ACTA HISTRIAE • 28 • 2020 • 2 269 Jean-Jacques TATIN-GOURIER: DE LA GESTION FRANÇAISE DE LES MINES DʼIDRIJA SOUS L’EMPIRE À LEUR ..., 269–278 DE LA GESTION FRANÇAISE DES MINES DʼIDRIJA SOUS L’EMPIRE À LEUR INSERTION DANS LES PARCOURS EUROPÉENS ET LES ÉTUDES DES INGÉNIEURS DES MINES DU DÉBUT DU XIXe SIÈCLE Jean-Jacques TATIN-GOURIER I.C.D. Interactions Culturelles et Discursives, Université de Tours 2 Square Henri Barbusse, 18400 Saint Florent sur Cher, France e-mail: tatingourier@aol.com SYNTHÈSE La gestion de la mine de mercure dʼIdrija dans le cadre plus général de l’occupa- tion française des Provinces Illyriennes de 1809 à 1813 a suscité l’attention des spé- cialistes des exploitations minières de l’époque : ingénieurs, techniciens, chimistes et géologues. Les monographies et les traités de minéralogie publiés de 1815 à 1830 font une place importante à la mine d’Idrija, à son histoire et à l’évolution de sa technologie et de sa production. La mine d’Idrija est désormais incontournable dans les itinéraires européens des ingénieurs des mines. Mots clés: Provinces Illyriennes, Idrija, mine, mercure, géologie, minéralogie, ingénieurs DALLA GESTIONE FRANCESE DELLE MINIERE D’IDRIA ALLA LORO INTRODUZIONE NEI PERCORSI EUROPEI E NEGLI STUDI DEGLI INGENIERI MINERARI AGLI INIZI DEL SECOLO XIX SINTESI La gestione della miniera di mercurio d’Idria nel contesto più generale dell’occu- pazione francese delle Province Illiriche dal 1809 al 1813 ha suscitato l’attenzione degli specialisti dell’industria mineraria di quel periodo: ingegneri, tecnici, chimici e geologi. Le monografie e i trattati di mineralogia pubblicati tra il 1815 e il 1830 dedicano uno spazio rilevante alla miniera d’Idria, alla sua storia e all’evoluzione della sua tecnologia e della sua produzione. La miniera d’Idria è ormai diventata oggetto imprescindibile di studio nei percorsi europei degli ingegneri minerari. Parole chiave: Province Illiriche, Idria, miniera, mercurio, geologia, mineralogia, ingegneri R ceived: 2020-03-05 DOI 10.19233/AH. 020.14 ACTA HISTRIAE • 28 • 2020 • 2 270 Jean-Jacques TATIN-GOURIER: DE LA GESTION FRANÇAISE DE LES MINES DʼIDRIJA SOUS L’EMPIRE À LEUR ..., 269–278 La gestion française des mines de mercure d’Idrija dans le cadre plus global de la gouvernance des Provinces illyriennes a retenu l’attention de plusieurs his- toriens qui ont mis tout à la fois l’accent sur le statut très particulier de la mine soustraite sur la décision personnelle de l’empereur à l’autorité de l’administration des Provinces et rattachée en dotation à l’ordre impérial des Trois Toisons d’Or, sur les tensions qui affectèrent les relations entre les divers intervenants français durant une période nettement définie (très exactement de janvier 1810 au mois de septembre 1813, date du départ des Français) et enfin sur certaines personnalités d’ingénieurs des mines (Gallois de la Chapelle, Héron de Villefosse) appelées à concourir à l’exploitation et à la gestion de la mine. Nous reviendrons de manière synthétique sur cette période et tenterons de prendre en compte d’autres traces moins fréquemment citées et renvoyant aux précédentes occupations d’Idrija par l’armée française (1797 et 1805). Mais nous chercherons surtout à comprendre, souvent à partir des mêmes textes, comment, dans les années qui suivent la fin de la gestion française – sous la Restauration donc –, la référence aux mines d’Idrija s’impose non seulement dans les « recherches et observations » sur les grandes mines européennes (type d’étude fréquent depuis le midi d’un xviiie siècle de plus en plus amateur de récits de « voyages métalliques ») mais entre même dans les grands traités de minéralogie (celui de Héron de Villefosse notamment) appelés à faire autorité tout au long du xixe siècle. Il importe tout d’abord de rappeler comment, avec