ABREGE CHRONOLOGIQUE HISTOIRE DES DÉCOUVERTES {Faites par les Européens dans les différentes parties du Monde, Extrait des Relations les plus exactes & des Voyageurs les plus véridiques, Par M. Jean Barrov , Auteur du Dictionnaire Géographique, Traduit de PAnglois par M. T a R G £• TOME HUITIEME Chez W A PARIS, Saillant, rue S. Jean-de-Beauvà DeloRmel, rue du Foin. Desaint , rue du Foin. Panc koucke , rue de la Comédiç FrançoHé M. DCC. L X V L Avtc Approbation £ Privilège du JR»^ HISTOIRE DES DÉCOUVERTES Faites parles Européens dans les différentes parties du monde. Suite des Voyages & Découvertes de Dampier. CHAPITRE XL Le Capitaine S wan arrive à Plfle de Guam : Defcription du Cocotier, du fruit de cet arbre , & de la liqueur qiïon en tire : Des cables de Caire : Des limons de Guam ; du fruit à pain ; des habitants de cette Ifle : Comment elle efl régie : Polittjje dû Tom. VIII. A D écouvertes Gouverneur : Les Boucanniers font voile aux IJles Philippines : Description des Ifles Lucanie, Manille , Saint - Jean & Mindanoa : De l'arbre nommé Libby , & des autres productions de VI(le Saint-Jean : Grand ufage quon y fait du Plantain : Defcription du Betel, du Jaca , du D art an , de t Areca & de différentes efpeces de fruits : Des quadrupèdes , des oifeaux & des infectes de ces Ifles, particulièrement de celles de Mindanoa où le Capitaine Swan jette Vancre : Divifion de cette Ifle en différentes principautés : Mœurs , religion & habillement de ces peuples : De leur fobriété, de leur propreté , de leurs maifons , de leur familiarité , de la manière dont ils élèvent leurs enfants : Leur amour pour les Anglois : Leur commerce , denrées quon y trouve : Puijfan-ce & p.iuvreté du Sultan : Des armes des foldats : Solemnité de la cïrconcifion : Leur religion ; prières qu'ils font tous les jours : Leur horreur pour la chair de pourceau : Hifloir relative à cette ayerfion. des Européensï f E vingt-un de Mai 1686 vers onze heures du foir, les Boucanniers jet- ^t^'x*" terent l'ancre environ à un mille de terre , dans la partie occidentale de An- I6Ï**' Tille de Guam , qui eft une de celle n, arrivent qu'on appelle des Larrons, à la la- oJ'Ifl* dc titude de 13 dégrés 21 minutes. Le terroir en eft fec & peu fertile, cependant il produit du riz , des pommes de pin, des melons d'eau, des melons mufqués , des oranges , des limons , des cocos, du fruit à pain , &C plufieurs autres. Le limon de cette Tfle eft une ef- Dcfcrîprio» ... /. 1 . i-» ' du Limon» pece de limon tauvage dont 1 ecorce eft très mince, & qui fournit un jus verd excellent pour faire du Punch : on s'en fert beaucoup à cet ufage dans toutes les Indes occidentales. Il eft auifi affés agréable en le mêlant avec du fucre , & on le mêle encore dans la fauce au poivre, après avoir fait bouillir du poivre de Guinée dans } l'eau. Il croît beaucoup de ces limons entre les Tropiques, ik l'on en feme de la graine à la Jamaïque pour former des hayes , qui viennent très ferrées quand on en a mis une quantité fuîKfante. Ai) ' Dampier. ^e ^rmt ^ Pam » 9m e^ un Pev* chap.xj. plus gros que le poing d'un homme,' An. i6$6. cr0lt Air un arbre affés reffemblant A celui qui produit nos plus groffes à pain/'"" pommes. L'intérieur de ce fruit eft doux , tendre , blanc , & fe peut émietter comme le pain. Le goût en eft affés agréable quand on le mange dans les vingt-quatre heures après qu'on l'a cueilli, parce qu'après ce temps, il devient fec & perd fon goût. Les naturels de cette Ifle le font cuire au four, après quoi on en ôte l'écorce qui devient noire 6v grillée. Ce fruit eft de faifon pendant huit mois de l'année, & durant tout ce temps, ils ne mangent point d'autre pain. Dampier prétend qu'il eft particulier aux Iftes des Larrons, & il dit qu'il ne fe fouvient pas d'en avoir vu ni entendu parler en aucun autre endroit du monde. Du Coco- Le Cocotier eft un arbre très dur, qui vient dans prefque tous les ter-reins , 6c qui croît à une grande hauteur. Le fruit vient à l'extrémité des branches , qui font de la groffeur du bras d'un homme. Il eft ordinairement large comme la main, avec une peau épaiffe de deux pouces , des Européens. 7 tous laquelle eft une coque noire,Damp1er épaiffe & dure , dont on fait des tafies chap. xu pour boire , des cirilliers & d'autres An. l6g*, uftenfiles fort eftimés, particulièrement en Europe : au-dedans de la coque , on trouve une amande d'un goût très doux & femblable à une crème épaiflie quand cette amande Ji'eft pas encore mure; mais quand le fruit a atteint fa maturité, l'aman* de acquiert plus de fubftance , &: devient de difficile digeftion. Au-dedans de l'amande eft une liqueur très faine, douce & rafraîchifïànte. On peut planter des cocos après les avoir gardés trois ou quatre mois comme des oignons fecs , & ils pouffent très bien, quoiqu'on les ait confervés aufli long-temps. La peau ou cofte extérieure eft remplie d'une efpece de fi-laffe qu'on bat, & qui s'amolit comme des étoupes. On la file, & on en fait enfuite de très bonnes cordes pour des cables qu'on nomme Gables Coires : quelquefois même on en fabrique une toile groftiere dont on peut faire des voiles. Dans la mer du Sud, les Efpagnols fe fervent de ces étoupes pour calfater leurs vail- A iij Dampier. ^eaux » & & difent que jamais «lies Chap. xi. ne pourriffent. a», «s*. tire auftï du Cocotier une li- Dn Toddy queur nommée Toddy qui reffemble a.dcl'Arrak', à du petit lait : on en vend foir- & matin dans toutes les villes des Indes orientales. On perce pour l'avoir une branche qui alors ne produit point de fruit ; mais tant qu'il y en a fur les autres branches , la liqueur ne ceffe de couler. Le goût en eft très agréable, mais elle s'aigrit après vingt-quatre heures : on en tire par diftil-lation une efpece d'Arrak , dont on fait du Punch excellent, en la met-tani fur un rapé d'eau-de-vie pour lui donner plus de force, parce qu'elle n'en -a pas ailes par elle - même. On nomme cette liqueur Arrak de Goa r parce que c'eft dans cette ville qu'on en fait le plus d'ufage. H y a une autre efpece d'Arrak qu'on tire du riz & du lucre par diftillation : il eft le plus commun <$£ le plus fort, aufli-bien connu en Europe que dans les Indes orientales. Les Tartares donnent encore le nom d'Arrak à. une efpece d'eau-de-vie qu'on diftille du lait de Jument. Enfin l'extrait du palmier reçoit aufli quelquefois le nom d'Arrak» des Européens. 7 Les habitants de FIfle de Guam Dampier, font forts, avec les membres gros ch»p. Kl. & bien proportionnés. Ils ont de An. i6?«. longs cheveux noirs, les yeux pe-Deshabitante tits, le nez élevé , de groffes lé- de Guam. vres , Fair dur, quoique leur caractère foit doux & affable, & le teint de couleur de cuivre. Ils font très ingénieux à conitruire des barques, dont un côté eft rond & forme un ventre, pendant que l'autre eft uni comme une muraille ; mais ce dernier porte une pièce de bois léger qui y eft attaché à fix ou fept pieds de diftance pour empêcher le bâtiment de renverfer. On conduit ces barques avec un large aviron qui fert de gouvernail, & qu'on nomme Ou-tlager. Le Capitaine Swan écrivit un« lettre très obligeante, & envoya quelques préfents au Gouverneur , qui lui donna des cochons, des cocos , du riz , des bifeuirs de froment, cinquante livres de bon tabac de Manille, & quelques raf.aîchhTements. . Cette Ille eft fous la jurifdi&on des ^JJÏ&J Efpagnols, & dans la partie occiden- üppin«. taie , il y a plufieurs villages Indiens ©ù l'on a établi des prêtres qui inf- A iv 8 DÉCOUVERTES Dàiwpier. trm^enr ^es habitants clans la religion chap. xi. Chrétienne. Un Religieux vint à bord An. par erreur; le Capitaine Svan le reçut très bien , & apprit de lui qu'il y avoit des provifions en abondance dans les Mes Philippines. H leva l'ancre le 2 de Juin ; dirigea fon cours vers ces Mes, & k il il arriva à celle de Saint-Jean. Les Philippines font un nombre de grandes Iiîes, qui s'étendent depuis cinq dégrés jusqu'à dix-neuf de latitude feptentrio-nale.La principale eft Luçon, autrement nommée Manille, du nom de la Capitale, qui eft une grande ville avec un port de mer, bien fortifiée , & qui fait un commerce très étendu. Les vailî'eaux d'Acapulcoy touchent toujours pour y prendre les riches denrées des Indes, que les Chinois & les Portugais y apportent, parce que les Efpagnols, dans la crainte qu'on ne connoiffe leurs richeftes, ne permettent point aux Anglois ni aux Hollandois de faire aucun commerce dans ces Mes : cependant les premiers le font quelquefois en contrebande du fort Saint-George. Saint-Jean & Mindanao les plus méiidionalesde toutes ces Mes., font in* des Europe en s. 9_ dépendantes de la couronne d'Efpagne £>AMP1ER>. à laquelle les autres font aflujetnes. Gliap. xi. Saint - Jean a environ trente lieues An j68fc de long, & vingt-quatre dans fa plus grande largeur : elle s'étend au Nord- Saint" can"& nord - oueft & au Sud - fud - oueft ; Mittf «mq* eft très fertile & remplie de petites' collines. Le Capitaine Svan pana cette Ifle , &: alla jetter l'ancre à dixbrafles de profondeur, dans une petite baye , à la partie orientale de Mindanao ,. qui après Luçon eft la plus grande de toutes, ayant foixante lieues de long & cinquante de large : le terroir en eft très bon, & il y a quelques hauteurs remplies de rochers, on l'on voit des arbres, qui nous font entièrement inconnus. Les vallées font bien arrofées &t abondent en Yams , pommes de terre ,. citrouilles , melons d'eau , melons mufqués, plantains, bananes, Gua--vas, noix mufeade-s, clous de gircrle,, betel , durians , cocos & oranges :•' mais ce qui mérite le plus d'être remarqué eft l'arbre que les habitants nomment Libby, d'où ils tirent le iago, & qui croît fans culture dans, des bois de cinq à fix milles de long; ' grès le rivage de la mer.. Dampier. ^et ar^re reffemble beaucoup à chap. ai. l'arbre à chou, mais il eft moins éle-An..i6«fc yé l'ccorce en elt mince & dure;. quand elle eft coupée &c fendue, on De l'arbre trouve defibus une moelle quon pile b dans un mortier : eniuite on la mer dilToudre dans l'eau , ck. on la paffe au travers d'un linge : l'eau entraîne rout ce qui eft de farineux, & il ne r-efte que la partie grofliere , qui n'eft d'aucun ufage. Cette fubftance fert à faire des. gâteaux, qui font prefque aufîi bons que du pain, quand on les fait cuire, & les naturels de Min-danao s'en nourriffent trois ou quatre mois de l'année. On fait fecher le fago en petits morceaux comme des confitures feches, pour le tranf-porter dans les autres parties des Indes orientales ; c'eft un excellent aftringent : on le dit bon pour le flux de fang , & il eft présentement très connu dans toute l'Europe. Du Plamair. L'arbre nommé Plantain croît à la hauteur de dix ou douze pieds ; en a environ trois de circonférence ; vient de rejetions , & périt quand le fruit eft arrivé à une parfaite maturité ; il a la forme & la groffeur d'une fauciffe, eft doux & jaune comme des Européens, ti du beurre. L'arbre ne pouffe d'abord pAMPIER_ que deux feuilles ; & quand il eft chap. xi. parvenu à un pied de hauteur, il en An. i6S6. fort deux autres, &c ainfi de fuite , les feuilles croiffant en nombre & en groffeur jufqu'au fommet, où vient le fruit dans des coffes de fix ou fept pouces de long , qui font jointes ensemble en affés grand nombre. Ces coffes n'ont ni graine ni noyau : elles ne contiennent qu'une chair ou poulpe , qui fond dans la bouche comme de la marmelade, &c eft également nourriffante ck agréable. Quand on coupe l'arbre, le tronc fe fend par le milieu , & on le laiffe fecher au foleil. Le bois en paroït compofé de fils d'égale groffeur à peu près comme notre gros fil de Bretagne quand il n'eft pas blanchi. Des gens qui s'occupent de ce travail enlèvent ces fïlsféparément,& en font des pièces de toile de fix à fept aunes de long. Cette toile ou drap eft roide quand elle eft neuve, parce que la chaîne & la trame font de la même groffeur , s'ufe promptement, & eft toujours un peu gluante. Cette Ifle produit une autre efpece DcsBanan«#, de plantain moins gros, dont le fruit A-vj; Dampier. c^ ?^ein ^e Petlts pépins noirs , oC chai>. xi. eft regarde comme un fort aftrin-Aii, nu. gent- Le Banane paroît être aufli une autre petite efpece de plantain, plus doux 8>C plus délicat, mais d'un goût moins agréable. On le mange feulement cru, & il n'eft bon ni à bouillir ni à cuire au four : mais on en fait quelquefois une boiffon de très bon-goût. Cette Me produit d'anes bons clous de giroffle & de bonnes muf-cades ; mais on ne s'attache pas à les cultiver crainte d'y attirer les Hollandois, qui fe font emparés de cette branche du commerce de L'épicerie. 'ifcraoixde La noix du betel eft plus groffe & plus ronde que la noix-mufeade r elle croît fur un arbre fort élevé, 6c qui n'a de feuilles que vers le fom-met. On eftime beaucoup le betel' quand il eft nouveau : il eft bon à î'eftomach , tk rend les lèvres vermeilles, mais il noircit les dents , quoiqu'il foit propre à les conferver -Oc. à nétoyer les gencives. On le coupe ordinairement en quartiers, qu'on enveloppe dans une feuille d'Arreca , arbrilfeau affés îemblable a* faule y après avoir mis fur cette Ües Européens, rj feuille une pâte légere de chaux. On DampI£R~ mâche cette compolition dans tout cbap. xi. l'Orient, & elle caufe des vertiges à , f °i An. 1666. ceux qui n y lont pas accoutumes. Le fruit nommé Durian eft aufli Le Durian* gros qu'une citrouille , & l'arbre qui ie porte reffemble à un pommier. Il n'eft bon à manger que lorfqu'il eft parvenu A une parfake maturité; alors il s'ouvre & répand une odeur délicieufe : la chair en eft excellente , aufli douce ck aufîi blanche que de la crème : elle eft partagée en petites cellules comme la noix, & eft couverte d'une écorce verte, allés épaif-fe. On ne peut garder ce fruit plus de deux jours après l'avoir cueilli: on trouve dedans un noyau de la groffeur d'une fève, couvert d'une coquille dure qui fe fend au feu , & Famande a le gout d'une châtaigne. Le Jaca eft un fruit de la même LeJa***. efpece , mais plus jaune & plus rempli de noyaux : on le fait griller, & il eft d'un très bon gout. Ces Ifles produifent aufîi diverfes autres fortes de fruits, dont il feroit trop long de donner ici la defcription. On ne trouve point de bêtes der>esanimau$ proye à Mindanao ; mais il y a du£»xs« 14 DÉCOUVERTES Dampier line gran^e quantité de chevaux, de -cinp xi. bœufs, de vaches, de chèvres, de An. i6î6« buffles, de cochons fauvages, de daims, de linges, de guanos, de lézards & de ferpents. Les bois font remplis d'une multitude de fangliers-très laids a voir, & qui ont des troupes de poils qui leur couvrent les yeux. Il y a aufîi des lézards, des ferpents & des feorpions, qui piquent de la queue ; & un infecte de quatre à cinq pouces de long, de la groffeur d'une plume d'oye, mais plat,. avec le dos noir , le ventre blanc y & un grand nombre de pattes. Les Angloisle nomment quarante pieds,, d'autres l'appellent le cent pieds ,, & fa piquure eft encore plus dinge-reufe que celle du feorpion. Il habite les vieilles maifons , & les bois pourris. Dcsoifeaux On trouve encore dans ces Ifles fous, un autre animal quatre rois aulîi gros que le Guano, auquel il reffemble beaucoup, mais il a la langue fourchue : notre Auteur dit qu'il n'a pas été inftruit des effers de fa morfure. U n'y a dToifeaux privés que les poules & les canards; mais les oifeaux îauvages y font en abondance ? en- des Européens. 15 tre autres les pigeons, les tourterel- dampier les, les perroquets, les péniches, ehap. xi. des chauve-fouris, aufli grofles que An. i63«* des milans, outre une infinité de petits oifeaux de toute efpece. Les principaux poiflbns font les bonites, les cavalis , les brèmes, les brochets , les mullets, & les tortues de mer. D y a de très bons ports, des bayes & des rivières : l'air y eft très tempéré , malgré le voitinage de l'Equateur, parce qu'il eft continuellement raffraichi par des vents de terre, ou de mer. Depuis le mois d'O&obre jufqu'au mois de Mai, le vent fouf-fle de FEft avec un beau temps ; & de Mai en Octobre il eft Oueft avec des pluies &c des tempêtes d'une violence prodigieufe, qui arrachent les plus gros arbres, & mettent tout le pays fous les eaux, enforte qu'on eft obligé de fe fervir de canots pour aller d'une maifon à une autre-Le temps le plus furieux eft durant les mois de Juillet & d'Août, mais il commence à devenir plus modéré en Septembre, ck pendant ce mois il fait des brouillards exceflivement épais, qui durent jufqu'à dix ou onze heures du matin ? malgré la force du: l6 DÉCOUVERTES Dampier Soleil t particulièrement quand il af chap.x j. plu la nuit précédente. An. i6%( Cette Ifle eft partagée en plufieurs Defcription Principautés , dont chacune eft gou-AshabKants.vernée par fon propre Roi; en général on parle différentes dialectes dans chacune. La religion dominante eft celle de Mahomet. Les naturels fe reffemblent prefque tous pour Ja force, la taille & la couleur. Ils ne font pas grands, mais ils font bien proportionnés, ont la tête petite, le vifage ovale, le front plat, de petits yeux noirs, le nez court, la bouche grande, les dents noires , les cheveux de même, la peau tannée & brillante. Ils ne coupent jamais les ongles de leurs pouces, mais ils les ratifient quelquefois, &C en général ils tiennent plus longs ceux de la main gauche. Ils fe laiffent fouvent tomber dans l'indolence, font très enclins au larcin, & ne travaillent que quand ils y font forcés par la nccemté ; mais alors on les voit actifs. & ingénieux, qualités qui leur font naturelles, •«fiâmes. Les femmes en générai ont les traits plus beaux que les hommes & parouTent aûes jolies quand qj% des Européens. 17 les voit de loin ; mais elles ont le nez pAMpiER7, fi petit, que dans quelques - unes à chap. ai. peine en peut-on diitinguer l'éleva- AU? tion entre leurs yeux. Elles portent les cheveux attachés par un nœud qui les laïfle tomber fur le col. Leurs pieds font très petits, & elles aime-roient beaucoup la compagnie des hommes blancs, fi les ufages du pays ne leur en interdifoient abfolument la communication. Cependant leurs maris ne font point jaloux de les voir -affables aux étrangers. Les hommes ck les femmes ne por- teur habiUfj tent ni bas, ni fouliers; les hommes mem* ont des culottes, & de larges frocks, avec des turbans qui font un nœud, & dont les bouts pendent par derrière. Les femmes portent un jupon très large , avec un frock aufîi fort large, dont les manches font plus longues mie leurs bras, mais le bas en efî: fi étroit qu'à peine y peuvent-elles paffer les mains ; elles les attachent autour du poignet. Quand un étranger arrive on le recommande à un pagally ou camarade, & il peut boire, manger & dormir quand il lui plaît dans fa maifon , en payant fort peu de chofe ; mais on lui donne le bétel & le tabac gratis. l8 découvertes Dampier ^n donne aum^ des amJes à queï-ciwp. xi.' ques étrangers, mais il faut qu'ils * aient de la retenue avec elles, & s'en An. I68S. . ï t tiennent au îylteme platonique. II ftamîLîu'on eu" tr^s ordinaire que les femmes du donne aux Sultan , ou des Grands de l'Etat, qui «rangers. prennent plLls de libertés que celles du commun, s'informent des étrangers qu'elles voient palfer, s'ils ont un pagally ou camarade, & s'ils n'en ont pas, elles leur envoient un pré-fent de tabac & de bétel, pour marque de leur amitié. La nation la plus nombreufe de Tille eft celle des Mindanao, d'où elle a tiré fon nom. Les habitants qui font proches de la mer, &c engagés dans le commerce, font plus civilifés que les autres. Dampier ne parle point de tous les différents peuples de rifle, & il fe borne à un petit nombre qu'il a le mieux connus. Les plus remarquables font les Hilanoones, qui habitent l'intérieur du pays, ôc font maîtres des mines d'or, dont le produit leur fert à acheter les denrée* étrangères. De la ville II y a une grande quantité de mou-in anac* ches à miel à Mindanao : les habî- des Européens. 19 tains ont fur les rivières des barques £)ampier ou proes, dont chacune porte dix chap. xi. ou douze rames. La ville de Minda- An, ksc. nao elt dans la partie Méridionale de Flile, à deux milles de la mer, près d'une petite rivière; les mai-fons font bâties fur des poteaux élevés de dix-huit ou vingt pieds: elles n'ont qu'un étage, &c l'on y mon? te avec une échelle : elles font partagées en plulieurs chambres, 6c couvertes de feuilles de palmier. Dans l'efpace qui eft deifous, les gens du commun mettent des canards &c des pcuîes : mais ceux qui font de plus haut rang n'en font d'autre ufage , que d'y jetter toutes leurs immo» dices, tk elles y demeurent jufqu'à .ce que les pluies, ou les débordements les entraînent. Le palais du Sultan eft porté fur Talai*** cent quatre-vingt poteaux. Dans la première pièce on trouve vingt canons de fer, montés fur leurs affûts , 6c en générai tous les Grands de l'Etat ont des canons dans leurs mai-fons. Ce Palais eft plus élevé que les autres bâtiments, 6c l'on y monte par de larges dégrés au lieu d'échelle. A côté eft une maifon éle- Dampier v^e ^dement de quatre pieds au-Chap.xi deffus du terrein, où le Sultan & An. i6S6. fon Confeil font afîis les jambes croi-fées, parce qu'ils n'ont pas l'ufage des fiéges: c'eft aum* ou ce Prince donne audience aux AmbalTadeurs & aux Marchands étrangers. De leur Le poiflbn, le riz & le fago font leur'nMipro-^a nourriture du peuple : les gens j>r«é. de plus haut état mangent de temps en temps de la volaille & du buffle, très mal accommodé. On fert aullî du riz avec toute autre efpece de nourriture. Ils le prennent dans leurs mains, parce qu'ils n'ont pas l'ufage des cuillers, & ils en enfoncent en fi grande quantité dans leurs bouches , qu'ils femblent quelquefois près d'étouffer. Ils fe lavent ordinairement après le repas, & jettent toute l'eau fur le plancher près de la cheminée, d'où elle coule dans la partie inférieure , s'y croupit, y engendre des vers, & produit une puanteur infuportable , particulièrement quand il y a des malades, parce qu'ils fe foulagent dans leurs befoins naturels , par un trou fait exprès au plancher de la chambre où ils couchent. Ceux qui font en bonne fanté vont des Européens. 21 ordinairement à la rivière, où ils fe ^ p R', bai gnent très ibuvent, ce qui elt fort chap. xu fain dans ces pays chauds, partial- a«. umL liéremenr pour ceux qui font incommodés de la dyfTenterie. Il eft très ordinaire aux habitants de fe mettre dans la rivière , de s'y dépouiller pour laver leurs habits, de les faire ïécher fur la place, & d'aller enfuite à leurs affaires. Quelques-uns des habitants parlent la langue des Efpa-gnols, qui ont eu autrefois quelques pofleftions dans leur Iile, mais le langage le plus ordinaire eft le Malayen, & la langue de Mindanao. Prefque toutes leurs prières font De Icur " . 1 o '1 1 ' commerce. en langue Arabe, fiance en eux, parce qu'ils font » tous voleurs; mais taifons - nous, ,( » & ne nous brûlons pas à la chan-v délie. » Punition On s'apperçut qu'un des gens du lunvoieur. £^n^raj avoit Yo\é quelques mar- chandifes, & s'étoit enfuite retiré dans les montagnes. Cet homme fut pris pendant que le Capitaine Swan étoit dans l'Ifle, & le Sultan vou-loit le lui faire remettre, pour qu'il le fit punir à fa volonté ; mais le Capitaine refufa d'exercer une telle autorité ; & le Sultan pour faire voir fa juftice, ordonna que le voleur feroit attaché à un poteau, & ex-pofé un jour entier à l'ardeur du Soleil, &c aux piquûres des coufins. Cette conduite du Sultan obligea le Capitaine de défendre expreffé-ment à fes gens, de faire aucune infiltre aux habitants, ck même il fît punir M. Teat, fon premier Contre- des Européens; 31 maître, pour quelque légere tranf- Dampier. greflion. ChaP. au/ Le Raja Laut, qui étoit très pro- An l6i6 che parent de la famille Royale , & Général en chef des troupes de Min- jj^îg danao , ovoit eu quelque différent Je* Angioîs. avec le Sultan , ce qui l'empêcha d'être préfent quand le Capitaine Swan conféra avec Sa Majeflé : mais le Raja l'attendit à fon retour de la Cour, & le traita très bien lui & fes gens v avec du riz & de la volaille. Cet homme avoit beaucoup de pénétration & d'intelligence ; con-noiflbit très bien les livres Espagnols, & converfoit volontiers avec , les étrangers , ce qui l'avoit beaucoup humanizé, &t inltruit des coutumes des Européens. Il donna de très bons avis avec amitié au Capitaine Swan, lui offrit fa maifon , & le traita très bien lui & fes gens, pendant le féjour qu'ils firent dans l'Ifle. On étoit alors dans la faifon ora-geufe, & les Boucanniers remonte-rent leur vaiffeau dans la rivière, aidés de cinquante ou foixante pêcheurs. Ils y amarrèrent leur vaiffeau de la poupe & de la proue, dans. B iv 31 DÉCOUVERTES Dampier. }me ouverture pratiquée exprès, oît chap. xu. il fut toujours à flot. Plufieurs habi- An. i486. tants vmrent à bord, tous les hommes eurent bien-tôt des pagallis, & furent très furpris de l'affabilité, & de la bonne humeur avec laquelle ils en furent traités. Le Capitaine Swan étoit prefque toujours accompagné de trompettes à fon dîné, ce qui cau-foit le plus grand plaifir au Raja Laut, qui étoit fon pagalli. Pendant la faifon pluvieufe, toute la ville de Mindanao eft comme dans un étang : & les eaux entraînent fou-vent de grandes pièces de bois de la campagne, qui auroient pu endommager le vaifTeau, fi l'on n'a voit pris les plus grands foins pour les en écarter. punition Aufîi - tôt que le mauvais temps dun matelot ^ *r . „ . .* qui fe fait commença a le palier, le Capitaine Gcntiih°m ^wan ^oua un magafin ? pour y mettre fes marchandifes & fes voiles, pendant qu'on caréneroit le vaiffeau. Voyant que le Général étoit pafîîon-né pour la danfe, il fît venir à terre quelques gens qui jouoient du violon , & quelques Matelots qui fa-voient les danfes d'Angleterre, entre autres un nommé Jean Thaçker, me. des Européens. 33 qui ne favoit ni lire, ni écrire, maisrj>AMriER. qui avoit affés bien ménagé fon ar- ehap. XII. gent, & portoit des habits fort pro- An. km. pres. Cet homme avoit appris à dan* fer dans des falies de Londres. Son habillement & fon agilité firent croire au Général que c étoit un homme de qualité, & il fut confirmé dans fon erreur par un autre Matelot. Cette tromperie fut fue du Capitaine , lè miférable fut battu pour cette impoffure , & Ton détrompa le Gé* néral, qui ne voulut plus permettre qu'il parut devant lui. Il s'attacha une multitude innom-Gc^rafpout brable de vers au fonds du vaiffeau ,ieïfaircreftci pendant qu'il demeura dans ce port on le remit à flot le 10 de Décembre , & l'on commença le même jour à le charger d'eau & de riz. Le Général qui avoit fes vues en le faifant demeurer dans l'ifle, retint à terre plufieurs hommes pour chaffer avec lui, difant qu'il y avoit une grande quantité de gros bétail : mais M. Dampier, qui fut d'une de ces parties, affure qu'en dix jours ils ne rencontrèrent que quatre vaches, dont il ne fut pas poltible de joindre une feule. B v _ 34 DÉCOUVERTES Dampift'. Le Capitaine Swan avoit alors def-Unp aji fein de quitter Mindanao, pour char-An. KS86. ger des épiceries dans une autre iile du voiiînage, tombée depuis peu entre les mains des Hollandois. Le plus grand nombre de fes gens efpéroient qu'il fe mettroit totalement à la piraterie : mais il avoit une extrême averfion pour ce métier, quoiqu'il leur cachât foigneufement fa penfée. Le lendemain de Noël, le Général propofa une nouvelle chaiTe pour chercher de gros bétail. Il y fut accompagné de cinq ou fix Anglois, îk de toutes fes femmes. II couchoit tour à tour avec chacune , & deux jours de fuite avec celle qui lui avoit donné un fils aîné. Celle qui devoit être la Reine de la nuit, étoit très refpeclée tout le jour précédent, & portoit pour marque de diftinûion, un mouchoir de col de foie rayé, le Capitaine Ils ne tuèrent que trois géniffes, îafir-ï te?re dans l'intention de croifer devant Manille. Le 3 de Février, ils jetterent l'ancre dans une ifle, dont on ignore le nom, A l'Oueftde Fille de Sebo, & à la latitude de 9 dégrés 5 minutes : ils y firent de l'eau, & y nétoyerent le fonds de leur vaiffeau. Ils n'y virent ni maifons, ni au- chau-es-cunes marques d'habitants, mais feu- fouriî dW l " , ... „ , grandeur pro- lement un nombre prodigieux de- Jigieufc» normes chauve-fouris , dont les aîles étendues occupoient huit pieds de largeur, avec des griffes crochues &c fort aiguës aux extrémités, qui leur-lèrvoient à s'accrocher à ce qu'elles; rencontroient. En quittant cette ifle B vj Dampier. *k mr«nt bien près de perdre leur Cbap.xii. vaiffeau fur lui rocher, qu'ils eurent As. i«7. cependant le bonheur de palier, en perdant feulement une partie de leur gouvernail, parce que c'étoit dans le temps de la haute marée. Le 13 ils prirent un bâtiment Ef-pagnol chargé de riz & de coton, environ à huit lieues de Manille. Deferiptïpn La ville nommée Manille, eft la 4cManille, principale de Tille de Luçon, dont nous avons déjà parlé. Elle a de très bons murs , & elt bien fortifiée : les rues font larges & régulières, & le port peut contenir fept cents vaif-féaux. Les Boucanniers mirent leurs prifonniers à terre dans cette ifle; le 26 de Février ils remirent à la Voile avec un bon vent d'Eft-nord-efl: pour les Pifcadores, amas de petites illes fur la côte de Camboya, à la latitude de 8 dégrés 40 minutes. Us y emmenèrent leur prife, & jet-terent l'ancre dans la partie fepten-trionale, de la plus grande, le 13 de Mars. Le fol de ces ifles eft pour la plus grande partie noir & profond : il produit diverfes fortes d'arbres. Il y en a une efpece, dont le diamètre cil d'environ trois ou quatre pieds ; des Européens. 37 on fait une incifion au tronc, d'oùDAMPIER> il diftile une liqueur gluante, qui en chap. xji. la faifant un peu chauffer, a les ver- An ^ tus du goudron; mais fi on la laiffe plus long-temps fur le feu, elle acquiert les qualités de la poix , & l'on s'en fert très Lien aux mêmes ufages. Cette ifle produit aufli le mango , qui eft un fruit à peu près de la groffeur d'une petite pêche, plein de jus, &: d'un goût très agréable. L'odeur en eft fi délicieufe, que l'air en eft parfumé à une diftance affés con-fidérable. Avant qu'il foit parvenu à maturité, on le coupe en deux pour le mettre confire avec du fel, du vinaigre , & quelques gouffes d'ail. On trouve dans cette ifle un ar- Produûiom bre très droit, d'environ un pied dedecettclflc* diamètre, avec très peu de branches, ite. qui porte des efpeces de raifins rouges & blancs, qui produifent une liqueur d'un goût vineux excellent. Il y croît aufli un faux mufcadier, qui reffemble beaucoup au véritable , maii il n'en a ni le goût, ni l'odeur. Entre autres animaux, on y voit des c©chons, des lézards, des perroquets, des péruches, une efpece de coqs & de poules fauvages, Dampier! P.1liS Petits » *J dont le cri.eft PIuS Chap. x;i aigu que celui de nos volailles do-An, i«7. meftiques, auxquelles ils reffemblent parfaitement: la chair en eft blanche & très bonne. Mœurs des On voit fur le rivage de la mer habitants. une grancle quantité de coquillages, & de tortues vertes. Les naturels font petits, mais bien faits, plus bruns que ceux de Mindanao , avec des vifages longs, des cheveux noirs, de petits yeux, & les dents blanches. Ils font polis & affés pauvres ; s'occupent particulièrement à fournir les vaiffeaux du jus de l'arbre à goudron, & ils en tranfportent à la Cochin-chine , où ils portent aufîi de l'huile de tortue, dont ils font bouillir la graiffe à cet ufage. Ils ne font point jaloux de leurs femmes, au contraire ils les amènent à bord , & les livrent aux Matelots pour une très médiocre récompenfe. Cette coutume n'eft pas particuliere à ces ifles; on trouve le même ufage à Tunquin, à Siam, à la Cochinchine, & en divers autres endroits dès Indes Orien-" taies, de même que fur la côte de Guinée, où prefque tous les Matelots ont pendant leur féjour, une des Européens. 39 noire pour leur fervir de compagne. Dampier. Cette conduite elt fondée fur des chap.xn. principes de politique, qui ne peu- a.n. i«7. vent cependant jamais fervir d'excuje dans les aclwns criminelles. Si l'on **™fesro*.r rorme quelque projet contre 1 equi- biuche <4cs page du vaiffeau, on elf certain que turopéen*' ces femmes en avertirent les amis qu'elles ont parmi les blancs : de plus les Supercargos & les Maîtres des vaiffeaux, font parce commerce illicite une efpece d'alliance avec les Mandarins & les Principaux du pays oîi ils fe trouvent ; & comme ces nations font naturellement perfides, on croit qu'il y a une efpece de né-cefTîté de fe les attacher par cette union. Us font prefque tous Idolâtres, mais notre Auteur dit qu'il n'a pu connoître les cérémonies de leur religion. Il penfe qu'ils adorent un Eléphant & un Cheval, ayant remarqué la figure du premier de ces animaux dans l'intérieur d'un Temple, au Midi de l'ifle ; & une image du dernier fur l'extérieur d'un autre. Ils étoient placés l'un & l'autre la tête tournée au Midi, & le Temple conf-truit en bois & fon groflier, étoit dans un petit village. Dampier. Le vaiffeau demeura dans ce port Chap.xn. depuis le 16 de Mars jufqu'au 16 An. 1687. d'Avril : on en nétoya encore le T _ fond , &; l'on Ht de nouvelles voiles Les Boucan t »i* j « t » nierj arrivent avec la toile qu on avoit trouvée a »Sum. bord du navire Efpagnol. Les naturels leur fournirent pendant qu'ils y relièrent beaucoup de cochons, de tortues & de fruits, & on leur donna du riz en échange. Après avoir déchargé la prife qu'ils avoient faite à Manille, ils fe fournirent d'eau, prirent à bord un homme qui favoit la langue Malayenne, pour les conduire a Siam, parce qu'ils avoient, deffein de connoître cette ville, ainfi que toutes les iiles fur la route. Ils mirent à la voile le 7 d'Avril; & le 24 ils entrèrent dans la baye de Siam, où le Pilote, malgré fon expérience , toucha la terre. Le Capitaine Read débarqua entre quelques ifles pour chercher du poiffon, mais il revint à bord fans en avoir trouvé. Le 13 de Mai ils regagnèrent Pulo Ubi, où ils avoient touché en route. des Européens. 41 CHAPITRE XIII. Les Boucanniers arrivent à Pulo-Con-dore : Quelques-uns des [Matelots font près d'être majfacrés par une trahij on : Effetfîngulierde lafrayeur: Ils font forcés de relâcher à la côte de-la Chine : Defcription des habitants & des productions de Clfle Saint-Jean : Avantages qui résultent de la petiteffe des pieds des femmes Chinoifes : De quoi ejl faite la porcelaine de la Chine : Les Chinois Jont de grands fourbes & de grands trompeurs : Zeled'unpayfan pourfa pagode favorite : le vai(leau quitte PI fie de Saint Jean , & ejl ex-pojé à une violente tempête : Su-perjlition des matelots : Ils arrivent aux Ijles Pifcadores : Le Gouverneur les reçoit très bien : Ils partent de ces Ijles & fe rendent à celle de Grafton : Defcription des habitants & des productions de cette Ijle : On y trouve un métail qui a beaucoup de rejjemblance avec for : Leurs mai-fons font des forts imprenables : 41 DÉCOUVERTES Malpropreté de leur nourriture : Dé leurs armes ; de leurs mârchandifes ; de leurs Loix ; de leur religion, & de leur Gouvernement, —~~T A Pulo - Ubi les Anelois trouve- DamPIER. l\ j -/r 5 s » Chap. xiii. -ta. rent deux vaiiteaux a 1 ancre , An. ms7. chargés de Lacque dont on fe fert pour les beaux vernis. L'un de ces LesRoucar-1 a * - r. ». . .\ i niers arrivent bâtiments etoit tres propre: on les dcTe'0 C°n avou" chargés à Champa pour Ma-iaca ; & ils avoient à bord des matelots vifs , fociables & bons, armés de larges épées , de lances, & de quelques fufils. Le ii de M;\i , les Boucanniers arrivèrent à Pulo - Condore ; ils y trouvèrent une petite barque à l'ancre : le Capitaine Read envoya un canot pour la reconnoître , avec ordre à fes gens de ne pas fe hafarder de monter à bord, à moins qu'ils ne fuffent affurés d'être amis de ceux qui y étoient, craignant que ce ne fuiTent des Malayens, qu'il connoif-foit particulièrement pour traîtres. Les hommes n'eurent aucun égard à ce que leur avoit enjoint le Capitaine ; ils abordèrent le bâtiment, mais ils furent bientôt obligés de fe des européens. 43 retirer, étant attaqués avec des cref- dampïer. fets ou bayonettes ; ce qui les força chaP. xiu* de fe jetter dans l'eau pour fauver An. 1067. leur vie en nageanr. On remarqua un nommé Daniel Wallis qui nagea comme les autres pendant quelques minutes , jufqu'à ce qu'on le retirât de l'eau, quoiqu'il n'eût jamais pratiqué cet exercice , & qu'il ne pût encore y réuffir quand il voulut l'ef-fayer par la fuite. Le Capitaine Read envoya deux canots pour tirer vengeance de ces gens ; mais ils fe fauverent dans les bois après avoir percé & coulé à fond leur barque. Le 4 de Juin les Boucanniers mi- jg*" rent à la voile de cette ifle , dans rie la chm?. l'intention de croifer à la hauteur de Manille ; mais le vent qui fouf-floit fortement de Sud-Oueft , les jetta fur la côte de la Chine. Le 26, ils gagnèrent l'ifle de Saint-Jean dans la Province de Canton, & jetterent l'ancre dans la partie qui eft au Nord-Eft. Les bords de cette ifle près du rivage de la mer font en général couverts de bois, le terroir y eft fertile , & il y a de bons pâturages dans rintérieur , avec des bouquets de bois d'efpace en efpace. Dampier. ^n n'y tr0uve Pomt d'oifeaux Chap, xm. fauvages ; mais il y en a une gran-An. iss?, de quantité de domeftiques, tels que Animaux dudes canards, des coqs & des pou-»*7*- les. On y voit aufli des chèvres , des bœufs fauvages, des buffles & des cochons de la Chine en grande quantité. Ces cochons font entièrement noirs , avec de petites tctes, le col gros & court, de gros ventres qui touchent a terre, & lespattes fort courtes. Defcription Les naturels de cette ifle, ainfi que Je*habitant*.tous les Chinois en général, font grands, maigres, & droits : ils ont le vifage long, le front élevé, les yeux petits , le nez aquilin, les cheveux noirs, la barbe claire , qu'ils attachent en trèfle, ou qu'ils relèvent en mouftaches fur leurs lèvres, & le teint bazanné. Ils portoient autrefois leurs cheveux , dont ils étoient fort curieux ; mais depuis que les Tartares fe font rendus maîtres du pays, ils les ont obligés de fe ra-fer la téte, & de réferver feulement un toupet fur la couronne. Ils le laiffent croître d'une longueur étonnante , dont ils font une trèfle ; mais quelquefois ils en laifîent les cheveux épars. Si on trouvoit un Chinois avec des Européens. 45 une longue chevelure, il lui en coûte- j5AMPIÏR; roit la vie ; & plufieurs ont préféré chap. xm. d'abandonner le pays plutôt que de An. 1687. quitter leurs cheveux. Ils ne portent ordinairement rien petitcfl-e du fur la tête ; mais ils fe fervent d'un pJjJ'J" cki' parafol pour fe garantir de l'ardeurn01 c * du foleil : quand ils n'ont que peu de chemin à faire , ils fe contentent d'un grand éventail de foie ou de papier. Us ont des efpeces de pa-bouches, mais ils ne portent point de bas , ôc ont pour habillement un petit frock & une culotte. Les femmes font obligées de refter à la mai-fon, & elles ne peuvent prefque marcher à caufe de la petitefle de leurs pieds, qu'on tient excefli-vement ferrés dans leur enfance, pour les empêcher de groftir, parce 3ue la petitefle du pied eft regarée chez elles comme une grande beauté. Aufli ne vont-elles qu'en chancelant autour de leurs appartements , & font obligées de s'aflèoir à terre quand elles ont fait trois ou quatre pas. C'eft une excellente politique pour empêcher les parties de plaiiir ; & je crois que beaucoup d'honnêtes gens en Angleterre défireroient par 46 DÉCOUV ER T E S Dampier ^a même ra i fon que leurs femmes eu£ Chip. xi il. fent de petits pieds , ou qu'elles n'en enflent point du tout. (* ) Elles font de tres beaux ouvrages a laiguille, particulièrement des broderies pour leurs fouliers dont elles (ont très cu-rieufes. Les femmes du commun ne s'attachent point à avoir le pied petit ; elles vont fans bas ni fouliers aux marchés , & font de même tout ce qui eft néceffaire dans leur ménage. Fureur des Les ouvrages que nous connoif-Chjnois pont fons particulièrement par le nom de China ou de Porcelaine fe font d'une efpece de terre qu'on trouve dans la Province de Canton. La Chine produit quantité de drogues , particulièrement le Quinquina qu'on appelle ( *) Cette réflexion peut être bonne chez les Anglais, qui fe privent volontairement des douceurs de la fociété d'un fexe deftiné à faire les délices du notre. Il n'en elt pas de même en France , ou les honnêtes gens trouveroient les plaifirs inllpides s'ils ne les partageoient avec d'aimnbles compagnes. Ceux qui penferit autrement, entraînés par la fureur .du jeu ou par leur penchant à la débauche, en font prefque toujours punis par les défordres où les femmes fe plongent pour fe venger de l'abandon de leurs maris. des Européens. 47 la racine de la Chine , tk le thé, D AMP1ER qu'on vend dans les mes fur des chap. xhi plats joliment travaillés. On y trou- a». ió«7. ve aufli beaucoup de fucre. Les Chinois font ingénieux , adroits, fripons, & tellement adonnés au jeu, qu'il n'eit pas rare d'en voir qui perdent tout ce qu'ils poffedent, & fe pendent enfuite de défefpoir. Les maifons que Dampier vit dans rifle de Saint-Jean ctoient pauvres, baffes & entremêlées de mares très faies. Un jour, que fept ou huit des matelots dînoient d'un cochon qu'ils avoient fait rôtir , un payfan leuren demanda un morceau, qu'ils lui donnèrent aufli-tôt. Après le repas, il leur fît figne de le fuivre dans un bois , où il voulut les engager à laif-fer de leurs viandes à l'idole d'un temple voifin où il les conduiiïr. Ils le refuferent, ainli que d'adorer la Pagode , quelques efforts qu'il fit pour les y obliger par fon exemple. Les Boucanniers leverent l'ancre LesAngioîj de l'ifle Saint-Jean vers quatre heu- Çffyy*** une * • j- », c > 1 'll!'cufe ten*, res a pies midi , 6c firent la plus Pâe. grande diligence qu'il leur fut pofli-ble pour gagner la haute mer , parce qu'ils virviu les Agnes les plus évi- 48 DÉCOUVERTES Dampier dents d'une tempête prochaine, us Chap. xm." en furent afîaillis à onze heures du An. i6$7. f°ir » & ei^e étendit fes ravages avec fureur jufqu'à quatre heures du matin , où les hommes furent encouragés par la vue d'un Corpus fanclum furie grand mât, ce qu'ils regardoient comme un avant-coureur du beau temps ; mais s'ils l'avoient vu fur le pont , les matelots fuperltitieux fe feroient crus perdus. Ce qu'on Le Corpus fanclum elt un petit feu brille comme une étoile , & il eft fort ordinaire d'en voir voltiger autour des vaiffeaux dans le mauvais temps. Le lendemain vers onze heures il y eut un grand calme, après lequel la tempête reprit avec encore plus de violence ; ce qui détermina les gens d'équipage à tourner vers les Pifcadores , qui font à 23 degrés de latitude feptentrionale , parce qu'ils craignoient que le temps orageux ne durât pendant toute la lime, qui étoit prête à changer, m arrivent Le 10 ^ Juillet, ils furent à la >uxIflciPif- . ' a #adorcj. vue de ces îiles : ils jerterent 1 ancre entre les deux qui font les plus orientales , & furent très furpris de voir dans la partie occidentale une grande des Européens. 49 "grande ville avec un fort, qui com- d^mp.fr1 mandoit le port. Quelques-uns des chap. yni* hommes qui defcendirent à terre fu- An rent conduits devant le Gouverneur, auquel ils dirent qu'ils étoient An-> glois, & venus dans l'intention de commercer . Il les reçut avec amitié , & leur dit qu'il les aideroit de tout ce qui feroit en fon pouvoir ; mais qu'ils ne dévoient pas fonger à faire aucun commerce dans ce pays, parce qu'il étoit absolument défendu. Il envoya en préfent au Capitaine une petite jarre de farine , quelques tourteaux de fort beau pain , une douzaine de pommes de pin, avec plufieurs melons d'eau. Le lendemain, ils furent vifités Préfentsque par un Officier de beaucoup d'appa- £0^^ rence, qui portoit un habillement fort large avec une culotte de foie noire, des bottes molles également noires , & des plumes noires & Manches fur une efpece de chapeau de foie noire. 11 fit apporter à bord , comme un préfent du Gouverneur , une gcnifie très grafie, deux forts cochons , quatre chèvres, deux corbeilles de farine , vingt grands tourteaux plats de fort bon pain, deux Jom.VllI. C Dampier. îarres de ftm-shu , efpece d'arracle Chap. xin fait de riz, avec cinquante-cinq jar- An. i6$7. res ^e noc"shu i qu'on tire du fro-menr. C'eft une liqueur très agréable, qui reffemble beaucoup au mum ou bierre de BrunfVick, boiflbn déli-cieufe pour les gens de mer. Par reconnoiflance le Capitaine Read envoya au Gouverneur une longue épée à l'Efpagnole, avec la garde d'argent très bien travaillée , une carabine Angloife, & une chaîne d'or : il ordonna aufli de tirer trois coups de canon pour faluer l'Officier quand il vint à bord. Ils leverent l'ancre le 19 de Juillet, le vent étant au Sud-Oiieft, dans l'intention de gagner quelques ifles marquées > dans les cartes entre celle de Luçon ou de Manille, 6c l'ifle Formofa, parce cju'ils n'avoient pas encore renonce à leur projet fur le vaiffeau de Manille. Ils penfoient que ces ifles n'étoient pas habitées , fur ce que les Géographes ne leur avoient point donné de noms ; 6c ils furent très fur-pris, quand ils jetterent l'ancre dans la partie orientale de celle qui eft la plus feptentrionale, d'y trouver trois des Européens. y_ grandes villes très peuplées, éloignées r->AMP,ER" chacune d'une lieue de la mer. chap. xm. . Ils donnèrent le nom d'Orange à An. 1,87. l'une de ces ifles en l'honneur du Roi Guillaume III. Elle a environ huit d"'nd00™™ lieues de long & deux de large. M. piuiieur» Dampier en nomma une autre qui a Iflei* quatre lieues de long 6c une lieue 6c demie de large du nom du Duc de Grafton , parce que la femme de ce voyageur étoit de la même famille que la Duchefle, 6c vivoit dans fa maifon : une troifieme fut appeîlée ifle de Monmouth en l'honneur du Duc de ce nom. Ces trois ifles font les plus grandes ; des deux autres on en nomma une ifle des Chèvres, parce qu'on y vit beaucoup de ces animaux, 6c ils appelèrent l'autre Bachi à caufe d'une liqueur excellente qu'ils y burent , 6c qu'ils entendirent nommer de même. L'ifle d'Orange n'eft point habi- Defcr;ptio4 tee, quoiqu'elle foit la plus grande des habitant^ de toutes ; mais celles de Monmouth & de Grafton font aflez peuplées. Les naturels font couleur de cuivre, petits 6c ramafîes , avec le vifage' rond, le front petit, de gros fourcils: 4 Dampier. ^es Yeux comeur de noifctte, les che-Cfctp. \, ii'. veux -noirs 6c épais, qu'ils coupent An. i6i7. en rond autour de leur téte, enforte qu'ils leur couvrent à peine les oreilles. Les hommes n'ont d'autre habillement qu'une jaquette de feuilles de plantain aufTi rude qu'une peau d'ours; 6c quelques-uns ne portent qu'un morceau de toile pour couvrir ce qui doit être caché. Il y a dans ces ifles des mines de métail d'un jaune pille , affez reffem-blant à l'or; mais il perd quelquefois fon éclat, 6c devient d'une couleur fade. Les naturels en font des anneaux 6c d'autres ornements, qu'ils endui-fent d'une pare de craie rouge, après quoi ils les mettent dans un feu très ardent, où ils les laiffent Jufqu'à ce qu'ils forent très roug°s'; alors ils les jettent dans l'eau pour y reffroidir , enlèvent la pâte, 6c la pièce paroîr.1 d'un très beau lufîre. 'leursmai- Leurs maifons font très baffes , faites de petits poteaux, attachés les*' uns aux autres par des branchages;' le foyer elt à l'une des extrémités, avec d-s planches'cjiii n'en font point éloignées , fur lesquelles ils fe jettent jSóuf d'onnjr; Ils \iycntenfemble dan» des Européens. 55 de perirs villages , fur le îommet ou jj)AMpIE£ fur le penchant des collines ; lesmai-cruP. xm, fons s'élcvent les unes au demis des Ab, ,w. autres, avec des précipices au def-fous ; ce qui les oblige d'y monter par des échelles , qu'ils retirent en-fuite ; enforte qu'il feroit impofîible d'y grimper pour les attaquer ; mais pour ne pas être furpris par les dehors , ils choififfent une fituation fur un terrein, dont le derrière eft perpendiculaire à la mer. Les rues de chaque rang de maifons font parallèles aux fommets de celles qui font au délions, l'échelle qui leur fert pour y monter elf au milieu de la . rue. Ces précipices font certainement naturels ; car il leur auroit été im-poffible de couper ainfi les rochers, quoiqu'ils foient très ingénieux, qu'ils aient l'ufage du fer , qu'ils le travaillent eux-mêmes, & qu'ils fâchent fe conûruire de très jolies barques. Les femmes font chargées de tout Lcurneuw ce qui concerne le ménage, 6k les"turc* hommes s'occupent en général de la pêche. Ils font fort mal-propres dans leur nourriture ; ôc ils ont coutume de demander les ventres des cochons fSc des chèvres que tuent les gens «4 DÉCOUVERTES •Dampier, équipage des vaiffeaux. Ils en met-Chap. xm. tent toute l'ordure dans un pot avec An. 1687. v de l'eau , la font bouillir jufqu'à ce que cela ait acquis de la confiftance, & ils le mangent avec du poilfon crud , le prenant dans leurs mains comme les Indiens font le riz , parce qu'ils ne fe fervent pas de cuilliers. Ils ont aufïî beaucoup de goût pour les peaux de chèvres ; & il faut qu'ils aient des eftomachs d'autruches pour les digérer : ils en flambent le poil ? les mettent griller fur des charbons , & les déchirent enfuite avec leurs dents,le mieux qu'il leur eftpofïible. Ils ramaffent des fauterelles dont ils font infe&és vers le mois d'Août, les font griller fur le feu dans une poêle, jufqu'à ce que les pattes & les ailes foient confommées , & que le corps en foit devenu rouge comme les écre-viffes. BoifTonnom- L'eau eu leur boiffon ordinaire; mais ils ont une liqueur qui reifem-ble affez à la bierre d'Angleterre par la couleur & par le goût. Elle eft compofée de cannes de fucre bouillies & mêlées avec quelques baies noires. Ceft cette liqueur qu'ils nomment Bachi ; il faut la boire deux ou des Européens. j? trois jours après qu'elle eft faite; elle Dampier. eft très forte & propre à enivrer, chap. xm. Notre Auteur dit qu'il ne connoît a», mj* point leur langage , qui n'a rien de lemblable au Malayen ni au Chinois, dont le dernier fe parle entre les dents. Ils nomment Bullavar le mé-tail jaune dont nous avons parlé, 6c c'eft aufli le nom que donnent à l'or tous les Indiens des ifles Philippines. Ils n'ont d'autres armes que des Leurs«»«. lances de bois avec des pointes de fer. Ils portent des cottes de mailles de peau de buffle , qui leur dépendent jufqu'au gras de la jambe , mais fans manches, & qui font aiiffiépaif-fes que des planches. Il paroît que ces peaux & le fer font les feuls effets en ufage parmi eux qui ne viennent pas de leur terrein ; ils les tirent vraifemblablement de fille de Luçon. Ils paroiflênt n'avoir aucune reli-LcarmŒU,3» gion, ni aucune forme de Gouvernement , & vivent dans une efpece d'Ariflocratie , où chaque homme jouit d'un pouvoir égal, & ne prétend à aucune autorité, excepté dans fa propre famille. Cependant on pour-roit croire qu'ils ont quelques Loix , puifqu'ils entérèrent tout vivant un Civ DAMprvR îeiin^ homme pendant le féjour qifé chap. xm. les Boucanniers y firent ; & notre An. rày. Auteur penfe que c'étoit pour vol. Ces peuples font très doux,obligeants, de bonne humeur , fans quereller jamais enrr'eux , & fort affables pour les étrangers. Le Bullavar leur fert de monnoie, quoiqu'ils ne le frappent point ; mais ils en donnent quelques grains fans les pefer , uniquement à la vue. Lorfque le vaiffeau y jetta l'ancre ,* ces infulaires furent fi familiers 5 vu'ii en vint en même temps'environ cent barques : ceux qui les conduifoient ne firent aucune difficulté de monter à bord; & pendant tout le temps que les Boucanniers y demeurèrent, ils leur fournirent abondamment des chèvres & des cochons : ils leur don-noient une chèvre très bonne & très graffe pour un vieux cercle de fer ; 6c un cochon pefant quatre-vingt livres, pour deux ou trois livres du même métail, outre beaucoup de yams, de pommes de terre , &: de Bachi pour de vieux doux , quelques pointes, ou des balles de plomb, lis Refirent Le 2 5 d'Août les Anglois furent revenir en v r Europe. emportes en mer par un furieux ou* dés E u r op ééns. 57 fagan, & ils furent jufqu'au premier D; — ü'Oaobre avant de pouvoir regagner chap. >. in. l'ifle de Bachi, d'où ils avoient été An< l6%lH çhaffés. Toutes les traverfes qu'ils avoient eues leur avoient ôté de l'efprit le vaiffeau de Manille ; & ils fongerent plutôt à revenir dans leur patrie qu'à former de nouvelles en-treprifes. Ce dernier ouragan ne fer-vit qu'à les confirmer dans cette ré-folution ; cependant le Capitaine Read , qui avoit sûrement intention de croifer dans la mer rouge, les engagea à faire voile pour le Cap» Comorin, CHAPITRE XIV. Les Boucanniers mettent a la voile pour le Cap Comorin : Ils jettent r ancre près Vijle de Mindanao : Ils apprennent des nouvelles du Capitaine Swan & de fes gens : Trijte fin de ce Capitaine : Pétoncles a"une prodigieufe groffeur. : Vue de trois Trombes : De la manière dont elles fe forment : Ils arrivent là rifle de Button : Ils font très bien reçus du Sultan : Defcription de la ville de Callafufung : Ils jettent Cancre fur la cote de la nouvelle Hollande ; Terroir, productions & habitants de ce pays : Leurmifcre & leurJlupiditéi Dampier efl en danger utre laiffé.