni camp fepare, ni cafernes, ni places de guerre. L’armee etant une fois etablie, elle ne doit point de- pendre immediatement du corps legiflatif, mais de la puiffanee executrice : 8C cela par la nature de la chofe; fon fait confiftant plus en aftion qu’en deliberation. Il eft dans la maniere de penfer des homines, que Foil fafle plus de cas du courage, que de la timidite; de I’aclivite, que de la prudence; de la force, que des confeils. L’armee meprifera toujours un lenat, & reA peftera fes officiers. Elle ne fera point cas des ordres qui lui feront envoyes de la part d’un corps compofe de gens qu elle croira timides, & indignes par-la de lui commander. Ainfi, fitot que l’armee dependra unique- ment du corps legiflatif, le gouvernement deviendra mi- litaire. Et, fi le contraire eft jamais arrive, c’eft l’effet de quelques circonftances extraordinaires : c’eft que far- mee y eft toujours feparee; c’eft qu’elle eft comp ofse de plufieurs corps qui dependent chacun de leur pro¬ vince particuliere; c’eft que les villes capitales font des places excellentes, qui fe defendent par leur fituation feule, & ou il n’y a point de troupes. La Hollande eft encore plus en furete que Yenife: elle fubmergeroit les troupes revoltees, elle les ferpit mourir de faim. Elies ne font point dans les villes qui pourroient leur donner la fubfiftance; cette fubfiftance eft done precaire. Que fi, dans le cas ©it l’armee eft gouvernee par Li i 're XL Cha pitre VL 203 le corps legiflatif, des circonftances particulieres empd- chent le gouvernement de devenir militaire, on tom- bera dans d’autres inconveniens: de deux chofes l’une ; ou il faudra que l’armee detruife le gouvernement, ou que le gouvernement affoiblifle l’armee. Et cet affoibliffement aura une caufe bien fatale; il naitra de la foibleffe meme du gouvernement. Si Ton veut lire l’admirable ouvrage de Tacite fur les mceurs (e) des Germains, on verra que c’eft d’eux que les Anglois ont tire l’idee de leur gouvernement poli¬ tique. Ce beau fyfteme a ete trouve dans les bois. Comme toutes les chofes humaines ont une fin , l’etat dont nous parlons perdra fa liberte, il perira. Rome, La- cedemone & Carthage ont bien peri. Il perira, lorfque la puiflance legiflative fera plus corrompue que l’executrice. Ce n’eft point a moi a examiner ft les Anglois jouif- fent aftuellement de cette liberte ou non. Il me fuffit de dire qu’elle eft erablie par leurs loix, & je n’en cherche pas da vantage. Je ne pretends point par-la ravaler les autres gouver- nemens, ni dire que cette liberte politique extreme doive mortifier ceux qui n’en ont qu’une moderee. Comment dirois-je cela, moi qui crois que l’exces meme de la raifon n’eft pas tou]ours defirable; & que les hommes s’accommodent prefque toujoqrs mieux des milieux, que des extremites ? Arrington , dans fon Oceana , a auffi examine quel etoit le plus haut point de liberte ou la conftitution d’un etat peut etre portee. Mais on peut dire de lui, qu’il n’a cherche cette liberte qu’apres l’avoir meconnue; 8c qu’il a bati Chalcedoine, ayant le rivage de bylance devant les yeux. (e') De minoribus rebus principes confultant , de majoribus entiles; it a tamen iit ea quoque , quorum pents plebem arbitrium eft, apud principes pertractentur. 204 De l ’ esprit des loix , ■ r ■ -—. .. . , , . CHAPIT1E VII. Des monarchies que nous connoijjons. Lbs monarchies que nous connoiffons n’ont pas, com* me celle dont nous venons de parler, la liberte pour leur objet diredt; elles ne tendent qua la gloire des cit'oyens, de l’etat, & du prince. Mais de cette gloire, il refulte un efprit de liberte qui, dans ces etats, peut faire d’auflx grandes chofes, St peut-etre contribuer au- tant au bonheur, que la liberte meme. Les trois pouvoirs n’y font point diftribues & fondus fur le modele de la conftitution dont nous avons parle. Ils ont chacun une diflribution particuliere, felon Iaquelle ils approchent plus ou rnoins de la liberte politique : &, s’ds n’en approchoient pas, la monarchie degene- reroit en delpotifme. CHAPITRE VIII. Fourquoi les anciens n''ancient pas une idie bien claire de la monarchie. Lbs anciens ne connoiffoient point le gouvernement fonde fur un corps de nobleffe , & encore moins le gouvernement fonde fur un corps legiflatif forme par les reprefentans d’une nation. Les republiques de Grece & d’ltalie etoient des villes qui avoient chacune leur gouvernement, & qui affembloient leurs citoyens dans leurs murailles. Avant que les Romains euffent englouti toutes les republiques, il n’y avoit prefque point de toi nulle part, en Italie , Gaule , Efpagne , Allema- gne; tout cela etoit de petits peuples ou de petites re'- publiques. L’Afrique meme etoit loumife a une grande: I/PRE X I, C II A I> IT R E VIII. 205 FAfie mineure dtoit occupee par les colonies Grec- ques. II n’y avoit done point d’exemple de deputes de villes , ni d’affemblees d’etats; il falloit aller jufqu’en Perfe, pour trouver le gouvernement d’un feul. II eft vrai qu’il y avoit des republiques federarives; plufieurs vilies envoyoient des deputes a une aflemblee. Mais je dis qu’il n’y avoit point de monarchic fur ce modele-la. Voici comment fe forma ie premier plan des mo¬ narchies que nous connoiffons. Les nations Germaniques, qui conquirent l’empire Romain , etoient, comme l’on fcait, tres-libres. On n’a qu’a voir la-deffus Tacite fur les mezurs des Germains. Les conquerans fe repandi- rent dans le pays; ils habitoient les campagnes, & peu les villes. Quand ils etoient en Germ unit, toute la na¬ tion pouvoit s’aflembler. Lorfqu’ils furent difperfes dans la conquete, ils ne le purent plus. II falloit pourtant que la nation deliberat fur fes affaires, comme elle avoit fait avant la conquete : elle le fit par des reprefentans. Voila 1’origine du gouvernement Gothique parmi nous. Il fut d’abord mele de 1’ariftocratie & de la monar¬ chic. II avoit cet inconvenient, que le bas-peuple y etoit efclave : cetoit un bon gouvernement, qui avoit en foi la capacite de devenir meilleur. La coutume vint d’accorder des lettres d’affranchiflement; & bien- tot la liberte civile du peuple , les prerogatives de la nobleffe Sc du clerge, la puiffance des rois fe trouve- rent dans un tel concert, que je ne crois pas qu’il y ait eu fur la terre de gouvernement fi bien tempere que le fut celui de chaque partie de l’Europe dans le temps qu’il y fubfifta. Et il eft admirable que la corruption du gouvernement d’un peuple conquerant ait forme la meil- leure efpece de gouvernement que les hommes aient pu imaginer. OO 6 De i’ ESPRIT DES LO IX , c ■ ■ . -'i-w-— , -- CHAPITRE IX. Maniere de penfer cPdriftote. Ij’e MB ARRAS d 'Ariftote paroit vifiblement, quand il traite de la monarchie ( CIIAPITRE X. Maniere de penfer des autres politiques. OUR temperer le gouvernement d’un feu!, Arri¬ bas (V), roi d’Epire, n’imagina qu’une republique. Les Molofles, ne fcachant comment borner le merne pou- voir, firent deux rois (b) : par-la on affoibliffoit l’etat plus que le commandement; on vouloit des rivaux, 8c on avoit des ennemis. (a) Voyez Juft in , liv. XVII. ( b ) Ariftote, polit. liv. V, chap. ix. L I V R h XI, C II A I> I T R E X. 23^ Deux rois n’etoient tolerables qu’a Lacedemone ; ils n’y formoient pas la conftitution, mais ils etoient la conftitution. CH APITRE XL j Des rois des temps hdroiques, cbez les Grecs. Chez les Grecs, dans les temps heroiques, il s’eta-- blit une efpece de monarchic qui ne lubfifta pas (a). Ceux qui avoient invente des arts, fait la guerre pour le peuple , affemble des homines difperfes, ou qui leur avoient donne des ter res, obtenoient le royaume pour eux, & le rranfmettoient a leurs enfans. Ils etoient rois, pretres St juges. C’eft une des cinq efpeces de monar¬ chies dont nous parle Ariftote ..(£) ; 6c cell la feu!e qui puifle re'veiller 1’idee de la conftitution monarchi- que. Mais le plan de cette conftitution eft oppofe a celui de nos monarchies d’aujourd’hui. Les trois pouvoirs y etoient diftribues de maniere que le peuple y avoit la puiffance legiflative (c); & le roi, la puiflance executrice, avec la puiffance de juger: au lieu que, dans les monarchies que nous connoiffons, le prince a la puiffance executrice St la legiflative, ou du moins une partie de la legiflative; mais il ne juge pas. Dans le gouvernement des rois des temps heroiques, les trois pouvoirs etoient mal diftribues. Ces monarchies ne pouvoient fubfifter: car, d£s que le peuple avoit la legiflation , il pouvoit, au moindre caprice, aneantir la royaute, comrne il fit par-tout. Chez un peuple libre, St qui avoit le pouvoir le- giflatif, chez un peuple renferme dans une ville , oil tout ce qu’il y a d’odieux devient plus odieux encore, (a) Ariftote, polit. liv. Ill, (c) Voyez ce que ait Plutar- ehap. xiv. que, vie de The fee. Voyez auffi Ibid. Tiiucydide, liv. I. 200 D E i’ E SPRIT f> E S L 0 I X, le chef-d’ceuvre fie la Iegiflation eft de fqavoir bien pla* cer la puiffance de juger. Mais elle ne le pouvoit £tre plus mal que dans les mains de celui qui avoit deja la puiffance executrice. Des ce moment, le monarque devenoit terrible. Mais en ce meme-temps, comme il n’avoit pas la Iegiflation, il ne pouvoit pas fe defen- dre contre la Iegiflation; il avoit trop de pouvoir, 8c il n’en avoit pas affez. On n’avoit pas encore decouvert que la vraie fonc- tion du prince etoit d etablir des juges, & non pas de juger lui-meme. La politique contraire rendit le gou- vernement d’un feul infupportable. Tous ces rois furent chaffes. Les Grecs n’imaginerent point la vraie diftri- bution des trois pouvoirs dans le gouvernement d’un feul; ils ne l’imaginerent que dans le gouvernement de plufieurs, Sc ils appellerent cette forte de conftitution, police ( CHAPITRE XII. Du gouvernement des rois de Rome, & comment les trois pouvoirs y furent diftribues. JLje gouvernement des rois de Rome avoit quelque rap* port a celui des rois des temps heroiques chez les Grecs. Il tomba, comme les autres, par fon vice general; quoi- qu’en lui-meme, 8c dans fa nature particuliere, il fut tres-bon. Pour faire connoxtre ce gouvernement, je. diftingue- rai celui des cinq premiers rois, celui de Servius Tul¬ lius, 8c celui de Tarquin. La couronne etoit eleftive : &, fous les cinq pre¬ miers rois, le fenat eut la plus grande part a felection. Apres la mort du roi, le fenat examinoit fi l’on gar- deroit Li v re XI, Chai'Itre XII. 209 deroit la forme du gouvernement qui etoit etablie. S’il jugeoit a propos de la garder, il nommoit un magifi- trat ( a ), tire de fon corps, qui eliloit un roi : le fen at devoit approuver l’ele&ion •, le peuple , la confirmer; les aufpice?, la garantir. Si une de ces trois conditions manquoit, il falloit faire une autre election. La conftitution etoit monarchique, ariftocrarique St populaire. Telle fut I’harmonie du pouvoir, qu’on ne vit ni jaloufie, ni difpute, dans les premiers regnes. Le roi commandoit les armees, & avoit l’intendance des facrifices; il avoit la puiflance de juger les affaires civi- les (F) St criminelles (c); il convoquoit le fenat; il af- fembloit le peuple; il lui portoit de certaines affaires, St regloit les autres avec le fenat (V). Le fenat avoit une grande autorite. Les rois prenoient fouvent des fenateurs pour juger avec eux; ils ne por- toient point d’affaires au peuple, qu’elles n’euffent ete deliberees ( e ) dans le fenat. Le peuple avoit le droit d’elire (_f) les magiftrars, de confentir aux nouvelles loix, & , lorlque le roi le permettoit, celui de declarer la guerre St de faire la paix. Il n’avoit point la puiflance de juger. Quand Tul- lus Hoftilius renvoya le jugement d’Horace au peuple, il eut des raifons particulieres, que l’on trouve dans De¬ nys d’Halicarnaffe (g). La conftitution changea fous (A) Servius Tullius. Le f a Denjs cTHalicarnaffe , liv. II, pa g. 120; & liv. IV, pag. 242 & 243. (b) Voyez le difcours de Ta- naquil, dans Tite Live, liv. I, decade I; & le rdglement de Ser¬ vius Tullius, dans Denys cTHali- carnajje , liv. IV, pag. 229. (c 5 Voyez Denys d'Halicar- II, p. 118; & liv. Ill, pag. 171. Cd~) Ce fut par un fenatus- confulte, que Tullus Hoftilius Tome I. envoya ddtruire Albe. Denys d'Halicarnafe, liv. Ill, p. 167 & 172. (e) Ibid. liv. IV, pag. 275. 00 Ibid. 1 . II. Il falloit pour- tant qu’il ne nommat pas a toutes les charges, puifque Valerius Pu- blicola fit la fameufe loi qui dd- - fendoit a tout citoyen d’exercer aucun emploi, s’il nel’avoitob- tenu par le fuffrage du peuple. GO Liv. Ill, pag. 159, Qh) Liv. IV. O 210 De l' E S P R 1 T DES L01X, fenat n’eut point de part a fort eleftion, il fe fit pro- clamer par ie peuple. II fe depouilla des jugemens (i) civiis, &.ne fe referva que les criminels; il porta di- redtemenc au peuple toutes les affaires : il le foulagea des taxes, & en mit tout le fardeau for les patriciens. Ainfi, a mefure qu’il affoiblilfoit la puiffance royale Si 1’autorite du fenat, il augmentoit le pouvoir du peuple (&). ■ Tarquin ne fe fit elire ni par le fenat ni par le peu¬ ple. Il regarda Servius Tullius comme un ufurpateur, & prit la couronne comme un droit hereditaire ; il extermina la plupart des fenateurs; il ne confulta plus ceux qui reftoient, & ne les appella pas rneme a fes jugemens (/). Sa puiffance auginenta : mais ce qu’il y avoit d’odieux dans cette puiffance devint plus odieux encore : il ufurpa le pouvoir du peuple; il fit des loix fans lui; il en fit meme contre lui (to). Il auroit reuni les trois pouvoirs dans fa perfonne : mais le peuple fe fouvint un moment qu’il etoit legiflateur, & Tarquin ne fut plus. (»-) Il fe priva de la moittt nement populaire. Denys d'Ha¬ de fa puifdnce royale , dit Denys licarnaffe , liv. IV, pag. 243. d'Halicarnaffe, liv. IV, p.229. (/) Denys dllalkarnaffe , (*y O11 croyoitque, s’iln’a- liv. IV. voir pas 6te prevenu par Tar- (to) Ibid. quin, il auroit etabli le gouver- des con- fuls; le people put les abbaiffer fans fe detruire’ lui-meme, & changer la conftitution fans la cOrrompre. Quand Servius Tullius eut avili les patriciens, Rome dut tomber, des mains des rois, dans celies du peu- pie. Mais le peuple, en abbaiffantles patriciens, ne dut point craindre de retomber dans celies des rois. Un etat pent changer de deux manieres ; ou parce que la conftitution fe corrige, ou parce qu’elle fe cor- rompt. S’il a conferve fes principes, & que la conf¬ titution change, c’eft qu’elle fe corrige : s’il a perdu fes principes, quand la conftitution vient a changer * c’eft qu’elle fe corrompt. Rome, apres l’expulfion des rois, devoir etre une democratic. Le peuple avoir deja la puiffance legiflative: c’etoit fon fuffrage unanime qui avoit chaffe les rois; &, s’il ne perfiftoit pas dans cette volonte, les Tar- quins pouvoient, a tons les inftans, revenir. Preten- dre qu’il eut voulu les chaffer, pour tomber dans l’ef- clavage de quelques families, cela n’etoit pas raifonna- b!e. La fituation des chofes demandoit done que Rome fut une democratie ; tk cependant elle ne l’etoit pas. II fallut temperer le pouvoir des principaux, & que les loix inclinaffent vers la democratie. O ij 212 D E l' E SPRIT DES LOIX, Souvent les e'tats fleuriffent plus dans le paffage in- fenfible d’une conftitution a une autre, qu’ils ne le fai- foient dans Tune ou l’autre de ces conftitutions. C’eft pour lors que tous les refforts du gouvernement font ten- dus; que tous les citoyens ont des pretentions, qu’on s’attaque, ou qu’on le careffe; & qu’il y a une noble emulation entre ceux qui defendent la conftitution qui decline, Sc ceux qui mettent en avant celle qui prevaut. < _ ■■ ■ ■■:-= = ■•. -=r =» CHAPITRE XIV. Comment la diftribution des trois pouvoirs commenga a changer , apres I'expuljion des rois. C^UATRE chofes choquoient principalement la li¬ berie de Rome. Les patriciens obtenoient feuls tous les emplois facres, politiques, civils & inilitaires; on avoit attache au confulat un pouvoir exorbitant: on fai- foit des outrages au peuple: enfin on ne lui laifloit preft que aucune influence dans les fuffrages. Ce furent ces quatre abus que le peuple corrigea. i°. 11 fit etablir qu’il y auroit des magiftratures ou les plebeiens pourroient pretendre ; Sc il obtint, peu a peu , qu’il auroit part a toutes, excepte a celle d’ entre-roi. 2 °. On decompofa le confulat, & on en forma plu- fleurs magiftratures. On crea des preteurs (*z), a qui on donna la puiffance de juger les .affaires privees; on nornrna des quefteurs (£) , pour faire juger les crimes publics; on etablitdes ediles, a qui on donna la police; on fit des treforiers (c), qui eurer.t i’adminiftration des deniers publics : enfin, par la creation des cenfeurs, on ota aux confuls cette partie de la puiffance legiflative qui («) Tite Live , decade I, Pousponius, leg. 2, §. 23, ff. iiv. VI. de orig. jur. (Z> ) Quaftores parriddii. (c) Plutarq. vied ePublicol# LlVRE XI , C H A I> I T R E XIV. 2I3 regie les moeurs des cltoyens, & la police momenta- nee des divers corps de I’etat. Les principales preroga¬ tives qui leur refterent furent de prefider aux grands («» CHAP1TRE XVI. XL la puiflance legiflative , t&r/w la republiqu: Romaine. O N n’avoit point de droits a fe difputer fous les de¬ cemvirs : mais , quand la liberte revint, on vit les ja- loufies renaitre; tant qu’il refta quelques privileges aux patriciens, les plebeiens les leur oterent. II y auroit eu peu de mal, fi les plebeiens s’etoient contentes de priver les patriciens de leurs prerogatives, & s’ils ne les avoient pas offenfes dans leur qualite meme de cito.yens. Lorfque le people etoit afiemble par curies ou par centuries, il etoit compofe de fenateurs, de pa¬ triciens & de plebeiens. Dans les difputes, les plebeiens gagnerent ce point > que feuls, fans les patriciens & fans le fenat, ils pourroient faire des loix qu’on ap- pella plebifcites; & les cornices ou on les fit s’ appel- Jerent cornices par tribus. Ainfi il y eut des cas ou les patriciens (b) n’eurent point de part a la puiffance le¬ giflative, & (c) ou ils furent foumis a la puiflance le¬ giflative d’un autre corps de l’etat. Ce fut un delire de la liberte. Le peuple , pour etablir la democratic , cboqna les principes memes de la democratic. Il fem- bloit qu’une puiflance aufli exorbitante auroit du anean- tir 1’autorite du fenat : mais Rome avoit des in flit u- ( a Denys cFHalicarnaffe , liv. XI, pag. 725. fb~) Par les loix facrees, les plebeiens purent faire des ple- bifcites, feuls, & fans que les patriciens fuffent admis dans leur affemblee. Denys ctHalicarnaf- fe , liv. VI, p. 410; & liv. VII, pag. 430. (c) Par la loi faite apres l’ex- pulfion des ddcemvirs, les pa¬ triciens furent foumis aux pld- bifeites, quoiqu’ils n’euffent pu y donner ieur voix. Tite Live, iivre III ; & Denys d'Hali- carnaffe , Iivre XI, page 725. Et cette loi fut confirmee par celle de Publius Philo, didta- teur, fan de Rome 41 6 . Tilt , Live , liv. VIII. Livre XI , Chap itre XVI. 217 tions admirables. Elle en avoir deux fur-tout; par l’une, la puiffance legiflative du peuple etoit reglee; par l’au- tre, elie etoit bornee. Les cenfeurs, & avant eux les confuls Qd') , for- moient & creoient , pour ainfi dire , tous les cinq ans, le corps du peuple; ils exerqoient la legiflatiqn fur Ie corps mdme qui avoit la puiffance legiflative. » Tiberius Gracchus , cenfeur, dit Ciceron , transfera les « affranchis dans les tribus de la ville, non par la force « de fon eloquence , mais par une parole & par un « gefte : & , s’il ne 1’eut pas fait , cette republique , « qu’aujourd’hui nous foutenons a peine, nous ne l’au- « rions plus. « D’un autre cote, le fenat avoit le pouvoir d’dter, pour ainfi dire, la republique des mains du peuple, par la creation d’un didiateur, devant lequel le fouverain ba'vf- foit la tdte , & les loix les plus populates reftoient dans le filence (e). (d) L’an 312 de Rome, les (e) Comme cedes qui per- confuls faifoient encore le cens, mettoient d’appeller an peuple comme il parolt par Denys tTHa- des ordonnances de tous les ma- licarnafe , liv. XI. giftrats. t — ■ ■ . . . CHAPITRE XVII. De lapuijj'ance exicutrice , dans la mime ripuhlique Si le peuple fut jaloux de fa puiffance legiflative, il le fut moins de fa puiflance executrice. Il la laifla pref- que route entiere au fenat & aux confuls; & il ne fe referva gueres que le droit delire les magiffrats, & de confirmer les adtes, du fenat & des generaux. Rome , dont la paffion etoit de commander, dont l’ambition etoit de tout foumettre, qui avoit toujours ufurpe , qui ufurpoit encore, avoit continuellement de 2 I o D E L'E SPRIT DES L01X, grandes affair es; fes ennemis conjuroient contre elle, ou elle conjuroit contre fes ennemis. Obligee de fe conduire , d’un cote, avec un cou¬ rage heroique, St de l’autre avec une fageffe confom- mee, 1etat des chofes demandoit que le fenat eut la dire&ion des affaires. Le peuple difputoit au fenat routes les branches de la puiffance legiflative, parce qu’il etoit jaloux de fa liberte; il ne lui dilputoit point les bran¬ ches de la puiffance executrice, parce qu’il etoit jaloux de fa gloire. La part que le fenat prenoit a la puiffance executrice etoit fi grande, que Polybe, ( a ) dit que les etrangers pen- foient tous que Rome etoit une ariftocratie. Le fenat difpoloit des deniers publics, & donnoit les revenus a ferme ; il etoit l’arbitre des affaires des allies; il deci- doit de la guerre & de la paix, & dirigeoit a cet egard les conftils; il fixoit le nombre des troupes Romaines & des troupes allie'es, diftribuoit les provinces & les armees aux confuls ou aux prereurs ; &c , l’an du com- mandement expire , il pouvoir le ur dormer un fuccef- ieur; il decernoit les triomphes ; il recevoit des am- baffades, Sc en envoyoit; il nommoit les rois, les re- compenfoit, les puniffoit, les jugeoit, leur donnoit ou leur faifoit perdre le titre d’allies du peuple Romain. Les confuls faifoient la levee des troupes qu’ils de- voient mener a la guerre; ils commandoient les armees de terre ou de mer; difpofoient des allies : ils avoient, dans les provinces , toute la puiffance de la repubii- que : ils donnoient la paix aux peuples vaincus, leur en impofoient les conditions, ou les renvoyoient au fenat. Dans les premiers temps, lorfque le peuple prenoit quelque part aux affaires de la guerre Sc de la paix, il exerqoit plutot fa puiffance legifiative que fa puiffance executrice. Il ne faifoit gueres que confirmer ce que les rois , Sc , apres eux , les confuls ou le fenat avoient fait. Bien loin que le peuple fut l’arbitre de la guerre, O) Liv. VI. L 1 V RE XI , C II A P'9 T R E XVII. 2iy nous voyons que les confuls ou le lenat la faifoient fou- vent malgre l’oppofition de les tribuns. Ainfi (l) il crea lui-meme les tribuns des legions, que les generaux avoient nommes iufqu’alors : fk , quelque temps avant la pre¬ miere guerre punique , il regia qu’il auroit feul le droit de declarer la guerre (c). (£) L’an de Rome 444. Tite Live , premiere decade, liv. IX. La guerre centre Perfie paroif- fant pirilleufe , un fenatus-con- fulte ordonna que cette loi fe- roit fufpendue; £? le peuple y confentit. Tite Live , cinquieme decade, liv. II. (f) Il Tarracha du fin at, dit Freinshcmius, deuxieme de¬ cade , liv. VI. CHAPITRE II. De la liberty du citoyen. La liberte philofophique confifte dans l’exercice de fa volonte, ou du moms (s’il faut parler dans tous les fyflemes) dans I’opinion ou Ion eft que Ton exerce ' fa volonte. La liberte politique confifte dans la furete , ou du moins dans l’opinion que Ton a de fa furete. Cette furete n’eft jamais plus attaquee que dans les accufations publiques ou privees. C’eft done de la bonte des loix criminelles que depend principalement la li¬ berte du citoyen. Les loix criminelles n’ont pas ete perfetftionnees tout d’un coup. Dans les lieux memes ou Ton a le plus cherche la liberte, on ne 1’a pas toujours trouvee. Arif- tote (a) nous dit qu’a Cumes, les parens de l’accufa- teur pouvoient dtre temoins. Sous les rois de Rome, la loi etoit ft imparfaite, que Servius Tullius prononqa la fentence contre les enfans d’Ancus Martius accufe d’avoir affaffine le roi fon beau-pere (£)■ Sous les tois des Francs, Clotaire fit une loi (c)pour qu’un accufe ne put etre condamne fans etre oui; ce qui prouve une pratique contraire dans quelque cas particulier, ou chez quelque peuple barbate. Ce fut Charondas qui introduifit les ju- gerrfens contre les faux temoignages CO* Quand l’in- nocence des citoyens n’eft pas afluree, la liberte ne Left pas non plus. Les connoifTances que l’on a acquifes dans quelques pays, & que Ton acquerra dans d’autres, fur les regies les plus Cures que l’on puiffe tenir dans les jugemens CO Politique,liv. II. CO Ariftote, polit. liv. II, (0 Tarquinius Prifcus.Voyez chapitre xn. II donna fes loix & Denys (THalicarnajfe , liv. IV. Thurium , dans la quatre-vingt- CO D e I’® 5^0. quatrienie olympiade. P iv 232 De l'eserit des 10 IX, criminels, intereffent le genre humain plus qu’aucune chofe qu’il y ait au mOnde. Ce n’ett que fur la pratique de ces connoiffances, que la liberte peut dtre fondee : &, dans un etat qui auroit la-deflus les meilleures loix poffibles, un hoinme a qui on feroit Ton proces, & qui devroir etre pendu le lendemain , feroit plus libre qu’un bacha ne l’eft en Turquie. ■8 . ■■■laasar--■■ CHAPITRE 111. Continuation du meme fujet. I_i E s loix qui font perir un homme fur la depofition d’un feul temoin, font fatales a la liberte. La raifon en exige deux; parce qu’un te'moin qui affirme, & un accufe qui nie, font un partage; & il faut un tiers pour le vuider. Les Grecs ( a ) & les Romafns (&) exigeoient une voix de plus pour condamner. Nos loix Franqoifes en demandent deux. Les Grecs pretendoient que leur ufage avoit ete etabli par les dieux (c); mats c’eft le notre. 00 Voyez Ariftide, orat. fur le jugement de Coriolan, in Minervam. liv. VII. (J> ) Denys d' Halicarnajfe , (c) Minerva calculus. + .. . ' — CHAPITRE IV. Que la liberte eft favorifte par la nature des peines , & leur proportion. Oj’est le triomphe de la liberte, lorfque les loix cri- rninelles tirent chaque peine de la nature particuliere du crime. Tout l’arbitraire ceffe; la peine ne defcend point Livr e XII, Cbaht re IV. 233 du caprice du legiflateur, mais de la nature de la chofe; & ce n’eft point l’homme qui fait violence a l’homme. II y a quatre fortes de crimes. Ceux de la premiere efpece choquent la religion; ceux de la feconde, les moeurs; ceux de la troifieme, la tranquillite; ceux de la quatrieme, la furete des citoyens. Les peines que Ton inflige, doivent deriver de la nature de chacune de ces elpeces. , Je ne mets clans la claffe des crimes qui intereflent la religion, que ceux qui l’attaquent dire&ement, com- me font tous les facrileges fimples. Car les crimes qui, en troublent l’exercice font de la nature de ceux qui cho- quent la tranquillite des citoyens ou leur futete, Sc doi¬ vent dtre renvoyes a ces clafies. Pour que la peine des facrileges fimples foit tiree de la nature ( a ) de la chofe, elle doit confifter dans la privation de tous les avantages que donne la religion; I’expulfion hors des temples; la privation de la fociete des fideles, pour un temps ou pour toujours; la fuite de leur prefence, les execrations, les deteftations, les conjurations. Dans les chofes qui troublent la tranquillite ou la fu- rete de Letat, les aftiotis cachees font du reffort de la juftice humaine. Mais, dans cedes qui bleffent la divi¬ nite , la ou il n’y a point d’aclion publique , il n’y a point de matiere de crime : tout s’y paffe entre l’hom¬ me & dieu qui fqait la mefure Sc le temps [de fes ven¬ geances. Que fi, confondant les chofes, le rnagiftrat re¬ cherche aulfi le facrilege cache, il porte une inquifition fur un genre d’action ou elle n’eft point neceffaire : il detruit la liberte des citoyens, en armant contre eux le zele des confciences timides, 8c celui des confcien- ces hardies. Le mal eft venu de cettc idee, qu’il faut venger la divinite. Mais il faut faire houorer la divinite, 8c ne (a) Saint Louis fit des loix fi outrees contre ceux qui juroient, que le pape fe crut obligd de l’en avertir. Ce prince modera fon zele, & adoucit fes loix. Foyez fes ordonnances. 234 .0 E L*E SPRIT DES LOIX, la venger jamais. En effet, fi Ton fe conduifoit par cette derniere idee, quelle feroit la fin des fupplices? Si le$ loix des homines ont a venger un etre infini, elks fe regleront fur fon infinite, & non pas fur les foibleffes, fur les ignorances, fur les caprices de la nature humaine, Un hiftorien de Provence (£) rapporte un fait qui nous peint trds-bien ce que peut produire, fur des efprits foi¬ bles, cette idee de venger la divinite. Un Juif, accufe d’avoir blafpheme contre la fainte vierge, fut condamne a etre ecorche. Des chevaliers mafques, le couteau a la main, monterent fur l’echafaud, & en chafferent l’exe- cuteur, pour venger eux-memes l’honneur de la fainte vierge.Je ne veux point prevenir les reflexions du lecfeur, La feconde claffe eft des crimes qui font contre les moeurs : tdles font la violation de la continence publi- que ou particuliere, c’eft-a-dire, de la police fur la ma- niere dont on doit jouir des plaifirs attaches a l’ufage des fens & a 1’union des corps. Les peines de ces cri¬ mes doivent encore dtre tirees de la nature de la ch ofe. La privation des avantages que la lociete a attaches a la purete des moeurs, les amendes, la home, la con- trainte de fe cachet, l’infamie publique, l’expulfion hors de la ville Sc de la fociete, enfin toutes les peines qui font de la jurifdiction correftionnelle, fuffifent pour re- primer la temerite des deux fexes. En effet, ces cho- fes font moins fondees fur la mechancete, que fur l’ou- bli ou le mepris de foi-mlme. II n’eft ici queftion que des crimes qui intereflent uni- quement les moeurs, non de ceux qui choquent auffi Ja fiirete publique, tels que l’enlevement Sc le viol, qui font de la quatrieme efpece. Les crimes de la troifietne claffe font ceux qui cho¬ quent la tranquillite des citoyens : & les peines en doi¬ vent dtre tirees de la nature de la chofe , Sc fe rappor- ter a cette tranquillite; comme la privation, l’exil, les (£) Le pere Bougerel. LlV re XIF, Chaimtre IV. 235 corre&ions, St autres peines qui ramenent les efprits in¬ quiets , St les font rentrer dans l’ordre etabli. Je reftreins les crimes contre la tranquiliite, aux cho- fes qui contiennent une Ample lefion de police : car cel- lesqui, troublantla tranquiliite, attaquent en incme temps la fiirete, doivent etre mifes dans la quatrieme clafte. Les peines de ces derniers crimes font ce qu’on ap- pelle des fupplices. C’eft une efpece de talion, qui fait que la fociete refufe la furete a un citoyen qui en a prive, ou qui a voulu en priver un autre. Cette peine eft tiree dp la nature de la chofe, puifee dans la raifon, St dans les fources du bien St du mal. Un citoyen merite la mort, lorfqu’il a viole la furete au point qu’il a ote la vie , ou qu’il a entrepris de loter. Cette peine de mort eft comme le remede de la fociete malade. Lorfqu’on viole la furete a 1’egard des biens, il peut y avoir des raifons pour que la peine foit capitale : mais il vaudroit peut-dtre mieux , St il feroit plus de la nature, que la peine des crimes contre la lurete des biens fut punie par la perte des biens. Et cela devroit dtre ainfi, fi les for¬ tunes etoient communes ou egales : mais, comme ce font ceux qui n’ont point de biens qui attaquent plus vo- lontiers celui des autres, il a fallu que la peine corpo- relle fuppleat a la pecuniaire. Tout ce que )e dis eft puife dans la nature, St eft tres-favorable a la liberte du citoyen. CHAPITR.E V. De certaines accufations qui ont particuliirement befoin de moderation <2? de prudence. M axime importante : il faut etre tres-circonfped dans la pourfuite de la magie St de l’here/Ie. L’accufa- tion de ces deux crimes peut extrdmement choquer la liberte, St dtre la fource d’une infinite de tyrannies , fi le legiflateur ne fqait la borner. Car, comme elle ne 236 De l'e sprit des loix, porte pas direclement fur les actions d’un citoyen, mais plutot fur J’idee qud l’on s’eft faite de fon caraclere, elle devient dangereufe a proportion de l’ignorance du peuple: &, pour lors , un citoyen eft toujours en dan¬ ger ; parce que la meilleure conduite du monde, la mo¬ rale la plus pure, la pratique de tous les devoirs, ne font pas des garans contre les foupcons de ces crimes. Sous Manuel Comnene, le proteflator (a) fut accufe d’avoir confpire contre l’empereur, & de s’etre fervi, pour cela, de certains fecrets qui rendent les homines invifibles. II eft dit, dans la vie de cet empereur (£) , que Ton furprit Aaron lifant un livre de Salomon , dont la leffure faifoit paroitre des legions de demons. Or , en fuppofant dans la magie une puiflance qui arine l’en* fer, & en partant de-la, on regarde celui que l’on ap- pelle un magicien comme l’homme du monde le plus propre a troubler & a renverfer la fociete, & l’on eft porte a le punir fans mefure. L’indignation cron, lorique 1’on met, dans la ma¬ gie , le pouvoir de detruire la religion. L’hiftoire de Conftantinople nous apprend (c) que, fur une revela¬ tion qu’avoit eue un eveque, qu’un miracle avoit cefle a caufe de la magie d’un particulier, lui & fon fils fu- rent condamnes a mort. De combien de chofes prodi- gieufes ce crime ne dependoit-il pas ? Qu’il ne foit pas rare qu’il y ait des revelations; que leveque en ait eu une ; qu’elle fut veritable; qu’il y eut eu un miracle ; que ce miracle eut cefle; qu’il y eut de la magie ; que la magie put renverfer la religion; que ce particulier fut magicien ; qu’il eut fait enfin cet a fie de magie. L’empereur Theodore Lafcaris attribuoit la maladie a la magie. Ceux qui en etoient accules n’avoient d’autre relfource que de manier un fer chaud fans fe bruler. II auroit ete bon , chez les Grecs, d’etre magicien, pour fe juftifier de la magie. Tel etoit l’exces de leur idio- («) Nicetas, vie de Manuel Comnene, liv. TV. (b) Nicetas, vie de Manuel Comnene , liv. IV. (c) Uift. de 1’empereur Maurice , par Theopbylafte, chap, xi. L 1 V R E XII, Chahtre V. 237 tifine , qu’au crime du monde le plus incertain , ils joi- gnoient les preuves les plus incertaines. Sous le regne de Philippi It Iong, les Juifs furent chafi- fes de France , accufes d’avoir empoifonne les fonrai- nes par lemoyen des lepreux. Cette abfurde accuiation doit bien faire douter de toutes celles qui font f’ondees fur la haine publique. Je n’ai point dit ici qu’il ne falloit point punir 1 ’he- refie; je dis qu’il faut etre tres-circonfpeft a la punir? CHA PITRE VI. x Du crime contre nature. .A.DIEU ne plaife que je veuille diminuer 1’horreur que l’on a pour un crime que la religion , la morale & la politique condamnent tour a tour. 11 faudroit le profcrire, quand il ne feroit que donner a un fexe les foiblefles de l’autre ; & preparer a une vieilleile infa¬ me , par une jeunefle honteufe. Ce que j’en dirai lui laiffera toutes fes detriffures, & ne portera que contre la tyrannie qui peut abufer de l’horreur meme que Ton en doit avoir. Comme la nature de ce crime eft d’etre cache, il eft fouvent arrive que des legiflateurs I’ont puni fur la depofition d’un enfant. C’etoit ouvrir une porte bien large a la calomnie. » Juftinien, dit Procope, (a), pu- blia une loi contre ce crime ; il fit rechercher ceux « qui en etoient coupables, non feulement depuis la loi, « mais avant. La depofition d’un teinoin, quelquefois d’un « enfant, quelquefois d’un efclave , fuffifoit; fur-tout con- « tre les riches, 8c contre ceux qui etoient de la faction « des verds. « Il eft fingulier que , parmi nous, trois crimes, la la) Iliftoire fecrettc. 238 De l’esprit 1) e s to IX, magie, 1’here/ie, & le crime contre la nature, dont on pourroit preuver , du premier, qu’il n’exifte pas ; du fecond , qu’il eft fufceptible d’une infinite de diftinc- tions, interpretations , limitations; du troifieme , qu’il eft tres-fouvent obfcur, aient ete tous trois punis de la peine du feu. Je dirai bien que le crime contre nature ne fera ja¬ mais , dans une fociete, de grands progres, ft le peu- ple ne s’y trouve porte d’ailleurs par quelque coutume, comme chez les Grecs , oil les jeunes gens faifoient tous leurs exercices nuds; comme chez nous, oil l’e- ducation domeftique eft hors d’ufage; comme chez les Afiatiques, oil des particuliers ont un grand nombre de femmes qu’ils meprifent, tandis que les autres n’en peu- vent avoir. Que Ton ne prepare point ce crime; qu’on le profcrive par une police exafte, comme toutes les violations des moeurs; & l’on verra foudain la nature, ou defendre fes droits, ou les reprendre. Douce, ai- mable, charmante, elle arepandu lesplaifirs d’une main liberale; &, en nous comblant de deiices, elle nous prepare, par des enfans qui nous font, pour ainli dire, renaitre , a des fatisfa&ions plus grandes que ces deii¬ ces mimes. ^ ---- - -- ,,TI. CHAPITHE VII. Du crime de lefe-majefle. I-jES loix de la Chine decident que quiconque man¬ que de refpeft a l’empereur doit dtre puni de mort. Comme elles ne definiffent pas ce que c’eft que ce man- quement de refpeft, tout peut fournir un pretexte pour 6ter la vie a qui Ton veut, & exterminer la famille que l’on veut. Deux per/bnnes chargees de faire la gazette de la cour, ayant mis dans quelque fait des circonftances qui ne fe trouverent pas vraies, on dit que, mentir dans Li i” re XII , Chap itre VII. 239 tine gazette de la cour, c’etoit manquer de refpeft a la cour; on les fit mount (a). Un prince du fang ayant mis quelque note, par me garde , fur un memorial figne du pinceau rouge par l’empereur, on decida qu’il avoit manque de refpedt a 1’empereur; ce qui caufa, contre cette famiHe, une des terribles perfections dont l’hif- toire ait jamais parle (£). C’eft aflez que le crime de lefe-majefte foit vague, pour que le gouvernement degenere en defpotifme. Je m’etendrai davantage la-deffus dans le livre de la com- portion des loix. (a') Le peredu Halde, tome (£) Lettres du pere Paren- premier, pag. 43. nin, dans les lettres ediiiantes. CHAPITRE VIII. De la mauvaife application du mm cle crime de facrilege <5? de lefe-majepL (^’est encore un violent abus, de donner le nom de crime de lefe-majefte a une afiion qui ne l’eft pas. Une loi des empereurs (a) pourluivoit comme facri- leges ceux qui mettoient en queftion le jugement du prince, & doutoient du merite de ceux qu’il avoit choifis pour quelque emploi ( b ). Ce furent bien le cabinet & les favoris qui etablirent ce crime. Une autre loi avoit declare que ceux qui attentent contre les miniftres &c les officiers du prince font criminels de lefe-majefte , comme s’ils attentoient contre le prince mdme (c). 