l’occupation française, à partir de janvier 1810, la mine d’Idrija s’est trouvée l’enjeu de plusieurs logiques d’appropriation. Premier gouverneur général des Provinces illyriennes, Marmont a été, jusqu’à son départ en 1811, favorable à ce que la mine demeure sous le contrôle de l’autorité administrative des Provinces et donc sous son contrôle personnel. Or à son départ, l’empereur attribua avec effet rétroactif au 1er janvier 1810 (ce qui impliquait que l’administration se départisse des bénéfices réalisés depuis plus d’une année) la gestion de la mine à l’ordre des Trois Toisons d’Or. Cet ordre créé par Napoléon lors de son occupation de Vienne en 1809 et qui faisait référence aux Toisons d’or espagnole et autrichienne ne connut pas la moindre attribution pour de multiples raisons : concurrence avec l’ordre de la Légion d’honneur, crainte d’offusquer l’empereur d’Autriche sollicité par ailleurs pour le mariage avec Ma- rie-Louise. En 1826 J. B. Salgues, dans ses Mémoires pour servir à l’histoire de France sous le gouvernement de Napoléon Buonaparte et pendant l’absence de la maison de Bourbon (tome 8), ironisera à la fois sur la création et sur l’échec de cet ordre, révélateurs selon lui de l’arrogance d’un usurpateur humiliant les rois et les peuples d’une Europe qu’il avait vainement tenté de subjuguer. Mais avant que la création de l’ordre ne soit effective, l’empereur confia l’administration des mines au grand chancelier de l’ordre de la Légion d’honneur, le naturaliste Lacépède (1756–1825) à qui Buffon avait laissé le soin d’achever son Histoire naturelle. C’est d’ailleurs à la demande de Lacépède, à qui l’administration de la mine in- comba dans un premier temps, que fut rédigé un rapport sur Idrija, la ville, sa mine et sa population. Ce rapport met tout particulièrement l’accent sur la dégradation ACTA HISTRIAE • 28 • 2020 • 2 271 Jean-Jacques TATIN-GOURIER: DE LA GESTION FRANÇAISE DE LES MINES DʼIDRIJA SOUS L’EMPIRE À LEUR ..., 269–278 sanitaire d’une population exposée à un environnement particulièrement nocif1. Il faut de plus rappeler que Buffon, dont Lacépède fut le disciple, avait évoqué la mine de mercure d’Idrija2 dans le troisième volume de son Histoire des minéraux (1785), en renvoyant par ailleurs à « la description de la mine d’Idrija publiée en 1774 par M. Ferber3 ». Dès octobre 1810 l’empereur nomma une administration de l’ordre indépendante de celle de la Légion d’honneur et désigna comme grand chancelier de l’ordre nouvellement créé et par conséquent administrateur de la mine le général comte Andréossy. Mais l’administration de ce dernier fut brève : il fut en effet nommé ambassadeur de France et l’intérim de la grande chancellerie de l’ordre des Trois Toisons d’Or fut confié à Champagny, déjà grand chancelier de l’ordre de La Réunion, créé en 1811 pour récompenser les services administratifs et judiciaires. Andréossy n’avait pas échappé à l’accusation de mauvaise gestion des revenus affectés au fonctionnement de l’ordre des Trois Toisons d’Or : 500 000 francs provenant de la vente du mercure produit à Idrija et 500 000 francs provenant de la gestion de divers domaines romains (cf. Macé, 2007). L’affectation de la gestion de la mine d’Idrija à l’ordre des Trois Toisons d’Or impliqua de plus deux nominations simultanées (23 mars 1811) : celle d’un commissaire de l’ordre, l’ex-capitaine Aubry et celle de Gallois de la Chapelle, ingénieur chargé de la direction de la mine. Le caractère bicéphale de cette administration entraîna rapidement un conflit. Polytechnicien, ingénieur des mines expérimenté, Gallois de la Chapelle, ingénieur en chef des mines d’Illyrie depuis le 29 juin 1810 (cf. Jejcic, 2018) reprochait à Aubry sa méconnaissance absolue de la minéralogie et de la langue allemande. Aubry quant à lui ne se privait pas de dénoncer