à ttrr : Les Boucaniers quittent ce pays, & font voile pour Tri efl : Ils font une prife de peu de valeur : Ils vont aux ifles de Nicobar : Damp'w efl laiffé comme H le dêfiroit dans lai principale des ces ifles 9 avec quelques autres» des Européens. 59 LE 3 d'Octobre 1687, ^es Bou-Dampier. canniers quittèrent ces ifles avecchap- xiv« un bon vent d'Oueft, dans le delTein a». 1087. de relâcher aux ifles des épices avant \h radoa-de fe rendre au Cap. Le 16, ils jet- be'*leurs terent l'ancre entre deux ifles au Sud-Oueft de Mindanao ; & ils mirent leur vaiffeau fur le côté pour en nettoyer le fond : ils y firent auffi une pompe neuve , un mât de beaupré, une vergue , & un mât d'avant. Ils y apprirent des nouvelles du ï«»pprw» -, . J ri , tient des nou- Capitaine Sv/an , & des trente-fixyeiies de hommes qu'ils avoient laiffés avecSvv""1* lui à Mindanao. On leur dit qu'il avoit combattua vec grand fuccès fous le Raja-Laut contre les Montagnards, & qu'il étoit, ainfi que fes gens „ en grande réputation à la Cour du Sultan. Dampier perfuada à quelques-uns des hommes de fe foumettre de nouveau à fon commandement, puif-qu'ils étoient fi près de lui ; mais le projet fut découvert au Capitaine Read, qui réufiit à en empêcher le fuccès. Quelque temps après , plufieurs fcneffe des gens de Sv/an s'embarquèrent en 2j^Ca**" différents vaiffeaux ; lui-même allant Cvj Dampier ^ ^ord d'un mvir^ Hollandois , fut Chap. xiv. attaqué, 6z eut ia tête calfée par les An, 1687, naturels du pays; & l'on eut tout lieu de croire que ce meurtre avoit été commis par les ordres du Raja-Laut. Il y fur porté par le défir de fe rendre maître d'un peu d'or que le Capitaine poifédoit, &c qui par fa mort tomba entre fes mains, comme aufli par vengeance de quelques ex-preflions peu mefurées, dont Swan avoit eu l'imprudence de fe fervir. Le Capitaine Read quitta ces ifles le 2 de Novembre, tk. fît voile au Sud-Efl, en fuivant la côte. Le 22, étant à trois lieues au Sud de l'ifle Celebes , ils virent un grand Pros avec foixante hommes, tk fix autres plus petits ; mais ils firent des efforts inutiles pour les engager à venir à bord , en arborant pavillon Hollandois. Sur cette côte ils virent des Pétoncles d'une fi prodigieufe groffeur, qu'un feul pouvoit fervir à nourrir fept ou huit hommes : ils y virent aufli une efpece de vigne , dont les' feuilles cuites avec du fain-doux for-moient un onguent excellent. trèfd™^6* Le 30 de Novembre , à la hauteur J!eSL de 3 degrés, de latitude méridionale, \ des Européens. 6t ils virent trois trombes, ce qui eft dampihu très dangereux pour les vaifleatrx ; chap. xiv. mais on s'en garentit fouventen tirant An. 10*7, au travers des coups de canon pour les rompre. Elles fe forment d'abord fur la furface de la mer, dont l'eau après avoir circulé long-temps dans une circonférence d'environ cent pas, s'élève en pyramide, & forme un nuage qui la couronne. Ce nuage tire l'eau, qui monte le long de la pyramide , juf qu'à ce qu'il en foit allez chargé ; alors la trombe fe fépare du nuage, & l'eau retombe dans la mer, en faifant périr fans reffource ce qui a le malheur de fe trouver au defîbus. Le 6 de Décembre , le Capitaine > Ihjrtw» Read jetta l'ancre dans un port à l'Eft d^Butw»» de l'ifle de Button , à la latitude méridionale de 4 degrés 54 minutes. Cette ifle eft haute, platte, couverte de bois, d'environ vingt-cinq lieues de long & de dix de large. Les habitants font propres , petits , bien faits , & de la couleur de ceux de Mindanao, auxquels ils rcffemblent aufli par les ufages. Ils font gouvernés par un Sultan, qui ayant appris que le vaif-r feau étoit Anglois , vint à bord avec plufieurs de lès nobles, &. trois de 62 DÉCOUVERTES Dampier ^es ms : ^ dit au Capitaine Read qu'il Chap. xiv avoit la liberté de trafiquer avec fes An. i687. fujets pour tout ce qui lui plaifoit ; &c il promit de lui rendre tous les fervi-ces qui feroient en fon pouvoir. Ils r«nt Le Capitaine le fit faluer de cinq bien reçus du j -i • i_ 1 e, v Sultan. canons quand il vint a bord ; ex 1 on tira cinq autres coups quand il retourna au village. Le lendemain, fur fon invitation, Read lui fit une vifite dans fon palais , qui étoit une maifon très propre : il y fut reçu dans une falle dont le plancher étoit couvert de nattes; & pour y arriver il paffa au travers de quarante fol-dats nuds, armés de lances ; on le régala de tabac , de bétel, & de jeunes cocos. Quelque temps après , le Sultan lui fit préfent de deux boucs, & d'un jeune garçon qui avoit deux rangs de dents à chaque gencive. Il y a dans cette ifle beaucoup de riz &c de pommes de terre , ainîi que des cockadores, & des perroquets de di-verfes efpeces, dont les coideurs font très belles. De l'oifeau Le cockadore porte fur la tête une •oflamé Cet- houpe de plumes, qui forment comme une couronne : U efl d'un blanc de neige, ôc de la forme dluiperj; des Européens. 63 roquet, avec un bec pareil à celuiqamp1er* de cet animal. Le Sultan demeuroit chap. Xiv." dans une grande ville nommée Calla- An< l6«7, fùfung, fituée fur le fommet d'une petite hauteur, environ à une lieue de l'endroit où eft l'ancrage , & entourée d'une forte muraille de pierre : les maifons, qui paroiffent très propres , font élevées fur des poteaux. Le Capitaine Read y demeura jusqu'au 12 ; mais il y rompit un cable, & y perdit une ancre qui s'engagea dans un rocher quand on la voulut lever. Le 16 , ils fe tirèrent des bas-fonds , qui font fréquents dans ces ifles, &c firent cours au Sud-Sud-Eflr le vent étant variable de l'Oueft-Sud-Ouefl à l'Oueft & au Nord-Nord-Ouefl, & le temps ayant auffi beaucoup de variétés. Le 20 , ils pafferent fille d'Omr bas, fituée à 8 degrés 20 minutes de latitude. On la trouve dans quelques cartes fous le nom de l'ifle de Pan-tare. Ils y remarquèrent une fumée épaiffe pendant le jour, qui paroiffoit un grand feu durant la nuit. Il y a une grande ville près de la,mer dans la partie feprentriqnale de cette ifle ; mais le mauvais temps les empêcha d'y aborder. Dampier. le 27 ? ils furent. dh*Zés de tou' Chap. xiv.tes ces ifles, & dirigèrent leur cours Us aboientvers ^a Nouvelle-Hollande, qu'ils ap-Hoiia°aVîl!c PerÇLirent k 4 de Janvier 1688, étant n à la latitude méridionale de 16 degrés An. 16&S. ^o mjnures> j{s firent douze lieues en fuivant le rivage , avant de trou^ ver un endroit propre à jetter l'ancre; mais le lendemain ils trouvèrent un bon port avec un fond de fable ferme, & un terrein uni à vingt-neuf braiTes d'eau : ils s'y arrêtèrent à deux mille du rivage. Defcripti.n La Nouvelle - Hollande eft une i» ce pays, grande étendue de terrein, qui, fuivant Dampier, ne tient ni à l'Afie , ni à l'Afrique, ni à l'Amérique. Il ne décide point fi c'efl une ifle ou un continent. Le terrein qui efl fec & fablon-neux, produit des arbres de diverfes efpeces ; mais ils ne viennent pas ferrés les uns près des autres, & le deffous en efl garni d'herbes très hautes. Ils n'y virent ni fruits ni baies ; & l'arbre le plus remarquable qu'ils y obferverent dïftilloit une gomme , qui leur parut avoir toutes les quantités dtifang de dragon^ des Européens. 5f Ils n'y apperçurent aucunes mar- Da]V1PIER' ques de quadrupèdes, excepté une chip xiv. pille qui avoit quelcue relîcmblance An, X6n, à celle d'un gros chien. Les oifeaux y étoient fort rares, &. l'on en trou-voit à peine quelques petits , à peu près de la groffeur d'une grive. Pour les poiffons , fi l'on en excepte 'es vaches marines & les tortues , qui y font excefîivement farouches, il fe^ble que la mer n'en produife d'aucune efpece. Les habitants n'ont point de bar- m»r«* *i crues, ne connoment pas lulagedu fer, & font la race la plus miféra-ble qu'on pif ffe trouver dans- l'univers : i's font leur nourriture d'une efpece de petit poiffon que le flux amené , & qui demeure dans des re-fervoirs de pierre qu'ils conflruifent fur le bord de la mer dans le temps de la baffe marée, pour les retenir. Tout ce qu'ils pèchent efl partagé par portions égales entre tous les membres de la famille jeûnes & vieux : quelquefois ils trouvent des pétoncles, des moules & des limaçons de mer; mais fi ces fecours leur manquoient, ce que la Providence empêche qui n'arrive , ils feroient en grand dan- Dampier Ser de mouru" de faim. Ils n'ont d'au-Chap. xiv. tre eau que celle des puits, qu'ils An. i6sg. font obligés de creufer à une grande profondeur. Ils font grands, minces, & ont le corps droit, le vifage large, le front rond , & les fourcils épais. Ils n'ont ni maifons, ni habillements, ni grains, ni fruits, ni légumes, ni racines, ni œufs, ni aucunes fortes d'oifeaux ou de quadrupèdes bons à manger ; & . ils lont de plus tellement incommodés des mouches , qu'elles entrent dans la bouche, dans le nez 6c dans les yeux, fi on ne leur en interdit l'accès, ce qui oblige les malheureux habitants à tenir leurs yeux toujours à demi-fermés , & à fe garentir avec les mains, quand ils veulent regarder quelque objet, comme on fait quand "on veut examiner le temps, trar pon Us ont le nez gros, les lèvres épaif-nit' fes , la bouche large , les cheveux noirs femblables à de la laine, & la peau aufli noire que celle des nègres de Guinée. Ils n'ont point de barbe ; & il n'y a pas un feul trait dans leurs vifages qui préfente rien d'agréable. Les hommes tk. les femmes manquent également des deux dents de devant des Européens. 67 à la mâchoire fupérieure , foit qu'ils DampiwI les ôtent dans la jeunefle par orne-cbap. xiv! ment, foit par un défaut naturel ; ce A„. que M. Dampier n'a pu découvrir. Pour la modeffie ils portent une poignée de longues herbes , ou trois ou quatre branches , dont ils fe font une ceinture qu'ils attachent autour de leur corps. Ils n'ont point d'autre lit que la terre féche ou mouillée, ni d'autre toit que la voûte célefte. Ils ne paroiffent point avoir d'idée de l'union d'un feul homme avec une feule femme ; mais ils fe joignent indifféremment comme les animaux. Notre Auteur n'a pas remarqué ^Lcutftnjfc qu'ils euffentaucun culte de religion: 1 • ils portent une efpece d'épée de bois? & une lance de même aiguifée par un bout, pour fe défendre contre tout ennemi qui voudroit les troubler dans leur pêche , ne croyant pas qu'ils en puilfent avoir d'autres. Leur langage fort totalement de leur gorge ; &: aucun des Boucanniers n'en put comprendre un feul mot. Ils furent terriblement effrayés à la première vue des hommes d'équipage ; mais leur crainte s'évanouit bientôt, quand ils virent qu'on n'avoit aucune intention 'Dampier.de *eur £"re de mal. Quelques-uns Chap. aiv des matelots penferent qu'ils pour-An. i«t8. rcient les engagera porter de l'eau jufqu'aux canots , en leur donnant quelques habits; mais il ne fut pas poÏÏible de leur faire entendre par aucun figne ce qu'on leur demandoit. Ils gromeloient entr'eux, en fe regardant comme les fmges ; & remirent les habits à terre, après les avoir examinés quelque temps avec des marques d'étonnement. «w„:. .a Pendant que les Boucanniers de-en dansât meurerenten cet endroit,M.Dammer JcTé tir mt menacé d'être laiffé à terre, parce Ecpays. qu'il faifoit fes efforts pour perfuader à quelques-uns des hommes de gagner un comptoir Anglois. Il avoit formé ce projet depuis long-temps; mais il y renonça pour lors jufqu'à ce qu'il fe préfentât une occafion plus favorable pour l'exécuter. Le 12 de Mars , ils quittèrent la côte de la Nouvelle-Hollande avec un bon vent de Nord-Nord-Ouefl, . & firent voile pour le Cap Comorin. Le 28 , ils trouvèrent une petite ifle couverte de bois à 10 degrés 30 minutes de latitude méridionale : Ils y £rent de l'eau, 6c y prirent des grof- des Européens. 69 les écrevifles de terre , avec beau- FT^TTT j 1 1 ■ Dampier. coup de boomes. chaH. xiv. Le 12 d'Avril, ils arrivèrent à l'Ifle An. l6it, de Trieft, environ à quinze lieues Oiieft de Sumatra : elle n'a qu'un mille f^g^g . de tour, & elt fi baffe , que l'eau de Trient, la mer la couvre dans les hautes marées ; cependant elle produit un grand nombre de cocotiers , dont les Boucanniers rirent une ample pro-vifion, & ils y prirent aufli quelques poifîbns avec deux jeunes Alligators. Ils en partirent le 18 ; trouvèrent le 29 un pros à l'ancre, avec quatre hommes à bord qu'ils firent prifon-niers ; s'emparèrent de toute la char-» ge , compofée de cocos & d'huile , & mirent le bâtiment à fond. Le Cnpiiaine prit cette précaution pour empêcher M. Dampier, & quelques-autres de s'échapper Le 4 de Mai, ils virent les ifles deNicobàr, qui fontA quarante lieues ail Nord-Oueft de Sumatra. Les principales denrées dans ces ifles font l'ambre-gris & les fruits : les naturels en apportent dans leurs pros à tous les vaiffeaux qui y abordent ; & ils n'ont point de préférence pour Une nation d'Européens plutôt que pour une autre. 70 ÜÊCOUVERTES Dampier ^e 6 de Mai, ils jetterent l'ancre Chap. xiv à l'iile particulièrement nommée Ni-jld. 168$. cobar, à huit braiTes de profondeur. Elle eft fituée à 7 degrés 30 minutes ànK&îde latitude feptentrionale. Le terroir •cbar. en efl fertile , bien arrofé , & forme un très beau payfage , quand on le voit de la mer. Entre un grand nombre d'arbres qui croiffent dans cette ifle, on remarque particulièrement le cocotier & le mélari. Nous avons déjà parlé amplement du premier : le mélari porte un fruit d'un verd éclatant, avec une peau dure & liffe, aufîi gros que le fruit à pain , & d'un goût affez reffemblant à celui de la pomme. Les habitants font grands & bien faits, couleur de cuivre foncé, le vifage long, les yeux noirs , de beaux traits, & les cheveux noirs & déliés. rJeferjFtion Les femmes n'ont point de poil it>habitant*.flux fourciis ? peut-être les arrachent-elles , regardant comme une beauté de ne pas en avoir. Les hommes vont nuds, à la referve d'une pièce de toile qu'ils portent à la ceinture , ôc qui leur fait deux ou trois tours aux cuiffes. Ils ont un langage particulier ; & Dampier ne put découvrir des Européens; 7Ï tfils obfervoient quelque forme de 5^^? religion. Leurs maifons , proprement chap. xiy! couvertes de feuilles de palmier, font a* mu élevées fur des poteaux à huit pieds de terre : elles confiftent en une feule pièce aufli de huit pieds de hauteur. Il ne paroît pas qu'ils aient aucune forme de gouvernement ; ils font tous égaux entr'eux, & vivent difperfés dans Tifle , on il efl: rare qu'on trouve plus de quatre ou cinq maifons enfemble. Ils n'ont point de yams, de pommes de terre , ni de riz ; mais on y trouve quelques plantains. On y voit de petits cochons, des coqs & des poules ; & il n'y a pas de maifon qui ne poflède au moins deux ou trois canots, qu'ils tirent à terre dans le voifinage, quoique la pêche y foit médiocre. Ces canots peuvent contenir vingt ou trente hommes, & ils fe fervent de rames femblables aux nôtres, en s'afleyant fur des bancs de bambouc fendu. Le Capitaine Read fit de l'eau dans cette ifle, & donna ordre de mettre le vaiffeau fur le côté pour le nétoyer. Dampier demanda permiflion au r>ampi« Capitaine de defeendre à terre, avec JJJ[^ le? ùl canette ôc fon lit. Dans l'endroit ow*aiuei* Dampier ou ^s débarquèrent, il n'y avoit que chap. xlv. deux maifons ; 6c le maître d'une in-Aa. ufss. yita notre Auteur à y entrer, lui faifant entendre que s'il le refufoit, il feroit expofé la nuit aux attaques des bores féroces. Deux autres hommes nommés M. Hall, & M. Ambrofe, qui depuis long-temps cherchoient l'occa-fion de fe féparer du Capiraine Read, quittèrent le vaiffeau avec Damoier. Quelques Le Chirurgien , nommé M. Cop-»«trcsîuiventpjn2er qui ètoit Irlandois , au- io« exemple. r ,° ï • r • • 1 i roit volontiers iuivi leur exemple, mais on le retint par force. Le Pilote qu'ils avoient amené de Pulo-Con-dore,&lesquatrehommes qu'on avoit pris à la hauteur de Sumatra dans un pros d'Achin , furent aufli laiffés dans l'ifle. Le Pilote, qui étoit Portugais, fut un membre très utile dans leur petite République, parce qu'il enten-doit le Malayen 6c les autres langues des Indes. CHAPITRE ■b f. s Européens. .73 CHAPITRE XV. Dampier & fes compagnons font bien traites par Us habitants : Ils font in danger d'être noyés dans un ca-.not qu'ils avoient acheté pour une hache : Ils impriment la frayeur à ceux qui pouvoient leur être le plus utiles : Apre s quelques difputes avec les habitants ils leur fournirent Jes provifions , & ils Je remettent en mer. Ils font affail/is d'une tempête , & arrivent à Sumatra dans un état tri:s fâcheux : Ils gagnent le comptoir Anglois d'Achin : Dampier s'occupe à différents emplois dans ce pays : Il s'échappe à bord d'un vaiffeau Anglois qui étoit en rade : Defcription du Prince peint. LE 6 de Mai vers minuit, le Cf. Dampier. pitaineRead remit a la voile, & chap. xv. les mécontents commencèrent à dor- An. m*, mir ; ce qu'ils n'avoient oie faire juf- Dampier qu'alors y dans la crainte que ce Ca-*? '«"«f*" *. . / a < .yy» font laiflés pitaine ne révoquât la permmion, dans nue. Se qu'il n'envoyât quelques-uns de Tom. y III. D Dampier es Sens Pour ^es f°rcer de revenir £ chap. xv. bord. Peut-être ne leur eût-il jamais a». 1688. permis de refter dans cette ifle, s'il eût-penfé qu'ils en pouvoient fortir aufli aifément, qu'ils le firent peu de temps après. Le lendemain, de grand matin , Dampier reçut la vifite de fon hôte , accompagné de quatre ou cinq de fes amis , & chargé d'une groffe calebaffe de Toddy. Leur canot Cet homme fut d'abord furpris de fe tenveife. voir que le nombre de fes commen-, faux etoit tellement augmenté, mais il en parut enfuite content; & il leur vendit un canot pour une hache , qu'un des hommes avoit dérobée, quand il s'étoit approché du vaiflèau, fâchant combien cet infiniment peut être utile chez les Indiens. Ce canot étoit auîli grand qu'une chaloupe ; mais à peine y furent-ils montés avec tous ' leurs effets , qu'il fe renverfa ; ce qui les obligea de paffer trois jours à faire fécher leurs papiers, & tout ce qui étoit contenu dans leurs caif-fes. Avec le fecours des gens d'Achin ils le remirent en état, y ajuilcrent un bon mât, ainfi que les agrès né-ceflaires ; tk ils firent voile vers la partie orientale de l'ifle, fuivis de des Européens. 75 huit ou dix canots chargés d'habitants, 0. W_T_„L que M. Hall ht retourner, en tirant chap.XV, un coup de fufil par-demis leurs têtes, An, l68g, dans la crainte que tant de gens ne mTent augmenter le prix des provisions dans l'endroit où ils alloient. Cette action eut deux effets qui Suite a*u« 1 • ' 1 *v coup de fufil auroient pu devenir également tresti]é ;mpru. fâcheux : elle imprima une fi grande demmetw* terreur aux gens d'Achin , qui leur étoient de la plus grande utilité, Gu'ils fautèrent hors du canot ; & l'on fut affez long-temps à pouvoir leur perfuader qu'on ne vouloit leur faire aucun mal : d'un autre côté les Indiens furent intimidés, & n'oferent plus apporter les provifions qu'on leur achetoit avant pour de vieux drapeaux, 6z pour quelques petits morceaux de drap. Les habitants parurent d'abord en Ils f*re* 1 f, 1 , r \ t mettent c4 grand nombre , pour s oppoler a leurmcr. débarquement ; mais M. Dampier & M. Hall fautèrent fur le rivage à la vue des Infulaires, avec lefquels ils N eurent bientôt fait la paix, en leur prenant la main ; & ces gens fournirent enluite abondamment des provifions. Elles confiffoient particulièrement en mélory, dont la chair t D ij Dampier, féparée de l'écorce & du trognon ; Chap. xv. & bien comprimée fe conferve fix à An. iör. fept jours : on leur donna aufîi quelques poules. Enfin , fans autres munitions de bouche , & avec deux gros cocos,' & deux ou trois bamboucs , dont le tout pouvoir contenir environ trente-deux pintes d'eau , ils fe remirent en mer le 15 de Mai, àc dirigèrent leur cours vers Achin. Le iS , le ciel commença à être chargé de nuages, tk. ils virent autour du foleil un cercle, marque infaillible du gros temps ; ce qui leur fit craindre quelque furieux ouragan. • Le 19 au matin , après avoir été très fatigués d'une tempête de vent, d'éclairs , de tonneres & de pluies, dont leur bâtiment n'échappa que par une efpece de miracle , ils furent furpris d'entendre un des hommes d'Achin crier à ce qu'ils crurent Pull a\ray, ex-prefîion ordinaire entre les Anglois quand ils rament ; mais cet homme montrant la terre., que l'on commen-çoit à diftinguer, ils entendirent qu'il difoit Pulo way ,011 ifle de "Way,parce que Pulo fur toute cette côte fignifîe une ifle, commenous l'avons obiervé. iisarrtcnt Le lendemain, on reconnut que eml?An! rent mr ce vam~eau > & ^e dernier, gieters. dont M. Dampier a oublié le nom de famille , mourut peu de jours après. Enfin notre Auteur s'engagea à un autre Capitaine , nommé Weldon , avec lequel il fit plufieurs voyages de commerce dans le pays pendant plus de quinze mois : il entra enfuite comme canonier au fervice d'un comptoir Anglois fur la côte occidentale à Béncoolen, où il demeura cinq mois , après lefquels il quitta cet emploi, étant mécontent du Gouverneur. Il demeura fur cette côte jufqu'en l'année, 1691 , qu'il s'embarqua pour l'Angleterre à bord de la Défenfej commandé parle Capitaine des Européens. 79 Heath , qui étoit dans la rr.de de pAMP1£Rt Bencoolen. Il fut obligé , pour s'é- chaP. xv. chapper, de fe couler par une des An. 1691. cafemates du fort, parce que le Gouverneur avoit révoqué la promelTe qu'il lui avoit faite de le laiffer partir. Il emporta avec lui fon journal & fes autres papiers les plus importants. Il monta à bord le 1 de Janvier ; mais le vaiffeau ne mit à la voile que le 25. Ils perdirent en mer environ trente de leurs hommes , d'une maladie occafionnée par la mauvaife qualité de l'eau qu'ils avoient dans le vaiffeau. Elle s'échauffa exceffive-ment, & devint teinte de noir, parce qu'on l'avoit mife à fonds de cale avec des poivres ; ce qui contribua beaucoup à la corrompre. Le Capitaine Heath fe conduifit très bien dans cette fâcheufe circonftance ; il monta toujours régulièrement les gardes, & donna à fes gens quelques-uns de fes Tamarins, & d'autres remèdes; ce qui fervit beaucoup à les raffraîchir. Au commencement d'Avril ils arrivèrent au Cap de Bonne-efpérance, où les malades furent mis à terre; & on leur fournit abondamment du D iv 8o DÉCOUVERTES Dampier.Dœuf, du mouton, & d'autres ra£ Chap. xv. fraîchiffements. An. Notre Auteur fut un de ceux qui , r defcendirent avec le Prince peint, au Cap de qui lui avoit été donné par M. Moody, Bonus-fifpé-.g£ qU'ü vendit depuis fur laTamife, dans un befoin d'argent : ceux qui l'achetèrent l'emmenèrent pour le faire voir ; mais il mourut à Oxford de la petite-vérole. Il fe nommoit Joel, étoit né dans une îile appellée Meangis, dont les habitants , qui portent des anneaux d'or aux oreilles & autour des jambes, font peints de différentes fortes de figures allez; bien proportionnées, mais qui font l'effet de l'imagination, plutôt qu'une imitation de la nature. Ce Prince qu'on defcendit à terre pour fa fanté, avoit la poitrine, les cuiffes & les épaules ainfi ornées. des Européens. &i CHAPITRE XVI. Defcription du Cap de Bonne efpérance: Des ânes fauvages qu'on voit au Cap : Pourquoi les habitants font nommés Hottcntots : leur malpropreté : Defcription de la fituation , de Pair, des marchandifes , des ufages & des femmes de C Ifle Sainte-Hélène : Dampier arrive en Angleterre : Conclusion de fon voyage. LE Cap de Bonne-efpérance qui---F r i i h «. > Dampier. termine au Sud le continent <ïechapi xvl> l'Afrique, eJfrfituéjâ 34 degrés 30 An> l6sr. minutes de latitude , dans un des climats les plus doux qui foient au^Defcriptba monde. La montagne, nommée de'u 'ap' la Table , .eft remarquable par fon élévation : on la voit de très loin en mer, où elle fert a diriger les vailTeaux. Le terroir y eft fort bon,,. & rapporte beaucoup à. ceux qui le cultivent ; il produit en abondance du froment, de l'orge & des pois. On y trouve des pommes, des-poires,. des coings, des grenades d'ime gróf- D v 8i DÉCOUVERTES Dampier. *eur prodigieufc, ôc de grandes vi-Chap. xvj.gnes qui poulTent très bien, & don-An. 1651. nent un vin de couleur pâle ; mais très fort & très agréable. Animai du Les brebis , les chèvres , les co-*ayï* chons , les vaches & les chevaux y font en grand nombre ; mais les brebis font la meilleure nourriture, parce que le pâturage elt fec & court ; ce qui convient très bien à ces animaux. On dit qu'il y a beaucoup de bêtes féroces, entre lefquelles on remarque particulièrement fane fauvage , qui eft d'une grande beauté, & dont le corps eft rayé de noir & de blanc. Entr'autres oifeaux, on y voit des canards, des volailles ordinaires , ôc des autruches, dont un feul œuf don» ne à manger à deux hommes. On prétend que ces bêtes les pondent & les IailTent fur le fable, où la chaleur du foleil les fait éclorre cherté des La mer eft bien fournie de poilTon; î>pT *" & il y en a une efpece plus petite que le hareng, qui eft très bon à manger mariné. Les Hollandoisy ont un bon fort, & une ville bien garnie de murailles , où la Compagnie des Indes entretient un beau magafin, & un jardin d'une prodigieufe étendue, qu'on des Européens. Sy regarde comme un des plus beaux dVmpiek" qui foient au monde. Ceux qui ycbap. xvf. font établis gagnent beaucoup d'ar- Arf; 1691h gent à recevoir les étrangers , d'autant qu'un homme paye une rixdalle pour fa nourriture , indépendamment du vin qu'on y vend dix-huit flrivers la bouteille, fans qu'on puiffe en débiter autre part que dans une maifon qui jouit d'un privilege exciu-fif, autrement on paye de très grolfes • amendes. Il y a une autre maifon qui a le privilege de vendre le mum &c la bierre ; & une troifieme débite l'eau-de-vie & le tabac. Le teint des naturels qu'on nomme Hottentots , mot qui exprime leur bégaiement, participe de celui des habitants de Guinée & de ceux de la Nouvelle-Hollande. Ils fe frottent le corps de fuye & de s*!«é â& graille pour leur tenir lieu de peinture,Hottemot*> & attachent des boyaux de brebis autour de leurs jambes quand ils vont en voyage, ce qu'ils confervent quelquefois jufqu'à huit ou dix mois : mais s'il leur arrive d'être fort affamés , ils les détachent & les mangent. Ils ornent leurs cheveux de coquillages, & portent un habillement de D yj _$4 Découverte, s Dampier,Peaux de brebis qui les remplit de ' xvi. vermine; mais c'eft un léger incon-An. 1691. vénient pour cette fale nation , qui n'a point de plus grand plailir que celui de chercher ces i nie des. Leurs maifons font conftruites de longues perches enfoncées dans la terre en forme de cercle , & jointes enfemble par le haut. Elles font entrelacées .d'herbes, de joncs & de morceaux de cuir , avec une porte de trois ou quatre pieds de hauteur. Us y entrent comme en rempanr, ferment cette porte iorfquele vent foufïle du coté où elle efl, &: en ouvrent une autre dans la partie oppofée, Mœnrj'te l\çt n'ont point de lits pour fe tes peup es. coucnçr. majs -|s s'étendent tous enfemble autour d'un grand feu allumé au milieu de la maifon : la fumée n'a point d'iffue particuliere, Sc elle fe fait jour au travers des crévafîès. Les Hottentots ne paroiffent avoir aucune forte de culte religieux, à moins qu'on ne regarde comme une . cérémonie de religion des danfes extravagantes , qu'ils accompagnent d'un très grand bruit dans le temps . de la nouvelle 6l de la pleine Lune. Enfin pour en faire le portrait en peu ses. Européens. 85 de mots ; c'eft fans contredit le peii-h.M pie le plus, fale, le plus vil & le plus chap. xvi. indolent que l'on connoiffe fur la a», k*. terre. Le vaiffeau du Capitaine Heath ctoit devenu fi mal monté à caufe des maladies, qu'il fut obligé d'accepter les fervices de quelques matelots Hollandois qui déferrèrent des autres vaiffeaux, tant pour gagner davantage que pour retourner en Europe plutôt qu'ils ne l'auroient fait. Ils leverent l'ancre le 23 de Mai, pampï« & arrivèrent le 20 de Juin à Sainte-^r.'.ve *Samtc' * Helenc. Hélène où le Gouverneur a une tres belle maifon & le commandement d'un fon. L'air y efl très fain , 6v l'ilïe abonde en yams, pommes de terre , plantains & bananes. On y trouve aufîi quantité de cochons, de bœufs,, de coqs, de poules, d'oyes &£ de dindons. Cette ifle eft encore renommée pour beaucoup de plantes médicinales, efficaces dans les maladies que contractent les matelots quand-ils font de longs voyages. Les femmes de Sainte-Hélène font' très bien faites & affés jolies : elles aiment pafîionément les matelots 86 DÉCOUVERT ES Dampier. Anglois , & font prefque toujours chap. xvi. difpofées à quitter avec eux leur An. i6$i. pays natal. Le Capitaine Heath partit de cette ifle le 2 de Juillet, allant de conferve avec la Princelfe Anne , le Jaques Ôc Marie , & le Jonah. Le dernier de ces bâtiments fut féparé par le mauvais temps avant qu'ils vilTent l'Angleterre , mais il les rejoignit près l'endroit nommé Land's End. Harriveen Le i6 de Septembre 1691 , ils Angleterre. jetterent pancre aux Dunes, où ils trouvèrent plufieurs vailTeaux Anglois & Hollandois préparés à fe mettre en croifière contre la France avec qui ces nations étoient alors en guerre, & les Avanturiers fe trouvèrent très heureux d'avoir échapé aux armateurs François. Fin des Découvertes & des Voyages de Dampier. DES CR I PT ION De rifthme del'Amérique, Tirée des Voyages de M. LIONEL WAFER. CHAPITRE PREMIER. Premier voyage de M. Wafer aux Indes orientales : Son fécond voyage a La Jamaïque : Infortune du Capitaine Buckenham : Wafer fe met en chemin pour une expédition par terre : Il efl blejjé & abandonné par fs compagnons avec quatre autres bornâmes : Il efl guéri par les Indiens : Il efl en danger d'être brûlé : Il ejl fauve par Lacenta : Il cherche la mer du Nord ; fon guide Indien l'abandonne : Il court rifque d'être noyé : II retourne à ^habitation des SS DÉCOUVERTES Indiens : Il y ejl très bien reçu & fc rétablit en peu de temps : On envoyé des guides avec lui à la maifon de Lacinta. "Wafer. J E fis mon premier voyage en qua-Chap. I. lité de Chirurgien au ièrvice de la An. 1*81, Compagnie des Indes orientales ( dit Commence- hfi-mê,T»e "^afer ) fans aucun événements deWa- ment remarquable , 6c fans aucun **f* avantage pour ma fortune. Peu de temps après mon retour en Europe, je fus employé avec le même titre par le Capitaine Buckenham, qui alloit aux Indes occidentales. Ce Capitaine devoit charger du lucre à la Jamaïque ; mais comme on n'étoit pas encore dans la faifon de fahe ces chargements lorfque nous y arrivâmes , il réfolut de tenter la fortune en allant couper du bois de teinture dans la baye de Campêche plutôt que de refier dans l'oifiveté. J'avois un frère établi à la Jamaïque au ici-vice de Sir Thomas Muddiford , 6c je préférai de demeurer à Port-royal pour y exercer mes talents. Ce riit un bonheur pour moi d'avoir pris ce parti : le Capitaine Buckenham & tout fon monde furent faits pri- bes Européens. 89 fonniers: on le conduifit à Mexico, "wTfer oii il fut vendu à un Boulanger qui chap. 1. le força de crier du pain dans les An. iai. rues avec une cbaine à la Jambe , lans qu'il pût obtenir fa liberté ni par argent ni par amis. Après avoir demeuré quelques mois à Port-royal-y J'acceptai les offres qui me furent faites parle Capitaine Cook ,& par le Capitaine Lynch , qui fe mirent en mer pour faire des repréfailles contre les établinements Efpa'gnols de l'Ifthme. Dans cette expédition, ils joignirent leurs forces avec celles de Dampier, dont le nom eft fi bien connu; ils débarquèrent & firent di>-verfes déprédations. Après la revue de leurs gens , ils choifirent les hommes les plus actifs & fe mirent en marche pour une expédition par terre le premier de Mai 1681. Le cinquième jour de ce voyage , Aedjfcnt un homme fanant lécher împruclem-].. iaifiCr à ment de la poudre dans un plat d'ar-tcrre« gent, elle prit feu près de mon genou me brûla la chair jufqu'à l'os, & me découvrit même une partie de la cuilfe. Cet accident fut fuiyi de vives douleurs, que je tâchai d'ap-paifer parce que j'avois des médica- 9° DÉCOUVERTES Wafer menfs dans mon havrefac : mais trois Chap. i. ou quatre jours après, je fus privé An. 1681. de ce foulagement par la défertion d'un Nègre qui m'accompagnoit, & qui portoit mon équipage. Les accidents de la bleffure augmentèrent faute d'émollients, la fatigue du voyage devint trop forte pour que jepiuTe la fupporter, & mes compagnons furent obligés de me laîiTer chez les Indiens de Darien avec M. Richard Gopfon , qui avoit été apprentif dro-guifte à Londres , avoit reçu une bonne éducation, & faifoit fes efforts pour en profiter. On laiffa de même un marinier nommé Jean Higginfon, l'un & l'autre fe trouvant dans l'im-pofîîbilité de continuer à marcher, n eft joint Peu de temps après , nous fumes «m Angïoiï." joints par Robert Spratlin &par Guillaume Bowman , enforte que nous nous trouvâmes au nombre de cinq. Quelques Indiens, chez lefquels nous fumes obligés de féjourner, voyant ma bleffure, y appliquèrent des herbes falutaires, après les avoir bien mâchées, jufqu'à ce qu'ils les euffent réduites à une efpece de pâte, qu'ils étendirent fur des feuilles de plantain , & en vingt jours je fus entié- des Européens. 91 rement guéri ; mais il me demeura Wafîr beaucoup de foibleffe dans le genou, cha,. 1. A d'autres égards ces gens ne nous An. mu marquoient aucune politeffe; au contraire ils rioient & fe moquoient continuellement de nous ; ne nous don-noient d'autre nourriture que du plantain verd ou fanné , qu'ils nous jettoient comme à des chiens. Cependant un d'eux , qui avoit été priibn-nier quelque temps a Panama , 5c favoit quelques mots d'Efpagnol , s'entretint quelquefois avec nous , & nous apporta de meilleure nourriture pendant la nuit, à l'infçu de fes compatriotes. Sans le fecours de cet homme , nous aurions éré réduits à l'état le plus déplorable. Nous jugeâmes qu'ils en agiffoient HefUndw fi mal avec nous , parce que nos jjjï,^'ecrc camarades avoient forcé quelques-uns des habitants contre leur volonté à leur fervir de guides , ce qui leur avoit été très défagréable, d'autant qu'on étoit alors dans la faifon plu-vieufe, où il elt très difficile de voyager. Leur reffentiment augmenta quand ils virent que les guides ne revenoient pas dans le temps où ifs les attendoient : ils jugèrent qu'ils 92 DÉCOUVERTES _\çrAFER avoient été maffacrés par nos com-chap. 1.' patriotes, 6c fe déterminèrent à en An. 168». tirer vengeance fur moi 6c fur mes compagnons. On avoit déjà préparé une pile de bois pour nous facrifier, mais ils furent détournés d'exécuter leurs cruelles intentions par la per-fuafion de leur chef, nommé Lacen-ta, qui leur propofa de nous envoyer du côté du Nord avec deux guides , pour nous informer aux Indiens de la côte, du fort de ceux dont ils étoient inquiets. y fe mettent Un des guides choifis pour ce voya- tn route, ge fut l'Indien qui nous avoit donné du foulagement, & l'autre fut un homme qui s'etoit toujours déclaré notre ennemi. Dans cette marche , nous n'eûmes d'autre nourriture que du maïz defféché, encore nous en donnoient-ils en très petite* quantité. Nous couchions fur la terre nue , quoique très froide & très humide , parce que la pluie, les éclairs 6c le tonnerre ré-^noient durant tout le jour , 6t nous étions encore plus incommodés par l'eau qui tomboit des arbres quand nous voulions nous y mettre à couvert. La troifieme nuit, nous demeurâmes fur le fommet d'une petite des Européens. 93 éminence, mais la quantité d'eau,qui wAFEK tomba pendant notre fommeil en chaP. 1.' forma une ifle le matin , & nous en An, tnu vîmes tous les environs inondés. Nos guides nous y abandonnèrent pour le fauver eux-mêmes , & retourner a leur habitation: nous y demeurâmes trois jours , après lefquels , les eaux s'étant écoulées, nous continuâmes notre voyage, en nous dirigeant vers le Nord par le moyen d'une bouffole de poche. Vers fix heures du foir , nous arrivâmes fur les bords d'une rivière très profonde, oii nous jugeâmes que les gens des vaiffeaux ,'avoient paffe , parce que nous y trouvâmes un arbre nouvellement coupé. Après quelques débats, dans lef- Fatiguée*, quels nous oubliâmes que la rapidité voyage tk la profondeur de cette rivière pouvoient être occafionnés par l'abondance des pluies , nous jugeâmes que nous avions paffe la chaîne de montagnes qui fépare la partie méridionale de la partie feptentrionale de l'Ifthme, & que nous n'étions pas éloignés de la mer du Nord ; nous poufsâmes l'arbre dans l'eau ; mais il étoit fi gliffant que nous ne pûmes Vv'afer. nou.s tenir deflus : nous parlâmes ;\ Chap. i. califourchon avec beaucoup de pei-An. i68i ne , & nous gagnâmes tous le rivage oppofé, à l'exception de Bowman, qui étoit un homme très foible : il avoit été tailleur & portoit quatre cents pièces de huit fur fon dos. Nous jugeâmes qu'il étoit noyé, parce que le courant l'emporta bien-tôt hors de notre vue. Quand nous fumes à l'autre bord, nous cherchâmes le fentier que nous penfions qui avoit été fait par nos compagnons, mais notre recherche fut vaine, parce que s'il y en avoit un, il étoit entièrement couvert de boue & de vaze. Nous nous déterminâmes alors à repayer la rivière fur le même arbre, ce que nous fîmes auffi-tôt, & après avoir marché environ un quart d'heure , nous retrouvâmes Bovman aflîs fur le rivage : le courant l'avoit emporté dans un coude, où il y avoit heureufement ' quelques branchages avec le fecours defquels il avoit gagné le rivage. Tlsfeconr- Le lendemain, cinquième jour de Jjjjj* un notre voyage, nous étions fi affoi-blis par le défaut de nourriture , que nous aurions certainement péri# il des Européens, nous n'enflions trouvé un arbre nom- w, 1 i » r , . WAFER. me Maccaw , dont nous mangeâmes chap. i. des baies avec avidité, 6c dont nous An. m*. emportâmes une bonne provifion. Le fixieme jour, nous arrivâmes à une autre rivière, où fe décharge celle que nous avions traverfée; 6c comme il falloit nécessairement que nous la paffafîions, nous nous trouvâmes dans un grand embarras , n'ayant d'autres inftruments qu'un grand couteau. Après bien des réflexions , nous nous déterminâmes à couper quelques bamboucs creux, qui étoient en grande quantité dans les bois , pour en faire une efpece de radeau , en les taillant de longueur convenable , 6c en les attachant en-femble avec les branches d'un ar-briffeau femblable à la vigne pour nous livrer enfuite au courant fur ce foible bâtiment. Quand nous l'eûmes fini , nous prîmes notre logement fur une petite hauteur, & nous raf- . femblâmes une quantité de bois pour faire un bon feu. Il n'v avoit pas long-temps que nous étions placés autour, quand il furvint une furieufe tempête mêlée de pluie , d'éclairs, oç de tonnerre , 6c accompagnée 96 Découvertes Wafer d'une odeur de foufre dont nous chap. i. étions empeftés. Notre feu fut éteint An. i6gl4 en un inftant, & vers deux heures après minuit, nous entendîmes le bruit des eaux qui venoient fondre fur nous de toutes parts avec un fracas horrible. Nous cherchâmes un refuge entre des Cotoniers dont il y avoit un grand nombre ; mais la plus grande partie n'avoit des branches qu'à la hauteur de quarante ou cinquante pieds, enforte qu'il étoit impofîible d'y monter. Par un effet de la providence , j'en trouvai un auquel la vieilleffe avoit fait un trou environ à quatre pieds de terre : je m'afîis fur un gros nœud que j'y rencontrai , ne pouvant me tenir debout, & je m'endormis accablé de fatigue, mais je ne jouis pas longtemps de ce repos , & il fut bien-tôt troublé par les morceaux de bois Se même les arbres que la force de l'eau entraînoit, & qui donnoient des chocs furieux contre celui qui me fervoit d'afyle. ris fe réu- Lorfque je commençai à découvrir «ifient après ,,, \ ' ' r r r avoir manqué i étoile du matin, je tus traniporte dcpénr. de plaifir à cette vue , quoique l'eau coulât toujours avec rapidité, èc qu'elle des Européens. 97 qu'elle atteignît jufqu'à mes genous, WaF£R qui cependant étoient à cinq pieds chap. 1/ de la furface de la terre. La tempête An< l6gI> s'etoit dilîïpée aux approches du jour, le foleil commença à luire, & les eaux fe retirèrent, ce qui m'encouragea à quitter ma retraite. Je pou-vois à peine me tenir debout, étant engourdi par le froid ; cependant je fis mes efforts pour gagner l'endroit où nous avions fait notre feu : j'ap- . pellai mes compagnons , mais j'eus la douleur de n'entendre que les échos qui me renvoyoient le fon de ma voix. Ce fut alors que l'horreur de ma fituation me jcttant dans le dé-fefpoir, je tombai fur la terre accablé de mon infortune, & j'y refiai dans le plus grand découragement , jufqu'à ce que je fuis rappelle à la vie par la vue de M. Hugginfon, qui fut bien-tôt fuivi des trois autres, qui s'étoient comme moi fauves par le fecours des arbres. Après avoir rendu grâces à Dieu de notre délivrance , nous allâmes voir nos bamboucs que nous trouvâmes pleins d'eau, ce qui vint fans doute de notre peu d'attention en les travaillant, ôc nous jugeâmes que nous y avions nous-Tem. FUI. E 9$ DÉCOUVERTES "wafer 'm^mes les fentes par où elle y Chap. i.' étoit entrée. An. mu Toutes les reflburces nous manquant alors, nous réfolumes s'il étoit ne"* af,Vn"û pofîîble de retourner à l'établiffement d'où ils é- Indien que nous avions quitté, ne «warci* voyant plus d'autre parti à fuivre. Nous côtoyâmes la rivière, & après avoir marché quelque temps, nous fumes agréablement furpris de trouver un daim endormi ; nous l'aurions certainement tué, fi celui qui en étoit le plus près n'eût oublié de fourrer fon fufil, ce qui fit que la balle tomba en roulant quand il voulut le tirer ; mais le bruit de la poudre éveilla l'animal, qui fe fauva par la fuite. Nous étions au huitième jour de notre marche, fans avoir eu d'autre nourriture que des bayes de Maccaw, 6ç la moéle de l'arbre nommé Bibby que nous fendions pour l'en tirer, & que nous trouvions un metz délicieux, ils y auvent Nous appercûmes la pifie d'un ment fan- cochon lauvage, oc nous la f uivimes sues* dans l'efpérance qu'elle nous condui-roit à quelque plantation de plantains, parce que cet animal cherche toujours cet arbre. Après avoir mar» des Europe en s. 99 ché quelque temps, nous découvrî- ^yAFER mes deux habitations d'Indiens, & chap. 1." nous pensâmes tomber en défaillan- An. jóïi. ce : nous étions à demi morts de faim, cependant nous craignions que les Indiens n'achevaffent de nous ôter la vie, quoiqu'elle dût nous être à charge ttc plus fâcheufe que la mort dans l'état oii nous nous trouvions. Nous tînmes confeil entre nous , & nous convînmes que pour connoître leurs fentiments, je me préfenterois feul à une des habitations, afin que mes compagnons puffent s'avancer, ou fe retirer fuivant la réception qu'on me feroit. J'entrai dans une des cabanes, 011 il y avoit quelques mets qui bouil-loient fur le feu ; mais la chaleur de la maifon , & l'odeur des viandes, firent fur moi une imprefiion fi forte que je tombai évanoui. Les Indiens me rappellerent à moi - même, me donnèrent quelque nourriture, & parurent agir avec plus d'amitié qu'il n'ell ordinaire parmi eux. Ce qui contribua le plus à me ranimer , fut que je reconnus ceux dont l'abfence . avoit prefque été la caufe de notre mort, 6c j'appris enfuite que nos ioo Découvertes \r/AFER> compagnons les avoient fi bien trai-chap. I. tés , qu'ils croyoientne pouvoir affés An. «si. en marquer leur reconnoilTance. Lorfque j'eus entièrement recou- tem en'Toïcevr^ mes efp"ts» ils me demandèrent avec de> gui où étoient mes camarades , & aufîi-\ tôt qu'ils le furent, ils les amenèrent à l'habitation, excepté M. Gopfon qui fe trouva accablé de fatigue fans pouvoir aller plus loin, & ils lui portèrent des rafraîchiffements. Nous demeurâmes fept jours chez eux ; üs nous traitèrent avec la plus grande humanité , & quand nous fûmes bien rétablis , ils firent choix de cinq jeunes gens vigoureux pour nous conduire, comme nous le délirions, vers la mer du Nord. Ils s'acquittèrent de .ce foin avec tant de bonne volonté, qu'en un jour ils nous menèrent à la rivière où nous avions trouvé l'arbre abattu , & que nous n'avions rencontré qu'après trois jours de marche. Nous en fuivîmes les bords l'efpace d'environ un mille , & nous trouvâmes un canot dans lequel nous nous embarquâmes ; mais au lieu de fuivre le courant, nos conducteurs nous le firent remonter, en ramant, avec beaucoup de force éc d'activité. des Européens, iof Le foir nous arrivâmes dans une -\t/afer. maifon où nous fïimes très bien reçus chap. II. quand nos guides eurent dit à notre An. ussr. Hôte qui nous étions , & où nous allions. Le lendemain nous nous rembarquâmes avec deux hommes de renfort, enforte que nous en avions alors fix également emprefies à nous rendre leurs fervices,& en fix jours ils nous conduifirent à la maifon de Lacenta, dont j'ai déjà eu occafion de parler. CHAPITRE II. Pviffance de Lacenta. : Defcription de fon habitation : Wafer guérit fa femme d'une maladie : // devient en grande eflime che^ cette nation ; Comment les Indiens de l'Iflhme faignent leurs malades : Moyens que les Efpagnols employent pour ra-maffer la poudre d'or : Projet de Wafer pour fe procurer la liberté ainji qu'à jes compagnons : Il réuffit à leur fatisfa&ion : Ils font conduits À la mer du Nord : Les Indiens af-femblent leurs magiciens qui font i02 DÉCOUVERTES leurs conjurations : Leurs prédictions fe vérifient : Mort de Gopfon : Wafer rentre dans fon vaiffeau* Wa„er T 'Habitation de Lacenta étoit Ch»p. il. JL-/fituée ïur une hauteur qui for-An. moit une efpece de peninfule entre Maifon dedeux grana*es rivières, & il y avoit iscfi.M.chei'feulement un chemin- de quarante deaJndiens. pjec}s ^tenci pas même, non que la diftance foit trop grande, mais parce qu'elle eft bornée par des hauteurs d'efpace en efpace, Quoique plufieurs des rivières qui arrofent l'ifthme, foient fort larges, il n'y en a que très peu de navigables , parce que l'embouchure en eft embarraflee par les bas fonds & par les bancs de fable. Celles qui tombent dans la mer du Nord font petites , & n'ont que très peu de cours. Celle de Darien eft confidérable, mais à l'embouchure la profondeur n'a aucune proportion avec la largeur; cependant on y trouve plus d'eau à mefure qu'on la remonte, 1-a rivière Chagredont là fource des Européens. 113 eft affés éloignée de rembouchure, Wafer" devient très large & très profonde chsr. ü£ avant de tomber dans la mer. Le terroir varie beaucoup ; en quelques endroits il eft très fertile, & en d'autres il eft rempli de marais, particulièrement près de la mer. Depuis la Baye de Caret jufqu'à l'Iïle d'Or, le terrein eft très bon, quoiqu'il y ait beaucoup de fable, & qu'une partie en foit prefque toujours fous les eaux; enforte quefi quelqu'un fe hazarde de débarquer, il court rifque d'être dans la boue jufques au milieu du corps. La Baye de Caret eft petite, & . pesées il y tombe deux ou trois ruilieaux ifles. d'eau fraîche : on trouve dans cette baye deux Ifles, dont le terrein eft fort élevé, & couvert d'arbres ; & comme il n'y a point de rochers en cet endroit, l'ancrage y eft très fur. A l'oueft du Cap de la rivière Darien eft une autre baye dont le fond d'un fable dur donne aufli un bon ancrage. On voit à l'entrée trois Ifles , dont celle qui eft le plus à l'Eft fe nomme Ifle d'or, & eft féparée de la terre ferme par un beau canal profond. Au Sud de cette Ifle, qui 114 DÉCOUVERTES ■W-AFER eft élevée, pleine de rochers , Chap. m.' prefque partout inacceflible, on trouve une petite baye très fure. A l'Oneft de cette baye eft une autre petite ifle couverte de Mangles, mais le terrein en eft fi vafeux qu'il n'y a pas de bon ancrage. Elle eft fi proche de l'ifthme que dans le temps même de la haute marée , les vaif-feaux ne peuvent paflèr entre les deux. Du côté du Nord , on trouve rifle des Pins, dont le terrein efl couvert de deux montagnes qui fervent à guider les pilotes : elle eft bien arrofée & garnie de grands arbres très utiles. Il y a au Sud une baye très fure , qui a la forme d'une demi-lune; mais le côté oppofé à l'ifthme eft inégal & plein de roches. Depuis ces ifles , la côte court au Nord-eft jufqu'à la pointe deSambal-las près de laquelle eft le port, qu'on nommeDéliré,entrelesiflesaufiinom-méesSamballas. Ces ifles font en grand nombre, fort petites, & ont plufieurs ports, dont le principal eft celui qu'on appelle la Clef de Springer. On y efl toujours en fureté contre toutes fortes de vents , aufli eft* en temps de guerre la retraite de prefque tous les Armateurs. des Européens. 