Witold Manczak CDU 800.1 (049.2) Universite de Cracovie CRITIQUE DE LA «NATURLICHKEITSTHEORIE»: «NATURLICHKEIT» ou FREQUENCE? 1. Opinion de Mayerthaler sur le role de la frequence dans la langue l. Dans son livre souvent cite, Willi Mayerthaler (1981) a expose une theorie a la­quelle il a donne le nom de «MMT = morphologische Markiertheitstheorie». De meme que par exemple Greenberg, Mayerthaler est persuade que ce n'est pas la frequence mais le caractere marque ou non marque des elements linguistiques qui joue un role primordial dans la langue, comme en temoigne la citation suivante (p. 140): Frequenzargumente lassen sich unseres Erachtens in der morphologietheoretischen Diskussion... kaum argumentativ einsetzen. Statistik ist ftir den Linguisten ... von unbestrittenem heuristischen Wert, spielt aber in der einmal nachkonstruierten, postheurischen Grammatik keine Rolle mehr, bzw. ist nicht mogliches Element der Strukturbeschreibung irgendwelcher grammatischer Regeln... Keinerlei Statistik erlaubt den Nachweis implikationaler Pattem, es scheinen aber gerade Implika­tionspattem zu sein, die erworben werden. Auch im Bereich der Sprachvariation ist Frequenz oder dgl... weitgehend ein Epiphanomen ohne explanative Funktion. A notre avis, c'est precisement la frequence qui constitue une clef pour l'intelli­gence de la langue. Pour ne pas repeter ce que nous avons deja dit, on peut renvoyer a notre critique des idees de Greenberg (Manczak 1970a) et passer a la discussion de cer­taines assertions de Mayerthaler. P. 28, il ecrit que «es mag iiberraschen, daB Maskulinum (in Sprachen mit Genussymbolisierung) eine Basiskategorie sein soli». Si l'on tient compte de la fre­quence, il n'y a rien de surprenant dans ce fait: il suffit de depouiller une page d'un joumal pour se convaincre qu'on parle plus souvent des hommes que des femmes. P. 44, Mayerthaler s'occupe du conflit «zwischen pragmatischen Prinzipien, welche die merkmalhafte Symbolisierung der 1./2. Person favorisieren und dem k[ onstruktio­nellen] Ik[onismus], der ... eine merkmalhafte Kodierung der 3. Person begiinstigt. Da in der Hierarchie grammatischer Prinzipien gilt 'Universalpragmatik iiber k. lk.', kann sich der k. Ik. im Falle der Kodierung der 3. Pers. nur noch invers, also in einer (rela­tiv) merkmallosen Symbolisierung auspragen.» 11 n'y a aucun conflit, si l'on prend en consideration la frequence: les formes de la 3e pers. sont, en general, plus courtes que celles des autres personnes parce que la 3e personne est plus employee que les autres. P. 93, l'auteur estime que «intuitiv ist einer der Unterschiede zwischen Nomina Actionis und Nomina Agentis, daB in den ersteren die Aktion und in den letzteren das Agens fokusiert wird. Entsprechend solite es Sprachen geben, die bei Nomina Agentis den Agensexponenten bzw. das Affix, bei Nomina Actionis aber den Stamm betonen», et il cite comme exemples des formes du type v. ind. vara-«Freiern en regard de vara­«Wahl» ou gr. Koµn6<; «Prahlern en face de K6µno<; «Prahlerei». Affirmer que la dif­ference entre noms d'action et noms d'agent consiste en ce que «in den ersteren die Aktion und in den letzteren das Agens fokusiert wird» est une tautologie. En outre, l'auteur ne dit pas pour quelle raison l'accent devrait frapper le theme dans les noms d'action et la desinence dans les noms d'agent. En realite, cette difference s'explique par la frequence. Plus un element linguistique est employe, moins il est complexe, et il est evident que les desinences atones sont moins complexes que les desinences toniques. Cela explique pourquoi en sanscrit, balte ou slave, les desinences du pluriel, qui sont moins employees, sont plus souvent toniques que celles du singulier, qui sont plus frequentes. Cela explique egalement pourquoi les noms d'action, qui sont plus frequemment usites, presentent des desinences atones, alors que les noms d'agents, qui sont moins employes, sont accentues sur la desinence. P. 67, l'auteur ecrit que «>, mais la frequence d'emploi quijoue un role primordial dans la langue. 