les dépenses somptuaires du couple Gallois. C’est précisément pour résoudre ce conflit qu’intervint l’inspection de Hé- ron de Villefosse qui lava Gallois de la Chapelle de ces accusations et fit destituer 1 «Les habitants d’Idrija sont sujets à des maladies nombreuses et particulières. Les unes n’ont d’autre cause que la situation du pays, couvert en tout temps de brouillard épais, les autres affligent plus par- ticulièrement ceux qui travaillent à la mine et aux fabriques. Plusieurs individus des deux sexes sont atteints de vertige. D’autres éprouvent des attaques violentes d’épilepsie, dont les accès se réitèrent jusqu’à trois fois par jour. Un grand nombre des ouvriers qui travaillent à la mine sont bientôt attaqués d’un tremblement continuel qui, après quelques années, les rend paralytiques. D’autres subissent une salivation continuelle qui leur fait perdre les dents et les épuise. Ceux qui sont journellement exposés à l’influence des fabriques respirent des vapeurs délétères qui ne leur permettent pas de travailler long- temps de suite ; on est obligé de les faire relever souvent. Lorsque le vent du sud pousse ses vapeurs sur la ville, la santé des habitants en souffre. » (Rapport anonyme, 1810, 32, in : Archives Nationales de France, Fonds Daru (1709–1899)). 2 «Idrija est une petite ville située dans la Carniole, dans un vallon très profond, sur les deux bords de la rivière d’Idrija dont elle porte le nom. Elle est entourée de hautes montagnes de pierres calcaires, qui portent sur un schiste ou ardoise noire, dans les couches duquel sont les travaux des fameuses mines de mercure ; l’épaisseur de ce schiste pénétré de mercure et de cinabre est environ vingt toises, et la largeur ou étendue est de deux cents jusqu’à trois cents toises ; cette riche couche d’ardoise varie, soit en s’inclinant, soit en se replaçant horizontalement souvent à contre sens. La profondeur des princi- paux puits est de cent onze toises. Voyez la description de la mine d’Idrija par M. Ferber, publiée en 1774. » (Buffon, 1785, 68). 3 L’ouvrage que Ferber (1745–1790) a spécialement consacré en 1774 aux mines d’Idrija (Beschreibung des Quecksilber zu Idrija in Mittel Crayn) fera longtemps autorité. ACTA HISTRIAE • 28 • 2020 • 2 272 Jean-Jacques TATIN-GOURIER: DE LA GESTION FRANÇAISE DE LES MINES DʼIDRIJA SOUS L’EMPIRE À LEUR ..., 269–278 Aubry remplacé par l’Alsacien Bert. L’on sait aussi qu’en 1813 ce fut Gallois qui, en relation avec Séguier consul de France à Trieste, organisa l’évacuation vers Venise du mercure accumulé à Idrija. Quand les Autrichiens reprirent le contrôle de la mine, les entrepôts étaient pratiquement vides. Cette gestion française de la mine d’Idrija à l’époque des Provinces illyriennes est somme toute assez bien connue, comme en témoignent diverses notices de l’ou- vrage dirigé par Alain Jejcic (2018) avec la collaboration de Peter Vodopivec et Josip Vrandečić. Janez Šumrada, dans son article « Bonaparte et la mine d’Idrija » (2009), invite toutefois à considérer qu’à deux reprises, avant la création des Provinces illy- riennes, la mine de mercure d’Idrija fut l’enjeu des convoitises de Bonaparte. Janez Šumrada rappelle que, dès la première occupation des régions slovènes par l’armée française au printemps 1797 – occupation qui dura deux mois –, « plus de 16 000 quintaux de mercure et 430 quintaux de cinabre » (cf. Šumrada, 2010, 111) furent em- portés par les Français. Et, en s’appuyant sur le Journal du général Desaix (cf. Desaix, 1907), il évoque le partage d’un gain de quatre millions de francs entre Bonaparte, Collot, fournisseur de l’armée d’Italie qui avait passé un accord avec Bonaparte pour la vente des réserves de mercure des mines d’Idrija, Berthier, chef d’état-major, Bernadotte et Murat. Janez Šumrada rappelle de plus que lors de la deuxième