115 Ces ifles font baffes, plates, fablo- Wafer ' neufes, & produifent un grand nom- chap. m*, bre d'arbres, particulièrement de ceux qu'on nomme Mammets, Sanadillos, y» , Manchinels , & de plufieurs autres des Sambal-efpeces. La pointe de Samballas efl hs' baffe, étendue & pleine de rochers , qui avancent jufqu'à cent milles en mer , ce qui en rend l'approche très dangereufe. Trois lieues à l'ouefl de cette pointe efl le port Serivan, qui efl très bon, mais dent l'entrée efl fort difficile. Quoique le débarquement en foit très mauvais , parce que le terrein efl fort marécageux, le Capitaine Conon avec d'autres Avan-turiers choifirent cet endroit comme peu fréquenté pour fe rendre par terre à Porto-Bello en 1619 , ce qui leur fit éviter les coureurs Efpagnols , & ils ne furent découverts qu'aune lieue de la ville. L'endroit où étoit autrefois Nom- PeNomir* bre-de-Dios efl dans une très mau- s 0 " vaife fituation, &L l'air y efl pernicieux. La baye efl ouverte du côté de la mer, & les vaiffeaux n'y font pas en fureté, ce qui fut une des raifons qui engagèrent les Efpagnols à l'abandonner. On voit quelques Il6 DÉCOUVERTES Wafer< ifles difperfées à l'entrée de cette Chap. m. baye, ce qui forme un affez bon port entre ces ifles & l'ifthme. Toute la côte depuis Nombre-de-Dios jufqu'à Porto-Bello eft bordée de rochers : le terroir en efl fertile , plein de hauteurs & couvert d'arbres, à l'exception de quelques paffages que les Indiens Efpagnols tributaires de Porto-Bello ont éclaircis pour aller plus facilement aux Eglifes. Dans le port, dont l'entrée eft fort étroite , les vaiffeaux font en fureté contre tous les vents : c'eft à Porto-Bello qu'on amené par terre lestréfors du Pérou, après les avoir raffemblés à Panama. Defcripticm La ville de Porto-Bello a la forme ieiET0" d'une ^emi"lune •' elle eft fltuée ai* fond du port, dont l'entrée efl défendue à gauche par un bon fort , &■ à droite par une plate-forme. Il y a plufieurs autres forts deflinés à garantir la ville : ils font placés aux endroits convenables, & contribuent beaucoup à la défendre. Ils font gardés ordinairement par deux ou trois cents foldats Efpagnols : la ville efl longue & étroite avec deux rues principales , traverfées de plufieurs autres. Au milieu efl une petite place des Européens. 117 entourée de belles maifons bien bâ- ^aveit ties , comme le font en général tou- chaP. iu\ tes celles de la ville. L'Eglife elf un très bel édifice ; du côté de l'Orient on trouve les écuries royales qui s'étendent du midi au nord , où l'on conferve les mulets qui fervent à tranfporter les tréfors de Panama. Près de ces écuries efl un petit ruiffeau d'eau douce , & entre la place d'armes &C la maifon du Gouverneur qui tient au grand fort, on en trouve un autre qu'on paffe fur un pont. Quand la marée fe rerire, il reffe fur le rivage ime boue noire d'où la chaleur du climat fait élever des vapeurs très nuifibles. Le pays au Sud & à l'Eft efl couvert de hauteurs, avec quelques bois ; mais on n'y trouve que très peu de fruit. Après avoir jette un coup d'ceil .Part|en"ér^ ri • r * • 1 ƒ m/lL tonale de fur la partie feptentrionale de 1 litn-riithme, me, nous allons paffer à la partie méridionale, en commençant par la pointe de Garaçhina , qui eft très élevée & forme le bord occidental de l'embouchure de la rivière Sambo : mais la partie voifine de cette rivière eft baffe, marécageufe & couverte de Mangles. "Vï^afer L'embouchure du Sambo regarde Àp. lu. le Nord, tk depuis cette rivière,la côte court au Nord-efl jufqu'au Gol-phe de Saint Michel. Il eft formé par la décharge de plufieurs rivières , dont les principales font, la Rivière de Sainte-Marie, la Rivière de Congo , & la Rivière d'or. Cette dernière tire fon nom de la quantité de poudre de ce précieux métal qu'on y trouve dans le fable, tk pour le recueillir , les Efpagnols y conduifent des Nègres de Panama ÔC de Sainte Marie , qui efl: une viile du côté du midi allez avant dans les terres. La rivière de Sainte-Marie fut la première ou nous entrâmes lorfque je fis une expédition avec le Capitaine Sharp. Nous prîmes alors la ville, bâtie depuis peu par les Efpagnols de Panama ; nous y trouvâmes un bon magafin de provifions, avec une garnifon de deux cents foldats Efpagnols. Le fort n'en étoit défendu que par des paliffades, tk il n'y avoit aucun mur, ni aucunes défenfes pour la ville. Le terrein efl bas, couvert de bois & très malfain ; les rivières { font pleines de vafe , & l'air y efl infecté par les vapeurs empeflées de des Européens. 119 la boue. Cependant le village nom- WaF£R. mé Schuchadero à droite de la ri- chap. ni, viere, n'eft nullement malfain, parce qu'il eft fitué fur un terrein élevé, & reçoit les vents de mer qui y rafraîchiftent l'air. On y trouve un £etit ruiffeau d'eau fraîche, qui eft un tréfor dans ce pays , parce que Feau des rivières, à une diftance même confidérable de la mer, eft fomache & de mauvais gout. L'embouchure de la rivière Congo Defcriptioit eft exceflivement vafeufe , & il n'y demeure prefque point d'eau dans le temps des baffes marées, mais les vaiffeaux peuvent y entrer quand la mer eft haute ; & après l'avoir un peu remontée , ils trouvent affez d'eau dans le canal. Il y a dans le Golphe plufieurs ifles où l'ancrage eft très bon , quoique dans un terrein bourbeux : elles font couvertes de Man-gies & l'abri y eft très fur pour les vaiffeaux. H y a un grand nombre de criques & de petites anfes le long de la côte ; on n'y trouve point d'eau fraîche, au moins je n'en ai pas rencontré dans la faifon de la féchereffe : mais dans la faifon pluvieufe, la déclivité du terrein & celle qui tombe l\r/AFER_ des arbres en fournirent abondam-Chap. ni." ment. La ville de Cheapo , petite &c de peu d'importance efl fituée à quelque diflance de la mer fur la côte occidentale de la rivière du même nom. Le terrein des environs eit partie en bois & partie en pâturages, variés de hauteurs très agréables & coupés de petits bofquets. La rivière prend la fource dans le voifinage de la ville, & après avoir couru prefque toujours à l'Ouefl, elle tombe dans la mer du Nord. Sur le bord méridional de cette rivière, près de Panama , elf fitué Crucès, village com-pofé d'hôtelleries & de magafms , d'où l'on envoyé par la rivière les marchandifes à Porto-Bello, excepté les lingots qu'on voiture par terre. Le pays plus à l'Ouefl, entre la Defcription rivière Cheapo & Panama , efl bas , le Panama. fec ? couvert de buiffons , ôc quelquefois des eaux de la mer. Dans le mcme canton efl l'ancienne ville de Panama, qui fut bridée par Sir Henri Morgan , vers le temps où les Efpagnols étoient prêts de l'abandonner , tant parce qu'ils n'y trou- voient de's Européens, izi v voient pas un embarquement conve- "w7f"Ëh7 nable que par rapport à plufieurs Chap. ni, autres inconvénients. On n'y voit à préfent rien de remarquable , & il n'y relîe que quelques maifons dif-perfées avec des monceaux de ruines. La nouvelle ville bâtie plus à l'ouefl a un très bon port, &c les vaiffeaux font en fureté dans la rade, à couvert fous les trois ifles nommées Périca : mais elles ne font pas immédiatement fous le commandement de la ville , parce qu'il y a un grand banc entre cette ville tk la rade. Panama forme un beau point de vue du côté de la mer, parce' que les murs des maifons font de pierres blanches, tk couvertes de tuiles, dont les Efpagnols font beaucoup d'ufage dans les Indes occidentales. Il n'y a pas de fortifications, mais la ville efl entourée d'une muraille très forte, particulièrement du côté de la mer, qui y caufe fouvent affés de dommages. Les environs font remplis de coteaux , de pâturages, de taillis, tk de fermes pour les chevaux , les mulets tk les bœufs, ce qui forme une agréable variété & un charmant payfage. Tom. VUL F 122 DÉCOUVERTES T^afer. Panama efl la principale ville de Chap. ni. commerce fur la côte de la mer du Sud, & c'efî où abordent toutes les richeffes de Lima & des autres pons du Pérou, outre la correfpondance avec México. Le Roi d'Efpagne y entretient un Préfident, qui agit conjointement avec le confeil & a la jurifdiftion fur le Gouverneur de Porto-Bello, & même fur tout le pays jufqu'à Guatimala. L'air de Panama efl très fain par comparaison à celui de Porto-Bello : cependant il y règne beaucoup de maladies , & ceux qui y viennent de Lima & de Truxillo , où le climat efl plus pur, font obligés en général de fe faire couper les cheveux, qui leur deviennent bien-tôt à charge, layc «le La Rivière, nommée Rio-Grande, anama. ^ environ à une lieue à l'Ouefl de Panama : le courant en efl très rapide , &£ les vaiffeaux ne peuvent y entrer, parce que l'embouchure eu embarraffée par les fables. Sur les bords occidentaux de cette rivière, on voit de très belles plantations de fucre. A commencer de cet endroit, la côte s'étend du côté du Sud,ôc c'efl au.iîi où je terminerai ma de£- des Européens. 123 cription. Le rivage entre la pointe w A de Garachina tk Rio-grande jufqu'à Cl»/, m. Punta-mala forme une baye en demi cercle, qu'on appelle la Baye de Panama. Il y a dans cette baye plufieurs belles ifles, dont les principales font celles de Périca , de Pache-r que , de Chépélio , & celle qu'on ' nomme PI fie du Roi. On y trouve en abondance du bois , de l'eau , du fruit, des oifeaux, des cochons tk beaucoup d'autres denrées ; l'ancrage y efl excellent, & en général cette baye efl un endroit délicieux. Dans l'intérieur du pays, la terre efl noire , fine tk exceffivement fertile. Depuis le Golphe de S. Michel jufqu'aux hauteurs de la baye de Caret, le terrein efl bien arrofé & fort agréable ; mais on ne peut voyager fur la côte en fuivant le Golphe, parce que le fol efl fouvent rompu tk marécageux. A l'Ouefl de la rivière de Congo, jufqu'à ce qu'on ait paffé la rivière Cheapo , le terroir produit beaucoup , & l'on y trouve de très beaux coteaux ; mais plus loin ce font des bois continuels. La chaîne principale efl très fertile, couverte d'arbres jufqu'au Commet» "wafer. & ^ ^on Peu^ kieh iu£er climat CJup. ui. par comparaiibn , il n'y a aucunes des productions de la Jamaïque qui ne vint aifément dans ce pays, tant le terrein y paroit convenable. Pluyes ré- Sur le bord de la mer , les bois gulierei dans font prefque impénétrables , parce ce pays i t que les arbres font entrelaces les uns dans les autres ; mais plus avant dans les terres, les bois femblent être des bocages plantés régulièrement, fans buiffons ni bruyères ; & un cavalier peut y aller long-temps au gallop comme dans une belle plaine avec un dais de verdure, fans rencontrer le moindre obftacle. Sous cette latitude , la température de fair elf à peu près la même que celle des autres endroits de la Zone torride, mais elle y eft un peu plus humide. La faifon pluvieufe commence en Avril ou en Mai, & continue avec violence pendant les mois de Juin , Juillet & Août, le temps étant alors excefîivement chaud. Quand il nefur-vient pas de vents rafraîchiffants, l'air y elt tellement étouffant, que fi le fo-leill vient à paroître entre les nuages, il eft prefque impoftible de le fuppor-tcr. Ces pluyes commencent à dimi- dès Européens, izf niier au mois de Septembre, mais \pAFER. on arrive quelquefois au mois de chap. m. Janvier avant qu'elles foient totalement paiTées. Dans les commencements, il ne tombe qu'une ondée par jour, à peu près comme nous le voyons fouvent dans notre climat au mois d'Avril : enfuite il en tombe tous les jours deux ou trois , & enfin elles fe flic-cedent à toutes les heures. Quelquefois même elles durent pendant tout le jour, accompagnées de vifs éclairs & de violents coups de tonneres,avec une odeur de fouffre dont l'air eft imprégné , & qui devient d'autant plus infuportable qu'elle fe concentre dans les bois. Il pleut quelquefois cinq ou fix femaines fans aucun coup de tonnerre èk fans éclairs ; d'autrefois on jouit d'une femaine de beau temps interrompufeulementpar quelques ouragans qui amènent un air rafraîchifïant ; mais alors l'eau qui tombe des arbres par le vent eft aufîi incommode que la pluye. Quand il eft tombé une forte pluie, , , . on eft enluite étourdi par le liffle-funcu&s. ment des ferpents, le croafîèment des crapauds 6c le bourdonnement des F iij "Wafer. coufins. Quoique ce pays ne foit pas Ch»]>. îu. autant incommodé des derniers Oc des mouches que les autres pays chauds , ils font cependant infupor-tables dans les terreins humides 6c dans les bois. Les pluies font un bruit fourd fur les arbres , les torrents qui tombent des hauteurs en arrachent fouvent de très gros par la racine, 6c ils font emportés par le courant comme je l'ai vu fréquemment dans mon voyage. Il y en a quelquefois en ii grand nombre que le cours des rivières en eff interrompu jufqu'à ce qu'un nouveau torrent les emporte Se les remette à flot. Il efl très ordinaire de voir les eaux fe raffem-bler, couvrir de grandes étendues de terrein , 6c en former des efpeces de lacs ou de petites mers. Le temps le plus frais de l'année eff vers Noël y lorfque les pluies ceffent de tomber, que les nuages s'écartent 6c donnent un libre cours à l'air , 6c que les habitants font rafraîchis par les brifes. bes Européens. 127 CHAPITRE IV. Des arbriffeaux, des fruits, & des différentes efpeces d'arbres quon trouve dans Clflhme : Manière Jîn-gulicre dont Us habitants fument le tabac. ENtre les différentes efpeces de ~——■ fruits & d'arbres que produit ce chap. fv." climat, il s'en trouve plufieurs abfolu- M , . , ment inconnues en Europe. JNous ne .lu coiomcr. ne parlerons que des plus curieux , en commençant par le Cotonier qui eff non-feulementle plus grand des arbres de l'ifthme, mais aulfi le plus commun. Il porte une gouffe de la groffeur d\ine noix-mufeade, qui contient une laine ou duvet ; quand il efl: mûr, la gouffe fe crevé , & il eft emporté par le vent. On fe fert particulièrement de ce bois pour conftruire des canots , que les Indiens creufent par le moyen du feu, & les Efpagnols avec des cifeaux & d'autres inilru-ments. Il eft très bon pour cet ulàge , Se pour faire d'autres petits bâtiments, F^v "Wafer Parce qu'on ie travaille aifémenr^ Chap. iv. étant aiirTi tendre que le faille. Dans la partie feptentrionale on trouve fur la côte de la mer beaucoup de cèdres très élevés , dont on fe fert pour faire des canots & d'autres ouvrages grofïiers, quoique cet arbre foit celui dont l'odeur elf la plus agréable, & dont le grain eft le plus fin. 11 eft inutile de répéter que j'ai trouvé des Cotoniers & des Maccaws dans toutes les ifles de cette côte. p«Ma«avY. Le Maccaw eft une efpece de palmier, qui vient dans les terreins humides , & qui croît très droit jufqu'à la hauteur de dix pieds ; il ne porte de feuilles ni de branches que vers le fommet, où il poulie des branches de douze ou quatorze pieds de longueur , d'environ un pied & demi de largeur à l'endroit le plus fort , d'où elles diminuent înfenfiblement jufqu'à ce qu'elles fe terminent en pointe. Le tronc eft entouré de distance en diftance d'anneaux faillants d'où pouffent de longues pointes. Dans le corps de l'arbre eft une moelle femblable à celle du fureau, qui ©ccupe plus de la moitié du diamer tets Européens, i 29 tre. Le gros de la feuille eff de l'é- -vpafér. paiffeur de la main, garni de pointes, Chap. iv. cette feuille efl dentelée vers l'extrémité. Le fruit croît fur le fommet entre la naiffance des feuilles dans des gouffes, au nombre de vingt fruits enfemble dont chacun efl de la groffeur d'une moyenne poire. Il efl de forme ovale , & la couleur, quand il efl mûr, efl d'un jaune ou d'un rouge éclatant. La chair efl dure, mais d'un goût très agréable, quoique vifqueufe & pleine de filets : on trouve un noyau au milieu, tes Indiens coupent l'arbre pour en avoir le fruit quand ils ne peuvent le cueillir autrement. Le bois en efl pefanf,. dur, noir , fe fend aifément, & l'on s'en fert beaucoup dans les bâtiments pour faire des planches & des folives. Le Bibby efl un arbre droit tk me- Du KHiysr nu; il ne vient guéres plus gros que la cuiffe tk pouffe à la hauteur de fbixante ou foixante & dix pieds» Les branches ne croiffent qu'au fommet, & le fruit pend à l'origine des> branches comme des guirlandes. Le bois efl noir & a le grain très ferré :: au-dedans du tronc efl une petite' mo«lle.. Les Indiens- percent? cet air*- _ 130 découvertes "Wafer. kre quand il eit jeune , & il en dif-Chap. iv. tille la liqueur qu'on nomme aufîi Bibby; elle reffemble affés au petit lait un peu aigre, cependant elle efl agréable ; on la boit un jour ou deux après qu'elle efl fbrtie de l'arbre. L« fruit efl à peu près de la groffeur d'une noix, tirant fur le blanc &c fort huileux : on le pile, pour en tirer une liqueur qu'on fait bouillir après l'avoir paffée ; à mefure qu'elle fe refroidit, il nage au-deffus une huile très amère , que les Indiens enlèvent, & dont ils fe fervent pour y mêler les couleurs dont ils fe peignent 1« corps. Ils ne coupent pas l'arbre, 4§nais ils le brûlent pour en avoir le fruit. Il croît fur l'Iflhme un arbre dont l'Auteur ne dit pas le nom , qui por-. te un fruit femblable à la cerife ; mais il efl plein de noyaux & ne s'amollit jamais. - Do p^ak. L'arbre nommé Plantain n'efl pas une production naturelle de l'Iflhme : mais la graine en efl entraînée des pays voifins parles pluies ; elle prend racine, & il en vient des arbres fur le rivage des rivières. Au-deffous du fruit, qui efl de forme oblongue , jl Des Européens. 1 yi pouffe différentes feuilles les unes fous \y*AF£B# les autres : elles s'élargiffent à mefure Cbafl. iv, qu'elles vont en delcendant , & à quelque diftance elles paroiffent comme un beau pannache de plumes. Ces arbres forment des bocages très agréables en les plantant régulièrement ; les Indiens les coupent pour en avoir le fruit, & comme les Plantains font tendres & fpongieux, on les abat fouvent d'un feul coup de hache. Le Eonanos eff une efpece de Plantain dont le fruit eff épais , doux & farineux ; on en trouve une grande quantité dans l'Iflhme. Les ifles produifent beaucoup de Des Ma». ■xê i • > j' mets. Mammets ; cet arbre vient tres droit, à la hauteur de foixante pieds & plus: le fruit en efl très fain & d'un goût délicieux, un peu plus gros qu'une poire de livre avec un noyau. Il y en a une efpece qu'on appelle Mam-met - Sapota dont le fruit eft d'une très belle couleur quand il eft mûr r il eft plus petit, mais plus ferme que le premier. Les Sapadilles ne viennent pas ÛDeiSaffàk hauts que les Mammets : le fruit ref-lcï* femble à la bergamotte, mais il eft un peu plus pe tit, & d'un goût très agréa- Fvj f 3 2 DÉCOUVERTES* ater. ®n en tr°uve en abondance dans chap, iv. toutes les ifles, & il y en a quelques-tins dans le continent. C'efl âufli oii viennent les fruits les plus délicieux qu'il y ait au monde , & que nous connoiffóns fous le nom de pommes de pin. ©eUPommc Ce fruit a la figure d'un artichau, tfc Pm. £e |a g1-ofTeiir de la tête d'un homme :• il croît comme une couronne fur une tige grolfe comme le bras, & de la longueur d'un pied &c demi. Le fruit eft entouré de feuilles courtes & piquantes, & pefe ordinairement environ fix livres : il a beaucoup de jus $ & quelques perfonnes. prétendent que le gout en efl compofé de celui de tous les fruits les plus excellents. On en coupe les feuilles pour le découvrir, & il n'a ni noyau ni amende r Tes feuilles de la plante forrent immédiatement de la racine, & ont à peu près un pied de long. La poire piquante efl un très borr fruit, dont les Indiens mangent beaucoup : elle croît fur un arbrifTeaw épineux de quatre pieds de hauteur. BeiaTëte IL n'y a pas de buifîbn plus proie-Pap*. £ £es |^ayes qUe, cejuj ^'on bes Européens, rjj appelle Tête-de-Pape : il a la forme Wafer* d'une Taupinière, eft garni dépeintes chap.iv^ dures , fortes & aiguës, de quatre à cinq pouces de long, qui embar-raffent les jambes ck les pieds de ceux auxquels il arrive de s'y trouver engagés. Les Indiens ne font d'autre triage des cannes de fucre qui font dans l'ifthme que celui d'en fuccer le jus. On trouve dans les ifles un fruit Des nommé Pommes de Manchinel, d'u- nci. ne très belle couleur & d'une odeur agréable ; mais la nature en eff fi maligne que ceux qui en mangent s'en trouvent empoifonnés, à moins qu'ils ne prennent immédiatement un antidote. L'arbre qui le produit efl bas r gros , & plein de feuilles : Le bois, eff d'un grain très beau & très fin ; on s'en fert pour des ouvrages de fculpture. Nous vîmes un effet de la malignité de cet arbre fur un de nos gens qui s'étoit repofé dGffous. Il eut la tête & l'eflomach mouillés de l'eau de la pluie qui en avoit lavé les» feuilles , & il s'éleva des pullules-partout où elle Pavoit touché ,. ce qui lui fît un tel effet qu'on ne lui. fauviii la» vie que très difficilement!^ Wafer. ^ ^ en Porta toujours des marque» chap. iv*. femblables à celles de la petite vérole. £>u Mah». Cette partie du monde produh> deux efpeces de Maho , l'un elf auflî gros que le frefne , & l'autre qui eft plus petit croît fur les bords des rivières & dans les endroits maréca-r geux. L'écorce fe déchire aiféraent, & on la peut tirer en filets jufqu'ai*. fommet, ce qui forme des fils très5 forts, quoique fins, dont on fait des» cables & des agrès pour les vaiffeaux, en les roulant fur le genou avec la paume de la main: on en forme aufli des fifcelles qui fervent à faire des filets pour la pèche , & à d'autres ufages. "De la Cale- La Calebaffe efl un fruit à coquille, Vaflè. de forme ronde , très dur, & qui contient jufqu'à deux, trois , quatre ou cinq pots. Il y en a de deux fortes, de douces & d'amères : la fubflance de l'une & de l'autre efl fpongieufe & pleine de jus : je ne lui ai rien trouvé d'agréable ; cependant les Indiens en font un grand ufage : ils en fucent le jus & jettent le refle. L'a-mère efl médicinale, excellente dans les fièvres tierces, àc la 4écottioJ* bes Européens. 135 prife en cliftere eft d'un grand fou- Wafer." lagement dans les coliques de Miferere. chap. l\\ La coouille fert de vafes pour boire; elle eft prefque aufîi dure que celle du coco , mais moins épaiffe : quand les calebaffes de Darien font peintes , les Efpagnols les eftiment beaucoup. Il y a deux efpeces de courges ou DesGovi» «; gourdes ; les douces , dont le goût n'eft nullement agréable, & les amé-res, dont on fait ufage en médecine contre les affections iliaques , les fièvres tierces & les conftipations , *n les prenant en clyfteres. Elles cou-jrent fur la terre, ou s'attachent autour des arbres comme la vigne : les coques fervent à faire des fceaux ou des baquets. On trouve aufîi dans l'ifthme une Dt l'herïe plante nommée l'herbe de foye, qui Ae fo>'c* croît dans les terreins aquatiques , & couverrs par des hauteurs. Les feuilles fortent d'une racine noueufe , & reffemblent à des lames d'épée ; elles font aufîi épaiffes que la main à leur . origine, devienent plus minces par dégrés & fe terminent en pointe. Ces feuilles font dentelées fur les côtes comme une fcie, & pouffent quel- l$6 DÉCOUVERTES Wafer. quefois jusqu'à la longueur de 5tf Cbaj». IV. pieds. Quand elles font parvenues à leur grandeur, les Indiens les coupent , les font fécher au foleil , les battent pour en tirer un lin très fin , dont ils font des fifceles pour les Hammacks , &: toutes fortes de filets pour la pêche. Les fils en font beau-* coup plus forts que ceux de notre lin ou de notre chanvre, & les Cordonniers de la Jamaïque en font grand ufage. Les femmes Efpagnoles en font des bas qu'on vend très chers, & les Indiennes des habitations en font des dentelles jaunes qu'elles portent avec beaucoup d'oftentation. DuBoifrlc- L'arbre qu'on appelle Bois-léger efl de la groffeur d'un orme , avec la feuille affés femblable à celle du noyer: Cet arbre ell droit & bien fait : le grain reffemble à celui du Cotonier ,. & efl de couleur affés blanche ; la fubflance paroît femblable à celle du liège ; mais j'ignore s'il efl fpongieu:»ju non. On enpour-roit faire de très bons tampons pour mettre à l'embouchure des canons:, il efl fi léger qu'un homme peut en porter aifémentune quantité confidé-»ble fur fon dos, Onavucmelcmefbis des Européens. 137 deux ou trois hommes fe hafarder en vFIferT mer fur un radeau de ce bois, compofé CnaP. i\l feulement de trois ou quatre pièces longues de quatre pieds , & groffes comme la cuiffe. Pour faire ces radeaux , on attache d'abord latéralement plufieurs de ces pièces avec des cordes de Maho; on met d'autres pièces en travers à quelque diflance les unes des autres , en les faifant tenir aux premières avec des chevilles de Maccaw qui tiennent très fort dans ce bois. Ils reffemblent aifés aux radeaux des Teinturiers de Londres, & les Indiens s'en fervent à traverfer de grandes rivières, & à aller à îa pêche. L'arbre nommé Bois-blanc reffem- Du ble beaucoup à notre faule. Il monte blanc, à la hauteur de vingt & un ou vingt-deux pieds , & le tronc en eft fort menu. La feuille eff comme celle du Séné : c'eff le bois le plus blanc & du plus beau grain que j'aye jamais vu,' & il a aufli l'avantage d'être très dur & très pefant. Le Tamarin vient dans ce pays Du Ta»atî«ç fans culture : il croît le mieux dans les terroirs fa Mon eux près des rivières. Le fruit en efl: bon quoique de couleur brime» 13? DÉCOUVERTES Waeer. L'arbre des Sauterelles, efpece de Chap. iv. Tamarin fauvage eft en abondance dans l'ifthme, de même que la ca-nelle bâtarde, qui porte une goulfe très courte & épaiffe affés refîèm-blante à celle des fèves. Des lam- Les cannes ou bamboucs, qui fcouc». pouffent comme des bruyères, croif-fent vingt ou trente d'une feule racine , & font garnis de forts piquants. Elles viennent près des rivières, oc" les endroits où l'on en rencontre font prefque impraticables. On en trouve peu dans les illes, mais il n'y en a que trop dans l'ifthme. Les bamboucs creux contiennent quelquefois quatre pintes , quelquefois davantage : on n'en trouve que dans le continent : ils s'élèvent à la hauteur de vingt ou trente pieds , & ont environ dix-huit pouces de circonférence : ils ont des nœuds dans toute leur longueur éloignés d'environ un pied & demi les uns des autres. Les feuilles, qui reffemblent affés à celles du fureau, forment une touffe au fommet de chaque canne. BesMangies. Les Mangles forment à leur naif-fance un grand nombre de tiges menues qui viennent de différentes ra- des Européens. 139 eines , s'élèvent d'environ un pied Wafih au-deflùs de l'eau, fe réuniffent en- ct»p. IV." femble & forment un très bel arbre àlfés gros. Dans les endroits où il y en a beaucoup , ils couvrent tout le terrein , de façon qu'il n'efl pas pof-fible d'y paffer , fur-tout quand ils croilfent dans l'eau falée. Les Mangles font rouges , & l'on s'en fert pour tanner le cuir. Je crois que le Quinquina , ou écorce des Jéfuites vient d'une efpece de Mangle. Le poivre en cloches, & le poivre Du Poi'tjmi des oifeaux, qui croilfent l'un & l'autre fur des buiffons d'environ trois pieds de hauteur, font des productions naturelles au pays. Le dernier a la feuille plus petite & elf aufli plus efliméi Une autre production de l'Iflhme efl le bois-rouge, arbre menu, de trente à quarante pieds de hauteur , & dont la racine efl comme par entailleures : l'intérieur efl d'un rouge vif quand il efl coupé ; il donne la même couleur au coton , & l'eau ne la peut jamais effacer. Les Indiens de ce pays font beaucoup d'ufage des patates ou pommes de terre qu'ils mangent grillées ; & des yams, dont il y a de deux éf- 140 DÉCOUVERTES '"Wafer "peces, les blancs, 6c ceux couleur Chap. iv'. de pourpre. Be h Catfà- La Caffave, racine affés femblable y» aux panais, vient très bien dans ce pays. Ils font rôtir 6c mangent celles qui font douces. Pour les autres, ils en expriment le jus , qui efl un poi-fon affés violent, grattent la racine pour la mettre en poudre ,1a répandent enfuite fur une pierre très chaude , où ils en forment des efpeces de gâteaux friables , blancs 6c très bons quand ils font fecs. Cette forte de pain n'efl point particuliere à l'Iflhme ; on en fait ufage à la Jamaïque , 6c dans toutes les colonies Indiennes. Bu Tabac. Le Tabac efl très commun dans ce pays ; mais comme les naturels n'ont pas le talent d'en cultiver la plante , il n'efl pas fi fort que celui de Virginie. Après avoir bien épluché les feuilles, ils en prennent quelques-unes , qu'ils rou'ent enfemble de façon à laiffer une petite ouverture au milieu : ils en joignent de nouvelles qu'ils roulent de même très ferrées jufqu'à la longueur de deux ou trois pieds , 6c ils en tirent jfe. fumée d'une manière allés fingu- des Européens. 141 liere. Un enfant met le feu à l'un des wafeiT bouts du rouleau, & fouftle la fumée Cbap/v," au vifage délais ceux qui font dans l'affemblée : ils la reçoivent en formant comme un tuyau avec leurs mains qu'ils portent au nez, la ref-pirent avec volupté, & paroiffent dans une efpece de raviffement à cet agréable rafraîchiffement. On les parfume de cette manière quand ils tiennent leurs confeils, où ils font quelquefois deux ou trois cents personnes. CHAPITRE V. Defcription des Quadrupèdes , des Reptiles & des Infecles particuliers à ce climat. i IL n'y a pas une grande quantité Des Quaénw d'animaux particuliers à l'ifthme Pedes» de l'Amérique ; mais comme le terroir en eft riche & fertile, je fuis convaincu que fi les bois étoient arrachés , il fourniroit d'excellents pâturages pour le gros bétail, pour îes porcs 6c pour toutes les autres: I42 DÉCOUVERTES W-AF£R efpeces d'animaux dont on fait ufage Chap. v. en Europe , 6c qu'on tranfporte continuellement dans ce pays, où ils font très eftimés. Bu P&arr, ®n trouve ici un animal, nommé Pécary, qui a la couleur noire , les pares courtes , 6c cependant beaucoup d'activité. Il reffemble au cochon de Virginie, a le nombril fur le dos, au lieu de l'avoir fous le ventre, 6c fi on manque à couper cette partie deux ou trois heures après que l'animal eft tué, il devient d'une odeur infuportable ; au contraire quand elle eft ôtée, la chair qui eft nourriftante Se de très bon goût, fe conferve fraîche pendant plufieurs jours. Quand les Indiens veulent la conferver plus long-temps : voici comment ils la préparent. Ils plantent quatre piquets en terre à huit ou neuf pieds de diftance, qui fervent à en mettre d'autres deffus en travers à un pied d'élévation. Ils y pofent des pièces de Pécary, 6c mettent delfous des charbons ardents qu'ils renouvellent 6c tiennent allumes pendant trois, quatre ou cinq jours, en retournant continuellement la chair jufqu'à ce qu'elle foit devenue féche comme un copeau, ©es Européens. 143 ou comme du bœuf fumé. Ils prépa- 1 A 1 r r i» • W AFER» rem de même plufieurs fortes doi- ckap. v. féaux ainfi que le Warrée, avec cette différence qu'ils écorchent le dernier ; quand il y en a beaucoup , les femmes aident aux hommes pour les porter dans leurs huttes. Ils coupent des morceaux de cette viande ainfi apprêtée pour en faire leur nourriture; & quand la provifion commence à s'épuifer, ils vont à la chaffe pour en avoir de nouvelle. Cette préparation eff néceffaire dans un pays où j'ai remarqué qu'on ne pouvoir prefque jamais faupoudrer la viande de fel, à caufe de l'humidité de l'air. Les Pécarys vont en troupes de deux ou trois cents, & les Indiens les chaffent avec des chiens & à coups de flèches ; mais cette chaffe eff très difficile parce que l'animal court très vite. J'ai paffé une journée entière à chafîer avec Lacenta fans enavoirpu prendre plus de deux , quoique nous en eufîions lancé au moins mille. Le "Warrée eff une autre efpece E»Wafï. v.* mangent des poux qu'elles ont à la tête. On voit dans les ifles Sambalies Du Sol4*u une grande quantité des infectes qu'on appelle le Soldat : c'eft une efpece de limaçon qui porte une coquille, hors de laquelle il fort fa tête & environ le tiers de fon corps, qui eft delà couleur d'une chevrette bouillie. Il a plufieurs petites griffes, & deux larges ferres comme les écreviffes : la partie de la queue cachée par la coquille tk qu'on mange rôtie eft dé-licieufe tk douce comme de la moelle ; la partie antérieure eft offeufe, & l'on n'en peut faire aucun ufage. Ces animaux vivent fous les arbres, & fe nourriffent de ce qui en tombe ; mais s'il arrive qu'ils ayent fuccé du Manchinéel, ils deviennent pernicieux, & font prefque un poifon pour ceux qui en mangent. Plufieurs de nos matelots en furent très malades, mais je trouvai toujours des remèdes pour les guérir. Je fis une huile tirée de cet infecte que je trouvai excellente contre les entorfes tk les contufions. La couleur en eft jaune' Gij ; 148 Découvertes Waier. comme ^e ta are, & elle eft aufîi Chap. v. épaiffe que l'huile de palmier. Des Ecre tr0UVe ^ans CeS ^es quelques vifl'esdcter- éçreviffes de terre , reptile très corn-mun dans les Caribes. J'en ai vu à Anguilla quelques-unes aufli groffes que des Crabes de mer. C'eft un très bon manger, particulièrement après la pluie, parce qu'elles abandonnent ' alors les trous où elles vivent ordinairement comme les lapins vont chercher leur nourriture. Quand les habitants les ont prifes, ils les mettent dans des enclos de pomme de terre, où ils les laifTent deux ou trois jours pour les engraiflër, parce qu'elles aiment particulièrement ce végétal. Je ne me fouviens pas d'avoir vu dans l'ifthme ni Alligators , ni Guanos qui en eft une petite efpece : mais il y a une grande quantité de lézards verds & rouges marquetés, de quatre à cinq pouces de long. Ils font très familiers , ne font aucun mal, tk. les Indjens les laiffent volontiers courir dans leurs maifons. es Européens. 149» CHAPITRE VI. Des Oifeaux & Jes Infectes volants de l'Iflhme de Darien. ON trouve dans lesboisdel'Iiuime »VVAF£JR * un oifeau allés gros, long & très Chap. vil beau , nommé par les naturels du ~ , pays Cmcaly-chicaly : Il a le chant chicaiy. à peu près comme le coucou, mais beaucoup plus perçant 9 avec un plumage où l'on voit le rouge, le bleu, & les autres couleurs les plus vives qu'on puhTe imaginer. Les Indiens font quelquefois des tabliers avec les plumes du dos de cet animal ; la chair en eff d'affés bon gout, mais noire : il fe nourrit de fruits, vole d'arbres en arbres tk fe pofe rarement à terre. Le Quam eft un autre oifeau très x)h Qu0à bon à manger : il fe tient ordinairement entre les branches : il a les ailes d'un brunobfcur, la queue courte, ramaffée, droite, tk encore plus brune que le corps. Il y a une efpece doifeau qu« l'Auteur ne nomme point, qui ne G iij y; a f e r. vo^e jamais, ou au moins très rare-Chap. vi. ment. Il a la forme à peu près d'une perdrix, les jambes alongées ainfi que le col, mais la queue très courte. ••Corrofon. Le corrofon eft un oifeau très gros , qui vit dans les arbres fruitiers , il a le chant très fort, cependant agréable, & les Indiens l'imitent pour en découvrir la retraite : le mâle eft plus noir que la femelle ; il porte fur la tête une couronne de plumes jaunes, qu'il fait mouvoir comme il lui plaît, avec des ouies femblables à celles des coqs-d'inde. Les Indiens enterrent les os de cet oifeau, ou les jettent dans la rivière, crainte que leurs chiens ne les mangent, parce qu'ils prétendent qu'ils les feroient devenir enragés : les Anglois qui demeurent aux Indes occidentales penfent de même.' Des Perro- On trouve dans l'ifthme une quan-' Suets. fjt£ tr£s beaux perroquets de di-verfes efpeces : ils font très bons à manger, & ne different que très peu de ceux de la Jamaïque. Les perruches dont la plus grande partie font vertes, ne fe mêlent point ■ avec les perroquets, mais on en voit des volées de leur feule efpece. ' Mo*™ Ma*" ^e P*us ^ °^eau que j'aye jamais des Européens. 151 Vu eft celui qu'on nomme Maccaw : w~â"i on trouve dans fes plumes un affem-blage des couleurs les plus fuperbes cm'on puilfe imaginer : il a la queue epaiffe avec deux ou trois plumes rouges ou bleues beaucoup plus longues que les autres. Quelques - uns ont les bouts des ailes toutes rouges, d'autres toutes bleues, & le refte jaune. Le bec eft comme celui du Faucon, & la forme du corps femblable au perroquet, mais le Maccav eft deux fois aufti gros. Ils ont naturellement la voix dure , mais ils apprennent très facilement à la changer, & il eft aifé de les inftruire à imiter la voix humaine. Les Indiens les renferment dans les maifons comme nous faifons nos perroquets tk nos pies pour les apprivoifer ; mais quand ils y font accoutumés , tk qu'ils commencent à prononcer quelques mots , on les laifle voler dans les bois avec ceux qui font encore fauvages , tk ils en amènent quelquefois aux habitations, où ils ne manquent jamais de revenir le foir. On eft bien-tôt averti de leur. arrivée par leur gazouillement, qui m'a fouvent caufe beaucoup de plai-fir. La chair en eft noire, mais de très bon goût. G iv i 5 2 découvertes w A p R R. Le Pivert de l'ifthme a le bec long Chap vj. 6c délié, avec de fortes ferres qui Djpiverc.m* fervent à grimper aux arbres , où il s'attache avec beaucoup de force. Cet oifeau eft marqueté comme nos pies 6c des mêmes couleurs, mais beaucoup mieux diftinguées. Le Pivert eft petit, & il a un goût de terre peu agréable ; cependant j'en ai mangé volontiers faute d'autre nourriture, mais les Indiens n'en mangent jamais. Des VoiaiL II y a beaucoup de volailles groiTes le** Se petites autour des maifons, telles que des poules ordinaires, des poules hupées tk des coqs propres au combat , mais les habitants n'ont point de goût pour ce divertiftement. Les pigeons ont des queues bien fournies & des plumes fur les pattes, le bout des ailes noir, tk en général ils font très beaux. Tous ces animaux chantent aux approches du jour comme les nôtres , fe tiennent autour des maifons, & ne s'écartent jamais dans les bois. Les coqs 6c les poules y engrailfent beaucoup & ont un très bon goût, parce que les Indiens leur font manger du maïz qui les nourrit exceflivement. Cette efpece de volaille eft devenue depuis quelque temps iEs Européens. 153 très commune en Angleterre, où on \v a f e iu leur donne le nom de Coq & de Poule Chap. vi. de Guinée. Cet oifeau eft très propre, Se plus beau qu'aucun autre de la même efpece que nous ayons en Europe. On trouve plufieurs efpeces d'oi-feaux de mer, non-feulement dans les Ifles Samballes, mais aufli fur toute la côte feptentrionale : ils ne font pas en fi grande quantité dans la partie méridionale , ni dans la baye de Panama, peut-être que cette partie ne fournit pas autant de poiflbn que l'autre. Le Pélican eft un oifeau affés gros, BuPélic** qui a les jambes courtes comme l'oye, un grand bec Se un long coi cm'il porte droit comme le cigne, les pieds plats Se les plumes d'un gris obfcur ; fous le bec ils portent une membrane que les matelots font fecher pour y mettre leur tabac : elle peut en contenir une livre, Se c'eft dans cette poche que l'oifeau conferve fes pro-vifions , pour les en retirer quand il a faim. Cet animal ne vit que de poiffon, Se l'on dit que les jeunes font bons à manger. Les Cormorans des Ifles Samballes De3 c«»*î Gv 154 DÉCOUVERTE S ^afe r. reiTemblent à nos canards, & ne font Chap. vj. pas beaucoup plus gros : ils ont la chair coriace & de mauvais goût. Ils font noirs avec une tache blanche fur l'eitomach ; leurs pieds font plats 6c membraneux comme ceux de tous les oifeaux aquatiques, 6c ils habitent les arbres 6c les builfons près le rivage de la mer. MSMouetw. Les Mouettes & les Pies de mer ont un goût de poiffon affés défagréa-ble. Pour le corriger, on les enterre avec les plumes 6c fans les vuider huit ou dix heures dans le fable, ce qui les rend beaucoup meilleures , mais elles font plus petites que les nôtres. •«Chauve- H y a dans i'Ifrhme des Chauve-fowis. fouris auiîi groffes que des pigeons : elles ont de longues ailes, dont les extrémités font armées de griffes qui leur fervent à s'attacher à tout ce qu'elles rencontrent : elles demeurent dans les vieilles maifons & dans les plantations abandonnées. T>ts infedes Entre les différents infecf es volants, ToJants. tri i_ on remarque les contins, les moucherons , les guêpes, les cerfs-volants, 6c des mouches de différentes efpeces , particulièrement les mouches luifan- des Européens, t5:5 tes, qui reffemblent pour l'éclat à nos WAFER, Versbrillants: elles font répandues dans chaP* VK les taillis oit elles paroiifent comme des étincelles de feu pendant la nuit. II y a deux fortes d'abeilles, les DesAbciliej; unes font courtes, groffes Se de couleur rouge ; les autres longues, menues &: noires. Elles font leurs ruches fur le fommet ou dans les trous des arbres. Les Indiens y enfoncent leurs bras pour en tirer le produit, fans que les abeilles les piquent jamais, quoiqu'ils en foient fouvent couverts depuis l'épaule jufqu'au bout des doigts. J'en ai eu fréquemment fur mon corps nud fans avoir fenti la plus légere piquûre, ce qui me fait juger qu'elles n'ont pas d'aiguillon. Les Indiens boivent le miel délayé dans de l'eau , mais ils ne font aucun ufage de la cire : pour s'éclairer, ils fe fervent de petites branches d'un bois léger Se réiineux. Il y a des fourmis ailées Se cou-Des Fourmi^ rantes qui piquent vivement Se font très incommodes , particulièrement quand elles peuvent trouver palfa-ge pour entrer dans les maifons, ce qui arrive très fouvent. Il n'eft pas polliblç de repofer près de leurs four- i$6 DÉCOUVERTES w a f l r. ^iHieres ; elles montent aux arbres chap. vu, & dans les Hammacs qui y font fuf-pendus. CHAPITRE VII. JDis Poijfons qu'on treuve fur les côtes de riflhme. E Ntre les différentes efpeces de poiffons qui abondent dans lamef du Nord , je parlerai feulement de ceux que j'ai vus pendant mon féjour fur cette côte. ••Tarpon. Le Tarpon efl gros, ferme & teille * : nous en péchâmes un près de Carthagene qui nous donna bien à dîner pour dix perfonnes , outre une affés grande quantité d'huile que nous en tirâmes. Ce poiffon pefe ordinairement plus de foixante livres. Pu chic» At Le Shark ou goulu de mer n'eft pas fi commun fur cette côte que * Je me fers du mot de Teillé, ne con-noiiTant point d'autre terme pour exprimer la propriété d'un poiiTon dont la chair fe détache par morceaux fcparés comme le Saumon & la Morue fans former de longs filets. des Européens; 157 dans les autres parties des Indes occi- waf e rJ dentales : mais il y a un poiffon plus Chap.vi^ petit appelle le Chien de mer , qui lui reffemble beaucoup, & dont la chair eft très bonne. Il a la gueule plus étroite & plus longue que le goulu, avec une feule rangée de dents. Le Cavalli eft commun aux envi-/Du Çayaai rons des ifles Samballes ; ce poiflbn eft à peu près de la groffeur d'un maquereau, mais liffé, long & menu : il a beaucoup de vivacité, les yeux brillants & bien ouverts : la chair en eft fucculente & de très bon g°ûr. La Vieille - femme eft un poiffon £>e lavîfcâk plat très bon à manger. ftBme* Le Paracood eft un poiffon rondDuParaeoôA & menu plus long que le brochet & d'une nourriture très faine : mais il y en a une efpece qu'on pêche fur quelques bancs particuliers, & dont la chair eft fi vénimeufe qu'elle empoi-fonne ceux qui en mangent. Quelques-uns en meurent , & ceux qui en échapent perdent au moins les ongles & les cheveux. Je penfe que cette pernicieufe qualité leur vient de quelque efpece de nourriture qu'ils rencontrent. Plufieursperfonnes _ découvertes waf r. r m'ont affuré que la groiTe arête mife Chap. vu. en poudre étoit un antidote fur contre ce poifon, mais qu'après en avoir pris, il refloit pendant quelque temps un engourdiifement & une foibleffe dans tous les membres. Quelques - uns prétendent diflin-guer le Paracood venimeux du Para-cood fain par le foie : ils difent que quand il elf d'un goût agréable, on peut préparer & manger la chair de l'animal fans aucune crainte , mais que s'il eff amer & pique la langue comme le poivre, il faut jetter le poiffon, dont la nourriture efl alors dangereufe. je a Gars. On trouve fur cette côte une autre efpece de poiffon, que les matelots Anglois appellent Gars , quelquefois de deux pieds de long : ils portent fur le mufeau un os fort aigu à l'extrémité , & dont la longueur efl environ du tiers du corps de l'animal. Ils gliffent fur la furface de la mer avec autant de rapidité qu'une hirondelle , & fautent hors de l'eau trente ou quarante fois de fuite. On m'a affuré qu'ils avoient tant de force , qu?ils perçoient quelquefois le côté d'un canot avec cet os,& qu'il étoit bes Européens. 159 très dangereux pour les hommes d'en w~Â~f~Ê"r! être frappés. Leur arrête tire fur le chap- vu." bleu de la couleur du Saphir, &la chair efl de très bon goût. Le Scuilpin eff à peu près d'un Du Scuiipïn pied de long , avec la peau couverte de piquants. On les en dépouille avant de l'apprêter , & ce poiffon eft très bon à manger. Les ifles Samballes abondent en DcsConqUcjj coquillages, particulièrement en conques qui font groffes & en fpirales comme le limaçon. L'ouverture eft plate & fort large à proportion de la groffeur de la coquille. L'extérieur eft raboteux & groftier, mais l'intérieur eft brillant comme la nacre de perle. Le poiffon eft vifqueux & plein de fable, ce qui oblige à le bien nétoyer avant d'en pouvoir manger. II eft aufli très dur, & il faut le bien battre pour en faire ufage. Les Pétoncles 6c les Limpits s'atta- Des Liœpitsj chent aux rochers , ils font très bons à manger, particuliérementles derniers. On ne trouve fur la côte de l'ifthme ni Huitres ni Ecréviffes, & il n'y a que très peu de cancres , encore font-ils d'affés mauvais goût. Vers les ifles Samballes, on voit une ef- ÎOO découvert!^ w X f e r.Pece d'écreviffe de la grandeur des Chap. vu. nôtres : la chair en eft délicieufe , mais elles n'ont point de ferres. DcsPoifTonj J'ai fait peu d'attention aux poif-4 eau douce. £Qns je riviere ^ quoiqu'il y en ait beaucoup d'efpeces différentes. J'en ai remarqué de femblables à nos Rougets, mais qui font noirs & pleins d'arêtes. Ils ont environ un pied de long, font de très bon goût & ont la chair ferme. Il y a un poiffon qui reffemble au Paracood, mais il elf plus petit, & d'un goût encore meilleur. J'ai vu encore un autre poiffort de huit à dix pouces de long, fait à peu près comme notre brochet : la bouche reffemble affés au mufeau d'un lapin , avec les dents enfoncées & les lèvres carthilagineufes, mais il eft très bon à manger. Je n'ai pas eu occafton de remarquer les autres puiffons , & je vais feulement dire en peu de mots la façon dont les Indiens font la pêche y en quoi ils font très experts, Iidîtwf ie* A l'embouchure des rivières & fur la côte de la mer, oit il n'y a pas de rochers > ils fe fervent d'une ef-pece de filets d'écorce de Mahc*, ou des Européens. 161 de l'herbe à foie : mais dans les con- w a f e r, nées monnieufes , où les courants Chap. vu, font limpides, & où le fonds eft fouvent trop rempli de pierres pour fe fervir des filets fans les déchirer, ils fuivent le bord de l'eau en la regardant fixement, & quand ils apper-çoivent quelque poiffon, ils fe jettent dedans & courent ou nagent en le fuivant, jufqu'à ce qu'il fe retire dans quelque trou, comme il arrive ordinairement : alors l'Indien qui le fuit le prend aifément avec la main. Pendant la nuit, ils pèchent fouvent avec des torches de bois léger allumées. Quand ils ont éventré & nétoyé le poiffon , ils le font cuire dans l'eau, ou le boucannent comme le Pécary. Ils ne le falent pas pour le conferver, mais ils le font bouillir avec beaucoup de poivre, & en général, c'eft: ainfi qu'ils préparent tous leurs mets. Pour faire du fel, ils mettent bouillir une quantité d'eau de mer dans un pot de terre, jufqu'à ce que la partie fluide foit entièrement évaporée , & le fel demeure au fond. Ils en font très ménagers, parce que cette façon de le faire eft fort longue ôcennuyeufe. w A F h R. Ofaap. Vlll. CHAPITRE VIII. Defcription des habitants de l'Iflhme : De ceux qu'on appelle Yeux de Lune ou Blancs de Clflhme : De leurs ufages , de leurs mœurs & de leurs ornements. Defcriftioi, T L y a des habitants répandus dans «habitants. ^ ^ mhme . ceux de la côte méridionale voifine du Pérou, font beaucoup moins polis & moins familiers que ceux de la côte feptentrionale, qui eft la plus peuplée. Les hommes ontia taille droite, les os de bonne groffeur, la poitrine large , font bien faits, & de près de fix pieds de hauteur. Je n'en ai vu aucun de difforme ; ils font très actifs & courent d'une grande viteffe. Les femmes ont les yeux fort vifs ; elles font petites , graffes & bien faites, mais elles ont moins d'efprit que les hommes. En général, les deux fexes ont d'alfés beaux traits , les yeux gris & animés , de grands fronts, de belles dents , la bouche des Européens. 163 de médiocre grandeur, le nez court wAF E"J£ & ramalle ; aulîi efl:-ce la partie chap- v1ii# qu'ils ont le moins bien dans le vi-fage. Ils font très curieux d'avoir de longs cheveux, noirs, déliés & forts, qui leur tombent jufqu'au milieu du dos. Les femmes fe les attachent fur la tête avec un fil, & ils voltigent au-deffous du nœud. Us font des peignes de bois de Maccav, dont ils prennent de petits bâtons de cinq à fix pouces de longueur : chacun fe termine en pointe , & il les attachent enfemble par le milieu. Ces peignes leur fervent à démêler leurs cheveux, mais fouvent ils n'y employent que leurs doigts, qui leur fervent aufîi à éplucher la vermine. Ils arrachent leur barbe & les autres poils, excepté celui de leurs fourcils & de leurs paupières , & ce font les femmes qui font cette opération fort adroitement avec deux petits bâtons. Dans les grands événements, par exemple , quand ils ont tué un ennemi, particulièrement un Efpagnol, celui qui a fait cet exploit le coupe les cheveux , ce qui eff chez eux une marque de triomphe. I's fe peignent aufîi le corps de noir en cette occafion, __ 164 DÉCOUVERTES wa fer,& confervent cette couleur jufqu'âr Chap. vijj. ]a première nouvelle lune qui fuit cette action glorieufe. Leur couleur naturelle efl: celle d'Orange, ou tannée , ou couleur de cuivre : ils rr'ont pas befoin d'art pour fe teindre les fourcils , ni les cheveux qui font naturellement noirs comme du Jay, feulement ils mettent de l'huile à leurs cheveux pour les rendre plus Iuifants. Ils s'en frottent aufîi tout le corps, foit pour s'adoucir la peau &C fe rendre plus fouples, foit pour empêcher qu'elle ne fe defféche, à caufe de la chaleur du climat. Des Yeux i~ ^ V a une efpece d'hommes parti-Lune, culiere difperfés dans l'Iflhme , qui ne font qu'environ trois cents en tout, & qui different entièrement des autres habitants. Ce crue je dis à leur fujet peut-être attelle par tous ceux qui ont fréquenté cette partie du monde. Ces hommes font blancs, fans aucun incarnat dans le vifage , mais cette blancheur reffemble à celle d'un cheval, & n'a aucun rapport avec le teint des Européens, même de ceux qui font les plus pâles. Ils ont fur tout le corps une efpece de duvet farineux qui augmente encore t des Européens. 