2. Les elements linguistiques plus employes se maintiennent en general mieux que les elements moins employes La grande majorite des gens essaient de parler exactement comme les autres. Si la langue evolue quand meme, c'est acause de l'imperfection qui est le propre de toute activite humaine: cum duo faciunt idem, non est idem. On le voit aussi bien dans le de­veloppement analogique que dans le developpement phonetique regulier. 2.1. Developpement phonetique regulier Si le developpement regulier de deux phonemes n'est pas parallele, le phoneme moins employe se developpe en principe plus rapidement que le phoneme plus fre­quemment usite. Les palatalisations de *k et *g ainsi que l'evolution de *tj et *dj se sont faites dans les langues slaves comme suit: Palatalisations de *k, *g Evolution de rre ne et me *tj *dj V. slave č ž C 3 št žd Bulgare č ž C z št žd Macedonien č ž C z k' g' Bas-sorabe C ž C z C z Haut-sorabe č ž C z C z Polabe C z C 3 C 3 Polonais CZ ž C ciz C ciz Russe č ž C z č ž Serbo-croate č ž C z c d Slovaque č ž C z C ciz Slovene č ž C z č Tcheque č ž C z C z Ukrainien č ž C z č ž Bielorusse č ž C z č ž Les consonnes sonores sont moins employees que les sourdes et se developpent, de ce fait, plus rapidement que les sourdes. Par suite de la 1re palatalisation, le *k est devenu partout une affriquee, tandis que le g a abouti partout aune fricative. En ce qui conceme les ne et me palatalisations, le developpement a ete parallele dans certaines langues (par exemple en polonais), mais dans la plupart moi (3 phonemes) augmentation de 50% rem (3) > rien (3) aucun changement bene (4) > bien (3) diminution de 25% amicam (6) > amie (3) diminution de 50% Augustum (8) > aout (1) diminution de 88% La frequence des mots peut egalement varier: sire est ainsi moins employe de nos jours qu'au moyen age, tandis que chaujfeur est plus utilise maintenant que dans le passe. Dans cet etat de choses, il peut se faire que l' equilibre entre vol ume et frequence soit bouleverse. Si un element linguistique devient trop court par rapport a sa fre­quence, on l'allonge, cf. aout [u] remplace par [ut] ou mois d'aout. Si, au contraire, un element linguistique devient trop long par rapport a sa frequence, il est necessaire que l'equilibre soit retabli par la diminution de son volume, etil y a des abregements dans les radicaux (avr-ai > aur-ai), les affixes (jran9-ois [ws] > fran9-ais [s]) et les desi­nences (cant-avit > chant-a). II y a 6 arguments al'appui de ce que nous appelons un developpement phonetique irregulier du ala frequence: 1° Nous avons depouille un dictionnaire de frequence qui releve les 6000 mots fran~ais les plus usites. Les mots qui ont subi des reductions irregulieres s'y presentent comme suit: 1er mille 99 86% Test x2 2e mille 9 8% 409,55 > 11,07 3e mille 4 3% 4e mille 2 2% 5e mille 1 1% 6e mille Cet argument, alui seul, suffirait aprouver que la theorie en question est juste, mais il y ena d'autres encore. 2° Si le morpheme, mot ou groupe de mots apparalt dans une langue donnee sous une double forme, reguliere et irreguliere, le developpement phonetique du ala fre­quence se caracterise par le fait que la forme irreguliere est, en general, plus employee que la forme reguliere, par ex. Fran9ais est plus utilise que Fran9ois, et il en est de meme pour aller et ambler, pour monsieur et monseigneur. 3° Si les changements phonetiques irreguliers dus ala frequence se produisent a l'interieur d'un paradigme flexionnel ou d'une famille de mots, les reductions ont lieu plus souvent dans les formes plus frequentes que dans les formes plus rares. Parmi les formes italiennes ho, hai, ha, abbiamo, avete, hanno sont abreges ho, hai, ha, hanno, ce qui s'explique par le fait que le singulier est plus employe que le pluriel et la 3e per­sonne est plus utilisee que les autres. 4° Tandis qu'il n'y a aucun parallelisme entre assimilations, dissimilations, metathe­ses, etc. qui ont lieu dans des langues differentes, le developpement phonetique irregu­lier du ala frequence se produit, dans diverses langues, d'une maniere plus ou moins pa­rallele, ce qui s'explique par le fait que les mots les plus frequents sont partout apeu pres les memes. Par exemple, le verbe signifiant «parler» presente