et brève occupation d’Idrija du 23 novembre 1805 au 26 février 1806, Napoléon invita Eugène de Beauharnais, commandant en chef de l’armée d’Italie, à rendre compte de l’occupation d’Idrija et des quantités de mercure saisies (les stocks avaient en fait été évacués par les Autrichiens). Enfin Janez Šumrada souligne le fait que lors de la troisième occupation en 1809, l’une des premières initiatives de l’empereur fut de demander au comte Pierre Daru, intendant général de l’armée d’Allemagne et administrateur des pays conquis de préparer un rapport sur l’importance de la mine d’Idrija (Pierre Daru le rédigea sur la base du Mémoire sur les mines de mercure d’Idrija de l’ingénieur des mines J. P. von Grosser (Archives nationales, Fonds Daru, inv. de la sous-série 138 AP). Tout atteste donc que l’intérêt porté par Bonaparte à la mine d’Idrija fut une constante, du Directoire à l’Empire, et que l’administration française de la mine au temps des Provinces illyriennes constitua l’aboutissement d’un projet longuement mûri. Par delà cet historique, un autre ordre de questions se pose. Il importe en effet de comprendre quand et comment l’exploitation du mercure à Idrija est entrée dans le champ d’observation des ingénieurs voyageurs français. Quand la mine d’Idrija a-t-elle donné lieu à la publication d’observations tout à la fois géologiques – sur les différentes formes de mercure et de cinabre distinguées – et techniques – sur les différentes méthodes d’extraction et de traitement employées, qu’elles soient anciennes ou plus récentes ? Quelles ont été alors les causalités à l’œuvre dans cette intégration des mines d’Idrija au champ d’observation des ingénieurs français ? Il est certain que, dans le second versant du xviiie siècle les enquêtes européennes publiées par les amateurs et les spécialistes de l’exploitation minière tendent à se multiplier avec les itinéraires qu’ils impliquent. L’enjeu est certes dans un premier temps la substitution de l’exploitation du charbon de pierre à l’usage ancestral ACTA HISTRIAE • 28 • 2020 • 2 273 Jean-Jacques TATIN-GOURIER: DE LA GESTION FRANÇAISE DE LES MINES DʼIDRIJA SOUS L’EMPIRE À LEUR ..., 269–278 du charbon de bois. L’ouvrage posthume de l’ingénieur Gabriel Jars (1732–1769) publié en 1780, Voyages métallurgiques. Recherches et observations sur les mines en Allemagne, Suède, Norvège, Angle- terre et Écosse (trois volumes) fut ici pionnier et emblématique. Globalement ce type d’ouvrage visait à faire connaître aux exploitants miniers de l’époque les innovations technologiques susceptibles de révolutionner les rendements indus- triels des opérations minières. C’est pour l’essentiel sous la Restau- ration – entre 1815 et 1825 – que les ou- vrages spécialisés dans l’étude géologique des minerais, dans l’étude des techniques d’extraction et des méthodes de gestion des mines font une place à la mine de mercure d’Idrija. La très ample étude – véritable monographie qui sur tous les plans se veut exhaustive –, rédigée par « M. Paysse, Directeur de la fabrication des produits mercuriels d’Idrija » et que les Annales de chimie publient sur deux numéros (le 31 août et le 30 septembre 1814) a sans nul doute joué un rôle introducteur important. Ainsi au lendemain même du retrait français des Provinces illyriennes et de l’abandon par la France de l’exploi- tation de la mine d’Idrija, l’étude intitulée « Notice statistique sur l’établissement de la mine de mercure d’Idrija en Illyrie » présente pour un lectorat de spécialistes (chefs d’entreprises, ingénieurs) un dossier précisément documenté embrassant tous les aspects et toutes les implications d’une exploitation du mercure dont l’auteur souligne l’exemplarité. C’est tout d’abord l’historique de la mine qui est envisagé : de la découverte légendaire du mercure par des paysans au xiiie siècle