165 la blancheur de leur peau , mais il F E g n'y en a pas allez pour cacher celle chap. vint du front & des joues. Je crois qu'ils auroient la barbe hériffée s'ils ne fe l'arrachoient continuellement comme tous les autres habitants de l'Iflhme : cependant ils n'arrachent jamais le duvet qu'ils ont fur le corps. Leurs fourcils font d'un blanc de lait, de même que leurs cheveux , qui font très déliés, de fix à huit pouces de long, & qui frifent naturellement. Leurs paupières font oblongues & forment un croiffant renverfé. Ils fe tiennent renfermés pendant Foibiefle couleur, mais Lacenta penfoit qu elle eft occafionnée par la force de l'imagination de la mere lorfqu'elle regarde la lune dans l'inftant où elle conçoit. Ils peignent leurs corps comme les autres Indiens, même ceux des enfants à la mamelle, avec des figures d'arbres , d'oifeaux 6c de bêtes , ce qui les rend fort plaifants à voir, particulièrement quand leur vifage eft ainfi orné. Ce font les femmes qui font ces peintures, & elles paroiffent prendre beaucoup de plaifir à cet ouvrage : les couleurs qu'elles efti-ment fe plus font le rouge , le bleu & le jaune, qu'elles mêlent avec de .oes Européens. 167 l'huile , & confervent dans des cale- w A p E R* baffes. Elles les étendent fur la peauChap. vin, avec des morceaux de bois dont le bout eff mâché pour en faire des efpeces de pinceaux ; l'imprefflon de ces couleurs dure plufieurs femaines, & je fus peint de cette manière. D'autrefois ils tracent fur la peau les figures qu'ils veulent y graver, piquent les contours avec une épine bien aiguë, jufqu'à ce que le lang vienne , frottent enfuite ces piquûres avec les couleurs qu'ils y veulent mettre, & par ce moyen elles deviennent prefque inéfaçables. J'en fus convaincu lorfque je vou- t Difficulté lus ôter de la joue d'un des IndienspeSmreid? une figure qui lui déplailoit, & il ieur Pe»u« ne me fut pas poffible de l'effacer entièrement, quoique je le fcarifiaffe jufqu'à lui enlever même la peau. Quand ils vont à la guerre , ils fe leur ufaçe peignent le vifage de rouge , & tout k%orJ2,ldre le relie du corps de taches noires & jaunes, ou de telles autres couleurs qu'il leur plaît de choifir ; mais ils les lavent tous les foirs dans quelque rivière avant de fe coucher. Quoiqu'ils portent rarement des habits, ils efliment beaucoup les robes de w a. f e r. C0iueur éclatante , quand ils peuvent Chap. vin! en avoir. Les femmes ont une pièce de coton qui leur tombe jufqu'à la cheville du pied, & qui elt attachée à leur ceinture. Les hommes ne fe couvrent que pour la modeffie, avec une feuille de plantain , ou une pièce d'or ou de cuivre, qui a la forme d'un éteignoir , ce qu'ils attachent fortement avec une corde qui leur prend autour des reins. Il eff inutile de nous arrêter à quelques preuves que M. Wafer donne de leur pudeur; & il nous fufïït de remarquer en général que les hommes & les femmes font également doués de cette vertu. Ils portent ( continue le même Auteur) de longs habillements à frange qui leur tombent jufqu'aux talons, dans les occafionsimportantes, comme lorfqu'il faut accompagner leur Chef, fe trouver à un mariage, ou à quelque autre fête folemnelle. J'en ai vu deux ou trois mille accompagner Lacenta , les uns habillés de noir, qui marchoient devant , les autres en blanc, qui alloient derrière, chacun avec fa lance de même couleur que fon habit. Fiiqu« Ils ne marchent pas avec ces habillements des Européens. 16*9 -feulements au lieu du rendez-vous ; WAFI. R-mais ils y font fuivis par leurs fem-cha?. vin. mes qui portent leur équipage dans. 1-11 o »i -r 1 -!i r & anneau r une corbeille, & ils s habillent, fur qu'ilsrpottent la place. Ils pareiffenr en général paf-""vlfa9C* -fionnés pour les vêtements; & j'en .vis un qui arfecf oit un air de grandeur, parce qu'il portoitune vieille chemi-lè, qui lui avoit été donnée par un •des gens du vaiffeau. Les hommes ont au nez un croiffant d'or, d'argent, ou d'autre métail qui leur tombe fur les lèvres, & dont les extrémités font attachées à leurs narines : les femmes , au lieu de plaques , portent des anneaux; elles les paffent dans l'entre-deux du nez, qui par le poids de ces anneaux, leur tombe quelquefois jufques fur la bouche, parti zuiiérement aux vieilles. Ils ôtent ordinairement ces ornements pour manger , & les remettent enfuite après les avoir bien nétoyés pour les rendre brillants. Quelquefois ils fe contentent de les lever de la main gauche, pendant qu'ils portent leur nourriture & leur boiffon de la main droite à leur bouche ; & quoique ces plaques 6k ces anneaux leur tom-Tom. VUL H iyo DÉCOUVERTES \r/AF£R/ bent fur les lèvres, ils ne les e Chap. viû.çhent pas de parler. Je ne me fouviens pas d'avoir ja-mais remarqué un feul gaucher pendant le temps que j'ai demeuré avec eux. Les principaux de la nation portent aufli de gros pendants d'or en forme de cœurs, avec la pointe en, bas, dont le poids leur fait fouvent aux oreilles des trous d'une grandeur, exceflive. fKi&me que Je vis un jour Lacenta au Confeiï g»™ leur p0rtant fur ja t£te un diadème d'or garni en dedans d'un rézeau ; & au* tant que je pus en juger, il pouvoit avoir neuf pouces de large ; le def-fus étoit dentelé comme une fcie. La plus grande partie de fes Confeillers avoient aufli autour de la tête des bandeaux de cannes peintes de dir-verfes couleurs, faits comme le diadème , avec le deflùs garni en rond de très belles plumes ; mais Lacenta étoit le feul qui portât cet ornement en or, & il n'y avoit aucunes plu*, mes à fon diadème. Leurs col- Ils portent, outre ces ornements, des colliers de dents, de coquilles, ou de grains de verre, qui leur tom* bent du col fur la poitrine, & même mpe-[ des Européens. 171 jufqu'au creux de l'eftomach. Les wafer. différents rangs de ces colliers fontchap. vin. tellement difpofés, que les dents d'un rang fupérieur s'enchafTent dans les entailles de celui qui eft au deftbus ; enforte qu'il femble que ce ne foit qu'une feide maffe d'os. On dit que ces colliers font de dents de rigre ; & quoique je n'en aie jamais vu fur le continent, plufieurs gens du vaiffeau m'ont dit qu'ils en avoient rencontré ; ainfi je ne puis douter qu'il n'y en ait ou dans l'ifthme , ou vers la baie de Campêche : en affure qu'ils font. petits, mais très féroces. Les Indiens joignent à ces dents des grains de verrç, & les autres bagatelles qu'ils rencontrent : quelquefois les colliers des femmes pefent jufqu'à trente livres , & ceux des hommes vont jufqu'à foixante. Une femme eft regardée comme pauvre, quand fon collier ne pefe que quinze ou vingt livres ; mais elles ne les portent que dans les occafions où il faut paroî-tre avec éclat ; & elles danfent, chargées de ces fardeaux, jufqu'à ce qu'elles ne puiffent plus fe foutenir. Ils les quittent toujours pour man- Hij WaFer ' Ser ' ne ^eS Portent'IU* a *a cnauVe Ch3p. ix' ni à la guerre. CHAPITRE IX. Des bâtiments & des plantations de tIJlhme : Des liqueurs que boivent les habitants : De leurs mariages, & de la manière dont ils élèvent leurs enfants. De leurs T Es maifons des habitants de l'Iff h-âtimcms, me font de terre & de bois ■ & les fondements n'en font enfoncés que de deux ou trois pieds. Les toits font en talud couverts de feuilles de palmiers ou d'autres arbres. Ils les bâ-tiffent ordinairement près le bord des rivières, écartées les unes des autres, mais à la portée de, la voix, fans former de rues 6c fans aucun arrangement. Quelques dilfricls ont un magafin commun, 6c ils ne changent point de demeure , à moins que le terrein ne foit épuifé, ou qu'ils ne craignent l'approche des Efpagnols. Ils n'ont pas de cheminées, mais feu- DES européens. ljj ïement un trou au toit pour donner ■W-AFER, paffage à la fumée. chap, ix. Ils n'ont point de chambres fépa- De ici.» rées ; & chaque membre de la famille forts* a fon Hammack qu'il attache &c pend d'un endroit à l'autre. Leurs fieges font des billots de bois, & ils n'ont ni portes , ni armoires, ni tables. Leurs forts ont cent vingt ou cent trente pieds de long, avec des murs de vingt pieds de haut qui renferment le toit & tout le relfe. Ces murs ont des trous de tous les côtés fans aucun ordre ; & ils leur fervent à tirer leurs flèches contre leurs ennnemis quand ils approchent. Ces forts font toujours fitués fur le penchant de quelque colline agréable ; & ils ont foin d'abattre les arbres & les bluffons des environs jufqu'à la portée de leurs flèches. A chacune des extrémités du fort ils font une porte de bois de maccaw &: de bamboucs , liés enfemble avec des branchages, & d'environ un pied d'épaiffeur. Ces portes font attachées à des poteaux enfoncés en terre ; & c'elf l'unique barrière qu'ils oppofent à leurs ennemis. Les Efpagnols les en chaffent iiifément en jettant des flèches roa- Wafer S'es au ^eu ^ur ^ to^ > ce *eS en" ch*p. ix. flamme en un inftant. Il y a ordinairement une famille d'Indiens qui demeure dans chacun de ces forts pour les entretenir proprement, 6l c'eft aufli le lieu où ils tiennent leurs aflèmblces publiques» Lwnourri- Us fement du maïz autour de cha-UIC# que maifon , en faifant avec leurs doigts un trou en terre , où ils en jettent deux ou trois grains, qu'ils recouvrent enfuite. Le temps de fé-mer efl: au mois d'Avril ; & ils font la récolte en Septembre ou en Octobre. Ils arrachent les épies , qu'ils confervent entiers dans leurs maifons, & frottent ces épies entre leurs mains au lieu de les battre pour en faire lbrtir le grain. Ils ne font point du pain de leur farine : quand elle eft moulue entre deux pierres , après avoir fait rôtir le grain , ils la mettent avec de l'eau dans des caliebaf-fes ; & nous fumes obligés fouvent de nous, contenter en route de cette nourriture, ne trouvant point d'autre fubfiftance en beaucoup d'endroits du pays. ftvoiiîe1UWt Quand veulent faire une noce, ou célébrer quelque grande fete, ils. »îs Européens. 17ƒ mettent vingt ou trente boiiTeaux de ~\Faf7«7 maïz dans un vaiffeau de bois plein chup. ix» d'eau , où le grain s'aigrit en peu de temps. Enfuite de vieilles femmes,-qui ont des callebaffes préparées pour cet ufage , mâchent le grain de maïz qu'elles crachent dans ces callebaffes ; retirent celui qu'on avoit mis tremper dans l'eau, vuident les callebaffes dans cette eau, où il fe forme une fermentation : qnand elle eff paffée, ils en ôtent le mare , & confervent le relie pour en faire ufage. Gette boif-fbn donne beaucoup de vents, porte aifément à la tête, & reffemble à de la petite bierre aigrie. Ils en boivent ime grande quantité, & la regardent comme une liqueur délicieu-fe, parce que Ieurboiffon ordinaire eft de l'eau qu'ils puifent dans la rivière voifine, ou du miflav. Gette dernière liqueur eft un extrait de plantain mûr, foit frais, foit deffé-ché. Pour le premier, ils le font griller dans la gouffe * l'écrafent jufqu'à ce qu'il foit diffous, le mettent dans l'eau où ils le mêlent bien , & boivent enfuite ce mélange. Pour le fe" cond, ils font un gâteau de la moelle de plantain quand il eft mûr, le vr/AF£R> mettent fécher fur un petit feu, parce chap. jx. qu'autrement le fruit fe pourriroit en peu de temps ; & quand ils veulent-faire leur boiïfon, ils prennent un morceau de ce gâteau qu'ils délayent dans de l'eau. Ils portent toujours du plantain ainfi defféché dans tous les voyages qu'ils font : ils en mangent de bouilli avec leur viande ^ comme nous mangeons le pain, & c n font de même des yams , des patates & de la racine de caffave grillée» Ils font- venir tous ces végétaux dans leurs plantations, ainfi que les pommes de pin , qu'ils aiment beaucoup» Je ne me fouviens pas de leur avoir jamais vu ni falades ni herbages , à moins qu'on ne donne ce nom au poivre dont ils font un grand ufage. De kur» Quand les Indiens veulent former plantations, s . u une plantation , ils commencent par abattre les arbres, qu'ils laifïènt trois ou quatre ans far le terrein pour les faire lécher ; & après ce temps ils les brûlent, ainfi que tous les troncs & les arbrifleaux des environs. C'elf tout le foin que les hommes fe donnent pour ces plantations, parce que ce font les femmes qui creufent la terre, qui plantent, qui recueillent des Européens, tff_ le maïz, les yams, & les patates, WaF£R. enfin qui font tous les ouvrages qui chap. ix, ne demandent pas une force de corps exceffive. Elles font aufli chargées des affaires domelfiques, comme de laver, de faire cuire, 6c de nétoyer: enfin elles accompagnent leurs maris en campagne, 6c leur tiennent lieu de valets. Quoique ces femmes foient réelle- Des fe«m«« ment efclaves, elles font tous ces ouvrages avec tant d'activité, que leur travail paroît plutôt de leur choix que l'effetde la violence. Pourleurren-dre juffice, on doit convenir qu'elles font douces , pitoyables, ont le cœur tendre,fonttoujoursprêtesà aider les -étrangers en tout ce qui dépend d'elles-, aiment 6c refpe&ent leurs maris, qui réciproquement ne les traitent jamais qu'avec douceur. Ils vivent enfem-ble fans difputes, foit à jeun, foit dans l'ivreffe ; 6c pendant tout le temps que j'ai demeuré avec les Indiens , je n'ai jamais vu un mari battre fa femme, ni lui dire aucune injure.-Une demi-heure après qu'une femme eft accouchée, une autre femme vient la prendre, met l'enfant fur fon dos,, va les Uver l'un- 6c l'autre à li H-v _ l?S D É C o U V E r t E S Waffu. rivierej Le premier mois l'enfant efî u. attaché par Ie dos à une pièce étroite de bois de maccaw, qu'on ôte pour le nétoyer ; mais quand la mere lui donne à tetter, elle prend la pièce de bois &. l'enfant. Enfuite on le pofe dans un petit hamack, dont on tient le deffus ouvert avec de petits bâtons pour lui donner de l'air. On élevé les garçons-à tirer de l'arc & à jetter la lance ; & ils font fi adroits à ces exercices, que j'ai vu un enfant de huit ans fendre une canne d'un coup de flèche à vingt pas de dilfance ; ce qu'il répéta plufieurs fois de fuite, fans manquer fon coup. Les filles & les autres enfants demeurent à la maifon avec les vieilles femmes, pen*-dant que les pères & les-mères font à la chaffe ; mais les garçons les y accompagnent quand ils ont atteint l'âge dé dix ou douze ans, & qu'ik peuvent porter une callebaffe avec quelques provifions. Education. LeS peres& mères aiment beav> eien antî. C(m^ ieurs enfants, ôf_ ils leur permettent affez de faire ce qui leur plaît l leur amufement le plus ordi*-naire eff- de nager ÔC de pêcher. Les filles trenent du.coton pour faire des. des Européens. 179_ franges, & difpofent les cannes, les wafer. rofeaux & les feuilles de palmier chaP. îx. pour les corbeilles, qui font l'ouvrage des hommes , & ils en font de très jolies. Ils en teignent d'abord la matière de diverfes couleurs très vives, & enfuite les travaillent fi ferrées qu'elles peuvent contenir des liquides. Il y en a de toute grandeur, & elles leur fervent fouvent de gobelets & à d'autres ufages , parce qu'elles font fi folides, qu'on peut les; applatir & les j etter fans qu'elles en foient endommagées. Quand les filles atteignent l'âge de puberté f non-Seulement on leur met un voile de coton, mais on les fouffrait à la vue de tous les hommes, même de leurs propres pères : cette retraite dure peu,. & elles rentrent bientôt dan£ leur première liberté.. Il n'y a pas de pays ou- îes femmes Modcftîedw foient plus modeffes , & leur façon fcn*me* de vivre avec les nommes prouve leur innocence & leur fimplicité. La pluralité des femmes efl en ufage dans ce pays : Lacenta en avoit fept;;. & quand il alloit à là chaffe le&pré-*-«aurions étoient fi bien prifes, qu'üi r8o DÉCOUVERTES Wafer. en tro«voit toujours une , à chacun. Chap. ix. des endroits où il s'arrêtoit. Le vol & l'adultère font punis de mort, à moins que la femme ne faffe ferment qu'on a employé la violence* avec elle, autrement elle eff. brûlée-vive. La puniiion de celui qui abufe une fille ell très févere : on lui enfonce une épine, comme nous mettrions* une fonde; on la tourne dix ou douze fois ; & il eff très rare qu'il ne fe-forme pas aufTi-tôf un ulcère; mais il a enfuite la liberté de fe guérir , s'il elf pofîible. Les faits doivent être prouvés par des témoins qui jurent par leurs dents.. cérémonie Une nouvelle mariée paffe les fept 4u ttâjiage. premiers jours avec fon pere, ou avec fon plus proche parent dans une chambre particuliere , & après ce temps on la remet à fon mari; fans, doute que cet ufage eft pour marquer le chagrin que fa famille a de-fe féparer d'elle. Quand un homme eff prêt à difpofer de fa fille, il invite toutes les perfonnes de fa con-noiffancc à vingt mille à la ronde 4, & fait un grand feftin pour les recevoir,. Les hommes apportent leurs. des Européens.' i8r_ naches pour travailler , & chacune \v~afer. des femmes vient avec environ un Chap. îx, demi-boiffeau de maïz ; les garçons apportent dû fruit ôr des racines , les filles des œufs & des oifeaux : chacun met fon préfent à la porte, & fe retire à quelque diftance jufqu'à ce que tous les conviés foient arrivés. Pendant ce temps le pere difpofe des dons comme il le juge à propos ; enfuite les hommes invités reviennent, il leur prélente à chacun une callebaffe de liqueur forte , & les conduit, en paffant par la . maifon , dans une grande place ou cour qui eff derrière : les femmes viennent après, & font reçues de même ; enfin les garçons 6k les filles, après avoir auffi bu à la porte , fui-vent leurs pères & mères dans la cour. Après cette reception les pères de Feftins jC4. l'accordé & de l'accordée les ame- nóces«. nent dans l'affemblée : celui du garçon fait un difeours, & fe met à danfer jufqu'à ce qu'il foit accablé de fatigue , en quoi il faut que l'autre pere l'imite : il préfente fon fils à la fille, dont le pere fe met à genoux^ les jeunes gens fe prennent 'Waf er *" Par *a mam » ^a m*e retourne a ^olï Chap; ix, pere ,• & la cérémonie eft terminée* Les hommes courent avec leurs ha-* ches en faifant de grands cris jufqu'à un bois voifin, où ils abattent les arbres, & y demeurent quelquefois fix ou fept jours à travailler. A mefure qu'ils nétoyent le terrein, les femmes plantent du maïz, ou autre ehofe fuivant ta faifon. Après ce premier ouvrage, tous fe rejoignent pour bâtir une maifon aux nouveaux mariés, qui y entrent le huitième jour; alors toute la compagnie marque la plus grande joie, en mangeant fortement & buvant encore plus ; mais avant qu'ils deviennent querelleurs, comme cela leur arrive fréquemment , la mariée cache toutes leurs armes- Ils continuent à demeurer en-femble, les uns buvant, les autres* tombant d'ivrefiè, les uns dormant,, les autres querellant, jufqu'à ce qu'il ne refte plus de boiflbn ; ce qui dure ordinairement quatre à cinq jours. Ds ne rongent plus enfuite qu'à fe repofer de leur ivrefle ; & ils retournent 'en-fin* fort tranquilles, dans-leurs* maiforts». En mangeant ils boivent les-ans> aux autres ^ avec une efeece de1 pes Européens. 183 complimentj & la coupe paffe à celui WafjeRo auquel on a bu. Les- femmes, à qui chap. îX. Fon ne fait jamais cette politeffe, demeurent debout, prennent la taffV quand elle efl vuide, la rincent & la, rempliffent pour la donner à celui qui doit boire enfuite. Lorfque le repas des hommes eft fini, les femmes fe retirent pour boire & manger entre elles.. CHAPITRE X. De leurs occupations domejliques r De-leurs chaffes, de leurs provijions , & de leur manière de vivre* LEs occupations dès habitants de De rènre l'Iffhme, naturellement portés àcupation* l'indolence, font de faire deslances, des corbeilles, des taffes, des flèches j & des têtes de flèches* Quelquefois ils s'amufent à faire des efpeces de flûtes avec des cannes creufes, oit en jfoufrlant avec force, ilsen font fortir un fon plaintif fans aucune mélodie;. Ils- battent aufîi du tambour fur tout se qu'ils rencontrent.^ il eâ rare "VTafer, ^e *es r^ncontrer , foit feuls, foir chap. ^. en compagnie fans les entendre bourdonner. De leurs Quelquefois ils fe mettent trente ■fanies. ou quarante à danfer enfemble : ils forment un rond, en faifant moii' voir toutes les jointures de leurs corps d'une manière grotefque , pendant que deux ou trois, féparés des autres , font des fauts &: des tours comme nos fauteurs. Ils remuent & jettent leurs lances, fe renverfent en-arrière jufqu'à terre, font un nouveau faut en avant : & dans tous ces exercices, on remarque plus d'agilité que de goût ou d'ordre. Ces parties de danfe fuivent ordinairement une boiffon modérée , & durent cinq ou fix heures i quand ils la finilfent ils vont fe jetterdans la rivière , quoique trempés de fueur, fe nétoyent bien , en fortent, & palfent leurV mains pardeffus leurs têtes & leurs corps pour en effuyer l'eau. Les femmes ne partagent jamais ces plaifirs avec les hommes ; mais elles ont aufli leurs danfes & leurs parties de boire, où elles s'enivrent fouvent entre elles; les hommes ne danfent jamais quand, ils. ont beaucoup bu.- des Européens. 185 Quand un mari a bu avee excès , wafer» deux ou trois femmes aident la fienne chap. x. à le mettre dans fon hamack , où ^ elles lui lavent les mains, les pieds femmes ont &: le vifage fort doucement : pour |iverseshorames lui raffraîchir le corps, elles l'arro-fent d'eau, qu'elles eflùyent aufîi-tôt qu'elle s'échauffe, & lui en verfent de nouvelle. J'ai vu jufqu'à douze hommes ainfi couchés & arrofés par les femmes, après une partie de débauche. Les hommes ne fortent jamais de Leurs chaflw. leur porte, même pour les plus légers befoins naturels, fans être armés d'un arc, de flèches, d'une lance, d'une hache, ou au moins d'un long cou-teauPEn temps de paix ils fe joignent une famille ou deux peur aller à la chaffe , & ils en font quelquefois dé grandes, pour lefquelies ils s'uniffent jufqu'à vingt ou trente familles. Il eff rare qu'ils tiennent confeil, ou qu'ils célèbrent quelque fête , fans former enfuite de ces parties de chaffe ; & chacun eff averti de fe trouver au rendez-vous le jour indiqué. Ils y font quelquefois dix-fept ou dix-huit jours tant qu'ils trouvent du gibier ; vont jufqu'aux frontières de leur pays, pour trafiquer avec leurs l86 DÉCOUVERTES Va fer voifîns ; & font de ces chaffes en Cbtp. x* telle faifon que ce foit , parce qu'il leur importe peu quel gibier ils rapportent. Les femmes» les accompagnent pour porter tout ce qui eft né-* celfaire , tk pour leur rendre tous les fervices dont ils ont befoin ; elles portent avec elles des corbeilles de maïz grillé, du plantain,. des bananes^ des yams, des patates , oc des racines de caflave prêtes à manger, crainte de ne pas trouver de nourriture dans les bois ; cependant il eft fort rare d'en manquer. Ils marchent tous les pieds nuds 9 & s'inquiètent peu des écorchures qu'ils fe font fouvent entre les éjlines: ils n'entrent jamais en chaffe avant le foleil levé , tk ils dreffent leurs tentes quand il fe couche , choifif-fant, s'il eft poffible, quelque coteau dans le voïfinage d'un ruiffeau ou d'une rivière. Ils fufpendent leurs hamacks aux branches des arbres, près d'un bon feu, tk fe couvrent de feuilles de plantain pour fe garantir des impreftions de l'air. Ils coupent leur chaffe ou leur chair bou-cannée par morceaux, qu'ils mettent dans des pots de terre avec du plan- des Européens. 187 tain, des bananes, & beaucoup de *wAFER/ poivre : ils la laiffent fur un feu doux ciwp. x. pendant fept ou huit heures , jufqu'à ce qu'elle foit toute confommée, &C ils en mangent ainfi préparée, feulement une fois par jour ; dans les autres temps, ils fe contentent de plantain ou de bananes. Ils mettent leur viande dans un grand plat de terre ou de callebaife , qu'ils pofent fur un gros billot pour leur tenir lieu de table, après l'avoir couvert d'une feuille de plantain, qui leur fert de nape : ils s'affoient en rond fur d'autres petits billots de bois, ne fe fervent point de cueïïlers; mais ils enfoncent dans le plat les doigts de la main droite , prennent des mets autant qu'ils en peuvent tenir , & les mettent dans leur bouche. A chaque fois ils trempent leurs mains dans un vafe plein d'eau qu'ils ont à côté d'eux ; ce qui fert également à la raffraîchir & à la nétoyer. Us mangent leurs mets très chauds & excef-Svement poivrés ; pour le fel, ils en prenneni de temps en temps deux ou trois grains pour reveiller l'apeût. Dans leurs voyages, ils fe guident De leur» par. e cours du foleil, où ils fontTOyasefc l88 découvertes* Wafer des entailles aux arbres afin dé voir ciup. x.' de quel côté i'écorce eft la plus épaif-fe; ce qui leur indique «le Sud. Ils font auffi des fignaux particuliers, & vont au travers des bois qui couvrent le pays , en abattant de temps en temps ce qui s'oppofe à leur paf-fage. Quand ils rencontrent une rivière , les hommes , les femmes & les enfants fe jettent dedans pour la traverfer à la nage ; mais quand ils en doivent fuivre le courant, ils fe fervent de canots, ou de barques de bois léger. Ils comptent le temps par les lunes, & n'ont aucune connoif-fance des révolutions des autres pla-nettes. Je me fouviens d'avoir entendu dire à Lacenta, quand il par-loit des ravages faits par les Efpagnols dans cette partie du monde , que depuis ce temps il s'étoit écoulé beaucoup de lunes. Leur façon Ils n'ont pas l'ufage de partager les te compter. jours en {leures ; mais quand ils veulent connoître combien de nuits il s'eft p?ffé depuis quelque événement, ils mettent leur main à la tête , comme pour marquer le fommeil, & répètent le même figne autant de fois qu'ii s'eft écoulé de nuits. Ils exprt- des Européens. 189 ment aifément par lignes tout ce \r/AF£Il, ■qu'ils ne peuvent faire entendre par chap. x. le difcours. Ils comptent depuis Tunité jufqu'aux dixaines 6c aux vingtaines ; mais leur calcul ne va que jufqu'à cent. Quand le nombre eiî au-delà , ils prennent un bouquet de cheveux plus ou moins gros fuivant le nombre, 6c le fecouent avec la main ; mais pour marquer un nombre inexprimable , ils jettent tous leurs cheveux d'un côté de la tête. Un d'eux voulut favoir combien le Capitaine Sharp avoit d'hommes, lorfque je traverlai le pays avec lui : nous étions alors trois cents trente-fïx, & l'Indien s'afîit dans un endroit d'où il pouvoit nous voir palfer tous un à un. Il mit à mefure que nous parlions un grain de maïz pour chaque homme dans une corbeille , mais elle fut renverfée exprès par un des nôtres , ce qui troubla tout fon calcul. Il courut à un autre endroit oii il reprit le même ouvrage, Se réuffit à le rendre complet ; mais la grande difficulté con-fiftoit à compter le nombre des grains: cette énumération excédoit les bornes de leur arithmétique, Se après «que plufieurs graves Se profonds per- 1^0 DÉCOUVERTES WaF£R fonnages y eurent employé plufieurs Ciap. x. jours , ce qui occafionna entr'eux beaucoup de débats, la confultation fe termina par l'a&ion d'un des Indiens qui en fe levant prit une grolïê touffe de fes cheveux , & la fecoua en l'air pour faire voir que le nombre des hommes du Capitaine étoit très grand & inconnu. Ils comptent par un, deux, trois jufqu'à dix qu'ils nomment dans leur langue Jnivego. A ce nombre, ils joignent leurs mains, ôc pour chacun de ceux qui panent dix, ils frappent les doigts de la main gauche un à un avec le fécond doigt de la droite , en difant dans leur langue dix ôc un, dix & deux, &c. jufqu'à ce qu'ils arrivent à vingt. Alors ils joignent les mains deux fois de luite : quand ils font à trente qu'ils expriment par vingt &c dix, ils. les joignent trois fois ; à quarante, quatre fois , ÔC toujours de même julqu'à cent, qui paroît être le non plus ultra de leurs plus habiles calculateurs. Voilà les principales remarques & toutes les obfervations que j'ai pu faire fur les Indiens de l'ifthme pendant mon féjour avec eux. Je vais, des Européens, 191 continuer le récit des voyages que \yAFER. je fis dans le navire nommé le Plaifir chap. xû du garçon, que eommandoit le Capitaine Davis, depuis Realejo fur la côte du Mexique, en faifant cours au Sud, & je crois que les incidents en pourront être aufîi agréables qu'inf-trudtifs. CHAPITRE XI. Voyage de M. XPafer furies côtes du Pérou & du Chili. LE 27 d'Août 1685, nous partîmes wafer fe te. de Realejo de compagnie avec met en route* trois autres vaiffeaux , mais prefque An. m$. tous les hommes tombèrent malades aufîi-tôt que nous fumes en mer. Ils furent attaqués de fièvres pourprées; ce qui nous obligea de gagner le .Colphe d'Amapalla , & d'élever des lentes pour les malades dans une petite ifle où nous abordâmes. Après y être refiés quelque temps, nos provifions commencèrent à s'épuifer, j& nous allâmes dans le Continent à line ferme où il y avoit beaucoup ICI DÉCOUVERTES Wafer de bœufs , pour nous fournir de ce Chap. )ü.' qui nous étoit néceûaire. Cette fer-An. 1685. roe étoit environ à trois milles du lieu ou nous étions defcendus , nous nous y rendîmes par terre , 6c en traverfant un pâturage découvert, nous entrâmes dans une rivière d'eau chaude pour la palier à gué. Elle tomboit d'une hauteur, ou il n'y avoit aucune apparence de Volcan ; étoit claire* & peu profonde , mais près de la colline où elle prend fa fource , il s'élève une vapeur comme d'un pot qui bout fur le feu, 6c mes cheveux en furent mouillés. Plufieurs de nos gens qui étoient infectés de la gale furent guéris par ce bain accidentel , ce que j'attribuai aux particules de fourfre dont l'eau étoit imprégnée. Il trouve une Il y a en cet endroit une grande ""îiouP:;q«antité de lo"Ps>» hardis qu'ils étoient près de nous arracher la viande des mains. Nous les écartâmes le mieux qu'il nous fut pofïibie ; mais nous ne voulûmes pas tirer fur eux, crainte que le bruit n'en attirât un plus grand nombre, ce qui auroit été d'autant plus dangereux que nous nous des Européens. 193 nous écartions un peu de coré &z d'au- yr/AFER 1 tre. chap. xi. Quand nos gens furent rétablis , An. Iâ?J> nous continuâmes notre cours au c 1 o • a .x ti'À les Boucan- Mid, ck nous jettames 1 ancre a 1 ifle je «arrivent 'des Cocos, fituée à la latitude de 5 * l*ifle de» degrés 15 minutes. Cette ifle elf pe- . , tite, mais très agréable, elle eft abondante en très beaux Cocotiers, particulièrement dans la vallée où nous abordâmes , ôc le terrein en eft très riche oc très fertile. On y trouve plufieurs fontaines d'eau très claire ; mais la meilleure de toutes eft fur le fommet d'une hauteur charmante qui s'élève au milieu de l'ifle, où la nature a formé un bafîin comme pour lui fervir de réfervoir: l'eau qui s'en répand de toutes parts, femble fe jouer en tombant par différents petits canaux où elle forme des cataractes & des arcades : ces beautés jointes à l'odeur délicieufe des arbres, à la verdure parfemée de fleurs dont toute l'ifle eft couverte , à la vue ' de la mer, & à la fraîcheur de l'air, fi rare dans ces climats brûlants , fait de cet endroit l'un des plus charmants féjours qu'il foit peut-être pofïible de trouver. Tom. VUL I An. 1685. W^afer Nous nous y fournîmes d'eau & de Chap. xi. Cocos, dont nous trouvâmes la liqueur excellente. Avant de quitter cette ifle enchantée, quelques - uns Suite* ta- je nos „ens réfolurent d'en boire au- chfiifcs d un y.. •xcès de li- tant qu ils en pourroient contenir , sueur de c«-ce q^i^ exécutèrent. Aucun ne tomba dans l'ivreffe, mais ils en furent tellement refroidis, & leurs nerfs en fouffrireat un fi grand relâchement, qu'ils ne pouvoient fe tenir debout ni marcher , enforte que quelques-uns de leurs camarades qui n'avoient point pris de part à cette débauche furent obligés de les tranfporter à bord, où ils demeurèrent quatre ou cinq jours avant d'être rétablis. riaili«ede ^ous Partulies de cette en Gaiiapagos. continuant notre cours au Sud , pour .gagner celles de Gaiiapagos, & nous abordâmes à une, où l'on ne pou-voit faire de l'eau que dans un feul endroit. Nous y trouvâmes une grande tortue de terre , de celles qu'on nomme Hécatées; ces animaux al-loient boire à l'endroit où nous prîmes de l'eau; mais jamais elles n'y entroient. Nous carénâmes dans cette Ifle , & les oifeaux entre lefquels il y avoit plufieurs belles tourterel- des Européens. 19$ les, étoienr d'abord fi familiers avec \r/AFER/ nous, qu'ils fe perchoient fur nos chap. XI. têtes tk fur nos bras; mais ils de- An. i6s«. vinrent enfuite plus réfervés, tk nous filmes obligés de les tirer pour en avoir. Il y a aufîi beaucoup de guanos , & nous y vîmes un petit arbre, plus gros qu'un pommier, d'une odeur très agréable, dont nous tirâmes une gomme aufîi odoriférante. Pendant que nous demeurâmes dans ces Ifles , nous y réprîmes cinq cents petits paquets de farine que nous y avions laiffés, mais les tourterelles en avoient mangé une partie. Nous fîmes enfuite voile à la côte J J1» ri"** du Pérou, où nous prîmes les villes cux vlUe*" de Pifca tk de Guacha, & nous y perdîmes quelques-uns de nos gens. Nous eûmes plufieurs autres efcar-mouches, qu'il feroit trop-lone; de décrire : le Capitaine Knight etoit alors avec nous, mais les deux autres vaiffeaux, qui nous avoient accompagnés d'Amapalla, nous avoient quittés à l'ifle des Cocos. Tout ceci fe paffa en l'année 1686. Pendant que nous étions à l'ifle de Gorgonia, où nous nétoyâmes nos vaiffeaux, je remarquai une ef- W^afer. Pece de ^inges °ilû aiment pafîïonne-Chap. xi. ment les huitres. Ils les arrachent An. me. des bancs pendant la baffe mer, les mettent fur une pierre plate, ÔC les battent avec une autre, jufqu'à ce qu'ils en aient rompu la coquille, après quoi ils s'en nourrilfent. lücdeNafca. La Nafea, fituée à 15 degrés de latitude méridionale, produit du vin aufli fort que celui de Madère, il a prefque le même goût, & on le conduit au port dans des jarres de trente à quarante pots chacune. On le transporte à Lima, à Panama & en d'autres ports. Ces jarres relient expo-fées à découvert, chacune portant la marque de celui à qui elle appartient, & elles y demeurent quelquefois*plu-fieurs années. Nous en fîmes une ample provifion. Defcription Coquimbo eff une grande ville, È.Co*uiawavee neuf Eglifes, à la latitude méridionale de 29 dégrés. Nous y mouillâmes dans une baye profonde fur un fond de fable, où fe décharge une petite rivière, dont les bords font remplis de paillettes d'or, 6c nos gens étoient couverts de poudre du même métal quand nous y paffâmes, mais elle eft trop fine pour la pouvoir dès Européens, 197_ ramaffer, &trop mêlée avec le fable. -wafer. Les endroits oii l'on peut trouver de ChaP. xi. l'or en affés grande abondance, pour An. usm* être dédommagé de fes peines, font vers les fources des rivières , entre les hauteurs, où l'on en trouve des mor- -ceaux affés forts, qui y reftent attachés , au lieu que la poufïïere eff emportée dans la mer, avec des particules dont on ne peut prefque rien retirer. Le Capitaine Knight nous quitta à l'ifle de Juan Fernandez, tk fit le jl« arrivent tour de la terre de feu pour gagnerà ll Moï ** les Indes Occidentales, au lieu que nous réfolûmes de retourner vers la ligne, en fuivant la côte , avec une barque que nous avions prife à la hauteur de Pifca. De Juan Fernandez nous courûmes jufqu'au trente neuvième degré de latitude méridionale , tant pour gagner un bon vent, que pour avoir devant nous beaucoup de côte ; mais comme nous manquions d'eau & de provif.ons, nous jettâmes l'ancre près de la.Mo-cha, vers le milieu de Décembre 1686. Nous y demeurâmes cinq ou ftx jours, tk nous y prîmes tous les I98 DÉCOUVERTES WAF£R rafraîchiffements qui nous étoient né-chap.xi. ceffaires. Cette Ifle eft fituée à 38 An. iti6. degrés 10 minutes de latitude méridionale : la côte maritime en eft baffe & couverte de fables ; mais au milieu de fille le terroir eft très fertile , & produit du maïz, du froment, beaucoup d'autres grains , & des fruits en abondance. Les Indiens Efpagnols y ont de petites maifons affés commodes, & bien fournies ireftis dede volailles, de chevaux & de brebis. q»atre pieds Les brebis de ce pays ont un air faut**1 dC de majefté, & environ quatre pieds & demi-de hauteur. Leur col eft petit comme celui des chameaux, & leurs oreilles reffemblent beaucoup à celles des ânes. Elles ont le poitrail aufîi large qu'un cheval, les reins bien faits comme ceux d'un lévrier, les feffes d'un daim , les pieds fourchus comme les brebis, une griffe aiguë à chaque patte comme les ferres d'un aigle , environ à deux pouces au-deffus de la divifion de la corne, ce qui leur fert à grimper fur les rochers , & à s'y attacher fortement. La laine du ventre croit jufqu'à douze ou quatorze pouces de long ; mais fur le dos elle eft beau- des Européens. 199_ coup plus courte, crépue tk frifée. \yAFER. Cet animal eft très doux, tk d'un chap. xi. grand fervice dans tous les établif- An. ms. fements Efpagnols, particulièrement aux mines d'or, où ils les chargent & les conduifent à des paffages très difficiles, tk enfuite les laiffent aller. Les brebis continuent leur chemin furement avec leurs riches fardeaux, par des rochers tk des précipices, dont le paffage eft impraticable à toute autre créature, pendant que leurs maîtres font un très long tour pour les rejoindre. On m'a affuré que les habitants d'une vilie, où l'eau eft très rare , attachent deux jarres fur le dos d'une brebis ; qu'on la lailfe aller fans con-ducfeur ; qu'elle fe rend à une rivière éloignée de plufieurs milles, après qu'on l'y a conduite une feule fois : qu'elle fe plonge dans l'eau pour emplir les jarres, tk. revient enfuite à la ville. Elles ont une averfion ex-ceflive pour le travail quand le fo-leil eft couché : les coups ne peuvent le leur faire reprendre, & ne font d'autre effet fur elles, que de leur tirer de longs foupirs. Deux de nos gens, qui n'étoienjC Iiv Waf er. Pas ^Gs moms peiaatSj mettaient la Chap. bride à une de ces brebis, montoient An. 1686. demis, faifoient ainfi le tour de l'ifle, &C chaifoient les autres au parc , allant toujours au grand gallop, parce que tonte autre allure leur paroiffoit plus rude. Nous trouvâmes en plufieurs endroits des cornes tortillées, que nous jugeâmes être tombées de ces animaux ; mais nous les vîmes tous fans cornes : apparemment que ces brebis les avoient perdues dans cette faifon. Leur tète reffemble à celle de l'antelope, elles ont le mufeau du lièvre : & leur mâchoire fupérieure s'élève comme l'inférieure quand elles broutent, ris font dans \)q ]a Mocha nous fuivîmcs la «ne grande , n , A . difctie d'eau, cote du Pérou, nous arrêtant de Ah. i$ 102 Découverte? Wafer. caufe des vapeurs dont elle étoit «ou-chap. xi. verte, quoique dans les autres temps An. i«7« la vue en fût très claire & très nette. Si les pluies manquent en ce pays, ©n en eft récompenfé par des rofées abondantes, qui font un effet furpre-jiant fur la terre. La côte de Copayapo eff nue & déferte : il en elt de même de toute celle du Pérou & du Chili, où l'on ne voit que des rochers fans verdure, & de grandes étendues de pays, fans pro duet ions, fans oifeaux, fans quadrupèdes , & fans habitants, excepté dans quelques trifies ports où l'on trouve deux ou trois maifons, quoiqu'il y ait à peine affés d'eau pour mettre une barque à flot, excepté dans la haute mer. lu pnient la Ne pouvant trouver d'eau à Co-sHied Anea. ^a^ap0 ^ nQm fîmes voile à Arica, petite ville dans une agréable fitua-tion fur la côte du Pérou, à 18 dégrés & quelques minutes de latitude méridionale. Le port en eff affés bon, & c'elf où l'on charge l'argent du Potofi pour Panama. La mer eff fi haute, & frappe avec tant de violence fur toute la côte des environs, qu'il n'eff pas pofïïble de débarquer bes Européens. 103 ^ autre part que dans ce port. Lorfque \r/AF£R~ nous pillâmes la ville, tous nos Chi- Chap. xi rurgiens furent uiés à l'attaque, tk il An. 1087. ne relfa que moi feul. Arica eft fituée fur une petite rivière, dont l'eau eft tellement mêlée à celle de la mer qui la repoulfe, que nous ne pûmes en faire aucun ufage. Nous y prîmes du fucre, du vin, tk quelques cochons , & je vis une maifon entière pleine de quinquina. Nous trouva- -mes de l'eau un peu plus loin dans la rivière Ylo, qui eft quelquefois allés confidérable, tk d'autrefois entièrement à fec. Elle coule par une des vallées les plus agréables de la côte du Pérou, tk les habitants la font paffer dans leurs terreins par de petits canaux. Le terroir des environs produit des olives, du fucre, des figues , des oranges de la Chine, &C une grande variété d'autres fruits, outre quantité de végétaux très utiles. Cette vallée, ainfi que toutes celles du Pérou tk du Chili paroif-fent d'autant plus agréables, qu'elles font environnées de montagnes rudes tk ftériles, compofées de rochers noirs aufu* durs que du fer. _204 Découvertes J,Wafer. Non-feulement nous étions excef-chap. xi. fivement tourmentes de la foif fur An. 16s7. cette c^te > ma*s ^a nourriture nous y manquoit auiîî très fréquemment. devSreï6** Quelques-uns de nos gens fe trouvèrent un jour fi affamés, qu'ils mangèrent les crabes tous cruds, &c môme les herbes marines.. Ils virent un cheval décharné qui paiffoit affés près d'eux, s'en emparèrent, firent du feu avec des rofeaux pour le rôtir: mais.leurimpatience ne leur permit pas d'attendre : ils le mangèrent qu'il étoit à peine échauffé, & en emportèrent f oigneufement les intel-tins à bord.. Corpsdefle-- Nous defccndîmes environ trente £ouveqd»ni hommes à Verméjo, fous lb dixième itfabk^ degré de latitude méridionale, pour chercher de l'eau. & des ratfraîchif-fements.. Après avoir marché environ quatre milles dans un terrein, «ouvert d'un fable léger, nous trouvâmes des corps, morts, d'hommes de femmes & d'enfants, l'efpace d'environ un- demi mille, en fi grande quantité, qu'à peine pouvions nous-paffer fans les fouler aux pieds., La. plus grande partie paroiffoient à la: vue,, n'être .morts que depuis une fe- des Européens. lof maine; mais quand on les touchoit,_WAFERJ ©n les trouvoit légers comme une chap. xu éponge, &c entièrement fecs. Nous An. i«t%-trouvâmes fur la cote un Indien Espagnol, qui cherchoit du bois fec pour préparer le poiffon d'une barque de pécheurs, à laquelle il appar-tenoit; nous lui demandâmes la cau-fe de cette mortalité, & il nous dit que cet endroit étoit précédemment un canton fertile & agréable, dans, le voifinage de la ville de "Wormia, très riche & très peuplée : que les Efpagnols avoient autrefois afîiégé cette place ; quç les habitants voyant qu'ils ne pouvoient tenir contre eux, avoient préféré de s'enterrer tous vivants, plutôt que de devenir leurs, efclaves, & que la féchereffe du ter-rein les avoit toujours préservés de la corruption. On trouvoit encore près d'eux des arcs rompus, des quenouilles garnies de coton & de petits rouets, qui y étoient reliés depuis la. mort de ces femmes. On peut croire-le fait fur le rapport de M. Wafer,, mais je penfe qu'il faut en chercher une autre caufe, que la tradition rapportée par le vieil Indien,. "Wafer. Chap.XlI. ———j 1 i ■ «———— Aa. itty, CHAPITRE XII. CONCLUSION DU VOYAGE de M. Wafer. tf*ffdW!W" À 8 dégrés 40 minutes de latitude trerrbifrncnt JTTL méridionale , eit une ville nommée Santa, éloignée d'environ trois milles de la mer, avec une petite hauteur fur le chemin. Lorfque nous y allâmes nous vîmes fur le penchant de cette colline du côté des terres, trois vaiffeaux tous brifés , qui pa-roiffoient être au moins de foixante tonneaux. Un Indien que nous appelâmes pour nous inffruire de ce qui avoit pu occafionner un événement aufli fingulier, nous dit qu'environ neuf ans auparavant ces vaiffeaux étoient dans la baye voifine : qu'un tremblement de terre avoit fait retirer'les eaux de la mer hors de la portée de la vue pendant vingt-quatre heures, qu'elles étoient revenues avec un aecroiffemerrt prodigieux, & une violence inconcevable , entraînant tout devant ell#s : des Européens. 107 qu'elles avoient furmonté la hauteur " \r/AEER. ou étoit la ville, l'avoient totale- chap.xn. ment minée, & avoient jette les vaif- An. i«> féaux à l'endroit où nous les voyions. Ce récit me fut confirmé par le Curé par les habitants les plus dignes d'être crus. Après avoir continué à aller & venir fur la côte pendant long-temps, fans aucun avantage, nous retournâmes aux Ifles Gaiiapagos fous la ligne : nous réfölumes alors de nous retirer de ces mers, & nous dirigeâmes notre cours au Sud, dans la ré-folution de n'aborder en aucun endroit, jufqu'à ce que nous fùfîions à l'ifle de Juan Fernandez. Pendant notre navigation, étant à la hauteur de 12 dégrés 30 minutes, environ à cent cinquante lieues de terre, nous fumes un jour à quatre heures du matin furpris d'un choc terrible , & nous crûmes être abfolument perdus, parce que nous jugeâmes que notre vaiffeau venoit de donner fur un roc caché: le coup fut fi violent qu'il jetta nos gens hors de leurs ha-macks, & que le Capitaine Dawis fut renverfé fur le plancher dans fa cabane. Nous jettâmes la fonde avec 20$ DÉCOUVERTES WaF£R. la plus grande diligence, mais nous Chap. xn. ne trouvâmes point de fond, & le. . . vaiffeau continua fa route fans au- An. I687. 1/1 t cun obftacle. la ville de Nous jugeâmes alors que ce que &bm™7ct(l nous av^ons reffenti, étoit l'effet d'un tremblement de terre, & nous fîimes confirmés dans notre fentiment par la couleur de la mer, qui de verte étoit devenue comme de la boue blanche.. Nous trouvâmes aufîi en tirant de l'eau dans un baquet, qu'elle étoit mêlée de beaucoup de fable. Nous apprîmes depuis, que dans le même-temps il y avoit eu un tremblement de terre à Callao, d'où l'on fe rend à Lima : que la mer s'étoit tellement éloignée du rivage, qu'on avoit ceffé de la voir pendant quelque temps, mais qu'elle étoit revenue avec fureur, entraînant tout devant elle , même les vaiffeaux qui étoient en rade, & qu'elle les avoit portés à plus d'une lieue dans le pays : qu'elle avoit fubmergé la ville de Callao , quoique fituee fur une petite hauteur , ainfi que le fort : qu'elle avoit fait des ravages inconcevables dans l'efpace de foixante lieues le long de la côte,, & qu'elle étoit montée; Des Européens.- 209 jufqu'à Lima , quoique cette ville {bit -\yAFER/ à lix milles dans les terres depuis chap.xn. Callao. A„. I6g> Revenus de notre frayeur, nous , a r • r Ils «tournent continuâmes notre route , faiiant ^ u Moch*. cours au Sud & au Sud-eft, jufqu'à ce que nous arrivâmes à 27 degrés 20 minutes de latitude. Environ deux heures avant le jour nous fûmes al-larmés par un grand bruit, comme celui qu'on entend quand la mer bri-fe fes vagues contre le rivage. Ce bruit venoit du côté où nous voguions , & dans la crainte de toucher la terre, le Capitaine confentit à refter en panne jufqu'au jour. Alors nous vîmes que nous étions près d'une petite Ifle baffe & platte, fans, aucuns rochers ; mais nous remarquâmes environ douze lieues à l'oueft une chaîne de terres élevées, dont les Séparations nous firent juger que c'étoit un amas d'Ifles. Nous aurions déliré d'y aborder, mais notre Capitaine ne voulut pas permettre que perlonne defcendît à terre, jufqu'à l'ifle de Juan Fernandez, où nous arrivâmes à la fin de l'année 1687. Nous y nétovâmes notre vaiffeau,, nous y laiffâmes noire barque, oc waf£r* nous fîmes voile pour la Mocha ; Chap. xii. dans l'intention d'y embarquer des A». im7. brebis dont nous elpérions faire ufage dans le voyage que nous projet-tions autour de la terre de feu. Les Efpagnols nous avoient prévenus , & avoient emporté ou détruit les brebis , les chevaux, & toutes les créatures vivantes de la Mocha : ils en avoient fait de même à Sainte Marie , & nous fumes obligés de fubfif-ter des provifions que nous avions apportées des Ifles Gaiiapagos. Elles confilfoient particulièrement en farine , en maïs, en tortues falées, & en graiffes du même animal, dont nous tirâmes environ foixante jarres d'huile. Quelques uns Trois de nos gens ayant perdu au awiaïïés îeu tout ce 4U^S poffédoient, & dans une ifle fâchés de revenir en Europe aufîi pauvres que lorfqu'ils en étoient par-An. 1*8*. r. li ^ , 1 1 -/ta , tis, demandèrent qu on les laiflat a Juan Fernandez, dans l'efpérance d'y trouver quelque avanturier qui formât quelque entreprife importante. On leur accorda ce qu'ils deman-doient, & on leur donna un petit canot, avec quelques haches, du mais ôc d'autres chofes néceffaires. des Européens, ui Ils y demeurèrent environ un an, Wafer. & furent enfuite emmenés par un chap.xn. avanturier. Pendant qu'ils furent dans An. i68*. cette Ifle ils y planterent du maïs, qui y réuflit très bien : ils parvinrent aufli à apprivoifer des chèvres, & par ce moyen ne manquèrent ni de chair, ni de poiflbn. Ils y trouvèrent un animal Amphibie de couleur grife, & de la groffeur d'un poulet, qui fe nourrit de poiffon, & vit fous terre comme le lapin. La chair en efl: très bonne, quand elle a bouilli quelques heures. Après nous être remis en mer pour doubler la terre de feu, nous eûmes une terrible tempête qui dura trois femaines, avant que nous puf-lions gagner le Cap - Horn. Nous étions alors à 62 dégrés 45 minutes de latitude méridionale , très peulûrs de la juftefle de notre cours , parce que nos Pilotes n'étoient pas fort habiles. Nous fîmes cours au Nord pour Embarras fortir de la mer du Sud, & nous^;feuo*-tombâmes entre des montagnes de glace, que nous prîmes d'abord pour des terres ; mais ne trouvant point de fonds avec la fonde, nous jugea- Va per mes cîll'e^es dévoient être aùfïi pro* chap. jcii. fondement dans l'eau, que nous les voyions au-delfus, quoiqu'elles tuf- Atl. 16ÎS. f J „ . . /* 1 ' 11 v> lent d une hauteur coniiderable. J en remarquai une entre autres qui avoit près de cinq cents pieds au-delfus de la furface de la mer. Je ne vis aucunes de ces Ifles de glace, quand je vins dans ces mers avec le Capitaine Dampier; & le Capitaine Sharp à fon retour n'en rencontra également aucune. Nous en diiKnguions plufieurs à une grande diflance pendant la nuit ; mais il y en avoit d'autres fous les eaux, & elles nous inquié-toient toujours quand nous les touchions , ce qui nous arriva plufieurs fois ; notre vaiffeau en fut même affés endommagé. Pendant trois fe-maines que nous demeurâmes au Sud du Cap-Korn, le temps fut fi mauvais, &c le Ciel fi chargé de nuages , que nous ne pûmes faire d'obfervation , ni connoître la latitude. Cependant nous jugeâmes que nous étions à 63 dégrés, ce qui eff plus loin qu'aucun autre voyageur n'ait pénétré. En dirigeant notre cours du Nord trop à FEft, nous étions réellement à plus de cinq des Européens. 