00 Gratien , Valentinien & a fervi de modele & celle de Ro" Theodofe. C’eft la troifieine au ger, dans les conftitutions de code de crimin. facril. Naples, tit. 4. O) Sacrilegii inftar eft du- (c') La loi cinquieme , an bitare an is dignusfit quern ele- code, ad leg. Jul. maj. gerit imperator , ibid. Cette loi i\o Be l’esprit n e s loix, Nous devons cette loi a deux princes ( d ) dont la foi- bleffe eft celeb re dans Phiftoire; deux princes qui furent menes par leurs miniftres , corame les troupeaux font conduits par les pafteurs; deux princes eiclaves dans le palais, enfans dans le confeil, etrangers aux armees; qui ne conferverent "empire, que parce qu’ils le don- nerent tous les jours. Quelques-uns de ces favoris cont- pirerent contre leurs empereurs. Ils firent plus : ils conff pirerent contre l’empire, ils y appellerent les barbares: &, quand on voulut les arreter, 1’etat etoit ft foible, qu’il fallut violer leur loi, & s’expofer au crime de lefe- majefte pour les punir. C’eft pourtant fur cette loi que fe fondoit le rappor* teur de monfieur de Cinq-Mars (e), lorlque, voulant prouver qu’il etoit coupable du crime de lefe-inajefte pour avoir voulu chaffer le cardinal de Richelieu des affaires, il dit : » Le crime qui touche la perfonne des » miniftres des princes eft repute, par les conftitutions „ des empereurs, de pared poids que celui qui touche » leur perfonne. Un miniftre fen bien fon prince & fon „ etat; on l’ote a tous les deux; c’eft comine ft Ton pri- „ voit le premier d’un bras (/), & le fecond dune partie „ de fa puiffance. « Quand la fervitude elle-meme vien- droit fur la terre, elle ne parleroit pas autrement. Une autre loi de Valentinien , Theodofe & Arca- dius (g), declare les faux monnoyeurs coupables du crime de lefe-majefte. Mais, n’etoit-ce pas confondre les idees des chofes? Porter fur un autre crime le nom de lefe- majefte , n’eft-ce pas diminuer l’horreur du crime de lefe-majefte? CH A- (d) Arcadius & Honorius. noftri fttnt. Meme loi, au code (e) fllemoires de Montrefor, ad leg. Jul. maj. tom. I. (g) C’eft la neuvieme au , (f) Ndm ij>fi pars corporis code Theod. de falfd monetd. Livre XII , Chap it re IX. 241 C II APITRE IX Continuation du mime fujet. JPAULIN ayant mande a l’empereur Alexandre » qu’il « fe preparoit a pourfuivre comme crimlnel de lefe-ma- « jefte un juge qui avoit prononce contre fes ordonnances; « l’empereur ltii reponditque, dans un fiecle comme le « ften , ks crimes de lefe-majefte indire&s n’avoient point « de lieu ( a). « Fauftinien ayant ecrit au meme empereur qu’ayant jure, par la vie du prince, qu’il ne pardonneroit jamais a fon efclave, il fe voyoit oblige de perpetuer fa colere, pour ne pas fe rendre coupable du crime de lefe-majefte : »• Vous avez pris de vaines terreurs (jbj , lui repondit fern- « pereur; & vous ne connoiffez pas mes maximes. « Un fenatus-confulte ( c ) ordonna que celui qui avoit fondu des ftatues de l’empereur, qui auroient ete re- prouvees, ne feroit point coupable de lefe-majefte. Les empereurs Severe St Antonin ecrivirent a Pontius ( d) que celui qui vendroit des ftatues cle l’empereur non con- facrees ne tomberoit point dans le crime de lefe-ma¬ jefte. Les memes empereurs ecrivirent a Julius Caflia- nus que celui qui jetteroit, par hafard, une pierre con¬ tre une ftatue de l’empereur, ne devoit point £tre pour- fuivi comme criminel de lefe-majefte ( e ). La loi de Julie demandoit ces fortes de modifications : car elle avoit rendu coupable de lefe-majefte, non-feulement ceux qui fondoient les ftatues des empereurs, mais ceux qui com- mettoient quelque aftion femblable (f) ; ce qui ren- (aj Etiam ex aliis caujjts ma- ( c j Voyez la loi 4, §. 1, ff. jeftatiscriminacejfiintmeofacu- ad kg. Jul. maj. in. Leg. 1 , cod. ad leg. Jul. maj. Qdj Ibid, loi 5, §.2. (£) Alienam [elide mece foli- (ej Ibid. §. i. citudinem concepifti. Leg. 2, (fjAliudveqaidfmileadmi- cod. ad leg. Jul. maj. Jerint, Leg. 6 . ff, ad leg jul. maj. Tome I. Q S42 D E l'E SPRIT DES L 0 I X, doit ce crime arbitrage. Quand on eut etabli bien des crimes de le/e-majefte, il fallut neceffairement diftin- guer ces crimes. Auffi ie jurifconfulte Ulpien, apres avoir dit que 1’accufation du crime de lefe-majeile ne s’etei- gnoit point par la mort du coupable, ajoute-t-il, que cela ne regarde pas tous (g) les crimes de lefe-majefte etablis par la loi Julie ; mais feulement celui qui con¬ sent un attentat contre l’empire, ou contre la vie de 1’empereur. * (g~) Dans la loi derniere, ff. ad leg. Jul. de adulteriis. 4}—. .. CHAPITRE X. Continuation du mime fujet. "CJne loi d’Angleterre, paflee ious Henri VIII, de- claroit coupables de haute-trahifon tous ceux qui predi- roient la mort du roi. Cette loi etoit bien vague. Le defpotifme eft fi terrible, qu’il fe tourne meme contre ceux qui I’exercent. Dans la derniere maladie de ce roi, les medecins n’oferent jamais dire qu’il fut en danger; & ils agirent, fans doute, en confequence ( CHAPITKE XIII. Des Merits. I_jES ecrits contiennent quelque chofe de plus perma¬ nent que les paroles : mais, lorfqu’ils ne preparent pas au crime de lefe-majefte, ils ne font point une matiere du crime de lefe-majefte. Augufie & Tib ere y attacherent pourtant la peine de ce crime (a); Augufte, a 1 ’occafion de certains ecrits faits contre des hommes &i des femmes illuftres; Ti- bere, a caufe de ceux qu’il crut faits contre lui. Rien ne fut plus fatal a la liberte Romaine. Cr&niitius Cor- dus, fut accufe, parce que, dans fes annales, il avoit appelle Caffius le dernier des Roinains (£). Les ecrits fatiriques ne font gueres connus; dans les etats defpotiques, ou l’abbattement d’un cote, & l’igno- rance de l’autre, ne dorinent ni le talent ni la volonte d’en faire. Dans la democratic, on ne les empeche pas, par la raifon meme qui, dans le gouvernement d’un feul, les fait defend re. Comme ils font ordinairement com- pofes contre des gens puiffans, ils flattent, dans la de¬ mocratic , Ja malignite du peuple qui gouverne. Dans la monarchic, on les defend ; mais on en fait plutot un fujet de police , que de crime. Ils peuvent amufer la malignite generate, confoler les mecontens, dimi- nuer l’envie contre les places, donner au peuple la pa¬ tience de fouffrir, & le faire rire de fes fouffrances. L’ariftocratie eft le gouvernement qui proferit le plus ( e s loix, les ouvrages fatiriques. Les magiftrats y font de petits fouverains, qui ne font pas affez grands pour meprifer les injures. Si, dans la monarchic, quelque trait va con- tre le monarque, il eft ft haut, que le trait n’arrive point julqua lui. Un feigneur ariftocratique en eft perce de part en part. Auflt les decemvirs, qui formoient une ariftocratie, punirent-ils de mort les ecrits latiriques ( c). (c) La loi des douze-tables. CHAPITRE XIV. Violation de la pudeitr , dans la punition des crimes. Ilya des regies de pudeur obfervees chez prefque routes les nations du monde : il foroit abfurde de les violer dans la punition des crimes , qui doit roujours avoir pour objet le retabliftement de 1’ordre. Les orientaux, qui ont expofe des femmes a des e!e- phans dreffes pour un abominable genre de fupplice, ont-ils voulu faire violer la loi par la loi? Un ancien ufage des Romains defendoit de faire mou- rir les filles qui n’etoient pas nubiles. Tibere trouva l’ex- pedient de les faire violer par le bourreau, avant de les envoyer au fupplice ( D E l'E SPRIT J) e s l O I X, Sylla ( C H A P I T R E XVII. De la revelation des confplrations. » C^UAND ton frere, ou ton Bis, ou ta fille, ou » ta femme bien-aimee, ou ton ami qui e/I comnie ton » ame, te diront en fecret, Allons a cTautres dieux; tu » les lapideras: d’abord ta main lera fur lui, enfuite celle » de tout le peuple. « Cette loi du deuteronome ( it re XIX. 251 ^jl. = _=--_^= :— -rrsr-^7= i> CHAPITRE XIX. t Comment on fufpend I'ufage de la llberti , dans la rdpubllque. I l y a, dans les etats ou Ton fait le plus de cas de la liberte, des loix qui la violent contre un feul, pour la garder a tous. Tels font, en Angleterre , les bills appelles d 'atteindre (, <■- ■ -=v-._ » CHAPITRE XXV, De la maniere de gouverner , dans' la monarchies JL’autortte royale eff un grand reffort, qui doit fe mouvoir aifement & fans bruit. Les Chinois vantent un de leurs empereurs, qui gouverna, difent-ils, comme le ciel; c’eft-a-dire, par fon exemple. Il y a des cas oil la puiffance doit agir dans toute -fon etendue : il y en a ou elle doit agir par fes limites. Le fublime de l’adminiftration eft de bien connoitre quelle eft: la partie du pouvoir, grande ou petite, que l’on doit employer dans les divertes circonftances. Dans nos monarchies, toute la felicite confifte dans l’opinion que le peuple a de la douceur du gouverne- ment. Un ininiftre mal-habile veut toujours vous aver- tir que vous etes efclaves. Mais, ft cela etoit, il devroit chercher a le faire ignorer. Il ne fcait vous dire ou vous ecrire, ft ce n’eft que le prince eft fache^ qu’il eft fur- pris; qu’il mettra ordre. Il y a une certaine facilite dans le commandement : il faut que le prince encourage, 6c que ce foient les loix qui menacent (a). (a) Nerva , dit Tacite, augment a Id facility de fempire < Tomf. L R. 258 D E l' e sprit des E 0 I X, CHAPITRE XXVI. &«*» dans la monarchie , leprince doit Stre accejjible. Cela fe fentira beaucoup mieux par les contraftes. » Le czar Pierre premier, dit le Jieur Perry (a), a fait » une nouvelle ordonnance, qui defend de iui prefenrer » de requete, qu’apres en avoir prefente deux a fes offi- » ciers. On peut, en cas de deni de juftice, lui prefen- » ter la troifieme : mais celui qui a tort doit perdre la vie. » Perfonne depuis n’a adreffe de requite au czar. « ( a) Etat de la grande-Ruffie, pag. 173, tdit. de Paris, 1717. CHAPITRE XXVII. Des mceurs du monarque. I_jES moeurs du prince contribuent autant a la liberte que les loix : il peut, comme elles, faire des homines des betes, & des betes faire des hommes. S’il aime les ames libres, il aura des fujers; s’il aime les ames hades, il aura des efclaves. Veut-il fqavoir le grand art de regner? qu’il approche de lui 1’honneur & la vertu, qu’il appelle le merite perfonnel. Il peut meme jetter quelquefois les yeux fur les talens. Qu’il ne craigne point ces’ rivaux qu’on appelle les hommes de merite : il leur eft egal, des qu’il les aime. Qu’il gagne le coeur, mais qu’il ne captive point l’efprit. Qu’il fe rende populaire. 11 doit etre flatte de l’amour du moindre de fes fujets; ce font toujours des hommes. Le peuple demanae ft peu d egards, qu’il eft jufte de les lui accorder : l’in- finie diftance qui eft entre le fouverain, & Iui, empe- LipreXII, ClIAI’ITRE XXVII. 259 che bien qu’il ne le gene. Qu’exorable a la priere, il foit ferme contre les demandes: & qu’il fqache que fon peuple jouit de fes refus, & fes courtifans de fes graces. C H A P I T R E XXVIII. Des igards que les monarques doivent a leurs fujefs> I L faut qu’ils foient extremement retenus fur la rail- lerie. File flatte lorfqu’elle eft moderee, parce quelle donne les moyens d’entrer dans la familiarite : mais une raillerie piquante leur eft bien moins permife qu’au dernier de leurs fujets, parce qu’ils font les feuls qui bleflent toujours mortellement. Encore moins doivent-iis faire a un de leurs fujets une infulte marquee : ils font etablis pour pardonner, pour punir; jamais pour infulter. Lorlqu’ils inlultent leurs fujets , ils les traitent bien plus cruellement que ne traite les liens le Turc ou le Mofcovite. Quand ces derniers infultent ils humilient, & ne deshonorent point; mais , pour eux, ils humi¬ lient &£ deshonorent, Tel eft le prejuge des Afiatiques, qu’ils regardent un affront fait par le prince comme l’effet d’une bonte pa- ternelle; & telle eft notre maniere de penfer, que nous joignons , au cruel fentiment de 1’affront, le defelpoir de ne pouvoir nous en laver jamais. Ils doivent etre charmes d’avoir des fujets a qui l’hon- neur eft plus cher que la vie, & n’eft pas moins un motif de fidelite que de courage. On peut fe fouvenir des malheurs arrive's aux princes, pour avoir infulte leurs fujets; des vengeances de Chereas t de l’eunuque Narses, & du comte Jalien; enfin, de la duchefle de Montpenfier, qui, outree contre Henri III qui avoit revele quelqu’un de fes defauts fecrets, le trou- bla pendant toute fa vie. Rij c6q D e l'e SPRIT des l 0 I X, qc ———— .— ■ -- , ■ CHAPITRE XXIX. Des loix chiles propres a mettre un pen de liberti dans 'le gouyernement defpotique. u OIQ U E le gouvernement defpotique, dans fa na¬ ture , foit par-tout le mdme; cependant, des circonf- tances, une opinion de religion, un prejuge, des exem- plesrequs, un tour d’efprit, des manieres, des moeurs, peuvent y mettre des differences confiderables. II eft bon que de certaines idees s’y foient etablies. Ainfi, a la Chine, le prince eft regarde comme le pere du peuple; &, dans les commencemens de l’em- pire des Arabes, le prince en etoit le predicateur (a). II convient qu’il y ait quelque livre /acre qui ferve de regie, comme 1’alcoran chez les Arabes, les livres de Zoroaftre chez les Per/es, le ve'dam chez les In- diens, les livres claffiques chez les Chinois. Le code religieux fupplee au code civil, & fixe l’arbitraire. II n’eft pas mal que, dans les cas douteux, les juges confultent les miniftres de la religion .(&). Auffi, en Turquie, les cadis interrogent-ils les mollachs. Que ft le cas merite la mort, il peut etre convenable que le juge particulier, s’il y en a, prenne l’avis du gouver- neur; enfin que le pouvoir civil & l’ecclefiaftique foient encore temperes par l’autorite politique. («) Les Caliphes. (^) Hiftoire des Tattars, troifieme partie, pag. 277, dans les remarques. Livn.E XII , Chap it re XXX. 261 ’est la fureur defpotique qui a etabli que la dis¬ grace du pere entraineroit celle des enfans & des fem- ines. Ils font deja malheureux, fans etre criminels : 8c d’ailleurs , il faut que le prince laiffe, entre i’accufe & lui, des fupplians pour adoucir fon courroux, ou pour eclairer fa juftice. C’eft une bonne coutume des Maldives (ff) que , lorf- qu’un feigneur eft di/gracie, il va tous les jours faire fa cour au roi, jufqu’a ce qu’il rentre en grace : fa pre¬ fence defarme le courroux du prince. Il y a des etats delpotiques (£) oil l’on penfe que, de parler a un prince pour un dilgracie, c’eft manquer au refpecft qui lui eft du. Ces princes femblent faire tous leurs efforts pour fe priver de la vertu de clemence. Arcadius & Honorius , dans la loi (c) dont j’ai tant parle (d) , declarent qu’ils ne feront point de grace a ceux qui oferont les fupplier pour les coupables (e). Cette loi etoit bien mauvaife, puifqu’elle eft mauvaife dans le defpotifme mime. La coutume de Perfe, qui permet, a qui veut, de fortir du royaume , eft tres-bonne. Et, quoique l’ufage contraire ait tire fon origine du defpotifme, ou l’on a (a) Voyez Francois Pirard. (£) Comme aujourd’hui en Perfe, au rapport de M. Char¬ din : cet ufage ell bien ancien. On mit Cavade , dit Procope , dans le chateau de Vouhli : il y a une loi qui defend de parler de ceux qui y font enfermis, & mime de prononcer leur nom. (O La loi 5, m cod. ad leg. Jul. maj. ( CHAPITRE VI. D'un it at ■ defpotique , en cas pareil. Ce que }e viens de dire eft encore plus indifpenfa- ble dans l’etat defpotique. Le feigneur, qui peut a tous les inftans etre depouille de fes terres & de fes efcla¬ ves , n’eft pas ft porte a les conferver. Pierre premier , voulant prendre la pratique d’Alle- magne & lever fes tributs en argent, fit un reglement tres-fage que Ton fuit encore en Ruflie. Le gentilhomme leve la taxe fur les payfans, 8c la paie au czar. Si le nombre des payfans diminue, il paie tout de meme ; ft le nombre augmente, il ne paie pas davantage : il eft done interefle a ne point vexer fes payfans. Livre XIII , Cha PITRE VII. 267 i g ' ■■ — ■ ■- ' ■ ■■■ ■ ■■—■ !»» CHAPITR.E VII. Des tributs , dans les pays ou I'efclavage de la glebe n'eft point etabli . XjORSQUE , dans un etat, tous les particuliers font citoyens , que chacun y pofiede par fon domaine ce que le prince y poffede par fon empire, on pent met- tre des impots fur les perfonnes, fur les terres, ou fur les marchandifes; fur deux de ces chofes, ou fur les trois enfemble. Dans l’impot de la perlonne , la proportion injufte fe- roit celle qui fuivroit exadfement la proportion des biens. On avoit divile a Athenes ( a ) les citoyens en quatre claffes. Ceux qui retiroient de leurs biens cinq cens me- fures de fruits, liquides ou fees, payoient au public un talent; ceux qui en retiroient trois cens inefures devoient un demi talent; ceux qui avoient deux cens inefures payoient dix mines , ou la fixieme partie d’un talent; ceux de la quatrieme claffe ne donnoient rien. La taxe etoit jufte , quoiqu’elle ne fut point proportionnelle : fi elle ne fuivoit pas la proportion des biens , elle fuivoit la proportion des befoins. On jugea que chacun avoit un nece/faire phyfique. egal; que ce neceffaire phyfique ne devoit point dtre taxe; que futile venoit enfuite’, & qu’il devoit etre taxe, mais moins que le fuperflu; que la grandeur de la taxe fur le fuperflu empechoit le fuperflu. Dans la taxe fur les terres, on fait des roles ou Ton met les diverfes clafles des fonds. Mais il eft tres-dif- ficile de connoitre ces differences, & encore plus de trouver des gens qui ne foient point interefles a les me- connoitre. II y a done la deux fortes d’injuftices; l’in- juftice de l’homme , & I’injuftice de la chofe. Mais fi, («) Pollux, liv. VIII, chap. X, art. 130. 268 D E V E S P R 1 T DES LOIX , en general, la taxe n’eft point exceffive, ft on laifle au peuple un neceffaire abondant, ces injuftices parti- culieres ne feront rien. Que fi , au contraire, on ne laiffe au peuple que ce qu’il lui faut a la rigueur pour vivre, la moindre difproportion fera de la plus grande consequence. Que quelques citoyens ne paient pas affez, le mal n’eft pas grand; leur aifance revient toujours au public : que quelques particuliers paient trop, leur ruine fe tourne contre le public. Si l’etat proportionne fa fortune a celle des particuliers , l’aifance des particuliers fera bientot monter fa fortune. Tout depend du moment. L’etat com- mencera-t-il par appauvrir les fujets pour s’enrichir } ou attendra-t-il que des fujets a leur aife 1 ’enrichiffent ? Aura- t-il le premier avantage ? ou le fecond? Commencera-t-il par etre riche ? ou finira-t-il par l’etre ? Les droits fur les marchandifes font ceux que les peu- ples fentent le moins, parce qu’on ne leur fait pas une demande formelle. Ils peuvent etre fi lagement mana¬ ges, que le peuple ignorera prelque qu’il les paie. Pour cela, il ell d’une grande conlequence que ce foit ce- lui qui vend la marchandife qui paie le droit. II fqait bien qu’il ne paie pas pour lui; & I’acheteur, qui daps le fond paie , le confond avec le prix. Quelques au¬ teurs ont dit que Neron avoit ote le droit du vingt-cin- quieme des efclaves qui fe vendoient (^); il n’avoit pourtant fait qu’ordonner que ce feroit le vendeur qui le 'paieroit, au lieu de l’acheteur: ce reglement, qui laif- foit tout l’impot, parut l’oter. Il y a deux royaumes en Europe ou Ton a mis des iinpots tres-forts fur les boiffons : dans l’un, le bralTeur feul paie le droit; dans l’autre, il eft leve indifferem- ment lur tous les fujets qui confomtnent. Dans le pre¬ mier, perfonne ne fent la rigueur de l’impot ; dans le (£) Vettigalrquinta & 'vicefima venalium mancipiormn re - mifum fpecie magis qudm vi ; quid citm venditor pendere jube- rctur, in partem pretii emptoribus ac ere fee bat. Tacite, anna- les, livre XIII. L I V R E XIII , C ha pit re VII. 269 lecond, il eft regarde comme onereux : dans celui-la, le citoyen ne lent que la liberte qu’il a de ne pas payer; dans celui-ci, il ne fent que la neceflite qui l’y oblige. D’ailleurs, pour que le citoyen paie, il faut des re- cherches perpetuelles dans fa maifon. Rien n’eft plus con- traire a la liberte; St ceux qui etabliffent ces fortes d’im- pots n’ont pas le bonheur d’avoir, a cet egard, rencon¬ tre la meilleure forte d’adminiftration. -~ - - ■CHAPITRE VIII. Comment on conferve Villnfion. POUR que le prix de la chofe & le droit puiffent fe confondre dans la tdte de celui qui paie, il faut qu’il y ait quelque rapport entre la marchandife & l’impot; & que, fur une denree de peu de valeur, on ne mette pas un droit exceflif. Il y a des pays ou le droit excede de dix-lept fois la valeur de la marchandife. Pour lors, le prince ote l’illufion a fes fujets : ils voient qu’ils font conduits d’une maniere qui n’eft pas raifonnable; ce qui leur fait fentir leur fervitude au dernier point. D’ailleurs, pour que le prince puiffe lever un droit ft difproportionne a la valeur de la chofe, il faut qu’il vende lui-mcme la marchandife, Sc que le peuple ne puiffe 1 ’al- ler acheter ailleurs; ce qui eftlujet a mille inconveniens. La fraude etant, dans ce cas, tres-lucrative, la peine naturelle, celle que la raifon demande, qui eft la con- fifcation de la marchandife, devienr incapable de l’ar- reter; d’autant plus que cette marchandife eft, pour l’or- dinaire, d’un prix tres-vil. Il faut done avoir recours a des peines extravagances, 8c pareilles a celles que l’on inflige pour les plus grands crimes. Toute la proportion des peines eft otee. Des gens qu’on ne fcauroit regar- der comme des hommes mechans, font punis comme des fcelerats; ce qui eft la chofe du monde la plus con- traire a 1’efprit du gouvernement modere. 1JO D E CE SPRIT D E S L 0 I X, J’ajoute que, plus on met le peuple en occafion de frauder le traitant, plus on enrichit celui-ci, 8t on ap- pauvrit celui-la. Pour arrdter la fraude, il faut donner au trairant des moyens de vexations extraordinaires, & tout eft perdu. ■g „-.. .... . . -fr CHAPITRE IX. D ’une mauvaife forte d'impot. . SI OUS parlerons, en paflant, d’un impot etabli, dans quelques etats, fur les diverfes claufes des con- trats civils. II faut, pour fe defendre du traitant, de grandes connoiflances, ces chofes etant fujettes a des difcuftions fubtiles. Pour lors, le traitant, interprete des reglemens du prince, exerce un pouvoir arbitraire fur les fortunes. L’experience a fait voir qu’un impot fur le papier fur lequel le contrat doit s’ecrire, vaudroit beau- coup mieux. CHAPITRE X. Que la grandeur des tributs depend de la nature du gouvernement . JLi E S tributs doivent etre tres-legers dans le gouver¬ nement defpotique. Sans cela, qui eft-ce qui voudroit prendre la peine d’y cultiver les terres ? & de plus, comment payer cle gros tributs, dans un gouvernement qui ne fupplee par rien a ce que le fujet a donne ? Dans le pouvoir etonnant du prince, 8c l’etrange foi- blefle du peuple , il faut qu’il ne puiffe y avoir d’equi- voques fur rien. Les tributs doivent etre fi faciles a per- cevoir, & ft. clairement etablis, qu’ils ne puiffent etre augmentes ni diminues par ceux qui les levent. Une Livre XIII , Chai> it re X. 271 portion dans les fruits de la terre, une taxe par tdte , un tribut de tant pour cent fur les marchandifes , font les feuls convenables. II eft bon, dans le gouvemement defpotique, que les marchands aient une fauve-garde perfonnelle, & que l’ufage les faffe refpe&er : fans cela, ils feroient trop foibles dans les difcuffions qu’ils pourroient avoir avec les officiers du prince. ..- > CHAPITRE XI. Des peines fifcales. CZ/est une chofeparticuliere aux peinesfifcales, que, contre la pratique generale, elles font plus feveres en Europe qu’en Afie. En Europe, on confifque les mar¬ chandifes, quelquefois meme les vaifteaux & les voi- tures; en A fie, on ne fait ni 1’un ni l’autre. C’eft qu’en Europe, le marchand a des juges qui peuvent le ga- rantir de l’oppofition; en Afie, les juges defpotiques feroient eux-memes les opprefleurs. Que feroit le maf- chand contre un bacha qui auroit refolu de confifquer fes marchandifes ? C’eft la vexation qui fe furmonte elle-meme , Sc fe voit contrainte a une certaine douceur. En Turquie, on ne leve qu’un feul droit d’entree; apres quoi, tout le pays eft ouvert aux marchands. Les declarations fauffes n’emportent ni confifcation ni augmentation de droits. On n’ouvre (a) point, a la Chine, les balots des gem qui ne font pas marchands. La fraude, chez le Mogol, n’eft point punie par la confifcation, mais par le dou- blement du droit. Les princes (i>J Tartares, qui habi- tent des villes dans l’Afie, ne leyent prefque rien fur les marchandifes qui paffent. Que fi, au Japon, le crime (a) Du Halde , tome II, (If) Hiftoire des Tattars, trot- page 37. fieme partie, pag. apo. E l'e sprit d e S X . 0 / X, de fraude dans le commerce eft un crime capital, c’eft qu’on a des raifons pour defendre toute communica¬ tion avec les e'trangers; & que la fraude (c) y eft piu- tot une contravention aux loix faites pour la furete de l’etat, qu’a des loix de commerce. (c) Voulant avoir un commerce avec les etrangers, fans fe communiquer avec eux, ils ont choifi deux nations; la Hollan- doife, pour le commerce de l’Europe; & la Chinoife, pour celui de l’Afie : ils tiennent dans une efpece de prifon les fadteurs & les matelots, & les genent jufqu’a faire perdre patience. . . «. i ■ ■■■ n.i . . . . . i . . CHAPITRE XII. Rapport ci la grandeur des tributs avec la llbertL I^EGLE generale: on peut lever des tributs plus forts, a proportion de la liberte des fujets; & 1’on eft force de les moderer, a mefure que la fervitude au- gtnente. Cela a toujours ete , & cela fera toujours. C’eft une regie tiree de la nature , qui ne varie point : on la trouve par tous les pays, en Angleterre, en Hol- lande, & dans tous les etats ou la liberte va fe de- gradant, jufqu’en Turquie. La Suiffe femble y deroger, parce qu’on n’y paie point de tributs : mais on en fqait la raifon particuliere, & meme elle confirme ce que je dis. Dans ces montagnes fteriles, les vivres font fi chers , & le pays eft ft peuple, qu’un Sttiffe paie quatre fois plus a la nature, qu’un Turc ne paie au fultan. Un peuple dominateur, tel qu’etoient les Atheniens & les Romains, peut s’affranchir de tout impot, parce qu’ii regne fur des nations fujettes. II ne paie pas pour lors a proportion de fa liberte; parce qua cet egard il n’eft pas un peuple , mais un monarque. Mais la regie generale refte toujours. II y a, dans les etats moderes, un dedommagement pour la pefan- teur Litre XIII, Chap it re XII. 273 teur des tributs; c’eft la liberte. II y a, dans les etats (a) defpotiques, un equivalent pour la liberte, c’eft la mo- dicite des tributs. Dans de certaines monarchies en Europe , on voit des provinces (£) qui, par la nature de leur gouver- nement politique , font dans un meilleur etat que les autres. On s’imagine toitjours qu’elles ne paient pas aflez; parce que, par un effet de la bonte de leur gouver- nement, elles pourroient payer davantage : & il vient toujours dans l’efprit de leur oter ce gouvernement meme qui produit ce bien qui fe communique, qui fe repand au loin , Sc dont il vaudroit bien mieux jouir. (a') En Ruflie, les tributs 1’hiftoire des Tattars, deuxieme font mediocres : on les a au- partie. gmentes depuis que le delpo- (i) Les pays d’etats. tiirae y eft plus modere. Voyez C H A PITRE XIII. Dans quels gouvernemens les 'tributs font fufceptibles d' augmentation. On peut augmenter les tribute dans la plupart des republiques,; parce que le citoyen, qui croit payer a lui-meme, a la volonte de les payer, & en a ordinai- rement le pouvoir par l’effet de la nature du gouver¬ nement. Dans la monarchic, on peut augmenter les tributs; parce que la moderation du gouvernement y peut procu¬ rer des richeffes.: c’eft comma la recompenfe du prince, a caufe du refpefl qu’il a pour les loix. Dans l’etat defpotique, on ne peut pas les augmenter, parce qu’on ne peut pas augmenter la fervitude extreme. Tome I. S 274 & s l’SSPRIT 1) e s loix , S5C«S' uC > C H A P I T R E XIV. <9«E furent ces tributs (a ) exceffifs qui donnerent lieu a cette etrange facilite que trouverent les Mahometans dans leurs conquetes. Les peuples, au lieu de cette fuite continuelle de vexations que I’avarice fubtile des em- pereurs avoir imaginees , fe virent founds a un tribut ftmple, paye ailement, requ de mdme; plus heureux d’obeir a une nation barbare qua un gouvernement cor- rompu, dans lequel ils fouffroient tous les inconveniens d’une liberte qu’ils n’avoient plus, avec toutes les bor- reurs dune fervitude prefente. (a) Voyez , dans Fhiftoire, la grandeur, la bizarrerie, & menie fa folie de ces. tributs. Anaftafe en imagina un pour relpi- rer fair : ut quifque fro baufiu aeris penderet. " " ' ■ ■■.. ■ n—— — . . . . ■, 'isygsB.ii 1 :is my a j:i!=rr „ CHAPITRE XVli. De l'augmentation des troupes. NE maladie nouvelle s’eft repandue en Europe; elle a faifi nos princes, & leur fait entretenir un nombre Llf'RE XIII , Ch A PI T RE XVII. 277 defordonne de troupes. Elle a fes redoublemens, & elle devient neceflairement contagieufe : car, fitot qu’un etat .augmente ce qu’il appelle fes troupes, les autres foudain augmentent les leurs ; de faqon qu’on ne gagne rien par-la, que la ruine commune. Chaque monarque tient fur pied routes les armees qu’il pourroit avoir , li les peu- ples etoient en danger d’etre extermines; & on nomme paix cet etat (a) d’effort de tous contre tous. Auffi l’Eu- rope eft-elle ft ruinee, que les particuliers qui feroient dans la fituation ou font les trois puiffances de cette partie du monde les plus opulentes, n’auroient pas de quoi vivre. Nous fomrnes pauvres avec les richeffes Sc 3e commerce de tout l’univers; 8i bientot, a force d’a- voir des foldats, nous n’aurons plus que des foldats, & nous ferons comme des Tartares (b). Les grands princes, non contens a’acheter les trou¬ pes des plus petits, cherchent de tous cotes a payer des alliances; c’eft-a-dire, prefque toujours a perdre leur argent. La fin’te d’une telle fituation eft l’augmentation per- petuelle des tributs : & , ce qui previent tous les re- medes a venir , on ne compte plus fur les revenus, mais on fait la guerre avec (on capitale. 11 n’eft pas inoui de voir des etats hypotfiequer leurs fonds pendant la paix meme; employer , pour fe ruiner , des moyens qu’ils appellent extraordinaires, & qui le font ft fort que le fils de famille ie plus derange les imagine a peine. (a) 11 ell vrai que c’elt cet que faire valoir la nouvelle in- etat d’effort qui maintient princi- ventiori des milices dtablies dans palement l’equilibre, parce qu’il prefque toute l’Europe, & les erreinte les grandes puiflqnces. porter au meme exces que 1’on CO II ne faut, pour cela, a fait les troupes regimes. S iij ' a? 8 De l" e sprit des loix, ■e -- ■ ■ - -r.TTT —- j, CHAPITRE XVIII. De la remife des tributs. I~dA maxime des grands empires d’orient, de remet- tre les tributs aux provinces qui ont fouffert, devroit bien etre portee dans les etats monarchiques. 11 y en a bien ou elle eft etablie : mais elle accable plus que fi elle n’y etoit pas ; parce que le prince n’en levant ni plus ni moins, tout l’etat devient folidaire. Pour foulager un village qui paie mal, on charge un autre qui paie mieux; on ne retablit point le premier, on detruit le fecond. Le peuple eft defefpere entre la neceflite de payer de peur des exadiions, & Ie danger de payer crainte des iurcharges. Un etat bien gouverne doit mettre, pour Ie premier article de la depenfe, une Ibmme reglee pour les cas fortuits. II en eft du public comme des particuliers, qui le ruinent lorfqu’ils depenfent exaftement les revenus de leurs terres. A l’egard de la folidite entre les babitans du meme village , on a dit ( a ) qu’elle etoit raifonnable , parce qu’on pouvoit fuppofer un complot frauduleux de leur part : mais ou a-t-on pris que, fur des fuppofitions, il faille etablir une chofe injufte par elle-meme & rui- neufe pour l’etat? 00 Voyez le traiti des finances des Remains , chap, u, imprime a Paris, chez Briaflon, 1740. LirRE XIII , Chaiutre XIX. 279 < : - - - ■ ■ ..L.jjm— — -ar —= j li_ — ■ —;-= » CHAPITRE XIX. Qu'eft-ce qui eft plus convertible an prince & au peuple , la ferme on de la rlgie des tributs? If 1 a regie eft I’adminiftration d’un bon pere de fa- mille, qui leve lui-meme-, avec economic & avec or- dre , fes revenus. Par la regie, le prince eft le maitre de preffer ou de retarder la levee des tributs, ou fuivant fes befoins, ou fuivant ceux de fes peuples. Par la regie, il epar- gne a I’etat les profits immenfes des fermiers, qui l’ap- pauvriflent dune infinite de manieres. Par la regie, il epargne au peuple Je Ipeftacle des fortunes fubites qui l’affligen t. Par la regie, l’argent leve pafle par peu de mains ; il va direftement au prince, & par confequent revient plus promptement au peuple. Par la regie, le prince epargne au peuple une infinite de mauvaifes loix qu’exige toujours de lui I’avarice importune des fermiers, qui montrent un avantage prefent dans des reglemens funeftes pour l’avenir. Comme celui qui a l’argent eft toujours le maitre de l’autre, le trairant fe rend defpotique fur le prince mdme: il n’eft pas legiflateur, mais il le force a donner des loix. J’avoue qu’il eft quelquefois utile de commencer par donner a ferme un droit nouvellement etabli. Il y a un art & des inventions pour prevenir les fraudes, que l’interdt des fermiers leur fuggere, & que les regjflegrs n’auroient fqu imaginer : or, le fyfteme de la levee etant une fois fait par le fermier, on peut avec fuc- ces etablir la regie, fn Angleterre, 1’adminiftration de l’accife 8c dmrevenu des poftes , telle qu’elle eft aujour- d’hui, a ete empruntee des fermiers. Dans les republiques, les revenus de l’etat font pref- que toujours en regie. L’etabliftement contraire fut un S iv ab’o De De sprit b e s loix, grand vice du gouvernement de Rome (u). Dans les etats defporiques, ou la regie eft etablie, les peuples font infiniment plus heureux; temoin la Perfe & la Chine (b). Les plus malheureux font ceux ou le prince donne a ferme fes ports de mer & fes villes de commerce. L’hif- toire des monarchies eft pleine des maux faits par les traitans. Neron, indigne des vexations des publicains, forma le projet impoffible & magnanime d’abolir tous les im- pots. II n’imagina point la regie : il fit (c) quatre ordon- nances; que les loix faites contre les publicains, qui avoient ete jufques-la tenues fecrettes, feroient publiees; qu’ils ne pourroient plus exiger ce qu’ils avoient neglige de demander dans I’annee; qu’il y auroit un preteur eta- bli pour juger leurs pretentions fans formalite; que les marchands ne paieroient rien pour les navires. Voila les beaux jours de cet empereur. (a) Cdfar fut obligd d’dter p!e Romain, & qui, par con- les publicains de la province fequent, dtoient gxmveme'es fur d’Afie, & d’y etablir une autre l’ancien plan, obtinrent d’etre forte d’adminiftration , comme du nombre de celles que i’empe- nous l’apprenons de Dion. Et reur gouvernoit par fes ofliciers. Tacite nous dit que la Mace- Qb~) Moyzz Chardin, voyage dome & l’Achaie , provinces de Perfe, tome VI. qu’ Augufte avoit lattices au peu- ( c ) Tacite , annales, 1. XIII. < --i-g .. .-v T—! ; _= » CHAPITRE XX. Des traitans. rjp JL OUT eft perdu, lorfque la profeflion lucrative des traitans parvient encore, par fes richeffes, a dtre une profeflion honoree. Cela peut dtre bon^dans les etats defpotiques , ou fouvent leur emploi eft une partie des fonftions des gouverneurs eux-memes. Cela n’eft pas bon dans la republique; & une chofe pareille detruifit la re- Livnz XIII, Chapitre XX. 2oi publique Romaine. Cela n’eft pas meiileur dans la mo¬ narchic ; rien n’eft plus contraire a l’efprit de ce gou- vernement. Un degout faifit tous les autres etats; I’hon- neur y perd route fa confideration ; les moyens lents & naturels de fe diftinguer ne touchent plus; & le gou- vernement eft frappe dans fon principe. On vit bien , dans les temps paffes, des fortunes fcan- daleufes; c’etoit une des calamites des guerres de cin- quante ans : mais, pour lors, ces richeffes furent regar- dees comme ridicules ; & nous les admirons. II y a un lot pour chaque profeffion. Le lot de ceux qui levent les tributs eft les richeffes; & les recompenfes de ces richeffes, font les richeffes memes. La gloire 5c l’honneur font pour cette nobleffe qui ne connoit, qui ne voit, qui ne fent de vrai bien que l’honneur 5c la gloire. Le relpedl: & la confideration font pour ces mi- niftres 8c ces magiftrats qui, ne trouvant que le travail apres le travail, veillent nuit 5c jour pour le bonheur de l’empire. 