4 VOYAGE E N DALMATIE PAR M. L'ABBE FORTIS, traduit de l'italie^. BERNE, chez la Société Typographique*. M. DCC. LXXVIII. 4- DES ARTICLES CONTENUS DANS LE TOME PREMIER. LETTRE I. , DES OBSERVATIONS FAITES DANS LE COMTÉ DE ZAi?A. §. I. Des IslestfUlbo & de Selve, 2. De Visle de Zapuntello* 3- De Visle d'Uglian. 4. Des marbres & de leur compoJition< f. De la ville de Zara. 6. Dhm poulain Hermaphrodite, 7- Du Niveau de la mer. 8. De la ville £5? campagîie de .Nom* 9. De la campagne de Zara. 10. De l'Aqueduc de Trajan. 11. De Biograd, ou Alba maritima. 12. Du château de Vrana. 13. Du lac de Vrana & de fa pêche> 14. Des pétrifications de Ceragne , Bencovas & Podluk. If* Des ruines d'AJferia , aujourd'hui Podgraje. 16". De la manne de Coslovaz. 17. D'Ojlrovizza. 18. Du ruiffeau Bribirschizza, & de Morpolazza. LETTRE IL DES MŒURS DES MORLAQUES. §. I. De l'origine des Morlaques. 67 2. De l'étymologie de leur nom. 70 3. De la différence de l'origine des Mor laque s des cotes & de l'intérieur du pays. 7Ï 4- Des Haiduks. 78 f. Des vertus morales & domefiiques des Morlaques. 82 6. De leurs amitiés & inimitiés. 86 7. De leurs talcns £5? de leurs arts. 9i S- Des fvpcrflitions. 9f 9- Des manières des Morlaques. 100 10. De l'habillement des femmes. 102 II. Des mariages. IOf 12. Des alimens des Morlaques. 121 13. De leurs maifuns & de leurs meubles. 124 14- De leur mujiqite, de leurs poëfie & de leurs jeux. 129 If. De la médecine des Morlaques. 1^6 Chanfon lllyrienne fur la mort de LETTRE III. DU COURS DE LA RIVIERE KERKA. 1. Des véritables four ces de la Kerka. I f I 2. Des Volcans éteints entre Knin & Popolyé. If6 3- De Knin, de monte Cavallo, & de Verbnik. If8 4. Des eaux qui fe jettent dans la Kerka, £«? de fon cours jujqu\ï St. Arcangelo. 163 f. Des ruines de Burnum. 166 6. Du cours de la rivière jufqu'à la cafcade de Rofcbislap. 169 7. Du cours de la Kerka jufqiCà la cafcade de Scardona. 174 8. De la ville de Scardona, & de quelquespaffages d'auteurs anciens. 187 9. Des bruits populaires à l'égard des mines de la Dalmatie. 182 16. De leurs funérailles. 138 Vépoufe d'Afan-Aga. 143 248 TABLE. LETTRE IV. DU COMTÉDE SIBENICO, OU SEBENICO. §. X. Du territoire 8? de la ville de Sibenico. 187 2. Des favans & des peintres de Sibenico au feïziéme Jiécle. 191 3. Du port de Sibenico, du lac de Scardona , 8? de Quelques coutumes. 207 4. De la pèche du lac , & des productions du port de Sibenico. 214 f. Du bourg de Slofella. 22Q 6. Obfervations fur VAndroface. 22f 7. De Vécueil de St. Stefano. 227 8. De Visle de Morter. 22% 9. De Tribouhug, de Vjdizze , de Farvich, de Zlarin de Zuri. 212 ïo. Des lacs de Zablachie 8? de Mo- rigne. 23 8 II. De Simoskoi & de Rogofniza. 2^2 FIN de la table du Tome premier. PREMIERE LETTRE a son Excellence MONSEIGNEUR JAQUES MOROSINÏ, NOBLE VENITIEN. Remarques fur le Comté de ZARA* ^Puisque mon éloignement de Venife nie prive de l'honneur de rendre fréquemment mes devoirs à votre Excellence 4 les inconvénient que la mer qui nous fépare pourrait apportera notre correfpoodance ne m'empêcheront pas de prendre la liberté de lui écrire. Ma lettre parviendra un peu tard à votre Excellence, mais la bienveitillance dont elle m'honore & fon zèle pour tout ce qui peut aider aux progrès de Phiftoire naturelle, m'afïurent qu'elle daignera la recevoir avec bonté: Tum. I A Je me fuis propofé de faire un recueil des obfervations que j'ai déjà laites & de celles que je ferai encore pendant mon voyage, & je me crois d'autant plus obligé à vous donner les premières, que les amateurs de l'hiltoire naturelle, cette feience fi utile, & autant cultivée de nos jours dans tout le reite de l'Europe que négligée & peu eftimée chez nous, ne doivent attendre que de V. E. de la protection & de l'encouragement. Je me réglerai pourrai-rangement que je donnerai à mes lettres, tantôt fur la diviiion topographique du pays, tantôt fur le cours des fleuves, ou fur la grandeur des Jslcs, fuivant que la nature des chofes me paroitra l'exiger, La Ualmatie eft trop étendue , & le nombre des Mes en eft trop confidérable, pour que les phyfïciens puiifent attendre, quelque cho-fe de complet d'un voyageur qui fuit fa route. Il y a cependant des gens, qui féduits par une ardeur précipitée , & par l'efpérance d'en im-pofer au public éclairé , s'engagent à donner en peu de mois l'hiftoire naturelle des plantes, des animaux & des foffiles des plus grandes Provinces ; mais quiconque s'applique à confi-dérer la variété infinie des chofes avec une attention philofophique, ne fait que trop que la vie entière d'un homme , aidé des meilleurs fécours, ne fauroit fuffire pour donner l'hiftoï- ré naturelle complétée d'une isle, ou d'une contrée quelque petite qu'elle foit. La defcrip-tion exacte d'une fource minérale , d'un fou-terrairi fpacicux qui renferme plulieiirs conduits , d'un fleuve & de toutes les eaux qui s'y • jettent, demande une longue fuite d'obferva-tions ; une feule plante, un infecte peuvent même occuper quelquefois pendant des mois & des années entières l'attention d'un pbyficien habile, avant qu'il puiiie porter Ils recherches à une certaine perfection. De quelle circonfpection, de quelle modeftie ne doit-on pas le prémunir en aprenant par les nouvelles expériences de Mr. Schirach , combien les recherches d'un Svomuerdam ± d'un Reaitmur, d'un Marcddi, fur les abeilles ,• ont été défectueufes ? Fiteliamts Dunati ne publia fon hiïtoire naturelle de la Mer Adriatique que fous le titre àîEffàl, quoiqu ii eut demeuré piuheurs années en Daimatie ; le grand Haller même, après avoir fait ava. fes amis plufieurs-voyages dans la SuiOe fa patrie avec beaucoup d'attention ; fe contenta de publier fon excellente defeription des plantes §uhTes, fous le titre modelte de fflftt Plvit. mehoata. Que peut-on attendre de moi, fi d'aufli grands hommes n'ont fourni que des fragmens ? 4 r e m a r q_u e 9 Des Mes ULBO & S ELFE. Apres avoir patte le golfe de Quamaro CSlnus Flanaticîts ) ies deux Iles Ulbo & Selve, qui font fort proches l'une de l'autre, & entre lefquelles paflent ordinairement les petits bâtiments qui vont de Fenife à Zara, furent les premiers endroits où j'abordai. Il eit probable que ce font les mêmes que Conftantin Porphirogcnète * a apellées mal-à-propos llœp & Selbo, & qu'il met au nombre des Isles inhabitées. Leur fituation avan-tag'eufe fait qu'elles le font aujourd'hui, & mieux cultivées que leur terrein mauvais & fterile ne paroit le mériter. Il eft fi fec & 11 pierreux que les oliviers ont peine à y prendre racine , & que la vigne y porte peu de bons raifins. Le bled y profpère fi mal, qu'il ne vaut pas la peine d'en parler. La pierre qu'on y trouve eft un marbre dur & blanchâtre, tel que celui qui fe voit en abondance fur les plus hautes montagnes de l'Italie , & principalement à Piperno, à Terraciua & proche de Caferta. Je ne fais fi ce marbre fuit toute la circonférence du golfe entre l'Italie & l'iftrie, & s'il s'en trouve fur les mon- * Conjï. Porphyr. de Thctnat. Imp. Daim. c. 29. tagiies du Frionl , n'ayant jamais parcouru ces contrées, ni eu connoiflance d'aucun auteur qui ? en ait donné l'ory&o-graphie. Le fol de la plus grande partie de riitae & des Isles qu'elle renferme paroit n'être que des rochers, aufîi vieux que les montagnes du bord de la mer, & que celles de l'intérieur du pays, où l'on trouve des couches du même marbre, mais fouvent interrompues & hors de leur lit naturel. On s'en fert beaucoup dans les fabriques de Ve-nife. 11 me paroit avoir du rapport avec la pierre à chaux blanche & compacte de \\ Vile riu s. * Ce marbre rellemble au caillou , fiutout quand il eit brifé, car il éclate fous le marteau , en morceaux creux & relevés comme les pierres à feu. Les acides artificiels ne l'attaquent qu'avec beaucoup de lenteur, ex-pofé à l'air pendant une longue fuite d'années , fa fuperficie devient rude, & laine re-connoitre les grains dont il eit compofé. Je trouvai fur l'Isle d'Ulbo quelques oitracites *"Calcarcus foiidus , particuiis impalpabilihus & in-dift'nctis ÏVall. §.41 1, Lapis calcareus particuiis impalpabilibus. Cronjicdt. 7. Calculus iittoralis Dîoscorid. Càfdlp. Ëticel. Pierre à chaux compacte Bomarc 149. to?. A 3 finguliéres. Les écailley font couchées horizontalement les unes fur les autres ; & malgré la fuite des tems elles ne font ni calcinées ni pétrifiées. Elles ont leur éclat naturel , Se fe brifent en écailles lèujlleLées, comme les huitres qu'on vient de fortir de l'eau. Ces oftracites ne font pas de nos mers, où Ton ne trouve aucune:; huitres cannelées par des rayures , & auiïi longues ; mais il paroit qu'elles ont été dépofées en cet eu-droit par un océan étranger, dont les coquillages ont produit ces couches fi étendues de pierres calcaires qui font le fondement des Isles Dalmatiques , triites relies d'un pays qui fut déchiré par des fleuves, creufé par çles eaux fouterraines, ébranlé par des trem-blemens de terre, renverfé par des volcans, & finalement inondé par une nouvelle mer. J'appellai cet alliage , Pierre calcaire fijjile, fpat/jeufe , compufée de dépouilles marines , fè? d'ofiracites étrangers plats & cannelés. On trouve dans les fentes de ces couches & dans les petites cavités, des morceaux allez confidérables d'incruftations, qui refFemblent beaucoup au marbre tendre fialaUiquc , coloré avec des rayes ferpentines , que nos ouvriers çonnoiflfent fous le nom d'albâtre de ÇojrfQn. JjC vent accompagné de bourrasques de pluye qui m'avoit pouffé fur llsle sur le comt'é de zara. 7 de Selvc m'empêcha d'y faire mes obferva-tions. 11 eft probable que la pierre y eft la même que dans PLsle à'Ulbo. Ces deux Isies jouïilent d'un air falLibre , mais elles manquent de bonne eau, & font trop cxpo-lees aux vents, n'étant pas abritées par des hauteurs. Sclve eit très peuplée, le bétail y eft abondant, & les habitans font particulièrement adonnés à la navigation. g|p^ •- _ «®m -{ - - De Vide ZAP U NT EL L 0. Après avoir quitté Selvc, les bourrafques continuelles me jettérent dans un détroit de l'Isle Zapiuitcllo. Cette Isle n'elt pas peuplée en proportion de fon étendue , quoiqu'elle contienne trois villages , dont l'un lui a donné fon nom, c'cfl pourquoi on l'appelle Alelada , la même fans - doute que Porphyrogénete * appelle Meleta & qu'il met au nombre des Isles défertes de la mer de Zara. Quoique je ne m'y fois arrêté que peu de tems , j'ai pourtant eu le bonheur d'y trouver quelques folliles curieux. J'ai ra- * Conft. Porphyr. loc. cjt, A 4 maîlé de grands morceaux d'une pierre dure , remplis d'une efpèce de pétrifications incon-. nues du genre des Orthocératites, dont je par* lerai plus amplement dans la fuite. Le plus beau foflile qui le foit trouvé dans l'Isle Zapuutello y eft une pierre calcaire de la plus grande blancheur, & prèfque aufli dure que. le marbre , quoiqu'elle fe trouve un peu iarineufe en la brifant, On y voit; des empreintes d'arbres & d'infectes marins. Il pa-, roit qu'il y eut autrefois des madrépores & des corallines dans la bourbe où cette pierre, s'eft formée ; Pacide qui les détruifit laiiTa vuide l'endroit qu'ils avoient occupé , & lui donna une teinture ifochre de fer, de-forte qu'on peut encore diitinguer facilement les objets que ces empreintes repréfentent. Le fable marin qu'on trouve dans le port eft rempli de petites coquilles microfcopû j'obfervai que le terrein étoit fmguliérement partagé , & qu'il femble que les arbultes qui croilfent & qui couvrent ce diftrict dans une longueur de treize milles en ont fait la diltribution a leur gré. On trouve jufqu'à la campagne de Cofino des champs qui quoique pierreux feroient afTez bons pour la vigne & pour les grains , mais dont on a fait des prés très mal entretenus. Je trouvai à une lieue de Cofino un petit bois de genévrier fauvage, appelle en langage Illyrique gluhi fmrieb, mais fans aucune autre efpèce d'arbre ; à une lieue de là je vis des lentisques qui occupent un petit efpace , enfuite des phillyrées, de la bruyère, des ar-boufiers & du chêne verd, profpérant très bien enfemble ; à ceux - ci fuccèdérent des genévriers, & enfin près de Nona je ne trouvai que le paliure, connu fous le nom de draqa*. Je n'ai apperçu aucune difte- * Du grec drapto * pungo ; beaucoup d'autres termes botaniques de la langue Illyrique viennent du grec. Comme p. e. trava , herbe, drabij s dervo, boisy drus. rence fenfible dans le terrein que ces différentes efpèces d'arbres occupent. JJllesc coc-ci glandifera des botaniftes abonde le long du rivage & dans les Mes de la Dalmatie ; mais quelque foin que j'aye pris, je n'ai point pu découvrir de graine de kermès. Ce fe-roit une entreprife bien louable de tranfplan-ter dans cette contrée cet infecte précieux, en le faifant venir des Isles du Levant , où il éclot naturellement. Il y a tout lieu d'efpé-rer qu'il s'en feroit bien-tôt en Dalmatie line nouvelle production. §. IX. Du pays de Zara. L'ancien nom de Katar * eft reité à la grande province que nous trouvons fur nôtre carte fous le nom de Comté de Zara, & c'eft * Le Kotar s'étendoit autrefois au de-là de fes bor-, nés actuelles, & alloit jufqu'au bord du fleuve de Cettinà; Les anciennes chanfons Illyriques en font foi Uftanifè, Eragliu Radoslave , Zlo^a legga , i Zoriczu Zaspà; Odbixete Ltïka , i Karbava Rauni Kotar do voda Cettine & plus bas, i vas Kotar do vode Cettine. ainfi que les habitans du pays continuent a l'appeller ; cette contrée palTe pour être malfaine en été, j'en ai cependant parcouru impunément une partie, & j'aurois fait des ob-fervations plus confidérables , fans une fièvre opiniâtre que la fatigue & les grandes chaleurs avoient occahonnée à mon deflinateur. Ce contretems m'a empêché de rapporter en Italie toutes les notices, delTeins & autres cu-riofités de toute efpèce que j'aurois pu ra-maffer. La direction que j'ai fuivie dans mon voyage du Comté de Zara, me fit paflèr par les villes de San Filippo e Giacomo , Biograd (qu'on appelle encore Zaravccbia,') Se Facofiianc qui eft aux bords, de la mer ; par Vrana vers un lac du même nom, par Ce-ragne , Friftegh , Bcncovaz , Perujjicb , Fodgraje , Cuslovaz , Stancovzi , Oftroviz-za , Bribir , Jllorpolozza >■ Bagncvaz , & Enfin par Radajjbiovicb qui eft plus avant dans les terres. c'eji - à- dire i Reveille toi j o roi Radoslas. Le fort te pourfuivoit lor£ que tu te conchois pour dormir jufqifau retour de l'aurore , Korbavia & Lfcka fe font révoltés contre toi, & les plaines du Kotar julqu'aux eaux de Ccttina ... & plus bas Tout le Kotar jufqu'aux eaux de Ccttina* \ §. X. î)e l'Aqueduc de Trajan. j'ai vu à fan Filippo e Giacomo les Veftiges de l'aqueduc que Trajan fit construire ou rétablir; & j'en ai traverfe une bonne partie tant du côté où il commence que vers l'endroit où il finit. Je puis donc affairer avec certitude qUe les hiftoriens de la Dalmatie, & principalement Simon Glhdm-vàz dont j'ai les manufcrits fous mes yeux, ainfi que Giovamïi Lucio dans fon célèbre ouvrage du royaume de la Dalmatie Se la Croatie, fe font trompés confidérablement en avançant que Trajan avoit fait conduire l'eau du fleuve Tiziô ou Kerka Jufqu'à Zara , en commençant près de la cascade de Scardona, appellée vulgairement Skradiucki-Slap * où l'on voit encore aujourd'hui quelques ruines d'aqueduc peu remarquables. Ils méritent quelque indulgence, fi l'envie de faire honneur à leur patrie les a portés à donner à Trajan beaucoup plus de louais SJS que n'en mérite la conftruction ou réparation de cet aqueduc ; fans - doute que la * Scardonicus lapfus. la contrée qui eft entre Skradincki - Slap, & les côtes maritimes de Zara ne leur étoit pas bien connue, pareeque dans le tems qu'ils écrivoient, elle étoit dans la polïeflion des Turcs. Les reftes de cet aqueduc fe voyent près des murs de Zara le long de la mer, vers la ville de S. Caffano ; on les revoit en-fuite dans le bois de Ttifliza jufqu'à Torrette, où ils fervent de fentier aux piétons & aux gens à cheval, on les voit encore près de San Filippo e Giacomo , & plus loin à Zaravecchia, où l'on en perd les traces, ce qui a fait juger qu'ils alloient directement à la rivière voifine de Kakma, qui eft en droite ligne à trente bons milles de Skradiucki-Slap. Les montagnes qui s'élèvent entre cet endroit & Zaravecchia font beaucoup plus hautes que la chute du fleuve -, par confé-quent il auroit été impoflible de faire paner feau par delfus , elles font d'aillieurs coupées par tant de vallons, qu'on devroit ab-lolUment trouver à de très petites diftances des reftes d'arcades, fi jamais on avoit fut prendre ce chemin à l'eau du Tizio. On ne trouve pas à préfent dans l'étendue de trente - milles de pays la moindre trace d'un aqueduc, qui puille juftifier l'alTertion incoh-fidérée de Luzio, de Gliubavaz , ni l'opinion reçue* L'infcription dont j'ai parlé ci-Tom» L Ç ' devant ne dit nulle part & ne laide pas même foubçonner où peut avoir commencé cet aqueduc de Trajan, §. XL Biograd, ou Alba maritima. Biograd, pauvre ville maritime, qui nous eft délignée aujourd'huy fur les cartes fous le nom de Zaravecchia, qui liai fut donné dans les tems d'ignorance, étoit autrefois une ville con-fidérable. La diftance, la fituation, & quelques inferiptions trouvées dans cet endroit, femblent indiquer que Blandona a éxifté fur la même place, mais non pas l'ancienne Jadera, comme le prétend Cellarius *. Ce qu'il y a de fur eft que cet endroit étoit naguères en état de fplendeur, & que plufieurs rois Croates y ont fait fouvent leur réfidence , & s'y firent même couronner , entr'autres Crefemir qui y fonda un couvent en iofcj. 11 fut appelle dans les Chartres de ce tems * Poftquam Jadera eft, 'Iadcra kolonia Ptolomaeo vu ^LINI° Colonia Jadera , memorata etiam mel. lib. 2. c. 5. . . . Hodie vocatur locus Zara-vccchia, ultra Zaram novam, vifendus cum ruderibus noftrie Jadera. Cellar. no t. Orb. antiqui 1. 2. c. 8. sur lé CoMîi de Zara. || là, Alba maritima. Porphirogenète lui donne le nom de Bdgrad, comme les peuples Ef-clavons avoient coutume de faire aux villes où leurs princes réfidoient *. Il y eut un Evêché, qui fut transféré à Scardona, après que le Doge Ordelafo Faliero eut fait ruiner la ville, pendant la chaleur des guerres avec les Hongrois. De fes cendres naquit à la fuite des tems un village qui fe peupla de brigands & de fcélerats , & qui ayant excité l'indignation du Séréniffime gouvernement, fut détruit de fond en comble dans le cours du fiécle patte. Il n'y a plus à préfent que quelques habitans fort pauvres. Le port de cette ville eft fpacieux & fur, & j'ai ramaffe fur fes bords du fable rempli de coquillages pour le microfcope. Le terrein des environs le long de la mer eft pierreux, mais il n'eft pas ingrat, quoique cette pierre tienne du marbre. Hors du port de Biograd eft un groupe de petites Isles * Bielogrdd, ouBclograd, & Biograd, figniftent yilfo blanche. Botijthio Dec. i. Lib. VI. compte Belgrad parmi les villes maritimes de la Dalmatie qui ont été détruites par Attila, quoiqu'il femble que cette ville ne doit pas avoir porté avant l'irruption des Huns le même nom que dans lesbécles fuivans, & s'il lui avoit été donne déjà avant cette époque, ce feroit une nouvelle preuve de l'ancienneté de la langue Efclavonnc en Ulyrie. 36 R e m a r Q_V e s qui du tems des incurfions des Turcs, ont fouvent fervi de refuge aux habitans du continent voifin. Facoftiane , à peu de diffance de Biograd, eft un endroit pauvre & qui ne mérite aucune confidération ; il eft fitué fur FIfthme qui fépare la mer du lac de Frima. Il y a peu d'habftans , & leur fanté fe reffent de ce voïfinage, parceque le peu de fertilité de leur propre terrein les oblige à parler le marais dans des petites barques, pour aller cultiver les bords oppofés du lac, dont Pair eft fort mal-fain. Ils fe nourrilfent ordinairement des poiftbns du lac, & fur-tout d'anguilles, qu'ils mangent même dans les tems où la chair en eft nuifible. La manière de les prendre quand elles s'attroupent lors qu'elles font en fraie eft fmguliére. Deux hommes s'avancent dans le lac en troublant l'eau, & battent avec une groffe corde dont chacun d'eux tient un bout , fur la marte des anguilles, dont ils tuent une partie & chaf-fent l'autre ; ils ramaflènt enfuite celles qui font mortes pour les manger. sur le Comté dépara. 37 §, XII, Fort de Frana. Frotta C Urana ) * qui, bâti à l'une des extrémités du lac vers Tramontana lui donne fon nom, fut du tems paifé un endroit important qui appartenoit aux Templiers. Un Grand-prieur y faifoit fa réfidence, & y acquit quelquefois un tel pouvoir, qu'il jouoit le perfonnage principal dans les affaires du royaume. L'un d'eux Giacomo di Palifno, eut la témérité de porter une main facrilège fur Elisabeth, Douairière de Louis Roi d'Hongrie fa propre fouveraine, & fur Marie fa fille; &, après les avoir faitprifon-niéres, il fit noyer Elifabeth dans un fleuve. Philippe le bel, au commencement du même fiécle , ne pouvant convaincre l'ordre des Templiers d'aucun crime, les extermina également par le fer & par le feu. Leurs fuc-ceffeurs en Hongrie & en Dalmatie, convaincus d'un crime exécrable, ne fouffrirent par contre aucun mal; la vangcance que Sigis-mond époux de la Reine Marie en tira, C 3 * V. Dictionnaire géographique de Vosgien , $vo s vol. Amft, 1770.. v emarq.ue8 fut très-légère, & fe borna à la perfonne du Grand-prieur. Le fort qu'on appella par excellence Brana, ou Vrana, du teins de fa fondation, n'eft plus qu'un vamas de pierres & de ruines, état dans lequel il fut réduit par l'artillerie Vénitienne. Quelques auteurs ont cru que Blaudona avoit éxiité fur cette place, mais on ne trouve parmi ces ruines & parmi nombre de tours délabrées qui s'écroulent, aucun veftige d'antiquités romaines, j'ai rodé alfez long-tems pour cher-i cher quelque infeription ou quelque fculp-^ ture, mais après avoir fué inutilement, je quittai crainte qu'enfin quelque débris ne me fracaffât la tête par fa chute. Le Han ou Caravanferail, qui n'eft pas loin de ces mafures, mérite d'être remarqué, quoique tombant auffi en ruines, & livré à la barbarie des Morlaques voifins qui en ont tiré des matériaux pour bâtir leurs chétives habitations. La fondation des Hans fait beaucoup d'honneur à la nation Turque, chez qui ces établifTemens font nombreux. Celui qui eft près de Vrana fût bâti à grands frais. Il a I7f pieds en longueur & une façade de i f o pieds ; tout l'édifice eft confinât d'un marbre bien poli & compact, dont les morceaux ont été enlevés d'un an- den bâtiment romain, autant que j'ai pu m'en appercevoir en l'examinant avec foin. Le corps de logis eft partagé par deux grandes cours , entièrement entourées d'ap-partcmens bien ornés, & de galeries très bien diftribuées. L'architecture des portes eft dans le gout Turc, peu élégant & tirant fur le Gothique. Une partie des murs & du pavé a été mife c'en-deilus-deflbus, par la malheureufe & lotte avidité des gens qui fouil-loient pour chercher des tréfors. Le nom de Vrana a palfé maintenant à une petite ville, fituée à près d'un mille des ruines du fort, fur la même place où, dans le Iiécle parte, un riche Turc nommé Hall-begh avoit eu fes jardins. La miférable maifon du curé du lieu potte enco e aujourd'hui le nom de Jardins ÏÏHali-begh. J'ai trouvé dans un manufcrit de Gliubavaz, que j'ai fous les yeux, appartenant au favant & aimable Comte Grégoire Stratonico de Zara, une defcription des jets-d'eau de ces jardins, & des environs, qui alors étoient très bien entretenus. Quel changement! Les Jardins d'Hali-begh ne font plus qu'un monceau de mafures, & les eaux qui les arro-foient, conduites autrefois avec beaucoup d'art, ne coulent à-prèfent que dans des lits inégaux & difformes, pour fe joindre à quan- C 4 tité de petits ruiiTeaux conftruits il y a cent ans, avec une grande induitrie, pour les décharger dans le lac. §. xiii Du lac de VRANA , de fon canal% . & de la pêche. Le lac de Vrana très-renommé en Dalmatie cil bien mieux connu à Fenife que plufieurs autres de ces contrées, non feule-, ment pour fa longueur confidérable qui eit de douze milles d'étendue, mais fur-tout par le projet qu'avoient formé des particuliers, & déjà exécuté en partie, de creufer un canal pour en faire écouler l'eau dans la mer. Le célèbre Zendrini fut confulté fur la pollibi-lité d'exécution de cette entreprife, mais il ne fut pas appelle fur les lieux. Il fe fia au nivellement qu'en avoit fait un ingénieur, à la légère, & ne vit d'autre difficulté que les fraix de faire tailler un canal d'une profondeur confidérable en pierre dure dans une étendue de demi mille. L'entrepreneur fou-tenu par le gouvernement, ne fe laiiïa pas rebuter par les fraix , mais ébaucha pour amfi dire fon travail, en faifant creufer par le moyen de la poudre à canon un canal, qui depuis beaucoup d'années eft refté imparfait & abandonné, & qui fera bientôt cou-* vert par les débris de fes bords. Le but de ce travail étoit de mettre à fec, & de rendre propre à la culture, une étendue confidérable de champs occupés par l'eau, qu'on croyoit dormante & fufceptible d'écoulement. Je fus voir pour la première fois cette en-treprile inconfidérée en compagnie de Milord Hervey, Evoque de Berry ; nous reconnûmes à Pinftant que toutes les peines & tous les fraix feroient en pure perte, & que ce projet chimérique étoit phyfiquement im-poflible. 11 ne faut qu'examiner le lit de la mer pour s'en convaincre. L'eau du lac, en fe fartant chemin à travers les cavités qui fe trouvent dans les couches de marbre, fe porte d'elle même à la mer lorfque la marée eft baffe ; fi elle s'élève, ou qu'elle atteigne la hauteur moyenne , elle ne peut plus y parler. Cette feule & très fimple obferva-tion démontre que , quelque canal qu'on creufat, ces terres inondées n'en retireroient jamais aucun avantage confidérable & per-manant, parceque l'eau du lac ne pourroit pas toujours fe rendre à la mer, & que toute communication feroit affujettie à l'influence du flux & reflux. Il eft certain que le haulTement progreflif du niveau de notre mer, foit qu'il vienne de la déprefTion du terrein , comme quelques uns le prétendent, foit qu'il faille en chercher la caufe dans une raifon plus générale, comme je fuis porté à le croire, rendra toujours l'écoulement de l'eau plus difficile, & augmentera par conféquent d'une année à l'autre infenfiblement, & plus vifiblement de cinquante en cinquante ans, la circonférence du lac. On voit par les manufcrits très eftimables de Glmbavaz, que l'eau du lac de Frana a été douce jufqu'en 1630. Cet auteur croit qu'un tremblement de terre a ouvert dès-lors des communications fouter-raines par lefquelles l'eau & les poiflbns fe frayèrent un partage. Mais quiconque a fait des réflexions fuivies fur les plages & les côtes de la mer Adriatique , aura bien reconnu après un mur examen la nature des couches de marbre de la Dalmatie maritime, vu manifeftement que ce n'cft point a une caufe accidentelle, comme la fecouiTe d'un tremblement de terre, qu'il faut attribuer ce changement, mais à une caufe perpétuée & progreiïive , telle que le haiille-ment du niveau de la mer ; & pour lors on fendra le ridicule de l'entreprife dont nous venons de parler. Je ne crois cependant pas qu'il foit in> poflible de fouftraire une certaine étendue de terrein à une inondation qui s'étend d'un jour à l'autre, & qui rend marécageux celui qui entoure le lac & qui eft bien le meilleur , indépendamment de l'infalubrité de l'air qui en réfulte pour tous les environs. Je fuis au contraire auili convaincu que cela fer oit praticable, que de l'impollibilité d'y parve-, nir par un canal de cette efpèce ; mais on pourroit y réuflir en faifant reprendre à l'ean qui vient de Smocovich l'ancien chemin par lequel elle s'écouloit probablement autrefois dans la mer; en rellerrant autant que poflible 1' eau qui defeend des collines & qui cot-toye la ville de Frima, telle que le ruilTeau de Scorobich, & celui de la Riba plus confidérable encore, qui prend la même direction ; en faifant defeendre par la pente de la vallée, les eaux de Ricina Se F échina, qui fe jettent fort irrégulièrement dans le lac & contribuent à augmenter le mal, & qui, en ferpentant à travers des champs arides, leur feroient un grand bien; il faudroit creufer des lits profonds à l'eau qui doit palTer ab-folument par les endroits bourbeux, élever des digues allez hautes pour couvrir les ter-reins bas , en confiant cet ouvrage à un homme intelligent & honnête. Tel fer-oit le feul & vrai moyen de tirer parti des plaines qui font actuellement inondées, de donner une direction aux eaux qui croupiftent, de faire peut-être encore quelqu'ufage du canal déjà creufé, & qui ne peut à cette heure fervir au plus qu'à faire écouler un peu plus Vite l'eau de pluye lorfqu'elle eft abondante. Le plus grand avantage à tirer du lac de Vrana, dans quel état qu'on veuille le considérer, eft la pêche. Les anguilles dont il abonde & qui font abandonnées au peu d'a-drelfe des pêcheurs des environs, fort igno-rans dans leur métier, fourniroient un nombre de barils très favorable à notre commerce intérieur, fi on les gardoit comme il faut dans des réfervoirs lœvorieri * Se qu'on les prit en tems convenable pour les faler ou mariner. Ce feroit le cas de faire venir quelques barques, avec des gens entendus à la pêche de l'anguille, de notre vallée de Doçado, de qui les habitans de Pacqftiane Se des environs pourroient s'inftruire d'une meilleure * Terme technique de la pêche de nos lacs & des vallées de Comacchio, qui défigne une enceinte de cannes plantées artiitement pour que les anguilles y entrent, & ne puiflent plus en fortir. L'art de faire ces relervoirs pratiqués dans les marais de la mer Adriati-Q**ei eft actuellement introduit avec fnecès dans les i alude Poutine près de la mer Méditer année. méthode. La nation fait annuellement de grandes dépenfes pour fes provifions d'anguilles falées & marinées à Comacchio ; pourquoi ne pas faire valoir préférablement nos propres pêches ? Un des principaux objets de mes obfervations le long des côtes de la Dalmatie, a été de voir fi l'on pouvoit introduire une meilleure méthode pour la pêche , & la mettre fur un meilleur pied, pour en faire une fource d'épargnes & de profits pour la nation. Le lac de Vrana eft le plus confidérable de ceux qui font près de la mer, & d'autant plus digne par conféquent de l'attention des Magiftrats prépofés au commerce national, pour veiller à la culture & à l'augmentation des productions de notre pays. Les habitans de cette contrée & généralement tous les Morlaques ont une averfion infurmontable pour les grenouilles; dans les tems de cherté & de difette qui ne font que trop fréquens en Dalmatie, tant à caufe du mauvais état de l'agriculture, que des grands défauts dans la conftitution du pays, un vrai Morlaqiie fe laifferoit plutôt mourrir de faim que d'y toucher. Le curé de Vrana fe mit prèsqu'en fureur de ce qu'on lui demanda pourquoi il ne mangeoit pas des grenouilles préférablement à du mauvais fromage, & dit « qu'un homme de la dernière claffe étoit allé prendre des grenouilles pour les porter à la foire de Zara, mais qu'il s'étoit bien gardé d'en manger" néanmoins, ajouta-t-il, „ on le regarde à caufe de cela comme i'op* „ probre de cet endroit. i xiv. Des Pétrifications de CERAGNË, BENCOVAZ & PODLUK. J'apperçus dans le marbre Dalmatique ordinaire que je trouvai dans les bois des environs de Ceragne, un grand nombre de noyaux de Turbinites, & je ramaflài près de là des Ortocératites de même efpèce que ceux d'Uglian. On voit auffi fous le rocher de Bencovaz, & vers un village voifm appelle Podhik , des Numismates ou Pierres Lenticulaires, qui font auilî parfaitement con-fervées que celles de Mont-e-re'aie dans le VU centin, & de & Giovanni Ilarioue, les plus belles que je connoifTe. Entre le rocher de Bencovaz & le bois de Cucagl s'étend une branche de collines compofée dargille marine plombée, ( Argilla marina plumbata, ) & en quelques endroits de marne de la plus grande blancheur. J'ai encore ramailé dans les ouvertures creufées par les torrens, des corps marins difperfés, dont quelques-uns font des noyaux de Turbinites fpatheux, des pétrifications de couleur jaune-doré du plus beau poli. La pierre qui compofe les élévations de ces contrées reiTemble en général beaucoup à la pierre molle des collines de l'Italie ; les champs vaft.es & les vallons les plus agréables qui forment ce diftrict font mal peuplés, & plus mal cultivés encore. Le défaut de population fait tort en quelques endroits à la pureté de l'air, parce qu'il s'enfuit néceifairement que les eaux des montagnes font négligées, fe répandent dans les plaines, & y croupilfent. L'air de PeruJJicb n'eft pas encore mal faim Ce château fut bâti par l'illuftre famille des Comtes di Pojfedaria, pour fervir de retraite dans des tems de troubles aux Morlaques des environs. Il eft fitué fur une colline de roche, & domine par fa hauteur fur une grande étendue de très beau pays. Le peu de pétrifications qu'on y trouve, reiTemble à celles dont je viens de parler. §. XV. Des mines tf AS SERIA, appcllée aujourd'hui PODGRA JE. A près d'un mille de ce château fe trouve le miférable village de Podgraje *. Il tire fon nom de la ville qui occupoit dans les fiécles palTés le terrein où font actuellement ces miférables maifons. La table itinéraire de Peutinguer place dans cet endroit Aferia, qui eft VAJJiJJîa de Ptolomêe, & VAJJeJïa ou Aferia de Pline. Ce dernier après avoir donné le nombre des villes de la Liburnie, qui étoient comprifes dans la Généralité de Scardone, ajoute à ce catalogue les Afferiens jouïifans d'une pleine immunité, immunesque AJferiates **. Ce peuple qui fe donnoit lui même fes Magiftrats, & qui fe gouvernoit par fes propres loix municipales , devoit être riche , & plus puiffant que fes voifins. Plufieurs auteurs qui ont écrit fur VUlyrie fe font trom- ¥ Pod-grada — Sous la ville. j Çonvcntum Scardonitanum pctitnt, £?c. La généralité de Scardone comprend, &c. V. Plin. nat. hijl. Lib. m, c. zi. avec la traduction françoife, 4-to Tom. II. p, Zlu & Zlh paris SUR le' GO m te DeZaRA. 