213 cents lieues de terre , quoique fui- wafer. vant notre Journal nous ne duflions chap. xii. en être éloignes que d'environ cent lieues. Nous dirigeâmes donc notre cours vers la terre ; mais après avoir parcouru plufieurs centaines de lieues à rOueft toujours à la même latitude fans la trouver , nous tombâmes dans le plus grand découragement, craignant de mourir de faim en mer, parce que nos provifions étoient prefque totalement épuifées. Dans cette extrémité nous reçûmes quelque foulagement d'une pluye abondante , dont nous ramarfâmes l'eau dans nos barils. Nous avions déjà parcouru quatre ^ ]]s «W«m cents cinquante lieues en fuivant la BUéede &»• même hauteur fans rencontrer deterelks* terre : l'équipage commença à fe mutiner , 6i a demander qu'on changeât de cours, ce qui feroit certainement arrivé fi le Capitaine Davis & M. Knot n'euffent gagné après de fortes inffances de continuer encore deux jours celui qu'on fuivoit, promettant de faire tout ce qu'on défireroit, fi après ce temps on n'arrivoit pas à quelque terre. Le lendemain, lé vent étant très foible, il nous vint une ii4 Découvertes Vafer "bouffée de 1'Oueif qui nous amena Chap. xii. des fauterelles & d'autres infectes : An. i«88. f*gne affuré du voifinage de la terre. Cet événement fut un effet de la Providence : s'il n'étoit pas arrivé, les hommes auroient infiffé pour changer de cours, étant perfuadés par leur ignorance que nous étions toujours dans la mer du Sud, & alors nous aurions immanquablement péri. Cochons qui Nous allâmes directement du côté à icu« yeux, que cette bouffée etoit venue , nous trouvâmes bien-tôt la terre un peu au nord de la rivière de la Plata, & nous débarquâmes aufTi-tôt pour chercher des provifions. Nos gens découvrant un troupeau de cochons fur une pointe de terre, prirent leurs fufils & leurs coutelats, & pendant que quelques-uns garderent le paffa-ge qui conduifoit aux hauteurs, pour couper ces animaux dans leur retraite , les autres s'avancèrent fur eux. Les cochons fe retirèrent vers la mer, & s'arrêtèrent fur le rivage en les regardant fixement, comme s'ils euf-fent été dans l'admiration de voir les hommes & les armes. Les matelots furent bien trompés dans leur attente; quand ils s'avancèrent vers ces pré- des Européens. 115 tendus cochons, le coutelas à la main \r/AFER^ pour les tuer , tout le troupeau fauta chaP. XI1. dans la mer, & difparut à leurs yeux. An. us*. En effet ces animaux étoient amphibies , de ceux qu'on appelle Cochons de mer , dont la chair tient un peu de celle du porc, avec quelque goût de poiffon, ce que nous reconnûmes quelque temps après, lorfque 'nous eûmes le bonheur d'en tuer deux que nous apportâmes à bord. Ils font noirs , de la forme des fan-gliers, avec des foies courtes & dures, & des efpeces de pieds qui leur fervent de nageoires. Le pays des environs efl inhabité, quoique fertile , bien arrofé, & abondant en gros troupeaux , en daims & en autruches. L'Autruche eff un oifeau qu'on dit Defcripti»* qui porte les œufs dans le fable, où fe****"** ils font échaufés par le foleil, & d'où les petits fortent d'eux-mêmes. Cet animal eff très ffupide , & fuit le premier qu'il rencontre : nous en mangeâmes beaucoup de jeunes , mais les vieux ont la chair coriace , & parviennent à une groffeur étonnante. Qn dit que l'autruche vit de fer, mais c'eff fans aucun fondement : elle ea î 16 Découvertes ' ■\r/AFER avalle comme nos volailles avallent ctap.XII.' de petits cailloux, non pour s'en An.-i<5»8. nourrir, mais pour faciliter la di-geffion : aufli avallent-elles tout ce qu'elles rencontrent, comme de vieux doux & des couteaux rouilles. Waferarrive Nous nous remîmes en mer, nous à Phiiadei- fuivîmes la côte du Brefll, &£ nous rh,c* arrivâmes aux ifles Caribes, où nous trouvâmes M. Edwin Carter , dans une barque des Barbades. Il nous apprit que le Roi Jacques avoit publié une proclamation pour accorder le pardon à tous les Boucanniers: je montai fur fon vaiffeau, & nous fîmes voile à la rivière de la War dans la Penfylvanie , d'où nous dirigeâmes notre cours à la ville de Philadelphie , &: nous y arrivâmes au mois de Mai 1688. retour e« Après y être demeuré quelque Angleterre. tempS ? je defeendis dans la crique d'Apokunnumy , avec le Capitaine Davis & Jean Higginfon , qui avoit été laiffé ainfi que moi dans l'Iifhme. Nous fîmes tranfporter nos caiffes & nos autres effets fur des voitures pour paffer une petite langue de ter-. re, qui nous conduifit à la rivière Bohemia, par laquelle nous dépendîmes des Européens. 117 dîmes à la grande baye de Chifapeek, WaFeR " d'où nous paflames à la pointe de chap. xiû, Confolation & à la rivière de Jacques An ^, dans la Virginie. J'efpérois y fixer ' ' mon fejour, mais le temps de mon repos n'étoit pas encore arrivé ; car après y être demeuré trois ans, Je fus obligé d'en fortir par quelques événements, & de revenir en Angleterre où j'arrivai en Tannée 1690. Fin des Voyages de Wafer, Jom* FUI; K VOYAGE AUTOUR DU MONDE ET DÉCOUVERTES Du Docteur François Gemelli, CHAPITRE PREMIER. Portrait de Gemelli: Il partponr fon voyage : Il aborde à l'ifle de Malte : Defcription de cette Ifle & des Che~ valiers de Saint-Jean. Gemelli. L E célèbre Voyageur François ap* '. Gemelli étoit Napolitain , & Dofteur Gemcîii.él0"e-n Droit Civil. Le dérangement de fa fanté & des chagrins domefliques le déterminèrent à fuivre les mouvements de la curiofité qui formoit fon cara&ere dominant, & il fit le tour du globe avec autant de courage que de perfévérance. Sa probité égale à fa réfolution lui a fait don- des Européens. 2.19 ner la defcription de tout ce qu'il gemelli; a vu, avec l'exactitude la pinsfcru- chap.i, puleufe. Par un peu trop de confiance , il a quelquefois ajouté foi aux hiïtoires ridicules qui lui ont été rapportées par des prêtres ou des millionnaires ignorants ou crédules ; mais dans tout ce qu'il a vu par lui-même , il le raconte avec autant de candeur que de précifion. En peu de mots, le Journal de idée gêné-. Gemelli eff univerfellement eflàmévo!aget011 comme un des plus authentiques & des plus intéreffants que nous ayons, tant par la variété des objets , que par leur importance. Il eft d'autant plus curieux que ce Voyageur a fuivi une route totalement différente de tous les autres Navigateurs qui ont parcouru par mer la furface du globe ierreffre , en faifant voile de la côte du Mexique aux ifles Philippines, au lieu que Gemelli a voyagé particulièrement par terre, & qu'après avoir vifité les Cours du Grand Seigneur, du Sophi de Perfe , du Grand Mo-gol 6k de l'Empereur de la Chine, il eft revenu par les Indes occidentales , & s'eft embarqué à Manille pour la ville d'Acapulco, voyage long Gemelli. ^ dangereux, qui n'avoir jamais été Chap. i. entrepris que par le vaiffeau auquel on donne le nom de cette ville, tk qui étoit prefque totalement inconnu aux Européens, «s'embarque Gemelli ayant pris congé de fes a Naples. ^ Naples s'embarqua le Samedi a», mu I3 de Juin pour la Calabre. Après un cours de cinquante milles , il aborda à Amalfî, ville fondée en S2.9 par quelques familles Romaines qui alloient à Conff antinople , & que le mauvais temps jetta fur cette côte, dont la fituation leur parut fi agréable qu'ils y formèrent auffi-tôt un établiffement. Quoiqu'il en foit de fon origine, cette ville eff fameufe pour avoir donné le jour à Flavio Gioia, qui a introduit l'ufage de la bouffule en Europe. La Cathédrale efl vilirée par les dévots, qui vont y révérer le corps de l'Apôtre Saint André , apporté de Conff antinople en cette ville, il arrive à Le lundi 15 , la felouque continua fon voyage, tk après un cours de quarante milles, ils arrivèrent à Li-cofa, autrefois nommé Leucofia. Le lendemain ils firent trente-fix milles , pc pafferent à Palinure. Le 17, ils des Européens. 22. i_ allèrent à Scalea qui en elt éloigné G-mel-li. de quarante milles , & le 19, ils Cnap i. mouillèrent à Paola où elt né Saint a„. 1693. François le Fondateur des Minimes. Le famedi ils arrivèrent à Pizzo , ville fituée fur un rocher , d'où la vue s'étend fur les rives fertiles de la Calabre. Le lundi ils rirent trer.e milles Cv allèrent coucher à Tropea * dont la fituation eff également agréa»-ble, 8c oii la nobleffe en corps a l'ad-minifiration dés affaires publiques. Le Mercredi, ils traverferent la br.ve & arrivèrent à Gioia : Gémellife rendit à une petite ville éloignée d'un mille de la mer , où fon frère étoit venu de Redicina. Il emmena dans fa maifon le Docleur, qui y ralTembla les provifions nécefiaires pour fon voyage , & y fit fon teffament qu'il laiffa cacheté. 11 amufa les parents en leur difant qu'il avoit feulement deffein de vifiter les faints lieux pour revenir enfuite , quoiqu'il eût réellement formé le projet de continuer fon voyage jufqu'à la Chine. Il fe fépara de fon frère avec les fentiments de la plus tendre aifect ion, fe rendit à Palma le 6 de Juillet , K.iij Cf.melli• ^ ^e -en-demain s'embarqua pour Mef-chap. j. fine où il arriva le loir même. An. i6s3. La ville de Mefîine, anciennement nommé* Zanclé , elt limée dans la i^&Sr'v^k orientale de la Sicile, furie rivage de la mer ; elle efl embellie de plufieurs palais majeffueux , bâtis uniformément , & le port, qui eff excellent efl défendu par le château Saint-Sauveur, par la citadelle, 6c par quelques autres bons forts. Il y a un Archevêque ôc une Académie ; on en trouve les Eglifes fuperbes, les bâtiments élégants, les rues larges , les femmes aimables & fpiri-tuelles, l'air tempéré, le terroir fertile , & la mer abondante en excellent poiffon. La ville efl très bien fournie non-feulement de ce qui peut contribuer aux commodités de la vie, maïs encore à ce qui peut en faire les délices : le voifinage de la Calabre en même temps qu'il lui fournir cette abondance , lui procure aufîi la vue la plus charmante par la fertilité des plaines dont la côte efl bordée. Le premier foin de Gemelli à fon arrivée en cette ville fut de chercher les moyens de paffer à Malte, dans une Tartane à bord de laquelle il fit des Européens. 223 aufîi-tôt embarquer fes équipages. Gemelli. Le lendemain pendant qu'il étoit oc- Chap. 1. cupé de quelques affaires de peu de An, durée , le bâtiment mit à la vcile avec tout fon bagage pour Ali, où le patron alloit charger du vin, ce qui obligea le Doèteur à s'embarquer dans une felouque qui partoit pour Agoufle. Ils pafferent avec un bon vent les 11 fcreadi fameux détroits de Meffine , dont la A£0ut*e*' vue étoit diverfrfiée de chaque côté par de beaux châteaux & de jolis villages : ils approchèrent d'Ali, & virent à l'ancre la Tartane où Gemelli avoit mis fes valifes ; mais le patron de la felouque l'ayant affuré que c'en étoit une autre, il s'en rapporta à la parole de cet homme. En continuant leur cours pour Agoufle, ils pafferent à Tauromina, ville Royale bâtie fur une colline, & virent les ruines de Catane qui avoit été détruite depuis peu par une furieufe éruption du mont Etna. Ils pafferent aufîi les villes de Lentini & de Carlolen-tini, & arrivèrent à Agoufle, anciennement nommé Xiphona , où les Chevaliers de Saint Jean de Jerufalem fe retirèrent après la perte de Rhodes, K iv 114 DÉCOUVERTES Gemelli. avant de s'établir à Malte. Cette ville Chap. j. avoit aufli été détruite par le trem-An. ié93. blement de terre ; les infortunés habitants étoient obligés de vivre dans des cabanes , & le château , l'un des plus forts de toute la Sicile en avoit reçu un dommage irréparable. La ville eft bâtie fur le penchant d'une colline & a un bon port défendu par plufieurs forts, n aborde à Gemelli fe mit dans un autre bâti-ScÖaro' ment, & le foir il fut à la vue de Syracufe, ville fituée très commodément , & défendue par un fort & par un château. Ils virent en cet endroit une chaloupe qui ramoit à eux, & fe mirent fous les armes, dans la crainte qu'elle n'appartînt à des pyrates Turcs ; mais leur appréhenlion fe difïipa quand ils furent qu'elle étoit de Trapano. Le lendemain ils virent les ruines de Noto , qui avoit aufli été renverfé par le dernier tremblement de terre : le foir ils jetterent l'ancre à Beflaro, où Gemelli fe fournit de falines pour fon voyage : ils parlèrent à la Galiotte Maltoife & au Brigantin qui gardent le canal, mais* on ne put leur dire aucunes nouvelles de la Tartane. des Européens. 115_ Le Samedi 15, le vent contraire les gemellï,7 obligea de débarquer fur le rivage de Chap. j. Spaccaturno à cinquante-cinq milles An. de Syracufe, & le Dimanche , après . avoir fait quarante milles, ils arn- voyage juf-verent à Brazzetto , ville fur le ri- v» * ÎWtc, vage de Sainte - Croix , d'où le Docteur fe rendit à Scoglietti, pour y chercher un bâtiment qui pût le tranf-porter à Malte. Le lundi 13 , il monta fur une petite barque pour paffer le détroit qui n'efl que de foixante milles de largeur: le "lendemain , il y eut un calme , & les gens de la barque voyant la chaloupe d'une Tartane qui venoit fur eux, jugèrent que c'étoit un Corfaire , & abandonnèrent leur bâtiment pour tâcher de fe fauver dans leur chaloupe. Les étrangers voyant qu'ils prenoient la fuite, cefferent de les pourfùivre , les Siciliens les reconnurent pour des Malrois , revinrent à leur barque , & le foir il s'éleva un Vent frais qui les conduifit le lendemain de grand matin dans le port de Malte. L'ifle de Malte fut donnée aux Defcripriou Chevaliers de Saint-Jean de Jérafa-jjJ™8 * lem par l'Empereur Charles-Quint : ■«Ue a vingt-deux milles de longueur Kv JCemelli. del'EitàrOueft;en quelques endroits , chap. i. la largeur efl d'environ douze milles, A*. 1693. & tout le circuit efl de foixante. La ville efl fituée 335 dégrés 40 minutes de latitude feptentrionale fous un climat excellent, avec un port très commode 9 dont l'entrée efl défendue par le Château Saint-Elme , & par un grand nombre de fortifications, qui le rendent inaccefîible. La ville efl fur un roc très élevé, fortifiée naturellement par des précipices du côté de la mer, & par des ouvrages imprenables du côté de terre. Du môme côté dans un efpace de trois milles, elle efl défendue par des forts particuliers & par des batteries, bien garnies de canon , outre ceux qui font montés fur les murailles, cjui forment une promenade très agréable , & même un chemin pour les caroffes depuis le port jufqu'au Lazaret. Ce Lazaret a aufîi un port très fur & très commode, où les vaiffeaux font à couvert fous un rocher, mais on le réferve uniquement pour les bâtiments qui viennent du Levant. La ville efl très belle, quoique fituée dans un terrein flérile & rempli de cochers ; mais on a réuiu* par le.'£e- des Européens.. 117_ cours de Tart à en faire un féjour gemelliJ" très agréable. La vue eff charmante chap. l du côté de la mer, tk l'inégalité du An. i6*j. terrein contribue même à en augmenter la beauté : du Nord au Sud, elle efl compofée de huit longues rues droites tk bien pavées , & elles font coupées par deux autres qui vont du levant au couchant. Cette ville a trois portes, dont la plus fréquentée eft celle qu'on appelle du Môle ; elle eft accompagnée d'un foffé où l'on voit un beau verger de limoniers tk d'orangers pour l'ufage du Grand-maître. La féconde porte efl celle qu'on appelle de rerre, tk la troifieme celle du Lazaret, d'où s'étendent deux fof-fés profonds tk une double muraille contreminée qui fe termine au port. Outre la grande ifle, qui a la forme d'une tortue ; il y en a une autre nommée Comona , de dix milles de circonférence tk défendue par un fort. Une troifieme , nommée Gozo , la plus belle de toutes a aufîi un fort y où commande un Chevalier de l'ordre. Ces trois ifles contiennent environ Nombre^ r • mi r 1 habirantj, ioixante mille perfonnes , en trente villes tk villages : les habitants en K vj JGemelli. S^ral font fiers 6c guerriers , cl ev-chap. i. traction morcfque. LesChevaliersncs vin. i6$i. Sujets de Sa Majcfté Catholique ont le privilege d'être Gouverneurs des châteaux Saint-Elme 6c Saint-Ange , à l'exclufion de toute antre nation, Se leur gouvernement dure deux ans. Du Grand- Gemelli logea dans le monailere Maure, ^es Religieux de Saint François, où il fut très bien traité, &c le 19, il eut occafion de voir le Grand-maitre à l'Eglife de Saint Jean. Il étoit afîis à la droite de l'Autel fur un trône de velours pourpre garni de franges d'or, placé au-dedans de la baluff rade de l'Autel 6c renfermé entre des ba-luftres de beau marbre. Vis-à-vis de lui étoient feize Chevaliers afîis fur des bancs couverts de drap écarlate garnis de dentelle d'argent, 6c il y en avoit deux autres derrière le Grand-maître. Sur le pavé de l'Eglife, quatre dégrés au-deffous de leur chef, les Grands-croix étoient fur des bancs couverts de cuir , chacun avec un pupître devant foi, au nombre de trente-deux. De chaque côté 6c au milieu étoient afîis dix anciens Chevaliers , 6c au-deffous il y avoit des places pour tous les autres. des Européens. 119 Le Grand-maître étoit habillé d'une gTmellÎT robe de foie noire fort légere, avec un chap. 1. capuchon derrière : il portoit deffous An. 1693. une efpece de foutane courte où étoit la croix de l'ordre. U fe nommoit SesrcveBU* Adrien de Vignacour, François de nation ; il étoit de moyenne taille, avoit l'air vif & de bonne fanté , quoiqu'il fut âgé de foixante 6c feize ans. On lui accorde fix mille ducats pour fa table , vingt mille de revenu comme Prince temporel, outre e qu'il reçoit fur les douannes 6c lur les Commanderies vacantes, ce qui monte au total à foixante mille ducats. Le Vendredi 7 , la Tartane qui SonpaLùn portoit le bagage de Gemelli arriva, & il fut délivré de la crainte qu'il avoit eue de terminer fes voyages à Malte. Après le dîné , il alla vifiter le palais du Grand-maître. Les écuries , qui contiennent cinquante chevaux ou mulets, font des deux côtés de la porte qui regardent le levant, & un peu plus loin on trouve le jardin , qui conduit dans une autre cour où font à droite 6c à gauche les portes des appartements. Ceux de la gauche font deifinés aux ufages par; Cemelli. ticuliers, & ceux de la droite aux ' Chap. i. ' fonctions publiques. La falle d'audien-An. 1693. ce e^ tr^s grande, tapiffée d'un magnifique damas cramoifi, & ornée d'un dais de la même étoffe avec des franges d'or. Dans cette falle & dans deux autres pièces, font plufieurs tableaux qui repréfentent les exploits & les grandes actions de l'ordre. Tout le palais eff entouré de balcons de fer d'un très bel ouvrage ; du côté du couchant efl une grande place avec une magnifique fontaine au milieu : dans une autre place au midi efl la cour de la Chancellerie, avec la Tré-forerie pour les payements & les recettes qui fe font tous les jours ; mais le tréfor pour les affaires publiques efl dans une petite tour du palais du Grand-maître. d« femmes Les femmes Maltoifes portent un Mahoifes. vojje ^ comme \es Morefques, avec un petit capot de carton pour défendre leur vilage de l'ardeur du foleil. En général elles font très agréables tant pour la figure que pour les manières. La monnoie courante efl de cuivre, d'une valeur exceffive, puifque fix pièces y valent un fequin ow environ neuf livres de notre monnoie : un des Européens-. 13 i faux-monnoyeur y feroit un profit gimelli ! immenfe. Chap. i. On tient à Malte une table ou au- a». 1095. berge pour les pauvres Chevaliers ; mais elle eff peu fréquentée à caufe Hôp Sï?c* de fa médiocrité : cependant elle efl Mai", d'une très belle architedure,& a été encore embellie depuis peu parle Grand-maître Caraffa. Notre Voyageurayant .vu toutes les Eglifes, le Polverifla , Palais qui appartient à l'Ordre , un autre nommé Camaritta où fe retirent les Chevaliers dévots qui veulent vivre en communauté au moyen d'une penfion annuelle , & qui fe dévouent aux exercices de piété, termina fa promenade a l'hôpital, où les malades font fervis en vaiffelle d'argent par les Chevaliers en personne. Le Dimanche 19, il vit les Grands-croix affilier à la Meffe fo-lemnelle, qui fut célébrée avec grande pompe. Après le fervice, il vit dîner le Grand-maître dont la table étoit placée dans la grande falle près le dais , fous lequel on avoit mis fa chaife de velours cramoifi. Il y en avoit quatre autres de cuir au bas de la table, où étoient affis le neveu du Grand-maître , le Grand Prieur de. Gemelli. Hongrie , le Grand-croix Cavarerra? chap. i. de Trapani, 8c le Grand Sénéchal An. 1693. Caraffe. . t>Jné Le Grand-maître fut fervi à part Crand-Mai- dans des plats de vermeil , & les tre* viandes furent coupées par trois Che- valiers couverts. Il but à la fanté de tous les Chevaliers , qui étoient en grand nombre autour de la table, & fut fervi avec autant de dignité oc de magnificence que le peut être tout autre Prince de l'Europe. Cet Ordre célèbre faifoit d'abord fa rélidence dans la vieille ville , d'où il paffa au château Saint-Ange , & y fouffrit un terrible fié^e en l'année 1565, qu'il fut attaque par toute la flotte Ottomane. Depuis, l'Ordre a fait choix du lieu où il réfide actuellement , qu'on a préféré à caufe de la commodité des pierres de taille qui y font très belles, & qui ont fervi à conffruire une ville magnifique. bes El/ropéens. 233 CHAPITRE II. VOYAGE DE GEMELLI en Egypte. LEs Marchands de Marfeille ayant Gemeii* envové une Tartane, pour don-iS'cmbfr,!ue . ■> . * ' 1 . . pour AléïanJ. ner avis aux vameaux François quidric. étoient à Alexandrie, dans l'ifle de Chipre & à Tripoli de Sourie, qu'ils pouvoient fe mettre en mer, parce qu'il y avoit trois vaiffeaux de guerre de leur nation qui croifoient dans la Méditerranée, afin de protéger le commerce contre les Corfaires Hol-landois ; cette Tartane relâcha dans le port de Malte. Gemelli monta à bord de ce bâtiment , après s'être muni de toutes les provifions nécef-faires, & il fit marché à douze écus pour paffer à Alexandrie. Ils mirent à la voile le Mardi 11, & côtoyèrent la côte de Candie le Samedi & le Dimanche ; mais le Patron de la Tartane , homme entêté & fans expérience , paffa le port d'environ cinquante milles. Voyant qu'il lui étoit Gemelli 'impoiTib\e de retourner en arrière ctup. il." avec le vent contraire, il fut obligé An. 1693. après beaucoup de peines de jetter l'ancre à dix-huit milles au-delà d'Alexandrie , fous un petit château nommé Bichier , muni de canon tk d'une garnifon de deux cents Turcs. Il eft environné des huttes de quelques Arabes fi pareffeux & il indolents qu'ils piéferent de vivre dans la plus grande mifere plutôt que de travailler, quoique la mer foit abondante en poiffon, tk que le terroir foit très fertile. Leur pauvreté, & l'abondance naturelle du pays rendent le fruit Si le poiffon à très bas prix ; mais on ne trouve pas un feul morceau de viande dans les marchés. ti arrive à Us y arrivèrent le Mercredi,& quoi- Blcklcr* qu'il fût affés tard , le Patron partit pour Alexandrie, avec des lettres adreffées au Conful François , f*Aga du château lui ayant donné un Ja-niffaire pour lui fervir de guide tk d'efeorte, en lui payant trois pièces de huit tk une demie. Ils s'y rendirent avec un cheval tk un âne , mais le lendemain quand ils furent de retour, le guide demanda le double de ce. qui lui avoit été promis, ce qid occa- des Européens. 235 fionna une difpute ; elle fut portée gemelu. devant l'Aga parle Juif de la douanne, chap. 11. & le Turc ne manqua pas de la déci- An. 109%. der en faveur de fon compatriote. Notre Auteur, allarmé de cette extorfion , qui eft très commune en Turquie , ne voulut pas hafarder de débarquer fon bagage chez ces pyra-tes, & la Tartane ayant ordre de parfer dans l'ifle de Chipre , il réfolut de faire tranfporter fes effets à bord d'un autre bâtiment chargé pour Alexandrie, où il favoit qu'il y avoit un Conful Chrétien. Le vent contraire mit obffacle a l'exécution de fon deffein : il fut forcé de mettre à terre fes valifes , & de fe mettre lui-même au pouvoir du Juif qui tenoit la douanne. Cet homme le reçut très bien contre fon attente, & il fut logé & nourri dans fa maifon pour la moitié d'une pièce de huit par jour. Le Samedi premier d'Août, Gé- 11 arrive ] melli partit dans une germe ou bar-Al"andne, que pour Alexandrie , il arriva l'après-midi. Ses malles furent vifi-tées ; il paya les droits 6c fut logé à l'hofpice de Sainte Catherine , qui appartient aux pères Francifcains de la terre fainte. 136 DÉCOUVERTES Alexandrie, nommée par les Turcs Chap. h. Scandena, fut bâtie par Alexandre An. I55J. Ie Grand, trois cents vingt-deux ans Defc•'. . avant la naiffance de Jeliis - Chnfl. |e cette vjljc. Elle eft fituée fur les bords de la Méditerranée , à 30 dégrés 58 minutes de latitude, dans un terroir fablo-neux. La vieille ville prefque totalement abandonnée , fert feulement de réservoir d'eau de phiye pour la nouvelle ville , qui s'étend le long du rivage, 6k dont la longueur eff environ de deux milles. Elle eft très mal peuplée , & le mauvais air l'au-roit fait abandonner vraifembîable-ment depuis long - temps , fans la commodité du port, d'autant que cette ville par fa fituation efl le centre du commerce de la Méditerranée & de l'Océan Indien ; d'où les marchandées font tranfportées aifément par la mer rouge , outre la facilité du tranfport par terre de toutes les productions de l'Egypte. Alexandrie étoit autrefois une ville de très grande étendue ; mais elle a été réduite a la médiocrité où elle efl a&uellement, parce qu'elle a paffé entre les mains de différents maîtres , & qu'elle a fouffert plufieurs fiéges très meur- des Européens. 137 trîers, particulièrement celui qui y Gemellu Fut mis par Antonin Caracalla, qui chap. 11. la remplit de fang tk de carnage. An, l6934 On voit des marques de l'ancienne magnificence de cette ville par les refres de plufieurs obélif ques , de quelques colomnes, & d'autres édifices publics , qui fe font confervés jufqu'à préfent. Gemelli, après avoir vu le Bazar Gemciiî eft ou marché qui eff très mal fourni, u^cSïïLS* & les fortifications qui font médiocres tk de peu de défenfe, s'approcha d'une Mofquée ; mais il fut aufîi-tôt attacjué par les enfants des Mores, armes de pierres tk de couteaux , qui tombèrent fur lui avec fureur. Pour s'en garantir, il leur jetta quelques pièces d'argent ; mais la populace venant en plus grand nombre , il fe fauva le plus vite qu'il lui fut pofîible à la maifon du Conful de France , après avoir perdu fa perruque. Rien n'eft plus dangereux pour les étrangers que de vouloir fatisfaire leur curiofité dans les pays, fournis au gouvernement des Turcs, fans être accompagnés d'un Janiffaire , qui leur fert en même temps de guide & de protecteur. rtMErrr Le Docteur, avec l'avis du ConfuI, VjEMELLI, ' r r t chap. 11. loua un de cesïoldats pour la lurere, An. ï69i. & alla voir la colomne de Pompée, qui eft fur un terrein élevé, hors des murs fSj^nedeae la ville. Cette colomne eft de mar-' bre rouge, d'une feule pièce, excepté le chapiteau, le pié - d'eftal & la bafe fur lefquels on a gravé des hiéroglyphes Egyptiens. Elle a cent palmes de hauteur : la circonférence du fût eft de vingt-cinq, & celle de la bafe du pié-d'eftal de quatre-vingt-cinq*. Il alla voir enfuite deux autres monuments près du port, qu'on appelle les Pyramides de Cléopâtre, dont une eft actuellement démolie. Elles font d'un marbre mêlé, couvertes de tous côtés de hiéroglyphes, paroiffent avoir trente pieds de circonférence à la bafe, & On le ftitenviron cinquante pieds de hauteur. frafler pour - . 1.1, . _ «rançois, Marc-Antoine Tambourin, ConfuI François preffant fortement Gemelli de venir lôèër dans fa maifon , il quitta le monaftere des Cordeliers, & fe trouva très bien de ce changement de demeure. Il vécut fplendi-dement chez le ConfuI avec plufieurs * Le palme romain, mefure dont l'Auteur fe fert fréquemment, eft de huit pouces trois lignes & demie. »es Européens. 239 marchands Européens, & y fut par-^~77Tl ticulierement regale dune efpece chap.u. d'oifeau qu'il trouva délicieux, & qui Aru reffemble beaucoup au Becfîgue d'Italie. Tous les François le traitèrent avec la plus grande politeffe ; quand ils furent que le Docteur voyageoit pour fatifaire fa curiofité , & pour faire part au Public de tout ce qu'il remarquerons d*intéreffant. Ils le firent paffer pour François chez les Turcs, afin qu'il y pût jouir d'un privilege particulier à cette nation, dont les fujets ne payent que trois pour cent de leurs effets à la douanne, au lieu que ceux des autres nations font taxés à vingt pour cent. PhakTdo Ils lui confeillerent aiuTi de prendre payj.u l'habillement du pays, pour éviter en voyageant les infultes des Arabes^ particulièrement des Bédouins , qui conduifent leurs troupeaux & tranf-portent leurs tentes oh ils le jugent à propos pour la commodité des pâturages. Après avoir donc changé d'habit, Gemelli s'embarqua le Vendredi 7 d'Août fur une petite Saïque pour Bichier , avec un Capigi, qui étoit portier du Baçha du Caire. Cet hom-. 140 DÉCOUVERTES i~ me lui dit par l'entremife d'un Juif, Chap. il qui au iervit d interprète , qu il iao Am. 1593. compagneroit volontiers , lui procu-reroit tous les avantages qui feroient en fon pouvoir ; tk même lui fournirait de l'argent s'il en avoit befoin. Ce difeours étoit un compliment à la Turque fans aucune fincérité : cependant le Docteur en marqua beaucoup de reconnoilTance , parce qu'il jugea que ce Mufulman le protégerait contre les infultes & les pyrate-ries des Arabes, les plus grands fcé-lérats qu'il y ait fur terre. Ils arrivèrent en trois heures à Bichier ; mais il n'y avoit pas d'hôtellerie en cet endroit , tk ils furent obligés de coucher dans la petite germe ou barque que le Capigi avoit louée pour une pièce de huit, îl fe mec en j_e lendemain, ils continuèrent leur reute pour le \ : • -i » £*ir«. route pour le Caire, mais ils n avoient encore fait que quatre milles quand lèvent commença à fraîchir; le Turc fut faifi de conffernation, tk infiffa pour retourner à Bichier, malgré les remontrances du Bey ou Patron , qui Paffuroit qu'il n'y avoit aucun danger. Les Turcs tk les Arabes en général craignent la navigation de l'embouchure des Européens. 141 Fembouchure du Nil, qu'ils appellentqemellx3 Bogafi, & même il eft paflc en pro- chap. 11/ verbe que qui ne craint pas Bogafi, Ab# 169U n'a pas de crainte de Dieu. En coniequence de cette crainte fi malfondée, ils réfolurent de faire le voyage partie par terre, & partie par eau : le Capigi força le Patron de lui rendre l'argent qu'il avoit reçu, & il en loua un autre pour les conduire jufqu'au village d'Ethco. Dans la traverfce qui eft d'environ quinze milles depuis Bichier, la barque fut ^. bien près de périr, & elle perdit fon mât à l'entrée de la baye de Media, formée par une efpece de golphe qui entre vingt milles dans les terres. Ceux qui voyagent par terre traver-fent cette baye dans une petite barque , & les Turcs leur font payer un droit par tête, mais Gemelli fut exempté de cette exaction par l'autorité du Capigi. D'Ethco, ils rirent quinze milles fur 11 am>«5 des ânes, par un terrein rempli de fa- RofeKCt bles, qui ne produit que des palmiers; mai* les habitants les employent à un grand nombre d'ufages. Ils font des paniers avec les feuilles , des cages & des treillis avec les bran» Jom.VIIL L Gemelli. cnes : ^e ^°lS ^eur ^ourmt des P°u-chap. il. tres pour leurs mailbns, & le fruit An. i69î. Ieur ^ert de nourriture. Quand nos Voyageurs arrivèrent à Rofette , le Capigi conduifit Gemelli en grand cérémonial à la maifon du Vice-con-ful François, &z le lendemain il vint avec un interprète demander le payement des grands fervices qu'il lui avoit rendus en route. Le Docteur trouva la demande exhorbitante , & fit quelque difficulté de l'accorder , mais le Turc jura par Alla en careiTant fa barbe, qu'il ne diminueroit rien de ce cjui lui étoit dû , & Gemelli fut obligé d'y confentir. Le Vice-conful lui dit aufli que l'ufage de ces fortes de gens étoit de piller les Francs fous les plus légers prétextes , & que les Chrétiens opprimés n'avoient aucun moyen de le faire rendre juftice. Defcripiion- Rofette , que les Turcs appellent 4c Rofate. Rachet, étoit anciennement le féjour favori de Cléopatre : elle eff fituée fur la plus belle branche du Nil, qui efl aufîi la plus commode pour le tranfport des marchandifes de la Méditerranée à Alexandrie. Cette ville efl à cinq milles de la mer , bien défendue par un fort château bâti à ^embouchure de la rivière. Cepen- ç'EMELLu dant elle reffemble plus à un vil- chap. n. lage qu'à une ville, puifqu'elle eft An. i6?î, entièrement ouverte, fans murs , ni foffés. Elle a environ lix milles de circonférence , 6c près de quatre-vingt mille habitants , cinq fois autant qu'Alexandrie en contient. Elle eft environnée d'alfés beaux vergers , 6c de plantations de Caftiers. Le Bazar eft bien éclairé, en bon air , 6c couvert de vignes qui produifent des raifins délicieux en grande abondance. Gemelli ayant payé au Vice-conful lh'<:mbarquç, ce qui lui étoit du pour fon féjour, .furlcNli» 6c ayant fait les provifions néceffai-res, s'embarqua avec un valet le lundi 10, pour le grand Caire à bord d'une grande barque à trois mâts, qu'on nomme Mcafchi. Il y trouva un Cordelier Allemand 6c plus de cent paffagers; mais les perfonnes de cenfidération étoient dans une efpece de cabane féparée,pour une bagatelle qu'ils payoient de plus. Le vent leur étoit très favorable, 6c ils voguèrent légèrement en .fui-deceflcuve* vant le rivage , bordé d'un grand nombre de maifons agréables 6c de Öemelli camPagnes fertiles, particulièrement Chap. if.' dans Tille que forment les deux bras An. k9î. du Nil, entre Rofette & Damiette, qui eft regardée comme le terroir le plus abondant de toute l'Egypte. Ce merveilleux fleuve , nommé en langage Abyflîn Abanchi, ou pere des rivières, vient dit - on de deux lacs dans le royaume de Goyama, affujetti à l'Empereur d'Abyffinie. 11 traverfe cet empire , ainû que l'Ethiopie tk plufieurs autres pays, parcourt l'Egypte qu'il fertilife tk vient fe perdre dans la Méditerranée. Le bras fur lequel ils voyageoient a de largeur environ un quart de mille d'Italie, tk il coule fi lentement , qu'avec deux voiles ils fai-foient fept ou huit milles par heure contre le courant, dans un pays rempli de prairies charmantes, & de villages très peuplés. La nourriture des Turcs confiftoit en pain mal cuit, en ail, en oignons, tk en lait caillé aigri. Quoique la volaille foit très commune dans ce pays, elle étoit entièrement bannie de leurs tables, & un peu de mouton bouilli faifoit leur mets le plus délicieux dans les occafions extraordinaires. Le Capigi des Européens. 245 vivoit avec cette ibbrieté, mais un gemelliï JanilTaire qui l'accompagnoit, ayant chap. 11. remarqué une bouteille de vin qui An. 169* appartenoit au Dodleur, lui en demanda fi fréquemment, qu'elle fût bien-tôt réduite à une très petite quantité. L'altéré Mufulman l'auroit epuifée, li Gemelli n'eût ordonné à fon valet de la remplir d'eau, ce qui arfoiblit tellement ce qui y ref-toit de vin, que le Turc n'en voulut plus boire, & la rejetta avec des marques de dégoût. Après qu'ils eurent fait foixante „ Norotïtmt milles, le vent leur manqua : neut des hommes defcendirent à terre, & hâlerent la barque. Ils pafferent ainfi Scilmo, fameux pour les bleds qu'on y embarque, Albici, Nahari, 6c plufieurs autres petits villages 8c" diverfes Ifles formées par la rivière. On y laboure la terre avec des bœufs & des buffles, dont les Arabes mangent la chair, quoique le mouton foit leur nourriture la plus agréable, aufîi ceux de ce pays font remarquables pour la groffeur, pour être très gras, & pour la beauté de leur queue, qui pefe fouvent plufieurs •livres. Au lieu de pain les Mahomé- Gtmeeli. *"ms mangenr quelquefois une efpece chap. il. cle grain, qui a le goût des châtai-An. ut* gn^s, Se qu'ils mêlent avec de la -veffe defféchée. A droite de la rivière, Gemelli remarqua beaucoup d'arbres femblables aux mûriers blancs, qui produifent un fruit à peu près comme les nefîles , Se dont le goût eft très doux : on le nomme giummi ou figues de Pharaon. Pour le rendre meilleur, les Arabes le battent avant qu'il foit mûr, ce qui en fait fortir un jus, qui le rendroit mal fain, s'il y demeuroit. Cemrfii ar- Us s'arrêtèrent au village de Ter-ivca uac-rana? ou ]e patron voulut célébrer la grande fête, que les Turcs appellent Agiram-Bairam. Pendant qu'ils y étoient occupés, Gemelli fe promena dans la place, Se remarqua un .grand monceau de la terre nommée natron, tirée d'une montagne voifi--ne, pour être tranfpottée en différentes parties de la Chrétienté, où i'on s'en fert à enlever les tâches, Se -à blanchir les draps. Le mercredi 12 ils continuèrent leur voyage, virent continuellement des villages à droite &: à gauche , pafferent devant une grande ville, nommée Ménouf, éloi- des Européens. 247 gnée de fix milles de la rivière, & Gemelli, le ibir ils arrivèrent à Bulac, qui eft Ohap.ik l'endroit où s'arrêtent toutes les bar- An. 1093» ques qui viennent de la haute Egypte, d'Alexandrie ou de Rofette. Le lendemain, Gemelli étant de- DéborAr-fcendu à terre vit tout le pays cou- mcnt du Nil vert par les eaux de la rivière, ce qui reffembloit à une mer. Le 17 d'Août le fleuve étant monté à fa plus grande hauteur, le Bâcha fit annoncer la folemnité par un crieur public, & fe mit en marche avec une grande fuite , pour la cérémonie de couper la chauffée d'un petit bras du Nil, nommé Xalie, afin que les eaux fe puffent répandre fur les terres des environs du nouveau Caire. Cette cérémonie eft le fiijet d'une grande joie parmi les Arabes , qui tirent un bon ou mauvais préfage pour leurs moiffons fur l'élévation des eaux au Nilofcope, mefure fixée dans une Ifle près le vieux Caire. Cette inondation annuelle engraiffe tellement le terroir, que les fermiers font fouvent obligés d'y mêler du fable ; & s'ils n'étoient pas aufli pareffeux, ils .pourroient aiiément recueillir deux ■moiffons. L iv Semelli. ^luac •> *e Doéteur & fon va- chap. il. let, montés fur des ânes, fe rendk-An. 1693. rent au grand Caire , 011 il logea il arrive dans la maifon des Cordcliers, &: t» Caire trouva que le peuple célébroit la fête du Bairam, qui avoit été faite le jour précédent dans les villages. Un grand nombre de Mufulmans fe rendoient aux cimetières avec des lumières, pour vifiter les tombeaux de leurs amis décédés : ils orfroient dans les places publiques des bœufs , des chevreaux coupés, des moutons & des oifeaux en facrifice à leur Prophète : le peuple les mangeoit enfuite, 6c la multitude s'amufoit à regarder huit enfants qui tournoient dans une roue. p«Coptes. Gemelli ayant dîné avec les religieux , partit pour le vieux Caire, accompagné d'un de ces Moines , &C logea également dans leur maifon. Le même jour il vifita l'Eglife Gré-que, bâtie au dedans du fort, où il vit le bras de Saint George. Le château eft une obfcure prifon, & l'Eglife un médiocre édifice , qu'on dit qui a appartenu aux Coptes, ou anciens habitants du pays. Les reffes miférables de cette nation font éta- \>\is dans un diftriâ: particulier près Gemelli. du vieux Caire, où ils ont cinq Egli- Chap. 11. fes 6c un Patriarche. Ils y mènent ^r. une vie très auftére 6c très malheu-reufe, ne vivant que de pain & d'eau, d'herbages 6c de légumes. Le vieux Caire fitué fur la rive . . droite du bras du Nil, eft prefque du vieux c»i. entièrement dépeuplé, & les ruines,re» qui en font très étendues, ne pré-fentent qu'un trifte afpecl. Les greniers de Jofeph , qui ont environ un mille de tour, font renfermés par une muraille, 6c partagés en quatorze grandes places, qui fervent de magafins à bled. Elles font toutes découvertes, parce qu'il ne pleut jamais , ou au moins très rarement en Egypte. On y montre l'endroit oh fut trouvé Moïfe dans une corbeille flotante fur les eaux du Nil, près le palais des Rois , où il y a présentement une Mofquée avec des jardins 6c des maifons affés agréables : l'ifle oii l'on mefure l'accroifîèmenrt du Nil eft dans le voifmage. On voit toujours fur ce fleuve un grand nombre de barques chargées de bled excellent, qu'on apporte.,du royaume de Seyd, 6c qui appartient à un Pria* 250 DÉCOUVERTES Gemelli cc Arabe, tributaire du grand Seî-Chap. 11. gneur. Sur le bord oppofé eft la ville An. de Ciza , fameufe pour les beaux édifices que les Princes Mamelucs y «avoient conftruits. Dans les villages circonvoifins, les Arabes font éclore des oeufs avec des fours artificiels, en les retournant fouvent pendant les quatorze jours que dure cette opération. Maifon de Gemelli, fous la conduite de quel-lasaint*\ijr.ques pères Cordeliers, alla voir la maifon, où Ton dit que la Sainte Vierge demeura fept ans avec l'enfant Jefus, lorfque Saint Jofeph prit la fuite avec elle, pour éviter la cruauté d'Hérode. Elle eff enfermée dans une Eglife des Coptes, qui montrent une chambre dans le mur, où la Sainte Vierge repofoit avec l'enfant ; une table de pierre fur laquelle -ils mangeoient, avec une groffe pié-■ce de bois tic un clou, qu'ils afliirent :être des refhss de l'Arche de Noë. On dit la Meffe fur l'Autel de l'E-glife, & l'on y fait la Ieclure de l'E--vangile en ancien Egyptien, dont ces -Moines n'entendent pas un feul mot : il y a près de cet Autel des fonts en -forme de puits, qù l'on haptife les dès Européens, fft garçons quarante jours après leur Gfmellk •naiiTance , tk les filles après quatre- chap. 11. vingt jours ; on circoncit enfuite les An. 1693. enfants de l'un tk de l'autre fexe. Gemelli revenant de cette pro-. Gemelli , . . . t V-« • ïnfnltéparlci menade vit les ruines du vieux Cai-T««, re, qui font rrès étendues , tk remarqua particulièrement les aqueducs qui conduifent l'eau du Nil dans le château du Bâcha fur de grandes arches, l'efpace de trois milles. Il rencontra en chemin une partie de la fuite du Bâcha , qui venoit de fou-haiter les bonnes fêtes à quelques -uns des principaux du vieux Caire. Ils étoient précédés par quatre tambours , tk par deux dervis avec leurs bonnets en pain de fucre ; mais ce qui méritoit le plus d'attention, étoit un Santon, efpece de Moine demi-nud , avec un bonnet tout déchiré , & un habillement en lambeaux, entouré d'une fi grande multitude de t gens, qui vendent lui marquer leur vénération, que le Docteur ne pût paffer.Cette populace paroiffoit tran£ portée d'un tel entounafme pour fon prétendu Saint, qu'un des Pères qui accompagnoicnt Gemelli fut infulté , moqué, & même battu, tk que fe 'if-l DÉCOUVERTES Gemelli. docteur lui-même fut en danger, 6l Chap, 11. ne dût fon falut qu'à un Chrétien An. lós?. Maronite, qui empêcha un Arabe de le frapper avec un long baton. Réjouiflan. Pendant cette fête des Turcs, on •«Mu Bai- yoit un grand nombre de chefs Arabes fe promener dans les rues fur des chevaux joliment caparaçonnés : mais ils font obligés de mettre pied A terre quand ils rencontrent quelque Officier de juifice. Les Janiffaires font l'exercice en plufieurs endroits, par forme de parade, & un grand nombre de vagabonds, avec des bouteilles d'eau rofe , en jettent fur les paffants, pour en avoir quelques petites pièces d'argent. Ce qui furprit particulièrement notre Auteur, fut la vue de huit femmes mafquées, qui pafferent en faifant des cris horribles , comme fi elles euffent été pof-fédées ; mais cette cérémonie n'étoit autre chofe qu'une invitation à des noces. ©efcrïptïon Le Caire, autrement nommé Mem-0°CîUre- phis, fitué près les bords du Nil, étoit autrefois une v lie très florif-fante, qui avoit fes Califes & fes Sultans: mais elle a beaucoup décliné de fon ancienne fplendcur depuis plus des Européens, if?_ eux llecles, qu'elle eft fous la do-QEM£LLI( mination des Turcs, qui y envoient chap. il, un Bâcha pour Gouverneur, avec An. u% toute l'autorité d'un Viceroi. Outre l'oppreffion fous laquelle gémit cette ville avec des Gouverneurs aufîi def-potiques, elle a foufTert des pertes immenfes par la perte, qui a enlevé une grande multitude d'habitants : cependant les Millionnaires 6c les Marchands Européens foutinrent à Gemelli qu'elle en contenoit encore cinq millions. Notre Auteur regarda toujours ce compte comme très exagéré, particulièrement après qu'il eût fait en deux heures 6c demie le tour de toute la ville, accompagné d'un Janiffaire, 6c monté fur un âne, d'où il jugea que ce circuit peut être d'environ dix mille, d'autant que les ânes d'Egypte vont un très grand pas. Il eff vrai qu'il y a beaucoup de rues, que les maifons font très peuplées , 6c que Bulach , le vieux Caire 6c les fauxbourgs n'étoient point compris dans cette enceinte. Les maifons font bâties fans aucun goût, avec des-murs de terre, 6c de briques mal cuites : mais la ville peut être regardée coname un magafin des plus pré- i^EMELLi. cieufcs marchandifes, qui y font ar*i «iap. h." portées par les Perfans. On les trou-An. 1693. ve principalement près le canal d'Ali, & il y a aufli une telle quantité de provisions de toute efpece, qu'uu homme peut y acheter pour fix fols tout ce qui lui elt néceflaire pour un repas. Lorsqu'un Mufulman de quelque confidération meurt, on tue des vaches, des moutons & des brebis pour en diflribuer la chair aux pauvres : les Turcs font aufli la charité aux oifeaux du Ciel ; on voit tous les jours du bled qu'on met fur une tour pour nourrir ces animaux, & cette provifion leur efl laiffée par le teffa-ment de quelque dévot Mufulman. Château du Gemelli étant invité par M. Mail-1 let, ConfuI de France, de demeurer dans. fa maifon , accepta cette offre gracieufe. Le famedi 16, accompagné de deux Pères François, d'un -Interprète Juif & d'un Janiffaire, il alla voir le château, qui paroît comme une petite ville de trois ou quatre milles de circonférence : mais les • tours tomboient en ruine, les murs étoient détruits en plufieurs endroits, & les fortifications fi peu propres à fe défendre contre les méthodes mo- des Européens. 155 Sernes d'attaques , qu'il feroit bien- QEf^ELLll tôt réduit par un fiége régulier. Il chap. 11. entra dans la falle du Divan , qui a . au lommet une grande coupole ; vit tout ce qui méritoit fon attention, excepté la tour où l'on conferve le tréfor, ek l'appartement du jeune Aga des Janiffairés , où il n'eff pas permis d'entrer. En payant un fequin, il obtint du Bâcha la permiffion de voir le puits de Jofeph, qui elf d'une profondeur étonnante , & tout taillé dans le roc. L'eau eff d'abord élevée du fond par une roue que font tourner des bœufs, &c qui la conduit dans une citerne faite pour la recevoir , environ à cent quarante pieds au-deffous de la furface de la terre. De cette citerne elle eif conduite par une pareille machine à l'embouchure du puits, dans des vafes de terre. Pour y defcendre on a taillé dans le roc de larges dégrés, avec un mur de lix pouces d'épairfeur du côté du puits. En revenant ils rencontrèrent une bierre couverte d'un drap mortuaire verd, foutenu aux quatre coins par des Prêtres Mahométans, qui por^ t oient des bannières de la même cour iGiMELLi. ^eur : ce ^raP ^toit deffiné pour lë cuap. 11. ' tombeau d'un de leurs Santons, ou Aa. «5>j. faims perf'onnages, & on le portoit en procelTion pour exciter la charité du peuple. " Ils allèrent enfuite voir le palais d'Ibrahim Beg, qui commandoit alors en Candie, mais ils ne purent entrer dans tous les appartements. Ils furent très bien reçus par fon Intendant qui les régala de carfé, de forbet & de tabac dans une gallerie, où il y avoit un fofa couvert de nates, tk de très beaux tapis. Il y fouffloit un air très agréable dans un pays chaud, tk la vue s'étendoit fur un jardin planté de vignes, de cyprès, de palmiers tk d'orangers. Les chambres étoient fpacieufes, peintes tk dorées à la manière du pays , Ôc ils virent un grand nombre de daims tk de chèvres fauvages qui paiffoient dans une cour tres étendue. De ce palais ils pafferent à celui de l'Amiral, qui eff auffl Surintendant de la Caravane de la Meque, compofée d'environ foixante mille pèlerins. Cette place rapporte cent mille écus, d'autant que le Grand Seigneur lui accorde mille fecmins des Européens. 157 par jour, tant que dure le voyage. GfMELLl4 Son palais leur parut plus magnifique chap. 11. qu2 celui d'Ibrahim; mais comme An. 1653, l'Amiral étoit abfent, ils ne purent entrer dans les appartements. Le lendemain Gemelli alla quatre .Entrée de lieues à l'Orient du Caire, pour y ^g,Ha,Mt* voir un obélifque placé en un endroit qu'on appelle le jardin du Baume. Il y a une fontaine, auprès de laquelle on dit que la Sainte Vierge fe repofa, Iorfqu'elle vint en Egypte avec l'enfant Jefus, fous le couvert d'un grand arbre qu'on a long-temps refpe£té par dévotion. Cet obélifque qui eft du petit nombre des monuments reliants de l'ancienne Hiéra-polis, paroît avoir cinquante - huit pieds de haut, & les côtés en font couverts de hiéroglyphes. En revenant de cette promenade, ils virent l'entrée de l'Aga Hamet, qui appor-toit au Bâcha , de la part du Grand Seigneur, un préfent de bottes, de felles, & d'eïpece de culottes, ce qui eft ordinairement pour marquer que ce Bâcha fera bien-tôt rappelle de fon Gouvernement. Cet envoyé fut d'abord reçu dans un jardin hors de la ville par le Chiaga ou Lieute,- Gemelli nant ^u ^acna ■» oui lui fournit tout Chap. il, ce qui étoit néceffaire pour ion en-An. i693. ttce publique. Il étoit précédé de tambours, de trompettes, tk de deux cents foldats bien montés, fuivis de deux hommes, dont un portoit le cimeterre, tk l'autre un baflin couvert d'un voile de foie, où étoient les culottes tk les bottines. Après eux marchoient cent Janilfaires à pied, habillés de verd tk de rouge, avec de grands bonnets fort larges , crui leur tomboient fur le dos, tk qui étoient arrêtés fur le front par des plaques d'argent, très bien travaillées. L'Aga qui les fuivoit accompagné du Chiaga, portoit la lettre de l'Empereur fur fa poitrine, tk la marche étoit terminée par deux troupes de Cavalerie, dont les Officiers avoient des malfes garnies d'argent, qu'ils portoient fur l'épaule. Cette cavalcade fe rendit au château , où le Bâcha l'attendoit pour y recevoir l'Aga. Des B«aa; t, Le mar(li r g ? le Dofteur monta fur un âne pour aller aux Bazars, où ils trouva de riches boutiques. Il y rencontra un homme d'environ quarante ans, entièrement nud, avec des Européens. 