5 sous ce titre, « Philosophie, psychanalyse : alliance ou mésalliance ? », qui ne définie aucun privilège, aucun ordre de priorité, nous nous proposons d’inter- roger le rapport discret mais constant que la psychanalyse, depuis Freud, entre- tient avec la philosophie, rapport dont il convient pour le moins de souligner l’extraordinaire ambivalence. Même s’il n’est pas sûr que ce titre puisse à lui seul embrasser les multiples manières dont on peut mettre en relation philosophie et psychanalyse, il nous a permis d’entrevoir l’enjeu théorique et éthique de la rencontre entre ces deux formes de pensée dont il fallait en même temps maintenir l’hétérogénéité irré- cusable. Que cette rencontre dans ses multiples modalités – qu’il s’agisse de l’ap- propriation des concepts, de la critique ou du rejet – soit depuis longtemps quelque chose de bien réel, personne n’en doute. or c’est avant tout l’actualité du rapport à la psychanalyse, laquelle aujourd’hui se pose en rivale de la phi- losophie, qui a retenu surtout notre attention. si, d’une part, la progression de la psychanalyse semble parachever de manière décisive la mutation de la phi- losophie en la délogeant de sa place, d’autre part et à l’inverse, le risque existe de voir la psychanalyse – sous couvert d’un accueil bienveillant – se résorber dans la philosophie. Dans cette perspective, il s‘agissait non seulement de mesurer ce qui lie et sépare ces deux champs de pensée, mais aussi et surtout de montrer sous quels aspects s’impose à la philosophie la perspective de la psychanalyse. Ainsi, si nous mettons en exergue quelques moments discontinus de l’histoire des rap- ports entre psychanalyse et philosophie, c’est pour montrer comment la psy- chanalyse, tout en s’appuyant sur la philosophie, l’interpelle radicalement. en effet, le détour par la philosophie, s’il a été indispensable à lacan pour situer le discours psychanalytique dans sa spécificité, ne pouvait laisser la phi- losophie intacte. De là une double adresse : aux psychanalystes, pour compren- eDitoRiAl Philosophie, psychanalyse : alliance ou mésalliance ? Filozofski vestnik volume/letnik XXvii • number/Številka 2 • 2006 • 5–7 FV_27-2.indd 5 23.12.2006 13:52:17 Jelica Šumič-Riha 6 dre que la mise en forme du discours analytique passe par des emprunts philo- sophiques, et aux philosophes, pour reconnaître que le recours à la philosophie est en même temps un « pas dans la philosophie », mais un pas qui la trouble, la touche au vif, voire la déstabilise. la question préliminaire pourrait donc s’énoncer en ces termes : quel inté- rêt y a-t-il, pour la philosophie, à se laisser interroger, voire instruire par le dis- cours analytique ? sans doute éveillera-t-on par une telle question la méfiance de bien des philosophes contemporains qui y soupçonneront le danger que la philosophie, faute de réussir à définir sa propre spécificité, éprouve le besoin de se servir ailleurs pour s’inventer une légitimité d’emprunt. Cependant, plutôt que de rappeler à l’ordre les philosophes, tentés par l’aventure d’accommoder leur discours au discours psychanalytique, il nous importait de signaler que ce n’est pas pour des raisons accidentelles que la philosophie a croisé la psycha- nalyse. A rebours de ceux qui tiennent la psychanalyse pour un détour stérile, voire périlleux au regard du futur développement de la philosophie, nous rejoignons les quelques rares philosophes contemporains qui situent la psychanalyse comme une référence obligée pour la refondation de la philosophie ainsi que pour le maintien du discours philosophique dans sa portée éthique : relever le défi du monde contemporain, et avancer dans les voies propres d’une philosophie néanmoins avertie de la faille qu’il y a entre la pensée et le réel qui la traverse. Ce n’est certes pas un hasard si la question du réel est au cœur de l’impos- sible rapport de la psychanalyse à la philosophie. C’est dans la mesure où la philosophie essaie de traiter le réel comme ce qui est censé échapper à la pensée qu’elle se voit obligée de recourir à la psychanalyse. Cette interrogation sur le réel vise, en en explicitant les différences, à éclaircir certains aspects de ces deux pensées, infiniment proches et infiniment éloignées, que sont la philosophie et la psychanalyse. Dans la psychanalyse, le rapport au réel s’inscrit dans la di- mension de la pratique : en ce sens, explorer le réel tient à faire parler ce qui est resté muet. Pour la philosophie par contre, la question du réel consiste en une confrontation entre deux désires irréconciliables : celui de sauvegarder le réel et celui de « tout dire ». entre l’impossibilité de ne pas tout dire et l’impossibilité de tous dire, il s’agit d’examiner les modalités selon lesquelles la philosophie peut-elle mettre en jeu ses deux désirs incompatibles. Quelques questions ordonnent notre réflexion sur le réel dans la philoso- phie et la psychanalyse : Qu’en est-il du rapport de la philosophie à la psychanalyse si nous sommes à la fin d’un mode hégélien de la philosophie, mode qui a pour ambition la résorption du réel dans le symbolique ? FV_27-2.indd 6 23.12.2006 13:52:17 Philosophie, psychanalyse : alliance ou mésallinance 7 Comment une philosophie qui veut maintenir le cap sur le réel est-elle pos- sible si le réel, comme le précise lacan, se révèle comme impossible à démon- trer dans le registre symbolique ? Cette perspective implique-t-elle de reconsi- dérer les catégories de l’ontologie, de la logique et de l’éthique, telles qu’elles devraient se nouer pour définir le réel dans la philosophie contemporaine ? les pages qui suivent explorent, dans la perspective du réel, le nœud entre les convergences et les divergences de la philosophie avec la psychanalyse, per- mettant ainsi de vérifier ce que la philosophie gagne en s’exposant à l’altérité du discours analytique. on remarquera au passage – et malgré les différences considérables entre les textes rassemblés dans ce volume – que, pour être dis- tinctes, la philosophie et la psychanalyse, peuvent s’éclairer mutuellement. Jelica Šumič-Riha FV_27-2.indd 7 23.12.2006 13:52:18