282 D e l'espr/t DES LOIS , LIVRE XIV. Des loix , dans le rapport puddles ont avec la nature du dimat. j-g—-fTB—v ■■'.i.ate gjig3£i* fr.-- . J . - ; ■ ... CHAPITRE PREMIER. Ides gindrale. S’lL eft vrai que le cara&ere de I’efprit & les paffions du coeur foient extremement differentes dans les divers elimats, les loix doivent etre relatives & a la difference de ces paffions, & a la difference de ces cara&eres. -a-.- -:- CHAPITRE II. Combien les■ homines font difdrens dans les divers elimats. Ij’air froid (a) refferre les extremites des fibres ex- ferieures de notre corps; cela augmente leur reffort, & favorife le retour du fang des extremites vers le coeur. II diminue la longueur ( 'b ) de ces memes fibres; il au¬ gmente done encore par-la leur force. L’air chaud, au contraire, relache les extremites des fibres, & les al¬ longe; il diminue done leur force & leur reffort. On a done plus de vigueur dans les elimats froids. (<0 Cela pnroit meme a la (i) On fcait qu’il raccour- vue : dans le froid, on parent cit le fer. plus maigre. Ljfre XIF y Chap it re II. 283 L’aftion du coeur & la reaction des extremites des fibres s’y font mieux, les liqueurs font mieux en equilibre, le fang eft plus determine vers le coeur, St reciproque- ment le cceur a plus de puiffance. Cette force plus grande doit produire bien des effets: par exemple, plus de con- fiance en foi-meme, c’eft-a-dire, plus de courage; plus de connoiffance de fa fuperiorite, c’eft-a-dire , moins de defir de la vengeance; plus d’opinion de fa furete, c’eft-a-dire, plus de franchife, moins de foupcons, de politique St de rufes. Enfin, cela doit faire des carac- teres bien differens. Mettez un homme dans un lieu chaud St enferme ; il fouffrira , par les raifons que je viens de dire , une defaillance de coeur tres-grande. Si, dans cette circonftance, on va lui propofer une aftion hardie, je crois qu’on l’y trouvera tres-peu difpofe; fa foibleffe prefente mettra un decouragement dans fon ame ; il craindra tout, parce qu’il fentira qu’il ne peut rien. Les peupies des pays chauds font timides, comme les vieillards le font; ceux des pays froids font coura- geux, comme le font les jeunes gens. Si nous faifons at¬ tention aux dernieres ( c) guerres, qui font celles que nous avons le plus fous nos yeux , St dans lefquelles nous pouvons mieux voir de certains effets legers, im- perceptibles de loin, nous fentirons bien que les peu- ples du nord, tranfportes dans les pays du midi ( d ) , n’y ont pas fait d’auffi belles actions que leurs compa- triotes qui, combattant dans leur propre climat, y jouif- foient de tout leur courage. La force des fibres des peuples du nord fait que les fucs les plus groffiers font tires des alimens. Il en refulte deux chofes : 1’une , que les parties du chyle , ou de la lymphe, font plus propres, par leur grande lurface, a dtre appliquees fur les fibres St a les nourrir : l’autre , qu’elles font moins propres , par leur groflierete , a don- ner une certaine fubtilite au fuc nerveux. Ces peuples auront done de grands corps, St peu de vivacite. (_ c) Celles pour la fucceflion (d) En Efpagtie, par exem- cFEIpagne. pie. 284 De l’esprit dfs loix, Les nerfs, qui aboutiffent de tous cotes au tiffu de notre peau, font chacun un faifceau de nerfs. Ordinab rement ce n’eft pas tout le nerf qui eft remue ; e’en eft une partie infiniment petite. Dans les pays chauds, ou le tiffu de la peau eft relache, les bouts des nerfs font epanouis, & expofes a la plus petite afftion des objets les plus foibles. Dans les pays froids, le tiflu de la peau eft refferre & les mammeions compriines; les petites houpes font, en quelque faqon, paralytiques; la ientation ne paffe gueres au cerveau, que lorfqu’eile eft extrdme- tnent forte, Sc qu’elle eft de tout le nerf enfemble. Mats e’eft d’un nombre infini de petites fenfations que de¬ pendent 1’imagination, le gout, la fenfibilite, la vivacite. J’ai obferve le tiffu exterieur d’une langue de mouton, dans 1’endroit oil elle paroit, a la fimple vue, couverte de mammeions. J’ai vu, avec un microfcope, fur ces mammeions , de petits poils, ou une efpece de duvet; entre les mammeions, etoient des pyramides , qui for- moient, par bout, comme de petits pinceaux. ILy a grande apparence que ces pyramides font le principal organe du gout. J’ai fait geler la moitie de cette langue : & j’ai trouve, a la fimple vue, les mammeions conftdetablement di- minues; quelqnes tangs metne de mammeions s’etoient enfonces dans leur game : j’en ai examine le tiffu avec le microfcope, je n’ai plus vu de pyramides. A me- fure que la langue s’eft degelee, les mammeions , a la fimple vue, ont paru fe relever; &, au microfcope, les petites houpes ont commence a reparoitre. Cette obfervation confirme ce que j’ai dit, que, dans les pays froids, les houpes nerveufes font moins epa- nouies : elles s’enfoncent dans leurs gaines, ou elles font a couvert de l’adion des objets exterieurs. Les fen¬ fations font done moins vives. Dans les pays froids, on aura peu de fenfibilite pour les plaifirs; elle fera plus grande dans les pays tempe- res; dans les pays chauds, elle fera extreme. Comme on diftingue les climats par les degres de latitude, on pourroit les diftinguer, pour ainfi dire, par les degres L 1 V R E XIV , CrffA PITRE II. 285 de fenfibilite. J’ai vu les opera d’Angleterre & dltalie; ce Com les inemes pieces & les meines acfeurs : mais la mcme mulique produit des effets li differens Cur les deux nations, l’une eft ft calrae, St l’autre ft tranfpor- tee, que cela paroit inconcevable. 11 en Cera de mdme de la douleur: elle eft excitee en nous par ie dechirement de quelque fibre de notre corps. L’auteur de la nature a etabli que cette douleur Ceroit plus forte, a meiure que le derangement Ceroit plus grand : or , il eft evident que les grands corps & les fibres grofiieres des peuples du nord font moins capables de derangement, que les fibres delicates des peuples des pays chauds; l’ame y eft done moins Cen- fible a la douleur. 11 faut ecorcher un MoCcovite , pour lui donner du Centiment. Avec cette delicatefle d’organes que 1’on a dans les pays chauds , l’ame eft fouverainement emue par tout ce qui a du rapport a I’union des deux fexes; tout con¬ duit a cet objet. Dans les climats du nord, a peine le phyfique de lainour a-t-il la force de Ce renclre bien Cenfible : dans les climats temperes, l’amour , accompagne de mille acceffoires, Ce rend agreable par des chofes qui d’abord femblent etre lui-meme , St ne font pas encore lui : dans les climats plus chauds , on aime l’amour pour lui- meme ; il eft la caufe unique du bonheur , il eft la vie. Dans les pays du midi, une machine delicate, foible, snais Cenfible, Ce livre a un amour qui, dans un Cerrail, nait & Ce calme Cans cefle, 011 bien a un amour qui, laif- fant les femmes dans une plus grande independance, eft expofe a mille troubles. Dans les pays du nord, une ma¬ chine faine & bien conftituee , mais lourde , trouve fes plaifirs dans tout ce qui peut remettre les elprits en mouvement; la chaffe, les voyages, la guerre, ie vin. Vous ttouverez , dans les climats du nord, des peu¬ ples qui ont peu de vices, aflez de vertus, beaucoup de fincerite & de franchife. Approchez des pays du midi, vous croirez vous eloigner de la morale meme; des paffions plus vives multiplieront les crimes; chacun aS (> De l esprit des loix , cherchera a prendre fur les autres tous les avantages qui peuvent favorifer ces memes paflions. Dans les pays tern* peres, vous verrez des peuples inconftans dans leurs ma¬ nures, dans leurs vices memes, & dans leurs vertus : le climat n’y a pas vine qualire aflez determine'e pour les fixer eux-memes. La chaleur du climat peut etre fi exceftive, que le corps y fera abfolument fans force. Pour lors, labbat- tement paftera a l’efprit meme; aucune curiofite , au- cune noble entreprife , aucun fentiment genereux; les inclinations y feront toutes paffives ; la parefle y fera le bonheur; la plupart des chatimens y feront moins dif- ficiles a foutenir, que l’adion de l ame; & la fervi- tude moins infupportable, que la force d’efprit qui eft neceflaire pour fe conduire foi-meme. ■C --— . . .. „ .y, C H A P I T i E III Contradiction dans les cara&eres de certains peuples du midi. I_jES Indiens (a) font naturellement fans courage; les enfans ( b ) meme des Europeens nes aux Indes per- dent celui de leur climat. Mais comment accorder cela avec leurs actions atroces, leurs coutumes, leurs peni¬ tences barbares ? Les homines s’y foumettent a des maux incroyables , les femmes s’y brulent elles-mernes : voiia bien de la force pour tant de foiblefle. La nature, qui a donne a ces peuples une foiblefle qui les rend timides, leur a donne auffi une imagina¬ tion fi vive, que tout les frappe a l’exces. Cette mdme (tf) Cent foldats d Europe , s’ltablifcnt aux Indes, pren- dit Tavernier, n'auroient pas nent, dla troijiemegeneration, grand'peine a battre milk fol- la nonchalance & la lachete In- Ants Indiens. dienne. Voyez Bernier, fur le (£) Les Per fans memes, qui Mogol, tome I, pag. 282. Litre XIV , Chaim the III. 287 delicateffe d’organes, qui leur fait craindre la mort, fert auffi a leur faire redouter mille choies plus que la mort. C’eft la meme fenfibilite qui leur fait fuir tons les pe¬ rils , & les leur fait tous braver. Comme une bonne education eft plus neceflaire aux enfans, qu’a ceux dont l’efprit eft dans fa maturite; de mdme, les peuples de ces climats ont plus befoin d’un legiflateur fage , que les peuples du notre. Plus on eft aife'ment & fortement frappe, plus il importe de l’etre d’une maniere convenable , de ne recevoir pas des pre- juges, &t d’etre conduit par la raifon. Du temps des Romains, les peuples du nord de l’Eu* rope vivoient fans art, fans education, prefque fans loix : 8c cependant, par le feul bon fens attache aux fibres groffieres de ces climats, ils fe maintinrent avec une fagefle admirable contre la puiftance Romaine, f jufqu’au moment oil ils fortirent de leurs foreis pour la detruire. < --——.•• t! ■■ - CHAPITRE IY. Cdufe de I immutability de la religion , des moeurs , des manieres , des loix , dans les pays d'orient. Si, avec cette foibleffe d’organes qui fait recevoir aux peuples d’orient les impreflions du monde les plus for¬ tes, vous joignez une certaine parefle dans l’efprit, na- turellement liee avec celle du corps, qui faffe que cet efprit ne foit capable d’aucune aflion , d’aucun effort, d’aucune contention; vous comprendrez que l’ame, qui a une fois requ des impreflions, ne peut plus en chan¬ ger. C’eft ce qui fait que les loix, les moeurs ( a ), & (/s') On voit, par un fragment de Nicolas de Dam as , re- cueilli par Conjlantin Porphyrog&nete , que la coutume etoit an- cienne en orient d’euvoyer etrangler un gouverneur qui deplaifoitj elle etoit du temps des Medes. s'ofj De l' esprit DES L 01 X, les manieres, meme celles qui paroiffent indifferentes, comme la faqon de fe vetir, font aujourd’hui en orient comme elles y etoient il y a mille ans. CHAPITRE V. Oue les mauvais Ugljlateurs font ceux qui ont favo- rife les vices du climat, & les bom font ceux qui s'y font oppofes. Les Indiens croient que le repos 8c le neant font le fondement de toutes chofes, & la fin oil elles abou- tifiTent. Ils regardent done l’entiere inaftion comme l’etat le plus parfait & l’objet de leurs defirs. 11s donnent au fouverain-dtre (a) le furnom d’immobile. Les Siamois croient que la felicite (A) fupreme confide a n etre point oblige d’animer line machine & de Zaire agir un corps. Dans ces pays, oil la chaleur excefiive enerve 8c accable, le repos eft fi delicieux, 8c le mouvement li penible, que ce fyftdme de metaphyfique paroit natu- rel; & (c) Foe , legiflateur des Indes, a fuivi ce qu’il fentoit, lorfqu’il a mis les homines dans un etat extre- mement paflif: mais fa doftrine, nee de la pareffe du climat, la favorifant a fon tour, a caufe mille maux. Les legiflateurs de la Chine furent plus fenles, lorf- que, confiderant les homines, non pas dans l’etat pai- fible oil ils feront quelque jour, mais dans l’aftion pro- pre a leur faire reinplir les devoirs de la vie, ils firent leur (a) Panamanack. Voyez Kir- petfeSion eft de ne voir ni enten- cher. dre: tine bouche, des mains, &c. La Loubere , relation de lei perfection eft que ces membres Siam, pag. 44 6. foient dans I'inafition. Ceci cfl (c) Foil veut reduire le ccsur tire du dialogue d’un philofoplie au pur vuide. Nous avons des Chinois, rapportd par le pere du yeux 8? des oreilles ,• mais la ffalde, tome III. * Li V R E XIV , Chapitre V. 289 leur religion, leur philofophie & leurs loix routes pra¬ tiques. Plus les caufes phyiiques portent les homines au repos, plus les caufes morales les en doivent eloigner. CHAPITRE VI. Be la culture ties ter res , dans les climats chauds . T 1 a culture des terres eft le plus grand travail des hom¬ ines. Plus le climat les porte a fuir ce travail, plus la religion & les loix doivent y exciter. Ainfi les loix des Indes , qui donnent les terres aux princes, & otent aux particuliers fefprit de propriete , augmentent les mauvais effets du clirnat, c’eft-a-dire, la parefle naturelle. CH APITRE VII. Du monachifme . T 1 e monachifme y fait les merries maux ; il eft n i dans les pays chauds d’orient, oil l’on eft moins porte a faction qu’a la fpeculation. En Afie , le nomhre des derviches ou moines fem- ble augmenter avec la chaleur du climat; les Indes, oil elle eft exceflive, en font remplies : on trouve en Europe cette meme difference. Pour vaincre la parefle du climat, il faudroit que les loix cherchaffent a oter tous les moyens de vivre fans travail : mais , dans le midi de i’Europe, elles font tout le contraire ; elles donnent a ceux qui veulent etre oififs des places propres a la vie fpeculative, & y attachent des richeffes immenfes. Ces gens, qui vivent dans une abondance qui leur eft a charge, donnent avec raifon leur fuperflu au has peuple : il a perdu la propriete des biens; ils fen dedommagent par l’oifivete dont ils 1® font jouir; & il parvient a aimer la mifere m^me. Tome I. T z(jo Be Be sprit des loix , < . -~ r -- . .. . CHAPITRE VIII. Bonne coutume de la Chine. Lies relations (a) de la Chine nous parlent de la ceremonie d’ouvrir les terres, que 1’empereur fait tous les ans (b). On a voulu exciter ( c) les peuples au la- bourage par cet adfe public & folemnel. De plus : 1’empereur eft informe chaque annee du laboureur qui s’eft le plus diftingue dans fa profeflion ; il le fait mandarin du huitieme ordre. Chez les anciens Perfes (d), le huitieme jour du mois nomme chorrem-ru ?, les rois quittoient leur fafte pour manger avec les laboureurs. Ces inftitutions font admi- rabies pour encourager 1’agriculture. Qa~) Le pere du Halde , hif- retir de la troifieme dynaftie, toiredelaChine,tom.II, p. 72. cultiva la terre de fes propres Qbj Plutieurs rois des In- mains; & fit travaiiler a, 1 a foie, des font de meme. Relation du dans fon palais, fimperatrice & royaume de Siam, par la Lou- fes femmes. Hiftoirede la Chine. here , pag. 69. (V) M. Hyde, religion des (c) Veuty, troifieme empe- Perfes. < - , -- - - — ■ -r- r-r—r - " - j> C H A P I T R E IX. Moyens d''encourager Vindufirie . JE ferai voir , au livre XIX, que les nations pareffeu- fes font ordinairement orgueilleufes. On pourroit tour- ner 1’effet contre la caufe * & detruire la pareife par l’or- gueil. Dans le midi de FEurope, oil les peuples font ft frappes par le point d’honneur, il feroit bon de donner des ptix aux laboureurs qui auroient le mieux cultive leurs Livre XIV , Chapitre IX. ay i champs, ou aux ouvriers qui auroient porte plus loin leur induftrie. Cette pratique reuflira mtime par tout pays. Elle a fervi de nos jours, en Irlande , a 1 etabliflement d’une des plus importantes manufactures de toile qui tbit en Europe. -g ■■ ■■ ■■ ■ -. ■ —a CHAPITRE X. Des loix qui ont rapport a la fobridti des peuples. D ANS les pays chauds, la partie aqueufe du fang fe diffipe beaucoup par la trantpiration (a ); il y faut done fubftituer un liquide pareil. L’eau y eft d’un ufage ad¬ mirable : les liqueurs fortesy coaguleroient les globules (b~) du fang qui reftent apres la diffipation de la partie aqueufe. Dans les pays froids, la partie aqueufe du fang s’ex- hale peu par la tranfpiration ; elle refte en grande abon- dance : on y peut done ufer de liqueurs fpiritueufes , fans que le fang fe coagule. On y eft plein d’humeurs: les liqueurs fortes, qui donnent du mouvement au tang, y peuvent etre convenables. La loi de Mahomet, qui defend de boire du vin, eft done une loi du climat d’Arabie : auffi, avant Ma¬ homet, l’eau etoit-elle la boiffon commune des Arabes. La loi (c) qui defendoit aux Carthaginois de boire du (a) M. Bernier faifant un (b) II y a,dans Ie fang, des voyage de Labor & Cachemir , globules rouges , des parties ecrivoit: Mon corps eft un cri- fibreufes, des globules blancs, ble ; a peine ai-je avatt une & de l’eau dans laquelle nage pinte d'eau, que je la vois for- tout cela. tir comme une rofee de tons meS ( c) Platon, liv. II des loix: ■membresjufqu’auboutdesdoigts. Aridote, du foin des afaires jl'en bois dix pintes par jour ,& domeftiques : Eufebe , prep, cela ne me fait point de mal. ivang, livre XII, chapitre xvii- Voyage de Bernier, tome II, pag. 261, 29a Ds L'E SPRIT DBS LOIX , vin etoic aufli une loi du climat; effe&ivement le cli- mat de ces deux pays eft, a peu pres, le meme. Une pareilie loi ne feroit pas bonne dans les pays froids, oil le climat femble forcer a une certaine ivrogne- rie de nation, bien differente de celle de la perfonne. L’ivrognerie fe trouve etablie par toute la ter re, dans la proportion de la froideur & de l’humidite du cli¬ mat. Paffez de l’equateur jufqu’a notre pole , vous y verrez I’ivrogtierie augmenter avec les degres de lati¬ tude. Paffez du meme equateur au pole oppofe, vous y trouverez l’ivrognerie after vers le midi (J), comme de ce cote-ci elle avoit ete vers le nord. II eft naturel que, la ou le vin eft contraire au cli¬ mat , & par conlequent a la fante, l’exces en fcit plus feverement puni, que dans les pays ou l’ivrognerie a . peu de mauvais effets pour la perfonne; ou elle en a peu pour la fociete; ou elle ne rend point les homines furieux, mais foulement ftupides. Ainfi les loix (e) qui ont puni un homme ivre, & pour la faute qu’il faifoit & pour I’ivreffe, netoient appliquabies qua 1’ivrogne rie de la perfonne, & non a 1’ivrognerie de la nation. Un Ailemand boit par coutume, un Efpagnol par choix. Dans les pays chauds, le relachement des fibres pro- duit une grande tranfpiration des liquides : mais les par¬ ties folides fe diffipent moins. Les fibres, qui n’ont quune aftion ties-foible & peu de reffort, ne s’ufent gueres; 11 faut peu de fuc nourricier pour les reparer: on y mange done tres-peu. Ce font les differens befoins,'dans les differens climats, qui ont forme les differentes manieres de vivre; & ces differentes manieres de vivre ont forme les diverfes fortes de loix. Que, dans une nation, les homines fe commu- niquent beaucoup, il faut de certaines loix; il en faut d’au- tres, chez un peuple ou Ton ne fe communique point. (d~) Cela fe voit dans les Hot- (e) Comme fit Pittacus, felon tentots&lespeuplesdela.pointe Ariftote, politiq. 1 . II, chap.m. de Cliily , qui font plus pres du II vivoit dans un climat oil fivro- fud. gnerie n’eft pas un vice de nation. L 1 v ft £ XIV , C h a,p i t' ii e XI. 293 CH APITRE XL Des loix qui ont rapport aux maladies du climat. H ERODOTE (a ) nous dit que les loix des juifs fur la lepre ont ete tirees de la pratique des Egyptiens. En effet, les mdmes maladies demandoient les memes remedes. Ces loix furent inconnues aux Grecs &c aux premiers Romains, auffi bien que le mal. Le climat de l’Egypte & de la Paleftine les rendit neceffaires ; & la facilite qu’a cette maladie a fe rendre populaire nous doit bien faire fentir la fageffe & la prevoyance de ces loix. Nous en avons nous-mdmes eprouve les effets. Les croifades nous avoient apporte la lepre; les reglemens fages que I’on fit l’empecherent de gagner la made du peu pie. On voit, par la loi (£) des Lombards, que cette maladie etoit repandue en Italie avant les croifades, & merita l’attention des legiflateurs. Rotharis ordonna qu’un lepreux, chaffe de fa maifon, &t relegue dans un endroit particulier, ne pourroit difpofer de fes biens; parce que , des le moment qu’il avoit ete tire de fa maifon, il etoit cenfe mort. Pour empecher toute com¬ munication avec les lepreux, on les rendoit incapables des effets civils. Je penfe que cette maladie fut apportee en Italie par les conqudtes des etnpereurs Grecs, dans les armees defquels il pouvoit y avoir des milices de la Paleftine ou de l’Egypte. Quoi qu’il en foit, les progres furent arr£tes iufqu’au temps des croifades. On dit que les foldats de Pompee, revenant de Sy- Qa') Liv. IT. (£) Liv. II, tit. 1, §. 3, & tit. 18, §. 1. T iij 894 D E L ' E SPRIT D E S L 0 / X, rie, rapporterent une maladie a peu pres pareiile a la lepre. Aucun re'glement, fait pour lors, n’eft venu juf- qu’a nous: mais il y a apparence qu’il y en eut, puif- que ce mal fut fufpendu jufqu’au temps des Lombards. 11 y a deux liecles qu’une maladie, inconnue a nos peres, pa/fa du nouveau monde dans celui-ci, & vint attaquer la nature humaine jufques dans la fource de la vie & des plailirs. Oh vit la plupart des plus gran- des families du midi de l’Europe perir par un mal qui devint, trop commun pour dtre honteux, & ne fut plus que funefte. Ce fut la foif de For qui perpetua cette ma¬ ladie; on alia fans celfe en Amerique, & on en rap- porta toujours de nouveaux levains. Des raifons pieufes voulurent demander qu’on laiffat cette punition fur le crime : mais cette calamite etoit entree dans le fein du mariage , & avoit deja cor- rortipu.Fenfance meme. Comme il eft de la fagefte des legiftateurs de veil- ler a lafante des citoyens, il eut ete tres-cenfe d’ar- rdter cette communication par des loix faites fur le plan des loix Mofaiques. , La pefte eft un mal dont les ravages font encore plus prompts & plus rapides. Son fiege principal eft en Egyp- te, d’ou elle fe repand par tout l’univers. On a fait, dans la plupart des etats de l’Europe , de tres-bons reglemens pour Fempdcher d’y penetrer, & on a ima¬ gine , de nos jours, un moyen admirable de l’arre- .ter : on forme une ligne de troupes autour du pays infedle, qui empeche toute communication. Les (c) Turcs, qui n’ont a cet egard aucune po¬ lice , voient les Chretiens, dans la mdme viile, echap- per au danger, & eux feuls perir. Ils achetent les ha¬ bits des peftiferes, s’en vetiftent & vont leur train. La doftrine d’un deftin rigide, qui regie tout, fait du ma- giftrat un fpedfateur tranquille : il penfe que dieu a deja fait, & que lui n’a rien a faire. ¥ ' » ■ ... n ■ ... . . (c) Ricaut, de l’empirc Ottoman, pag. 284. LlVRE X IF, C IIA-PI THE XII. 295 < 1 - ■■ ---— —-y , CHAPITRE XII. Des loix contre ceux qui fe tuent (a) eux-memes. iPSFous ne voyons point, dans leshiftoires, que les Romains fe fiffent mourir fans fujet : mais les Anglois fe tuent, fans qu’on puifle imaginer aucune raifon qui les y determine ; ils fe tuent dans le fein m£me du bon- heur. Cette aftion , chez les Romains, etoit l’effet de l’education ; elle tenoit a leur maniere de penfer.fk a leurs coutumes : chez les Anglois; elle eft l’effet d’une maladie (£); elle tient a l’etat phyfique de la machine, & eft independante de toute autre caufe. II y a apparence que c’eft un defaut de filtration du fuc nerveux : la machine, dont les forces inotrices fe trouvent a tout moment fans adlion, eft lafte d’elle-meme; lame ne lent point de douleur, mais une certaine diffi- culte de 1 ’exiftence. La douleur eft un mal local, qui nous porte au defir de voir ceffer cette douleur; le poids de la vie eft un mal qui n’a point de lieu particulier, & qui nous porte au defir de voir finir cette vie. II eft clair que les loix civiles de quelques pays ont eu des raifons pour fletrir Hromicide de foi- meme : mais , en Angleterre, on ne peut pas plus le punir qu’on ne punit les effets de la demence. (a) L’aftion de ceux qui fe tuent eux-memes eil contraire ti la loi naturelle, & rt Ja reli¬ gion r£vtoe. (£) Elle pourroit bien toe compliquee avec le fcorbut, qui , fur-tout dans quelques pays, rend un horame bizarre & infupportable a lui-meme. Voyage de Francois Pyrard, part. II, chap. xxr. T iv 2 r>6 De l'e sprit des loix , - ' --- ■. r ^e CHAPITRE XIII. Effets qui rdfultent du climat d''Angleterre. D.NS une nation a qui une maladie du climat af- fefte tellement l’ame, qu’elle pourroit porter le de'gout de toutes chofes, jufqu’a celui de la vie, on voit bien que le gouvernement qui conviendroit le mieux a des gens a qui tout feroit infupportable , feroit celui oil ils ne pourroient pas fe prendre a un feul de ce qui cau- feroit leurs chagrins ; & oil les loix gouvernant plutot que les homines, il faudrojt, pour changer l’etat, les renverfer elles-memes. Que fi la meme nation avoit encore requ du climat un certain caraiftere d’impatience , qui ne lui permit pas de fouffrir long-temps les memes chofes; on voit bien que le gouvernement dont nous venons de par- 3er feroit encore le plus convenable. Ce caraftere d’impatience n’eft pas grand par lui— meme; mais il peut le devenir beaucoup, quand il eft joint avec le courage. Il eft different die la legerete, qui fait que l’on en- treprend fans fujet, & que I’on abandonne de meme. 11 approche plus de 1’opiniatrete; parce qu’il vient d’un fentiment des maux, fi vif, qu’il ne s’affoiblit pas meme par 1’habitude de les fouffrir. Ce caraflere, dans une nation libre, feroit tres-pro- pre a deconcerter les projets de la tyrannie (a), qui eft toujours lente & foible dans fes commencemens, pomme elle eft prompte & vive dans fa fin ; qui ne rnontre d’abord qu’une main pour fecourir, &c opprime erifuite avec une infinite de bras. (a) Je prends ici ce mot pour le defTein de renverfer le pou- voir etabli, & fur-tout la ddmocratie. C’eft la fignification que lui dounoient les Grecs & les Romaius. Livr e XIV , Chapitre XIII. 297 La fervitude commence toujours par le fommeil. Mais un peuple qui n’a de repos dans aucune fituation , qui fe tate fans ceffe , & trouve tous les endroits doulou¬ reux , ne pourroit gueres s’endormir. La politique eft une lime fourde, qui ufe & qui par* vient lentement a fa fin. Or, les homines dont nous venons de parler ne pourroient foutenir les lenteurs , les details, le fang-froid des negotiations, ils y reuffi- roient fouvent moins que toute autre nation; & ils per- droient, par leurs traites, ce qu’ils auroient obtenu par leurs armes. ■c , ■■ — ■ . 3. CHAPITRE XIV. Autres ejfets du climat. Nos peres, les anciens Germains , habitoient un climat oil les paffions etoient tres- calmes. Leurs loix ne trouvoient, dans les chofes, que ce qu’elles voyoienr, & n’imaginoient rien de plus. Et, comme elles jugeoient des infultes faites aux hommes par la grandeur des blet- fures, elles ne mettoient pas plus de rafinement dans les offenfes faites aux femmes. La loi des Allemands (a) eftla-deffus fort finguliere. Si l’on decouvre une femme a la tete, on paiera une amende de fix fols ; autant ft c’eft a la jainbe jufqu’au genou; le double depuis le genou. II femble que la loi mefuroit la grandeur des outrages faits a la perfonne des femmes, comme on mefure une figure de geometrie ; elle ne puniffoit point le crime de rimagination, elle puniffoit celui des yeux, Mais, lorfqu’une nation Germanique fe fut tranfportee en Efpagne, le climat trouva bien d’autres loix. La loi des Wifigoths defendit aux medecins de laigner une fem¬ me ingenue qu’en prefence de fon pere ou de fa mere, la') Chap, lviji, §. 1 & a. ay 8 De Desprit des loix, de fon frere, de fon fils, ou de fon oncle. L’imagina- tion des peuples s alluma, cede des legiflateurs s’echauffa de la loi foupconna tout, pour un peuple qui pouvoit tout foupqonner. Ces loix eurent done une extreme attention fur les deux fexes. Mais il femble que, dans les punitions qu’elies firent, elles longerent plus a flatter la vengeance parti- culiere, qu’a exercer la vengeance publique. Ainfi, dans la plupart des cas, elles reduifoient les deux coupahles dans la fervitude des parens ou du mart offenfe. Une femme (£) ingenue, qui s'etoit livree a un homme ma¬ rie, etoit remife dans la puiflfance de fa femme, pour en dilpoTer a fa volonte. Elles obligeoient les efclaves (c) de Her & de prefenter au mari fa femme qu’ils furpre- noient en adultere : elles permettoient a fes enfans (d) de l’accufer, & de mettre a la queflion fes efclaves pour la convaincre. Auffi furent-elles plus propres a rafiner a l’exces un certain point d’honneur, qu’a former une bonne police. Et il ne faut pas etre etonne fi le comte Julien crut qu’un outrage de cetfe e/pece demandoit la perte de fa patrie & de fon roi. On ne doit pas itre furpris fi les Maures, avec une telle conformite de moeurs, trouverent tant de facilite a s’etablir en Efpagne, a s’y maintenir, a retarder la chute de leur empire. fb') Loi des Wiligoths, liv. Ill, tit. 4 , §. 9. fc) Ibid. liv. Ill, tit. 4. §. 6 . (d') Ibid. liv. Ill, tit. 4, §. 13. CHAPIT1E XV. De la dijfirente confiance que les loix ont dans Is- peuple , felon les climats. JLjE peuple Japonois a un caraflere fi atroce , que fes legiflateurs & fes magiftrats n’ont pu avoir aucuns L i v s. e XIV , Chai'itre XV, 299 confiance en lui : ils ne lui ont mis devant ies yeux qite des juges, des menaces des chatimens: iis 1’ont foumis, pour chaque demarche , a l’inquifition de la police. Ces loix qui, fur cinq chefs de famille , en etabliffent un comme magiftrat fur les quatre autres ; ces loix qui, pour un feul crime, puniffent toute une famille ou tout un quartier ; ces loix qui ne trouvent point d’innocens la oil il peuty avoir uncoupable, font takes pour que tous les homines fe mef.ent les uns des autres, pour que chacun recherche la conduite de cha- cun, &c qu’il en foit l’infpe&eur, le temoin &c le juge. Le peuple des Indes, au contraire, eft doux (a), tendre , compatilTant. Aufli fes legiflateurs ont-ils eu une grande confiance en lui. Ils one etabli peu (b) de peines, & elles font peu feveres; elles ne font pas mdme rigoureufement executees. Ils ont donne les ne- veux aux oncles, les orphelins aux tureurs, comme on les donne ailleurs a leurs peres : ils ont regie la fuc- celfion par le merite reconnu du fucceffeur. 11 lemble qu’i/s ont penle que chaque citoyen devoir fe repofer fur le bon naturel des autres. Ils donnent aifement la liberte (c) a leurs efclaves; ils les marient; ils les traitent comme leurs enfans (d): heureux climat, qui fait naitre la candeur des moeurs, Sc produit la douceur des loix ! (a) Voyez Bernier, tome II, page 140. Voyez, dans le quator- zieme recueil des lettre$edifian- ies , pag. 403 , les principals loix ou coutumes des peuples de l’lnde de la prefqu’ifle degk Is Gauge. (e) Lettres £difiantes, neu- vieme recueil, pag. 378. (d) J’avois penfe que la dou¬ ceur de l’efclavage aux Indes avoit fait dire a Diodore qu’il n’y avoit , dans ce pays , ni maitre, ni efclave : mais Dio¬ dore a attribu^ a toute I’inde ce qui, felon Strabon, iiv. XV, n’etoit propre qu’a une nation particuliere. 300 De l’e sprit des loix , L I V R E XV. Comment les loix de Vefclavage civil ont du rapport avec la nature du climat. ------_ ■ ■ - ■ _ 9 ; CH API THE PREMIER. De Vefclavage civil. I-j’es cl A v AG E proprement dit eft l’etabliffement dun droit qui rend un homme tellement propre a un autre homme, qu’il eft le maitre apfolu de fa vie & de fes biens. II n’eft pas bon par fa nature : il n’eft utile ni au maitre, ni a l’efclave : a celui-ci, parce qu’il ne peut rien faire par vertu ; a celui-la , parce qu’il con- trade avec fes efclaves toutes fortes de mauvaifes habi¬ tudes , qu’il s’accoutume .infenfiblement a manquer a toutes les vertus morales, qu’il devient fier , prompt , dur, colere, voluptueux , cruel. Dans les pays defpotiques , ou l’on eft deja fous 1’ef- clavage politique, l’efclavage civil eft plus tolerable qu’ail- leurs. Chacun y doit etre affez content d ’y avoir fa fub- fiftance & la vie. Ainfi , la condition de l’efclave n’y eft gueres plus a charge que la condition du fujet. Mais, dans le gouvernement monarchique, ou il ell fouverainement important de ne point abbattre ou avilir la nature humaine, il ne faut point d’efdaves. Dans la de'mocratie ou tout le monde eft egal, & dans l’arif- tocratie ou les loix doivent faire leurs efforts pour que tout le monde foit aufli egal que la nature du gouver¬ nement peut le permettre, des efclaves font contre l’ef- prit de la conftitution ; ils ne fervent qu’a donner aux citoyens une puiffance & un luxe qu’ils ne doivent point avoir. Livre XV , Chap it re II. 301 - -- -— - -r-=;.* CHAPIT1E II. Origins du droit de Vefcl'avage , chez les jurifconfultes Remains. On ne croiroit jamais que c’eut ete la pitie qui eut etabli l’efclavage ; & que, pour cela, elle s’y fut prife de trois manieres (*z). Le droit des gens a voulu que les prifonniers fuffent ef- claves, pour qu’on ne les tuat pas. Le droit civil des Ro- mains permit a des debiteurs, que leurs creanciers pou- voient maltraiter, de fe vendre eux-memes : & le droit nature! a vouiu que des enfans, qu’un pere efclave ne pou- voit plus nourrir, fuffent clans l’elclavage comme leur pere. Ces raifons des jurifconiultes ne font point fenfees. II eft faux qu’il foit permis de tuer dans la guerre, au- rretnent que dans le cas de neceftite : mais, des qu’un homine en a fait un autre efclave, on ne peut pas dire qu’il ait ete dans la neceftite de le tuer, puifqu’il ne l’a pas fair. Tout le droit que la guerre peut donner fur les captifs, eft de s’affurer tellement de leur perfonne, qu’ils ne puiflent plus nuire. Les homicides fairs de fang- froid par les foldats, & apres la chaleur de Faction, font rejettes de toutes les nations (£) du monde. 2?. II n’eft pas vrai qu’un horame libre puiffe fe vendre. La vente fuppofe un prix : l’efclave fe ven- dant, tous Ces biens entreroient dans la propriete du maitre, le maitre ne donneroit done rien , & l’efclave ne recevroit rien. II auroit un ptcuh , dira-f-on : mais le pecule eft acceffoire a la perfonne.^ S’il n’eft pas permis de fe tuer, parce qu’on fe derobe a fa patrie, il n’eft pas plus permis de fe vendre. La liberte de chaque ci- toyen eft une partie de la liberte publique. Cette qualite , (ji~) Inftit. de Juftinien , liv. I. ( b) Si Ton ne veut cit'er cellos qui mangent icurs prifonniers. 302 De l* esprit des loix, clans l’etat popnlaire, eft meme line partie de la fouve- rainete. Vendre fa qualite de citoyen eft un (c) afte d’une extravagance, quon ne peut pas la fuppofer dans un homme. Si la liberte a un prix pour celui qui l’a- chete, elle eft fans prix pour celui qui la vend. La loi civile, qui a permis aux hommes le partage des biens, n’a pu mettre au nombre des biens une partie des hom¬ mes qui devoient faire ce partage. La loi civile, qui reftitue fur les contrats qui contiennent quelque iefion, ne peut s’empdcher de reftituer contre un accord qui contient la Iefion la plus enorine de toutes. La troifieme maniere, c’eft la naiflance. Celled tombe avec les deux autres. Car, ft un homme n’a pu fe vendre, encore moins a-t-il pu vendre fon fils qui n’e- toit pas ne : ft un prifonnier de guerre ne peut etre reduit en fervitude , encore moins fes enfans. Ce qui fait que la mort d’un criminel eft une chofe licite, c’eft que la loi qui le punit a ete faite en fa fa- veur. Un meurtrier, par exemple, a joui de la loi qui le condamne; elle lui a confe rve la vie a tous les inf- tans : il ne peut done pas reclamer contre elle. 11 n’en eft pas de meme de l’efclave : la loi de 1’efclavage n’a jamais pu lui etre utile; elle eft, dans tous les cas, contre lui, fans jamais etre pour lui; ce qui eft con- traire au principe fondamental de toutes les focietes. On dira qu’elle a pu lui dtre utile, parce que le mai- tre lui a donne la nourriture. II faudroit done reduire l’efclavage aux perfonnes incapahles de gagner leur vie. Mais on ne veut pas de ces efclaves-la. Quant aux enfans, la nature, qui a donne du lait aux meres, a pourvu a leur nourriture; & le refte de leur enfance eft ft pres de lage oil eft en eux la plus grande capa- cite de fe rendre utiles, qu’on ne pourroit pas dire que celui qui les nourriroit pour etre leur maitre, donnat rien. L’elclavage eft d’ailleurs aufti oppofe au droit civil qu’au droit nature!. Quelle loi civile pourroit empecher (c) Te parle de l’elclavage pris a la rigueur, tel qu’il 6toit chez lis Rom'ains, & qu’il eft dtabii dans nos colonies. L i y r e XV, Chap it he II. 303 an efclave de fuir, lui qui n’eft point dans la fociete, & que par confequent aucunes loix civiles ne concer¬ ned ? il ne peut etre retenu que par une loi de famille ; c eft-a-dire , par la loi du maitre. ■a - ■ ■■ ■ — ■ . . 