259 une longue barbe , & entouré d'une Qr.MELLI; foule de peuple,qui le révéroît comme chap. il. un faint. Il étoit aufli fuivi d'un grand An# X693t nombre de femmes, qui avoient le malheur d'être Aériles, bc qui bai-foient dévotement ce que le faint auroit dû cacher. Le lendemain Gemelli fe joignit à Pynmii une compagnie de François, qui avoient fait la partie d'aller voir les Pyramides, & ils partirent pour Bou-•lac, montés fur douze bons Anes. Ils y prirent un batteau, parce que toute la campagne étoit couverte des eaux du Nil, & avant midi ils arrivèrent à ces énormes mafles de pierre, qui font à douze milles du Caire. Le Docfeur & quelques autres montèrent au fommet de la première par des dégrés, qui vers la baze font de quatre pieds de haut &c de trois de large, mais ils font plus aifés vers le fommet , d'où l'on découvre une vafte étendue de pays, ou plutôt un défert de fable. Après être descendus avec allés de difficulté, ils allèrent à une autre qu'on appelle le tombeau de Pharaon, où l'on entre par un trou à moitié rempli de fable. .Cette grande pyramide entourée de Gemelli deux cents huit dégrés de pierres; Ch»p. ii. étoit, dir-on, couverte ancienne-An. 1693. nient de marbre. Elle a cinq cents vingt pieds de haut : chaque côté a de largeur fix cents quatre-vingt dVux pieds, tk le fommet compofé de douze grandes pierres plattes efl: un quatre, dont chaque côté a feize pieds huit pouces. Il faut avoir le bras bien fort, pour qu'en tirant une flèche de ce fommet, elle tombe hors de la bafe. Quand ils furent entrés ils montèrent feize dégrés, trou* verent un chemin pavé qui defcen-doit en pente douce, dont la hauteur étoit de trois pieds, la largeur à peu près de même, tk la longueur de foixante tk feize pieds. A l'extrémité de ce paflage ils virent un efpace d'environ dix pieds de large, d'où ils pafferent par un chemin de même longueur, & qui monte en pente douce. Il fe partage enfuite en deux, dont un qui eff uni a douze pas de largeur, tk fe termine à une chambre ; l'autre, large de fix pieds quatre pouces va en montant l'efpace de cent foixante tk deux pieds , jufqu'à une gallerie, qui conduit dans une pièce de trente-deux pieds de long, feize de large & dix - neuf de haut, ô^nTelliT avec un plafond de neuf grandes chap. II< pierres. Dans cette chambre, qui elf AB. l69m a peu près au tiers de la hauteur de la Pyramide, ils virent un tombeau vuide de marbre blanc, rouge & noir, d'environ fept pieds de long % trois pieds de large, & de plus de trois pieds de haut ; c'eff où l'on dit que le corps de Pharaon fut ou déçoit être dépofé. Entre ces deux chemins eff une efpece de puits, où fe fît defcendre un homme, qui trouva à foixante & dix-fept pieds de profondeur une ouverture quarrée , laquelle le con-duifit à une petite caverne, taillée dans la pierre tendre, à l'Ouefl de la Pyramide. Cette caverne fert d'entrée à un paffage oblique d'environ deux pieds de large, & de deux pieds & demi de haut, par où l'on deicend à cent vingt r trois pieds de profondeur , jufqu'à un endroit où le paffage eff bouché de fable oc de décombres. On prétend que c'eff l'entrée d'un fouterrain, qui conduit à la tête d'une ffatue coloffale qui étok dans le voifinage de, cette pyramide, Ïjemelli narcllies Egyptiens. Peut-être les ont-Chap. 11." ils fait élever dans la prévention où iU. i69i. ds étoient, que les ames ne quit-toient point leur demeure, tant que les corps ne fouffroient pas la corruption , croyance qui a aufli introduit chez ces peuples l'art tk l'ufage d'embaumer les morts. Cette opération fe faifoit fur les perfonnes de diftinefion, en leur ouvrant le ventre avec une pierre aiguë, nétoyant les entrailles avec du vin, ou des liqueurs fpiritueufes, rempliflant les intelf ins & les cavités de myrrhe, de cafle, & d'autres poudres aromatiques. Ils mettoient le cadavre ainfi préparé dans le nitre pendant foixante & dix jours, après lefquels ils le lavoient de nouveau, bc l'envéloppoient de bandes de toile, imbibées d'une efpece de gomme qui réflfloit à la pu-tréfation. Ils plaçoient les corps ainfi embaumés dans des coffres de bois de mûrier noir, taillés grofliérement fur la hauteur, tk la figure de la per-fonne : on en trouve encore dans les caves où ils étoient dépofés, Outre les pyramides dont nou9 avons parlé, il y en a environ trente autres, difperfées dans le défert. Gemelli bês Européens, itf 5_ rnelli & fes compagnons ne voulu- gemelli. rent pas en faire le voyage ;.mais ils CHay. 11. i'éfolurent de voir les fépulchres des Am l69Jt Momies, que les avares Arabes cachent foigneufement, & ne découvrent aux Européens que pour des fommes exhorbitantes, Nos voyageurs ayant payé vingt Puits d« •pièces de huit à ces barbares, ils Mom,eî* . les conduifirent à la bouche d*un puits de quarante-deux pieds de profondeur. Ils y defcendirent en mettant les pieds dans des trous de chaque côté, creufés dans le roc pour cet ufage : quand ils furent au fond ■ils fe trouvèrent dans une pièce de vingt pieds en quarré, où il y avoit autour les tombeaux des perfonnes diifinguées, & les corps des valets ou elclaves étoient épars fur le plancher. Ils y virent deux Momies ordinaires dans de fortes caiffes de mûrier, avec quelques petites figures de craye, & une tête embaumée que le Docteur emporta. Les corps • font quelquefois dans ces caiffes , & quelquefois dans des tombeaux de pierre, taillés fuivant leur grandeur &: leur groffeur : il y a ordinairement fous leur langue une pièce Tom. VUL M Gemelli ^or > Peut deux piffoïes ; Chap. 11.' ce qui fait que les Arabes défigurent les Momies pour les avoir. On trou* An. i«9$. r i tj , x . a ve fouvent de pentes Idoles a la tete, oz des figures d'oifeaux aux pieds, avec des hiéroglyphes fur les murailles , ce qui fervoit peut-être d'épi*-taphes aux défunts. i-Labyrin- Après avoir examiné ces fouter-reins funèbres, Gemelli & fes corn* pagnons allèrent voir le labyrinthe où l'on enterroit anciennement les oifeaux. Ils y defeendirent par un étroit paffage, qui les conduifit dans une pièce d'où ils entrèrent en rampant par un trou, dans plufieurs allées ou efpaces allés grands, pour qu'un homme y pût être debout. De chaque côté ils virent les urnes où l'on depofoit les corps des oifeaux, mais on n?y trouve à préfent que de la poufîiere. Ces efpaces, qui font • pratiqués dans un terrein de pierre, rempli de nitre , occupent plulieur-s milles fous terre comme une ville, & c'eff ce qu'on nomme le labyrinthe. Exercice Le foir ils revinrent au Caire, yy2.vaKrS; virent en chemin les foldats Turcs emi faifoient l'exercice, au nombre des Européens. 167 de quatre mille Cavaliers, qui cou-qemelli; joient deux à. deux à toutes brides, chaP. u. jettant leurs lances avec la plus gran- An. 1053. de adreffe. Ali, qui étoit alors Bâcha , leur voyoit faire cet exercice tous les mercredis bc les famedis, fur le balcon d'une perfonne de dif-tindüon , accompagné de plufieurs Beys & Princes, avec leurs efclaves & leurs fuites, affés bien habillés. Il y avoit au Caire dix-huit Beys, dont les revenus montoient à cinq cents mille écus chacun, qu'ils dépenfoient en chevaux & en livrées pour fou-tenir la magnificence de l'Empire Ottoman. Mij Gemelli. Chap. ui. An. iösj. . , , CHAPITRE III. gemelli continue fon voyage à Jêrujalem. c- ü i£ * \ t as * 'ju ^nSf'ifrrniuîB - n .oiiiir Gemelli part \ jTALGRE les follicitationS dll (aJem.Jéri1 Confui de France, qui invita Gemelli à refter avec lui la tète de S. Louis, il prit congé de ce généreux hôte, & le vendredi 21 il partit pour Boulac. Il rencontra le convoi d'un Turc de confidération, avec un grand turban fur la bierre , précédé de quelques Prêtres chantants, & fuivi de quelques pleureufes montées fur des ânes. Gemelli s'embarqua fur le Nil pour Damiette, &C en fuivant la branche du fleuve, moins profonde que celle qui conduit à Rofette , il arriva le famedi matin par un pays très peu habité à la ville de Damiette, après avoir fait cent huit milles. Il alla loger chez un Maronite, Procureur de la maifon religieufe qu'ils ont au Caire, auquel il fut recommandé par le Père Préfident, parce qu'il n'y avoit à Rofette ni Couvent , ni Comptoir, ni ConfuI François. Damiette , fituée fur les bords du qeMelli. Nil, à trente dégrés de latitude, elt chap. m. «ne ville petite 6c mal peuplée , An l69U parce que l'air y eft très mal faim Elle a d'étendue environ un mille en D^»ip"<>«» ou r • j de Damictw. tout lens, & Ion y fait un grand Commerce , à caufe de la commodité du port. A une petite diftance du côté de l'Eft, furie fommet du Mont Caffius, eft le tombeau de Pompée, qui a été reparé 6c orné par l'Empereur Adrien. Gemelli ayant appris qu'il y avoit Exaftion a 1 embouchure de la rivière un bâtiment chargé peur Jaffa , réfolut d'en profiter ; fit promptement les provi-ïions néceffaires pour le voyage, & fe munit particulièrement de mulet fec, qui eft un poiffon très bon, 6c à bon marché. Lorfqu'il paflb.it devant la douane, le Janiflaire lui demanda un fequin pour la permiflion de s'embarquer; mais le Dofteur ayant infifté fur le privilège des François, il en fut quitte pour un quart d'écu, encore ne l'auroit-il pas payé fi le Juif, qui fervoit d'interprète, n'eût refufé de parler en fa faveur, par la crainte de la baftonade. Le bâ--liment étoit à quatre miiles plus bas, M iij ÏEMELLI. & cet homme refufa abfolumenr d'y Chap. m. accompagner Gemelli : il fut donc Au, i6n. obligé de fe mettre avec des bateliers, dont il ne pouvoit entendre le langage, &: fut encore arrêté par un More de Hisba, qui le força de payer deux écus de Hollande avant de le laiffer paffer, malgré toutes fes remontrances, & la menace qu'il fît à ce More d'en écrire au ConfuI, pour qu'il portât au Bâcha fes plaintes de cette exaction. Le fourbe Ethiopien perfilfa toujours dans fa demande ; lui dit qu'il commençât par paye/ 6c qu'il écriroit enfuite tout ce qu'il voudroit, ce qui obligea Gemelli d« lui donner ce qu'il exigeoit. Il fern* ble que ce foit une partie de la religion de ces barbares de piller les étrangers ; car les mariniers exigèrent plus que ce qu'ils ont coutume de prendre pour le paffage , 6c le Raïz ou Patron du bâtiment, voyant que le Docf eur marquoit une grande joie d'y arriver, ne voulu: pas fouffrir qu'il entrât dans fa barque, avant d'être convenu qu'il payeroit le double du prix ordinaire. Tout homme qui voyage dans ce pays dok metrre la patience au nombre dei bis È u r ö p i ê N S; 271 principales provifions qui lui font né- gemelliJ ceffaires. chap-ni' Ils mirent à la voile avec un vent a*. iö$>3>. favorable le foir du Dimanche 23 j 11 nvtye à côtoyèrent un terrein fabloneux & Jaffa* défert, & après ùn cours de cent milles ils arrivèrent au port de Jaffa la nuit du lundi. Gemelli paya un fe-» quin & demi pour hii & pour fon valet au Raïz, & alla loger chez un interprète Juif, où descendent tous les Chrétiens qui vont à la Terre Sainte. Jaffa ou Joppé elf le port de la Paleffine, fitué à 3 2 dégrés de latitude , & les gens du pays difent que cette ville a été bâtie avant le déluge par Japhet fils de Noë\ C'elf le port où Ton débarqua les matériaux pour le Temple de Salomon : f endroit où les anciens ont fuppofé qu'Andromède fut expofée au monifre marin, & le lieu où Saint Pierre reffufcita Ta-bithe. Pendant le féjour que Gemelli fit à Jaffa, pour y attendre la caravane de Rama, il s'éleva un violent orage, qui détruifit prefque tous les vaiffeaux dans le port; la barque dans laquelle il étoit venu fut dit nombre, mais tous les hommes fe Jfauverent à la nage. Miv JEMüLU. Le mercredi 26, il monta fur un Ciup. m. âne, fe mit en marche avec une pe-An. uvj. tite caravane de trente chameaux, 11 arrive à fit environ dix milles dans un pays Laaw, tôt, en partie labouré, & en partie planté d'oliviers. A la pointe du jour il arriva à Rama, 011 il tut reçu par le fupérieur des Cordeliers de Jéru-faleni, qui fit part de fon arrivée au Père Gardien, pour qu'il lui accordât la permillion de fe rendre dans cette ville. Rama remarquable par la fépul-ture de Rachel, cc par le maffacre des Innocents, eff une petite ville ouverte, habitée par des Arabes, des Juifs & des Chrétiens. La campagne des environs produit en abondance du bled, de la vigne , des figues & des melons. A trois milles de diftance eff un endroit nommé Leda , où Saint George eût la tète tranchée , c'eft préfentement une Eglife deffervie par les Grecs. Dans le voifinage eft une mofquée , autrefois Eglife Chrétienne, bâtie par fain-te Hélène, & fous le maître Autel, elle fit enterrer les corps de quarante Martyrs qu'elle avoit fait apporter d'Arménie. On y voit auffi la maifoi> &e vNicodême, qui defcendit Jefus- gemelli" Chrift de la Croix. chap- ul' Le vendredi 18 , la permifTion du An. 1693. Père Gardien de Jerufalem étant ar- Voyage de rivée, Gemelli paya quatorze ducats falae^àJ^ à titre de carrare ou de tribut au douannier, qui lui fournit des chevaux : le lendemain il partit de Rama , accompagne de quelques Pères, &: du Cadi, ou Juge qui retournoit à Jerufalem. Ils firent douze milles dans la plaine, & quatorze fur les montagnes à l'ombre des Oliviers; parlèrent par le village du bon larron, virent celui de Jérémie, 6c à peu de diftance on leur fit remarquer le lieu oii nacquit faint Jean-Baptiffe. Us pafferent un pont, entrèrent dans une vallée, fameufe par le combat de David 6c de Goliath, & virent fur une colline voifine le château d'E-maiis, où les deux difciples reconnurent Notre-Seigneur après fa ré*, furreètipn. Quand ils arrivèrent à Jerufalem , 11 arrive les Pères avertirent Gemelli d'entrer viSi.""* par la porte de Damas, afin que les Turcs le viffent, 6c reçuffent le tribut; mais n'ayant trouvé perfonne * cette porte, il fe rendit direéte-- M- v *74 ö fi COUVERTES G t m t l l i. ment au Monaflere de Saint feuS* Chap. m. veur. Le Gardien craignant quelque An. i&9î. avanie, l'engagea à.rcrourner, 6c à taire favoir Ton arrivée aux Turcs, qui enregistrèrent aufli-tot Ton nom. Il fut enfuite reçu très gracieufement au Monaffere, qui elf petit, mais affés bien bâri : le Service y eff célébré par cinquante dévots religieux. Defcription. Quelque étendue, oz quelque ma-JeJeiu£akm..gruhcence que Jerufalem ait eue autrefois , cette ville efi à préfent rer> fermée dans une circonférence ds trois milles , & le nombre des habitants ne monte- pas à vingt milieu Elle eff fituée entre le mont de Calvaire 6c celui des Olives, a iix portes , 6c eft environnée de fimples murs, 6c de tourelles, fans bâfrions , fans canons , 6c même fans folfés pour les défendre** excepté du côti de l'Ouefl, où il y en a un de fort peu de profondeur. Affés près eff un château bâti par les Pifans, fur les ruines de la tour de David.; il commande aux murs, & l'on y entretient une petite garnifon, avec quelques pièces de canon démontées^ Defcrfption- Les habitants, n'ont d'autre eau f tb-U™* tP£ C€lIe amaifent dans des ciV ternes, excepté celle dé la fource gemelli.' nommée fons Jîgnatus , qui efî toute cnap* employée pour le palais du Gadi, en- An. «93. forte qu a Jerufalem l'eau efl aufîi chère que le pain, &t même celle qu'on y boit efl purgative. La ville éc le pays des environs efl gouverné par un Sangiac , fubordonné au Ba-eha de Damas. Gemelli alla vifiter les faints lieux, accompagné d'un Père chargé de cet emploi. If monta fur le Calvaire par un nombre de dégrés ; entra dans une petite Eglife, bâtie, difent les Grecs, à la place ou Abraham voulut facrifier fon fils-Ifaac, & fur la même hauteur vit un endroit voûté & obfcur, qu'on appelle la prifon de faint Pierre. Dans une autre Eglife Grecque, on lui fit voir le lieu où nacquirent faint Jean Evangelifle, & faint Jacques; ce derrière on lui montra les appartements où demeuroient les Chevaliers du iaint fépulchre. Ils pafferent en-fuite feus* une arcade qu'on appelle la porte de fer, par laquelle faint Pierre fut conduit par l'Ange qui le' délivra de prifon. Plus loin ils trouvèrent l'Eglife de feint Marc r où l'on dit que les Apo- Mvjj \j6 découvertes ftibMLLLi. tres ont baptifé dans des fonts dei cinp. Uf. pierre qu'on y voit encore; c'efl à-An. I65J. préfent une petite Eglife qui apparu tient aux Syriens. La maifon de faint Thomas eft actuellement une mofquée 9 & celles de Cléophas, de Jacques Si de Salomé, font inaccefîi-bles, parce qu'elles font habitées par des femmes Turques.. De-là ils pafferent à FEglife de Saint Jacques, où il y a un bon Monaflere habité par cinquante religieux Arméniens. Cette Eglife a été bâtie par les Efpagnols en l'honneur de faint Jacques, dans lie lieu oii il fut décapité : on fait voir l'endroit où il fourfrit le martyre fous une petite arcade dans la troifieme Chapelle à gauche de la porte ; &. dans la première on révère le corps de faint Macaire, Evêque de Jerufalem. Dans une ifle à gauche on voit trois pierres marquetées, & l'on dit que Moïfe brifa les tables de la Loi fur la plus grande : la féconde a été tirée du Jourdain, près de l'endroit où' Jefus-Chrilf fut baptifé par faint Tean; & la troifieme a été apportée du; mont Thabory où il frit transfiguré; Tous les pèlerins qui vont vi-fas les faints. lieux x font logés corn.- ©es Européens. 177_ iriodément par ces Pères Grecs, ôc^melli? ils leur fourniffent des écuries pour Chap.m, leurs chevaux. Hors de la ville, près An. iöjj, la porte de la montagne de Sion eft le cimetière de tous les Catholiques r •& dans le même canton on montre les reftes d'un ancien mur de la maifon cù mourut la fainte Vierge^ En payant un fequin , le Docfeur Eglife At eût la permimon d'entrer dans YE-st^sA^ glife des Saints Apôtres , qui eff présentement une mofquée de Maho-métans. Elle confifte en une grande nef feulement , fuivanr l'ufage du pays , foutenue par deux pilliers, ôi du côté de l'Oueft eft la tour ou minaret d'où le Santon appelle les Turcs ü la prière. En defcendant quelques dégrés, on entre dans une Eglife fouterraine, ou l'on dit que Jefus-Chrift lit la Pâque avec fes difciples; où il leur apparut après fa réfurrec-tion ; où le Saint Efprit defcendit en '.angues de feu fur les Apôtre3 ; où Saint Mathias fiit élu à la place de Judas ; où faint Etienne fut fait Diacre ; où les Apôtres fe cachèrent pendant la perfécution d'Agrippa; enfin ©ù iis tinrent le Concile, dans lequel1 il fut décidé que la Circoncifion n'i- _ tjî DÉ COUVERTES* CEMELLi. toit pas néceffaire. On y conferve té Chap. i i pi[-er ^u Jefus.Chrîft fut attaché dans* An. 16*3. la flagellation, tk l'on y voit le icpuU chre de David, qui a feize palmes de long, ainfi que l'endroit où fut enterré" le Roi Manaffès. L'Eglife; a été bâtie par fainte Hélène, tk réparée depuis par Sancbe, Reine de| Naples & de Sicile.. ^Suite des Sur 4e Mont Sion, remarquable Bts eux' par les ruines du palais de David , qu'on y voit encore , eft une autre petite Eglife très jolie, deffervie par les Arméniens, fur le terrein où étoit autrefois la maifon du grand Prêtre Gaïphe, fous le porche de laquelle fe ehauffoit faint Pierre quand il renia le Seigneur. On leur montra dans le mur de cette Eglife l'endroit où le coq chanta , tk la voûte fous laquelle Jefus-Chrift fut mis & fouetté la première fois-. Sur l'Autel eft attachée la pierre du faint fépulchre, que les Arméniens ont dérobée aux Catholiques pendant la guerre de Candie, C'eft le lieu où Judas vendit fon Maître , tk où il jetta l'argent avant de s'aller pendre de défefpouv Derrière ïe jardin du Monaftere de faint Jac-«jEues. eit la maifon d'Anne, où Jefus-; des Européens. 279 Chrift fut attaché à un olivier, dont GEMHU [J on voit encore les branches dans le chap. ni» porche d une Eglife bâtie près de ce An. non terrein, & qui elf en la poffeffion des Arméniens. A la diftance de cent pas, hors de la porte fferquilinia, par laquelle Jefus fut conduit chez Anne , on montre une grotte ou cave ruinée , où Pierre pleura amèrement fon péché. Dans la partie baffe de la ville, fous les arches du Temple, eu un fupcrbe édifiée où étoit autrefois l'Eglife de la Préfentaticn, avec un couvent de fuies : prélèntement il y a une mofquée 6c line Qttole de jeunes Turques qui y reçoivent fedu-cation, & font élevées par de vieillies femmes, jufqu'à ce qu'elles foient en âge d'être mariées. Le bazar ou marché, conduit à la porte nommée fpéciofa , par où parla Jt fus-Chrift quand il alla au Temple , 6c difputa. avec les Docteurs. la iainte Vierge fuivit le même chemin lorfqu'elle préfenta l'enfant Jefus à Simeon ; c'eâ. aulli oii faint Pierre guérit le paralytique. Près de cette porte comment cent les longues 6c magnifiques arides qui çonduifent au Temple de ï8o D É C O ü V É ft T. E jf gemelli. Salomon ; mais aucun Chrétien tïê Chap. m. peut en obtenir l'entrée. An. i6pj. Le lundi dernier jour d'août, Ge- Hôpital melli vifita l'hôpital fainte Hélène ± Sainte Héle- qUj eft m granc} bâtiment conftruit pour les Chrétiens qui alloient en pèlerinage. Il elt compofé de plufieurs longues galleries oii l'on voit encore les reftes des chaudières qui fervoient à préparer la nourriture des pauvres. Les Turcs en font le même ufage, & en certains jours ils-y distribuent des aumônes, même aux Chrétiens. Près de la porte faint Etienne, on fit voir à Gemelli la pi-feine de Bethfaïde, qui eft un baflin de pierre de cent pas de long, de foixante de large, oc de quarante de profondeur. Dans la partie la plus-élevée de la même me , on lui montra la maifon du Pharifien, où Marie Magdeleine oignit les pieds du Seigneur, & près du même endroit la maifon de Sainte Anne , où nacquit la Vierge Marie. Les Chrétiens y ont-bâti une Eglife & une Chapelle ; mais elles font préfentement entre les-mains des Mahométans. Sépulture Au-delà du torrent de Cédroit» ie la famte * de j Européens. 1S1 qui paffe clans la ville, eft l'Eglife où gev.ei.li." fut enterrée la fainte Vierge. En de- çtavfl*. fcendant quarante-fept marches, on A.n. 1093. montra au Docteur deux Autels à droite, aux endroits où furent inhumés fainte Anne tk Saint Joachim, & à gauche le lieu où l'on enterra faint Jofeph. Au fond de l'Eglife près le puits, eft l'Autel où les Prêtres Coptes officient; à la droite les Ja-eobites célèbrent le Service Divin ; à gauche les Géorgiens difent la Mef-fe : le grand Autel en dehors appartient aux Arméniens, & il y en a deux autres peu éloignés, qui font pour l'ufage des Syriens tk des Grecs. Au dedans d'une Chapelle très petite eft un Autel à l'endroit oii fut enterrée la fainte Vierge, tk cet endroit appartient aux Pères Catholiques. A droite de l'Eglife eft la cave oit notre Sauveur fua fang tk eau ; elle a été augmentée tk ornée par les Chrétiens , qui y ont donné plus de jour, y ont fait une nouvelle porte, tk ont fermé l'ouverture par laquelle Jefus-Chrift vint du jardin de Gethfémani. On voit encore dans ce jardin huit oliviers, qui viennent de ceux qu'il y avoit dans le temps où le Seigneur iS'i DÉCOUVERtES gemllli. y ^ fa prière. Ce jardin produit d ex^ chip. m. cellentes figues, quoique le terroir* An. 169*. n'en foir guéres meilleur que s'il étoit de pur roc : il a été donné aux Pères* Catholiques par un Anglois, qui l'a acheté des Turcs pour leur en faire préfent. Voyedou- E*1 revenant à la Ville, Gemelli lourcufc. paffa par la voie douloureufe que fuivit le Seigneur, en portant fa Croix, Il entra dans la maifon de Pi-late, & vit l'endroit voûté où Jefus-» Chriff ait flagellé la féconde fois : au-deifus eff le Prétoire, où il reçut la fentence de mort ; c'eff présentement une écurie. Gemelli monta enfuite au fommet de la maifon ^ d'où il vit en entier le Temple de Salomon, qui a fourferr tant de vi-ciflitudes. Il fut d'abord pillé par Sé-fac, Roi d'Egypte, & rétabli par Jofias : enfuite il fût détruit par Se-décias : on le rebâtit, & il fut encore pillé par Antiochus, fils de Se-leucus ; rétabli de nouveau, mafs non dans fon ancienne fplendeur ; & enfin détruit par Titus, fils de Vefpa-fien. L'Empereur Adrien a fait bâtir depuis un Temple de Jupiter fur les fuines , ôc depuis ce temps il a éproiv; des Européens. ïS? vé tant de changements, qu'il eft to- gemelli.' talement différent de Ion ancienne chap. m. ftrudiire. Tout ce que le Dod eur put An. iep* remarquer, fut un grand quarré d'environ un mille de tour, avec douze portes, environné de plufieurs petites Chapelles, qui étoient la demeure des Prêtres ; il vit aufti le Palais du Cadi, où habitoit le Patriarche. On voit plufieurs arbres au milieu d'une place qui conduit à une cour intérieure de forme ronde , laquelle peut avoir un quart de mille de circonférence : elle eft entourée de murs, avec de très belles portes, & des pil-îiers de marbre. Au milieu de cet ef-pace eft le Temple de forme odfo-gone, avec quatre portes, diamétralement oppofées les unes aux autres : il eft bâti en dehors de fortes briques , èV fe termine par une très belle coupole, couverte de plombê Du côté de FOrient, joignant au Temple , eft une gallerie ouverte , fou-tenue par de petits piliers, oii l'on conferve une pierre qu'on y a apportée du mont des Olives, & l'on prétend que Notre-Seigneur étoit fur cette pierre quand il s'éleva dans le Ciel. 1$4 DÉCOUVERTES gemelli." Vis-à-vis la maifon de Pilate eit chap. m. celle où demeuroit Hérode ; quoi-An. i69, qu'elle ait été rebâtie plufieurs fois, Maifo 0n y V01t encore une Pet^te fa^e > d'HéroHe & où Jefus-Chrift fut examiné par ce dcpiiare. prince. Dans une place voifine eft une vieille arcade, qui foutient le balcon, où Pilate expofa Jefus-Chrift à la vue du peuple, en lui difant : « Voilà l'homme. » à quelque diftance de cette arcade eft l'endroit où il tomba fous le poids de fa Croix , & où la Sainte Vierge s'évanouit ; on y a bâti une Eglife qu'on appelle de l'EvanouiiTement. Dans la même rue de douleur eft la petite maifon de Lazare, & celle qu'on appelle le palais du mauvais Riche , élevé fur des arcades, avec un palfage au def* fous. Cette dernière eft habitée par le Gouverneur ; le Bâcha demeure dans^ceîle de Pilate ; & la maifon d'Hérode étoit occupée du temps de Gemelli par un Turc, nommé Mouf-tapha. On montre près de cet endroit la maifon de fainte Véronique , qui, fuivant une ancienne tradition,. jetta un mouchoir pour effuyer le vifage du Seigneur , dont la figure demeura; empreinte fur la toile. On trouve un des Européens. 2S5 peu plus loin la porte de juftice, qui gemelliT eft préfentement murée, &: parla- chaP. ni.' quelle pafla Jefus-Chrift, portant fa As. ts9& Croix. On voit encore le pilier de marbre où la Sentence de mort fut attachée , fuivant l'ufage du pays. A quelque diftance eft une petite tour de pierre, nommée Antoniène, où Saladin fe fortifia quand il prit Jerufalem ; & dans le même canton font les ruines du palais habité par Godefroi de Bouillon. Le lundi matin , le Pere Gardien , nommé Jean-Baptifte d'Aftine fit la cérémonie de laver les pieds à fept pèlerins, du nombre defquels étoit Gemelli, qui fut auffi très bien traité dans quelques légères indifpofitions. Ces bons Religieux s'exercent tous les jours aux acfes d'humilité Chrétienne , & lavent même les plats du réfectoire. La dernière promenade de Gemelli Montagne fiit par la porte de Bethléem , pourdeSion* monter la montagne de Sion : il vit la vallée du mauvais Confeil, où Caiphe & fes partifans décidèrent qu'il falloir que Jefus-Chrift fût mis à mort. On donne le même nom à un petit village d'Arabes, fur le fom- gemelli. met d'une montagne qui regarde fa chap. m. vallée. A l'extrémité font plufieurs An. uçy tombeaux de Juifs, & au pied de la montagne on lui montra le champ facré, qui fut acheté des trente pièces d'argent pour y enterrer les Pèlerins qui mouraient à Jerufalem ; il a trente pieds en quarré, & eft coupé dans le roc. Au delfus il y a quelques ouvertures par où les Arméniens descendent leurs morts : au deffous eft une cave où fe cachèrent huit des Apôtres pendant qu'on crucifîoit le Sauveur : dans cette même cave eft un puits profond, où le Grand-Prêtre Néhémias cacha le feu facré, quand les Juifs furent emmenés captifs à Babylone. On y voit aufîi l'endroit où le'Prophete Ifaïe fut fcié en deux, & un mûrier blanc à la place où étoit le cèdre qui s'ouvrit pour cacher le Prophete. Dans le voifinage on trouve la pifeine de Si-Ioé , qui eft un bnffiri artificiel de quarante palmes de long, de feize de large , & de vingt de profondeur. Il eft rempli d'affez mauvaife eau, qui vient d'une fontaine , où l'on dit que la Sainte Vierge lavoit les linges da l'Enfant-Jefus. des Européens. 2S7 Gemelli fut conduit parla vallée gemelli." de Jofaphat, & vit à la droite le <^ap- Népalais d'Eté de Siloë , où Salomon Ao. Kpa. avoit fes concubines, &: fur le haut Valléc ^ de la montagne le palais de la fille J°frrh". de Pharaon. Au pied de la montagne fur laquelle Judas fe pendit eff le cimetière des Juifs , qui payent un fequin par jour aux Turcs pour avoir la permiffion d'y enterrer leurs morts. Un peu plus loin Gemelli vit le fépulchre de Zacharie fils de Ba-rachie , taillé d'une feule pièce dans le roc. A côté eff la cave où fon dit que fe cacha S. Jacques quand Jefus-Chrift fut crucifié, &- qu'il fit ferment de ne point en fortir que le Seigneur -ne fût reffufcité. Dans le même endroit efl le tombeau d'Abfalon, & celui du Roi Jofaphat. Le Dimanche 2 de Septembre , létha«ieaux piliers, & des morceaux de -Mofaïque 9 d'où l'on peut juger qu'il y avoit un palais magnifique. Près de la fontaine eff une Eglife champ a* dédiée à S. George, avec un mo-ScnMcbcrib« naffere habité par quatre Caloyers ou prêtres Grecs très pauvres, & cependant refpecf és des Turcs mêmes, parce qu'ils y confervent la chaîne dont ce Saint fiit lié, & qu'on prétend qu'elle guérit furement de la folie quand on l'applique fur le col, ce qui réuffit également pour les Arabes & .pour les Turcs, comme pour les Chré- Niv 1<)6 DÉCOUVERTES Gemelli. tiens. A la diftance d'un mille de Be* Chap. ni. rhléem,les conducteurs de Gemelli lui An. t*93. firent remarquer ce qu'on appelle le champ deSennacherib,parce que ce fut .dit-on dans cette plaine qu'il eut cent quatre-vingt-cinq milles hommes de tués en une nuit par un Ange, quand il alloit afliéger Jerufalem. Il y a cependant lieu de croire que ce n'eft pas en cet endroit que s'opéra le miracle, puifque celui qu'on fît voir à Gemelli n'auroit pas contenu le tiers de ce nombre d'hommes. Maifon ie Revenant à Jerufalem , Gemelli SamtcElifa- yit la fontaine où Philippe baptifa l'Eunuque Ethiopien, & fur une montagne voiline la maifon de campagne où ce Saint naquit. Deux milles au-delà de cette montagne eft le défert où Saint Jean - Baptifte fe retira pour 1 éviter la cruauté d'Hérode : on y voit encore l'Aubépine qui lui four-niftbit de la nourriture , une fontaine de bonne eau d'où il tiroit fa boirton , & la cave où il couchoit fur la pierre dure. Le lieu digne de remarque que le Dotteuryit enfuite fut la maifon de Zacharie, où la Sainte Vierge vifita Elifabeth. Il y avoit anciennement un couvent de filles > ôc dans, la cave on trouve une citerne d'eau gemellu très fraîche , mais malfaine. Il paffa chap.ui, enfuite au monaftere de Saint Jean , An. ijgj} & vifita le lieu de la nativité du Saint précurfeur, où l'on defcend par dix degrés. Au fommet d'une hauteur qui regarde le défert fur la même route, on voit une maifon qui eft le lieu de la naiffance & de la fépul-ture des Maccabées : il refte encore fept arcades de leurs tombeaux, & la même montagne eft fameufe par celui de Samuel, fur le terrein du<--quel on a bâti une Eglife. Dans la vallée voifine eft le monaftere de la fainte Croix , où demeurent treize Religieux Grecs, fur le terrein où l'on dit que fut coupé le bois de la Croix ; dans le grand autel eft un trou à l'endroit où étoit l'arbre. Près de Jerufalem eft le palais nommé Gihon , où Salomon fut couronné ; mais il n'en refte prefque d'autres veftiges qu'un grand réfer--voir de cinquante pieds de long de--ftiné à mettre du poiffon.. Les Arabes rendoient les chemins cilamp> & très dangereux , 6c Gemelli feeon-GatawK' tenta .de voir de loin l'endroit où' Jefus-ChriuV rencontra; les deux di&- _2$>3 DÉCOUVERTES jGemelm.' ciples Luc & Cléophas : le village -chap. ui. de Béleazar , où Abfalon tua fort An. i6$j. frère Ammon pour avoir violé fa fceur : la maifon de Cléophas, où: Jefus-Chrift fe fit reconnoître dans la fraction du pain : le champ de <ïabaon où Jofué défit cinq Rois pen-» I dant que le foleil s'arrêta , jufqu'à ce qu'il eût remporté une victoire complette : la fontaine & le fépidchre de Samuel : les tombeaux de quelques Juifs : ceux de fainte Hélène & de la Reine de Saba : les cellules de S. Jean Chryfoftorne, de S. Jean Damafcene & de S. Bafile : la grote ©ù Ton trouva quarante Martyrs : l'Oratoire de l'Abbé Arfene : la fontaine de S. Sabas, & la caverne d'En-gaddî, où David coupa un morceau de l'habit de Saiil. Gemelli en- Le Samedi - , Gemelli paya quinze Spukhrt' Piafn"es Pour l'entrée du faint fépul-chre, taxe impofée par les Turcs fur tous les pèlerins Chrétiens qui arri-'vent à Jerufalem. Il fut reçu dans ce faint lieu par le Pere Gardien , Se par les autres Religieux qui y demeu-. rent. Il y entra en proceffion avec les Pères ou monaftere fupérieur ,. fuirai» l'ufage,. Se fut obligé 4'y paifer des Européens. 2.99 la nuit, parce que les Turcs en fer- SemellR merent la porte , & en emportèrent chaP. ih. les clefs : le lendemain il reçut la An. wi. communion dans le faint fépulchre. Dans la cour, devant la porte de Defcripn«H l'Eglife, on trouve cinq chapelles,^" 9,n connues fous les noms de Sainte Marie de Golgotha , S. George , S. Jean-Baptifte , Sainte Marie Madelaine , S. Michel & S. Ange : elles font en la poffemon des Grecs , des Arméniens & des Coptes qui y font leur demeure. L'Eglife du faint fépulchre eff très ancienne & très fombre , fans autre jour que celui qui vient de la coupole fermée d'un grillage de fer, qui n'empêche pas l'entrée de la pluy e & du vent. Cette Eglife eft ronde, décorée de quatorze piliers de marbre, & de fix anciens pilaftres cjui foutiennent les arcades y au-deffus defquels font plufieurs appartements obfcurs à 1 ufage des Grecs & des ■Franeifcains. Les Grecs ont aufîi une1 très belle Eglife à droite de la porte du faint fépulchre : elle eft ornée die belles peintures, & d'une coupole très bien faite , avec un chœur magnifia que & un autel accompagné aune' chaire fuperbe pour leur ï^triarche» _ 300 Découvertes! gemelli. L'Eglife des Francifcains joignant chap. m aufîi ie fainu fépulchre efl petite , An. v&m. mais ornée décemment : on y voit deux pièces de marbre près defquelles le Seigneur apparut à fa Mere après fa réfurrection , ainfi que le pilier auquel il fut attaché pour être flagellé, & qu'on a entoure d'une grilfe de fer. Dans la grande Eglife , une defcente de quatre dégrés conduit à l'endroit où il apparut en habit de Jardinier à Marie Madelaine. Un peu plus loin eff une autre defcente de trois marches , qui conduit à la pri* ion où il fut renfermé pendant qu'on préparoit la croix zic'eff préfentement une chapelle voûtée très obfcure, foutenue par de petits piliers , qui la partagent en trois ailes. A gauche -9 on. voit encore deux trous où l'on dit que tomba le Seigneur, & derrière l'Eglife des. Grecs eff la chapelle de S. Longin,. médiocrement ornée. Auprès on. en trouve une autre def-fervie par les Arméniens , dans l'endroit où les foldats partagèrent les feabits de Jefus-Chrift.Du même côté eff une defcente de trente dégrés €[ui conduit à la: chapelle de Sainte pélene;,à gauche, eff. celle; dir Jboj* des Européens, foi ï-aron aufli poffédée par les Armé- gSSlÏ? mens : de l'autre côté, il y en a une Chap. ni* occupée par les Grecs, dans laquelle ab, k>* pres des dégrés qui montent au Calvaire , on voit la colomne nommée du Reproche : eue eft de marbre de diverfes couleurs , de trois palmes de hauteur & de fix de circonférence» Onze marches raillées dans le roc conduifent au lieu où fainte Hélène -trouva la croix .- c>ft une chapelle obfcure, mais élevée, qui appartient aux Catholiques. Derrière l'Eglife des Grecs eft un Montage efcalierde dix-huit dégrés qui con- ia Caivww. duit à la montagne du Calvaire, où Fon voit quatre arcades : fous la première eft un trou dans lequel On dit que la croix fut placée ; dans la féconde eft une pièce de marbre qui couvre celui où étoit la Sainte Vierge pendant qu'on élevoit la croix , Tune & l'autre font en la poffeffion des Religieux Grecs. A gauche eft la place où Jefus-Chrift fut attaché à là-croix , & l'on y a élevé deux autels» Sous la quatrième arcade , on remar-r que cinq pierres, qui fervent à re-connoître le lieu où il fut dépouillé» Cette arcade 7 ainfi que la chapelle Ïemelli. de Notre-Dame, qui a une porté cbap. ni p0ur y entrer du dehors, appartie*-ï69h nent aux Catholiques Romains. C'eft l'endroit où étoient la Sainte Vierge & S. Jean quand Jefus - Chrift dit de la croix » Femme , voilà votre » Fils , &c. Chapelle En defcendant du mont du Cal- ïAda». vajre 9 fur lequel les Grecs font leur demeure, le Docteur vit un endroit qu'on nomme 4a Chapelle d'Adam, parce que fuivant une ancienne tradition , on y trouva la tête de notre premier Pere. A l'un des côtés de la porte eft le fépulchre de Baudouin, & à l'autre celui de Godefroi, les deux frères de la maifon de Bouillony avec un troifieme où l'on dit que Xielchifedech eft enterré. Vis-à-vis de la grande porte eft la pierre fur laquelle Jefus-Chrift fut «mbaumé : elle eft de marbre blanc , «d'environ huit palmes de longueur èl quatre de largeur, entourée d'une fealuftrade de fer. Au-deffous on voit lendroit d'où les amis de Jefus-Chrift le virent mettre dans le fépulchre* Tous ceslieuK faerés font éclairés par «les lampes , oc nous lès avons, rapportés dans le même ordre que le» ( bes Européens. 305 _ pèlerins les vilitent en proceffion avec gemellÎ,1 les Religieux. chap ne, Au milieu de l'Eglife eft la cha- An. *s». pelle du faint fépulchre d'environ M „ , *• , r . Chapelle par Louis. XlVr D'autres ojç d-es Européens. '30^ Éléments garnis d'or, de perles & de gemelli? pierres precieufes, donnés par Phi- chap. m. lippe II, Roi d'Efpagne, & par d'au- An, 1res Princes Chrétiens : Un Calice envoyé par Catherine, Reine d'An- ' jgleterre avec fix chandeliers : quatre pots à fleur & une croix d'argent, donnée parla ville de Mefline, en mémoire de la lettre qu'on fuppofe que la Sainte Vierge a écrite aux habitants de cette ville. On ne fait ufage de ces fuperbes ornements que dans les fêtes les plus folemnelles. Les Grecs firent voir aufîi à Ge- jvw&ijvwflW melli leur fanclafanctorum, oii il ré- Gr^de< véra quelques precieufes reliques, telles que le bras de fainte Marie Ma-delaine , un morceau de la vraie Croix, & une partie du crâne de faint Jean-Baptiffe. U y vit plufieurs boëtes, des encenfoirs, & d'autres vafes d'argent, dont ils fe fervent dans leurs cérémonies, une Croix de bois d'un travail merveilleux, & fur laquelle on a gravé des figures fi petites, qu'on ne peut les difhnguer fans le fecours d'un microfcope ; enfin quelques peintures très belles, faites par des Candiots 6c des Mpf-covites. 306 découvertes iü t me lu. Santon Mahometan demeuré Chap. ni. en ce faint lieu, pour recevoir l'ar-A*. 1*93. gent qu'on donne pour le faire ouvrir. Le lundi Gemelli lui ayant donné ce qu'il exigea pour le laiffer for-tir, fe rendit à faint Sauveur, où il vit la belle lampe envoyée nar le Commiffaire de Naples, eflimee quatorze mille écus, & une copie du faint Suaire, ou portrait de Jefus-Chrift, imprimé fur le mouchoir^ avec lequel fainte Véronique lui ef-fuva, dit-on, le vifage : cette copie a eté'envoyée par le Duc de Savoye. Les Grecs s'étoient emparés depuis un grand nombre d'années, de ces lieux facrés; mais après de longues conteftations au Divan de Con£ tantinople , ils ont été rendus aux Cordeliers, par le crédit particulièrement du Marquis de Chateauneuf, Ambaffadeur de France à la Porte. Par reconnoiffance ces Pères, dans la table ou indication des Meffes qu'ils doivent dire pour leurs bienfaiteurs , ont mis le nom de ce Seigneur immédiatement après les têtes couronnées. Gemelli fc Aufïi-tôt qunin pèlerin a fatisfait ptéptre à fa dévotion , ou fa curiofité , il ne ©es Européen s. 307_ .peur être trop diligent à partir, pour geniell^ le mettre à couvert de Finfolence & ehaP. 111. des vexations des Titres, contre lef- ar. imi .quels il n'y a d'autre remède que la patience. Par cette raifon Gemelli ré-iolut de quitter Jerufalem fans délai : ■& le mardi 8, jour de la nativité ile fa fainte Vierge, il entendit la Meffe dans le lieu même de la naif-/ance de la Mère de Dieu, au - def-iiis duquel les Turcs ont une mo£ quée, aufîi ne fouffrent-ils pas que les Chrétiens y entrent en aucun -autre jour, & même ils leur font acheter ce privilège par une fomme d'argent confidérabïe. Gemelli prit congé du Révérend Père Gardien, & du Procureur Général , qui lui firent préfent de chocolat, & de quelques precieufes reliques : ils firent dire deux Meffes pour que fon voyage fut heureux, & il fortit à cheval par la porte de JBethléem, fans autre efeorte que fon muletier, qu'on appelle dans le pays muccaro. Cet homme s'étant arrêté à cueillir des figues, qui font en grande abondance fur les hauteurs voi-fmes, le Docteur fut en danger d'être volé par deux payfans, qui le cemelli, voyant couvert d'un habillement Chap. in.' rouge, le prirent pour im marchand An. 1693. chargé de beaucoup d'argent, & lui ordonnèrent par ligne de les fuivre; mais le muccaro arriva avant qu'ils etuTent eu le temps d'exécuter leur projet, les affura qu'il n'avoit point d'argent, & réuflit à leur periuader de le laiffer paffer. Il fut enfuite pillé au village du bon laron par un Arabe, Receveur des droits, qui ne voyant rien de confidérabïe fur la perfonne de Gemelli, extorqua de lui une promefle de payer une piaf-ire à Rama, autrement il l'auroit emmené prifonnier dans la montagne. Il fe rendit au lieu indiqué pour recevoir cet argent qu'il prétendoit lui être dû, & que le muccaro fut obligé de débourfer, parce qu'il avoit entrepris de conduire le Docteur, franc de toutes charges, à JafFa pour vingt-huit piaftres. Mifcre des Dans ce pays miférable, les Re- iA«b«. ceveurs des impôts pillent tous les étrangers, &. Ie refte des Arabes fuit leur exemple. Ils font trop parelfeur pour gagner leur vie de leur travail, & quand même ils cultiveroient la terre, ils ne pourroient pas jouir des dés Européens. 309 fruits de leurs peines. Leur vie eft desô^M£LLL? plus miférables, couchant fur la ter- chap. 111. re nue, & fe nourriffant d'un peu de An. pain grofîier, fans autres fortes de provifions, à moins qu'ils n'aient le bonheur de piller quelques pèlerins francs. Ils font aulîi continuellement en guerre les uns contre les autres, étant partagés en deux faûions , qui fe diftinguent par les noms de la ba-niere blanche, & la baniere rouge : ces difputes occafionnent de fréquentes efcarmouches, où il y en a toujours plufieurs de tués & de bleffés. Gemelli ayant pris un mauvais ha- Son «tooc | billement du muccaro , pour ne plus R*na* attirer l'attention des Arabes, arriva le mercredi à Rama, & le lendemain il fit une vifite à quelques Chrétiens Mofcovites de diftincf ion. Il alla voir enfuite les faints lieux des environs de Rama, & le famedi il vit une cavalcade d'Arabes, accompagnée de flûtes qui conduifoient deux enfants pour être circoncis, cérémonie qui le termine par un feftin, compofé de plufieurs plats de pilau, qui n'eft autre chofe que du riz bouilli avec du beurre ot du mouton, ou des pigeonneaux. 3i(9 Découvertes gemelli. ^e Dimanche il partit avec une Chap. m. caravane d'Arabes pour Jaffa, où il Àa. un. arriva le. foir même, après avoir dé-penfé environ foixante & dix écus Napolitains, dans fon pèlerinage à Jerufalem. Les pauvres pèlerins qui ne peuvent aller, faute d'argent, aux faints lieux, gagnent à Jaffa toutes les indulgences de la terre fainte, &c ils reviennent de ce port en Europe. IivaiNaza- Le lundi 14, Gemelli s'embarqua avec un bon vent, & le lendemain il arriva à l'ancienne ville de Ptolé-maïde , prêfentement nommée faint Jean d'Acre, qui eft prefque entièrement ruinée & fans habitants. Il alla loger au Monaftere des religieux de faint François, où il fut muni de tout ce qui lui étoit néceffaire pour fe rendre à Nazareth, qui en eft éloigné de vingt-cinq milles. Il fit fes dévotions à l'endroit où l'Ange falua la fainte Vierge, & fût très bien reçu par les Cordeliers. Le vendredi il retourna k faint Jean d'Acre, parce que les Arabes rendoient les chemins trop dangereux pour qu'il ofat fe rendre en Galilée. Il monta fur line barque qui le conduifit à Jaffa, prit place* 4ans une (aique qui alloit à Damier^ te, & s'y embarqua le jeudi 24, dansGEMELLi.r la réfolution de retourner à Alexan- chaP«B*) drie, où il avoit laiffé fon bagage. ^n. 1*91* Quand il fut arrivé au Bogafi , ou embouchure du Nil, il loua une barque pour Damiette, & quoiqu'il fit Ion poffible pour éviter le More1 cFHizba, les Janiflaires lui extorquèrent une demi piaffre avant de lui permettre de paffer. Il logea dans la maifon d'un Chrétien Maronite, qui' étoit le Procureur des religieux de Jerufalem ; mais il ne put jouir d'aucun repos, tant à caufe d'une multitude d'infecfes nocturnes très incommodes , que parce qu'il fut troublé par les hurlements d'une femme Mo-refque, en travail d'enfant dans la chambre voifine de la fi enne. Le matin il fe plaignit inutilement d^ l'Ethiopien Selim , au Douannier-fon affocié pour le voyage du Nil, & il fut enfuite deux jours fans vivres, parce qu'il ne fe trouva pas de Juif pour tuer quelque chèvre, quelque poule, ou quelque autre volaille, fuivant la fuperftition Mahome-tane. Le vendredi 2 d'Octobre il arriva Son r«o»r% fa- Boulac, & y trouvant une karçruç Aicxaaki^ gemelli. Prête à partir pour Rofette, il prie Chap. m. cette occafion de delcendre le Nil, m. ion. qui inondoit alors tout le pays. Il arriva le Dimanche matin, & le lendemain il s'embarqua pour Alexandrie , qu'il gagna avant la nuit. On lui dit qu'il y avoit à Bichier quelques bâtiments chargés pour Conf-tantinople : on lui donna une lettre de recommendation pour l'Aga de cette place , il s'aflura du paffage, Ôc prit congé de l'Egypte, après y avoir éré expofé à un nombre infini d'in-fultes 6c d'extorlions de la part des Turcs 6c des Arabes, qid non-feulement pillent, mais encore tournent en ridicule les Chrétiens qui les font fubfifter par leur argent. Les Européens y font encore fujets à un autre i inconvénient ; ces peuples ignorants croient que tous les francs font Mé- . decins, 6c ils les arrêtent continuel- -lement, pour qu'ils leur preferivent des ordonnances dans leurs maladies. Habitants de .L'Egypte eff préfentement habi-, CE&rpKt t£e par Coptes, des Maures, des Arabes, des Turcs, des Grecs, des t Juifs 6c des Mahometans, dont la religion domine dans le pays. Les Coptes • des Européens. 313 tes ainfi nommés de Copt, fils deGfiMELLU Mmram, Roi d'Egypte, étoient an- chap.iu. ciennement Idolâtrés , mais ils furent An, 169?, convertis à la religion Chrétienne, par les prédications de l'Evangelifte faint Marc. Ils perfifterent dans la Foi Catholique jufqu'au temps de leur Patriarche Diofcore, dont ils adoptèrent les erreurs, dans lesquelles ils font toujours demeurés depuis. Anciennement le nombre de ces Coptes qui payoient tribut, montoit à fix cents mille; à préfent ils font réduits à quinze mille, par la cruauté des Gouverneurs Payens, qui les ont fait maffacrer par milliers à caufe de leur religion, & par l'oppreffion des Turcs qui gouvernent defpoti-quement l'Egypte. Si ce peuple a été autrefois fameux Portrait d«# par fa politeffe, fa fcience & fon ha- y bileté dans les arts, il n'efr, pas moins connu aujourd'hui par fa barbarie , fa ftupidité & fon ignorance. Les Egyptiens modernes font féroces, cruels, pareffeux, avares & trompeurs: ils haïffent les Chrétiens par efprit de fanatifme. L'habillement des gens aifés entre les Arabes, diffère très peu de celui des Turcs; mais les Tom. VUL O Gemelli. 8ens du commun portent des efpe-|Chap. 111. ces de facs, qu'ils appellent cabans, An. ion. Par demis leurs chemifes, & un mauvais morceau de toile ou de foie autour de leur tête au lieu de turban. Les vifages des femmes font couverts de mafques, également de toile ou de foie, 6c elles portent de longues pièces de drap fur leurs autres habillements. Les femmes de diftinc-tion font élevées à une hauteur étonnante fur des mules ou fandales de bois. Elles font en général petites 6c brunes, 6c font confifter particulièrement la beauté à avoir les yeux étincellants, fertilité «lu ^eur Eté eft de trois mois plus S»y». avancé que le notre : leurs ligues 6c leurs railins font mûrs au commencement de Juin : tous les fruits connus en Europe y viennent dans la plus grande perfection, à caufe de la richeffe du terroir, particulièrement les poires, les grenades, les pommes & les dattes, qui font un fruit particulier à l'Afrique. On y trouve des becfigues délicieufes, 6c des tourterelles en fi grand nombre, & fi privées, qu'elles courent dans les rues & autour des maifons corn- »es Européens. 315 me les pigeons: mais le climat eflqehelli* mal fain à caufe de la grande cha- Chap. îv. leur & de l'humidité. AB. liau CHAPITRE IV. Voya qe de C Auteur à Rhodes , a Stanchio, à Chio & à Smyrne. LEfamedi 10 d'Octobre, Gemelli , GfmelH . , , «embarque remit les lettres de recommen-Po«Rkodci,' dation à l'Aga de Bichier, qui parla en fa faveur au Raïz ou Patron d'un bâtiment, fur lequel il s'embarqua pour Rhodes; mais le vent étant très fort & contraire, ce Pilote Turc retourna à Alexandrie, & le lendemain remit à la voile avec un bon vent. Ils n'avoient pas encore fait quarante milles quand les frayeurs du Raïz fe renouvellerent, quoique le temps ne parut donner lieu de craindre aucun danger, & il rentra dans le port de Bichier. Cependant cette précaution les garentit d'une fu-rieufe tempête, accompagnée d'une grande abondance de pluie, ce qui tait voir l'erreur de ceux qui croient Oij Gemelli. ^ue jamais il n'en tombe en Egypte; Chap. iv. La tempête étant appaifée , & le An. us?*, vent étant devenu favorable, le Patron fe remit en mer ; le famedi 24 avant midi ils arrivèrent dans le port de Rhodes , après avoir fait cinq cents milles en quarante-fept heures, ©efcriprion Cette yille, autrefois l'une des plu? jjc Rhodes, florilfantes de TA fie, elt fituée à la latitude de 36 dégrés. Elle fut donnée par Emmanuel, Empereur de Conff antinople, aux Chevaliers Hof-pitaliers de faint Jean de Jerufalem , après qu'ils eurent été chaffés de la terre fainte. En 1444 ils s'y défendirent vaillamment contre le Sultan d'Egypte ; & en 1480 ils foiïtinrent un nége de trois mois, entrepris par Mahomet H: mais en 1522 l'ifle fut prife par Soliman lï, après que les Chevaliers eurent fait la défenfe la plus opiniâtre, fous les ordres de leur Grand-Maître de Fille Adam. La ville fituée dans la partie Orientale de l'ifle, s'étend dans la plaine & fur une hauteur; elle a environ trois milles de tour. Les rues en font larges, droites & bien pavées ; au milieu de la plus grande eff un beau chemin de grandes pièces de marbre des Europee n s; 3 1?__ fclanc, d'une extrémité à l'autre. On çEMILL^ y voir encore les maifons des Cheva- chap. îv. lîers, &: le palais du Grand-Maître ; a». 16?* les Turcs n'ont rien ôté de ce qui fai-foit la magnificence des bâtiments ^ & même ils ont lailfé les armes des Chevaliers fur l'artillerie. Les édifices font conftruits en pierres dures, & les marchés bien fournis, à un prix médiocre, de tout ce qui eft nécef-faire à la vie. La place eft très forte y habitée par des Turcs &c des Juifs : mais les Chrétiens Grecs, quoique plus nombreux vivent dans les faux-bourgs & dans la campagne voifi-ne, qui eft très bien cultivée, & préfente un coup d'ceil très agréable de jardins & de vignoble. Quand les Mahometans vont faire leurs prières' le vendredi à midi, les Chrétiens 6c les Juifs font obligés de fortir de la Ville, & s'ils ne s'en retiroient en grande diligence, ils feroient punis févérement par les Mufulmans. Le palais du Grand-Maître a été Du Coîbflè changé en une prifon des criminels d'Etat, & dans le temps où y paffa Gemelli, il y avoit deux Chans de Tartarie, dépofés par le Sultan. L'Eglife de faint Jean, qui joint ce pa- Gemelli *a*s » e^ préfentement une mofquée.' Chap. iv.