49 trompés, en croyant que Zemonico étoit forti des ruines d'AjJeria, tandis que cette Forte-reiTe du Comté de Zara, eft à feize milles de Podgraje. Gliubavàz -, dont j'ai déjà fait mention, tombe dans la même erreur, dans un de fes manufcrits de Situ Illyrïci, mais on ne peut pas l'en inculper, parce qa'AJJhria étoit encore entre les mains des Turcs lorsqu'il fit fon ouvrage, & qu'il n'avoit pas été en fon pouvoir de fe mettre au fait de la chofe. Les veftiges qui reftent des murs à'AJJefiai le prouvent fuffifamment Pl. II. Leur circonférence qu'on diftingue encore aujourd'hui très exactement , eft de 36*00 pieds romains. La forme de l'efpace qu'ils renferment eft celle d'un polygone oblong, ils ont été bâtis en marbre Dalmatique ordinaire, mais ce marbre n'a pas été tiré des collines fur lefquelles ces murs ont été élevés\ puifqu'cl-les ne fournilfent qu'une pierre molle. Toutes les pièces dé marbre font taillées artifte-ment lavorate a bugno & les murs en font garnis en dedans & en dehors. On trouve des morceaux de dix pieds de longueur, & tous font d'une grandeur Confidérable ; les fortifications ont pour l'ordinaire huit pieds d'épaifTeur, mais à l'extrémité la plus étroite, Tom. L D qui defcend vers le pied de la colline, elles en ont onze ; on les voit encore en quelques endroits s'élever à la hauteur de près de huit pieds. On trouve dans un ieul endroit A des indices certains d'une porte , mais elle eft couverte par des ruines ; j'ai mis les pieds fur la courbure de l'arc, & plufieurs habitans du voifinage fe fouviennent encore de l'avoir vue à découvert. 11 y en avoit peut-être une autre à l'endroit B par où l'on entre à préfent. Outre ces portes on voit encore deux ouvertures, C D, dont la dernière n'eft pas aulfi bien confervée que l'autre. Je ne puis m'imaginer à quel ulage elles pouvoient être deftinées, ne reilemblant ni à des portes, ni à des crenaux, ni à rien qui put fervir à faire écouler des eaux. Le baftion du milieu E mérite d'être bien ob-fervé ; fa ftructure eft exactement pareille à celle de l'architecture militaire moderne. Un profèfleur dans cet art verroit encore bien plus de chofes dignes d'une attention particulière. L'antiquaire, le limple amateur même des beaux arts & de la bonne érudition , ne fauroit fe retenir en fe trou-^ vant à Podgraje, de fouhaiter que quelque bras puiilànt qulcquid fub terra eft in apri-cum proférât. Il fera d'autant pius porté à former ce fouhait, en voyant que depuis la ruine de cette ville , perfonne n'a fait fouiller ii une certaine profondeur dans l'intention d'en tirer quelque choie. Ces murailles renferment fans-doute un dépôt d'antiquités, mifes peut-être à couvert à l'occafion de quelque invaiion imprévue des Barbares, ou enfouies par un tremblement de terre. La porte enfe-velie fous lesruines, la hauteur confidérable des murailles qu'on voit encore en plus d'un endroit , quelques pans de grotte ■ muraille, qui s'apperçoivent fur terre parmi les broulTail-les, toutes ces circonflances réunies feroient efpérer qu'il doit y avoir là une quantité dè monumens précieux à retirer* La beauté dé la maçonnerie F, & le nombre de pièces dé marbre taillées & bien terminées , qu'oïl trouve éparfes dans les champs contigus, font bien connoître que la grandeur & le bon gout règnoient dans ce pays. Au milieu du parapet qui couvre les relies à'Afferia, fe trouve l'églifë paroilîiale de ce petit endroit, toute ifolée ; elle a été bâtie de fragmens de ruines antiques, déterrés fur les lieux. On y voit des infcriptions mal conièrvées, & des pièces de corniches coniidérables. Les Morlaques de Fodgraje ne faifoient autrefois aucun mal aux pierres qu'ils trou-voient en labourant la terre; mais depuis qu'on les a obligé de trainer quelques colonnes fé- D z Remarques pulchrales jufqu'au bord de la mer, fans aua cun falaire ponr ce travail, ils ont tellement juré la deftruction de toutes les infcriptions, qu'aulfitôt qu'ils en trouvent, ils les gâtent a coups de bêche, ou les enfoiuilent plus profondément en terre ; & l'on ne fauroit avec juftice les acculer de barbarie à cet égard. Le moyen de les engager à rechercher & à conferver les monumens antiques , ièroit de leur promettre une récompenfe propor-* tionnéc aux foins & à la peine qu'ils fe fe-roient donnée en découvrant quelque choie. J'ai eu le bonheur particulier de trouver dans la maifon du Morlaque Jurêka une Sepulchrale una Sépulcrale, que j'ai achetée pour quelques deniers, & que j'apporterai en Italie avec quelques autres. En captivant la confiance & l'amitié des Morlaques, on eft fur d'en tirer des lumières, que je me flat-terois bien d'acquérir d'eux, connoiiTant le génie de la nation, comme je crois y être parvenu ; auflï n'ai je quitté Podgraje qu'avec une ferme réfolution d'y revenir en apportant avec moi tout ce qu'il faut pour faire fouiller dans les environs. §. XVI. MANNE de COSLOFAZ. Coslovaz eft un endroit pauvre, comme les autres villages de cette contrée, mais les bois qui en dépendent font remplis de frênes qui donnent de la manne en abondance quand les incifions font bien faites : les Morlaques ne s'y entendent point, & ne con-noilfent pas même cette production. Il y a deux ans que quelqu'un obtint du gouvernement la permiflion d'y aller faire des expériences. Le fuccès ne répondit pas tout de fuite aux efpérances dont cette perfonne s'é-toit flattée, parceque l'air s'étant un peu raf-fraichi, elle perdit patience , & laiffa les frênes , après avoir fait les incifions : la chaleur étant revenue , ils donnèrent une quantité prodigieufe de manne , que les Morlaques mangèrent avec avidité, à caufe de fa douceur. Plufieurs en prirent une colique fi violente qu'ils en furent prèfque réduits à la mort; en peu de jours la manne fut aban-•donnée aux cochons & aux poules d'Inde. D ? Remarques §. XVIL D1 OSTRO VITLZA. Ofirovizza, que quelques - uns prennent pour l'ancienne Arauzona , d'autres pour Stlupi, & qui n'a vraisemblablement rien de commun ni avec l'une ni avec l'autre, fut autrefois un endroit de quelque confidération, que la SéréuiJJime République acheta en 1410 avec quelques autres pièces de terres adjacentes, pour le prix de cinq mille ducats. Le Fort, bâti fur un rocher taillé perpendiculairement à plomb dans toute fon enceinte, doit avoir patTé pour imprenable , avant que l'artillerie fut en ufage. Il fut pris en Tf24 par Soliman, mais il eut le bonheur de retomber enfuite fous le gouvernement de la République. On n'y voit plus aujourd'hui aucune trace de fortifications, ce n'eft actuellement qu'une malTe nue & ifolée. J'ai fait deflîner une petite vue des collines d'OJlro-vizza Pl. III. pareeque leurs fommets montrent allez clairement que les couches en iont à double rang , & que cela peut détromper ceux que la crédulité portoit à croire , que les apparences de cette féparation perpendiculaire font une fuite de celle de ces couches. Les lignes de divifion AAÀA qui coupent les lignes horizontales B B B B prèfque toujours en forme rectangulaire, font autant de preuves vifibles de la force deitrucltu ce de l'eau. En coulant le long des côtes de la colline, elle fe creufe de petits canaux C C, qui couvrent en quelques endroits les divifions horizontales. Les couches qui forment le fommct E du roc fur lequel étoit l'ancien château , font compofées de gravier de différentes efpèces & couleurs , parmi lefquelles il en eit qui contiennent des grains de quartz , & d'autres où l'on trouve des corps marins pétrifiés. La couche F eft d'une pierre analogue à celle de Nanto dans le Vicentin, que les François appellent Motion. En parcourant la colline G G qui eft rabotteufe, & fes environs , j'ai trouvé plufieurs numismales dif-perfées, tant de ces communes dont la ligne fpirale eft cachée, que de celles qui l'ont en dehors , & qui font plus rares ; je trouvai aufti une pièce de la première beauté , c'étoit un came , chamite, ou camite, & entr'autres pétrifications , des corattoides fiftideufes, & des échinites foit ourfins d'Afrique mal conditionnés. On y voit encore diverfes unu valves turbïnées, particulièrement des cochli* D4 Remarques tes Se des buccinites lifïès avec quelques époiu ges pétrifiées , d'une efpèce exotique , qui fonts orbiculaires , plates , quelquefois concaves vers le centre , n'ayant au bord qu'un tiers de ligne d'épaiffeur , & feulement un pouce de diamètre. On trouve fur la colline où étoit anciennement le château, les indices d'une couche du plus beau marbre, tigré , compofé de petits fragmens marins, & de fable de volcan produit par la fluctua-, tion des laves triturées. La couche couverte H eft d'une argile azurée & moitié pierreu-fe , femblablc à celle qui forme le pied de la colline contigûe & d'une branche de montagne qui s'étend vers Bribir, & de là juf-qu'à Scardone. Je ne puis guères adopter le. fentiment du célèbre Mr. Rafpe , qui attribue les fentes verticales qu'on voit dans les. couches calcaires, & beaucoup d'autres phénomènes femblables, aux tremblemens de terre. Ges fentes font trop fines Se trop régulières , pour qu'elles puûTent être la fuite d'un mouvement auïïi impétueux Se imprévu. Ce qui m'éloigne abfolument de cette idée, c'eft l'obfervation que j'ai faite en plufieurs endroits de la Dalmatie, que les collines de. marbre calcaire, même les plus folides, font ordinairement pleines de crevafTes & de fentes en tout fens ; & c'eft - ce dont le très fa-, vant Mfgr. Paffcri donne une explication fort ingénieufe dans fon livre intitulé Storia naturelle de' Fojfûi del Pefarefe, ouvrage qui mériterait de reparaître, & qui devroit être mieux connu dans les pays ultramontains. Ce n'eft pas que je ne fois très difpofé à accorder à Mr. Rafpe, ainfi qu'à mon refpe&a-bie ami Mfgr. Pafferi , qui femble adopter le fyftême de Hoockius, que les efforts d'un tremblement de terre ou l'éruption d'un volcan peuvent produire de grandes crevaffes, fendre & renverfer même des montagnes : mais les exemples , que l'eau a produit les mêmes effets en minant les fonde-mens , font fi fréquens dans les provinces que j'ai parcourues pendant mes petits, voyages en Italie & outre - mer, que je ne faurois l'attribuer à des caufes moins fréquentes & plus invraifemblables. Sous le village d'Ojlrovizza eft un marais d'un fond de tourbe, fur lequel la foudre tomba il y a quelques aimées & y mit le feu, qui brûla long-tems. fans qu'on s'en apperçut que de nuit. Dès - que le feu fou-terrain fut éteint, la terre refta noire & devint ftérile, & ce fut précifément cette noirceur qui me. donna la curiofîté d'examiner fi je ne pourrois faire aucune découverte là - defTus. Votre Excellence voudra bien convenir qu'il m'eft très permis d'admettre la foudre parmi les caufes des volcans. En donnant dans une mine de fouffre, ne devrait-elle pas produire un plus grand bruit, & avoir des fuites plus remarquables & plus frappantes qu'en tombant fur un fond de tourbe, humide , comme eft celui d'Oftrovizza ? Je me fouviens à cette occafion d'avoir lu quelque part, que le Chevalier de Linné en panant par l'île cVOëland à Mo'è - Kclby vit brûler plufieurs collines, d'où l'on avoit tiré autrefois de l'alun; le feu s'y étoit mis par hazard deux ans avant qu'il paffat en cet endroit. Ce petit volcan a beaucoup de rapports avec la Solfatara de Pouzols. Kœmpfer dans fon voyage au Japon fait mention d'un autre volcan occafîonné par l'inflammation cafuclle d'un charbon foflile minerai. Il y a près de cet endroit un petit bois qui produit en automne & au printems une efpèce de champignons d'une grandeur énor-me, reffemblant parfaitement à ceux de Cary-ara , fur lefqucls notre cher ami , Mr. Marsili Profcfjeur en Botanique en VUni-verfité de Pad oue , a donné un excellent opufcule. * Les vipères , que les foldats appellent picchetti, aiment beaucoup cet endroit , & s'y multiplient plus que dans aucun autre des environs. Le frêne donne aufli de la manne dans ces contrées en abondance, & de la meilleure qualité : mais quelque fmi-ple que foit l'opération nécefïaire pour la tirer des branches de l'arbre , les Morlaques n'ont point encore voulu en faire ufage. §. XVIII. De la Rivière de BRIBIRSCHIZZA & de MORPOLAZZA. Je me rendis pour examiner tout le cours de l'eau qui tombe dans les marais au-deffbus d'Oftrovizza, à travers des champs, jufqu'à la fource de la Bribirfchizza, fleuve confidérable, qui fort au pied de la colline efcarpée fur laquelle s'apperçoivent encore les ruines de Bribir, où réfidoit autrefois une famille des plus puiffantes de la Dalmatie , qui faifoit une grande figure dans le XIVme- hécle. * Fungi Carraricnjîs hijloria. Pat. i766- 4** En examinant le cours de la Bribirfchizza , je trouvai quantité de grands oftracites* pétrifiés qui étoient difperfés, & qui avoient été gâtés par le courant de l'eau. En avançant vers la fource, je relevai encore quelques efpèces de turbinites , & des bivalves demi - calcinées, dans une couche d'argile azurée & pierreufe , qui étoient luifantes & très-bien confervées. Aucune des différentes efpèces que j'ai obfervées en fouillant & brifant les pierres avec mon marteau oryttohgique , ne fe trouve dans nos mers. Les grandes malles de breccm , qui paroif-fent en quelques endroits le long du rivage avoir été détachées du fommet, ont été formées fous mer , & contiennent entre les couches de gravier , des coquillages calcinés d'une grande variété, qu'on peut reconnoitre encore , malgré qu'ils foient affez maltraités ; quelques-uns m'ont paru relTembler à ceux que nous trouvons chez nous. Je traverfai pour revenir au bord de la mer, la grande & belle plaine de Mor-polaz-za, bordée de collines prèfqifinhabitées, & partagée dans fa longueur par un canal defti- * OJlracites, qjheïtcs , huitres pçtrifiées, quelque* fois gryphit es. * ne à recevoir l'eau des ruiffeaux & des marais voifins. Le fond de ce champ prèf-qu'entiérement inculte eft de marne s qui paroit s'être formée en partie des coquilles de petits turbinites dont l'eau , qui vient des collines plus élevées, amène d'une année à l'autre une quantité infinie. Le canal de Morpolazza aboutit après une étendue de trente bons milles au lac de Scardone , où il prend le nom de Goducchia. Il paroit qu'il y eut autrefois un établillement romain aU pied de la colline où fe voit aujourd'hui Péglife de St. Pierre de Morpolazza. On y trouve encore à préfent des relies de pierres taillées , & quelques fragmens d'inferiptions. Araufa dont Antonin fait mention dans fon itinéraire ne devoit pas être éloigné de cet endroit-là. Ceux qui ont cru qU1Araufa ou Arauzona étoit Zuonigrad, fe font extrême^ ment trompés , pareeque cette place eft à bien plus de trente milles de diitance , & fort loin de la route de cet empereur. On trouve des corps marins fur les collines de Stancovzi entre OJlrovizza & Mof> polazza, ainli que fur toutes les hauteurs de Bagnevaz & de Radajfinovaz entre Morpolazza & la mer. Il y avoit dans le comté de Zara plufieurs autres établiffemens romains, dont on peut encore trouver les vertiges au moyen de là carte de Peutinguer , quoiqu'on en ignore les noms. Ceux de quelques - uns fubfirteiit encore; tels font Carin & Nadin, fortis des ruines de Corinium & Nedinum. Je ne faurois rendre compte de ce qu'il y a de remarquable dans ces endroits - là , n'y ayant point été. On m'a cependant aiïuré , qu'on voyoit encore près de Carin les veitiges d'un amphithéâtre. Je me fuis propofé de donner à Votre Excellence , une relation exacte de tous les endroits où j'ai trouvé des pétrifications de corps marins, & de tous les vallons agréables & fufceptibles de culture que j'ai vus en parcourant un petit diftrict du comté de Zara, pour qu'elle ne rcftat pas dans l'erreur où dévoient Pentrainer tant de faillies relations, des rochers fans fin * de la Dalmatie , de la continuité non interrompue de je ne fais quelle malTe de marbre qui les compo-fe, de la rareté des pétrifications de corps marins , & de la difficulté qu'on a de les re-connoitre. Il eit vrai qu'il y à quelques montagnes rudes & affreufes dans ce pays- * Donati Saggio di Storia nat. p. VIII. IX. ïà, mais il faut ajouter qu'on y trouve aulïï des étendues de pays où l'on ne voit aucune montagne, très confidérables, & que les montagnes mêmes font coupées par des vallons fort agréables & très fertiles. Donati, mon compatriote, a donné dans fon Effai d'hifi. naturelle une idée peu favorable du caractère des peuples qui habitent l'intérieur du pays, & il a grand tort de dire * que c'ait été par crainte de la barbarie de ces peuples & vu le danger d'y faire des recherches,que Mrs. Spon & VVheler n'ont pas pénétré plus avant dans l'intérieur de la Dalmatie. Il fuffit de favoir que ces deux voyageurs dirigeant leur route vers le Levant, s'étoient embarqués fur une barque publique de Fenife, & que lorfqu'ils abordoient quelque part, ils ne pouvoient pas s'éloigner beaucoup des bords de la mer, pour n'ajouter aucune foi à cette opinion. Spon reçut les preuves d'une hofpitalité fi génè-reufe dans les endroits maritimes , & particulièrement à Spalâtro ; il trouva les guides qui l'accompagnoient dans les petites courfes qu'il fit à cheval, fi raifonnables & fi honnêtes , qu'il n'y a pas apparence qu'il eut redouté la barbarie des habitans du pays. Que * Donati Sqggio di Storia nat. p- l'on confulte Spon lui - môme , pour voir dans le Tome I. de fon voyage, ce qu'il dit de fon féjour à Cliffa ; Se fi Fbtre Excellence veut bien avoir la patience de lire les détails de ce que j'ai obfervé moi - même dans mou voyage chez les Morlaques, elle ne regardera plus cette Nation comme tellement barbare , qu'il y ait du danger à voyager dans le pays qu'elle habite. À MYLORD LETTRE IL À M y l o r d SUR LES MŒURS DES MORLAQUES. AT T L ORT), IF e n d a n t votre féjour parmi nous, vous aurez fouvent entendu parler des Morlaques comme d'un peuple féroce t inhumain, ltupide, & capable de commettre tous les crimes. Vous me taxerez , peut-être, de témérité , d'avoir dirigé mes voyages dans un pays habité par une nation femblable. Les habitans des villes maritimes de la Dalmatie , racontent une infinité d'actions cruelles de ce peuple , qui livré à une rapacité Tom. I. E habituelle, s'en: porté , ibuvent, à des excès atroces. Mais ces faits raportés, ou font d'ancienne datte, ou, s'il y en a d'arrivés dans des tems plus modernes , les circonifances prouvent qu'il faut les attribuer plutôt à la i corruption de quelques individus , qu'au mauvais caractère de la nation en général. Dans les dernières guerres contre les Titres, les Morlaques peuvent avoir pris l'habitude de voler & d'aiiàfliner impunément, & avoir donné, après la paix, quelques trilles exemples de cruauté & d'un naturel féroce. Mais quelles troupes, revenues d'une guerre, qui femble autorifer toutes les violences contre un ennemi, n'ont pas peuplé les forêts & les grands chemins de voleurs & de meurtriers? Je crois devoir une Apologie à une nation, qui ma fait un fi bon accueil, & qui ma traité avec tant d'humanité. A cet effet, je n'ai qu'à raconter fincérement ce que j'ai obfervé de fes Mœurs & de fes Uiages. Mon récit doit paroitre d'autant plus impartial, que les voyageurs ne font que trop enclins à groflir les dangers, qu'ils ont courus dans les pays qui ont fait l'objet de leurs recherches. S. L De l'origine des MORLAQUES. L'origine des Morlaques, répandus aujourd'hui dans les vallées riantes de Kotar ; le long des rivières de Kerka, de Cettina, de Naven ta : & dans les montagnes de la Dalmatie intérieure (*), eit envelopée dans la nuit obicure des iiecles barbares. Il en eit de même à l'égard de celle de plufieurs peuples, qui, à caufe de leur reflemblance avec les Morlaques dans la langue & dans les Mœurs, parohTent compofer une feule nation, étendue depuis le Golfe de Venife jufqu'à la mer Glaciale. Les émigrations des différentes tribus des peuples Slaves, qui fous le nom de Scythes, de Getes, de Goths, de Huns, de Slavini, de Croates, d3Avares, de Vandales, ont inondé les Provinces Romaines du tems de la décadence de l'Empire, ont vû troubler étrangement la généalogie des nations qui dans des fiecles plus reculés, le font emparées peut-être (*) Le pays habité par les Morlaques s'étend beaucoup plus loin vers la Grèce, l'Allemagne, & la Hongrie-H ne s'agit ici que de la partie que l'Auteur a parcourue. E % des mêmes pays de la même manière (*), Les relies des Ardiées , des Autariates, & des autres peuples Illiriens , anciennement établis en Dalmatie & toujours impatiens du joug des Romains, fêleront joints volontairement à ces conquérant étrangers dont la langue, & les Mœurs reflembloient 11 fort à celles du peu-pie conquis (**). Au commencement du treizième fiecle , les TarUires chaOerent Bela IV.. Roi de Hongrie, qui fe réfugia dans les lsles de Dalmatie. Il eft probable que plufieurs lamil- (*) L'auteur compte parmi ces branches prétendues des Slaves, des peuples d'une origine très-.différente. Scythes paroit avoir été un nom générique, donné par les-Grècs, à toutes les nations du nord de l'Ane & del'Europe orientale. Ce que nous favons des Goths & des Huns, nous prouve clairement qu'ils n'ont pas été d'extraction' Efdavone. Remarque du Trad. (**) On ne peut pas douter de l'exiftence de la kingue-Efdavone en Illirie , déjà du tems de la république Romaine. Les noms des villes, desrivieres, des montagnes, des peuples, de ces contrées, confervés par les auteurs Grecs & Latins, font vifibiement Efclavons. Promona, jglvona , Scnia , Jadcro, Rataneum , Stlupy, Ufcana , Bilazora , Zagora , Trijlolu , Ciabrus, Ochra , Car-pratius, Pleuratus, dgron, Teuca, Dardant, Triballly Grabai, Pirujla, & tant d'autres mots, qui le trouvent rrnS ^{liftoriens & fes géographes anciens, le prouvent aflez. 0*1 pourroit ajouter encore un grand nombre de noms de racine Efdavone, qu'on rencontre en Illirie ans des mferiptions, dreflees du tems des premiers empereurs. les de ce peuple fe fixèrent, à cette occafîon, dans les vallées défertesdes montagnes &pro-duifîrent ces germes de Calmouks, qu'on voit encore s'y déveloper , principalement dans le comté de Zara, On ne peut pas faire grande attention au fentiment de Mogiry, qui dérive de YEpire, Se les UJcoques Se les Morlaques. Le dialecte de ces peuples a cependant plus d'affinité avec celui des Rafciens , Se des Bulgares, qu'avec celui des Albanais. Supofé même que les Morlaques de la Dalmatie Vénitienne fullent fortis, en partie de \Albanie, il feroit toujours queftion de favoir d'où ils font venus pour fe tranfplanter autrefois dans ce dernier pays. Cet auteur fait d'ailleurs une nation féparée des Haiduks, qui, comme on peut juger par la lignification de leur nom, n'ont jamais formé un peuple (*). C) Haiduck , lignifie originairement un chef de parti} ou comme en Tranfylvanie , un chef de famille. En, Dalmatie on fe fert de ce mot pour défigner un criminel , un fugitif, un aflàiïin ou un voleur de grand chemin. E §. IL Etymologie du nom des MORLAQUES. Dans leur langue , les Morlaques s'appellent généralement Ulah (*) ; nom national, duquel cependant, autant que j'ai pu apprendre , il ne fe rencontre avant le treizième Iiécle, aucun vertige dans les documens exiltans en Dalmatie. Il fîgnifie un homme puilfant & conlidéré. Le nom de More - Ulah, ou par corruption de Morlaque , que leur donnent les habitans des villes, pourroit indiquer leur origine, & faire préfumer que ce peuple eit parti des bords de la mer Noire (**) pour s'emparer du pays qu'il habite actuellement. Il eft probable , que le nom de More-Ulah a dénoté , dès le commencement, les puiflàns ou les conquérans venus de la mer , qui s'appelle More dans tous les dialectes de l'Efr clavon. Une Etymologie du nom Morlaque, inventée par le célèbre lavant Dalmatien Jean Lucio, & adoptée aveuglément par fon com- () Dans ces mots Efclavons, la lettre H ie prononce aV/*^nn afpirat,i«n gutturale. C ) Ou plutôt des bords de l'Océanfeptentrional. pirateur Treschot , mérite peu d'attention. Cet hiftorien prétend, que le nom de More-Ulah, lignifie des latins Noirs quoique le mot More , en langue Illyrienne, ne dénote pas le noir, & que les Morlaques foient plus blancs que les italiens. Trouvant dans le mot Ulah, qui indique puifiànce & autorité , la z'acine commune des noms Ulah Se Ulak ou Valaques, il en infère que les Morlaques Se les Valaques doivent être nécellairement la même nation. Or les Valaques parlent un latin corrompu, Se quand on leur en demande la raifon, ils répondent qu'ils font Romains : ainfi nos Morlaques font auili Romains, quoique leur langue foit fi différente du Latin. Ces Ulah, defeendans d'une colonie Romaine, lurent depuis fubjugués par les Slaves, parmf les quels le nom de Ulah devint un terme injurieux, délignant la ièrvitude, & appliqué uniquement aux claffes les plus méprifées de la nation conquérante. La foibleffe de ces conjectures chimériques fe montrera fuffifamment par quelques remarques. Les Morlaqttes ou les Ulah, prirent le nom de nobles Se de puiQàns , avec autant de raifon, que le corps de la'nation prit celui de Slave ou d'Illuftre. Ce mot de Ulah n'a aucun rapport avec le Latin, Se s'il eft en effet, la racine du nom des Valaques, la raifon E 4 72 sur les Mœurs en eft naturelle, puifqû'il eft connu, que, malgré quelques colonies Romaines établies par Trajan , la Dacie étoit prefqùe entièrement peuplée par une nation , qui parloit Efclavon auiii bien que fes conquérans poflérieurs. Il en: peu croyable que ces vainqueurs Slaves, voulant lailfer ou donner un nom au peuple vaincu, en euiïent choifi un , qui dans leur propre langue, lignifie un homme noble & puiffant. 