1 .. . — CHAPITRE III. Autre origine du droit de I'efclavage. J’AIMEROIS autant dire que Is droit de I’efclavage vient du mepris qu’une nation conqoit pour une autre, fonde fur la difference des coutumes. Lop'ds de Gama ( a) dit, » que les Efpagnols trouve- « rent, pres de fainte Marthe, des paniers ou les habi- « tans avoient des denrees; c etoient des cancres , des li- « rnacons, des cigales , des fauterelles. Les vainqueurs en « firent un crime aux vaincus. « L’auteur avoue que c’eft Ja deffus qu’on fonda Ie droit qui rendoit les Americains efclaves des Efpagnols; outre qu’ils fumoient du tabac, & qu’ils ne fe faifoient pas la barbe a l’Efpagnole. Les connoiffances rendent les hommes doux; la rai- fon porte a 1’humanite : il n’y a que les prejuges qui y faffent renoncer. (a) Biblioth, Angl. tome XIII, deuxieme partie, art. 3. CHAPITRE IY. Autre origine du droit de I'efclavage. J’AIMEROIS autant dire que la religion donne a ceux qui Ja profeffent un droit de reduire en fervitude ceux qui ne la profeffent pas , pour travailier plus aifement a fa propagation. 304 Be l’esprIT n e s l 0 1 x, Ce fut cette maniere de penfer qui encouragea les deftrudeurs de l’Amerique dans les crimes (a). C’eft fur cette idee qu’ils fonderent le droit de rendre tant de peuples efclaves; car ces brigands, qui vouloient abfo- lument etre brigands Sc chretiens, etoient tres-devots. Louis XIII (Z’) fe fit une peine extreme de la loi qui rendoit efclaves les negres de fes colonies: mais, quand on lui eut bien mis dans l’efprit que c’etoit la voie la plus fure pour les convertir, il y confentit. («) Voyez liiiftoire de la (£) Le pere Lab at , nou- conquete du Mexique, par So- veau voyage aux ides de l’Amd- lis ; & celle du Perou, par Gar- rique , tom. IV s pag. 114, cilatfo de la Vega. 1722, in-12. 4 ■ ■ - — •• .. 1 ' ■■■=> » CH.APITR.E V. Be Fefclavage des negres. Si j’avois a foutenir le droit que nous avons eu de rendre les negres efclaves, void ce que je dirois. Les peuples d’Europe ayant extermine ceux de l’Ame¬ rique , ils ont du mettre en efclavage ceux de l’Atrique , pour s’en fervir a defricher tant de terres. Le fucre feroit trop cher, fi Ton ne faifoit travailler la plante qui le produit par des efclaves. Ceux dont il s’agit font noirs depuis les pieds jufqu’a la tete ; St ils ont le nez fi ecrafe, qu’il eft prefque impoffible de les plaindre. On ne peut fe mettre dans l’elprit que dieu, qui eft un etre tres-fage, ait mis une ame, fur-tout une ame bonne , dans un corps tout noir. Il eft fi naturel de penfer que c’eft la couleur qui conftitue l’eftence de l’humanite, que les peuples d’Afie, qui font des eunuques, privent toujours les noirs du rap¬ port qu’ils ont avec nous d’une facon plus marquee. On peut juger de la couleur de la peau par celle des che- Li V RE XV , C H A PITRE V. 305 ctieveux , qui, chez les Egyptiens, les meilleurs phi- lofophes du monde, etoient d’une fi grande confequence, qu’ils faifoient mourir tous les hommes roux qui leur tom* boient entre les mains* Une preuve que les negres n’ont pas le fens com- mun, cell qu’ils font plus de cas d’un collier de verre, que de l’or, qui, chez des nations policees, eft d’une fi grande confequence. II eft impoflible que nous fuppofions que ces gens- la foient des hommes; parce que , ft nous les fuppo¬ fions des hommes, on cominenceroit a croire que nous ne fommes pas nous-meines chretiens. De petits efprits exagerent trop l’injuftice que l’on fait aux Africains. Car, fi elle etoit telle qu’ils le di- fent, ne feroit-il pas venu dans la tete des princes d’Eu- tope, qui font entre eux tant de conventions inutiles, d’en faire une generate en faveur de la mifericorde & de la pitie? 4 -. - :r^r-r rrz CHAPITRE VL Veritable origins du droit de Vefclavcige » Xl eft temps de chercher la vraie origine du droit de 1’efclavage. II doit etre fonde fur la nature des chofess voyons s’il y a des cas ou il en derive. Dans tout gouvernement defpotique, on a une grande facilite a fe vendre : Tefclavage politique y aneantit, ers quelque faqon, la liberte civile,^ M. Perry (a) clit que les Mofcovites fe vendent tres- aifevnent : j’en fqais bien la raifon; c’eft que leur li¬ berte ne vaut rien. A Achim, tout le monde cherdhe a fe vendre. Quel-< (a) Etat prefent de la grande-Ruffie, par jean Perry , R*’ tis, 1717, tn-i2, Tome I, V 30 6 De l'e sprit n e s l o ix, ques-uns des prirtcipaux feigneurs fb) n’ont pas moiits de miile e/claves, qui font des principaux marchands, qui ont aulii beaucoup d’efclaves fous eux ; & ceux-ci beaucoup d’autres : on en.herite, & on les fait trafi- quer. Dans ces etats , les homines libres, trop foibles contre le gouvernement, cherchent a devenir les efcla- ves de ceux qui tyrannifent Ie gouvernemenf. C’eft la l’origine jufte, & conforme a la raifon, de ce droit d’efclavage tres-doux que l’on trouve dans quel- ques pays : & il doit dtre doux, parce qu’il eft fonde fur le choix libre qu’un honime, pour fon utilite, fe fait d’un maitre; ce qui forme une convention reciproque en'tre les deux parties. fb) Nouveau voyage autour du monde, par Guillaume Dam- pi err e , tom. Ill , Amfterdam, 1712. ■g . ■ . C IT A P I T R E VII. Autre origins‘ du droit de Vefclavage. "V OICI une autre origine du droit de l’efclavage, & m^me de cet efclavage cruel.que l’on voit parmi les hommes. II y a des pays ou la chaleiir enerve le corps, & af- foiblit ft fort le courage, que les hommes ne font por- tes a un devoir penible que par la crainte du chatiment: Fefclavage y choque done moins la raifon; & le mai¬ tre y etant auffi lache a Fegard de fon prince, que fon efclave l’eft a fon egard, l’efclavage civil y eft encore accompagne de l’efclavage politique. Arijiote fa) veut dire qu’il y a des efclaves par na¬ ture; & ce qu’il dit ne le prouve gueres. Je crois que, s’il y en a de tels, ce font ceux dont je viens de parler. («) Poiit, liv. I. chap, u Lip re XV, Chapitre VII. 307 Mais, corame tous les hommes naiftent egaux, il faut dire que l’efclavage eft contre la nature, quoique, dans certains pays, 11 foit fonde fur une raifon naturelle; 6C il faut bien diftinguer ces pays d’avec ceux ou les rai- fons naturelles indmes. le rejettent, comme les pays d’Eu- rope ou il a ete fi heureufement aboli. Plutarque nous dit, dans la vie de Numa, que, dil temps de Saturne , il n’y avoit ni rtiaitre, ni efclave. Dans nos climats, le chriftianifme a ramene cet age. „ _ _ -—- CHAPITRE VIII. Inutiliti de Fefclavage par mi nous. I L faut done borner la fervltitde naturelle a de cer¬ tains pays particulars de la terre. Dans tous les autres, il me femble que, quelque penibles que foient les tra- vaux que la fociete y exige, on peut tout faire avec des hommes libres. Ce qui me fait penfer ainfi , e’eft qu’avant que le chriftianifme eut aboli en Europe la fervitude civile, on regardoit les travaux des mines comme fi penibles, qu’on croyoit qu’ils ne pouvoient etre faits que par des efcla- ves ou par des criminels. Mais on fqait qu’aujourd’hui les hommes qui y font employes vivent heureux (a). On a, par de petits privileges , encourage cette pro- feffion ; on a joint, a l’augmentation du travail, cells du gain; & on eft parvenu a leur faire aimer leur con¬ dition plus que toute autre qu’ils euflent pu prendre. 11 n’y a point de travail fi penible qu’on ne puifle proportionner a la force de celui^qui le fait, pourvu que ce foit la raifon & non pas l’avarice qui le regie. On peut, par la commodite des machines que l’art in- Qa~) On peut fe faire inftruire de ce qui fe paffe, A cet egard, dans les mines du Hartz dans la balfe-Ailemagne, & dans celles de Hongrie. ' y 5 308 Be l 1 e sprit des l o i x, vente ou applique , fuppleer au travail force qu’ailleurs on fait faire aux efclaves. Les mines des Turcs, dans le bannat de Temefwar , etoient plus riches que celles de Hongrie; & elles ne produifoient pas tant, parce qu’ils n’imaginoient jamais que les bras de leurs efclaves. Je ne fqais ft c’eft l’efprit ou le coeur qui me didfe cet article-ci. II n’y a peut-etre pas de climat fur la terre ou Ton ne put engager au travail des hommes li¬ tres. Parce que les loix etoient mal faites, on a trouve des hommes pareffeux; parce que ces hommes etoient pareffeux, on les a mis dans l’efclavage. 'fi s=.7.rs s =s=s =====! ... r.r- - - ^ ' CHAPITRE IX. Des nations chez lefquelles la liberte civile eft gini- ralement dtablie. On entend dire, tons les jours, qu’il feroit bon que,’ parmi nous, il y eut des efclaves. Mais, pour bien juger de ceci, il ne faut pas exa¬ miner s’ils feroient utiles a la petite partie tiche & vo- luptueufe de chaque nation; fans doute qu’ils lui feroient utiles. Mais, prenant un autre point de vue, je ne crois pas qu’aucun de ceux qui la compofent voulut ti- rer au fort, pour fqavoir qui devroit former la partie de la nation qui feroit libre, & celle qui feroit efclave. Ceux qui parlent le plus pour l’efclavage l’auroient Je plus en horreur, & les hommes les plus miferables en auroient horreur de meme. Le cri pour I’efclavage eft done le cri du luxe & de la volupte, & non pas ce- lui de l’amour de la felicite publique. Qui peut dou¬ rer que chaque homme, en particulier, ne fut tres-con¬ tent d’dtre le maitre des biens, de l’honneur & de la vie des autres; & que toutes fes paffions ne fe reveil- laffent d’abord a cette idee ? Dans ces chofes, vou- lez-vous fqavoir fi les defirs de chacun font legitimes 3 examinez les defirs de tous. L l V RE XP, Chapitre X. 309 a -— - a : -:== aj-gSSgSiSg --."^ =8j CHAPITRE X. Diverfes efpeces cTefdavage. Il y a deux fortes de fervitude, la reelle 6c la per-' fonnelle. La reelle eft celle qui attache l’efclavage aux fonds de terre. C’eft ainfi qu’etoient les efclaves chez les GeTmains, au rapport de Tacite (a). 11s n’avoient point d’office dans la maifon; ils rendoient a leur mat- tre une certaine quantite de bled, de beta'll ou d’etoffe : l’ob’]et de leur efclavage n’alloit pas plus loin. Certe ef- pece de fervitude eft encore etablie en Hongrie , en Bo- heme, & dans plufteurs endroits de la bafte-Allemagne. La fervitude perfonnelle regarde le miniftere de la maifon, & fe rapporte plus a la perfonne du maitre. L’abus extreme de l’eiclavage eft loriqu’i! eft, en me- me temps, perfonnel & reel. Telle etoit la fervitude des Ilotes chez les Lacedemoniens; ils etoient foumis a tous les travaux hors de la maifon , & a toutes fortes d’in- fultes dans la maifon : cette ilotie eft centre la nature des chofes. Les peuples fivnpies n’ont qu’un efclavage reel f b ) , parce que leurs femmes & leurs enfans font les travaux domeftiques. Les peuples voluptueux ont un efclavage perfonnel, parce que le luxe demande le fer- vice des efclaves dans la maifon. Or Yilotie joint, dans les mernes perfonnes, l’efclavage etabli chez les peu* pies voluptueux , 6c celui qui eft etabli chez les peu¬ ples fimples, (0) De moribus German. mains, dijlinguer le maitre de (b) Fous ne pottrriez , dit Pefclave, par les dilices de l* Tacite fur les moeuts des Ger- vie. JIO De t'ESfRJT DBS 10/ A’, a -m i rraBB!- - CHAPITRE XI. Ce que les loix doivent fairs par rapport d Fefclavags . JVXais , de quelque nature que foit l’efclavage, il faut que les loix civiles cherchent a en oter, d’un cote les abus, & de l’autre les dangers. CHAPITRE XII. Abus ds Fefclavage. Dans les etats mahometans (a) , on eft non-feu« lemeat maitre de la vie & des biens des femmes el- claves , mais encore de ce qu’on appelle leu r vertu on Jeur honneur. C’eft un des malheurs de ces pays, que la plus grande partie de la nation n’y foit faite que pour fervir a la volupte de l’autre. Cette fervitude eft re¬ compense par la pareffe dont on fait ]ouir de pareils efclaves; ce qui eft encore, pour letat, un nouveau analheur. C’eft cette pareffe qui rend les ferrails d’orient (£) des lijjux de delices, pour ceux memes contre qui ils font fairs. Des gens qui ne craignent que le travail peu- vent trouver leur bonheur dans ces lieux tranquilles, Mais on voit que par-la on choque meme Felprit de Fetabliflement de l’efclavage. La raifon veut que le pouvoir du maitre ne s’etende point au-dela des chofes qui font de fon fervice : il faut que Fefclavage foit pour l’utilite, & non pas pour la ('O Voyez Chardin , voyage (£) Idem , tome II, dans fa fje Perfe, defcriptioudumarclied’Izagour. Litre XV, Ch ap ithe XII. gij volupte. Les loix de \a pudicite font du droit nature!, & doivent dtre fenties par toutes les nations du monde. Que ft la loi qui conferve la pudicite des efclaves eft bonne dans les etats ou le pouvoir fans bornes fe joue de tout, combien le lera-t-elle dans les monarchies ? combien le fera-t-elle dans les etats republicans? II y a une difpofition de la loi (V) des Lombards, qui paroit bonne pour tous les gouvernemens. » Si un mai- « tre debauche la femme de fon efclave, ceux-ci feront tous deux libres « : temperament admirable pour pre- venir &c arreter, fans trop de rigueur, l’incontinence des maitres. Je ne vois pas que les Romains aient eu, a cet egard, une bonne police. Ils lacherent la bride a l’incontinence des maitres, ils priverent merne, en quelque faqon, leurs efclaves du droit des manages. C’etoit la partie de la na¬ tion la plus vile : inais, quelque vile qu’elle fut, il eroit bon qu’elle eut des moeurs : .&£, de plus, en lui otant les manages, on corrompoit ceux des citoyens. (0 Liv • E th. 32, §. 5* ,C H A. PIT R E XIII. Banger du grand nombre d'efclaves. Le grand nombre d’efclaves a des effets differensdans les divers gouvernemens. II n’cft point a charge dans le gouverneineot defpotique ; 1'efclavage politique, eta- bli dans le corps de l’e.tat, fait que l’on fent peu Vef- clavage civil. Ceux que Ton appelle homines libres ne le font gueres plus que ceux qui n’y ont pas ce ti- tre ; &c, ceux-ci, en qualite d’eunuques, d’affranchis, ou d’elclaves, ayant en main .prefque toutes les affai¬ res, la condition d’un homme libre & celle d’un en¬ clave fe touchent de fort pres. II ell done prefque iu- Y iv 312 Bel' esprit d e s l o i x, different que peu ou beaucoup de gens y vivent dans l’efclavage. Mais, dans les etats moderes, il eft tres-important qu’il n’y ait point trop d’efclaves. La liberte politique y rend precieufe la liberte civile; & celui qui eft prive de cette derniere eft encore prive de l’autre. II voit une foeiete heureufe, dont il n’eft pas meme partie; il trouve Ja furete dtablie pour les autres, & non pas pour lui; il fent que fon maitre a une ame qui peut s’aggrandir, & que la fienne eft contrainte de s’abbaiffer fans cefle. Rien.ne met plus pres de la condition des betes, que de voir toujours des hommes libres, & de ne l’dtre pas. De tellesi gens font des ennemis naturels de la fo- ciete-; 8c leur nombre feroit dangereux. Il ne faut done pas etre etonne que, dans les gou- vettfomens moderes, letat ait ete ft trouble par la re¬ voke des efclaves, 8c que cela foit arrive ft rarement ( a ) ,dans les etats delpotiques. La revoke des Mammclus dtoit tin cas parcicuiier ; e’etoit un corps de milice qui nfurpa l’empire. . •: ■ ■=:.— ' '3 j C H API T R E XIV. Des efclaves armes. Il eft moins dangereux', darts la monarchic, d’armer les efclaves, que dans les republiques. La, un peuple guerrier, un corps de nobleffe, contiendront aflez ces eiclaves armes. Dans la republique, des homines uni- quement citoyens ne pourront gueres contenir des gens qui, ayant les armes a la main, fe trouveront egaux aux citoyens. Les Goths qui conquirent l’Efpagne fe repandirent dans le pays , & bientot fe trouverent tres-foibles. Ils firent trois reglemens conffoerables : ils abolirent 1’an- L i v r e XV, Ch a pit re XIV. 313 cienne coutume qui leur defendoit de Qd) s’allier par manage avec les Romains; ils etablirent que tous les affranchis (< b') du fife iroient a la guerre, fous peine d’etre reduits en fervitude; ils ordonnerent que chaque Goth meneroit a la guerre Sc armeroit la dixieme (c) partie de fes efclaves. Ce nombre etoit peu confide- rable en comparaifon de ceux qui reftoient. De plus : ces efclaves menes a la guerre par leur maitre ne fai- foient pas un corps fepare ; ils etoient dans 1’armee, & reftoient, pour ainfi dire, clans la famille. Loi des Wifigoths, li- f b~) Ibid. liv. V, tit. 7. §. 20. vrelll, tit. 1, §. 1. .(c) Ibid. liv. IX, tit. 1,5.9. iC f. -— 1 '-'-^-1^ =^ CHAPITRE XV. Continuation du mime fujet. QuAND toute la nation eft guerriere, les efclaves armes font encore moins a craindre. Par la loi des Allemands, un efclave qui voloit (a) une chofe qui avoit ete depofee, etoit foumis a la peine qu’on auroit infligee a un homme libre : mais, s’il l’en- levoit par ( b ) violence, il n’etoit oblige qu a la res¬ titution de la chofe enlevee. Chez les Allemands, les aftions qui avoient pour principe le courage & la force n’e'toient point odieufes. Ils fe fervoient de leurs efclaves dans leurs guerres. Dans la plupart des republiques, on a toujours cherche a abbattre le courage des efclaves: le peuple Allemand, fur de lui-meme , fongeoit a au- gmenter l’audace des fiens; toujours arme', il ne crai- gnoitrien d’eux; c’etoient des inftrumens de fes brigan¬ dages ou de fa gloire. (a) Loi des Allemands, (b) Ibid. chap, v, §. 5, per chap. v. §. 3. virtutem. Si 4 De l'esprit des loix , - ==== !-jj^== ate!SSeigg*g v'. ' CHAPITRE XVI. Precautions a prendre dans le gouvernement modirL 3Lj ’HUM ANXTE que l’on aura pour les efdaves pourra prevenir, dans l’etat modere, les dangers que Ton pour- joit craindre de leur trop grand nombre. Les hommes s’accoutument a tout, & a la fervitude meme, pourvu que le maitre ne (bit pas plus dur que la fervitude. Les Atheniens traitoient leurs efclaves avec une grande dou¬ ceur : on ne voit point qu’ils aient trouble l’etat a Athe- nes, comme ils ebranlerent celui de Lacedemone. On ne voit point que les premiers Romains aient eu des inquie'tudes a l’occafion de leurs efclaves. Ce fut lorfqu’ils eurent perdu pour»eux tous les fentimens de Phumanite, que l’on vit naitre ces guerres civiles qu’on a comparees aux guerres Puniques (a). Les nations fimples, & qui s’attachent elles-memes au travail, ont ordinairement plus de douceur pour leurs efclaves, que celles qui y ont renonce. Les premiers Romains vivoient, travailloient &c mangeoient avec leurs efclaves: ils avoient pour eux beaucoup de douceur &: d’equite ; la plus grande peine qu’ils leur infligeaffent etoit de les faire paffer devant leurs voifins avec un morceau de bois fourchu fur le dos. Les moeurs fuf- fifoient pour maintenir la fidelite des efclaves; il ne fal¬ len point de loix. Mais, lorfque les Romains fe furent aggrandis; que leurs efclaves ne furent plus les compagnons de leur tra¬ vail, mais les inftrumens de leur luxe & de leur orgueil; comme il n’y avoir point de moeurs, on eut befoin de loix. 11 en fallut melme de terribles, pour etablir la fu- («) La Sidle, dit Floras, fut plus cruelletnent diva file par la guerre fervile, que par la guerre Pvnique . Liv. 111. L / v r e XV, Chap itre XVI. 315 rete de ces maitres ctuels, qui vivoienr au milieu de leurs efclaves comme au milieu de leurs ennemis. Qa fit le fenatus-confulte Sillanien , & d’autres loix (f) CHAPITR.E III. Que la plurality des femmes depend beaucoup de leur entretien. C^UGIQUE, dans Jes pays ou la polygainie eft une fois etablie , ie grand nombre des femmes depende beau- coup des richeffes du mari; cependant on ne peut pas dire que ce foient les richeftes qui faftent etablir, dans urt etat, la polygamie : la pauvrete peut faire le meme effet, comrae je le dirai en parlant des fauvages. La polygamie eft meins un luxe, que 1’occafion d’un grand luxe, chez des nations puiffantes. Dans les cli- mats chauds, on a moins de befoins (a) : il en coute mains pour entretenir une femme & des enfans. On y peut done avoir un plus grand nombre de femmes. (a) A Ceylan, un hormne vit pour dix fo!s par moist on n’y mange que du riz & du poiilon. Recueil des voyages qui out fervi d, 1 'etablijfenient de la compagnie des hides, tome II, ■partie premiere. Livue XVI , Chapitre IV. 325 CHAPITRE IV. De la polygatnie. Ses diverfes circonflances. SuivANT les calculs que l’on fait en divers endroits de 1 ’Europe, il y nait plus de garqons que de filles (a): au contraire, les relations de l’Afie (h) & de l’Afrique (c) nous difent qu’il y nait beaucoup plus de filles que de garqons. La loi d’une feule femme en Europe, 6t cede qui en permet plufieurs en Afie & en Afrique, ont done un certain rapport au climat. Dans les climats froids de l’Afie, il nait, comme en Europe, plus de gardens que de filles. C’efl, difent ies Lamas (J), la raifon de la loi qui, chez eux, permet a une femme d’avoir plufieurs maris (e). Mais je ne crois pas qfi’il y ait beaucoup de pays ott la difproportion foit affez grande, pour qu’eile exige qu’on y introduife la loi de plufieurs femmes, ou la loi de piti- fieurs maris. Cela veut dire feulement que la pltiralite des femmes, ou meme la pluralite des homines, s’eloighe moins de la nature dans de certains pays que dans d’autre*. J’avoue que, fi ce que les relations nous difent etoit vrai, qu’a Bantam (/) il y a dix femmes pour un la') M. Arbutriot trouve qu’en Angleterre le noiribre des gargons excede celui des filles: on a eu tort d’en conclure que ce felt la meme chofe dans tous les climats. (Jb)VoyzzKempfer, qui nous rapporte un cLnombrement de Miaco , ou Ton trouve 182072 males, & 223573 femelles. (c) Voyez le voyage de Gurnee de M. Smith , partie ieconde, fur le pays d’Antd*. (d) Du Halcie , mempires dc la Chine , tom. IV, pag, 4 6. (e) Aibuzeir-el-hall'en, im des deux maliometans AraBcs qui allerent aux Indes & a la Chine au neuvieme fiecle, prend cet ufage pour une proftitiuion. C'eft que rien ne choquoit taut les ideeS mahometanes. (/) Recueil des voyages qui ont fervi a fdtabUflement de la compagnie des Iudes, tain. I. X iij Ii6 Be l'esprit n e s i a 1 x, hoinme, ce ieroit un cas bien particulier de la po- lygamie. Dans tout ceci, je ne juftifie pas les ufagesmais j’en rends les radons. jg , -— —-— .- > CHAPITRE V. Raifon d’ une loi du Malabar. S U R la cote du Malabar, dans la cafte des Nairn (a) , les homines ne peuvent avoir qu’une femme, & une femme au contraire peut avoir plufieurs maris. Je crois qu’on peut decouvrir l’origine de cette coutume. Les Naires font la cade des nobles, qui font les foldats de routes ces nations. En Europe, on empeche les fol¬ dats de fe marier: dans le Malabar, ou le climat exige davantage, on s’eft contente ,de Ieur renclre le mariage aufli peu embarraflant qu’il ed poflible : on a donne une femme a plufieurs homines; ce qui diminue cl’au- tant I’atrachement pour une famille & les loins du me¬ nage , & laiffe a ces gens l’efprit militaire* («) Voyage de Frangois Pyrard , chap, xxvii. Lettres ddi- flantes, troilieme & dixieme recueils, fur le Malleami dans !a cote du Malabar. Cela ell regarde comine un abus de la profeifion mi¬ litaire : &, comme dit Pyrard , une femme.de la carte des Bra- mines n’epouferoit jamais plufieurs maris. . - rui_ ■■■■ - ; .---ja g. C H A P I T R E VI. - v ' Be la polygdmie en elle-meme. REgarder la polygamie en general, indepen- damrhent des circonftances qui peuvent la faire un peu iolerer, elle n’eff point utile au . genre humain, ni a L I r R E XVI , Cha PITRE VI. 327 aucun des deux fexes, foit a celui qui abufe, foit a celui dont on abufe. Elle n’eft pas non plus utile aux enfans ; & un de fes grands inconveniens , eft que le pere & la mere ne peuvent avoir ia mdme affediion pour leurs enfans; un pere ne peut pas aimer vingt en¬ fans, comme une mere en aime deux. C’eft bien pis, quand une femme a plufieurs maris; car, pour lors , l’amour paternel ne dent plus qu’a cette opinion , qu’un pere peut croire, s’il veut, ou que les autres peuvent croire, que de certains enfans lui appartiennent. On dit que le roi de Maroc a, dans fon ferrail, des femmes blanches, des femmes noires, des femmes jau- nes. Le malheureux! a peine a-t-il bdoin d’une couleur. La poffeflion de beaucoup de femmes ne previent pas toujours les defirs ( mais il falloit que la premiere n’eut pas moins. (a) Voyages de Francois Py- (£) Exod. ch. xxr, verf. 10 raid, chap. xu. & ri. ; < rr-- r...v , .y.^-1. » CHAPITRE VIII. De la reparation des femmes d'avec les bommes. Cj’est une confluence de la polygamie, que, dans les nations voluptueufes & riches, on ait un tres-grand nombre de femmes. Leur reparation d’avec les hom- '-mes, & leur cloture, fuivent naturellement de ce grand nombre. L’ordre domeftique Ie demande ainfi; un de- biteur infolvable cherche a fe mettre a couvert des pour- fuites de fes creanciers. Il y a de tels climats oil le phyfique a une telle force, que la morale n’y peut pref- que rien. Laifiez un homme avec une femme; les ten- Litre XVI , Chapitre VIII. 329 rations feront des chutes, l’attaque ftire, la refiftance nulle. Dans ce pays, au lieu de preceptes , il faut des verroux. Un livre claffique de la Chine regarde comme un prodige de vertu de fe trouver feul dans un apparte- ment recule avec une femine, fans lui taire violence (iz). («) Trouver a Tic art un tr&for dent on- foit le maitre; ok une belle femme fenle dam un appartement recule ; entendre la voix de [on ennemi , qui va perir ft on ne le fecourt : admi¬ rable pierre de touche. Traduftion d’un ouvrage Chinois fur la morale dans le P. du Ilalde , tom. Ill, pag. 151.' ---- » CHAPITRE IX. Liciifon du gouvernement domeftique avee le politique. Dans une republique , la condition des cltoyens eft bornee, egale, douce , moderee; tout s’y reflent de la liberte publique. L’empire fur les femmes n’y pourroit pas dtre ft bien exerce; &, lorfque le climat a demande cet empire, le gouvernement d’un feul a ete le plus con- venable. Voila une des raifons qui a fait que le gouverne¬ ment populaire a toujours ete difficile a etablir en orient. Au contraire , la fervitude des femmes eft tres-con- forme au genie du gouvernement defpotique, quiaime a abu/er de tout. Aufli a-t-on vu dans tous les temps, en Afie, marcher d’un pas egal la fervitude domeftique & le gouvernement defpotique. Dans un gouvernement ou Fon demande ftir-tout la tranquillite , & ou la fubordination extreme s’appelie la paix, il faut enfermer les femmes ; leurs intrigues feroient fatales au mari. Un gouvernement qui n’a pas le temps d’examiner la conduite des fujets, la tient pour ftilpeifte, par cela feul qu’elle paroit & qu’elie fe fait fentir. 33® Si lP ESPRIT DES LOIX, Suppofons un moment que la legerete d’efprit 8c les indifcretions, les gouts & les degouts de nos femmes, leurs paffions grandes St petites , fe trouvaffent ttanf- portees dans un gouvernement d’orient, dans l’a&ivite & dans cette liberte ou elles font parmi nous ; quel e/1 le pere de famille qui pourroit dtre un moment tran- quille? Par-tout des gens fufpedfs, par-tout des ennemis; i’e'tat feroit ebranle, on verroit couler des dots de fang. i e-rgr-r — ■ 'i- , - .. ... . fr CHA'PITRE X. Principe de la morale de Porient. Dans Ie cas de la multiplicity des femmes, plus la fa¬ mille ceffe d’etre une, plus les loix doivent reunir a un centre ces parties detachees ; & plus les interets font di¬ vers, plus il eft bon que les loix les ramenent a un interet. Cela fe fait fur-tour par la cloture. Les femmes ne doivent pas feulement etre leparees des hommes par la cloture de la maifon; mais elles en doivent encore dtre feparees dans cette metne cloture, en forte qu’elles y faflent comrae une famille patticuliere dans la famille. De-la derive, pour les femmes, toute la pratique de la morale, la pudeur, la chaftete, la retenue, le filence, la paix, la dependance, le refpeft, l’amour; enfin une dire&ion generale de fentimens a la chofe du monde la meilleure par fa nature , qui eft 1’attachement unique a fa famille. Les femmes ont naturellement a remplir tanr de de¬ voirs qui leur font propres, qu’on ne peut affez les fe- parer de tout ce qui pourroit leur donner d’autres idees de tout ce qu’on traite d’amufemens, & de tout ce qu’on appelle des affaires. On trouve des mceurs plus pures dans les divers etats d’orient, a proportion que k cloture des femmes y eft plus exacte. Dans les grands etats, il y a neceffaire- ment des grands feigneurs. Plus ils ont de grands moyens, Livre XFI, Chap it re X. 331 plus ils font en etat de tenir les femmes clans une exafte cloture, & c!e les empScher. de rentrer dans la fociete. C’eft pour cela que, dans les empires du Turc, de Perfe, du Mogol, de la Chine & du lapon , les mceurs des femmes font admirables. On ne peut pas dire la meme chofe des Indes, que le nombre infini d’ifles, & la fituaticn du terrein , ont divifees en une infinite de petits etats, que le grand nombre des caufes que je n’ai pas le temps de rappor- ter ici rendent defpotiques. La, il n’y a que des miferables qui pillent, & des miferables qui font pilles. Ceux qu’on appelle des grands n’ont que de tres-perits moyens; ceux que l’on appelle des gens riches, n’ont gueres que leur fubliftance. La cloture des femmes n’y peut erre auffi exacle; Ton n’y peut pas prendre d’aufti grandes precautions pour les con¬ tend-; la corruption de leurs mceurs y eft inconcevabie. C’eft-la qu’on voir julqu’a quel point les vices du cli- mat, laifles dans une grande liberre, peuvent porter le defordre. C’eft-la que la nature a une force , & la pudeur une foibleffe qu’on ne peut comprendre. A Pa- tane (a), la lubricite des femmes eft ft grande, que les homines font contraints de fe faire de certaines gar¬ nitures pour fe mettre a l’abri de leurs entreprifes (£). Selon M. Smith (c) , les chofes ne vont pas mieux (a) Recueil des voyages qui out fervi a I’dtabliffement de la compagnie des Indes, tom. II, part. II, pag. 196. (£) AuxMaldives, les peres marient les lilies a dix & onze ans; parce que c’eft un grand peche, difent-i!s, de leur laifler endurer la ndcellite d’hommes. Voyages de Frangois Pirard, chap', xii. ABantam, fitdtqu’une fille a treize ou quatorze ans, il faut la marier, li Ton ne veut qu’elle mene une vie debordee. Recueil des voyages qui ont fervi a T'etabliffement de la compa¬ gnie des Indes , pag. 348. (c) Voyage de Guinee, par- tie II, pag. 192 de la tradudlion. Qtiand les femmes , dit-il, ren- contrent un homme , el/es le fai- fijfent , & le menacent de le di- noncer a leur mari , s'it les mi- prife. Elies fe gliffent dans le lit (Tan homme , el les le r6 veil- lent ; &, s'il les refufe , elks le menacent de fe laiffer pren¬ dre fur le fait. 33 ^ De l'esprit des ioix, dans les petits royaumes de Guinee. II femble que, dans ces pays-Ja , les deux fexes perdent jufqu’a leurs pro- pres ioix. < i ■■■— --- . . - . ■ .. fl i CHAPITRE XI. De la fervltude domejlique , independante de la polygamie. C^E n’eft pas feulement la pluralite des femmes qui exige leur cloture dans de certains lieux d’orient; c’eft le climat. Ceux qui liront les horreurs, les crimes, les perfidies , les noirceurs , les poifons, les affaffinats , que la liberte des femmes fait faire a Goa, & dans les eta- bliftemens des Portugais dans les In des oil la religion ne permet qu’une femme ; & qui les compareront a 1’innocence & a la purete des moeurs des femmes de Turquie, de Perfe, du Mogol, de la Chine & du Ja¬ pan , verront bien qu’il eft fouvent aufti neceftaire de les feparer des hommes , lorfqu’on n’en a qu’une, que quand on en a plufieurs. C’eft le climat qui doit decider de ces chofes. Que ferviroit d’enfermer les femmes dans nos pays du nord, ou leurs moeurs font naturellement bonnes; oil toutes leurs paffions font calmes, peu aftives, pen rafinees; oil l’amour a fur le coeur un empire ft regie, que la moindre police fuffit pour les conduire ? II eft heureux de vivre dans ces clanats qui permet- tent qu’on fe communique; oil le fexe qui a le plus d’a- gremens femble parer la fociete; & oil les femmes, le refervant aux plaifirs d’un feul, fervent encore a i'a- mufement de tous. ' CHAPITRE XYI. De la repudiation & du divorce chez les Romains. R OMUL US permit au mari de repudier la femme, ft elle avoit commis un aduitere, prepare du poifon, ou falfifie les clefs. II ne donna point aux femmes le droit de repudier leur mari. Plutarque (a) appelle cette loi , une loi tres-dure. Comme la loi d’Athenes (Z>) donnoit a la femme, auffi-bien quau mari, la faculte de repudier j & que l’on voit que les femmes obtinrent ce droit chez les premiers Romains, nonobftant la loi de Romulus ; il eft; clair que cette inftitution fut une de cedes que les deputes de Rome rapporterent d’Athenes, & quelle fut mife dans les loix des douze-tables. Ciceron (c) dit que les caufes de repudiation ve- noient de la loi des douze-tables. On ne peut done pas douter que cette loi n’eut augmente le nombre des caufes de repudiation etablies par Romulus. La faculte du divorce fut encore une difpofition, ou du (a) Vie de Romulus. (c) Mimam res fuas ftbiha- (JD C’etoit une loi de So- here juffit , ex duodecim-tabulis Ion. caujjam addidit. Phil. II. Livre XVI , Chapitre XVI. 33-7 du moins une confequence de la loi des douze-tables. Car, des le moment qua la femme ou Ie mari avoit feparement le droit de repudier, a plus forte rai fon pou- voient-ils fe quitter de concert, &c par une volonte mutuelle. La loi ne demandoit point qu’on donnat des caufes pour le divorce (d.). C’eft que, par la nature de lachole, il faut des caufes pour la repudiation, &t qu’il n’en faut point pour le divorce; parce que , la ou la loi etablit des caufes qui peuvent rompre le mariage, l’incompa- tibilite mutuelle eft la plus forte de toutes. Denys <£'Halicamaffe ( e ) , Valere Maximt (/) , & Aulugelle (g ), rapportent un fait qui ne me paroit pas vraifemblable : ils difent que, quoiqu’on eut a Rome la faculte de repudier fa femme, on eut rant de ref- peft pour les aufpices , que perfonne, pendant cinq cens vingt ans (A), n’u/a de ce droit jufqu a Carvilius Ruga, qui repudia la fenne pour caufe de fterilite. Mais il fuffit de connoitre la nature de l’efprit humain, pour fentir quel prodige ce feroit que, la loi donnant a tout un peuple un droit pareil, perfonne n’en ulat. Coriolan, partant pour fon exil, confeilia (i) a fa femme de le marier a un homme plus heureux que lui. Nous venons de voir que la loi des douze-tables, & les moeurs des Romains, etendirent beaucoup la loi de Romulus. Pour- quoi ces extenfions, ft on n’avoit jamais fait ufage de la faculte de repudier } De plus: ft les citoyens eurent un tel refpeft pour les aufpices, qu’ils ne repudierent jamais, pourquoi les legiflateurs de Rome en eurent-ils moins ? Comment la loi corrompit-elle fans cefte les moeurs ? En rapprochant deux paffages de Plutarque , on verra (<0 Juftinien changea cela, novel. 117, chap. x. Liv. II. (f ) Liv. II, chap. iv. (g) Liv. IV, chap. m. Qh') Selon Denys d'Hali- carnafe & Valere Maxime} Tome I. & 523, felon Aulugelle. Audi ne mettent-ils pas les memes confuls. CO Voyez le difcours de VSturie , dans Denys tTHalhar- nafe, livre VIII. Y 338 D E t?E SPRIT I) E a L 0 I X, difparoitre le merveiileux du fait en queftion. La lor royale (k) permettoit au mari de repudier dans les trois cas dont nous avons parle. » Et elle vouloit, dit Plu- » tarque (/), que celui qui repudieroit dans d’autres cas w fut oblige de donner la moitie de fes biens a fa fem- » me, & que l’autre moitie fut confacree a Ceres. « On pouvoit done repudier dans tous les cas, en fe foumettant a la peine. Perfonne ne le fit avant Carvilius Ruga (/«), » qui, comme dit encore Plutarque (rz) , repudia fa fem- » me pour caufe de fterilite , deux cens trente ans apres Ro- w mulus; « e’eft-a-dire, qu’il la repudia foixante & onze ans avant la loi des douze-tables, qui etendit le pou- voir de repudier, & les caufes de repudiation. Les auteurs que j’ai cites difent que Carvilius Ruga airnoit fa femme; mais qua caufe de fa fterilite, les cenfeurs lui firent faire ferment qu’il la repudieroit, afin qu’i! put donner des enfans a la republique; & que cela le rendit odieux au peuple. II faut connoitre le genie du peuple Romain, pour decouvrir la vraie caufe de la haine qu’il con^ut pour Carvilius. Ce n’eft point parce que Carvilius repudia fa femme, qu’il tomba dans la difgrace du peuple : e’eft une chofe dont le peuple ne s’embarraffoit pas. Mais Carvilius avoit fait un fer¬ ment aux cenfeurs qu’attendu la fterilite de fa fem¬ me, il la repudieroit pour donner des enfans a la re¬ publique : e’etoit un joug que le peuple voyoit que les cenfeurs alloient mettre fur lui. Je ferai voir, dans la fuite 0) de cet ouvrage, les repugnances qu’il eut tou- jours pour des reglemens pareils. Mais d’ou peut venir une telle contradiction entre ces auteurs ? Le void : Plutarque a examine un fait, & les autres ont raconte une merveille. (k) Plutarque , vie de Ro- rence qu’il ne fut point fujet ti mulus. la confifcation, puifqu’il fuivoit (/) Id. Ibid. l’ordre des cenfeurs. 