* La ville a plufieurs ports très cornai lt9h modes, tous bien défendus par des châteaux, & par d'autres fortifications. Dans un de ces ports étoit le fameux Coloffe d'airain, haut de foixante & dix coudées : un homme ne pouvoit en embraffer le pouce, chaque doigt étoit aufîi gros que la plus forte des anciennes ftatues, & î'ef-pace entre les deux jambes étoit fi large , qu'il pouvoit y paffer de grands vaifîèaux. Il portoit à la main un vafe ou lampe, où l'on entrete-noit un grand feu qui brûloit continuellement durant la nuit, pour fervir de fanal aux vaiffeaux. Après avoirété cinquante-cinq ans fur pied, il fut renverfé par un tremblement de terre , & les Rhodiens furent détournés de le relever par les menaces de l'Oracle. Il demeura plufieurs fiécles dans le même état, fut mis en pièces en 654, & en 1136 il fut totalement détruit par un chef de Sara-fins, qui fe rendit maître de l'ifle, & en vendit le métal à un Juif. Celui-ci le fit conduire dans l'Afie mineure, d'où il employa neuf cents chameaux pour le tranfporter en Egypte. des Européens. 319 L'ifle de Rhodes, anciennementgemelli~ nommée Ofïufa, Afteria & uEthrea, Chap.iv/ a cent quarante milles d'Italie de lar- An. 169* geur: le climat en eft tempéré & climat & agréable, le terroir produit beau- «Miité a» coup de fruit 6c de vin, mais il neterrouu fournit pas une quantité fufüfante de bled. On tire en abondance celui dont on a befoin de la Natolie , qui n'eft qu'à vingt milles de la partie feptentrionale de l'ifle. Plufieurs villes autrefois renommées, telle que Filerno Lyndo, où nacquit le fameux ftatuaire Chares qui fit le Co-loffe , & plufieurs autres villes, ne font plus que de miférabies villages, nabites par de malheureux Grecs, Juifs & Mahometans. Les femmes de ifeodes, qui en gé- Beauté ht néral font belles, couvrent prefque*' tout leur vifage avec deux mouchoirs , dont un leur defcend fur le nez, 6c l'autre prend au-deffus de la bouche. Les Turcs font une grande eftime de leur beauté, 6c le Raïz du bâtiment où avoit paffé Gemelli, paroiffoit en être fortement frappé, car quoique le vent fut très bon, il fe paffa plufieurs jours avant qu'on pût lui perfuader de quitter les »m- Oiv Gemelh. braffements de fa femme , qui étoit Chap. iv. native de cette ifle. Enfin on réufîit An, 1693. à l'engager à mettre à la voile le fa-medi 3 1 d'Octobre : mais il n'avoît pas fait plus de deux milles, qu'il rentra dans le port, guidé par l'amour ou par la crainte. Il efl vrai que le vent devint très fort; mais en général tous les mariniers Turcs font fort timides fur tous les événements de la mer. Gemelli Le mercredi 4, une femme Tur- «ft pris pour 1 r>v n r un çTjion. que voyant le DofBr le promener dans les rues, Finwa par ligne à entrer dans fa maifon, mais il ne crut pas devoir répondre à cette? honnêteté, & le lendemain il apprit par un Sicilien, que les Mahometans le foupçonnoieoi d'être un efpion. S'il avoit répondu à l'invitation, il eff vraifemblable qu'on Fauroit fait efclave, malheur arrivé l'année précédente à quatre François, qui ve-noient de Napoîi de Romanie. Le difeours du Sicilien lui caufa beaucoup d'inquiétude , d'autant qu'il avoit oublié ou négligé de prendre un paffeport du ConfuI François. Le Vendredi, jour de la prière , il manqua aufli à faire attention au fignat des Européens. 311 ordinaire , & il fut obligé de fe ca- g£melli> cher, ce qui le rnettoit en grand chap. IV« rifque pour fa liberté ; car s'il eut An. 1*53. été découvert dans l'endroit où il fe retira, il auroit certainement été arrêté comme efpion. Il fut tellement allarmé des rifques Il s'embarque qu'il couroit, qu'il chercha prompte- poutSmyme, ment un autre bâtiment pour fortif d'un endroit aulfl dangereux ; enfin il fut reçu comme partager fur une Tartane Françoife qui alloit à Smyrne, & il y monta avec quatre marchands François , fept Turcs & l'Aga de Seyde qui avoit quitté le bâtiment de fa nation à caufe de l'ignorance du Pilote. Ces barbares , fi infolents fur leurs propres vaiffeaux , paroif-foient alors très fouples, & évitoient même de faire leurs prières en publie pour ne pas être expofés aux railleries des Chrétiens.- Dans leur traverfée, ils virent les ifles de Scimo, de Pifcopi, de Cal-ce, & de Niffaro, habitées par des Grecs, & quidonnoient retraite aux pyrates. Le Vendredi 13 , ils arrivèrent à Stanchio , éloigné de cent trente milles de Rhodes, ayant toujours-fuivi la côte de la Natolie, Cemelli. L'ifle de Stanchio, nommée Cos chap. iv. par les anciens efl longue & féparée An. de la Natolie du côté du levant par TWrrîn,- détroit de fix milles. Elle efl: fa-Snnchio. meufe pour avoir donne le jour a Hippocrates, pere de la médecine, & à Appelles , prince des anciens peintres. La ville, fituée fur un coteau près du rivage de la mer, eft alTés mal fortifiée , & n'a point de port ; en-forte que les vaiffeaux font^ obligés de demeurer dans une rade ouverte. Les maifons en général font baffes & conftruites en pierre : au couchant font de grands fauxbourgs habités par les Juifs & par les Grecs, que les Turcs tiennent dans une cruelle op-preflîon. Les campagnes voifines font agréablement coupées de jardins & de vignobles qui produifent d'excellent vin: mais ce qu'on y voit de plus curieux eft un fycomore entre la porte du chai .au & le marché. Cet arbre a une telle étendue que quatre mille hommes peuvent être à couvert fous les branches, foutenues par trente-fix piliers. On y voit deux fontaines avec des bancs pour la commodité de ceux qui vont y prendre l'air, Le famedi 14, la Tartane remitGemellk à la voile avec un foible vent : le chap. îv. lendemain ils parlèrent Lyiro, Saint An. 169t. Jean de Parno, Naccaria, Liforni, ignorance ainfi que Tille de Samos, ancienne- ^c.*8* ment confacrée à Junon , & fameufe pour avoir été le lieu de la naiffance de Py ta gore. Ils virent aulîi un grand nombre d'ifles répandues dans l'Ar-chipelague, & le vent leur étant devenu contraire , ils furent obligés fie fe mettre à l'abri fous le roc d'Arti-vo : il n'eft fréquenté que par des. bergers qui y conduifent leurs troupeaux , & font dans une crainte continuelle des pyrates. Le patron de la Tartane prit à bord une grande quantité de bois , laiffé par trois bâtiments partis immédiatement avant fon arrivée : le lendemain les matelots cherchant à pêcher quelques coquillages fur le bord de la mer , trouvèrent une truffe qu'ils donnèrent à l'Aga , & cet homme la mit aufïi-tôt au feu pour la faire rôtir. Cet Aga étoit d'une ignorance excef-five, paroifToit comme un fauvage, & portoit une longue barbe trenée affés reflemblante a celle d'une chèvre. O vj 314 Découvertes. Gemelli. ^e Mardi 17 , ils mirent à la voile-chap. iv. avant le jour, parlèrent le détroit An. 1693. qui- elt entre Soma ôc Forni, & après un cours de cent trente milles, ils arrivèrent le foir à Ghio, où le Docteur defcendit, & alla loger chez les-Francifcains. Dffcrinion, Cette ifle, anciennement nommée •fcchio. Syros, efl appellée par les Turcs Sal-ziza-Dau, ou ifle du Maffic. Elle a quatre-vingt milles de tour ; s'étend au Nord du côté de Mytilene, à L'Eff vers Ia Natolie ,. dont elle efl féparée par un canal large de trois lieues ,. nommé le détroit de Capo Bianco , & au- Sud elle, eit voifine de l'ifle Naccaria. Le terroir efl très, fertile vers le rivage de la mer ; mais plus. avant dans les terres il eff ffé-rile, plein de rochers, & ne produit que des pâturages pour les chèvres* Le nombre des habitants qui vivent: dans la. capitale & dans quatre-vingt; villages y monte à cent mille perfon-nes, dont les quatre cinquièmes font Grecs, &L les autres Turcs, Juifs ou Catholiques. Leur richeffe confiffe en-lait, en. beurre ,,en- vin & en foie, dont ils.retirent tous.les. ans.,environ fient vingt mille écus» D E S E U RO PEEN Jl% La ville de Chio, fituée au trente-hui- Gemelll tïéme dégré de latitude,beaucoup plus Chap. iv. longue que large, eft fur le bord de An, ï69i^ la mer y entourée de bonnes murailles , & de fortifications affés médiocres. Le port eft grand, mais peu fur, parce que le fond eft fi mou que les ancres ne peuvent y tenir. Il y a un fanal au milieu, avec les cinq galères de fille, commandées par autant de Beys, à chacun defquels le Grand - Seigneur donne douze mille / b . -01 ecus par an pour les entretenir oc les conferver. On dit que la ville contient quarante mille habitants, dont la plus grande partie font Chrétiens % tant Grecs que Latins , qui ont leurs prêtres & leurs Evêques, mais les Turcs & les Juifs font obligés de demeurer dans le château. Les maifons font de pierre , avec les toîts en pyramide couverts de tuiles : les rues font étroites, pavées de cailloux x & les Bazars font bien fournis de toutes les denrées néceffairesà la vie,. qu'on y vend à un prix médiocre â caufe du voifmage delà Natolie. Les femmes Chrétiennes y portent des. ïupes pliffées par derrière comme un. Au-piis l les, veuves mettent un voile _316 DÉCOUVERTE S GïM£LLi.r0llge> ma*s *es autres femmes en Chap. îv. portent de blancs. Leurs bonnets font au, if93. garnis d'une frange pendante du côté gauche, & dans tous les temps de l'année elles y joignent différentes fleurs, ce qui leur donne un air de gaieté très agréable. Elles font en général belles, vives & familières : les filles font très libres avec les étrangers, & les femmes de tout rang, ont la poitrine découverte fans aucune réferve. Hiftoîre d'un Le Maff ic de cette ifle, eft le meiU Renégat. j^ur ^ aft dans le monde : on le conferve tout pour le ferail du Grand Seigneur , où les femmes en mâchent continuellement pour fe blanchir les dents & fe rendre l'haleine douce. La campagne produit un peu de coton , dont le travail fournit à la fubfiftance des pauvres habitants. Gemelli vit dans la maifon du ConfuI François un jeune Vénitien renégat, qui avoit été Auguftin, & qui s'étoit fait Mahometan pour éviter le châtiment dont il étoit menacé par fon fiipérieur, à caufe de quelques fautes qu'il avoit commifes; mais il fe repentit bien-tôt de fon apoftafie, & prelToit le ConfuI de des Européens. 317_ lui procurer les moyens de repaffer qemelli* en pays Chrétien. Peut-être eut-il chaP. iy. enfuite l'ambition de gagner la cou- Ant ronne du martyre comme il arriva à un frère Lay, nommé Jaques, natif de Calabre. Le fupérieur d'Eriza , petit monaftere dans les montagnes de Syrie, le fit mettre en prifon pour quelques fautes; il réunit à s'échaper, paffa à Seyde , embraffa la religion de Mahomet, & fut circoncis ; mais deux mois après fon apoftafie, il fe repentit de fon crime ; eut recours au fupérieur des Capucins François qui étoient en cette ville ; abjura le Mahométifme, & reçut l'abfolution. Le lendemain , Vendredi, qui eft le jour de fête chez les Turcs, il fe rendit au Bazar, oii il y avoit beau»-coup de monde ; tira une croix de fon fein ; foula aux pieds fon turban & fa vefte verte, commença à prêcher avec la plus grande véhémence contre la religion Mufulmane, qu'il traita d'impofture damnable, dilant qu'elle conduifoit une multitude d'a-mes à des peines éternelles. Quelques Turcs, qui entendoient un peu la langue Italienne, voyant ce qui fe ^paûoit, l'entraînèrent devant le Ba- 3 lS DÉCOUVERT ES Gemelli. c^a > qw » in^ût de **a hardieflè l chap. iv. lui demanda s'il avoit perdul'efprir, Aa. i&sn. & promit même de lui pardonner, pourvu qu'il déclarât que ce qu'il avoit dit étoit dans un accès de fre-néfie. Le frère Jacques perfiff a dans fon zele 6c dans fes déclamations contre Mahomet, délirant avec ardeur de mourir pour la foi Chrétienne. Il eut la tête tranchée à la porté du férail; fon corps fut acheté cinquante piaffres par les François qui-lè couvrirent de chaux vive, pour qu'il fut confumé : mais fa fépulture ayant été ouverte trois mois après, ©n le trouva aufîi entier 6c aufîi frais que le jour de fa mort, ce qui fut regardé comme un miracle ; 6c depuis tous les Chrétiens de l'Orient en ont célébré la fête.. Arbres de Le Dimanche 22 , Gemelli alla fe «flic promener dans la ville, conduit par le fils du ConfuI, 6c par quelques autres François. Il y vit un couvent dé filles Grecques, qui ne paroiffoit nullement le lieu de la demeure de vierges confacrées à Dieu ; non-feulement les Religieufes avoient la liberté de fbrtir, mais elles recevoient même <àes hommes dans leurs chambres. Le lendemain , il alla voir les arbres gTmËllT de Maftic, que les Turcs nomment Chap. iv.* Sakes : Ces arbres font menus, & les An. iöjj, branches après avoir gagné la terre y prennent racine & repouffent de nouveau. On fait des incifions en différents endroits du tronc, d'où la gomme diffille depuis le commencement de Mai jufqu'à la fin de Juin. Elle tombe fur la terre , qu'on a foin de bien nétoyer pour la recevoir. Le Docfeur fe rendit au bord de la mer , pour voir un rocher , fous lequel on a taillé quelques fiéges, & Ton prétend que c'eff le lieu de l'école d'Homère. Cette ifle produit d'excellente térébenthine, Se une grande quantité de perdrix privées qu'elles vont manger toute la journée dans les champs comme la volaille, & reviennent le foir à la maifon du fermier , qui les rappelle, avec un fifflet. Gemelli avoit deffeinde paffer de Gcmeiu Chio directement à Conflantinople ,5£yrn*î mais il en fut détourné par le patron d'une Tartane Françoife, qui lui fît obferver que s'il montoit fur un bâtiment Turc ou Grec fans paffeport, il couroit rifque d'être fait efclave Remelli quelqu'une des ifles de l'Ar- Chap. iv. chipelague , où il n'y avoit pas de Aa. K9i, ConfuI Européen pour le protéger : au lieu qu'il pourroit avoir un palfe-port à Smyrne, & qu'il cominueroit enfuite fon voyage avec plus de fureté. Convaincu par ces raifons, il fe rembarqua dans la Tartane le Mardi z4 ; le vent étant favorable , ils laiflerent bien - tôt la terre de Cou-chimel à droite , & parlèrent entre le continent & l'ifle de Spalmatore, habitée par des Grecs & des Turcs. Le lendemain , ils pafferent le Cap Carabornom, laiflant Metelin à gauche , entrèrent le foir dans le Golphe de Smyrne, & le Jeudi, ils jet-terent l'ancre près du fort, qui a une bonne garnifon, & vingt & une pièces de canon dont les batteries font à fleur d'eau. Le lendemain matin, ils entrèrent plus avant dans le port, defcendirent à terre , & Gemelli fut très bien reçu à la maifon du ConfuI de France. Le Docteur loua pour lui & fon valet une maifon particuliere du prix de trois quarts de piaftre par jour ; mais il en coûte moins à loger dans un Khan public, où pour quelque chofe de plus qu'une piaftre ©es Européens. 331 de Hollande , on a un appartement <;EMELLI" pendant un mois. * chaP. iv.* La ville de Smyrne, fituée à tren- a«. 2691. te - huit deerésde latitude fur la côte, _ , . . ~A * s • o ta l Defcription tit tres ancienne, & célèbre en ceijee««wiif. qu'on prétend qu'elle étoit la patrie d'Homère. Elle a environ quatre milles de tour , & eit. bâtie partie dans la plaine , partie fur le penchant d'une montagne. Toutes les maifons en font médiocres excepté les Khans, 2ni fe préfentent avec magnificence, épendant les rues font larges, 6c toute la ville eff comme un Bazar, ou marché continuel, abondant non-feulement en toutes fortes de provisions nécelTaires , mais encore en beaucoup d'autres qui ne font que pour l'agrément, puifqu'on apporte dans cette ville de toutes fortes de marchandifes d'Europe & d'Afie. Les provifions y font plus chères que dans les autres parties de l'Empire des Turcs, à eaufe du grand concours d'étrangers, qui monte jufqu'à cinq mille perfonnes, tant Turcs que Juifs, Grecs , Arméniens & marchands Européens. Dans le port qui eff très grand , Du châtetu on voit toujours plufieurs centaines{,c s»yïB«» Gemelli. e vanTeaux de différentes nations £ Chjp. jv. mais les quatre galères appartenant L An. 1693. a ^a Place font retirées dans un autre port intérieur , défendu par un mauvais fort, avec une foible gar-nifon. Dans la partie fupérieure de, la ville, on voit les refies d'un ancien château , qu'on dit avoir été bâti par l'Impératrice fainte Hélène , en forme d'amphiteatre. H a environ un mille de circonférence , avec fix Tours qui commandent la ville, mais celles de la partie oppofée font ent tiérement ruinées : au-dedans de la porte elt une ftatue de l'Impératrice, & un tombeau de marbre gravé de caractères Turcs, & près du même endroit étoit une ancienne Eglife qu'on a changée en Mofquée, & qui eff préfentement en ruine. La terre eft couverte de fûts de colomnes de marbre , & l'on defcend fous des voûtes fouteraines, que foutiennent vingt-quatre gros piliers : elles font très bien pavées 8c fervoient anciennement de citernes pour l'ufage du château. Dans la place quarrée au milieu de cette forterelîe, on dit que Saint Polycarpe , qui étoit né 4 Smyrne , fut expofé aux lions aria.- des Européens. 333 més. Sur la même hauteur qui corn- gemelli: mande la ville , on voit les mines chaP. îv. d'un ancien édifice , où Ton dit que Aa. iôjs, fe tenoit le Confeil des Grecs, lorf-que Smyrne étoit la Métropole de PAfie mineure. Les Confuls de France , d'Angle- Abondance terre & de Hollande y vivent dans dav « Pays, une grande fplendeur, foutenue par les profits immenles que produit le commerce de cette place. Pour la religion , il y a une maifon de Jé-iuites , une de Capucins François , éntretemues par Sa Majefté très Chrétienne , & une de Recollets Vénitiens qui y vivent dans une grande .misère. Les Grecs y ont aufli plufieurs Couvents 6c les Juifs quelques Synagogues. Dans le voifinage, on trouve du gibier en abondance tel que des fanglicrs, des cerfs , des gazelles , des perdrix , des francolins, des panards, 6c plufieurs autres fortes d'oifeaux, que les étrangers peuvent tuer fans qu'on leur en falfe aucun crime. Les Francs jouilTent Smyrne d'une grande liberté : ils peur vent s'habiller comme il leur plaît, 6c prendre toutes fortes d'amufements par eau 6c par terre fans être gênés. Gemelli. ^a mer abonde en poiffon excellent,' " Chap. iv. & la terre en fruits délicieux, particu-A«. 1693. liérement en grenades, qui font beaucoup au-demis de celles d'Italie. Le pays produit aufli de la fcammonée , de l'opium & des noix de Galle. Tous ces avantages font balancés par la malignité de l'air, qui dans les mois d'Eté occafionne des fièvres pefBlentielles, & par les tremblements de terre , qui manquent rarement de fe faire fentir tous les ans , & d'enterrer un grand nombre d'habitants fous les ruines de leurs propres maifons. Gemelli ©U- Gemelli ayant vu à Smyrne tout ce p^cîr^'qu'il y avoit de remarquable, fit vi-Françoii.^, flter fon bagage à la douanne, où il fut traité avec beaucoup de poli-tefle, & alla enfuite voir le ConfuI Anglois dont il efpéroit obtenir un palieport, étant fujet de l'Efpagne, alors alliée de l'Angleterre; mais il en fut reçu avec une hauteur infu-portable, & refufé brufquement. I) 4*e trouva pas plus de politelTe chez le ConfuI Hollandois, & il s'adrefla enfin à celui de France, qui lui donna très poliment un palTeport pour Conûantinople» Le lendemain en at-. dés Européens. 335 Unt au Khan po„r parler à fon in- Gem£LLI. terprete Juit, il tut arrête par un valet ch»p. iv. du Caragi-Bacha ou chef des Rece- An. lt9U veurs, qui le mena devant fon maître , comme étant un Juif Portugais. Gemelli foutint qu'il étoit François , mais le Turc ne voulut pas le mettre en liberté qu'il n'eût donné des . gages, que le ConfuI de France l'obligea bien-tôt de rendre» Deux jours après cette avanture , il fut vifité par fon compagnon de voyage l'Aga de Seyde qu'il regala de chocolat : mais cette liqueur fit un tel effet iiir le brutal Mufulman qu'il commença à tomber dans une efpece d'ivreffe. Il jura aufîi - tôt qu'il tireroit vengeance de Gemelli qui lui avoit donné difoit-ilune liqueur pour le rendre fou. Si cet accident eût continué , le Docteur auroit reçu la punition , pour fe fervir de fes propres termes, d'avoir donné du chocolat à un âne, qui étoit cependant le petit-fils du fameux Vizir Cuprogli, & qui fe flattoit de l'efpérance d'être élevé à la dignité de f»n grand-pere. Gemelli. Chap. V. J| An. 1693. CHAPITRE V* Gemelli continue fon voyage a Andri-nople : Defcription de Ténédos , de Mytilène ou Metelin , & de la ville de Gallipoli. Gemelli Te L E Vendredi 11 de Décembre," rend à Myti- I j Gemelli s'embarqua à bord d'un vaiffeau Turc, de ceux qu'on appelle Chiamber : étant convenu d'un prix pour le paffage & pour avoir une cabane féparée. Après avoir fait quatre-vingt milles, ils arrivèrent le lendemain à Mytilène ou Mételin, anciennement nommée Lesbos, Homer-te & Macaria ; c'clf une ifle de trois cents foixante milles de tour , fameu-fe pour avoir donné naiffance à Pit-taçus, à Sapho & à Arion. La cathédrale eff au nord-eft fur un rocher, qui s'avance dans la mer, où il forme deux ports , défendus par un château & par un fort. Les maifons font baffes, Ôc habitées par des Turcs & des^ Grecs : Mahomet II s'en rendit maître en 1464. Il y a un très bon OQn Bazar : le terroir eft fertile, & Gemelli!' produit d'excellents vins, ainfi que chaP. v." :outes fortes de fruits & de végétaux An, l69U %n abondance. Le lundi 14 , ils partirent de My- *uine$ * iene , que les 1 urcs nomment Me-elin , & après avoir paffé le détroit e Baba , ils jetterent l'ancre devant e château de Molova, éloigné de ingt milles de Mytilène, parce que ts Turcs n'ofent dormir en mer par i crainte des pyrates. Le lendemain., 1s pafferent entre l'ifle de Ténédos * que les Turcs nomment Bofciada ? k le continent de la Natolie. Le rent tomba après un cours de cinquante milles, & Gemelli defcendit ^ terre pour voir les ruines de la ville de Troye. Sur cette côte, il vit * plufieurs colomnes de marbre blanc tant debout que couchées : il marcha environ un mille dans les terres, & trouva un grand nombre d'édifices ruinés de pierres vives, entre lef-'uels il remarqua une tour quarrée Dnt le toit étoit en rond, & qui aroiffoit être les reftes d'un ancien mple. Il n'eut pas le temps d'aller plus loin ; mais le Raïs lui dit que tout'le pays pendant une journée de Torn, VUL ?é 3 3 8 découvertes? jC/EMELLi'. chemin eft couvert de ruines & de Chap. v. morceaux de beaux marbres : les An« i693. Turcs onr donné à cet endroit le nom de vieux Conftantinopie, & l'Auteur Anglois que nous traduirons obferve que ces ruines font celles de Troas bâtie par Alexandre r le - Grand, à quelque diftance de l'endroit oit étoit fituée l'ancienne Troye, Jl arrive à Le vent ayant fraîchi, ils gagne-édoî. rent p-0e xénédos, dont le milieu eft en plaines, ÔC les côtes couvertes ç)e montagnes, qui produifent d'excellent yin mufcat. Cette ifle , an-, ciennement nommée Leucophris &c Lymeflbs, a cinquante milles de tour:, elle contient plufieurs villages, & la principale ville , fituée au pied d'une montagne à l'angle oriental de l'ifle , eft vis-à-vis des Dardanelles, dont elle eft. éloignée de dix-huit milles. Elle ptQ.it autrefois fameufe parfontem?j pie dédié à Neptune : à préfent les bâtiments en font bas , habités par des Turcs & des Grecs, & çomman-déspar un château fitué fur la pointe d'un rocher: il fert aufli à défendre le port qui eft grand & tres commode. .. f M arrive à Le ie udi i7, te leva 1 ancre: t des Européens. 339 &: le vent étant tombé, fes gens fu- GemelliJ rent'obligés de remorquer le Chiam- chap. ber entre les Dardanelles, qui font deux forts (itués fur les côtés op-pofés du détroit de l'Hellefpont ; mais comme ce détroit a au moins douze milles de large en cet endroit, ils ne pourroient fervir que très peu à empêcher le paffage des vaiffeaux. Le lendemain avant midi, la barque fit voile entre les deux autres forts, nommés par les anciens Sertos 6c Abydos : ils font finies à l'endroit le plus étroit du canal, qui n'a que deux milles entre ces châteaux , ce qui les rend très propres à empêcher efficacement le paffage des bâtiments. Us font l'un & l'autre très forts , & celui qui eft du côté de la Romé-«e a un canon d'un fi gros calibre tpuin homme fe peut affeoir dans le corps de 4a pièce. Ce détroit de trois cents milles de longueur^ conduit dans la mer noire : en quelques endroits, il * n'a que trois milles de large ; en d'autres il en a dix ,. ôc même jufqu'à trente. Ils pafferent devant Maïdos, ville fur la côte de la Roméiie, abondante en excellents Vins : côtoyèrent les ruines de Skief- découvertes tamboul, ancienne ville , dont les Turcs étoient maîtres avant d'avoir AB. U9U pris Conftantinople, &c au coucher du foleil ils arrivèrent à Gallipoli. Gemelli y fut très bien reçu par le Vice-conful François , quoique cet homme fut Juif, tk il le traita très bien dans fa maifon. Gallipoli, que les Turcs nomment Gebole, eff une ville de Romélie , d'environ trois, milles de tour, & oui a été anciennement très confidérabïe : mais par la pareffe des Turcs , les mofquées, les arfenaux tk les fortifications tombent en ruine. Il y a environ fix mille, habitants, Juifs, Grecs & Turcs , & cette place eff affez commerçante, parce qu'elle fe trouve fur le chemin de Conltantinople à Andrinople, Elle eff gouvernée par un Bâcha qui a fous fes ordres un Aga , un Cadi , tk plufieurs autres Officiers. Oo y trouve en abondance du bled, du vin tk des fruits : le pays fournit du gibier de toute efpece, & les Bazars font garnis de toutes fortes de marchandifes. m psftpout Le Vice-conful François & fon fils-' cherchèrent les moyens de procurer à Gemelli une route fure pour fe Des Européens. 341 fendre à Andrinople ; notre Voya- qefaelltt geur leur ayant fait entendre qu'il chap. v. etoit charge de lettres importantes au, im* des marchands de Marfeille pour l'Ambaffadeur de France à la Porte. Il ne fe préfentoit aucune caravane , & les chemins étoient devenus ex*-trêmement dangereux à caufe des Janiffaires, qui revendent de l'armée à leurs quartiers d'hiver en Natolie. Gemelli avoit donc très peu d'efpérance de pouvoir continuer fon voyage , quand il eut le bonheur d'apprendre qu'un caroffe vuide re-tournoit à Andrinople : il y prit place pour lui & pour fon valet en payant un fequin & demi, après que le 'Vice-conful l'eut alfuré qu'il pouvoit donner toute fa confiance au cocher, ar devant. _découverte* Gemelli. Lorfque la prière fut finie, Ge-' chap. v. melli vit le Grand Seigneur Hamet An. i69i ^* *ïu* ^e ^ Mofquée 9 & mon-n . ' ta en caroffe. H étoit de petite taille - bornait du, . t . r 01 Suiun. le teint brun, le corps gros çoit à blanchir : il paroiffoit avoir •environ cinquante ans ; portoit ua 'habillement blanc, & des plumes de ;héron fur fon turban garni de diamants. Le Sellettar, qui porte foa épée, & qui lui chaffe les mouches en été, monta avec lui dans le caroffe , & s'affit du côté des chevaux, î^e Sultan fut falué par les acclamations du peuple, accompagnées du concert défagréable des inftruments, .dont on avoit joué pendant qu'il fai-foit fa prière dans la Mofquée. La voiture paffa par une file de Janiffaires , qui étoient debout d'un air humble & refpecf ueux la tête inclinée fur la poitrine; & elle fut fuivie des Chiaoux, & des autres Officiers dans l'ordre que nous avons décrit. Hamet prenoit plaifir à jouer d'uft inftrumenrTurc femblable à une gui-tarre, qu'il accompagnoit de fa voix , «•pour .divertir la melancholie qüjj ^voit /ccuitraâée pendant dune j>rxCon de quarante jussL » e s Européens. 355 Le famedi 26 , Gemelli traverla gemelli"» les deux bras de la rivière Tungia chap. y. fur deux ponts de pierre , & alla An. i«s>*. Voir la grande Mofquée , nommée Grande mtf. Gneni-Jenimaret. Elle eft d'une gran- v*& de magnificence, & dotée de revenus très confidérables, qu'on emploie en ufages charitables, comme pour l'inltruction des enfants, & pour l'entretien des infenfés & des pauvres , auxquels on diftribue toutes les fe-maines mille huit cents livres de riz bouilli, avec une quantité proportionnée de viande de boucherie. Le même jour, Gemelli dîna avec l'Am-baffadeur de France, un Gentilhomme de la même nation , nommé le Comte de Ferriol , & le Marquis de l'Orade, qui accompagnoient le Grand Vizir quand il faifoit la campagne , pour perfe<£tionner la difci-pline militaire des Turcs, & pour diriger leurs opérations. Le lendemain , le Dofteur alla Dtnf« «s voir le palais de Cara ivïufîapha, Denri* Grand Vizir, qui fut étranglé après le fiege de Vienne, quoiqu'il eût épou-fé la propre fceur du Sultan : elle continua à demeurer dans le même palais, qui efl inférieur à tous les '514 DECOUVERTES C-emelli bâtiments un peu remarquables d'Ita* Chap v. lie. Il fe rendit enfuite dans une place An, 1693. voûtée d'un quart de mille de longueur , garnie par les boutiques des cordonniers, qui en payent le loyqr â la Mofquée du Sultan Selim, dont cette place eit voifine. II termina fa promenade en allant voir la danfe des Dervis à la Mouradie, ou Monaftere des Moines riches , litué fur une hauteur dans la ville. Én chemin il vit un nombre de gens qui fe bat-toient pour avoir les meilleurs morceaux d'un cheval, qui venoit d'expirer dans la rue. Quand il eut monté la hauteur, il ôta fes fouliers, fui-vant l'ufage du pays, tk entra dans-la Mofquée, qui eft petite , mais très propre tk bien ornée. Il vilita les cellules, tk quelques autres^ appartements , où il vit un grand nombre de fens, qui recevoient des plats de riz oniflf, avec un peu de viande & de pain; aumônes qu'on diftribue tous les lundis tk les jeudis. Après la prière de midi, le Supérieur, accompagné des Dervis ou Moines, pafTa dans une pièce voifine de la Mofquée , où il y avoit au milieu un échanaud quarré entouré de baluf- des Européens. 3 ?y _ tres» On en voyoit un autre plus éle-GEMELLI~' vé de dix degrés près de la muraille, chap. v. avec une efpece de petit cabinet au An. u&\ hout, oà entrèrent huit Dervis qui jouoient de la Hôte & battoient du tambour, pour en accompagner un autre qui chantoit; & quand le chant fut fini, il y en eut un qui prêcha avec des geffes & un ton de voix également forcés. Au fond de la falle étoient -deux chaires un peu élevées: le Supérieur étoit afîis dans une, & l'autre etoit occupée par un vieux homme habillé de rouge , aux pieds duquel ïe mit un autre vieillard en robe verte, les autres Dervis, qui demeurèrent fur l'éehaffaud, ne portoient point /d'habillement uniforme ; mais ils avoient tous des bonnets de laine blanche de forme conique. Ceux du •Supérieur & des deux vieillards étoient •diftingués par des bordures affez fem-hlables au bas d'un turban, & ils portoient des ferviettes au col. Un des Dervis de l'échaffaud le plus élevé commença la cérémonie de tourner en rond, en chantant d'un ton lugubre :: enfuite le Supér-rieur expliqua quelques verfers d'un livrex qui furentlus par un autre ah% _356 découvertes gemelli a fes côtés, pendant que tous bai£ ctap. v. foient la tête, d'un air d'humilité &c F An. i6çi. de dévotion. Cette explication finie, le Supérieur defcendit de fa chaire , & s'affit les jambes croifées fur un tapis : le Dervis de l'éehaffaud recommença le fon lugubre , & recita quelques lignes d'un petit livre, avec un ton encore plus lamentable. Alors la mufique des flûtes & des tambours s'étant fait entendre, le Supérieur 6c fon Compagnon habillés de verd, commencèrent une danfe extravagante. Quand ils eurent fini leurs gefles ridicules, & que le Supérieur eut repris fa place , les huit Dervis pafferent devant fa chaire, & lui firent une profonde révérence, qu'il leur rendit en fe levant de fon fiege. Ils óterent leurs habits de deffus ; relièrent avec une courte Jaquette & un jupon ; pafferent l'un après l'autre en revue devant lui ; après avoir répété * leurs révérences, ils commencèrent à tourner les bras étendus, & un pied ferré contre l'autre, réglant la vîteffe de ce pénible exercice , qui dura un quart d'heure fur les mouvements vifs ou lents de leur mufique. Le pre-mier tour ceiTa à un certain fignal ; le Supérieur fe leva, & falua profon- gemelli dement les danfeurs, qui lui rendi- ck«p. v. rent fa révérence, & recommence- » » . . An. i6?Jr rent a tourner ; ce qui dura autant que la première fois , &: fut fuivi d'une troifieme. Enfin, le Supérieur s'étant avancé avec fon vieux Compagnon , tourna de même fur un pied avec autant de dextérité , pendant ar le proff ernement ordinaire. Alors e vieux homme lut dans un livre , le Supérieur répéta mot-à-mot ; toute la congrégation répondit par un ton d'acclamation propre à infpirer l'effroi : les Dervis baiferent la main du Supérieur, & fe retirèrent; ce qui termina cette ridicule mommerie religieufe. Le Docfeur revenant de cette un Turc veut étrange cérémonie , trouva un pa- /emparer 6e quet de hardes a la porte de fon ap- GeœeUi. partement : fon hôteffe lui dit qu'elles appartenoient à un Turc qui ve-voit d'arriver de Conffantinople, Ô£ demandoit fa chambre , menaçant d'en chaffer Gemelli, qu'il traitoit de chien oc d'infidèle. M. Vancleve, 358 Découvertes 1 ûemhlli. qui lui avoit procuré ce logement î Chap. v.' avoit fait d'inutiles efforts pour prou-An. ito. ver au Mufulman l'injuftice de fa demande ; & il lui avoit dit fermement que le Franc qui avoit loué la chambre, n'étoit pas itn homme à abandonner fes droits. Il ne put réuf-iir à lui faire entendre raifbn ; le Turc laiffa fon bagage à la porte , &C alla chez le Cadi pour en obtenir uttf ordre de chaffer Gemelli, qui cependant rentra dans fon appartement, bien réfolu de s'y maintenir. Le Turc voyant que le Cadi ne fe rendoit pas à fes follicitations, revint frapper à la porte : le Doûeur refufa de la lui ouvrir ; & il fut obligé de prendre fon logement fous une gallerie ouverte , où il fut expofé aux injures de l'air, qui étoit excefîivement froid, la terre étant alors couverte de près j de deux pieds de neige. Du Cham de Le mercredi 3 o , Gemelli vit le ywtane. Qiam de Tartarie, qui alloit fur un cheval bai du Serail à fon palais , environ àfix mille d'Andrinople. Il étoit de moyenne taille , le teint brun, l'air féroce, environ de l'âgé de quatre-vingt ans. Son habillement-étoit yerd, ainfi que fon carpas ou bonnet, m la Tartare , fur lequel il y avoit gemelli,! 4eux plumes quife croifoient. Il étoit chaP. v.' accompagné de vingt de fes domefli- An. i«j>j, ques à cheval, 6c d'un grand nombre d'hommes que le Grand Vizir lui avoit envoyés par honneur. he vendredi premier de Janvier Gemelli vols 1694,1e Dodeur eut occafion deGT™7seil Voir le Grand Seigneur allant à lasnc«f» JMofquée. il avoit un habillement de foie, d'un rouge pâle ; fon bonnet étoit garni d'un grand nombre de joyaux ; il rendoit le falut.à fes fujets en inclinant la tête ; & defcendit de caroffe avant fon Selletar ou Porte-épée. JLa cavalcade qui l'accompa* gnoit étoit difpofée différemment de celle que Gemelli avoit vue le vendredi précédent: les prières durèrent environ une heure ; 6c quand le SiuV tan fortit, il portoit au lieu de bonnet un Turban verd bordé de blanc: il avoit aufli rnis une vefle de foie jaune. Ce que Tavermerrapporte, que Erreur^ le Grand Seigneur porte trois plumes Tavcrnicr« à fon mrban^ efl fans aucun fondement ; de même que ce qu'il ajoute, que ce Prince en donne une au Grand jSfizir, comme un gage du fuprêmç 36*0 Découverte* gemelli. commandement quand ce Miniftre ch»p. v. entre en campagne, & fe met à la Au. i**». tête de fes troupes. En cette occa-fion le Grand Vizir paffe fur un échaffaud élevé, où le Grand Seigneur eft afîis : il defcend de cheval, fe profterne en terre, & on lui met fur le dos une vefte ou habillement que lui donne Sa HautefTe, qui fait le même préfent à tous les Bâchas qui vont à la guerre. Le Samedi z de Janvier , Gemelli vit le premier Vizir qui alloit au fé-rail. Il étoit précédé de trente Chia-oux, & de foixante Turcs diftingués qui revenoient de leurs Gouvernements , & lui fàifoient la cour, pour obtenir des récompenfes. Il portoit un habillement rouge, étoit monté fur un beau cheval noir, & fuivi de foixante valets à pied. Le lendemain, le Dofteur alla voir le palais du Moufti qui étoit forti en caroffe, accompagné de douze perfonnes : fon habillement étoit verd, & il portoit un gros turban de la même couleur; mais dans les cérémonies il paroît en robe blanche. £[cïiTi0n Par*e fecours de M. Granier, qui avoit des connoiftances dans le ferait, Gemelli des Européens. 36*1 Cemelli eut la permifîion devoir quel- gemelli." cmes parties de ce palais. Il entra d'à- ciwp. v. bord dans deux écuries voifines, & An. 169*. vit dans une cinquante chevaux pour les Pages : dans l'autre il y en avoit un pareil nombre très bien entretenus pour l'ufage du Sultan. Une pièce adjacente étoit occupée par les felles, &: les brides,jles boucliers, les harnois, les plus riches équipages en or & en «rgent, ornés de rubis, d'émerau-des & de turquoifes. Devant le palais eff une place d'un mille de tour, au milieu de laquelle on voit une fontaine , oc le piquet oh l'on attache l'étendard de Mahomet , quand il arrive quelques mutineries, ou quelques loulevements. Le férail, qui en langue Perfane fignifie une maifon royale, elf bâti régulièrement près de la rivière Tun-gia. Il a environ deux milles de tour avec fept portes, outre celles qui conduifent aux jardins, lefquels ont plufieurs milles de circonférence. Un feoifangi le conduifit par la porte la plus grande & la plus fréquentée , à Aine place de cent pas en quarré, dont le tour eif couvert pour îa commodité de ceux qui vent d'une porte Tom. VUL Q *$6i Découvertes* 1 emellk une Le Dofteur entra dans*' chap. v. la première & la féconde cuiline à An. 1694. droite, où il vit plufieurs Kalvagis ou Cuiliniers, avec leurs bonnets bfancs , qui préparaient les mets pour le Grand Seigneur, 6c pour fa Cour : dans la troifieme pièce étoient les Confifeurs qui faifoient le forbet, & les defferts en fucre. Vis-à-vis de la grande porte font les appartements des Ichioglans ou Pages, compofés de grandes falies, où ils font tous leurs exercices, avec un balcon au deffus pour les femmes. La troifieme porte conduit dans les appartements de l'Empereur, oii il n'eft pas permis d'entrer. Achmet II. qui regnoit alors, con-noiffoit très peu le monde , à caufe de la longueur de fa prifon ; mais il étoit fort adonné aux femmes. Il ai-moit à rendre juftice , à punir le vice, & à récompenfer le mérite. Il avoit eu de la Sultane favorite deux fils jumaux , dont il ne furvécut que celui qu'on appelloit Ibrahim ; mais il avoit deux neveux vivants , fils de fon frère Mahomet IV. qui étoient retenus en prifon, fuivant la politique barbare de la Maifon Ottomane, CHAPITRE VI. Des Officiers de la Cour du Grand Seigneur. LEs appartements des femmes font gardes par des Eunuques noirs de la figure la plus difforme & de An l'afpetf le plus affreux, auxquels on a foin de retrancher totalement ce DeJEf3J" qui les rend hommes. Ils font enraii. grand nombre, vivent très régulièrement , & avec la fubordination la plus foumife aux ordres d'un chef, nommé le Kiflar-Agafi, ou Gardien des vierges, qui a la furintendance des appartements des femmes, & une fi grande autorité, qu'il parle au Grand Seigneur quand il lui plaît; ce qui lui procure de grands tréfors, par la part qu'il a dans les préfents que les Bâchas font aux Sultanes pour avoir leur protection. II y a auffi un grand nombre d'Eunuques blancs, mutilés moins rigoureufement, qui prennent foin des appartements du Grand Seigneur, fous un chef, nom- Q il J6*4 découvertes gemelli. mé Capi-Aga , qui eft toujours près4 chap. vi.. eJ™(j* après lui, font les quatre Nozada-bachis, ou Gouverneurs des quarante Pages de la chambre. Le premier, nommé le Sera-Agaii , eff chargé du foin de tous les apartemenfs dtï Grand Seigneur , & elf le chef des Pages qui gardent le linge, & accompagnent le Sultan quand il voyage. Son Lieutenant, nommé le Se-raiketodafi , efl chargé du foin de faire changer deux fois l'année tous les tapis du férail. Les autres font le Haznadar - Bachi , qui porte la bourfe particuliere de l'Empereur, Si. le Kilargi-Bachi, ou chef des Pages «uKiiarchargéduforbct, & desautres liqueurs deftinées pour le Sultan. Les autres Officiers du férail font le Grand-Fauconnier, nommé Dogangi-Bachi; le Kokedar qui habille l'Empereur 9 îii-j-BLLi. *e K-ikabdar qui lui tient l'étrier quand ciup. VI.' il monte à cheval; le Selettar, qui Aa. i6s>4. porte fon cimeterre ; le Hommangi-Bachi chargé de ce qui concerne les bains ; le Chiamachi-Bachi, qui a fous fes ordres ceux qui lavent le linge ; bc le Gerit-Bey, ou Commandant de ceux qui tirent de l'arc tous les vendredis dans la place devant le palais. Ceux qui occupent ces poffes font ti:;és des Ichioglans, & font habillés comme il leur plaît ; mais les Boftangis portent un long bonnet rouge qui leur tombe fur le dos : quelques-uns font chargés des jardins du férail ; d'autres prennent foin des chevaux, ck d'autres tiennent les rames dans les barques où monte l'Empereur, quand il fait quelque promenade fur mer. Ils font tous Azamo-glans, c'eft-à-dire, enfants de tribut, pu jeunes Chrétiens pris efclaves en guerre ; mais leur chef eff très refpe&é des Bâchas , qui achètent fa protection par des préfents confidérabtes , parce qu'il eff ordinairement très bien venu du Sultan, elf fouvent auprès de fa perfonne, & conduit fa barque quand il monte en mer. Les Balta-gis portent un long bonnet en pain des Européens. 367 fucre, couleur de canelle t ce font gemelli. eux qui coupent le bois , qui accom- chaP- vi. pagnent le Grand Seigneur quand il An. 1694* eff à cheval, & qui gardent les portes de la première ÔC de la féconde cour du férail. On connoît aufli les derniers par le nom de Capigis, & leur Chef ou Capi-gi-Bachi eff chargé de faire exécuter les ordres du Sultan. Ceux qui portent un bonnet blanc, terminé par une pointe aiguë font nommés Hàlvagis, & employés dans les cuifines, fous l'autorité du Kilar-gi-Bachi ; mais chaque cuifine particuliere a fon chef, nommé Aragi-Bachi, outre le Muchek-Emin ou pourvoyeur , qui fournit auffi les tables & les cuifines des Ambaffadeurs fous les ordres du Grand Vizir. Le dernier Officier diffingué efl le Haffa-ler-Agafi, ou Direfteur de l'infirmerie , qui examine tout ce qui entre ou fort du férail, & prend garde qu'on n'y faffe entrer de vin. Tous ces officiers & domeffiques origine i. trmts dans la religion de Mahomet, & partagés en deux claffes. Les plus forts nommés Azamoglans font inf-truits à remplir les places de Balta-gis , de Halvagis , oc de Boftangis. Les plus inteligents font mis au rang d'Ichioglans ; & c'eff d'eux qu'on tire des lu jets pour les plus grandes places de l'Empire. Ils paffent par quatre chambres , nommées Odas, où ils apprennent leurs exercices , fous l'infpection des Eunuques blancs, qui les battent cruellement pour les fautes les plus légères, & les traitent en général avec la plus grande féve-rité ; enforte qu'ils font uifnTamment exercés à la patience quand ils arrivent à la quatrième chambre , d'où ils ne fortent que pour occuper de grandes places. Tous ces gens demeurent dans le férail ; mais ce qui en fait la partie la plus intéreffante, font cinq ou fix cents filles d'une grande beauté, prifes en guerre, achetées, ou envoyées en préfent par les Bâchas, pour fervir aux plai-firs du Sultan. Des Bâchas. Entre tous les Bâchas, les quatre dés Européens. 369 principaux lont, le Vizir-Afem ou gemelli." Grand Vizir , le Caimacan ou Gou- chap. vi. verneur de Confîantinople , le Ba- ah. cha de la mer , & l'Aga des Janiffaires. Ces Officiers ont une fi grande autorité, que quelquefois ils déponent le Grand Seigneur ; aufîi pour la plus légere offenfe l'Empereur leur fait ôter la vie. Les Vizirs font distingués en campagne par trois queues de cheval qui leur fervent d'étendard; mais les autres Bâchas, ainfi que les Beys n'en ont que deux. Quand le Grand Seigneur commande en perfonne , on en porte fept devant lui, pour marquer fa domination fur fept climats. On prétend que cet ufage vient d'une bataille, où l'étendard Turetfut perdu, que le Général coupa la queue d'un cheval, la fît attacher à une pique, ôc marcha aux ennemis , fur lefquels il remporta une viöoire complet'te. Le Grand Vizir eff Général des t>« Cran j armées, Garde du grand fceau , Pré- v iZU* fident du Divan, & premier Miniffre. Le Caimacan , ou Gouverneur de Conflantinople efl fon Lieutenant r & remplit fes fonctions en fon ab-fence, Le Bâcha de la mer efl Amiral _37° DÉCOUVERTES üiimf.i.li. de ^a flotte , & commande les Beys^ thap. vi. ou Gouverneurs des Provinces ma> An. ifi94- ritimes, ainfi que les Capitaines des galleres du Grand Seigneur. Jamais**" L'Aga des Janiffaires, nommé par ài ' les Turcs Vingeri- Agafi eff le feul qui puiffe approcher de la perfonne du Sultan fans avoir les mains croifées fur l'effomach : il commande le formidable corps des Janiffaires , qui monte à cent mille hommes. Les Beglier-Beys agiffent en Souverains dans les Gouvernements généraux : ils ont fous eux les San-giacs-Beys , ou Gouverneurs des Provinces particulières. Des spahis. Les Spahis & les Zahins compo-fent des corps confidérables de cavalerie , & ils fubfiflent des terres que leur accorde le Grand Seigneur. Les Chiaoux font comme des meffagers, qui accompagnent le Sultan à cheval, oc font envoyés pour exécuter fes ordres. L'Emirachur-Bachi eff comme le premier huifîier du férail ; & il marche devant le Grand Seigneur quand il paroît en public. Le Caragi-Bachi eff le chef des receveurs des taxes : pour fubvenir aux dépenfes publiques , il fait payer cinq ducats des Européens. 371 à chacjiie Chrétien, & à chaque JuifGEMELLI. «qui refide dans ■ le Levant ; les Ar- chaP. vi, méniens payent moins, & les Francs An. u$£ font totalement exempts. Le Moufti eit le Chef de la religion & des loix, dont il partage l'adminiffration avec le Cadi, ou Chef de juffice. Les Cadileskers de Natolie & de Romanie font les feuls juges des fol-dats : au delfous'de ces juges dans les affaires civiles font les Moullahs, ou juges des grandes villes, ainfi que les Cadis & les Naipis qui ad-miniftrent la jultice dans les petites villes & dans les villages. On donne le nom d'Imans aux Des i»an« Prêtres qui fervent dans les Mofquées: ouI>r«tr«* les Hogias font ceux qui font la lecture de la loi : les Scheiskis font les prédicateurs ; & les Muzzins appellent le peuple à la prière du haut des Minarets. Les Dervis font des efpeces de Moines, quoiqu'ils ne vivent pas dans des Monafteres , mais dans leurs maifons particulières, avec leurs femmes & leurs enfants, où ils fub-fiffent d'une paye que leur accorde le Sultan : cependant ils font obligés Qvj 37* DÉCOUVERTES gemelli. * certaines heures de fe rendre danft chap. vu. le Heu où ils célèbrent leur cidte re-An. 165* ligieux. »..........il.....«.....■■■IWIIIMII »l I■■■■■■ CHAPITRE VII. VOYAGE DE GEMELLI à Conjlantinople. Gemelli fe Emelli après avoir pris congé meten rem. ^ Baron de Châteauneuf, Am-baffadeur de France, loua des chevaux tant pour lui que pour Ion valet, à cina ducats pièce, & partit pour Conftanrinople , avec une petite caravane de quarante perfonnes.. Le premier jour ils firent vingt milles, dans des plaines couvertes de neiges, & allèrent coucher au village de Hapfa : la féconde journée fur beaucoup plus fatigante & plus défagré-able; ils furent prefque gelés fur leurs chevaux avant de pouvoir atteindre leur gîte dans la ville de Bergafi, éloignée d'environ trente-cinq milles du lieu où ils avoient paffé la nuit. Le troifieme jour, ils firent quinze milles jtifqa'au village de Caleûran s des Européens. 37? îe quatrième, qui étoit un jeudi, lesGEMHLLI* conduisit vingt milles plus loin à chap. vu» Chiorla: le vendredi, ils arrivèrent An. 1*9+ au bord d'un canal qui paffe par le village de Sivirly , & logèrent à Bourgados , après une marche de vingt-cinq milles. Le famedi , ayant' fait quinze milles, ils pafferent par Chech-Mangia, village fur le canal, où il forme un circuit d'environ huit milles de tour : on le traverfe par quatre ponts de pierre ; & cet endroit fournit une pêche abondante» On ferme Centrée de ce circuit ou petit golphe, à l'exception d'un étroit paffage , avec des paliffades ; & l'on y pêche le poiffon dans une cabane de bois près de l'embouchure. Quand ils eurent fait encore huit milles , ils pafferent fur un autre pont, aufîi de pierre , où la pêche eff aufîi très abondante. Le Dimanche , après avoir fait dix H arrive i milles , partie fur des hauteurs, par- a aM* îie dans un pays plat, le Docfeur arriva à Conffantinople, & fut obligé de coucher fur des planches dans la maifon d'un Grec à Galata, parce que l'hôtellerie étoit pleine. Dans tout ce -voyage, bien loin de trou> 374 DÉCOUVERTES GEMFLLi. ver ^a politeffe & l'hofpitalité, tant chap. vu. vantées par Tavernier, il paya cha-A*. 1554. que nuit deux carlins ; ce qui revient à près de vingt-quatre fols, pour les planches fur lefquelles il coucha en route ; & il vécut du reffe comme dans les auberges ordinaires, n'ayant . qu'à peine les commodités néceffai-res pour préparer fa nourriture, 6c ne pouvant obtenir que des vivres très médiocres pour fon argent. Gemelli, qui avoit été fi mal nourri avant d'arriver à Conftantinople ; quand il fiit dans l'auberge, où il loua une chambre , mangea fi prodi-gieufement à la table d'hôte, qu'un François, fe tournant vers un de fes amis, ne put fe retenir de dire : « cet homme mange comme un dia-» ble. » Defcription Conffantinople, métropole de l'Em-deConfta«i-pire Ottoman, eff nommée par les Turcs Stamboul, ou Stambol, parce que des payfans de Romelie , à qui on demandoit où ils alloient, répondirent in T»r TTox/y, c'eff-à-dire, à la ville. Elle eff fituée fur le détroit de la mer noire, anciennement nommé le Bofphore de Thrace, à 42 dégrés de latitude. La fo*me en efl des Européens. 375 triangulaire , oc deux côtés font ar- gemelu.j rofés par la mer ; ce qui forme le chap- vu. plus beau port de l'Europe. Elle eff An. ifc* bâtie, comme l'ancienne Rome, fur fept collines ; ce qui contribue à en augmenter la beauté, & la rend beaucoup plus faine : elle a environ quinze milles de tour, en y comprenant le férail & les jardins qui en dépendent ; Se l'on prétend qu'elle contient un million d'habitants. Quoique les maifons en général foient baffes & mal conffruites de terre & de bois, ce qui les rend très fujettes au feu, la ville eff embellie de plufieurs belles mofquées, de palais, & d'édifices publics d'une grande magnificence : elle eff aufîi ornée de différentes fontaines très belles, & qui fourniffent de fort bonne eau, qui vient de très loin fur de beaux acqueducs. Les Bazars ou marchés abondent en toutes fortes de marchandifes , 4. cotés de l'Hippodrome ; oC l'on dit qu'il contient fix cents appartements ; mais l'entrée en eft interdite aux étrangers : c'eft où le Grand Seigneur fe rend pour voir les fêtes publiques à la circoncifion des Princes Otto-. mans. Bes fept Le lendemain Gemelli fit le tour (ouïs. ^e ja vj|je ^ y-t penciroit qu'on appelle les fept Tours , prifon d'Etat, où l'on tient aufîi les Otages, qui y font très bien traités, ainfi que les criminels que le Sultan ne veut pas faire mourir. C'eft où le Grand Seigneur Ibrahim fut étranglé par les Janiffaires révolrés en 1649, & Ofman y avoit fubi le même fort en 1622. Le bâtiment eft un château quarré conf-truit par les Chrétiens , comme il eft aifé de le voir par les figures mutilées des Anges & des Saints, qui font encore vifibles fur les bas reliefs des murailles. Le Docteur vit aufîi les mines d'un, autre bâtiment qu'on dit être le palais de Conftantin près la porte d'Agri-Capfi : quelques années auparavant, un jeune homme y trouva un gros diamant qu'il çlonna pour des Européens. 