11 fe trouve, fans doute , plufieurs mots dérivés du Latin, dans le langage des habitans de l'intérieur de VBlyrie. Tels fontfalbtmùblé j plavo jaune , slap , cafcade \ vino , vin ; capa, bonnet; teplo, tiède; zlip, aveugle; fparta, panier; tkrynia, coffre; lug, forêt, qui viennent vifiblement des mots Latins, Sabulum, jlavus , laprus, vimtm, caput, tepidus , lippus, Jporta , fcrinium , luccus. Mais de ces mots, ou des autres encore, dont on pourroit dreffer un affez long catalogue , il feroit abfùrde d'inférer que nos Morlaques modernes descendent en droite ligne des anciens Romains , établis en Dalmatie. C'eft un défaut commun à prefque tous les écrivains, qui traitent de l'origine des nations3 de tirer des conféquences générales d'un petit nombre de données légères & particulières, dépendantes, à l'ordinaire, de quelques cir- confiances accidentelles & paîTageres. Je fuis perfuadé de la pofîibilité de découvrir l'origine des peuples par l'examen des langues qu'ils parlent : mais je fuis convaincu en même tems, de la nécefîité d'une profonde critique, pour diftinguer les mots primitifs d'une langue , de ceux qui ont été empruntés des langues étrangères, fi l'on veut éviter de tomber dans de grandes méprifes. Dans la langue Illyrienne, répandue depuis la mer Adriatique jufqn'à l'Océan , fe trouve une quantité confidérable de racines, femblables à celles de la langue Grecque : il y en a même, parmi les noms des nombres, qui cependant doivent être lenfés indigènes. Beaucoup de mots Efclavons font entièrement Grecs ; comme Spugga, Trapeza , Catrida , provenus fans aucune altération fenfible de Spoggos , Trapeza, Kathedra. La multitude des Grécifmes & l'analogie des deux Alphabeths, ne m'engagera pas cependant à foutenir, que la nation nom-breufe des Efclavons défcejid des Grecs, ref-ferrés dans un pays borné : ou plutôt que la première de ces nations, a envahi & peuplé la Grèce dans les tems les plus reculés. Il feroit également difficile & inutile d'éclaircir des matières de cette nature, qui relieront toujours couvertes des ténèbres de l'Antiquité. Un favant Ànglois (*) a traité de la refîèm-blance entre la langue Illyrienne & FAngloifc. Il y a , fans doute, dans ces deux langues quelques mots correfpondans : mais, comme ces mots fe trouvent dans la langue Germanique , portée par les Saxons dans la Grande-Bretagne, il faudroit examiner, il ces mots n'appartiennent pas plutôt à quelque dialecte des ancienr Celtes du nord? En tout cas, Je ferais fur mes gardes avant de prononcer fur ces matières, à moins d'obferver une reffem-blance frapante entre le corps entier & le génie des deux langues. La quantité de termes étrangers, mêlés fans l'Italien, prouve que, indépendamment de l'origine d'un peuple, fou idiome peut contenir beaucoup de mots, qui lui font communs avec des idiomes différens. Sans parler des Àrabifmes, des Grécifmes, des Germanifmes delà langue Italienne, dont Muratori a déjà donné la collection, n'eit-elle pas remplie encore d'Efclavonifmes ? Âb-bayare vient de objalatî ; fvallglare defvcaçiti ; bar are de varati ; ammazzarc de Mac, épée de fon dérivé magati ; ricco de jcricluan, heureux ; tajja de qaffa ; copa de happa; danza (*) BREREITOOD* de Saut. Rcïïg, de tan-za ; bravo de pravo, adverbe d'approbation ; briga eit un mot purement Illyrien, qui répond à fa fignification en Italie. Enfin, une infinité de mots du dialecte Vénitien, empruntés des Illyriens, ne prouvent pas que ces républicains defcendent de la nation Efdavone. §. III. De la différence entre l'origine des MORLAQUES , & celle des habitans des bords de la mer & des ISLES. Les habitans des villes maritimes , qui font la véritable poitérité des colonies Romaines , marquent peu de bonne volonté aux Morlaques , & ces derniers témoignent aux premiers, comme aux infulaires 3 un profond mépris. Ces fentimens réciproques, font peut-être un indice d'une ancienne inimitié , qui a défuni ces deux races. Un Morlaque s'incline devant un gentilhomme des villes, ou devant un avocat, dont il a befoin; mais il ne les aime pas. Il compte le relte de la nation, à qui il n'a pas à faire, dans la claife des Bodoli ; nom auquel il attache une idée de mépris & d'injure. Je me fouviens, à cette occaiion, du propos d'un foldat Morlaque qui mourut, il y a peu de tems, dans l'hôpital de Padoue. Le religieux, deftiné à le confoler dans fes derniers momens, ignorant la force de ce terme, commença fon exhortation par lui dire : courage mon cher Bodolo ! „ Mon „ pere, répliqua le mourant tout de fuite , ne „ m'appeliez pas Bodolo, ou je me damne . La diverfité confidérable dans le langage, dans l'habillement, dans les coutumes & dans le caractère, prouve clairement que les habitans des contrées maritimes de la Dalmatie, ont une autre origine que ceux qui habitent les montagnes : ou fi leur origine eit la même, qu'ils fe font établis dans ce pays en différentes époques, & dans des circonftances, capables d'altérer le caractère national ? Parmi les peuplades des Morlaques il règne la même diversité , réfultante des différens pays d'où elles font forties, de leur mélange avec d'autres peuples, des invaflons fuccefîives, & des guerres entre leurs tribus. Les habitans de Kotar font généralement blonds , avec des yeux bleus, la face large & le nez écrafé ; traits qui fe rencontrent aufîi chez les Morlaques des plaines de Scign & de Knitu Ceux de Duaré & de Fergoraz ont les cheveux châtains, le teint olivâtre , le vifage long , & la taille avantageufe. Dans leur caractère on remarque h même dfveriité : les Morlaques de Kotar font, à l'ordinaire, doux, honnêtes & dociles; ceux de Vwgorûz, au contraire font féroces, altiers, audacieux & entreprenans. La fituation de ces derniers, au milieu de montagnes fté-riles & inacceflibles , qui en augmentant les befoins, aifurent aufïi l'impunité des moyens pour les fatisfaire, &leur infpire une pafTion dé-mefurée pour la rapine. Peut-être le fang des anciens Ardiées & des Autariates, chalfés par les Romains dans ces montagnes , coule-t-il encore dans leurs veines (*) ? Leurs pillages tombent à l'ordinaire fur les Turcs; en cas de befoin, cependant, ils n'épargnent gueres plus les chrétiens. Entre plufieurs traits fubtils & hardis de friponnerie , qu'on m'a racontés d'un de ces montagnards, il y en a un, qui me femble caractériftique. Un pauvre homme, fe trouvant à une foire dans une ville voifine , pofa par terre un chaudron, qu'il venoit d'acheter, & en s'alfayant à côté, s'engagea dans un entretien férieux avec un (*) 55 Les Ardues, les DaoriJJes , les PleWes font 55 dans levoifinage de la rivière Narona. Les plus proches s> s'appellent les Ardiées Varales. Les Romains les 55 éloignèrent de la mer, & les châtièrent dans les terres, 55 pour les empêcher de piller & de faccager tout, félon 55 leur coutume. Leur pavs eft âpre, ftérile, & digne de w fes habitans fauvages." STRABON. L- Vlh homme de fa connoifTance. Le fripon de Fcrgoraz s'approcha, & mit le chaudron fur fa téte, fans changer de iituation. Le propriétaire , ayant fini fon entretien & n'apper-cevant plus fon chaudron, demanda à celui qui le portoit fur fa tête, s'il n'avoit pas vu quelqu'un emporter cet uftencile ? „ Non, „ répondit le fripon je n'y ai pas fait atten-„ tion, mais li , comme moi, vous aviez „ mis votre chaudron fur votre tête , on „ n'auroit point pu vous le voler". Malgré ces friponneries , qu'on dit être très-communes chez cette nation, un étranger peut voyager dans ce pays en toute fureté , & s'attendre à être par-tout bien eleorté & reçu avec hôfpitalité. §. IV. Des HAWUCKS. Le plus grand danger à craindre vient de la quantité de Haiducfa, quife retirent dans les cavernes & dans les forêts de ces montagnes rudes & fauvages. Il ne faut pas cependant s'épouvanter trop de ce danger. Pour voyager furement dans ces contrées défertes, le meilleur moyen eft précifément de fe faire accompagner par quelques-uns de ces honnêtes gens, incapables d'une trahifon. On ne doit pas s'effaroucher, par la réflexion que ce font des Bandits : quand on examine les caufes de leur trifte iituation , on découvre, a l'ordinaire, des cas plus propres à infpirer de la pitié que de la défiance. Si ces malheureux dont le nombre augmente fans mefure, avoient une ame plus noire, il faudroit plaindre le fort des habitans des villes maritimes de la Dalmatie. Ces Haiducks mènent une vie femblable à celle des loups ; errant parmi des précipices prefque inacceflibles ; grimpant de rochers en rochers pour découvrir de loin leur proye ; îanguiilant dans le creux des montagnes déier-tes & des cavernes les plus affreufes ; agités par des foupçons continuels ; expofés à toute l'intempérie des faifons ; privés fouvent de l'aliment néceflaire, ou obligés de rifquer leur vie pour pouvoir la conferver. On ne devroit attendre que des actions violentes & atroces, de la part de ces hommes devenus fauvages, & irrités par le fentiment continuel de leur miiere : mais on eft furpris de ne les voir entreprendre jamais quelque chofe contre ceux, qu'ils regardent comme les auteurs de leurs calamités, de refpectcr les lieux habités, & d'être les fidèles compagnons des voyageurs. Leurs rapines ont pour objet le gros & le menu bétail, qu'ils trainent dans leurs cavernes , fe nourriifent de la viande t & gardent les peaux pour fe faire des fouliers. Tuer le bœuf d'un pauvre laboureur, pour confommer une petite partie de fa chair & de fa peau, femble une indifcrétion barbare, que je ne prétends pas excufer. Il faut remarquer cepen* dant que les fouliers font de la néceflité la plus indifpenfable à ces malheureux, condamnés à mener une vie errante dans les lieux les plus âpres , qui manquent d'herbe &• de terre, & qui font couverts par les débris tranchans des rochers. La faim chaffe quelque fois ces Haidncks de leurs repaire , & les raproche des cabanes des Bergers , où ils prennent par force des vivres quand on les leur refufe. Dans des cas femblables, le tort, eit du coté de celui qui réfifte. Le courage de ces gens eft en proportion de leurs befoins & de leur vie dure. Quatre Haidncks ne craignent pas d'attaquer, & réuffilfent à l'ordinaire à piller & à battre, une caravane de If, à 20 Turcs. Quand les Pandours (*) prennent un HaU diick i (*) Pandour, fignifie en Efcîavon , un preneur de leurs. Cette efpéce de maréchauffée a été pendant les duck, ils ne le lient pas, comme on fait dans le relie de l'Europe : ils coupent le cordon de fa longue culotte , qui tombant fur fes talons, l'empêche de fe fauver & de courir. 11 paroît plus conforme à l'humanité* d'employer un moyen de s'affiner d'un pri-fonnier, fans le lier comme un Vil animaL Un Haidiick fe croit un homme d'importahce * quand il a pu répandre le fang des infidelles; Un faux zèle de religion j joint à leur férocité naturelle & acquife , porte ces malheureux à infeiter les Turcs Toifins fans s'smbarralfer des conféquences de ces déprédations. Sou-vent leurs écciénaftiques, remplis de préjugés & de cette impétuofité ordinaire à la nation, font la première caufe de ces excès, en excitant & en nourriffant la haine naturelle de leurs compatriotes contre les Turcs. dernières guerres \ augmentée & employée comme une tniilieej Tom. L §. V. Des vertus morales & domefliqùes dés MORLAQUES. ' Le Morlaque, qui demeure loin de la mer & des villes de garniibn , eft à l'égard du moral un homme allez différent des autres nations. Sa lincérité , fa confiance, & fa probité , tant dans les actions ordinaires de la vie que dans les affaires , dégénère quelquefois entièrement en déboriaireté & en fimplicité; Les Italiens, qui trafiquent en Dalmatie, & même les habitans des villes maritimes, n'abu-fent que trop lbuvent de l'honnêteté de ces bonnes gens. Par cette raifon la confiance des Morlaques diminue fenliblement, & fait place aux foupçons & à la crainte d'être trompés. Les expériences multipliées qu'ils ont des procédés des Italiens, a fait palier en proverbe la mauvaife foi de cette nation. Les termes Pqffia-vlro , foi "de chien, & Lawz-manzka-viro , foi d'Italien, font dans leur langue , des termes fynonimes & extrême-nient injurieux. Cette prévention défavanta-geufe contre les Italiens, fcmblera devoir influer fur un voyageur peu connu : mais, malgré ces fentimens , le Alorlaque, né généreux & hôfpitalier, ouvre la pauvre cabane à l'étranger, fait fon pofliblepour le bien fervir, & ne demandant jamais, refufe même fou-vent avec obllination, les récompenfes qu'on lui offre. Dans ce pays, il m'ett arrivé plus d'une fois, de partager la table d'un homme qui ne m'avoit jamais vù, & qui ne pouvoit efperer raifonnablement de me revoir de fa vie. Auifi longtèms que je vivrai, je n'oublirai pas Tacceuil cordial que j'ai reçu du Fojvode Pervân à Coccurich. Mon unique mérite à fon égard , étoit de me trouver l'ami d'une famille de fes amis. Une liaifon fi légère l'engagea néantmoins à envoyer à ma rencontre une efcorte & des chevaux ; à me combler des marques les plus recherchées de l'hôfpita-lité nationale • à me faire accompagner, par fes gens & par fon propre fils, jufqu'aux campagnes de Narenta, disantes de fa maifon d'Une bonne journée ; enfin à me fournir des provifions fi abondantes, que je n'avois rien à dépenfer dans cette tournée. Quand je partis de la maifon de cet excellent hôte, lui & toute la famille me fuivirent des yeux, & ne fe retirèrent qu'après m'avoir perdu de vue. Ces adieux affectueux me donnèrent une émotion que je n'avois pas éprouvée encore, & que je n'efpere pas ientir fouvent en voyageant en Italie. JJai apporté le portrait F 2 de cet homme généreux, à fin d'avoir le plaifir de le revoir malgré les mers & les montagnes qui nous féparent ; & pour pouvoir donner, en m£me tems, une idée du luxe de la nation à l'égard de l'habillement de^ fes chefs. ( V. T. IF. ) Il me permit encore de prendre le déflin d'une de fes petites filles, habillée tout autrement que ne font les femmes de Kotar & des autres contrées que j'ai parcourues. Il fuffit de traiter avec humanité les Mor« laques, pour obtenir d'eux des bons offices de toute efpéce & pour acquérir leur amitié. Dans ce peuple , Vindigtnt exerce l'hofpitalité comme le riche : fi celui-cy vous traite avec un agneau ou avec un mouton entier rôti, le pauvre offre un dindon, du lait, ou. un gâteau de miel. Cette générofité ne fe borne pas aux étrangers mais s'étend encore à tous ceux de la nation qui font dans le befom- Quand un Jllorlaque voyageur va loger chez un ami ou chez un parent, la fille ainée de la famille, ou la nouvelle époufe s'il y en a une dans la maifon, le reçoit en l'embraf-fant. Un voyageur d'une autre nation, ne jouit pas de cette faveur à fon arrivée : les jeunes filles, au contraire, fe cachent alors ou fe tiennent dans l'éloignement. Les in* fractions fréquentes des loix de l'hofpitalité, les ont peut-être effarouchées ; où la jaloufîe des M 6 r L a d, V t s. 8f des Turcs voifîns a gagné aufFi les Morlaques. Audi longtems que dans la maifon d'un riche, dont le nombre eft aujourd'hui bien diminué, fe trouvent des denrées, les pauvres de ce village peuvent être afturés de leur fubiiftançe. De-là vient qu'aucun Morlaque s'avilit aflfez jufqu'à demander l'aumône à un palfant, Dans tous mes voyages, que j'ai faits par des contrées habitées par cette nation , je n'ai jamais rencontré un mendiant. Il nreft arrivé, au contraire , d'avoir befoin de choies que j'ai demandées à de miférables Bergers, qui malgré leur pauvreté, me donnèrent libéralement ce qu'ils avoient. Plus fouvent eucore, quand j'ai traverfé les campagnes au milieu des ardeurs du foleil, de pauvres moii-fonneurs font venus à ma rencontre, pour m'offrir de leur gré des rafraichilïêmens, avec une cordialité franche & touchante. Les Morlaques n'entendent guères l'économie domeftique. Dans ce cas particulier, ils reflemblent aux Hottentots, & quand il fè préfente quelque occafion extraordinaire, ils confument fouvent dans une femaine, autant qu'il faudroit pour les nourrir pendant plufieurs mois. Une noce, la fête d'un faint, l'arrivée de quelque parent ou ami: enfin tout prétexte de réjouiffance, les engage à boire & F ? 86" S u r . l e s Mœurs. manger fans modération toutes les provifiong qu'ils polTédent. Ils fe tourmentent, au contraire, eux mêmes par la feule économie qui leur eft habituelle : celle dans Tufage des chofes qui devroient les garantir de l'intempérie des faifons. Quand un Morlaque, portant un. bonnet neuf, eft furpris par la pluye, il tire ce bonnet, & préfère de recevoir l'orage fur fa tête nue, au malheur de gâter fa coëffure. Il ôte fes fouliers en paffant par un bourbier. Un Morlaque eft à l'ordinaire très-exact: à remplir fes engagemens , il une impoffibilité abfolue ne l'en empêche. Si au terme préfcrit il ne peut pas payer une dette , il offre quelque préfent à fon créancier, en le priant de prolonger le terme du payement. De-là vient que fouvent, par la quantité de ces préfens, il paye le double de la valeur de la dette. S, VI. Des amitiés 6? des inimitiés. L'amitié, fi fujette, parmi nous, au changement pour lçs caufes le plus légères, eft très-durable chez les Morlaques. Ils en font prefque un article de religion , & c'eft au pied des autels qu'ils en ferrent les noeuds iacrés. Dans le Rituel Eiclavon ils fc trouve une formule pour bénir folemnellement, devant le peuple alfemblé, l'union de deux amis ou de deux amies. J'ai affilié à une cérémonie de cette efpéce dans l'églife de Perufich, où deux jeunes filles fe firent Pofeftre, Le contentement qui brilloit dans leurs yeux , après la formation de ce lien refpedable , montroit aux fpectateurs de quelle délicateffe de fenti-ment font fufceptibles ces âmes fimples, non corrompues par les fociétés que nous appelions cultivées. Les amis unis d'une manière fi folemnelle, prennent le nom de Pobratimi, Scies amies celui de Pojeflrimê, qui fignifient demi-frères Se demi-fœurs. Aujourd'hui les amitiés entre deux perfonnes de fexe différent ne fe forment plus avec tapt d'appareil : elles étoient plus ufitées dans les tems reculés, où regnoit encore l'innocence (*). Les affbciations, exiitantes parmi le peuple en Italie, fous le nom àe frères Jurés (Fratelli Giurati, ) paroifient être une imitation des ('■) Dozivglicga Viila Pofeftnuia S'Velebite vifoke planine : Zloga iîjo , Kraliu Radoslave; Eto na te dwanajeft delija. Pifm. odRadod. y Sa Fée Pofejîrima lui cria du fomme.t des montagnes : îj vous êtes malheureux, Roi Radoslave ; douze cavaliers s» tombent fur vous. " F 4 88 Sur Lis Mœurs amitiés des Morlaques, & des autres nations de la même origine. La différence entre ces Frères & les Pobratimi ne coniilte pas feule, ment dans le défaut de cérémonie ; mais fnr-r tout encore dans le but, qui eft louable dans les contrées Efclavonnes, & qui en Italie au contraire, eft niuXiple à la foçjété. Dans ces amitiés, les Morlaques fe font un deyoir de s'affilier réciproquement dans tous les befoins, dans tous les dangers, & de vanger les injuftices que l'ami a effuyées. Us pouffent l'entjioufiafme jufqu'â bazarder & à donner la vje pour le Pobratimé. Ces facrifices même ne font pas rares , quoiqu'on parle moins de ces amis fauvages, que des Pylades des anciens. Si la défunion fe met entre deux Pobratimi, tout le voifmage regarde un tel événement comme une nouveauté fcandaleufe. Ce cas arrive cependant quelquefois de nos jours , à la grande affliction des vieillards Morlaques , qui attribuent la dépravation de leurs compatriotes à leur commerce trop fré* quent avec les Italiens. Mais le vin & les Ùqueurs fortes, dont cette nation commence £ faire un abus continuel, produifent chez elle , comme par-tout ailleurs, des querelles & des événemens tragiques. Si les amitiés des Morlaques, non corrom-s pus, font confiantes & facrées, leurs inimi* DES M O R L a Q. U E S. 89 tiés ne font pas moins durables & prefque indélébiles. Elles panent de père en fils, & les mères n'oublient jamais d'inculquer, déjà aux enfaus en bas âge , le devoir de venger un père tué, & de leur montrer fouvent, à cet effet , la chemife enfanglantée, ou les armes du mort. La palïion de la vengeance s'eft fi fort identifiée avec la nature de ce peuple , que toutes les exhortations du monde ne pourroient pas la déraciner. Un Morlaque eft porté naturellement à faire du bien à fes femblables, & à marquer fa réconnoiffance pour les moindres bienfaits : mais il ne fait ce que c'eft que de patdonner des injures. Vengeance & juftice fe confondent dans fa tête & çompofent une feule & même idée : combinaifon, qui paroît, il eft vrai, avoir formé la notion primitive de la juftice. Ce peuple fe fert d'un proverbe familier , qui n'eft que trop accrédité : Ko fe ne ofveti, onfe ne pofveti, qui ne fe venge pas, ne fe fanctifie pas. Il eft remarquable que dans la langue Illyrienne , Ofveta fignifie également vengeance & fancîifiçation , tout comme fon verbe dérivé Ofvetlti. Les anciennes inimitiés des familles font couler le fang, encore après une longue fuite d'années. En Albanie, comme on me dit, ces vengeances perfonnelles pro-duifent des effets plus terribles encore, & les efprits aigris y font plus difficiles à appaifer. Dans cette contrée, l'homme le plus doux eft capable d'exercer la vengeance la plus barbare : il croit s'acquiter d'un devoir , eu comettant un crime, en préférant un honneur chimérique à Pobfervation des loix, & en s'expofant de propos délibère aux châtimens les plus févères. A l'ordinaire, le meurtrier d'un Morlaque bien apparenté, fe voit obligé de s'enfuir & de fe cacher pendant longtems dans diflérens endroits. Si par fon adrelTe ou par fon bonheur , il parvient à fe dérober aux pourfuites de fes ennemis, & s'il a trouvé le moyen d'amaffer quelque argent, il tâche, après un tems raifonnable , d'obtenir fon pardon. Pour traiter des conditions de fa paix, il demande un fauf- conduit, qu'on obferve fidellement. Il trouve des médiateurs , qui, à un jour fixé raffemblent les deux familles ennemies. Après quelques préliminaires on introduit le criminel dans le lieu de l'alfemblée , où il entre en marchant à quatre , en fe trainant par terre, & en tenant pendus à fon col les armes, avec lefquelles il a exécuté le meurtre. Pendant qu'il fe trouve dans cette position incommode & humiliante, un ou plufieurs des parens préfens,font l'éloge du défunt ; ce qui rallume quelquefois leur colère , & met la vie du des M o ll a q. u "e & $1 criminel en danger. Dans quelques endroits > les parens du mort menacent le meurtrier, en lui mettant des armes à la gorge , & ne con-fentent, qu'après beaucoup de refiftance, à recevoir le prix du fang répandu. En Albanie ces paix coûtent beaucoup: chez les Morlaques elles le font fouvent à peu de fraix : toutes, cependant, le terminent par un bon repas aux dépens du criminel. §. VII. Des talens & des arts des MORLAQUES. Une grande vivacité d'efprit, & un génie naturellement entreprenant , font réuflîr les Morlaques en tout à quoi ils s'appliquent. Bien conduits, ils deviennent d'excellent fol-dats. Dans la dernière guerre avec la Porte, le brave général Delfinq, qui conquît fur les Turcs une partie confidérable de la province , les employa dans le fervice en toute manière , principalement comme grenadiers. Us réufliffent merveilleufement dans la conduite des affaires de commerce, & quoique déjà avancés en âge , ils apprennent avec facilité à lire , à écrire & à calculer. On dit, qu'au commencement de ce iiécle, les bergers Morlaques s'occupèrent beaucoup de la lecture d'un gros livre de théologie, de morale & d'hiftoire , compilé par un certain P. Div-côvich , & imprimé plufieurs fois à Vénife avec leurs caractères Cyrilliens - Bosniaques, différens un peu des Ruffcs. H arriva fouvent, quand le curé , plus pieux que favant, cftro-pioit dans fon prône quelque fait de l'hiltoire fainte, qu'un des auditeurs s avifa de crier : JVie tako, il n'eft pas ainfi. Pour obvier à ce fcandale, on prit le parti de ramalTer tous les exemplaires de cet ouvrage, qui par cette raifon eft devenu fort rare en Dalmatie. Leur vivacité d'efprit fe montre aufti dans des reparties piquantes. Un Morlaque de Scign fe trouvant préfent à l'échange des prifonniers après la dernière guerre, vit qu'on rendit plufieurs foldats Ottomans contre un feul officier Vénitiens. Un des députés Turcs dit alors en fe moquant, que les Vénitiens lui paroiffoient faire un mauvais marché. „ $ache, „ répliqua le Morlaque, que mon fouverain „ donne volontiers plufieurs ânes pour un » bon cheval Malgré les difpofitions les plus heureufes pour tout apprendre, les Morlaques ont des connoiffances très - imparfaites à l'égard de l'agriculture & de l'art de gouverner le bétail. La ténacité à garder les anciennes coutumes, finguiiérement propre à cette nation, & le DES M OREAQ.UES» 93 peu de foin qu'on prend à les convaincre des avantages des nouvelles méthodes, ont du produire naturellement cet effet* Us lailfent les bêtes à corne, & à laine , expofées à l'inclémence de l'air, au froid , & fouvent à la faim. Leurs charues, & les autres inltrumens de labourage paroilfent conftruits dans l'enfance des arts, & reifemblent auffi peu aux nôtres, que les modes du tems de Triptoleme reifemblent à celles du Iiécle préfent. Ils font tant bien que mal, du beurre & des fromages, qui pourroient paiTer fi ce laitage étoit préparé avec moins de malpropreté. Le métier du tailleur fe borne à l'ancienne & invariable coupe des habits, qui fe prennent toujours de la même étoffe. Un drap plus étroit ou plus large que de coutume, déforiente un tailleur Morlaque , & met en défaut fon habileté. Ils ont quelques idées de l'art de la teinture , & leurs couleurs ne font nullement à méprifer. Leur noir fe fait avec l'écorce du Frêne, qu'ils appellent Jaffea , mile en infu-fion avec du mâchefer, qu'ils ramaflent dans les atteliers des maréchaux ferrans. Avec du Pafiel fauvage , féché à l'ombre & bouilli pendant quelques heures, ils obtiennent un beau bleu foncé. Ils tirent le jaune & le brun àwfnftet IScorfane], appelle par eux Raci, & la première de ces couleurs encore du Fufain [Evonimo] connu chez eux fous le nom de Puzzalina. Us font accoutumés à teindre leurs étoffes à froid. Prefque toutes les femmes Morlaques favent broder & tricoter. Leurs broderies font affez curieufes , & parfaitement égales des deux côtés de l'étoffe» Elles font un tiffu à maille, que les Italiennes ne peuvent imiter, & dont elles fe fervent pour fabriquer cette efpéce de cothurne, appelle Nazuvka, qu'elles portent dans leurs Pappuzze & leurs Oporche , ou fouliers. Dans ces lieux on trouve auffi des métiers pour fabriquer des ferges & des toiles groffieres : les femmes cependant y travaillent peu, leurs devoirs domeftiques ne leur permettant guères de s'adonner à des travaux fédentaires. Dans quelques villes, comme à Ferlika, fleurit la poterie. Les vafes travaillés grofïiére-ment, & cuits dans des fourneaux ruftiques creufés en terre acquièrent cependant avec le tems une dureté, qui furpaffe celle des poteries Italiennes. DES MoRLAQ_U£S. 9Ï §• VIII. Des fuperftitions des MORLAQUES. Ces peuples , tant ceux qui font de l'églife Romaine que ceux qui font de la Grecque, ont par rapport à la religion les idées les plus étranges. Lignorance des éccléfiaftiques qui devroient les éclairer, achève de les entretenir dans des opinions abfurdes. Les Murla* ques croient avec tant d'obitination, aux for-ciers, aux efprits, aux fpe&res, aux enchan-temens, aux fortiléges, comme s'ils étoient convaincus de l'éxiftance de ces Etres par mille expériences réitérées. Ils font perfuadés auflî de la vérité des Vampires, à qui ils attribuent, comme en Tranfylvaiiie, le défir de fucer le fang des enfans. Lorfqu'un homme, foup-çonné de pouvoir devenir Vampire, ou comme ils difent Fakodlak , meurt: on lui coupe les jarrets & on lui pique tout le corps avec des épingles ; ces deux opérations doivent empêcher le mort de rétourner parmi les vivants. Quelquefois un Aîorlaque mourant, croyant fentir d'avance une grande foif du fang des enfans, prie ou oblige même fes héritiers à traiter fon cadavre en Vampire avant de l'enterrer. Le plus hardi Haiduck fe fau*e à toutes jambes à la vue de quelque chofe qu'il peut envilager comme un fpe&re, ou comme un efpritfollet ; & de telles apparitions le préfentent fouvent à des imaginations échauffées, crédules & remplies de préjugés. Ils n'ont aucune honte de ces terreurs, Se les excufent par une maxime, qui revient à un vers de Pindare: „ la crainte des efprits, fait fuir même les „ enfans des dieux " Les femmes Morlaques i font , comme il eîr naturel , cent fois plus craintives & plus vifionaires que les hommes, plufieurs, à force d'entendre dire qu'elles font forcières , s'imaginent l'être devenues réellement. Ces vieilles forcières, font cenfées habiles dans l'art de faire des fortiléges de toute efpéce. Un des plus ordinaires, eft celui d'ôter le lait aux vaches d'autrui, pour augmenter le lait de leurs propres vaches. Elles exécutent encore des chofes plus merveilleufes. On m'a raconté l'hiftoire d'un jeune homme, à qui deux forcières enlevèrent , pendant fon fommeil, le cœur, pour le manger rôti. Dormant profondément, il ne s'apperçut pas de fa perte; mais en fe reveillant il fentit la place du cœur vuide. Un çordelier, couché dans la même chambre Se qui ne dormoit pas, vit bien l'opération des deux forcières, mais, fe trouvant enchanté, ne put pas l'empêcher. L'enchantement cefTant au réveil du jeune homme, ces des MoR.LAQ.ues» 97 ces deux méchantes femmes, après s'être frottées avec un onguent, s'envolèrent. Après leur départ le cordélier, s'emprelTant de tirer de la braife le cœur moitié rôti, le fit avaler au jeune homme , qui, comme de raifon , le fen-tit tout de fuite remis à fa place accoutumée» Ce cordélier raconte fouvent cette hiitoire, & en affure, fous ferment, la vérité. Les bonnes gens, qui l'écoutent, n'oferoient foup-çonner que le vin a produit cette apparition, & que les deux femmes, dont l'une n'étoit nullement âgée, étoient venues dans la chambre pour autre chofe que pour faire des forti-léges. Si ce peuple fouffre du mal, caufé par ces forcières, appellées Ujeftize, il a le remède à portée dans le fecours des enchantereffes, connues fous le nom de Babornize, qui défont les enchantements, formés par les premières. Un malheureux incrédule , qui douteroit de la vérité de ce fyftéme de magie , auroit à crain* dre le reffentiment des deux pouvoirs oppofés. Entre la communion Romaine & la Grecque» règne une haine décidée, que les miniftres de ces religions ne cefTent de fomenter. Les deux partis racontent, l'un de l'autre, milles anecdotes fcandaleufes. Les églifes des Latins font pauvres, mais allez propres »* celles des Grecs font auffi pauvres , & de plus d'une malpropreté honteufe. Dans une ville de la Mor- Tom. I. G 98 sur les Mœurs lachie, j'ai vu un prêtre, ailîs par terre à la place devant l'églife , écouter la çonfeffion des femmes qui s'étoient miles à genoux à fes côtés : polture llnguliere, qui indique l'innocence des manières de ce bon peuple. Us marquent aux miniftres des autels une vénération profonde, une foumiffion entière & une confiance fans bornes. Souvent ces miniftres traitent militairement leurs ouailles , & les corrigent par des coups de bâton. Sur ce procédé , comme fur les pénitences publiques, ils s'appuyent de l'exemple de l'églife primitive. Les prêtres abufent encore de la crédulité & de la confiance des pauvres Montagnards, en leur vendant chèrement des billets fuperf-titieux & d'autres drogues de cette efpéce. "Us écrivent d'une manière finguliere dans ces billets, appelles Zapiz, le nom de quelque faint ; quelquefois ils en copient d'anciens, en y ajoutant quelque abfurdité de leur propre invention. Ils attribuent à ces Zapiz à peu près les mêmes vertus , que les Bafilidens attribuèrent à leurs monftrueufes amuletes. Pour fe préferver ou pour fe guérir de quelques maladies, les morlaques les portent coufus à leur bonnet : fouvent, dans le même but, ils les attachent aux cornes de leur bétail. Le profit confidérable, que les prêtres tirent de des M o r l a q. u e s* 99 ces paperaffes, les engage à prendre toutes les méfures poffibles pour en maintenir le crédit s malgré les fréquentes preuves de leur inutilité , dont ceux, qui s'en fervent , ne manquent pas de s'appercevoir. Il eft remarquable j que les Turcs même du voilînàge accourent pour avoir de ces billets des prêtres Chrétiens; ce qui augmente encore le débit de cette marchandife. Un autre point de la fuperftition Morlaque, qui cependant n'eft pas entièrement inconnue parmi le peuple en Italie , c'eft une vertu particulière contre l'épilepfie & plufieurs maladies , attribuée aux médailles de cuivré & d'argent du Bas-Empire , ou aux monnoyes Vénitiennes du moyen âge , qui pafTent généralement pour être des médailles de Sainte Hélène. Ils attribuent la même vertu aux monnoyes Hongroifes , appellées Petizze, quand leur revers repréfente la Sainte Vierge, portant l'enfant Jéfus fur le bras droit. Les Turcs voifins, qui portent dévotement ces zapiz fuperftitieux, & qui préfentent des offrandes, ou font dire la meffe, devant les images de la fainte Vierge ( actions furement contraires aux préceptes de PAlcoran), tombent dans une contradiction manifefte, en ne voulant pas répondre au falut, ulité parmi les habitans des bords de la mer, huaglianIffus, G % ioo Sur les Mœurs loué foit Jéfus. Par cette raifon les voyageurs vers les frontières fe faluent réciproquement, en difant, huaglian Bog, Dieu foit loué. §. ix. Des manières des MORLAQUES. L'innocence de la liberté , naturelle aux peuples paiteurs, fe eônfervent en Morlacbie ; où l'on en obferve, au moins, des vertiges frapants dans les endroits éloignés des côtés maritimes. La cordialité n'y eft gênée par aucuns égards, & elle fe montre à découvert fans diftinction des circonftances. Une belle fille Morlaque rencontre en chemin un compatriote , & l'embralîè aftèctueufement fans penfer à mal. J'ai vu les femmes, les filles, les jeunes gens, & les vieillards, fe baifer tous entre eux, à méfure qu'ils s'affembloient fur la place de l'églife ; en forte que toute une ville paroilToit compoiée d'une feule famille. Cent fois j'ai obfervé la même choie aux marchés des villes, où les Morlaques viennent vendre leurs denrées. Les jours de fête, outre le baifer, ils fe permettent encore de certaines libertés, que nous trouverions peu décentes : mais qu'ils ne regardent pas comme telles , en difant , des M0R.laq.ue S. 101 que ce font des badinages fans conféquence. Par ces badinages, cependant, commencent à l'ordinaire leurs amours, qui, quand les amants font d'accord, finilfent fouvent par des enlè-vemens. Il arrive rarement qu'un Morlaque déshonore une fille , ou l'enlève contre fa volonté. Dans un cas femblable, elle feroit furement une belle défenfe , puifque dans ces pays le fexe cède de peu aux hommes en force & en courage. Prefque toujours une fille fixe elle-même l'heure & le lieu de fon enlèvement. Elle le fait pour fe délivrer d'une foule d'amants, auxquels elle a donné peut-être des promefTes, ou defquels elle a reçu quelques préfens galans, comme une bague de laiton, un petit couteau, ou telle autre bagatelle. Les femmes Morlaques prennent quelque foin de leurs perfonnes pendant qu'elles font libres : mais, après le mariage , elles s'abandonnent tout de fuite à la plus grande malpropreté ; comme fi elles vouloient juftifier le mépris avec lequel leurs maris les traitent. Il ne faut pas s'attendre , cependant, à des émanations douces à l'approche des filles Morla-ques : elles ont la coutume d'oindre leurs cheveux avec du beurre , qui, devenu rance, exhale, même de loin, l'odeur la plus dé-teftable. G 3 103 .sur les Mœurs §. X. De l'habillement des femmes. Les habits des femmes Morlaques varient fuivant les difhïcts , & paroilfent toujours finguliers aux yeux d'un étranger. La parure des filles diffère de celles des femmes mariées, en ce que les premières portent fur leur tête des ornemens bizarres, au lieu que les dernières n'ofent fe coéffèr que d'un mouchoir noué, blanc ou en couleur. Ces filles mettent un bonnet d'écarlate, d'où defcend à l'ordinaire jufqu'aux épaules un voile, comme une marque de leur virginité. Si ce bonnet eit garni de plufieurs médailles, parmi lesquelles le trouvent fouvent de précieufes antiques ; d'ouvrages de filogranime, comme des pendants d'oreilles, & de chaînes d'argent, terminées par des croiifans : les plus hupées fe croyent affez parées. Quelques-unes y mettent encore des verres colorés, montés en argent, Les pauvres portent ce bonnet fans ornemens, ou garni feulement de coquillages étrangers, de boules de verres enfilées, ou de quelques pièces rondes d'étain, un principal, mérite de ces bonnets, & par quoi les plus élégantes Morlaques montrent leur bon goût, c'elt celui de fixer les yeux par le brillant des ornemens, des MORLACLUES. 