0*0 EfFeftivement, la caufe (?z) Dans la comparaifon de de fterilite n’eft point portee par Thef^e & de Romulus, la loi de Romulus. IJ y a appa- (0) Au liv. XXIII, ch. xxi. Livre XVII, Ciiap i the I. 339 L I y R E XVII. Comment les loix de la fervitude politique ont du rapport avec la nature du climat. « ■ T ■ ■r:=rr= ==^=======at!Sg&^^==——==» CHAP IT RE PREMIER. De la fervitude politique. T >A fervitude politique ne depend pas moins de la na¬ ture du climat, que la civile & la domefoque, cornme on va le faire voir. ■C " . iT-5 =Bggr=-=^aKajS;«a - l - - j„ . ■'3a g=BS3». C H A P I T R E II. Difference des peuples par rapport au courage. N ous avons deja dit que la grande chaleur enervoic la force & le courage des hommes; & qu’il y avoir, dans les xlimats froids, une certaine force de corps Sc d’elprit, qui rendoit les homines capables des actions lon¬ gues , penibles, grandes & hardies. Cela fe remarque non-feuiement de nation a nation , mais encore dans le meme pays d’une partie a une autre. Les peuples du nord de la Chine ( a ) font plus courageux que ceux du midi; les peuples du midi de la Coree If) ne le font pas tant que ceux du nord. II ne faut done pas dtre etonne que la lachete des (a) Le pere du Iialde, to- (f) Les livres Chinois le di¬ me I, pag. j 12 . fernainfi:Ibid. tom. IV,p.44 8 » Y ij 340 De Desprit des loix , peuples des climats chauds les ait prefque toujours ren- dus efclaves, & que !e courage des peuples des climats froids Jes ait maintenus libres. C’eft un effet qui derive de fa caufe naturelle. Ceci s’eft encore trouve vrai dans l’Amerique; les em¬ pires defpotiques du Mexique & du Perou etoient vers la ligne, & prefque tons les petits peuples libres etoient & font encore vers les poles. ■ ■■ ■■■■ . Ill . .. .. — ^ mm—mm-mmKm . .. - y CHAPITRE III. Du climat de VJfie. Lies relations nous difent (a) » que le nord de l’Afie, » ce vafte continent qui va du quarantieme degre ou en- » viron jufques au pole , & des frontieres de Mofcovie » jufqu’a la mer orientale, eft dans un climat tres-froid; »'que ce terrein immenfe eft divi/e, de 1’oueft a left, » par une chaine de montagnes, qui Jaiftent au nord la » Siberie, & au midi la grande Tartarie : que le climat » de la Siberie eft ft froid, qu’a la refetve de quelques » endroits, elle ne peut etre cultivee; & que, quoique » les Ruffes aient des etabliffemens tout le long de l’lrtis , » ils. n’y cultivent rien; qu’il ne vient, dans ce pays, que » quelques petits fapins & arbriffeaux; que les naturels du » pays font divifes en de miferables peuplades, qui font » comme celles du Canada : que la raifon de cette froi- » dure vient, d’un cdte, de la hauteur du terrein ; & » de 1’autre, de ce qu’a mefure que i’on va du midi au » nord, les montagnes s’applaniffent; de forte que le vent » du nord fouffle par-tout fans trouver d’obftacles : que » ce vent qui rend la nouvelle Zemble inhabitable, fouf- » flant dans la Siberie, la rend inculte. Qu’en Europe, («) Voyez !es voyages du nord, tome VIII; l’hiftoire des Tattars, & le quatrieme volume de la Chine du pere du Halde, Lit 're XVII, Chap it re III. 341 au contraire , les montagnes de Norwege & de La- « pome font des boulevards admirables, qui couvrent de « ce vent les pays du nord : que cela fait qu’a Stockholm , « qui eft a cinquante-neuf degtes de latitude ou environ, « le terrein produit des fruits, des grains, des plantes ; »< & qu’autour d ’Abo , qui eft au foixante-umeme degre, « de meme que vers les foixante-trois (k foixante-quatre, « il y a des mines d’argent, 8t que le terrein eft affez « fertile. « Nous voyons encore, dans les relations, » que la « grande Tartarie , qui eft au midi de la Siberie , eft « auffi tres-froide; que le pays ne fe cultive point; qu’on « n’y trouve que des paturages pour les troupeaux; qu’il n’y « croit point d’arbres, mais quelques broulfailles, comrae « en Iflande : qu’il y a, aupres de la Chine & du Mo- « gol , quelques pays oil il croit une efpece de millet; « mais que le bled ni Je riz n’y peuvent murir : qu’il « n’y a gueres d’endroits dans la Tartarie Chinoife, atix « 43 , 44 & 4^me. degres, ou il ne gele fept ou huit « mois de 1’annee; de forte qu’elle eft auflx froide que « l’fflande, quoiqu’elle dut etre plus chaude'que le midi « de la France ; qu’il n’y a point de vMes, excepte.qua^ « tre ou cinq vers la mer orientale, quelques-unes que « les Chinois, par des raifons de politique, ont bafies pres « de la Chine; que, dans le refte de la grande Tartarie, « il n’y en a que quelques-unes placees dans les Bouchaties, « Turkeftan & Chariline: que la raifon de cette extreme « froidure vient de la nature du terrein nitreux, plein de « felpetre , & fabloneux; &, de plus, de la hauteur du « terrein. Le P. Vcrbicfl avoit trouve qu’un certain endroit, « a 80 lieues au nord de la grande muraille, vers la fource « de Kavamhuram, excedoit la hauteur du rivage de la « mer pres de Pekin de 3000 pas geomecriques; que cette « hauteur ( b ) eft caufe que, quoique quafi routes les grandes « rivieres de l’Afie aient leur fource dans le pays, il man- « que cependant d’eau, de faqon qu’il ne peut etre habite « qu’aupres des rivieres & des lacs. « (£) La Tartarie eft done corame une efpece de montagne plate. Y iij 342 De i’ ESPRIT DES 10 IX, Ces faits pofes , je raifonne ainfi : L’Afie n’a point proprement de zone temperee j & les lieux fitues dans un climat tres-froid y touchent immediatement ceux qui font dans un climat trds-chaud, c’eft-a-dire, la Tur- quie, la Perfe, le Mogol, la Chine, la Coree & le Japon. £n Europe, au contraire, la zone temperee eft tres- etendue, quoiqu’elle foit fituee dans des cliinats tres- differens entre eux, n’y ayant point de rapport entre les climats d’Efpagne & d’ltalie, & ceux de Norwege & de Suede, Mais, comme le climat y devient infen- fiblement froid en allant du midi au nord, a peu prds a proportion de la latitude de chaque pays; il y arrive que chaque pays eft, a peu pres, femblable a celui qui en eft voifin ; qu’il n’y a pas une notable difference ; Si que, comme je viens de le dire, la zone temperee y eft tres-etendue. De-la il fuit qu’en Afie, les nations font oppofees aux nations du fort au foible; les peuples guerriers, brayes & a&ifs, touchent immediatement des peuples effemines, parefteux, timides : il faut done que I’un foit conquis, & 1’autre conqueranf. En Europe, au con- traire, les nations font oppofees du fort au fort; celles qui fe touchent ont, a peu pres,le m§me courage. C’eft la grande raifon de la foibleffe de l’Afie & de la force de l’Europe, de la liberte de I’Europe & de la fervitude de l’Afie ; caufe que je ne fqache pas que l’on ait encore remarquee. C’eft ce qui fait qu’en Afie il n’arrive jamais que la liberte augmente; au lieu qu’en Europe elle augmente ou diminue, felon les circonf- tances. Que la nobleffe Mofcovite ait ete reduite en fervi¬ tude par un de fes princes , on y verra roujours des traits d’impatience que les climats du midi ne donnent point. N’y avons-nous pas vu le gouvernement ariftocra- tique etabli pendant quelques jours? Qu’un autre royaume du nord ait perdu fes loix^on peut s’en fier au climat, jl ne les a pas perdues d’une maniere irrevocable. L iv i ie XVII , Ceta pitre IV. 343 C II A P I T R E IV. Confe queue e de ceci. C^E que rious venons de dire s’accorde avec Ies eve- nemens de l’hiftoire. L’Afie a ete fubjuguee treize fois; onze fois par les peuples du nord , deux fois par ceux du midi. Dans ies temps recules , les Scythes la con- quirent trois fois, enfuite les Medes & ies Perfes cha- cun une; les Grecs, les Arabes, les Mogols, lesTurcs, les Tartares, les Perfans fk les Aguans. je ne parle que de la haute Afie ; & je ne dis rien des invahons faites dans le refte du midi de cette partie du monde, qui a continuellement fouffert de tres grandes revolutions. En Europe, au contraire, nous ne connoiffons, de- puis 1’etablifTement des colonies Grecques & Phenicien- nes, que quatre changemens ; le premier caufe par les conquetes des Romains; le fecond, parties inondations des barbares qui detruifirent ces memes Rpmains ; le iroilieme, par les viftoires'de Charlemagne; & le der¬ nier, par les invalions des Normands. Et, fi 1’on exa¬ mine bien ceci, on trouvera, dans ces changemens md- mes, une force generate repandue dans toutes les par¬ ties de l’Europe. On lair la difficulte que les Romains trouverent a conquerir en Europe & la facilite qu’ils eurent a envahir l’Afie. On connoit les peines que les peuples du nord eurent a renverfer l’empire Romain , les guerres & les travaux de Charlemagne , les diyer- fes entreprifes des Normands. Les deftrudteurs etoient fans cede detrpits. Y iv 344 D E l'e SPRIT AES L0 1X , r i i i .im ■■ .. . i — n ^—iyl CHAF1TRE V. Oiie , quand les peuples du nord de F/l fie, & ceux du nord de FEurope ont conquis , les effets de la . conquite rietoient pas les mimes. X i E S peuples du nord de l’Europe l’ont conquife en homines fibres; les peuples du nord de l’Afie l’ont con- quife en efclaves, &c n’ont vaincu que pour uri maitre. La raifon en eft que le people Tartare, conquerant naturel de l’Afie, eft devenu efclave lui-mdine. II con- quiert fans cefie dans le midi de l’Afie; il forme des empires; mais la partie de la nation qui refte dans le pays fe trouve foumife a un grand maitre, qui, defpo- tique dans le midi, veut encore l’dtre dans le nord ; ^ , avec un pouvoir arbitraire fur les fujets conquis, le prdtend encore fur les fujets conquerans. Cela fe voit bien aujourd’hui dans ce vafte pays qu’on appelle la Tar¬ tarie Chinoife, que l’empereur gouverne prefque aufti defpotiquement que la Chine meme, & qu’il etend tous les jours par fes conquetes. On peut voir encore, dans l’hiftoire de la Chine , que les empefeurs ( a ) ont envoye des colonies Chi- xioifes dans la Tartarie. Ces Chinois font devenus Tar- tares & morteis ennemis de la Chine : mais cela n’em- peche pas qu’ils n’aient porte dans la Tartarie l’e/prit du gouvernement Chinois. Souvent une partie de la nation Tartare qui a con¬ quis, eft chafitie elle-mdme ; & elle rapporte dans fes deferts un efprit de fervitude qu’elle a acquis dans le cli- mat de l’efclavage. L’hiftoire de la Chine nous en fournit de grands exemples, & notre hiftoire ancienne auffi ( \b ). () Les Scythes conqtiirent jne empereur de la cinquieme trois fois l’Afie , & en furent dynaftie, trois fois chaffes. Jofiin , liv, II, Livre XVII , Chapitre V. 345 C’eft ce qui a fait que le genie de la nation Tar- tare ou Getique a toujours ete femblable a celui des em¬ pires de i’Afie. Les peuples, dans ceux-ci, font gou- vernes par le baton; les peuples Tartares, par les longs fouets. L’elprit de 1 ’Europe a toujours ete contraire a ces inceurs : &, dans tous les temps, ce que les peu¬ ples d’Afie ont appelle punition, les peuples d’Europe l’ont appelle outrage (c). Les Tartares, detruifant l’empire Grec, etablirent dans les pays conquis la fervitude & le defpotifme : les Goths, conquerant l’empire Romain, fonderent par-tout la mo¬ narchic & la liberte. Je ne fqais ii le fameux Rudbeck, qui, dans fon At- lantique, a tant loue la Scandinavie, a parle de cette grande prerogative qui doit mettre les nations qui l’ha- bitent au-deftus de tous les peuples du monde ; c’eft qu’elles ont ete la fource de la liberte de 1 ’Europe, c’eft- a-dire, de prelque toute celle qui eft aujourd’hui parmi les hommes. Le Goth Jornande1 a appelle le nord de l’Europe la fabrique du genre humain (d) : je 1’appellerai plutot la fabrique des inftrumens qui brifent les fers forges au midi. C’eft la que fe forment ces nations vaillantes, qui fortent de leur pays pour detruire les tyrans & les en¬ claves ; apprendre aux hommes que, la nature les ayant faits egaux, la raifon n’a pu les rendre depen- dans que pour leur bonheur. (c) Ceci n’eft point contraire ce fut, ils regardcrent toujours A ce que je dirai au liv, XXVIII, comme un affront le pouvoir chap, xx, fur la maiiiere de pen- cu faction arbitraire de battre. fer des peuples Germains fur le Qd') Humani generis offici- b-Aton. Quelque inftrtiment que nam. 34 & D e l’e sprit des lojx , - ■ ... .. CHAPITRE VI. Nouvelle caufe phyfique de la fervitude de FA fie & de la liberty de FEurope. En Afie, on a toujours vu de grands empires : en Europe , ils n’ont jamais pu fubfifter. C’eft que l’Afie que nous connoiffons a de plus grandes plaines; elle eft coupee en plus grands morceaux par les mers; Sc, com- me elle eft plus au midi, les fources y font plus aife- ment taries, les montagnes y font moins couvertes de neiges, Sc les fleuves (a) moins groffis y forment de moindres barrieres. JLa puiflance doit done dtre toujours defpotique en Afie. Car, fi la fervitude n’y etoit pas extreme, il fe feroit d’abord un partage que la nature du pays ne peut pas fouffrir. En Europe, le partage naturel forme plufieurs etats d’une etendue mediocre , dans lefquels le gouvernement des ioix n’eft pas incompatible avec le maintien de l’e- tat: au contraire , il y eft ft favorable, que , fans elles , cet etat tombe dans la decadence, Sc devient inferieur a tous les autres. C’eft ce qui y a forme un genie de liberte, qui rend chaque partie tres-difficile a etre fubjugee Sc foumife a une force etrangere , autrement que par les loix & 1’uti- lire de fon commerce. Au contraire, il regne en Afie un elprit de fervitude qui ne 1’a jamais quittee; Sc, dans toutes les hiftoires de ce pays, il n’eft pas poffible de trouver un feul trait qui marque une ame libre : on n’y verra jamais que The- roifme de la fervitude. (<0 Les e-uix feperdent ou s’evaporent, avant de fe ramaffer, ou apres s’etre ramalTees. Li r re XVII , Chapitre VII. 34 7 CHAPITRE VII. De VAfrique & de f Amerique. 01 l a ce que je puis dire fur l’Afie Sc fur l’Europe. L’Afrique eft dans un climat pared a celui du midi de l’Afie , Sc elle eft dans une mcme fervkude. L’Ameri- que ( a) detruite Sc nouvellement repeuplee par les na¬ tions de l’Europe Sc de l’Afrique, ne peut gueres au- jourd’hui montrer fon propre genie : mais ce que nous fqavons de fon ancienne hiftoire eft tres-conforme a nos principes. (7/) Les petits peupl es barbares de FAmdrique font appelles/n- dios bravos, par les Eipagnols: bien plus difficiles a foumettre, que les grands empires du Me.xique & du Perou. jCr " Ti w" ■■ ■ . -■■■ — ; -^rr— CHAPITRE VIII. De la capitale de l'empire. Une des confluences de ce que nous venons de dire, c’eft qu’il eft important a un tres-grand prince de bien choifir le ftege de fon empire. Celui qui le pla¬ cers au midi courra rifque de perdre le nord; Sc ce¬ lui qui le placera au nord confervera aifement le midi. Je ne parle pas des cas particuliers : la mechanique a bien fes frottemens, qui fouvent changent ou arretent les effets de la theorie : la politique a auffi les liens. 34v> He l'e s p r i t d e s l o i x , LIYRE XVIII Des loix 3 dans le rapport qifelles out avec h nature du terrem . — ■ ■ -■ - V ■' u. -■■■=.. . CHAPITRE PREMIER. Comment la nature du terrein influe fur les loix. -T i a borne des terres d’un pays y etablit naturelle- ment la dependance. Les gens de la campagne, qui y font la principaie partie du peuple, ne font pas ft ja- loux de leur liberte : ils font trap occupes, & trap pleins de leurs affaires particulieres. Une campagne qui regorge de biens craint le pillage, elle craint une armee. » Qui >► eft-ce qui forme le bon parti, difoit Ciceron a Atti- » cus (a)? Seront-ce les gens de commerce de la cam- » pagne ? a moins que nous n’imagituons qu’ils font op- » poles a la monarchic, eux a qui tous les gouvernemens » font egaux, des-lors qu’ils font tranquilles. « Ainfi le gouvernement d’un feul fe trouve plus fou- vent dans les pays fertiles, & le gouvernement de plu- fieurs dans les pays qui ne le font pas; ce qui eft quel- quefois un dedommagement. La fterilite du terrein de l’Attique y etablit le gou¬ vernement populaire; & la fertilite de celui de Lace- demone , le gouvernement ariftocratique. Car, dans ces temps-la, on ne vouloit point, dans la Grece, du gou¬ vernement d’un feul : or, le gouvernement ariftocrati¬ que a plus de rapport avec le gouvernement d’un feul. O) Liv. VII. L i y re X VIII , Cbapitre I. 349 Plutarque (b~) nous dit que la fedition Cilonienne ayant ete appaifee a Athenes, la ville retomba dans fes ancien- nes differs (ions f & fe dlvifa en autant de partis qu’il y avoit de fortes de territoires dans le pays de FAttique. Les gens de la montagne vouloient, a toute force, le gouvernement populaire; ceux de laplaine demandoient le gouv'ernement des principaux; ceux qui etoient pres de la mer etoient pour un gouvernement mele des deux. (£) Vie de Solon. CHAPITRE II. Continuation du mime fujet. (^ES pays fertiles font des plaines , oil Ton ne peut rien difputer au plus fort : on fe foumet done a lui ; & , quand on lui eft foumis, l’efprit de liberte n’y ftjau- roit revenir ; les biens de la campagne font un gage de la fidelite. Mats , dans les pays de montagnes, on peut conferver ce que I’on a, & l’on a peu a confer- ver. La liberte, e’eft-a-dire, le gouvernement dont on ■jouit, eft le feul bien qui merite qu’on le defende. Elle regne done plus dans les pays montagneux & diffici- les , que dans ceux que la nature fembloit avoir plus favorifes. Les montagnards confervent un gouvernement plus modere, parce qu’ils ne font pas ft fort expofes a la conquete. Us fe defendent aifement, ils font attaques difficilement; les munitions de guerre & de bouche font affemblees & portees contre eux avec beaucoup de depenfe; le pays n’en fournit point. II eft done plus difficile de leur faire la guerre , plus dangereux de l’en- treprendre ; & routes les loix que Ion fait pour la lu¬ ff ete du peuple y ont moins de lieu. 350 D E l'e S P R I T 1 ) E S L 0 1 X, «= "=r : ..j-r ■ ■ . '■» CHAPITRE III. Quels font les pays les plus cultives. J—iES pays ne font pas cultives en raifon de leur fer¬ tility , mais en raifon de leur liberte : &, fi Ton divife la terre par la penfee, on fera etonne de voir, la piu- part du temps, des deferts dans fes parties les plus fer- tiles, & de grands peuples dans celles oil le terrein fern- ble refufer tout. II eft naturel qu’un peuple quitte un mauvais pays pour en chercher un meilleur, Sc non pas qu’il quitte un bon pays pour en chercher un pire. La plupart des Invalions fe font done dans les pays que la nature avoir faits pour dtre heureux : 8c, comme rien n’eft plus pres de la devaftation que I’invafion, les meilleurs pays font le plus fouvent depeuple's, tandis que la/Freux pays du nord refte toujours habite, par la raifon qu’il eft pref- que inhabitable. On voit, par ce que les hiftoriens nous difent du paflage des peuples de la Scandinavie fur les bords du Danube, que ce n’etoit point une conquete, mais feu- lernent une tranfmigration dans des terres defertes. Ces climats heureux avoient done ete depeuples par d’autres tranfmigrations , 8c nous ne fcavons pas les chofes tragiques qui s’y font paflees. » II paroit par plufieurs monumens, dit Ariftote (a ), » que la Sardaigne eft une colonie Grecque. Elie etoit au- » trefois tres-riche : 8C Ariftee, dont on a tant vante l’a- » mour pour l’agriculture, lui donna des loix. Mais elie a » bien dechu depuis; car les Carthaginois s’en etant rendus » les maitres, ils y detruifirent tout ce qui pouvoit la ren- » dre propre a la nourriture des homines , 8c defendi- rent, fous peine de la vie, d’y cultiver la terre. « La ( e s l o i x , pas s’y preter la main; les conquerans font arretes par la mer; les infulaires ne font pas enveloppes dans la conquete, & ils confervent plus aifement leurs loix. -g ' I . — r,„- — .. . ___ _ CHAPITRE VI. Des pays formas par I'induftrie des homines, I-iES pays que I’induftrie des homines a rendus ha- bitables, & qui ont befoin, pour exifter, de la mehne- induftrie, appellent a eux le gouvernement modere. II y en a principalement trois de cette efpece ; les deux belles provinces de Kiangnan &c Tche-kiang a la Chine, l’Egypre & la Hollande. Les anciens empereurs de la Chine n’etoient point conquerans. La premiere chofe qu’ils firent pour s’ag- grandir, fut celle qui prouva le plus leurfagefte. On vit fortir de deffous les eaux les deux plus belles provin¬ ces de l’empire; elles furent fakes par les homines. C’eft la fertilite inexprimable de ces deux provinces, qui a donne a l’Europe les idees de la felicite de cette vafte contree. Mais un foin continuel St neceffaire pour ga- rantir de la deftruftion une partie ft conftderable de l’empire, demandoit plutot les moeurs d’un peuple fage , que celles d’un peuple voluptueux; plutot le pouvoir legitime d’un monarque, que la puiffance tyrannique d’un delpote. II falloit que le pouvoir y fut modere , comme il l’etoit autrefois en Egypte. Ii falloit que le pou¬ voir y fut modere, comme ii 1’eft en Hollande, que la nature a faite pour avoir attention fur eile-mdme, & non pas pour dtre abandonnee a la nonchalance oii au caprice. Ainfi, malgre le climat de la Chine, ou l’on eft na- turellement porte a l’obeiflance fervile; malgre les hor- reurs qui fuivent la trop grande etendue d’un empire , les premiers legiflateurs de la Chine furent obliges de faire de tres-bonnes loix; St le gouvernement fut fou- vent oblige de les fuivre. CHA- Liv re XVIII , Chapitre VII. 353 .. - - ■= --- a; chapitre VII. Des ouvrages des homines. Lie s homines, par leurs foins & par de bonnes loix, ont rendu la terre plus propre a dtre leur demeure. Nous voyons couler les rivieres la oil etoient des lacs & des marais : c’eft un bien que la nature n’a point fait, mais qui eft entretenu par la nature. Lorfque les Perfes ( a ) etoient les maitres de l’Afie, ils permettoient a ceux qui ameneroient de l’eau de fontaine en quelque lieu qui n’auroit point ete encore arrofe, d’en jouh pen¬ dant cinq generations; &, comme il fort quantite de ruifteaux du mont Taurus, ils n’epargnerent aucune de- penfe pour en faire venir de l’eau. Aujourd’hui, fans fqavoir d’ou elle peut venir, on la trouye dans fes champs & dans fes jardins. Ainfi, comme les nations deftru&rices font des maux qui durent plus qu’elles , il y a des nations induf- trieufes qui font des biens qui ne finiffent pas meme avec elles. (a) Poly be, liv. X. ■a . 1 -'.-U i ., i':-=3 ; CHAPITRE VIII. Rapport general des loix. Les loix ont un tres-grand rapport avec la faqon dont les divers peuples fe procurent la fubfiftance. Il faut un code de loix plus etendu pour un peuple qui s’attache au commerce & a la mer, que pour un peu¬ ple qui fe contente de cultiver fes terres. Il en faut un Tome I. Z 354 & s l'esprit DBS LOIX , plus grand pour celui-ci, que pour un peuple qui vlt de fes troupeaux. II en faut un plus grand pour ce der¬ nier, que pour un peuple qui vit de fa chaffe. . — - ■ U -- - i fr C H A P I T R E IX. Du terrein de VAm&rique. E qui fait qu’il y a tant de nations fauvages en Amerique, c’eft que la terre y produit d’elle-mdme beau- coup de fruits dont on peut ie nourrir. Si les femmes y cultivent autour de la cabane un morceau de terre, le mats y vient d’abord. La chaffe & la peche ache- vent de mettre les hommes dans l’abondance, De plus: les animaux qui paiffent, comme les boeufs, les buf- fles , &c. , y reufliffent mieux que les betes carnacie- res. Celles-ci ont eu de tout temps l’empire de 1’Afrique. Je crois qu’on n’auroit point tons ces avanrages en Europe, ft l’on y laiffoit la terre inculte; i 1 n’y vien- droit gueres que des forets , des chenes & autres arbres fteriles. .-.. -| CHAPITRE X. Du nombre des hommes , dans le rapport avec la maniere dont ils fe procurent la fubjiftance. Q u AND les nations ne cultivent pas les terres, voici dans quelle proportion le nombre des hommes s’y trouve. Comme le produit d’un terrein inculte eft au produit d’un terrein cultive ; de meme le nombre des fauva¬ ges , dans un pays, eft au nombre des laboureurs dans un autre : &, quand le peuple qui cultive les terres cultive aufli les arts, cela fuit des proportions qui de- manderoient bien des details. Lir re XVIII , Chapitre X. 355 Us ne peuvent guetes former une grande nation. S’ils font pafteurs, ils ont befoin d’un grand pays, pour qu’ils puiflent fubfifter en certain nombre : s’ils font chaf- feurs, ils font encore en plus petit nombre; & forment, pour vivre, une plus petite nation. Leur pays eft ordinairement plein de forets ; &, comme les homines n’y ont point donne de cours aux eaux, il eft rempli de marecages, ou chaque troupe fe cantonne forme une petite nation. n - —- n CHAPITRE XI. Des peuples fauvages , ES peuples jouiffent d’une grande liberte : car, com- me ils ne eultivent point les terres, ils n’y font point attaches; ils font errans, vagabonds; 8t, fi un chef vouloit leur oter leur liberte, ils l’iroient d’abord cher- cher chez un autre, ou fe refireroient dans les bois pour y vivre avec leur famille. Chez ces peuples, la liberte de 1’homme eft fi grande, qu’elle entraine neceflaire- inent la liberte du citoyeny CHAPITRE XV. Des peuples qui connoijjent Tufage de. la monnoie. .A-RISTIPE, ayant fait naufrage, nagea St aborda au rivage prochain ; il vit qu’on avoir trace fur le fa¬ ble des figures de geometrie : il fe fentit emu de joie , Z iij 358 De Ve SPRIT DBS LOIR, jugeant qu’il etoit arrive chez un peuple Grec, & non pas chez un peuple barbare. Soyez feul , & arrivez par quelque accident chez un peuple inconnu; fi vous voyez une piece de monnoie, comptez que vous £tes arrive chez une nation policee. La culture des terres demande l’ufage de la monnoie. Cette culture fuppofe beaucoup d’arts & de connoif- fances; Sr l’on voit toujours marcher d’un pas egal les arts, les connoiffances Sc les befoins. Tout cela con¬ duit a l’etabliffement d’un ligne de valeurs. Les torrens Sc les incendies nous ont fait decouvrir que les terres contenoient des metaux (a). Quand ils en ont dte une fois fepares, il a ete aife de les employer. (a) C’eft ainfi que Diodore nous dit que des bergers trouve- rent l’or des Pyrenees. CHAPITRE XVI. Des loix chiles , chez les peuples qui ne comoijfent point fnfage de la monnoie. C^UAND un peuple n’a pas l’ufage de la monnoie, on ne connoit gueres, chez lui, que les injuftices qui viennent de la violence; Sr les gens foibles, en s’u- niftant, fe defendent contre la violence. II n’y a gueres la que des arrangemens politiques. Mais, chez un peu¬ ple ou la monnoie eft etablie, on eft fujet aux injuf¬ tices qui viennent de la rufe; 8r ces injuftices peuvent etre exercees de mille faqons. On y eft done force d’a- voir de bonnes loix civiles; elles naiflent avec les hou- veaux moyens Sc les diverfes manieres d’etre mechant. Dans les pays oil il n’y a point de monnoie , le raviffeur n’enleve que des chofes ; Sc les chofes ne fe reffemblent jamais. Dans les pays oil il y a de la mon¬ noie , le ravifleur enleve des lignes; Sc les fignes fe Liv re XVIII , Chapitre XVI. 359 reflemblent toujours. Dans les premiers pays, rien ne peut etre cache, parce que le ravifleur porte toujours avec lui des preuves de fa convi&ion : cela n’eft pas de mdme dans les autres. ■g. .. ■ ... i CHAPITRE XVII. Des loix politiques , chez les peuples qui riant point I'ufage de la monnoie. e qui allure le plus la liberte des peuples qui ne cultivent point les terres, c’eft que la monnoie leur eft inconnue. Les fruits de la chafle, de la pdche, ou des troupeaux, ne peuvent s’aflembler en aftez grande quan- tite , ni fe garder aflez, pour qu’un homme fe trouve en etat de corrompre tous les autres : au lieu que, lorf- qu’on a des fignes de richeffes, on peut faire un amas de ces lignes, & les diftribuer a qui Ton veut. Chez les peuples qui n’ont point de monnoie, cha- cun a peu de befoins, & les fatisfait aifement & ega- lement. L’egalite eft done forcee : auffi leurs chefs ne font-ils point defpotiques. 11 " - .— CHAPITRE XVIII. Force de la fuperjlition. S1 ce que les relations nous difent eft vrai, la conf- titution d’un peuple de la Louifiane , nomme les Nat ~ ches , deroge a ceci. Leur chef (^) diipofe des biens de tous fes fujets, & les fait travailler a fa fantaifie ; ils ne peuvent lui refufer leur tete; il eft comme le Lettres edifiantes , vingtieme recueil. Z iy 3 6o De l'e sprit des l o i x, grand-feigneur. Lorfque l’heritier prefomptif vient a nai* tre , on lui donne tous les enfans a la mammelle , pour le fervir pendant fa vie. Vous diriez que c’efl: le grand SefoRns. Ce chef eft traite dans fa cabane avec les ceremonies qu’on feroit a un empereur du Japon ou de la Chine. Les prejuges de la fuperftition font fuperieurs a tous les autres prejuges , & fes raifons a toutes les autres raifons. Ainfi , quoique les peuples fauvages ne con- noiffent point naturellement le defpotifme, ce peuple-ci le connoit. 11s adorent le foleil : &, ft leur chef n’a- voit pas imagine qu’il etoit le frere du foleil, ils n’au- roient trouve en lui qu’un miferable comme eux. " ■■ ”<£=,•*«■— .. .. . . .. y C H A P I T R E XIX. De la liberie des Arabes , & de la fervitude des Tartares. .Les Arabes & les Tartares font des peuples pafteurs. Les Arabes fe trouvent dans les cas generaux dont nous avons parle, & font libres : au lieu que les Tartares (peuple le plus fingulier de la terre) fe trouvent dans l’efclavage politique (a). J’ai deja (^) donne quelques raifons de ce dernier fait : en void de nouvelles. Ils n’ont point de villes , ils n’ont point de fordts , ils ont peu de marais; leurs rivieres font prefque tou- jours glacees, ils habitent une immenfe plaine, ils ont des paturages & des troupeaux, & par confequent des biens : mais ils n’ont aucune efpece de retraite ni de defenfe. Si-tot qu’un kan eft convaincu, on lui coupe la tdte (c) ; on traite de la meme maniere fes enfans; (a) Lorfqu’on proclame un (c) Ainfi, il ne fautpasetre kan, tout le people s’ecrie : Que ^tonne fi Miriveis, s’etant rendu fa parole, lui ferve de glaive, maitre d’Hpahan , fit tuer tous (A) Liv. XVII, chap, v, les princes du fang. Lip re XVIll , Chap it re XIX. 361 & tous fes fujets appatdennent au vainqueur. On ne les condamne pas a un efclavage civil; ils ieroient a charge a une nation Ample, qui n’a point de terres a cultiver, & n’a befoin d’aucun fervice domeftique. Ils augmentent done la nation. Mais, au lieu de l’efclavage civil, on conqoit que 1’efclavage politique a du s’introduire. En effet, dans un pays oil les diverfes hordes fe font continuellement la guerre , & fe conquierent fans cefle les unes les autres; dans un pays ou, par la mort du chef, le corps politique de chaque horde vaincue eft toujours detruit, la nation en general ne pent gueres etre libre; car il n’y en a pas une feule partie qui ne doive avoir ete un tres-grand nombre de fois fubjugee. Les peuples vaincus peuvent conferver quelqueliberte, lorfque , par la force de leur fituation, ils font en etat de faire des traites apres leur defaite. Mais les Tartares, toujours fans defenfe, vaincus une fois, n’ont jamais pu faire des conditions. J’ai dit, au chapitre II, que les habitans des plaines cultive'es netoient gueres libres : des circonftances font que les Tartares, habitant une terre inculte, font dans le raeme cas. . ■ . . .. —1 . — m . — .. ■ — ■ CHAPITRE XX. Du droit des gens des , Tartares. T j ES Tartares paroiffent entre eux doux & humains,’ & ils font des conquerans tres cruels: ils paffent au fil de l’epee les habitans des villes qu’ils prennent; ils croient leur faire grace, lorfqu’ils les vendent ou les diftribuent a leurs foldats. Ils ont detruit l’Afie clepuis les Indes jufqu’a la Mediterranee; tout le pays , qui forme I’orient de la Perfe, en eft refte defert. Vojci ce qui me paroit avoir produit un pared droit des gens. Ces peuples n’avoient point de villes; tou- tes leurs guerres fe faifoient avec promptitude & avec 3 6z De l’esprit des loix , impetuolite. Quand ils efperoient de vaincre, ils com- battoient; ils augmentoient l’armee des plus forts, quand ils ne l’elperoient pas. Avec de pareilles coutumes, ils trouvoient qu’il etoit contre leur droit des gens qu’vme ville, qui ne pouvoit leur relifter, les arrdtat : ils ne regardoient pas les villes comme une aftemblee d’ha- bitans, mais comme des lieux propres a fe fouftraire a leur puiffance. Ils n’avoient aucun art pour les aflie- ger , & ils s’expofoient beaucoup en les affiegeam; ils vengeoient par le fang tout celui qu’ils venoient de repandre. « . V. ' - - : - 'jezm -, . .j-a gi CHAPITRE XXL Lot civile des Tartares. T t e pere du Haldc dit que, chez les Tartares, c’eft toujours le dernier des males qui ell I’he ritier; par la raifon qu’a mefure que les aines font en etat de mener la vie paftorale, ils fortent de la maifon avec une cer- taine quantite de beta'll que le pere leur donne, & vont former une nouvelle habitation. Le dernier des males , qui refte dans la maifon avec fon pere, eft done fon heritier naturel. J’ai oui dire qu’une pareille coutume etoit obfervee dans quelques petits diftrifts d’Angleterre : & on la trouve encore en Bretagne, dans le duche de Rohan, ou el le a lieu pour les rotures. C’eft, fans doute, une loi paf¬ torale venue de quelque petit peuple Breton, ou por- tee par quelque peuple Germain. On fqait, par Cefar 6c Tacitc , que ces derniers cultivoient peu les terres. Livre XFIII, Chapitue XXII. 363 ' pmr.'-.J... • ■ ■■ --== --> CH AP I TIE XXII. D'une loi civile des peuples Germains. J’expliquer Ai ici comment ce texte particulier de Ja loi falique, que l’on appelle ordinairement la loi falique , tient aux inftitutions d’un peuple qui ne cul- tivoit point les terres, ou du moins qui les cultivoit peu. La loi falique (a) veut que, lorfqu’un homme laiffe des enfans, les males fuccedent a la terre falique, au prejudice des filles. Pour fqavoir ce que c’eroit que les terres faliques, il faut chercher ce que c’etoit que les proprietes ou l’u- fage des terres chez les Francs, avant qu’ils fuffent fortis de la Germanie. M. Echard a tres-bien prouve que le mot falique vient du mot fala , qui fignifie maifon; & qu’ainfi ia terre fa¬ lique etoit la terre de la maifon. J’irai plus loin; & j’exa- minerai ce que c’etoit que la maifon, Sc la terre de la maifon, chez les Germains. » Ils n’habitent point de villes, dit Tacite (F) , Sc « ils ne peuvent fouffrir que leurs maifons fe touchent les « unes les autres; chacun laiffe autour de fa maifon un « petit terrein ou efpace, qui eft clos & ferme. « Tacite parloit exadfement. Car plufieurs loix des codes (c) bar- bares ont des difpofitions differentes contre ceux qui ren- verfoient cette enceinte, Sc ceux qui penetroient dans la maifon mime. - } ----- («) Tit. 62. harentibus adificiis;fuamquif- (b) Nullas Germanorum po- que domum [patio circumdat, pulis urbes habitari fatis notutn De rnorib. Germ. eft , ne pati quidem inter fe junc- (c) La loi des Allemands , tat fedes; colunt difcreti , ut ne- chap, x; & la loi des Bavarois, mus placuit. Vicos locant , non tit. io, §. i & 2. in noftrum morem connexis <£? co- 3^4 .0 E l'b-sprit des to IX , Nous fcavons par Tacite & Cefar, que les terres que Ies Germains cultivoient ne leur etoient donnees que pour un an; apres quo!, elles redevenoient publiques. I!s n’avoient de patrimoine que la maifon, & un mor- ceau de terre dans l’enceinte autour de la maifon (d). C’eft ce patrimoine particulier qui appartenoir aux ma¬ les. En effet, pourquoi auroit-il appartenu aux filles ? Elles paffoient dans une autre maifon. La terre falique etoit done cette enceinte qui depen- doit de la maifon du Germain; e’etoit la feule propriete qu’il eut. Les Francs, apres la conquete, acquirent de nouvelles proprietes, &c on continua a les appeller des terres faliques. Lorfque les Francs vivoient dans la Germanie, leurs biens etoient des efclaves, des troupeaux, des chevaux, des armes, &c. La maifon, & la petite portion de terre qui y etoit jointe, etoient naturellement donnees aux enfans males qui devoient y habiter. Mais, lorfque apres la conquete, les Francs eurent acquis de grandes terres, on trouva dur que les dlies & leurs enfans ne puf fent y avoir de part. II s’introduifit un ufage, qui permet- toit au pere de rappeller fa fille & les enfans de fa fille. On fit taire la loi ; & il falloit bien que ces fortes de rappels fuffent communs, puifqu’on en fit des formules (e). Parmt toutes ces formules, )’en trouve une fingu- liere (/). Un a'ieul rappelle fes petits-enfans pour fucce- der avec fes fils & avec fes filles. Que devenoit done la loi falique? II falloit que, dans ces teinps-la meme, elle ne fut plus obfervee; ou que l’ufage continuel de rappeller les filles eut fait regarder leur capacite de fuc- ceder comme le cas le plus ordinaire. La loi falique n’ayant point pour objer une certaine prefe'rence d’un fexe fur un autre , elle avoir encore (//) Cette enceinte s’appelle curtis, dans les chartes. (?) Voyez Marculfe , liv. II, form, io & 11; Fappendice de Marculfe, form. 49; & les for¬ mules anciennes, appelldes de Sirmond, form. 22. (jf) Form. 55, dans le re- cueil de Lindembroch. Lir rb XVIII, Chapitre XXII. 365 moins celui d’une perpetuite de famille, de nom, ou de tranfmiffion de terre : tout cela n’entroit point dans la tdte des Germains. C’etoit une loi purement econo- mique, qui donnoit la maifon, & la terre dependante de la maifon, aux males qui devoient l’habiter, & a qui, par confequent elle convenoit le mieux. II n’y a qua tranfcrire ici le titre des aleux de la loi laiique ; ce texte fi fameux, dont tant de gens ont parle, & que li peu de gens ont lu: i°. » Si un homme meurt fans enfar.s, fon pere ou « fa mere lui fuccederont. 2 U . S’il n’a ni pere ni mere, « fon frere ou fa foeur lui fuccederont. 3 0 . S’il n’a ni frere « ni foeur, la foeur de fa mere lui fuccedera. 4 0 . Si fa « mere n’a point de foeur , la foeur de fon pere lui fuc- H cedera. 5 0 . Si fon pere n’a point de foeur, le plus pro- « che parent par male lui fuccedera. 