387 quatre fols ; mais il fut eftimé cent gemelli.* mille écus , & le Sultan s'en empara, chap. vii.j L'Efqui - Serai elf un palais où les An. 1^ femmes qui ont appartenu au dernier Sultan, font gardées pour le refte de leur vie, à moins que quelqu'une ne foit mariée à un Bâcha. Le férail oc les jardins qui en dépendent font renfermés par une haute muraille de deux milles de tour, & la porte en eft gardée par des Janiffaires & des Capîgis. Gemelli revenant d'une célèbre Gemelli eft mofquée, nomméeChefade-Giamifi,^j0B^ur "* bâtie par le fils du Sultan, fut pour-fuivi par deux Janiffaires, qui après avoir fouillé dans fes poches, le conduisirent comme un efpion en pré-fence d'un Officier qui l'interrogea en langue Italienne. Voyant qu'il ne voya^eoit que pour fatisfaire fa cu-riofite , il le renvoya comme étranger, lui dit de retourner à Galata oc de ne jamais rentrer à Conf-tantinople. Il étoit très dangereux pour notre Auteur de fe promener comme il le faifoit dans les rues de cette Capitale fans avoir un Turc pour le conduire , particulièrement dans im temps où elle étoit gouver- gemelli. n^e Par im Caimacan brutal, enne-chap. vu. mi déclaré des Chrétiens, qui avoir Ap. fait donner la baffonade à une Fran-çoife , parce qu'elle portoit des pa-pouches jaunes , & avoit menacé de faire punir les domeftiques des Ara-bafladeurs étrangers pour la faute la plus légere dans laquelle ils pour-roient tomber. L'Ambaffadeur de Hollande fe plaifoit beaucoup à la chaife des Phaifans, & il y alloit fouvent dans un endroit nommé Belgrade , éloigné de fix milles de Conlfantinople ; mais le brutal Mufulman lui fit dire que s'il y alloit encore prendre ce divertilfement, il le feroit pendre devant la porte fans aucune autre formalité. Après cet ayerthTement, Gemelli retourna en djligence à Galata, & vit en route la maifon & l'Eglife du patriarche Grec, Cette Eglife eff petite , obfcure, baffe , & éclairée de quelques lampes d'argent. A gauche eff la chaire du patriarche , élevée fur quatre marches , ôc à droite on fait voir un fragment de la colomne où notre Seigneur fut attaché. Canal de Le lendemain, le Docteur loua Conitantmor une barque pour fe promener fur le des Européen s." 389_* fcanal, d'où il jouit de la vue de Conf- gemelli? tantinople & des villes voilines. Il ehaP« VIL defcendit à l'affenal, où il y avoit An. 169^ un grand nombre de galleres , de ga-liottes & de brigantins fur le chantier, outre ceux qui étoient à l'eau, & vingt vailfeaux de ligne conffruits fur la mer noire. Le bafïin eff très beau, & Fon voit auprès la maifon du Capitaine Bâcha, bâtiment très élégant & très commode, prefque entièrement environné par le canal. Les bords de ce canal font ornés d'un grand nombre de maifons de campagne , entre lefquelles on distingue particulièrement le fameux palais ôc le jardin de Seraï-Badichra, entouré de belles allées de cyprès, & accompagné de divers ornements li éclatants qu'ils attirent & amufent agréable* ment les yeux des voyageurs. Peu de jours après, notre Aifteurjj1? jtojjfftà eut la fatisfaûion d'apprendre que le faire cabaret Caimacan étoit dépouillé de fon gou-tltr* vernement, à caufe de fa brutalité envers les Mufulmans, les Juifs 6c les Chrétiens, qu'il avoit également opprimés depuis trois mois. Le même jour , Gemelli trouva le fils de Dom' Jofeph , Marquis Mefïînois , qui fài- gemelli. Ie métier de marchand de vin Chap. vu. au village de Karakioi, où fon pere An. 1694. avoit exercé le même état pour vivre, avant d'être délivré de captivité. Raffuré par la dépofition du Caimacan , le Docleur pafla encore à Conf-tantinople pour y voir la colomne de Marcian , qui étoit dans la cour d'un particulier Turc, près du quartier des Janiflaires. Elle efl d'une pièce de marbre de diverfescouleurs, d'environ quinze palmes de haut, avec le chapiteau d'ordre Corinthien , fur d'eflal , parce qu'il étoit enfoncé en .terre. lequel eff une pierre quarrée, avec des aigles aux quatre coins : il ne put voir l'infcription latine du pied- CHAPITRE VIII. VOYAGE de Gemelli à Smyrne 9 & fon départ pour Burfe* GEmellï ayant réfoiu de fe rèn- gemelli. dre par terre en Perfe avec une chap. vnf. caravane , s'embarqua à bord d'un An. iss>4. chiamber Turc , Chargé pour Smyrne j & après avoir fait trente milles, re^«/e il jetta l'ancre dans une rade découverte fur la côte de Natolie. Le vent ayant tombé le lendemain , ils furent obligés de gagner fille de Marmorâ , qui avec quatre autres fournit de viri Conftantinople à un prix très modique , puifqu'on en donne une mefure de trois chopines pour environ deux fols. Ils furent retenus trois jours par les vents contraires avant d'arriver à Gallipoli, où Gemelli fut encore traité dans la maifon du Vice-conful Juif. Le même foir , Oufïîn-Bacha-Vizir entra dans la ville, avec une fuite de deux cents hommes à cheval ; il alloit à Confiantinople remplir la place du Caimacan dépofé , R iv 392- DÉCOUVERTES gemelli auquel on donna le gouvernement chap. vin de Derberker, capitale de la Mélo-An 1694. potamie. 11 relâche à Le vendredi 5 de Février, le Doc-ïénédos. teur continua fon voyage, & descendit au château de Natolie où il fut très mal reçu par le Vice-conful de France , qui dit à l'Aga que c'étoit un impollcur ; mais malgré fa méchanceté, le Mufulman laifla retourner à bord notre voyageur fans lui faire aucun mal. Le mardi ils furent obligés de relâcher à Ténédos où Gemelli trouva deux François avec un Vénitien tk fa femme habillée en homme. 11 y fit très bonne chère, Ô£ fut régalé d'excellent vin mufeat à très bas prix dans la maifon d'un prêtre Grec , qui îogeoit les voya» geurs. So« retour Le bâtiment remit à la voile le lun--.4smy«ne. d\yen compagnie de plufieurs chiam-bers Turcs , il entra dans le détroit de Baba , tk le lendemain ils arrivèrent à Foggia, où le Dofteur loua deux chevaux pour une piaffre, dans l'intention de s'en fervir pourfe rendre par terre à Smyrne, qui en eff éloigné de quarante milles. Le vent étant très bon le lendemain matin* des Européens. fff il fe détermina à s'y rendre par mer, gemeill & ils quittèrent le port de cette pe- chaP« V11V tite ville où les vaiffeaux font en fuie- An. us?* té. Il y remarqua un petit château avec neuf pièces de canon dans une batterie à fleur d'eau. L'après midi, ils arrivèrent à Smyrne, après une ennuyeufe traverfée de vingt & un jours, par l'ignorance & la pareffe des mariniers Turcs, qui traitent aufîi les Chrétiens avec autant d'infolence que de mépris. Gemelli loua une chambre dans le Khan des Arméniens où s'affembloit fa Caravane de Perfe , & pendant le carnaval, il y fut magnifiquement traité par les Confuls de France , de-Hollande & d'Angleterre, qui entre-tenoient réciproquement la liaifon' d'amitié entr'eux , malgré la guerre i que fe faifoient leurs nations refpec-tives. De tous ces Confuls, c'eff celui de France qui jouit de la plus grande confédération dans le pays. Le furiendemain de l'arrivée de Caravane de Gemelli, on fentit à Smyrne une l>"lc' forte fecouffe de tremblement de terre , qui fe renouvelia le jour fuivant avec la même violence. Pendant qu'il «toit en celte ville r il y arriva une R-v 394 Découvertes gemelli. caravane de Perfe compofee de cent Çhap. vui. vingt chameaux chargés de foie : An. mais les marchands ne voulant pas fe hafarder crainte des voleurs à fe mettre en route en petit nombre, Gemelli renonça à fon premier projet de pourfuivre fon voyage par la Natolie. Il s'amufoit beaucoup à la chaffe &c à d'autres plaifirs, fous la protection des Confuls & des Facteurs Européens ; mais ces divertiffements furent interrompus par un ridicule accident, qui le rendit plus réfervé fur fes promenades. Il fut cité à comparoître devant le Confid François par un nommé Brancaleone , natif d'Ancône , qui foutint que le Docteur n'étoit pas Gemelli,mais Jean Maffacueva de Mefïine, duquel Brancaleone avoit reçu quelquesmarchan-difes qui étoient faifies à la douanne de Smyrne , & il vouloit que notre Auteur lui donnât fa décharge de l'engagement qu'il avoit contracté pour cette affaire. Quoique Gemelli fit tout ce qui étoit en fon pouvoir pour le détromper, en lui déclarant fon nom & fon pays, ôt en lui montrant de fon écriture, qui étoit très différente de celle de Maffacueva ; l'Ancônois des Européens. 395_ h'étant pas fatisfait le fit citer une g/-M£ljli. féconde fois devant le ConfuI, quiCnaP- qu'ajouta foi au rapport de Brancaleone, An. i6?4« quoiqu'il connût bien le Meflïnois, tant il y avoit de relTemblance entre cet homme & Gemelli : enfin après bien des remontrances inutiles , il conduifit l'Ancônois dans fa chambre, lui ouvrit fes valifes, & lui montra tant de lettres & de papiers authentiques qu'il fut convaincu de fon erreur. Malgré cette explication, le Doc- 11 fc rcmcl ' ° . r , r 7 .en rouce, teur craignant que les loupçons de Brancaleone ne fe renouvellaffent, loua deux chevaux pour lui & pour fon valet, qu'il paya quinze piaffres; convint de la moitié du même prix pour fon bagage ; prit congé de fes amis, & partit pour Burfe, capitale de la Bithinie, avec une caravane de cent dix chevaux ou mulets qui part tous les quinze jours de Smyrne pour cette ville. Le premier jour qui étoit le mercredi c^, ils firent trente milles, partie fur des hauteurs, partie en plat pays , & arrivèrent à Mana-fia , ville aufîi grande que Smyrne , gouvernée par un Cadi, & défendue par un vieux château ruiné. Gemelli R v) gemelli. nit °t>ligé d'étendre Ton petit lit por-, chap vui. tatif fur la terre nue, & de coucher A», kî94.. avec'fes bottes, pour fe mieux garantir de la rigueur du froid, qui étoit exceffif, tk cependant ne pa-roifîbit faire aucun elfet fur les Turcs „ quidormoient tranquillement en pleirt air au pied d'une montagne couverte de neige. Le lendemain , ils fuivirent une chauffée y. faite à grands frais au. traversd'un pays marécageux ^trouvèrent à l'extrémité une grande rivière qu'ils pafferent fur un pont de bois* tk logèrent avec leurs montures dans*, un Caravanfera au vdlage de Counac», que lès Turcs appellent Balamuc. Le Jeudi , ils firent trente-deux milles ert dix heures fans arrêter, enforte que-Gemelli fut obligé de prendre le panneau de fa felle pour lui fervir de table , tk de manger en continuant: à marcher. Le foir il fit fon lit dans, la mangeoire du Caravanfera ; cependant les Turcs, le traitèrent avec politeffe , tk un More de Tunis le-regala de melon tk de caffé. La journée du. vendredi fut. par des montagnes très raboteufes ,, couvertes d'une* neige épaiûe qui rendoit les chemins; très, difficiles & peu furs. Ils firenç:' p es Européen s. 397 environ vingt-quatre milles, & s'ar-^~^** rêterent vers midi à Couriungiouch ,,chaP. vïHjj village fitué entre les montagnes , An., où il trouva de fort bonne nourriture. Le Docfeur fut très fcandalifé: dans ce voyage de l'infolence des Catargjs ou Muletiers qui pour faire aller I eurs bêtes , leur donnent l'épi-théte de Giaouir qui fignifie infidèles r nom dont ils fe fervent également pour les ânes & pour les Chrétiens. Le famedi ils firent trente - trois Suite de fa* milles fur des roches couvertes dev°ya&e" neiges, 6k arrivèrent à Mindoyra, fftué dans une plaine fertile : le jour fuivant, ils firent aulîi trente-trois milles fur des montagnes arides qui les conduifirent à Soufigreli, mifé-rable hameau compofé de quelques, chaumières, près d'une grande rivière , mais avec deux magnifiques Caravanferas. Le lundi 15 , ils pafferent une plaine de quime milles „ & arrivèrent au village de Hiermour-gia , où ils furent logés dans des maifons de Turcs , parce qu'il n'y a pas-de Caravanfera. Le lendemain ils firent autant de chemin par une route pleine de boue, qui les mena à Loubat; cet endroit paroit être une ancienna Chap. vu'parles tours qui y font demeurées: Au. i<îi>4. elle eft fituée fur les bords d'une rivière , où il y avoit autrefois un très beau pont de pierre ; mais il efl: pré-fentement en ruine. De cinq Juifs qui fàifoient partie de la caravane , le Caragier ou Receveur des tributs en arrêta un prifonnier, parce qu'il ne put montrer de billet pour juffifier qu'il avoit payé le droit ou capitation, qui pour un homme riche monte à quatre fequins, au lieu que les gens du commun n'en payent que deux ; mais les pauvres mêmes font obligés d'en donner un. Nos voyageurs s'em-barquerent fur la rivière , qui a environ un mille de large, & vient d'un lac qu'ils pafferent à la vue de plufieurs villages. Après avoir fait vingt-quatre milles , ils joignirent les Muletiers à Nacilar ; firent encore fix milles , & s'arrêtèrent au Counac d'Hafîà-Aga-Kioi, dans une écurie trop petite pour contenir tontes leurs bêtes, quoique le nombre en fût de beaucoup diminué , parce que la plus grande partie de la caravane les avo t quitté à Sufegreli pour Sardac, Gallipoli 6c Andrinople, Le jeudi 18 , ils firent dix- huit Gemelli. milles , & arrivèrent à la ville de chap. vin. Burfe ou Prufa, fituée au pied du An. 1694. mont-Olympe. Cétoit la cour des anciens Rois de Bythinie avant qu'd^H*"*™ * le eût été foumife par Orchan, Empereur Ottoman qui s'en rendit maître en 1300, & en fît la capitale de fon Empire, parce que les Turcs ne poffédoient pas encore Conftanti-nople. Derrière cette ville effle mont-Olympe , extrêmement élevé, & dont le fommet eff toujours couvert de neiges : cependant on y trouve d'excellentes grenades à mi-côte , & au pied il y a un grand nombre de jardins délicieux. C'eft de cette montagne que vient la rivière Rhindacus, la plus grande de toutes celles qui tombent dans la Propontide. Burfe, pays natal d'Afclepiade & de Dion Prufius, furnommé Chry-foff ôme, peut être appellée le Pouz-zolo de Bythinie, à caufe de fes bains : cette ville paroît irréguliere , parce qu'elle eft bâtie en partie fur deux montagnes. Sur un rocher élevé, on voit le palais du Grand Seigneur renfermé par une double muraille, avec fies tours à des diftances convena- 400 DÉCOUVERTES rw^TTT bics: mais il tombe préfentement erf chap. vm ruine, par la négligence oc la pareiier An. 16J.4. des Turcs. Il commande fur un pays très agréable planté de vignes, orné de jardins 6k de villages, 6k arrofé de ruiffeaux 6k de canaux qui en augmentent la beauté. Des bains. Gemelli loua un luif pour être fon conducteur, 6k alla fe promener dans> la ville , qui elf plus grande, plus peuplée 6k mieux bâtie que Smyrne^ H vifita le Bikiffen ou Bourfe , les* riches Bazars , 6k le férail oii réli' doient autrefois les Sultans, mais qui tombe aujourd'hui en ruine : la mof-quée d'Amurath-Bcy ou il vit les tombeaux de cinq Sultans , 6k il fit enfuite une promenade aux fameux bains , qui font environ à une lieue de la ville. Le principal nommé erï Turc Capligia, contient plufieurs pièces ; dans la première les baigneurs fe deshabillent fur des fophas, 6k il' y a une bonne fontaine d'eau fraîche. De cette falle on entre par deux portes dans le bain ; à gauche efi une chambre à coucher pour ceux qui veulent y palfer la nuit, avec d.iverfe. commodités-, une fontaine1 d.reau chaude 6k une d'eau froide*. Un peu plus loin eft une autre cham- qemell^ bre, couverte en coupole , comme chap. vilfî elles le font toutes , avec des ouver- An, tures pour laiffer évaporer la chaleur. Il y a une fontaine au milieu , & trois petites d'eau tiède fur les côtés. On paffe dans une troifieme pièce qui eif très petite, & où l'on trouve encore trois fources : enfin on defcend par deux efcaliers dans le bain , qui a fept palmes de profondeur : il eff de forme ronde avec une coupole 9 & des ouvertures pour donner de J'air. Il efl rempli par fept fources d'eau chaude qui font autour, mais on eff obligé de les tempérer avec de l'eau froide, autrement elles ne feraient pas fuportables. Les bains • des femmes font féparés de ceux-ci; .mais les lundis les deux féxes font un échange. On y trouve des gens dont l'emploi efl de laver, de froter, & de rafer les baigneurs. A la diftance d'un jet de pierre eff un autre bain nommé Kioukiourtli, dont les eaux font médicinales : il efl accompagné d'une étuve & des autres commodités; mais il n'eft pas aufîi magnifique que le premier , dont le pavé eû de marbre de diverfès couleurs.Lè lende- Gemelli. mam Gemelli a^a vcnr un troifieme Chap. vin bain éloigné de trois milles de Burfe : An. los»*, les eaux en font minérales bc efficaces dans plufieurs maladies : il efl conftruit à peu près comme les deux premiers. A fon retour il paffa par le Bugar-bachi pour voir tourner les Dervis, & entra dans la mofquée d'Uli-Giami, au milieu de laquelle efl: une grande fontaine , entourée d'une baluffrade. Cette mofquée eff très ancienne, & l'on prétend qu'elle a été bâtie par le premier Sultan qui a réfidé à Burfe. Cette ville eff gouvernée par un Molli ou Cadi, qui change chaque année, & Gemelli n'y remarqua rien de plus qui méritât fon attention. L'air y eff peu fain, parce qu'elle efl fituée près de plufieursma-rais & d'eaux dormantes, d'où il s'élève un brouillard tous les matins. On y vit à un prix raifonnable, & l'on y trouve en abondance de la viande , du poiffon, du pain & d'excellent fruit. Equipage Le famedi 20, Gemelli fe mit en p«Y1i'"dun chemin pour Montagna , fituée partie fur une hauteur 6c partie dans la plaine, fur les bords d'une baye de trente milles de tour formée par le des Européens. '403 Canal. Le lendemain il s'embarqua g£'melli" fur une caïque ou barque Turque chap. vin, à trois rames, en compagnie d'un An> l6Ht Dervis Turc, couvert de peaux de brebis. Il portoit un bonnet blanc avec de longs cordons attachés autour du col ; à fa veffe étoient pendus différents morceaux de marbre : fon bras droit étoit orné d'un bracelet aufîi de marbre : il portoit à la main droite une baguette garnie d'un morceau d'ivoire pour fe gratter le dos : il avoit une grolfe maffue, & à fon côté un cornet dont il fonnoit de temps en temps. Après avoir fait très peu de chemin , quoiqu'ils allalTent à la voile & à la rame, ils defcendirent fur la côte de Romélie près d'un moulin où notre Auteur prit fon logement. Le matin, il laiifa fon bagage à la garde de fon valet, & fe mit fur une petite barque pour aller à Galata, où fes équipages arrivèrent le lendemain, & il fut encore obligé de payer les droits de douanne. L'objet de Gemelli en retournant Gemelli m: à Conff antinople étoit de s'embar-SE^^-quer fur la mer noire pour Trébi- n fft arrêté, zonde, avec quelques millionnaires '404 DÉCOUVERTES François, & il loua une partie d'il- CjEMELLI. * 7 - .. r ~ Chap. v in. ne cabane dans une laïque Grecque Aq is Pour m^Pour ^on domeffique, ce qui lui coûta vingt - cinq pialtres , & mécontenta un peu les Religieux qui n'aimoient pas à être gênés. Ce marché ayant été fait près des châteaux bâtis fur les bords oppofés du détroit en Aile & en Europe , où il n'a qu'un mille de large, le Docfeur y envoya fon bagage, & s'amufa à retourner voir Conifantinople, &: ce qu'il y a de curieux fur le rivage oppofé. Le vendredi deux d'Avril r il alla voir à l'arfenal une flotte de brigantins èc de galliotes deffi-nées à fervir contre l'Empereur fur le Danube ; mais il fut arrêté par un Turc , & conduit devant un Capitaine François renégat qui après l'avoir interrogé fur les affaires qu'il avoit en' ce pays, le conduifit à la maifon du Capitaine Bâcha, & par ordre de cet officier, il fut envoyé à la prifon nommée Bagno , où l'on tient les efclaves renfermés. Il fut fouillé par le geôlier qui examina s'il étoit circoncis ou non, l'accufa d'être un efpion , ôc même l'attacha comme pour lui donner la baftona- des Européens. 40? de, mais il en fut quitte pour la peur. GemelliJ Malgré l'exa£tirude avec laquelle ce chap. viu^ Turc veilioit fur lui, Gemelli trou- ^ l654t va moyen de cacher fa montre & vingt fequins qui ne furent pas remarqués. Cependant il fut chargé de Chaînes, & conduit à la maifon d'un Boulanger Arménien, ou il paffa la nuit fur des planchés, plongé dans les plustriffes réflexions. Deux jours après on le mit dans un autre endroit oii l'on délivre le pain aux efclaves , & il fut couché fur le manteau d'un Polonois plein de vermine. Quoiqu'il lui fut défendu de parler ou d'écrire, il réuffit à faire favoir fon emprifonnement à un marchand François de Marfeille , nommé M. Mener, qui, avec les députés de fa nation , alla trouver le Capitaine Bâcha, & obtint la liberté de Gemelli, en affurant à l'Amiral qu'il n'étoit pas Vénitien ; mais un Napolitain qui voyageoit par curiofité. Sur leurs représentations , on lui ôta les chaînes , & il fortit de cette affreufe prifon où il étoit demeuré plufieurs jours au milieu d'environ mille infortunés efclaves. Le bruit de leurs chaînes, & les misères auxquelles 406 DÉCOUVERTES y ils étoient expofés lui donnoient, dit- pS! VXH.*1? "ne idée frappante de l'état des . damnés : mais fon emprifonnement An. 1654. c 1,-11 • vi rr ne rut pas le leui chagrin qu il elluya : la faïque étoit partie avec fon bagage, & les Jéfuites étoient également demeurés, pour s'être rendus trop tard au lieu de l'embarquement. Avant de continuer le récit de la fuite de fes voyages, Gemelli donne un abrégé de ce qui concerne la religion & les mœurs des Turcs , ainfi que de l'Empire Ottoman : nous allons en donner un extrait, & nous fuivrons enfuite l'Auteur en Perfe. Religion 4ei Les Turcs croyent en Dieu , Turcs. Créateur du ciel 6l de la terre, & croyent aufli une vie à venir de récompenfes ou de châtiments. Les récompenfes confiffent dans la jouif-fance des beautés les plus parfaites, & dans une abondance de mets délicieux , qui ne produifent point d'excréments. Us révèrent Mahomet comme le Prophéte favori de Dieu, ÔC reçoivent le Décalogue comme une partie de leur Alcoran. Le vendredi eff leur jour de repos, cependant chacun peut y vaquer à fes affaires , oc ils font obligés de prieç des Européens. 407 cinq fois par jour. lis commencent Gemelli.' leur jeûne du Ramadan avec la nou-chap. vin, velle lune d'Avril, durant laquelle Ah. iöj* ils difent que l'Alcoran defcendit du ciel. Pendant ce carême, ils s'ab-ftiennent tout le jour de boire & de manger ; mais ils s'en dédommagent amplement durant la nuit. Le jeûne elt fuivi de la fête du Baïram , qu'ils célèbrent par de grandes ré-jouilfances. Ils ont beaucoup d'off en-tation à élever des mofquées & d'au-? tres bâtiments publics, dépenfent une partie de leurs revenus en charités , 6c croyent qu'en fe lavant fréquemment , leurs ames font purifiées de leurs péchés. Leurs enfants font circoncis à l'âge de fept ou huit ans, & ils obfervent cette pratique en imitant Abraham , dont Mahomet leur recommande de fuivre les loix.. Il leur eff permis d'époufer chacun quatre femmes en même temps , & d'avoir autant de concubines qu'ils en peuvent entretenir. Tout homme peut répudier fa femme ; mais après la cérémonie de la répudiation répétée par trois fois , il ne peut reprendre la même, jufqu'à ce qu'elle ait été mariée 6c répudiée par un autre 408 DÉCOUVERTES Gemelli nomme- J^s f°nt obligés de rendre? Chap. \ m* la dot de leurs femmes quand ils Ies-An. renvoyent, & fi elles font groffes, il faut qu'ils en nourrirent le fruit : mais tous leurs enfants font également légitimes, foit qu'ils viennent de leurs femmes , ou de leurs concubines. Les Turcs croyent que Jefus-Chrift étoit un grand Prophéte né de la Vierge Marie, conçu par l'inf-piration Divine ; qu'il ne fut pas crucifié , mais enlevé dans le Ciel, d'où il defcendra avant la fin du monde, pour confirmer la loi & la religion de Mahomet. Us prient pour les morts &: invoquent leurs faints , auxquels ils rendent de grands honneurs : plufieurs d'entr'eux croyent que l'a-me & le corps demeurent joints jufqu'au jour du jugement. Ils refpeclent Jerufalem, comme le lieu de lanaif-fance d'un grand nombre de Prophètes ; mais ils révèrent particulié-ment la Mecque où naquit Mahomet, 6c Médine où il eff mort & a été enterré : ils y font des pèlerinages avec grande dévotion. Ils ne fe fervent pas de cloches ; mais à l'heure? de la prière , le Prêtre monte fur le Minarer des Européens. 409 Minaret d'où il appelle le peuple à Gemelli. haute voix. chap. vur. Les Turcs font orgueilleux, info- An# l694. lents, brutaux, trompeurs, pareffeux, avares, ignorants, îk ennemis invé- te[ecur cata6* terés des Chrétiens. Leurs procès font fommaires, & les caufes fe décident toujours en faveur de celui qui paye le mieux, d'autant que leurs juges tk leurs officiers font très adonnés à la vénalité, à la corruption tk à l'extorfion : cependant leurs loix font très juftes, tk il ne leur manque que d'être exécutées fans partialité. Ûn voleur eff condamné à être pendu ; un meurtrier à être décapité ; un hérétique à être brûlé ; un traître à être empalé ; & celui qui mutile à la peine du Talion. Quand un homme eff convaincu de parjure , on le conduit par la ville, en che-mife, monté fur un Ane , la tête tournée du côté de la queue qu'il tient entre les mains : il a le vifage couvert de boue tk les épaules chargées de boyaux tk de tripes puantes : on le marque avec un fer chaud au front & fur la joue, & il eft incapable de jamais rendre aucun témoignage. Si leurs procès font courts, les exécu-lom.VUU S 410 DÉCOUVERTES Gemelli. rions lont aulîi diligentes, & il n'y chap. via. a jamais d'appel , même de la fen-A«. j«94. tence du plus petit Cadi de village : s'il arrive que plufieurs Chrétiens tuent un Turc , on en exécute un , & l'on accorde la grâce aux autres. D«Janiflai- Les Janiffaires ou fantaffins font ta & des armés de moufquets & de cimeter-6p«wiî. res . jçs Spanis ou cavaliers ont des arcs & des flèches, des épées & des piffolets ; mais les foldats Afiatiques combattent avec des lances , des haches & des javelots : ils ont aufîi , l'iifage du canon. Ils chargent avec fureur, mais fans ordre ; & quand on peut foutenir leur première & leur féconde attaque, il eff très rare qu'ils fe rallient, ôc qu'on puilfe les rame-» ner au combat. Rwjnufdtt il eff très difficile de déterminer puur* 'au juffe quels font les revenus annuels du Grand-Seigneur : non-feulement ils proviennent d'un grand nombre de Royaumes en Afie, en Europe ÓC en Afrique, mais encore des dépouilles des Bâchas, & des autres Miniftres difgraciés de l'Empire , ce qui varie continuellement. Tout; fujet pourvu d'un emploi de quelque importance, eft obligé de faire un des Européens. 41 r préfent confidérabïe à l'Empereur ï(j2MEELU ainli qu'à la première Sultane, au Chap. vm. Moufti, au grand Vizir , au Caïma- An. 1*94. can , & aux autres perfonnes en faveur. Pour fubvenir à cette dépenfe , le Bâcha eft fouvent obligé d'emprunter des Juifs à un intérêt exhorbi-tant ; mais quand il a payé fes dettes, & qu'il commence à s'enrichir, le Sultan lui envoyé une vefte, ou une épée , ou un poignard , & il doit re-connoître cette faveur par un préfent qui en vaut dix fois la valeur, autrement le Sultan lui envoyé une hache d'armes, ou une autre épée pour marquer fon indignation ; & s'il ne l'appaife promptement, il s'expofe à perdre bien-tôt la tête. Comme le Grand Seigneur eft héritier de tous les Grands de l'Etat , il n'attend pas toujours que leur vie finiife naturellement ; mais lorfqu'il fait qu'ils ont amaffé de grandes richelfes, en opprimant les malheureux qu'ils gouvernent , il trouve des prétextes pour les faire mourir , & il faifit tout leur bien à fon profit. Les Turcs portent un habillement Habilitent qui tombe jufqu'à la cheville du pied,d" Turct-& une robe de deffus un peu plus Sij Gemelli courte > avec des manches étroites ? oap. vin. ces habillements font ordinairement An. i«94. rouges , bleus ou verds. Leur tête eft couverte de bonnets dé la même étoffe avec un turban de toile blanche ou de foie, qui fait plufieurs tours. Leurs caleçons font très longs & attachés avec leurs bas & leurs chauffons : au lieu de fouliers , ils portent des pabouches ou pantoufles, qu'ils ôtent quand ils entrent dans les mofquées ou dans les appartements de leurs amis, pour ne pas falir les tapis ni le fopha. L'habillement des femmes reffemble beaucoup à celui des hommes, avec cette différence qu'au lieu du Turban , elles fe couvrent le vifage de deux mouchoirs, dont un leur defcend jufques deffous le nez, 6c l'autre tombe depuis la bouche. De la îaon- La monnoie varie fuivant les dif- w'! férents états de ce vafte Empire. A Conftantinople, il y a des pièces d'or nommées Cherifs , qui valent quelque choie de moins que le fequin de Venife. En argent, ils ont le groenen ou ducat, le jerum-grochen ou demi ducat, outre les paras & les afpres. En Egypte on fe fert de me- des Européens. 413 dins, & dans les autres Royaumes Gemelli. ce font encore d'autres efpeces. chap. Y HT. La campagne aux environs de An. nj?*. Conftantinople produit de toutes les Bomesdecec efpeces de fruits qui croilfent en Ita- Empire, lie, & ils y viennent dans la plus grande perfection, particulièrement les melons d'eau , les grenades , les railins, les poires, & les marons , qu'on y trouve dans tous les temps de l'année. Le climat de la Romelie & de la Thrace eff tempéré & très fain : le terroir en eff très fertile , mais il n'efl prefque point cultivé par la parelTe des habitants, & par la nature du gouvernement. Les confins de cette va lie monarchie font la Hongrie, la Pologne , la Mofcovie, la Perfe , l'Inde, l'Abyffinie & la Lybie. En Europe elle eil bornée par la Méditerranée , la mer Adriatique & la mer Ionienne. En Aile, par le Pont-Euxin & par la mer Egée ; vers l'Océan , par les Golphes d'Arabie & de Perfe. Les principales rivières qui la féparent des autres Etats font le Tanaïs &L le Borillhene. Enfin fi l'on en excepte l'Italie, la France , l'Allemagne , 1 Efpagne, une partie de la Hongrie &c de la Grèce , cet Gemelli ^*mpire comprend tout ce que les Chap. v m. Romains avoient fournis, & quel-An. iff54. ques autres provinces qu'ils n'ont jamais affujetties , ni même connues. Origine de» On prétend que cette puiffantô nation tire fon origine des varies ofnun. £orêts font près des paiusMt;0. tides. La Monarchie eut pour fondateur Ofman , furnommé Ottoman , Tartare courageux & entreprenant, qui irrité de quelques injuilices que lui avoit faites fon maître le Grand Cham, fe retira avec foixante de fes amis en Capadoce ; ils y vécurent de rapines, & furent joints par d'autres gens d'une vie diffolue & dont la fortune étoit détruite. Us vinrent le trouver en fi grand nombre qu'ils le mirent en état de fe rendre maître de la Capadoce, du Pont, de la Bithinie, de la Pamphilie 6c de la Cilicie vers l'an 1300. Après un règne de dix-huit ans , il eut pour e:chan. fucceffeur fon fils Orchan , qui tirant avantage des guerres inteffines. oh les Empereurs de Conflantinople fe trouvoient engagés, fournit la Myiîe, la Lycaonie, la Phrygie, la Carie & Nicée : ce Monarque régna trente-fix ans. dés Européens. 415 Son fils Amurath prit Gallipoli en çEMELLlm Thrace, Andrinople , la Servie tk la chap. vju. Bulgarie : mais il fut enfuite vaincu & An. t «94. tué par Lazarus, Defpote de Servie. Amurath. Il avoit deux fils, Solyman tk Baja- b,^^ zet, dont le dernier après avoir tué fon frère réduifit toute la Thrace, la Theffalie, la Macédoine , la Pho-cide, l'Attique tk la Bofnie. Il afîiégea deux fois Conffantinople, Se fut tra-verfé dans fes projets par Tamerla», Grand Cham de Tartarie, qui lui livra bataille en 1402 fur les frontières de la Galatie Se de la Bithynie : mit fon armée en déroute ; le nt prifonnier ; le chargea de chaînes, tk le renferma dans une cage de fer, contre les barreaux de laquelle il fe caffa la tête , après avoir vu fa femme violée par fon vainqueur. Il laiffa trois fils Ca-lapin, Mahomet & Muffapha : le premier fut mis à mort par fon frère Mahomet, qui monta fur le trône, m»ho»cu conquit la Valachie Se la Macédoine, fixa fa cour à Andrinople, Se mourut en 1411, après un régne dedix-fept ans. Il eut pour fucceffeur Amu- Amwathli. rath II, qui défit fon oncle Muffapha, fit paffer fon armée d'Europe à Gallipoli par le fecours des Génois, Se Siv Gemelli. *e mit en campagne contre Ladiflas , Chap. v i il Roi de Hongrie 6c de Pologne , qui a iL fut vaincu & tué. Le victorieux Amu- An. IÖP+. , , rath, après un règne heureux de trente ans, mourut à Burfe, tk l'Em-Mahomct il. pire paiTa à Mahomet II, qui s'éleva au trône par le meurtre de fon frère, prit la ville de Conffantinople en 1453 , conquit la Bulgarie , la Dal-matie , la Croatie , Trébizoride , & Théodofie, qu'on nomme aujourd'hui Carfa, ville qui appartenoit alors aux Génois. Bajxzet il. Après avoir régné trente tk un ans, il mourut âgé de cinquante-huit ans* tk laiffa deux fils, Bajazet tk Zizifme : le premier fît diverfes conquêtes pendant un régne de trente-deux ans , sciim. 6c eut pour fucceffeur fon fils Selim, qui fournit une grande partie de l'E* sypte- . ; . r s»iyruan. Solyman, qui monta enfuite fuir le trône Ottoman, réduifit Belgrade, Rhodes, Gran 6c Bude : il mourut la quarante-feptiéme année de fon règne, stlùn 11. tk eut pour fucceffeur Selim II, qui prit l'ifle de Chipre fur les Vénitiens ; mais il fut défait en mer par les Chrétiens dans la fameufe bataille de Le-Amurathiil. panthe. Amurath III pofléda enfuite des Européens. 417 f Empire , & fut fuivi de Mahomet Gemelli. III, qui parvint à la fuprême dignité chap. vin. en fouillant fes mains du fang de An. 1*9,, plufieurs de fes frères. Mahem. nr. Après fa mort, l'Empire palfa à Achmet, Se enfuite à fon frère Muf- Achm« r. tapha, qui futdépofé en faveur d'Of- Mnftapfaa. man ; mais ce jeune Prince ayant été ofmw« malheureux dans une guerre contre les Polonois , fut malfacré à l'infH-gation du Moufti par les Janiffaires, dont il avoit réfolu de réprimer l'in-folence. Sa mort fît remonter fur le trône fon frère Muffapha ; mais on Muftaptó» le dépofa une féconde fois, à caufe de fon peu de capacité, Se il eut pour fucceffeur Achmet II, frère d'Ofman, Achmet ir, qui monta au trône à l'âge de qua* torze ans. Amurath IV régna enfuite. Se eut Amu^thiv^ pour fucceffeur fon frère Ibrahim , Ibrahim, qui fît la guerre aux Vénitiens & aux Chevaliers de Malte : il fut affalTiné par fes propres fujets en l'année 1649. Mahomet IV qui lui fuccéda , fub- Makom. IV*. jugua la Candie , & afîiégea Vienne avec une armée de trois cents milles combattants : mais il fut totalement défait par la valeur des Polonois , S v 4l8 DÉCOUVERTES Gimelli. conduits par leur Roi Jean Sobieskî," Chap. vin. Dans les campagnes fuivantes , les An. us»*. Turcs perdirent Bude tk la Hongrie : imputèrent leurs malheursà la mauvai-lè conduite de Mahomet ; le mirent en prifon , ainfi que fes deux fils Muftapha tk Hamet, pour élever au A«hmet H. trône Achmet II. qui avoit fourfert une captivité de quarante ans. Son régne fut très court & peu glorieux : Mutila il. il eut pour fucceffeur Muftapha II, qui étoit l'Empereur régnant quand Gemelli écrivit fes voyages. Depuis le temps où notre Auteur a donné fa relation, Muftapha, après avoir remporté plufieurs vitloires fur les troupes Impériales , tk perdu la ville d'Afaph prife par les Mof-eovites,fut dépoféen 1703 par une révolte des Janiffaires, & fon frère Achmet ui. Achmet III monta fur le trône. Le fort d'Achmet ne fut pas plus heureux : en 1730 , il fut également dé-pofé dans une révolte tk jette dans une prifon où il vécut encore fix ans ' lamoor dans les fers, -Mahmout, fils de fon ffere Muftapha , fut élevé enfuite au trône , tk après un règne de vingt-cruarre ans, il mourut le 24Décem- des Européens. 419_ bre 1754. Son iucceiTeur Ofman ^qimell1. n'a régné que trois ans, & cet Em- chaP. v 111 pire tumultueux elt actuellement en- An. 1054. ' rre les mains de Muftapha III ? fils ofn!aH n du Sultan Achmet. Muttaphaiil Fin du Toiàe huitumz* 4*o TABLE D£5 MATIERES Contenues dans ce huitième Volume - ASeilles d'Araéri- 4M. que qui n'ont point d'aiguillon, 15?. Achmet, ou Hamet, Sultan des Turcs du temps de Gemelli: fon portrait, 352. & 362. Aga des JaniiTaires , Commandant de ce grand corpsen Turquie, 370. Alexandrie , ville d'Egypte : fa defcription , 236. Colomne de Pompée , & pyramide de Cléopâ-tre, 138. Andrinople : Defcription de cette ville , 343. Bourfe d'Aii - Bâcha , 34c. Mofquée du Sultan Selim , 346. Le Bifîften , 347 Palais du Grand Vizir, 348. Grande Mofquée , 353. Du férail, 360. Arabes de Judée : leur mi- fere, & vexations qu'ils font fouffrir aux étrangers , ^ 308. Aragi-Bachi, chef de cui-fine du Grand 5eigneur, 367- Arica , ville du Pérou : fa defcription, 202. Arrak.Différentes liqueurs qui portent ce nom, 6. Autruche : defcription de cet animal, 21^. A^imoglans , enfants de tribut en Turquie , 366. Quelsfontleurs emplois. 368. B Bâcha de la mer, grand Amiral de Turquie : fa fonction , 369. Bâchas , Officiers de l'Empire Ottoman, 368. Bachi^ ifle nommée par Dampier : pourquoi il TABLE DES lui donne ce nom, çi. Bachi , liqueur des ifles Mariamnes, 54. Baïram, Pâque des Turcs, 252. Baltaps , bas-officiers du férail, • 366. Bamboucs , ou cannes des Indes rieur defcription, 138. Banane, arbre & fruit des ifles Philippines, \z. Beglier - Beys , Gouverneurs généraux des Provinces en Turquie * 370. Bétel, arbre & fruit des Indes : fa defcription , 1 2. Bethléem : ville des Judée : fa defcription , 292. Bikby, arbre d'Amérique : fa defcription , i2 '422 T A rinthe, 266. Caleba£ey fruit d'Amérique ; fa defcription, 134. 'Çallafufung, ville de l'ifle de Button, 63. Callao , ville du Pérou, détruite par un tremblement de terre, 208. Çapi - Aga, chef des Eunuques blancs du férail du Grand Seigneur, 364. Ses privilèges, 365. Capigi -Bachi , chef des portiers du Grand Seigneur , 367. Caragi-Bagi , chef des douanniers en Turquie, 370. Caravanfera s , lieux publics pour loger les voyageurs , 342. Cajfave , racine d'Améri--que : fa defcription, 140. Cavalli, poiflon delà mer du Nord , 157. Chagre, rivière de l'Iflhme de Darien , 112. Cham de Tartarie : defcription de ce Prince , 358. ÇAauvcs-fburis de Tlfthme de Darien : leur defcription, 154. •Cheapo y ville & rivière di*. détroit de Darien, 110. Chiamachi-Bachi, Officier du férail du Grand Seigneur , 366. IChiaoux , meflagers de \ L E l'Empereur Turc, 370. Chicaly-Chicaty , oiieau d'Amérique / fa defcription, 149. Chien de mer ; defcription de cet animal, 157. Chinois : defcription de ce peuple, 44. Petitefle du Pied des femmes , 45. roduâions de ce pays, 46. Leur fureur pour le jeu, 47. Chio, ifle de TAfie mineure : fa defcription , 324. Maflïc qu'on trouve dans cette ifle , 3 z6. Cocotier : defcription de cet arbre &de fon fruit , 4. Effet d'un excès de boiflon de fa liqueur, 194. Cockadore, oifeau de l'ifle de Button : fa defcription , 62. Cocos ( ifle des ) fa defcription , 193. Congo ( rivière de ) dans rifthme de Darien ,118. Conques de la mer du Nord M*- Conjîantinople , capitale de l'Empire des Turcs : defcription de cette ville, 374. Des férails, 375. De Galata, 377. De Péra,378. Del'Ar-fenal, ïhid. Sainte Sophie , 379. De l'Hip» DES MA podrôme ou Atmeïdan, 381. De l'Obélifque, 382. Du marché des efclaves , ibid. Du Bi-kiftein , ou habitation des marchands , 383. Mofquée de la Sultane favorite, 384. De Scu-tari, & de la Tour de Léar\dre, ibid. Colomne de Conftantin, 38c. Des fept tours, 38^. Du canal, 388. Colomne de Marcian , 390. Copayapo, côte du Pérou , 202. Coptes. Quel» font les peuples qui portent ce nom, 313. Coquimbo , ifle de la mer du Sud : fa description, 196. Cormoran d;Amérique : defcription de cet oifeau, M3- Corpus-S antfumjeu qu'on voit après les tempêtes , 48. Corrofon, oifeau d'Amérique : fa defcription, 1 50. Cotonier. Defcription de cet arbre, 127. Cruces , village qui fert d'entrepôt pour Porto-Bello , 120. D Damiette , ville d'Egypte : fa defcription ; 360. T I E R E S. 415 Dampier ( William ) fuit© de fon voyage : il arrive à Pifle de Guam, 3. Voyez Sxvan. Il va à Manille , 36. Il arrive à Siam , 40. Il va à Pulo-Condore, 42. Imprudence des Boucanniers, 43. Ils arrivent ù l'ifle Saint-Jean fur la côte de la Chine , 4j. Ils efTuient une furieufe tempête, 48. Ils arrivent aux ifles Pifcadores, 49. Ils donnent des noms à plufieurs ifles , 51. Ils font voile pour le Cap Comorin , Ils voient plufieurs Trombes, 60. Ils jettent l'ancre à But-ton , 61. Ils arrivent à la Nouvelle Hollande, 64. Ils mouillent à l'ifle de Triefl:, 69. Ils jettent l'ancre à Nicobar , 70. On la ifle Dampier dans cette ifle , 71. Il eft bien reçu d'un des habitants , 74. Us fe mettent en route pour Achin , j6. Ils arrivent à l'ifle de Sumatra , 77. Dampier fe fait canonier, 78. Il arrive au Cap de Bonne-Efpé-rance , 79. H fe rend à Sainte-Hélène , 8f. Son retour en A ngleter-re, M. 4M. T A Varian , arbre & fruit des Philippines : fa defcription , 13. D arien, Ifthme d'Amérique : comment on y pra-tiquoit la faignée , 104. Comment on y receuil-le la poudre d'or, ibid. Situation de ce détroit, in. Rivière qui lui donne le nom, 112. Defcription du Golphe, 119. Qualités du terrein, 12.3. Température du climat, & pluies réglées, 124. Arbres & fruits de ce pays, 127. Comment on y fume le tabac, 140. Des quadrupèdes, 141. Manière d'y préparer les viandes , 143. Eflime qu'on y fait des chats, i4fS.Oifeauxde l'ifthme, 149. Infectes volants , 154. Des poifTons de mer , 156. De ceux d'eau douce, 160. Pêches des Indiens, 161. Defcription des habitants , 162. De ceux qu'on nomme Yeux-de-lune, 164. Ufage de fe peindre le corps, 167. Ornements des Chefs, 170. Leurs bâtiments , 172. Leurs forts, 173. Leur nourriture , 174. Efclavage des femmes,, BLE 177. Leurs mariages J 180. Leur travail, 183. Leurs danfes, 184. Leurs chaftes, 18 Leur calcul, 188. Dervis, Religieux Turcs : leurs danfes, 354 , & 371. Habillement fin-gulier d'un de ces Religieux, 403. Défiré , port de l'Iflhme de Darien 3 114. Doçangi- Bachi , Grand Fauconnier du Grand Seigneur, 365. E Ecrevisses de terre: defcription de cet animal , 148. Egypte. Par'qui elle eft habitée , 312. Portrait des Egyptiens, 313. Fertilité du pays , 314; Emirachur - Bachi , premier huifîier du férail , . 370- Eunuques du férail du Grand Seigneur , 363. Leur grand nombre , 8c prix qu'on les vend , 364. Fourmis d'Amérique; defcription de ces infec-'tes, 155.' DES MA G Gallapagos, ifles de la mer du Sud , 194. Gallipoli, ville de Romé-lie : fa defcription , 340. Garachina , pointe dans l'ifthme de Darien, 117. Gars s poiflbn de la mer du Nord, 158. Gemelli, fameux voyageur : fes commencements, ai8. Idée générale de fes voyages , 219. Il fe met en mer, 220. Il arrive à Mefli-ne , 222. Il aborde à Malthe, 225. Il arrive à Bichier, 234. Il fe rend à Alexandrie, 235. Le peuple le maltraite, 237. Il le fait pafler pourFran-çois, 239. Il arrive à Rofette , 242. Il fe rend au Caire, 248. Il voit l'entrée d'un Aga ,257. 11 va aux Pyramides, 259. Il viflte les momies, .265. Il pafle à Damiette , 268. Il arrive à Jaffa, 271, Il fe rend à Rama, 272. Il arrive à Jerufalem, 273. Il va à Bethléem, 2.91. Son retour à Jerufalem , 2(;t». Il entre dans le faint fépulchre , 298. Il va à I E R E S. 415 Nazareth, 310. II fe remet en mer , 3 iç. II arrive à Rhode , 316. On le prend pour un efpion, 320. Il arrive à Stanchio , 322. Il aborde à Chio , 324. Il fe rend à Smyrne, 330. On le prend pour un Juif, 335. Il va à Mytilène , 336. Il voit Jes ruines de Troye , 337. II arrive à Ténédos,» 338. 11 fe rend à Gallipoli , 340. Il arrive à Andrinople, 343. Il voit une partie du férail, }60c Il arrive à Conftantino-ple , 373- On le prend encore pour un efpion , 387. II revient à Smyrne , 392. Il eft pris pour un autre Italien , 394. Il arrive à Burfe, 399. Il retourne à Conftan-tinople, 403. Il eft arrêté , 404. On lui rend la liberté, 405. Mifere des efclaves, 406V Gerit-Bey, Officier du férail du Grand Seigneur y 366. Gorgonia, Ifle de la mer du Sud. 196. Gourde ,. fruit d'Amérique: fa defcription, 13^. Grafton , l'une des ifles Mariamnes , nommées 4*6 TAB par Dampier, çx. Defcription des habitants , ibid.Leurs maifons, 52. Leur nourriture , 53. Leurs armes, 55. Leur cara&ere, 56. Guam , l'une des ifles des Larons : fa defcription , 3. Ses habitants , 5. H Ha s ta ler-Ag a s j, Directeur des infirmeries du ferai!, 367. Halvagis , cuifiniers du Grand Seigneur , 367. Ha^nadar-Bachi , Officier qui porte la bourfe du Grand Seigneur, 365. Hélène ( Sainte1) : defcription de cette ifle, 8$. '•Herbe-à-foie, plante d'Amérique : fa defcription, 135. Ufage du fil qu'on en tire, 136. Hogias , lecteurs des mof-quées en Turquie, 371. Hollande ( Nouvelle ) : defcription de ce pays, 64. Saftérilité, 65. Portrait des habitants , 66. Leur ftupidité , 67. Homangi-Bachi, Officier du Grand Seigneur, 366. Hottentots , naturels du Cap deBonne-Efpéran-ae: leur malpropreté, 83. L E Jacca , arbre & fruit des Philippines, 13. Jaffa , ville de Paleftine : fa defcription , 271. hhioglans, Pages duGrnnd Seigneur , 366. Leurs emplois, , 368. Jean (ifle de Saint) fur la côte de la Chine , fa defcription, 43. Mœurs des habitants, 44. Jerufalem, capitale de la Paleftine : fa defcription, 274. Des faints lieux, 275. Eglife des faints Apôtres, 277. Pifcine de Betfaïde , 280. Voie douloureufe, 282. Temple de Salomon , 283. Montagne de Sion , 28c. Pifcine de Siloë , 286. Vallée de Jofaphat, 287. Béthanie , ibid. Monta- tne des Oliviers , 288. )efcription du faint Sé-pulchre , 29p. Montagne du Calvaire, 301. Chapelle du faint Sépul-chre, 303. Argenterie du faint Sépulchre, 304. Imans, Prêtres des Turcs, 37*- Joël) Prince peint, amené en Europe par Dampier, «0. DES MA K JCikabdary écuyerdu Grand Seignear , 366. Kilargi -Bachi , Chef des Pages, qui préfen-tent le forbet au Grand Seigneur, 365. Kifléir-Agafî, Chef des Eunuques noirs, 364, KokeJar, Valet de chambre du Grand Seigneur, L *' Lacenta , Chef d'Indiens , qui fauve la vie à Wafer, 92. Defcription de fa maifon , 102. Il veut lui donner fa fille en mariage, 106. laut Raja, ou Prince dans l'ifle de Mindanao, traite favorablement les An- y.£lois', , tJi' Limon , ufage qu on tait de ce fruit à Guam , 3. Limpit, poiffon de la mer du Nord , i<>{>. Luçon, une des ifles Philippines , 8. M M a c c a w , arbre des Indes : fa defcription , 128. Maccaws, oifeaux d'Amé- T I E R E S. 417 ri que : leur defcription , 150. Maho, arbre d'Amérique : fa defcription, 134. Malte. Defcription de cette ifle , 225. De la ville , 226. Des habitants, 227. Du Grand-Maître, 228. Son palais, 229. Des femmes de l'ifle , 230. Des autres palais & des bâiiments, 23 r. Mammtt, arbre d'Amérique : fa defcription, 13 r. Mangles. Defcription de cet arbrifleau, 13p. Mango , fruit des Philippines, 37- Manille, ville & ifle des Philippines : étendue de fon commerce, 8. Sa defcription, 36. Productions de cette ifle, 37. Moeurs des habitants , 38. Leur religion j 39. Marie ( Rivière de Sainte) dans l'ifthme de Darien, 118. Ma/lie. Defcription de Par. br^ qui le produit, 329. Mélari t fruit de l'ifle de Nicobar, 70. Mindanao y l'une des ifles Philippines : animaux qu'on y trouve , 13. Des oifeaux, 14. Température de l'air, ibid. Des habitants, i« R Rama , ville de Paleftine , fa defcription, 272. Read eft choih pour Capitaine par les Boucan-niers, 3 5 • Il laifle Dampier dans l'ifle de Ni-cobar, 7z. Rhodes , defcription de cette ifle, 316. Du Co-lofle ,317. Beauté des femmes, 319. Rio - grande, rivière de l'Iflhme de Darien, 122. Rofette, ville d'Egypte, fa defcription, 242. S Sago , fruit des Philippines : fa defcription, 10. Samballes, ifles voifines du détroit de Darien, 114. Leur defcription, 117. S ambo, rivière de l'Iflhme . de Darien, 1 jw* Sangiacs-beys, Gouverneurs particuliers des Provinces en Turquie, 37* fyo T A Santa, ville fur la côte du Pérou, 206. Effets finguliers d'un tremblement de terre, Ibid. Sap a dille, arbre d'Amérique , fa defcription , 131. Sauterelles ( arbre des ) fa defcription, 138. Scuilpin , poiflbn de la mer du Nord, içs>. Scheiskis , Prédicateurs Turcs, 37 t. Selettar, Officier qui porte le cimeterre du Grand - Seigneur, 366. Sera-agajî, premier Gouverneur des Pages du Grand Seigneur, 365. Seraiketodaji, Sous-gouverneur des Pages, 36c. S hark, ou Goulu de mer, defcription de ce poiffon, 1^6". Singes de PIfthme de Darien , leur defcription , Smyyne , defcription de cette ifle, 3 31. Du Château, 332. Fertilité du pays, 3 ?p. Soldat, infecte d'Amérique : fa defcription, 147. Spahis, Cavaliers Turcs, 370. Springer ( clef de ) près l'ifthme de Darien, 114. Stanchio , defcription de BLE cette ifle, 322. Swan, Capitaine des Bou-canniers, arrive à l'ifle de Guam, 7. Il aborde aux Philippines ,8. Il hiverne à Mindanao , 2p. Son vaifleau eft très endommagé par les vers, 33. Ses gens le laiflent dans cette ifle , 3?. Efforts infructueux de Dampier pour les faire rentrer fous fon obéif-fance, 79. Samortmal-heureufe, 60. Tabac , defcription de cette plante , 140. Table ( montagne de la ) au Cap de Bonne-efpé-rance, 8 t. Tamarin , defcription de cet arbre, 137. Tarpon , poiflbn de la mer du Nord, 156. Te'nédos , defcription de cette ifle, 338. Tête de pape , defcription de cet arbrifleau, 132. Toddy, liqueur tiré du cocotier , 6. Triefl, ifle où aborde Dampier , 69. Troye , ruines de cette ville, 338. Turcs y leur charité pour. DES MAT les animaux, 254. Leurs exactions fur les Chrétiens , 269. Cortège d'une mariée, 348. Ca-roflc de l'Empereur, 3 yo. Cortège de ce Souverain, 351. Lear religion , 406. Leur jeûne ou ramadan , 407. Leur caractère , 409. Leur châtiment, Ibid. Leurs armes , 410. Revenus du Sultan, 411. Leurs habillements, 1b. Leur monnoie, 412. Limites de leur Empire, 413. Suite des Empereurs , 414. V& W Vieille femme, poiffon de la mer du Nord , ,<>7' piçirs, Miniftres de l'Empire Ottoman, 369. Wafcr ( lionel ) fameux voyageur : fe« commencements , 88. Il s'engage avec les Boucanniers, 09. Un accident l'oblige de refter à terre , 90. Quelques autres fe joignent à lui > Ibid. Leur miférc avec les Indiens, I E R E S. 431 91. On veut les brûler, 92. Ils fe mettent en route, 93. Us font en grand danger de périr, 96. Ils retournent avec les Indiens, 99' On les conduit chez Lacenta, 101. Wafer guérit la femme de ce Chef, 103. Il veut lui donner fa fille, 106. II fe remet en route, Ib. Il regagne le vaiffeau , 109. Il arrive à l'ifle des Cocos, 193. H mouille aux ifles de Gaiiapagos, 194. Les Boucanniers pillent plufieurs villes , 197. Ils arrivent à la Mocha, !97. Us pillent Arica, 203. Us arrivent à Juan-Fernandez, 200. Us reviennent dans la mer du Nord, 114. Retour de Wafer en Angleterre, 216. Warree , animal de l'ifthme de Darien, 143, Y & Z Ylo , rivière du Pérou Zahins, Cavaliers Turcs * %7°l Fin de la Table des Matières, ERRATA. JT Age 201 , ligne 12. qui, mettc{ qu'il. Nota. Qu'il eft échapé quelquefois de mettre fans s finale, le mot de rniiles au pluriel, pour marquer »ne mefure de chemin. On prie le Lecteur d'y Cuip-pléer.