10? & de faire du bruit au moindre mouvement de tête. Dans quelques endroits, elles plantent fur ces bonnets, des houpes de plumes teintes , qui reffemblent à deux cornes ; dans d'autres elles y mettent des paimaches de verre filé, ou des bouquets de fleurs artificielles, achetées dans les villes maritimes. On voit, dans cette variété dornemens fantafques & barbares, percer quelquefois une étincelle de goût & de génie. Leurs chemifes, déftinées pour les jours de fête, font brodées en foye rouge, fouvent même en or. Elles travaillent elles-mêmes ces chemifes en menant paître les troupeaux ; & l'exactitude , avec laquelle elles font cette broderie, en marchant & fous métier , eft réellement furprenante. Ces chemifes fe ferment au cou par deux crochets, nommés Maite, & elles font ouvertes fur la poitrine comme celles des hommes. Tant les femmes que les filles, portent des colliers de verres , en couleurs mêlées d'une manière barbare ; elles changent leurs doigts d'une quantité de bagues de laiton, ou d'argent , & leurs poignets de braflelets, de cuir couverts de lames détain ou d'argent félon leurs facultés. Elles ne connoùTent pas les corps, & ne mettent jamais dans leurs corfets, brodés ou garnis de verre enfilé ou de coquil- G 4 lages , ni fer ni baleine. Où ce corfet fe joint à la jupe, elles portent une large ceinture , tiflfue de laine en couleur, ou faite de cuir ornée de plaques d'étain. Cette jupe eft garnie , encore, à fes bords de coquillages, & s'appelle Modrina , puifqu'elle eft toujours d'un bleu foncé nommé Modro. Leurs Robes, ou Sadak , de ferge comme la jupe defcend jnfqu'au gras de jambes, & on la borde d'é-carlate. Les bas des filles font toujours rouges, & leurs fouliers, ou Opanké, femblables à ceux des hommes, fontcompofés d'un femelle de cuir crud, avec un deffus de bandelettes entrelacées de peau de mouton , appellées Oputé. Elles lient ces brandelettes au-defîus de la cheville du pied, de manière que cette chauifure reiTemble au brodequin des anciens. Quelque riche que foit une famille, on n'y permet pas aux filles de fe fervir d'autres fouliers , mariées : elles peuvent quitter les Opanke & prendre des babouches, ou Papuzzé, à la mode des Turques. Les filles cachent fous le bonnet leurs cheveux trèfles : les femmes lailTent tomber ces trèfles fur la poitrine, & les nouent quelquefois fous le menton ; toujours elles y attachent , des verres, des médailles ou d'autres pièces de monnoye percées fuivant la coutume des Tmares Se des fauvages de l'Amérique. DES MORLAQ.UES. IOf Une fille qui donne atteinte à fa réputation rifque de fe voir arracher fon bonnet rouge. par le curé, en public dans l'églife, & d'avoir les cheveux coupés par quelque parent, en figne d'infamie. Par cette raifon, s'il arrive qu'une fille manque à fon honneur, elle dé-pofe volontairement les marques de fa virginité , & quitte fon pays natal. §. XI. Des mariages des MORLAQUES. Il eft très-commun chez cette nation, qu'un jeune homme , natif d'un endroit très-éloigné, falfe la demande d'une fille. Ces mariages fe traitent entre les viellards des familles intéref-fées, fans que les époux futurs fe foient jamais vus. La raifon de ces recherches lointaines, n'eft pas la rareté des filles dans le village ou dans les environs, mais le défir de s'allier à une famille étendue & célèbre pour avoir produit des hommes courageux. Le père de l'époux, ou quelque parent âgé, vient demander la fille, ou plutôt une fille d'une telle maifon, le choix n'étant pas à l'ordinaire déterminé d'avance. On lui montre toutes les filles de la maifon, & il choifit félon fon goût, quoiqu'il refpeâe le plus fouvent le droit d'aineflfe. Rarement on refufe une fille & Ton s'arrête peu à l'examen des circonftance de celui qui la recherche. Souvent un Morlaque donne fa fille à fon propre valet ou à un fimple laboureur , comme il étoit ufité du tems des patriarches. Tant on fait peu de cas des femmes dans ces contrées. Elles jouiffent néantmoins, dans ces occa-fions, d'un droit, que le fexe dans d'autres pays voudrait polTéder , & auquel il pourroit prétendre avec juftice. Quand on accorde la fille demandée , l'entremetteur du mariage va chercher l'époux & le mené chez fa future, pour qu'ils apprennent a fe connoître. Si les jeunes gens fe piaffent réciproquement, l'affaire eft conclue. Dans quelques diftri&s , la fille, avant de donner fa parole , va voir la maifon & la famille du prétendant, & elle a la liberté de rompre le contract, toutes les fois que les perfonnes ou l'habitation lui déplàifent. Si elle en eft contente ? elle retourne dans la maifon paternelle, ou le futur, avec fes pareils & les amis de fa famille , l'accompagnent. Le tems fixé pour les noces étant arrivé, l'époux affemble fesparens les plus diftingués, qui ainfi réunis, s'appellent Svatl, qui bien montés & bien ajuftés, vont enfemble à la maifon de l'époufe. L'ornement diftinctif d'un homme invité aux noces, eft un panache de queue de Paon, planté fur le bonnet. Toute la compagnie eit bien armée, pour pouvoir repoufler les attaques ou les embûches de ceux qui voudraient troubler la fête. Dans les anciens tems, de telles furpriies étoient à craindre : alors, comme on peut voir par les chanfons héroïques de la nation : les prétendants à la main d'une fille , tâchoient de mériter la préférence par des actions cou-rageufes, ou par des preuves d'âgileté, d'adrelTe, & de vivacité d'efprit. Dans un ancien poëme fur les noces du Fujvode Janco de Sebigne, qui étoit contemporain du laineux George STRATioTicHiurnommé Scanderbeg , les frères d'une certaine Jagna de Temefvcar , qu'il avoit demandée en mariage , propoferent à ce Janco , après l'avoir enyvré, des jeux, avec l'alternative de lui donner leur feeur s'il ga-gnoit, ou de le tuer s'il perdoit. „ En pre-„ mier lieu ils produifirent une lance , dont 3) la pointe perce une pomme, & lui dirent „ d'un air gracieux : Janco , avec une fiêche tu „ dois abattre cette pomme, fi tu manques „ ton coup, tu ne rapporteras pas ta tête , & „ tu n'emmèneras pas l'aimable époufée" (*)? (*) Ce poème ne pafTé pas pour être exactement conforme à la vérité hiltorique : mais il Cet, au moins à faire iog Sur les Mœurs Un autre jeu propofé , étoit de franchir d'un feul fault neufs chevaux placés l'un à côté de l'autre : le troifième , de recomioitre fa future, entre neuf filles voilées. Janco, brave guerrier, mais peu habile dans ces joutes galantes, mit à fa place un de fes neveux, comme l'ufage de fon fiècle lui permettoit de faire. Le moyen par lequel Zéculo , ce neveu de Janco , devina l'époufe promife à fon oncle, mérite d'être rapporté, au rifque d'allonger cette digreffion. Sur fon manteau, étendu par terre, il jette une poignée de bagues d'or , & s'adref-fant aux neuf voilées, il dit : „ Approche , ramafle les bagues, aimable enfant, toi qui „ ès déflinée à Jancus. Si une autre ofe étendre „ fa main, d'un feul coup de fabre , je lui „ tranche la tête & le bras enfemble. Toutes „ reculèrent avec effroi : mais l'amante de » Janco ne recula pas ; elle ramalfa les bagues, »> & en para fes mains blanches Ce Zéculo avoit, en vérité , un talent particulier pour reconnoître les mafques. Celui, qui après ces épreuves, étoit refufé tachoit de fe dédommager par la force d'une, préférence , accordée à un autre, & qu'il connoître les mœurs du tems, & le caractère de la des Morlaclues. 109 croyoit injufte : d'où réiùltoient de fanglantes querelles. Sur les tombeaux des anciens Slaves, qu'on trouve encore dans les forêts & dans des lieux déferts de la Morlachie, on voit beaucoup de grofliers bas-reliefs qui repréfen-tent de tels combats. (*) On conduit à l'églife l'époufe voilée, au milieu des Suatl à cheval. Après la cérémonie de la bénédiction, on la ramené à la maifon de fon père, ou à celle de fon époux, fi elle eit peu éloignée , parmi les décharges d'armes à feu, & parmi des cris de joye & des témoignages d'une allegrclTe barbare. Pendant la marche , & pendant le repas, qui commence auffi-tôt après le retour de l'églife, chacun des Soati exerce une fonction particulière. Le Parvmaz les précède tous, & chante à quelque diltance. Le Bariatlar fait flotter un étendart de foye, attaché à une lance, dont la pointe eit garnie d'une pomme : aux noces des gens de diltinction, on voit trois ou quatre (*) Il fe trouve de fes tombeaux principalement dans les bois entre Gliubuski: & Vcrgoraz, furies bords du Trébifat, un peu loin de l'ancien chemin militaire, qui conduit de Salona à Narona. On en voit beaucoup encore à Lovrech, à Cijla, à Mramor , entre Scign & Inioski. Il y en a un ifolé à Dervcnich en Primorjc, appelle Cojiajgmchia- Gréb»'j comme auffi à Zakuça%? qu'on dit érigé fur le lieu même du combat. de ces Bariaclars. Le Stari-Svat eft le principal perfonage de la noce, & cette dignité fe donne toujours à l'homme le plus confidéré parmi les parens. Le Stachcs reçoit les ordres du Stari-Svat. Les deux Divéri , défîmes à fervir l'époufe , doivent être les frères de l'époux. Le Iùium fait les fonctions de parrain, & le Komorgia, ou Sekfana, celles de gardien de la dot. Un Chiaits porte la maffe, & range la marche comme un maître de cérémonie; il chante à haute voix : Breberi, Davori, Dobra-Sricbia, Jara ,Vico ; noms des anciennes divinités tutelaires de la nation. Le Buk-lia eft l'échanfon de la noce , en voyage comme à table. Ces charges fe doublent ou fe triplent fuivant l'importance ou les befoins d'une compagnie nombreufe. Le repas du premier jour fe donne quelquefois dans la maifon de l'époufe : mais plus fouvent dans celle de l'époux, où fe rendent les Svati immédiatement après la bénédiction du mariage. Trois ou quatre hommes à pieds, précédent, en courant, le cortège , & le premier arrivé reçoit pour prix de fon agilité une Mahrama , efpèce d'elTuye-main brodé aux deux extrémités. Le Domacbin, ou le chef de la maifon , va à la rencontre de fa belle-fille, à laquelle, pendant qu'elle eft encore à cheval, on prélente un enfant, pris DES MûRLACLUES. iii dans la famille ou chez les voifins, pour le carefler. Avant d'entrer dans la maifon , elle fe met à genoux , & baife le leuil de la porte : Sa belle mère, ou quelqu'autre femme de la parenté, lui met alors en main un crible, rempli de grains, & de menus fruits, comme noix & amandes, qu'elle doit répandre fur les Svati , en les jettant derrière elle par poignées. Ce jour l'époufe ne mange pas avec les parens; mais à une table particulière avec le Stacbês & les deux Divéri. L'époux s'affoit à la table des Svati : mais pendant ce jour, confacré à l'union conjugale, il n'oie rien couper ni délier : c'eft au Kuum à lui découper le pain & les viandes. L'office du Domachin eft d'inviter à boire, & le Stari-Svat, en faveur de fa dignité, doit répondre le premier à cette invitation. A l'ordinaire le tour de la Bukkàra, efpèce de coupe de bois d'une grande capacité, commence par des vœux pour la profpérité de la foi, ou par des fautes adrelfées aux noms les plus ref-peclables. Dans ces repas règne, au refte , l'abondance la plus exceflive, à laquelle contribuent auiîi les Svati, dont chacun apporte fa part des profilions. On commence le dîner par le fruit & le fromage , & on le finit par la foupe, d'une manière précifément oppofée à nos 112 sur les Mœurs ufages. Parmi les viandes, entaflfées avec prodigalité , fe trouvent des chevreaux, des agneaux, de la volaille, & quelquefois du gibier: mais on fert rarement du veau, & jamais peut-être chez les Morlaques, qui n'ont pas adopté des mœurs étrangères. Cette aver-îion pourrie veau vient des tems les plus reculés, & déjà St. Jérôme en fait mention. (*) Un auteur, né en Bofnie & vivant au commencement du iiécle paffé, Pomco Marnawich* dit: „ que jufqu'à fon tems les Dalmates, „ préfervés de la contagion des vices étran-„ gers, s'abltiennent du veau comme d'une „ nourriture immonde (**). Si les femmes de la parenté font invitées à un tel feftin, fuivant un ufage généralement établi, elles mangent en particulier, & jamais à la table des hommes. L'après-dînée fe palTe en jeux d'efprit ou d'adrelîè, à danfer, ou à chanter d'anciennes chanfons. Après le fouper , les trois invita-tations folemnelles à boire finies, le Kuum mené (*) At in noftra provincia fcclus putant vitulos de-vorate. HTERONIM. contra Jovin. . ( ) Ad hanc diem Dalmatœ , quos peregrina vitia non întecere , ab efu vitulorum , nonfecus ac ab immund* «ça, ab nouent. MARNAV. de lllyriço. DES MORLACLUES, tîf mené l'époux dans la chambre nuptiale , qui eit toujours ou la cave, ou l'étable ordinaire des beftiaux. A peine y arrivé, il fait fortir le Stachés & les deux Divéri, & refte feul avec les deux conjoints. Si un meilleur lit, que la paille, s'y trouve > il les y conduit , & après avoir ôté la ceinture à la fille , il oblige les époux à fe déshabiller réciproquement. Autrefois l'ufage vouloit que le Kuum dés-< habillât l'époufe en entier , & en vertu dô cet ufagê, ce père fpirituel Conferve le privk lège de la baifer dans toutes les occafions i privilège, agréable peut-être au commence-* ment, mais qui, avec le tenls, devient furc* ment onéreux. Quand les époUx font dés^ habillés , le Knum fe retire 3 & écoute à là porte, s'il y en a une. Il annonce l'événement par un coup de piitokt, auquel lés1 Svati répondent par une décharge de letiïa fulils. Si l'époux n'eft pas content de l'état, où il a trouvé fa jeune femme, la fête eft troublée. Nos Morlaques cependant ne font pas autant de bruit d'un tel accident qiie h'eii font les habitans de VUkraine, quoique ces1 ♦ deux nations Conviennent d'ailleurs affez dans l'habillement, dans les ufages, dans le dialecte & même dans Portographe. Les Mals-Ruffes promènent le lendemain en triomphe la chemife delà nouvelle mariée, & maltraitent T&me L H 114 Sur l.e s Mœurs brutalement la mère, fi la vertu de la fille eft fufpeclée. Un des outrages qu'ils font à un telle gardienne peu exacte , s'eft de lui donner à boire dans un gobelet percé au fond (*). Pour punir le Stachés & les deux Divéri, d'avoir abandonné la fille confiée à leurs foins, on les fait boire des rafades copieufes, avant de, les admettre de nouveau dans la compagnie des Svati. On confomme dans les occafions une quantité prodigieufe de Rakia, ou d'eau de vie. Le jour fuivant la jeune femme dépofe le voile & le bonnet, & affifte, la tête couverte , au repas des Svati : où elle eft obligée d'écouter les équivoques les plus grofïieres, & les plus mauvaifes plaifanteries, que les convives yvres , fecouant dans ces ■ occafions le joug de la décence, fe croyent permis de lui, adrelfer. ■t Ces fêtes , nommées Zdrave par les anciens Huns, s'appellent Zdravizze chez les Morlaques: d'où dérive le mot Italien Stravizzo, feftin ou régal. Elles durent trois, fix, ou * huit jours, & quelquefois davantage, fuivant les moyens ou l'humeur prodigue de la famille :s coutumes font aflez générales par toute la HBS.MoR.LAQ.UES. 11 î qui les donne. Dans ces jours d'allegreiTe a la jeune femme fait des profits confidérables, qui compofent à peu près tout fon petit pécule : car elle n'a pour dot que fes habits & une vache ; il arrive même fouvent que fon père, au lieu de la doter, exige une fomme de l'époux. Tous les matins elle préfente de l'eau à fes hôtes, dont chacun après s'être lavé les mains, eft obligé de jetter dans le baffin une pièce d'argent: auffi eft-il jufte qu'ils payent celle qui les engage à remplir un devoir de propreté qu'ils oublient d'obfer-ver à l'ordinaire pendant plufieurs mois. Il eft permis à la jeune femme de faire des tours de malice aux Svati : comme de cacher leurs Opanké, leurs bonnets, leurs couteaux , ou d'autres chofes de première néceffité ; qui font forcés alors de les racheter avec une fomme d'argent, déterminée par la compagnie. Outre ces contributions , ou volontaires ou extorquées , chaque convive, fuivant l'ufage établi, doit encore faire un préfent à l'époufe, qui le dernier jour des Zdravizze, leur offre à fon tour quelques petites galanteries. Le Kitum Se l'époux les portent, fur leurs fabres nus, au Domacbin ; qui les diftribue aux Svati, en obfervant les rangs : ces petits préfens confiftentà l'ordinaire, en chemifes, H 2 en mouchoirs, en ferviettes, en bonnets, ott en bagatelles de peu de valeur. Les cérémonies des noces, font à peu près entièrement les mêmes, dans toute la vafte contrée occupée par les Morlaques : les habitans des isles \ & ceux des villages des côtés de Ylflrie Se de la Dalmatie, les obfervent auffi , en n'y mettant que peu de variations. Parmi ces variations, il en eft une digne d'être remarquée , qui s'obferve dans Pisle Zlarine près de Sebmico. Dans le moment, où l'époufée eft prête à fuivre fon mari dans fa chambre 3 le Starî-S'vat, qui à l'ordinaire fe trouve yvre, doit abatre d'un feul coup de fabre la guirlande de fleurs qu'elle porte fur la tête. Dan9 le village de Novaglia, fitué dans Y isle de Fago, au Golfe de Qiiarnaro, règne une coutume plus comique & moins dangereufe, quoique également fauvage Se brutale. Quand un jeune homme eft fur le point d'emmener fa promife , le père & la mère, en lui remettant leur fille, lui font, avec une exagération grotefque, le détail de fes mauvaifes qualités. « Puifque tu veux l'avoir abfolument , fâche 55 quelles ne vaut rien , qu'elle eft obftinée, si-capricieufe &c". L'époux fe tournant alors vers elle lui dit: „ vous êtes faite ainfi? je 35 je rangerai bien votre tête Il accompagne ces paroles de geftes menaçans, Se en faifant bus Morlao_uïs. 117 fcmblant de la battre, afin que fon procédé ne foit pris pour une vaine cérémonie, il lui donne fouvent des coups réels. En général les femmes Morlaques, comme les infulaires, excepté les femmes des villes, ne paroùTeut pas fâchées de recevoir des coups de bâton de leurs maris , & quelquefois même de leurs amants. Dans les environs de Dernifa, la nouvelle époufe eft obligée , pendant la première année de fon mariage, de baifer tous les hommes de fa nation & de fa çonnoiffance, qui viennent dans fa maifon. Cette année écoulée, elles fontdifpenfées de cette falutation, comme fi la malpropreté infuportable, à laquelle elles s'abandonnent en peu de tems, les rendit indignes de faire de telles politelfes. Cette malpropreté eft peut - être , en même tems, la caufe & l'effet de la manière humiliante, avec laquelle les maris & les parens les traitent. Quand les hommes nomment une perfonne du fexe devant des gens refpecfables, ils fe fervent toujours de la formule, ufitée aufïî parmi nos payfans quand ils nomment leur bétail, fauf votre refpecL Le plus poli Morlaque en parlant de fa femme, dit : da profite y moya xena, pardonnez-moi, ma femme. Ceux en petit nombre , qui pofledent un mauvais chalit, ou ils dorment fur la paille , 11S Sur les Mœurs n'y fouffrent jamais leur femme, qui eit obligée de coucher fur le plancher. J'ai couché fouvent dans les cabanes des Morlaques, & j'ai été témoin de ce mépris univerfel qu'ils marquent au fexe. Mais fi les femmes, dans ces endroits où elles font ni belles ni aimables , paroilfent mériter un tel mépris, il leur fait perdre cependant encore le peu de dons qu'elles avoient reçues de la nature. L'état de ces femmes, dans leurs groffelfes & dans leurs accouchemens , palTeroit pour un miracle dans les autres pays, où la vie molle du fexe le rend h* fenfible. Une Morlaque , quand elle eft enceinte, ne fe ménage point, ni à l'égard de la nourriture, ni du travail, ni de la fatigue d'un voyage. Souvent elle accouche feule , au milieu des champs, loin de toute habitation : elle ramaffe alors fon enfant, le va laver à la première eau qu'elle trouve, le porte chez elle , & reprend le lendemain fes occupations accoutumées ; même celle de mener paître les troupeaux. Quand l'enfant nait dans la maifon paternelle, on ne laiiîe pas, fuivant l'ufage immémorial de la nation, de le laver dans l'eau froide : de forte que les Morlaques peuvent dire obmme les anciens habitans d'Italie : Durum à ftirpe genus , natos ad flumina primum Deferimns ,fœvoque gelu duramus & midis. Auffi les bains froids ne produifent-ils pas à ces enfans de mauvais effets, comme le croyent ceux qui défaprouvent la coutume des Ecof-fois & des Irlandois comme préjudiciable aux nerfs, & qui attribuent à la fuperftition les immeriions ufitées chez les anciens Ger-mains. (*). On enveloppe ces petites créatures de miférables haillons, & après les avoir foignés dans cet état, au plus mal poffible, pendant trois à quatre mois, on les laffle fe trainer à genoux , tant dans la maifon qu'en pleine campagnes. Par ce moyen ils acquièrent, avec l'habitude de marcher de bonne heure, encore cette force & cette fanté robufte, dont jouif-fent les Morlaques, & qui les rend capables d'affronter les neiges & les froids les plus violens fans couvrir la poitrine. Les mères allaitent leurs enfans, jufqu'à ce qu'une nouvelle grolfeife les force de ceffer : & fi elles ne redevenoient enceintes pendant quatre ou C) V, Mém. de la Soc. Econom. de Berne. A. 1764-■p. m. H 4 fix ans, elles çontinuereient à les nourrir de leur lait, Cette coutume rend croyable ce .qu'on dit de la longueur de leurs mamelles, qui leur rend poflible d'allaiter les enfans derrière le dos, ou par-deffous les bras. Ils mettent tard la culotte aux garçons, qu'on voit communément a l'âge de 14. à If. ans courir encore couverts d'une fini pie çhemife , qui leur va jufqu'aux genoux. Cette coutume s'obferve fur-tout vers les confins de Ja Bofiiie, à l'imitation de celle des fujets de la Forte, qui avant d'avoir la culotte ne payent point de Karaz ou de capitatiom Avant cette époque on regarde les garçons comme des enfans , incapables de travailler & de gagner leur vie, A l'ocçafion d'un accouchement, & principalement du premier, tous les pareus & amis de la famille, envoyent des préfens de chofes comeftibles, Se avec ces préfens on fait un fouper appelle Bobine. Les accouchées n'eu* trent dans l'églife qu'après quarante jours écoulés, & après avoir été purifiées par la bénédiction du prêtre, Les enfans des Morlaques paffent leur bas âge dans les bois, à garder les troupeaux. Dans ce loifir & dans cette folitude, ils s'occupent de travaux en bois, qu'ils exécutent avec un fimple couteau. On voit chez eux des talfes. des Morlaques. 121 & des fifnets de cette matière, ornés de bas-reliefs finguliers, qui ne manquent pas de mérite, & qui prouvent la difpofition de cette nation à faire des progrès dans les arts, i xii, Des Alimens des MORLAQUES. Le lait, préparé de toute manière, eft la nourriture la plus commune des Morlaques. Ils l'aigriflent avec du vinaigre , & il en réfulte une efpèce de caillé extrêmement rafraichif-faut, Le petit lait, qu'ils en féparent , eft leur boilfon la plus agréable, qui ne déplait pas non plus à un palais étranger. Avec du fromage frais , frit dans du beurre , ils font leur meilleur plat, quand ils veulent régaler un hote inattendu. Ils ne fe fervent guères de pain préparé à notre manière; mais de galettes (*), pétries de farine de millet, d'orge, de mays, de forgo, & de froment s'ils font en état d'en acheter ; ils cuifent ces galettes journellement fur la pierre de l'âtre. (*) Ils les appellent Pogaccie , nom emprunte de 1 Italien , Fogaccia, en prononçant la lettre F fuivant 1 ulage des anciens Efclavons. Les choux aigres, dont ils font la plus grande provifion poffible, avec les racines & les herbes comeftibles, qui fe trouvent dans les bois & dans les champs, leur fournirent une nourriture faine & peu couteufe. Mais après les viandes rôties, pour lefquelles ils ont une véritable paffion, l'ail & les échalot-tes font pour eux les mets les plus délicieux. Un Morlaque s'annonce , déjà de loin, aux nez non accoutumés à cette odeur , par les exhalaifons de fon aliment favori. Je me fou-viens d'avoir lu quelque part, que Stilpon, repris pour être entré, contre la défenfe, dans le temple de Céres après avoir mangé de l'ail, répondit : „ donnez-moi quelque chofe de „ meilleur, & je ne mangerai plus d'ail ". Les Morlaques n'accepteroient pas cette condition, qui même ne leur feroit pas peut-être avantageufe. Il ell probable , que l'ufage journalier de ces végétaux corrige en partie la mauvaife qualité des eaux des réfervoirs fangeux & des ruifTeaux marécageux , dont les habitans de plufieurs cantons de la Mor-lachie font nécelîités, pendant l'été , de faire leur boùTon ordinaire. Ces végétaux contribuent peut-être auffi à maintenir ce peuple fain & robuite. On trouve en effet parmi eux un grand nombre de vieillards frais & vigoureux , & je ferois tenté d'en faire encore un DES M O R E a Q_ U E 6. I£> mérite à l'ail, quoiqu'en puille dire Horace. Il m'a paru étrange, que les Morlaques, qui font une fi grande confommation d'ail, d'oignons & d'échalottes, ne plantent pas ces végétaux dans leur vaftes & fertiles campagnes, & que, par cette négligence, ils fe voyent obligés d'en acheter tous les ans pour plufieurs milliers de ducats des laboureurs des environs à'Aticona & de Rimini. Ce feroit une contrainte falutaire que de les forcer à de telles plantations : fi je ne craignois pas m'expofer au ridicule, je propoferois un moyen de leur épargner des fommes confidérables, c'eft celui de les encourager à des cultures de cette ef pèce par des récompenfes : moyen par lequel on obtient tout du laboureur. Un des derniers gouverneurs de la Ùahna-tie, animé d'un zèle patriotique, introduifit dans cette province la culture du chanvre , qui cependant ne fubfifle plus avec la même vigueur. Quelques Morlaques, convaincus par l'expérience des avantages de cette culture, la continuent néanmoins, & ne dépenfent plus autant pour les toiles étrangères, dont ils fabriquent chez eux une partie. Pourquoi ne pourroient-ils pas tous reprendre le défir de cultiver une plante qui eft devenue pour eux imbefoin de première néceffité ? La vie frugale & laborieufe des habitans de la Morlachie, jointe à la pureté de Pair qu'ils refpirent, font qu'il s'y trouve , fur-tout dans les montagnes , un grand nombre de gens qui parviennent à un âge très-avancé. Comme ils ignorent cependant à l'ordinaire le tems précis de leur naiflance, je ne vou-drQis pas chercher parmi eux un fécond Dando.