à l’évocation du corpus d’écrivains qui se sont penchés sur l’historique de la mine (Walter Pope, Edouard Brawn, Walvassor, Frédéric Stampfer, Scopoli, Hacquet), de l’évolution des techniques d’extraction à la lente structuration des instances gestionnaires et admi- nistratives, de la succession des États propriétaires (Venise, l’Autriche et la France de Napoléon) à l’évocation de l’extension géographique du « domaine » (c’est-à-dire la mine et les forêts dont le bois est indispensable à l’extraction et au traitement dans les « fourneaux » des diverses sortes de minerais ). Paysse, rarement évoqué dans les études historiques que nous avons lues, s’autorise du statut de maire d’Idrija, qui a été le sien pendant les années qui précèdent, pour exposer un dénombrement de la population de la ville d’Idrija. La présentation du système hydrographique de la région met l’accent sur la construction des « écluses établies pour le flottage du Fig. 1: Croquis de la mine de mercure d'Idrija et plan au sol d'Idrija, 1770, Jožef Mrak (Wikimedia Commons). ACTA HISTRIAE • 28 • 2020 • 2 274 Jean-Jacques TATIN-GOURIER: DE LA GESTION FRANÇAISE DE LES MINES DʼIDRIJA SOUS L’EMPIRE À LEUR ..., 269–278 bois » qui sont d’ailleurs présentées comme autant de marques de la « bienveillance du Comte Andréossy, grand chancelier de l’ordre des Trois Toisons d’Or » à l’égard d’une population à jamais reconnaissante. C’est dans le même esprit que Paysse insiste sur la propreté des logements ouvriers. Il minimise par ailleurs la dégradation sanitaire que connaît la population d’Idrija en insistant sur le fait que les dommages dentaires, les tremblements sont beaucoup plus limités qu’on l’affirme généralement. Il refuse de considérer que les vapeurs des fourneaux peuvent avoir une action nocive sur les troupeaux et les végétaux et impute cette appréhension de la situation aux « préjugés ». Enfin Paysse en vient à l’essentiel : la description des puits et des gale- ries qui attirent « les curieux qui viennent des différentes contrées de l’Europe », la présentation des conditions, de la réglementation et de la rémunération du travail des mineurs. En géologue averti, Paysse souligne le caractère exceptionnel d’une mine « qui ne ressemble à aucune autre de ce genre ». Il décrit par ailleurs les vingt-neuf variétés de combinaisons du mercure qu’offre la mine d’Idrija. Dans la « Suite de la notice statistique » publiée dans le numéro suivant des Annales de chimie (30 septembre 1814), Paysse insiste sur les rapports hiérarchiques qui président à la production, revient avec précision sur le paiement du travail « à la toise cube ». Il s’engage en outre dans une description ample et précise du procès de production : laverie et intervention de diverses sortes de tamis, utilisation de « ma- chines à pilon », transport à l’atelier des fourneaux adaptés aux différentes sortes de minerais, modalités et durée de la distillation du mercure. Paysse se glorifie d’avoir lui-même apporté « quelques changements avantageux dans le système du fourneau destiné à traiter les minerais en poudre ». Paysse salue avec une insistance particu- lière l’attention que le gouvernement autrichien a portée et porte de nouveau avec son retour à Idrija à la fabrication et à la commercialisation des produits mercuriels. Paysse reconnaît d’ailleurs avoir « marché sur les traces de [ses] prédécesseurs » qui ont construit un atelier particulièrement performant pour la fabrication des produits mercuriels (amalgamation du mercure avec le soufre, préparation du vermillon de Chine et des sels mercuriels). Après avoir détaillé les espaces des différentes ins- tances administratives de la mine, Paysse présente un bilan financier des recettes durant la gestion française. Il en souligne l’équilibre non sans un ultime hommage au « gouvernement