6°. Aucune por- « tion (g) de la terre falique ne pafiera aux femelles; « mais elle appartiendra aux males, c’ell-a-dire, que les « enfans males fuccederont a leur pere. « II ell c lair que les cinq premiers articles concernent la fucceffion de celui qui meurt fans enfans; & le fixie- me, la fucceffion de celui qui a des enfans. Lorfqu’un homme mouroit fans enfans, la loi vou- loit qu’un des deux fexes n’eut de preference fur 1’au- tre que dans de certains cas. Dans les deux premiers fent de donner la nourriture a leurs petits, fitfk qus m leurs plumes & leurs ongles font formes ; ceux-ci n’ont » plus befoin du fecours d’autrui, quand ils vont eux-me- »> mes chercher une proie. II feroit indigne que nos jeu- » ries gens qui font dans nos armees fuffent cenfes etre »> dans un age trop foible pour regir leur bien, & pour »> regler la conduite de leur vie. C’eft la vertu qui fait la » majorite chez les Goths. « Childebert II avoit quinze (g) ans, lorfque Gontran ^ fon oncle, le declara majeur, St capable de gouveriier par lui-meme. On voit, dans la loi des Ripuaires , cet age de quinze ans, la capacite de porter les armes, St la majorite marcher enfemble. » Si un Ripuaire eft mort, w ou a ete tue, y eft-il dit (k) , St qu’il ait laiff^ un fils, „ il ne pourra pourfuivre, ni dtre pourfuivi en jugement, „ qu’il n’ait quinze ans complets; pour lots il repondra ,, lui-mdme , ou choifira un champion. « Il falloit que l’efprit fut affez forme pour fe defendre dans le juge¬ ment , & que le corps le fut aflez pour fe defendre dans le combat. Chez les Bourguignons (i), qui avoient auffi 1’ufage du combat dans les addons judiciaires, la majorite etoit encore a quinze ans. Agathias nous dit^que les armes des Francs etoient legeres, ils pouvoient done etre majeurs a quinze ans. Dans la fuite, les armes devinrent pefantes; St elles l’etoient dejabeaucoup du temps de Charlemagne, com- me il paroit par nos capitulaires & par nos.romans. Ceux qui (A) avoient des fiefs, St qui par confequent de- voient faire le fervice militaire, ne furent plus majeurs qu’a vingt-un ans (/). _ (g) Il avoit a peine cinq ans, dit Grigoire de Tours, liv. V, chap. I, lorfqu’il fucceda & fon pete, en l’an 575; c’elM-dire, qu’il avoit cinq ans. Gontran le declara majeur en Tan 585 : il avoit done quinze ans. (b) Tit. Si. ft) Tit. 87. (k) Il n’y eut point dechan- gement pour les roturiers. (/) Saint Louis ne fut ma- jeur qu’a cet age. Cela changes par un edit de Charles V,. de Tan 1374. Lip’re XVIII , Chapitre XXVII. 373 fe— ■ ■ - .-g-s-J- : —. ■■ . CHAPITPvE XXVII. Continuation du mime fujet. On a vu que, chez les Germains, on n’alloit point a l’affemblee avant la majorite ; on etoit partie de la fatnille , & non pas de la republique. Cela fit que les enfans de Clodomir, roi d’Orleans & conquerant de la Bourgogne, jre furent point declares rois; parce que dans l’age tendre ou ils etoient, ils ne pouvoient pas etre prefentes a l’affemblee. Ils n’etoient pas rois encore , jnais ils devoient l’etre lorfqu’ils feroient capables de por¬ ter les armes; & cependant Clotilde, leur ai'eule , gou- vernoit l’etat (a). Leurs oncles Clotaire & Childe- bert les egorgerent, & partagerent leur royaume. Cet exemple fut caufe que, dans la fuite, les princes pu- piles furent declares rois, d’abord apres la mort de leurs peres. Ainfi le due Gondovalde fauva Chiidebert II de la cruaute de Chilperic, & le fit declarer roi (£) a l’age de cinq ans. Mais, dans ce changement meme, on fuivit le pre« mier efprit de la nation, de forte que les adtes ne fe paffoient pas meme au nom des rois pupiles. Auffi y eut-il, chez les Francs une double adminiftration; l’une, qui regardoit la perfonne du roi pupile; fk l’autre, qui regardoit le royaume : &, dans les fiefs, il y eut une difference entre la tutelle & la baillie. (a) II paroit, par Grigaire (£) Gregoire de Tours, ti¬ de Tours, liv. Ill, qu’elle choifit vre V. chap, i. Fix lufiro ceta- deux hommes de Bourgogne , tis uno jam pcraSo, qui , die qui etoit une conqudte de Clo- dominiece natalis, regnare fie- domir, pour les Clever au fiege pit. de Tours, qui etoit auffi du royaume de Clodomir, 3f4 & E Fe SPRIT DZS to IX , ■fr - - ■ ' u— — . C H A P I T R E XXVIII, De Vadoption , chez les Germains. Comme, chez les Germains, on devenoir majeur en recevant les armes; on etoit adopte par le mdme ftgne. Ainli Gontran voulant declarer majeur fon ne- veu Childebert, & de plus l’adopter , il lui, dit: » J’ai *> mis (a) ce javelot dans tes mains, comme un figne s> que je t’ai donne mon royaume. « Et fe tournant vers l’affemblee : » Vous voyez que mon fils Childebert s> eft devenu un homme; obeiflez-Iui. « Theodoric, roi des Oftrogoths, voulant adopter le roi des Herules, lui ecrivit (b) : » C’eft une belle chofe, parmi nous, de pouvoir dtre adopte par les armes : car les hommes » courageux font les feuls qui meritenr de devenir nos en- » fans. II y a une telle force dans cet a tutne des nations, & parce que vous dtes un homme , nous vous adoptons par ces boucliers, ces epees, ces s> chevaux que nous vous envoyons. « (a) Voyez Gregoire de Tours, (3) Dans Cafliodore, liv. IV, liv, VII, chap. xxpi. lett. 2 . CHAPITRE XXIX, Efprit fanguinaire des rois Francs. ds lovis n’avoit pas ete le feul des princes, chez les Francs, qui eut entrepris des expeditions dans les Gaules; plufieurs de fes parens y avoient mene des tri- bps particulieres i comme il y eut de plus grands LlPR-E XVIII , C HA PITRE XXIX. 375 fucces, 6c qu’il put dormer des etabliflemens confide- rables a ceux qui l’avoient fuivi, les Francs accoururent a lui de toutes les tribus, 6c les autres chefs fe trouve- rent trop foibles pour lui relifter. II forma le cleffein d’exterminer route fa maifon , 6c il y reuflit (), que les Francs ne priffent un autre chef. Ses enfans 6c fes fuccedeurs fuivirent cette pratique autant qu’ils purent: on vit Ians cede le frere , 1’oncle , le neveu ; que dis-je ? le fils , Ie pere , confpirer contre toute fa famille. La loi fe- paroit fans ceffe la monarchic; la crainte, l’ambition Sc la cruaute vouloient la reunir. (a'j Gregoire de Tours, liv. If. Qb') Ibid. | , - -- i. ^ CHAPITRE XXX. Des aJJembUes de la nation, chez les Francs. On a dit, ci-deflus, que les peuples qui ne culti- vent point les terres jouiffoient d’une grande liberte. Les Germains furent dans ce cas. Tacite dit qu’ils ne donnoient a leurs rois ou chefs qu’un pouvoir .tres mo- dere ( a ) : 6c Cefar (£), qu’ils n’avoient point de ma* giftrat commun pendant la paix ; mais que, dans cha- que village , les princes rendoient la juftice entre les leurs. Audi les Francs, dans la Germanie, n’avoient-ils point de roi, Comme Gregoire de Tours ( c) le prouve trds-bien. (o') Nec regibus libera aut munis magiftratus; fedprinci- jnfinita poteftas. Caterinn ne- pes regionum atquepagorum in- que animadvertere , neque vin- ter fuos jus dicunt. De bello cire, neque verberare , &c, De Gall. liv. VI, jnorib. Germ. (r) Liv. II. (b) fu pace nullus eft com - A a iy 1 376UjD £ L* E S P R I T D E S L 0 I X, » Les princes (V) dit Tacite , ,deliberent (ur les pe=? » tites chofes, route la nation fur les grandes; de forte » pourtant que les affaires dont le peuple prend connoif- » fance font portees de meme devant les princes. « Cet ufage fe conferva apres la conquete, comme ( e ) on le voit dans tous les monumens. Tacite (/) dit que les crimes capitaux pouvoient etre portes devant l’affemblee. II en fut de meme apres la conquete , Sc les grands vaffaux y furent juges. («0 De minoribus primipes & conftituthne regis. Capitu- tonfultant , de major thus om- laires de Charles le Ckauve, Ties ; itd tamen ut ea quorum an. 864. art. 6 . fienbsplebem arbitrium eft ,apud (f) Licet apud concilium ac- principes quoque pertraClentur. cufare , & difcrimen capitis in- De morib. Germ. tendere. De moribus Genna- f e) Lex confenfu poputt fit norum. ig r - — a—— 7 . 1 1 ■■■ ■ ■ BMU — ■ — . n I C II A P I T R E XXXI. De I'autoriti da clergi , clans la premiere race. H E z les peuples barbares, les pretres ont ordinal-' rement du pouvoir , parce qu’ils ont & l’autorite qu’ils doivent tenir de la religion, & la puiffance que chez des peuples pareils donne la fuperftition. Aufll voyons- nous, dans Tacite , que les pretres etoient fort accre¬ dits chez les Germains, qu’ils mettoient la police fa) dans l’Affemblee du peuple. II n’etoit pennis qu’a (£) eux de chatier, dg lier, de frapper: ce qu’ils faifoient s Silentium per facsrdtp (ire, usque verherare , nift fa- tes, quibus & coercendi jus eji(erdotibus eft permiflum ; non imperatur. De morib. Germ. qua ft in pcenam , nec ducts juft (bj> Nec regibus libera aut fu , fed velut deo imperante, infinita poteftas, Cceterum tie- quem adcffe bellatoribus que animadvertere, neqtte vin- duct. Ibid, Liy re XVIII, Ciiapitre XXXI. 377 non par un ordre du prince, ni pour infliger une peine; mais comme par une infpiration de la divinite, toujours prefente a ceux qui font la guerre. II ne faut pas dtre etonne li, des le commencement de la premiere race, on voit les evdques arbitres (c) des jugemens, fi on les voit paroltte dans les affem- ble'es de la nation, s’ils influent fi fort dans les relo- iufions des rois, & fi on leur donne tant de biens. (c~) Voyez la conftitution de Clotaire, de fan 560, art. 6 . HV RE XIX. Des loix , dans le rapport qu'elks ont avec Us principes qni foment Fefprit general , les m (Burs & les manieres dime nation. CHAPITRE PREMIER. Du fujet de ce livre. Cette mariere eft d’une grande etendue. Dans cette foule d’idees qui fe prefentent a mon efprit, je ferai plus attentif a Pordre des chofes, qu’aux chofes me¬ rries. 11 faut que jecarte a droite & a gauche, que je perce, & que je me fafle jour. CHAPITRE II. Combien , pour les meilleures loix , il eft ndcejfaire que les efprits foient prdpards. R IEN ne parut plus infupportable aux Germains (a} que le tribunal de Varus. Celui que Juftinien e'rigea ft} chez les Laziens, pour faire le proems au meurtrier de leur roi, leur parut une chole horrible & barbare. Mi- thridate (c) harangant contre les Romains, leur repro- che fur-tout les formalites (d) de leur juftice. Les Par- («) Us coupoient la langue (£) Agathias, liv. IV. aux avocats, & difoient xVipe- ft) Juftin, liv. XXXVIII. re , eejfe de fiffler. Tacite. ftl) Calwnias litium. Ibid L i v n’ XIX , Cha PIT RE II. 379 thes ne purent fupporter ce roi qui, ayant ete eleve a Rome, fe rendit affable {£) acceflible a tout le monde. La liberte meme a paru infupportable a des peoples qui n’etoient pas accoutumes a en jouir. C’eft ainfi qu’un air pur eft quelquefois nuifible a ceux qui ont vecu dans des pays marecageux. Un Venitien , nomme Balby , etant au (/) Pegu, fut jntroduit chez le roi. Quand celui-ci apprit qu’U n’y avoit point de roi a Ventfe, ll fit un fi grand eclat de lire, qu’une toux le prit, & qu’il eut beaucoup de peine a parler a fes courtilans. Quel eft le legiflateur qui pour- roit propofer le gouvernement populaire a des peuples pareils ? (e) Prompti adit us , nova co- en 1596. Recueil des voyages qui mitas, ignotee Parthis virtutes ont fervi ci r&tablijjement de la nova vitia. Tacite. compagnie des hides, tome III, (/i) Hen a fait la defcripdon part. I, pag. 33, _ =— ■■■ -— — = = - CHAPITRE III. De la tyrannic. I L ya deux fortes de tyrannic; une reelle, qui con¬ fide dans la violence du gouvernement; & une d’opi- nion, qui fe fait fentir lorfque ceux qui gouvernent eta- biiffent des chofes qui choquent la maniere de pen- fer d’une nation. Dion dir qu’Augufte voulut fe faire appeller Romu¬ lus ; mais qu’ayant appris que le peuple craignoit qu’il ne voulut fe faire roi, il changea de deffein. Les pre¬ miers Romains ne vouloient point de roi, parce qu’ils n’en pouvo'ient fouffrir la puiflance : les Romains d’a- ]ors ne vouloient point de roi , pour n’en point fouf¬ frir les manieres. Car, quoique Cefar, les triumvirs , Augufte , fuffent de veritables rois, ils avoient garde tout i’exterieur de l’egalite , & leur vie privee conte- 380 D E l' ESPRIT DBS L 0 1 X , noit une e/pece d’oppofition avec le fafte des rois d’a- lors : &, quand ils ne vouloient point de roi, cela fignifioit qu’ils vouloient gatder leurs manieres, & ne pas prendre celles des peuples d’Afrique & d’Orient. Dion ( a ) nous dit que le peuple Romain etoit in- digne contre Augufte , a caufe de certaines loix trop dures qu’il avoit faites : mais que, litot qu’ii eut fait revenir le comedien Pylade, que les fadfions avoient chaffe de la ville, le mecontentement ceffa. Un peu¬ ple pareil fentoit plus vivement la tyrannie lorfqu’on chaf- foit un baladin , que lorfqu’on lui otoit toutes fes loix. O) Liv. LIV, pag. 532. ■* i=n=rrr-rr . ■- $ CHAPITRE IV. Ce que c'efl que Vefprit general. Plusieurs chofes gouvernent les hommes, le c!i-» mat, la religion, les loix, les maximes du gouverne- ment , les exemples des chofes paffees , les moeurs ? les manieres ; d’ou il fe forme un efprit general qut en refulte. A mefure que, dans chaque nation, une de ces cau* fes agit avec plus de force, les autres lui cedent d’au- tant. La nature & le climat dominent prefque feuls fur les fauvages; les manieres gouvernent les Chinois; les loix tyrannifent le Japon; les moeurs donnoient autre- fois le ton dans Lacedemone ; les maximes du gou- vernement & les moeurs anciennes le donnoient dans Rome. Lip re XIX , Chapitre V. 381 ^ 1,- - - 1 l .... — ^ CHAPITRE V. Combieti ilfaat itre ctttentif a ne point changer Vef- prit general d’une nation . S’lL y avoit dans le monde line nation qui eut une humeur fociable, une ouverture de coeur, une joie dans la vie , un gout, une facilite a communiquer fes pen- fees; qui fut vive, agreable, enjouee, quelquefois im- prudente , fouvent indifcrete; & qui eut avec cela du courage, de la generofite, de la franchife, un certain point d’honneur; il ne faudroit point chercher a gener par des loix fes manieres, pour ne point gener fes ver- tus* Si, en general, le caradlere eft bon, qu’importe de quelques defauts qui s’y trouvent. On y pourroit contenir les femmes, faire des loix pour corriger leurs mceurs , & borner leur luxe : mais qui fqait ft on n’y perdroit pas un certain gout, qui feroit la fource des richeffes de la nation, & une po- liteffe qui attire chez elle les etrangers ? C’eft au legillateur a fuivre l’efprit de la nation, lorf- qu’il n’eft pas contraire aux principes du gouvernement; car nous ne faifons rien de mieux que ce que nous fai- fons librement, en fuivant notre genie naturel. . Qu’on donne un efprit de pedanterie a une nation naturellement gaie, letat n’y gagnera rien, ni pour le dedans, ni pour le dehors. Laiffez-lui faire les chofes frivoles ferieufement, 8c gaiement les chofes ferieufes. ^ - ——1 1 ' —— " 1 .. '■ «g » CHAPITRE VI Quil ne faut pas tout corriger. u’ON nous laiffe comme nous fommes , difoit wn gentilhomme d’une nation qui reflemble beaucoup a 382 De Desprit DES LO IX, celle dont nous venons de donner une idee. La nature re- pare tout. Elle nous a donne une vivacite capable d’of- fenfer, & propre a nous faire manquer a tous les egards; Cette mime vivacite eft corrigee par la politefte qu’elle nous procure, en nous infpirant'du gout pour le monde, & fur-tout pour le commerce des femmes. Qu’on. nous laifie tels que nous fommes. Nos qua¬ lities indifcretes, jointes a notre peu de malice, font que les loix qui gdneroient l’humeur fociable parmi nous lie feroient point convenables. . 1 . .—- fr C H A P I T R E VII. Des Ath&niens & des LadcUmoniens. T i f s Atheniens, continuoit ce gentilhomme, etoient un peuple qui avoit quelque rapport avec le notre. II mettoit de la gaiete dans les affaires; un trait de rail- lerie lui plaifoit fur la tribune, comme fur le theatre. Cette vivacite qu’il mettoit dans les confeils, il la por- toit dans l’execution. Le cara&ere des Lacedemoniens etoit grave, lerieux, fee , taciturne. On n’auroit pas plus tire parti d’un Athenien en l’ennuyant, que d’un Lacedemonien en le divertiffant. •C- r-r^-=r-=-^= = ^^.^3 ; CHAPITRE VIII. Ejfets de I'humeur fociable. P L V s les peuples fe communiquent, plus its chan- •gent aifem'ent de manieres, parce que chacun eft plus un fpeftacle pour un autre; on voit mieux les fingularites des individus. Le climat qui fait qu’une nation aime a fe communiquer fait auffi qu’elle aime a changer; 8c ce qui fait qu’une nation aime a changer fait auffi qu’elle fe forme le gout. Lip re XIX, Chap it re VIII. 3S3 La fociete des femmes gate les mceurs, & forme le gout : l’envie de plaire plus que les autres etablit les parures ; & 1’envie de plaire plus que foi-meme eta- blit les modes. Les modes font un objet important : a force de fe rendre l’efprit frivole, on augmente Ians cefte les brandies de fon commerce (a). f a) Voyez la fable des abeilles. CHAPITRE IX. De la vanitd & de Vorgueil des nations . f 1 A vanite eft un aufti bon reftort pour un gouver- nement, que l’orgueil en eft un dangereux. II n’y a pour cela qu’a fe reprefenter, d'un cote, les biens fans nombre q ui refultent de la vanite; de-la le luxe, Vin- duftrie, les arts, les modes, la politefte, le gout : &, d’un autre cote, les maux infinis qui naiflent de l’or- gueil de certaines nations; la pareffe, la pauvrete, l’a- bandon de tout, la deftruftion des nations que le ha- fard a fait tomber entre teurs mains, & de la leur meme. La pareffe (a') eft l’effet de l’orgueil; le travail eft une fuite de la vanite : l’orgueil d’un Efpagnol le portera a ne pas travailler; la vanite d’un Franqois le portera a fqavoir travailler mieux que les autres. Toute nation pareffeufe eft grave ; car ceux qui ne travai’llent pas fe regardent contme fouverains de ceux qui travaiiient. («) Les peuples qui fuivent le kan de Malacamber, ceuxde Carnataca & de Coromandel, font des peuples orgueilleux & pa- relleux; ils confomment peu, parce qu’ils font miferables: au lieu que les Mogols & les peuples de l’lndoftan s’occupent & jotiiC- fent des commodites de la vie, comme les Europdens. Recueil des voyages qui ont fervi a Fetablijfement de la comjtagnie des hides 9 tome I, pag. 54, 384 l' esprit des l 0 1 X , Examinez toures les nations; 5c vous verrez que, danJ la plupart, la gravite, l’orgueil 5c la pareffe marchens du mime pas. Les penpies d’Achim (b~) font fiers Sc pare/Teux : ceux qul n’ont point d’efclaves en louent un, ne ffit-ce que pour faire cent pas, 8c porter deux pintes de riz; ils ife croiroient deshonores s’ils le portoient eux-memes. II y a plufieurs endroits de la terre oil l’on fe laiffe croitre les ongles, pour marquer que I’on ne travaille point. Les femmes des Indes (c) croient qu’il eft honteux pour elles d’apprendre a lire : c’eft l’affaire, difent-elles, des efclaves qai chantent des cantiques dans les pago- des. Dans une eafte, elles ne filent point ; dans une autre, elles ne font que des paniers &c desnattes, elles ne doivent pas meme piler le riz; dans d’autres, il ne faut pas qu’elles aillent querir de l’eau. L’orgueil y a erabli fes regies, & il les fait fuivre. II n’eft pas ne- ceffaire de dire que les qualites morales ont des effets differens, felon qu’elles font unies a d’autres : ain/I J’or- gueil , joint a une vafte ambition, a la grandeur des jdees, 8cc. produifit chez les Romains les effets que l’on fqait. (£) Voyez Dampierre, to- (c) Lettres edifiantes, dou- me III. zieme recueil, pag. 80. jg- rrrrrss i. .---: : - i _ 8j CHAPITRE X. Du caraciere des Efpagnols , & de celui desChinois v HiES divers carafteres des nations font m£les de ver- tus 5c de vices, de bonnes & de mauvaifes qualites.' Les heureux melanges font ceux dont il refulte de grands biens; 5c fouvent on ne les foupqonneroit pas : il y en a dqnt il refulte de grands maux, 5c qu’on ne foup- ^onneroit pas non plus, LlV RE XIX, CrfAPfTRE Iv. 38^ La bonne foi des Efpagnols a ete. fameufe dans tous 1‘es temps. Jufiin (a) nous parle de four fidelite a gar- der les depots; ils ont fouvent fouffert la mort pour les tenir fecrets. Cette fiddlitd qu’ils avoiertt autrefois, ils Font encore auiourd’hui. Toutes les nations qui com- mercent a Cadix confient four fortune aux Efpagnols, elles ne s’en font jamais repenties. Mais cette qualite admirable , joinre a four pareffe, forme un melange dont i\ refulte des effets qui leur font pernicieux: les peuples de 1’Europe font , fous fours yeux, tout le commerce de four monarchic. Le cara&ere des Chinois forme un autre melange , qui eft en contrafte avec le caraefere des Efpagnols, Leur vie precaire ( b ) fait qu’ils ont une affivite pro- digieufe, & un defir ft excellif du gain, qu’aucune na¬ tion commerqante ne peut fe fier a eux (c). Cette in- fidelite reconnue leur a conferve le commerce du Japon; aucun negociant d’Europe n’a ole entreprendre de le faire fous four nom , quelque facilire qu’il y eut eu a 1’entreprendre par fours provinces inaritimes du nord. ( CHAPITRE XIII. Des manieres , rfoz ies Cbmoisi .VTais c’eft a la Chine que les manieres font irt- deftrudiibles. Outre que les femmes y font abfolument feparees des homines, on enfeigne , dans les ecoles, les manieres comine les moeurs. On connoit un let- tre fa) a la facon aifee dont il fait la reverence. Ces choles une fois donnees en preceptes & par de gra¬ ves dofteurs, s’y fixent comme des principes de mo¬ rale, 6c ne changent plus. («) Dit le pere du Halde. ——- » CHAPITRE XIY. Quels font les moyens naturels de changer les mceuff & les manieres cCune nation . JNJ o u s avons dit que les Ioix etoient des inftjtutions particulieres & precifes du legifiateur, 6c les moeurs & les manieres des inftitutions de la nation en general. De-la il fuit que, lorlque l’on veut changer les moeurs &c les manieres, il ne faut pas les changer par les loixj cela paroitroir trop tyrannique : il vaut mieux les chan¬ ger par d’autres moeurs 6c d’autres manieres. Ainfi, lorfqu’un prince veut faire de grands change- snens dans fa nation, il faut qu’il reforme par les ioix ce qui eft erabli par les loix , 6c qu’il change par les manieres ce qui eft etabli par les manieres : 6c c’eft: une tres-mauvaife politique , de changer par les loi^ ce qui doit etre change par ks manieres. 388 Be l'e s p r i t des l o i x, La loi qui obligeoit les Mofcovites a fe faire coupe! 1 la barbe & les habits, & la violence de Pierre I, qui faifoit tailler jufqu’aux genoux les longues robes de ceux qui entroient dans les villes, etoient tyranniques. II y a des moyens pour empecher les crimes; ce font les peines : il y en a pour faire changer les manieres; ce font les exemples. La facilite (k la promptitude avec laquelle cette na¬ tion s’eft policee, a bien montre que ce prince avoit trop mauvaife opinion d’elle; & que ces peuples n’etoient pas des bdtes, comme il le difoit. Les moyens violens qu’il employa etoient inutiles; il feroit arrive tout de mdme a Ion but par la douceur. Il eprouva lui-meme la facilite de ces changeinens: les femmes etoient renfermees, & en quelque faqon efclaves; il les appella a la cour, il les fit habiiler a l’AHemande , il leur envoyoit des etoffes : ce fexe gouta d’abord une fa^on de vivre qui flattoit fi fort fon gout, fa vanite & fes paffions, & la fit gouter aux hommes. Ce qui rendit le changement plus aife, c’eft que les moeurs d’alors etoient etrangeres au climat, & y avoient ere apportees par le mdlar.ge des nations & par les con- qudtes. Pierre I donnant les mOeurs & les manieres de I’Europe a une nation d’Europe, trouva des facilites qu’il n’attendoit pas lui-meme. L’empire du climat eft le pre¬ mier de tous les empires. Il n’avoit done pas befoin de loix pour changer les moeurs & les manieres de fa nation; il lui eut fuffi d’infpirer d’autres moeurs & d’au- tres manieres. En general, les peuples font tres-attaches a leurs cou- tumes; les leur oter violemment, e’eft les rendre mal- heureux : il ne faut done pas les changer, mais les en¬ gager a les changer eux-memes. Toute peine qui ne derive pas de la neceffite eft ty- rannique. La loi n’eft pas un pur afte de puiffance; les chofes indifferentes par leur nature ne font pas de fon reffort. L i v re XIX , Chapitre XV. 389 jt =a=.-: -■ -V- -— -r.Lj=^" ■•■. - - ; -a j CHAPITRE XV. Influence du gouvernement domejlique fur le politique. C^E changement des moeurs des femmes influera fans doute beaucoup dans le gouvernement de Mofcovie. Tout eft extrdmement lie : le defpotifme du prince s’unit na- turellement avec la fervitude des femmes; la liberte des femmes avec l’efprit de la monarchic. ■g. - ■■ t. ■ ■ -... ■■ —l". 1 jj.jj-.i 8. C H A P I T R E XVI. Comment quelques legiflateurs ont confondu les prin- cipes qui gouvernent les hommes. Les mceurs & les manieres font des ufages que les loix n’ont point etablis, ou n’ont pas pu, ou n’ont pas voulu etablir. II y a cette difference entre les loix & les moeurs , que les loix reglent plus les a&ions du citoyen, & que les moeurs reglent plus les aftions de l’homme. II y a cette difference entre les moeurs & les manieres, que les premieres regardent plus la cqnduite interieure, les autres 1’exterieure. Quelquefois , dans un etat, ces chofes fe confon- dent («). Lycurgue fit un meme code pour les loix, les moeurs & les manieres les legiflateurs de la Chine en firent de meme. II ne faut pas 6tre etonne fi les legiflateurs de La- ( 'a ) Mo'ffe fit un meme code pour les loix & la religion. Les premiers Romains confondirent les coutumes anciennes avec leg loix. Bb ii] 390 D B L* ESPRIT DES L0IX % cedemone & de la Chine confondirent les loix, les moeurs & les manieres : -c’eft: que les moeurs reprefen- tent les loix, 8c les manieres reprefentent les moeurs. Les Iegiflateurs de la Chine avoient pour principal ohjet de faire vivre leur peuple tranquille. Ils voulurent que les hommes fe refpe&aflent beaucoup; que chacun /enrit a tous les inftans qu’il devoit beaucoup aux au- tres; qu’il n’y avoit point de citoyen qui ne dependit, a quelque egard, d’un autre citoyen. Ils donnerent done aux regies de la civilite la plus grande etendue. Ainft, chez les peuples Chinois, on vit les gens ( b ') de village obferver entre eux des ceremonies comme les gens dune condition relevee : moyen tres-propre a infpirer la douceur, a maintenir parmi le peuple la paix 8c le bon ordre, 8c a oter tous les vices qui vien- nent d’un efprit dur. En efter, s’affranchir des regies de la civilite, n’eft-ce pas chercher le moyen de met- tre fes defauts plus a 1 aife ? La civilite vaut mieux, a cet egard, que la politefle, La politefle flatte les vices des autres, 8c la civilite nous empdche de mettre les notres au jour : c’eft une bar- s iere que les hommes mettent entre eux pour s’empdeher de fe corrompre. Lycurgue , dont les inftitutions etoient dures , n’eut point la civilite pour objer lorfqu’il forma les manieres; il eut en vue cet efprit belliqueux qu’il vouloit donner fon peuple. Des gens toujours corrigeant, ou touiours corriges, qui inftruifoient toujours, & etoient toujours inftruits, egalement fimples & rigides, exerqoient plutdt entre eux des vertus qu’ils n’avoient des egards. Livb-e XIX , Ch a pit re XVII. 391 C H A P I T R E XVIL Propridtiparticuliere an gouvernement de la Chine . I_iES legiflateurs de la Chine firem plus (a) : ils con- fondirent la religion, les loix, les moeurs & les ma- nieres; tout cela fut la morale, tout cela fut la vertu. Les preceptes qui regardoient ces quatre points, fu- rent ce que Ton appella les rites. Ce fut dans l’obfer- vation exadfe de ces rites, que le gouvernement Chi- nois triompha. On paffa toute fa jeunefle a les appren- dre, toute fa vie a les pratiquer. Les lettres les enfei- gnerent, les magiftrats les precherent. Et, comme ils enveloppoient routes les petites addons de la vie, lorf- qu’on trouva moyen de les faire obferver exadtement, la Chine fut bien gouvernee. Deux chofes ont pu aifement graver les rites dans le coeur 8c l’efprit des Chinois; l’une, leur maniere de- crire extrdmement compofee’, qui a fait que, pendant une tres-grande partie de la vie , l’efprit a ete unique- ment (6) occupe de ces rites, parce qu’il a fallu appren- dre a lire dans les livres , 8c pour les livres qui les con- tenoient; l’autre, que les preceptes des rites n’ayant rien de fpirituel, mais {implement des regies d’une pra¬ tique commune , il eft plus aife d’en convaincre 8c d’en frapper les efprits, que d’une chofe intellediuelle. Les princes qui, au-lieu de gouverner par les rites, gouvernerent par la force des fupplices, voulurent faire faire aux fupplices ce qui n’eft pas dans leur pouvoir, qui eft de donner des moeurs. Les fupplices retranche- C a) Voyez les livres clalTi- (h) C’eft ce qui a e'tabl ques , dont le pere (hi Halde PEmulation, la fuite de l’oifi- nous a donne de fi beaux mor- vete, & feftime pour le f?a- teaux. voir. Bb iv 392 D E L' £ SPRIT DES LOIX, ront bien de la foe fete un cltoyen qui, ayant perdu fes moeurs, vi ole les loix : mats fi tout le tnonde a perdu fes mceurs, les retabliront-ils ? Les fupplices arreteront bien pi ufieurs confluences du mal general, mais ils ne corrigeront pas ce mal. Audi, quand on abandonna les principes du gouvernement Chinois, quand ia morale y fut perdue, l’etat tomba-t il dans I’anarchie, &c on vit des revolutions. . . . .,. C H A P I T R E XVIII. Confluence du chapitre precedent. It refulte de-la que la Chine ne perd point fes loix par la conqudte. Les manieres, les mceurs, les loix, la religion y etant la nteme chofe, on ne peut chan¬ ger tout cela a la fois. Et, coinme i! faut que le vain- queur ou le vaincu changent, il a toujours fallu a Ja Chine que ce fut le vainqueur : car fes moeurs n’etant point fes manieres, fes manieres fes loix , fes loix la religion , il a ete plus aife qu’il fe pliat peu a peu au peuple vaincu, que le peuple vaincu a lui. 11 fuit encore de-la une chofe bien trifte : e’eft qu’il n’eft pref(|ue pas poffible que le chriftianifme s’etabliffe jamais a la Chine fa). Les voeux de virginite, les af- lemblees des femmes dans les eglifes, leur communi¬ cation neceflaire avec les miniftres de la religion, leur participation aux facremens, la confeflion auriculaire, i’extrdme-on&ion, le mariage d’une feule femme; tout cela renverfe les moeurs & les manieres du pays , frappe encore du meme coup fur Ia religion & fur les loix. La religion chretienne, par I’e'tabliffement de la cha- rite, par un culte public, par la participation aux md» fei) Voyez I.es raifons donn^es par les magiftrats Chinois, dans les dlcrets par Iefquels ils proferiveut la religion qhretienne. Lett, iciif. dix-feptieme recueil. Lip he XIX , Chapitre XVIII. 393 mes facrevnens, femble demander que tout s’uniffe : les rites des Chinois femblent ordonner que tout fe fepare. Et, comme on a vu que cette feparation (b.) tient en general a l’efprit du defpotifme, on trouvera, dans ceci, une des raifons qui font que le gouvernement monar- chique St tout gouvernement modere s’allient mieux (c) avec la religion chretienne. (£) Voyez le livre IV, cha- (r) Voyez ci-deffous, le li- pitre 111; & le livre XIX, cha- vre XXIV, chap. 111. pitre xn. < . . . . . .• --— j_'.v= :a= g. ■■ !». CIIAPITRE XIX. Comment s'efl faite cette union de la religion , des loix , des moeurs & des manieres , chez les Chinois. Les le'gidateurs de la Chine eurent pour principal objet du gouvernement la tranquillite de l’empire. La fubordination leur parut le moyen le plus propre a la maintenir. Dans cette idee, ils crurent devoir infpirer le refpedb pour les peres: St ils rademblerent toutes leurs forces pour cela; ils etabijrent une infinite de rites St de ceremonies, pour les honorer pendant leur vie St apres leur mort. II etoit impoffible de rant honorer le$ peres jnorts, fans etre porte a les honorer vivans. Les cere¬ monies pour les peres morts avoient plus de rapport a la religion ; celles pour les peres vivans avoient plus de rapport aux loix, aux moeurs St aux manieres: mais ,ce n’etoit que les parties d\m me me code, St ce code etoit tres-etendu. Le refpeft pour les peres etoit neceffairement lie avec tout ce qui reprefentoit les peres, les vieillards., les mai-. tres, les magiftrats, l’empereur. Ce relpeft pour les pe¬ res fuppofoit un retour d’amour pour les enfans; St, par ponfequent, le meme retour des vieillards aux jeune$ 394 & E L ' £sr R 1 7 nES l o i x, gens, des magiftrats a ceux qui leur etoient foumis, de Fempereur a fes fujets. Tout cela formoit les rites, Sc ces rites l’efpric general de la nation. On va /endr le rapport que peuvent avoir, avec la conftirution fondamentale de la Chine , les chofes qui paroiffent les plus indifferentes. Cet empire eft forme fur I’idee du gouvernement dune famille. Si vous di- minuez l’autorite paternelle, ou merne fi vous retran- chez les ceremonies qui expriment le refpeft que l’on a pour elle , vous affoibliftez le refpeft pour les magif¬ trats qu’on regarde comme des peres; les magiftrats n’au- ront plus le meme foin pour les peuples qu’ils doivent confiderer comme des enfans; ce rapport d’amour qui eft entre le prince St les fujets fe perdra aufli peu a peu. Retranchez une de ces pratiques, St vous ebranlez l’etat. II eft fort indifferent en foi que tous les matins une belle- fille fe leve pour after rendre tels St tels devoirs a fa belle-mere : mais fi l’on fait attention que ces pratiques exterieures rappellent Ians cefle a un fentiment qu’il eft neceftaire d’irnprimer dans tous les caeurs, St qui va de tous les cceurs former l’e/prit qui gouverne I’empire, 1 ’on verra qu’il eft neceftaire qu’une telle ou une telle ac¬ tion particuliere fe fafie. . ■■ • — .. — CH APITRE XX. Explication d'un paradoxe fur les Cbinois. F. qu’il y a de fingulier , c’eft que les Chinois , dont la vie eft entierement dirigee par les rites, font neanmoins le peuple le plus fourbe de la terre. Cela paroit fur-tout dans le commerce , qui n’a jamais pu leur in/pirer la bonne foi qui lui eft naturelle. Celui qui achete doit porter (a) fa propre balance; chaque mar- («) Journal de Lange, en 1721 & 1722; tome VIII des voya¬ ges' du nord , page 3 63. Livre XIX , Cha pitre XX. 395 chand en ayant trois, une forte pour acheter, une le- gere pour vendre, & une jufte pour ceux qui font fur leurs gardes. Je crois pouvoir expliquer cette contra¬ diction. Les legiflateurs de la Chine ont eu deux objets : ils ont voulu que le peuple fut foumis St tranquille, 8c qu’il fut laborieux 8t induftrieux. Par la nature du cli- jnat & du terrein , il a une vie precaire ; on ny eft afllire de fa vie qu’a force d’induftrie St de travail. Quand tout le monde obeit, & que tout le monde travaille, l’etat eft dans une heureufe fituation. C’eft la neceffite, 8c peut-etre la nature du climat, qui ont donne a tous les Chinois une avidite inconcevable pourle gain; 8t les loix n’ont pas fonge a l’arreter. Tout a ete de- fendu, quand il a ete queftion d’acquerir par violence; tout a ete permis, quand il s’eft agi d’obtenir par arti¬ fice ou par induftrie. Ne comparons done pas la mo¬ rale des Chinois avec celJe de l’Europe. Chacun a la Chine a du etre attentif a ce qui lui etoit utile : fi le frippon a veille a ftes interdts , celui qui eft duppe de- voit penfer aux fiens. A Lacedemone, il etoit permis de voler; a la Chine, il eft permis de tromper. ■q . . ■ —- ■ ■ . —IL.. . . CHAPITRE XXI. Comment les loix doivent fare relatives aux mceurs & aux manieres. I l n’y a que des inftitutions fingulieres qui confondent ainfi des choies naturellement feparees, les loix, les mceurs St les manieres : mais, quoiqu’elles foient ftepa- rees, elles ne laiffent point d’avoir entre elles de grands rapports. On demanda a Solon fi les loix qu’il avoit donnees nux Atheniens etoient les meilleures. » Je leur ai donne, repondit-il, les meilleures de celles qu’iis pouvoient fouffrir ; « belle parole, qui devroit etre entendue de i 39 ^ D E C E SPRIT DES 10 IX, tons les legiflateurs. Quand la fageffe divine dit au pen* » pie juif, » je vous ai donne des preceptes qui ne font » pas bons «, cela fignifie qu’ils n’avoient qu’une bonte relative; ce qui eft l’eponge de toutes les difficulty que l’on peut faire for les loix de Moife. JQm hi - — ... . i ■ ■ ■ i. ■■ CHAPITRE XXII. Continuation du mime fujet. Q U AND un peuple a de bonnes moeurs, les loix deviennent fimples. Platon (a) dit que Radamante, qui gouvernoit un peuple extremement religieux, expedioit tous les proems avec celerite, deferant feulement le fer¬ ment fur chaque chef. Mais, dit le mdme Platon ( b ) , quand un peuple n’eft pas religieux, on ne peut faire ufage du ferment que dans les occafions oil celui qui jure eft fans interdt, comme un juge & des temoins. Des loix, liv. XII. Qb ) Ibid. i f.—-V ■ -1 — . . — CHAPITRE XXIII. Comment les loix fuivent les moeurs. Dans le temps que les moeurs des Rotnains etoient pures, il n’y avoit point de loi particuiiere contre le peculat. Quand ce crime commenqa a paroitre, il fut trouve ft infame, que d’etre condamne a reftituer ce qu’on avoit pris ( a ), fut regarde comme une grande peine; temoin le jugement de L. Scipion (£). (<0 In ftmplum. (£) Tite Liv. liv, XXXVHI. Lip re XIX, Chap i the XXIV. 397 .— —■ i„. 1 - 1- •- C H A P I T R E XXIV. Continuation da meme fujet. I_ procheroit plus de la force de Michel-Ange, que de la grace de Raphael. 4 ? 