(*). Je crois pourtant avoir remarqué un bon vieillard qui pourroit faire pendant au célèbre Parr, §. xin. Des meubles, des Cabanes ; de l'habillement & des amies des MORLAQUES. Les Morlaques aifés fe fervent, au lieu de matelats, de couvertures grourères, qui leur viennent de la Turquie : rarement un richard parmi eux a un lit comme les nôtres ; il eit peu commun même de voir un bois de lit travaillé groflïèrèment, dans lequel ils dorment fans draps & fans matelats, entre leurs couvertures Turques. Le lit de prefque tous eft (*) Alexandre Cornélius memorat Dandonem Illyricum annos vixiiTe Plin. 7. c. 48. des M o r l a q_ u e 8. I 2f la terre nuecouverte, tout au plus , d'un, peu de paille, où ils étendent leur grotte cou* verture, dans laquelle ils s'enveloppent entièrement. En été ils aiment dormir dans une cour en plein air, & cette coutume eit 11ms doute le moyen le plus fur de fe délivrer des infectes domeftiques. Dans leurs cabanes ils ont peu de meubles, & fimples, tels comme doit les avoir un peuple de bergers & de laboureurs, qui dans ces arts même eft fi peu avancé. Si la maifon d'un Morlaque a un galetas, & ii elle eft couverte d'ardoife ou de tuile, les travées fervent de garderobe à la famille qui alors eft cenfée vivre d'une manière magnifique : dans ces maifons brillantes même , les dames couchent fur le plancher. Je les ai vues quelquefois moudre jufqu'à minuit, en chantant à haute voix des chanfons tout-à-fait diaboliques, dans la même chambre où je devois coucher, Si au milieu de dix ou douze perfonnes étendues par terre, Se qui, malgré cette mufique dor-moient d'un profond fommeil. Dans les endroits éloignés de la mer & des Villes, les maifons des Morlaques ne font que de pauvres cabanes, couvertes de paille ou de bardeau, appelle Zimblé ; couverture tintée fur-tout dans lés montagnes , où l'on manque d'ardoife, Se où il eft à craindre que les vents, en découvrant la cabane ^ n'enféve-liifent les habitans fous les ruines du toit. Le bétail vit dans le même bâtiment, & n'en: féparé de fes maîtres que par une fimple cloifon de baguettes entrelacées , enduite de boue ou de boufe de vache : les murs de la cabane font encore de la même matière, ou compofés de groifes pierres pofées à fec les unes fur les autres. Au milieu de la cabane fe trouve le foyer, dont la fumée fort par la porte, le feul endroit par où elle punTe s'échapper. Par cette raifon ces miférables demeures font toutes noires &. vernies de fuye : tout y fent la fumée, même le lait dont fe nourriifent les Morlaques, & qu'ils offrent volontiers aux voyageurs. Les perfonnes & leurs habits contractent la même odeur empeftéc. Pendant la faifon froide, la famille foupe autour du foyer , & chacun s'endort au même endroit, où afîîs à terre il avoit mangé. Quelques cabanes font garnies de bancs. Au lieu d'huile, ils brûlent du beurre dans leurs lampes : le plus fouvent cependant ils s'éclairent la nuit avec des copeaux de fapin , dont la fumée noircit étrangement leurs vifages. Rarement un Morlaque aifé habite une maifon, bâtie à la manières des Turcs, ou meublée à la nôtre : les plus riches vivent à l'ordinaire en fauvages. Malgré la pauvreté & la faleté de ces habitations, ce peuple n'y fouffre aucune de ces immondices, que nous gardons quelques fois longtems dans nos chambres, Dans ces contrées, perfonne , ni homme ni femme , quoique malade , pourroit fe réfoudre à aller à ces néceflités dans fa propre cabane : on porte , dans les cas d'un tel befoîn, les mourans même, en plein air. Si un étranger, par mépris ou par ignorance, s'avifoit de falir de cette manière la plus chétive habitation, il rifqueroit la vie, ou au moins de recevoir folemnellement la baftonnade. L'habillement des hommes eft fimple & économique. Ils fe fervent, comme les femmes, à'Opankê en guife de fouliers : ils fe chauffent d'une efpèce de brodequin tricoté , nommé Navlakaza, qui au-deffus de la cheville du pied fe joint à l'extrémité de la culotte, par laquelle le refte des jambes eft couvert. Cette culotte, faite d'une groffe ferge blanche , fe lie aux hanches par un cordon de laine, qui la ferre comme un fac de voyage. La chemife entre peu dans cette culotte* Sur la chemiie ils portent un pourpoint, appelle Jacerma y & en hyver ils mettent encore par-deffus un manteau de gros drap rouge, qu'ils nomment Kabaniza , ou Japungia. Leur tête fe couvre avec un bonnet, iùrmonté d'une efpèce de Turban cilindrique, appelle Kalpak. Ils fe ïafent la tête, & ne biffent fubfifter qu'un petit toupet de leurs cheveux, à la mode des Polonais & des Tartares. Ils le ceignent les reins avec une écharpe rouge, de laine ou de foye tiffue à mailles. Entre cette écharpe & la culotte ils placent leurs armes, en arrière un ou deux piilolets ; en avant un énorme couteau, nommé Hanzar^ enfermé dans une gaine de laiton, ornée de faufles pierreries. Ce Hanzar eft fouvent affuré par une chaîne de laiton, qui tourne autour de l'écharpe; À la même place ils mettent un cornet, garni d'étain, dans lequel ils tiennent la graiffe néceffaire pour garantir leurs armes de l'humidité, ou pour fe guérir eux-mêmes, quand chemin faifant ils fe meur-triflent les pieds, De l'écharpe pend auffi une bourfe, deftinée à contenir un briquet, & le peu d'argent qu'ils peuvent avoir. Le tabac à fumer fe conferver encore dans l'écharpe ,■ enfermé dans une veffie féche. Ils tiennent la pipe fur les épaules, lailTant la tête dehors, & paffant le tuyau entre la chemife & la peau nue. Quand un Morlaque fort de chez lui il porte toujours fon fufil fur l'épaule. Les chefs de la nation font vêtus avec plus de magnificence. On peut juger du goût de leurs habits par le portrait de mon bon hôte, le Fajvode Pervan de Coiirrkh. (p.IV.) §. XIV. des morlao_ues. 129 §. XIV. De la poëfie, de la mufiqtie, des danfes & des jeux des MORLAQUES. Dans les aflemblées champêtres , qui fe tiennent à l'ordinaire dans les maifons où il y a plufieurs filles, fe perpétue le fouvenir des anciennes hifloires de la nation. Il s'y trouve toujours un chanteur, qui accompagne fa voix d'un inltrument, appelle Guzla, monté d'une feule corde, compofée de plufieurs crins de cheval entortillés. Cet homme fe fait entendre en répétant >> & fouvent en ra-commodant, les vieilles Pifmé, ou chanfons. Le chant héroïque des Morlaques efl extrêmement lugubre & monotone. Ils chantent encore un peu du nez -, ce qui s'accorde, il eft vrai, affez bien avec le fon de l'inftrument» dont ils jouent. Les vers des plus anciennes chanfons , confervées par la tradition , font de dix fyllabes & fans rime. Les poëfies abondent en exprefîions fortes & énergiques; mais on y apperçoit à peine quelques lueurs d'une imagination vive & heureufe. Elles font cependant une impreflion finguliere fur l'ame des auditeurs, qui peu à peu les appren* nent par cœur. J'en ai vu foupirer Se pleurer aux paffages, qui ne m'avoient aucunement Tom. L I afeété. La valeur des paroles Illyricnnesl mieux entendue des Morlaques, produit peut-être cet effet : ou, ce qui eit plus probable encore , leur eiprit fimple & peu cultivé, eft remué par les impulfions les plus foibles. La fimplicité & le défordre, qu'on trouve réunis dans les poëiies des Troubadours Provençaux, forment auffi le caractère diftinctif des contes poétiques des Morlaques. Il s'en trouve néanmoins dont le plan eft affez régulier : mais le lecteur, ou l'auditeur, eft toujours obligé de fuppléer, par fa penfée , au défaut des détails, néceffaires à la précifîon, & fans lefquels une narration, en vers ou en profe, paroîtroit monftrueufe aux nations éclairées de l'Europe. Je ne fuis pas parvenu à découvrir de ces poëfies, dont l'antiquité bien conftatée remonte au de-là du quatorzième fiècle. La caufe de la perte des plus anciennes, eft apparemment la même que celle qui fit difparoître tant de livres Grecs & Latins , dans les tems de la barbarie réligieufe. Je foupçonne, qu'on en pourroit trouver de plus ancienne datte chez les Mérédites, & chez les habitans des montagnes Clémentines, peuples féparés entièrement des autres nations, & qui mènent une vie purement paftorale. Mais, qui fe flattera de pénétrer impunément jufqu'à ces peuplades des M0RLAQ_tjes. 131 fauvages & intraitables ? Je me fens allez de courage pour entreprendre une telle expédition ; non feulement pour chercher de ces anciennes poëfies, mais encore pour étudier Phiftoire naturelle de ces contrées totalement inconnues, & qui renferment peut-être encore les plus précieux monumens des Grecs , & des Romains : mais trop d'obftacles s'oppofent à l'ordinaire à l'accompliffement de tels defirs. J'ai traduit plufieurs chanfons héroïques des Morlaques, & j'en joindrai une, qui m'a paru bien faite & intéreffante, à cette lettre. Sans prétendre la comparer aux poëfies d'OssiAN y je me flatte qu'on y trouvera au moins un autre mérite, celui de peindre la fimplicité des anciens tems, & les mœurs de la nation. Le texte Illyrien mettra le lecteur en état de juger combien cette langue fonore & harmo-nieufe , négligée cependant par les peuples cultivés même qui la parlent, eft propre à la mufique & à la poëfie. Ovide , pendant qu'il vivoit parmi les Slaves de la mer noire (*), ne dédaigna pas de faire des vers dans leur (*) Les Allemands : qui comptent Ovide parmi leurs poètes, ne feront pas contens de le voir ici du nombre àeslllyricns. Si les Getes & les Goths ont été une même nation, ils auront raifon. Car la langue des Goths etoit u» dialefte de la Teutonique, 32 Sur les Mœurs idiome, & y réuflit jufqu'à l'admiration, &à acquérir l'amitié de ces fauvages : quoique par un retour de l'orgueil Romain, il parut fe repentir après, d'avoir profané de cette manière les mufes Latines (*). La ville de Ragufe a produit plufieurs poètes élégans, & même quelques femmes diftinguées par le talent de faire des vers : le plus célèbre de ces poètes eft Jean Gondola. Les autres villes des côtes & des isles de la Dalmatie, n'en manquèrent pas non plus : mais le grand nombre àTtalianifmes, introduit dans les dialectes de ces villes, y altère de plus en plus l'ancienne pureté de la langue. Les habiles gens dans cette langue & fur-tout le plusfavant entr'eux, l'Archidiacre Mathias Sovich, trouvent le dialecte des Morlaques également barbare & rempli de mots & de façons de parler étrangères (**). Celui des (*) Ah îpudet, & Gético fcripfi ferme-ne libellum, Structaque funt noltris barbara verba modis. Etplacui (gratare mihi), cœpique poctœ Inter inhumanos nomen habere Getas. OviD. de Ponto. IV. Ep. r}. C**) Depuis mon retour, le favant, pieux & charitable Archidiacre koviCH , eft mort, emportant les regrets.de tous les honnêtes gens de fa nation. La mémoire de cet excellent homme, digne d'un meilleur fort & d'une plus longue vie, ne doit fe perdre parmi ces compatriotes s'ils des Mo r; la Q,ti ï s. Iî? Bbfniehs , dont fe fervent auffi les Morlaques montagnards dans l'intérieur des terres, eft à chériffent leur honneur. Né à Pc'tersbourg au commencement de ce fiècle, d'un père originaire de Chcrjb & attaché au fervicede Pierre le Grand, il devint orphelin dans l'âge le plus tendre; mais il requt une excellente éducation dans la maifon de l'admira! Zmajevich- Après la mort de cet admirai, il fut ramené en Dalmatie par l'abbé Caraman, qui avoit été envoyé en Ruffie pour y chercher les connohTances néceflaires à la correction du Bréviaire Glagolitiquc. A la recommandation de Mr. Zmajevich , alors archevêque de Zara, le jeune So vieil entra dans le féminaire délia Propaganda . où il s'appliqua à la théologie & principalement à la lecture des manuf-cripts Glagolitiqucs. 11 aida Monjîcur Caraman, mort auffi depuis peu archevêque de Zara, dans la correction du MHfel, & à écrire une apologie, qui ne vit pas le jour. Pour rècompenfe de fes fervices, il obtint la place d'Archidiacre d'Ofero, uù il vécut dans une retraite phi-lofophique , partageant le peu qu'il poiTedoit avec les pauvres & avec fes amis. On l'appella plufieurs fois à Rome pour la correction du Milfel: il y alla une feule fois & revint mécontent. Dans fa folitude il n'abandonndit pas les études, comme le prouvent plufieurs manuferits précieux de fa compofition que j'ai vus entre fes mains. Parmi les productions de fa plume, doit fe trouver un ouvrage fini : favoir la Grammatica Slavonica de Mcletius Smo-trisky, traduit en latin avec le texte à côté, purgée de fuperfluités, & enrichie d'oblêrvations à Tufage des jeunes Eccléfiaftiques lllyriens. Cet ouvrage mérite d'autant plus de voir le jour, que la langue Efdavone, ufitée dans les livres religieux, & qu'on enfeigne dans les fémi-naires de Zara & cYAlmifa, n'a aucune grammaire bien faite, & que , après la mort de Sovich, il ne fe trouve plus en Dalmatie perfonne , qui fâche profondément cette langue. £34 Sur les Mœurs mes oreilles plus harmonieux que le dialecte Illyrien des habitans des côtes. Mais revenons à nos chanfons. Quand un Morlaque voyage par les montagnes défertes, il chante , principalement de nuit, les hauts fait des anciens rois & barons Slaves , ou quelque aventure tragique. S'il arrive qu'un autre voyageur marche en même tems fur la cime d'une montagne voifine , ce dernier répète le verfet chanté par le premier ; & cette alternative de chant continue aufli longtems que les chanteurs peuvent s'entendre. Un long hurlement, confiftant dans un Oh ! rendu avec des inflexions de voix rudes & groffières, précède chaque vers , dont les paroles fe prononcent rapidement, & prefque fans modulation qui eft refervée à la dernière fyllabe, & qui finit par un roulement allongé, hauiTé à chaque expiration. La poëfie ne s'eft pas perdue entièrement chez les Morlaques, & ils ne font pas réduits à répéter uniquement les anciennes comportions. Il y a encore beaucoup de chantres, qui après avoir chanté, en s'accompagna^ de la Guzla , quelque morceau antique, finilfent par des vers compofés à la louange de ceux qui les employent. Plus d'un Morlaque eft en état de chanter, depuis le commencement à la fin s ces propres vers impromp- des morl A Q. U î S. I3f tus, & toujours au fon de la Guzla. Ils ne manquent pas d'écrire leurs poëfies, quand i'occafion fe préfente de tranfmettre à la pof-térité quelque événement mémorable. La mu-fette , le flageolet, & un chalumeau de plufieurs rofeaux, font encore les inftrumens favoris de la nation. Les chanfons nationales , confervées par tradition, contribuent beaucoup à maintenir les anciennes coutumes. De-là vient que leurs cérémonies, leurs jeux, Se leur danfes tirent leur origine des tems les plus reculés. Leurs jeux confiftent prefque tous dans des preuves de force ou d'adrelie : comme de fauter plus haut, ou de courir plus vite, ou de jetter le plus loin une pierre qu'on peut foulever à peine. Les Morlaques danfent , au fon de la voix ou de la mufette, leur danfe favorite appellée Kolo, ou cercle ; qui change bientôt en celle qu'ils nomment Skofi-gori , ou fauts hauts. Tous les danfeurs, hommes & femmes, fe tenant par la main, forment un rond, Se commencent par tourner lentement. A méfure que la danfe s'anime, ce rond prend des figures différentes, & dégénère à la fin en fauts extravagans, exécutés par les femmes même, malgré le déiordre qu'ils mettent dans leur habillement. Il eft incroyable avec quelle paffîon les Morlaques aiment cette danfe fau- vages. Quoique fatigués par le chemin ou par le travail, quoique mal nourris, ils la danfent, & palïent plufieurs heures, fans prefque prendre de repos, dans ce violent exercice. §. XV. De la médecine des MORLAQUES. De ces bals s'enfuivent fréquemment des maladies inflammatoires. Dans un tel cas, comme dans d'autres, les Morlaques fe gué-riffent eux-mêmes, & n'appellent jamais un médecin , puifque heureufement il ne s'en trouve aucun parmi eux. Une bonne quantité de Rakia, ou d'eau - de - vie , eft leur première potion médicinale : fi la maladie ne s'amende pas, ils infufent dans l'eau-de-vie une bonne dofe de poivre , on de poudre à canon, & ils avalent la mixture. Après quoi ils fe couvrent bien fi c'eft. en hyver ; ou, fi c'eft en été, ils s'expofent, couchés fur le dos, aux ardeurs du foleil, afin, comme ils difent, defuer le mal. Ils ont contre la fièvre tierce une cure plus fyftématique. Le premier & le fécond jour , Us prennent un gobelet de vin, dans lequel trempe une pincée de poivre : le troifième & Je quatrième, ils doublent la dofe. J'ai vu des mor.laq.ue s. plus d'un Morlaque parfaitement remis par le moyen de cet étrange fébrifuge. Ils guériifent les obftrudions, en appliquant une grande pierre platte fur le ventre du malade; & les rhumatifmes par de violentes frictions, qui écorchent d'un bout à l'autre le dos du patient. Contre les douleurs de rhumatifmes , ils employent encore une pierre rougie au feu , & enveloppée d'un linge mouillé. Pour reprendre l'appétit, perdu à la fuite d'une longue fièvre , ils boivent copieu-fement du vinaigre. Mais le dernier & principal remède, dont ils fe fervent, quand ils peuvent l'avoir, dans les cas les plus défefpérés, c'ell le fucre, dont ils mettent un morceau encore dans la bouche des mourans, pour qu'ils puiffent paifer dans l'autre vie avec moins d'amertume. Ils employent l'Ivette contre les douleurs des jointures, & appliquent fréquemment les fangfues aux membres enflés. Dans les endroits, où fe trouve une ochre rougeâtre, on a la coutume de mettre de cette terre fur les blelfures & fur les contufions : comme on fait auffi en Bohème & en Mifniè, où cette terre abonde. Greisel qui rapporte ce remède, a reconnu fa vertu par fa propre expérience , comme je l'ai expérimentée auffi fur moi en Dalmatie. Sans avoir étudié l'ana-tomie, les Morlaques lavent très-bien remettre les membres disloqués & fradurés : ils faignent habilement, avec un infiniment, femblable à celui avec lequel on tire du fang aux chevaux, fins jamais caufer ces accidens, qui fuivent fi fouvent Tuiage de la lancette. §. XVI. Des funérailles des MORLAQUES. Pendant qu'un mort refte encore dans la maifon , fa famille le pleure déjà avec de véritables hurlemens, qui redoublent quand le prêtre vient le prendre. Dans ces momens de trifteffe , les Alorlaques parlent au cadavre, & lui donnent férieufement des commiflions pour l'autre monde. Après ces cérémonies on couvre le mort d'une toile blanche, & on le porte à l'églife, où recommencent les lamentations , & où les parentes du défunt & des pleureufes louées, chantent fa vie d'un ton lugubre. Quand il eft enterré, tout le cortège funèbre , avec le curé de la paroiffe , retourne à la maifon du défunt, où, en mêlant les prières avec la crapule , on fait un repas immodéré. Pour marquer de l'affliction , les hommes fe laiiîènt croître la barbe pendant quelque tems : coutume qui, comme plufieurs autres des jvîorlaq.ues, 139 de ce peuple, approche de celle des Juifs. Un bonnet bleu ou violet eft encore un figne de deuil. Les femmes s'enveloppent la tête d'un mouchoir bleu ou noir , & couvrent de noir tout ce qui eft rouge dans leurs habil-lemens. Pendant la première année, après l'enterrement d'un parent, les femmes Morlaques vont, au moins chaque jour de fête , faire de nouvelles lamentations fur le tombeau, & y répandre des fleurs & des herbes odorantes. Si la néceffité les force quelquefois de manquer à ce devoir, elle s'excufent auprès du mort, en lui parlant comme s'il étoit vivant, & lui rendent compte des raifons qui les ont empêchées de lui faire la vifite accoutumée. Elles lui demandent des nouvelles de l'autre monde, & lui adreffent fouvent les queftions les plus fingulières. Tout cela fe chante d'un ton lamentable & méfuré. Les jeunes filles, qui défirent d'apprendre les belles manières de la nation, accompagnent fouvent ces femmes , & chantent avec elles des duets vraiment funèbres. Voilà les obfervations que j'ai faites fur les mœurs d'une nation jufqu'ici peu connue & méprifée. Je ne prétends pas que ces détails, que j'ai ramalfés dans une grande étendue de pays, & dans des endroits aftez éloignés l'un de 14° Sur les Mœurs l'autre, conviennent également à tous les villages de la Morlachie. Les différences cependant j qui pourroient s'y trouver, feront peu confidérables. ARGUMENT du poème Illyrien fuivant. Afin , capitaine Turc, eft bleffé dans un combat, & fa bleffure le met hors d'état de retourner dans fa maifon. Sa mère & fa feeur vont le vifiter dans le camp : mais fa femme, retenue par une pudeur qui nous paroîtra étrange, n'ofe pas y aller aufli pour voir fon mari. Afan prend cette délicateffe pour un défaut de fentiment de la part de fa femme, s'en fâche, & dans le premier mouvement de la colère , il lui envoie une lettre de répudiation. On arrache cette tendre époufe & mère à cinq créatures touchantes, à fes enfans, dont le dernier eft encore au berceau, & elle les quitte avec la douleur la plus amere. A peine revenue dans la maifon de fon père, les principaux feigneurs du voifinage demandent fa main. Son frère , le Begh Pintorovicb, l'accorde au Cadi , ou au juge àTmoski : malgré les prières de fa feeur défolée, qui aimoit toujours fon premier époux & fes enfans avec la plus vive tendreffe. Le cortège \ des M 0 r l a q_ u es. i4i nuptial , pour aller à Imoski devoit palTer devant la maifon d'Afatt, qui, guéri de ces bleflures & revenu chez lui, fe répent vivement de fon divorce. Connoiflfant parfaitement le cœur de celle, qui avoit été fon époufe, il envoie à fa rencontre deux de fes enfans, auxquels elle fait des préfens , qu'elle avoit préparés pour eux. Alors Afan lui-même fait entendre fa voix en rappellant fes enfans, & en fe plaignant de l'infenfibilité de leur mère, Ce reproche , le départ de fes enfans, la perte d'un mari que, malgré fes manières rudes, elle aimoit autant qu'elle en étoit aimée, caufent une li grande révolution dans l'ame de cette jeune époufe qu'elle tombe morte fubitemeut, Se fans proférer une parole. 1^2 Sûr les Mœurs XALOSTN PJESANZA P L E M E N I T ASAN-AGHIN1ZE Sto fe bjeli u gorje Zelenoi ? Al-fu fnjezi, al-fu Labutove ? Da-fû fnjezi vech-bi okopnuli ; Labutove vech-bi poletjeli. Ni-fu fnjezi, nit-fu Labutove ; Nego fciator Aghie Afan-Aghe, On boiu-je u ranami gliutimi. Oblaziga mater, i Seftriza; A Gliubovza od ftida ne mogla. Kad-li-mu-je ranam' boglie bilo , Ter poruça vjernoi Gliubi fvojoi : Ne çekai-me u dworu bjelomu, Ni u dworu, ni u rodu niomu, Kad KacTuna rjeci ràzumjela, Jofc-je jadna u toi misli ftala. Jeka ftade kogna oko dwora: J pobjexe Afan-Aghiniza L)a vrât lomi kule niz penxere. Za gnom terçu dve chiere djevoïke; Vrati-nam-fe, mila majko nafcia : Ni-je ovo babo Afan-Ago Vech daixa Pintorovich Bexe. des M0RLAQ_ues. 14? . CttJLNS o w sur la mort de l'illustre épouse tfASAN-AGA. Quelle blancheur brille dans ces forêts vertes? Sont ce des neiges, ou des cygnes? Les neiges feroient fondues aujourd'hui, & les cygnes fe feroient envolés. Ce ne font ni des neiges ni des cygnes, mais les tentes du guerrier Afan-Aga. Il y demeure blelfé & fe plaignant amèrement. Sa mère & fa feeur font allées le vifiter : fon époufe feroit venue auffi, mais la pudeur la retient. Quand la douleur de fes blelTures s'appaifa, il manda à fa femme fidelle : „ Ne m'attends „ pas ni dans ma maifon blanche, ni dans „ ma cour, ni parmi mes parens ". En recevant ces dures paroles cette malheureufe refte trifte & affligée. Dans la maifon de fon époux, elle entend les pas des chevaux, & défefpérée elle court fur une tour pour finir fes jours en fe jettant par les fenêtres. Ses deux filles épouvantées, fuivent fes pas incertains , en lui criant : Ah, chère mere, ah ! ne fuis pas : ces chevaux, ne font pas ceux de notre pere Afan ; c'efl ton frère, le Beg Tintorovich qui vient te voir. J vratife Afan Aghiniza, Ter fe vjefcia bratu oko vrâta. Da ! moi brate, welike framote ! Gdi-me faglie ocPpetero dize ! Bexe muçi : ne govori nifta. Vech-fe tnâfcia u xepe fvione, J vadi-gnoi Kgnigu oproshienja, Da uzimglie podpimno viençanje, Da gre s' gnime majci u Zatraghe. Kad Kaduna Kgnigu prouçïla, Dva-je iina u çelo gliubila, A due chiere u rumena liza : A s'malahnim u beficje finkom Odjeliti nikako ne mogla. Vech-je brataz za ruke uzeo, J jedva-je finkom raztavio: Ter-je mechie K'febi na Kogniza, S'gnome grede u dworu bjelomu. U rodu-je malo vrjeme ftâla, Malo vrjeme, ne nedjegliu dana, Dobra Kada, i od roda dobra, Dobru Kadu profe fa fvi fbrana; Da majvechie Imoski Kadia. Kaduna-fe bratu fvomu moli : » Ai, tako te ne xelila bratzo ! » Ne moi mené davat za nikoga, « Da ne puza jadno ferze moje ■9i Gledajuclii firotize fvoje ". Ali des Morlaques. I4f A ces voix l'époufe d'Afan tourne fes pas, & courant les bras étendus vers fon frère, elle lui dit : „ Ah mon frère ! vois ma honte „ extrême ! Il me répudie, moi qui lui ai donné cinq enfans „ ! Le Beg fe tait & ne répond rien : mais il tire d'une bourfe de foye vermeille, une feuille de papier, qui permet à fa feeur de fe couronner pour un nouveau mari , après qu'elle fera retournée dans la maifon de lès pères. La dame affligée voyant ce trille écrit, baife le front de fes fils & les joues de rofe de fes deux filles. Mais elle ne peut pas fe féparer de l'enfant au berceau. Le févere Beg l'en arrache, l'entraîne avec force, la met à cheval, & la ramené dans la maifon paternelle. Peu de tems après fon arrivée, le peu de tems de fept jours à peine écoulé, de toute part on demande en mariage la jeune & charmante veuve, iflTue d'un fang illuftre. Parmi les nobles prétendants fe diftingue le kadi dTmoski. D'une voix plaintive elle dit alors à fon frère : „ ne me donne pas à un autre „ mari, mon cher frère : mon cœur fe brife-3» roit dans ma poitrine, fi je revoyois mes » enfans abandonnés " Tom. I K Ali Bexe ne hajafce nifta, Vech-gnu daje Imoskomu Kadii. Jofc Kaduna bratu-fe mogliafce , Da gnoi pifce liitak bjele Knighe Da-je faglie Imoskomu Kadii. „ Djevoika te liepo poz dravgliafce, „ A u Kgnizi liepo te mogliafce, „ Kad pokupifc'■ Gofpodu Svatove „ Dugh podkliuvaz nofi na djevoiku ; „ Kadà bude Aghi minio dwora, „ Neg-ne vidi firotize fvoje •. Kad Kadii bjela Kgniga doge Gofpodu-je Svat« pokupio. Svate Kuppi grede po djevoiku. Dobro Svati dosli do djevoike, I Zdravo-fe povratili s'gnome. A kad bili Aghi mimo dvora, Dve-je chierze s'penxere gledaju, A dva iïna prid-gnu izhogiaju, Tere fvajoi majçi govoriaju. „ Vrati-nam fe , mila majko nafcia, „ Da mi tebe uxinati damo dans le grand torrent. Le Tifcovzi ou Tif covaz , a fa fource dans la montagne de Vulizza, Se ttaverfe les campagnes de Sarb Se de Dugopolyé. Les deux montagnes de Fulizza & de Trubar i féparent ces campagnes de la grande plaine de Grabovo, qui eit hors du territoire Vénitien. Enfin, à peu de diftance de Knin la Butimfchiza , eit groflie encore par le ruiifeau de Plavnan-fchiza, forti des montagnes qui dominent la plaine de Plavno, Se augmenté en chemin par les eaux du torrent de Radugl-Potok. Tous ces torrens, defeendus des hautes mon» L 2 tagnes", rempliffent la Butimfchiza de gravier '} & font la caufe pourquoi, par les eaux refoulées à l'embouchure, la fertile plaine de Knin devient peu à peu un vaite marais. Le pont l fous lequel elle paffe au moment de fe jetter dans la Kerka, contribue auffi fa part à cet amas fatal de gravier. Ce pont a dix arches, & ioo. pas de longueur: il eft étroit, mal pavé & dangereux pour les animaux ferrés, comme le font prefque tous les ponts, conf-truits parles Turcs, qui fe trouvent dans cette contrée. En dirigeant mieux la jonction des deux rivières, & la pratiquant au-deflbus de l'actuelle, il eft probable qu'on fauveroit cette belle plaine , & qu'on la préferveroit des inondations. Six ou huit milles plus bas, la Kerka, qui coule dans un lit allez large entre des rochers perpendiculaires s fait près de B abondai une chute. La petite isle de Tuf, qui s'eft formée au milieu du lit, femble retarder le cours de la rivière, qui avant d'arriver à cet endroit, reffemble à un lac, planté de rofeaux. Cette concrétion de Tuf ■ s'accroît continuellement, & remplit peu à peu les deux canaux , par lefquels la rivière s'écoule à côté de la petite isle : de iorte que les eaux toujours plus refoulées vers Knin, augmentent encore les marais fous cette ville , au grand dommage de la population. Il faut croire, que les Romains n'ayent pas tant négligé le cours de cette rivière. Car depuis peu d'années, on a trouvé, en creufant par ordre du fouverain, dans le Tuf à fept pieds de profondeur une architrave & une corniche de marbre Grec , ornés de bas-reliefs élégans , qui repréfentoient des ferions de fleurs, des tortues, des crocodiles & cftmtres amphibies. Les moines de Knin les tranfpor-terent dans cette ville, & les briferent, fuivant leur coutume barbare , afin d'en tirer quelques ornemens pour leur églife. Si le lit de la rivière étoit plus profond de quelques pieds , & fila petite isle fe joignoit à un des rivages , la navigation rencontreroit un obf-ffacle de moins , & les eaux fupérieures, dont le cours feroit mieux dirigé, s'écoule-roient avec plus de facilité, fans déborder fans ceffe, comme elles font actuellement. Près de la cafcade de Babovdol, dans les trous des rochers beaucoup plus élevés que la rivière , j'ai ramalfé de belles moufles in-, cruftées. Il s'y trouve auffi des Pifolithes, dont la ftructure reflemble au Bezoard des animaux, & aux confitures de Tivoli : mais ils font moins blancs & moins durs que ces dernières. Sur les pierres de la rivière, vivent des Polypes d'une allez grande efpèce : mais ne pouvant m'arrêter, je ne les ai pas L ? 