fondateur » de l’établissement, c’est-à-dire au gouvernement autri- chien. Manière sans doute d’afficher sa neutralité de scientifique et de gestionnaire dans une dynamique industrielle qui doit perdurer par delà les aléas géopolitiques d’une Europe bouleversée au sortir des guerres de l’Empire. Les ouvrages généraux d’étude géologique des minerais, des techniques d’ex- traction et des méthodes de gestion des mines et même des ouvrages beaucoup plus généraux font dès lors fréquemment une place aux mines de mercure d’Idrija. Dans le deuxième volume du Nouveau dictionnaire d’histoire naturelle appliquée aux arts, à l’économie rurale et domestique, à la médecine etc. (1818), une ample séquence traite des fluctuations de la production de mercure à Idrija depuis le début du xviiie siècle. Mention est également faite de l’incendie de la mine en 1803 et de ses conséquences sur la santé de la population : ACTA HISTRIAE • 28 • 2020 • 2 275 Jean-Jacques TATIN-GOURIER: DE LA GESTION FRANÇAISE DE LES MINES DʼIDRIJA SOUS L’EMPIRE À LEUR ..., 269–278 Dans l’empire d’Autriche, on remarque d’abord les mines célèbres d’Idrija, en Carniole, ouvertes depuis la fin du quinzième siècle : leurs travaux actuels ont deux cent soixante mètres de profondeur ; elles produisaient autrefois plus de six mille quintaux métriques de mercure. Pour soutenir le prix de ce métal, le gouvernement autrichien a ordonné, au commencement du dix-huitième siècle, de restreindre l’extraction, et de la borner annuellement à quinze cents quintaux métriques. A la fin de ce siècle, et par suite d’un traité avec le gouvernement espagnol, pour fournir à l’alimentation des usines à amalgamation de l’Amérique, le produit a été pendant plusieurs années de six mille quintaux métriques annuellement. Depuis la fin de ce traité, l’extraction a été moindre ; elle était de deux mille cinq cents quintaux pendant l’occupation française ; elle est aujourd’hui, comme autrefois, d’environ quinze cents quintaux métriques. Les mines ont été incendiées en mars 1803. On n’a pu éteindre le feu qu’en remplissant d’eau tous les travaux. L’épuisement de ces eaux a duré ensuite plus d’un an. Le mercure sublimé par l’incendie a causé des maladies ou tremblement à neuf cents personnes ; ce mercure ruisselait encore en 1804 des murailles détruites par le feu et des rochers des environs de la mine que les vapeurs avaient pénétrés. (Nouveau dictionnaire, 1818, 222). Mais l’ouvrage doté d’une ambition très généraliste qui a le plus intégralement et le plus précisément tenté de définir la nature des matières premières extraites, les fonc- tionnements techniques et les modalités de la gestion économique des mines d’Idrija est sans nul doute le grand traité de minéralogie de Héron de Villefosse, prestigieux ingé- nieur, inspecteur des mines (qui lors de son inspection de la mine d’Idrija prit la défense de Gallois de la Chapelle), De la Richesse minérale, volume 1, Considérations sur les mines, usines et salines des différents Etats, présentés comparativement sous le rapport des produits et de l’administration. Dans cet ouvrage qui ambitionne de concilier les approches géologique, technique, économique et gestionnaires des mines envisagées, l’évaluation des quantités de mercure produites et de leurs fluctuations est primordiale : On indique très diversement le produit des célèbres mines de mercure qui sont ouvertes à Idrija depuis la fin du xve siècle. Scopoli et Busching l’estiment douze mille quintaux, dont un sixième, ajoutent ces auteurs, est obtenu à l’état de mercure natif : dans plusieurs ouvrages, on trouve ce nombre réduit à deux ou trois mille ; dans d’autres il est présenté de nouveau. Nous savons d’après Jars et Ferber, que l’on a restreint l’extraction pour soutenir le prix du mercure ; mais si l’on consi- dère, d’un autre