4io De l’esprit nEs loix, L I V R E XX. Des loix , dans le rapport qiCelles ont avec le commerce , confidere dans fa nature & fes diftindhons. Docuit qua; maximus Atlas. Virgil. ASneiih ■6- -TT—— - -— ... CHAPITKE PREMIER. Du commerce. JLes matieres qui /Invent demanderoient d’etre trai- tees avec plus d’etendue ; mais ia nature de cet ou- vrage ne le permet pas. Je voudrois couler fur une ri¬ viere tranquille ; je fuis efttraine par un torrent. Le commerce guerit des prejuges deftrucleurs : & c’eft prefque une regie generate que, par-tout ou ii y a des moeurs douces, il y a du commerce ; & que , pat- tout oil il y a du commerce , il y a des moeurs douces* Qu’on ne s’etonne done point fi nos moeurs font moins feroces qu’elles ne l’etoient autrefois. Le com¬ merce a fait que la connoiffance des moeurs de routes les nations a penetre par-tout : on les a comparees en- tre elles, 5c il en a refulte de grands biens. On pent dire que les loix du commerce perfe&ionnent les moeurs; parlamemeraifon quecesmdmes loix perdent les moeurs. Le commerce corrompt les moeurs pures ( I T R E V. 4 15 vivre cl’un commerce qu’ils conferveroient plus furement lorfqu’il feroit moins avantageux. On a vu par-tout .la violence St la vexation donner naiffance au commerce d’economie , lorfque les hom- mes font contraints de fe refugier dans les marais, dans les ides, les bas fonds de la mer, Sc fes ecueih merae. C’eft ainfi que Tyr, Venife Sc les villes de Hollande fu- rent fondees; les fugitifs y trouverent leur furete. II fal- lut fubfifter; ils tirerent leur fubliftance de tout l’univers. ■g-— .. .... ..— -> C II A P 1 T R E VI. Qjislques ejfets d'une grande navigation. IL arrive quelquefois qu’une nation qui fait le com¬ merce d’economie, ayant befoin d’une marchandife d’un pays qui lui ferve de fonds pour fe procurer les mar- chandifes d’un autre, fe contente de gagner tres-peu, & quelquefois rien, fur les unes; dans l’efperance ou la certitude de gagner beaucoup fur les autres. Ainfi, Iorf- que la Hollande faifoit prefque feule le commerce du midi au nord de l’Europe, les vins de France , qu’elle portoit au nord, ne lui fervoient, en quelque maniere , que de fonds pour faire fon commerce dans le nord. On fqait que fouvent, en Hollande, de certains gen¬ res de marchandife venue de loin ne s’y vendent pas plus cher qu’ils n’ont coute fur les lieux meme. Void la raifon qu’on en donne : un capitaine, qui a befoin de lefter fon vaifleau, prendra du marbre; il a befoin de bois pour l’arrimage, il en achetera : Sc, pourvu qu’il n’y perde rien, il croira avoir beaucoup tait. Cell ainfi que la Hollande a auffi fes carrieres Sc fes forets. Non-feulement un commerce qui ne donne rien peut dtre utile; un commerce meme defavantageux peut 1’etre. J’ai oui dire, en Hollande, que la pdche de la baleine, en general, ne rend prefque jamais ce qu’elle coute: inais ceux qui ont ete employes a la conftrudion du 416 De tl £ SPRIT DES LOtX, •vaifieau, ceux qui ont fourni les agrets, les appareaux } les vivres, font auffi ceux qui prennent le principal in* terdt a cette pec he. Perdiffent-ils fur la pdche, ils ont gagne fur les fournitures. Ce commerce eft une efpece de loterie, St chacun eft feduit par l’e/perance d’un bilkt noir. Tout le monde aime a jouer; & les gens les plus fages jouent Volontiers, lorfqu’ils ne voient point les apparences du jeu, fes egaremens, fes violences, fes diftipations, la perte du temps, & meme de toute la vie. --—■ - ,rr= =====! =.^-a=J: » C FI A P I T R E VII. Efprit de VAngleterre fur le commerce. I_j’aNGLETERRE n’a gueres de tarif regie avec les autres nations; fon tarif change , pour ainli dire , a cha- que parlement, par les droits particuliers qu’elle ote, ou qu’elle impofe. Elle a voulu encore conferver fur ce la fon independance. Souverainement jalou/e du commerce qu’on fait chez elle, elle fe lie peu par des traites, &c ne depend que de fes loix. ■ D’autres nations ont fait ceder des interets du com¬ merce a des interets politiques : celle-ci a tou’jouts fait ceder fes interets politiques aux interdts de fon com¬ merce. C’eft le peuple du monde qui a le mieux fqu fe pre- valoir a la fois de ces trois grandes chofes ; la religion , le commerce St la liberte. C FI A P I T R E VIII. Comment on a gSne quelquefois le commerce d'dconomie. O N a fait, dans certaines monarchies, des loix tres- propres a abaiffer les etats qui font le commerce d’eco- nomiec Liv RE XX, Chapitre VIII. 417 nomie. On ieur a defendu d’apporter d autres marchan¬ difes que celles du cru de leur pays : on ne leur a permis de venir trafiquer qu’avec des navires de la fa- brique du pays oil ils viennem. II faut que 1 etat qui impofe ces loix puiffe ailement faire lui-meme le commerce : fans cela , il fe fera , pour le moins, un tort egal. II vaut mieux avoir af¬ faire a une nation qui exige peu , &t que les belbins du commerce rendent en quelque faqon dependante ; a une nation qui, par letendue de fes vues ou de fes affaires , fqait ou placer toutes les marchandifes fuper- flues; qui eft riche, & peut fe charger de beaucoup de denrees; qui les paiera promptement; qui a, pour ainft dire, des neceflites d’dtre fidelle; qui eft pacifique par principe ; qui cherche a gagner , & non pas a con- ^uerir. II vaut mieux, dis-je, avoir affaire a cette na¬ tion , qua d’autres toujours rivales , & qui ne donne- roient pas tous ces avantages I T 11 E X. 419 force des richeffes publiques. Mais, dans ces etats, cette force ne peut fe trouver que dans les mains du prince* Je dis plus : elles ne conviennent pas toujours dans les etats ou Ton fait le commerce d’economie ; &, fi les affaires ne font fi grandes qu’elles foient au-deffus de la portee des particuliers , on fera encore mieux de ne point gener , par des privileges exclufifs, la liberte du commerce. ,6=====a= -== = CHAPITRE XL Continuation du mime fujet . Dans les etats qui font le commerce d’economie, on peut etablir un port franc. L’economie de l’etat, qui fuit toujours la frugalite des particuliers, donne, pour ainfi dire, fame a fon commerce d’economie. Ce qu’it perd de tributs par 1’etabliffement. dont nous parlons t eft compenfd par ce qu’il peut tirer de la richeffe in- duftrieufe de la republique. Mais, dans le gouverne- ment monarchique, de pareils etabliffemens feroient Con- tre la raifon» ils n’auroient d’autre effet que de foula- ger le luxe du poids des impots. On fe priveroit de 1’unique bien que ce luxe peut procurer, & du feul frein que, dans une conffitution pareille, il puiffe recevoir. . g -VM -. -r-r.-.-.r- ■ — -r=5 ==a===«j CHAPITRE XII. De la liberti du commerce . ■f-j A liberte du commerce n’eft pas une faculte accor- dee aux negocians de faire ce qu’ils veulent; ce feroit bien plutbt fa fervitude. Ce qui gdne le commercanf re gene pas pour cela le commerce. C’eft dans les pays de la liberte que le negoeiant trouve des contradictions Ddij 420 D E l? E SPRIT DES L 01 X , fans nombre; & il n’eft jamais moins croife par les loix^ que dans les pays de la Servitude. L’Angleterre defend de faire fortir les laines; elle veut que le charbon foit tranfp'orte par mer dans la capitale; elle ne permet point la Ibrtie de fes chevaux, s’ils ne font coupes; les vaiffeaux. de fes colonies qui com- jnercenten Europe, doivent mouiller en Angleterre. Elle gdne le negociant; mais c’eft en faveur du commerce. fa') A&e de navigation de 1660. Ce n'a ete qu’en temps de guerre, que ceux de Boftan & de Philadelphie ont envoye leurs vaiffeaux eu droiture, jufques dans la Mdditerrande, porter leurs denrees. ' CHAPITRE XIII. . Ce qui detruit cette liberte. T i t ou il y a du commerce , il y a des douanes^ L’objet du commerce eft Importation St ^importation des marchandifes en faveur de l’etat', St l’objet des doua- nes eft un certain droit fur cette merne exportation, auffi en faveur de l’etat. Il faut done que l’etat foit neutre entre fa douane St fon commerce, St qu’il faffe enforte que ces deux chofes ne fe croifent point; St alors on y jouit de la liberte du commerce. La finance detruit le commerce par fes injuftices, par fes vexations, par I’exces de ce qu’elle impole : mais elle le detruit encore, independamment de cela, par les difficultes qu’elle fait naitre, 8t les formalites qu’elle exige. En Angleterre, oil les douanes font en regie, il y a une facilite de negocier iinguliere : un mot d’e- criture fait les plus grandes affaires; il ne faut point que le marchand perde un temps infini, St qu’il ait des corn- mis exprds, pour faire ceffer toutes les difficultes des fermiers, ou pour s’y foumettre. L iv re XX , Chapitre XIV. 42 1 mm II ■ 11 . . 1— ——...— I - - -■■ **^ 1 ^ CHAPIT1E XIV. Des loix du commerce qui emportent la confifcaiion des marchandifes. JL/a grande chartre des Anglois defend de failir 81 de confifquer, en cas de guerre, les marchandifes des ne- gocians etrangers, a moins que ce ne foit par reprefail-, les. II eft beau que la nation Angloife ait fait de cela un des articles de fa liberte. Dans la guerre que l’Efpagne eut avec les Anglois en 1740, elle fit une loi (a) qui puniffoit de mort ceux qui introduiroient dans les etats d’Efpagne des marchan- difes d’Angleterre; elle infligeoit la meme peine a ceux qui porteroient dans les etats d’Angleterre des marchan¬ difes d’Efpagne. Une ordonnance pareille ne peut, je crois, trouver de mo dele que dans les loix du Japon. Elle choque nos moeurs, l’efprit du commerce, & 1 ’har- monie qui doit etre dans la proportion des peines : elle confond toutes les idees, faifant un crime d’etat de ce qui n’eft qu’une violation de police. («) Publiee a Cadix au mois de mars 1740. CHAPITiE XV. De la contra'mtepar corps. SOLON O) ordonna a Athenes qu’on n’obligeroit plus le corps pour dettes civiles. II tira eette loi d’Egypte (b) ; Boccoris 1 ’avoit faite , & Sefofiris l’avoit renouvellee. (a)Plutarque ,autraite: fa«y !a gMte gg=!===g; =a^. CHAPITRE XVII. Loi de Rhodes. I_/ E S Rhodiens allerent plus loin. Sextus Empiricus (a) dit que, chez eux, un fils ne pouvoit fe difpenfer de payer les dettes de fon pere, en renonqant a fa fuc- ceffion. La loi de Rhodes etoit donnee a une republi- que fondee fur le commerce : or, je crois que la rai- fon du commerce mdme y devoit mettre cette limita¬ tion , que les dettes contraftees par le pere depuis que le fils avoit commence a faire le commerce, n’affec* reroient point les biens acquis par celui-ci. Un nego¬ tiant doit toujours connoitre fes obligations, & fe con- duire a chaque inftant fuivant letat de la fortune. (a) Hippotipofcs, liv. I, chap. xiv. ■g - . ---^ n. CHAPITRE XVIII. Des juges pour le commerce . J^LENOPHON, au livre des revenus, voudroit qu’on donnat des recompenfes a ceux des prefets du com¬ merce qui expedient le plus vite les proces. II fentoit le befoin de notre jurifdi&ion confulaire. Les affaires du commerce font tres-peu fufceptibies de formalites. Ce font des aftions de chaque jour, que d’autres de meme nature doivent fuivre chaque jour. II en eft autrement des aftions de la vie qui influent beaucoup fur l’avenir, mais qui arrivent rarement. On ne fe marie gueres qu’une fois; on ne fait pas tous les jours des donations ou des teftamens, on n’eft majeur qu’une fois. Dd iy 424 ® E € E SPRIT DES LOIX, Platon (a) dit que, dans une ville ou il n’y a point de commerce maritime , il faut la moitie moins de loix civiles ; & cela eft tres-vrai. Le commerce introduk dans le mime pays differentes fortes de peuples, un grand nombre de conventions, d’efpeces de biens, & de manieres d’acquerir. Ainfi, dans une ville commercante, il y a moins de juges, & plus de loix. (a) Des loix, liv. VIII. CHAPITRE XIX. Que le prince ne doit point faire le commerce. *J['HEOPHILE (a) voyant un vaifleau ou il y avoir des marchandifes pour fa femme Theodora, le fit bru- ler. » Je fuis empereur , lui dit-il, & vous me faites » patron de galere. En quoi les pauvres gens pourront- s> ils gagner leur vie, ft nous faifons encore leur metier ? « Il auroit pu a'] outer : Qui pourra nous reprimer, ft nous faifons des monopoles ? Qui nous obligera de remplir nos engagemens ? Ce commerce que nous faifons , les courtifans voudront le faire ; ils feront plus avides & plus injuftes que nous. Le peuple a de la confiance en notre juftice; il n’en a point en notreo pulence : tane d’impots, qui font fa mifere, font des preuves certai- nes de la notre. («) Zonare. L I V R E XX , Chapitre XX. 425 If. . . , - —a. chapitre XX. Continuation du meme fujet. IjORSQUE les Portugais & les Caftitlans dominoient dans les Indes orientales, le commerce avoit des bran¬ ches (i riches , que leurs princes ne manquerent pas de s’en faifir. Cela ruina leurs etabliflemens dans ces parties-la. Le vice-roi de Goa accordoit a des particuliers des privileges exclufifs. On n’a point de confiance en de pareilles gens; le commerce eft difcontinue par le chan- gement perpetuel de ceux a qui on le confie ; perfonne ne menage ce commerce, 8c ne fe foucie de le laiffer perdu a fon fucceffeur; le profit refte dans des mains particulieres, 8c ne s’e'tend pas affez. CHAPITRE XXI. Du commerce de la noblejje, dans la monarchic. I L eft contre l’efprit du commerce que la noblefle le fafle dans la monarchie. » Cela feroit pernicieux aux « villes, difient (a) les empereurs Honorius 5c Theodofe , « & oteroit entre les marchands 5c les plebeiens la fa- « cilite d’acheter 8c de vendre. « 11 eft contre l’efprit de la monarchie que la noblefle y fafle le commerce. L’ufage, qui a permis en Angle- terre le commerce a la noblefle , eft une des chofes qui ont le plus contribue a affoiblir le gouvernement monarchique. Leg. Nobiliores, cod. de commerc. & leg. alt. cod. de yefcind. vendii. 426 D E 1?E S P R 1 T 1) E S L 0 / X, ....I, 1 .^ CHAPITRE XXII. Reflexion particuliere. D E s gens frappes de ce qui fe pratique dans quel- ques etats, penfent qu’il faudroit qu’en France il y eut des loix qui engageaffent les nobles a faire le commerce. Ce feroit le moyen d’y detruire la nobleffe, fans au- cune utilite pour le commerce. La pratique de ce pays eft tres-fage : les negocians n’y font pas nobles; mais ils peuvent le devenir. Iis ont l’efperance d’obtenir la noblelTe, Ians en avoir l’inconvenient aftuel. Ils n’ont pas de moyen plus fur de fortir de Ieur profeffion que de la bien faire, ou de la faire avec honneur; chofe qui eft ordinairement attachee a la fuffilance. Les loix qui ordonnent que chacun refte dans fa pro- fefEon, & la fafte pafler a fes enfans, ne font & ne peuvent etre utiles que dans les etats (a) defpotiques, ou perfonne ne peut, ni ne doit avoir d’emulation. Qu’on ne dife pas que chacun fera mieux fa profef¬ fion lorfqu’on ne pourra pas la quitter pour une autre. Je dis qu’on fera mieux fa profeffion, lorfque ceux qui y auront excelle , efpereront de parvenir a une autre. L’acquifition qu’on peut faire de la nobleffe a prix d’argent encourage beaucoup les negocians a fe mettre en etat d’y parvenir. Je n’examine pas fi Ton fait bien de donner ainfi aux richeffes le prix de la vertu : il y a tel gouvernement ou cela peut dtre tres-utile. En France, cet etat de la robe qui fe trouve entre la grande nobleffe & le peuple; qui , fans avoir le bril- lant de celle-la, en a tous les privileges; cet etat qui laiffe les particuliers dans la mediocrite , tandis que le corps depofitaire des loix eft dans la gloire; cet etat encore dans lequel on n’a de moyen de fe diftinguer (#) Effeftivement cela y eft fouvent ainfi etabli. Lipre XX , Chai>itre XXII. 427 que par la fuffifance & par la vertu; profeflion hono¬ rable, mais qui en laiffe toujours voir une plus diftin- guee : cette noblefle toute guerriere, qui penfe qu’en quelque degre de richeftes que l’on foit, il faut faire fa fortune; mais qu’ii eft honteux d’augmenter fon bien, ft on ne commence par le diffiper; cette partie de la nation , qui fert toujours avec le capital de fon bien; qui, quand elle eft ruinee, donne fa place a une au¬ tre qui fervira avec fon capital encore; qui va a la guerre pour que perfonne n’ofe dire qu’elle n’y a pas ete; qui, quand elle ne peut efpe'rer les richeftes, efpere les hon- neurs; & lorfqu’elle ne les obtient pas , fe confole , parce qu’elle a acquis de l’honneur : toutes ces chofes ont neceftairement contribue a la grandeur de ce royau- me, Et ft, depuis deux ou trois fiecles, il a augmente fans cefte fa puiffance, il faut attribuer cela a la bonte de fes loix, non pas a la fortune, qui n’a pas ces for¬ tes de conftance, - —■ ■ , ' " - . rr — \. ! ±iss» , CHAPITRE XXIII. A quelles nations il efl difavantageux de faire Is commerce. Les richeftes confiftent en fonds de terre, ou en effets mobiliers : les fonds de terre de chaque pays font ordinairement pofledes par fes habitans. La plupart des etats ont des loix qui degoutent les etrangers de l’ac- quifition de leurs terres ; il n’y a mdme que la prefence du maitre qui les fafie valoir : ce genre de richeftes appartient done a chaque etat en particulier. Mais les effets mobiliers, comme l’argent, les billets, les lettres de change, les a&ions fur les compagnies , les vaif- feaux, toutes les marchandifes , appartiennent au monde entier, qui , dans ce rapport, ne compofe qu’un feu! etat, dont toutes les focietes font les membres : le peu- ple qui poflede le plus de ces effets mobiliers de l’unb 42B D E L'E S P R / T D E S L 0 I X, vers, eft le plus riche. Quelques etats en ont une im- menfe quantite : ils Jes acquierent chacun par leurs den- rees, par le travail de leurs ouvriers, par leur induftrie, par leurs decouvertes , par le hafard merne. L’avarice des nations fe difpute les mepbles de tout l’univers. II peut fe trouver un etat ft maiheureux, qu’il /era prive des effets des autres pays, & meme encore de pref- gue tous les fiens : les proprietaires des fonds de terre n’y feront que les colons des etrangers. Cet etat man- quera de tout, & ne pourra rien acqudrir; il vaudroit bien mieux qu’il n’eut de commerce avec aucune na¬ tion du monde : c’eft le commerce qui, dans les cir* conftances oil il fe trouvoit, l’a conduit a la pauvrete. Un pays qui envoie toujours moins de marchandifes ou de denrees qu’il n’en reqoit, fe met lui-meme en equilibre en s’appauvriflant : il recevra toujours moins, jufqu’a ce que, dans une pauvrete extreme , il ne re- qoive plus rien. Dans les pays de commerce, 1’argent qui s’eft tout- a-coup evanoui, revient, par ce que les etats qui i’on-t requ le doivent : dans les etats dont nous parlons, 1’ar¬ gent ne revient jamais, parce que ceux qui 1’ont pris ne doivent rien. La Pologne fervira ici d’exemple. Elle n’a prefqu’au’ cune des chofes que nous appellons les effets mobiliers de l’univers, ft ce n’eft le bled de fes terres. Quelques feigneurs poffedent des provinces entieres; ils preftent le laboureur pour avoir une plus grande quantite de bled qu’ils puiffent envoyer aux etrangers, & fe procurer les chofes que demande leur luxe. Si la Pologne ne com- merqoit avec aucune nation, fes peuples feroient plus heureux. Ses grands, qui n’auroient que leur bled , le donneroient a leurs payfans pour vivre ; de trop grands domaines leur feroient a charge, ils les partageroient a leurs payfans ; tout le monde, trouvant des p.eaux ou des laines dans fes troupeaux, il n’y auroit plus une depenfe immenfe a faire pour les habits; les grands, qui ai- ment toujours le luxe, & qui ne le pourroient trouver que darts leur pays 3 encourageroient les pauvres au tra^ Ley RE XX, Cha PITRE XXlil. 429 Vail. Je dis que cette nation feroit plus floriffante, a moins qu’clle ne devint barbare : chofe que les loix pourroient prevenir. Confiderons a prefent le Japon. La quantite excef- five de ce qu’il peut recevoir produit la quantite ex- ceffive de ce qu’i! peut envoyer : les chofes ferortt ea equilibre, comtne ft {’importation & l’exportation etoient moderees; & d’ailleurs cette efpece d’enflure produira a 1’etat mille avantages : il y aura plus de confomma- tion , plus de chofes fur lefquelles les arts peuvent s’exer- cer , plus d’hommes employes, plus de rnoyens d’ac- querir de la puiflance. II peut arriver des cas oil 1’on ait befoin d’un fecours prompt, qu’un etat fi plein peut donner plutot qu’un autre. 11 eft difficile qu’un pays n’ait des chofes fuperfiues : mais c’eft la nature du commerce de rendre les chofes fuperfiues utiles, & les utiles ne- eeffaires. L etat pourra done donner les chofes necef- faires a un plus grand nombre de fujets. Difons done que ce ne font point les nations qui n’ont befoin de rien qui perdent a faire le commerce; ce font celles qui ont befoin de tout. Ce ne font point les peuples qui fe fuffifent a eux-memes, mais ceux qui n’ont rien chez eux, qui trouvent de l’avantage a ne trafiquer avec perfonne, . 43^ D E L* £ S P R I T D E S E 0 I X , L I V R E XXL Des loix, dans le rapport qu'dles ont avec k commerce , conjidere dans les revolutions cpiill a eues dans le monde. - , to . ■■■ ■ -sa * g 3Bga^fe= =-s-- rrq . CHAP IT RE PREMIER. Quelques confiderations generates. C^UOIQUE le commerce foit fujet a de grandes re* volutions, il peut arriver que de certaines caufes phy- fiques, la qualite du terrein ou du climat, fixent pour jamais fa nature. Nous ne faifons aujourd’hui le commerce des Indes que par 1’argent que nous y envoyons. Les Romains (a) y portoient toutes les annees environ cinquante millions de fefterces. Cet argent, comme le notre aujourd’hui, etoit convert! en marchandifes qu’ils rapportoient en Oc¬ cident. Tous les peuples qui ont negocie aux Indes y ont toujours porte des metaux, & en ont rapporte des marchandifes. C’eft la nature me me qui produit cet effet. Les In¬ dians ont leurs arts, qui font adaptes a leur maniere de vivre. Notre luxe ne fqauroit dtre le leur, ni nos befoins etre leurs befoins. Leur climat ne leur demande , ni ne leur permet prefque rien de ce qui vient de chez nous. Us vont en grande partie nuds; les vdtemens qu’ils ont, le pays les leur fournit convenables; Sc leur re¬ ligion , qui a fur eux tant d’empire, leur donne de la repugnance pour les chofes qui nous fervent de nour- (rt) flint , liv. VI, chap. xxm. Liv re XXI, Cha PITRE I. 431 riture. Ils n’ont done befoin que de nos metaux qui font les fignes des valeurs, & pour lefquels ils donnent des marchandifes, que leur frugalite & la nature de leur pays leur procurent en grande abondance. Les auteurs anciens qui nous ont parle des Indes, nous les e'epei- gnent ( \b ) telles que nous les voyons aujourd’hui, quant a la police , aux manieres & aux moeurs. Les Indes ont ete; les Indes feront ce qu’elles font a prefent; Sc, dans tous les temps, ceux qui negocieront aux Indes y porteront deTargent, Sc n’en rapporteront pas. Qb~) Voyez Pline, liv. VI, chap, xix; & Strabon , & liv. XV. CHA PITRE II. Des peuples d'Xfrique. JLs a plupart des peuples des cotes de l’Afrique font fauvages ou barbares. Je crois que cela vient beaucoup de ce que des pays prelque inhabitables feparent de pe- tits pays qui peuvent etre habites. Ils font fans indul- trie ; ils n’ont point d’arts; ils ont en abondance des metaux precieux qu’ils tiennent immediatement des mains de la nature. Tous les peuples polices font done en etat de negocier avec eux avec avantage; ils peuvent leur faire eftimer beaucoup des chofes de nulle valeur, Sc en recevoir un tres-grand prix. ■e . —. ... — — ,',=gv!— ! ~r_^j=a p; CHAPITO III. Que les befoins des peuples du midi font dijferens dc ceux des peuples du nord. IL y a, dans l’Europe , une efpece de balancement entre les nations du midi Sc celles du nord, Les pre- 432 De l'e sprit des L 0 I X, mieres ont toutes fortes de commodites pour la vie J & peu de befoins ; les fecondes ont beaucoup de be- loins, & pen de commodites pour la vie. Aux unes, la nature a donne beaucoup, elles ne lui demandent que peu; aux autres , la nature donne peu, & elles lui de¬ mandent beaucoup. L’equilibre fe maintient par la pa- reffe qu’elle a donnee aux nations du midi, & par 1’in- du/1 rie & I’a&ivite qu’elle a donnee a cedes du nord. Ces dernieres font obligees de travailler beaucoup; fans quoi, elles manqueroient de tout, & deviendroient bar- bares. C’eft ce qui a naturalife la fervitude chez les peu- ples du midi : comrne ils peuvent aifement fe paffer de richeffes, ils peuvent encore mieux fe paffer de liberte. Mais les peuples du nord ont befoin de la liberte, qui leur procure plus de moyens de fatisfaire tous les be¬ foins que la nature leur a donnds. Les peuples du nord font done dans un etat force, s’ils ne font libres ou barbares: prefque tous les peuples du midi font, en quel- que faqon, dans un e'tat violent, s’ils ne font efclaveS. \ CHAPITRE IY. Princlpale difference du commerce des anciens , d'avec celui d'aujourd'hui. T i v monde fe met, de temps en temps, dans des fituations qui changent le commerce. Aujourd’hui le com¬ merce de l’Europe fe fait principalement du nord au midi. Pour lors la difference des climats fait que les peuples ont un grand befoin des marchandifes les uns des autres. Par exemple, les boiffons du midi portees au nord ferment une efpece de commerce .que les an¬ ciens n’avoient gueres. Auffi la capacite des vaiffeaux, qui fe mefuroit autrefois par muids de blqd, fe mefure- t-elle aujourd’hui par tonneaux de liqueurs. Le commerce ancien que nous connoiffons fe faifant d’un port ds la mediterranee a l’autre, etoit prefque tout dans L i v re XXI , Chapitre IV. 433 titans le midi. Or, les peuples du meme ciimat ayant ehez eux a peu pres les mchnes chofes, n’ont pas tant de befoin de commercer entre eux, que ceux d’un cli- snat different. Le commerce en Europe etoit done autre- fois moins etendu qu’il ne l’eft a prefent. Ceci n’eft point contradfeloire avec ce que j ai die de notre commerce des Indes : la difference exceffive du ciimat fait que les befbins relatifs font nuls. CHAPITRE V. Autres differences. ■■ T r F commerce, tantot detruit par les conquerans, tari- t&t gdne par les monarques, parcourt la terre, fujt d’ou il eft opprime, fe repofe oil on le laiffe refpirer : il regne aujourd’hui ou l’on ne voyoit que des delerts, des mers & des rochets; la ou il regnoit, il n’y a que des deTerts. A voir aujourd’hui la Colchide, qui n’eft plus qu’une vafte foret, ou le peuple, qui diminue tous les jours, ne defend fa liberte que pour fe vendre en detail aux Turcs & aux Perfans; on ne diroit jamais que cette contree eut ete, du temps des Romains, pleine de vil- les ou le commerce appelloit routes les nations du monde. On n’en trouve aucun monument dans le pays; il n’y en a de traces que dans Piine (a) & Ssrabon (b'). L’hiftoire du commerce eft celle de la communica¬ tion des peuples. Leurs deftrudlions diverfes, & de cer¬ tains flux & reflux de populations Sc de devaluations , en ferment les plus grands evenemens. ■ ■' — ■ ' • . | ' -- I I ! ' ' ^ («) Liv. VI. <) Liv. II. Tome L / 434 & E L ' E SPRIT 1>E§ L 0 I X, ^ — ——. — ■ — aajgj%35teai£ = —■ ——— —y CHAPITRE VI. Du commerce des ancient. JLes trefors immenfes de (a) Semiramis , qui ne poti- voient avoir etc acquis en un jour, nous font penfer que les Affyriens avoient eux-memes pille d’autres na¬ tions riches, comme ies autres nations les pillerent apres. L’effet du commerce font les richefles; la fuite des rtcheffes, le luxe; celle du luxe, la perfection des arts. Les arts portes au point ou on les trouve du temps de Simiramis (A), nous marquent un grand commerce deja etabli. II y. avoit un grand commerce de luxe dans les em¬ pires d’Afie. Ce feroit une belle partie de l’hiftoire du commerce que l’hiftoire du luxe; Je luxe des Perfes etoit celui des Medes, comme celui des Medes etoit celui des Affyriens. II eft arrive de grands changemens en Afie. La par- tie de la Perfe qui eft au nord-eft, l'Hyrcanie, la Mar- giane , la Baftriane , See, etoient autrefois pleines de villes floriffantes (e) qui ne font plus; & le nord (4) de cet empire, e’eft-a-dire, l’ifthme qui fepare la mer Cafpienne du Pont-Euxin, etoit couvert de villes &c de nations, qui ne font plus encore. Eratoflhene (e) & A rifiobule tenoient de Patrocle (/) » que les marchandifes des Indes paffoient par Pt)xus dans la mer du Pont. Marc Varron (g) nous nit que 1’oti (a') Diodore, liv, II. (J) Ibid. (O Voyez Pline , liv. VI, chap. xvi; & Strabon , liv. XI. (rf) Ibid. (e) Ibid. (/) L’autoritg de Patroele eft confiderable, comme il pa¬ role par un recit de Strabon, livre II. (g) Dans Pline , liv. VI, chap. xvu. Voyez auffi Strabon, liv. XI, fur le trsfiet des mar¬ chandifes du Phafe au Cyrus. L l V RE XXI , C H Ai’IT ft E VI. 435 gpprit, du temps de Pornpee dans Ja guerre contre Mi- thridate, que 1’on alloit en fept jours de l’lnde dans le pays des Baclriens, & au fleuve Icarus qui fe jette dans l’Oxus; que par-la les marchandifes de i’Inde pou- voient traverfer la mer Cafpienne, entfer de-la dans I’embouchure du Cyrus; que, de ce fleuve, il ne fal- loit qu’un trajet par terre de cinq jours pour aller au Phafe qui conduifoit dans le Pont Euxin. C’eft fans doute par les nations qui peuploient ces divers pays, que les grands empires des Aflyriens, des Medes & des Per- les, avoient une communication avec les parties de l’o* rient & de l’occident les plus reculees. Cette communication n’eft plus. Tous ces pays ont ete devaftes par les Tartares (/t) , & cette nation def- trudlrice les habite encore pour les infefter. L’Oxus ne va plus a la mer Cafpienne ; les Tartares l’ont detourne pour des raifons particulieres (/); il fe perd dans des fables arides. Le Jaxarte, qui formoitvautrefois une barriers entre les nations poli cees & les nations barbares, a ete tout de meme detournee (&) par les Tartares , & ne va plus jufqu’a la mer. Seleucus Nicator forma le projet (7) de joindre le Pont-Euxin a la mer Cafpienne. Ce deffein, qui eut donne bien des facilites au commerce qui fe faifoit dans c,e temps-la, s evanouit a fa mort (ot). On ne fqait s’il auroit pu I’executer dans l’ifthme qui fepare les deux triers. Ce pays eft aujourd’hui tres-peu connu ; il eft depeupld & plein de fordts. Les eaux n’y manquent (£) Il faut que, depuis le temps de Ptolomde, qui nous decrit tant de rivieres qui fe jet- tent dans la partie orientaie de la mer Cafpienne, il y ait eu de grands changemens dans cfi pays. La carte du czar ne met, de ce cdte-lh, que la riviere d 'Aft rah at; & celle de M. Ba- thalfi, rien du touts O') Voyez la relation de Geti- kinfon , dans le rectiei! des voya¬ ges du nord, tome TV. (£) Je crois que dela s’eftr forme le lac Aral. (J) Claude Cefar , dans Pline i liv. VI, chap. 11. (») Il fut tue par Ptolomee Cdranus. Ee 1 } 436 Be l’esprit des loix, pas, car une infinite de rivieres y dependent du morif Caucafe: inais ce Caucafe, qui forme le nord de l’ifthme, (k qui erend des efpeces de bras (n) au midi, auroit efie un grand obftacle, fur-tout dans ces temps-la, oil 1’on n’avoit point l’art de faire des eclufes. On pourroit croire que SeUucus vouloit faire la jonc- t ion des deux mers dans le lieu m£ine oil le czar Pierre I l’a faite depuis, c’eft-a-dire, dans cette langue de terre oil le Tana'is s’approche du Volga : mais le nord de la mer Cafpienne n’etoit pas encore decouvert. Pendant que, dans les empires d’Afie, il y avoit un commerce de luxe; les Tyriens faifoient par toute la terre un commerce deconomie. Bochard a employe le premier livre de fon Chanaan a faire 1 enumeration des colonies qu’iis envoyerent dans tous les pays qui font pres de la mer; ils pafterent les colonnes d’Hercule, & firent des etabliffemens ( o ) fur les cotes de l’ocean. Dans ces temps-la, les navigateurs etoient obliges de fuivre les cdtes, qui etoient, pour ainfi dire, leur bouf foie. Les voyages etoient longs & penibles. Les tra- vaux de la navigation d’Ulyffe ont ete un lujet fertile pour le plus beau poeme du monde , apres celui qui eft le premier de tous. ' Le peu de connoiffance que la plupart des peuples avoient de ceux qui etoient eloignes d’eux, favorifoit les nations qui faifoient le commerce d’economie. Elies mettoient dans leur negoce les obfcurites qu’elles vou- loient: elles avoient tous les avantages que les nations intelligentes prennent fur les peuples ignorans. L’Egypte eloignee, par la religion & par les moeurs, de toute communication avec les etrangers, ne faifoit gueres de commerce au-dehors : elle jouiffoit d’un ter- rein fertile & d’une extreme abundance. C’etoit le Ja- pon de ces temps-la : elle fe fuffifoit a elle-meme. Les Egyptiens furent ft peu jaloux du commerce du dehors, qu’ils laiflerent celui de la mer rouge a toutes («) Voyez Strabon , liy. XI. () employa a cette navigation des 7’yriens qui connoiffoient ces mers. Jofephe (q) dit que fa nation, uniquement occupee de l’agriculture, connoiffoit peu la mer: aufli ne fut-ce que par occafion que les Juifs negocierent dans la mer rouge. Ils conquirent, fur les Idumeens, Elath &■ Afion- gaber qui leur donnerent ce commerce : ils perdirent ces deux villes, & perdirent ce commerce aufli. 11 n’en fut pas cle meme des Pheniciens : ils ne fai- foi'ent pas un commerce de luxe; ils ne ndgocioient point par la conquete : leur frugalite, leur habilete, leur in- duftrie, leurs perils , leurs fatigues, les rendoient ne- ceffaires a toutes les nations du monde, Les nations voifines de la mer rouge ne negocioient que dans cette mer & celie d’Afrique. L’etonnement de l’univers a la decouverte de la mer des Indes ? faite fous Alexandria le prouve affez. Nous avons dit (7) qu’on pans toujours aux Indes des metaux precieux , & que 1’on n’en rapporte point (/) : les flottes Juives, qui rapportoient par la mer rouge de l’or & de l’ar- gent, revenoient d’Afrique, non pas des Indes. Je dis plus : cette navigation fe faifoit fur la cote orientate de l’Afrique : & 1’etat oil etoit la marine pour lors, prouve affez qu’on n’alloit pas dans des lieux bien recules. Je fqais que les flottes de Salomon & de Jo^aphat jie revenoient que la troifieme annee : mais je ne voss pas que la longueur du voyage prouve la grandeur de l’eloignement. Plim & Strabon nous difent que le chemin qu’un navire des Indes & de la mer rouge , fabrique de joncs, Q>) Li v, II I des rois , chap, ix; Paralip. liv. II, chap. vm. (q') Contre Appion. (r) Au chap. I. de ce livre. (/) La proportion etablie cn Europe entre for & fargent peut quelquefois faire trouvcr du profit a prendre dans les In¬ des de for pour de fargent; mais c’eft pen de chofe. Ee iij 45 *$ D E l' E S P K I T DES L 0 I X, faifoit en vingt jour s, un navire Grec ou Romaln la faifoit en fept (/). Dans cette proportion, un voyage d’un an pour les flottes Grecques & Romaines etoit a peu pres de trois pour celles de Salomon. Deux navires d’une vxteffe inegale ne font pas leur voyage dans un temps proportionne a ieur vitefle : la lenreur produit fouvent une plus grande lenteur. Quand i 1 s’agit de fuivre les cotes, & qu’on fe trouve fans cede dans une differente pofition ; qu’il faut attendre un bon vent pour fortir d’un golfe, en avoir un autre pour aller en avant, un navire bon voider profite de tous les temps favorables; tandis que i’autre refte dans un endroit dif¬ ficile , & attend plufieurs jours un autre changenient, Cette lenteur des navires des Indes qui, dans un temps egal, ne pouvoient faire que le tiers du chetnin que faifoient les vailTeaux Grecs & Romains, pent s’expli- quer par ce que nous voyons aujourd’hui dans notre ma¬ rine. Les navires des Indes, qui etoient de joncs, ti- roient moins d’eau que les vaifleaux Grecs & Romains t qui etoient de bois, & joints avec du fer. On peut comparer ces navires des Indes a ceux de quelques nations d’aujoutd’hui, dont les ports ont peu e s t o i x, 11 eft vrai qu’Alexandre conquit les Indes : mais faut-if conquerir un pays pour y negocier ? J’examinerai ceci. L’Ariane (c), qui s’etendoit depuis le golfe Perfique jufqu’a 1’Indus, & de la mer du midi jufqu’aux mon- tagnes des Paropamifades , dependoit bien en quelque faqon de l’empire des Perfes : mais, dans la partie me- ridionale, elle etoit aride, brulee, inculte & barbare. La tradition Cd') portoit que les armees de Setniramis & de Cyrus avoient peri dans ces deferts : & Alexan¬ dre , qui fe fit fuivre par fa flotte, ne laiffa pas d’y per- dre une grande partie de fon armee. Les Perfes laif- foient toute la cote au pouvoir des Ifthyophages (e), des Orittes, & autres peuples barbares. D’ailleurs, les Perfes netoient pas navigateurs, & leur religion meme !eur otoit toute idee de commerce maritime (/). La navigation que Darius fit faire fur l’Indus fk la mer des Indes, fut plutot une fantaifie d’un prince qui veut montrer fa puiffance , que le projet regie d’un monar- que qui veut l’employer. Elle n’eut de fuite, ni pour le commerce, ni pour la marine; &, ft Von forth de Fignorance, ce fut pour y retomber. II y a plus : il etoit recu (g), avant l’expedition d’A- lexandre , que la partie meridionale des Indes etoit in¬ habitable (/') : ce qui fuivoit de la tradition que Semi- ramis (/') n’en avoit ramene que vingt hommes, & Cy¬ rus que fept. Alexandre entra par le nord. Son deffein etoit de marcher vers l’orient : mais, ayant trouve la partie du midi pleine de grandes nations, de villes & de rivie¬ res, il en tenta la conqudte & la fit. O) Strabon , liv. XV. raerce maritime, & ils traitent C«) Ibid. d’athees ceux qui vont fur mer. (e) Plin.e, liv. VI, ch. xxih; GO Strabon , liv. XV. Strabon , liv. XV. (J:') Hirodote, in Melpomene, (/') Pour ne point fouiller dit que Darius, conquit les In- les Siemens', ils ne navigeoient des. Cela ne peut etre entendu pas fur les fleuves. M. llidde , que de l’Ariane : encore ne fut- i religion des Perfes. Encore au- ce qu’une conquete en idee, jouid’hui ils n’ont point de com- (0 Strabon, liv. XV. L 1 V R E XXI, C hapitre VIII. 445 TPour lors, il forma le deffein d’unir les indes avec 1’oc- c'lderit par uri commerce maritime, comme il les avoir unies par des colonies qu’il avoit etablies clans les terres. Il fit conduire une flotte fur l’Hydafpe, defoendit cette riviere, entra dans l’lndus, & navigea jufqu’a fon em¬ bouchure. Il laiffa fon armee St fa flotte a Patale ; alia lui-mdme avec quelques vaiffeaux reconnoitre la mer; marqua les lieux oil il voulut que Ton conflruisit des ports, des havres, des arcenaux. De retour a Pa¬ tale il fe fepara de fa flotte, & prit la route de terre, pour lui donner du fecours, & en recevoir. La flotte fuivit la cote depuis Pembouchure de l’lndus, le long du rivage des pays des Orittes, des Icthyophages, de la Caramanie St de la Perfe. Il fit creufer des puits, batir des villes; il defendit aux Ifthyophages (A) de vivre de poilfon; il vouloit que les bords de cette mer fuffent habites par des nations civilifees. Nearquc 8c Oneficrite ont fait le journal de cette navigation, qui fut de dix mois. Ils arriverent a Sufe; ils y trouverent Alexandre qui donnoit des fetes a fon armee. Ce conquerant avoit fonde Alexandrie, dans la vue de s’aflfurer de^Egypte : e’etoit une clef pour t’ouvrir, dans le lieu mdme ou les rois fes predeceffeurs avoient line clef pour la fermer (/) : St il ne fongeoit point a un commerce dont la decouverte de la mer des Indes pouvoit leule lui faire naitre la penfee. ( k ) Ceci ne fcauroit s’enten¬ dre de tous les ifthyophages, qui' Jiabitoient une cdte de dix mille Lades. Comment Alexandre au- roit-il pu leur donner la fubfif- tance? Comment fe feroit-il fait obeir ? Il ne peut etre ici quef- tion que de quelques peuples particuliers. Nearque, dans le livre rerum indicarim , dit qu’a 1’extrdmite de cette cote, du c6te dela Perfe, il avoit trouve les peuples meins i&hyophages. Je croirois que l’ordre d’Alexan¬ dre regatdoit cette cohtree, ou quelque autre encore plus vol- fine de la Perfe. (/) Alexandrie fut fondee dans une plage appelle'e Racotis, Les anciens rois y tenoient une garnifon, pour defendre l’entree du pays aux Strangers, & fur- tout aux Grecs , qui etoient, comme on fcait, de grands py- rates. Voyez Pline , liv. VI, chap, x; & Strabon, liv. XVIII. 