166 DU cours obfervés avec l'attention qu'ils méritent depuis les découvertes de Trembley , de Baker , & de Bonnet, » V. Des mines de BURNUM. Nous allâmes par terre jufqu'à St. Arcangeh, couvent occupé par des Caluyers, ou moines de la communion Grecque (*). Depuis Knin jufqu'à ce couvent le chemin s'éloigne peu de la rivière, qui de-là, jufqu'à fon embuchure, coule prefque toujours entre des montagnes de marbre , fans paffer par des vallées ou plaines, où quand elle s'enfle, elle puiffe fe répandre. A Bucoviza, lieu entièrement défert, nous trouvâmes des vertiges d'anciennes habituions Romaines. Mais quels miférables vefti-. ges! Des pierres groffiérement applanies, & percées de trous quarrés, pour y placer les piliers des tentes à l'occafion d'un campement : (*) Les moines de St. Arcangeh ont une pieufe tradition, qni ]cur perfuacle que St. Paul a dit la meffe dans une chapelle, attenante à leur couvent. Les Morlaques du rite Grec vilitent ce faint lieu avec beaucoup de dévotion , quoique leur pauvreté ne leur permette pas d'y porter de riches offrandes. ces pierres font difperfées le long du chemin dans l'efpace d'un mille. On y rencontre beaucoup d'infçriptions demi - effacées : une entre autres, faite à la louange de quelqu'un, & écrite en grande lettres bien confervées fur un pilaftre à quatre faces, orné aux angles de bas-reliefs. Il y a lieu de croire, gue la ville, dont 011 voit ici les ruines, eft Burnam de Procope & Libttma de Strabon (*). La table de Peutin-ger place Bitrnum au-deffus de Scardona, au bord droit du Titius, à 24 milles de Nedimtm, qui eft Nadirta d'aujourd'hui, diftant juftement 2f milles de cet endroit, qui à caufe des trois arcades qu'on y voit toujours, s'appelle fup-pliacerqua, ou l'églife percée. Il y a peu d'années qu'il en fubfiftoit encore cinq, mais un Morlaque ayant eu befoin de pierres, en détruifit deux. Des trois arcades confervées, (*) MtfRUN ( Topogr. Carniol.') n'a aucune raifon de placer l'ancien Hurnum, où e'ft fi.tué aujourd'hui^ Çot(~ fché. Les environs de cette ville Ji'étoient pas habites du tems des Romains , & elle eft très-éloignée des endroits que les géographes indiquent comme voifins de Burnum. Celui fe trompe encore plus qui met cette ville ancienne fur les bords de la rivière de St. Fit, où fe trouvoit autrefois Tarfatica, & jamais Burnum, devroit en être éloignée àu' moins de 200... milles. V. ScHONLEBEN, Carniola Antique & Nova. L 4 168 D u cours Tune a 21 pieds de diamètre , les deux autres l'ont moins de la moitié. Le tems a fort maltraité cet ancien monument, bâti d'une pierre molle, femblable au Moilon, & moins dure que nos pierres de Nanto & de St. Gottardo dans le Fincentin. Ce qui en refte prouve, qu'il a été conitruit dans les liécles de la bonne architecture. S'il étoit poflible de creufer autour, on le trouveroit finement dans les belles proportions. Je l'ai fait deûmer comme il fe voit actuellement, (tab. V.) Je ne voudrois pas décider à quel delfein on a érigé ce monument ? il femble cependant qu'il a pu être ifolé , puifque les canelures & les corniches font égaies aux deux faces. C'étoit peut-être un arc de triomphe. Tout près delà on ne trouve gueres d'autres antiquités remarquables : on y déterre fouvent de grolfes pierres taillées , & dans le voifmage, on voit, des reftes d'un chemin Romain. Supptiacer-* qita eft le nom de l'endroit, où les arcades font fîtuées , l'efpace autour , où les autres font difperfées, s'appelle Trajanski- Çrad, la ville de Trajan, de V a R e r k a. l69 §. VI. Du cours de la KERKA jufqu'à la chute de ROSCHISLAP. A la droite des Arcades, coule la Kerka dans un lit profond entre des montagnes coupées , & fait une chute , près d'un pauvre hameau , qui vu de la hauteur paroit délicieux; mais qui dans une telle profondeur ne peut pas jouir d'un bon air. Cinq ou fix milles plus bas fe trouve le couvent de St. Arcangeh dans une pareille fituation , au bord de la rivière , dans une vallée profonde & humide, au pied d'une montagne. Le fommet de cette montagne eft compofé en partie d'une brèche graveleufe , en partie de marbre Dalmatique commun : mais le pied contient des matières entièrement différentes & beaucoup moins anciennes. Le chemin , par lequel on defcend au couvent, eft taillé à mi - côte, & laide à découvert des couches d'une pierre feuilletée, d'une dureté inégale ; qui tantôt fe met en poudre fous les doigts, tantôt s'écaille comme les cailloux, & qui eft mêlée de galets flottés. On pourroit lui donner le nom de Terra calcarea , glareofa. Il paroît que la rivière, embaraffée par quelque chute imprévue d'un morceau d'une montagne, s'eft élevée, dans 17° Du cours les fîécles éloignés , au-delTus de fon niveau ordinaire, & a dépofé ces couches de limon mêlé de cailloux. Malgré des recherches exactes je n'ai pu trouver jamais, dans cette fange durcie, des corps marins, & j'ai cru, par cette raifon, qu'elle devoit fon origine aux eaux de la rivière. La quatrième chute de cette rivière, proche de Rotbidap , prouve, qu'il arrive fréquemment que de grands morceaux de rochers tombent du haut des montagnes perpendiculaires , qui bordent la Kerka. Les environs de cette cafcade font remplis de rochers détachés des montagnes. Le dernier de ces rochers, qui, par les fecoulfes du tremblement de terre de l'année 1769, s'eft précipité d'une hauteur de 1 f o pieds, fur les bords de la rivière, a 72 pieds de circonférence & une élévation proportionnée. B eft compofé de pierres roulées, blanches, rougeâtres , grifes ; enfin de toutes les Couleurs, «5c de différens degrés de dureté. Dans la plupart de celles qui font Colorées on voit des lenticulaires. Un échantillon de çe rocher me préfenta un phénomène, que je n'avois pas encore obfervé ailleurs : favoir des lenticulaires calcinées , devenues tres-blanches , fans que leur conftruction en fut altérée, & dont l'intérieur, vu au microfcope, paroiffoit entièrement vuide. Cette maiïe, tombée en 1769, faifoit partie de la cime de la montagne , qui aujourd'hui eft inacceflt-ble. Dans les fiécies pâlies il étoit plus facile de l'atteindre : car la face extérieure du rocher tombé contient l'épitaphe d'un ancien foldat. L'expérience journalière fufîît, pour nous convaincre des grandes révolutions que la furface de notre Globe , fur - tout dans des endroits montueux, a effuyées pendant le cours de tant de fiécies. Mais cette vérité fe prouve plus particulièrement par l'état des pays arrofés par la Kerka, comme auili par l'état de toutes les contrées, remplies de rivières, de torrens & de montagnes. U faudroit envoyer dans de tels pays , ces hommes, qui, afïïs tranquillement dans leurs cabinets, décident que la terre eft précifément dans le même état, où elle a été il y a fix mille ans, & qui croyent étayer leur opinion en alléguant quelques anciens monumens confervés dans des lieux élevés, fans fe fouyenir d'une infinité de ces monumens qui relient éternellement enterrés. Pour les confondre, on leur montrera les montagnes bouieverfées & abaiffées par les eaux ; ou les Volcans qui en ont altéré la ftructure d'une autre manière; le changement du lit des rivières : la mer tantôt haulfée, tantôt rétirée ; enfin des exemples fans nombre de ces révolutions, dont parle rarement l'hif toire i & qui fe préfentent à chaque moment devant les yeux d'un obfervateur attentif & intelligent. La cafcade de Roçbislap offre un coup d'œil très-agréable : à la fin de l'automne & au printeins elle doit être magnifique. Cependant, fi l'on vouloit qu'elle ne fut pas fupérieure à la caicade de Terni, il faudroit la voir au milieu de l'été. Dans cet endroit la rivière ai 300 pas géométriques de largeur; un long pont de 60 arches, ouvrages groffier, &mal entendu des Turcs , la traverfe. Entre ce pont & la cafcade font des moulins, & par cette raifon l'eau fe partage en plufieurs canaux. Les terreins, quiféparent ces divifions, nourriifent une quantité d'arbres, qui deviennent très-beaux dans ces lieux fi bien arrofés. La verdure de ces arbres eft entrecoupée par la blancheur des eaux écumantes, qui tombent avec bruit d'une hauteur de ZO pieds, tantôt en ferpentant fur le rocher rapide , tantôt en fe précipitant en droite ligne. Toute l'eau fupérieure ne concourt pas à la formation de ces ruifteaux, qui embelliflènt la cafcade , une grande partie s'écoule par-deffous le rocher. Je crois pouvoir affiner pofitive-ment , que les différentes cafcades de cette rivière font produites par les rochers tombés des montagnes voifines. Autant que j'ai pu obferver, la Kerka ne forme des incruftations, que dans les endroits où elle rencontre des obftacles, ou dans des terrains inclinés, où fon cours acquiert plus de rapidité. Dans les plaines de Knin, elle ne pétrifie ni les plantes ni les racines qu'elle baigne, parce qu'elle coule lentement , dans un lit égal, fans rencontrer de la réfiftance. Ces incruftations de tuf trouvent au contraire dans les anfractuofités de ces maffes de Roc, qui forcent une partie de l'eau à refouler, un lieu propre à leur formation. Je foupçonne qu'aucune eau chargée de fucs pétrifiais, excepté, celle des bains chauds, ne laiffe fort dépôt dans les lieux où fon cours eft lent : ce dépôt, tant des froides que des- chaudes, fera toujours en raifon de la capacité & de Pinclinaifon des canaux par lefquels elles s'écoulent. Si le tuf de ces eaux acquiert quelquefois un plus grand volume dans des endroits où le cours eft moins rapide , celui qui fe dépofe dans des canaux plus étroits & plus inclinés, eft plus péfant & plus compacte. J'ai obfervé dans les grottes, que ces colonnes calcaires & pateufes, qui paroiifent fortir du fond des fouterrains, font d'une matière plus pure & plus compact e à méfure que les goûtes chargées de particules falines & cryftallifables, tombent d'une plus grande hauteur. Les incrultations formées, par un filet d'eau abondant , font toujours moins folides, & moins bien colorées. Les couches de brèche qni occupent les font-mets des montagnes, entre lefqueiles la Kerka coule dans une grande profondeur , paroiffent difpofées naturellement à s'écouler ; pas feulement les proches du rivage, mais encore celles qui bordent les vallons & les creux, par ou les eaux fauvages fe déchargent dans la Kerka. J'ai vu à la droite de Rochislap , une petite vallée toute parfemée de rochers tombés des hauteurs voifines : fur un de ces rochers on remarque les relies d'une infeription mutilée & dégradée. S- VIL Du cours de la kerka , jufqu'à la cafcade de S CARDON A. Le ruilfeau , ou pour mieux dire le torrent de Cicola fe jette aufli dans la Kerka, après avoir reçu les eaux du Verba, augmenté de celles du Alirilovich. Ce ruiffeau de Cicola a là fource au-deffous de Gradaz à quinze milles de Knin. Sur fon rivage droit eft fitué le bourg de Deruifb, abandonné par les Turcs, DE la K e K K a. I?f & occupé actuellement par les Vénitiens. La campagne , dépendante de ce bourg, eft extrêmement fertile & agréable. Peu loin de Der-nifb fe trouve la petite ville de Tribuje , où étoit probablement lituée la ville de Tribuli-uni des anciens : endroit où l'on découvre encore quelques miférables traces d'une habitation Romaine. Il y auroit bien des chofes à dire fur la mauvais direction de ces eaux, comme j'en ai dit quelque chofe de celles qui, du côté oppofé , forment la Butimfchiza. Elles pourroient devenir, pour cette contrée, une fource d'abondance, & elles font la caufe de fa mifere. En defeendant, on vient de Rofchislap à l'isle de Fiffovaz, qui n'eft que le fommet d'une colline , dont le pied fe cache fous les eaux. Des cordeliers l'habitent : religieux qui fup-pléent avec zélé au défaut de prêtres féculiers, dont aucun voudroit s'expofer aux fatigues que, dans ce pays, occafionnent les fonctions facerdotales. Dans cet endroit la rivière eft fort large, & elle coule lentement, pareeque la cataracte des moulins de Scardona, fituée cinq milles plus bas, refoule les eaux. Cette cafcade de Scardona eft la dernière & la plus magnifique de la Kerka : elle feroit plus belle encore , fi l'art ne profitait pas de l'obftacle naturel mis au cours de la Du cours rivière, en bâtifTant quantité de moulins. Près de cet endroit fe forme un tuf veiné, avec des grains falins interfperfés, qui, à la première vue, pourroit être pris pour du bois pétrifié. Les novices dans l'étude de l'hiftoire naturelle, prennent fouvent le tuf des dépôts des eaux pour, des pétrifications des matières ligneufes. Ils regardent comme des fibres du bois, ces divifions des couches des dépôts, provenues de la différence des matières qu'elles contiennent , & du tems où elles ont été formées. Quelques débris des Volcans, de certains Jafpes , & plufieurs cailloux, qui reifemblent aux nœud du bois, occafionnent fouvent des pareilles erreurs, dont il eft difficile de déf-abufer ceux, qui ne ramaffent pas eux-mêmes les foffiles dans les lieux de leur production, & fur les montagnes. Quelques auteurs, comme S. Gliubavaz & le P. Farlati , croyent qu'autrefois un Aqueduc alloit depuis la cafcade de Scardona jufqu'à Zara , qui en eft éloignée de cinquante milles. Ce qui les a trompés, ce font les reftes d'un pauvre canal de briques , qu'on trouve le long du rivage de la rivière , jufqu'à fon embouchure dans le lac ; mais ce canal ne conduif oit l'eau qu'à Scardona , comme l'indiquent fà conftruction & fa direction. J'ai parlé déjà de rimpoilibité de conduire les eaux DE LA K E R K â* 177 eaux de la Kerka à Zara , quand j'ai examiné quelques Aqueducs qui exiltent dans le diltricfc de cette ville. Scardona au contraire ne peut pas fe palTer des eaux de cette rivière : car les eaux du lac , dans lequel fe jette la Kerka, font en toute faifon, faumaches, & les fontaines , qu'on peut y avoir , ne fuffifent pas pour fatisfaire les befoins d'une ville peuplée. La Kerka , depuis fa fource à Topolyé jufqu'à fon entrée dans le lac de Scardona, ne parcourt qu'un efpace de 50. milles. En allant à cheval de St. Arcangelo à Scardona, à trois milles de cette ville , on rencontre un petit torrent, qui, parmi beaucoup de pierres communes, charrie des morceaux d'une terre bleue , endurcie & remplie de corps marins pétrifiés. Les indices de ces pièces éparfes, me menèrent dans les lieux où les couches de cette terre font à découvert, principalement fur la montagne à la gauche du chemin. Parmi les corps enveloppés dans cette terre, font des Numulaires, (tes Lenticulaires, des Porpites, des noyaux de Bucardites, & particulièrement des étoiles de mer. A Scardona j'ai trouvé beaucoup de Turbinites dans du marbre commun. Pas loin de ce petit torrent, dans un endroit nommé Ruppé3 on voit de grandes dents du Carcha* fias, conformes à celles que décrit Scilfa. Tom. L. M (tab. III. fig. I.) Je n'ai point pu vifïter cet endroit : mais des peribnnes dignes de foi m'ont allure que ces dents y e'toient en abondance. §. VIII. De la vilfc de SCARDONA: & de quelques paffages d'anciens auteurs fur la minéralogie de la DALA1ATIE. Il ne refte plus , hors «Je terre, aucun vertige reconnoiffable de l'ancienne ville, où du tems des Romains, s'alfembloient les états de la Liburnie. J'ai copié, cependant, deux belles infcriptions découvertes ici depuis plufieurs années, & confervées dans la maifon du Chanoine Mercati. Il eft à eipérer, que à mefure que la population de Scardona, & par conféquent la culture de fes environs, s'accroîtront , on découvrira à l'avenir plus fouvent des monumens précieux des anciens. Il eft à fouhaiter, que le petit nombre de per-fonnes inftruites, qui peuvent influer fur le gouvernement de cette ville renaiffante, donnent une attention particulière, à ce que les reftes de leur ancienne & illuftre patrie, ne dépériffent ou ne foient tranfportés ailleurs. On peut regarder comme honteux à Scardona, de la K e r k a, 179 qu'il n'y exifte actuellement que fix infcriptions liiibles : les autres, qui doivent J avoir été déterrées en quantité , ont péri, ou ont été envoyées en Italie, où elles perdent prefque tout leur mérite; Dans les environs de Scardona on trouve fréquemment des médailles Romaines, dont j'ai vu quelques-unes, aifez précieufes, entre les mains du prélat Trévifani, évêque , & pere de cette ville renailTante. Un des feigneurs des plus confidérables du pays , eut la p'oli-telfe de me faire préfent de plufieurs lampes fépulcrales, où eft marqué le nom du potier, Fortis : l'élégance de la forme des lettres prouve qu'elles font du meilleur tems. Les dévaftations réitérées, qui ont prefque détruit Scardona, n'ont lahTé fubfifter aucune marque de fon ancienne grandeur : aujourd'hui cependant elle s'agrandit peu à peu, & beaucoup de marchands de Servie & de Bofnie s'y éta-bliffent comme dans un port propre au commerce avec les provinces Turques de l'intérieur des terres. Mais elle n'eft pas fortifiée, quoiqu'en dife le P. Farlati (*). Dans tous mes voyages par l'Illyrie, il ne m'eft jamais arrivé de rencontrer une mine: (*) Ulyn Sacr. T. t. excepté une de fer, qui ne doit pas être éloignée de Scign , & dont, je ne fais par quelle raiibn , on m'a fait un myftere. On dit qu'à Hoton, où je n'ai pas été * dans le territoire de Knin, il fe trouve des mines un peu riches \ mais les gens avides & ignorans voyent de l'or & de l'argent dans chaque pyrite, Se l'on ne peut pas fe fier aux bruits populaires* Cependent , fur le témoignage de plufieurs auteurs anciens, il faudroit croire , que la Dalmatie a produit autrefois de l'or en abondance, Pline entr'autres , qui devoit être bien inftruit, rapporte que du tems de Néron on tira par jour cinquante livres d'or des mines de cette province, pareeque ce métal fe ramaffoit à fleur de terre, in fnmmo cej-pite. (*). Florus dit, que Fibius, à qui Auguste donna la commiflion de dompter les Dalmates, obligea ce peuple féroce à creufer des mines, <*) » Aurum qui quaerunt i ante omnia feguliuni » (ita vocatur indicium) tollunt. Alveus ubi îd eit, „ arenaïque lavantur , atque ex eo quod reiedit conjec-„ turacapitur utinveniatur aliquando in fumma tellure, „ penitus rara felicitate: ut nuper in Dalmatia , princi-„ patu -Neronis , fîngulis diebus etiam quinquagenas „ libras fundes , cum jam inventum in fumma cefpire Vtix.HiJi. Nat. X. 3j. cum C. 4.. & à purifier Par. Martial (*) appelle la Dalmatie une terre portant de l'or , & luivant fon ientiment, les environs de Salona, paroil-ferit fur-tout avoir mérité cette qualification : Ibis littoreas , Macer , Salonas ; Félix auriferœ colone terra. On peut conclure d'un vers de Stace , dans VÈpitbalame de Stella, que l'or de la Dalmatie avoit palfé même en proverbe : Robora Dalmatico lucent fatiata métallo: pacage qui femble prouver l'abondance de çe précieux métal dans cette province. Si un de nos poètes parloit du métal du Pérou , on comprendroit bien fon exprelTton. (*) Martial L. ïo, Epigr. 78. ♦ m 3 §. 1% Des bruits populaires touchant les minéraux de 1a DALMATIE. Malgré ces témoignages, qui ont nourri dans l'efprit de tant de perfonnes l'efpérance de découvrir des tréfors, je ne puis pas me periùader, que les montagnes, le long des côtes de la Dalmatie proprement dite, contiennent des mines d'or ou d'argent ; elles n'ont aucun caractère de celles qui produifent des minéraux. Dans l'intérieur des terres, la montagne de Promina, où étoit fîtuée l'ancienne ville de Promona, eft riche peut-être en métaux, comme l'aflurent quelques auteurs Dalmatiens. Je ne l'ai pas examinée avec tout le foin néceflaire, & dans toutes fes parties : mais je foupçonne que les Dalmatiens fe font trompés par le nom de la montagne, qui femble indiquer des mines, pendant qu'il dérive probablement , à prominendo. On m'avoit dit, que le ruiffeau de Hyader, qui tire fon nom actuel, Salona, des ruines de la ville voifine, charie tout le long de fon cours des pailletés d'or, & que les habitans des environs en ramaflent quelquefois avec profit î après des recherches fur la vérité de ce récit, je l'ai trouvé faux. Plufieurs perfonnes m'a- Voient affuré, & je trouvois ce fût encore conligné dans quelques mémoires manufcrits de la province , qu'il exifte au-delTus de Sibenico , dans un endroit, nommé Suhidolaz, une riche mine de Mercure : mais ce rapport eft encore fans fondement. Mes recherches fur ces objets n'ont eu jufqu'ici que peu de fuccès. On ne connoit gueres, il eft vrai, ce vaite pays dans tout fon détail, & je n'en ai parcouru qu'une partie : je fuis cependant en droit de croire qu'il ne fe trouve point de mines dans les montagnes calcaires des bords de la mer, ni dans celles des vallées arrofées par la Kerka & la Cettina. Les mines des anciens doivent avoir été plus ayant dans les terres , d'autant plus que les confins de la province s'étendoient autrefois loin dans l'intérieur. S'il eft vrai que la rivière Travnik en Bofnie charrie des pailletés d'or, il taudroit chercher le long de fon cours, & aux environs de fa fource , la riche mine dont Pline a parlé. J'ignore fi cette rivière eft la même que celle, d'où jaillit, à quinze mille de la ville de Travnik, une fource minérale, avec tant de force que fon jet s'élève beaucoup au-delTus de l'eau courante. Les Bofuiens, comme on me dit, fe fervent de cette eau minérale pour guérir la lièvre tierce : quand on la tranfporte, M 4 elle fe trouble & dépofe un fédiment ferrugineux. Autant qu'on peut juger par des relations , la Bofnie eft bien pourvue de miné* raux. Il y a dans ce pays une riche mine d'argent, d'où l'endroit où elle fe trouve porte le nom de Srebramiza, qui lignifie, Srebro étant le terme pour exprimer l'argent dans tous les dialectes de la langue Efdavone, terre cPargent. J'ai eu un échantillon de ce minerai, qui reiTemble à l'argent natif du Potofi. Il eft ramifié comme la moufle, & il eft combiné, fans être mêlé, avec un pur Quarz jaunâtre. On m'a raconté beaucoup de chofes encore à l'égard de l'hiftoire naturelle de la Bofnie : mais, fâchant par expérience combien une prudente incrédulité eft nécef-faire dans les matières de cette efpèce, je me fais de la peine de répéter ces rapports, dont je n'ai pour garant que la bonne foi d'autrui. Si les détails minutieux, dans lefquels je fuis entré quelquefois, vous ont ennuyés, vous ne les défapprouverezpas néanmoins en entier. Vous croyez, comme moi, que l'exactitude eft la qualité la plus néceffaire à un obferva-teur, qui cherche le bien public, & qui indique ce qui eft relatif à l'agriculture , & a l'avancement des fciences, en décrivant à cet effet, avec précifion, les productions de la nature. Dans mon voyage je me fuis propofé encore de rectifier les méprifes des auteurs, qui ont parlé des ces contrées fans connoiflance de caufe & qui déroutent le voyageur en confondant les noms des lieux. Je n'ai point cru devoir négliger les reftes des anciens établif-femens, dont la connoifiTance peut nous guérir de nos préventions ordinaires contre la Dalmatie ; où les Romains, li elle étoit un pays horrible comme on fe plait à la dépeindre, n'euflent pas mené tant de colonies. Quoique je connoiffe l'influence médiocre & tardive qu'un livre peut avoir fur les affaires & les opinions publiques, je fens néanmoins un plaifir fecret, en penfant que mon ouvrage pourra un jour produire quelque bien aux Dalmatiens. Je me croirai le plus heureux des hommes, fi avant de difparoitre fur la terre, je puis croire que mon exiftence n'a pas été inutile. LETTRE IV, A V A B B É GABRIELLO BRUNELLI, Profeffeur en hiftoire naturelle, DANS L'INSTITUT DE BOLOGNE, fffe^-^^^^==— Du comté de SIBENICO, ou SEBENICO. Y —lîl—£'interruption, que mon voyage en Dalmatie a caufée dans le commerce qui fub-fifte entre nous depuis tant d'années, ne vous rendra pas indifférent au réfultat de mon entrepriie. Vous êtes d'ailleurs mieux en état, que peribnne, de goûter la variété des détails qui doivent entrer dans ma relation de ce voyage. Vous me permettrez donc de vous DU COMTE DE SEBENICO. 187 en adreffer une partie, comme une preuve de mon eftime & de mon amitié, & comme une marque de ma reconnoiffance pour les nouvelles intérelTantes, que vous m'avez û fouvent communiquées. §. L Du territoire & de la ville de SIBENICO. Entre toutes les provinces de la Dalmatie, que j'ai vifitées, le territoire de Sibenico eft fans contredit celle qui mérite le plus d'occuper longtems un obfervateur attentif Sa longueur eft de trente bons milles en fuivant les-bords de la mer, & fa largeur, en avançant dans les terres, eft de vingt-milles dans quelques endroits : il embraffe près de feptante-milles, en comptant les isles & les rochers habités. Cet efpace eft rempli d'une grande variété d'objets, & de beaucoup de fituatjons très-agréables. J'ai eu le bonheur de trouver dans ce pays un acceuil poli, & d'v acquérir Un certain nombre d'amis actifs & honnêtes, parmi lefquels je me fais honneur de nommer la famille du comte Francefco Draganich Fe-ranzio , & le comte Giacinto Soppe Fapali, rempli de çonnoiffançes convenables à un voyageur. Ces avantages de Sibenico m'eulfent engagé à y fixer mon féjour pour quelques mois, & de faire de cette ville le centre de mes excurfions tant fur mer que dans l'intérieur des terres : mais la crainte d'être blâmé, m'arracha de cette contrée, Se me força de me contenter d'avoir commencé beaucoup d'obfervations fans en pouvoir achever prefque aucune. Cet aveu ne furprendra ni vous, ni aucune homme accoutumé à obfer-ver, & qui fait par conféquent combien de tems exigent les plus petites recherches pour être bien conduites , & complètement exécutées. La ville de Sibenico, éloignée de Zara de quarante-cinq milles en droite ligne, ne peut pas fe vanter d'une illuftre origine. Ceux qui la croyent bâtie fur les ruines de l'ancien Sicttm, établifTement Romain , où l'empereur Claude envoya une colonie de Vétérans (*), appuyent leur fentiment de raifons fi foibles qu'elles tombent d'elles-mêmes. La table de Peutinger ne met aucun endroit en Dalmatie , dont le nom reflemblat à Sicum que Sklis, qu'elle place entre Trait Se Salona. C ) Tragurium, civium Romanorum marmore notum: vMcum, in quem locum Divus Claudius veteranos mifit. BON. H. N. L. h a 22. Aucun veftige d'une haute antiquité, ni reftes de murs ou de bâtimens , ni pierres travaillées par les Romains , ne le trouvent à Sibenico. On y voit une feule infeription, encadrée dans le mur de la ville près de la porte ; & ce monument même a été apporté de l'intérieur du territoire d'un endroit, nommé Campo di fopra , où dans les anciens tems étoit probablement fitué Tariona. Lucio croit que les Croates bâtirent Sibenico , dans les tems de la décadence de l'empire. Un autre écrivain , vivant un fiécle avant lui , J. B. Giustiniano , dans une description manuferite de la Dalmatie, dit : „ Cette „ ville fut bâtie par des Brigands \ nommés „ Ujcoqnes en Efclavon, qui avant de bâtir „ demeuroient fur le Rocher où eft actuelle-„ ment la citadelle. Quand de cette élévation „ ils appercevoient des vaiilèaux, ils décen-» defeendoient de leur répaire, & alloient 5S dans des barques , cachées auparavant au „ pied des rochers à la faveur des bois, „ attaquer & piller ces vailTeaux. Avec le tems „ il commencèrent à ériger quelques cabanes, „ entourées de perches appellées Sibice ; mot « d'où la ville tira fon nom Sibmico. Par la „ réunion de ces corfaires la ville augmenta s> peu à peu. On croit encore que, après la déftrucfion de Scardona, beaucoup de fes Du comté „ habitans fe retirèrent à Sibenico, qui ayant „ acquis le titre de ville, fe forma en repu-^ blique \ fans reconnoitre un autre fouverain. „ Sa liberté cependant ne fut pas de longue „ durée : le roi de Hongrie, maître alors du „ relie de la Dalmatie , s'en empara, & la „ gouverna d'nne manière tyrannique. Les „ citoyens de Sibenico, ne pouvant plus fu-„ porter l'infolenc'e des Hongrois, prirent la réfolution de s'en délivrer , & de fe fou-,, mettre à cet effet à la république de Vénife, „ Ils exécutèrent cette réfolution le 12. Juillet v „ 1412. fous le Dogatde Michel Sténo". Quelle que foit l'origine de cette ville ou femblable à ceile de Rome ou par des accroiffemens lents, elle eit dans la iituation la plus agréable & la plus pittorefque de la Dalmatie. Elle eft auffi, après Zara, la ville la mieux bâtie du pays, & peuplée de plufieurs familles nobles, dont les mœurs font auffi différentes de l'ancienne barbarie, que leurs maifons le font des miférables Sibice du tems paffé. La citadelle, placée fur la montagne voifine , peut la couvrir contre toutes les entreprifes des Turcs. PoUr la défendre du côté de la mer, on a eonftruit un autre fort fur le canal étroit qui conduit au port: ouvrage très-bien fait fous Ta direction du célèbre Samjkicheli 9 qui y bâtit auffi une porte femblable à celle de fa conftruction qu'on admire à Vérone. Parmi les édifices de Sebenico, la cathédrale, quoique bâtie dans les fiécies barbares * mérite d'être vue , à caufe de fa magnificence. Son toit eft d'un travail aufli hardi qu'aucun des anciens Romains : il eft compofé de grandes tables de marbre jointes artiftement. Dans le feiziéme fiécle, les lettres & les arts fleurirent dans cette ville $ plus que dans aucune autre de la Dalmatie. Elle a produit plufieurs hommes illuftres , & fes bâtimens font un monument du bon goût en architecture, qui y a régné. i IL Des favans Êf des peintres qui fleurirent à SIBENICO dans le feiziéme fiécle, Antoine Veranzio de Sebenico mérite î fans doute la première place entre les hommes illuftres originaires de la Dalmatie. On trouve des notices de ce grand homme dans plufieurs ouvrages de fes contemporains, & dans quelques écrivains poftérieurs qui ont écrit fur l'hiftoire de la Hongrie (*). Mais perfonne (*) Belius dans fa Iîimgaria nova. P> *■ Schmiï Du comté. n'a donné exprefiément Phiftoire de la vie de V?ranzio, qui avoit cependant joué un rôle, & brillé comme homme de lettres & homme d'état. J'ai cru vous faire plaifir, en vous communiquant en abrégé les mémoires que j'ai extraits des manufcrits, confervés dans la famiile des comtes Draganich Feranzio. Antoine Veranzio naquit le 29 mai de l'année I f 04, de Eranqois Veranzio, gentilhomme de Sebenico , & de Alarguerite Sta-tileo , d'une famille noble de Trau. Il paffa fa première jeunefle à Trau chez fes oncles maternels : mais bientôt revenu dans fa patrie, il eut pour précepteur Elie Tolimer, dont j'ai vu en Aïs. d'alTez bonnes poëfies latines. Après avoir fait des progrès fuffifans en grec & en latin , il quitta la Dalmatie pour fe rendre chez un coufîn du côté de fa mère, Vêvèque de Fefprin Pierre Berislav, natif de Trau : il prit à cette occafion fes premières leçons dans l'art militaire. Cet évêque guerrier ayant été maffacré en I f 20. par les Turcs, Jean Statileo , évêque en Transylvanie, fort ans Archicpifcopi Strigonienfes compcndio datif ébau-lerent la vie de Veranzio : mais tous les deux font tom-is dans des grandes méprïfes. Szentivani le croyoit iginaire de la 2'ranjylvamc. ds Sibenico* îS>1 fort accrédité dans la cour du roi de Hongrie * appella chez lui fes deux neveux Veranzio , lavoir notre Antoine & fon frère Michel. Un des premiers ouvrages de notre jeune homme, fut la vie de fon coufin l'évoque Berislav : ouvrage que cent ans après Tomco Marnavicb s'appropria impudemment, fans y mettre du lien prefque une parole (*), Environ dans ce tems-là Antoine Feranzio fut envoyé à Padoue : mais les troubles fur-venus en Hongrie le rappellerent bientôt. Il paroit probable qu'il a continué fes études à Vienne, & enfuite à Cracovie: au moins fon frère Michel fréquenta ces deux univerfités. Revenu en Hongrie il montra une patience héroïque , en fupportant l'humeur de fon oncle , homme dur & avare, quï maltraita ces neveux ; ce que Michel ne pouvoit pas fuporter. Antoine fe fit aimer d'Etienne Broderie}) évoque de Waitze, C qui ayant combattu à la malheureufe bataille de Aîobacz en a lailfé une relation manuferite)* & du célèbre religieux George Utijfem; tous deux très-puiffans auprès du roi Jean de Sccpus. (?) Vita Pétri Berislavi, Vefprin. Epifc. Sclav. DaîmaÈ & Croat. Bani ; auftore Joh. Tomco MarsavitiO, 8 Venerjis. 