côté, 1° que, suivant Ferber, les mines d’Idrija seraient capables de fournir non seulement tout l’ancien continent, mais encore tout le nouveau monde ; 2° que ces mines ont eu besoin, depuis quelques années, de réparer le tort qu’elles avaient éprouvé pendant la guerre, vers le commencement de ce siècle ; 3° qu’à la même époque, le gouvernement autrichien s’est engagé, à ce qu’on assure, à fournir annuellement à l’Espagne une quantité de mercure assez considérable ; 4° que l’activité des mines et usines s’est fort accrue depuis quelque temps ; 5° enfin, que les exploitations de l’Allemagne paraissent devoir procurer annuellement dix ACTA HISTRIAE • 28 • 2020 • 2 276 Jean-Jacques TATIN-GOURIER: DE LA GESTION FRANÇAISE DE LES MINES DʼIDRIJA SOUS L’EMPIRE À LEUR ..., 269–278 à douze mille quintaux de mercure aux mines d’or et d’argent de l’Amérique, on sera peut-être porté à croire avec moi que, dans l’état actuel des mines d’Idrija, le gouvernement ne s’en tient point à la règle ancienne qui avait fixé l’extraction à trois mille quintaux par année (Villefosse, 1819, 345). Dans ce même traité où il est bien précisé que – à l’inverse d’ailleurs de la monographie de Paysse – la fabrication des produits dérivés du mercure ne sera pas prise en compte, Héron de Villefosse s’attache tout d’abord à établir la typolo- gie des catégories de minéral extrait avec la teneur de chacune de ces catégories. Avec à l’appui six schémas des appareils distillatoires utilisés à Idrija (planche 63), Héron de Villefosse expose les procédures techniques anciennes et nouvelles utilisées pour l’extraction et le traitement du minerai. Il note de plus la présence de deux fourneaux, « chacun dans un bâtiment » et souligne le fait que les procédures nouvelles de traitement de la matière première exigent l’utilisation de fourneaux qui « sont les plus vastes de la métallurgie» (Villefosse, 1819, 230). Il importe de rappeler que cette étude de Héron de Villefosse constituera un véritable ouvrage de référence au long du xixe siècle comme l’atteste, entre autres, l’ouvrage du Dr Ferdinand Hoefer, Histoire de la chimie depuis les temps les plus reculés jusqu’à notre époque, publié chez Hachette en 1843. Hoefer reprend en effet largement les informations de Héron de Villefosse en ce qui concerne la mine d’Idrija devenue décidément incontournable. Connue de longue date (de nombreux ouvrages de référence du xviiie siècle en témoignent), la très ancienne mine de mercure d’Idrija acquiert sans nul doute une importance économique, politique et symbolique inédite avec les conquêtes napoléoniennes en Europe et la création des Provinces illyriennes. Les bénéfices financiers appréciables de l’exploitation de la mine – et apparemment très appréciés de Napoléon en personne –, l’enjeu que représente la mine dans la confrontation complexe avec l’Autriche, l’aura symbolique du rattachement du site minier à l’ordre des Trois Toisons d’Or et enfin l’expérience, sous la houlette d’ingénieurs des mines français, de l’exploitation et de la gestion de la mine confèrent à cette dernière une visibilité sans précédent. Au seuil du xixe siècle, la mine de mercure d’Idrija devient pleinement un objet d’étude digne de l’attention soutenue des spécialistes (ingénieurs des mines, administrateurs et techniciens) et même d’un lectorat plus ample qu’intéressent de plus en plus les innovations techniques et industrielles.4 4 Ce travail fait partie du projet bilatéral PHC Proteus 2020 code 44089QK et ARRS-MS-BI-FR/20-21-PRO- TEUS-009, avec le soutien des: Ministères de l’Europe et des Affaires étrangères (MEAE), Ministère de l’Enseignement supérieur, de la Recherche et de l’Innovation (MESRI). ACTA HISTRIAE • 28 • 2020 • 2 277 Jean-Jacques TATIN-GOURIER: DE LA GESTION FRANÇAISE DE LES MINES DʼIDRIJA SOUS L’EMPIRE À LEUR ..., 269–278 