34 0 De l esprit i) e s loiz, II paroit meme qu’apres cette decouverte , il n’eut aucune vue nouvelle fur Alexandrie. II avoit bien, en general, le projet d’etablir un commerce entre les ln- des & les parties occidentales de fon empire : mais * pour le projet de faire le commerce par VEgypte, il lui manquoir trop de connoiflances pour pouvoir le for¬ mer. Il avoit vu I’lndus, il avoit vu le Nil; mais ,il ne connoiffoit point les mers d’Arabie, qui font entre deux. A peine fut-il arrive des Indes, qu’il fit confi- truire dfe pouvelles fiottes, & navigea (m) fur l’Euleus, le Tigre, l’Euphrate & la mer: il ora les cataracles que les Perfes avoient mifes fur ces fleuves : il decouvrit que le fein Perfique etoit un golfe de l’ccean. Comme il alia reconnoitre (n) cette mer, ainfi qu’il avoit re- connu celle des Indes; comme il fit conftruire un port a Babylone pour mille vaiffeaux, & des arcenaux ; comme il envoya cinq cens talens en Phenicie & en Syrie, pour en faire venir des nautoniers, qu’il vouloit pla¬ cer dans les colonies qu’il repandoit fur les cotes ; com¬ me enfin il fit des travaux immenfes fur i’Euphrate & les autres fleuves de l’Aflyrie, on ne pent douter que fon deflein ne fut de faire le commerce des Indes par Babylone & le golfe Perfique. Quelques gens , fous pretexte qu Alexandre vouloit conquerir l’Arabie (o') , ont dit qu’il avoit forme le def- fein d’y mettre le fiege de fon empire : mais, comment auroit-i] choifi un lieu qu’il ne connoilfoit pas (p) ? D’ailleurs, c’etoit le pays du rnonde le plus incom¬ mode : il fe feroit fepare de fon empire. Les Califes, qui conquirent au loin , quitterent d’abord i’Arabie, pour s etablir ailleurs. (m) Arrien, dz expeditions (p) Voyant la Babylonie' Alexandri , lib. VII. inondde, il regardoit 1’Arabic , (n) Ibid. qui en eft proche, comme une (n) Strabm , livre XVI, a ifle. Arijlobule , dans Strabon, la gin. liv. XVI, • Li f re XXI, Chapitre IX. 447 ' 4 . _'■ —- - CHAPITRE IX. Du commerce des rois Grecs, apr'es Alexandre. JLorsque Alexandre conquit l’Egypte , on connoiffoit tres-peu la mer Rouge, &c rien de cette partie de Focean qui fe joint a cette mer, & qui baigne d’un cote la cote d’Afrique , & de 1 ’autre celle de 1 ’A- rabie : on crut meme depuis qu’il etoit impoffible de faire le tour de la prelqu’ifle d’Arabie. Ceux qui l’avoient tente de cliaque cote, avoient abandonne leur entre- prife. On difoit (C celui de la cote occidentale par les colonnes d’Hercule. Les rois Gr^s d’Egypte decouvrirent d’abord, dans la mer Rouge, Ta partie de la cote d’Afrique qui va de- puis le fond du golfe ou eft la cite d'Heroum , jufqu’a Dira, e’eft-a-dire, jufqu’au detroit appelle aujourd’hui de Babdmandd. De-la, jufqu’au proniontoire des Aro- ( a ) Herodole , liv. IV. Il vou- loit conquerir, (b~) Pline , liv. II , chap, lxvii, Pomponius Mela, liv.Ill, ch. ix. fc) Herodote, in Melpomene, (_d~) Joignez a ceci, ce que je dis au chap, xi de ce livre, fur la navigation d 'Hannon, (e) On trouve dans l’ocean Atlantique , aux mois d’Oclo- bre, noyembre , decembre & janvier, un vent de nord-ell. On paffe la iigne; &, pour cru¬ der le vent general d’ell, on di- rige fa route vers le fud : on bien on entre dans la zone tor- ride , dans les lieux oil le vent fouffle de l’oueft a reft. Ff iij 454 l'espait n e s l n f x, mates fitue a l’enrre'e de la mer Rouge (f), la cote n’avoit point ete reconnue par les navigateurs : & cela eft clair par ce que nous dit Artemidore (g), que Ton connoi/Toir Jes lieux de cette cote, mais qu’on en igno- roit les diftances; ce qui venoit de ce qu’on avoit D £ l'esprit des L01X, CHAPITRE XL Carthage & 1 Marfeille. Carthage avoit un fingulier droit des gens; elle faifoit noyer (a) tons les etrangers qui trafiquoient en Sardaigne & vers les colonnes d’Hercule. Son droit po T litique n’etoit pas moins extraordinaire; elle defendit aux Sardes de cultiver la terre, fous peine de la vie. Elle accrut fa puiffance par -fes richeffes, & enfuite fes richeffes par fa puiffance. Maitreffe des cotes d’Afrique que baigne la mediterranee, elle s’etendit le long de celles de l’ocean. Hannon, par ordre du fenat de Car- thage, repandit trente mille Carthaginois depuis les co¬ lonnes d’Hercule julqu’a Cerne. II dit que ce lieu eft auffi eloigne des colonnes d’Hercule, que les colonnes d’Hercule le font de Carthage. Cette poftrion eft tres- remarquabie ; elle fait voir qu 'Hannon borna fes eta- bliffemens au vingt-cinquieme degre de latitude nord , c’eft-a-dire, deux ou trois degres au-dela des ifles Ca¬ naries , vers le fud. Hannon , etant a Cerne, fit une autre navigation, dont l’effet etoit de faire des decouvertes plus avant vers le midi. II ne prit prefque aucune connoiffance du con¬ tinent. L’etendue des cotes qu’il fuivit fut de vingt-fix jours de navigation , & il fut oblige de revenir faut? tie vivres. 11 paroit que les Carthaginois ne firent aucuu ulage de cette entreprife d’ Hannon. Scylax (b) dit qu’au- dela de Cerne, la mer n’eft pas navigeable (c), parce qu’elle y eft baffe , pleine de limon & d’herbes ma¬ rines : effedHvement il y en a beaucoup dans ces pa- V" ■■■ » — f '■ 1 ■■■ . . . • ' ■■■ ' ■■■* .— '« " ' ' if (a) Lratofthene , dans Stra- (f) Voyez Herodote , in bon,H v -XVir, pag. 802. Melpomene , fur les obftacles (£) Voyez fbn People, ar- que Satafpe trouva. tide de Carthage, L 1 V R E XXI, C H A 1> I T R E XI. 45f rages () , dans la negociation avec les Romains, declara qu’il ne fouffriroit pas feulement qu’ils fe lavaftent les mains dans les mers de Sicile ; il ne leur fut pas permis de naviger au deia du beau Promon- (jn) Voyez Fejius Avienus. (j>~) Tite-Live , fuppletnen: («) Strabon , liv. Ill , fur la fin. de Frenshemius, fecoijde de- ( 0 ) Il en fut recompenfe par cade, liv. VI. le ienat de Carthage. L l V R E XXI , C I-I A I> I T 11 E XI. 4<5x toire; il leur fut defendu ( 5 ) de trafiquer en Sidle (a), en Sardaigne , en Afrique , excepte a Carthage : ex¬ ception qui fait voir qu’on ne leur y pre'paroit pas un commerce avantageux. II y eut, dans les premiers temps, de grandes guerres entre Carthage & Marfeille (/) au fujet de la peche* Apres la paix, ils firent concurremment le commerce d’e'conomie. Marfeille fut d’autant plus jaloufe, qu’ega- iant fa rivale en induftrie , elle lui etoit devenue in- ferieure en puiflance : voila la raifon de cette grande fidelite pour les Romains. La guerre que ceux-ci firent contre les Carthaginois en Efpagne, fut une fource de richeffes pour Marfeille, qui fervoit d’entrepot. La ruine de Carthage & de Corinthe augmenta encore la gloire de Marfeille : &, fans les guerres civiles, oil il fal- loit fermer les yeux, & prendre un parti, elle auroit ete heureufe fous la protection des Romains, qui n’a- voient aucune jaloufie de fon commerce. O) Polybe,.\ ib. III. 00 Juftin, liv, XLIII, cha- (V) Dans la partie fujette aux pitre v. Carthaginois. .<• „ "t-- ■ . ,T.-rr- CHAPITRE XII. lfle de Ddlos. Mithridate. C^ORINTHE ayant ete detruke par les Romains J les marchands fe retirerent a Delos. La religion & la veneration des peuples faifoient regarder cette ifle comme un lieu de furete Qa') : de plus elle etoit trds-bien fituee pour le commerce de l’ltalie & de l’Afie, qui, de- puis I’aneantiffement de l’Afrique & 1’a/FoiblilTement de la Grece, etoit devenu plus important. («) Voyez Strabon, liv.. X. 4<52 D E l’ESPRI'T DES L O 1 Xi Des les premiers temps, les Grecs envoyerent, com* me nous avons dit, des colonies 1'ur la Propontide le Pont-Euxin: elles conferverent, (bus les Perfes, leurs loix & leur liberte. Alexandre , qui n’etoit parti que contre les barbares , ne les attaqua pas (b'). II ne pa- roit pas merne que les rois de Pont, qui en occupe- rent plufieurs, leur euflent (c) ote leur gduverneinent politique. La puiffance (d) de ces rois augmenta, fitot qu’ils les eurent foumifes. Mithridate fe trouva en etat d’a- cheter par-tout des troupes; de reparer (e) continue!* lement fes pertes; d’avoir des ouvriers, des vaiffeaux, des machines de guerre; de fe procurer des allies; da corrompre ceux des Romains & les Romains merne; de foudoyer (f) les barbares de l’Afie & de l’Europe; de faire la guerre long-temps, &, par confequent de difci- pliner fes troupes: il put les armer, & les inftruire dans Part militaire (g~) des Romains, & former des corps con- fiderables de leurs transfuges : en/5n, il put faire de gran¬ der pertes , & louffrir de grands echecs , fans perir: & il n’auroit point peri , fi , dans les pro/perites, le roi voluptueux & barbare n’avoit pas detruit ce que $ dans la mauvaife fortune , avoit fait le grand prince. C’eft ainfi que, dans le temps que les Romains etoient au comble de la grandeur, & qu’ils fembloient n’avoir a craindre qu’eux-mdines, Mithridate remit en queftion (Z>) Il confirms la liberte de la ville d 'Antife, colonic Athti- nienne, qui avoit joui de l’dtat popnlaire, merne fous les rois de Perfe. Lucullus , qui prit Synopc & Amite, leur rendic la liberte, & rappella les habitans, qui s’e- toient enfuis fur leurs vaiffeaux. (0 Voyez ce qu’ecrit Ap- pien fur les Pbanagoreens, les Amifiens, les Synopiens, dans ion livre- de la guerre contre Mi- thridate. ( 7 /) Voyez Appien, fur les trefors immeufes que Mithridate cmploya dans fes guerres, ceux qu’it avoit caches, ceux qu’il perdit fi fotivent par la trahifon des (tens, ceux qu’on trouva apres fa mort. (e) Il perdit une fois 170660 hommes, & de nouvelles armees reparurent d’abord. Cf) Voyez Appien, de la guerre contre Mithridate. (g) Ibid. LiV’s.r. XXI , Ch a pit re XII. 463 ce que la prife de Carthage, les de'faites de Philippe, tTAntiochus & de Perfee, avoient decide. Jamais guerre ne fut plus funefte : & les deux partis ayant une grande puiflance & des avantages mutuels, les peuples de la Grece & de 1’Afie furent detruits, ou comme amis de Mithridate, ou comme fes ennemis. Delos fut enve- loppee dans le malheur commun. Le commerce tomba de routes parts: il falloit bien qu’il fut detruit; les peu¬ ples l’etoient. Les Romains, fuivanr un lyfleme dont j’ai parle ail- leurs (A), deftrudfeurs pour ne pas paroitre conquerar.s, ruinerent Carthage & Corinthe: &, par une telle pra¬ tique , ils fe feroient peut-etre perdus, s’ils n’avoient pas conquis toute la terre. Quand les rois de Pont fe ren- dirent maitres des colonies Grecques du Pont-Euxin, ils n’eurent garde de detruire ce qui devoit etre la caufe leur grandeur. (&) Dans les confiddratious fur les caufes de la grandeur de* 'Romains. CHAPIT1E XIII. Du gink des Romains pour la marine. ES Romains ne faifoient cas que des troupes de terre , dont 1’efprit etoit de relfer toujours ferine, de combattre au meme lieu , & d’y mourir. Ils ne pou- voient efb'mer !a pratique des gens de mer, qui fe pre- fentent au combat, fuient, reviennent, evitent toujours le danger, emploient la rufe, rarement la force. Tout cela n’etoit point du genie des Grecs (a) , & etoit encore moins de celui des Romains. Ils ne deftinoient done a la marine que ceux qui n’e- (a) Comme fa remarque Plr.ton ■> liv. IV. des loix. 464 D E L' E S P R I T n E S L 0 1 X, toient pas des citoyens affez confiderables (£) pour avoir place dans les legions : les gens de mer etoient ordi- nairement des affranchis. Nous nhvons aujourd’hui ni la meme e/lime pour les troupes de terre , ni le meme mepris pour celles de mer. Chez les premieres (c) , l’art eft diininue; chez les /econdes (rl) , il eft augmente : or, on eftime les chofes a proportion du degre de fuffifance qui eft re- quis pour les bien faire. (£) Polybe, liv. V. • tO Voyez les conliderations fur les caitfes de la grandeur des Romains, &c. (d) Ibid. CHAPITRE XIV. Du g£nie des Romains pour le commerce. o N n’a jamais remarque aux Romains de jaloulie fur le commerce. Ce fut comme nation rivale, & non comme nation commercante , q'u’ils attaquerent Car¬ thage. Us favoriferent les villes qui faifoient le com¬ merce , quoiqu’elles ne fuffent pas fujettes : ainfi ils augmenterent, par la ceffion de plufieurs pays, la puif- fance de Marfeille. Ils craignoient tout des barbares, 8t rien d’un peuple negociant. D’aitleurs, leur genie, Ieur gloire, leur education militaire , la forme de leur gouvernement, les eloignoient du commerce. Dans la ville , on n’etoit occupe que de guerres, d’eledions, de brigues & de procds; a la campagne, que d’agriculture; &, dans les provinces, un gouver¬ nement dur & tyrannique etoit incompatible avec le commerce. Que ft leur conftitution politique y etoit oppofee, leur droit des gens n’y repugnoit pas moins. » Les peu- » pies, Li-VUE XXL Ch a PITRE XIV. 465 pies , dit le jurifconfulte Pomponius ( a ), avec lefquels d nous n’avons ni amitie , ni holpitalite, ni alliance, ne « font point nos ennemis : cependant, li une chofe qui << nous appartient, tombe entre leurs mains, ils ert font « proprietaires, les homines libres deviennent leurs ef- <4 claves; & ils font dans les memes termes a notre egard. << Leur droit civil n’etojt pas moins accablant. La loi de Conftaniin , apres avoir declare batards les enfans des perfonnes viles qui fe font mariees avec celles d’une con¬ dition relevee, confond les femmes qui ont une bou¬ tique (£) de marchandifes avec les efclaves, les ca- baretieres, les femmes de theatre ^ les lilies d’un horn- me qui tient un lieu de proftitution , ou qui a ete con- damne de combattre fur l’arene : ceei delcendoit des anciennes inflitutions des Romains; Je Iqais bien que des gens plains de ces deux idees % fune , que le commerce eft la chofe du monde la plus utile a un etat; & l’autre , que les Romains avoienf la meilleure police du monde, ont cru qu’ils avoient beaucoup encourage & honore le commerce : mais la verite eft qu’ils y ont rarement penfe. (a') Leg. 5 , §. 2 , ff. de captivis. (b) Qua mercimoniis public's prafuit. Leg. 1, cod. de nd*- tural. liberis. ■e - - ■ - ^ .-g— =±==0 j CHAPITR.E XV. Commerce des Romains avec les barbares. I_i es Romains avoient fait, de l’Europe, de 1’Afi'd & de l’Afrique, un vafte empire : la foibleffe des peu- pies & la tyrannie du commandement unirent toutes les parties de ce corps immenfe. Pour lors, la politi¬ que Romaine fut de fe feparer de toutes les nations qui n’avoient pas ete aftujetties : la crainte de leur porter Tart de vaincre , lit negliger Part de s’enrichir. Ils firent Tome I. Gg 466 D E L*E SPRIT DES L01X , des loix pour empecher tout commerce avec les bar- bares, n Que perfonne, difent Vaims & Gratirn (a), 5> n’envoie du vin , de l’huile ou d’aurres liqueurs aux » barbares, jneme pour en gouter. Qu’on ne leur porte » point de For , ajoutent Gratirn , Valmtinien & Theo- » dofe (l); & que mdme ce qu’ils en ont, on le leur » ote avec fineffe. « Le tranfport du fer fut defendu fous peine de la vie (c). Domitun , prince timide , fit arracher les vignes dans la°Gaule ( d~) ; de crainte, Ians doute, que cette li- q&bur n’y attirat les barbarc-s, comme elle les avoit autrefois attires en Italie. Probus & Julim , qui ne les redouterent jamais, en retablirent la plantation. Je fqais bien que, dans la foibleffe de Pempire, les barbares obligerent les Romains d’etablir des etapes ( es l o i x, ties. II falloit qu’ils y envoyaffent leur argent ; ils n’avoient pas, comme nous , la reffource de l'Amen- que, qui fupple'e a ce que nous envoyons. Je fuis per- fuade qu’une des raifons qui fit augmenter chez eux la valeur numeraire des monnoies, c’eft-a-dire, etablir le billon, fut la rarete de l’argent, caufee par le tranfport conrinuel qui s’en faifoit aux Indes. Que ft les mar- cfiandifes de ce pays fe vendoient a Rome le centu¬ ple , ce profit des Romains fe faifoit fur les Romains rnemes , & n’enrichiffoit point l’empire. On pourra dire, d’un autre cote, que ce commerce procuroit aux Romains une grande navigation , e’eft-a- dire, une grande puiflance; que des marchandifes nou- velles augmentoient le commerce interieur, favorifoient les arts, entretenoient l’induftrie; que le nombre des citoyens fe multiplioit a proportion des nouveaux moyens qu’on avoit de vivre; que ce nouveau commerce pro- duifoit le luxe, que nous avons prouve etre auffi favo¬ rable au gouvernement d’un feul, que fatal a celui de plufieurs i. que cet etabli ffement fut de meme date que la chute de leur republique; que le luxe a Rome etoit neceffaire; & qu’il falloit bien qu’une ville qui attiroit a elle t'outes les richeffes de l’univers, les rendlt par fon luxe. Strabon (f) dit que le commerce des Romains aux Indes etoit beaucoup plus confiderable que celui des rois d’Egypte : & il eft fingulier que les Romains, qui connoiftoient peu le commerce , aient eu, pour celui des Indes, plus d’attention que n’en eurent les rois d’E¬ gypte , qui l’avoient , pour ainfi dire , fous les yeux. II faut expliquer ceci. Apres la mort d’Alexandre , les rois d’Egypte eta- blirent aux Indes un commerce maritime; & les rois de Syrie , qui eurent les provinces les plus orientales de l’empire, & par confequent les Indes, maintinrent (/) II dit, au liv. XII, que les Romains y employoient cent vingt navires; &, au liv. XVII, que Les rois Grecs y en envoyoient & peine vingt. Livre XXI , ChapitiIe XVI. 4 6p ce commerce dont nous avons parle au chapitre VI., ) Liv. VI, chap. xra. tieme degre de longitude, & eh- Nos meilleures cartes pla- . viron ie quarantieme de latitude. Gg iij 47 ° .10 E id E SPRIT EES I. 0 I X , voit regner, mais exifter. Entre les deux empires, il fe forma des defens ; entre les deux empires , on tut toujours ibus les armes; bien loin qu’il y eut de com¬ merce , il n’y eut pas meme de communication. L’am- diition, la ja/oulie , la religion, la haine, ies moeurs, fenarereht tout. Ainfi , le commerce entre 1’occident & l'orient, qui avoit eu plufieurs routes, n’en eut plus qu’une ; & Alexandrie etant devenue la feule etape, cette etape groffit. Je 'nedirai qu’un mot du commerce interieur. Sabran- che principale fut celle des bleds qu’on faifoit venir pour la fubfiftance du peuple de Rome.: ce qui etoit une ma- tiere de police, plutot qu’un objet de commerce. A cette occalion, les nautoniers recurent qtielques privileges (k) , parceque le falut de 1’empire dependoit de leur vigilance. (£) Suet, in Claudio. Leg. 7, cod. Thcodof. de navicularifs. ' ■ '■ - : ■ ■ . .= 9i CHAP I T R E XVII. Du commerce, uprcs la deft ruction des Romains eu ,f ; ■ : . Occident. ■ • . pi r e Remain fut envahi ; & Pun des effcts de la calamite generale , fut la deftruflion du commerce. Les bat bares tie le regarderent d’abord que comme un objet de leurs Brigandages; &, quand ils furent etablis, ils ne 1’honorerent pas plus que 1’agriculture & les au- ires prof’effions du peuple vaincu. Bientot il n’y eut prefque plus de commerce en Eu¬ rope; la nobleffe qui regnoit par-tout, ne s’en mettoit point en peine. La loi des Wifigoths ( a ) permettoit aux parciculiers d’occuper la moitie du lit des grands fleuves, pourvu (0) Liv. VIII, tit. 4, §. p. L i v he XXI, Chap-itre XVII. 471 que l’autre reftat libre pour les filets ■& pour les ba¬ teaux ; il falloit qu’il y eut bien peu de commerce dans les pays qu’ils avpient conquis. Dans ces temps-la , setablirent les droits infenfes d’aubaine & de naufrage : les hommes penferent que les etrangers ne leur etant unis par aucune communi¬ cation du droit civil, ils ne leur devoient, d’un cote, aucune forte de juftice; 8c , de l’autre, aucune forte de pitie. Dans les homes etroites oil fe trouvoient les peu- ples du nord, tout leur eto.it etranger : dans leur pau- vrete tout etoit pour eux un objet de richeffes. Etablis avant leurs conquctes fur les cptes d’tme mer refferree 8c pleine decueiisils avoienr tire parti de ces ecueils mcme. Mais les Romains, qui faifoient des loix pour tout l’univers, en avoient fait de tres-humaines fur les nau- frages ■: ils reprimerent., a cet egard , lps brigan¬ dages de ceux qui habitpient lei cotes,, 8c , ce qui etoit plus encore, la rapacite de leur fife (c). (£) Toto titulo, fF. de incend. ruin, nanfrag. & cod. de nail- ft-agiis; & leg. 3, ffi de ffg.' Cofhek. u/r ficariit .', (c) Leg. 1, cod.' de naufragih. ; a ’ - - • - 'V ■ ■ -'•* ,?v C II A P I T R E XVIII. Rdglement particulieg.. " L a loi des Wifigoths (<*) fit pourtafit une difpofition favorable au commerce: elle ordonoa que les marchands qui venoient de de-la la mer feroieqt juge's, dans les differends qui naiffoient entre.eux, par, les loix 8c par (.-?) Liv. XI, tit. III, 2 . G g iv Be l'e s:p a i t dbs l o i x, des juges de leur nation. Ceci etoit fonde fur i’ufage etabli chez tous ces peuples males, que chaque hom- me vecut fous fa propre loi ; chofe dont je parlerai ibeaucoup dans la fuite, l C II A E I T R E XIX. J)u commerce , depuis .TajfioibHffement 'des Rornains en orient .■ - • - I~i E s Mahometans parurent, conquirent* & fe divi- ferent, L’Egypte cut fes fouverains particuliers: eile con- tinua de faire le commerce des Indes. Maitreffe des mar- ehandilbs de cie pays, eile attira les richeflfes de tous les autres. Ses foudans f'urent les plus puiffans princes de ces remps-la i on peut voir dans 1’hiftoire comment, avec une force conftante & bien menagee,' ils arreterentTar- deur, la fougue & Vimpetuofite des cmiles. CHAPITRE XX. Comment le commerce fe fit jour en Europe, a traver£ la barbaric, L \ v ' ■ r •: ; A philofophie d'Arifiote ayant ete porte'e en Occi¬ dent , eile plut heaucoup au* efprjts fubtils, qui, dans les temps d’igndrlnc'g , font'les beaux elprits. Des fch o- Jaifiques s’en infatuerent, & prirent de ce phiiofophe (a) bien des explications far le pref.'a in te'rdt, 8u lieu que la fource en etOit fi naUrrelle dans levangile ils le condamnerent indiftin&ertterlt & dans tous les cas. Par- la, le commerce, qui n etoit que la profeffion des gens (a) Voyez Ariflote , polit. livre.I, chap, ix & x, Livrz XXI , Chap it re XX. 4)73 Vils , devint encore cede des mal-honnetes gens : car routes les fois que l’on defend une cho/e naturellement permife ou neee/laire, on ne fait que rendre mal-hon- ndtes gens ceux qui la font. Le commerce paffa a une nation pour lors couverte d’infamie; & bientot il ne fut plus diftingue des ufu- res ies plus affreufes, des monopoles, de la levee des fub/jdes, & de tons les moyens mal-honndtes d’acque- rir de l’argent. Les Juifs (i) , enrichis par leurs exa&ions, etoient pilles par les princes avec la mdme tyrannie : chofe qui confoloit les peoples, & ne les foulageoit. pas. Ce qui fe pallia en Angleterre donnera une idee de ce qu’on fit dans les autres pays, Le roi Jean (c) ayant fait emprifonner les Juifs pour avoir leur bien, il y en eut pen qui n’euffent au moins quelqu’oeil creve: ce roi fai- foit ainfi fa chambre de juftice. Un d’eux, a qui on arracha fept dents, une chaque jour, donna dix mille mates d’argsnt a la huitieme. Henri III tira d? Aaron , juif d’York, quatorze mille marcs d’argent, & dix mille pour la reine. Dans ces temps-la, on faifoit violem- ment ce qu’on fait aujourd'hui en Pologne avec quel- que.mefure. Les rois, ne pouvant fouiller dans la bourfe de leurs fujets a caufe de leurs privileges, mettoient a Ja torture les Juifs, qu’on ne regardoit pas comme ci- toyens. Enfin, il s’introduifit une coutume, qui confif- qua .tous. lesi)iens des Juifs qui embrafToient le chriftia- nifme. Cette coutume fi bizarre, nous la fcavons par la loi (d) qui l’gbroge. On en a donne des raifons bien vaines; on a dit qu’on vouloit les eprouver , & faire en forte qu’il ne reftat rien de l’efclavage du de'mon. Mats il efl vifible que cette confifcation etoit une efpece Voyez , dans Marca Hifpanica , les conffirutions d’Arra- gon, des anndes 1228 & 1231 ; & , dans Bruffe l , l’accord dp 1’armde 1206, pafTd entre le roi, la comtefle de Champagne, & -Gui de Dampierre. ■ (c) Slowe , in his furvey of London, liv. Ill, page 54* (?) Edit donne a BaviUe, le 4 avril 1392, 474 D E t? E S P 11 I t D E S L 0 1 X, de droit («) d’amortiffement, pour le prince ou pour les i'eigneurS, des taxes qu’ils levoient fur les Juifs, &c dont ils etoient fruftres lorfque ceux-ci embraffoient le chriftianifine. Dans ces temps-la, on regardoit les hom¬ ines comine des terres. Et je remarquerai, en pafifant, combien on s’eft joue de cette nation d’un fiecle a l’au- tre. On confifquoit leurs biens lorfqu’ils vouloient etre chre'tiens; Sc, bientot apres, on les fit bruler lorfqu’ils ne voulurent pas l’dtre. Cependant on vit le commerce fortir du fein de la vexation Sc du defelpoir. Les Juifs, profcrits tour-a-tour de chaque pays, trouverent le moyen de fauver leurs efFets. Par-la its rendirent pour jamais leurs retraites fixes; car tel prince , qui voudroit bien fe defaire d’eux, ne ieroit pas pour cela d’humeur a fe defaire de leur argent* Ils (/) inventerent les lettres de change : 8c , par ce moyen, le commerce put eluder la violence, Sc le maintenir par-tout; le negociane le plus riche n ayant que des biens invifibles, qui podvoient dtre envoyes par-tout, Sc ne laifioient de trace nulle part. Les theologiens furent obliges de re/freindre leurs principes; & le commerce, qu’on avoit violemment lie avec la mauvaife foi, rentra , pour ainfi dire , dans le fein de la probite. Ainfi nous devons , aux fpeculations des fcholafliques, tous les malheurs (g~) qui orit accompagne la deftruc- (r) En France, les Juifs bardie; & que, la, ils dpnne- dtoient ferfs, main-mDrtables;& rent af& n^gocians etrangers & les feigneurs leur fucc6doient. aux vetyageurs des lettres fecret- -M. Brujfel rapporte un accord res fur ceux H qui ils avoient de fair 1206, entre le roi & Thi- confie leurs efFets en France, iraut, comte de Champagne, par qui furent acquittdes. lequel il etoi't convenu que les ( g ) Voyez , dans le corps Juifs de Fun, ne pr£teroient du droit, la quatre-vingt-troi- point dans les terres de fautre. fietne noyelle de Leon, qui re- (/) On f?ait que, fous Phi-, voqueja loi de Bafile, fon pere. lippe augufte, & fous Philippe Cette loide Bafile eft dans Her- le.long , les juifs , chaffes de meiK>pule,fouslenomdeL£on, France, fe iefugierent en Lom- liv. Ill, tit. 7, §. 37, L i r r e XXI , Chapitre XX. 475 tion du commerce ; , a 1’avarice des princes , i’eta- bliflement dune chofe qu’t le met en quelque faqon hors de leur pouvoir. 11 a fallu, depuis ce temps, que les princes fe gou- vernaflent avec plus de fageffe qu’ils n’auroient eux-me- mes pen/e : car, par l’evenement , les grands coups d’autorite fe font trouves fi mal-adroits, que c’eft une expe'rience reconnue , qu’il n’y a plus que la bonte du gouvernement qui donne de la profperite. On a commence a fe guerir du Machiavelifme, & on s’en guerira tous les jours. II faut plus de modera¬ tion dans les confeils : ce qu’on appelloit autrefois des coups d’etat ne feroit aujourd’hui, independamment de l’horreur, que des imprudences. Et il eft heureux pour les homines d’etre dans unc fituation , oil, pendant que leurs palfions leur infpirent la penfee d’etre medians , ils ont pourtant interet de ne pas l’etre. trouva l’Afie & l’Afrique , dor.t on ne connoifloit que quelques bords; & l’Amerique, dont on ne connoi(- ioit rien du tout. Les Portugais, navigeant fur 1 ’Ocean atlantique, de- couvrirent la pointe la plus meridionale de l’Afrique : its virent une vafte mer; elle les porta aux Indes orien- tales. Leurs perils fur cette mer, & la decouverte de Mozambique , de Meiinde & de Calicut, ont ete chan- tes par les Camoens , dont le poeme fait fentir quel¬ que chofe des charmes de POdyfiee & de la magni¬ ficence de l’Eneide. Les Venitiens avoient fait jufques-la le commerce des CHAPITRE XXI. Decouverte de deux nouveaux monies : etat de VEu¬ rope a cei tgard. 476 Be l’e s p r i t des t n j x, Irules par les pays des Turcs , & l’avoient pourfuivi au milieu des avanies & des outrages. Par la decouverte du cap de Bonne-Efperance, & celles qu’on fit quel- que temps aprds, i’ltalie ne fut plus au centre du monde commerqanr; elle fut, pour ainfi dire, dans un coin de 1’univers, &c elle y eft encore. Le commerce m£me du levant dependant aujourd’hui de celui queles grandes nations font aux deux I.ndes, l’ltalie ne le fait plus qu ’acceffoire m e nt.i Les Porrugais trafiquerent aux^Indes en conquerans. Les loix gen antes (a) que les Hollandois impofent au¬ jourd’hui aux petits princes Indiens fur le commerce, les Portugais les avoient etablies avant eux. La fortune de la maifon d’Autriche fut prodigieufe. Charles-Quint recueillit la fucceffion de Bourgogne, de Caftilte & d’Arragon; il parvint a l’empire; &, pour lui procurer un nouveau genre de grandeur, l’univers s’etendit, & Ton vit paroitre un monde nouveau fous fon obeiflance. Chriffophe Colomb decouvrit PAmerique; &, quox- que l’Efpagne n’y envpyat point de forces qu’un petit prince de l’Europe n’eut pu y erxvoyer tout de meme, elle foumit deux grands empires & d’autres grands etats. ■ Pendant que les Efpagnols decouvroient conque- roient du cote de l’occident, les Portugais pouffoient leurs conquetes & leurs decouvertes du cote de l’orient: ces deux nations ) quintaux de mineral pour Tor, donnent quatre, cinq 8c fix onces d’or; 8c, quand il n’y en a que deux, le mineur ne retire que fes fraix. Dans deux cens ans, lorfqu’il n’y en aura que quatre, le mineur ne tirera aufli que fes fraix. Il y aura done peu de profit a tirer fur l’or. Meme raifonnement fur l’argent, excepte que le travail des mines d’argent eft un peu plus avantageux que celui des mi¬ nes d’or. Que fi Ton decouvre des mines fi abondantes qu’elles donnent plus de profit; plus elles feront abondantes, plutot le profit finira. (b) Voyez les voyages de Frezier. Tome I. Hh 482 D E l ' esprit des LOIX , Les Portugais ont trouve tant d’or dans le Brefil (c), qu’ii fan dr a peceflairement que le profit des Efpagnols diminue bientot confiderablement, & le leur auffi. J’ai oui plufieurs fois deplorer l’aveuglement du con- feil de Frangois premier , qui rebuta Chriftophe Colomb qui lui propofoit les Indes. En verite, on fit, peut-dtre par imprudence, une chofe bien fage. L’Efpagne a fait comme ce roi infenfe qui demanda que tout ce qu’ii tou- cheroit fe convertit en or, & qui fut oblige de revenir aux dieux pour les prier de finir fa mifere. Les compagnies & les banques, que plufieurs nations etablirent, acheverent d’avilir l’or & l’argent dans leur qualite de figne : ear, par de nouvelles fiftions, ils multi- plierent tellement les fignes des denrees, que Tor & l’ar- gent ne firent plus cet office qu’en partie , & en de- vinrent moins precieux. Ainfi le credit public leur tint lieu de mines, & di< fninua encore le profit que les Efpagnols tiroient des leurs. • II eft vrai que, par le commerce que les Hollandois firent dans les Indes orientales, ils donnerent queique prix a la marchandife des Efpagnols : car, comme ils porterent de l’argent pour troquer centre les marchan- difes de l’orient, ils foulagerent en Europe les Efpagnols d’une partie de leurs denrees qui y abondoient trop, Et ce commerce, qui ne fetnble regarder qu’indirec- tement l’Efpagne, lui eft avantageux comme aux nations memes qui le font. Par tout ce qui vient d’etre dit; on peut juger des ordonnances du confeil d’Efpagne, qui defendent d’em- ployer l’or & 1’argent en dorures & autres fuperfluites: decret pareil a celui que feroient les etats de Hollan- de, s’ds defendoient la confommation de la cannelle. (c) Suivaut Mylord Anfon, l’Europe regoit du Brefil, tous les ans, pour deux millions fterling en or, que Ton trouve dans le fable au pied des montagnes, ou dans le lit des rivieres. Lorf- que je fis le petit ouvrage dont j’ai parle dans la premiere note de ce chapitre, il s’en falloit bien que les retours du Brefil fuflent up objet au® important qu’ii l’eft aujourd’hui. Li vhe XXI , Chapitre XXII. 483 Mon raifonnement ne porte pas fur toutes les mines: jcelles d’Allemagne 8t de Hongrie, d’ou Ton ne retire que peu de chofe au-dela des fraix, font tres-utiles. Elies fe trouvent dans l’etat principal; elles y occupent plufieurs milliers d ’hommes, qui y confomment les denrees fura- bondantes; elles font proprement une manufacture du pays. Les mines d’Allemagne & de Hongrie font valoir la culture des terres; ; & le travail de celles du Mexique & du Perou la detruit. Les Indes & l’Efpagne font deux puiffances fous un meme maitre : mais les Indes font le principal, l’Ef¬ pagne n’eft que l’acceffoire. C’eft en vain que la po¬ litique veut ramener le principal a l’accefloire; les Indes attirent toujours l’Efpagne a elles, D’environ cinquante millions de marchandife qui vont toutes les annees aux Indes, l’Elpagne ne fournit que deux millions & demi : les Indes font done un com¬ merce de cinquante millions, l’Efpagne de deux mil¬ lions & demi. C’eft une mauvaife efpece de richeffes qu’un tribut d’ac- cident & qui ne depend pas de l’induftrie de la nation, du nombre de fes habitans, ni de la culture de fes terres. Le roi d’Efpagne, qui reqoit de grandes fommes de fa douane de Cadix, n’eft, a cet egard, qu’un particular tres-riche dans un etat tres-pauvre. Tout fe paffe des etrangers a lui, fans que fes fujets y prennent prefque de part : ce commerce eft independant de la bonne 8c de la mauvaife fortune de fon royaume. Si quelques provinces dans la Caftille lui donnoient une fomme pareille a celle de la douane de Cadix, fa puiflance feroit bien plus grande : fes richeftes ne pour- roient dtre que l’effet de celles du pays; ces provinces animeroient toutes les autres; 8c elles feroient toutes en- femble plus en etat de foutenir les charges refpeCtives; au lieu d’un grand trefor, on auroit un grand peuple. 484 D E l' E S P 11 / T EES L 0 I x , <£rV. 4T ' . ■- ■ ■ ■■ -■■ -------fr CHAPITRE XXIII. ProblSme. C> E n’eft point a moi a prononcer fur la queftion , fi 1’Efpagne ne pouvant faire le commerce des Indes par elle-mdme, il ne vaudroit pas mieux qu’elle le rendit libre aux etrangers. Je dirai feulement qu’il lui convient de mettre a ce commerce le moins d’obftacles que fa politique pourra lui permettre. Quand les marchandifes que les diverfes nations portent aux Indes y font cheres, les Indes donnent beaucoup de leur marchandife, qui eft l’or & I’argent, pour peu de marchandifes etrangeres: le contraire arrive lorfque ce!les-ci font a vil prix, II leroit peut-dtre utile que ces nations fe nuififlent les unes les autres, afin que les marchandifes qu’elles portent aux Indes y fuffent toujours a bon marche. Voiia des principes qu’il faut examiner, fans les feparer pourfant des autres confiderations; la furete des Indes; l’utilite d’une douane unique; les dangers d’un grand changement; les inconve¬ niens qu on prevoit, fk qui fouvent font moins dangereux que ceux qu’on ne peut pas prevoir. Fin du tome premier. ' ■ • V- 4 ■ ■ ' , . ■ ' ; ’ V' . . '¥ti ' " / . r : - vfs v > - mmM* jpj pBw p . .. ■■ ' . ' ; . . - " • ■■■ ■' ■; p,./ ■ ,v ..• •• sww v,$ jp (ft r v H ■■ / ■ IMS IKlWSflHl. ...... ' v ■ „ wa j * ■ \ *. 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