1620. Tom. I. N Ce malheureux monarque employa, depuis l'année If28. Veranzio dans plufieurs négociations épineufes avec les puifiànccs voifines. Il le fit fon fecretaire, & lui donna la prévôté de Bude : places, que Veranzio obtint par les bons offices de l'évéque Broderie, & dont il le remercia dans un élégie latine. Il alla en Tranfylvanie comme commiffaire du roi pour y exercer, à la place de ion oncle Statiles + les fonctions efpifcopales. Dans ce pays* comme il paroit par les papiers, il ne fe contenta pas de copier de nouveau les infcriptions découvertes : mais il en déterra encore un grand nombre, en faifant creufer dans tous les endroits où fe trouvent des ruines Romaines. Après la levée du fiége de Bude, il fut envoyé en If30 , deux fois vers Sigismond roi de Pologne, & deux fois auili vers la république de Vénife : l'année ftiivante vers les papes Clément VII & Paul III ; & à peine revenu en Hongrie de nouveau vers Sigismond. Il paffa , vers la fin de l'année If34> en France comme ambaffadeur auprès de François I, & de - là en Angleterre auprès de Henri, où il fe trouva en If^f au mois de Janvier. Dans cette époque , il fe lia d'amitié avec Erafme, & commença à eftimer Melanch-tou. Le comte Draganich Fcranzio poffede de S t b e n î c Ô<" Î9f une lettre du premier, & dans les poëfies d'Antoine fe trouve une épigramme à la Ion-* ange du dernier; Dans le teftament qu'il fit avant de partir pour la France, on lit ces paroles remarquables : „ Mibi, fi moriar t „ pompas fepiilchrales, atii Miffas fieri nolo „ allas. Hôfpitale pauperùm jitvetitr. Ego i, conterûus ero fi in Domino moriar Après ij fon retour il fut envoyé -y avec deux autres i, ambaffadeurs, à la cour du roi Ferdinand : mais fans réuflir dans fa eommilfion; Le roi Jean mourut en 1f 40, & Veranzio ± dont il exifte deux longues lettres fur cet événement, écrite à Jean Statileo alors am-balfadeur en France, paroilîoit inviolablement attaché à la reine veuve Ifabelle, & à Jean IL fon fils mineur. En If43. cette reine l'envoya pour la huitième fois en Pologne, & la harangue qu'il fit à cette occafion, qui, enpréfen-tant un tableau frapant du trifte état de cette malheureufe reine, arracha des larmes à tous les auditeurs, fut imprimée à Cracovie. Après un court intervalle i il fut dépêché, la même année, au roi Ferdinand, qui le traita de te manière la plus gracieufe, & l'admit à fa table, Depuis cette époque il paroit avoir commencé a fe refroidir à l'égard d'Ifabelle > dont les affaires alloient au plus mal poflible. Dans l'année 1 f 44 « il fe démit, en faveur de George Utifi N 2 196 DU C O M T É fini , de fes bénéfices en Tranfylvanie • ce qu'il fit contre fon gré, comme il paroit par un dialogue qu'il écrivit quelque tems après. Malgré ces mécontentemens, il relia quelques mois encore à la cour d'Ifabelle, & alla pour la neuvième fois en Pologne pour traiter des affaires avec le roi Sigismond. Cette commiffion finie, il prit fon congé,& pafla à Sibenico, d'où il partit cependant bientôt, enmenant avec lui deux ou trois de fes neveux. Il féjourna, fuivant les apparences, en Italie jufqu'en If49, quand il fe retira à la cour du roi Ferdinand. Ce prince lui donna des bénéfices affez confidérables, & commença à l'employer à fon fervice. Ii fut envoyé en . Kf3 , à Aly-Bâcha, Beglerbeg de Budè, & déclaré la même année évêque de cinq-églifes & confeiller d'état : peu de tems après il alla , conjointement avec François Zay, , ambafladeur en Turquie. Il doit avoir écrit une relation affez étendue de ce voyage, dont il ne fubfifte plus qu'un fragmeut inté-reliant (*). (*) La plus importante partie de la relation de ce long & dangereux voyage, fut confiée au Jefuite Riceputi, pour en faire ufage dans fon ouvrage projette de Ulyrico laçro. Mais ces papiers eurent le fort des autres, qu'on lui avoit remis : ils s'égarèrent en Italie. Veranzio fui vit Soliman dans fes guerres contre les Periâns , & parcourut , pendant cinq ans, avec l'armée Turque plufieurs contrées. 11 profita de ce long féjour pour ramaifer beaucoup de mémoires touchant le gouvernement & le militaire des Turcs , & touchant la defcription géographique des provinces fujettes à la porte. Busbeck, de qui nous avons plufieurs ouvrages, fit dans ce tems-là de fréquentes allées & venues entre Vienne & la Turquie, & conclut à la fin une trêve : fuivant le témoignage de Busbeck, peu après Veranzio & Zay revinrent en Iff8 , les derniers jours du mois d'août. Avant l'année écoulée il fut transféré de l'évêché de cinq-çglifes à celui d'Agria, L'année fuivante il reçut une lettre du favant Paul fflauutius, & quelques teins après une autre du célèbre & infortuné Palearius. Dans les papiers, que j'ai en main, je ne trouve plus rien de remarquable jufqu'en If67, quand notre évêque retourna en ambaffade en Turquie au nom de l'empereur Maxmilian II. En peu de mois, il conclut une paix ayantageufe à toute la chrétienté : cette féconde ambaffade fut célébrée dans une élégie par Jean Seccerviz. Dans fes deux voyages à la cour Ottomane, ce favant prélat, aura fait, fans doute, une collection de manufcrits précieux : elle n'exifte N 3 ■ Î5>8 Du c 0 m t■ i plus, & le tems l'a fait difparoitre, Il a cepen, fiant allez prouvé fon amour pour les lettres, par la traduction qu'il fît faire des Anales Turques , dont il avoit découvert le manufcrit h Angora. Ce manufcrit, qui le conferve encore parmi fes autres papiers à Sibenico, eft le même, d'où Leunclavius (*) a tiré la plus grande partie de fon ouvrage, & qui eft connue des fayans fous le noni de Codex feranziauus. Revenu à la cour* il ne tarda pas à. rece-, voir ia réçompenfe due à fes fervices. 11 fut déclaré Archevêque de Gran, en If69 , & à. cette dignité, la première du royaume, i\ joignit encore en If72, cçlle de vice-roi, JLa même année il couronna l'archiduc Ro* dolfe y Roi de Hongrie : & la harangue qu'il prononça dans cette occafion au nom des ptats, fut imprimée à Venife. Jean Seccerviz, publia à Vienne un Panégyrique en vers latins, intitulé Feranzius, auquel il joignit quelques poëfies d'auteurs Allemands. Ferdizotti inU prima \ Venife un poëme adreffé à l'arche% yéque Feranzio, fur la victoire remportée fur les "Jures par la flotte Vénitienne (**), ■gara .....j. ■„ ..■ ■ g....... j, ri « bct......■-.'■ n______.......... (*) Leunclav» Hift. Turc. Ut. i. p. Ji, (**) Jefit Fçrdmtti Qlffltotà prp magna nayali vie. £u commencement de If 73 , Pierre Jllicimis lui dédia un ouvrage de théologie. Plufieurs autres livres auront paru, fans doute, fous les aufpiçes d'un prélat généreux protecleur des lettres. Mais çe prélat approchoit de la fin de fa carrière laborieufe. "Venu à Ëperiespour affilier h l'aflemblée des états du royaume, il tomba malade. Au commencement il prit des rente* des : mais fentant fon état empirer, il congédia les médecins, & attendit la mort avec tranquillité. Il mourut le lf juin de If73 > peu de jours après, avoir reçu une lettre affeclueufe du pape Grégoire XIII, qui lui anonçoit fon élévation au cardinalat, dont il étoit fi digne par fon mérite. Les favans perdirent en lui un véritable mécène, les pauvres un pere charitable , & la Hongrie un homme d'état confommé. Il fut enterré dans l'églife de Tir nau , & fon tombeau décoré d'un beau monument. Michel Duborotzky prononça fon oraifon funèbre. Outre les écrivains déjà cités, comme Belius, Schmit \ Busbeck , Ma-îiutius, Seccerviz, plufieurs auteurs parlent encore avec éloge de cet illuffre prélat : tels toria &c. ad Antonium Veranzium StrJg. Archiep. Vert. is7s. N 4 *°Q Du COMTÉ font Bonjinius dans fes Décades Hnngarica:; & lfiitamji fon continuateur ; Jongelinus dans le Cataïogîts Palatiuorum , & l'auteur du livre intitulé, Cafirtim Strigcnienfe atireum. Le cardinal Veranzio étoit d'une taille haute & bien proportionnée ; il avoit le teint délicat, les yeux bleus, la phyfionomie noble Se ouverte, & la barbe blonde, qui lui defeen, doit jufqu'à la ceinture. Dans fa jeuneffe il paroit avoir été d'un tempérament amoureux, Se les vers galants, qu'il a laiflësen quantité, ne doivent pas avoir été adreflès toujours à des maitrelfes imaginaires, A un extérieur avanta, geux, il joignoit à un degré eminent le talent de la parole , qui, comme il l'a voit, dès fa jeuneffe , rendu agréable à plufieurs fouverains, lui aura allure aufîi fes fuccès en amour, Ses manières douces étoient l'expreffion naturelle de la douceur de fon caraâere , & la patience qu'il montra à l'égard de fon oncle Statileo p'étoit pas un effet de fon adrelfe. Comblé de richeffes & de dignités il ne s'en enorgueillit pas : fa grande fortune fembloit, au contraire, renforcer ces fentimens de modeftie & de tienfaifance. JJ donna une preuve rare de générofité en faifant préfent à l'empereur Fcrdhwid&z 30000 Ducats, qu'il avoit avancés pour payeç Jes troupes dans un tems où Ï^S fittStlCes du flionarque étoient en mauvais DE SlBBNïCO, 201 état. A caufe de fon humeur libérale , on fut obligé , malgré les revenus immenfes dont il jouilToit du tems de fa mort, de vendre fes meubles & fa vailfelle pour pouvoir payer fes dettes. Dans les affaires politiques il mon-troit la plus grande pénétration : fuivant fon opinion on n'auroit jamais dû s'engager dans une guerre contre les Turcs, fans avoir formé auparavant une confédération fiable & puif-fante entre les princes chrétiens. ■ Quoique accablé d'affajres, il conferva toujours un gout décidé pour les lettres, & fut fe ménager des momens pour s'y appliquer. On a de lui en manufcrits les ouvrages fui* vans. 1. Vita Pétri Berislavy. 2. Iter Buda Hadrianopolim. 3, De fitu Moldavie & Tranfalpinae. 4, De rébus geftis Johanis Régis Hungariae; Libro duo, f. De obitu Johannis Régis Hungariae, Epiitolaç ad Johannem Statilium, Epif-copum Tranfylvanum datœ, dum idem Statilius in Gallia oratorem ageret. A. If 40. 6*. Animadverfîones in Pauli Jovy Hifto* riam , ad ipfum Jovium. 7 De obhdioue & interceptione Buda3, ad Petrum.Petrovich. 8. Vita F. Georgy UtiflTeny. 9. Collectio antiquorum Epigramatum. ïo. Multa adhiitoriam Hungaricam fui tem-poris. II- Otia , fsu Carmin a. Michel Veranzio, frère du cardinal, ne joua pas un rôle auffi brillant. Las de ftu% porter la mauvaife humeur de fon oncle Statileo , & vivant défagréablement en Hon, grie , il retourna dans fa patrie, à Sibenico. Son ftile, tant en vers qu'en profe , étoit plus pur que celui de fon frère. Tomco Marnavicb cite un ouvrage de Michel, fur Ihiftoire de Ici Hongrie de fon tems : mais il n'en exilte plus qu'un fragment, qui va jufqu'à l'année inô~. J'ignore fi l'on a quelque chofe de lui imprimé, excepté^' une élégie parmi les poëfies latines de Jérôme) Arconati. 11 laiffa quelques autres pièces de poëlle affez élégantes ; & une harangue adrelfée aux Tranfylvains, dans laquelle il tache de les perfuader de fe mettre plutôt fous la protection des Turcs, que de devenir fujets du roi Ferdinand. Fanjle) Se Jean Veranzio, fils de Aliçhcl, durent leur éducation à leur oncle le cardinal, qui fe chargea de fes neveux. Jean fut tué jeune dans une bataille , & laiifa quelques épigrammes. Fanjle parvint à un âge avancé, Sç eut pu, efperer du bonheur & de la fortune, DE-'SïBSVIC'O. £OJ fi, par un effet de fon tempérament ardent, il n'eut été imprudent & inquiet. Il eut beaucoup de chagrins, pour avoir commis étourdiment la cour de Hongrie avec celle de Rome , à l'occafion de la collation des héneffc ces, Il mourut évêque de Canadium , in partibus. En I f 9f, il publia à Venife un petit diclionaire en cinq langues; quelque tems après un volume in folio , fous le titre Délie Machine, & enfin une petite logique abrégée. Par le moyen de ce dernier ouvrage il entra en relation avec deux hommes célèbres, le F. Thomas Campanella & l'archevêque de Dominis. De l'un & de l'autre, il exifte une critique de cette logique dans les papiers de la famille Veranzio. Fanjle écrivit beaucoup : entre autres une hiftoire de la Dalmatie, qu'il ordonna de mettre avec lui dans le tombeau, Ses héritiers refpe&ejrent cette finguliere difpofition, & cette déférence fit périr peut-Être en même tems d'autres papiers précieux de l'oncle & du neveu. Ce dernier mourut en I Çi 7, & fut enterré dans Pisle de Parwich (*). (*) Outre les ouvrages allégués, Faujic Veranzio publia à Jtome , Xivot nikoliko izabraniih diviicz, 8. 1606. Il laiiTa aufli en Ms. , Régula Cancclfari* W$niHungarti, > ■ Tomco Marnavich prononça fon oraifon funèbre , qu'on imprima la même année à Venife, Châtie Veranzio, neveu de Fanjle, ne laiffa aucun ouvrage ni imprimé ni manufcrit : mais il protégea les lettres, ralfembla une belle bibliothèque & fut grand connoiffeur en fait d'antiquités, Tomco Marnavich naquit en I f 79 , de parents de baffe extraction, quoique dans la fuite du tems il ait prétendu être iîfu de fang royal ; folie qui lui attira les plus grands chagrins. Il reçut fon éducation des Jéfuites à Rome, & déjà en 160? , il avoit mis au net un manufcrit volumineux, de Illyrio Cxfari-bufqiie Illyricis, qui exifte encore quoique un peu tronqué. En 1617, il fe trouva attaché à l'évéque Fanfie Veranzio. C'eft en cette occafion , en furetant dans les papiers de cette famille, qu'il peut avoir détourné des manuf-crfts importons. On eft en droit de le préfumer par le plagiat qu'il commit à l'égard de la vie de Pierre Berislav : il publia cet ouvrage en J6Z0 , fans autre altération, que peu de périodes changées, qui auroient pu déceler fon véritable auteur le cardinal Veranzio. Entre plufieurs ouvrages imprimés de Marnavich, le meilleur eft une differtation, pro facris ecclefiarum ornamentis & donariisc contra eorum detractores, in S- Roma\6$ï' Il étoit alors évêque de Borna. Peu de tems auparavant il avoit mis au jour un légendaire des faints Illyriens de fang royal , fous le titre, Regiœ SancJitatis Illyricanœ feciinditas. in 4to 1630. Parmi ces faints fe trouve l'empereur Conftantin , à qui, comme on fait, cette dénomination ne peut guercs convenir. Les autres ouvrages de cet auteur ne méritent pas qu'on en fane mention. Jaques Armoluficb, élève de Charles Fe-ranzio, fit beaucoup de vers , qui ne font pas imprimés. En I6^h il publia à Padoue in 4to > Slava xenska fprotivni odgovor, Giacova Armolujichia Scibenzanina quitu fef-tomu. Gitarin Tihich, en latin Tranqidllus, vécut au commencement du feiziéme fiécle , & lailfa en Ms. des poëfies facrées. Pierre Difnico, contemporain des deux premiers Feranzio, écrivit quelques poëfies en Illyrien. Un autre lavant doit être forti de cette famille : mais j'ai cherché en vain d'apprendre des particularité qui le regardent. Jean Nardino , & George Sifgoreo firent en vers latins des éloges de la ville de Sibenico. Ces poëmes font difficiles à trouver. lierres Macroneus, natif de Sibenico & chanoine à Scardona , quoique nommé le dernier vécut dans des tems plus reculés. A Du G O 61 T E Vienne dans la. Bibliothèque de Laurent Fere?wzfi, il y avoit en If5?4 , encore plufieurs productions de cet auteur, mort Ifo. ans auparavant. Un feul petit ouvrage fin* gulier de Macroneiis, fa voir, Controverjia Lyœi Tetidis . eit imprimé en 163 4 à Vienne. C'eft un paftiche de palfages de l'écriture , parodiées & accommodées à ce procès qui fe plaide devant le tribunal de Dieu. L'auteur paroit écrire férieufement & de bonne foi : mais aujourd'hui on le foupçonneroit d'avoir voulu faire une mauvaife plaifanterie. Martin Rota, aufli né à Sibenico, fut un habile peintre & graveur : on a de lui un grand nombre d'eftampes, & des cartes de la Dalmatie, qui, quoique peu exactes , font pourtant de quelque utilité. Trois portraits gravés du cardinal Feranzio, eonfervés dans là famille 4 font de la main de ce maître. A Sebenico vit encore le jour , André, né de parens obfcurs, & furnominépar cette raifon, il jehiavone ; excellent peintre, dont les ouvrages font eftimés des amateurs , malgré le jugement défavantageux que Vajari en porte. de S i b e h; i ç 03 §• IIL Du port de SIBENICO; du lac de SCARDONA, fèf d'une eotitume ancienne. La ville de Sibenico eft fîtuée fur le penchant d'une colline, derrière laquelle s'élèvent les Monti Taitari, chaîne de montagnes efcarpées , compofées d'une brèche graveleufe. Au pied de cette colline fe trouve le port, un des plus beaux qu'on puhTe voir , à caufe de la variété des collines & des petits caps qui l'entourent en guife d'amphithéâtre. Trois rivières la Kerka, la Goducchia & la Jujova, fe jettent féparément dans le lac de Scardona : leurs eaux réunies font , à l'autre extrémité de ce lac, une nouvelle rivière, qui aprè? un cours de trois lieues dans un lit étroit & rempli de rochers, forme au-deffous de Sibe-1 nico un fécond lac de dix milles de' longueur, qui communique avec la mer par le canal de St. Antonio. Entre les embouchures des deux rivières de Goducchia & de Jujova , les Romains avoient un établiffement, dont il refte peu de veftiges : ces veftiges font néanmoins dignes d'être remarqués, parcequ'ils fournirent une preuve claire du hautement des eaux. Les pavés de Mofaïque , # les réparations des Du comté apparterriens ruinés, font au moins de deux pieds au-deifous du niveaux actuel du lac, qui, à Caufe de fa connexion avec la mer, éprouve le flux & le reflux. Il exiite encore fous l'eau une digue, qui joint la langue de terre, entre les embouchures des deux rivières, à l'écueil de Suftipauaz, où l'on voit les ruines d'une églife, & où étoit placé autrefois , fuivant les apparences, un temple ancien. Dans une carte du territoire de Sibenico, gravée par ce Martin Rota, dont nous avons parlé, on voit un hameau fous le nom de Razlina, placé fur la pointe qui s'étend dans le lac entre les deux embouchures, à la même place, où fe trouvoient les habitations Romaines. Cet endroit eft à préfent entière-ment défert. Parmi les poëfies de Difnico, il y a un éloge de Sibenico, qui contient plufieurs traits relatifs à Phiftoire naturelle de ces environs. Je n'ai point cru devoir négliger de rapporter un paifage, quoique un peu long, de cet ancien poëte naturaliîte » La Kerka, erka, Koye potok ~plove fve mimof Grad, U^iioy clriye Otok -nigdarga nebi giàd. •KikaKatka ovay,-fpilahKapgliuch ozgor, 93 Kerka-, dont le cours permanent baigne le „ pied des murs de la ville, renferme une isle, „ la où la grêle ne tombe jamais; Cette rivière „ fort; en murmurant, de tous les côtés des „ grottes humides, où nait le marbre : chacun „ accourt pour voir le prodige, quand fes n eaux changent le bois en pierre. C'eft à s, toi, ô Sibenico 1 que cette rivière amené „r des Anguilles, dont la chair n'empire pas „ les fièvres, & au-delTus de fa grande eata- „ racle fe trouve la fameufe Truite ,■ qui fe „ nourrit d'or. Le long de fes bords habitent Slove po fvaki Kray - chino ftuara mramor. ÎSÏa qudan pak Zlamen - fvakse tuy navrachià. Gdi darvo u Kamen - ta y voda obracchià, Utoyti yofç ricy— ugori padayu, Kogi no oghnici - betegh ne pridayu, Riche tey yofe nad slap« riba slavom 4ove Pa kinum yere Kgliap - Zlatnorhfe tuy tbvës Tuyufu pli brez itraha — chino fauerexe Na Turka i Ulaha - i ugiftgih prexe. Yezero'nam blatno fedmo lito fvih ftrari Ugore tad yatno- mecchie iz febe van. Raczi yofcltonoghi-KOzzice chih Zovu* Od pegliafu mnoghi — i ti pri nas plovu. Pii gràdu ovomu - Zubataz Krunnaffi A ne poi inomu -- naydefe u Çafti. 1 toyepodobno-caftfe taypriftogi, Ofti er ofobno — 's Kragliém broy rib ftogï^ Che ima fuudmore - nay plemenitîye Ofdi Krâglia dvore — paiVom iVaka tiye. Pitonamancudno ~ piskava riba tay, Tom. I. O ÛU C o XL t Û ,i des chiens courageux, qui frémiiTcnt uni-„ quement à la vue du Turc & du Morlaque „ fon fujet 3 & qui font prêts à les mordre; „ De fept en fept ans, le lac marécageux „ chalfe de fon fein , pour nôtre ufage, des „ elTaims d'Anguilles. Des Cancres à cent „ pieds , longs d'une palme nagent devant „ nos yeux. Le prilfon couronné fe trouve „ ici plus exquis qu'en aucun lieu du monde. „ Il eft jufte qu'il fade honneur à cet endroit: „ car ici accourent en grand nombre les plus „ nobles poiifons de la mer pour faire la „ cour à leur roi : ils errent dans leurs patu-„ rages, de forte que l'habitant des eaux Ghdici prirazbludno- na fuhi doyde Kray, Ayofcchie «judnigi --fluor, ofdi Yidifce. Alorfchi çlovich dlugi - bi Kog nhitifce. Morenam pri Kmzih -- ima Korotagne Zaloxay od druxih- trifu a, ne magne. Od tach yofc vuglie — moranamfu ftrane Danarrt od Kuraglie - u gni ràftu grane. Dalece od mora- frid Kopnafu vode Nanachefu ftaora-i folnam tuyrodè. Ohualnoga foka - sladorizna vide Srimçanam otoka- glas po fuitu ide. Vifcega ppnofa-Kopnaye yofc ftrana. Alednaborkm rofa- tny pada tay Mana. Ofdi Xena tuy (Vu — fminofc slobodi Odrizat mater fuù **. ter xive ihodi. Ofdi chj ranioce - prifikfcigifn moxyan Ghudi ti xiviTee-potieGodifcch i dan. Pet. Difn. Updatai u od Grada Scw. „ vient fouvent fe rendre familièrement fur „ le rivage. Une plus merveilleufe créature „ fe fit voir encore : on prit ici un hommfc i, marin fauvage. Pour nous, la mer nourrit „ dans fes gouffres la Kotoragne, remarqua^ „ ble par fon volume , & couvre fon fond ,, de richelfes en corail. Dans l'intérieur des „ terres nous avons des fontaines, qui charient „ des cryftaux de feL La renommée du fuc „ doux des arbres de l'isle Srimçani, va par „ toute la terre; le continent eft plus béni » encore par la manne qui tombe du ciel, j, L'accouchée ofe elle-même couper le cordon „ à fon enfant, qui vit & marche bientôt. „ Des gens, à qui on a fendu le* crâne, y m vivent une année & un jour". Entre les particularités de Sibenico, dont parle ce poème curieux , la plus remarquable me femble celle dé la prife de cet homme marin fauvage. Des deux efpèces de manne , dont il eft queftion dans cette pièce, la première eft certainement celle qui coulé du Frêne par le moyen des incifions, ufitées en Calabre, en Apulie , dans la Maremma de Tofcane, & en provence ' méthode dont les Dalmatiens ont perdu l'habitude. L'autre eft finis doute la graine farineufe d'une efpèce de Gramen, telle qu'on en recueillit aux environs de Cracovie, & qui fait une petite branche O 2 du commerce de cette ville avec Varfovie. On trouve, au mois d'août & de feptembrei quelque chofe de femblable à Cortela près d'Efte, dans le territoire de Padoue. Difnico a tiré la plupart de ces traits de l'hiftoire naturelle de Sibenico, des poëmes élégiaques de Jean Nardino. Chanoine de Zagrab. Quelques-uns de ces vers, qui n'ont jamais été imprimés, font cités dans un ouvrage manufcrit de Tomco Marnavich : le traducteur Illyrien de ces vers n'en a pas rendu exactement le fens ; Nardino parle, comme Difnico , de la récolte de la féconde manne : Manna folo , Sibenice , tuo felicilms aflris Ambrofias trilmit, ?ieciareafque dapes. Les vers fuivans prouvent auffi , combien dans ce fiecle, le commerce du corail y étoit dans un état norilîànt: Hœc quoqiieforefcitfpeciofis unda Corailis, Qui dites Indos, antipodafque petunt. Entre plufieurs traits que cet auteur rapporte pour faire honneur à fa patrie , il raconte deux coutumes très - finguliercs, & très - anciennes , dont la première eft encore en vigueur : Sic trhio dicata TJeo dwn fefta rejulgent Civis in bac fceptrum 110b'dis urbe tenct. Hic prius qftenfa célébrât nova nupta Priapo Connubium , & focias porrigit imk inanus. On élit le roi de Sibenico pendant la fête de Noël, & fon règne dure quinze jours. N'ayant pas été préfent à cette cérémonie, je me contenterai de rapporter ce que d'autres m'en ont racontés : il jouit de plufieurs pré* rogatives de la fouverainté, comme de celle de garder les clefs de la ville pendant fon gouvernement; d'avoir une place diftinguée dans la cathédrale ; & enfin d'être le juge de tout ceux qui compofent fa cour palfagere. Aucun gentil-homme ne joue plus ce rôle bouffon d'un roi : c'eft toujours un homme des plus baffes claffes du peuple. Ce roi a cependant un hôtel, deftiné à le loger convenablement pendant la courte durée de fon règne : en allant par la ville il eft couronné d'épis , il porte un habit d'écarlate à la mode de la nation , & il eft accompagné d'un grand nombre de' fes officiers. Le gouverneur & l'évêque lui donnent des repas, Se chacun, qui le rencontre en chemin, le falue refpec-tueufement. Les deux fauxbourgs di Terra- O 3 Du COMTÉ ferma Se di Marina , ont aufli chacun leur roi, mais qui n'oient pas entrer dans la ville lans en avoir obtenu la permiilion de fon monarque. Je n'ai pas trouvé à propos de mlnformer de bouche, à l'égard des préliminaires du mariage dont parle Nardino. Cependant, comme Marnavich loue ce poète de fon exactitude à obferver les mœurs de fa patrie, il eft à préfumer que Je prudent ufagc , dont il eft queiiion^ aura été de fon tems, encore dans toute fa vigueur, Si feuife pu découvrir l'ouvrage de George Sifgorco, Délie più nobili prérogative di Sibenico, écrit environ IfOO, & qui n'a jamais été imprimé, j'y aurois trouvé fans doute des lumières, pas feule^ ment à l'égard des coutumes ancienne tombées en defuétude, mais encore à l'égard de l'hiftoire naturelle de cette contrée, §. IV. De la pèche, des pierres, & des productions marfues du port de SIBENICO. Le lac de Scardona eft entouré de collines agréables eft fufceptibles d'une bonne culture ; mais qu'on laiflè prefque entièrement en friche, Comme l'agriculture, la pèche eft auffi négli- de Sibenico. 21 f gée dans ces lieux , fréquentés cependant par les thons, & par d'autres poiffons de paflfage. On fe borne uniquement à fournir la table de ces feigneurs, qui habitent les villes, de Sibenico Se de Scardona. Les poilTons les plus précieux fe prennent avec des méthodes groffiéres & peu économiques. Cette écreviflé longue d'une palme (*) , dont parle Difnico, & qui eft particulière à ce lac, eft en effet un morceau délicieux. On ne fait pas des pèches régulières d'anguilles, quoique les eaux dormantes de la rivière de Goducchia dulfent en nourrir une grande quantité, & qu'on en dut trouver encore en abondance du côté oppofé dans lçs fonds marécageux du lac près de la ville de Sardona. Tous les bords de ces bayes intérieures, font de marbre, fans beaucoup de diverfité dans fa matière. Le marbre commun Dalmatien , plus ou moins rempli de corps marins, y domine , & fes mafles font divifées à l'ordinaire par des couches horizontales inclinées, croifées quelquefois encore par des couches verticales. J'ai fait deffmer (tab. VI.) un des endroits les plus remarquables de cette côte, C) Les Dalmatiens les nomment SchMoni. o 4 Du c o M T e appelle Suppliaftina , ou pierre perforée , k caufe du trou B , dont le roc à fon fommet eft percé à jour. Dans toute la Dalmatie, & peut-être dans tous les pays, il ne fe trouve aucun fite plus propre à fortifier la fauffe opinion de ceux qui croyent l'exiftence des couches verticales dé la pierre calcaire. Le petit Cap s'étend dans le canal A', qui rentre dans le lac de Scardona. Du côté oppofé on voit à découvert les apparences trompeufes des filons C Ç, prefque perpendiculaires. "Entre les deux lettres D D, les filons femblent entièrement perpendiculaires : mais quand on lés examine avec foin, on reconnoit la ligne E E E', qui marque la divillon primitive des couches ; Ce qui eft confirmé encore par la différence des matières renfermées dans le marbre. Ce qui établit la diifemblance entre ces lignes horizontales & les verticales, c'eft que les premières font à peine vifîble , & intérrôm-r peut rarement la continuité des malles ; aû ïfefà que les fécondés font évidemment des fentes plus ou moins larges. Le canal de St. Antonio, par lequel on fort du port de Sibenico pour entrer dans la . mer, préfente aufîi une vue digne d'attenT tion , de l'arrangement des couches. Au com-mencement, les divifions du banc de marbre s'inclinent entiéremeut vers le cap intérieur d e S i b e n i c 0, 2t7 du port: peu à peu elles s'élèvent & deviez nent verticales ; à la fin elles fe courbent & prennent les directions les plus extraordinaires. Ce phénomène s'explique difficilement par une autre caufe , que par le mouvement varié des eaux de l'ancienne mer , qui agitées par les courans & par les tempêtes, portèrent en diffcrens lieux les amas des particule? confti-tuantes des couches calcaires. Les bancs de marine du port de Sibenico, montrent par-tout des indices d'un boulever-, fement, qui femble l'effet de quelque violent tremblement de terre. 11 faut compter parmi ces effets la grotte de St. Antonio, formée de deux morceaux/cVmie montagne , qui en tombant fe font heurtés. On peut remarquer encore un long rocher, occupant l'efpace d'un mille , & pendant du côté oppofé à la mer • qu'on voit près de Sibenico fur la petite langue de terre délie Fornaci. Au pied de ce rocher il y a une terre durcie, argilleufe , bleue , & fans teftacées. Sur cette plage les Lenticulaires font les feuls corps marins, qui entrent dans les pétrifications. En voulant tirer quelques productions marines du fond du , canal de St. Antonio, je me fuis fervi dune barque & de l'attirail d'un pêcheur de Corail. Par le moyen du Râteau, nous tirâmes phaiieurs morceaux d'une croûte pierreufe, qui dans beaucoup d'endroits fe forme au fond de la mer des fragmens des teftacces, du fable & de la yafe, combinés. Chaque morceau me parut une isle peuplée d'animaux marins. J'examinai des holothures. rouges , des éponges rouges en arbre, & autres Zoophytes femblables, en partie connues , Se en partie pas encore décrits par les naturaliftes. Le tems & la raifon ne me permirent pas d'étudier ces objets fi diverfifiés. Sur les mêmes morceaux j'ai trouvé beaucoup d'animaux gélatineux , d'infe&es paralites, de vers nuds ; & enfin des Efcares, & des Fun-gites, avec leurs habitans les Polypes ; j'efpere de traiter un jour, ces objets en détail. Pour le préfent, je me contenterai de faire la défeription d'une nouvelle Térébratule, que je n'ai vu décrite dans aucun ouvrage, Le feul Baron de Hupfch en a donné une figure très-reffemblante dans fa table IV. N. 16", 17, (*), fous le nom de Conchites anomitts Eifliaco-Juliacenfis, pendant referens. II a cru, avec raifon, que l'original de cette pétrification, découverte dans le Duché de Juliers, (*) Nouvelles découvertes de quelques teftacées pétrifiés rares & inconnus &c. par J. C. A. Baron de Hupfch. %. Cologne 1771. n'eft pas connu. Quoique la Térébratule, que j'ai péchée, ne reiTemble pas dans tous les points aux figures données par AI, de Hupfch, je crois néanmoins que la mienne eft l'original de la Tienne : car j'ai obièrvé entre les individus quelque différence dans la configuration. La plus régulière eft celle que j'ai fait defliner tab. TILfig. I. Elle a des boues des deux côtés, & elle eft cannelée légèrement en longueur &'en largeur. Au milieu de la jointure, qui unit les deux valves inégales, il y a un trou, par lequel fort le pied de Tantma.1, qui s'ancre par ce moyen aux corps qui lui conviennent. On remarque le même mécanifme dans tous les Qftracites, les jeunes Pectinites (*), les Patelles, & les Turbinites. Si la Térébratule de Sibenico à la faculté de fe mouvoir, elle l'exerce par le moyen de ce pied. La figure II. reiTemble beaucoup au Peridiolite de Air, de Hupfch. L'intérieur de mon teftacée eft encore iingu-liérement conftruit, & mérite l'attention d'un ( ) Ces teftacées s'attachent , étant jeunes, par le moyen d'un pied , à des coquillages plus âgés. Pour \ uiage de ce pied , la nature leur laifle une ouverture , dans la valve inférieure , qui fe ferme avec le tems. Sur les pe&inites de Borgo fan Donnino, on trouve déjeunes 1 et°ncles, ce qui eft aulli fort commun dans nos eaux. naturalise. Il n'eft pas cependant aufii remarquable vivant que défleché. Voyez fig. III. Ce feroit une chofe à examiner, ii beaucoup des fofïïles de la balle Allemagne ne conviennent pas avec les coquillages qui vivent au fond de nos mers. On viendroit peut-être à bout de diminuer le nombre des pétrifications dont les originaux font inconnus. La Térébratule en queff ion a été tirée d'une profondeur de près de deux cent pieds, dans les environs du port de Sibenico. On en trouve à une plus grande profondeur encore , dans les cavernes où croit le Corail. Il m'eft arrivé d'en voir une toute couverte de la fubltance , du Corail, qui s'étoit formé autour, 'Ùr tL£-; m ' a'fe l^f4§ Du bourg & de la Vallée de SLOSELLA. .