IDRIJSKI RUDNIK OD FRANCOSKE UPRAVE DO VKLJUČITVE V POTOVANJA IN RAZPRAVE EVROPSKIH RUDARSKIH STROKOVNJAKOV NA ZAČETKU 19. STOLETJA Jean-Jacques TATIN-GOURIER I.C.D. Interactions Culturelles et Discursives, Université de Tours 2 Square Henri Barbusse, 18400 Saint Florent sur Cher, Francija e-mail: tatingourier@aol.com POVZETEK Idrijski rudnik je bil v drugi polovici 18. stoletja v Franciji precej slabo znan. Fran- cozi, ki so se zanimali za geologijo in rudarstvo, so o njem sicer lahko nekaj izvedeli iz del naravoslovcev Georgesa Louisa Buffona in Gabriela Jarsa, vendar je rudnik postal znan in za širšo strokovno javnost zanimiv šele v času Ilirskih provinc in po njih. Kljub temu pa je Napoleon dobro poznal njegovo ekonomsko vrednost. Avtor opozarja na raziskavo J. Šumrade, ki je ugotovil, da je Napoleon že v času prve zasedbe Idrije v letu 1797 sebi in nekaterim najvišjim francoskim generalom razdelil izkupiček od živega srebra v vrednosti 4 milijone frankov. Tudi po ustanovitvi Ilirskih provinc je Napoleon upravljanje rudnika izvzel iz pristojnosti generalnega guvernerja Marmonta in njegove administracije ter ga podredil novo ustanovljenemu redu Treh zlatih run. Tak status in dvotirna uprava, v kateri sta morala sodelovati predstavnik reda in tehnični direktor ru- dnika, je vodila do številnih napetosti in intervencij različnih francoskih funkcionarjev. Ekonomski pomen rudnika izpričuje tudi dejstvo, da so Francozi ob odhodu leta 1813 izpraznili zaloge živega srebra. Osrednje vprašanje razprave je, kdaj je rudnik postal zanimiv za francoske naravoslovce, geologe in rudniške oziroma rudarske strokovnja- ke. Avtor postavlja ta interes v splošno povečanje zanimanja za naravoslovje v drugi polovici 18. stoletja, ki ga predstavljata že omenjena Buffon in Jars. Bolj izčrpno in sistematično vednost o rudniku pa so posredovala dela, ki so nastala po koncu franco- ske okupacije. Avtor poudarja predvsem dva deli, ki sta francoski javnosti posredovali izčrpne informacije o Idriji in okolic ter o geoloških, tehničnih, ekonomskih, upravnih in zdravstvenih vidikih pridobivanja živega srebra in cinobra. Leta 1814 je v Annales de chimie izšla razprava v dveh delih, leta 1819 pa je Héron de Villefosse objavil delo z naslovom De la Richesse minerale. V tem delu so predstavljeni rudniki in soline v različnih evropskih državah, med njimi tudi idrijski rudnik. Predstavitev idrijskega rudnika, ki ga je Villefosse obiskal v času Ilirskih provinc v vlogi inšpektorja, je vse do sredine 19. stoletja veljala za referenčni tekst. Ključne besede: Ilirske province, Idrija, Napoleon, geologija, mineralogija, rudarski inženirji ACTA HISTRIAE • 28 • 2020 • 2 278 Jean-Jacques TATIN-GOURIER: DE LA GESTION FRANÇAISE DE LES MINES DʼIDRIJA SOUS L’EMPIRE À LEUR ..., 269–278 SOURCES ET BIBLIOGRAPHIE Archives Nationales de France – Fonds Daru (1709–1899). Inventaire de la sous-sé- rie 138AP (138AP/1-138AP/370) établi par Suzanne dʼHuart, conservateur aux Archives nationales: 138AP/147 Mémoires sur lʼadministration de lʼAutriche: Mémoire sur les mines de mercure dʼIdria, par J.-M. de Grosser, suivi du brouillon dʼun rapport de Daru à Napoléon sur ces mines. Buffon, G. L., Comte de (1785): Histoire des minéraux. Paris, Imprimerie Royale. Desaix, L. Ch. A., Général (1907): Journal de voyage: Suisse et Italie (1797). Paris, Plon. Ferber, J. J. (1774): Beschreibung des Quecksilber-Bergwerks zu Idrija in Mit- tel-Crayn. Berlin, Himburg. Jars, G. (1780): Voyages métallurgiques ou Recherches et observation sur les mines en Allemagne, Suède, Norvège, Angleterre et Écosse. Lyon-Paris, Regnault-Didot. Jejcic, A. (sous la dir. de) (2018): Napoléon dans lʼAdriatique. Dictionnaire biogra- phique des Provinces illyriennes. Paris, SPM (col. Kronos). Macé, J. 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