^WYv-.Vx «h 'jli ■";cji un nuezusoS' Le premier endroit du territoire de Sibenico ; qu'on rencontre en venant de Zara , eit le bourg de Slofella, bâti dans la vallée qui en porte le nom, & fermé du côté de la terre par une forte muraille, On prétend que le nom de Slofella, qui fignifie un mauvais village, a été donne à ce bourg par les Turcs, qui éprouvèrent dans leurs incuriions le courage & la fermeté de fes habitans. Quelle que ï) E S I B E N I C 0. 221 fbifc l'origine de ee nom, il.convient parfaitement bien au peuple qui l'habite actuellement. Profitant de l'amitié de l'abbé Jérôme Draga-nich Veranzio, à la maifon duquel ce bourg appartient, je m'y fuis arrêté plufieurs jours: de forte que j'ai été en état d'y prendre des informations plus étendues j & de faire des obfervations plus exacres, que dans aucun autre endroit de la Dalmatie. Le fol des environs de Slofella n'offre rien de remarquable : il eft rempli de marbre, de Stalactite, & contient plufieurs grottes. Le payfage eft horrible, à caufe des montagnes nues, & dépouillées d'arbres par la brutale imprudence des habitans : la petite plaine même , qui s'étend le long de la mer, ne préfente aucun agrément. Ce peuple eft fi ignorant & fi ftupide, qu'il n'a ni l'habileté ni la volonté de cultiver ni le bled, ni l'olivier, ni la vigne. Les terres appartenantes à mon ami, fe diftinguent de loin par la belle verdure qui les couvre : de même que les bois en petite quantité j fur. lefquels il à quelque, juridiction ; droit qui dans ces provinces eft rarement uni à la propriété des terres. Il ménage les jeunes Frênes, en les débaraffant des ronces & des jets, autour de leurs pieds: cette attention accélère leur crue & le tems où ils feront en état de fouffrir Tincifion 222 Du C O M T Û & de donner de la manne. Ces foins promettent un fuccès heureux, puifque cet endroit eft très-propre aux productions des pays chauds. J'y ai fait l'incifion à un Len-tifque , qui, quoique de médiocre grolfeur & entouré par-tout d'épines & d'herbes paralites, me fournit un peu de Maftix de la première qualité. Il y a beaucoup de Lentifqties dans le diftrict de Slofella : mais la ftupide ignorance des habitans, qui coupent tous les arbres fans àii\ind:ion, ne les lailfe pas parvenir à l'âge où leur produit pourroit être confidérable. Les fources abondantes, qui coulent des montagnes, & qui, aux environs de Slofelle, fe mêlent avec l'eau falée , y attirent un grande quantité & un grande variété de poiffons. Je n'ai pas donné beaucoup d'attention aux efpèces errantes qui fe prennent féparément. Mes recherches ont eu pour objet ces elpeces qui vont en troupes, & dont le paifage eft conftant & régulier ; efpèces, qui par rapport au commerce & à l'économie, exigent les foins du gouvernement. 11 ferqit à fouhaiter que le poilfon falé de la mer Adriatique put remplacer celui du Nord, dont nous fommes inondés en Italie. Chaque faifon amené des efTaims de poûTons à la plage de Slofella. Pendant les mois d'hy- ver, & particulièrement les jours où le froid fe fait fentir avec le plus de rigueur, let Muges s'y portent en foule : ce poifTon eft attiré par la tiédeur des eaux douces , qui fortant des montagnes fort proches, lé jettent dans la mer avant d'avoir perdu leur chaleur naturelle. Les habitans des villages voifins accourent alors avec des filets, nommés Frit-fati dans leur dialecte , dont la grandeur eft adaptée à ces bas-fonds. En criant & en battant l'eau avec des rames, des perches & des pierres, ils effrayent les Muges, qui en fuyant tombent dans les filets, & qui alors, fuivant Pinftinct de leur efpèce, fentant un obftacle, tachent de le franchir en fautant par-defTus. Les pêcheurs les attendent, & tuent avec leurs fabres un grand nombre des fuyards. Auprintems arrivent les Xittizze, efpèce de Raye qui a la chair plus ferme que les autres efpèces. A mefure que l'air fe réchauffe les Sardines & les Maqueraux viennent en troupes nombreufes. Malgré l'abondance & la variété de ces poiflbns, les pareffeux habitans de Slofella négligent tous les moyens d'en profiter. Ils fe contentent de vivre au jour la journée, & ils dévorent fouvent fans pain &fans apprêt tout le poiffon qu'ils ont pris d'une manière ii grofftere, Au printems ces lâches payfans fe nourrifTent prefque entièrement de Sectes : ils les prennent, en mettant fous l'eau des bran* ches d'arbres, où ce poiiTon s'attache pour pondre lès œufs. Si, pour avoir cette nourriture , Un moyen plus compliqué étoit nécef-faire, ils aimeroient mieux jeûner, je crois * que de remployer. Ils font également ennemis de leur propre bien-être & de celui des autres ; de forte que pour traverfer l'introduction des grands "filets, effayée par leur fei-gneur, ils ont jette de grpflfes pierres dans tous les bas-fonds de cette plage. L'ufage de ces grands filets eut cependant procuré journellement des avantages confiddrables à la plupart de ces villageois. En général tous les payfans des cotes de la Dalmatie font également médians & parcffeuxL-la caufe de ce caractère eft peut-être la trop grande douceur des lolx , qui mettent trop d'égalité entre le payfan & le feigneur. Pour rendre ce peuple heureux il faudroit certainement le traiter avec plus de rigueur : moyen, qui au contraire, ne réufliroit pas, avec les habitans de l'intérieur des terres, defquels, avec de la douceur mêlée d'un peu d'autorité, on obtient tout ce qui peut contribuer à leur propre bonheur, ou à celui de la nation. î) e Sibenico* 22f S. VI. Observations fur VAndroface. Entre les productions marines de la plage de Slofella, mérite une attention particulière VAndroJace , qui a été rangée par Donati parmi les plantes, &par Linné parmi les Zo-pophytes, fous le nom Tubularia Acetabulwm Je ne dirai pas du côté de quel de ces deux fentimens je penche, parceque je ne fuis pas alfez inftruit encore, & que je crois néceflaire d'obferver VAndroface dans plus d'une faiibn, avant de décider. Pour le préfent j'avoue que VAndroface ni vivant ni defféché , examiné par le meilleur microfcope ne m'a jamais préfenté jufqu'ici aucun caractère diitinctif d'un Zoophyte. En comparant les obferva* tions de Donati avec plufieurs individus d'Androfaces, tirés des environs de Slofella, j'ai fait fur fon ouvrage les remarques fuivantes : I). VAndroface, que cet auteur dit s'élever rarement, dans les mers d'Italie , au-deiïus de la hauteur d'un pouce & demi, furpalfe Celle de trois pouces, près de l'éceuil de St. Stefano s où il croit prefque à fleur d'eau. 2). Les filets * qui fortent de la partie Concave du couvercle de l'Androface , ne font pas fi minces & fi Tome L P 226 DU COMTÉ déliés qu'il foit impollible de les appercevoif avec le fecours du microfcope, que quand PAndroface eit dans Peau , où ils paroiflent alors mous & argentés, & allez longs pour atteindre le bord du chapeau (*). Je les ai trouvés, au contraire , vifibies à l'œil nu & leur couleur d'un brun rougeâtre. Ils débordent lî bien le chapeau , que je les ai pu ramalTer dans une touffe, & les faire defîiner dans cet état Tab. VII. hg. V. a, qui repré-fente un Androlace irrégulier. 3)- J'ai trouvé quelques Androfaces qui n'avoient plus de filets : mais qui montroient une efpèce de piftile , s'élévant du centre de leur chapeau. L'efpérance de pouvoir les obferver de nouveau, me fit négliger les premiers individus que j'avois vus au mois d'Août : mais étant éloigné de Slofella je n'ai plus eu occafion d'en revoir. 4). Quelquefois P Androlace a deux chapeaux, l'un au-deffus de l'autre comme le montre tab. VII. fig. VI. Plus rarement j'en ai vu à deux branches , comme celui defliné %. VIL Le feul individu de cette dernière efpèce, que j'aye pu conferver pendant mon voyage, s'eft égaré à Venife, où je Pavois (*) Donati , Sàggrô di Storia naturale, &c. p. 30, & ji. montré à plufieurs curieux. J'ai envoyé un à deux chapeaux , qui font un peu moins rares, à notre ami le D. Antoine Turra à Vicenza. Si je dois retourner en Dalmatie, j'efpére de pouvoir donner de PAndroface une meilleure défcription que celle de Donati. S. VIL De Pécueil de St. STEFANO. Dans les viviers , qui font au pied de Vkueil de St. Stefano & qui fervent de réfer voirs à quelques pauvres moines de ce lieu, les Androfaces fe multiplient beaucoup. On y trouve auili plufieurs efpèces d'infecte marins, dont les uns nagent dans Peau , d'autres s'attachent aux pierres, ou aux Alques, aux Fueus Se aux confervesi. J'y ai ramaifé une étoile de mer reifemblante à VAfteria aculeata de Linné : l'Onifcus AfiUus ; des Buccinites ; des pourpres ; des Mituù; VOftrea Lima: deux variétés du Chiton Fafcieularis, des Nautilites Se autres coquillages communs dans nos mers. Sur les bords de cet écueil, fe voyent beaucoup de fragmens de tuiles & d'urnes Romaines ; on y déterra autrefois des infcriptions, que les moines, ignorans de ce lieu, briferent P 2 pour paver leur miférable cour. Ils ont cepen* dant encadré , dans un mur, une infeription avec des lettres en bronze , mais dont ils ont arraché , comme vous penfez bien , tout le métal-. Cet écueil étoit probablement deftiné aux fepultures, fuivant la louable coutume des anciens, qui plus fages que nous, éloi-gnoient les tombeaux de leurs habitations, afin d'empêcher au moins les morts de nuire aux vivans. S vin. De îisle de MORTER. Trois milles plus loin que l'écueil de St. Stefano eft iituée fisle de Morter , que les auteurs de Sibenico regardent comme le Colentum de Pline, à caufe des rapports avec fa diftance de l'embouchure de Titius » défi*, gnée par cet écrivain, J'ai voulu vifiter un endroit, où il y avoit certainement un éta*. bliffement des Grecs ou des Romains : mais il y fubfifte peu de veftiges remarquables. Les feuls indices d'une habitation ancienne font des fragmens de tuiles & de vaiès antiques, & quelques pierres travaillées. J'y ai obfervé cependant quelques beaux morceaux de corniches , qui ont du faire partie d'un bâtiment de grande apparence, & d'une bonne architecture. Souvent on y rencontre des médailles & des infcriptions : mais l'humeur foupçon-neufe des habitans rend la recherche de ces antiquités très - difficile. J'aurois voulu voir quelque infeription, qui fit expreflement mention de la ville de Colentum. Dans l'isle même, on m'a dit, que fur le fommet de la colline, il y avoit de grands reftes d'un ancien mur, qu'on a détruits pour bâtir l'églife délia Madon-nadi Gradhm. Quelque foit le nom ancien de cet endroit, il eft fur qu'il n'auroit point pu être placé dans une plus belle & plus délicieufe fituation. La colline s'élève par une pente infenfible, & elle domine un bras de mer entouré de petits caps, & rempli de petites isles. Sa vue s'étend fur une partie des collines du comté de Zara, & n'eft terminée que par les hautes montagnes éloignées. Les petits écueils, couverts de bois, de Finik-Stari, de Teghina & de Mali-Finik augmentent encore la beauté du payfage. Tout le fol de Vide de Morter, qui a treize milles de circuit, eft propre à la culture , & peut nourrir abondamment fes habitans. Ce peuple cependant ne jouit pas aujourd'hui d'une bonne réputation : on remarque que tous les petits Corfaires ont au F 3 Z}0 D u comté moins un de ces infulaires à bord, qui fcrt de pilote , & qui conduit ces brigands dans les coins les plus cachés de la mer Adriatique. Le détroit qui lépare Visle de Morter du continent, eft fort fréquenté par les petits bâtimens qui craignent de s'expoièr à la plaine mer dans des tems dangereux. Par cette raifon il s'y eft formé peu à peu un village confidérable de maifons bien bâties , & habitées par des marchands aifés. Sa Iituation cependant if eft pas riante , puisque les rochers voifins, ceux du continent, & même les collines de marbre dans 1 isle, annoncent par leur nudité un pays ftérile, & infpirent une triftefiè mêlée d'horreur. Le marbre de cette isle, comme celui des petites isles voifines, eft rempli de corps marins, qui appartiennent probablement au genre des Ortoccratites : dans quelques endroits, on trouve aufli des Pboînâes rqui parviennent ici à une grandeur furprenante : j'en ai vu dont la longueur palfe 4. bons pouces. Les propriétaires des terres dans Visle de Morter font dans une pofition défavantageufe; Leurs fermiers ne fe croyent pas obligés de leur donner plus que la cinquième partie du vin qu'ils récoltent : ils ne payent absolument rien des autres productions. Par cette raifon ces médians payfans négligent la culture de la vigne, Se préfèrent celle de l'olivier, quoi» que fujette à plus d'accidens : ou ils laiiïent même la terre en triche, & la convertiffent en pâturages. L'efprit mutin de ces fermiers fortifié par quelques malheureufes circonftan-ces, va fi loin qu'un propriétaire rifqueroit la vie en ofant s'oppofer à leurs prétentions injuites, ou en voulant faire valoir fes droits les plus légitimes. L'agriculture fe relient aufli de cette conftitution vicieufe, née dans des tems de troubles & de calamités, & qui devroit être changée dans un iiécle où régnent la paix & les lumières. Ces infulaires ne s'appliquent gueres à la pêche , quoique les Thons s'y voyent en groflés troupes dans les canaux voifms de l'isle : beaucoup' de fes pohTons égarés y paffent même l'hyver, particulièrement dans les bas-fonds près du Hameau de Ràmzm 3 où il y avoit autrefois des Salines. Les Rettlgnani , habitans de l'extrémité occidentale de cette isle, s'occupent à ramalfer, rouir, filer & tiifer le genêt, qu'ils vont chercher jufque fur les cotes de Ylftrle & dans les isies du golfe de Qiiamaro. Ils le rouillent dans l'eau de la mer , & en font des toiles de différente fineiTç pour des facs, & quelquefois pour l'habillement des payfannes. Il n'eft pas à douter que fi cet art étoit exercé, moins P 4 groffiérement, ou pourroit tirer parti de cette plante pour établir des manufactures plus in-térelfantes, §• ix. De Tribouhug , Vodizze Farvicb, Zlarine & ZurL Le premier endroit du continent qu'on rencontre en fortant du canal de Morter, eft Tribouhug, ou Tribc-co , village ifolé, fale & miférable, entouré d'une muraille, & joint à la terre ferme par un pont de pierre. Ce village eft la patrie de Fappizza, payfan improvifateur, qui né vers la fin du fiécle palfé , eft encore célèbre après fa mort , à caufe de la quantité de fes poëfies J qu'il chan-toit lui-même en s'accompagnant de la Guzla. Je n'ai point pu découvrir des vers écrits de fa compofition. Le Bourg de Vodizze, éloigné d'un bon mille de Tribouhug, tire fon nom de l'abondance des eaux qui s'y trouvent : Voda figni-fie l'eau dans tous les dialectes de l'Efclavon. Ce n'eft pas que ce bourg foit riche en fources: c'eft parce qu'il a une rivière fouterraine, plus petite & moins profonde que celle qui forme les puits à Modene, mais de la même nature. Elle coule entre des couches de marbre , & dans les tems des hautes marées, elle ne fournit pas une boiffon fort laine. Dans quel endroit on creufe un puits, on trouve l'eau défirée à la même profondeur, & fans beaucoup de dépenfes. L'extérieur des habitans aifemblés dans l'églife, ne me parut pas annoncer leur aifance. Le fol de Vodizze, autant que j'en ai pu juger par les pièces voi-fmes des maifons, eft cependant fertile : la coline a une pente douce , qui ne s'élève pas plus qu'il ne faut pour mettre le terrein à l'abri des inondations de la mer. Plufieurs petites isles bien cultivées rendent la vue de ce bourg délicieufe. Une des principales productions de Vodizze , comme auiîi de Tribouhug , font les cerifes Marafque, dont on fait à Zara & à Sibenico la liqueur fi connue fous le nom de Marcifquin, Parvich, Zlarin & Zuri, font les isles les plus peuplées & les plus remarquables du difirifi de Sibenico. Leurs habitans s'adonnent a la pêche , & cultivent chez eux parfaitement bien la vigne & l'olivier , dont le vin & l'huile deviennent d'une qualité fupérieure. Ils employent par année quarante grands filets, dont le produit en poiffon met dans l'aifance un grand nombre de familles. Il feroit à fou-haiter qu'on apportât ce poiffon falé à Venife. Nous pourrions nous paffer alors de ce poiffon mal-fain & corrompu, que depuis le commencement de ce fiécle , les Hollandois nous vendent toujours en plus grande quantité, 8c qui empoifonne les tables de nos pauvres payfans. Je me fuis arrêté pendant plufieurs jours dans une de ces isles r mais l'efpérance de me rendre utile à ma patrie m'a engagé à m'occuper plutôt de cet objet que des curio-fités naturelles, dont la mer adjacente abonde. Cependant comme mes fpéculations regardent proprement l'économie politique , & les intérêts d'un pays particulier, je dois les paffer ici fous filence. Ces trois isles furent habitées par les Romains , & dans chacune d'elles on rencontre des monumens de cette nation répandue dans tous les pays alors connus. Dans le feiziéme fiécle on déterra à Zlarin l'épitaphe d'une Reine, nommée Panfiana. Les favans, de ce tems , qui étoient en grand nombre dans la ville vofine, cherchèrent inutilement de quelle contrée feroit venu une dame de ce rang pour mourir à Zlarin. N'en trouvant aucun veltige dans les hiftoriens, ils conjecturèrent avec vraifemblance, qu'il s'agiffbit de quelque Reine d'un peuple barbare, reléguée dans cette isle après avoir fervi à l'ornement d'un triomphe. de Sibenico. 23 f Je n'ai point pu retrouver cette infeription, ni en acquérir d'autre notice que celles données par les mémoires manuferits du tems. L'étendue de Parvich eft petite ; mais fa fertilité eft en récompenfe d'autant plus grande. Toutes les productions y réuffiifent parfaitement bien : celles fur-tout., qui fe contentent d'un fol peu profond, comme eft celui de cette isle, les vignes, les oliviers, les mûriers & les arbres fruitiers. La vue de cette isle eft agréable, même de loin , au lieu que celle des autres voifines, choque l'œil en préfentant des collines trop roides , trop nues & trop hérilfées de rochers. Son nom Parvich paroît lui avoir été impofé parce qu'elle eft la première depuis le port de Sibenico ; Parvi figni-fiant premier en Illyrien. Pline fait mention de Zuri, fous le nom de Sîirittm : & il paroît donner à Parvich à Zlarin & à beaucoup d'autres petites isles , au nombre de cinquante, le nom collectif de CeladuJJa. mot corrompu du Grec Byskéladoi, qui ûgrnn'Q malfonnantes ou bruyantes. En fuivant la leçon ordinaire, le texte de Pline contiendrait, dans cet endroit, une faute effen-tielle de géographie. Mais on la redrelie en corrigeant la ponctuation : Necpandores Tru-vones Libunice : Celaduffœ contra Snriwn, Bùbùs g? capris laudata Brattia (*). Zuri eft en effet la pfus avancée dans la mer, & vis-à-vis entr'elle & le continent font fituées, Kaiifvan ; Capri ; Smolan, dont le nom indique l'ancienne coutume d'y faire de la poix; Tlhat, ruinée par les bergers ; Seftre , petites isles connues par d'excellentes carrières d'une pierre dure & blanche, dont l'exploitation ferait moins difpendieufe , & Pufage plus avantageux, que celui de la pierre de Vicenza : enfin Parvich & Zlarin, avec beaucoup d'autres isles , dont on ne parle gueres. L'habillement des femmes de ces isles eft différent de celui des femmes dans les isles du canal de Zara, Si l'isle de Zuri eft célèbre par les antiquités Romaines qui s'y confervent, elle l'eft plus encore, par la pêche du corail, qui eft fort profitable dans les eaux d'alentour. Après la découverte d'un nouveau banc très-riche, il y a une trentaine d'années, on en tira une quantité immenfe de cette précieufe marchan-dife. Un amateur de Phiftoire naturelle, qui inftruit,par l'exemple du comte Marsigli, fait, quelles découvertes curieufes on peut faire C*) Plin. Hift. Nat. L. III. cap. ult, en péchant, dans la profondeur convenable, à la multiplication du corail, devroit formata de vivre pendant quelques mois dans la barque d'un pêcheur de cette production marine. Combien de teftacés inconnus ne trôuveroit-on pas , & combien d'originaux de pétrifac-tions, dont on croit l'efpece perdue, ne ren-treroient - on pas dans la claffe des êtres réels ? J'avois défiré vivement de pouvoir exécuter un tel deffeiii. Les circonfiances s'oppoferent à Paccompliffement de mes défirs : j'ai cru alors mieux faire en continuant le long de la mer des obfervations plus variées fur le continent. La pêche du corail, dans nos mers , fe fait par des fujets du Roi de Naples, qui font au fervice du fermier de cette entreprife. Nos infulaires , qui louent fouvent leurs bras à ces pêcheurs, n'ont jamais pu apprendre Part merveilleux de, tirer le corail des cavernes les plus étroites & les plus cachées de la mer : art qui mériteroit bien d'être encouragé & plus répandu. Car cette branche de commerce eft fort lucrative quand même on débite la marchandife en nature , & fans être travaillée. L'ignorance des Dalmatiens dans Part de cette pêche doit furprendre d'autant plus , qu'à Sibenico le commerce du corail étoit autrefois dans un état très-floriilant. §. x. Des lacs de ZABLACHIE, & de MORIGNE, En fuivant le rivage de Sibenico, en de-là de l'entrée du port, on trouve la plaine pier-reufe de Zablachie, & un peu plus loin le lac du même nom, qui communique avec la mer par un canal artificiel. En me promenant dans fes environs, j'ai vu du Maftix naturel , attaché au troncs des Lentifques , que les bergers lailfent fubfifter , parceque cet arbutte garantit leurs troupeaux des ardeurs du foleil. Ce lac étoit au commencement de ce fiécle le badin d'une riche Saline, comme l'étoient alors aufli quelques terreins bas du voilinage, que la mer haute peut couvrir de fes eaux. Aujourd'hui il eft un vivier de peu de valeur, puifqu'on ne prend aucun foin d'y multiplier ou de conferver le poillbn. La feule particularité de ce lac qui mérite quelque attention, eft un fable rempli de petits & élégans coquillages, bien confervés & habités quelquefois par l'infecte vivant: Tel eft celui, deiliné premièrement dans fon état naturel, & après, groffi par le microfcope : DÉ S i B E n ï c 0> 239 (Tab. VII. fig. VIII. &IX.) Il reffembleroit à un œuf tronqué, fanS fes ftries fpirales, qui vont du fond à la circonférence de la bouche. L'infe&e qui l'habite n'a point de couvercle : il eit noir comme du charbon, couleur qui empêche de diftinguer fes parties les plus délicates. On y voit autlï le Nautile microscopique, repréfenté par Bianchi dans fon ouvrage des coquillages (*). Les terres des environs font blanches, mais fertiles. A trois petites milles de Zablachie, eft fitué le lac falé de Morigne, qui communique avec la mer par un canal naturel, dont l'embou-- chure eft vis-à-vis de l'isle de caprano. Le circuit du lac eft de trois milles, & fon embouchure a I f o. pieds de largeur. Son fond eft de vafe, rempli de plantes marines, & fi bas, dans plufieurs endroits , que pendant le reflux, les fommités des Algues reftent à fleur d'eau. La fource riche & permanente de Rib-nich, qui y tombe, attire les poilfons & la nourriture abondante les y retient. Il feroit très-aifé de faire de ce lac un vivier fermé, qui fourniroit une grande quantité de poiffons de toute efpèce. (*) Janus Plancus, de Conchyliis minus nous. 240 DU COMTÉ Vers l'extrémité occidentale de Morigne s'élèvent deux écueils, où des bâtimens doi* vent avoir été placés anciennement : on y voit desfondemens de murs, & beaucoup de pierres taillées. Ces ruines font peut-être l'origine de la tradition populaire d'une ancienne ville, qui lituée dans un endroit actuellement couvert par les eaux, avoit été fubmergée fubi-tement. La manière de pêcher des habitans des villages voifins, eft entièrement dans le goût de celle qui eit uiitée dans les bas-fonds de Slofella. Les teitacés du lac de Morigne font, à peu près, les mêmes que les plus communs des bas-fonds de Venife & de Comachio; & quand la mer y amené des efpèces qui aiment les profondeurs , elles n'y propagent point, & retournent dans des eaux d'une plus vaite étendue. Parmi les teitacées microfcopiques on y voit des cornes d'Ammon, & d'autres petits coquillages ordinaires à tous les fonds fabloneux de la mer Adriatique. On y obferve auffi des Porpites, femblables à ceux que dé-pofent les rniffeaux à Bologne, quand ils ont lavé les collines d'alentour, formées par la mer. Le creux de Brendola dans le Vicentin en fournit de même en quantité. Leur grandeur ordinaire n'excède pas la moitié d'un grain grain de millet. Quand on les examine avec le microfcope, ils paroiiïent compolès d'un grand nombre de parois, qui le croifent irrégulièrement pour former des cellules aux Polypes habitans de cette petite ville. C Tab. VIL fig. X & XL) Les terres voifines du lac font de la même qualité que celles des environs de Zablachie. Elles font enfemble une partie du campo d'à* baffo , le meilleur morceau du territoire de Sibenico. Le marbre commun Dalmatien, & une cfpece de pierre molle remplie de lenticulaires, dominent dans les terreins élevés près de la mer. En Rapprochant du pied des hautes montagnes, on les trouve compoiés d'une argille durcie, comme les rivages, proche de Zara. ■ Tom. L a Du comté §. xl De SIMOSKOI & de ROGOSNIZA. La mer agitée ne me permit pas de débarquer à l'endroit qui porte le nom de Sibenico vecchio , où j'aurois rencontré peut-être quelque monument de la bonne antiquité. La table de Pentinger ne place cependant aucun ancien établiffement dans fes environs, Les derniers endroits du territoire de Sibenico que j'ai vifités, font les deux petites isles de Simoskoi & de Rogofniza. Le fom-met de Simoskoi elt de marbre commun Dalmatien : le pied eit compofé d'une pierre moins dure, toute pleine de corps marins étrangers , qui peuvent être rangés dans le genre des Orthocératites, quoique diltincts par les articulations. Malgré le changement qu'ils ont effuyé, leur iiibftance eit toute poreufe, & montre à l'œil, armé d'une fimple loupe , des cellules inombrables. Dans la fig. VIL eit defliné un des plus curieux, que j'ai envoyé en Angleterre dans la riche collection du comte de Bute. La fig. XIII. repréfente un autre, trouvé dans les isles Coronate, que je conferve, & dont le defîîn a été fait avec foin par le comte Faufie Draganicb Feranzio. La partie intérieure a , a, eft le noyau de l'Orthocératite, compofé d'une criftallifation brillante d'un fpat calcaire: en brifant ces noyaux on voit fouvent des veftiges des divi-fions en cellules. La croûte b, h » cannelée en longueur , & reiïemblante à l'ainianthe, eft l'écaillé de ranimai , changée dans un fpat moins blanc & moins brillant. La matière c, Ci qui enferme ces pétrifications, eft une pierre dure blanchâtre & commune. Il feroit trop long de décrire toutes les variétés de cette efpèce qui fe trouvent pétrifiées en Dalmatie, où Donati prétend n'avoir rencontré aucune pétrification reconnoiftable. J'en ajouterai pourtant une, qui montre un Orthacératite rayé & cannelé en guife d'un chardon. (Fig. XIV.) Un canal étroit & peu profond , où les barques, dans le tems du reflux, ne peuvent pas palier , fépare cette isle du continent. En bien examinant les deux rivages oppofés, on voit évidemment que cette féparation n'eft pas ancienne. L'extrémité de Simoskoi, oppofée à la terre ferme , confifte en marbre falin, comme le rivage qui lui répond. On pourroit fuppofer, que l'efpace intermédiaire a été creufé comme une carrière, quand on en a tiré des matériaux pour difFérens ufages. Les cou- as ches de marbre, expofées fucceflîvement à être mouillées ou lailîces à fec par le mouvement alternatif des Marées, font rongées par le Sel marin, & leur furface devient fcabreufë: Cette action du fel découvre une quantité de corps marins cryftallifés, dont ce inarbre eft compofé, plufieurs célèbres natu-raliites, entre autres Swab & Rospe, croyent que les marbres falins ne contiennent aucun corps : je ne voudrois pas alfurer non plus, que tous ces marbres montrent des veftiges recon-noiflablés de corps marins. Cependant, avant de décider fur cette opinion , je voudrois vifiter leurs carrières , & examiner des morceaux qui euffent éprouvé , pendant longtems, l'action de l'eau , de l'air & du foleil. A la première vue le marbre de Carrara femble appuyer le fentiment des naturaliites mentionnés. Quoiqu'il en foit, on ne peut pas douter que le marbre blanc de Simoskoi ne foit de la même compofition, que celui dont fe fer-vôient les fculpteurS Romains. Par cette raifon il fjroit important d'examiner ces carrières, pour voir, s'il étoit poffible, d'en tire* des morceaux d'une certaine grandeur, il eft îidicule de p enfer faire ufage du marbre placé à fleur de terre, ou de juger de fa bonté par l'état de la furface des couches extérieures. Si même le marbre de la carrière de Simoskoi n'étoit pas propre à l'ufage des Sculpteurs, on pourroit être affuré qu'en cherchant dans les environs, on en trouverait de plus convenable. Dans cette isles les os foflîles font rares: mais on les voit en plus grande quantité, & dans des amas confidérables, à Rogofniza, & fur les écueils de Muja & de Pianca, qui n'en font gueres éloignes. La petite isle de Rogosniza eft fi écartée de la route ordinaire qu'il n'y a qu'un vent contraire qui puiiTe engager les navigateurs d'en approcher. Elle eft fituée dans une large baye, qui peut fervir de ports aux petits bâtimens. Ses habitans font pauvres & mal-propres. Les Orthocératites dominent dans le marbre des couches inférieures de cette isle : dans leurs fentes on trouve des groupes d'Albâtre fleuri, ou fi fon veut, d'une ftala&ite rouge & veinée. J'ai vu les os fofliles loin du lieu de leur formations , enclavés dans de grands blocs de pierre , que les payfans avoient placés par hafard devant leurs maifons. En me promenant autour de ces habitations, il m'eft arrivé de rencontrer une pétrification extrêmement 24$ Du COMTÉ* reffemblante à une corne. Je me fouviens d'avoir vu à Padoue, dans le cabinet d'hiftoire naturelle, une pièce de la même efpèce , qu'on y nommait Cornu Vaccinum. La pétrification de Rogofniza, comme celle de Padoue, me femblent cependant des Orthocératites , dont l'efpece s'eft perdue, ou qui vit cachée dans des mers éloignées. Fin du premier volume, ( 111 \ TOMI TAB I i'. ' v • K # X se w9 3